Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Troisième partie

SOMMAIRE

Pages

TROISIÈME PARTIE : LA SITUATION ACTUELLE 141

I.- LA SANTÉ HUMAINE ET LA RECHERCHE 141

A.- LE RÉSEAU D'ÉPIDÉMIOSURVEILLANCE FRANÇAIS DES ESST, LES PROJECTIONS DU NOMBRE DE CAS FUTURS DE LA NOUVELLE VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB ET L'ORGANISATION DE L'ACCOMPAGNEMENT DE CES CAS 141

1.- Le réseau français d'épidémiosurveillance des ESST 141

a) Le réseau français d'épidémiosurveillance est intégré dans un réseau international 141

b) Les examens scientifiques permettant au réseau d'épidémiosurveillance français le recueil des informations relatives à l'incidence des ESST humaines 143

c) Depuis la création du réseau français d'épidémiosurveillance des ESST, l'incidence statistique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique a doublé 147

2.- Les projections du nombre de cas futurs en France de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'accompagnement du patient et de sa famille au cours de la maladie 148

a) Les projections du nombre de cas futurs en France de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob 148

b) Le nécessaire accompagnement du patient et de sa famille au cours de la maladie 151

B.- L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE FRANÇAISE EN MATIÈRE D'ESST ET LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 153

1.- La recherche française est désormais organisée en un groupement d'intérêt scientifique (GIS) 153

a) La recherche française concernant les maladies à prions existe depuis les années 1970, mais a longtemps eu des difficultés pour s'organiser 153

· Avant 1992, la recherche française sur les maladies à prions est constituée de quelques initiatives isolées 153

· A compter de 1992, le thème de l'organisation de la recherche française sur les maladies à prions est entre les mains des autorités publiques 154

b) La création du GIS et l'augmentation des moyens financiers attribués à la recherche scientifique sur les maladies à prions 156

2.- Les thèmes de recherche actuels 160

II.- LA PROTECTION ET L'INFORMATION DES CONSOMMATEURS 163

A.- LA RÉGLEMENTATION DE L'ABATTAGE ET DE LA DÉCOUPE 163

B.- L'ETIQUETAGE ET LA TRAÇABILITÉ DES PRODUITS 166

1.- La traçabilité 166

2.- L'étiquetage des aliments pour animaux 168

3.- L'étiquetage de la viande bovine 171

C.- LES CONTRÔLES 172

1.- Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) 172

2.- Les contrôles de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) 175

3.- Les contrôles de la direction générale de l'alimentation (DGAL) 181

4.- L'appréciation des contrôles 182

III.- LA LUTTE CONTRE L'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE 186

A.- L'ÉVOLUTION DE L'ÉPIZOOTIE D'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE 186

1.- Les caractéristiques de l'épizootie d'ESB 186

2.- La question de l'« ESB ovine » 201

B.- LES PRINCIPALES MESURES EN VIGUEUR 203

1.- L'embargo sur la viande et les produits bovins britanniques 203

2.- La suspension de l'utilisation des farines pour l'alimentation des animaux d'élevage 204

3.- L'abattage systématique du troupeau dans lequel un cas d'ESB a été détecté 208

a) Le principe de l'abattage total du troupeau 208

b) La contestation de l'abattage total du troupeau 210

4.- L'élimination des matériaux à risque et les méthodes d'équarrissage 213

5.- Le dépistage systématique et les tests 216

a) Les tests de dépistage 216

b) Les programmes mis en _uvre 219

c) Le choix du test 222

d) Les occasions manquées 224

IV.- L'AIDE À LA FILIÈRE 226

A.- LE PLAN GOUVERNEMENTAL DE SOUTIEN À LA FILIÈRE BOVINE (NOVEMBRE 2000) 227

B.- LES MESURES COMMUNAUTAIRES D'INTERVENTION SUR LES MARCHÉS (NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 2000) 228

C.- LE PROGRAMME GOUVERNEMENTAL D'AIDES DIRECTES AU REVENU (FÉVRIER 2001) 231

D.- LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE (FÉVRIER 2001) ET LES ÉLÉMENTS DE LA POSITION DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS SUR L'AIDE À LA FILIÈRE 234

V.- LA MAÎTRISE DES RISQUES SANITAIRES 236

A.- LA MAÎTRISE DES RISQUES SANITAIRES LIÉS AUX PRODUITS À HAUT RISQUE ISSUS DE L'ÉQUARRISSAGE 236

1.- les farines et les graisses à haut risque 236

2.- Les autres produits issus du traitement des matières à haut risque 238

3.- Les aspects financiers 240

B.- LA MAITRISE DES RISQUES SANITAIRES LIES AUX FARINES ET GRAISSES ISSUES DES PRODUITS ANIMAUX À BAS RISQUE 241

1.- La gestion du risque sanitaire issu de déchets à bas risque 241

2.- La gestion des risques sanitaires au lendemain de la décision du 14 novembre 2000 249

3.- Le stockage des farines et des graisses à bas risque après la décision du 14 novembre 2000 250

4.- La valorisation des farines et des graisses à bas risque 252


Suite du rapport : quatrième partie

Sommaire du rapport


TROISIÈME PARTIE : LA SITUATION ACTUELLE

Comme l'y invitait la résolution adoptée par l'Assemblée nationale, la commission d'enquête, après s'être livrée à un examen des faits passés, a établi un bilan de la situation actuelle. Ce bilan porte d'abord sur les mesures prises dans le domaine de la santé publique et de la recherche. Il porte également sur le dispositif de protection des consommateurs et de maîtrise des risques sanitaires de l'alimentation.

L'aspect humain ayant ainsi été analysé, la commission s'est préoccupée de l'aspect animal : où en est la lutte contre l'ESB ? Comment les difficultés de la filière sont-elles prises en charge par la collectivité ?

I.- LA SANTÉ HUMAINE ET LA RECHERCHE

A.- LE RÉSEAU D'ÉPIDÉMIOSURVEILLANCE FRANÇAIS DES ESST, LES PROJECTIONS DU NOMBRE DE CAS FUTURS DE LA NOUVELLE VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB ET L'ORGANISATION DE L'ACCOMPAGNEMENT DE CES CAS

1.- Le réseau français d'épidémiosurveillance des ESST

a) Le réseau français d'épidémiosurveillance est intégré dans un réseau international

Le réseau d'épidémiosurveillance des maladies de Creutzfeldt-Jakob a été créé en France en 1992. La surveillance de l'épidémiologie a ainsi été confiée à l'unité 360 de l'Inserm, dirigée par Mme Annick Alpérovitch. Ce réseau a toujours eu deux missions, à savoir surveiller et décrire l'incidence des maladies de Creutzfeldt-Jakob et définir les facteurs de risque desdites maladies.

En 1992, afin que le réseau soit connu des praticiens qui lui donneraient la matière première des analyses épidémiologiques réalisées en son sein, les responsables dudit réseau ont envoyé des courriers à chacun des services de neuropathologie des établissements français de santé. Il était demandé aux médecins spécialistes de ces services de signaler chaque suspicion d'un cas d'une des ESST humaines et, a fortiori, chaque cas confirmé. Le réseau d'épidémiosurveillance a élaboré puis transmis aux médecins spécialistes des services de neuropathologie des éléments de méthodologie, afin que les mêmes éléments symptomatiques ou d'analyse médicale aboutissent dans chacun desdits services, au même diagnostic de suspicion, de probabilité ou de confirmation. Selon M. Jean-Philippe Brandel, membre du réseau d'épidémiosurveillance, les relations avec les médecins spécialistes des services français de neuropathologie sont bonnes. Il précise que « quand ils ont un cas suspect, ils téléphonent facilement à l'unité. ».

A compter de 1993, le réseau français a été intégré dans un réseau européen puis international. Mme Annick Alpérovitch a ainsi décrit la création et le fonctionnement de ce réseau international :

« C'est un réseau qui a pour finalité non seulement de surveiller l'incidence de la maladie, mais aussi d'en définir les facteurs de risque. C'est un réseau qui a un objectif principal de recherche sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'est mis en place en 1993, c'est-à-dire avant que ne soit identifié le premier cas de nouveau variant, justement parce que les équipes et les pays qui sont impliqués dans ce réseau pensaient que, si l'agent de l'ESB passait à l'homme, il était essentiel pour s'apercevoir le plus vite possible de ce passage, de disposer de données solides sur la fréquence de la maladie dans différents pays européens, des pays peu ou pas du tout exposés à l'ESB et des pays très exposés.

Dans ce réseau européen, se trouvent la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, l'Autriche, l'Espagne, l'Allemagne, la Suisse et, plus récemment, le Canada et l'Australie, qui sont des pays non exposés à l'ESB car il était important d'avoir aussi des données épidémiologiques sur ces pays.

Les pays qui appartiennent à ce réseau, appelé Euro-CJD (1), sont des pays qui utilisent vraiment les mêmes méthodes de surveillance et de diagnostic. Nous nous réunissons au moins deux fois par an. Entre les réunions, les échanges d'informations sont permanents. Je pense que ces pays surveillent les maladies de Creutzfeldt-Jakob de manière identique et que les données obtenues sont comparables. ».

Il est fondamental de relever que l'existence de ce réseau a pour origine une initiative de chercheurs et d'épidémiologistes, qui ont donc envisagé dès 1992-1993, l'hypothèse d'un passage à l'être humain de l'agent pathogène de l'ESB. Ce réseau leur permettait de surveiller l'incidence des ESST humaines notamment au Royaume-Uni, en la comparant avec les situations d'autres pays, afin de déceler au plus vite, s'agissant de l'ESB, une évolution tendant à montrer que la barrière d'espèces avait été franchie. M. Jacques Drucker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire, a confirmé les propos de Mme Annick Alpérovitch. Selon lui, l'initiative de ces scientifiques « laisse supposer que les Anglais avaient déjà une arrière-pensée sur l'émergence de l'infection. [...]. Je reste persuadé que le démarrage de cette étude européenne était lié au souci de vérifier l'impact du développement de l'épidémie anglaise chez les bovins et l'éventualité d'une contamination humaine. ». Il faut noter que l'attention portée à l'évolution de l'épidémiologie des maladies de Creutzfeldt-Jakob était l'une des recommandations les plus développées et les plus argumentées du rapport Southwood.

Il existe un second réseau de surveillance des maladies de Creutzfeldt-Jakob. Créé en 1997, il regroupe les pays européens qui ne participent pas au réseau Euro-CJD. Ce second réseau a uniquement un objectif de surveillance et ne réalise pas d'études concernant les facteurs de risque associés aux ESST humaines.

S'agissant de la France, à compter de l'inscription des ESST sur la liste des maladies à déclaration obligatoire au mois de septembre 1996, chaque ESST a été signalée au réseau national de santé publique, puis à l'institut de veille sanitaire (IVS), qui s'est substitué audit réseau en vertu des articles 2 à 5 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Dès lors, l'Institut de veille sanitaire devenait naturellement le c_ur d'un réseau d'épidémiosurveillance des ESST humaines. Il était nécessaire d'éviter que deux institutions, le réseau français de surveillance créé en 1992 et l'IVS, s'acquittent chacune de la même tâche. Selon M. Jacques Drucker, dès 1996, « Les deux systèmes ont immédiatement convergé de façon à travailler en synergie et vérifier les informations des uns et des autres. Ce dispositif a été formalisé, en 2000, sous l'appellation de réseau national de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et des maladies apparentées. ».

b) Les examens scientifiques permettant au réseau d'épidémiosurveillance français le recueil des informations relatives à l'incidence des ESST humaines

Depuis 1996, chaque suspicion d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob, au regard des manifestations cliniques observées chez un patient, fait l'objet d'un test, qui consiste à rechercher la protéine dite 14-3-3 dans le liquide céphalorachidien des patients. Mme Annick Alpérovitch a évoqué devant notre commission d'enquête les caractéristiques de ce test :

« Il n'est absolument pas spécifique de la maladie ; il donne une orientation diagnostique mais, en aucun cas, un diagnostic. Quand je dis qu'il n'est pas spécifique, c'est qu'il peut aussi être positif pendant la phase aiguë d'accidents vasculaires cérébraux, dans certaines encéphalopathies et dans certains tableaux de crises épileptiques ; donc, dans des tableaux cliniques très différents de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Mis au point en 1996-1997, il est actuellement très largement utilisé par tous les neurologues en France devant tout tableau neurologique qui n'a pas de diagnostic immédiat. En fait, il est plus souvent prescrit par les neurologues pour écarter une maladie de Creutzfeldt-Jakob que pour faire un diagnostic positif. Toutefois, lorsque ce test est positif, il rend très probable le diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Entre 1996 et aujourd'hui, on a observé une très large utilisation de ce test par la communauté neurologique en France. Je dis en France, parce que c'est assez particulier à la France. Dans les autres pays européens, ce test n'est pas aussi largement utilisé.

En 2000, il y a eu environ 1 000 prescriptions de ce test devant des tableaux neurologiques pour lesquels le diagnostic n'était pas immédiat. Très souvent, entre le moment où le test est prescrit et celui où son résultat est transmis au neurologue, un autre diagnostic que celui de maladie de Creutzfeldt-Jakob est déjà affirmé....

Ce test est pratiqué par quatre ou cinq laboratoires en France, dont celui de Lariboisière qui pratique plus de 80 % de ces tests. Chaque fois qu'une demande de test est adressée à l'un de ces laboratoires, ce dernier nous transmet les coordonnées du service qui a fait cette demande, ainsi que celles du malade concerné. Notre unité qui a en charge la coordination prend alors contact avec le service pour suivre l'évolution de ce cas et soit infirmer soit confirmer le diagnostic, dans la mesure du possible, jusqu'à l'autopsie. ».

Le test de recherche de la protéine 14-3-3 est donc largement prescrit par les neuropathologistes français, dès lors qu'un diagnostic est difficile à établir. Un résultat positif est considéré comme rendant probable un diagnostic d'un cas sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'agit donc d'un test utile mais qui ne peut pas être considéré comme un test spécifique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il faut relever, par ailleurs, l'appréciation de M. Roger-Gérard Schwartzenberg concernant ce test. Il a en effet précisé qu'il s'agissait « d'une méthode douloureuse et lourde consistant en une ponction dans le liquide céphalorachidien. ».

Il existe aujourd'hui un autre test ante mortem, que nous avons déjà évoqué dans la partie relative aux maladies humaines et animales, concernant l'établissement d'un diagnostic de probabilité de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il a été montré que dans cette maladie, la PrPres était présente dans les amygdales du patient. Dès lors, l'analyse d'un prélèvement issu d'une biopsie d'amygdales constitue un facteur important dans l'établissement du diagnostic.

Il reste que l'unique examen permettant l'établissement d'un diagnostic définitif est l'étude post mortem des tissus du cerveau du patient, afin d'y constater, le cas échéant, la présence des éléments caractéristiques d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob comme les dépôts protéiques ou la forme spongieuse du cerveau. Or il apparaît que cet examen n'est pas pratiqué dans chaque cas où le décès est présumé avoir pour cause une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il n'est pas aisé de déterminer la proportion des cas pour lesquels cet examen est effectivement réalisé. Pour Mme Annick Alpérovitch, cette proportion est « actuellement de 60 %, c'est à dire que l'on arrive à avoir un diagnostic de certitude pour 60 % des patients qui meurent avec un diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob probable. ». Selon M. Jacques Drucker, elle « plafonne aux environs de 50-55 % ». Enfin, selon M Lucien Abenhaïm, « environ 65 % d'autopsies sont acceptées ». A tout le moins, il semble qu'aucune des personnes que la commission a entendues ne se satisfasse de ce taux, qu'il serait ainsi souhaitable d'améliorer.

En toute rigueur, la réglementation actuelle n'exclut un tel examen que dans le cas où le patient a manifesté la volonté que ledit examen ne soit pas pratiqué, et l'a fait inscrire au registre des refus. En pratique, les médecins recueillent l'avis de la famille du patient. Personne ne semble remettre en cause le fait que cette pratique médicale se fonde sur l'accord de la famille. Dès lors, si la proportion des examens consistant en un prélèvement de tissus du cerveau doit être augmentée, il est nécessaire d'améliorer le dispositif de contact avec la famille, afin que la proportion des cas dans lesquels celle-ci refuse cet examen soit réduite. Selon M. Jacques Drucker, les médecins doivent être sensibilisés à l'importance capitale de cet examen dans l'établissement d'un diagnostic définitif. Selon lui, « ...nombre de médecins considèrent qu'une autopsie n'est pas nécessaire pour faire le diagnostic d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob... ». Dès lors, « Beaucoup de médecins ne sont pas convaincants auprès des familles pour leur expliquer la situation, sauf lorsqu'il s'agit d'un cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob survenant chez un sujet jeune, comme c'est le cas pour la nouvelle variante ».

Selon notre collègue Pierre Hellier, il est nécessaire de savoir choisir les mots avec lesquels les médecins demandent l'autorisation de pratiquer cet examen aux familles des patients pour lesquels ledit examen est envisagé. Le terme « autopsie », très largement utilisé par les personnes que la commission d'enquête a entendues et par la réglementation en vigueur (2), lui semble inapproprié car tendant à évoquer un examen d'une gravité extrême, susceptible de mutiler une grande partie du corps de la personne décédée. Il semble que le vocable « prélèvement » pourrait être utilisé, afin de décrire de façon plus précise la nature de l'examen. On note qu'un dictionnaire des termes médicaux définit l'autopsie comme « l'inspection et la description de toutes les parties du cadavre » (3). Il s'agit donc d'un examen qui est manifestement différent de l'examen post mortem pratiqué afin d'établir de façon définitive le diagnostic d'une des maladies de Creutzfeldt-Jakob.

Selon M. Jacques Drucker, d'autres raisons expliquent pourquoi la proportion des cas dans lesquels un décès probablement dû à une maladie de Creutzfeldt-Jakob est suivi d'un examen des tissus du cerveau de la personne décédée, demeure insatisfaisante. Selon lui, en effet, « cette activité est difficile à développer au sein des établissements hospitaliers, en raison d'un certain nombre de difficultés administratives (4) voire financières qu'elle génère pour eux. Elle nécessite des conditions de sécurité importantes, et, par conséquent, des investissements pour mettre en conformité des installations pas toujours adaptées à des autopsies. Il convient aussi de reconnaître que cette activité n'est pas très valorisée, ni très valorisante pour la communauté médicale.

A titre d'information, le réseau national de surveillance termine actuellement une analyse de ce problème, laquelle a pour objet de faire des recommandations à la direction des hôpitaux et au directeur général de la santé en vue de renforcer la capacité de certains établissements hospitaliers à pratiquer des autopsies. ». Il convient de dire que ces recommandations doivent avoir pour but d'éviter qu'aucun élément administratif ou financier n'entrave à l'avenir la pratique de l'unique examen permettant un diagnostic définitif, s'agissant des ESST humaines.

A tout le moins, il serait souhaitable de parvenir à ce que 70 % des décès dont la cause est probablement une ESST, donnent lieu à un prélèvement de tissu du cerveau des patients concernés. Selon Mme Annick Alpérovitch, « nous aurons du mal à aller au-delà ».

c) Depuis la création du réseau français d'épidémiosurveillance des ESST, l'incidence statistique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique a doublé

Cette tendance est mise en lumière par le tableau suivant, établi par l'IVS :

Nombre de cas certains ou probables de MCJ en France (1)

(mise à jour du 2 mai 2001)



Année


Suspicions
signalées


MCJ sporadique
décédée

MCJ iatrogène hormone de croissance décédée (2)


Autre MCJ iatrogène
décédée


MCJ génétique
décédée
 
(3)


vMCJ certain ou probable décédée


vMCJ probable non décédée



Total MCJ

1992

71

38

7

2

4

0

0

51

1993

63

35

12

1

7

0

0

55

1994

93

46

4

2

7

0

0

59

1995

114

59

8

1

6

0

0

74

1996

201

68

10

0

10

1

0

89

1997

296

80

6

1

4

0

0

91

1998

459

79

8

1

13

0

0

101

1999

590

92

8

0

5

0

0

105

2000

825

81

9

0

5

1

0

96

2001

376

16

3

0

0

1

0

20

(1) Les données de l'année 2000, en particulier celles sur la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ne sont pas définitives et seront complétées au cours du premier semestre 2001.

(2) 4 décès de MJC iatrogènes par hormone de croissance extractives sont survenus en 1991.

(3) Cette colonne comptabilise les MCJ génétiques proprement dites, les cas d'insomnie fatale familiale et les syndromes de Gertsmann-Sträussler-Scheinker.

Source : Institut de veille sanitaire.

Depuis 1992, l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est passé de 0,7 cas par an et par million d'habitant à 1,4 cas par an et par million d'habitant. Cette tendance a été observée dans chaque pays du groupe Euro-CJD ayant ainsi mis en _uvre une surveillance intensive des maladies de Creutzfeldt-Jakob. Selon Mme Annick Alpérovitch, « l'interprétation de cette tendance est qu'une meilleure surveillance, plus active, permet de détecter des cas qui, auparavant, passaient inaperçus. ».

La prescription du test de détection de la protéine 14-3-3, depuis 1996, a eu aussi pour effet de mettre en lumière un certain nombre de cas sporadiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui, auparavant, pouvaient être classés dans d'autres catégories de démence. Ce constat a notamment été fait s'agissant de personnes âgées. C'est d'ailleurs parmi les patients les plus âgés que l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique a le plus augmenté au cours des dix dernières années. Selon Mme Annick Alpérovitch, l'augmentation de l'incidence de cette maladie due à une meilleure détection des cas correspondants est terminée. Selon elle, « nous devrions observer une stabilisation de l'incidence de la maladie sporadique. ».

La question a été posée de savoir dans quelle mesure des cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob auraient pu ne pas être détectés par les systèmes français ou étrangers d'épidémiosurveillance ou si de tels cas auraient pu être assimilés à des cas sporadiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Mme Annick Alpérovitch estime que dans les pays dont le réseau d'épidémiosurveillance des ESST est semblable à celui existant en France, le risque « de passer à côté d'un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob...est vraiment très faible. ». Selon elle, les caractéristiques cliniques de la nouvelle maladie, l'âge moyen des patients atteints par cette maladie, ainsi que l'extrême sensibilisation du public et des médecins à celle-ci, constituent des éléments qui réduisent en grande partie la possibilité qu'un tel cas puisse ne pas être détecté ou être diagnostiqué sous une autre pathologie.

Selon M. Lucien Abenhaïm, « il semble peu probable que le nombre de cas [de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob] fasse l'objet d'une sous-estimation importante. ». S'il émet l'hypothèse d'une sous-estimation de un à trois de ces cas, il estime que la perception que nous avons de l'incidence de la maladie en France n'en serait pas modifiée. Autrement dit, dans le cas très peu probable où notre système d'épidémiosurveillance n'aurait pas détecté chaque cas français de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le nombre des cas non détectés serait trop faible pour modifier substantiellement l'incidence de la maladie.

M. Jacques Drucker a néanmoins attiré l'attention de notre commission d'enquête sur un risque potentiel analogue. En effet, selon lui, « il est vraisemblable que quelques maladies dégénératives neurologiques des personnes âgées, étiquetés maladie d'Alzheimer, sont en fait des maladies de Creutzfeldt-Jakob. C'est un phénomène difficile à quantifier. Si on assistait, dans les années à venir, à un vieillissement des cas de nouvelle variante, on devrait clairement se poser la question de savoir comment améliorer la détection, parmi toutes les maladies dégénératives, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez les sujets plus âgés. ». Il est donc nécessaire d'améliorer encore la détection des maladies de Creutzfeldt-Jakob au sein des maladies dégénératives du système nerveux, à laquelle la création du système français d'épidémiosurveillance a déjà significativement contribué.

2.- Les projections du nombre de cas futurs en France de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'accompagnement du patient et de sa famille au cours de la maladie

a) Les projections du nombre de cas futurs en France de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

Il convient en premier lieu de noter l'extrême prudence avec laquelle on doit appréhender les projections concernant le nombre des cas futurs de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Pour le Dr. Dominique Dormont « si l'on reste sur un strict plan scientifique, je ne vois pas comment on pourrait quantifier aujourd'hui. ». Cette appréciation rejoint une explication scientifique qu'il avait livrée devant les parlementaires réunis lors de la journée de travail du 21 novembre 2000, organisée par l'OPSCT, consacrée aux maladies à prions :

« Sur un plan des estimations scientifiques des risques de santé publique, en particulier, puisque c'est le thème de cette session, pour ce qui est de l'homme, il manque un certain nombre de connaissances. La première des connaissances qui nous manque est la dose minimale infectieuse pour l'homme. Nous ne savons pas aujourd'hui quelle est cette dose minimale infectieuse.

Deuxième point critique : quels sont les effets de doses sub-infectieuses, c'est à dire en dessous de la dose infectieuse, mais administrée de façon répétée dans le temps.

Troisième inconnue : la durée de la période d'incubation chez l'homme en fonction de la dose à laquelle il a été exposé.

Dernier point : la force de la barrière d'espèces entre le bovin et l'homme.

Ces 4 points, qui sont critiques pour essayer par exemple d'estimer le nombre de cas à venir de nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt-Jakob, ne sont pas encore connus. ».

Il est donc nécessaire de garder à l'esprit ces précisions.

Les estimations existantes concernant le nombre de cas futurs en France de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été calculées à partir de travaux épidémiologiques réalisés par des scientifiques britanniques et publiés durant l'année 2000. Il s'agit des travaux, que nous avons déjà évoqués, de l'équipe du professeur Roy Anderson de l'université d'Oxford. Cette équipe s'est efforcée de rassembler les connaissances scientifiques et épidémiologiques relatives à la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, et a émis des hypothèses concernant les éléments qui demeurent inconnus et qui sont en fait les éléments évoqués par M. Dominique Dormont, notamment la dose infectante et la durée d'incubation de la maladie au regard de cette dose. La modification des paramètres relatifs aux éléments inconnus a permis de fixer plusieurs millions de situations potentielles futures. A chacune de ces situations correspond un nombre de victimes humaines de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

L'importance des éléments non connus est telle que la situation la plus favorable aboutit à un nombre de 70 victimes et la situation la plus défavorable aboutit à un nombre de 136 000 victimes et ce, uniquement au Royaume-Uni. Il apparaît cependant que la plupart des situations envisagées correspond à un nombre de victimes proche de 6 000.

A partir de ces résultats concernant le Royaume-Uni, l'évaluation du nombre de cas futurs de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans notre pays doit être élaborée à partir de la comparaison des expositions au risque respectives subies par les deux populations. Mme Annick Alpérovitch estime qu'« En France, il y a trois sources d'exposition de la population à l'agent de l'ESB : les importations en provenance des Îles britanniques, l'ESB dans le cheptel français, et les séjours en Grande-Bretagne d'une partie de la population française. ». Il semble que les épidémiologistes français estiment que l'exposition au risque de la population française a été dix à vingt fois plus faible que l'exposition au risque subi par la population du Royaume-Uni. M. Lucien Abenhaïm a livré ainsi le chiffre de 200 à 500 personnes susceptibles d'être atteintes en France par la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en prenant pour base le nombre de 6 000 victimes au Royaume-Uni.

Une méthode plus empirique consiste à comparer l'épidémiologie de la maladie humaine au Royaume-Uni et en France. A la date du 4 mai 2001, 99 personnes sont décédées ou présentent les signes cliniques de la maladie au Royaume-Uni, contre 3 en France. Si on projette le rapport des nombres de victimes, il y aurait trente-trois fois moins de personnes atteintes en France qu'au Royaume-Uni, soit environ 180 victimes si le nombre de 6 000 est retenu pour le Royaume-Uni. Cependant, selon Mme Annick Alpérovitch, « il serait imprudent de conclure si vite, parce que l'on peut penser que nos cas seront décalés par rapport aux cas anglais », ce qui signifie que l'écart entre les nombres des victimes au Royaume-Uni et en France devrait se réduire un peu au fil du temps, tout en restant important.

Voilà ce qu'est aujourd'hui l'état des prévisions épidémiologiques s'agissant du passage de l'ESB à l'être humain. Il reste à savoir si ces quelques chiffres entourés de beaucoup d'incertitudes peuvent être aujourd'hui utiles. M. Lucien Abenhaïm nous a confié qu'il n'était « pas hostile au fait que nous affichions en France une position un peu plus officielle sur la prédiction épidémique, en tout cas que l'on puisse le faire plus régulièrement. ». Il semble néanmoins que la portée dans l'opinion publique des prédictions rendues dans ce domaine par les autorités publiques impose qu'une position officielle sur ce sujet soit basée sur des connaissances scientifiques plus précises s'agissant des éléments non connus que M. Dominique Dormont a énumérés lors de la journée de l'OPSCT consacrée aux maladies à prions et sur une évaluation détaillée des expositions au risque comparées de la population britannique et de la population française.

A tout le moins, aucune des personnes auditionnées par notre commission d'enquête n'a émis l'idée, même implicite, qu'il n'y aurait plus de cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France.

b) Le nécessaire accompagnement du patient et de sa famille au cours de la maladie

Il faut donc préparer les structures sanitaires françaises aux futurs cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il faut imaginer une prise en charge du patient et de sa famille, qui prenne en compte les caractéristiques de cette maladie. La maladie est assez rapidement invalidante, ce qui oblige les proches de la victime, souvent les parents de celle-ci, puisque ladite maladie concerne souvent de jeunes adultes, à lui consacrer une grande partie de leur temps. La maladie, parce qu'elle est mortelle et parce que ses symptômes sont une régression physique et psychique sévère de la victime, est extrêmement traumatisante pour les proches. La maladie s'accompagne de fortes angoisses, d'hallucinations cauchemardesques et de douleurs.

Bien sûr, les médecins britanniques ont été les premiers à tenter de cerner ce que pourrait être une prise en charge globale et adaptée du patient et de sa famille par les autorités sanitaires. En février 1999, trois médecins britanniques ont établi et rendu public un rapport (5) intitulé « les patients atteints de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et leur famille : les besoins de prise en charge et d'information ». Ce long rapport rassemble avant tout les témoignages de dix-neuf familles de victimes de la maladie.

Il est appréciable qu'une partie importante des recommandations faites par ces médecins aient été reprises dans une circulaire du 14 mars 2001 relative à la prise en charge des personnes atteintes d'encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles, signée par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Mme Elisabeth Guigou et le ministre délégué à la Santé, M. Bernard Kouchner et adressée aux préfets de région, aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation et aux préfets de département. Il est important de noter que cette circulaire concerne toutes les ESST humaines.

Les destinataires de la circulaire sont invités à accorder « aux personnes et aux familles qui la sollicitent, une aide d'urgence, s'imputant sur le chapitre 46-33, article 50 du budget de l'Etat, afin de couvrir de manière forfaitaire les dépenses exceptionnelles liées à la maladie, non prises en charge par la sécurité sociale, et notamment l'assistance à la personne rendue nécessaire par l'extrême gravité de la maladie. Cette aide sera accordée dans la limite de 200 000 francs... ».

Afin que la prise en charge des familles et des patients soit coordonnée entre chaque service que lesdites familles rencontreront, « Pour tout patient chez lequel est posé un diagnostic de probabilité de MCJ, il est recommandé qu'une personne référente soit nommément désignée par l'équipe soignante, en accord avec la famille, afin de coordonner la prise en charge du patient et de sa famille, quel que soit l'endroit où a lieu la prise en charge. Ce pourra être, notamment, un assistant social ou un membre du personnel soignant du service hospitalier, une personne du service d'hospitalisation à domicile, ou un assistant social intervenant sur le secteur géographique où vivent le patient et sa famille, selon les disponibilités locales et avec l'accord de la famille. ».

Le rôle du référent est de faciliter :

«- la coordination de l'évaluation et de la réévaluation des besoins du patient,

- la coordination de l'évaluation des besoins de la famille et des aidants pour l'accès aux différents types d'aides sociales,

- la communication entre les professionnels fournissant des soins,

- l'accès à des structures d'accueil temporaire, en cas de besoin,

- l'accès à des aides financières,

- l'accompagnement psychologique de la famille et des aidants,

- l'apport d'informations et d'aide à la famille pour la prise des décisions en fin de vie,

- l'accès à un soutien psychologique et à un suivi d'accompagnement de la famille après le décès du patient. ».

Des conseils de précaution sont donnés aux médecins qui auront la charge de livrer aux familles le diagnostic de probabilité de la maladie. Par ailleurs, selon cette circulaire, « il convient de veiller tout particulièrement à l'organisation optimale des soins infirmiers et paramédicaux, de l'aide à la vie quotidienne, du soutien psychologique y compris des proches, de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs. ». Dans les cas iatrogènes par l'hormone de croissance, ainsi que dans les cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il est rappelé que les premiers symptômes sont souvent d'ordre psychiatrique, ce qui nécessite une coordination étroite entre les services psychiatriques et les services de neuropathologie, afin que le diagnostic probable d'une ESST soit établi le plus rapidement possible et, avant tout, afin qu'un diagnostic erroné ne soit pas livré à la famille dans les premiers temps de la maladie. Il est souhaitable, enfin, que l'hospitalisation ait lieu à domicile.

La circulaire décrit les aides financières allouées aux familles, selon le droit commun de l'aide sociale dans son volet consacré aux personnes handicapées. Les règles fiscales relatives à l'emploi de personnes à domicile sont énumérées.

