Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

23/06/2003 -Allocution à l'occasion du colloque "Les nouvelles frontières de l'Internet"

Messieurs les Co-Présidents du groupe d'étude de l'Assemblée nationale sur Internet,
Mes chers Collègues
Mesdames, Messieurs,

Vous allez dans quelques instants poursuivre vos travaux.

Aussi, je souhaitais en préambule vous féliciter déjà pour la haute tenue de votre atelier de ce matin sur les nouvelles normes législatives. Une réflexion mûrie d'ailleurs dans le prolongement du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique actuellement en discussion au Parlement.

Je félicite plus particulièrement Patrice Martin-Lalande, Patrick Bloche, André Santini, les trois co-présidents de notre groupe d'études sur l'Internet, les technologies de l'information et de la communication, et le commerce électronique. Leur expertise et leur vigilance sur toutes les questions relatives à la société de l'information constituent des atouts considérables pour le législateur. Je les remercie vivement d'être les initiateurs éclairés et compétents de ces quatrièmes rencontres parlementaires sur la société de l'information et l'Internet.

"Les nouvelles frontières de l'Internet : quelle régulation, quels territoires, quels contenus ?"

Je suis heureux que des questions aussi essentielles pour la vie de nos concitoyens, des questions qui impliquent sous tant d'aspects la démocratie dans sa dimension la plus quotidienne, soient une fois encore abordées ici, dans l'enceinte de la représentation nationale.

Pour la première fois dans l'histoire, nous sommes en face d'un dispositif de communication où l'on peut avoir - en théorie - plus de six milliards d'êtres humains interconnectés. C'est une hypothèse, certes, mais réalisable. Ce qu'aucun media n'avait jusqu'alors pu réaliser est désormais de l'ordre du possible. Certains vont jusqu'à prophétiser non pas l'apocalypse mais que nous sommes aujourd'hui en train de vivre la fin de l'histoire de la communication. Je vous rassure tout de suite : je ne le pense pas ! Mais en poussant notre hypothèse à son extrême, force est de reconnaître qu'on ne peut aller au-delà de ces six milliards d'être humains interconnectés. Et pourtant, à quelle réalité sommes-nous confrontés ? A celle des chiffres !

Je relève que la France représente dix millions au sein du demi milliard d'internautes dans le monde. Seulement 12 % des internautes français réalisent des achats en ligne. Le taux d'équipement des ménages en ordinateurs reste l'un des plus bas en Europe, avec à peine 38,7 % de foyers contre 65 % aux Etats Unis et en Suède. Mais cela représente aussi un tiers de la croissance totale de la France entre 1995 et 1999.

Le montant des transactions par internet augmente en moyenne de 25 % par an.

Des secteurs entiers ont vu leur activité transformée. Dans la vente à distance, 10 % des commandes se font par internet : La SNCF réalise déjà 6 % de son chiffres d'affaires par ce canal.

Cette réalité des chiffres nous rappelle une évidence : internet est porteur de fortes potentialités. Ces chiffres soulignent aussi l'ampleur du phénomène de l'économie numérique. A nous de conforter ces atouts.

L'entrée dans la société de l'information constitue une révolution sans doute plus importante que l'entrée dans la société industrielle.

Mondialisation accélérée de l'économie, disparition de structures d'emplois existants, remise en cause des hiérarchies du savoir, choc des cultures et domination de certaines, mais aussi accès à ce formidable savoir par le plus grand nombre et création de nouveaux métiers, nouvelles richesses, nouveaux emplois.

Internet remet en cause toutes les frontières : les frontières géopolitiques entre les Etats. Les frontières temporelles ont tendance à s'estomper. Il n'y a plus de distinction suffisamment nette entre le temps de loisir, de travail ou de formation. Ces bouleversements peuvent légitimement susciter quelques inquiétudes en réaction et donner l'impression aussi, au-delà d'une certaine extase internet dont nous sommes revenus assez brutalement du point de vue boursier, que la sphère marchande poursuit sa conquête définitive de l'existence humaine et de l'espace privé.

Il convient donc d'aborder tous ces sujets avec beaucoup de sérénité, comme vous le faites d'ailleurs, et ne pas conforter une sorte d'anti-monde déshumanisé dont pourrait accoucher l'utopie du réseau si on n'y prenait garde.

Cela dit, il suffit de scruter attentivement le choix judicieux des multiples thèmes abordés au cours de vos tables rondes, pour se rassurer en constatant à quel point vous êtes, Mesdames et Messieurs, vous les professionnels, les experts des nouvelles techniques de l'information conscients des enjeux qui dépassent de loin les seules considérations technologiques.

Vous vous êtes longuement penché ce matin sur les efforts du législateur qui s'efforce de définir un cadre juridique adapté aux besoins des citoyens et cohérent sur le plan international, vous avez parlé de la nécessaire régulation. Vous allez évoquer dans quelques instants les infrastructures physiques et réfléchir en termes d'aménagements du territoire. Vous évoquerez enfin dans votre dernière table ronde les problèmes majeurs de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur.

