Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Tome II
Auditions - volume 3

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

M. Gilbert HOUINS, inspecteur général de l'Agriculture (Belgique) et M. Pierre LAMBOTTE, conseiller pour les affaires agricoles à l'ambassade de Belgique à Paris (le 6 février 2001) 4

M. Jacques ROBELIN chef du département « Élevage et nutrition des animaux » à l'INRA (le 13 février 2001) 23

Mme Anna TOFFTÉN, directrice du service des animaux au ministère de l'Agriculture de Suède, M. Urban JOHNSON, expert en alimentation animale et ESB (Suède), Mme Anna BLOCK MAZOYER, premier secrétaire en charge des questions économiques à l'ambassade de Suède à Paris (le 13 février 2001) 35

M. Jean-François HERVIEU, président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture et M. Daniel GREMILLET, président de la chambre d'agriculture des Vosges (le 13 février 2001) 46

M. Jean-Jacques ROSAYE, président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS), accompagné de M. Marc-Henri CASSAGNE, directeur, et de Mme Anne TOURATIER, adjointe au directeur                         
(le 13 février 2001)
61

M. Eugène SCHAEFFER, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de M. Joseph GARNOTEL, directeur-adjoint de la FNSEA ; M. Jean-Luc DUVAL, président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) ; M. Xavier COMPAIN, secrétaire national, porte-parole du Mouvement des exploitations familiales (MODEF) ; M. François LUCAS, président de l'Union nationale de la Coordination rurale ; M. François DUFOUR, porte-parole, responsable de la commission ESB de la Confédération paysanne ; M. François TOULIS, membre du Bureau de la Confédération française de la Coopération agricole (CFCA) (le 20 février 2001) 74

M. Bruno POINT, président du Syndicat des industries fabriquant des coproduits (SIFCO) (le 20 février 2001) 110

Suite des auditions (volume 4).
Sommaire des auditions.


Audition de M. Gilbert HOUINS,
inspecteur général de l'Agriculture (Belgique)
et de M. Pierre LAMBOTTE, conseiller pour les affaires agricoles
à l'ambassade de Belgique à Paris

(extrait du procès-verbal de la séance du 6 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Gilbert Houins et M. Pierre Lambotte sont introduits.

M. le Président : Je vous remercie cordialement d'avoir accepté de venir nous éclairer sur l'expérience de la Belgique dans l'affaire de la vache folle. La Belgique semble avoir été touchée par l'ESB plus tardivement que la France et dans une moindre mesure. Il serait également important de savoir comment votre pays a réagi face à la crise. Quelles ont été les réactions des autorités publiques et celle des organisations professionnelles ? À quelles méthodes d'information de l'opinion avez-vous recouru ? Dans certains pays voisins, ces réactions furent vives ; elles se sont parfois même traduites par des démissions de ministres. Quelles mesures les autorités compétentes ont-elles adoptées en matière de veille sanitaire ? Nous manifestons également une curiosité marquée sur les importations françaises de farines à partir de la date à laquelle elles ont été interdites en Grande-Bretagne

M. Gilbert HOUINS : Je deviens un habitué des commissions d'enquête parlementaires. En effet, il y a quinze mois, je me trouvais devant la commission d'enquête du Parlement belge dans le cadre de ce que l'on a appelé à l'époque « la crise de la dioxine ».