Il conviendra de compléter ce dispositif par chacune des mesures qui, à l'avenir, s'avérerait utiles, afin de soulager, autant qu'il sera possible, la douleur des patients et de leur famille.

B.- L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE FRANÇAISE EN MATIÈRE D'ESST ET LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

1.- La recherche française est désormais organisée en un groupement d'intérêt scientifique (GIS)

a) La recherche française concernant les maladies à prions existe depuis les années 1970, mais a longtemps eu des difficultés pour s'organiser

· Avant 1992, la recherche française sur les maladies à prions est constituée de quelques initiatives isolées

La recherche française sur les maladies à prions a pour origine une commande du début des années 1970 de Carleton Gajdusek, qui avait étudié la maladie du Kuru affectant la tribu des Fore en Papouasie-Nouvelle-Guinée, commande qu'il a adressée au centre de recherche du service de santé des armées (CRSSA). Le chercheur américain souhaitait connaître les capacités de radiorésistance des ATNC, notamment celui spécifique à la maladie du Kuru. Il s'est adressé au CRSSA car celui-ci avait une compétence mondialement reconnue concernant l'étude du cerveau des primates, notamment l'exposition de cet organe aux radiations. Il était donc demandé au CRSSA d'user de sa compétence après inoculation d'une ESST à des singes.

Après cet épisode d'initiation, le CRSSA, aidé par la direction de la recherche et des études techniques (DRET) du ministère de la Défense et par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), entreprend la poursuite de recherches concernant les ATNC. L'étude des électroencéphalogrammes de chimpanzés infectés expérimentalement par une maladie de Creutzfeldt-Jakob, permet de découvrir que la manifestation électroencéphalographique de cette maladie précède de beaucoup les premiers signes cliniques. Les expériences menées par le CRSSA permettent d'établir les degrés d'efficacité respectifs des modalités d'inoculation des ESST. Il apparaît que l'injection intracérébrale de matériels infectés constitue la modalité de transmission la plus efficace. Le CRSSA établit que la contamination par voie orale peut être efficace dans le cas de l'ingestion par un singe de matériels contaminés par des maladies de Creutzfeldt-Jakob humaines. Certaines molécules sont utilisées avec succès afin de retarder le développement des ESST, qui demeurent néanmoins toujours fatales. Les équipes du CRSSA parviennent à obtenir le développement d'une ESST chez le chat, présentant un tableau clinique proche de celui qui sera établi par la suite pour décrire l'insomnie fatale familiale chez l'homme.

A compter du début des années 1980, le CRSSA s'associe à des vétérinaires français afin d'étudier la tremblante du mouton. Des collaborations ponctuelles sont ainsi initiées avec des spécialistes civils de la pathologie du bétail. Dans le même temps, il est décidé de suivre l'évolution des ESST chez les rongeurs. Des études épidémiologiques sur les ESST humaines et sur leurs liens éventuels avec des ESST animales, notamment la tremblante, sont décidées.

La première collaboration entre deux laboratoires de recherche s'agissant des ESST et dépassant le simple contact professionnel entre chercheurs a lieu à cette époque entre le CRSSA et le CEA. Une équipe mixte, composée de chercheurs des deux entités, est créée et s'établit dans les locaux du laboratoire du CEA de Fontenay-aux-Roses. Son animation et sa direction sont confiées au Dr. Dominique Dormont. D'autres équipes de chercheurs, à l'Inserm, à l'INRA et dans les écoles vétérinaires travaillent également sur les maladies à prions.

Il faut noter que c'est à l'occasion du troisième congrès international de l'association pour l'avancement des sciences en neurobiologie, qui avait lieu au mois de mars 1996 et dont certains des organisateurs étaient les médecins du CRSSA spécialistes des ESST, que les participants britanniques ont quitté les travaux dudit congrès avant son terme, afin de répondre à l'appel de leur gouvernement, qui était sur le point d'annoncer le lien probable entre l'ESB et certains cas récents d'une nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

· A compter de 1992, le thème de l'organisation de la recherche française sur les maladies à prions est entre les mains des autorités publiques

Le 6 avril 1992, M. Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie adresse une lettre de mission au Dr. Dominique Dormont. Évoquant l'ESB, le ministre indique que « l'état actuel des connaissances ne permettrait pas de se prononcer sur le risque éventuel d'une transmission à l'homme. ». Il demande l'établissement d'un bilan des connaissances et des recherches en cours concernant l'ESB. Enfin, il sollicite des « recommandations en matière de développement de la recherche. ».

On note que dans les conclusions qu'il adresse la même année au ministre de la Recherche et de la Technologie, M. Dominique Dormont estime que « l'alimentation à base de viande bovine et l'utilisation de matériaux biologiques d'origine humaine, bovine ou ovine pose donc un problème important... ». Il a d'ailleurs présenté devant notre commission d'enquête les principales conclusions du rapport qu'il a remis à M. Hubert Curien en 1992 :

« Ce rapport concluait à la nécessité de renforcer les équipes, puisqu'elles étaient très peu nombreuses à travailler sur le sujet : il demandait modestement un doublement ou triplement des effectifs, ce qui ne représentait pas grand chose. Il proposait également la création d'un groupement d'intérêt scientifique (GIS) visant à coordonner cette recherche afin qu'elle ne parte pas dans toutes les directions, et insistait sur la nécessité de créer en France des structures d'études des maladies émergentes et de réponse à ces maladies, structures qui n'existaient pas et qui n'existent d'ailleurs toujours pas. Telles étaient, présentées de façon schématique, les propositions qui étaient faites dans ce rapport. ».

La proposition du Dr. Dominique Dormont portant sur la création d'un GIS n'a pas été retenue. Pourtant, selon lui, « le ministre a décidé la création du groupement d'intérêt scientifique (GIS). ». Les organismes scientifiques n'ont cependant pas accueilli cette perspective avec enthousiasme. Après le changement de majorité parlementaire du printemps 1993, « le GIS a...été enterré. ». Selon M. Roger-Gérard Schwartzenberg, les raisons pour lesquelles le GIS n'a pas été créé dès 1992 sont différentes. Selon lui, « pour arriver à rassembler et conjuguer les efforts, il faut pouvoir disposer d'un nombre d'experts suffisant. Le problème que nous avons rencontré jusqu'à une date récente était le nombre réduit de spécialistes travaillant sur les maladies à prions ou, plus encore, sur la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Pour mobiliser, coordonner et équiper des scientifiques, il faut disposer d'un nombre suffisant de chercheurs spécialisés...le GIS,...aurait présenté moins d'efficacité s'il avait été constitué plus tôt. ».

Après cet échec, le Gouvernement décide en 1995, pour la première fois, d'un financement dédié spécifiquement à la recherche sur le prion. Dès 1994, le ministère de la Recherche prépare des actions concertées. En 1995, il en sélectionne quatorze dont une concerne la biopathologie du prion.

Dès sa création le 17 avril 1996, le comité interministériel sur les ESST reçoit pour mission de proposer puis d'évaluer un programme de recherche commun aux organismes scientifiques susceptibles de s'intéresser à la recherche sur les maladies à prions. En conséquence, une convention entre le Gouvernement, le CNRS, le CEA, l'INRA, l'INSERM et le centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA) est signée le 4 novembre 1996, afin de coordonner les recherches relatives aux maladies à prions de chacun desdits organismes et afin de mettre en commun certains moyens matériels. Par la suite, par des avenants à la convention initiale, l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ainsi que l'IVS sont associés à ce réseau.

Les crédits publics destinés à ce réseau se sont élevés en 2000 à 70 millions de francs, dont 20 millions de francs au titre du Fonds national de la science, 33 millions de francs au titre des salaires et 17 millions de francs au titre des crédits de laboratoire. Selon les chercheurs que nous avons auditionnés, le montant de ces crédits est non négligeable, voire élevé. Ces crédits ont contribué à l'élaboration par le CEA d'un test de dépistage de l'ESB, aujourd'hui commercialisé par la firme Bio-Rad. Par ailleurs, des progrès ont pu être réalisés s'agissant de la structure de la protéine prion et de son rôle physiologique quand elle n'est pas pathogène. De premières recherches thérapeutiques ont été mises en _uvre, à l'aide notamment de molécules dérivées de l'Amphotéricine B.

Selon M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ces « moyens mis en place ont donc eu un premier résultat positif, qui constitue un socle pour le développement des recherches et, à partir de ce socle, il faut aller plus loin et amplifier l'effort de recherche. C'est sur cette base que j'ai proposé au Premier ministre, qui l'a accepté, la constitution d'un groupement d'intérêt scientifique (GIS) doté de moyens nouveaux, afin de donner un nouvel élan aux recherches menées en France sur les ESST. ».

b) La création du GIS et l'augmentation des moyens financiers attribués à la recherche scientifique sur les maladies à prions

Une présentation très précise du GIS a été livrée à notre commission d'enquête par M. Roger-Gérard Schwartzenberg :

« Le groupement d'intérêt scientifique, qui s'appelle « Infections à prion » a plusieurs objets :

- coordonner et harmoniser les actions conduites par chacun des partenaires dans le domaine de recherche visant à avancer dans la connaissance, la prévention et le traitement des infections à prion. A cet égard, les réseaux d'équipes et le développement d'infrastructures à usage partagé sont favorisés ;

- contribuer à décider de la répartition des moyens spécifiques alloués par l'Etat et de leur utilisation optimale, en liaison avec les moyens propres affectés à la recherche sur les infections à prions par les partenaires ;

- susciter de nouveaux programmes de recherche et inciter de nouvelles équipes à s'impliquer dans ce type de recherche ;

- assurer l'animation et le suivi de travaux entre les partenaires et les tiers ;

- assurer le lien avec les programmes de recherche de l'Union européenne, des Etats membres et des pays tiers.

Grâce à l'accord du Premier ministre, qui l'a annoncé le 14 novembre 2000, le ministère de la Recherche a obtenu le triplement, dès l'année 2001, des moyens consacrés à la recherche sur les ESST et les prions. Ces moyens, qui étaient de 70 MF en 2000, passent à 210 MF en 2001, grâce à une mesure nouvelle de 140 MF inscrite en loi de finances initiale pour 2001. Ces moyens supplémentaires serviront : à renforcer les infrastructures de recherche sur les ESST, en particulier les animaleries protégées et les plates-formes techniques ; à renforcer les moyens des programmes de recherche ; à renforcer le potentiel de recherche par le recrutement de cent vingt chercheurs, ingénieurs et techniciens supplémentaires dans les organismes de recherche concernés, dont cent sont recrutés dès 2001, et vingt en 2002 et 2003. Cent personnels de recherche sont donc recrutés dès cette année 2001, dont vingt-cinq post-doctorants.

Ce GIS est formé par plusieurs partenaires. Tout d'abord trois ministères : le ministère de la Recherche, le ministère de l'Agriculture et le ministère délégué à la Santé. Il comporte la présence de tous les organismes de recherche concernés : le CNRS, l'INRA, l'INSERM, le CEA, ainsi que l'Institut Pasteur de Paris. Il comporte aussi la présence des trois agences concernées : l'AFSSA, l'AFSSAPS et l'Institut de veille sanitaire.

Ce GIS est doté d'un comité directeur et d'un conseil scientifique. Le comité directeur se compose de onze membres, représentant chacun des partenaires, avec voix délibérative. Le comité directeur délibère sur la définition et la mise en _uvre, dans le cadre des actions définies par l'Etat, de l'ensemble des actions de recherche sur les prions, examinées ou proposées par le conseil scientifique, et propose la répartition des moyens consacrés à ces recherches. Pour bien marquer notre volonté de réunir tous les acteurs des recherches sur les prions, nous avons souhaité associer les universités et les écoles vétérinaires. Ainsi, un représentant de la Conférence des présidents d'université, le vice-président de cette conférence qui est chargé de la recherche, le Pr. Feuieurstein, et un représentant des écoles vétérinaires, le Pr. Moraillon, siègent l'un et l'autre au comité directeur du GIS avec voix consultative.

Parmi les tâches qu'a eu à effectuer le comité directeur, la première a été de désigner le conseil scientifique. Le conseil scientifique est présidé par le Dr Dormont, qui a été élu par ses pairs le 6 mars 2001. Ce conseil scientifique est composé de quinze membres, dont trois membres étrangers. Nous souhaitions, en effet, qu'il y ait une participation forte, de l'ordre d'un cinquième, de membres étrangers. Il s'agit d'un professeur belge, le Pr. Burni, d'un professeur américain, M. Paul Brown, et du très grand spécialiste suisse, M. Kurt Wüttrich.

Ce conseil scientifique élabore la réflexion stratégique dans le cadre des grands axes définis par l'Etat. Il se prononce sur les programmes de recherche proposés ou en cours dans les organismes partenaires. Il identifie de nouvelles équipes susceptibles de participer aux programmes. Il développe les contacts avec les institutions et organismes tiers susceptibles d'être concernés par les programmes de recherche. Enfin, outre le comité directeur et le conseil scientifique, il existe un secrétariat général du GIS, placé sous l'autorité d'un secrétaire général, de manière à assurer le suivi de l'exécution des actions du GIS. Cette fonction est exercée par M. François Hirsch, directeur de recherche à l'INSERM. 

Tel est le cadre général de la structure qui a été créée à la fin de l'année 2000 et installée officiellement le 24 janvier 2001, après une très large consultation entre partenaires, pour déterminer la manière la plus efficace d'agir. ».

On ne peut qu'approuver le triplement des crédits publics consacrés à la recherche sur les ESST. Il est par ailleurs appréciable que des chercheurs étrangers soient associés à la réflexion des chercheurs français s'agissant du choix des projets scientifiques au financement desquels le GIS contribuera. En effet, si les moyens de la recherche peuvent être nationaux, les travaux et les conclusions auxquels ces moyens contribuent ont vocation à être publiés au-delà de nos frontières. Il est donc naturel que les décisions portant sur le choix desdits travaux relèvent, en partie d'un éclairage étranger. Il s'agit ainsi de contribuer à la concrétisation de la pensée de Louis Pasteur, que M. Roger-Gérard Schwartzenberg a rappelé devant notre commission d'enquête, selon laquelle la science n'a pas de patrie. Enfin, on remarque que le GIS parvient à rassembler les organismes qui ont une vocation naturelle à se consacrer aux ESST et qui, d'ailleurs, à l'exemple de l'INRA s'agissant de la tremblante, s'y sont consacrés depuis longtemps, et les organismes ayant développé une compétence historique concernant ces maladies, à l'exemple du CEA.

Le GIS « infections à prion » n'a été créé que le 24 janvier 2001, alors que le ministre de la Recherche et de la Technologie avait été saisi d'une proposition allant dans ce sens dès 1992. Il est dommage que cette décision n'ait pu être prise à cette époque. On peut considérer cependant qu'à compter de 1996, l'organisation de la recherche française sur les maladies à prions est satisfaisante. Elle est dès cette date organisée en réseau, dont le fonctionnement relève du CIESST, et dispose de moyens financiers conséquents, en rapport, à tout le moins, avec l'importance du sujet et avec les besoins financiers correspondants aux recherches à mettre en _uvre. La création du GIS est accompagnée d'un effort financier très appréciable et constitue, en soi, un progrès qualitatif car il n'était pas inutile de séparer concrètement, s'agissant des ESST, l'organisation de la recherche de l'expertise scientifique.

Il reste que de 1992 à 1996, la recherche française sur les maladies à prions n'était pas organisée de façon adéquate, alors que les pouvoirs publics disposaient des éléments du rapport de M. Dominique Dormont remis à M. Hubert Curien, rapport qui ne laissait aucun doute sur la nécessité d'organiser la recherche française en réseau ainsi que d'augmenter les moyens financiers publics qui lui étaient consacrés.

Il faut noter qu'une mise en réseau, souple, de l'organisation de la recherche a été initiée au niveau de l'Union européenne, pendant la présidence française, au second semestre de l'année 2000. Lors du Conseil des ministres de la Recherche de l'Union européenne, présidé par la France, du 16 novembre dernier, la décision suivante a été adoptée :

« Le Conseil invite la Commission à créer, en concertation avec les Etats membres et en liaison avec les mécanismes existants, avant la fin de l'année 2000, un groupe d'experts chargé de dresser le bilan des recherches effectuées sur l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans les Etats membres, de favoriser les échanges d'informations scientifiques entre les équipes de chercheurs et d'indiquer les actions de recherche actuelles à renforcer et les actions nouvelles à engager. »

Le 15 décembre 2000, le groupe d'experts prévu par cette décision a été réuni une première fois. Il a décidé d'élaborer et de mettre à jour de façon permanente un inventaire des activités de recherche des Etats membres sur les ESST. Le groupe d'experts dispose pour ce faire d'un interlocuteur unique dans chaque Etat membre, qui réalise, pour le compte dudit groupe, l'inventaire propre au pays qu'il représente. S'agissant de la France, M. Dominique Dormont a été désigné comme l'interlocuteur du groupe d'experts européen. Enfin, le groupe d'experts européen élabore une liste des thèmes de recherche qu'il est nécessaire de soutenir en priorité.

L'organisation de la recherche sur les maladies à prions rencontre toutefois un obstacle juridique insoupçonné. A une question de notre collègue Pierre Hellier concernant les structures scientifiques nécessaires à une prise en charge efficace des maladies émergentes, M. Dominique Dormont a répondu que, souvent, au moment où la nouvelle maladie apparaissait, « seuls un ou deux petits laboratoires travaillent sur le sujet. Si vous voulez travailler sur cette question, il faut donner les moyens à ces laboratoires. Comment le faire alors que le droit du travail, par exemple, ne permet pas d'accorder de contrat à durée déterminée de plus de dix-huit mois ? Vous ne pouvez pas avoir de chercheurs post-doctorants pendant plus d'un an. ».

Saisi de cette question par la commission d'enquête, M. Roger-Gérard Schwartzenberg a estimé qu'il n'y avait pas lieu de modifier le droit des contrats à durée déterminée, qui demeurent des contrats précaires, même si l'allongement de leur durée maximale constituerait un dispositif théoriquement adapté aux besoins en ressources humaines scientifiques dans le cas des maladies émergentes. S'agissant du problème des post-doctorants, il a reconnu que pour le « recrutement de chercheurs travaillant dans des domaines pointus, il est certain que, vu leur faible nombre, nous avons intérêt à pouvoir les recruter tout de suite, sans qu'ils soient obligés de faire des stages de post-doctorat trop longs ou extérieurs à notre pays...il semble paradoxal de se priver, immédiatement en tout cas, des éléments les plus récemment formés ». Il a cependant souligné qu'il était très « utile que les jeunes docteurs nouvellement formés puissent effectuer un stage de post-doctorat, notamment à l'étranger, car cela leur donne une ouverture sur une culture scientifique extérieure et une autre communauté scientifique. Cela peut constituer une étape très importante pour leur formation en général. »

S'agissant des chercheurs engagés dans le cadre du GIS, ce dilemme semble avoir été en partie résolu. M. Roger-Gérard Schwartzenberg a en effet précisé qu'il avait personnellement veillé « à ce que vingt-cinq post-doctorants soient recrutés, précisément parce que nous avons peu de spécialistes de ces maladies à prions. Ce recrutement est fondé sur l'article 23 de la loi du 15 juillet 1982, qui permet un recrutement sur une période de trois ans renouvelable et assure une couverture sociale, ainsi que l'ouverture éventuelle de droits au chômage, à l'issue de la période, au cas où il n'y aurait pas de renouvellement. ».

Ainsi, selon lui « D'une manière générale, nous ne revenons pas sur la notion de post-doctorat. Toutefois, dans certains cas particuliers, du fait de l'insuffisance des compétences dans des secteurs et des thématiques nouvelles de recherche, les dispositifs législatifs existants permettent de faire des exceptions et d'engager sur place, éventuellement dans les équipes où ils travaillent, des jeunes en post-doctorat. C'est le cas des maladies à prions. Il est préférable de garder, dans ce domaine des maladies à prions, les meilleurs post-doctorants présents plutôt que de les faire revenir s'ils sont allés à l'extérieur. Ainsi, on peut immédiatement bénéficier de leurs compétences car ce sont les plus récentes et les plus dynamiques. C'est pourquoi nous avons voulu recruter vingt-cinq post-doctorants dans le cadre de ces recrutements nouveaux ouverts par la mesure décidée par le Premier ministre. ».

2.- Les thèmes de recherche actuels

Lors de l'installation du GIS le 24 janvier dernier, M. Roger-Gérard Schwartzenberg a défini quatre axes de recherche, pour lesquels le Gouvernement souhaite une mise en _uvre rapide.

Selon le ministre de la Recherche, « le premier axe est la mise au point de nouveaux tests de détection....Il est important de poursuivre les travaux de recherche dans trois directions : améliorer les tests ESB existants ; disposer de méthodes de diagnostic rapides et sensibles chez les ovins et, à terme, chez l'homme ».

Il s'agit donc de parvenir à élaborer des protocoles de détection de l'ESB chez les bovins vivants, donc sans qu'il soit procédé à un prélèvement des tissus du cerveau, le plus tôt possible durant la période d'incubation de la maladie. Ce progrès serait appréciable car il permettrait de limiter le nombre des animaux en phase d'incubation de l'ESB qui entrent dans la chaîne alimentaire humaine. Certes, aujourd'hui, le retrait et la destruction des MRS, notamment la tête entière et la moelle épinière, tend à éliminer l'infectiosité des animaux concernés.

Pour les ovins, la mise en _uvre d'un test permettrait de répondre à la question du passage à l'espèce ovine de l'agent pathogène de l'ESB. Il a été prouvé expérimentalement que ces animaux étaient sensibles audit agent, par l'ingestion d'une quantité très faible de matériel infecté d'origine bovine. Il est donc possible que le cheptel ovin soit aujourd'hui infecté par l'agent pathogène de l'ESB, même si aucune constatation épidémiologique, même au Royaume-Uni, n'a permis de confirmer cette hypothèse. Les ovins atteints expérimentalement par l'agent pathogène de l'ESB portent celui-ci dans un nombre d'organes très élevé, au point qu'il a été possible de montrer que la forme ovine de l'ESB était transmissible au sein de l'espèce ovine par transfusion sanguine. Ainsi, dans le cas où l'infection par la voie alimentaire en milieu naturel serait constatée, un dispositif de protection de la santé publique par le retrait et la destruction des MRS serait beaucoup plus complexe à mettre en _uvre que dans le cas de l'ESB. On comprend ainsi l'intérêt de la détection de la forme ovine de l'ESB le plus tôt possible durant la période d'incubation de la maladie, afin de retirer les animaux atteints de la chaîne alimentaire humaine. Le fait que l'agent pathogène soit détectable dans le sang et dans beaucoup d'organes des ovins atteints par la forme ovine de l'ESB permet d'espérer qu'un test puisse détecter d'éventuels cas de cette forme ovine, relativement tôt après le début de la période d'incubation et ce, sur des animaux vivants.

La perspective de l'existence d'un test chez l'homme concerne spécifiquement la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dont l'agent pathogène est présent dans certains organes lymphoïdes. Il est important de se pencher sur la question de savoir en quoi un tel test serait utile. En l'absence de traitement de la maladie, il est difficilement concevable d'annoncer à une personne qu'elle est en période d'incubation et qu'elle développera cette maladie, qui reste incurable. Si un test de détection de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob permet simplement de confirmer in vivo le diagnostic qui peut être établi avec une forte probabilité dès aujourd'hui, par exemple, après l'examen des tissus issus d'une biopsie des amygdales, son apport serait faible. Il est donc nécessaire qu'une réflexion soit menée sur les informations que pourraient apporter un tel test.

Pour le ministre de la Recherche, « le deuxième axe de recherche consiste à comprendre la nature de l'agent infectieux et la physiopathologie des maladies à prions. ». S'agissant du développement de la maladie au niveau des cellules nerveuses, il s'agit notamment de comprendre comment la PrPres agit sur la PrPc pour que celle-ci acquiert les caractéristiques pathogènes de la PrPres. Au-delà, il s'agit aussi de vérifier expérimentalement la validité de théorie du prion seul. À cet effet, il est nécessaire de savoir si le protocole expérimental qui validerait cette théorie aboutirait à un résultat positif. M. Dominique Dormont a défini ainsi ce protocole :

« Pour prouver l'hypothèse du prion, il faudrait fabriquer par génie génétique la protéine normale (PrP) dont il faudrait ensuite modifier la structure tridimensionnelle in vitro dans un système acellulaire pour enfin l'inoculer à l'animal afin d'obtenir une maladie et montrer que cette maladie est transmissible. Cette expérience n'est pas encore réalisée aujourd'hui. ».

Le rapporteur estime que ces recherches doivent être complétées par des protocoles expérimentaux permettant de cerner les risques de contaminations interhumaines (6), notamment par le sang, parce qu'il estime qu'il est nécessaire aujourd'hui de traiter en priorité le risque de ces contaminations, sachant que le risque de la contamination des êtres humains par l'alimentation peut être considéré comme maîtrisé. Il serait ainsi souhaitable que des singes indemnes soient transfusés avec du sang d'autres singes infecté par l'agent pathogène de l'ESB. L'expérience qui consiste à injecter du sang de bovin atteint par l'ESB à d'autres bovins indemnes de cette maladie a débuté au Royaume-Uni.

Selon le ministre de la recherche, « le troisième axe de recherche consiste à développer la recherche épidémiologique et thérapeutique sur les maladies à prions... ». S'agissant des études épidémiologiques, il faut distinguer les études relatives à l'ESB de celles concernant la maladie humaine. Si l'on considère que l'ESB doit être éradiquée, il est nécessaire de connaître chaque mode de transmission de cette maladie, afin de savoir s'il est possible de mettre en _uvre des mesures susceptibles d'en empêcher précisément les effets contaminants. Aujourd'hui, la question de savoir s'il existe un mode de contamination du cheptel bovin autre que les modes alimentaire et verticale, demeure sans réponse. L'épidémiologie de l'ESB permettra de répondre au moins partiellement à cette interrogation, dès lors que l'on pourra constater une éventuelle persistance de la maladie naturelle après l'élimination du risque alimentaire. M. Dominique Dormont a présenté ainsi l'intérêt que l'épidémiologie de l'ESB aura d'ici quelques années et dès aujourd'hui au Royaume-Uni :

« ...l'effet farines de viande en Grande-Bretagne a été tellement important que cela a pu masquer toutes les voies alternatives possibles de contamination, si elles existent. Ce n'est que maintenant ou dans les années à venir, une fois l'effet farines disparu, que nous pourrons commencer à voir la réalité d'hypothétiques modes alternatifs de transmission. ».

Nous avons défini plus haut les conditions scientifiques dans lesquelles il serait raisonnable de rendre public des évaluations épidémiologiques sur le nombre de cas futurs de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'une de ces conditions est la détermination de la dose infectante minimale permettant de contaminer un être humain par la voie alimentaire. Il est possible que des progrès permettent prochainement de réduire cette incertitude scientifique, puisque le protocole visant à déterminer la dose minimale infectieuse pour le primate a été mis en _uvre récemment. Il sera bien sûr nécessaire de préciser à quelles conditions les résultats de ce protocole expérimental seront utilisables afin de déterminer de façon plus précise le nombre de cas futurs de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

S'agissant de la recherche thérapeutique, il faut constater que les scientifiques possèdent d'ores et déjà certaines molécules permettant, dans le cas d'ESST développées par des animaux en laboratoire, de ralentir le développement de ces maladies. Ces molécules permettent en fait un allongement de la durée d'incubation de la maladie et ne constituent pas un traitement efficace durant la période de développement des signes cliniques de la maladie. Les scientifiques entendus par notre commission d'enquête n'ont pas livré à celle-ci d'autres éléments précis sur ce sujet.

Enfin, « Le quatrième axe consiste à développer les recherches sur les modes d'élimination des farines animales, modes d'élimination qui seraient alternatifs à l'incinération. Ces recherches peuvent être engagées dans deux directions :

- mettre au point une ou plusieurs méthodes permettant de rendre ces matériaux biologiquement et chimiquement inertes, afin qu'ils puissent être stockés en toute sécurité ;

- mettre au point des méthodes permettant que les protéines des farines animales puissent être transformées chimiquement ou absorbées par des micro-organismes. ».

Comme nous le verrons dans la partie relative à l'élimination des farines de viande et d'os, la priorité demeure aujourd'hui la destruction par l'incinération desdites farines.

II.- LA PROTECTION ET L'INFORMATION DES CONSOMMATEURS

A.- LA RÉGLEMENTATION DE L'ABATTAGE ET DE LA DÉCOUPE

L'élimination des organes et tissus à risque, que l'on appelle les « matériaux à risque spécifiés » (MRS), a constitué une mesure décisive pour assurer la sécurité des consommateurs. C'est dans ces organes que la présence du prion pathogène a pu être détectée.

Dès lors, il est essentiel que les procédés d'abattage des animaux et de découpe des viandes évitent de disséminer des tissus à risque, en particulier du cerveau et de moelle épinière sur des parties de l'animal destinées à être consommées. Sur ce point, l'enquête effectuée par les autorités britanniques sur l'épidémie, sur le phénomène de cluster, survenu dans un petit village du Leicestershire, Queniborough, où cinq personnes sont décédées entre août 1998 et octobre 2000 de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, met en cause les pratiques suivies jusqu'en 1989 par certains bouchers qui auraient laissé les organes à risque contaminer les carcasses des animaux.

En ce domaine, des progrès restent à faire, ainsi que l'ont montré les déplacements de la commission d'enquête sur le terrain, comme d'ailleurs des témoignages recueillis lors des auditions. Ainsi, le Pr. Vincent Carlier a évoqué les progrès qui restent à réaliser afin de parvenir à une sécurité optimale.

Au premier stade, celui de l'arrivée de l'animal à l'abattoir, se pose la question de la qualité des contrôles cliniques « ante mortem » opérés sur les animaux par les vétérinaires inspecteurs, contrôles qui ont parfois permis de dépister des cas d'ESB. Quand l'examen des bovins, de leur état de santé, de leur comportement, est pratiqué après un long temps de transport, il n'est pas facile de procéder à une appréciation correcte du risque d'ESB.

L'abattage est pratiqué au pistolet à cheville percutante, qui tue l'animal par un choc cérébral. Deux analyses conduites par des scientifiques ont révélé, que, si la charge explosive de la cartouche introduite dans le pistolet est trop forte, des fragments de tissus nerveux peuvent être diffusés dans les carcasses par voie sanguine. On aurait ainsi retrouvé des fragments de tissu cérébral d'un animal jusque dans l'artère pulmonaire.

Juste après l'abattage, il était courant de pratiquer le jonchage (ou jonglage), consistant à introduire une tige métallique dans le crâne de l'animal pour détruire totalement les centres moteurs et éviter ainsi les coups-réflexes susceptibles d'être donnés par l'animal une fois suspendu. Cette technique a même parfois été exigée par l'inspection du travail, en raison de la protection qu'elle procure aux personnels des abattoirs. Mais les risques de diffusion de tissu vertébral qu'elle comporte ont conduit à l'interdiction récente du jonchage.

La fente des carcasses est, elle aussi, une opération à risque, du fait que la lame de scie utilisée par les personnels d'abattoirs peut couper en deux la moelle épinière de l'animal et, qu'ainsi, des éléments de celle-ci peuvent contaminer des tissus destinés à être ultérieurement consommés. Il est donc essentiel de définir des techniques de fente des carcasses bovines évitant cette dissémination.

M. Laurent Spanghero, Président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes (CEBV), a indiqué à la commission d'enquête que son organisation avait mis au point un matériel permettant d'extraire la moelle épinière par aspiration, à l'image d'une technique applicable aux ovins ; ce nouvel outil serait expérimenté dans deux abattoirs ; sa généralisation est envisagée, mais elle suppose un accompagnement des pouvoirs publics, car les investissements concernés sont élevés (280 abattoirs à doter d'un équipement évalué à 150 000 francs). Cet « aspirateur de moelle épinière » présenterait trois avantages : il permettrait d'éviter les projections de moelle épinière au moment de la fente des carcasses ; il contribuerait à sécuriser les personnels ; il sécuriserait aussi les suifs destinés à être incorporés dans les aliments d'engraissement des veaux (« lactoremplaceurs »).

Le Pr. Vincent Carlier a également évoqué d'autres aspects : l'élimination des ganglions lymphatiques, organes « à risque », suppose une bonne technique de parage et de désossage.

Une autre mesure de précaution en vigueur lors de l'abattage consiste à nettoyer la lame de scie entre deux opérations de fente de la carcasse. Les déplacements effectués par la commission d'enquête ont montré que cette règle n'était pas appliquée partout. Enfin, si les vétérinaires ont naturellement accès aux abattoirs et peuvent veiller au respect des règles de sécurité lors de l'abattage, il a été dit au rapporteur qu'ils n'inspectaient pas les ateliers de découpe, lesquels sont cependant contrôlés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

D'une manière générale, les services vétérinaires, les vacataires recrutés pour leur prêter main forte et les agents de la répression des fraudes peinent à assurer la surveillance de l'ensemble des mesures de sécurité qui ont été prises. La succession des décisions venant modifier, renforcer, remplacer, compléter les mesures précédemment édictées a représenté une sorte de défi pour les équipes chargées de veiller à leur application sur le terrain.

La loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, qui comportait un important dispositif en matière de sécurité sanitaire de l'alimentation a prévu un renforcement des contrôles sur les animaux lors de leur arrivée à l'abattoir ; les bêtes doivent être accompagnées d'une fiche sanitaire, l'abattage peut être différé lorsque les délais d'attente imposés par la prise de médicaments vétérinaires n'ont pas été respectés. Ces mesures tendent notamment à assurer le respect des règles de traçabilité des viandes et d'identification des animaux.