Nous en sommes aux quatrièmes rencontres parlementaires sur ces problématiques, vous vous inscrivez donc délibérément dans la durée. J'y vois là un atout supplémentaire permettant en définitive de mieux dessiner les contours de ce que vous appelez les nouvelles frontières de l'internet dans un monde qui précisément ne connaît plus de frontières.

Notre récent débat ici à l'Assemblée nationale sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique a souligné combien il était urgent d'adapter notre corpus juridique à ces nouveaux supports de communication que sont les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il était plus que temps de définir des règles qui fixent les échanges dans des conditions optimales de sécurité et de confiance.

Nul besoin de créer pour autant un droit spécifique de l'internet et des réseaux. Il me semble que tout le monde s'accorde sur ce point. Il s'agit d'adopter une approche pragmatique : c'est précisément ce que nous venons de faire en transposant dans le droit français la directive communautaire de juin 2000 relative au commerce électronique en vue de la mise en place d'un espace juridique et commercial européen. Nous avons ouvert ce chantier législatif qui connaîtra d'autres étapes.

Pour rattraper certains retards, le gouvernement a aussi défini les fondements d'une "République numérique" à travers le plan RESO 2007, une république numérique que nous appelons tous de nos vœux et qui vise tant à agir sur l'offre qu'à influer sur la demande en soutenant l'effort d'équipement, en développant la politique culturelle et en favorisant l'émergence de l'administration électronique.

Je ne souhaite pas entrer trop longuement dans la technicité du débat , vous connaissez ces dossiers beaucoup mieux que moi et vous les suivez avec une attention toute particulière. Parce que c'est votre métier pour certains, parce que c'est votre passion pour d'autres et j'ai envie de dire parce que c'est l'avenir pour nous tous. Et surtout, le gage demain d'une économie française forte et parfaitement intégrée dans la mondialisation.

Je souhaite cependant en dehors des considérations techniques, insister sur certains aspects bien précis du dossier et vous dire à quel point je suis attaché à toutes les dispositions tendant à renforcer la protection du consommateur, via notamment une meilleure information ainsi qu'une clarification du régime de responsabilité civile et pénale applicable aux prestataires techniques, à savoir les hébergeurs et leurs fournisseurs d'accès.

J'ai d'ailleurs auditionné tout récemment le Président de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) et j'ai été très sensible aux mises en garde formulées dans le dernier rapport de la C.N.I.L, notamment sur les questions de fichiers et de préservation de l'anonymat des données rendues disponibles sur internet.

Je souhaite aussi vous dire combien je suis attaché à la sécurisation de l'économie numérique. Le récent projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique que j'ai évoqué tout à l'heure pose justement le principe d'une libéralisation de la cryptologie, outil longtemps réservé aux militaires mais dont l'utilisation civile permet de mieux se protéger contre certaines intrusions des "pirates" de l'internet.

Cela m'amène naturellement à évoquer la lutte contre la cybercriminali. Je me félicite à ce propos que les pouvoirs du juge soient aujourd'hui renforcés pour lui permettre l'accès à la version en clair d'un document chiffré. L'utilisation des nouvelles technologies à des fins de crimes ou de délits devient légitimement un facteur aggravant des peines et des amendes encourues. Vous comprendrez aussi, qu'en ma qualité d'ancien magistrat et d'ancien ministre de l'intérieur , je ne puisse que me féliciter de l'instauration d'un nouveau délit concernant la diffusion intentionnelle de ces fameux virus informatiques qui nous coûtent des sommes considérables.

Mesdames, Messieurs,

Dans son Phèdre, Platon s'inquiétait déjà de ce qu'en passant de l'oral à l'écrit la mémoire tombe dans l'oubli. Aujourd'hui, il nous revient d'objecter à ceux qui formulent ces craintes à propos du glissement du texte au multimédia que cet écueil nous l'éviterons. Certes nous ne savons pas comment étaient les hommes qui récitaient Homère par cœur. Peut-être sommes nous infirmes par rapport à ces hommes là !

Ce que je souhaite vous confier par ce détour littéraire c'est ma confiance doublée d'une vigilance exigeante par rapport à toutes ces nouvelles technologies. Faisons de chaque internaute un citoyen responsable !

Nous progressons sur tous les fronts. Et je vous encourage à progresser comme vous le faites en trouvant un juste équilibre entre la liberté d'entreprendre et la protection des intérêts privés. Nous progressons sur le terrain du droit, sur celui de la sécurité, sur celui enfin de l'égalité de tous les citoyens devant internet. C'est en progressant ainsi que nous atteindrons cet objectif ambitieux de dix millions de français abonnés à l'internet haut débit d'ici à cinq ans !

Je conclus mon propos devant vous ici en soulignant qu'à mes yeux les nouvelles technologies constituent enfin un vecteur extraordinaire pour l'influence culturelle, artistique et linguistique de la France. C'est aussi ce combat des valeurs de la francophonie que je vous demande de mener à nos côtés pour mieux le gagner.

Je vous souhaite une bonne poursuite de vos travaux.

Je vous remercie.