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Voeux à la presse
le jeudi 17 janvier 2002 à l'Hôtel de Lassay

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Vous savez le plaisir qui est le mien de vous accueillir à l'Assemblée nationale, en particulier pour cette traditionnelle cérémonie des voeux qui pour nous tous, acteurs, spectateurs et commentateurs attentifs, ouvre une année politique un peu singulière. Elle sera passionnante pour vous ; elle sera déterminante pour nous, parlementaires. Mais elle sera surtout importante pour les Français qui, à l'occasion de deux rendez-vous démocratiques majeurs, devront se prononcer sur l'avenir de notre pays.

Je remercie M. Henri Paillard, votre Président, pour les voeux qu'il vient de m'adresser. Au nom de l'Assemblée et en mon nom personnel, je vous présente à mon tour des voeux chaleureux pour cette nouvelle année.

Chacun d'entre nous mesure l'importance de votre tâche. Vous participez d'une façon décisive au travail de la démocratie. En rendant compte avec fidélité et lucidité des discussions qui rythment la vie parlementaire, en informant et en éclairant nos concitoyens sur les grands enjeux des textes législatifs, en nous interrogeant et en rendant compte de nos réponses, vous contribuez à la vie du débat démocratique. Avec intégrité et toujours avec intensité. Je vous en remercie.

Je veux aussi remercier, au sein de mon cabinet, Marie-France Lavarini et François Toros, vos interlocuteurs privilégiés, et pour moi, de précieux collaborateurs. Ensemble, nous poursuivons une belle ambition : rendre compte aux Français du travail législatif et des progrès de notre démocratie. Avec pédagogie, et sans démagogie.

La publication du nouveau rapport d'activité en est l'illustration. Je souhaite adresser de sincères remerciements au service de la communication de l'Assemblée nationale dont la remarquable efficacité a permis que ce document vous soit remis dès aujourd'hui.

Comme moi, vous avez pu constater combien, au cours de la présente législature, l'Assemblée nationale est redevenue le lieu privilégié de la vie politique et démocratique. Depuis 1997, le Parlement est mieux entendu, ses pouvoirs sont mieux reconnus et ses droits, mieux respectés. C'était l'un des engagements du Premier ministre pris il y a cinq ans, dans l'Hémicycle, à l'occasion de sa déclaration de politique générale. Or, Lionel Jospin est un homme de parole. Lui tient ses promesses. Chaque semaine, lors des questions d'actualité, il est venu répondre, expliquer et commenter la politique de son Gouvernement, faisant en cela de l'Assemblée nationale le coeur du débat public.

Respectueux de la diversité de la majorité plurielle, il a préféré écouter, discuter et convaincre, sur des sujets parfois difficiles, plutôt que de recourir à une arme de procédure pour légiférer autoritairement quand la majorité est incertaine. Il a d'ailleurs ainsi démontré qu'elle n'était pas indispensable à la stabilité de l'exécutif.

Le Premier ministre fut, sans aucun doute possible, l'un des meilleurs avocats de l'institution parlementaire. Au cours de cette législature, son Gouvernement fut ce qu'il doit être dans un régime aux pouvoirs équilibrés : présent, mais non pesant.

Mais reconnaissons que ce renouveau est aussi le résultat du dynamisme et de la volonté des parlementaires eux-mêmes. Par leur travail et par leur engagement, ils ont contribué à donner un nouveau visage à la Représentation nationale.

Car en cinq ans, l'Assemblée nationale a changé. Elle est redevenue le socle de nos institutions. J'ai assisté à sa transformation. J'en ai été un témoin attentif et privilégié. J'espère en avoir été l'un des acteurs.

Plusieurs initiatives témoignent de cette bonne santé de notre Assemblée.

Je pense aux rapports des missions d'information et des commissions d'enquêtes, toujours plus nombreux, toujours plus solides, préparant les réformes dont notre pays a besoin. Les rapports de la mission sur le blanchiment des capitaux, qui continue son travail pays après pays, ont eu d'importants échos. Je me réjouis que nos travaux n'aient pas pour seul horizon le rythme électoral, comme en témoigne le rapport sur la bioéthique. J'espère que ces succès attireront, grâce à vous, l'attention de tous les citoyens sur ces documents dont la qualité est aujourd'hui unanimement reconnue.

Ces travaux seront notamment prolongés par la conférence des parlements européens que nous organiserons, ici, à Paris, les 7 et 8 février prochain, afin de réfléchir aux moyens de lutter plus efficacement contre la délinquance financière, comme est prolongé le rapport sur la bioéthique par l'examen en première lecture du texte gouvernemental.

