Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Inauguration de l'exposition « La Commune de Paris a 130 ans - 20 peintres aujourd'hui »
à l'Hôtel de Lassay le mercredi 21 novembre 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Premier ministre,

Madame et Messieurs les Ministres,

Mes Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Permettez-moi d'abord de me réjouir de vous voir si nombreux. Je ne doute pas que le charme de l'Hôtel de Lassay y soit pour beaucoup. Mais je suis encore plus certain que ce qui rassemble ce soir tant de gens - et si divers - c'est la commémoration de cet événement nommé « La Commune » qui n'a jamais disparu de la mémoire collective ; que ce soit pour le célébrer ou pour le honnir.

À supposer que l'on puisse se borner à cette alternative. Célébrer quoi ? Honnir quoi ? Un même événement qui serait à la fois encensé et vilipendé ? Ou bien certains qui ne mériteraient que la louange et d'autres qui n'encourraient que la honte ? Sans vouloir jouer l'historien, la Commune ne saurait être manichéenne. Les Communeux, comme ils se désignaient eux-mêmes, n'étaient pas que vertu ; les Versaillais, au travers d'une répression à la férocité pourtant sans précédent, cherchaient aussi le retour à l'unité du pays après la terrible défaite devant les Prussiens.

Mais comment méconnaître que les uns résistaient au nom d'une République qu'ils appelaient de leurs voeux ; cependant que les autres, en même temps qu'ils se soumettaient, entendaient que l'unité nationale se rétablisse autour d'un monarque ?

Il reste que la Commune, un profane peut sans risque oser une telle affirmation, c'est la dernière guerre civile qu'ait connue la France. Car, même si, ensuite, l'affaire Dreyfus ou la séparation de l'Eglise et de l'Etat ont déchiré le pays, ces conflits n'ont, autant qu'on sache, causé la mort de personne ; ce qui ne fut pas précisément le cas lors de ces premiers mois de l'année 1871.

L'Histoire de France est à ce point ponctuée, jalonnée de guerres civiles qu'on peut se demander, sérieusement, si la France d'aujourd'hui n'en est pas le produit. Les plus connues sont, certes, les guerres de religion. Mais la Révolution de 1789, celle de 1848, sont non seulement des révolutions mais aussi des guerres civiles.

Désormais, pour nous, la guerre civile se résout dans les urnes et l'année qui vient va nous le démontrer encore. Mais trop de peuples, trop de nations aujourd'hui font de la guerre civile leur lot quotidien. On voit aujourd'hui l'Afghanistan, mais les Balkans sont à peine apaisés. Hier, le Cambodge n'était que massacres. Tant de pays d'Afrique sont en proie à des guerres internes qui les ravagent depuis des décennies. La paix, parfois même relative, dont nous bénéficions dans ce petit coin de la planète ne doit pas nous le faire oublier.

* *

Aussi bref qu'ait été l'épisode de la Commune (on parle en général d'une soixantaine de jours), il fut grand : d'horreurs et de prouesses à la fois. Même si je n'entends pas ici dresser la liste des unes et des autres.

Encore que c'était bien une prouesse de vouloir, pour la seule ville de Paris, tenir tête au raz de marée prussien et que, au chapitre des horreurs, Mac-Mahon lui-même, pourtant chargé de réduire la révolte, en a reconnu l'effroyable étendue.

Pendant une semaine, la mort est partout, ou plutôt là où on la retrouve trop souvent : chez les pauvres, les faibles, les démunis ; chez ceux qui croient que la rébellion leur conférerait une liberté, une dignité que la soumission leur avait refusées. Il n'en fut rien. Les historiens, français ou étrangers, y compris les moins suspects de sympathie pour les Communeux, ont décrit, ont établi les sauvageries de la Semaine sanglante conduite par les Versaillais. On entend pourtant plus souvent parler de l'assassinat de l'archevêque de Paris, d'un président de la Cour de cassation, ou de deux généraux.

Ce déséquilibre s'explique aisément. Que pèsent 15 000, 20 000 ou même 35 000 anonymes au regard de la célébrité ? Au fond, en 1871, sans radio ni télévision (mais avec une presse écrite plus vivante), on est déjà dans cette injustice constante que le XXIème siècle ne corrige pas : malheur à l'inconnu.

Une femme que l'on exécute sans jugement, sous les yeux de son enfant, le fait est avéré : c'est un élément statistique. L'archevêque de Paris c'est l'Histoire. Les anonymes n'ont pas droit à l'Histoire, même (et surtout ?) s'ils sont des milliers.

C'est la raison pour laquelle cette exposition a deux volets, l'un contemporain, l'autre historique. Cette dualité est là pour marquer que le temps présent n'est pas une génération spontanée. Le présent existe en s'adossant au passé, pour en tirer de la force ou, au contraire, s'y opposer pour en corriger les erreurs et les fautes. Le présent n'est que du passé à venir et le passé du présent qui a vieilli. Passons...

La partie contemporaine, sous vos yeux, est le produit de la belle initiative et de l'énergie des Amis de la Commune dont je salue le président, M. Claude Willard, et de la grande générosité des peintres qui ont accepté de prêter leur création.

La partie historique qui provient des fonds de l'Assemblée nationale mais aussi de la générosité des musées de Saint-Denis et de Montreuil, est installée dans la galerie dite des Tapisseries. Elle est le pendant nécessaire de la partie contemporaine. Il n'est jamais bon que les peuples perdent la mémoire. Les peintres d'aujourd'hui contribuent à ce qu'il n'en soit pas ainsi. Les témoignages d'hier leur disent qu'ils ont raison.

Je vous remercie.