Le rapporteur rapprochera de ces règles de sécurité deux mesures prises dans le cadre du plan gouvernemental de novembre 2000 : l'interdiction du « T bone steak » et de la côte à l'os. Il s'agissait là aussi d'exclure de la consommation humaine des produits animaux susceptibles d'avoir été en contact avec des organes et tissus potentiellement contaminants.

B.- L'ETIQUETAGE ET LA TRAÇABILITÉ DES PRODUITS

L'étiquetage et la traçabilité ont tenu une grande place dans les réflexions de la commission d'enquête comme dans les propos de personnes auditionnées. Elles constituent de fait une garantie accordée au consommateur touchant à la sécurité sanitaire de son alimentation.

1.- La traçabilité

Le principe de la traçabilité est posé dans l'article L. 214-1-1 du code de la consommation considéré comme le « code pilote » et l'article 258-2 du code rural, qui est le « code suiveur », issus de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999.

« Un décret en Conseil d'Etat fixe la liste des produits ou denrées pour lesquels la traçabilité doit être assurée. Il précise les obligations des producteurs et des distributeurs qui sont tenus d'établir et de mettre à jour des procédures d'informations enregistrées et d'identification des produits ou des lots de produits. Ces procédures permettent de connaître l'origine de ces produits et de ces lots, ainsi que les conditions de leur production et de leur distribution.

L'autorité administrative précise pour chaque produit ou denrée, les étapes de production et de commercialisation pour lesquelles la traçabilité doit être assurée, ainsi que les moyens à mettre en _uvre en fonction de la taille des entreprises. ».

Ce dispositif doit concerner ainsi le secteur des organismes génétiquement modifiés (OGM) pour lequel un projet de décret est actuellement en cours d'élaboration.

M. Alain Cadiou, directeur général des douanes et droits indirects, a indiqué que la « notion de traçabilité signifie, qu'en contrepartie d'un processus de chaîne alimentaire, les produits doivent pouvoir être précisément localisés et leur origine et leur destination être identifiées ».

M. Kriegk, directeur scientifique du groupe Cana, a exposé clairement le contenu et l'intérêt de la notion de traçabilité comme de celle d'étiquetage que l'on examinera plus loin en ces termes : « Pour moi, la traçabilité n'est pas une fin en soi, mais un outil. Par la traçabilité ascendante, à partir d'un produit fini, il s'agit de remonter jusqu'à l'origine de ce produit ; en traçabilité descendante, il s'agit, à partir d'un animal, de retrouver la totalité des destinations de cet animal. C'est bien là un outil, non une finalité en soi. Pouvoir remonter à l'origine d'un animal malade permet de savoir que l'on a mal travaillé, non de garantir la sécurité alimentaire. Ce qui concourt à la sécurité réside dans les procédures de qualité, les systèmes d'assurance qualité, Iso 9000 pour ce qui concerne les outils industriels ou Agriconfiance pour l'assurance qualité de la production agricole. Mais la traçabilité n'est pas en soi un élément de sécurité alimentaire. L'élément de traçabilité est l'outil qui permet de régler les problèmes ou de trouver leur origine très rapidement.

Cela m'amène à une deuxième considération : les améliorations à obtenir concernent la fluidité de l'information sur la traçabilité. Si on évoque des problèmes bactériologiques, comme la listeria ou la salmonelle, l'élément central consiste à retrouver très rapidement la destination d'un produit, d'un lot contaminé ou l'origine d'un problème rencontré par un consommateur. On peut dire la même chose de la vache folle : le délai qui s'est écoulé entre le 4 et le 19 octobre (7) n'est pas le signe d'une grande fluidité de l'information. L'élément essentiel est la rapidité de la circulation de l'information et la qualité des outils de traçabilité. C'est un point sur lequel la SOVIBA a démontré une bonne performance, puisque, en l'espace de quelques heures, nous avons pu retrouver 780 magasins destinataires de 37 tonnes de steaks hachés, y compris de nombreuses supérettes et des magasins de détail. Je ne suis pas certain que toutes les entreprises aujourd'hui soient en mesure de faire preuve de cette même diligence.

En ce qui concerne l'étiquetage et l'information du consommateur, pour l'aliment du bétail, je suis favorable à un maximum de transparence, et ce pour deux raisons. D'une part, nous devons à nos sociétaires agriculteurs et à nos clients une information claire et intelligible. La réglementation permet aujourd'hui, en matière d'aliments du bétail, d'étiqueter des familles d'ingrédients en laissant subsister une certaine opacité de l'information ou une liste détaillée d'ingrédients : au lieu de mentionner la famille de céréales, on ferait mieux de parler de blé, de maïs, d'orge. Cette seconde option me semble plus claire et c'est celle que nous avons retenue pour donner le maximum d'informations à nos éleveurs. En matière de farines de viande, la mention « concentré de protéines carnées » n'est guère intelligible pour tous les éleveurs. La formule « farines de viandes » me semble plus explicite, encore que cette allégation n'a désormais plus de sens, puisque les farines sont interdites.

La seconde raison qui justifie une information la plus claire possible, que l'on retrouvera de manière plus approfondie pour les viandes, tient dans la nécessité de recréer les conditions d'une confiance entre le citoyen et son agriculture. Ces conditions passent, d'abord et avant tout, par la transparence et par l'information. L'étiquetage doit y concourir. C'est une évidence, c'est davantage pour la viande que l'on touchera le citoyen, que par l'aliment du bétail. De ce point de vue, la traçabilité qui existe dans nos outils nous permet de donner une origine précise de l'animal, de donner l'information sur sa race, éventuellement sur le nom de l'éleveur et sur sa localisation. Ces éléments relèvent davantage du marketing et de la communication que d'une information sécuritaire sur la qualité de la viande. Il n'en reste pas moins que le maximum d'information et de transparence sur l'étiquetage permet de concourir à la restauration de l'image de l'agriculture dans l'esprit du consommateur.

2.- L'étiquetage des aliments pour animaux

L'audition de M. Jean-François Hervieu, président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et de M. Daniel Gremillet, président de la chambre d'agriculture des Vosges a permis aux membres de la commission d'enquête de percevoir clairement les imperfections de l'étiquetage des produits d'alimentation animale.

M. Gremillet a montré clairement que les éleveurs n'ont pas disposé d'une information sur la totalité des ingrédients incorporés dans les produits d'alimentation animale : « Je dispose ici d'étiquettes d'aliments qui proviennent de mon élevage, comme d'autres élevages français. Ces étiquettes sont conformes à la réglementation française. Pour vous éclairer sur les difficultés et le travail que nous avons tenté de réaliser depuis cette époque, je voudrais vous en lire deux. La première remonte au 2 décembre 1992 ; pour un aliment destiné aux vaches laitières, il était indiqué :

« Catégories d'ingrédients : coproduits des céréales, coproduits de sucrerie, tourteaux et produits azotés végétaux, céréales et amylacés, produits cellulosiques, substances minérales. ».

Je vous livre maintenant les indications figurant sur une étiquette de 1999 : « Produits et sous-produits de graines oléagineuses, produits et sous-produits de graines de céréales, produits et sous-produits de fabrication du sucre, prémélanges, minéraux ».

Donc, en tant qu'éleveurs, nous ne connaissons pas les ingrédients qui entrent dans la composition des aliments de nos animaux. À aucun moment, ne figurent sur les étiquettes les ingrédients que nous pourrions retrouver dans une livraison destinée à notre exploitation ou le mélange qui pourrait être provoqué au moment du stockage, de la fabrication ou de la livraison par les reliquats d'aliments qui restent dans les camions.

En 1996, les présidents et directeurs d'établissements d'élevage de tous les départements français se sont réunis, après un travail préalable au sein d'une commission « élevage ». Nous avions souhaité obtenir une modification de l'étiquetage et, à ce titre, nous avions pris plusieurs initiatives : la première, pour demander aux fabricants, privés et coopératifs - nous avions organisé une réunion avec les présidents du SNIA et du Syncopac - qu'ils modifient l'étiquetage, pour permettre une information sur la totalité des ingrédients présents dans les aliments pour bétail. Je précise bien « la totalité des ingrédients ». Il ne s'agissait pas pour nous de connaître les pourcentages entrant dans la composition des aliments ; nous ne demandions pas que soient dévoilés les secrets de fabrication, car, lorsque nous demandions la transparence totale, on nous opposait les secrets de fabrication. La connaissance de la totalité des ingrédients incorporés ne revient pas à dévoiler la formule. Cela ne coûte pas un centime en termes analytiques, puisqu'il s'agit simplement d'indiquer les matières entrées dans l'alimentation livrée ou susceptibles d'entrer du fait d'une contamination croisée.

J'insiste sur cet aspect des choses pour vous montrer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. M. Hervieu a évoqué les actions que les éleveurs ont lancées dès 1996, avant que le département des Vosges ne connaisse un premier cas d'ESB en l'an 2000.

En 1996 et 1997, nous avons également adressé un courrier au ministère de l'Agriculture pour demander une modification de la réglementation sur l'étiquetage. Nous avons mené la même démarche au niveau communautaire, car il ne faut pas oublier que les règles communautaires n'obligent pas à indiquer sur l'étiquette la totalité des ingrédients. Il est important de vous le dire, dans la mesure où, en 1996, dès lors qu'ils ont appris, dans un premier temps par les médias, puis par les scientifiques que la multiplication du nombre de cas d'ESB au Royaume-Uni, était due à l'alimentation, les éleveurs ont voulu savoir si l'alimentation avait été, à un moment donné, contaminée par des farines de viande anglaises.

La mise en _uvre du marché unique pose, par ailleurs, un problème spécifique. Selon les informations que nous avons reçues, les différentes administrations ont rencontré des difficultés pour vérifier ce qui pouvait sortir d'un pays pour entrer dans un autre, notamment en provenance du Royaume-Uni. Le ministre de l'Agriculture et le directeur de la DGCCRF ont confirmé récemment devant le tribunal de Créteil, qu'une farine quittant le sol anglais et arrivant en France devenait farine française ; lorsque cette farine arrive en Belgique ou aux Pays-Bas, elle devient farine belge ou néerlandaise. C'est dire que nous n'avions pas de traçabilité des matières premières.

En 1996, les éleveurs du département des Vosges ont souhaité connaître la composition des aliments achetés et payés au cours de la période 1990-1996, puisque l'on sait aujourd'hui que les animaux à risques sont surtout ceux des années 1993, 1994 et 1995, les trois années qui forment un pic du point de vue du nombre de cas révélés.

Nous étions quatorze éleveurs à demander à nos différents fabricants la composition des aliments ; mais nous n'avons pu l'obtenir et nous avons saisi le juge des référés pour connaître cette composition. À ce jour, au 13 février 2001, je ne connais toujours pas la composition des aliments que j'ai achetés au cours de la période 1990-1996. Je verse cet élément au débat, car il est important. Des éleveurs ont voulu connaître, en toute transparence - sans accuser, puisque nous avons choisi une juridiction civile - la composition des aliments. Quatre ans après, nous ne sommes toujours pas en possession des informations demandées.

M. Yves Montécot, président du syndicat national des industries de la nutrition animale (SNIA) a présenté l'évolution des règles d'étiquetage des produits d'alimentation animale dans les termes suivants : « La réglementation de l'étiquetage en alimentation animale est plus ancienne que celle de l'alimentation humaine. Il y a plus de 40 textes qui la régissent. Je vous ai apporté quatre étiquettes différentes pour vous montrer comment elles sont faites. Je dois dire qu'il n'y a pas un sac d'aliment du bétail qui sort de l'une des usines sans une étiquette. Celle-ci est cousue sur le sac et elle est inviolable, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être enlevée sans être déchirée. Elle accompagne systématiquement toute livraison de vrac. L'étiquette comporte les coordonnées du fabricant, son code déclaratif, le nom de l'aliment, à savoir un aliment composé, complet ou complémentaire, c'est-à-dire qu'il se donne seul ou accompagné ; ensuite figure la composition.

La composition peut revêtir deux formes en France : une composition par ingrédients (blé, maïs, orge) ou une composition par catégorie d'ingrédients, c'est-à-dire grains de céréales, produits et sous-produits d'oléagineux ; c'est l'une ou l'autre, mais on ne peut pas panacher. C'est en vigueur depuis 1992. Je reviendrai, car c'est important, sur l'étiquetage avant 1992. Cette composition est indiquée en ordre décroissant, c'est-à-dire que le premier ingrédient est quantitativement le plus important. L'étiquette s'accompagne de l'indication de valeurs nutritionnelles, pour donner des garanties : vitamines, protéines, celluloses, matières grasses et aussi un mode d'emploi avec une date de péremption.

M. le Président : Ce qui nous intéresse est de savoir s'il y avait des farines de viande, et si la mention figurait sur l'étiquette.

M. Yves MONTÉCOT : C'est pourquoi j'ai précisé : depuis 1992. Jusqu'en 1992, il était clairement indiqué : « farine de viande, farine de poisson ». Après 1992 : « produit d'animaux terrestres ou produit d'animaux marins » en raison d'une mesure communautaire. Lorsqu'on dit que les fabricants ne signalaient pas s'il y avait des farines de viande, je suis bien obligé de réagir, car c'était indiqué clairement jusqu'en 1992.

Pourquoi cette modification après 1992 ? C'est très simple, la France avait sa terminologie, les autres pays de la communauté avaient d'autres dénominations pour les mêmes matières premières. Cette catégorie a été faite pour que l'ensemble des dénominations soient les mêmes au niveau européen.

M. le Président : Donc tous les producteurs adhérents de votre syndicat indiquaient avant 1992, par des mentions sur les étiquettes, la présence de farines de viande. Or, des éleveurs nous ont dit qu'ils se trouvaient dans l'impossibilité de savoir ce qu'il y avait dans les sacs d'aliments.

M. Yves MONTÉCOT : Je suis moi-même chef d'entreprise, professionnel depuis 40 ans. Sur le terrain, je n'ai jamais vu un sac d'aliments, même de mes collègues, qui ne portait pas une étiquette. Je l'affirme sous serment. Pourquoi des éleveurs le disent-ils parfois ? En fait, ce n'était pas leur préoccupation principale. Quelle était leur préoccupation ? Nos aliments sont faits pour que les animaux s'élèvent bien, soient en bonne santé, aient un bon aspect et puissent correspondre au marché. Les éleveurs avaient une confiance totale dans le métier de fabricant. Nous ne sommes sur la sellette que depuis 1996. Avant, la confiance régnait. En fait, ils ne regardaient pas les étiquettes ou ils ne les conservaient pas. Vraiment, je peux vous affirmer qu'il n'y a pas d'aliment qui ait circulé sans étiquette. ».

Compte tenu de la divergence des témoignages recueillis par la commission d'enquête, le rapporteur estime souhaitable que la réglementation communautaire en cours d'élaboration sur ce point puisse prévoir l'indication de tous les ingrédients incorporés dans les aliments pour animaux ainsi que le pourcentage de chaque ingrédient mis en _uvre.

3.- L'étiquetage de la viande bovine

Ainsi que plusieurs intervenants l'ont précisé à la commission d'enquête, la traçabilité de la viande bovine a été longtemps bien assurée en France. Ainsi, selon Mme Reine-Claude Mader, présidente de la Coordination : « La traçabilité en France pour les bovins a atteint un niveau extrêmement satisfaisant. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mais le niveau n'est pas le même dans les autres pays, loin s'en faut. Nous considérons qu'il reste beaucoup à faire en ce qui concerne les autres pays de la Communauté. »

Rappelons qu'en France, un accord interprofessionnel de 1997, étendu par les pouvoirs publics, a fixé des règles très précises en matière d'étiquetage et de traçabilité de la viande bovine. Étaient garantis ainsi au consommateur l'origine de l'animal (né, élevé, abattu dans tel pays), sa catégorie (jeune bovin, b_uf, vache, génisse, taureau) et son type (animal laitier, allaitant ou mixte), cette dernière information étant optionnelle.

En septembre 2000, les instances de la Communauté ont défini un étiquetage différent, consistant plus en une traçabilité de la viande qu'en une véritable information du consommateur, puisque devaient être indiqués le numéro de l'abattoir qui a reçu l'animal et celui de l'atelier qui l'a découpé, ce qui permet éventuellement de remonter jusqu'à l'éleveur. Ce dispositif présente des différences avec celui qui a été retenu en France en 1997. La réglementation européenne ne prévoit pas l'obligation d'indiquer la catégorie d'animal d'où provient la viande (b_uf, génisse, jeune bovin) ; par ailleurs, l'obligation de faire figurer sur l'étiquette le lieu de naissance et d'engraissement du bovin n'était pas destinée à s'appliquer immédiatement, mais seulement à compter du 1er janvier 2002.

Le texte communautaire a certes permis un progrès, puisque certaines mentions sont désormais obligatoires dans tous les pays membres de l'Union européenne, mais le champ couvert par ce texte est moins large que celui que couvrait la réglementation française et l'information donnée au consommateur est en recul. Il est donc souhaitable que le ministre de l'agriculture intervienne auprès de nos partenaires de l'Union pour faire évoluer la réglementation des Quinze.

C.- LES CONTRÔLES

1.- Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

On se référera sur ce point aux informations données à la commission d'enquête par l'actuel directeur général de la DGCCRF, M. Jérôme Gallot puis par M. Christian Babusiaux, qui a occupé cette fonction entre 1985 et 1997.

· M. Jérôme Gallot a précisé que la DGCCRF intervient en fonction de pouvoirs que lui reconnaît le code de la consommation qui lui confère une mission horizontale de protection des consommateurs à partir d'une fonction de surveillance générale des marchés, intégrant les préoccupations de loyauté et de sécurité. Ces dispositions amènent les agents de la DGCCRF à se rendre chez les fabricants d'aliments pour animaux, pour vérifier les formulations et l'étiquetage et parfois, chez les équarrisseurs, afin d'examiner les matières premières composant les farines. Par comparaison, les agents de la direction générale de l'alimentation (DGAL) interviennent principalement dans les élevages et chez les équarrisseurs, afin d'examiner les matières premières composant les farines.

M. Jérôme Gallot a détaillé les actions de contrôle menées par la direction générale sur les sujets liés à l'ESB : sont pratiqués d'abord des contrôles dans les entreprises qui fabriquent des aliments pour le bétail, soit entre 200 et 435 contrôles chaque année de 1990 à 1995, puis entre 700 et 1 300 contrôles annuels de 1996 à 2000.

Jusqu'en 1996, les agents ont vérifié la non incorporation de farines animales dans l'alimentation des ruminants et n'ont détecté de farines prohibées que chez un seul fabricant, en 1991. Un contrôle de « comptabilité matière » a été mis en place, allant au-delà du simple contrôle des formules de fabrication et des factures d'achat. Avant 1997, on ne procédait ainsi qu'à des contrôles documentaires.

En 1997, la DGCCRF est parvenue à mettre au point une méthode analytique fiable, permettant de quantifier les farines carnées présentes en alimentation animale. Le laboratoire de Rennes a défini une technique analytique de mesure des farines ; la DGCCRF s'appuie aujourd'hui sur un réseau de huit laboratoires où travaillent 350 agents. Dès 1997, un programme de contrôle a été mis en place et plus de 300 prélèvements d'aliments pour ruminants ont été effectués. Au cours des années suivantes, le nombre de prélèvements a augmenté et il atteignait le nombre de 1 115 en l'an 2000.

Dix huit procédures contentieuses ont été ainsi engagées entre 1997 et 2000, huit d'entre elles seulement donnant lieu à des jugements, dont deux condamnations.

M. Gallot a précisé que la DGCCRF continue de privilégier deux axes de contrôle. Il s'agit d'abord du contrôle de l'interdiction des farines suite à l'intervention de l'arrêté du 14 novembre 2000 : « l'ensemble des fabricants d'aliments pour animaux de rente a été contrôlé, ainsi que les fabricants d'additifs et la majorité des revendeurs, grossistes et distributeurs. [...] Dans le cadre de ces opérations, depuis le 14 novembre, les enquêteurs ont effectué à peu près 600 prélèvements. Des traces de farines carnées ou de farines de poissons ont été décelées dans cinq aliments destinés à des monogastriques, volailles ou porcs, et dans six aliments destinés à des bovins. Nous avons même constaté la présence [de fragments d'os] supérieure au taux de 0,1 % dans six aliments pour monogastriques. ».

La DGCCRF est appelée à pratiquer désormais des contrôles sur le recours aux graisses animales, interdit lui aussi depuis le 14 novembre 2000, graisses qui ont pu contribuer significativement au développement de l'ESB.

Les contrôles en liaison avec l'ESB portent également sur le traitement thermique des farines reposant sur des prélèvements opérés chez les fabricants d'aliments. Entre le 1er janvier 2000 et le 27 février 2001, 124 prélèvements avaient été effectués, le chauffage ayant été jugé insuffisant dans 21 cas et une entreprise s'étant vu retirer son agrément.

Enfin, les contrôles en lien avec l'ESB opérés par la DGCCRF concernent l'origine et la traçabilité des viandes : 65 000 contrôles sur les bovins, sur la viande et les produits bovins ont été conduits depuis l'embargo du 20 mars 1996. 460 procédures contentieuses ont été engagées et 142 jugements définitifs rendus prévoyant des sanctions parfois lourdes, telles que la prison avec sursis ou des amendes allant jusqu'à 200 000 francs.

Parmi les 4 000 agents de la DGCCRF, 300 à 320 « équivalents temps plein » sont aujourd'hui mobilisés sur les questions de sécurité alimentaire;  ils s'efforcent de mettre en _uvre une synergie avec les services des douanes et les services vétérinaires relevant du ministère de l'Agriculture.

En février 1998, la DGCCRF a conclu avec la direction générale des douanes un protocole de coopération spécifique sur les contrôles en matière d'ESB, la coopération avec la DGAL ayant déjà été formalisée dès 1990.

En 1999, les relations entre la direction générale de l'alimentation, la direction générale de la santé et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont été précisées ensuite dans un nouveau protocole de coopération prévoyant cette fois un regroupement des services de contrôle sur le terrain dans le cadre de « pôles de compétences ». Ceux-ci, souvent présidés par le directeur des services vétérinaires du département, parfois par le représentant local de la DGCCRF, fonctionnent « globalement bien dans les trois quarts des départements. ».

· M. Christian Babusiaux a insisté sur les grandes difficultés que présentaient les contrôles en matière de farines carnées et de lutte contre l'ESB ; il a rappelé également les efforts que les administrations de contrôle avaient entrepris pour coordonner leurs actions face à ces problèmes.

M. Babusiaux a rappelé ainsi les limites des contrôles :

- Le rôle de contrôle de la DGCCRF, créée en 1985 à la suite de la fusion de la direction générale de la concurrence et de la consommation avec l'ancienne direction de la consommation et de la répression des fraudes ne peut être que limité, étant donné que, dans le domaine très technique des denrées animales et d'origine animale, il existe une exception vétérinaire ; les vétérinaires ainsi que les agents des douanes sont seuls dotés de pouvoirs d'intervention et de saisie des marchandises. Les contrôles de la DGCCRF ne sont possibles, qu'en application de textes spécifiques ou pour des matières se situant très loin du domaine de l'origine animale ; c'est ainsi que la DGCCRF est compétente pour la question des cosmétiques à base de produits bovins.

- Les contrôles ont été rendus très complexes par les incertitudes de la connaissance scientifique, par l'extrême diversité des produits concernés et le très grand nombre d'utilisations et d'utilisateurs possibles, les produits d'origine bovine étant répandus dans beaucoup de produits alimentaires transformés, mais aussi de cosmétiques ou de médicaments.

- Les cas d'ESB enfin n'ont pas été dus seulement à l'ingestion par les bovins de farines britanniques ; il existait aussi des cas sporadiques de la maladie et l'expérience a montré que les règles de fabrication des farines ont pu être transgressées dans des régions autres que le Royaume-Uni et, notamment, en Bavière.

Tous ces éléments de complexité justifiaient dès lors une mesure d'interdiction totale des farines à l'échelle européenne, les risques de contaminations croisées étant très importants. M. Babusiaux précisait ainsi : « L'examen des modalités de fabrication en usine montrait que, parmi les 315 usines d'alimentation animale, un nombre limité était doté de circuits distincts de fabrication destinés respectivement aux aliments pour bovins et aux autres animaux. En principe, les entreprises ménageaient des espaces de vide lors du changement de fabrication à l'intérieur d'une installation unique, mais il est évidemment difficile de penser que le nettoyage des installations puisse être à chaque occasion complet. ».

Des habitudes de coopération ont été prises entre responsables de la DGCCRF, de la direction générale de l'alimentation (DGAL), de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Pour M. Christian Babusiaux, l'administration a agi « avec une extrême rigueur », comme l'illustre l'exemple des mesures restrictives prises pour les petits pots pour bébés.

Deux obstacles pourtant ont pu peser sur l'efficacité des contrôles : l'alimentation animale étant une matière depuis longtemps harmonisée au plan communautaire, les instances de Bruxelles s'opposaient aux mesures prises par la France ; il existait des limites aux sanctions possibles entraînées par l'encombrement des tribunaux et par le décalage entre la durée légale de conservation des documents, notamment des factures (de 3 à 5 ans) et celle de l'incubation de la maladie bovine et, a fortiori, de la maladie humaine.

Autre obstacle, la difficulté de détecter les fraudes : les contrôles à l'importation étaient difficiles, même avant l'instauration du marché unique en 1993 ; l'ampleur des flux d'importation était telle, que le taux des contrôles réels n'était peut-être que de 5 ou 10 % ; de surcroît, l'examen des statistiques douanières ne permet pas d'appréhender correctement les phénomènes de fraude, les personnes cherchant à importer des produits illicites ne les déclarant évidemment pas à la douane.

Enfin, M. Babusiaux a fait remarquer que, si les contrôles portant sur les flux d'importations de farines britanniques relevaient de la compétence de la direction générale des douanes, la DGCCRF avait veillé à l'application de la prohibition de l'usage des farines de ruminants dans l'alimentation des bovins prévue dans l'arrêté du 24 juillet 1990.

2.- Les contrôles de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

M. Alain Cadiou, directeur général des douanes et des droits indirects, a surtout fait ressortir devant la commission d'enquête les changements apportés dans les missions des services des douanes par l'instauration le 1er janvier 1993 du « marché unique ».

Depuis cette date, les contrôles systématiques aux frontières ont été abolis pour les échanges intra-communautaires ; seuls subsistent les contrôles « à la circulation » effectués par les agents des douanes de façon « ciblée » à partir d'une analyse de risque. Le « ciblage » consiste à concentrer les contrôles sur les moyens de transport qui, en raison de leur origine, de leur provenance ou de leur itinéraire, sont les plus susceptibles de contenir des marchandises litigieuses. Les douaniers contrôlent ainsi très souvent les camions frigorifiques.

Plus d'un million de contrôles en frontière ou « à la circulation » en lien avec l'ESB ont été ainsi opérés sur les moyens de transport. Mais, aucun cas de fraude, a précisé M. Cadiou, n'a été détecté par les services des douanes.

Le code des douanes qui reconnaît aux agents de multiples pouvoirs (droit de visite, de saisie, d'injonction d'arrêt) s'applique aux produits en provenance des pays tiers.

En outre, un article 38-5 nouveau du code des douanes a été récemment adopté dans le cadre de la loi n° 2001-06 du 4 janvier 2001, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux. Ce nouvel article permet aux agents des douanes de retrouver des moyens d'action sur le fondement du code des douanes à l'égard de certaines marchandises désignées par arrêté, les farines ou les matériaux à risque spécifiés pouvant être en ce cas concernés.

La sécurité alimentaire est prise en compte dans l'activité quotidienne de 3 000 douaniers chargés du dédouanement des produits des pays tiers. En outre, des contrôles douaniers peuvent être mis en place à la frontière entre Etats membres, par exemple lorsqu'est décidé un embargo ; ils sont le fait des 6 500 agents les plus concernés des services de surveillance.

Une particularité des contrôles des douanes, qui est aussi une grande faiblesse du système, concerne les données statistiques utilisées, un rôle important dévolu à la douane consistant en l'établissement de statistiques d'importations et d'exportations.

C'est ainsi que la nomenclature douanière des farines animales « farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets de viandes ou d'abats, cretons » (soit le code 23011000), ne permet pas de distinguer les farines de volailles des autres farines carnées, alors même que les farines de volailles britanniques n'étaient pas interdites d'importation et que les autres farines de viandes l'étaient. Ce même problème concernait le secteur des abats, la nomenclature douanière rassemblant certains abats de manière indifférenciée. Il faut noter, en effet, que la nomenclature tarifaire communautaire mentionne les produits par grandes familles ; la Commission européenne ne souhaite d'ailleurs pas faire évoluer cette situation.

En outre, le même code géographique douanier regroupe la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord à l'égard desquelles les mesures d'embargo sont pourtant distinctes.

Depuis 1993, les données chiffrées sont fondées sur les déclarations d'échanges des biens (DEB) (8) établies par les opérateurs, qui sont plus susceptibles d'erreurs que les déclarations en douane établies par des professionnels du dédouanement.

Les DEB ne sont d'ailleurs obligatoires qu'au-delà de certains seuils dans certains des Etats membres. En France, 99 % des échanges de biens sont ainsi déclarés, alors que la technique de la déclaration d'échanges de biens ne concerne qu'un tiers des échanges en Belgique et aux Pays-Bas.

Autre imperfection, les statistiques douanières françaises indiquent l'origine des produits, alors que les statistiques communautaires font référence à leur provenance, ce qui peut conduire à des différences sensibles en cas de « commerce triangulaire ». Une viande danoise introduite en Allemagne pour être transformée, avant d'être introduite en France est reprise ainsi en origine danoise dans les statistiques françaises, mais en origine allemande dans les statistiques européennes.

Enfin, M. Cadiou a précisé qu'un protocole d'accord sur l'ESB lie, depuis juillet 1998, la douane et la DGCCRF et vise à favoriser les échanges d'informations sur les fraudes décelées lors des contrôles effectués par chaque administration ; il prévoit aussi des opérations conjointes de contrôle. Cette coopération qui s'étend désormais à la DGAL fait également l'objet de relais au plan local.

M. Cadiou a donné également à la commission d'enquête quelques données chiffrées sur les échanges de farines animales : « La consommation de farines animales dans l'alimentation des animaux s'élève, selon les experts, à environ 400 000 tonnes par an. Les importations, entre 1990 et 1997, ont donc représenté entre 5 % en 1992 et 19 % en 1995 de cette consommation nationale.

Entre 1988 et 2000, la France a importé, ou introduit, 551 783 tonnes de farines relevant du code 23 01 10 00 précité.

Les Etats membres de l'Union européenne, y compris la Suède, la Finlande et l'Autriche, qui ont adhéré à l'Union européenne en 1995, étaient les principaux fournisseurs de la France. Les approvisionnements se sont diversifiés au cours de la période: le Danemark avec 12 500 tonnes en 1990 et la Belgique avec 8 000 tonnes en 1990, qui étaient les principaux fournisseurs au début des années 1990, se sont vu supplanter par les Pays-Bas avec 7 000 tonnes en 2000 et l'Allemagne avec 5 000 tonnes en 2000.

L'Irlande a largement bénéficié de la levée de l'embargo qui pesait sur ses exportations de farines de ruminants entre décembre 1989 et mars 1993, puisque ses exportations sont passées de 5 000 tonnes en 1993 à 20 000 en 1994, puis à 35 000 en 1995.

La part du Royaume-Uni dans la consommation nationale de farines s'est effondrée à partir de 1989. Les farines animales britanniques, qui avaient représenté en 1989 jusqu'à 4 % de la consommation nationale et un tiers des farines importées avec 16 000 tonnes, n'ont plus été importées de 1991 à 1993. Les échanges ont repris ensuite à un rythme moins soutenu : 455 tonnes en 1994, 1 096 tonnes en 1995 et 131 tonnes en 2000. Il s'agit de farines de volailles et/ou de farines non destinées à la fabrication des aliments pour ruminants.

Le Royaume-Uni semble avoir compensé la perte de ses marchés communautaires par des exportations plus dynamiques vers les pays tiers. En 1989, la France et les Pays-Bas étaient les deux premiers importateurs de farines britanniques avec 16 000 et 6 000 tonnes sur un total de 32 000. En 1993, les 32 000 tonnes exportées ont trouvé comme destination l'Indonésie à hauteur de 20 000 tonnes et Israël à hauteur de 4 000 tonnes. ».

Les éléments d'information donnés par M. Alain Cadiou à la commission d'enquête sur les modes de comptabilisation des échanges intra-européens auront aidé à expliquer le décalage statistique significatif révélé lors de l'audition de M. Gilbert Houins, inspecteur général de l'agriculture de Belgique et M. Pierre Lambotte, conseiller pour les affaires agricoles à l'ambassade de Belgique à Paris, sur les échanges de farines animales entre la France et la Belgique.

