Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

4/11/2003 - Allocution prononcée à l'occasion du déjeuner avec les membres du Syndicat de la presse économique, juridique et politique

Monsieur le Président,
Chers amis,

Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour votre invitation à venir m'exprimer devant vous. Vous qui représentez un secteur d'activité essentiel à notre pays, non seulement par son poids économique mais surtout par son caractère consubstantiel à la démocratie.

L'existence d'une presse spécialisée dans des domaines aussi divers que la macroéconomie, la gestion, la vie des collectivités territoriales, la fiscalité ou la vie politique, bénéficiant de la collaboration de journalistes et d'auteurs réputés pour leur compétence et pour leur indépendance est un signe de vitalité démocratique dans une société de plus en plus complexe où la bonne compréhension des enjeux nécessite souvent la maîtrise de données d'une grande technicité. C'est pourquoi les députés se doivent d'accorder une attention particulière aux problèmes que vous avez évoqués concernant le transport postal de la presse spécialisée, la transposition de la directive européenne sur les droits d'auteur ou encore l'accès aux données produites par les administrateurs et les établissements publics.

Parmi les parutions que vous regroupez au sein de votre organisme, je voudrais saluer particulièrement les titres consacrés à la vie et à l'information parlementaires.

Nous vivons une époque où la vie publique est souvent brocardée, où la caricature et la satire l'emportent souvent sur la connaissance vraie et approfondie des conditions dans lesquelles s'exerce l'action publique.

La montée de l'extrémisme, la diffusion permanente des sondages, l'abstention croissante lors des consultations électorales sont autant de signes de doute de certains de nos concitoyens à l'égard des politiques. Scepticisme sur la capacité des responsables politiques à diriger, à gouverner, à réformer. Doute sur leur possibilité d'influencer le cours des événements dans une société où l'individualisme et le corporatisme l'ont peu à peu emporté sur la capacité à inscrire les parcours personnels dans un destin collectif, où la mondialisation de la vie financière et des échanges commerciaux, la construction européenne et la décentralisation ont profondément transformé les contours et les modalités de l'action de l'État.

Dans ce contexte politique difficile, il incombe au Parlement de rendre plus visible son rôle d'enceinte naturelle de la démocratie, de centre du débat politique. La démocratie parlementaire doit être renforcée et nos concitoyens doivent avoir le sentiment que leurs préoccupations, leurs doutes, leurs inquiétudes, mais aussi leurs espoirs sont pris en compte par les députés dans leurs débats. La complexité et la diversité de la société française doit se retrouver à l'Assemblée nationale. Mais, et c'est la principale difficulté, du moins pour le Président de l'Assemblée nationale, cette diversité doit s'exprimer au Palais-Bourbon sans remettre en cause le résultat des élections et l'équilibre entre majorité et opposition. Il importe donc de rendre compte de nos débats, des projets et propositions, des amendements, des questions orales et pas simplement des chicaneries politiques inhérentes à la retransmission télévisée de certaines de nos séances. Faire la part entre la politique spectacle artificielle et la politique de réforme préparée par des débats et travaux approfondis, voilà qui n'est pas facile.

C'est dire l'importance d'une information indépendante, de qualité, soucieuse de donner une image fidèle des débats et de la vie parlementaires.

Les sujets n'ont d'ailleurs pas manqué depuis un peu plus d'un an. Au terme d'une session ordinaire et de deux sessions extraordinaires, le bilan provisoire de la législature qui s'est ouverte à l'été 2002 est d'ores et déjà important.

Ainsi, le nombre de séances a été de 379 en 159 jours, soit 1463 heures.

Il y a eu 129 lois adoptées, dont 17 propositions de loi et 46 projets de loi, pour lesquels 37488 ont été déposés et 3864 adoptés (dont Conseils régionaux : 12805 et ensemble des retraites : 11153). Le nombre de traités ratifiés a été de 66.

Au cours des 73 séances de questions d'actualité, 880 questions ont été posées. Pour ce qui concerne les questions orales, 455 questions ont été posées au cours de 18 séances.

Le Parlement a été saisi de textes destinés à renforcer les moyens de lutte contre l'insécurité, à adapter notre appareil judiciaire aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, à redonner à la puissance publique la capacité de contrôler les flux migratoires.

