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28/04/2004 - Lancement du disque compact regroupant les principaux discours et interventions de Georges Pompidou

Discours de politique générale le 26 avril 1962, intervention du 4 octobre 1962 en réponse à la motion de censure déposée contre le principe de l'élection du Président de la République au suffrage universel, réponse à la fronde des députés d'opposition le 14 mai 1968...

L'hémicycle de l'Assemblée nationale a gardé la mémoire des interventions de Georges Pompidou qui furent autant d'étapes décisives de la Vème République. Il était donc juste que l'Assemblée nationale s'associe à l'hommage rendu à Georges Pompidou à l'occasion du 30ème anniversaire de sa disparition. Elle ne pouvait mieux le faire qu'en donnant un éclat particulier à l'édition par l'Institut national de l'audiovisuel d'un choix des principaux discours et des interventions les plus marquantes.

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Le destin de cet homme, petit-fils de paysan, fils d'instituteur né dans le Cantal, c'est d'abord dans notre mémoire collective l'accomplissement des promesses d'égalité et d'émancipation portées par la République grâce à l'enseignement, l'égalité des chances, la récompense du mérite.

Jeune professeur entrant en 1944 au Cabinet du Général de Gaulle, collaborateur éminent du Général lors de son retour aux affaires en 1958, Premier ministre de la période qui s'ouvrait après la résolution du drame algérien, élu Président de la République au lendemain du départ du Général de Gaulle : l'exceptionnelle destinée de Georges Pompidou laisse dans notre Histoire la marque d'un chef de gouvernement et d'un chef d'Etat qui consacra son intelligence, son énergie à la modernisation de la France qu'il voulut voir s'installer durablement au premier rang des nations du monde contemporain.

Beaucoup pensaient que la Vème République, taillée à la mesure de son fondateur, ne pourrait survivre au départ du Général de Gaulle. En élisant Georges Pompidou à la Présidence de la République avec plus de 28 millions de voix, les Français ont manifesté sans ambiguïté la volonté de poursuivre dans la voie tracée depuis 1958. Il répondit, d'ailleurs, à cette attente dès sa première conférence de presse en annonçant son intention de remplir pleinement sa charge de "chef suprême de l'exécutif, gardien et garant de la Constitution chargé de donner les directions essentielles et d'assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics, à la fois arbitre et premier responsable national".

En parlant et en agissant ainsi, Georges Pompidou a donné à sa présidence un poids et une densité sans rapport avec la trop courte durée de son septennat inachevé. Il a définitivement confirmé le caractère prééminent de la fonction présidentielle qui ne devait plus être remis en cause.

"Il serait ridicule, à mes yeux, de me demander à chaque pas, est-ce que le Général aurait marché comme moi ? Aurait agi comme moi ?" Ces quelques mots de Georges Pompidou laissent entrevoir qu'il a abordé l'exercice des plus hautes responsabilités dans un esprit de liberté autant que de fidélité. Il a ouvert la voie pour ceux qui désiraient et qui désirent encore faire vivre les principes du gaullisme dans un contexte différent, dans un monde transformé, dans l'esprit d'hommes et de femmes qui n'ont connu ni 1940 ni 1958.

"Le Gaullisme, c'était de Gaulle au pouvoir. C'étaient les idées et les actes du Général. Cela n'appartient à personne. Dans le Gaullisme, il y a les idées force". Ces principes d'actions, Georges Pompidou n'a cessé de les mettre en œuvre au long de son mandat. Fidèle, par dessus tout à la politique d'indépendance nationale de son prédécesseur, Georges Pompidou avait une haute conscience de "l'unité, de l'assurance et de l'influence retrouvée de la France" qui lui firent un devoir de refuser de céder à la pression hégémonique des blocs russe et américain ou encore de s'élever contre les désordres monétaires dont les Etats-Unis entendaient être bénéficiaires au détriment du reste du monde. Plusieurs années après l'indépendance de l'Algérie, le temps était venu aussi de renouer avec une politique méditerranéenne que Georges Pompidou plaça au cœur de ses préoccupations.