Les chiffres d'exportations de farines rendus publics par la Belgique se sont avérés, en effet, beaucoup moins élevés que ceux des importations françaises de farines en provenance de Belgique produits par la France pour la même période. Il semble utile sur ce point de citer le compte rendu de cette audition :

« M. Gilbert HOUINS : ... J'en arrive aux importations et exportations de farines entre la France et la Belgique. J'ai demandé à l'un de mes collaborateurs de vérifier les chiffres auprès de l'Office du commerce extérieur belge sur les dix dernières années. Le bilan, sur dix ans établit une importation nette de France de 248 000 tonnes. Le commerce belge au sein de l'Union européenne se limite en grande partie à la France, aux Pays-Bas, un peu à l'Allemagne et à l'Italie. Les échanges avec les autres pays étaient relativement négligeables. Sur dix ans, 314 000 tonnes ont été importées de France et pratiquement 66 000 tonnes exportées de Belgique vers la France. Cela n'exclut pas, de temps à autre, un carrousel et il peut arriver que des farines soient importées par un négociant pour être réexportées ultérieurement. Je note des variations dans le temps : les chiffres passent de 8 000 tonnes à 4 008, puis à 3 006. J'ai l'impression que le volume des opérations dépend fortement du prix et des opérateurs sur le marché. En 1996, les importations de la France s'établissent à 10 000 tonnes contre déjà 9 700 tonnes l'année précédente. La France a importé 8 000 tonnes en 1990, à nouveau environ 7 000 tonnes en 1999.

Mme Monique DENISE : Qu'en était-il en 1992 ?

M. Gilbert HOUINS : En 1992, la Belgique exportait 3 650 tonnes vers la France et importait 44 000 tonnes de France.

Mme Monique DENISE : Selon les statistiques françaises, la Belgique a exporté, en 1994, 6 750 tonnes vers la France, tandis que les importations françaises de Belgique s'élevaient à 15 750 tonnes.

M. Gilbert HOUINS : Il existe en effet une certaine disproportion ; ni les autorités néerlandaises ni les autorités belges ne pouvaient donner d'explications claires à ce sujet lorsque je les ai interrogées. Je vais vous en livrer une, mais elle n'explique pas tout.

M. Germain GENGENWIN : Tenez-vous compte de l'exportation d'aliments ?

M. Gilbert HOUINS : Non, je ne parle que des farines de viande et d'os. Les aliments sont autre chose. Nous pourrons vous fournir des chiffres sur les aliments qui, il est vrai, font l'objet d'un commerce intense entre la Belgique et la France.

M. Germain GENGENWIN : Il y a donc un retour en France sous forme d'aliments.

M. Gilbert HOUINS : Il y a en effet des exportations. On l'a vu lors de la crise de la dioxine. J'ai vu la chute des exportations vers la France. Mes amis français ne m'ont guère aidé. Un mot d'explication sur les exportations. Je dispose de deux sources quant aux statistiques : l'Office belge du commerce extérieur et les Douanes. Depuis le marché unique, le 1er janvier 1993, les Douanes ont été démantelées et il est difficile d'obtenir des chiffres fiables sur les échanges au sein de l'Union européenne. Peut-être les statistiques sont-elles conformes à la réalité s'agissant des animaux vivants ; en ce qui concerne les produits pour animaux, je doute de la fiabilité des chiffres.

L'Office belge du commerce extérieur obtient ses informations de la Banque nationale belge, mais celle-ci ne réclame les chiffres qu'au-dessus du seuil de dix millions de francs belges. Autrement dit, une entreprise qui tombe au-dessous des 10 millions de francs d'échanges par an ne donne pas ses statistiques. Les Douanes sont une autre source d'informations qui transmettent leurs chiffres à Eurostat à Luxembourg. La base est la déclaration du commerce intra-communautaire, mais avec un seuil différent de celui de la Banque et de l'Office belge du commerce extérieur. Le seuil est d'une tonne de marchandise ou mille euros.

Si vous consultez ces deux sources d'informations, les éléments que vous obtiendrez seront différents, car la base de récolte des statistiques n'est pas la même.

M. le Président : Nous nous intéressons également aux chiffres des importations et des exportations d'aliments pour le bétail.

Mme Monique DENISE : A partir de 1993, la France affirme importer de Belgique beaucoup plus de farines que la Belgique ne déclare en exporter vers la France. Les chiffres que j'ai sous les yeux viennent des Douanes. Les chiffres belges indiquent que la Belgique a exporté en France 6 800 tonnes. Les chiffres des Douanes françaises à l'importation de Belgique indiquent près de 16 000 tonnes, soit plus du double. On se pose la question : d'où viennent ces farines ?

M. Gilbert HOUINS : Vous devez poser la question aux Douanes belges et françaises ! Comme vous, je suis tributaire des chiffres que l'on me fournit.

Mme Monique DENISE : Il est vrai que l'on n'arrive pas à avoir des chiffres clairs auprès des Douanes.

M. Gilbert HOUINS : Nous sommes tributaires des informations des opérateurs. Si un opérateur est négligent, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs, je ne peux pas assurer qu'un service des Douanes ou du commerce extérieur vérifiera si tout le monde a rempli son devoir. Mon expérience est plus grande dans le domaine des pesticides, puisque je préside en Belgique le Comité d'homologation des pesticides. Quand on veut prendre des mesures restrictives, on doit se fonder sur des chiffres fiables d'utilisation. Je me suis adressé à Eurostat pour vérifier les chiffres dont cet organisme disposait il y a quelques années sur le commerce des pesticides en Belgique. C'est effarant ! J'ignore comment ces chiffres étaient obtenus, mais ils différaient totalement des nôtres, qui étaient très précis, car j'avais exigé par arrêté ministériel la communication, deux fois par an, de tous les chiffres de tous les opérateurs, avec des contrôles effectués par mes services. Ils différaient du tout au tout. Un effort est très certainement à faire du côté des statistiques au niveau européen. ».

L'existence de seuils différents en France et en Belgique à partir desquels la déclaration d'échange des biens (DEB) est inévitable, comme l'a indiqué M. Cadiou et le fait que les statistiques douanières françaises, comme on l'a dit précédemment, font référence à la seule origine des produits semble rendre compte de ces discordances statistiques.

En toute hypothèse, il faut clairement, sur cette question des farines animales, relativiser l'importance des chiffres du commerce extérieur au regard des contaminations observées, celles-ci, comme on l'a montré par ailleurs, pouvant avoir emprunté bien d'autres voies.

La commission d'enquête recommande néanmoins une amélioration des statistiques communautaires des échanges.

3.- Les contrôles de la direction générale de l'alimentation (DGAL)

M. Benoît Assemat, président du syndicat des vétérinaires inspecteurs, a présenté devant la commission d'enquête les grands problèmes que rencontrent les contrôles de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture.

Il a fait ressortir les effectifs des personnels qui apportent leur concours aux contrôles : les techniciens, les préposés sanitaires et les ingénieurs.

En 1999, pour l'inspection sanitaire des 380 000 établissements de la chaîne alimentaire, les effectifs nationaux de contrôle n'étaient ainsi, en dehors des abattoirs de boucherie et des ateliers de découpe de volailles que de 425 équivalents temps plein.

Les contrôles sanitaires réalisés par les agents de la DGAL vont « de l'étable à la table », mais ont été étendus par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 au domaine de l'alimentation animale, qui relevait jusque là de la DGCCRF.

M. Assemat a estimé que leur rattachement aux directions départementales de l'agriculture pouvait priver de lisibilité l'action des services vétérinaires aux yeux de l'opinion et il a souhaité que soit prévu un contrôle sanitaire séparé et indépendant de l'appui économique aux filières.

M. Assemat a également suggéré la création d'un échelon intermédiaire dans l'administration vétérinaire entre la direction générale de l'alimentation et les directions départementales des services vétérinaires, échelon qui pourrait coordonner et harmoniser l'activité des services locaux.

Les contrôles menés par les services vétérinaires sont simplifiés pour les échanges intra-communautaires ; mais un contrôle demeure applicable aux échanges d'animaux vivants qui doivent être accompagnés de certificats sanitaires. Pour les échanges avec les pays tiers, les agents des services vétérinaires ont la charge d'inspecter systématiquement tous les lots dans 27 postes d'inspection frontaliers ; ils ont également le pouvoir de refouler éventuellement les marchandises en refusant de signer les documents nécessaires aux dédouanements.

M. Assemat a enfin rappelé que le Gouvernement, convenant de la nécessité de développer les services vétérinaires, avait décidé un plan de recrutement de 300 emplois sur deux ans pour lutter précisément contre l'ESB.

4.- L'appréciation des contrôles

Les dépositions des responsables des différentes administrations en charge des contrôles sanitaires ont permis d'en percevoir les modalités et les limites. Le rapporteur croit utile de présenter par ailleurs les grandes lignes du rapport « sur les contrôles exercés par les services du ministère de l'économie et des finances en matière d'encéphalopathie spongiforme bovine » établi le 18 septembre 1996 par M. Claude Villain, inspecteur général des finances, rapport qui avait parfois une tonalité assez critique.

Le condensé du travail réalisé par M. Villain précisait ainsi : « Les services du ministère de l'économie et des finances en charge respectivement du contrôle des importations, la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et du contrôle des législations sur la qualité et la répression des fraudes, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont, depuis 1989, été actifs sur le terrain de la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou " maladie de la vache folle".

Les textes pris tant au niveau communautaire (réglements, décisions) que national (arrêtés, circulaires) ont été extrêmement nombreux de même que les contrôles pour les appliquer.

Cependant, force est de constater que l'efficacité de ces contrôles a pu être atténuée par de multiples facteurs.

- Les mesures d'interdiction ont été prises avec retard et, semble-t-il, avec des hésitations sur la portée qu'il convenait de leur donner.

- L'absence de méthodes techniques d'analyse totalement fiables aurait dû conduire à des interdictions plus larges dès l'origine.

- Le changement des pratiques douanières découlant, à partir de 1993, du marché unique n'a pas pris en compte les spécificités des produits dangereux ou faisant l'objet de mesures de surveillance comme les farines de viandes ; les contrôles qu'aurait néanmoins pu permettre le nouveau régime n'ont été déclenchés qu'en 1996.

- La coopération entre services du ministère, DGDDI et DGCCRF, a été tardive (1996) alors que celle avec les services vétérinaires a été pratiquement inexistante.

En résumé, tout semble s'être passé comme si les responsables français, notamment ceux du ministère de l'agriculture, considéraient que l'affaire était purement anglaise et que les contrôles d'importation ou de fabrication mis en place à l'origine étaient suffisants. Après les mesures décidées en 1989 et 1990, il faut attendre les développements du printemps 1996 pour que les administrations centrales déclenchent des enquêtes plus coordonnées ou plus approfondies.

Il est toutefois juste de rappeler que, dans l'intervalle, la DGCCRF a suivi de près l'évolution des connaissances scientifiques relatives à la maladie et a fait adopter diverses mesures restreignant l'emploi de produits bovins pour des usages humains. Il est aussi juste de noter que la DGCCRF s'est heurtée aux certitudes du ministère de l'agriculture lorsqu'elle a proposé de renforcer le dispositif entre 1990 et 1996.

En considérant le faible développement de l'ESB en France (sous réserve que tous les cas aient été déclarés) et l'absence de certitudes scientifiques sur la transmission à l'homme, la conduite des autorités gouvernementales et administratives peut paraître justifiée a posteriori compte tenu des spécificités de l'épidémie.

Il faut souligner en particulier, que l'interdiction d'importer les farines britanniques puis celle de l'emploi de farines de viandes pour l'alimentation des ruminants ont été respectées, sauf à mettre à jour des réseaux frauduleux dont on n'a jusqu'ici aucun indice.

Cette expérience révèle néanmoins des carences dans le dispositif douanier issu du marché unique et aussi dans sa mise en _uvre, de même que dans la coordination interservices et interministérielle.

Les leçons doivent en être tirées afin de pouvoir faire face à une menace plus grave dans une Europe à 25 ou 27 membres ou la libre pratique ne commencerait plus dans les Îles Britanniques mais en Roumanie, dans les Etats baltes ou à Malte. »

S'agissant de la coordination entre les autorités responsables des contrôles, le « rapport Villain » contenait d'intéressants développements :

« Quelle que soit la complexité introduite par la dimension européenne, les autorités nationales restent responsables de la façon dont elles organisent leurs contrôles.

De ce point de vue :

- la coordination à l'intérieur du ministère de l'économie et des finances (DGCCRF, DGDDI) a été insuffisante ;

- la coordination entre Économie et Agriculture (direction des services vétérinaires) a été inexistante. ».

S'agissant de la coordination des services à l'intérieur du ministère des finances, le rapport de M. Villain juge « surprenant d'apprendre que les services de la DGCCRF sollicités en juillet 1990 pour l'interdiction d'emploi des farines, n'avaient pas été avisés de l'avis aux importateurs sorti en août 1989. Avertis, ils auraient pu, dans le cadre de leur activité normale de contrôle cibler un an plus tôt les stocks de farine anglaise, mettre en garde les utilisateurs et neutraliser les produits. Il faut sans doute recommander une « lecture » interdirectionnelle du Journal officiel.

Dans le cadre des contrôles, c'est seulement au printemps 1996 que s'est établie une collaboration entre DGCCRF et douane pour échanger les renseignements existants (liste des bateaux, documents irlandais pour faciliter le contrôle des DEB, en sens inverse notification des DEB suspectes à la DGCCRF).

Entre 1989 et 1993, période ou les dérogations des services vétérinaires devaient être présentées aux douanes avant dédouanement, leur transmission systématique à la DGCCRF aurait permis aux agents chargés du contrôle de voir si les spécifications d'emploi étaient respectées par les entreprises. Aujourd'hui encore, à l'occasion des contrôles approfondis, les entreprises reçoivent séparément la visite des deux administrations, sans compter celle des services vétérinaires. ».

Le rapport critique également la coordination avec les services vétérinaires : « Limitée au niveau central (on retrouve trace d'une circulaire commune d'application de l'arrêté d'interdiction de l'emploi des farines de viande) elle a été quasi inexistante au niveau local jusqu'en 1996. Aujourd'hui encore, le ministère de l'agriculture n'a pas transmis, ou n'est pas en état de transmettre aux services du ministère de l'économie la liste complète des dérogations attribuées aux importateurs de farine britannique. Ce n'est aussi qu'en 1996 que la liste des cas d'ESB a été transmise à la DGCCRF.

Or les services vétérinaires avaient un rôle essentiel à jouer.

S'agissant des farines, comme des cas d'ESB déclarés, leur collaboration en amont aurait permis de cibler les contrôles dès 1989. Ce rôle était encore plus large pour le contrôle entre 1993 et l'embargo total de 1996 du bétail vivant autorisé et des viandes. C'était en effet aux services vétérinaires de s'assurer que les produits étaient bien accompagnés des documents établis par les services britanniques. ».

Les interdictions prévues par exemple en matière d'usage des farines animales, les règles retenues en matière d'équarrissage comme d'étiquetage ou de traçabilité n'ont de sens que si des contrôles efficaces et adaptés en garantissent l'application.

Le maintien en France, à la différence du Royaume-Uni, de services publics de contrôle plutôt performants a sans doute contribué à atténuer pour notre pays les effets de la crise de l'ESB. Il explique le fait qu'avec un cheptel bovin deux fois plus important que celui de la Grande-Bretagne, notre pays compte six cents fois moins de cas d'encéphalopathie spongiforme bovine. M. Jean Glavany a pu faire remarquer ainsi à la commission d'enquête, que nous comptons près de 4 000 agents dans les services vétérinaires, quand le Royaume-Uni n'en compte que 300.

Le « rapport Chevallier » de mars 2000 suggérait la mise en place d'un contrôle unifié de la sécurité sanitaire de l'alimentation, afin d'accroître l'efficacité des contrôles actuels. M. Benoît Assemat, président du syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration, a de nouveau insisté sur la nécessité d'une telle réforme : « il serait bon d'insister sur la nécessité d'un contrôle sanitaire unifié. C'est un atout important dont dispose notre pays, mais il faut en tirer les conséquences. Comme plusieurs rapports l'ont indiqué, qu'ils s'agissent de rapports parlementaires ou d'un récent rapport réalisé par l'Ecole nationale d'administration, il faut mettre en place dans notre pays une autorité pleinement responsable de la sécurité sanitaire de l'alimentation. C'est un point important pour l'efficacité du dispositif. ».

Telle n'était pas l'analyse de M. Olivier Kriegk, directeur scientifique du groupe Cana qui a estimé que : « La multiplicité des instances de contrôle des filières dont nous parlons - la DGCCRF pour certains aspects, la direction des services vétérinaires, le ministère de l'agriculture pour d'autres - conduit à effectuer des contrôles largement complémentaires, plus que concurrents. Il est important pour le citoyen d'avoir l'assurance que des contrôles sont exercés sur les entreprises qui concourent à la production alimentaire. J'ai le sentiment partagé d'être face à une administration parfois mal coordonnée, mais le plus souvent efficace dans ses contrôles. Les relations entre pouvoirs publics et entreprises sont, d'une manière générale, de bonne qualité et intelligentes, dans la mesure où les contrôles sont effectués avec pertinence et compétence. Parfois aussi, on a le sentiment que la multiplicité des intervenants conduit à une multiplicité des contrôles, ainsi qu'à une certaine lourdeur dans le fonctionnement des entreprises. Globalement, à regarder ce qui se passe dans les pays européens qui nous entourent, je crois que nous pouvons être fiers du système de contrôle mis en place en France. Nous sommes plutôt satisfaits de la manière dont cela fonctionne. »

M. Philippe Vasseur, qui a été ministre de l'agriculture du 18 mai 1995 au 2 juin 1997, a même estimé : « Pour ma part, j'ai pu constater que le fait d'avoir plusieurs administrations qui ne sont pas concurrentes et _uvrent toutes dans le sens de l'intérêt général crée une certaine émulation. Nous avons assisté à une surveillance croisée, car chaque administration ou autorité de contrôle, voulant démontrer qu'elle accomplissait bien son travail avait plutôt tendance à surveiller son voisin. »

La commission d'enquête croit utile de conserver cette diversité des contrôles, tout en appelant de ses v_ux une meilleure coordination. La formule des pôles de compétence de sécurité alimentaire, dont on a déjà parlé, qui réunit les représentants des différentes administrations en charge de la sécurité alimentaire, devrait être généralisée à l'ensemble des départements, du fait qu'elle rend possibles un renforcement des relations entre agents, une concertation dans la compréhension des textes et l'analyse des risques et une coordination des contrôles, tous éléments qui permettent de mieux satisfaire les attentes du consommateur.

III.- LA LUTTE CONTRE L'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE

Avant d'exposer les moyens de la lutte contre l'ESB, on décrira brièvement l'évolution récente de l'épizootie.

A.- L'ÉVOLUTION DE L'ÉPIZOOTIE D'ENCÉPHALOPATHIE SPONGIFORME BOVINE

Après une présentation de l'épizootie, on abordera la question de la transmissibilité de l'ESB aux ovins.

1.- Les caractéristiques de l'épizootie d'ESB

Une présentation d'ensemble de l'ESB peut être ainsi schématisée : cette maladie animale demeure un phénomène principalement britannique ; elle a dans notre pays des contours particuliers ; la crise s'est enfin récemment étendue en Europe et pourrait concerner dans l'avenir certains pays tiers.

· Mais, auparavant, on évoquera les bases scientifiques et les hypothèses associées à celles-ci, qui peuvent rendre compte de l'origine de l'épizootie britannique et de son passage en France. Ces données ont été communiquées au rapporteur par le Dr Jean-Philippe Deslys, chercheur au CEA et co-inventeur du test de dépistage CEA/Bio-Rad.

La contamination des bovins au Royaume-Uni

Bases scientifiques :

1) Le caractère massif de l'évolution des contaminations jusqu'à l'interdiction des farines en juillet 88 se traduit sur les cartes, avec un décalage de 4 à 5 ans, par l'explosion du nombre de cas, entre 87 et 92. Cela veut dire qu'avant même l'apparition du premier cas officiel en 86, l'ensemble du Royaume-Uni était déjà touché. Il existe toutefois un gradient avec un épicentre dans le Sud de l'Angleterre et une progression du Sud vers le Nord au cours du temps.

2) Les premiers cas d'ESB apparaissent en 85-86, disséminés dans toute l'Angleterre et le Pays de Galles ce qui implique une contamination large 4 à 5 ans avant (confirmée par l'évolution qui a suivi), c'est-à-dire vers 1981 et donc au minimum un premier cycle de contamination vers 76-77 et sans doute un autre encore antérieur vers 71-73.

3) L'évaluation de l'extraction par solvant indique que cette étape n'a pas d'effet apparent sur l'inactivation des prions. L'abandon de cette étape dans la fabrication des farines de viande et d'os au début des années 80 n'a sans doute pas joué de rôle dans la dissémination de l'ESB, contrairement à ce qui avait été supposé en raison de la concordance des dates (cf. courbes).

4) L'évaluation des différentes techniques de fabrication des FVO indique qu'en dehors d'un traitement sous pression 133°C 3 bars (non utilisé au Royaume-Uni), aucune n'avait une efficacité suffisante (réduction d'un facteur 100 en moyenne). D'autre part en cas de chauffage insuffisant (100°C), il n'y a plus aucune inactivation.

5) En France, deux grands groupes industriels se partagent le marché, tandis qu'en Grande-Bretagne il existait 50 compagnies avec différents statuts (dont une détenait à elle seule 60 % du marché) et différents modes opératoires.

6) L'abandon des méthodes traditionnelles de fabrication des FVO à partir du début des années 70 a été dicté par des raisons économiques, notamment de réduction de dépenses d'énergie (le principal poste budgétaire dans cette fabrication, qui repose sur la cuisson).

7) Il convient de rappeler qu'en 73 a lieu le premier choc pétrolier et une crise économique importante.

La contamination des bovins au Royaume-Uni

Scénario proposé :

Première phase, l'un des multiples fabricants de FVO dans le sud de l'Angleterre change de mode de fabrication au début des années 70 et, en plein choc pétrolier, essaie de réduire au maximum le chauffage de ses farines. Dans ses matières premières, il peut avoir un bovin retrouvé mort après avoir développé une forme sporadique d'ESB, un mouton ayant développé une forme particulière de tremblante, un animal exotique ayant développé une encéphalopathie spongiforme inconnue: avec un chauffage très insuffisant, et peut-être une production limitée, donc un produit contaminé qui reste concentré (plus la production est importante, plus l'animal contaminé est dilué au milieu des animaux sains), la dose infectieuse présente dans les farines est suffisante pour contaminer des bovins par voie orale. Le premier cycle de contamination est amorcé.

Deuxième phase, vers 77, les premiers bovins contaminés, retrouvés morts ou jugés impropres à la consommation, sont envoyés à l'équarrissage (avec l'intégralité de la cervelle et de la moelle épinière) et sont transformés en farines. La dose infectieuse est devenue très importante avec un agent qui s'est adapté à son hôte: même les fabricants qui chauffent correctement ne peuvent plus empêcher sa diffusion, a fortiori si les expériences d'économie d'énergie et de chauffage insuffisant perdurent.

Troisième phase, vers 81, les premiers bovins contaminés du cycle précédent reviennent à l'équarrissage et la vraie contamination à très grande échelle commence. Plus rien ne l'arrêtera avant l'interdiction totale des farines (1) (à ce stade de contamination, même des contaminations croisées limitées suffisent à propager la maladie: le facteur de dilution, qui est bénéfique et constitue une protection en cas de contamination faible, devient alors inefficace ; au contraire, en cas de contamination forte, la dilution devient insuffisante pour abaisser l'infectiosité en dessous de la dose dangereuse par voie orale et devient nuisible en augmentant la dissémination de la maladie).

(1) Intervenue en 1996 en Grande-Bretagne.

La contamination des bovins en France

Bases scientifiques :

1) Les importations de farines britanniques en France ont triplé entre 88 et 89.

2) Pendant cette période, plus de 9000 bovins ont développé une ESB au Royaume-Uni et aucun en Europe.

3) La première vague de contamination des bovins français est survenue en 88-89 et a touché moins de 25 animaux nés pendant cette période.

4) La deuxième vague de contamination des bovins français est survenue en 93-95 et a touché à ce jour près de 250 animaux nés pendant cette période.

5) Pendant la période 93-95, près de 74 000 bovins ont développés une ESB au Royaume-Uni, dont près de 30 000 nés après l'interdiction des farines (18 juillet 88) contre 8 en France et 200 en Europe continentale.

6) En 93 est survenue l'ouverture des frontières avec la création du marché unique en Europe ; les exportation de produits bovins et de bovins vivants du Royaume-Uni vers l'Europe ont plus que doublé entre 92 et 95.

7) Les enquêtes de la brigade vétérinaire indiquent que pour tous les cas d'ESB en France, on retrouve la notion d'une utilisation d'aliments « jeunes bovins » fabriqués dans les mêmes usines qui utilisaient légalement des farines animales (qui pouvaient être britanniques) pour les aliments destinés aux porcs et aux volailles. Indépendamment des fraudes, des contaminations croisées des aliments pouvaient survenir à tous les niveaux de fabrication et de conditionnement (les filières n'étaient pas séparées).

Scénario proposé :

1) En 88-89 des importateurs français achètent des farines contaminées britanniques qui sont interdites en Grande-Bretagne pour les ruminants mais restent permises pour les porcs et les volailles. Conscients du danger potentiel, ils prennent la précaution de les diluer et de les réserver aux porcs et aux volailles. Cependant, en raison des contaminations croisées qui existent obligatoirement aux différents niveaux de la filière de fabrication d'aliments pour animaux, la nourriture pour bovin est faiblement contaminée (moins de 25 bovins officiellement contaminés à cette période). A la même période, des importateurs Suisses achètent des farines belges qui sont en réalité britanniques et, ne se méfiant pas, les donnent directement aux bovins (plus de 200 cas d'ESB chez des bovins nés entre 88 et 90).

2) À partir de 93, avec l'ouverture des frontières et l'augmentation des exportations britanniques, des farines contaminées de façon importante se retrouvent dans l'alimentation des porcs et des volailles et peuvent ainsi contaminer les circuits destinés aux ruminants. Ces farines pouvaient être directement britanniques (mais cela ne correspond pas aux chiffres officiels des douanes) ou bien labellisées européennes et contaminées par des bovins nés au Royaume Uni entre 88 et 90. Les enquêtes en cours permettront peut-être de savoir si cette contamination de l'alimentation des bovins a pu avoir lieu également par d'autres voies (graisses animales des lactoremplaceurs par exemple).

Cette démonstration est étayée par les schémas suivants, qui font apparaître :

- l'impact de l'interdiction partielle des FVO en Europe occidentale, avec l'exemple particulièrement significatif de la Suisse ;

- la représentation des cas d'ESB chez des bovins nés après l'interdiction des farines au Royaume-Uni.

Représentation des cas d'ESB correspondant à des bovins
nés après l'interdiction des farines au Royaume-Uni

graphique

Le Royaume-Uni pouvait légalement exporter des bovins nés après juillet 1988 et en incubation d'ESB (42 558 cas NAIF sont apparus entre juillet 1988 et décembre 2000 soit près de 23 % des cas d'ESB diagnostiqués au Royaume-Uni).

Impact de l'interdiction des FVO en Europe continentale (exemple Suisse)

graphique

Ces graphiques font apparaître :

- l'augmentation des exportations de farines animales britanniques à compter de leur interdiction au Royaume-Uni ;

- l'augmentation corrélative des cas d'ESB nés au cours des années d'importation ;

- une reprise des cas d'ESB nés dans les années qui ont suivi l'interdiction des FVO, en raison d'un probable recyclage d'animaux contaminés dans des farines destinées à des non ruminants. Ici comme ailleurs, des contaminations croisées ont donc pu se produire.

Correspondance entre l'apparition de cas d'ESB au Royaume-Uni
et les contaminations en France

graphique

On constate ainsi que la contamination du cheptel français s'est effectuée dans des conditions qui n'étaient pas contraires à la réglementation de l'époque :

- par les bovins vivants importés du Royaume-Uni alors qu'ils étaient infectés (importations stoppées seulement en 1996) ;

- par les farines britanniques massivement importées en 1989 (29 000 tonnes au 1er semestre 1989 contre 10 000 au second semestre 1988), l'avis aux importateurs n'étant intervenu que le 13 août 1989 ;

- par les farines françaises fabriquées avec les bovins britanniques importés et les bovins français contaminés par les farines britanniques.

Certes, les farines sont interdites pour l'alimentation des bovins dès le 24 juillet 1990, mais :

· le champ de l'interdiction est très étroit et laisse une grande marge de man_uvre à l'utilisation légale des farines (pour les ruminants autres que les bovins et tous les autres animaux) ;

· les circuits de fabrication des aliments pour animaux ne sont pas systématiquement séparés en fonction des catégories d'utilisateurs (bovins - autres animaux), ni les moyens de transport des aliments, ni sans doute les récipients utilisés dans les exploitations.

Toutes les conditions sont remplies pour que les contaminations croisées produisent leur plein effet, d'autant plus que ce n'est qu'en 1994 qu'intervient l'interdiction d'utiliser les farines animales pour l'ensemble des ruminants dans tous les pays communautaires.

La mesure essentielle de lutte contre l'ESB intervient en 1996 en France avec :

- l'interdiction d'incorporer des cadavres d'animaux, les saisies sanitaires et les MRS dans les farines destinées à l'alimentation des animaux (et dont l'utilisation est légale pour les non-ruminants) ;

- l'interdiction d'utiliser les MRS pour la consommation humaine.

En effet, il a été prouvé que ce sont ces organes et ces animaux qui sont contaminants.

À cette époque, seul le Royaume-Uni prend une mesure de précaution comparable - et plus radicale encore - en interdisant toute utilisation des farines animales.

Mais les autres Etats membres de l'Union européenne ne prennent aucune mesure de cet ordre et refusent d'adopter les textes que leur propose la Commission européenne à plusieurs reprises (cf. supra Deuxième partie).

Dès lors, c'est en toute légalité que circulent sur le territoire communautaire - et pénètrent en France - des produits contaminés.

Il est donc secondaire pour la commission d'enquête de s'interroger sur la part résiduelle qu'ont pu jouer des importations frauduleuses ; cette question est toutefois essentielle pour la justice, laquelle est saisie de plaintes contre de telles fraudes, ce qui conduit la commission d'enquête à respecter la séparation des pouvoirs.

Il va de soi que l'intensité des contaminations croisées a pu être accrue par des phénomènes de fraude, tandis qu'elle a été, à l'inverse, réduite par le comportement de certains organismes professionnels, si l'on en croit leur témoignage.

Par ailleurs, la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS), ayant effectué une mission en Grande-Bretagne en 1989, alerte le ministère de l'Agriculture à son retour, sur l'épizootie d'ESB, sans toutefois évoquer les farines animales.

Pour d'autres acteurs, comme les fabricants d'aliments, la rétrospective est nuancée de regrets : « En France, il aurait fallu aller plus vite. Depuis 1996, nous nous sommes concentrés sur ce problème. Début 1997, nous avons estimé avoir manqué quelque chose d'important en France. Les fabricants d'aliments auraient dû dès 1996 et 1997 recommander à leurs adhérents de ne plus utiliser de farines animales. C'est ce que nous aurions dû faire et nous n'avons pas eu le courage de faire. Nous nous rendions compte du fait que l'on allait rencontrer des problèmes.

En 1997, on nous disait qu'il y avait extrêmement peu de risques que les farines animales qui se trouvaient par inadvertance dans les aliments pour ruminants puissent contaminer un bovin. Les scientifiques à l'époque disaient qu'il en faudrait une telle quantité qu'il y avait peu de chance pour que cela contamine l'animal. Trois ans plus tard, on s'aperçoit que quelques grammes suffisent. C'est toute l'inquiétude que l'on peut avoir sur cette maladie. Il ne s'agit pas d'accuser, mais, encore une fois, il est beaucoup plus facile après coup de voir ce qui s'est passé, et en tenant compte de toutes les connaissances que l'on a accumulées depuis.

De toute évidence, depuis 1996, nous étions face à un problème de santé humaine. Le principe de précaution dont on parle tant aujourd'hui, peut-être aurait-il fallu l'appliquer plus tôt, mais encore une fois, c'est facile à dire aujourd'hui. La cohérence entre les différentes administrations a peut-être été insuffisante. » (M. Daniel Rabiller, président du Syncopac).

L'ESB est aujourd'hui encore largement une réalité britannique. La prévalence de cette maladie animale au Royaume-Uni est la plus élevée, puisque l'on y compte près de 180 000 cas (179 683 au 31 mars 2001). La propagation de l'ESB est nettement moindre en dehors de la Grande-Bretagne : 1 639 cas au 31 mars 2001. Plusieurs pays européens connaissent un nombre de cas significatif : l'Irlande (638 cas), le Portugal (545 cas), la Suisse (374 cas) et la France (302 cas).

L'incidence annuelle des cas d'ESB au Royaume-Uni était en 1999 de 422 cas par million de bovins de plus de 24 mois à rapprocher du chiffre de 8 000 en 1992, pic de l'épizootie anglaise, alors qu'à la même époque, l'on comptait, par million de bovins de plus de 24 mois, 52 cas en Suisse et 27 cas en Irlande.

À la fin septembre 2000, l'incidence sur les douze derniers mois des cas totaux d'ESB identifiés en France n'était que de 6,4 cas par million de bovins de plus de 24 mois. En France, le nombre des bovins atteints a crû fortement à compter de 1998. L'évolution du nombre d'animaux touchés par l'ESB a été ainsi la suivante depuis 1991 :

1991

5

1992

0

1993

1

1994

4

1995

3

1996

12

1997

6

1998

18

1999

31

2000

162

2001

   82 (1)

(1) à la date du 22 mai 2001.