C'est avec beaucoup de plaisir que mon collègue, M. Lambotte, conseiller agricole de l'ambassade de Belgique à Paris, et moi-même avons répondu à votre invitation, par courtoisie et par respect du Parlement français. Je présenterai un bref exposé introductif avant de répondre à vos questions, pour autant que je sois en mesure de le faire, car si je suis Inspecteur général du ministère fédéral belge de l'Agriculture, je commence seulement à coordonner tout ce qui concerne l'ESB. Dans le maquis institutionnel belge, je vais tout d'abord vous présenter la filière animale et indiquer le partage des compétences. Je pars des animaux de la ferme. Il existe deux catégories d'animaux. Les cadavres : ils arrivent dans les sociétés qui les transforment en farines animales suivant des barèmes que vous connaissez : à savoir, 133°c/3 bars/20 minutes. Ils sont transformés en farines, que les cadavres soient collectés à la ferme ou que la mortalité intervienne au cours du transport vers l'abattoir. Seconde catégorie d'animaux, qui forment la majorité : les animaux vivants qui arrivent à l'abattoir. Nous avons une entreprise unique en Belgique, un clos d'équarrissage unique, qui centralise tout. Il s'agit de la société Rendac, dont la maison mère est située aux Pays-Bas. Elle rassemble également ce que l'on appelle « les matériels à risque spécifiés », tels que le cerveau et la moelle épinière et pratique la dénaturation. Les carcasses sont approuvées après examen ante-mortem et post-mortem par les services vétérinaires. Elles partent ensuite vers les ateliers de découpe ou directement vers les boucheries. Le matériel à bas risque est encore utilisable pour les « petfood », la nourriture des animaux de compagnie.

Ce schéma était valable jusqu'au 15 décembre 2000. Les farines transformées peuvent être acheminées vers les fabricants d'aliments du bétail et un système de certification sanitaire intervient pour les transports. Les farines, à la fin de l'année 2000, étaient uniquement destinées aux non-ruminants, dans la mesure où prévalait une interdiction antérieure de les incorporer dans les aliments pour ruminants, à la fois au niveau national et européen.

Qui est compétent en Belgique ? Le schéma des compétences est comparable à celui d'autres pays, comme l'Espagne ou l'Allemagne. Les services vétérinaires du ministère de l'Agriculture, qui font partie de la direction générale 5, sont compétents pour les animaux à la ferme. Pour tout ce qui concerne les déchets et leur transformation, les régions sont compétentes depuis l'intervention des lois de régionalisation dans les années 1980, notamment en matière d'environnement et de déchets. Cela ne facilite pas les choses. Toute la politique des produits, aussi bien ce qui relève du domaine normatif que du contrôle, reste entre les mains du pouvoir fédéral, en l'occurrence, soit le ministère fédéral de la Santé publique, soit le ministère fédéral de l'Agriculture.

S'agissant des aliments pour animaux, c'est mon inspection générale « Matières premières et produits transformés » au sein de la direction générale 4 de l'agriculture qui est compétente. Je vous parlerai des importations et exportations de farines entre la France et la Belgique, nous verrons si les statisticiens belges sont d'accord avec les statisticiens français. Pour résumer la question des compétences, je citerai les régions, au nombre de trois en Belgique ; les instances régionales sont compétentes en matière de collecte des déchets, de leur transformation et de leur incinération, et aussi pour fixer les barèmes de stérilisation.

Le niveau fédéral est également compétent : la direction générale 4, c'est-à-dire mon inspection générale, est compétente pour tout ce qui concerne les aliments du bétail, depuis le fabricant ou l'importateur jusqu'à la ferme ; la direction générale 5, pour les animaux à la ferme, autrement dit les services vétérinaires de l'agriculture ; enfin, un parastatal dépendant du ministère fédéral de la Santé publique, qui s'appelle l'Institut d'expertises vétérinaires, est compétent pour tout ce qui touche à l'abattoir et en aval de l'abattoir, avec les ateliers de découpe et les boucheries.

Comme l'a récemment fait observer l'Agence alimentaire et vétérinaire de Dublin, dépendant de la Commission européenne, tout cela est un peu complexe. Il faudrait des protocoles d'accord. Cependant, le Parlement belge a voté le 4 février 2000 une loi créant l'Agence fédérale de sécurité de la chaîne alimentaire. Sa philosophie est différente de celle de l'Agence française, qui est plutôt une agence scientifique, alors qu'il s'agit en Belgique essentiellement d'une agence de contrôle.

