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Réception à l'occasion de la parution de « L'année stratégique 2002 »
à l'Hôtel de Lassay le jeudi 20 septembre 2001

Discours de Monsieur Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président du Conseil d'administration de l'IRIS, cher Serge Weinberg,

Monsieur le Président du groupe L'Etudiant, cher René Silvestre,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Il y a un peu plus d'une semaine, le 11 septembre dernier, les Etats-Unis d'Amérique étaient frappés par une vague d'attentats d'une dimension et d'une brutalité sans précédent. Notre Assemblée a bien évidemment immédiatement tenu à témoigner sa solidarité avec le peuple américain et ses représentants.

La réunion extraordinaire, à mon initiative, des Commissions de la défense et des affaires étrangères, tenue dès le 14 septembre, a permis d'entendre les principaux membres du gouvernement concernés et d'écouter l'ensemble des formations politiques représentées à l'Assemblée.

J'ai été satisfait de constater que chacun exprimait des points de vue convergents.

Ce qui m'a frappé aussi, depuis ce 11 septembre, c'est l'union des Français, de tous les Français, dans l'indignation, dans le deuil, dans la compassion et dans la détermination à aider le peuple américain à surmonter cette barbarie. Et au-delà du peuple français, ce sont tous les peuples, à de très rares exceptions près, qui ont fermement condamné ces actes.

Ces attentats de masse nous ont également rappelé qu'un événement même situé à des milliers de kilomètres a des répercussions immédiates dans notre pays et dans le monde. Plus que jamais aujourd'hui, par la vertu de la mondialisation immédiate de l'information, les milliers de victimes de New York et de Washington nous ont rappelé ce que nous savions pourtant depuis Montaigne: « chaque homme porte en lui la forme entière de l'humaine condition ». La chaîne de solidarité internationale qui s'est constituée autour du peuple américain est le plus cinglant des échecs pour les auteurs de ces crimes contre l'humanité.

Nous célébrons aujourd'hui la sortie de la douzième édition de « l'année stratégique » de l'IRIS sous la direction de Pascal Boniface. Un hasard épouvantable a voulu, cher Pascal, que cette célébration prenne place alors que nous sommes encore sous le choc des attentats que je viens d'évoquer. La coïncidence n'a évidemment pas manqué de me frapper.

Car les causes, comme les conséquences, et au premier chef la stratégie que les Etats-Unis vont appliquer et peut-être proposer à leurs alliés, sont multiples et complexes, et exigent des analyses géopolitiques approfondies, qui constituent précisément l'essentiel de l'activité de l'IRIS.

Ces attentats sont-ils un contrecoup des conflits du Proche-Orient ? L'Irak, soumis depuis dix ans à un embargo dont nous sommes nombreux à douter de la pertinence, a-t-il apporté une aide quelconque à l'opération ? Quelle est l'origine réelle du déferlement de ces Talibans qui abritent le suspect principal ? Le gouvernement militaire pakistanais aura-t-il la solidité suffisante pour imposer un revirement politique brutal à sa politique envers ces mêmes Talibans ? Quelle sera l'attitude des Républiques musulmanes d'Asie centrale : Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan ? Autant de questions, et il y en a bien d'autres, auxquelles vos analyses et vos études nous aideront à trouver des réponses.

Permettez-moi d'ajouter encore une considération personnelle supplémentaire. De multiples exemples historiques me suggèrent, et je pense par exemple à la guerre du Kippour de 1973 d'où est sortie la paix entre l'Egypte et Israël, que de ces attentats tragiques et des événements qu'ils vont entraîner, peuvent naître, dans une sorte d'accouchement cathartique, des solutions à certains des problèmes qui ensanglantent certaines régions du monde.

C'est Colin Powell, Secrétaire d'Etat américain, qui disait lui-même, il y a quelques jours, que ces attentats soulignaient l'urgente nécessité de trouver rapidement une issue au conflit israélo-palestinien. L'Irak sera-t-il à cette occasion réinséré dans le tissu normal des relations internationales et l'Iran, dont une partie des dirigeants partage la même vision de la société que les Talibans, même s'ils n'appartiennent pas à la même mouvance de l'Islam, va-t-il du même coup trouver un équilibre interne durable autour de ses réformateurs ? Sera-ce même l'occasion d'apaiser les tensions entre Inde et Pakistan ?