Source : Office international des épizooties (OIE).

L'augmentation du nombre des cas en 2000, ainsi qu'au début de 2001 est due en partie à la mise en place de tests de dépistage de la maladie à partir de juillet 2000, qui sont venus compléter le dispositif d'épidémiosurveillance dite « passive » créé en 1990 et qui ont entraîné un accroissement d'un tiers du nombre des cas d'ESB détectés.

Trois régions (Bretagne, Pays-de-Loire et Basse Normandie) et quatre départements (Côtes d'Armor, Finistère, Manche et Mayenne) comptent le plus grand nombre de cas d'ESB, qui atteint principalement les animaux du troupeau laitier (90 % des animaux).

Pour M. Jean-Jacques Rosaye, président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS), les contaminations se sont opérées suivant deux grandes « vagues ». La première vague a eu lieu en 1988, 1989 et 1990, les animaux concernés ayant développé la maladie en 1993, 1994 et 1995, alors que la seconde « vague » de contamination par l'ESB s'est produite entre 1993 et 1996, les cas d'ESB aujourd'hui détectés en étant issus et concernant des animaux nés après l'interdiction des farines (NAIF). L'importation de farines carnées du Royaume-Uni a été incontestablement le facteur essentiel de contamination pour la première « vague ». L'analyse épidémiologique révèle que c'est dans les régions de l'ouest et, principalement en Bretagne, que se trouvait la majorité des bovins alors atteints. Certains d'entre eux ont été détectés par le réseau d'épidémiosurveillance entre 1992 et 1994.

Cependant, certains cas n'ont pas été détectés à cette époque et sont venus infecter les farines animales, ce qui a entraîné une seconde « vague » de contamination visant les animaux nés dans les années 1993 à 1996, mais, cette fois, par l'usage de farines de viandes et d'os françaises.

S'agissant des voies de contamination, rappelons brièvement, puisque ce point a été examiné déjà dans le rapport, qu'il existe deux modes d'infection au regard des connaissances actuelles : l'ingestion de farines animales et la transmission de la vache au veau, s'agissant de veaux nés dans les six mois précédant l'apparition de signes cliniques chez la mère. Avec ces deux types de transmission d'importance d'ailleurs inégale (la contamination « mère-veau » représenterait, selon les scientifiques britanniques, au maximum 10 % de l'ensemble), il apparaît que les animaux se contaminent dans les premiers mois de vie.

Au total, la maladie de la « vache folle » atteint environ 600 fois moins de bovins en France qu'au Royaume-Uni.

· La communautarisation de la crise de l'ESB est devenue patente à la fin de l'année 2000 et du début de 2001. L'Espagne, puis l'Allemagne et enfin l'Italie, qui se déclaraient exemptes d'ESB ont dû constater la présence de cas autochtones.

La prise de conscience brutale par ces pays de la réalité de la maladie dans leurs troupeaux (le vendredi 24 novembre 2000 restera un « vendredi noir » pour nos voisins allemands) a enfin permis l'intervention de certaines décisions communautaires, telles que la suspension de l'usage des farines animales ou la mise en place de tests de dépistage systématiques. Quant au Portugal, il connaît de nombreux cas d'ESB (545 au 31 mars 2001), depuis qu'a été détecté le premier bovin atteint en 1994.

Le tableau suivant indique, à la date du 31 mars 2001, la prévalence de la maladie, soit le nombre de cas d'ESB dans le monde depuis l'apparition de cette affection animale au Royaume-Uni.


Nombre de cas d'encéphalopathie spongiforme bovine au 31 mars 2001

pays

Jusqu'en 1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001(d)

Total

Royaume-Uni

442

2 473

7 166

14 294

25 202

37 056

34 829

24 290

14 475

8 090

4 335

3 197

2 281

1 425

128

179 683

Allemagne

0

0

0

0

0

1(a)

0

3(a)

0

0

2(a)

0

0

7

44

57

Belgique

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

1

6

3

9

8

27

Danemark

0

0

0

0

0

1(a)

0

0

0

0

0

0

0

1

2

4

Espagne

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

2

36

38

France

0

0

0

0

5

0

1

4

3

12

6

18

31(b)

162

60

302

Irlande

0

0

15(b)

14(b)

17(b)

18(b)

16

19(b)

16(b)

74

80

83

95

149

42

638

Italie

0

0

0

0

0

0

0

2(a)

0

0

0

0

0

0

11

13

Luxembourg

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

1

0

0

0

0

1

Pays-Bas

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

2

2

2

2

6

14

Portugal

0

0

0

1(a)

1(a)

1(a)

3(a)

12

15

31

30

127

159

150(b)

15

545

Total sans le RU

0

0

15

15

23

21

20

40

34

117

122

236

290

482

224

1 639

Total UE

442

2 473

7 181

14 309

25 225

37 077

34 849

24 330

14 509

8 207

4 457

3 433

2 571

1 907

352

181 322

Île de Man

0

6

6

22

67

109

111

55

33

11

9

5

3

0

0

437

Jersey

0

1

4

8

15

23

35

22

10

12

5

8

6

3

0

152

Guernesey

4

34

52

83

75

92

115

69

44

36

44

25

11

11

0

695

Liechtenstein

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

2

0

0

0

2

Suisse

0

0

0

2

8

15

29

64

68

45

38

14

50

33

8

374

Autres (c)

0

0

3

0

0

0

1

0

0

0

0

0

0

0

0

4

Total mondial

446

2 514

7 246

14 424

25 390

37 316

35 140

24 540

14664

8 311

4 553

3 487

2 641

1954

360

182 986

Sources : Jusqu'en 1996 inclus, OIE pour tous les pays ;

Après 1996, Système de notification des maladies animales pour les États membres complété par les rapports mensuels ESB du Royaume-Uni et du Portugal ainsi que ceux portant sur les tests ; OIE pour les autres pays.

(a) Cas importés.

(b) Comprend des cas importés Irlande : 5 en 1989, 1 en 1990, 2 en 1991 et 1992, 1 en 1994 et 1995 - France : 1 en 1999 - Portugal : 1 en 2000.

(c) Cas importés enregistrés en 1989 (îles Malouines : 1 ; Oman : 2) et en 1993 (Canada : 1)

(d) Date de la confirmation du dernier cas en 2001 : Allemagne (29 mars), Belgique (29 mars), Danemark (23 février), Espagne (30 mars), France (30 mars), Irlande (22 mars),

Italie (30 mars), Pays-Bas (28 février), Royaume-Uni, Île de Man, Jersey et Guernesey (données provisoires au 30 mars), Suisse (données provisoires au 30 mars),
Portugal (données provisoires au 30 mars).

Aujourd'hui, seules en Europe, l'Autriche, la Finlande, la Grèce et la Suède ne présentent pas de cas autochtones d'encéphalopathie spongiforme bovine.

· Cette présentation de l'épidémiologie de l'ESB ne serait pas complète, si l'on n'évoquait la situation extra-européenne. Aux Etats-Unis, le département de l'agriculture affirme qu'aucun cas de « vache folle » n'a été détecté à ce jour, y compris au moyen de tests opérés sur des animaux importés de pays atteints par cette affection animale. Les Etats-Unis sont pourtant frappés, depuis de longues années, par deux maladies proches de l'ESB, celle du « dépérissement chronique » des cervidés et celle de la « vache couchée » ou « vache amorphe ». On ne peut exclure que ce sont peut-être simplement les défaillances du système d'épidémiosurveillance d'outre-Atlantique qui peuvent expliquer cette situation. Rappelons que les Etats-Unis interdisent systématiquement depuis 1989 l'importation de ruminants vivants ainsi que de farines carnées, d'abats et de graisses en provenance de pays où des cas autochtones d'ESB ont été détectés. Ces restrictions ont été étendues à l'ensemble de l'Union européenne en décembre 1997, les aliments du bétail fabriqués en Europe et contenant des protéines animales étant, par ailleurs, interdits depuis le 7 décembre 2000, afin d'éviter les phénomènes de « contaminations croisées ».

En tout cas, l'ESB a très bien pu déborder les frontières européennes ; tel a été le point de vue exprimé devant la commission d'enquête par M. Jean-François Mattei, qui déclarait : « Je pense qu'il y en aura [des cas d'ESB] dans les pays du tiers-monde, car le jour où les pays européens ont cessé leurs importations de Grande-Bretagne, les cargaisons de farines sont pour l'essentiel parties vers le tiers-monde, où elles auront probablement produit les mêmes effets. Je le dis avec prudence, mais c'est plausible. ». Les experts de l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estimaient, quant à eux, en janvier 2001, que l'Europe de l'Est, l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Inde pourraient, du fait qu'ils ont importé du bétail ou de la viande à l'os d'Europe de l'Ouest et, plus spécialement, du Royaume-Uni, pendant et après les années 1980, être frappés par l'ESB dans les prochaines années. Ce risque existerait, selon les responsables de la FAO, pour au moins cent pays, auxquels il est conseillé d'interdire pour l'avenir l'utilisation dans l'alimentation du bétail des farines carnées.

· Quelles prévisions raisonnables peut-on faire sur l'évolution de cette maladie animale ? Citons sur ce point les propos tenus par le Dr. Dominique Dormont, président du Comité interministériel sur les ESST et les prions : « Je pense que le problème bovin est en voie de résolution, même si je ne suis pas sûr que l'on éradique totalement la maladie bovine. Je ne sais s'il ne persistera pas un état endémique de maladie bovine. Mais le corps social a pris conscience du problème ; les autorités communautaires également [...] Je crois que nous ne devrions pas connaître des catastrophes de type britannique. ». M. Gabriel Blancher, Président de l'Académie nationale de médecine, a exprimé un point de vue analogue : « Malgré le peu de connaissances dont nous disposons, nous avons pris des mesures cohérentes, ce qui devrait faire diminuer le nombre de cas. ».

Tout indique que c'est précisément cette année qui sera décisive dans l'évolution de l'ESB, comme l'a souligné M. Martin Hirsch, directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) : « 2001 est une période charnière, que l'on peut qualifier d'année vérité. En effet, compte tenu de la durée moyenne d'incubation de la maladie qui est de cinq ans, c'est au cours de l'année 2001, et notamment dans sa deuxième partie, que nous pourrons voir si les mesures mises en _uvre en 1996 se traduiront réellement par une inflexion sensible du nombre de cas détectés d'ESB dans l'espèce bovine. ».

2.- La question de l'« ESB ovine »

Les développements que cette question a connus au début de 2001 nous conduisent à évoquer les incidences de l'épizootie bovine sur les ovins. La tremblante du mouton et de la chèvre est, comme l'ESB, une « maladie à prions », dont les grandes caractéristiques décrites dès le début du 18e siècle, nous ont beaucoup appris sur l'encéphalopathie spongiforme bovine elle-même. Comme la tremblante, en effet, la maladie de « la vache folle » a une longue période d'incubation et se transmet par l'ingestion de tissus contaminés ; l'agent pathogène s'accumule dans le système nerveux central et, à un moindre degré, dans les tissus lymphoïdes ; seul un examen histologique peut, dans les deux cas, révéler les lésions caractéristiques des ESST.

Toutefois, plusieurs caractéristiques opposent tremblante et ESB : la première est connue depuis près de trois siècles, quand la maladie bovine semble bien ne s'être développée qu'à la fin des années 1980 au Royaume-Uni. Mais surtout, la tremblante ovine ne paraît pas poser de problèmes de santé publique, car elle ne serait pas transmissible à l'homme alors que le drame de la maladie de « la vache folle »  vient précisément du fait qu'elle comporte une variante humaine incurable. On peut noter également que l'ESB a frappé surtout les régions de l'Ouest (Bretagne, Pays de Loire et Basse-Normandie), alors que la tremblante ovine et caprine est beaucoup plus présente dans nos régions méridionales (principalement dans les Pyrénées-Atlantiques pour la tremblante ovine).

Une relation singulière s'est établie, au début de l'année 2001, entre la maladie de « la vache folle » et le troupeau ovin. Suivant en cela l'analyse retenue par le comité scientifique directeur européen dans un avis publié le 14 février 2001, où était exprimée l'hypothèse que l'ESB avait pu contaminer une partie de la population ovine et caprine européenne, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) suggérait, dans un avis rendu le 15 février 2001, suite à une saisine par le Gouvernement du 2 novembre 1999, de prendre, en application du principe de précaution, plusieurs mesures touchant à « l'élimination de certains organes et tissus ovins et caprins ».

L'AFSSA considérait qu'il existait, en effet, un risque de présence de l'ESB chez les ovins. Tout en notant que l'ESB a été transmise au mouton uniquement en conditions expérimentales et « qu'aucun élément nouveau ne permet d'affirmer que cette transmission a été réalisée dans les populations d'élevage », l'AFSSA conseillait « d'anticiper l'éventuelle confirmation de la présence avérée de l'agent de l'ESB dans le cheptel bovin et/ou caprin ».

L'AFSSA suggérait ainsi d'allonger, pour les ovins, la liste des matériaux à risque spécifiés exclus de la consommation humaine et ce, en tenant compte des particularités de l'infectiosité ovine et caprine. Contrairement à ce qui se passe, en effet, pour les bovins, où l'infectiosité se concentre pour l'essentiel dans le cerveau et la moelle épinière, l'infectiosité ovine est beaucoup plus disséminée et peut résider plus largement dans les tissus lymphoïdes. Devaient ainsi être exclues les cervelles de moutons dès l'âge de six mois, au lieu de douze actuellement. L'AFSSA suggérait également d'exclure les rates et les intestins de tous les ovins, alors qu'ils ne sont aujourd'hui retirés que s'ils proviennent de troupeaux dans lesquels ont été détectés des cas de tremblante.

Mme Geslain-Lanéelle (DGAL) a indiqué lors de son audition les suites que le Gouvernement avait donné à cet avis de l'AFSSA : « Dès juillet de l'année dernière, nous avons été amenés à demander à nouveau à l'AFSSA de procéder à une réévaluation des MRS pour les ovins, car il convenait de tenir compte le cas échéant de nouveaux éléments scientifiques. L'avis rendu dans le courant du mois de février 2001 résulte de ce travail initié plusieurs mois auparavant. Cette recommandation de gestion du risque conduit à considérer que, même en l'absence de nouvelles données scientifiques sur la transmission de l'ESB aux ovins et aux caprins, il convient de prendre des mesures de précaution supplémentaires à la fois pour élargir les catégories d'animaux auxquelles s'applique le retrait d'un certain nombre de viscères lorsqu'un cas de tremblante est déclaré dans le troupeau, et retirer, pour tous les animaux présentés à l'abattoir à partir de six mois, un certain nombre de tissus et d'organes. Je pense en particulier aux intestins dont l'AFSSA recommande le retrait.

Nous avons étudié ces mesures et nous avons l'intention de saisir à nouveau l'AFSSA sur la question des intestins, car il nous semble qu'un certain nombre de données scientifiques et techniques n'ont pas été prises en compte par l'AFSSA dans son avis. Nous aimerions savoir si ces nouvelles données peuvent faire évoluer l'AFSSA dans son évaluation du risque. Nous envisageons de renforcer la surveillance de la tremblante ovine, de rallonger la liste des MRS, en particulier d'abaisser l'âge des animaux concernés par ce retrait des MRS et nous examinons, comme je viens de vous le dire, la question des intestins. ».

Dans l'état actuel des choses, par conséquent, le gestionnaire du risque a préféré différer la décision et demander à l'AFSSA une étude scientifique complémentaire sur la question des intestins.

B.- LES PRINCIPALES MESURES EN VIGUEUR

1.- L'embargo sur la viande et les produits bovins britanniques

Seule aujourd'hui en Europe, la France maintient l'embargo décidé le 21 mars 1996, juste après la révélation par les autorités du Royaume-Uni de la transmissibilité de l'ESB à l'homme. Cette mesure est contestée par la Commission européenne, qui fait valoir que la mesure d'embargo a été levée par une décision communautaire en août 1999. Et le comité scientifique directeur, interrogé à l'automne 1999 sur la légitimité d'une persistance de l'embargo, avait clairement fait observer que les précautions prises par les Britanniques ne le cédaient en rien à celles que pouvaient prendre leurs partenaires face à l'ESB.

M. David Barnes, premier secrétaire à l'Ambassade du Royaume-Uni en France, comme le Professeur Ian Mac Connell, ont estimé que le maintien d'un embargo sur les produits bovins de Grande-Bretagne ne semblait plus du tout justifié. Ils ont fait valoir les nombreuses mesures de sécurité apportées désormais par le Royaume-Uni : suppression du recours aux farines animales pour les ruminants depuis le 18 juillet 1988 et pour les autres animaux depuis 1996, élimination des abats à risque en alimentation humaine depuis le 13 novembre 1989 et interdiction de leur utilisation dans l'alimentation animale depuis le 25 septembre 1990, retrait de la chaîne alimentaire des bovins de plus de trente mois, les experts ayant démontré que les animaux étaient le plus susceptible de développer la maladie à partir de 32 mois.

On peut d'ailleurs estimer que le système mis en place par les Britanniques offre d'une certaine façon une sécurité supérieure à celle de notre pays, où la suppression des farines animales n'a été décidée qu'en 1990 pour les bovins et en 2000 pour les autres animaux, où l'enlèvement des matériaux à risque spécifiés n'est prévu que depuis juin 1996 et où les animaux de plus de trente mois peuvent entrer dans la chaîne alimentaire après avoir été testés.

Toutefois, Mme Jeanne Brugère-Picoux, Professeur à l'école vétérinaire d'Alfort, comme M. Gabriel Blancher, Président de l'Académie nationale de médecine, ont fait remarquer que, dans une étude récemment menée par les autorités britanniques, sur 4 000 vaches âgées de cinq ans ayant bénéficié de toutes les mesures de prévention, dix huit cas d'ESB avaient pu être détectés, soit une proportion de 0,5 %. En revanche, en France, un bilan réalisé par l'AFSSA sur un ensemble de 15 000 tests faisait apparaître une proportion de bêtes atteintes de 0,2 % et ce, alors même qu'il s'agissait d'animaux à risque.

L'infection en Grande-Bretagne se situe ainsi encore à un niveau sensiblement plus élevé qu'en France.

Le fait que le nombre de cas d'ESB au Royaume-Uni baisse moins vite que ce qui était prévu constitue une source d'interrogation.

Néanmoins, il ne faudrait pas que le maintien de l'embargo de la France à l'égard du Royaume-Uni apparaisse comme une mesure d'ordre purement psychologique, son caractère de mesure de précaution étant désormais scientifiquement incertain.

Il est donc nécessaire de vérifier régulièrement l'opportunité du maintien de l'embargo lié à l'ESB, dès lors que l'embargo résultant de la fièvre aphteuse aura été levé.

Le même raisonnement vaut pour la levée partielle de l'embargo à l'égard du Portugal, également décidée par les instances communautaires et non appliquée par la France.

2.- La suspension de l'utilisation des farines pour l'alimentation des animaux d'élevage

On a indiqué les conditions dans lesquelles l'emploi des farines de viandes et d'os a été suspendu pour une période de six mois, au plan national, dans l'ensemble de l'alimentation animale, par un arrêté du 14 novembre 2000, puis à l'échelle communautaire par un règlement du Conseil du 4 décembre, la mesure devant s'appliquer jusqu'à la fin juin 2001.

La décision française - contrairement à la mesure communautaire - a exclu l'emploi dans l'alimentation du bétail des graisses animales. La décision de suspension ainsi prise est rigoureuse. Seules sont autorisées les farines de volailles et de porcs dans l'alimentation des animaux de compagnie, à la condition que les usines, le transport et les conteneurs soient dédiés ; les farines de poissons sont autorisées dans l'alimentation des poissons eux-mêmes et doivent l'être prochainement dans l'alimentation des animaux de compagnie.

Les décisions d'interdiction des farines animales prises à l'automne 2000 ont répondu aux inquiétudes de l'opinion, ébranlée par l'affaire Soviba, les révélations du rapport Phillips et la médiatisation d'un cas de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Décidée plusieurs mois avant la publication du rapport de l'AFSSA sur cette question, la suspension totale de l'emploi des farines s'est trouvée confortée par ce rapport, qui a été rendu public le 10 avril 2001.

Rappelons que la suspension générale des farines animales par l'arrêté du 14 novembre 2000 se complétait d'une suspension des importations des aliments du bétail qui en contenaient, décidée également le 14 novembre 2000, ainsi que d'une mesure d'indemnisation des producteurs de farines et de graisses animales selon un barème fixé en fonction des quantités produites et selon les catégories de produits, l'indemnisation pouvant aller de 1 600 à 2 600 francs par tonne (décret n° 2000-1166 du 1er décembre 2000).

Cette mesure générale de suspension est importante pour répondre à l'inquiétude d'une opinion publique tétanisée par l'utilisation de farines animales dans l'alimentation de certains animaux d'élevage. Il faut néanmoins souligner qu'elle n'ajoute rien au dispositif de lutte contre les contaminations croisées génératrices d'ESB, dès lors que toutes les sources de risque d'ESB ont été retirées de la fabrication des farines, mesure que la France avait prise dès 1996, mais qui était contournée par les farines étrangères non sécurisées.

Ainsi, le retrait des MRS et l'élimination des cadavres et saisies sanitaires des abattoirs constituent bien la mesure essentielle de ce dispositif.

La suspension générale des farines permet de dédramatiser la situation au regard de l'opinion publique. Elle ouvre la voie à des mesures d'assouplissement - certaines étant déjà intervenues - à mesure que l'effort de communication aura permis à l'opinion de se faire une idée plus claire des risques réels. Et d'apprécier ceux résultant de l'accumulation des farines issues d'animaux sains pour la consommation humaine.

La mesure d'interdiction n'ayant été prévue que pour une période de six mois, la question se pose aujourd'hui de son avenir. Dans son rapport présenté le 10 avril 2000, l'AFSSA préconise le maintien de la suspension de l'emploi des farines issues de ruminants et de certaines graisses issues de ruminants pour l'ensemble des espèces de rente : « toutes les garanties ne peuvent être apportées d'une sécurisation suffisante des différentes étapes depuis le recueil des matières premières jusqu'à l'usage en élevage, alors que des verrous de sécurité mis en place afin d'exclure les contaminations croisées ont été progressivement établis au cours des dix dernières années ; il apparaît que ceux-ci, qui n'avaient pas permis d'éviter les contaminations jusqu'en 1996, ne sont pas parfaitement étanches, malgré des améliorations au fil du temps. ».

Il en va autrement pour les monogastriques (porcs et volailles) :

« Il n'existe aucun élément scientifique ou aucune observation factuelle permettant de considérer que les farines fabriquées avec des déchets animaux provenant d'autres espèces que les ruminants ont pu être à l'origine de contaminations par l'agent de l'ESB et qu'elles présentent, en elles-mêmes, un risque sanitaire au regard des ESST.

C'est pourquoi, il n'existe pas d'éléments particuliers ni de données nouvelles, permettant de fonder une recommandation, sur des critères scientifiques ou sanitaires, en ce qui concerne le maintien ou la suspension de l'emploi des farines et de certaines graisses issues d'espèces monogastriques dans l'alimentation des espèces monogastriques.

Toutefois, il faut indiquer que d'un point de vue scientifique, le maintien de produits d'origine animale dans l'alimentation d'espèces proches (ou le risque de contamination croisée) peut laisser persister un risque non quantifiable d'émergence d'une nouvelle entité infectieuse (type prion ou autre).

Dans ce contexte, de nombreuses autres considérations peuvent être prises en compte, qui dépassent le strict cadre de l'évaluation des risques sanitaires liées aux ESST et qu'il n'appartient pas à l'AFSSA d'examiner dans le cadre de cette saisine. Cependant, parmi ces considérations, certaines d'entre elles ont un lien avec la maîtrise des risques :

- l'appréciation que peuvent avoir les gestionnaires du risque de l'effet qu'induirait une levée partielle de la mesure de suspension des farines et des graisses sur l'efficacité de l'ensemble du dispositif ;

- la maîtrise des contaminations accidentelles ou des fraudes qui pourraient être favorisées par une mesure différentielle concernant l'usage des farines et des graisses, selon leurs espèces d'origine ;

- l'analyse des répercussions zootechniques, nutritionnelles et environnementales des produits de substitution. ».

Cette appréciation, marquée par une extrême prudence, laisse au gestionnaire public une marge de man_uvre opportune.

Le rapport de l'Agence insiste également sur les risques liés à l'utilisation de fertilisants intégrant des produits issus de ruminants, ainsi qu'à ceux qui sont attachés aux effluents rejetés par les installations d'équarrissage et d'abattage.

La Commission européenne a proposé la prorogation au-delà du 30 juin 2001 de la mesure d'interdiction des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Elle suggérait de les autoriser à nouveau pour les porcs, les volailles et les poissons, lorsqu'un projet de règlement communautaire sur les sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine aura été adopté par les Quinze.

La mise en _uvre de ce règlement sur les sous-produits animaux comprendrait des règles très strictes : seuls les sous-produits animaux convenant à la consommation humaine pourraient être utilisés pour nourrir les animaux ; les usines de transformation pour la production d'aliments du bétail seraient complètement séparées de celles traitant d'autres déchets animaux.

Le 24 avril 2001, les ministres de l'agriculture des Quinze ont autorisé la Commission à proposer au comité vétérinaire permanent de proroger au-delà du 30 juin 2001 l'interdiction d'utiliser les farines carnées dans l'alimentation des animaux d'élevage. Pour cette reconduction, sans date d'échéance, les Quinze n'ont établi à ce stade aucun lien entre un éventuel assouplissement de la mesure pour les non-ruminants et l'entrée en vigueur du règlement sur les sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine.

Il faut rappeler pour conclure ce point sur l'interdiction des farines animales, que la France avait dès le mois de juin 1999 proposé à ses partenaires de l'Union européenne l'abandon desdites farines dans l'alimentation du bétail.

Le 17 juin 1999, M. Jean Glavany présentait ainsi au Conseil un mémorandum dans lequel il indiquait : « Il faut donc envisager la possibilité d'un abandon progressif des farines animales dans le cadre de l'alimentation des animaux.

À cette fin, une étude de faisabilité sur des débouchés alternatifs pour les déchets et sous-produits animaux devrait être engagée très rapidement.

En parallèle, il faut examiner dans le cadre des règles internationales les moyens d'obtenir des garanties sanitaires équivalentes vis-à-vis d'importations d'animaux et produits animaux provenant de pays tiers. »

En conclusion du mémorandum, M. Jean Glavany insistait sur le fait que « l`objectif premier de la France est d'assurer la totale protection du consommateur... La Commission européenne devrait engager sans tarder les mesures d'accompagnement nécessaires en termes de traitement des sous-produits qui ne seront plus valorisés, de recours à des protéines de substitution ou en matière d'impact sur l'environnement et le commerce international. ».

3.- L'abattage systématique du troupeau dans lequel un cas d'ESB a été détecté

Mise en pratique depuis 1994, la règle de l'abattage total du troupeau bovin dans lequel a été détecté un cas d'encéphalopathie spongiforme bovine mérite de faire l'objet d'une nouvelle réflexion.

a) Le principe de l'abattage total du troupeau

Le principe de l'abattage total du troupeau bovin dans lequel un animal est déclaré cliniquement atteint d'ESB ou en phase d'incubation de cette maladie était une des possibilités offertes par l'arrêté du 3 décembre 1990, qui a défini les règles de police sanitaire en matière d'ESB ; cette possibilité a été systématiquement retenue à compter de mai 1994. Un arrêté du 2 septembre 1997 a prévu que la règle de l'abattage total s'appliquait en cas d'ESB.

C'est, à l'origine, une spécificité française. Compte tenu du nombre de cas d'ESB au Royaume-Uni, l'abattage total aurait conduit à la destruction d'un nombre de bovins estimé au quart du cheptel britannique, en raison de la dispersion des cas d'ESB. Pareille mesure se serait heurtée aussi bien aux limites des capacités de destruction qu'aux risques induits sur l'environnement et aux possibilités budgétaires d'indemnisation des éleveurs.

Il s'agissait, à l'origine, en France, d'une illustration stricte du principe de précaution. Au début des années 90, on considérait que la contamination des bêtes était effectuée principalement par l'ingestion de farines carnées porteuses du prion ; les animaux d'une même exploitation ayant reçu la même alimentation en protéines animales pouvaient être tous suspectés à plus ou moins long terme d'ESB. Il apparaissait dès lors cohérent d'appliquer à tout un troupeau l'abattage de la bête malade.

D'autres facteurs d'incertitude pesaient dans le même sens. On s'interrogeait sur les modes de transmission de la maladie par des voies autres que les farines animales : les contaminations dites « horizontales » (« de vache à vache »), « verticales » (« de la mère au veau ») ou encore par les sols. Ces divers éléments plaidaient en faveur d'un abattage total du troupeau. Ce principe a d'ailleurs fait école, dans une certaine mesure : lorsque les Allemands et les Italiens découvrent, en pratiquant des tests de dépistage à la fin de l'année 2000, leurs premiers cas d'ESB, ils envisagent d'appliquer la règle de l'abattage de l'ensemble du troupeau (9).

Les autorités publiques françaises ont maintenu le principe de l'abattage total du troupeau malgré la mise en place du dispositif des tests de dépistage de l'ESB. Il reste appliqué aujourd'hui lorsqu'un bovin est considéré comme contaminé après la réalisation des tests (le test de dépistage, puis le test « de confirmation » opéré par le laboratoire de l'AFSSA de Lyon). La volonté de précaution ainsi manifestée n'est du reste pas chose nouvelle en prophylaxie animale ; elle s'applique aussi, comme on l'a observé au premier trimestre de 2001, dans le cas des épizooties de fièvre aphteuse, où se pratique aussi l'abattage systématique du troupeau dans lequel a été observé un animal contaminé.

Cette règle aura conduit à l'incinération de plus de 15 000 bêtes. Des troupeaux entiers ont donc été détruits, composés de 50, 100, 150 animaux, parfois davantage. Ces opérations ont pu se produire parfois dans une forme de « clandestinité » ou, plus récemment en présence et, en quelque sorte, sous le contrôle des représentants des groupements professionnels.

Avec le recul, le rapporteur s'est demandé si des mesures connexes n'auraient pas dû être prises. Par exemple, la mise sous surveillance de plusieurs troupeaux dans lequel un animal a montré des symptômes de l'ESB. Cette mesure aurait permis de voir si de nouveaux cas d'ESB apparaissaient dans le troupeau et, par conséquent, d'apprécier le bien fondé de l'abattage total.

En réalité, ce genre d'expérience a bien eu lieu, mais de manière très limitée, ainsi que nous l'a indiqué M. Jean-Marie Aynaud, chargé de mission à l'INRA : « le CNEVA, avant qu'il entre dans l'AFSSA, avait eu dans les années 1994-1995 cette idée et avait conservé un ou deux troupeaux entiers dans une ferme expérimentale près de Lyon. Tout le troupeau a été conservé et mis en observation pendant deux ans pour voir ce qui se passait. [...] On s'attendait à ce que d'autres cas interviennent dans les mois qui suivent. Il ne s'est rien passé. ». En revanche, « le voisinage s'est ému et inquiété de la présence de ces troupeaux et il y a eu des pressions pour qu'ils ne soient pas conservés plus longtemps. ». Telles sont les conditions dans lesquelles une expérience capitale pour apprécier la validité de l'abattage total a été ébauchée et abandonnée. Si elle était reprise aujourd'hui, cette expérience pourrait s'accompagner du dépistage systématique de tous les animaux du même troupeau au moment de leur abattage.

Les éleveurs concernés ont toujours été indemnisés pour les préjudices subis dans le cas d'un abattage de leur troupeau, les modalités d'indemnisation et les montants concernés étant fixés par des commissions départementales présidées par les préfets et dans lesquelles siègent des représentants des organisations professionnelles et des administrations concernées. Les indemnités attribuées, dont les agriculteurs eux-mêmes ont souvent semblé estimer le niveau correct (elles étaient en moyenne de 10 000 à 15 000 francs par bête), ont varié suivant plusieurs données : la taille du cheptel, sa valeur génétique, les cours du marché, l'importance du préjudice estimé et aussi la volonté exprimée par l'éleveur de reconstituer un troupeau.

Le 30 mars 2001, un arrêté du ministre de l'Agriculture a modifié le dispositif d'indemnisation des éleveurs : cet arrêté prévoit un plafonnement des indemnités accordées aux élevages touchés par certaines maladies animales (encéphalopathie spongiforme bovine, fièvre aphteuse, brucellose, tuberculose) ainsi que le déclenchement d'une expertise, dès lors que la valeur estimée du troupeau est supérieure au « prix plancher ».

b) La contestation de l'abattage total du troupeau

Compte tenu du retrait des MRS et du développement des tests de dépistage, la règle de l'abattage systématique du troupeau est-elle encore justifiée ? Comme le ministre de l'Agriculture, comme les éleveurs eux-mêmes, les membres de la commission d'enquête attendent avec une certaine impatience la publication, prévue dans le courant du mois de juin 2001, de l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Ils estiment que des formules d'élimination plus sélectives des bêtes devraient être envisagées. Et ce, même si l'abattage total ne s'est pas heurté en France à des réticences aussi fortes qu'en Allemagne, où les opérations d'élimination ont pu concerner des troupeaux très nombreux, ou en Italie et en Espagne, où ces opérations ont fait parfois l'objet d'oppositions organisées des éleveurs.

