Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

23/11/2002 - 7e États généraux de l'Association des Élus locaux contre le sida

Mesdames les Ministres,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de l'Association des Élus Locaux contre le Sida,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de m'avoir invité à votre Colloque. Permettez-moi d'abord de dire à Jean-Luc Roméro toute ma sympathie pour le combat qu'il a choisi de mener et qu'il mène activement avec vous tous.

Le combat contre la maladie doit tous nous mobiliser, tous nous rassembler. Je souhaite que, l'année prochaine, ce Colloque soit organisé à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire au cœur de la représentation nationale, comme nous l'avons fait avec Dominique Versini pour changer notre regard sur l'exclusion.

Il importe aujourd'hui de rappeler à tous que la pandémie de sida est toujours en progression. Nous, élus locaux départementaux, régionaux voire nationaux, nous avons une mission bien particulière et essentielle face à cette épidémie: celle d'illustrer concrètement la devise de la République Fraternité - Égalité donc Liberté.

J'ai pour cela décidé de relancer à l'Assemblée nationale le groupe d'études sur le sida. Cette relance m'avait été demandée avec insistance par Jean-Luc Roméro. Créé il y a déjà longtemps, ce groupe d'études était tombé en désuétude sous la précédente législature. Un président de ce groupe d'études vient d'être désigné.

Cette initiative est la traduction de l'implication des parlementaires dans la lutte que vous-même avez engagée contre la maladie.

Ce groupe d'étude pourra également servir de relais à la demande des malades et des associations telles que la vôtre pour faire remonter auprès des députés les doléances et les besoins qui seront répertoriés. Je veillerai personnellement à ce qu'il participe activement à la réflexion. Je suis favorable à l'organisation, le moment venu, d'un débat sur ce sujet à l'Assemblée nationale.

Le thème de votre journée, "Vers une mobilisation nationale et internationale", reflète très justement nos inquiétudes s'agissant de l'évolution de la lutte contre le sida.

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Oui, il faut nous mobiliser.

Dans notre pays d'abord, car si les experts, les responsables et militants d'associations comme vous mêmes, demeurent attentifs et vigilants, on constate aujourd'hui que le thème du sida recule dans les préoccupations de santé publique de la population. Ce recul se traduit de façon multiforme: perte d'intérêt, baisse des dons, diminution du nombre des bénévoles. Or, la réalité nous incite au contraire - et c'est la responsabilité des pouvoirs publics de le rappeler - à rester alertés et vigilants.

Les études montrent une dégradation des pratiques préventives dans des populations à risque surtout chez les jeunes qui ont été moins sensibilisés par l'impact émotionnel des premiers ravages de l'épidémie. Les maladies sexuellement transmissibles progressent.

Ce relâchement dans les attitudes de précaution peut s'expliquer aussi par les progrès effectués dans notre pays contre la maladie. Le nombre de nouveaux cas de sida a décru fortement au milieu des années 90 pour atteindre environ 1700 cas par an, le nombre des décès s'est également réduit, le nombre de personnes vivantes après avoir développé le virus est en progression.

Effets de la prévention, effets des nouvelles stratégies thérapeutiques: oui, on peut faire reculer la maladie; oui, il y a des raisons d'espérer.

Mais la complaisance serait mauvaise conseillère car la bataille n'est pas gagnée, ni dans notre pays, ni sur le plan mondial.

En France, après les fortes baisses enregistrées entre 1994 et 1997, on s'aperçoit que le nombre de cas s'est stabilisé depuis 1998. Chez les homosexuels et les usagers des drogues, le nombre de cas a continué à diminuer entre 1998 et 2001 mais depuis cette date il s'est stabilisé. Chez les hétérosexuels, on constate une augmentation de près de 10% entre 1998 et 2001. Selon les experts, au 1er semestre 2002, la moitié des cas de sida sont liés à une contamination hétérosexuelle.

Comme le montre l'analyse de ces chiffres, l'infection au virus VIH et le sida concernent toutes les catégories de la population. Pointer du doigt telle ou telle catégorie à risques, non seulement stigmatise cette catégorie, mais conduit évidemment à détourner implicitement les autres d'une pratique de prévention. C'est donc une attitude à proscrire.

Il nous faut agir sur tous les fronts sans ménager nos efforts.

Sur le plan national, je voudrais simplement saluer les grands objectifs des gouvernements successifs marqués aujourd'hui par le renforcement du plan triennal 2002-2004 de la lutte contre le VIH.

L'effort du Ministère de la Santé pour la lutte contre le sida représente 62 millions d'euros dans le projet de loi de finances 2003.

La prévention est le premier objectif du plan d'action, avec le développement de campagnes ciblées sur les groupes les plus exposés et la diversification des moyens préventifs. N'oublions pas qu'en l'absence de vaccins ou de traitement totalement efficace, la prévention est la seule arme qui nous permet d'endiguer l'épidémie.