Tout ce qui est normatif et réglementaire ressortit à la compétence du ministère fédéral de la Santé et tout ce qui est contrôle relèvera dorénavant de l'Agence fédérale de sécurité de la chaîne alimentaire, rattachée à la Santé publique. L'Agence a donc été créée par une loi du 4 février 2000. Les textes d'application seront publiés avant la fin du mois de février 2001 et l'Agence sera véritablement opérationnelle au cours de l'année 2001. Néanmoins, l'administrateur délégué de l'Agence fait déjà appel aux fonctionnaires compétents des différents services et les fait travailler ensemble. Ce fut le seul résultat positif de la crise de la dioxine : elle a permis aux gens venant d'horizons différents, aux philosophies peut-être différentes, de mieux se connaître. Ils proviennent soit du ministère de la Santé publique, soit du ministère de l'Agriculture.

L'Agence s'appuiera sur deux comités : un comité scientifique qui jouera le rôle de l'Agence française avec des scientifiques indépendants - dont deux scientifiques étrangers - et un comité consultatif réunissant les représentants des différents secteurs de la société, à savoir les consommateurs, les organisations agricoles, le secteur agroalimentaire et également quelques experts pour éclairer le comité consultatif.

Je vous présenterai la chronologie des mesures prises au niveau national pour gérer la crise de l'ESB en Belgique, étant entendu que certaines d'entre elles découlent de décisions européennes.

27 juillet 1994 : interdiction des farines de mammifères dans les aliments pour ruminants. C'est la transposition de la décision européenne 94/381.

21 mars 1996 : nous avons anticipé de quelques jours la décision européenne d'interdiction d'importation des farines et de la viande bovine venant de Grande-Bretagne.

1er avril 1997 : des barèmes de stérilisation sont imposés, sur le fondement de la décision communautaire de 1996, (décision 96-449).

4 juillet 1997 : mesure nationale d'étiquetage. Pour la transparence, nous avons imposé aux fabricants de farines d'indiquer sur l'étiquette ou le bordereau d'accompagnement le numéro d'agrément de l'usine de transformation, l'indication du barème pratiqué, pour les responsabiliser, et l'espèce animale. La mention « Non destiné aux ruminants » appelle l'attention de l'acheteur sur cette obligation.

9 janvier 1998 : nous avons interdit les matériaux à risque spécifiés. L'interdiction communautaire n'est intervenue qu'à partir d'octobre 2000. C'est la mesure que l'Allemagne a appliquée à partir de cette date, alors que la Belgique et France l'avaient anticipée.

1er juin 1999 : interdiction, liée à la crise de la dioxine, d'incorporer des cadavres dans les farines animales. Ceux-ci ont été acheminés systématiquement avec les autres produits animaux contaminés par les dioxines vers la société de destruction Rendac, et, au-delà, vers les fours des cimentiers belges.

1er décembre 1999 : introduction de certificats pour le commerce intra-communautaire. C'est simplement la transposition de la décision européenne 99/129.

25 septembre 2000 : interdiction de l'iléon ; là aussi, il s'agit d'une décision communautaire. Entre-temps, l'ensemble de l'intestin a été interdit, mais les ris de veau sont toujours tolérés en Belgique.

7 décembre 2000 : arrêté prorogeant l'interdiction de l'incorporation des cadavres dans les farines.

14 décembre 2000 : nous avons anticipé la transposition de la décision du 4 décembre prise par le Conseil des ministres sous la présidence française et interdisant la commercialisation des farines animales. Il a été décidé que les fabricants d'aliments et les négociants ne pouvaient plus livrer les éleveurs à partir du 15 décembre, afin que les éleveurs eux-mêmes puissent appliquer l'interdiction d'utilisation au 1er janvier 2001. Dix-neuf mille tonnes de stocks dans le secteur intermédiaire, fabrication et négoce, ont ainsi été destinées à être détruites, puisque, du jour au lendemain, ces produits sont devenus des déchets. Une exception a toutefois été prévue pour la nourriture des animaux de compagnie, les petfood.