La commission d'enquête a longuement débattu de ce sujet. M. Roger Lestas a ainsi évoqué le traumatisme que représente pareille mesure pour les éleveurs. De surcroît, l'abattage systématique conduit à éliminer des troupeaux à haute valeur génétique et, dans un troupeau donné, les animaux les plus performants ; surtout, cette mesure a entraîné pour nombre d'éleveurs de lourdes difficultés psychologiques, et même des actes désespérés. Les organisations professionnelles ont su mettre en place des cellules d'aide psychologique, témoignant de la solidarité du monde agricole. Une association regroupant des éleveurs dont le troupeau a été abattu, le « collectif vérité ESB », s'est constituée fin janvier 2001, dans le but de faire la lumière sur les causes de la maladie et de soutenir les éleveurs.

Les responsables de la Confédération paysanne ont très tôt insisté sur le « gâchis économique, financier, humain et génétique inadmissible » que représentait l'abattage de troupeaux entiers. Ils ont fait souvent valoir, à l'appui de leur analyse, que la formule de l'abattage total qui avait été retenue péchait par une certaine incohérence, puisque l'on ne recherchait pas, dans d'autres élevages, la présence d'éventuelles contaminations opérées à partir de farines fabriquées dans les mêmes usines. Le 5 avril 2001, les responsables de la Confédération paysanne demandaient, à l'issue d'une rencontre avec les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) que soit mis en place un « moratoire » sur l'abattage des troupeaux.

Longtemps favorables, par souci de précaution, à l'élimination systématique du troupeau, les responsables de la FNSEA, ceux de la Fédération nationale bovine (FNB) et ceux du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) se sont progressivement ralliés à des solutions plus souples, d'autant que la généralisation des tests de dépistage de l'ESB sur les bovins de plus de 30 mois donne le moyen - non infaillible - de détecter la présence de l'agent pathogène avant l'abattage de l'animal. Au plan communautaire, le comité scientifique directeur européen a contesté, dans un avis rendu le 21 septembre 2000, le principe de l'abattage systématique, estimant que la stratégie ainsi mise en _uvre n'était pas plus efficace pour éradiquer l'épidémie qu'une stratégie plus ciblée.

Quelles solutions alternatives proposer ? La destruction du seul bovin malade est-elle suffisante ? La solution pratiquée en Suisse, celle de l'élimination des animaux nés la même année que l'animal contaminé ainsi que de la descendance de cet animal, compte tenu des possibilités de transmission de l'ESB de la vache à son veau, a été parfois préconisée. Le comité scientifique directeur européen (CSD), dans son avis précité du 21 septembre 2000, préconisait un abattage par « cohorte de naissances » concernant les bovins du même âge et ceux âgés d'un an de plus ou d'un an de moins que l'animal malade. Le CSD indiquait, en effet, que les « cohortes de naissances » couvraient la plupart, sinon la totalité, des cas supplémentaires décelés jusqu'à maintenant lors des opérations d'abattage des troupeaux. La stratégie de la « cohorte de naissances » aurait ainsi les mêmes effets bénéfiques que celle de l'abattage total, tout en réduisant, de l'ordre des deux tiers, le nombre des bêtes abattues.

M. Gabriel Blancher, Président de l'Académie nationale de médecine, a évoqué devant la commission d'enquête une autre solution : il s'agit, lorsque survient un cas d'ESB dans une exploitation, de n'éliminer que l'animal frappé par la maladie et d'organiser une surveillance étroite des autres bovins du troupeau. Cette observation attentive du comportement de ces dernières bêtes pourrait nous apprendre beaucoup sur l'ESB, ses temps d'incubation ou ses modes de transmission. Elle éviterait de surcroît les traumatismes infligés aux éleveurs dont les animaux sont tous abattus et détruits du jour au lendemain.

M. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, a confié à la commission d'enquête qu'il espérait pouvoir « sortir » de l'abattage total au profit de l'abattage de cohorte (animaux de la même classe d'âge et ses descendants directs). « Le traumatisme sera beaucoup moins lourd pour les éleveurs et j'ajoute que cela vaudra mieux pour les finances publiques, parce que cela coûte très cher. Et cela vaudra aussi mieux pour le service public d'équarrissage, qui a à faire face à une tâche de plus en plus lourde. [...] Mais dans une période de défiance de l'opinion vis-à-vis de la consommation de viande bovine, si je prends cette mesure qui sera perçue comme une mesure d'allégement ou de relâchement du dispositif de sécurité, sans motivation, sans explication, sans fait scientifique ou avis scientifique nouveau, je prendrais un risque politique dans la gestion de la crise. ».

C'est pourquoi le ministre a interrogé l'AFSSA sur le point de savoir si le dépistage systématique des animaux de plus de 30 mois ne fournit pas une raison de relâcher le dispositif et « si les résultats que nous tirons du programme expérimental de 48 000 tests ciblé en partie sur des troupeaux où l'on avait trouvé des cas d'ESB sont suffisamment concluants. ». En tout état de cause, le ministre « souhaite vraiment que l'on puisse trouver la solution le plus vite possible, avant l'été. ».

En conclusion, un aménagement de la pratique de l'abattage systématique est souhaitable, en considération : de l'apport que représente, dans le domaine de la sécurité, le dépistage systématique ; des autres mesures de sécurité qui ont été prises dans la lutte contre l'ESB ; des limites des capacités de destruction et des risques inhérents au stockage des déchets d'animaux sécurisés ; du gaspillage économique.

Le desserrement des contraintes existantes ne doit pas se traduire par un affaiblissement du niveau de protection du consommateur ; si une mesure d'assouplissement est souhaitable, elle doit être accompagnée de mesures de sécurité nouvelles rendues possibles par l'évolution des connaissances scientifiques ou des techniques. Il en est ainsi pour l'application du test ESB aux animaux de 24 mois (et non plus de 30 mois) devant entrer dans la chaîne alimentaire, mesure que la commission d'enquête préconise également.

4.- L'élimination des matériaux à risque et les méthodes d'équarrissage

On a montré dans la deuxième partie du rapport que l'enlèvement des matériaux à risque spécifiés (MRS) qui sont les organes et tissus dans lesquels la présence du prion pathogène a pu être détectée avait été considéré comme la mesure cardinale de lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine.

M. Vincent Carlier, professeur à l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort a pu rappeler ainsi devant la commission d'enquête que, selon un document d'étude publié le 10 décembre 1999 par le comité scientifique directeur européen, « le cerveau représente 64 % de la charge infectieuse de l'animal, la moelle épinière 26 %, les ganglions nerveux paravertébraux 6 ou 7 %. En y ajoutant l'iléon, la rate et les yeux, on arrive à retirer aujourd'hui 99,8 % de la charge infectieuse. ».

Le rapporteur se limitera à observer dans cette partie du rapport que le retrait des MRS s'est fait à partir de 1996 de plus en plus précis en France puis en Europe ; appliquée aux organes du système nerveux central, la mesure a été ensuite étendue par précaution aux intestins puis à la rate et au thymus des animaux et enfin à leurs colonnes vertébrales. Des mesures qualifiées de « mesures miroirs » ont été appliquées par notre pays, par ailleurs, aux produits importés des pays partenaires de l'Union européenne comme des pays tiers, et ce, en contradiction avec la réglementation communautaire. Il était cependant logique d'exiger que les viandes importées soient soumises aux mêmes règles de sécurité que les produits nationaux, s'agissant de la présence de matériaux à risque spécifiés comme de l'utilisation des cadavres et des saisies d'abattoirs.

Enfin, dernière étape de l'extension des protections en matière de produits « à risque », l'Union européenne a décidé d'appliquer à certains pays tiers où existait la possibilité de cas d'ESB, à compter du 1er avril 2001, des restrictions pour les importations de matériaux à risque spécifiés.

On peut, tout en prenant acte de cette rigueur croissante, regretter que le retrait de l'ensemble des matériaux « à risque » (MRS, cadavres, saisies d'abattoirs) n'ait pas été décidé en France avant juin 1996, les Britanniques ayant pris cette mesure pour la consommation humaine en 1989 et animale en 1990 (pour les monogastriques). Cela dit, la situation épidémiologique du Royaume-Uni était totalement différente de celle de la France. En 1990, les Anglais ont eu 14 000 cas d'ESB, qui se sont ajoutés aux 7 000 de 1989 et aux 2 500 cas de 1988.

En 1990, la France n'a aucun cas ; le premier apparaîtra en 1991. Il convient donc de se replacer dans les conditions de l'époque.

En revanche, on peut déplorer que l'enlèvement des MRS n'ait été prévu de manière systématique dans l'ensemble de l'Union européenne qu'à compter du 1er novembre 2000. On doit noter aussi que la principale donnée à considérer est celle de l'application concrète des mesures prises : cette remarque concerne principalement les « mesures miroirs », qui permettent d'interdire l'importation des produits que nous interdisons nous-mêmes sur notre territoire et dont Mme Geslain-Lanéelle a admis devant la commission d'enquête que la mise en _uvre avait pu être imparfaite.

On peut remarquer enfin, comme l'a fait l'AFSSA dans le rapport qu'elle a rendu le 10 avril 2001 sur la prorogation de la mesure de suspension des farines animales, que la vigilance nécessaire qui a longtemps porté sur les farines animales doit s'appliquer aujourd'hui aux graisses animales, notamment celles qui sont utilisées pour la fabrication de gélatine. Ce souhait a été pris en compte tout récemment par l'arrêté du 15 avril 2001 fixant les conditions sanitaires pour la préparation des gélatines destinées à la consommation humaine. Ce texte prévoit notamment, en son article 5, l'interdiction des os de ruminants pour la fabrication des gélatines (JO du 24 mai 2001). La même vigilance doit s'appliquer aussi aux produits d'alimentation des veaux (les lactoremplaceurs). M. Benoît Assemat, président du syndicat national des vétérinaires-inspecteurs de l'administration (SNVIA) a souligné également la responsabilité qu'avaient pu avoir dans la survenue de l'ESB les graisses d'équarrissage qui ont été utilisées jusqu'en juin 1996 dans l'alimentation des ruminants.

S'agissant précisément de l'équarrissage, le rapporteur évoquera deux points.

Il fait sien tout d'abord le raisonnement tenu par M. Dominique Dormont lors de son audition par la commission d'enquête : « Les abats à risque spécifié, les saisies d'abattoir, les animaux trouvés morts, les animaux abattus d'urgence pour raison médicale ou chirurgicale, toute cette population à haut risque ne doit pas être mélangée avec les populations à bas risque ; elle doit être traitée non seulement avec rapidité à 133°, 3 bars, 20 minutes, mais aussi très rapidement incinérée. ».

Les associations de riverains d'usines d'équarrissage font remarquer que cette règle de précaution n'est pas appliquée au motif qu'il ne serait pas nécessaire de « chauffer » les produits à risque, puisqu'ils sont destinés à être incinérés. Or, indiquent ces associations, du fait de l'insuffisance des installations correspondantes, on ne procède pas immédiatement à ces opérations d'incinération.

Lors de son audition par la commission d'enquête, M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, questionné sur ce sujet, a cependant indiqué qu'« Aujourd'hui, l'élimination des farines obtenues à partir des MRS est directe, sans stockage intermédiaire. ». D'après ce que la commission a pu vérifier sur le terrain, ce problème semble en voie de résolution. Cependant, on verra plus loin, suivant en cela l'avis du Dr. Dormont, qu'elle préconise une telle mesure de sécurité.

En second lieu, il conviendra d'apprécier les conséquences sur les activités d'équarrissage de l'arrêté du 14 novembre 2000 suspendant l'emploi des farines et des graisses animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. La loi du 31 décembre 1996 a créé un service public délégué par la voie d'appels d'offres aux équarrisseurs, chargé de la collecte et de la transformation des produits animaux non valorisables et devant être incinérés, à savoir les cadavres d'animaux, les saisies d'abattoirs et les abats classés à risque. Ce service public était financé par une taxe sur les achats de viandes prélevée au niveau de la distribution, la « taxe d'équarrissage » et qui n'était pas réclamée aux revendeurs en-deçà d'un niveau d'achat mensuel de viandes de 20 000 francs. Les autres sous-produits d'abattoirs ne relevant pas du service public étaient mis librement en circulation sur le marché. Malgré l'arrêté du 14 novembre 2000 et l'interdiction des farines animales qui est prévue, la distinction applicable depuis 1996 entre matières destinées au service public d'équarrissage et produit « valorisables » reste, dans un but de sécurité, judicieuse.

5.- Le dépistage systématique et les tests

Instauré en 1990, le programme d'épidémiosurveillance dite « passive », qui reposait sur la vigilance conjointe des éleveurs et des vétérinaires a longtemps constitué le moyen exclusif de détection de la maladie animale. Mais la technique des tests de dépistage mise au point plus récemment apparaît comme un moyen salutaire de lutte contre l'ESB, d'ailleurs appelé à se perfectionner.

Le « rapport Mattei » rendu public en janvier 1997 appelait de ses v_ux la mise en place de tests fiables de dépistage de l'ESB qui permettraient d'identifier les animaux infectés avant l'apparition des manifestations cliniques qui caractérisent la maladie.

a) Les tests de dépistage

Trois tests de dépistage de la protéine pathologique ont été mis au point à la fin des années 90 : un test suisse, Prionics commercialisé par la société AES, un test d'origine française mis au point par le CEA et commercialisé par la société américaine Bio-Rad et le dernier irlandais, Enfer Technology.

Les deux premiers ont été retenus par la France. Ils ont en commun d'être pratiqués post mortem sur le cerveau des bovins. Compte tenu des commentaires parfois inexacts faits sur cette question, le rapporteur croit utile de reprendre la présentation faite devant la commission d'enquête par M. André Syrota, directeur des sciences du vivant au CEA, de la mise en place du test « Bio-Rad » : « Dès juillet 1996, sur la base des compétences à la fois scientifiques et techniques que nous avions dans le domaine des prions et des immuno-analyses, le CEA a lancé un projet de développement de test de détection des encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST). J'ai souhaité que tous les laboratoires s'y impliquent. Ils m'ont répondu positivement. Nous avons porté les moyens sur le laboratoire de Saclay au service de pharmaco-immunologie pour développer un test.

Février 1998 : dépôt d'une demande de brevet par le CEA, aujourd'hui étendue au monde entier. Le brevet protège le procédé de traitement de l'échantillon de cerveau et c'est grâce à ce procédé que le test du CEA sera ensuite reconnu comme le plus sensible. Ce test de détection post-mortem, « format laboratoire », a été utilisé en 1998 par les chercheurs du CEA pour valider en interne le test sur des échantillons de cerveaux de vaches atteintes d'ESB en provenance d'Angleterre et d'échantillons fournis par le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires (CNEVA). Les résultats préliminaires obtenus avec ce test ont été présentés à la Direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture (DGAL) en février 1998.

En mai 1998, on a répondu à l'appel d'offres mondial émis par la DG 24 de la Commission européenne, c'est-à-dire la direction compétente pour la politique des consommateurs et la protection de leur santé, laquelle visait à recenser et à évaluer les techniques.

En juin 1998, le test du CEA est admis pour l'évaluation européenne avec trois autres tests : celui d'Enfer Technology, qui est irlandais, le Prionics qui est suisse et le test de Wallak de Grande-Bretagne. Ce dernier a été éliminé.

Août 1998 : le CEA commence la prospection pour la recherche d'un partenaire industriel spécialisé en diagnostic immunologie capable de produire rapidement des quantités importantes de kits de dosage. Plusieurs sociétés ont été approchées, parmi lesquelles Pasteur Sanofi Diagnostic et Bio-Mérieux, qui avait tout d'abord refusé, puis s'est déclaré intéressé, mais il était trop tard, puisque nous avions signé avec Pasteur Sanofi Diagnostic, le seul à s'être déclaré intéressé par le projet. Nous avons eu du mal à trouver un partenaire.

Mai 1999 : réalisation de l'étude d'évaluation européenne. Cette étude a représenté un défi considérable, puisqu'elle a consisté à analyser en aveugle 1 600 échantillons de cerveaux de vaches, répartis en deux catégories distinctes. Il y avait une première série de 1 400 morceaux de cerveau, tronc cérébral et moelle cervicale, provenant, soit d'animaux sains - il y avait 1 064 échantillons provenant de 1 000 animaux différents - soit d'animaux présentant les signes cliniques de la maladie avec confirmation histopathologique du diagnostic. Il y a eu ainsi 336 échantillons provenant de 300 animaux différents. L'affaire était compliquée par la présence d'échantillons négatifs qui provenaient - nous le sûmes après - d'animaux élevés en Nouvelle-Zélande tandis que les échantillons positifs étaient issus de Grande-Bretagne.

Une deuxième série était constituée de 200 homogénats de cerveaux de vache, préparés à partir d'un homogénat de cerveau infecté, un seul, mais dilué dans un homogénat de cerveau sain. Des dilutions couvraient donc une très large palette, jusqu'à cent mille fois, de façon à évaluer la capacité de chacun des tests à détecter des quantités très faibles de PrPres et l'homogénat de cerveau infecté utilisé pour ces dilutions avait été titré en termes d'infectiosité à l'aide d'un test réalisé chez la souris.

L'étude s'est déroulée dans des conditions très précises, formalisées par un accord signé entre le CEA et la DG 24. Cela s'est fait en moins de quatre semaines sous le contrôle permanent des personnes de la DG 24. Elles posaient des scellés sur les chambres froides jusqu'au lendemain. Elles ont fait cela à Saclay en même temps que pour Prionics et pour les autres. Les résultats obtenus étaient quotidiennement communiqués de façon codée à la DG 24.

En juin 1999, est parue une communication des résultats de l'évaluation européenne dans un rapport préliminaire. Simultanément, l'Union européenne l'a publiée dans Nature en juillet 1999 : le test du CEA s'est révélé doté d'une spécificité de 100 %. C'est-à-dire que tous les échantillons provenant d'animaux malades ont été trouvés positifs ; cela signifie également qu'aucun faux-positif n'a été enregistré. Nature a montré que notre test était 10 à 300 fois plus sensible que les tests concurrents.

En juin 1999 également, nous avons signé l'accord de collaboration et d'option sur licence. La collaboration avec Sanofi Pasteur Diagnostic porte sur la détection post mortem de l'ESB, sur la tremblante du mouton et sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob. D'autres tests sont exclus de cet accord. Nous avons donc signé avec Sanofi Pasteur Diagnostic. En juillet 1999, nous avons présenté les résultats de l'évaluation européenne aux représentants de la DGAL en présence de son directeur. En septembre 1999, Sanofi Pasteur Diagnostic a été acquis par la société américaine Bio-Rad.

En décembre 1999, nous avons réussi le transfert de technologie, c'est-à-dire le premier lot de cinquante microplaques de dosages immunologiques au format recherche et développement fonctionnel, c'est-à-dire 4 500 tests, en améliorant les performances en termes de sensibilité et surtout en raccourcissant la durée du test, qui a été ramenée de vingt-quatre heures à moins de sept heures en 1999.

En janvier 2000, Bio-Rad a fabriqué le premier lot industriel de 250 microplaques, c'est-à-dire 22 500 tests. Et le 3 février 2000, Bio-Rad a diffusé un communiqué de presse annonçant que la société était prête industriellement à répondre à toute demande de test pour des études épidémiologiques, tant en France qu'en Europe. En avril 2000, un premier lot industriel de 60 000 tests, puis un second de 100 000 sont sortis. Elle vient d'annoncer sa capacité à en fournir un million. Il n'y a pas de problème de production.

Quant au test Prionics, il a été mis au point en Suisse et utilisé dans ce pays à une large échelle ; les résultats qu'il a donnés en Suisse sur un nombre important d'échantillons dans des conditions réelles de terrain lui ont conféré l'avantage de l'antériorité.

b) Les programmes mis en _uvre

Deux grands programmes de tests ont été mis en _uvre en France dans la période récente.

· Le premier dit « de recherche », mis en place en juillet 2000, conduit avec l'aide de l'AFSSA, a concerné près de 48 000 bovins (dont 40 000 dans l'Ouest), considérés comme « à risque », à savoir les animaux trouvés morts ou accidentés de plus de 24 mois. Ce premier programme a permis de détecter un certain nombre de cas, qui n'avaient pas été décelés par le système d'épidémiosurveillance passive.

Mme Geslain-Lanéelle, directrice générale de l'alimentation, a fait valoir que l'abattage et la destruction systématiques des animaux simplement accidentés avait été décidée dans l'urgence, en novembre 2000, en réponse à une information donnée par l'AFSSA. Celle-ci avait révélé, en effet, que les 15 000 premiers tests réalisés sur des bovins de plus de 24 mois montraient une incidence de plus de 4  0/00 dans cette population.

Mme Geslain-Lanéelle précisait que : « ce ne sont pas les animaux atteints qui avaient connu un accident de vêlage, ce qui est assez fréquent pour les races allaitantes, qui présentaient une incidence plus élevée de la maladie, mais plutôt des animaux accidentés sur l'exploitation, au cours du transport ou en arrivant à l'abattoir. Ces accidents étant généralement dus au fait que ces animaux présentaient, en réalité, les tout premiers signes cliniques de la maladie ou, plus exactement, commenceraient à présenter des troubles de la locomotion, ce qui conduit à une fréquence plus élevée des accidents. ».

Compte tenu des critiques dont la prise en compte des animaux accidentés a fait l'objet, Mme Geslain-Lanéelle ajoutait : « Nous allons réexaminer cette mesure à la lumière des résultats définitifs du programme de recherche, qui devrait apporter des informations plus fines sur l'âge des animaux et sur le type d'accidents. De plus, nous n'excluons pas de revaloriser le niveau de l'indemnisation pour rendre cette mesure plus acceptable par les éleveurs.

En revanche, il me paraît important de maintenir une mesure de retrait de la chaîne alimentaire pour certaines catégories d'animaux accidentés dont le programme de recherches a fait la preuve qu'ils étaient des animaux chez lesquels il y avait une incidence plus forte de l'ESB. ».

La commission d'enquête estime que les animaux ayant subi un accident de vêlage peuvent, sous réserve d'être testés, entrer dans la chaîne alimentaire au lieu d'être systématiquement détruits.

· Le second programme de tests concerne le dépistage de l'agent de l'ESB pour les animaux de plus de 30 mois et qui doit être prochainement étendu par les Quinze aux bovins de plus de 24 mois. Cette mesure très importante a été prise par le Conseil des ministres des Quinze le 4 décembre 2000. Les représentants des Etats membres ont décidé l'instauration au 1er juillet 2001 d'un dépistage systématique de l'ESB pour les animaux de plus de 30 mois, considérés comme étant le plus susceptibles d'être porteurs de l'agent pathogène. Mais ils ont prévu également que, dès le 2 janvier 2001, dans tous les pays de l'Union européenne, ne pouvaient entrer dans la chaîne alimentaire que les animaux testés.

La France a décidé de pratiquer le dépistage systématique dès le 2 janvier 2001. Ce choix a créé de multiples difficultés : il était important que les tests soient disponibles rapidement et en grandes quantités, que les laboratoires disposent des matériels adéquats, que les personnels ne soient pas exposés aux agents infectieux et qu'ils soient convenablement formés.

Un nombre croissant de laboratoires a fait l'objet d'agréments ; leur nombre initial était de treize, mais on en compte aujourd'hui soixante trois, qui réalisent environ 60 000 tests par semaine, près de 700 000 tests ayant été réalisés depuis la mise en place du dispositif.

La France a tiré parti, par rapport à ses partenaires européens, de l'expérience préalable des treize laboratoires choisis pour le programme de recherche initié en juillet 2000 et qui ont pu ainsi être opérationnels en janvier 2001.

La mise en place des tests peut être considérée comme positive, puisque, selon M. Martin Hirsch, directeur général de l'AFSSA, « durant la même période et dans la même zone géographique, on détecte trois fois plus de cas par l'utilisation des tests que par le système dit d'épidémiosurveillance passive. ».

Les tests de dépistage tels qu'ils sont aujourd'hui pratiqués présentent toutefois des limites, que les recherches en cours devraient parvenir à faire reculer.

Les tests de dépistage actuels permettent de mesurer la présence de la protéine pathologique dans une zone précise du cerveau de l'animal, l'obex. Pour que le test soit considéré comme « positif », il est indispensable que l'agent pathogène soit parvenu dans cette partie du cerveau du bovin et, qu'ensuite, la quantité de prion pathologique soit suffisante pour être dépistée par le test. Selon les recherches menées sur cette question principalement par les Britanniques, l'agent pathogène ne parvient à l'obex qu'au court du dernier quart de la période d'incubation de la maladie.

Toutefois, les expériences réalisées montrent que le cerveau du bovin en période d'incubation mais pour lequel le test serait négatif, ne comporte pas de charge infectieuse suffisante pour être contaminante, ni en une seule fois, ni de manière répétée.

Les tests effectués sur des souris montrent que celles-ci ne sont pas contaminées par infection intracérébrale lorsque le test CEA/Bio-Rad est négatif. Des scientifiques considèrent donc que l'homme ne peut être contaminé par une telle dose ingérée par voie alimentaire.

M. Olivier Kriegk, directeur scientifique du groupe CANA, a fait ressortir, devant la commission d'enquête, tout l'intérêt que revêt le test français pour la sécurité alimentaire : « Après avoir pris contact avec l'inventeur du test et avec la société Bio-Rad qui le commercialise, je considère que la sensibilité de ce test français garantissait la sécurité alimentaire. La démonstration qui en a été faite dans une communication scientifique, publiée dans la revue Nature le 25 janvier 2001, se fonde sur l'argumentation suivante : la sensibilité du test français se calcule en prenant un cerveau de vache malade dilué avec de la cervelle saine dix fois, cent fois, mille fois, dix mille fois. La cervelle malade diluée trois mille fois avec du cerveau sain n'est plus capable de reproduire la maladie par injection intracrânienne chez une souris. La dose nécessaire à la contamination par voie orale de la même souris, a fortiori de l'homme, est de plusieurs milliers de fois supérieure à celle nécessaire pour provoquer la maladie chez la souris. On peut considérer qu'une telle dose n'étant plus capable de reproduire la maladie chez la souris par voie intracrânienne, a fortiori, on n'est plus capable de reproduire la maladie par voie orale chez la souris ou chez l'homme. ».

c) Le choix du test

Les membres de la commission d'enquête se sont interrogés aussi sur les raisons de la préférence que les pouvoirs publics avaient semblé donner au test « Prionics », alors même que l'étude menée par la Commission européenne en 1999 avait révélé que le test « Bio-Rad » était trente fois plus sensible et qu'il avait été élaboré en France par une équipe du CEA. De surcroît, plusieurs pays (Norvège, Suède, Belgique) ont fait le choix exclusif du test « Bio-Rad », ou un choix quasi-exclusif de ce test (Allemagne).

Il faut distinguer le choix du test opéré au moment du programme de recherche qui concernait les « bovins à risque », de celui qui a été fait lors du lancement du programme de dépistage systématique sur les animaux de plus de trente mois.

Lors de son audition par la commission d'enquête, Mme Catherine Geslain-Lanéelle a présenté les principes qui avaient pu inspirer le choix des tests : « Lorsque le programme de recherche a été mis en _uvre, il y a eu une procédure d'appel d'offre et trois tests s'étaient présentés : le test Prionics, qui est suisse, le test Bio-Rad, qui résulte des travaux du CEA, et le test Enfer, qui est irlandais. Les trois tests ont été sélectionnés par un comité de pilotage qui réunissait les trois départements ministériels concernés - agriculture, économie et finances et santé - mais aussi des experts scientifiques, en particulier ceux de l'AFSSA.

Deux types de critères avaient été pris en compte dans la sélection : d'une part, les qualités intrinsèques du test : la fiabilité, la sensibilité, la spécificité du test, sur lesquelles de toute évidence les tests Bio-Rad et Prionics présentaient les qualités requises. D'autre part, une autre série de critères concernant des aspects pratiques liés à l'utilisation, notamment touchant à la mise en place d'un service après-vente correct, à l'assistance technique, à la facilité d'utilisation de ces tests car, je vous le rappelle, il s'agissait de les mettre en _uvre à une échelle relativement importante
- plus de 40 000 tests. Il convenait donc que ces tests soient faciles d'usage. C'est sur cette deuxième série de critères que le test Prionics avait été retenu, et le test Bio-Rad avait été écarté.

En outre, lorsque nous avons mis en pratique le dépistage rapide en abattoir nous avons considéré que nous avions une expérience de terrain d'utilisation à grande échelle du test Prionics et qu'il nous semblait important de le retenir dans le cas du dépistage systématique. Néanmoins, il nous semblait également que, compte tenu des qualités relatives à la sensibilité du test Bio-Rad, il nous appartenait de ne pas l'exclure et de faire l'expérimentation à grande échelle avant même d'avoir eu une validation définitive de ce test dans le cadre de notre programme de recherches. Cette validation sera faite de toute façon, puisque nous allons démarrer en mai un protocole scientifique avec l'AFSSA, qui visera à comparer les tests Prionics et Bio-Rad avec les tests de référence.

Nous allons réaliser cette validation mais, sans attendre, nous avons jugé que ce qui nous était dit et les publications scientifiques qui faisaient état d'une grande sensibilité de ce test méritaient que nous ne l'écartions pas. C'est ainsi que nous avons agréé dès le mois de janvier un certain nombre de laboratoires pour le test Bio-Rad. L'expérience française avec le test Prionics nous a conduit à agréer plus de laboratoires Prionics que de laboratoires Bio-Rad, mais simplement parce que les laboratoires étaient plus habitués à travailler avec ce test. Cette situation est en train d'évoluer. ».

Pour M. Jean Glavany, s'agissant du programme de dépistage systématique sur les bovins de plus de 30 mois, les pouvoirs publics n'ont pas fait de choix véritable entre les tests disponibles : « Une très grande majorité de laboratoires s'est tournée vers le « Prionics », plus simple d'usage [...] on ne peut pas dire que la fiabilité ni la sensibilité du Bio-Rad soient exceptionnellement différentes. Il y a eu des faux positifs plus nombreux avec le Bio-Rad. ».

Et M. Glavany ajoutait qu'il n'avait pas de préférence pour l'un des tests : « Si le Bio-Rad avait été beaucoup plus sensible d'une manière avérée, je n'aurais aucune raison de le repousser. Nous faisons, depuis un peu plus de trois mois, 35 000 à 40 000 tests par semaine, cela fait donc, depuis douze semaines, plus de 400 000, presque 500 000 tests aujourd'hui. On a découvert sur ces 500 000 tests, treize cas d'ESB. Dans ces treize cas, le Bio-Rad nous permet d'en découvrir 1 sur 15 000, contre 1 sur 30 000 avec Prionics. Mais ces chiffres n'ont rien, à ce stade, de statistiquement fiables, parce que les séries statistiques sur treize cas sont encore très courtes. ».

Lors d'une visite des usines de fabrication des tests « Bio-Rad » à Steenvoorde (Nord), la commission a appris que ce test est désormais plus largement choisi par les laboratoires dans le cadre du dépistage systématique : il représenterait désormais environ le tiers du marché français et les deux tiers du marché européen.

La commission d'enquête souligne à ce sujet que tous les scientifiques qui se sont prononcés sur ce point devant elle ont confirmé la plus grande sensibilité du test Bio-Rad, lequel bénéficie de surcroît d'une large application sur le terrain, qui en a démontré le caractère praticable.

En toute hypothèse, la technologie des tests est en évolution constante. Une nouvelle campagne est ainsi annoncée, qui va concerner cinq nouveaux tests présentés par les laboratoires comme plus fiables et plus sensibles et qui seront soumis eux aussi à l'évaluation des instances communautaires. Des laboratoires allemands envisagent même la mise au point de tests sur les animaux vivants. On peut envisager également la mise au point de tests opérés sur des tissus autres que ceux du système nerveux central et notamment sur l'iléon, la mise en _uvre d'une telle technique étant beaucoup moins lourde.

La commission d'enquête demande donc aux autorités publiques de tenir compte de l'étude évoquée par Mme Geslain-Lanéelle, pour ce qui concerne l'efficacité respective des tests Bio-Rad et Prionics, ainsi que des tests nouveaux qui pourraient être validés dans les mêmes conditions.

En tout état de cause, comme l'a souligné le Dr. Dormont, l'application des tests a constitué un point essentiel et « dont l'initiative revient à la France [...] Par une sorte de jeu de dominos, l'Europe a accepté de recourir à des tests et, ceux-ci étant devenus obligatoires, un certain nombre de pays ont découvert des cas d'ESB. Cela a modifié totalement le paysage en termes de prévention et cela a permis, en particulier, d'arriver à la mesure essentielle qui est l'élimination des abats à risque spécifié, mesure qui n'a été prise, comme vous le savez, qu'en octobre 2000 à l'échelle de l'Union européenne. ».

d) Les occasions manquées

Toutefois l'invention du test du CEA, sa mise au point et le choix du partenaire industriel chargé de le développer révèlent quelques surprises.

Tout d'abord, l'un des deux co-inventeurs du test du CEA, le Dr. Jean-Philippe Deslys, a exposé à la commission d'enquête les difficultés qu'il avait rencontrées : « Je dis certaines choses depuis le début. Elles semblent logiques à tous aujourd'hui, mais quand je les disais à l'époque, je n'étais pas écouté. Les experts considéraient que jamais un test ne permettrait de faire quoi que ce soit, qu'il ne serait jamais assez sensible, qu'il n'y aurait jamais les cadences nécessaires. Bref, ils imaginaient toute une série d'obstacles.