Le Parlement a adopté des projets de loi permettant d'assouplir les règles relatives à la durée du travail, de relancer l'initiative économique, de rénover notre politique de la ville et du logement, de remettre en ordre notre législation relative au fonctionnement et au contrôle des marchés financiers. La dernière session a, vous le savez, été très fortement marquée par le débat sur les retraites.

Cette discussion qui fut difficile, trop longue aux yeux de certains, a cependant, à mon sens, permis de donner une véritable légitimité politique à la réforme en permettant à chacun, même si certains ont parfois abusé des facultés que leur donnait le règlement de l'Assemblée nationale, de faire valoir ses arguments et en évitant que la contestation du projet ne se déplace dans la rue. Aujourd'hui une réforme acquière, j'en suis convaincu, sa légitimité par son passage dans l'hémicycle où elle doit donner lieu à une véritable discussion politique.

D'autres grands chantiers vont s'ouvrir dans les mois qui viennent : la réforme de notre système de santé, la réorientation de notre politique de solidarité vers l'insertion et la responsabilité, le débat sur l'école, la redéfinition d'une véritable politique d'intégration dont la laïcité devra être une pierre angulaire.

Sur tous ces sujets, l'Assemblée ne se contentera pas de débattre sur des projets de textes préparés par l'exécutif. Elle veut être une force de proposition et de préparation des réformes. C'est dans ce but que se sont mises en place un certain nombre de missions d'information dans des domaines aussi divers et importants que la réforme du droit des sociétés, l'organisation interne de l'hôpital, l'accompagnement de la fin de vie, ou encore la question des signes religieux à l'école.

Dans une démocratie moderne, le Parlement ne doit pas seulement être un lieu de débat, de propositions mais aussi un organe de contrôle de l'action de l'exécutif et d'évaluation de l'efficacité des politiques publiques. Au cours des dernières années, le Parlement s'est doté d'outils nouveaux pour exercer cette fonction qui n'entrait pas dans notre culture politique traditionnelle. L'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'Office d'évaluation de la législation et l'Office d'évaluation des politiques de santé, la Mission d'évaluation et de contrôle permettent aux parlementaires d'effectuer un travail permanent de contrôle de l'action publique et de l'usage des fonds publics dans des domaines très divers.

S'agissant de missions plus ponctuelles, la création de commissions d'enquête, rendue plus efficace par la réforme, que j'ai voulue, du règlement de l'Assemblée nationale adoptée en mars dernier, est devenue une pratique courante. Dans les mois qui viennent de s'écouler, les députés ont ainsi mené des investigations concernant la gestion des entreprises publiques ou les causes de la disparition de la Compagnie Air Lib. Actuellement, un certain nombre de nos collègues s'attachent à mesurer les conséquences sanitaires et sociales de la canicule qui a sévi dans notre pays au cours de l'été dernier. Egalement et à ma demande, un certain nombre de députés enquête dans le cadre de la mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie.

Le travail de ces commissions d'enquête ou des commissions d'information doit pouvoir être rendu public. Le Parlement et, particulièrement l'Assemblée nationale, doit mieux contribuer à la transparence de l'action politique et assumer sans concession son rôle de contrôle gouvernemental et administratif. Mais, il importe que l'appréhension de ce contrôle change de nature. Il ne s'agit pas de sanctionner, mais de veiller, de surveiller, pour pouvoir d'abord corriger, modifier, réformer, adapter, la sanction politique étant l'ultime aboutissement de ce contrôle.

Réhabiliter la politique, donner un nouveau souffle au débat parlementaire, assumer pleinement son rôle de contrôle de l'action de l'exécutif, tels doivent être à mon sens les objectifs poursuivis par l'Assemblée nationale au cours des prochaines années. Il appartient à chaque député de contribuer à cette tâche collective si nous voulons réformer notre pays sans heurts au bénéfice de tous les Français.

Ces réformes, je ne doute pas que la presse spécialisée que vous représentez ici y trouvera la matière de nombreux articles. Je souhaite à l'ensemble des entreprises groupées au sein du Syndicat de la presse économique, juridique et politique de renforcer encore le succès qu'elles ont su trouver auprès d'un lectorat exigeant et de poursuivre leur contribution à une information indépendante, transparente et de grande qualité.