J'ajouterai que nous nous sommes rendu compte dès 1997 qu'il fallait de nouveau alerter les opérateurs et leur rappeler qu'il y avait de bonnes pratiques de fabrication, notamment pour éviter les contaminations croisées. Nous avons envoyé des circulaires à tous les fabricants en leur rappelant les dispositions à prendre contre les contaminations croisées, pas seulement dans leur installation de fabrication, mais également lors du stockage ou du transport des produits.

Nous en avons profité pour réaliser une enquête auprès de tous les fabricants belges d'aliments composés pour animaux en Belgique, qui sont au nombre de 600 à 700. C'est un chiffre considérable pour un petit pays. Nous avons beaucoup d'installations modestes, car une restructuration n'est pas encore intervenue, contrairement à ce qui se passe aux Pays-Bas. Il existe aussi quelques grandes sociétés qui exportent ; ce sont des fabricants d'aliments composés. Les usines de fabrication d'aliments composés achètent des matières premières ; ce sont des « mélangeurs » selon la terminologie des directives européennes. Parmi ces 600 à 700 firmes, nous avons identifié les firmes à risque. Il s'agissait des sociétés qui fabriquaient des aliments pour les ruminants et qui, dans la même installation, fabriquaient des aliments pour porcs ou volailles pouvant contenir des farines animales, avec le risque de contaminations croisées. En 1997, nous en avions repéré 117 ; en 1998, il en restait encore 104. Le nombre continue de baisser, car les sociétés souhaitent conserver une bonne réputation. A partir de 1997, les fabricants sont devenus plus méfiants et, le 7 décembre de l'année dernière, il ne restait que cinquante firmes à risque fabriquant les différents types d'aliments pour porcs ou volailles contenant des farines animales et qui fabriquaient en même temps, en prenant des précautions pour éviter les contaminations croisées, des aliments pour ruminants.

J'en viens aux contrôles. Dans ma division, je dispose d'une administration centrale qui, pour l'heure, s'occupe encore des normes, mais aussi de l'homologation des pesticides et des plantes transgéniques, etc. Pour me cantonner aux aliments du bétail, je dispose d'une section de l'alimentation du bétail à l'administration centrale à Bruxelles, mais aussi d'inspecteurs sur le terrain et de trois laboratoires de contrôle.

Les contrôles de type documentaire consistent à établir ce que les fabricants d'aliments achètent, à vérifier que les farines animales ne sont pas utilisées dans les formules d'aliments composés pour ruminants. 3 131 contrôles ont été effectués en 1997. Le nombre peut paraître élevé. C'est tout simplement parce que le traitement informatique ne distinguait pas les contrôles spécifiques orientés vers l'ESB et les autres. La distinction s'est effectuée à partir de 1998. En 1998, la crise de la dioxine a occupé tout le personnel sur la route et dans les usines, ce qui explique la chute du nombre de contrôles documentaires effectués par rapport à l'année précédente. Pour ce qui est des échantillons, nous en avons prélevé un bon nombre, surtout dans les usines à risque.

En 1997, sur 165 échantillons, aucune infraction n'était constatée. Les experts français vous auront sans doute indiqué que la limite de détection par cette méthode, qui permet de déceler la présence de farines animales dans les aliments composés, a évolué au cours du temps : de 1 %, elle a été ramenée à 0,3 %, puis à 0,1 %. Un bon microscopiste ne peut examiner que deux échantillons par jour, ce qui limite beaucoup nos capacités d'analyse. Donc, aucune infraction sur les 165 échantillons en 1997, sept échantillons positifs en 1998 - voilà certainement des cas de contamination croisée - aucun en 1999 ni en 2000, sur plus de 200 échantillons.