J'ai l'impression également que l'opinion qui prévalait - mais c'est une analyse qui m'est propre - consistait à penser que, si l'on creusait la question, on ferait apparaître encore plus de cas et l'on mettrait encore plus en péril le système, alors que le problème était en train de se résoudre tout seul. Il suffisait d'attendre, le nombre de cas allait décroître. Les scientifiques qui cherchaient absolument à faire des exploits techniques étaient un peu considérés comme des empêcheurs de tourner en rond.

C'est ainsi que je l'ai ressenti. L'analyse était que l'ESB était un problème passé, en train de disparaître, et que, dès lors, il suffisait d'attendre. Une simple étude épidémiologique permettait d'avoir l'assurance que finalement l'on était dans une phase de décrue, que le danger était passé, et que tout allait rentrer dans l'ordre.

Je me suis un peu heurté au système. Je n'ai jamais été missionné pour mettre au point un test de dépistage de l'ESB. Normalement, notre mission n'est pas de développer ce genre de recherches ; je me suis donc retrouvé un peu en porte à faux. A l'heure actuelle, je ne m'occupe plus vraiment du développement de ce test. On m'a dit que ce n'était pas au CEA de le faire, car il n'est pas missionné pour cela, mais à l'industriel. ».

Ce témoignage est important pour comprendre un aspect de cette crise, à savoir la prise de conscience assez lente, y compris du côté des autorités scientifiques, de la gravité de l'affaire et la persistance, encore récente, du sentiment selon lequel il ne fallait pas « mettre en péril le système » et que « le problème était en train de se résoudre tout seul ».

Rien n'a été facile dans cette mise au point du test, qui a donc été retardée par toutes sortes de considérations.

En second lieu, on observe que l'invention du CEA n'a pas été commercialisée par un industriel français, mais par la société américaine Bio-Rad, dont le siège est en Californie et le principal établissement français à Steenvoorde, dans le département du Nord, établissement dans lequel le bureau de la commission d'enquête s'est rendu.

Pourquoi cette situation ? Selon le directeur des Sciences du vivant du CEA, la recherche d'un partenaire industriel n'a pas été facile. Il n'était guère aisé de deviner à l'époque (1998) le développement considérable que connaîtrait ce test dans toute l'Europe. Ce qui explique que Bio Mérieux ne s'y soit pas intéressé. Il a décliné la proposition du CEA ; et lorsqu'il s'est ravisé, en 1999, le CEA était déjà en pourparlers avec Sanofi-Diagnostics-Pasteur, société qui était elle-même en cours de rachat par Bio-Rad. La négociation entre le CEA et Sanofi-Diagnostics-Pasteur a eu lieu en juin 1999 et l'acquisition de celle-ci par Bio-Rad est intervenue en septembre de la même année.

L'examen de cette affaire révèle donc qu'il y a eu beaucoup d'occasions manquées : des retards dans la mise en _uvre du test français ; le choix du partenaire industriel, qui est américain ; la déperdition de recherche que constitue la mise à l'écart du co-inventeur du test dans le processus de perfectionnement de celui-ci.

IV.- L'AIDE À LA FILIÈRE

À compter de la fin octobre 2000, on a assisté à une grave crise sur le marché bovin, crise qui était, comme celle de 1996, liée à l'effondrement brutal de la consommation. Cette situation contrastait avec celle des premiers mois de l'année 2000, où le secteur bovin semblait vivre une forme d'embellie en France comme en Europe et où la consommation paraissait avoir presque retrouvé son niveau de 1995.

Alors que, d'après les données chiffrées fournies par le ministère de l'agriculture et de la pêche, sur les dix premiers mois de 2000, la consommation de viande rouge en France était en hausse de 2,5 % par rapport à 1999, la demande de viande bovine dans notre pays a diminué de 40 à 50 % en novembre et décembre 2000, la baisse observée ensuite en janvier et février 2001 étant plus proche de 30 à 35 % (10) ; quant aux marchés d'exportation, ils ont été fermés pendant plusieurs semaines en décembre 2000. La France a surtout perdu le marché italien, qui représentait 1,3 million d'animaux vivants achetés en 1998 et 55 % de nos exportations.

Cette forte diminution de la demande de viande bovine a suscité une chute importante de l'activité des abattoirs (- 42 % en novembre 2000 par rapport à novembre 1999), comme des ateliers de découpe et un chômage technique significatif a été observé dans de nombreuses structures ; la perturbation des transactions entraînée par ce mouvement a conduit au maintien d'un nombre très important d'animaux dans les exploitations, les frais d'entretien et de nourriture des bêtes venant ainsi s'ajouter aux problèmes de mévente (11).

Comme en 1996, des mesures visant à soutenir les marchés et les revenus sont intervenues.

On examinera ainsi successivement le plan gouvernemental « de soutien à la filière bovine » arrêté dès novembre 2000, puis les mesures communautaires d'intervention prises en novembre et décembre 2000 pour stabiliser le marché et enfin les nouvelles mesures nationales d'aides directes aux revenus retenues en février 2001. On examinera aussi les propositions présentées par la Commission européenne en vue de modifier l'organisation commune du marché bovin (février 2001) aujourd'hui en discussion et les éléments actuels de la position française sur les caractéristiques d'une aide à la filière bovine.

A.- LE PLAN GOUVERNEMENTAL DE SOUTIEN À LA FILIÈRE BOVINE (NOVEMBRE 2000)

Après le train de mesures présentées par le Gouvernement le 14 novembre 2000 - suspension des farines animales, renforcement des contrôles, aide à la recherche - un plan de soutien à la filière bovine prévoyant des aides d'un montant de 3,2 milliards de francs est rendu public le 21 novembre 2000. Il comporte quatre types de mesures :

- Un soutien spécifique aux éleveurs de bovins, qui bénéficient d'une réduction de leurs charges financières par l'attribution d'un montant de 400 millions de francs imputé sur les dotations du fonds d'allégement des charges (FAC) pour 2000 et 2001, d'un report de trois ans, à hauteur de 1,2 milliard de francs, de leurs cotisations sociales personnelles (ce report étant de 30 % ou de 50 %, suivant le degré de spécialisation de ces éleveurs en viande bovine) et d'une enveloppe de 500 millions de francs de prêts bonifiés à 1,5 %. Le versement des primes, notamment de la « prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes » (PMTVA) devait, en outre, être accéléré, de façon à améliorer la trésorerie des éleveurs, cependant que les services fiscaux recevaient des instructions pour un « examen bienveillant » des demandes de report de paiement.

- Des mesures de nature comparable en faveur des entreprises d'« aval » de la filière (abattoirs, négociants, tripiers, ateliers de découpe) consistant en l'octroi de 500 millions de francs de prêts bonifiés à 1,5 % sur cinq ans avec un différé de remboursement de trois ans, le report à hauteur d'un milliard de francs pour un an du paiement de 50 % des cotisations sociales patronales, la mise en _uvre « dans les conditions les plus favorables » du dispositif de chômage partiel, notamment par la prise en charge intégrale de l'allocation de chômage partiel, soit 29 francs par heure, de graves problèmes d'emploi s'étant posés dans les abattoirs et le secteur de la transformation.

- Une valorisation du secteur des oléoprotéagineux, par l'attribution d'un montant de 450 millions de francs, visant à encourager la production de soja de qualité en France, à augmenter les capacités de fabrication de diester de colza et à promouvoir les efforts de recherche ; ces diverses actions devaient aider à compenser les effets de la suspension des farines animales et à éviter un recours accru aux importations américaines ou brésiliennes de tourteaux de soja.

- Le développement d'une campagne d'information publique visant à restaurer la confiance du consommateur, notamment par la mise en place d'un « numéro vert », la publication d'un guide d'informations pratiques destiné aux personnels de la restauration scolaire et l'attribution d'une dotation de 15 millions de francs à l'Office interprofessionnel de la viande, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), pour accompagner les efforts de communication de l'Interprofession bovine (Interbev).

Enfin, les entreprises avicoles spécialisées dans les marchés de grande exportation et fortement pénalisées par la suspension de l'emploi des farines animales décidée le 14 novembre 2000 se voyaient octroyer une aide de 75 millions de francs. Une cellule de suivi était mise en place avec l'OFIVAL pour amender éventuellement ce plan, dont M. Jean Glavany, ministre de l'Agriculture, précisait qu'il n'était pas « pour solde de tout compte ».

En dépit de son ambition, le plan gouvernemental a semblé pourtant ne pas répondre parfaitement aux attentes du monde agricole. Les reports de cotisations sociales prévus ont pu être considérés comme de simples avances remboursables et les professionnels concernés faisaient remarquer que les banques hésitaient à accorder les prêts bonifiés à 1,5 % sans garantie ou caution de l'Etat. Les professionnels ont fait valoir que ce programme d'action était insuffisant et que des mesures complémentaires devaient intervenir, pour permettre d'une part un rééquilibrage du marché de la viande bovine et l'amélioration du revenu des éleveurs, d'autre part, une compensation intégrale des pertes subies par ces derniers, pertes évaluées par les organisations professionnelles agricoles en moyenne à 2 000 francs par animal vendu. Ces organisations rappelaient que, lors de la crise de 1996, les autorités communautaires et nationales avaient accordé aux éleveurs près de 3 milliards de francs d'aides directes aux revenus au mois de juin, puis 770 millions de francs en septembre.

B.- LES MESURES COMMUNAUTAIRES D'INTERVENTION SUR LES MARCHÉS (NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 2000)

Les autorités communautaires ont pris des mesures visant au soutien du marché bovin en deux temps : le 21 novembre 2000, en prévoyant un dispositif d'aide au stockage privé de viande de vache ; le 4 décembre 2000, en retenant des mesures d'intervention plus ambitieuses.

· Dès le 21 novembre 2000, l'Union européenne mettait en place, à la demande de la France, un mécanisme simple de soutien du marché, à savoir un dispositif dérogatoire d'aide au stockage privé pour la seule viande de vache, secteur du marché le plus affecté par la crise. Les opérateurs français ont appliqué cette mesure pour 10 345 tonnes, ce qui a permis une légère reprise des transactions sur ce produit et donc une certaine stabilisation des prix payés aux producteurs, ainsi qu'un léger redémarrage de l'activité des secteurs d'« aval ».

Mais la gravité de la crise qui s'étendait à l'ensemble de l'Europe et concernait aussi les autres bovins privés de débouchés (jeunes bovins, broutards (12), b_ufs, génisses) a très rapidement imposé la prise de décisions communautaires plus vigoureuses.

· C'est ainsi que, le 4 décembre 2000, le Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze prenait, sous l'impulsion de la présidence française, deux grandes mesures de stabilisation du marché :

- l'ouverture d'une intervention publique pour les jeunes bovins et les broutards ;

- la mise en _uvre d'un programme d'achat en vue de la destruction d'animaux de plus de trente mois.

Le dispositif d'intervention par stockage public, qui allait plus loin que celui d'aide au stockage privé mis en place en novembre 2000, a été prévu pour les jeunes bovins (afin de tenir compte de la situation des animaux maintenus à l'engraissement faute de débouchés, la limite de poids supérieure de 340 kg habituellement retenue a été portée à 430 kg puis supprimée, le prix d'intervention restant cependant fixé sur la base de 430 kg) et pour les broutards, qui n'ouvrent en général pas droit aux mécanismes d'intervention (de très faibles tonnages ont été concernés). Les dépenses d'intervention étaient à la charge exclusive du budget communautaire.

Quant à la mesure d'achat pour destruction, elle a concerné les animaux de plus de trente mois n'ayant pas été testés au regard de l'ESB ; cette mesure applicable du 1er janvier au 30 juin 2001 a été orientée prioritairement vers les animaux de moins bonne conformation bouchère. Elle devait aider à la mise en _uvre des tests de dépistage, ainsi qu'à l'allégement des marchés ; elle devait concerner en principe 12 000 têtes par semaine, les indemnités versées étant financées à hauteur de 70 % par l'Union européenne et de 30 % par les Etats membres. Le coût d'ensemble de cette opération s'élève pour la France à 1,2 milliard de francs alloués au titre de la participation nationale au coût d'indemnisation des animaux et aux frais de destruction, la contribution du budget communautaire pour notre pays s'élevant à 1,4 milliard de francs.

Le programme de retrait-destruction, qui a concerné plus de 155 000 bovins depuis le début de l'année 2001, n'a pas toujours reçu une application correcte, les montants d'indemnisation des animaux retirés du marché qui ont été fixés réglementairement n'ayant parfois pas été versés en totalité aux éleveurs.

En revanche, la France a bénéficié, au titre de l'intervention publique, de plus d'un tiers des mesures prises au plan communautaire ; 52 780 tonnes de jeunes bovins et de broutards avaient été ainsi retirées à la fin avril 2001.

Il est important de noter que le programme de retrait-destruction, les mesures d'intervention publique et la montée en puissance du nombre des animaux testés ont permis en février 2001 de retrouver le niveau des abattages existant avant la crise. Néanmoins, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, réclamait un programme d'ensemble ne pouvant prendre place qu'au plan communautaire et articulé en trois points :

- la mise en _uvre rapide d'aides directes aux revenus ciblées, afin de répondre aux difficultés des éleveurs les plus touchés par la crise ;

- la poursuite des mesures d'assainissement du marché dans tous les Etats membres, de nombreux animaux restant encore présents dans les exploitations ;

- la mise en _uvre enfin d'un « plan protéines » ambitieux permettant de réduire la dépendance de l'Europe dans le secteur des protéines végétales.

Enfin, le ministre de l'agriculture et de la pêche avait décidé, le 15 février 2001, de mettre à la congélation environ 10 000 têtes par semaine, ce qui devait permettre de résorber une partie des stocks existants.

C.- LE PROGRAMME GOUVERNEMENTAL D'AIDES DIRECTES AU REVENU (FÉVRIER 2001)

La mise en _uvre d'aides spécifiques aux éleveurs a été l'élément fort de la position française lors du Conseil des ministres de l'agriculture des 26 et 27 février 2001. La Commission européenne a fait valoir que le versement d'aides directes par la Communauté s'avérait impossible, compte tenu du fait que le plafond des dépenses accepté par les Chefs d'Etat et de gouvernement dans le cadre des accords de Berlin de mars 1999 était déjà atteint. Dans le même temps, la Commission observait que le versement d'aides directes nationales était possible, sous certaines conditions très strictes, dans le dispositif européen. De telles aides pouvaient donc s'avérer éventuellement compatibles avec la logique communautaire, dès lors qu'elles étaient notifiées aux instances européennes et autorisées par elles.

M. Jean Glavany a reconnu que l'« Agenda 2000 » devait rester la règle en matière de financement de l'Union européenne, les quinze ayant d'ailleurs réaffirmé au Conseil européen tenu en décembre 2000 à Nice puis à celui de Stockholm de mars 2001 leur volonté de ne pas modifier les perspectives financières pour la période 2000-2006 définies à Berlin en mars 1999.

Ayant obtenu l'accord du Conseil des ministres de l'agriculture des Quinze pour verser, sous certaines conditions, des aides nationales, le ministre de l'agriculture a rendu public le 28 février un plan exceptionnel de soutien aux éleveurs.

Ce plan mobilise 1,2 milliard de francs d'aides directes, dont une enveloppe d'un milliard de francs d'aides « ciblées, modulables et plafonnées », devant être versées « au titre de la solidarité nationale aux éleveurs les plus touchés ». Le plan retient également, toujours au titre des aides directes aux revenus, le versement intégral en 2001 aux éleveurs du bassin allaitant du complément national de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) pour 100 millions de francs et un montant de 100 millions de francs pour le soutien à la filière des veaux de boucherie. Il faut y ajouter 500 millions de francs de prêts bonifiés et 200 millions de francs imputés sur la dotation du fonds d'allégement des charges (FAC) pour 2001, au titre de la prise en charge des intérêts dûs par les éleveurs spécialisés, récents investisseurs, qu'ils aient ou non bénéficié des aides à l'installation.

Il faut insister sur l'originalité du dispositif d'aides directes aux éleveurs retenu à la fin du mois de février 2001, qui a fait l'objet d'une circulaire d'application en date du 5 mars 2001.

Ces aides sont d'abord « ciblées ». Seules sont éligibles à ces aides directes au revenu les exploitations présentant un taux de spécialisation au moins égal à 30 %, ce « taux de spécialisation » correspondant à la part du chiffre d'affaires desdites exploitations provenant de la vente de viande bovine. Des dérogations au seuil de 30 % peuvent être prévues, dans la limite de 10 % de l'enveloppe départementale globale « pour des situations particulières prioritaires », telles que celles des petites exploitations ou des jeunes agriculteurs.

Les aides directes mentionnées dans le plan gouvernemental sont ensuite « modulées ». Les soutiens accordés varient ainsi suivant la sensibilité des exploitations à la crise. Le premier critère retenu sur ce point par les pouvoirs publics concerne la catégorie des animaux concernés. Deux catégories de bêtes peuvent seules ouvrir droit aux aides : les animaux mâles âgés de sept à vingt-quatre mois présents dans l'exploitation au 1er novembre 2000 (l'aide directe accordée pouvant aller de 700 à 1 500 francs par tête) et les vaches laitières destinées à « la réforme » (pour 200 à 500 francs par animal). Les ajustements nécessaires sont fixés localement. Le second critère est celui de la spécialisation de l'exploitation en viande bovine. Les niveaux d'indemnisation varient ainsi suivant les taux de spécialisation : l'indemnisation est de 25 % pour un taux de spécialisation compris entre 30 et 50 %, de 50 % lorsque ce taux se situe entre 50 et 80 % et enfin de 100 % pour un taux de spécialisation supérieur à 80 %. Ces données doivent être précisées localement.

Les aides directes prévues sont enfin « plafonnées » à 30 000 francs par exploitation, ce montant pouvant s'élever à 100 000 francs pour les engraisseurs, particulièrement frappés par la crise. Le dispositif donne lieu à une répartition par départements, les enveloppes départementales correspondantes étant fixées en fonction du nombre des abattages réalisés localement ainsi que de l'importance du troupeau allaitant. Une réserve nationale a été également constituée, de façon à permettre des abondements.

La date limite du dépôt de leurs dossiers par les éleveurs a été fixée au 30 juin 2001. Une étude réalisée par le département « économie » de l'INRA de Nantes indiquait que 95 700 exploitations pourraient bénéficier totalement ou partiellement d'une aide, ce qui correspond à un montant moyen de 10 000 francs par exploitation et de 18 000 francs par exploitation spécialisée à plus de 80 %.

Ces aides nationales françaises, dont le financement nécessite un simple redéploiement budgétaire et aucune augmentation d'impôts ont été notifiées à la Commission européenne, qui avait imposé le respect de trois conditions : les aides devaient compenser des pertes de revenus à caractère exceptionnel, demeurer limitées dans le temps et ne pas aboutir à des surcompensations des pertes subies.

Un autre élément de singularité du dispositif d'aides aux revenus réside, comme on l'a indiqué, dans le fait que la répartition des crédits s'opère au niveau des départements, le plan ayant prévu que la classification relative aux taux de spécialisation et les niveaux d'indemnisation sont différenciés localement.

Les enveloppes de crédits retenues le 28 février 2001 (un milliard de francs d'aides directes, 500 millions de francs de prêts bonifiés et 200 millions de francs destinés à l'allégement des charges financières) ont fait l'objet en mars 2001 de cette répartition par département. L'affectation des dotations correspondantes qui sont gérées par les préfets doit être opérée par les commissions départementales d'orientation agricole (CDOA), qui doivent fixer des critères tenant compte des données locales pour l'attribution des aides, la logique du système retenu étant ainsi analogue à celle qui avait été déjà appliquée en 1996. Les aides doivent être distribuées aux éleveurs en fonction du nombre des animaux détenus dans les cheptels à la date du 23 octobre 2000 et de leurs catégories, l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL) étant chargé du versement de ces aides. Les professionnels de la filière bovine enfin sont associés, dans le cadre des CDOA, à la fixation des critères départementaux et à l'examen des dossiers au cours de la phase d'instruction.

La répartition entre les différents départements des aides aux éleveurs de bovins révèle que la Vendée, premier département producteur de viande, est le plus important bénéficiaire des aides directes. Si l'on tient compte des prêts bonifiés et des aides à l'allégement des charges financières, c'est, en revanche, la Saône-et-Loire qui reçoit les dotations les plus importantes.

Les représentants des organisations professionnelles agricoles qui réclamaient avec vigueur une compensation des pertes de revenu ont parfois regretté le plafonnement des aides à 30 000 francs par exploitation, les pertes réelles pouvant s'avérer plus importantes, et le fait que le système du taux de spécialisation est susceptible de pénaliser les petits et moyens producteurs et d'éliminer les exploitations laitières spécialisées.

En outre, et alors que, selon eux, le plan pouvait ne couvrir qu'une partie des besoins, nombre d'éleveurs ont fait remarquer que le versement des aides prévues n'était toujours pas intervenu à la fin avril 2001. Observant qu'à cette date la moitié des dossiers de demandes d'aides attendus avait été déposée par les éleveurs, M. Jean Glavany s'est engagé au versement de ces aides « pour 80 %, dès le mois de mai pour les éleveurs qui les solliciteront en apportant la preuve qu'ils y ont bien droit. ». En toute hypothèse, des acomptes pourraient être versés en tant que de besoin. Dès le 2 mai, des aides directes étaient ainsi allouées dans l'Eure et la Nièvre à des éleveurs considérés comme particulièrement fragilisés. Et, à la date du 15 mai 2001, soit deux mois après l'annonce du dispositif, près de 220 millions de francs avaient été mis en versement.

Des dispositions spécifiques ont parallèlement été arrêtées pour les broutards. 30 000 à 40 000 de ces animaux devraient être dégagés du marché par l'intermédiaire d'une aide aux engraisseurs d'un montant de 1 000 francs gérée par les organisations professionnelles.

Enfin, pour tenir compte des difficultés éprouvées par les éleveurs à déstocker leurs animaux, le Gouvernement a prévu un aménagement des modalités de calcul du chargement à l'hectare pour l'obtention du complément extensif et de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN).

D.- LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE (FÉVRIER 2001) ET LES ÉLÉMENTS DE LA POSITION DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS SUR L'AIDE À LA FILIÈRE

· Le 13 février 2001, la Commission européenne a suggéré d'apporter plusieurs modifications à l'organisation commune du marché bovin pour assainir le marché à court terme, et maîtriser l'offre dans l'avenir. La Commission a ainsi proposé :

- un encouragement de l'élevage extensif par une réduction de 2 à 1,8 unités de gros bétail (UGB) du taux de chargement maximum à l'hectare ouvrant droit au bénéfice des primes communautaires ;

- le remplacement de l'actuel système d'achat pour destruction par un régime spécial d'achats publics dans lequel la production pourrait, au choix de l'Etat membre, être soit détruite, soit stockée, jusqu'au moment où elle serait mise sur le marché après approbation des instances européennes ;

- l'augmentation du plafond des quantités admises à l'intervention, le plafond actuel de 350 000 tonnes semblant insuffisant par rapport aux besoins prévisibles ;

- l'utilisation des surfaces céréalières mises en jachère pour produire des légumineuses fourragères en agriculture biologique ;

- la réduction du nombre des bovins éligibles aux primes de la politique agricole commune, notamment par le plafonnement obligatoire du nombre des bêtes primables par troupeau.

· Le Gouvernement a fait connaître à plusieurs reprises ses positions sur la question de l'aide à la filière. Quatre orientations s'imposent ainsi à ses yeux :

- la poursuite et l'amélioration du programme d'aides directes aux revenus mis en place en février 2001, qui est fortement réclamé par les professionnels du secteur ;

- l'utilisation de la gamme la plus large de mesures d'intervention sur les marchés, pour tenter de restaurer l'équilibre entre l'offre et la demande en produits bovins ; les deux mesures de gestion du marché actuellement pratiquées (retrait-destruction des bovins de plus de 30 mois et intervention publique) doivent être encore intensifiées ; quant au régime de l'achat spécial préconisé par la Commission en alternative à l'achat pour destruction, il pourrait aboutir à maintenir en stock des quantités appelées à terme à peser sur le marché ; en outre, le financement de cette mesure étant assuré pour 70 % par l'Union européenne et pour 30 % par les Etats membres, on peut craindre d'aller vers une sorte de cofinancement d'un stockage public déguisé ;

- la mise en place d'un plan visant à réduire la dépendance de l'Union européenne en protéines végétales ; la mesure proposée par la Commission sur la production biologique apparaît à cet égard tout à fait insuffisante ;

- l'instauration au niveau communautaire, en vue d'assurer la maîtrise de l'offre, d'une prime à « la transformation » des jeunes veaux, autrement dit à l'élimination des veaux de moins de 20 jours, déjà créée en 1996 (la « prime Hérode ») qui permettrait de mieux contrôler à terme les volumes produits. Ces animaux qui donnent une viande de boucherie de faible qualité, pèsent, en effet, aujourd'hui sensiblement sur un marché déjà excédentaire.

Une prime à la destruction des broutards serait de la même façon très utile, pour soulager un marché qui a perdu l'essentiel de ses débouchés, en raison notamment de la fermeture du marché italien.

Ainsi, face à une crise de la filière bovine qui paraît plus marquée que celle de 1996, les pouvoirs publics ont pris des mesures permettant de soutenir le marché bovin et les revenus des éleveurs. La chute de la consommation en France proche de 40 à 50 % en novembre 2000 est d'ailleurs voisine désormais de 15 %. Et le Gouvernement a obtenu le 15 mai 2001 des dirigeants italiens un léger assouplissement (pour 8 000 animaux) de l'embargo décidé par ce pays dans le contexte de la fièvre aphteuse.

V.- LA MAÎTRISE DES RISQUES SANITAIRES

A.- LA MAÎTRISE DES RISQUES SANITAIRES LIÉS AUX PRODUITS À HAUT RISQUE ISSUS DE L'ÉQUARRISSAGE

1.- les farines et les graisses à haut risque

Il convient de définir ce que sont les produits animaux dits « à haut risque ». Ce vocable s'applique à des animaux ou à certaines parties de leur corps. Selon un arrêté du 30 décembre 1991, il s'agit des déchets animaux susceptibles de présenter des risques sérieux pour la santé des personnes ou des animaux. S'agissant de l'ESB, ces matières recouvrent :

- les cadavres des animaux morts sur l'exploitation,

- les cadavres des animaux abattus d'urgence pour cause de maladie ou pour cause d'accident,

- les cadavres des animaux atteints par l'ESB,

- les cadavres des animaux des troupeaux dans lesquels a été détecté un cas d'ESB,

- les animaux de plus trente mois qui sont abattus sans subir un test de dépistage de l'ESB,

- les saisies sanitaires dans les abattoirs et les MRS.

Chaque année, environ 800 000 tonnes de produits animaux à haut risque doivent être traités et toujours incinérés. Ce traitement constitue la principale des missions du service public de l'équarrissage, mis en _uvre par la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et de déchets d'abattoirs et modifiant le code rural.

Il convient de relever que la transformation des produits animaux à haut risque en farines et en graisses « constitue un mode quasi-exclusif de traitement », selon un rapport de l'AFSSA (13). La transformation des 800 000 tonnes de produits animaux à haut risque aboutit à la fabrication de 200 000 tonnes de farines de viandes et d'os et à 80 000 tonnes de graisses animales. Selon M. Jean-Paul Proust, qui au moment de son audition par notre commission d'enquête était en charge de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (MIEFA), ces graisses et ces farines à haut risque font désormais l'objet, en totalité, d'une destruction par incinération dans des cimenteries. Leur stockage, éventuel, n'est donc que transitoire.

Il est nécessaire de préciser que la gestion des farines et des graisses à haut risque, issus des premières mesures de retrait des MRS mises en _uvre à compter de 1996 a été très difficile en 1996, 1997, 1998 et certainement durant une partie de l'année 1999. Devant l'impossibilité d'incinérer toutes les farines issues des nouvelles réglementations édictées à compter de l'année 1996, certaines d'entre elles, parfois mal dégraissées, ont été stockées, dans des conditions ne permettant pas la protection du milieu naturel ou des animaux. L'AFSSA a établi que « certains sites de stockage constitués à cette époque (14) n'étaient pas encore complètement évacués fin octobre 2000 (il resterait 30 000 tonnes de farines). Il ne semble pas cependant subsister de sites de stockage à l'air libre non évacués. » (15). S'il existe toujours de tels stocks de farines issues de produits animaux à haut risque, la commission d'enquête estime qu'il est prioritaire qu'ils soient traités rapidement par l'incinération. On relève par ailleurs que la dernière observation citée constitue un aveu selon lequel des sites de stockage de farines de viandes et d'os à haut risque à l'air libre ont existé.

Il faut noter que les farines et les graisses issues de produits animaux à haut risque ne subissent pas le traitement thermique prévu par l'arrêté du 6 février 1998, soit le chauffage à 133 degrés Celsius, pendant 20 minutes sous une pression de trois bars. En effet, ce traitement ne concerne que les produits qui sont, en principe, destinés à être valorisés commercialement, selon d'autres modalités que l'incinération. Il convient de noter que ce raisonnement ne correspond pas à la pratique relative à la gestions des farines et des graisses à haut risque. Ces produits sont conditionnés, transportés, parfois temporairement stockés et manipulés avant que leur incinération ne soit mise en _uvre.

Dès lors, il convient, comme le considère l'AFSSA, de traiter les farines et les graisses à haut risque selon le procédé thermique décrit. La sécurisation des lieux et de la période séparant la fabrication de ces produits, de l'incinération en serait améliorée, même si ces lieux et cette période font d'ores et déjà l'objet d'un cahier des clauses techniques particulières élaboré par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche. Selon l'AFSSA, les dispositions dudit cahier « identifient les points critiques à chacune des étapes et sont de nature, si elles sont correctement appliquées et respectées, à prévenir les risques sanitaires. » (16).

Il faut relever que les carcasses des animaux atteints par l'ESB, ainsi que celles des animaux du troupeau dans lesquels un cas d'ESB a été détecté, ne sont pas traitées comme les autres produits animaux à haut risque et, notamment, ne sont pas incinérés dans les cimenteries et ce, en vertu des accords conclus entre les pouvoirs publics et les fabricants de ciment. Les farines et les graisses fabriquées à partir de ces carcasses sont traitées dans des incinérateurs de déchets industriels spéciaux.

2.- Les autres produits issus du traitement des matières à haut risque

Il s'agit notamment des effluents liquides, des eaux, et des boues ayant été en contact avec des produits animaux à haut risque. Selon le rapport de l'AFSSA que nous avons déjà évoqué, les établissements d'équarrissage disposeraient « pratiquement tous » d'une station d'épuration autonome pour le traitement des effluents issus de la transformation des produits animaux à haut risque en graisses et en farines à haut risque. Quand une telle station d'épuration interne n'existe pas, ces effluents sont traités dans les stations d'épuration communale.

Dans les stations d'épuration, les effluents sont traités, afin d'être transformés en eaux, d'une part, et en boues, d'autre part. Les boues issues des effluents liquides eux-mêmes issus des procédés de transformation industrielle des produits animaux à haut risque en farines et en graisses, sont incinérés. L'épandage de ces boues est interdit depuis l'entrée en vigueur d'un arrêté du 17 août 1998.

Selon une enquête interministérielle dont les premiers résultats ont été transmis à la section eau du comité supérieur de l'hygiène public de France ainsi qu'au groupe d'experts spécialisés Eaux de l'AFSSA, deux établissements de dépôt n'assureraient aucun traitement de leurs eaux avant rejet dans le milieu naturel, ces eaux ayant été en contact avec des matériaux à haut risque. Au vu des résultats partiels de cette enquête, selon l'AFSSA, il est nécessaire que « soient rapidement prises des mesures et qu'il soit considéré comme hautement prioritaire de remédier aux situations dans lesquelles des rejets non inactivés selon des traitements appropriés pourraient polluer l'eau de l'alimentation. Il conviendrait, face à l'hétérogénéité des situations rencontrées, que des directives puissent être données à l'ensemble des établissements. ».

Dans ses conclusions, l'AFSSA estime que « la question des rejets liquides semble la plus délicate à prendre en compte », s'agissant du problème global de la sécurisation sanitaire des coproduits animaux. D'un point de vue scientifique, au regard de l'incertitude pesant sur l'infectiosité du prion dans l'eau, « celui-ci doit être considéré comme pouvant garder sont pouvoir pathogène dans l'eau...tant que des études ne montreront pas le contraire ». Selon l'Agence, « des situations actuellement recensées ne sont pas satisfaisantes et certaines d'entre elles peuvent conduire à ce que des eaux en contact avec des matériels à haut risque puissent, sans filtration ni traitement d'inactivation, être rejetées dans le milieu naturel, en amont de point de captages ou dans des zones de culture. ». Il faut noter que cette description correspond en grande partie au témoignage argumenté que Mme Annie Leroy, présidente de la coordination des associations des riverains d'usines de l'équarrissage, a bien voulu donner au Président et au Rapporteur de la commission d'enquête.

