Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

25/06/2002 - Extrait du procès-verbal de la séance du 25 juin 2002 

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues,

A l'heure où je me vois confier la charge de présider nos travaux, je veux exprimer ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui m'ont accordé leur confiance. Je voudrais dire aussi, mes chers collègues, mon estime à chacune et à chacun d'entre vous, et notamment à M. Balladur.

        Quelle que soit notre préférence politique, quels que soient nos choix partisans, nous détenons ensemble une part de la souveraineté nationale. Nous sommes donc collectivement comptables de ce bien précieux et inaliénable qu'est la souveraineté nationale.

        En ces instants, nul ne s'étonnera que je pense tout particulièrement à celui qui, en 1958, aux côtés du général de Gaulle, contribua à faire de la République, cinquième du nom, une République originale, authentiquement parlementaire, car refusant à la fois les dérives du régime d'assemblée et les risques induits par un présidentialisme excessif.

        Dans ce contexte radicalement transformé, c'est un défi d'une ampleur comparable qu'il nous revient aujourd'hui de relever afin de conserver à nos institutions le caractère résolument démocratique qui fait leur force et fonde leur légitimité.

        A cet égard, l'instauration du quinquennat, le rétablissement de la cohérence au sein de l'exécutif et le regain du fait majoritaire obligent le Parlement, et d'abord l'Assemblée nationale, à une vigilance accrue dans l'exercice de ses prérogatives de contrôle du Gouvernement, d'élaboration de la loi et surtout d'évaluation de ses conséquences sur la vie quotidienne des Français. Si notre assemblée renonçait à remplir avec la vigueur et la constance nécessaires le double rôle de contrôle de l'exécutif et de législateur que lui confère la Constitution, se profilerait alors un déséquilibre des pouvoirs dont il y aurait tout à redouter. Il appartiendra donc, monsieur le Premier ministre, au Gouvernement, confronté aux exigences d'une action déterminée et de résultats rapides, de ne pas succomber à la tentation de la précipitation, comme il reviendra à la majorité qui soutient le Gouvernement de résister à celle de l'hégémonie.

        Il ne s'agit pas uniquement, mes chers collègues, de pratiquer un formalisme de bon aloi. Il s'agit de considérer l'Assemblée nationale comme un partenaire indispensable à la réussite des réformes voulues par les Français et présentées par le Gouvernement.

        Il ne s'agit pas seulement, mes chers collègues, de respecter les droits de l'opposition ; il s'agit aussi d'écouter sa voix. Elle est celle de millions d'hommes et de femmes dont les préoccupations ou les attentes doivent pouvoir être prises en compte dans le cours du processus législatif.

        Les bonnes lois sont des lois bien préparées, c'est-à-dire élaborées avec le concours actif et permanent des représentants du peuple que l'on gagne toujours à entendre et à associer.
        Le Gouvernement qui, aux termes de la Constitution, dispose de l'administration, serait bien inspiré, au début de cette nouvelle législature, de la rappeler à ses devoirs vis-à-vis du Parlement.
        Mais, au-delà des règles qui régissent ses rapports avec l'exécutif et la technostructure qu'il domine, notre assemblée devra poursuivre et amplifier la réflexion qu'elle a entreprise sur les moyens de ressaisir les pouvoirs légitimes qui lui ont progressivement échappé. Une mondialisation qui modifie les termes de la décision économique et de la régulation sociale, une Europe qui n'a pas comblé son déficit démocratique, des autorités indépendantes qui ont proliféré sans que l'on en mesure toujours les implications réelles, une décentralisation qui attend de s'inscrire dans une architecture cohérente des pouvoirs, autant d'évolutions dont la conjugaison concourt à faire de notre assemblée un lieu où l'on discute de plus en plus, mais où l'on arbitre de moins en moins.

        Il nous faudra donc, tous ensemble, tenter de trouver des solutions viables pour que le Parlement, enceinte naturelle de la démocratie, demeure l'enceinte majeure de la décision politique.

        Il nous reviendra, tous ensemble, dans cette perspective, de déterminer les modalités d'un meilleur fonctionnement de nos institutions et de notre institution parlementaire. C'est à cette condition que la fracture persistante entre le peuple et les élites institutionnelles, dont les derniers scrutins ont marqué une nouvelle illustration, pourra être résorbée.

        Mes chers collègues, les Français attendent une pratique politique nouvelle qui soit avant tout une pratique politique modeste et responsable, ce qui ne veut pas dire une politique sans ambition.

        Je sais, monsieur le Premier ministre, le Gouvernement soucieux de rendre compte annuellement à l'Assemblée nationale de la réalisation des engagements pris et de proposer, le cas échéant, les ajustements nécessaires, ainsi que le Président de la République s'y est engagé.

        Je veillerai, mes chers collègues, à ce que ce débat annuel de politique générale soit effectivement organisé.

        En ce début de législature, je forme un voeu. Je forme le voeu que cet hémicycle, théâtre de tant de débats qui restent gravés dans la mémoire collective de notre peuple, soit, durant les cinq années à venir, la caisse de résonance ni outrancière ni complaisante de la société française d'aujourd'hui.

        Sachez, en tout état de cause, qu'à la place qui est la mienne, je m'efforcerai de le permettre, en m'attachant à exercer une présidence impartiale en même temps qu'une présidence attentive, accessible et disponible. Je vous remercie.