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14/11/2002 - Colloque Retraites: les voies de la réforme

Monsieur le Député, Cher Jean-Yves Chamard,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

Merci tout d'abord de votre présence.

Il faut en effet un certain courage politique pour débattre de la réforme des retraites, sujet difficile, controversé mais crucial pour l'avenir du contrat social qui lie notre pays.

Aussi, je voudrais saluer amicalement et chaleureusement Jean-Yves Chamard qui a pris l'initiative de cet important colloque, qui réunit des intervenants issus d'horizons divers mais ayant en partage une remarquable connaissance du sujet en question, ce qui nous vaudra assurément des débats riches et féconds.

Les Français envisagent avec appréhension une réforme des retraites.

Ils savent et nous disent cependant que cette réforme est nécessaire. Ils la souhaitent à la fois pour que soit évitée une crise financière majeure de nos régimes et surtout pour que leur soit garanti un revenu décent après leur retrait de la vie active. Ils souhaitent que cette réforme soit menée dans la concertation avec un triple objectif : l'équité entre les régimes et les assurés, la consolidation des systèmes par répartition ; la recherche du juste équilibre dans l'effort collectif à son financement.

L'idée même de la réforme suscite des préoccupations contradictoires pour une population attachée à un système de retraites construit de longue date, dont elle apprécie les bénéfices et qu'elle souhaite logiquement conserver.

Créé après la deuxième guerre mondiale, notre système de pensions de vieillesse a été parachevé progressivement pour offrir au plus grand nombre des retraités un niveau de vie amélioré.

Le nombre d'années de retraite effective s'est accru considérablement grâce d'une part à une progression de l'espérance de vie à la naissance qui est l'une des plus élevées au monde et d'autre part, à celle de l'espérance de vie à 60 ans, au seuil de la retraite. L'espérance de retraite qui en découle est passée de 12,6 années en 1950 à 18,2 années en 2000.

Si les retraités ont l'espoir de vivre une retraite plus longue, beaucoup peuvent vivre une retraite plus digne car ils disposent également d'un niveau de vie plus élevé. En pouvoir d'achat, la pension moyenne versée par le régime général a été multipliée par près de 4 au cours des quarante dernières années tandis que le salaire moyen n'était multiplié que par un peu plus de 2. Désormais, le niveau des personnes retraités est comparable à celui des actifs.

Les inégalités entre retraités se sont globalement réduites même si elles n'ont pas disparues. Le rapport entre les 10% de retraités les plus riches et les 10% les plus pauvres est passé de 12 en 1970 à 5 en 1996. Pour autant, n'oublions pas que de nombreux ménages perçoivent encore des pensions classées dans les minima sociaux.

Espérance de vie accrue, niveau de vie augmenté, progrès de la santé: la retraite n'est plus aujourd'hui synonyme de retrait de la vie sociale mais pour des millions de nos compatriotes, au contraire, l'ouverture sur une plus grande liberté. Les salariés qui vont partir dans les prochaines années souhaitent naturellement pouvoir en bénéficier à leur tour.

Mais ce système - qui a bien fonctionné - n'est pas acquis pour toujours : le contexte démographique des années à venir implique de s'atteler à une réforme qui permette de le préserver.

Le constat des difficultés démographiques à venir et des perspectives financières déficitaires a été établi avec précision par de nombreux rapports publiés depuis une quinzaine d'années et, dans la période récente, par le conseil d'orientation des retraites qui a accompli une remarquable travail d'analyse. Les chiffres sont sur la place publique. Ils sont de nature à susciter le débat, comme en témoignent vos débats de ce jour.

Que disent-ils  ?

L'évolution démographique des prochaines décennies est défavorable pour les régimes de retraite.

Le vieillissement de la population française n'est pas un phénomène récent mais jusqu'ici, il avait été accompagné par l'augmentation générale de la population et couvert par la montée dans la population active de générations nombreuses. Chacun sait désormais qu'à partir des années 2005-2010, la structure démographique des régimes de retraite va s'inverser défavorablement. Les classes nombreuses nées après la guerre vont sortir progressivement du marché du travail réduisant le nombre des actifs productifs et vont entrer dans la population des retraités, accroissant le nombre des personnes à charge des régimes de retraites.