Le second objectif concerne la prise en charge thérapeutique avec l'amélioration de l'accessibilité et de l'efficacité du dépistage. En 2001, plus de 4 millions de tests de dépistage ont été réalisés permettant de diagnostiquer environ 4500 infections nouvelles. Cet effort doit se poursuivre et si possible s'amplifier. Il est de notre responsabilité d'élus locaux que cette campagne réussisse. Il convient aussi d'améliorer les dispositifs d'accès au traitement post-exposition et l'organisation d'une prise en charge spécifique, notamment pour les femmes et les patients co-infectés par le VIH et le HCV (virus Hépatite C).

Les autres objectifs sont l'accompagnement et le soutien social -je dirais: le soutien humain- ainsi que le suivi et l'évaluation de la mise en oeuvre de ce plan.

Permettez-moi également d'insister sur l'importance d'une prise en charge spécifique en direction des femmes, avec des actions thérapeutiques spécifiques (évaluation de l'ostéoporose ou remboursement de certaines prescriptions).

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Mais la pandémie ne connaît pas les frontières. Nous devons porter nos regards et nos soins au delà de l'hexagone car certains pays vivent une situation véritablement dramatique.

Si en Europe de l'Ouest la progression a été ralentie mais reste à l'état endémique, en Europe de l'Est (pays baltes, Ukraine, Russie), le développement de l'épidémie prend des proportions alarmantes. En effet, les infections à VIH y sont 7 fois plus élevées (350 par million d'habitants contre 50 par million à l'Ouest).

L'ensemble du monde est touché et plus spécialement les pays en voie de développement d'Afrique et d'Asie: on estime à 5 millions le nombre de personnes qui ont été infectées par le virus au cours de la seule année 2001, dont 800 000 enfants. Au total, 40 millions de personnes seraient touchées par le virus.

Dans le sous continent d'Afrique sub-saharienne, l'épidémie est à l'échelle d'une véritable catastrophe humanitaire et économique. Le nombre total de personnes y vivant avec le virus VIH/Sida est évalué par les instances internationales à 28,5 millions. Le nombre d'orphelins à cause du sida y serait de 11 millions. Le problème de santé publique est gigantesque mais il se transforme maintenant en crise du développement économique: les générations arrivées à l'âge productif sont littéralement décimées.

La situation est alarmante.

Les chiffres sont effrayants. Cependant, ils ne doivent pas nous tétaniser car une lutte efficace contre la maladie au niveau mondial est possible. Des traitements peuvent être employés efficacement avec un coût maîtrisé.

Je voudrais insister tout particulièrement sur l'importance de cette internationalisation de la lutte contre le sida, et j'en profite pour remercier Monsieur Mobio, ancien maire d'Abidjan et coordinateur de l'Alliance des maires et responsables municipaux sur le VIH/Sida en Afrique, pour sa présence et son intervention ce matin.

La lutte contre l'infection par le VIH doit s'inscrire en effet dans un plan mondial visant avant tout à faire baisser l'inégalité d'accès aux différents traitements.

C'est ainsi que la France et les pays industrialisés doivent aider les pays en voie de développement à organiser une véritable solidarité dans l'action contre la pandémie.

Notre pays se doit d'être exemplaire dans cet effort mondial qui doit porter sur l'accès aux médicaments, sur l'aide bilatérale et multilatérale.

Le Président de la République avait insisté, dans son message à la conférence internationale sur le sida en juillet dernier, pour que les discussions au sein de l'OMC sur le lien entre la propriété intellectuelle et l'accès aux médicaments soient conformes aux promesses de Doha et que les pays pauvres aient accès à des médicaments à des prix correspondant à leur pouvoir d'achat. Le gouvernement vient de rappeler cet engagement et inviter les pays de l'Union européenne à faciliter rapidement et de façon concertée cet accès.

Sur le plan bilatéral, le gouvernement s'inscrit dans l'axe tracé et conforte les initiatives déjà prises par notre pays telles que le programme appelé ESTHER, fondé sur une Solidarité Thérapeutique En Réseau entre les établissements hospitaliers du nord et ceux des pays du sud avec, pour objectif, l'accès aux soins des personnes atteintes par le VIH/Sida dans les pays du sud et un renforcement des structures et des compétences. Cette initiative a été rejointe par d'autres pays européens comme l'Italie et l'Espagne et devrait l'être bientôt par les Etats-Unis.

Au delà des initiatives propres à la France, qui sont d'ailleurs soutenues par d'autres pays, le gouvernement contribuera, sur le plan multilatéral, au Fonds mondial contre le sida pour un montant de 150 millions d'euros sur trois ans, soit 50 millions par an. La création du fonds mondial à l'initiative du G8 peut être l'instrument qui fera faire à la lutte contre le sida le saut qualitatif nécessaire en matière de financement.

Au total, l'aide internationale de la France à la lutte contre le sida reflète désormais les priorités de notre pays: si l'on intègre la contribution au fonds mondial de 50 millions d'euros, le financement de l'initiative ESTHER à 9 millions d'euros et nos contributions bilatérales classiques, l'effort annuel de la France est passé à 82 millions d'euros alors qu'il n'était que de 20 à 26 millions les années précédentes.

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Nous n'insisterons jamais assez sur l'impérieuse nécessité de rester constamment mobilisés contre ce fléau qu'est l'infection par le VIH.

Je vous félicite encore pour l'organisation de cette journée et la qualité des interventions, et vous demande instamment de rester toujours vigilants.

Je vous remercie.