Quelle est notre production nationale de farines de viande et d'os ? Nous produisons environ 280 000 à 290 000 tonnes par an. Nous produisons aussi 20 000 à 25 000 tonnes de farines provenant des cadavres, qui sont destinées à être incinérées depuis le 1er juin 1999. Suite aux dernières décisions prises, nous devons détruire près de 300 000 tonnes de farines animales par an, ce qui, je ne vous le cache pas, pose quelques problèmes, dans la mesure où les fours des cimentiers ne sont capables d'en absorber que 150 000 tonnes, ce qui rend nécessaire un stockage intermédiaire, mais un seul, pour éviter que la marchandise ne soit par trop « volatile » et pour qu'elle demeure sous le contrôle des services régionaux compétents.

J'en arrive aux importations et exportations de farines entre la France et la Belgique. J'ai demandé à l'un de mes collaborateurs de vérifier les chiffres auprès de l'Office du commerce extérieur belge sur les dix dernières années. Le bilan, sur dix ans établit une importation nette de France de 248 000 tonnes. Le commerce belge au sein de l'Union européenne se limite en grande partie à la France, aux Pays-Bas, un peu à l'Allemagne et à l'Italie. Les échanges avec les autres pays étaient relativement négligeables. Sur dix ans, 314 000 tonnes ont été importées de France et pratiquement 66 000 tonnes exportées de Belgique vers la France. Cela n'exclut pas, de temps à autre, un carrousel et il peut arriver que des farines soient importées par un négociant pour être réexportées ultérieurement. Je note des variations dans le temps : les chiffres passent de 8 000 tonnes à 4 008, puis à 3 006. J'ai l'impression que le volume des opérations dépend fortement du prix et des opérateurs sur le marché. En 1996, les importations de la France s'établissent à 10 000 tonnes contre déjà 9 700 tonnes l'année précédente. La France a importé 8 000 tonnes en 1990, à nouveau environ 7 000 tonnes en 1999.

Mme Monique DENISE : Qu'en était-il en 1992 ?

M. Gilbert HOUINS : En 1992, la Belgique exportait 3 650 tonnes vers la France et importait 44 000 tonnes de France.

Mme Monique DENISE : Selon les statistiques françaises, la Belgique a exporté, en 1994, 6 750 tonnes vers la France, tandis que les importations françaises de Belgique s'élevaient à 15 750 tonnes.

M. Gilbert HOUINS : Il existe en effet une certaine disproportion ; ni les autorités néerlandaises ni les autorités belges ne pouvaient donner d'explications claires à ce sujet lorsque je les ai interrogées. Je vais vous en livrer une, mais elle n'explique pas tout.

M. Germain GENGENWIN : Tenez-vous compte de l'exportation d'aliments ?

M. Gilbert HOUINS : Non, je ne parle que des farines de viande et d'os. Les aliments sont autre chose. Nous pourrons vous fournir des chiffres sur les aliments qui, il est vrai, font l'objet d'un commerce intense entre la Belgique et la France.

M. Germain GENGENWIN : Il y a donc un retour en France sous forme d'aliments.

M. Gilbert HOUINS : Il y a en effet des exportations. On l'a vu lors de la crise de la dioxine. J'ai vu la chute des exportations vers la France. Mes amis français ne m'ont guère aidé. Un mot d'explication sur les exportations. Je dispose de deux sources quant aux statistiques : l'Office belge du commerce extérieur et les Douanes. Depuis le marché unique, le 1er janvier 1993, les Douanes ont été démantelées et il est difficile d'obtenir des chiffres fiables sur les échanges au sein de l'Union européenne. Peut-être les statistiques sont-elles conformes à la réalité s'agissant des animaux vivants ; en ce qui concerne les produits pour animaux, je doute de la fiabilité des chiffres.