Nul n'est en mesure d'apporter une réponse à ces interrogations. Mais nous devons être tous conscients que ces conflits constituent le terreau de la haine, qui favorise un climat durable d'hostilité, de méfiance et d'affrontement dans les relations internationales.

Mais je ne voudrais pas conclure sans émettre aussi un voeu que cette actualité me suggère tout naturellement.

Depuis la cinquième République, la Représentation nationale est peu sollicitée sur le plan des Relations internationales. De temps en temps, heureusement, très rarement, et quand c'est indispensable, on lui fait voter une opération militaire, comme ce fut le cas en 1990 lors de la guerre du golfe. Mais c'est souvent par la télévision que les parlementaires apprennent que des soldats français sont engagés au Tchad en Bosnie ou encore au Kosovo.

Les relations internationales sont évidemment très complexes, multiples, et j'ai quelquefois l'impression que les diplomates regrettent, du point de vue de l'efficacité, le temps du despotisme éclairé, où fut d'ailleurs « inventée » la diplomatie moderne.

J'exagère bien sûr, d'autant que le Ministère des Affaires étrangères travaille de plus en plus en concertation avec le Parlement, mais c'est pour mieux exprimer le désir sincère de mes collègues députés d'être mieux associés à la stratégie de la France dans tous les sens du terme. Je sais bien que notre Commission des affaires étrangères est régulièrement informée par le Ministre des Affaires étrangères.

Je sais aussi que nous disposons de nombreux groupes d'amitié qui nous donnent l'occasion de rencontrer nos collègues étrangers.

Depuis mon élection à la Présidence, je mesure l'utilité de l'Assemblée et des rencontres que j'ai pu avoir avec mes collègues présidant les Parlements étrangers.

J'apprécie les visites que font les chefs d'Etat ou de gouvernement à la Représentation nationale quand ils viennent en France. Le Président du Brésil Fernando Henrique Cardoso, répondant à mon invitation, s'exprimera d'ailleurs devant les députés le 30 octobre prochain.

Mais je crois nécessaire de dépasser ces rencontres qui ont un caractère par trop protocolaire, pour donner un contenu plus opérationnel à l'intervention de la Représentation nationale. Ce désir devient d'autant plus légitime que les conflits ne mettent plus seulement en jeu la vie des militaires. Comme les attentats suicides du Proche-Orient et plus encore ceux de New York le montrent, les civils deviennent les cibles privilégiées des terroristes. C'est ce qui nous révolte. Mais c'est aussi ce qui implique que les Représentants des peuples doivent être mieux informés et associés aux décisions.

C'est pourquoi j'ai chargé l'un de nos collègues, Yves Tavernier, de réfléchir aux mesures à prendre et aux moyens à mettre en oeuvre pour permettre un meilleur contrôle parlementaire des Institutions financières internationales et des importantes dotations budgétaires que nous leur affectons chaque année (près de 200 milliards de francs !).

J'ai également décidé de créer des Commissions permanentes bilatérales avec un certain nombre de Parlements de pays particulièrement influents : le Mexique et l'Egypte pour commencer. Nous rencontrerons désormais régulièrement les parlementaires de ces deux pays pour évoquer avec eux des questions d'intérêt commun.

Si l'on veut éviter le choc des civilisations et le triomphe de la haine, il faut faciliter le dialogue entre les peuples et donc entre leurs représentants les plus directs : les parlementaires.

Voilà, Mesdames et Messieurs, chers amis, ce que je souhaitais vous dire ce matin à l'occasion de la parution de « l'année stratégique 2002 ».

Un grand bravo à l'IRIS pour son obstination à diversifier dans notre pays l'information et l'analyse des relations internationales. Nous n'aurons jamais assez d'informations sur le monde si complexe qui nous entoure. L'IRIS nous en donne, de bonnes, précises et réfléchies. Qu'il soit ici encouragé et remercié.