Georges Pompidou marqua de son empreinte la politique européenne poursuivie par la France depuis la signature du Traité de Rome.

L'Europe ne pouvait, selon lui, se construire que dans le respect de la personnalité des États afin que les pays qui la composent puissent travailler ensemble à rendre à la plus vieille civilisation du monde, meurtrie par les guerres, les divisions, les tentatives hégémoniques, son influence légitime. La méfiance de Georges Pompidou s'exerçait tant à l'égard des chimères supranationales qu'à l'égard de "l'Europe des régions" qui le "hérissait" et ne constituait à ses yeux qu'un étrange retour à l'époque révolue de la féodalité.

S'agissant de la Grande-Bretagne, Georges Pompidou a très vite pressenti que l'heure était au rapprochement, qu'il s'agissait pour l'avenir de dépasser "l'Entente cordiale, dirigée contre un ennemi commun", pour désormais "collaborer à une œuvre commune avec d'autres". C'est ainsi que la France prit l'initiative de rapprocher la Grande-Bretagne de l'Europe des 6 pour parvenir au premier élargissement scellé en 1972.

Confirmation de la prééminence présidentielle, poursuite de l'affirmation de la France face aux deux blocs antagonistes de la guerre froide, construction d'une Europe élargie, respectueuse des identités nationales, Georges Pompidou a démontré la pertinence des principes de réflexion et d'action définis par le Général de Gaulle comme source d'inspiration d'une politique adaptée aux événements et aux évolutions d'un monde perpétuellement transformé.

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Georges Pompidou n'aura cessé, durant les années au cours desquelles il a exercé les plus éminentes responsabilités politiques, de travailler à la mise en œuvre d'un grand dessein de modernisation de l'économie et de la société françaises.

Dès 1958, lorsqu'il dirigea le Cabinet du Général de Gaulle pendant une durée qu'il avait lui même fixée à six mois, Georges Pompidou, qui avait depuis plusieurs années élargi son horizon intellectuel et professionnel en dirigeant une prestigieuse institution financière, porta le plus vif intérêt et la plus grande énergie à la définition et à l'application d'un plan d'assainissement financier qui devait conduire à l'adoption du nouveau franc et permettre à la France de faire une entrée confiante dans le Marché Commun.

Dès son arrivée à Matignon en 1962, Georges Pompidou a placé au premier rang de ses objectifs le renforcement de la puissance économique parce qu'elle était seule à même de garantir l'indépendance nationale et de soutenir un grand dessein politique.

Dès cette époque, s'entourant de fidèles acquis à cette cause tels François-Xavier Ortoli ou Henri Montjoie, Georges Pompidou plaça au centre de son action et sous son autorité directe la planification, la recherche, l'aménagement du territoire confié à Olivier Guichard. C'est sous son autorité que furent mises en œuvre entre 1963 et 1966 les mesures de stabilisation destinées à lutter contre l'inflation sans ralentir l'essor de la production industrielle et l'investissement.

La grande ambition économique et industrielle de Georges Pompidou fut au cœur des premières décisions qui suivirent son élection en 1969 comme en témoigne la part décisive qu'il prit dans le choix de la dévaluation du mois d'août destinée à absorber les tendances inflationnistes de l'après mai 68.

La politique industrielle fut le sujet de la moitié des conseils restreints présidés par Georges Pompidou au cours des deux premières années de son mandat. De cette attention permanente et personnelle aux problèmes industriels devait naître une restructuration conduite autour de grands groupes tels que CFT Alcatel, Elf-Erap, l'Aérospatiale, Thomson ou la Compagnie générale d'électricité.

Et l'une des grandes décisions stratégiques prises dès 1969 dont nous mesurons encore les bénéfices en termes d'indépendance nationale concerne l'ambitieux programme électro-nucléaire renforcé sous l'autorité de Pierre Messmer après le premier choc pétrolier.