Par ailleurs, l'allongement de l'espérance de vie, tendance positive entre toutes, a également un effet sur la détérioration du ratio actifs/inactifs.

La part des personnes de 60 ans et plus dans la population globale était de 21% en 2000. Selon les démographes, elle devrait atteindre 27% en 2020 et près du tiers en 2035. Entre 2000 et 2040, le ratio de dépendance démographique, c'est à dire le nombre de personnes de plus de 60 ans par rapport à celles de 20 à 59, va pratiquement doubler, passant de 3,8 pour 10 à 7,3 pour 10. Les tendances démographiques sont des tendances dites lourdes qui ne s'infléchissent pas dans le court terme. Leurs conséquences vont donc s'imposer à nous.

Ce déséquilibre démographique est lui-même aggravé par la structure défavorable du marché du travail en France où le taux des actifs par rapport aux inactifs est déjà faible. La France compte, parmi les pays européens, une des plus modestes proportions de personnes au travail dans la tranche d'âge des 55-65 ans. L'âge moyen de la cessation d'activité des salariés des secteurs public et privé est de 58 ans. Cette sortie anticipée des plus de 55 ans du marché du travail, notamment par les plans de pré-retraites, a fait l'objet depuis des années d'un consensus tacite dans notre pays qui doit beaucoup à la persistance d'un taux de chômage élevé.

Ces évolutions de la structure de notre population vont entraîner dans les prochaines décennies un déséquilibre financier considérable

A réglementation et cotisations constantes, les pensions que servent aujourd'hui les régimes de retraites ne seront plus entièrement financées.

Certes, nous avons à l'heure actuelle un équilibre apparent voire un léger excédent.

Selon la commission des comptes de la sécurité sociale, la branche vieillesse du régime général est équilibrée en 2002 mais ce résultat positif doit être nuancé. Il est en effet la résultante d'un double facteur: la croissance économique de la deuxième moitié des années 90 qui a dynamisé les rentrées de cotisations d'une part et d'autre part les cohortes relativement faibles des nouveaux retraités qui correspondent aux classes creuses nées pendant la deuxième guerre mondiale. En réalité, c'est un sur-équilibre bien plus net qu'on serait en droit d'attendre dans une conjoncture démographique et économique positive. Quand le contexte démographique se retournera vers la fin de cette décennie pour laisser les générations nombreuses du baby-boom prendre à leur tour la retraite, cette balance fragile va pencher du côté des dettes, les déficits vont s'accumuler. Et les réserves accumulées dans le fonds prévu à cet effet risquent d'être insuffisantes.

De plus, cet équilibre n'a été atteint qu'au prix d'une forte contribution des actifs. Le poids des retraites dans le PIB est passé de 7,3% en 1970 à 12,6% en 2000 et cela, alors que dans la même période le PIB par tête lui-même progressait de 80%.

On a parallèlement assisté à une augmentation considérable des cotisations affectées à l'assurance vieillesse des salariés du secteur privé. Les taux de cotisation vieillesse portant sur les salaires sous plafond, sont passées pour la part salariale de 3% en 1960 à 9,55% en 1999 et pour la part patronale de 0 à 14,3% pendant la même période.

Des déséquilibres considérables sont en perspective dès 2010.

A législation inchangée, l'ensemble des régimes de base des retraites devraient être déficitaires d'environ 50 milliards d'euros par an en 2020. D'ici à 2040, le besoin de financement des régimes de retraites équivaudra à 4 points de PIB.

Si l'on fait des comparaisons avec les autres pays de l'Union Européenne, la France n'est pas la plus mal lotie quant à son avenir démographique. Mais le poids de nos pensions à l'horizon 2040 (16% de notre PIB à législation inchangée) serait l'un des plus élevé avec l'Allemagne et l'Espagne.

