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23ème conférence internationale des Commissaires à la Protection des Données
à l'Hôtel de Lassay le lundi 24 septembre 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les Commissaires,

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir ce soir à l'Hôtel de Lassay, à l'occasion de la vingt-troisième conférence internationale des Commissaires à la Protection des Données. Durant trois jours, réunions et tables-rondes vous amènent à réfléchir et à partager vos expériences sur le thème du respect des droits de l'homme et de la vie privée. J'ai consacré une large part de mon engagement politique et professionnel à la défense des libertés individuelles et, Président de l'Assemblée nationale, cette ambition demeure aujourd'hui au coeur de mes préoccupations. Pour une raison simple : elles constituent l'inamovible clé de voûte de la démocratie. Elles sont le socle de la France républicaine et de ses institutions. Elles se situent par conséquent au coeur des valeurs qui animent la vie de cette maison.

La question de la protection des données personnelles prend aujourd'hui une dimension inédite à travers les progrès des technologies de l'information et de la communication. Certains s'alarment et dénoncent le risque d'un totalitarisme électronique qui dépouillerait l'individu de son intimité et le priverait de sa liberté. Le fameux Big Brother d'Orwell serait déjà parmi nous...

Ne diabolisons pas ces technologies. Méfions-nous des condamnations trop hâtives : elles représentent autant d'aveux d'impuissance et traduisent une forme de défaitisme que je ne partage pas. Le développement de l'Internet est une chance pour nos concitoyens. Les Français, de plus en plus nombreux à adopter et apprivoiser ces nouvelles pratiques au coeur de leur vie quotidienne, l'ont bien compris. L'informatisation, la numérisation, la généralisation des échanges de données constituent un enjeu décisif au niveau national et international. Leurs conséquences sociales, économiques et culturelles seront sans doute sans précédent. Mais la société de l'Information sera ce que nous déciderons d'en faire. La technologie n'est qu'un outil. Il faut aujourd'hui lui associer la vision politique indispensable pour la mettre au service d'une société sereine et harmonieuse, dans le respect des droits des individus.

Car si j'ai personnellement confiance dans les progrès que l'on peut espérer des nouveaux supports numériques, je n'oublie pas qu'ils sont également porteurs de menaces bien réelles.

La cybercriminalité est désormais une réalité. Les récents attentats terroristes sur le sol des Etats-Unis n'ont pas manqué de nous le rappeler. Il est apparemment établi que les protagonistes de ce drame utilisaient toutes les ressources de la toile pour échanger des informations et préparer leur terrible dessein. Les institutions policières et judiciaires connaissent bien les capacités criminelles du réseau. Il y a peu encore, l'appel de Genève réunissait des magistrats convaincus de la nécessité de créer un espace judiciaire européen. Leur démarche était notamment suscitée par l'essor des « réseaux informatiques, d'Internet, du modem et du fax, par lesquels l'argent d'origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d'un compte à l'autre, d'un paradis fiscal à l'autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires ». Le clavier est une arme qu'il ne faut plus sous-estimer. Nous en sommes aujourd'hui tous convaincus.

D'autres menaces, plus anodines peut-être, pèsent sur les droits des individus. Carte bancaire, téléphone mobile, ordinateur personnel, clé magnétique... Tous ces objets de notre quotidien sont devenus d'inépuisables sources d'informations sur nos goûts, nos habitudes et sur un grand nombre de composantes de notre vie personnelle, auxquelles peuvent avoir très facilement accès des personnes aux intentions discutables ou malveillantes. En ce domaine, l'exploitation des fichiers à des fins commerciales apparaît comme une utilisation ambiguë de renseignements très personnels. Mais n'oublions pas qu'il en est d'autres tout aussi inquiétantes. Je pense notamment à l'action de certaines sectes, véritables machines à filtrer, dont cette Assemblée s'est attachée à dénoncer les pratiques.

Face à ces dangers, nous devons conserver une attitude prudente et responsable. La révolution numérique offre un extraordinaire espace de liberté. Il nous faut explorer et exploiter ce potentiel. Mais pour le républicain que je suis, seule la loi peut offrir les garanties nécessaires pour assurer et promouvoir cette liberté. Je tiens à rappeler en particulier que l'Internet n'est pas une zone de non-droit. Même commis dans un espace virtuel, un délit reste un délit. D'ores et déjà, le droit positif français autorise les sanctions contre la diffusion de tout discours raciste ou révisionniste, « par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support », pour reprendre les termes précis du Code pénal. Mais d'autres problèmes se posent, qui réclament eux aussi une réponse juridique.

La France dispose sur ces questions d'une solide expérience. En 1978, la loi « Informatique et Libertés » faisait encore figure d'exception. J'en ai été, à l'époque, le porte-parole attentif pour le compte de l'opposition. Elle a, depuis, servi de modèle et de référence à de nombreux pays dans le monde. Tous les pays de l'Union européenne notamment se sont dotés au fil des ans d'une loi proche de la nôtre et d'une autorité de contrôle indépendante similaire à la CNIL. Mais il est aujourd'hui important d'aller plus loin et adapter cette loi aux contraintes technologiques de notre temps.

Sous l'autorité du Gouvernement de Lionel Jospin, de nombreuses initiatives ont été prises en ce sens. Ce fut par exemple en avril dernier la création d'un Forum des droits sur l'Internet, avec pour missions l'information du public et la participation à la co-régulation de l'Internet à travers l'harmonisation des actions entre partenaires privés et partenaires publics. Mais ce sont surtout deux projets de loi déposés devant le Bureau de l'Assemblée nationale.

Il s'agit tout d'abord du projet de loi sur la société de l'information, présenté par M. Christian Pierret, Secrétaire d'Etat à l'Industrie. Il précise notamment les dispositions de la loi de 1986 sur la liberté de communication qui lui sont applicables. Il encadre la responsabilité des opérateurs techniques de l'Internet. Enfin, il entreprend de renforcer la sécurité des réseaux en développant les moyens de lutte contre la cybercriminalité et en organisant la libéralisation des moyens de cryptologie qui devrait permettre au grand public de se prémunir contre l'espionnage électronique.

Le second projet, qui émane de la Chancellerie, concerne la protection des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel. Il modifie la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 pour assurer la transposition de la directive européenne du 24 octobre 1995. Ce projet de loi renforce les droits fondamentaux des personnes dès lors que des données les concernant font l'objet d'un fichier, en rendant plus contraignantes les obligations qui pèsent sur les responsables de ces fichiers et en faisant valoir le caractère discrétionnaire du droit d'opposition des personnes à leur inscription dans un fichier. Il renforce également l'autorité de la CNIL, en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de contrôle, mais aussi de sanction.

La responsabilité du Parlement est de voter la loi. Mais elle est aussi de la discuter, de l'amender et de l'améliorer, dans l'intérêt de tous nos concitoyens. La richesse et la qualité de vos travaux éclaireront sans doute bien des parlementaires et leur permettront ainsi d'accomplir leur tâche avec rigueur et efficacité. Je remercie par conséquent la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, et en particulier son président, M. Michel Gentot, pour cette initiative. Je suis convaincu que cette vingt-troisième conférence internationale des Commissaires à la Protection des Données nous aidera sans conteste à faire de la société de l'information, une société de confiance.