Je veux aussi souligner le travail de réflexion mené par les députés sur le thème de la mondialisation : quelle alternative pouvons-nous opposer aux diktats libéraux des grands organismes financiers internationaux ? Quel rôle doit être amenée à jouer une Europe que tous, nous souhaitons plus forte et plus politique ? Ces questions doivent être posées, le débat doit avoir lieu et l'Assemblée nationale, représentante du peuple français, doit faire entendre sa voix. Dès le 31 janvier prochain, une délégation parlementaire pluraliste participera au grand rendez-vous international de Porto Alegre, afin d'exprimer notre position dans les discussions.

L'Assemblée doit aujourd'hui persévérer et poursuivre son travail d'émancipation. Il faut prolonger la dynamique qui a été enclenchée lors des cinq dernières années, par la mise en oeuvre de réformes institutionnelles décisives pour l'avenir de notre Parlement.

Rassurez-vous : je ne vous infligerai pas la liste exhaustive des grandes mesures que nous devrons prendre pour renforcer et moderniser l'action de l'Assemblée nationale. Permettez-moi néanmoins d'en esquisser les contours et d'en aborder deux d'entre elles.

Il nous faut tout d'abord renforcer les pouvoirs de contrôle et d'évaluation de la Représentation nationale. L'adoption, cette année, de la réforme de l'Ordonnance organique de 1959 est une étape décisive. Les administrations seront désormais tenues à plus de transparence et donc à plus de responsabilité dans leurs pratiques budgétaires et comptables. Mais nous devons aller plus loin : nous devons notamment organiser autrement les services de cette maison. Je propose aussi que nous augmentions les moyens et que nous élargissions les objets de la « MEC » (la Mission d'évaluation et de Contrôle). Nous disposerions ainsi d'une expertise utile en amont et en aval du processus législatif.

Je suis aussi favorable à ce que des mesures soient prises pour favoriser, en séance publique, un débat de qualité. Pour cela, il faut accepter de déléguer aux commissions une compétence législative, par exemple pour ratifier des conventions internationales ou pour adopter des textes de codifications. Il ne faut plus encombrer la séance de débats interminables, ennuyeux et incompréhensibles.

Ces réformes sont à mes yeux d'autant plus nécessaires que si cette renaissance du Parlement est déjà une réalité, il faut reconnaître qu'elle a bénéficié pour une large part d'un affaiblissement notable de la fonction présidentielle, qui tient notamment à des raisons institutionnelles qui ont pour nom « cohabitation ».

J'entends depuis quelques jours un gaulliste, que l'on dit candidat au poste de Premier ministre, louer les qualités d'homme d'Etat de l'actuel Président de la République qui en feraient, paraît-il, un candidat « souhaitable ». Cette déclaration me laisse personnellement perplexe. Je vous avoue que je ne sais à qui m'adresser : à Nicolas Sarkozy, pour lui demander comment il peut faire l'éloge d'un homme qu'il n'a pas voulu soutenir il y a sept ans ? Ou à l'actuel Président de la République : quel crédit apporter à celui qui, en 1997, a galvaudé l'initiative de dissolution ? Que fera-t-il demain qu'il a été incapable de réaliser hier ? Le chef de l'Etat n'a qu'un bilan : avoir été le censeur quotidien et déterminé de l'action gouvernementale et des réformes importantes, attendues par notre pays.

Mon itinéraire dans cette maison en atteste, je suis un ardent et fidèle défenseur des droits du Parlement. Mais je suis aussi un défenseur de notre République et du bon fonctionnement de nos institutions. Plus encore depuis l'adoption du quinquennat, la France a besoin d'un Président de la République solidaire du Gouvernement, pour conduire les ambitieux projets qu'attendent nos concitoyens. Pour mener les réformes dont notre pays a besoin. Il faut un Président arbitre et garant des institutions, un éclaireur attentionné, une vigie attentive, un guide de l'action gouvernementale, et non un chef de parti à l'affût de la première démagogie venue.

Cette revalorisation de la Magistrature suprême n'a de sens que si elle s'appuie sur un Parlement fort et responsable. Nous devons créer les conditions d'un tandem efficace entre exécutif et législatif. L'Assemblée nationale doit donc poursuivre ses efforts, se moderniser et se renforcer. Elle a pour cela besoin de la confiance et du respect du pouvoir exécutif. Dans quelques mois, cela dépendra du choix d'un projet, d'une équipe, d'un homme.

En ce début d'année, il est encore temps pour moi de former un voeu supplémentaire : souhaiter que les Français fassent le choix d'une majorité qui a pour ambition de rendre à chacun de nos concitoyens la considération à laquelle il a droit.