L'Office belge du commerce extérieur obtient ses informations de la Banque nationale belge, mais celle-ci ne réclame les chiffres qu'au-dessus du seuil de dix millions de francs belges. Autrement dit, une entreprise qui tombe au-dessous des 10 millions de francs d'échanges par an ne donne pas ses statistiques. Les Douanes sont une autre source d'informations qui transmettent leurs chiffres à Eurostat à Luxembourg. La base est la déclaration du commerce intra-communautaire, mais avec un seuil différent de celui de la Banque et de l'Office belge du commerce extérieur. Le seuil est d'une tonne de marchandise ou mille euros.

Si vous consultez ces deux sources d'informations, les éléments que vous obtiendrez seront différents, car la base de récolte des statistiques n'est pas la même.

M. le Président : Nous nous intéressons également aux chiffres des importations et des exportations d'aliments pour le bétail.

Mme Monique DENISE : A partir de 1993, la France affirme importer de Belgique beaucoup plus de farines que la Belgique ne déclare en exporter vers la France. Les chiffres que j'ai sous les yeux viennent des Douanes. Les chiffres belges indiquent que la Belgique a exporté en France 6 800 tonnes. Les chiffres des Douanes françaises à l'importation de Belgique indiquent près de 16 000 tonnes, soit plus du double. On se pose la question : d'où viennent ces farines ?

M. Gilbert HOUINS : Vous devez poser la question aux Douanes belges et françaises ! Comme vous, je suis tributaire des chiffres que l'on me fournit.

Mme Monique DENISE : Il est vrai que l'on n'arrive pas à avoir des chiffres clairs auprès des Douanes.

M. Gilbert HOUINS : Nous sommes tributaires des informations des opérateurs. Si un opérateur est négligent, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs, je ne peux pas assurer qu'un service des Douanes ou du commerce extérieur vérifiera si tout le monde a rempli son devoir. Mon expérience est plus grande dans le domaine des pesticides, puisque je préside en Belgique le Comité d'homologation des pesticides. Quand on veut prendre des mesures restrictives, on doit se fonder sur des chiffres fiables d'utilisation. Je me suis adressé à Eurostat pour vérifier les chiffres dont cet organisme disposait il y a quelques années sur le commerce des pesticides en Belgique. C'est effarant ! J'ignore comment ces chiffres étaient obtenus, mais ils différaient totalement des nôtres, qui étaient très précis, car j'avais exigé par arrêté ministériel la communication, deux fois par an, de tous les chiffres de tous les opérateurs, avec des contrôles effectués par mes services. Ils différaient du tout au tout. Un effort est très certainement à faire du côté des statistiques au niveau européen.

Mme Monique DENISE : C'est le marché unique.

M. Gilbert HOUINS : On a perdu beaucoup en démantelant les Douanes. J'en viens à la problématique de l'ESB.

En Belgique, le cheptel bovin est composé d'environ 3 millions d'animaux, chiffre à retenir pour apprécier la prévalence des cas d'ESB en Belgique. On enregistre très peu de variations d'une année sur l'autre. Nous abattons chaque année entre 300 000 et 360 000 bovins de plus de 3 ans. Comme vous le savez, les tests rapides s'appliquent aux bovins depuis le 1er janvier 2001.

Le bilan : nous enregistrons 19 cas d'ESB basés sur la symptomatologie. Les vétérinaires publics, mais aussi privés, formés et sensibilisés par les vétérinaires de la direction générale de l'Agriculture, ont essayé de repérer des bêtes qui présentaient des symptômes dans les élevages. Les vétérinaires d'abattoirs ont fait de même au moment où une bête arrivait à l'abattoir. En Belgique, nous étions déjà sensibilisés, car les symptômes de l'ESB sont relativement comparables à ceux de la rage. Aujourd'hui quasiment éradiquée, cette maladie existait encore au début des années 90. Les vétérinaires connaissaient très bien les symptômes de la rage. En cas de suspicion, la bête était abattue, la carcasse incinérée et le cerveau prélevé et transféré au laboratoire de référence, le CERVA - Centre d'études et de recherches vétérinaires et agro-chimiques - anciennement l'Institut national de la recherche vétérinaire. C'est le seul laboratoire de référence belge ; il dépend du ministère de l'Agriculture et de la Recherche agronomique. Il existe donc une sensibilisation des vétérinaires concernés.

