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Ouverture des Premiers Etats généraux de l'action et du droit international humanitaires
à l'Assemblée nationale le mardi 27 novembre 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée Nationale

Monsieur le Président du Comité international de la Croix-Rouge,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur l'Ambassadeur de France, Cher Stéphane Hessel,

Monsieur le Président de la Croix-Rouge, cher Marc Gentilini,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Permettez-moi tout d'abord d'exprimer le plaisir et l'émotion que je ressens en ouvrant ce matin les travaux de ces premiers Etats généraux de l'action et du droit international humanitaires. Je tiens à remercier le Comité international de la Croix-Rouge pour toute l'aide apportée dans l'organisation de cette manifestation, à laquelle mes collègues députés et moi-même attachons la plus grande importance.

C'est un grand honneur pour notre Assemblée nationale qui perpétue, avec fidélité et constance depuis 1789, la mémoire des premiers Etats généraux de la Révolution française, que d'accueillir aujourd'hui des femmes et des hommes qui ont choisi, souvent au péril de leur vie, de protéger les autres dans des situations de conflits armés. Je souhaite rendre hommage à votre courage et à la noblesse de votre engagement.

Si nous sommes si heureux de vous accueillir, c'est aussi parce que nous comprenons votre combat. Nous partageons vos idéaux. Chacun à notre façon, chacun selon nos méthodes, nous travaillons à faire progresser la démocratie ; nous luttons pour que triomphent les droits de l'homme, pour que soient respectées la liberté et la dignité des individus ; pour opposer la justice et la solidarité à la souffrance du monde.

Il est de la responsabilité des Assemblées parlementaires démocratiquement élues de faire respecter ce qui leur donne leur légitimité : les droits inaliénables de la personne humaine. Ici, lorsque la misère et l'exclusion frappent malheureusement certains de nos concitoyens ; comme ailleurs, là-bas sur les fronts des conflits armés, quand des populations innocentes deviennent les victimes de guerres qu'elles n'ont pas voulues.

Les organisations humanitaires sont dans leurs rôles lorsqu'elles nous interpellent, élus ou citoyens, pour nous demander d'agir et d'opposer un barrage à une souffrance insupportable et inacceptable. Nous répondons avec les moyens qui sont les nôtres ; la loi est bien souvent notre seule arme, mais c'est une arme efficace. Je pense par exemple à la Couverture Maladie Universelle, qui a permis, dans notre pays, d'engager une bataille décisive pour faire reculer l'exclusion.

Il nous reste beaucoup à faire, mais je compte sur l'appui des associations humanitaires, sur leurs compétences et sur leurs capacités d'expertise pour nous aider à persévérer dans cette voie.

Mais la loi a parfois ses limites lorsqu'on quitte le territoire exigu de nos frontières. Là, point de Parlement encore pour légiférer au niveau mondial. De grandes institutions intergouvernementales, dont on ne peut nier l'immense utilité, élaborent un droit public international. Depuis quelques années, elles sont d'ailleurs en train d'élargir leurs assises et leurs pouvoirs. Mais elles sont parfois plus impuissantes encore que les Parlements nationaux, pour venir en aide à toutes les détresses. Le rôle des organisations humanitaires devient alors irremplaçable. Sur la scène internationale, elles sont d'ailleurs devenues, au fil du siècle passé, les principaux acteurs de la solidarité.

On ne parle plus beaucoup aujourd'hui de « la fin de l'histoire », bien imprudemment annoncée au début de la dernière décennie. La sécurité des populations reste en effet une question centrale sur tous les continents. Si les guerres inter-étatiques se font heureusement plus rares, les conflits internes aux Etats des dix dernières années ont fait plus de 5 millions de morts, et ont chassé des dizaines de millions de personnes de chez elles.

Les civils, qui ont constitué 5 % des victimes pendant la Première Guerre mondiale, représentent de nos jours près de 80 %. Aujourd'hui, les civils sont les cibles directes des guerres. Ils sont devenus des armes de guerre : on s'en sert pour déstabiliser les gouvernements, on les enrôle de force, on les prend en otage et on les transforme en boucliers humains.

Dans ce nouveau contexte, la communauté internationale s'est progressivement arrogé le droit d'intervenir lorsqu'une catastrophe humanitaire ou de graves violations des droits de la personne sont commises. En partie paralysée par des décennies de guerre froide, l'ONU a retrouvé une certaine efficacité. Des interventions à but humanitaire sont devenues possibles, au besoin contre la volonté de l'Etat concerné.

L'intervention humanitaire est devenue une composante essentielle de la politique internationale. Mais à côté d'indéniables succès au Cambodge, au Salvador ou encore au Mozambique, les Nations Unies et la communauté internationale ont connu des échecs terribles qui ont pour nom Somalie, Rwanda, ou Srebrenica.

Depuis qu'Henri Dunant, bouleversé par l'atrocité de la bataille de Solferino, a décidé de créer une organisation pour protéger les civils des conflits militaires, l'action humanitaire a été parfois critiquée, tantôt pour sa neutralité revendiquée à l'égard des belligérants, tantôt pour sa complicité supposée avec l'emploi de la force.

C'est qu'il n'est pas toujours possible de concilier neutralité et aide aux victimes, car cette dernière suppose aussi des accords implicites ou explicites avec des gouvernements ou des mouvements insurrectionnels armés.

Les rapports entre l'action humanitaire et militaire sont donc complexes. Faire de l'action humanitaire l'axe central d'une politique peut paraître a priori garantir un appui consensuel. Mais la réalité est autrement difficile, dès lors que l'on agit. Intervenir dans un cas suscite quasiment instantanément le reproche de ne pas faire autant, aussi fort, aussi vite ailleurs.

Je suis, pour ma part, convaincu que dans l'action humanitaire la morale ne peut être notre seul guide. Pour être efficace, il faut être opérationnel et faire preuve d'esprit de compromis et de souplesse dans l'application des principes qui régissent traditionnellement les relations internationales.

La terrible crise humanitaire en Afghanistan retient autant l'attention de la communauté internationale que les aspects politiques, diplomatiques, militaires et économiques de la situation dans ce pays. C'est la première fois que la communauté internationale adopte une telle approche globale dans un conflit armé. C'est le meilleur moyen, sinon le seul, de préparer efficacement la sortie de crise.

Le nouveau désordre mondial dans lequel l'humanité est plongée depuis le 11 septembre nécessite un dialogue et une concertation accrus entre les Parlements, les Gouvernements et les organisations humanitaires.

Cela montre bien tout l'intérêt de ces Premiers Etats généraux et de votre présence aujourd'hui, vous qui, en dehors de cette Assemblée, dans vos actions, celles d'hier, celles de demain, allez sur le terrain, aux risques et périls que représente toute action humanitaire.

Pendant ces deux jours, vous devez vous considérer, ici, dans cette maison de la démocratie, comme chez vous. Votre combat pour un monde plus juste et plus fraternel n'apparaît vain et dérisoire qu'aux yeux fatigués de ces femmes et hommes sans imagination que nous sommes hélas parfois. II vous faudra donc beaucoup de constance.

Dans ce combat difficile mais indispensable, il n'y a pas de temps à perdre. Vous pouvez compter sur l'engagement total de notre Assemblée à vos côtés. Bon courage dans vos travaux.