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22/01/2004 - Colloque "Réforme de la décentralisation, réforme de l'Etat" organisé par le GRALE

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue, en ce début d'après-midi, dans l'enceinte de l'Assemblée nationale et de vous dire le plaisir que j'ai d'ouvrir ici, au Palais Bourbon, un colloque sur la décentralisation. Cela n'est pas si fréquent. Je suis donc heureux de vous accueillir, vous qui êtes venus souvent de très loin, pour participer à ce colloque organisé par le GRALE (Groupement de Recherches sur l'Administration Locale en Europe) sur la deuxième étape de la décentralisation, ses conséquences sur l'État, les collectivités, les fonctionnaires et l'administration des territoires.

Je voudrais, au début de ces travaux, saluer, en votre nom à tous, le Professeur Gérard Marcou qui fut la cheville ouvrière de ce colloque qui lui tenait à cœur, et dont la préparation l'a beaucoup occupé depuis plusieurs mois.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour saluer tout particulièrement la contribution importante que le GRALE, que le Professeur Marcou anime depuis de longues années, apporte aux études sur les collectivités locales et officialiser le partenariat que l'Assemblée nationale a souhaité avoir avec cette structure.

En effet, la réforme de la décentralisation est une affaire importante pour notre pays et tous ceux qui y vivent.

Cette réforme, lorsqu'elle sera menée à son terme, induira des changements profonds dans les rapports entre l'État et les collectivités locales, entre les collectivités locales elles-mêmes, entre nos concitoyens et leur administration, qu'elle soit nationale et locale mais également, et en particulier par le biais de l'expérimentation, sur le Parlement lui-même.

En effet, cette réforme ne pourra se réduire à un dialogue ou un tête-à-tête entre le gouvernement et les collectivités. En matière d'expérimentation notamment, il appartiendra au Parlement d'en fixer le cadre, la durée, d'y mettre un terme ou de procéder à sa généralisation.

C'est pourquoi la mise en place de cette réforme, son suivi, nécessiteront une attention permanente et le Parlement, dans ses deux composantes, Assemblée nationale et Sénat, se doit de se donner les moyens de pouvoir évaluer, pour ainsi dire en temps réel, l'ensemble de ses conséquences et de ses effets.

Dans ce débat, dans ce suivi, l'Assemblée nationale doit pouvoir apporter sa contribution.

Je tiens à rappeler, comme je l'ai déjà fait dans d'autres enceintes, sa légitimité particulière à intervenir sur ce sujet et à suivre ces questions. Ce n'est pas faire injure au Sénat que de le dire et de le répéter.

Cette légitimité, l'Assemblée nationale la tire non seulement de son élection au suffrage universel direct mais également de sa propre composition puisque c'est la chambre qui compte en son sein le plus grand nombre d'élus locaux. 271 députés sont maires, 61 députés sont conseillers régionaux, 162 députés sont conseillers généraux, et seuls 13 % des députés ne détiennent aucun mandat local.

Cette légitimité, l'Assemblée nationale ne la conservera que si elle s'implique dans l'application de cette réforme, si elle en suit le développement.

Elle le fera, bien évidemment, avec les élus locaux qui la composent dont l'expertise lui sera précieuse. Elle le fera aussi en s'appuyant sur l'expertise de spécialistes, parmi lesquels le GRALE et ses différents correspondants figureront en bonne place.

Ce colloque, dont le principe et la date ont été arrêtés depuis plus de six mois, devait intervenir à un moment où il était envisageable que le processus législatif soit plus avancé.

Tel n'est pas le cas puisque l'Assemblée nationale n'a pas encore examiné le projet de loi relatif aux responsabilités locales et ne le fera que dans quelques semaines.

Il ne faut pas le regretter.

En effet, trois textes déjà sont intervenus : la loi constitutionnelle, la loi organique sur le référendum local et, enfin, celle relative à l'expérimentation, plusieurs consultations ont été organisées, un grand nombre d'articles et de publications diverses ont paru. Ils ont d'ores et déjà permis aux uns et aux autres de préciser leur philosophie et leurs intentions.

Le cadre, aujourd'hui, au moins dans ses grandes lignes, est fixé et l'on peut déjà, comme vous le ferez pendant ces trois demies journées, évaluer les conséquences qu'il va avoir, les modifications de structures et de comportement qu'il va induire sur notre administration territoriale.

Ce colloque me donne en tout cas la possibilité de rappeler ma position sur ce sujet.

Pour ma part, et je le redis au risque d'en surprendre plus d'un, je ne suis pas hostile par principe à la décentralisation. Comme élu local depuis de longues années, j'ai pu mesurer combien l'organisation de l'État aujourd'hui pouvait être lourde, pesante et source de retard dans la décision et surtout combien l'enchevêtrement des compétences tel qu'il résulte des lois de 1982 pouvait être complexe et source de déresponsabilisation. Ce système, à l'évidence, avait besoin d'être réformé, devait être réformé.