La Belgique compte à ce jour 19 cas d'ESB. Le premier s'est présenté en 1997, peu après les cas français. Je me souviens des propos de M. Mattei au Parlement français, qui se demandait pourquoi les Belges ne détectaient aucun cas. C'était déjà suspect à l'époque ! L'Allemagne, l'Espagne et l'Italie n'affichaient pas de cas non plus ; or, ils viennent d'en trouver. Nous avons vraiment joué le jeu. Nous étions quelque peu irrités des propos tenus à l'époque au Parlement français. Tout le monde a fait son possible sur le terrain pour savoir s'il y avait des problèmes. Nous avons lancé des enquêtes pour savoir si les aliments fournis à ces animaux recelaient ou non des farines animales. Les enquêtes contenues dans les documents qui vous seront remis par M. Lambotte ont révélé des éléments très disparates. Parfois, on n'a plus trouvé trace des formules livrées, tout simplement parce que, à l'époque, il n'y avait pas d'obligation de traçabilité : les fabricants n'étaient pas obligés de conserver leurs formules. Depuis, nous imposons aux fabricants d'aliments du bétail de conserver leurs formules complètes pendant dix ans.

L'enquête révèle également des cas où il y a certainement eu fourniture d'aliments pour ruminants contenant des farines animales avant l'interdiction de juillet 1994.

Lorsque nous rencontrons un cas, nous pratiquons ce que l'on appelle, en langage vétérinaire international, le stamping out, c'est-à-dire l'éradication totale du troupeau. C'est une pratique fortement controversée. On peut en discuter longuement. Je crois que le Comité scientifique a remis un avis sur le sujet. Inévitablement, le débat rebondira au Comité vétérinaire permanent et même au Conseil. Car on est parfois confronté à des troupeaux de plus de 1 000 bêtes, comme c'est le cas actuellement en Allemagne, ou bien à des manifestations d'agriculteurs qui empêchent l'abattage, comme en Italie.

Pour ces 19 cas, nous avons abattu 2 245 animaux. Quels sont les premiers résultats enregistrés par la Belgique suite à l'instauration des tests rapides, que vous avez instaurés en France en juin 2000 ? Les Belges l'ont mis en pratique, comme la Commission le leur a imposé, à partir du 1er janvier 2001. Cela ne pose pas de problème. J'ai été heureux d'entendre M. Syrota parler du test Bio-Rad, que la Belgique a adopté. Bilan : sur 25 000 tests environ, nous enregistrons trois cas positifs. Autrement dit, 25 000 bovins de plus de trente mois ont été testés depuis le 1er janvier. Trois cas positifs, cela veut dire qu'un test Bio-Rad s'est révélé positif dans un laboratoire de première ligne et que la confirmation a été donnée par les tests classiques, un seul des trois tests classique positif étant suffisant pour qualifier la bête de positive, ce qui entraîne l'incinération et l'élimination du cheptel. Un troupeau de 274 bêtes a été détruit au mois de janvier suite à un cas positif.

Nous menons une collaboration assez active avec les services de contrôle français. Mes collègues vétérinaires sont en contact avec les services vétérinaires français. Mon inspection générale est plutôt en contact avec les services de la répression des fraudes, soit à Paris, soit dans le Nord-Pas-de-Calais, plus spécifiquement chargée de suivre les contacts avec la Belgique et avec l'Irlande.