La plupart des pays européens qui se trouvent dans une situation comparable à la nôtre ont déjà entrepris les réformes nécessaires: l'Espagne en 1997, la Suède en 1998, le Danemark en 1999. L'Allemagne en mai 2001 a modifié son système en profondeur, introduisant un niveau obligatoire de pensions personnelles fondées sur des systèmes d'épargne salariale régulés par l'Etat.

Notre pays doit à son tour s'engager dans la voie de la réforme, mais naturellement en respectant ses traditions et les organisations qui lui sont propres. Le nouveau gouvernement a décidé avec courage de passer aux actes et d'engager la réforme.

La représentation nationale aura à débattre le moment venu des voies et moyens de la réforme qui doit être guidée par quelques principes:

▪ L'objectif doit rester celui de la garantie d'un revenu décent pour les retraités;

▪ Le langage celui de la vérité;

▪ La méthode celle de la concertation;

▪ Les moyens ceux de l'équité et de l'égalité devant les charges de financement.

L'objectif est de garantir un revenu décent aux retraités actuels et futurs.

La réforme doit assurer un revenu garanti aux personnes sorties du marché du travail, qui ne sont plus en mesure de contribuer à la richesse nationale et sont donc devenues dépendantes de la solidarité ou de l'activité des générations plus jeunes.

La vérité dans le débat est indispensable car la situation de crise dans laquelle va entrer notre système des retraites nous oblige à voir les difficultés en face et à considérer la diversité des options sans a priori idéologique.

Il convient d'abord de sauvegarder notre système de répartition en explorant l'ensemble des voies de financement possibles. Les paramètres sont multiples qui peuvent nous aider à le maintenir à flot. Leur choix devra tenir compte aussi de leur effet sur l'emploi.

Il convient sans doute également de pas négliger le dossier de l'épargne salariale. Il doit être considéré avec réalisme. Il ne faut ni en surestimer les avantages ni les rejeter a priori. En tout état de cause, un tel système devrait être compatible avec des régimes de répartition sauvegardés.

La vérité du débat consiste aussi à penser l'avenir de nos retraites dans la durée et à très long terme. Il est plus facile et moins douloureux d'infléchir les tendances lorsque les mesures sont prises longtemps en amont ce qui permet d'éviter les a-coups des corrections tardives mais plus brutales.

Pour avancer vers des choix difficiles, la méthode ne peut être que celle de la concertation la plus large et de la pédagogie la plus constante.

Le gouvernement s'est engagé à préparer sa réforme dans la concertation. Il doit être appuyé dans cette démarche. Les organisations représentatives des employeurs et des salariés qui sont les premiers intéressés et plus largement les associations concernées et les organismes gestionnaires des régimes de retraites doivent donc y être impliqués.

Enfin, comme le gouvernement s'y est engagé, la réforme doit se faire en recherchant l'équité dans les prestations et l'effort contributif.

Notre régime de répartition est composé d'une multitude de caisses et de systèmes dont certains sont coordonnés entre eux et d'autres non. L'équité ne consiste pas à créer un régime unique pour tous mais à faire en sorte que les droits et obligations de chacun soient comparables. Comme l'ont montré les réactions de nombre de nos compatriotes à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, il sera de plus de plus en plus difficile pour nos concitoyens d'accepter aveuglément une compensation d'un régime à un autre alors que les charges de cotisations ou le montant des prestations ne seraient pas proportionnés entre tous. De même est-il tout à fait envisageable que pour certaines professions -on peut penser à certaines professions particulièrement pénibles- les conditions soient assouplies. Mais cela doit être fait dans la transparence et par le débat public.

Il me paraît naturel que pour engager une réforme sociale de cette ampleur, l'Assemblée nationale soit au cœur du sujet parce qu'elle est le miroir de la France. Elle y sera bien entendu lorsqu'elle aura à examiner le projet dont elle sera saisie l'année prochaine par le gouvernement. Mais, il est utile que, sans attendre, ses membres commencent à réfléchir sur les données de ce problème complexe.

C'est ce que vous entreprenez, dès aujourd'hui, avec partenaires sociaux et personnalités qualifiées.

Je vous remercie de votre participation et de votre contribution.