Si élevés qu'aient pu être les objectifs de croissance fixés pendant la présidence de Georges Pompidou, ils ne furent jamais séparés d'une politique sociale novatrice. Georges Pompidou ne fut pas de ceux qui redistribuent avant même d'avoir créé des richesses mais le juste partage des fruits de la croissance était au cœur de sa pensée politique. Pour cet humaniste, le progrès économique a toujours été ordonné à la recherche d'un mieux-être social. Qu'il s'agisse des contrats de progrès dans les entreprises publiques, de la mensualisation, de la formation professionnelle, de la création du SMIC, de l'introduction de l'actionnariat populaire, les "années Pompidou" furent une période de rénovation en profondeur des rapports sociaux.

La sensibilité de Georges Pompidou lui permit de comprendre les mutations traversées par la France au tournant des années 60. Au cœur de la tourmente de mai 68, ici même à l'Assemblée nationale, Georges Pompidou se livrait à l'une des plus fines analyses de la crise : "ce n'est plus, croyez-moi, le Gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la France. C'est notre civilisation elle-même. Tous les responsables se doivent d'y songer... Il s'agit de recréer un cadre de vie accepté par tous, de concilier ordre et liberté, esprit critique et conviction, civilisation urbaine et personnalité, progrès matériel et sens de l'effort, libre concurrence et justice, individualisme et solidarité". Ces lignes n'ont pas pris une ride.

Ce dialogue avec son époque et ses incertitudes, Georges Pompidou l'entretint à travers sa passion pour l'art de son temps dans lequel il trouvait "une recherche crispée et fascinante du nouveau et de l'inconnu". Sans céder à la recherche de ce qu'il appelait "un style majoritaire", Georges Pompidou voyait dans l'évolution des cadres de vie urbains, de la sculpture, de la musique, de la peinture, le reflet de la modernisation de la société, de la transformation de son pays. Collectionneur depuis sa jeunesse, Georges Pompidou devenu Président de la République renoua avec la tradition française du soutien aux artistes par la commande publique, sollicitant pour l'aménagement des appartements privés de l'Élysée Saarinen, Vasarely, Poliakoff ou encore Agam à qui fut confié l'aménagement d'une salle cinétique. Familier de nombreux artistes, il sut nouer avec eux un dialogue simple et vrai, respectueux de leur liberté, dénué d'arrière-pensées .

L'importance qu'il attachait à la création artistique contemporaine et à la démocratisation de l'accès à l'art le conduisirent dès 1969 à envisager la construction sur le plateau Beaubourg d'un grand centre d'art contemporain ouvert à toutes les disciplines qui deviendra l'un des grands projets de son mandat. Ce goût pour la nouveauté, le futurisme, le design révèlent et expliquent, pour partie, la profonde correspondance entre Georges Pompidou et la société française de cette époque optimiste, confiante dans son avenir, avide de modernité. Les quêtes esthétiques de Georges Pompidou sont au cœur de son projet de "réconciliation des créations de l'intelligence avec les obscures et immuables exigences de l'instinct".

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Au moment où il prenait ses fonctions de Président de la République, Georges Pompidou souhaitait que "les historiens n'aient pas trop de choses à dire sur son mandat". Ce -trop long- discours vient démontrer qu'il n'en est rien. Il y a, au contraire, beaucoup de choses à dire sur "les années Pompidou", la richesse d'une époque et l'action d'un Chef d'État ne se mesurant pas au degré de tragique des événements traversés.

Jamais, à compter du jour où il accepta d'exercer les fonctions de Premier ministre, la confiance et l'affection des Français ne firent défaut à Georges Pompidou. Il fut élu pour être, à sa manière humaine, subtile, parfois ironique, le vrai continuateur de la formidable entreprise de renouveau commencée en 1958.

Années de travail, années de prospérité, années de confiance dans l'avenir, les "années Pompidou" furent tout simplement pour la France des années de progrès.