La décentralisation doit y contribuer.

Cependant, pour réussir, c'est-à-dire pour recueillir l'adhésion de l'ensemble de nos concitoyens et pas seulement celle des seuls élus locaux, pour apporter une réelle plus-value dans la façon dont notre pays est administré, elle doit se donner trois objectifs :

· Premier objectif, et ce n'est pas le moins difficile à atteindre, c'est de simplifier notre organisation administrative.

- Simplifier notre organisation en mettant un terme à cet enchevêtrement de compétences, à ces financements croisés, à ces responsabilités partagées. Il faut que, pour chaque compétence à exercer, il y ait un responsable unique.

- Il faut clarifier les responsabilités de chacun, clarifier les responsabilités de l'État, clarifier les compétences de chaque niveau de collectivité.

- Il faut que le citoyen, que le chef d'entreprise, que le responsable d'association puisse identifier, sans risque de se tromper, la collectivité en charge du problème qui le préoccupe.

- Il ne faut plus l'obliger, chaque fois qu'il a besoin d'un renseignement, d'un appui, d'une aide, à effectuer un véritable parcours du combattant.

A cet égard, la loi sur le RMI-RMA s'inscrit parfaitement dans cette logique.

- Il faut ensuite simplifier nos structures administratives. Nous croulons, nous autres élus locaux, sous l'empilement des structures : communes, syndicats de communes, communautés de communes ou d'agglomération, pays, départements, régions.

A chaque fois, c'est une administration particulière qui se met en place, qui prétend tout régenter et qui, pour les structures les plus récentes, par une activité vibrionnante, essaie de se trouver une légitimité. Les coopérations sont nécessaires mais il y a trop de structures. On ne sait plus qui fait quoi. On se sait plus qu'elle est la collectivité ou l'EPCI responsable. Il doit y avoir moyen de procéder à des regroupements, des simplifications, des suppressions. Cela devient urgent.

· Le deuxième objectif c'est de parvenir à un État plus proche et plus réactif face à des collectivités aux compétences accrues et pour cela il faut une véritable déconcentration.

C'est pour cela qu'il ne peut y avoir une véritable réforme de la décentralisation sans une réforme tout aussi réelle de l'Etat et à cet égard, je ne peux que remercier le Professeur Marcou d'avoir insisté sur ce lien dans l'intitulé même de ce colloque. La décentralisation, telle que je la conçois, suppose un État, un État certes recentré sur ses missions essentielles, mais un État fort, un État respecté. Et pour cela, il faut que son représentant au niveau local devienne le seul interlocuteur des élus comme des citoyens. Il faut qu'il soit capable d'engager l'État sans qu'il faille, à chaque fois, interroger Paris, faire le tour des ministères... et attendre parfois longtemps une réponse. Il faut que les administrations parisiennes cessent de vouloir se mêler de tout.

· Enfin, et c'est le troisième objectif, il faut profiter de cette occasion unique que nous donne cette réforme pour simplifier les procédures. Il faut faire en sorte de n'édicter que les seules normes dont on a véritablement besoin.

Cela vaut d'abord pour l'État bien sûr et, comme Président de l'Assemblée nationale, j'ai eu l'occasion très récemment d'intervenir à plusieurs reprises sur le thème de l'inflation législative. Un élu local ne se retrouve plus dans les différentes procédures auxquelles il est confronté ; elles sont plus complexes les unes que les autres. En matière d'urbanisme : PLU, SCOT, PDU. En matière d'insertion PDI, PLI, PLIE et je pourrai continuer la litanie...

Cela vaut également pour les collectivités locales. Chacune veut avoir ses propres formulaires, ses propres dossiers... et à chaque fois que le particulier, l'élu, le responsable veut obtenir quelque chose, il lui faut d'abord se plonger dans une paperasse insupportable. Parfois et ce n'est pas le moindre paradoxe, le coût de la constitution d'un dossier de demande de subvention, et de son instruction, par le temps qu'elles nécessitent, l'énergie qu'elles requièrent, est plus onéreux que la subvention elle-même !

Il ne faut pas que la bureaucratie de l'Etat soit remplacée par une bureaucratie régionale ou départementale.

Si l'on veut que cette réforme importante réponde aux souhaits et aux attentes de nos concitoyens, il faut qu'elle se traduise par une véritable simplification. Si on n'y parvient pas, je pense que l'on aura échoué.

Il importe peu à nos concitoyens de savoir s'il vaut mieux transférer telle ou telle compétence à telle ou telle collectivité. Ce qui leur importe c'est que cette compétence soit exercée avec efficacité, c'est de savoir à qui ils peuvent s'adresser, c'est de savoir que la réponse qu'ils attendent ne tardera pas.

C'est là, finalement, tout l'enjeu de cette réforme : savoir réformer notre système administratif dans toute ses composantes. Ce n'est pas simple.

Je vous laisse en débattre et puis vous assurer que je serais très attentif à ce que vous direz et j'attends avec impatience les actes de ce colloque.