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Ouverture du colloque « Les parlementaires de la troisième République »,
à l'Assemblée nationale le jeudi 18 octobre 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

J'éprouve un vif plaisir à vous accueillir, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale. Car ce colloque international réunit des professeurs et des chercheurs de renom autour d'une grande ambition : rendre hommage, par l'enquête, l'étude et l'analyse, au destin des parlementaires de la Troisième République.

Je remercie M. Jean-Marie Mayeur et le Centre de Recherches en Histoire du XIXème siècle des Universités de Paris I et de Paris IV de nous avoir fait l'amitié d'organiser ici, à l'Assemblée, votre première journée de travail. Le Sénat, cette autre belle maison de la démocratie, vous recevra demain. Mais sachez, au nom de l'Assemblée que je préside et en mon nom personnel, que votre présence en nos murs est pour nous, parlementaires, un très grand honneur.

Car l'histoire tient en ces murs une place particulière. Le Palais Bourbon et l'Hôtel de Lassay sont, pour les députés et les personnels de l'Assemblée, des lieux de travail et des lieux de vie. Mais comme pour tous les Français, comme pour chacun de nos concitoyens, ils sont aussi des lieux de mémoire, des lieux symboliques, singuliers, presque mystérieux, où se sont écrites quelques-unes des grandes pages de politique de notre pays ; où s'est construite, patiente et audacieuse, l'histoire de notre démocratie.

Leurs murs bruissent des souvenirs de la France et de la République. Je pense aux voix de ces parlementaires, émus et passionnés, fascinés ou intimidés qui ont fait résonner notre hémicycle et dont les échos, mélange de bienveillance et de sévérité, continuent, aujourd'hui, à veiller sur la bonne tenue et sur la dignité de nos débats. Je pense à toutes ces oeuvres, à ces décors et à ces monuments, témoins muets d'un passé riche de combats en faveur de la justice et de la liberté, et qui, à chacun de nos pas, célèbrent les valeurs de la République.

Mais je pense surtout à ces lois, conçues parfois avec audace, souvent discutées avec coeur, et toujours votées avec la fierté et la responsabilité de se savoir représentant du peuple souverain. Fruit de l'exercice des droits imprescriptibles de la personne humaine, incarnation de notre volonté de donner une réalité aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité, elles constituent aujourd'hui encore l'étoffe historique de notre citoyenneté. Comment ne pas voir à travers ces textes le plus sincère et le plus noble témoignage des progrès de notre démocratie ?

La Troisième République, qui, lors des deux prochaines journées sera au coeur de vos échanges et de vos discussions, fut un épisode exceptionnel de cette longue marche vers davantage de liberté, davantage de justice et de solidarité. Pour la première fois, le régime républicain prend place pour durer. Née de l'effondrement de l'Empire, après des années d'incertitudes, d'espoirs et de combats, la République trouve enfin sa stabilité dans le sol politique de notre pays. Elle résistera désormais aux crises, aux tensions et aux épisodes douloureux traversés par la France. Plus jamais, sauf le bref et affreux épisode de Vichy, elle ne sera remise en cause ; plus jamais elle ne sera menacée, ni même inquiétée. La République conservera désormais pour chacun sa grandeur, mélange d'évidence, de promesses et d'espoir.

Des lois majeures et décisives viendront servir les progrès de la démocratie et sceller le destin politique de notre pays. Certaines sont plus symboliques que d'autres. Vous les connaissez : la loi sur la gratuité de l'enseignement primaire par exemple, votée le 16 juin 1881 ; la loi sur l'enseignement obligatoire et sur la laïcité de cet enseignement, adoptée le 28 mars 1882 ; la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels ; en juillet 1901, cette belle loi dont nous avons fêté, cette année, le centenaire consacrant la liberté du droit d'association ; ou encore, la loi du 9 décembre 1905 proclamant la séparation de l'Eglise et de l'Etat et dont nous mesurons malheureusement l'importance à la lumières des tragiques événements que nous connaissons. La laïcité demeure plus que jamais la condition de l'ouverture, du dialogue et du respect de la différence.

Je ne citerai pas toutes les grandes lois que nous a données la Troisième République. Nous savons quel temps fort elles représentent pour la vie parlementaire de notre pays. Mais je souhaiterais, comme vous allez le faire par vos débats et vos discussions, rendre hommage à ceux qui les ont portées, conçues et discutées ; à ceux qui, en un instant toujours émouvant, important et solennel, ont pris la décision de les voter. Certains noms sont demeurés célèbres. D'autres beaucoup moins, et même, pour un très grand nombre, ne l'ont jamais été. C'est la mémoire de ces anonymes, ou presque, que je veux honorer ce matin et en citer symboliquement quelques-uns. Car ils sont la réalité de la démocratie.

Je commencerai par M. Charles Fréry, représentant de la Gauche républicaine, très attaché, comme je le suis moi-même aujourd'hui, à la région de Belfort ; mais aussi M. François Grisez, pour l'Union républicaine ; M. Jean-Baptiste Saget et M. Edmond Miellet, du Parti radical. Je veux citer les noms de M. Joseph Lhoste, M. Adrien Meslier et M. Albert Alliandier, qui furent de ceux qui trouvèrent la mort au cours de la première Guerre ; Louis Viellard, Emile Keller, et tant d'autres...

Cette liste, bien sûr, ne peut pas être exhaustive. Mais elle est chère à mon coeur de parlementaire. A travers l'évocation de ces quelques noms, je veux rendre hommage à l'ensemble des hommes qui, avec passion, conviction et détermination, ont servi notre pays en votant les lois de la IIIème République. Par la qualité de vos travaux et la richesse de vos discussions, vous allez contribuer à éclairer leur parcours, singulier ou collectif, et à les mettre ainsi un peu plus en lumière. Je vous en remercie.

J'aimerais conclure cette intervention en plaçant votre colloque sous l'autorité bienveillante d'un homme d'histoire, d'un très grand parlementaire de la IIIème République, socialiste généreux et visionnaire :

« L'histoire, nous rappelle Jean JAURÈS, enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements. Mais elle justifie l'invincible espoir ».