Accueil > Archives de la XIIe législature > Discours de M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale

12/04/2005 - A l'occasion de la clôture des cérémonies commémoratives du 60ème anniversaire de la libération des enfants rescapés de Buchenwald et confiés à l'oeuvre de secours aux enfants (OSE)

Monsieur le Ministre,

Madame la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah,

Monsieur le Président de l'œuvre de secours aux enfants,

Messieurs les Ambassadeurs,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

TÉMOIGNER, encore et toujours. Voilà l'impérieuse volonté qui nous réunit une nouvelle fois ce soir pour commémorer l'une des pages les plus pénibles de l'histoire.

Je salue donc particulièrement les rescapés qui sont parmi nous, je salue leurs enfants et petits enfants dont certains ont fait tout spécialement le voyage depuis Israël. Je rends hommage à leur vie d'homme reconstruite après avoir connu l'enfer. Je rends hommage à leur combat de tous les jours contre l'antisémitisme, contre le racisme, contre l'intolérance. Ce combat, 60 ans après, est le nôtre autant qu'il est le vôtre. Aussi, c'est l'ensemble de la représentation nationale qui s'associe à moi pour vous exprimer sa joie de vous voir réunis ce soir dans la maison de la République.

Commémorer pour ne jamais oublier la barbarie nazie, témoigner pour transmettre le terrible message de souffrance mais aussi d'espérance de celles et ceux, hommes, femmes, mais aussi enfants, oui, des enfants......qui ont survécu à l'indicible.

Elle est là, cruellement et tristement résumée dans ce mot sacré d' « enfant », toute l'horreur des camps de concentration.

Les mots sont faibles devant l'horreur de la réalité historique. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que l'une des pages les plus sombres de l'humanité nous renvoie à l'effroyable banalité du mal ? Car c'est bien cela dont il s'agit dès lors que des hommes ont scientifiquement planifié l'assassinat des enfants d'autres hommes, c'est-à-dire l'assassinat de l'innocence.

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Il y a trois mois, au début de cette année, nous avons inauguré ici, à l'Assemblée nationale, une exposition que je ne suis pas près d'oublier. Son titre : « 1942-1944, onze mille enfants juifs déportés de France à Auschwitz ». Chaque photographie de cette très émouvante exposition de l'association « Les fils et filles de déportés juifs de France » arrache et sort de l'atroce anonymat chacun de ces onze mille enfants juifs massacrés dont les corps mêmes nous ont été volés.

Si je ne peux m'empêcher ce soir d'évoquer devant vous ce moment intense que nous avons connu à l'Assemblée nationale, grâce au travail historique exemplaire de Serge Klarsfeld, c'est bien parce que la raison qui nous réunit est ce même incessant combat contre l'oubli et contre l'intolérance criminelle que nous menons ensemble.

Pour que personne ne puisse oublier la vie fauchée des enfants de la colonie de vacances d'Izieu, pour que personne ne puisse oublier qu'avant la déportation il y avait des sourires et des yeux rieurs qui se sont mis à souffrir et à pleurer. Pour que personne ne puisse oublier enfin que l'œuvre de secours aux enfants (OSE), créée en 1912 à Saint-Pétersbourg, s'est engagée avec force pendant toute la seconde guerre mondiale au côté des mouvements de Résistance et a été le principal acteur du sauvetage des enfants juifs en France.

Je souhaite rendre hommage à ce formidable travail de l'OSE, d'hier et d'aujourd'hui. Hier, quand il s'agissait de soustraire les enfants à des rafles ignobles dont nous connaissons pour la plupart l'issue fatale. Aujourd'hui, quand l'OSE remplit pleinement sa mission de service public dans le cadre de la Protection de l'Enfance. Notamment en aidant les enfants et leurs familles à assumer les conditions particulières de leur histoire, à surmonter les difficultés psychologiques, affectives et matérielles qui menacent leur santé, leur personnalité, leur avenir...

Cette fidélité de l'OSE, à travers le temps et à elle-même, à sa noble raison d'être mérite d'être soulignée et reconnue.

Il est remarquable, M. le Président, de voir que l'OSE reste aujourd'hui à pied d'œuvre et remplit ses missions d'intérêt public. Il ne s'agit pas de témoignage. Il s'agit de mette en œuvre une solidarité intergénérationnelle qui nous rappelle que chacun des enfants de l'OSE d'aujourd'hui aurait pu être l'un des 426 enfants ou adolescents entre 8 et 22 ans et que personne ne réclamait à la libération du camp de Buchenwald.

Mes chers amis,

Buchenwald, qui signifie en allemand « la forêt des hêtres », est situé en plein cœur de l'Allemagne, dans la province de Thuringe, à quelques kilomètres à peine de la ville de Weimar où vécurent Schiller, Goethe, Bach, Beethoven et Liszt...

Buchenwald et Weimar, c'est le face-à-face de la culture et de la barbarie nées sur une même terre par un même peuple. C'est à peu de distance du berceau de la culture allemande que les nazis ont construit dès 1937 un système concentrationnaire qui a humilié, affamé, torturé, exécuté des centaines de milliers d'hommes dont des enfants. Oui, chère Simone Veil, nous pensons tous avec vous « à ce que seraient devenus tous ces enfants si beaux, si vifs, s'ils n'avaient pas été massacrés ».

Buchenwald - Weimar. Ce face à face nous encourage dans notre volonté de témoigner, de transmettre et d'honorer. Il demande de chacun de nous une extrême vigilance. Il exige aussi une volonté sans concession pour agir sur notre propre époque afin de combattre des forces obscures sans cesse à l'œuvre qui insultent notre idée de la République et de la démocratie. Elle réside là notre principale exigence de responsabilité.

Je vous remercie.

Je vous invite maintenant à écouter le témoignage que nous a fait parvenir Elie Wiesel retenu aux États-Unis.