Il est nécessaire, à tout le moins, qu'un bilan propre à chaque installation émettant des effluents liquides issus des activités de l'équarrissage, notamment du traitement ou de la collecte des produits à haut risque, soit établi rapidement, par exemple d'ici la fin de l'année 2001. Ce bilan évoquerait de façon précise le sort respectif des effluents liquides issus du traitement industriel des produits animaux à haut risque et des effluents liquides issus des eaux de lavage des installations d'équarrissage. Il préciserait dans quelle mesure ces deux catégories d'effluents liquides sont traités afin d'être épurés et, éventuellement, sont transformés en eaux et en boues par un passage en stations d'épuration. Il conviendrait, au regard de ce bilan d'établir un calendrier, propre à chaque installation, prévoyant la sécurisation de tous les rejets de tous les effluents, eaux et boues, selon les recommandations de sécurisation élaborées par l'AFSSA.

Il est important de souligner que la lutte contre la dissémination de l'agent pathogène de l'ESB ne doit pas uniquement concerner le risque alimentaire. Elle possède un volet environnemental (17) qu'il est aujourd'hui nécessaire de renforcer, dès lors que le risque alimentaire peut être considéré comme maîtrisé, si tant est que la vigilance dans ce domaine soit maintenue.

3.- Les aspects financiers

Pour s'être montrée extrêmement attentive aux questions de sécurité sanitaire, la commission d'enquête n'en a pas pour autant perdu de vue les préoccupations relatives au bon emploi des fonds publics. Elle a constaté que le rapport de forces entre l'administration et les entreprises capables de traiter le haut risque est déséquilibré. En France, deux groupes se partagent le marché de l'équarrissage : la Saria, appartenant au groupe allemand Rethmann, et Caillaud. Ils ne semblent guère se faire concurrence : l'administration a souvent un seul interlocuteur répondant à ses appels d'offres. La question de savoir s'il existe un partage du marché mériterait bien d'autres investigations.

Les conditions dans lesquelles l'autorité publique a dû s'organiser, non sans improvisation, ont accru ce déséquilibre. Les prix pratiqués sont à la mesure de l'urgence dans laquelle les solutions ont dû être trouvées. Lors de ses déplacements sur le terrain, la commission d'enquête a été informée des prix pratiqués : l'incinération de farines à risque est facturée 1 300 francs la tonne (en incinérateur spécial, distinct des cimenteries).

Des industriels s'équipent pour répondre à la demande. Lors de son audition, le préfet Proust a indiqué qu'il conseillait aux industriels de faire leurs calculs sur une durée de 5 ans. Le matériel est amorti plus rapidement si l'on considère qu'un incinérateur de taille moyenne brûle 2 tonnes de farines à l'heure.

L'incinération de la tonne d'hémoglobine en sac est facturée 2 000 francs la tonne, en raison des coûts supplémentaires de manutention.

Les incinérateurs brûlent les farines à une température de 900 ° à c_ur : les cendres qui en sortent sont, de l'avis des scientifiques, inoffensives. Mais, alors que les cendres issues des usines d'incinération des ordures ménagères sont utilisées comme mâchefer et incorporées dans le substrat des routes, les cendres d'équarrissage ne sont pas admises pour cet usage. Elles sont donc stockées. Pourtant le risque lié à la présence de métaux lourds dans les cendres issues des ordures ménagères existe, tandis que l'incinération à 900 ° des farines a totalement inactivé l'agent pathogène.

Quant au stockage du « bas risque », il est également très coûteux. Rappelons qu'il s'agit des déchets provenant d'animaux considérés comme bons pour la consommation humaine.

Ces « farines du 14 novembre » sont stockées dans des hangars répondant à des conditions de sécurité. Un hangar couvrant une surface de 1 200 m2 et ayant coûté 4 millions de francs est loué à l'Etat 5 000 francs par jour. Il est totalement remboursé en 27 mois.

Les deux silos de Plouisy, qui ont des capacités de stockage beaucoup plus importantes, sont loués à l'Etat pour un montant journalier de 11 250 francs et de 14 467 francs, c'est-à-dire au total 25 717 francs par jour. Compte tenu de faibles quantités qui y restent stockées aujourd'hui (2 000 tonnes environ, selon les informations recueillies), il serait hautement souhaitable de les évacuer ou, à l'inverse, de les utiliser pleinement.

B.- LA MAITRISE DES RISQUES SANITAIRES LIES AUX FARINES ET GRAISSES ISSUES DES PRODUITS ANIMAUX À BAS RISQUE

1.- La gestion du risque sanitaire issu de déchets à bas risque

Avant le 14 novembre 2000, une réglementation interdisait que les boues issues - après traitement dans les stations d'épuration - des effluents à bas risque des équarrissages et abattoirs, soient utilisées dans la fabrication des aliments pour les animaux auxquels des FVO pouvaient être données (les monogastriques).

Or un rapport de la direction nationale des enquêtes-répression des fraudes (DNERF) montre les difficultés auxquelles pouvait se heurter l'application de cette réglementation. Il montre que l'administration a parfois contribué à ces difficultés.

La contamination croisée de l'aliment ruminant avec des sources alimentaires réservées aux autres espèces (porcs, volailles) dans l'alimentation desquelles les FVO restent autorisées, est, selon l'avis du comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles, une hypothèse hautement vraisemblable d'explication dans la survenance des cas « NAÏFS » (bovins atteints d'ESB bien que nés après l'interdiction des farines de viande et d'os).

L'impérieuse nécessité de prévenir tout recyclage du prion doit conduire naturellement à la plus grande vigilance quant à la qualité et la sécurité des farines animales, et ceci très en amont de la fabrication des aliments : dès la collecte et la transformation des sous produits animaux.

À ce stade, deux barrières essentielles ont été érigées en matière hygiénique :

- la mise à l'écart et l'incinération des cadavres, saisies sanitaires et matériels à risque spécifiés (1996) ;

- l'obligation de traitement thermique des farines (1998).

La note de service n° 5653 du 6 novembre 1990, à l'initiative conjointe de la DGAL et de la DGCCRF, définit une ligne de partage des compétences et institue une coopération des deux services, pour le contrôle et l'application de l'arrêté modifié du 24 juillet 1990 portant interdiction de l'emploi de certaines protéines d'origine animale et la fabrication d'aliments destinés aux animaux de l'espèce bovine :

Collecte et transformation des sous produits animaux :

« les contrôles réalisés par les agents de la direction générale de l'alimentation seront principalement axés sur les installations de production et de stockage de protéines animales, ainsi que sur l'origine des matières premières qu'elles mettent en _uvre et les conditions de leur stockage ».

Fabrication des aliments :

« les contrôles réalisés par les agents de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes consisteront principalement en des examens scripturaux (bons de livraison, facture d'achat et de vente, fiches de fabrication, etc.) complétés si nécessaire par des prélèvements aux fins d'analyse ».

.../...

Contrôle en élevage :

« en cas de suspicion d'utilisation par des éleveurs de bovins de matières premières interdites, et en particulier dans le cas où le contrôle opéré chez les fabricants de protéines animales ou d'aliments composés mettrait en évidence la livraison à ces éleveurs de produits interdits, les contrôles seront réalisés conjointement chez les éleveurs par les agents des deux directions ».

En réalité, sur le terrain, cette répartition des rôles ne s'est pas concrétisée de façon absolue.

La note de service DGAL/SDSPA du 11 septembre 1998, par exemple, décrit des contrôles vétérinaires systématiques, dans les unités de fabrication des aliments composés, en vue de la recherche de contaminations croisées.

Concernant la qualité des farines, c'est fortuitement que la DNERF a mené, en 1998, des incursions dans le domaine de l'équarrissage (renseignements d'origine professionnelle, demande de prélèvements du laboratoire de Rennes).

Le constat des anomalies importantes constatées par la DNERF a déjà été porté à la connaissance de la DGAL, par l'administration centrale.

Depuis, les interventions se sont intensifiées à la demande de l'administration centrale. Les résultats de ces interventions sont traités au niveau interministériel.

La DGAL à la suite des interventions de la DNERF est intervenue auprès des organisations professionnelles par voie de lettre circulaire.

Incorporation de boues de station d'épuration
dans les farines de viande et d'os

Usine Gélatine Weishardt à Graulhet (81)

Un professionnel avait signalé à la DNERF que de la farine de cretons non traitée était fabriquée par cette usine et vendue pour l'alimentation des porcs et volailles.

L'usine fabrique de la gélatine à partir de couennes de porc et de peaux de bovin (42 500 tonnes/an de matières premières, 6 900 tonnes/an de gélatine). Les coproduits fabriqués à partir de ces déchets sont de la graisse de porc, de l'huile acide (graisse sans garantie d'acidité) et des farines grasses de couennes et de cretons (12 000 tonnes/an de graisse et 3 000 tonnes/an de farines).

La graisse provient de la cuisson de la couenne de porc récupérée lors de l'extraction de la gélatine. .../...

L'huile acide provient du traitement des eaux de la station d'épuration physico-chimique qui récupère toutes les eaux usées y compris celles des fosses septiques des sanitaires et les eaux récupérées après épaississement des boues de la station d'épuration biologique.

Les farines grasses de couennes et de cretons (35 % de matière grasse et 50 % de matière protéique) étaient destinées à un fabricant d'aliments pour animaux. Elles étaient fabriquées à partir de plusieurs constituants :

· déchets solides récupérés sur un filtre grossier là où se rejoignent toutes les eaux usées de l'usine (eaux de lavage, eaux de traitement des peaux et couennes, eaux usées dont celles provenant des fosses septiques). Après dessablage, cette partie était directement dirigée vers les cuiseurs.

· boues de la station d'épuration physico-chimique (raclage de la surface des bacs de la station) dont une partie était constituée de résidus de traitement des fosses septiques des sanitaires.

· boues de station d'épuration biologique qui traite les eaux de la station d'épuration biologique provenant en partie du traitement des fosses septiques des sanitaires. Elles étaient incorporées aux farines.

· marcs de cuisson dégraissée.

Ces farines n'étaient pas traitées à 133 ° C, 3 bars pendant 20 minutes.

L'usine dispose d'un agrément sanitaire pour la fabrication de farines de viande et graisse d'origine d'animale (08/01/98), d'un agrément communautaire pour cette fabrication (21/11/97) et d'une attestation vétérinaire (10/02/98) qui (contrairement à la réglementation) dispense de traiter les farines à 133 ° C, 20 mn, 3 bars, 5 cm.

Par ailleurs, compte tenu des documents fournis pour l'arrêté d'installation classée, il n'était pas possible d'ignorer l'incorporation des boues.

Naturellement :

· l'incorporation des boues de station d'épuration est interdite dans les aliments pour animaux (arrêté du 16 mars 1989 - article 11-1) ;

· les farines doivent être traitées à 133 ° C, 3 bars pendant 20 minutes avec une taille de particule de 5 cm. En effet, l'enquête complémentaire effectuée par la DNERF chez le fabricant d'aliment a montré que ces farines étaient incorporées dans les aliments destinés aux porcs et aux volailles (ce ne sont ni des peaux, ni des graisses fondues et ces farines sont destinées aux animaux de rente et non aux animaux domestiques). .../...

La DNERF a demandé que la réincorporation des boues dans les farines de viande soit arrêtée. Le fabricant d'aliment destinataire des farines a interrompu son approvisionnement à la même époque.

La société a informé la DNERF que les boues étaient désormais stockées dans l'attente d'une destination licite et que les farines de viande étaient désormais envoyées pour traitement thermique dans une usine agréée.

Compte tenu des agréments et autorisations vétérinaires préalables, toute procédure pénale était exclue. La DNERF a tout de même adressé une lettre de mise en demeure à la société pour mettre fin à ces pratiques.

Usine SARIA à Concarneau (29)

Le laboratoire de Rennes avait demandé à la DNERF de prélever des échantillons de farines pour la mise au point des standards de la méthode d'identification os et écailles, et la détection des graisses d'os (la mise au point des standards protéiques ayant été modifiée par la suppression des cadavres et saisies sanitaires).

À l'occasion de ces prélèvements, la DNERF avait été amenée à saisir 102 tonnes de farines de poissons polluées par de la farine de viande non traitée thermiquement, contrairement à l'obligation instituée par l'arrêté du 6 février 1998. Cette farine de poisson était destinée à l'alimentation animale. C'est dans le cadre de ces interventions qu'était apparu initialement le problème de la destination des boues de la station d'épuration.

En effet, l'usine réincorporait les boues de station d'épuration (qui contiennent aussi des résidus des fosses septiques), le produit de la filtration sur grille des eaux résiduaires du fondoir et du raffinage, ainsi que des eaux de l'usine (lavage des camions, ateliers poissons, etc.), dans les matières premières destinées à l'alimentation des animaux de rente. L'usine dispose d'un arrêté préfectoral l'autorisant à réincorporer des boues dans les cuiseurs (4 à 5 tonnes de boues par jour sont concernées).

Compte tenu de l'arrêté préfectoral, toute procédure pénale était exclue. La DNERF a néanmoins adressé une lettre de mise en demeure au groupe SARIA pour qu'il n'utilise plus les boues dans les farines destinées à l'alimentation animale.

Usine SARIA à Isse (44)

L'entreprise :

· collecte et procède à la fonte des gras pour la production de graisses destinées à l'alimentation humaine et animale, et la production de cretons pour les animaux familiers.

.../...

· collecte et transforme des déchets animaux pour la production de matières premières destinées à l'alimentation animale : farines de plume, de sang et de viande (150 000 tonnes de déchets en 1998 pour la production de farines).

· collecte les matières à haut risque destinées à l'incinération (« cadavres et saisies sanitaires »). Elle dépouille les cadavres, sale les peaux et broie les déchets avant leur expédition vers les usines du groupe spécialisées pour l'incinération de ces matières (usine SARIA à Plouvara et à Guer).

Lors de l'enquête, il a été constaté que les deux dernières activités ne sont pas totalement séparées :

· le local où sont entreposés les cadavres communique avec l'atelier « sang » et avec le quai de chargement en vrac de la farine de sang. Il y avait d'ailleurs un cadavre sur ce quai de déchargement.

· le chargement des camions de matières à haut risque destinées à l'incinération est réalisé au moyen d'une canalisation qui débouche à l'air libre. À cet endroit, on retrouve de la matière à haut risque dans la cour de l'établissement.

· les eaux de lavage et les jus de l'activité « cadavres et saisies sanitaires » étaient réorientés vers la station d'épuration de l'usine pour servir à la fabrication des farines. Depuis janvier 1999, cette pratique a cessé conformément aux instructions de la direction technique de Saria Industries formulées à la suite des interventions de la DNERF à Concarneau.

La séparation physique totale de l'activité à haut risque est prévue pour l'été 1999.

La station d'épuration de l'usine reçoit les eaux usées des différents ateliers.

À l'entrée de la station d'épuration, tous les déchets solides sont récupérés sur ces eaux (dégrillage) et sont placés sur les trémies alimentant la production des farines destinées à l'alimentation des animaux.

Les boues résultant du traitement des eaux usées de l'atelier graisse, sang, cadavres et saisies sanitaires et buées étaient récupérées après traitement biologique, centrifugation et étaient réincorporées dans la matière première destinée à la production de farines de viande (en 1998, 3 450 tonnes de boues sont ainsi passées dans les farines, correspondant à 354 tonnes de matière sèche). Cette pratique a cessé depuis janvier 1999.

Une partie des boues a été épandue (550 tonnes), après dilution, sur les terrains agricoles, selon les dispositions de l'arrêté d'installation classée.

Les eaux obtenues après la centrifugation sont soit stockées dans les lagunes et utilisées pour l'arrosage agricole, soit rejetées dans la rivière.

.../...

Usine CAILLAUD à Javené (35)

L'usine dispose de deux ateliers, faible risque et haut risque. L'atelier « faible risque » reçoit 2 100 à 2 500 tonnes de matières premières par semaine (os, viande, plume, sang).

En ce qui concerne la fabrication de farines de viande destinées à l'alimentation des animaux, les eaux résiduaires de l'atelier « bas risque » et les eaux usées des installations sanitaires du personnel sont réincorporées dans la matière première servant à la fabrication de ces farines (15 à 20 tonnes de boues par semaine pour août à mars). Ce sont 1 794 tonnes de boues qui ont été transformées en farines en 1998 et 1 839 tonnes de boues qui ont été épandues conformément à l'arrêté « installations classées » du 2 août 1996.

Usine CAILLAUD à Saint Langis les Mortagne (61) (siège social)

Un arrêté « installations classées » encore en vigueur, autorise explicitement le recyclage des boues de la station d'épuration directement dans les cuiseurs avec la matière première. Une lettre du 19 juillet 1998 de la DSV locale montre par ailleurs que cette pratique est connue et tenue pour admise (« Étant donné le recyclage des boues effectué dans votre établissement... ».

Comme pour SARIA (à Isse notamment), il est clair que la pratique d'incorporation des boues est décidée au niveau du groupe, s'appuyant pour cela sur des autorisations vétérinaires locales, qu'il est donné aux enquêteurs de rencontrer ici ou là , mais dont les dirigeants d'entreprises connaissent parfaitement l'existence.

Dans ces conditions, comme pour SARIA, il peut être tenu pour certain qu'une procédure pénale à l'encontre de CAILLAUD est vouée à l'échec.

Le groupe CAILLAUD va être mis en demeure de mettre un terme à cette pratique.

D'une façon générale, les interventions menées par la DNERF, ont considérablement accéléré les procédures de séparation et de destination vers l'incinération, des jus et eaux de lavage du haut risque non valorisable.

La tonalité de ce rapport est donc beaucoup plus critique que celle de nombre de témoignages entendus par la commission d'enquête. Il fait ressortir la nécessité d'une grande vigilance à l'égard du risque sanitaire et environnemental.

2.- La gestion des risques sanitaires au lendemain de la décision du 14 novembre 2000

Les produits animaux à faible risque sont, selon la définition de l'arrêté du 30 décembre 1991, les déchets animaux qui n'entrent pas dans les catégories de déchets animaux classées à haut risque par la réglementation en vigueur. Il s'agit donc d'une définition négative. Ainsi, les matières à faible risque sont les déchets animaux qui n'entrent pas dans la chaîne alimentaire humaine mais qui, pour autant, ne présentent pas de risque sérieux de propagation de maladies transmissibles à l'homme ou à l'animal.

Ces produits animaux étaient, jusqu'au 14 novembre 2000, valorisés par leur utilisation dans les aliments pour les animaux d'élevage non-ruminants, après leur transformation en farines et en graisses et leur traitement à 133 degrés Celsius, pendant 20 minutes sous une pression de trois bars.

L'abattage des animaux d'élevage produit chaque année entre 2,5 et 2,6 millions de tonnes de produits animaux à bas risque. Selon l'AFSSA, 770 000 tonnes proviennent de déchets de ruminants, près d'un million de tonnes sont issues de déchets de porcs et 800 000 tonnes de déchets de volailles. Ces 2,5 millions de tonnes de déchets crus étaient et sont toujours aujourd'hui transformés en 600 000 tonnes de farines à bas risque et en 250 000 tonnes de graisses à bas risque.

Il n'est pas inutile de préciser que ce sont bien ces farines à bas risque, dont la valorisation a été interdite dans l'alimentation des animaux d'élevage non-ruminants le 14 novembre 2000.

En l'absence soudaine de valorisation des farines et des graisses à bas risque dans l'alimentation des animaux non-ruminants, le premier objectif des autorités publiques françaises a consisté, dès le 14 novembre 2000, à mettre en _uvre des indemnisations tendant à ce que les professionnels de l'équarrissage poursuivent la transformation des déchets crus à bas risque en farines et en graisses à bas risque. Il s'agissait d'un impératif absolu, car la constitution de stocks de déchets crus, certes à bas risque, aurait très rapidement posé des problèmes environnementaux et sanitaires considérables dans les abattoirs. Il a donc fallu créer un dispositif d'indemnisation, afin que les professionnels de l'équarrissage poursuivent leurs activités, alors même que leurs produits transformés, à savoir les farines et les graisses à bas risque, n'avaient plus de débouchés commerciaux.

Le dispositif d'indemnisation figure dans le décret n° 2000-1166 du 1er décembre 2000, instituant une mesure d'indemnisation pour les entreprises productrices de certaines farines et graisses. La fabrication d'une tonne de farines de viandes et d'os est indemnisée à hauteur de 1.600 francs. Ce montant s'élève, par tonne de produits fabriqués, à :

- 1.850 francs pour les graisses de cuisson,

- 1.900 francs pour les graisses d'os,

- 2.600 francs pour les farines de sang et de poisson,

- 1.800 francs pour les farines de plumes,

- 2.400 francs pour les farines de volaille et de cretons

- 2.500 francs pour les graisses de volaille.

L'article 2 du décret précise que « l'Etat prend en charge les opérations nécessaires à l'élimination des produits..., y compris, le cas échéant, leur entreposage provisoire. ». Cependant, l'élimination et l'entreposage de ces produits peuvent être assumés par l'équarrisseur, dès lors qu'une convention est passée entre l'Etat et ledit équarrisseur, tendant à définir les conditions dans lesquelles l'élimination des produits sera mise en _uvre et à justifier « du respect des exigences de sécurité et de protection de l'environnement. ». Si l'équarrisseur se charge de l'élimination des farines et des graisses à bas risque, les montants des indemnités énumérées sont majorés à ce titre d'une somme de 700 francs par tonne.

Selon le Préfet Jean-Paul Proust, les montants des indemnités ont été calculés en tenant compte des conditions commerciales du marché des farines et des graisses à bas risque durant la première quinzaine du mois de novembre de l'année 2000.

3.- Le stockage des farines et des graisses à bas risque après la décision du 14 novembre 2000

Dans l'attente de nouvelles modalités de valorisation des farines et des graisses à bas risque, il était nécessaire de trouver au lendemain du 14 novembre 2000 des capacités de stockage destinées à ces produits. Selon, le Préfet Jean-Paul Proust, « ce ne fut guère aisé ». En effet, les sites de stockage devaient répondre à des conditions environnementales suffisantes, afin d'éviter les difficultés qui ont marqué les stockages des farines et des graisses à haut risque, consécutives aux premières mesures de retrait des MRS en 1996.

C'est pourquoi la MIEFA et le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement ont élaboré, dès le mois de décembre de l'année 2000, un cahier des charges prévoyant un stockage dans des lieux « clos, couverts, à l'abri des intempéries, avec une dalle de ciment imperméable pour éviter toute infiltration dans le sol. En outre, les stockages devaient être suffisamment éloignés - 150 mètres minimum - des habitations. ».

Selon l'AFSSA (18), « les dispositions de ce cahier des charges...sont de nature, si elles sont correctement appliquées et respectées, à prévenir les risques sanitaires. ».

Dans le courant du mois de décembre, dix-neuf sites correspondant à ce cahier des charges de stockage ont été trouvés par les autorités publiques locales, dont quatre sites destinés aux graisses à bas risque et quinze sites destinés aux farines à bas risque. La capacité totale ainsi mise en _uvre s'élève à 200 000 tonnes de farines. Elle devrait suffire à répondre aux besoins de stockage, soit environ 8 000 tonnes de farines à bas risque supplémentaires chaque semaine, jusqu'au mois de juin 2001. Il était donc nécessaire de préparer la mise en _uvre d'une nouvelle tranche de capacités de stockage des farines à bas risque.

La MIEFA a procédé à une évaluation à moyen terme des besoins des stockages et ce, en prenant pour hypothèse le maintien durant au moins cinq ans de la suspension de l'utilisation des farines à bas risque dans l'alimentation des animaux d'élevage non-ruminants. Au regard des perspectives d'élimination et de valorisation des farines à bas risque, que nous aborderons par la suite, le Préfet Jean-Paul Proust a estimé que les besoins en capacité de stockage des farines à bas risque en France s'élèveraient à 400 000 à 450 000 tonnes à la fin de l'année 2001. Il a estimé que ces besoins continueraient d'augmenter jusqu'à la moitié de l'année 2002, pour atteindre un niveau total de 600 000 tonnes (19), avant, par la suite, de décroître.

Il apparaît que les trois sites nouveaux ouverts au printemps de 2001 permettront de répondre aux besoins en capacité de stockage nécessaires d'ici l'automne 2001. Par la suite, la MIEFA a prévu l'ouverture de sites de stockage permettant de stocker de grandes quantités de farines à bas risque, en choisissant leurs localisations selon la proximité des lieux de fabrication des farines à bas risque, mais aussi selon la proximité des zones dans lesquelles lesdites farines pourraient être à l'avenir valorisées. A ce sujet, le Préfet Jean-Paul Proust a précisé que la MIEFA avait demandé « aux préfets de zone de défense, au niveau interrégional, de lancer des appels d'offres européens pour trouver de grands sites de stockage, de préférence dans des zones industrielles, de grande dimension, très éloignés des habitations, de trouver des sites très professionnels qui puissent perdurer, à la différence de certains stocks constitués à l'origine dans l'urgence et qui pourraient rapidement fermer. ».

4.- La valorisation des farines et des graisses à bas risque

S'agissant des graisses à bas risque, il convient de relever que leur valorisation commerciale est d'ores et déjà acquise. Ce produit présente en effet des caractéristiques proches du fioul lourd. Comme l'a précisé le préfet Jean-Paul Proust, lors de son audition par notre commission d'enquête, « elles peuvent donc, sans gros investissements, brûler en substitution au fioul lourd dans des chaudières industrielles. Effectivement, en quelques mois, on a pu susciter la création d'un marché pour ces graisses animales. Toutes les graisses produites actuellement sont directement commercialisées par les équarrisseurs et nous allons pouvoir fermer les quatre sites de stockage qui avaient été ouverts. Un est déjà fermé, celui d'Ambès, dans la Gironde. Deux autres sont en cours de fermeture ; nous sommes en train de vendre les derniers stocks qui restent au Havre et à Brest. Le site de Dunkerque est le dernier, que nous maintiendrons par sécurité jusqu'au mois de juin, date à laquelle il sera fermé. ».

Le décret n° 2001-231 du 16 mars 2001 a donc supprimé l'aide de l'Etat concernant l'élimination des graisses à bas risque. Un marché solvable a donc été trouvé pour ces produits, au profit des entreprises de l'équarrissage.

L'effort doit donc aujourd'hui être ciblé sur la valorisation des farines à bas risque. Les cimentiers qui incinèrent les farines et les graisses à haut risque devraient prendre en charge en 2001, 150 000 tonnes de farines à bas risque, puis 250 000 tonnes à partir de 2002. Le nombre de cimenteries qui incinèrent des farines issus de déchets animaux devraient ainsi passer de douze à vingt-sept.

La Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), filiale des Charbonnages de France, a procédé à des tests dans sa centrale d'Hornaing dans le département du Nord, tendant à l'incinération d'un mélange formé de farines (20) et de charbon. Selon le Préfet Jean-Paul Proust, « On peut penser que la SNET pourrait brûler, par la suite, dans trois ou quatre centrales, environ 100 000 ou 120 000 tonnes de farines par an. ».

Le mélange entre farines à bas risque et charbon pourrait connaître d'autres développements. En effet, il a ajouté qu'« un autre procédé est en cours de mise au point par une petite filiale de Total et de Charbonnages, Agglocentre, implantée à Monceaux-les-Mines. Elle produit un aggloméré de charbon et de farines qui peut être stocké plus facilement et qui présente une apparence moins rebutante, puisqu'il ressemble à du charbon. Il pourrait être brûlé comme combustible dans des chaudières comme produit de substitution au charbon. Ce produit contient 80 % de farines et 20 % de charbon. ».

Cependant, même si d'autres industriels semblent intéressés par la perspective d'une utilisation des farines à bas risque comme combustible, il apparaît que ces capacités d'élimination demeureront insuffisantes à moyen terme pour envisager le début d'un déstockage des farines à bas risque.

C'est pourquoi, la MIEFA a lancé deux appels à propositions avec la collaboration de plusieurs directions ministérielles, d'EDF et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise et de l'énergie (ADEME) :

- le premier appel à proposition concerne des projets tendant à l'incinération des farines à bas risque. Il s'agirait de promouvoir des unités de cogénération, par lesquels l'industriel produit, d'une part, pour lui-même, de la vapeur ou de l'eau chaude et, d'autre part, de l'électricité, destinée à la revente à EDF. Ces unités pourraient, de plus, brûler des déchets crus à bas risque, dispositif qui aurait l'avantage d'éviter leur transformation en farines à bas risque et donc le versement de l'indemnité prévue par le décret du 16 mars 2001. De telles unités de cogénération pourraient fonctionner dans les locaux des équarrisseurs. Les risques liés au transport des déchets crus ou des farines à bas risque seraient ainsi évités.

- le second appel à proposition concerne des projets tendant à valoriser des farines à bas risque selon des modalités alternatives à l'incinération. Selon le Préfet Jean-Paul Proust « Un comité scientifique étudiera la possibilité de retenir ou non tel projet avant que les décisions ne soient prises, notamment au regard du critère de santé publique. Ce n'est qu'après validation scientifique que l'on décidera ou non d'aider tel projet qui n'utiliserait pas la voie thermique. De ce que j'ai vu des projets, j'ai tendance à penser qu'ils ne sont pas prêts aujourd'hui et qu'il sera difficile de réunir toutes les garanties scientifiques recherchées sur des utilisations qui ne détruisent pas totalement [l'agent pathogène]. ». Ce scepticisme doit être la garantie effective qu'il n'y aura pas de modalités alternatives à l'incinération s'agissant de la valorisation des farines à bas risque s'il existe le moindre doute concernant l'innocuité totale desdits dispositifs pour la santé publique.


() CJD signifie Creutzfeldt-Jakob disease, soit maladie de Creutzfeldt-Jakob.

() La circulaire du 14 mars 2001, relative à la prise en charge des personnes atteintes d'encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles précise ainsi qu'« Il est recommandé d'aborder la question de l'autopsie avant le décès, le moment le plus propice devant être recherché au cas par cas, en liaison avec le médecin qui assure le suivi de la personne malade. La famille ayant été informée de l'intérêt que revêt cet examen, tant au plan individuel que collectif (confirmation ou infirmation du diagnostic, recherche, suivi épidémiologique), il lui sera indiqué les conditions de l'autopsie (notamment si le corps doit être transporté), en lui précisant qu'après l'autopsie, il lui sera possible de revoir le corps. Elle pourra, si elle le désire, être mise en contact avec des associations qui apportent un soutien dans l'accompagnement au deuil. Il est indispensable que la famille soit informée du délai prévisible de rendu des résultats (quelques mois)... ».

() Le Garnier Delamare, « dictionnaire des termes de médecine », 23ème édition, édition Maloine, page 102.

() La circulaire du 14 mars 2001 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, relative à la prise en charge des personnes atteintes d'encéphalopathie subaiguës spongiformes transmissibles décrit dans le point n° 5 de la fiche n° 5 l'une de ces difficultés administratives. Le délai entre le décès et le prélèvement de tissus du cerveau ne doit pas dépasser 24 heures. Un projet de décret prévoit le doublement de cette durée. Ce délai n'est pas toujours facile à respecter car l'examen doit avoir lieu dans un des laboratoires d'anatomo-pathologies participant au réseau de neuro-pathologie. En France, il n'existe que treize laboratoires dans ce réseau, dont trois sont localisés à Paris.

() Dr Margaret J. Douglas, Dr Harry Campbell, Professor Robert G. Will, «Patients with new variant Creutzfeldt-Jakob disease and their families : care and information needs », février 1999.

() S'agissant d'éventuelles transmissions iatrogènes de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et des autres ESST humaines, il faut noter qu'une circulaire du 14 mars 2001 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité a redéfini les modalités de traitement des matériels médicaux, au regard du risque présenté par chaque patient ayant subi un examen ou une intervention chirurgicale avec lesdits matériels.

() Voir supra le récit de l'affaire dite « Soviba » (Deuxième partie).

() Pour les produits communautaires, les formalités préalables de dédouanement ont été remplacées par le dépôt d'une déclaration d'échanges de biens (DEB), document que doivent remplir chaque mois les entreprises et récapitulant les opérations de livraisons et d'acquisitions communautaires auxquelles elles ont procédé.

() En Allemagne, cependant, le financement des mesures et la réglementation relèvent des Länder ; ceux-ci ne pratiquent pas tous l'abattage systématique du troupeau.

() La diminution de la consommation de viande bovine a été plus marquée encore en Allemagne ou en Espagne où elle a pu atteindre 60 % ou encore en Italie où elle était plus proche de 80 %.

() Selon l'Institut de l'élevage, au mois de janvier 2001, la rétention des vaches était estimée à 120 000 têtes, celle des jeunes bovins à 70 000 têtes et celle des b_ufs à 15 000 têtes.

() Les broutards sont des veaux de moins de dix mois issus du cheptel allaitant et destinés à être engraissés jusqu'à 20 ou 24 mois avant d'être mis à la consommation ; ils constituent une particularité de l'élevage français.

() AFSSA, « les risques sanitaires liés aux différents usages des farines et graisses d'origine animale et aux conditions de leur traitement et de leur élimination », avril 2001, page 50.

() C'est à dire en 1996.

() AFSSA, op. cit., page 56.

() AFSSA, op. cit., page 58.

() Cette lutte possède aussi un volet concernant d'éventuelles contaminations interhumaines, que nous avons abordé dans la partie relative à la santé publique et à la recherche.

() AFSSA, op. cit., page 58.

() Donc, selon, la MIEFA, le niveau maximal d'encours de stockage correspondra à une année de production de farines à bas risque.

() La proportion de farines à bas risque dans ce mélange serait comprise entre 8% et 10% du volume total. L'objet des tests est précisément de déterminer le mélange le plus efficace.


© Assemblée nationale