Une affaire particulière a marqué les rapports avec les services français au sujet des farines animales. En novembre-décembre 1996, nous avons procédé à des inspections au port d'Anvers, car nous avions été informés de la présence de stockages de farines animales. C'était en effet le cas dans une entreprise du nom de Northern Shipping, énorme magasin au port d'Anvers, l'un des plus grands ports au monde. C'est une plaque tournante, au bon sens du terme, pour le commerce international. Au moment où nous avons procédé à nos inspections en décembre, 8 300 tonnes de farines de viande étaient stockées en vrac. Le propriétaire était une société française, Eurofeed Industrie-France, installée à Boulogne. Mes inspecteurs ont constaté que ces farines étaient réensachées, réétiquetées avec « origine belge » ou « origine française », qu'elles étaient réexpédiées vers le Moyen-Orient - l'Egypte, la Syrie, le Liban notamment - et qu'une partie des farines revenait en France. Mme Denise parlait des stocks et des échanges. Je ne sais si ces farines ont été enregistrées dans les statistiques douanières belges ou françaises.

La marchandise était, en fait, originaire de France, des Pays-Bas et d'Irlande. Notre attention fut donc appelée par deux éléments : d'une part, le réétiquetage, qui ne pouvait indiquer « origine belge », dans la mesure où le produit n'avait pas été retravaillé en Belgique. Du point de vue de l'appellation d'origine, la société n'avait pas le droit d'étiqueter la farine comme étant d'origine belge. D'autre part, l'osmose de frontières existe ; l'Irlande étant voisine de la Grande-Bretagne, il est permis d'émettre certains doutes.

Nous avons appelé les services de la répression des fraudes français. Nous avions déjà travaillé avec nos collègues de la répression des fraudes du Nord-Pas-de-Calais au sujet des hormones. Pour votre information, l'importation venant de France était le fait de quatre sociétés : Caillaux, Progilor, Soprorga, Point SA. Ce sont des sociétés qui, manifestement, étaient connues des services de contrôle français, et qui, à l'époque, étaient toutes autorisées à travailler du matériel à haut risque.

Nos collègues de la répression des fraudes sont venus en Belgique : M. Saliou et M. Borowicz, tous deux basés à Lille. Nous leur avons livré toutes les informations dont nous disposions. Ils sont venus constater de visu les problèmes. Ils nous ont indiqué qu'ils allaient procéder à une recherche dans la société en question, chez les fabricants d'aliments composés qui avaient acheté et réimporté en France de telles farines. C'étaient les sociétés Sogal et Koseda, propriété de M. Chattaoui. Ce dernier insistait fortement pour que le ministère belge donne son autorisation à l'exportation vers les pays tiers de toutes les farines animales stockées en Belgique aux alentours du 15 décembre, ce qui, d'après la décision européenne, était possible jusqu'au 31 décembre. Nous avons répondu qu'aucune autorisation n'était à réclamer, que c'était un problème purement commercial entre lui et les propriétaires belges de ces farines. Au final, ces derniers ont préféré être dédommagés et incinérer les farines plutôt que de vendre la marchandise à M. Chattaoui.

Nos collègues français nous ont dit qu'ils allaient visiter les usines de destruction pour déterminer l'origine réelle des produits vendus en Belgique. Cela en est resté là. J'ignore ce que les services français ont découvert ou non ; cela devenait une affaire franco-française.

A ce moment-là, vous aviez déjà interdit les matériels à risque spécifiés. Tout cela était stocké séparément. J'éprouvais la crainte qu'une partie de la marchandise, qui n'était pas sous contrôle de l'armée, n'arrive en Belgique, soit exportée vers des pays tiers, et qu'à cause de cela, la Belgique connaisse des problèmes au niveau des exportations. Nous sommes, comme vous le savez, essentiellement un pays exportateur et transformateur.

Voilà les informations que je puis vous livrer dans un premier temps.

M. le Rapporteur : Nous souhaitions des indications chiffrées, vous nous en avez donné ; nous les rapprocherons de celles que nous obtiendrons de nos administrations. Je vais vous poser une question un peu abrupte : estimez-vous que la Belgique ait pu servir de relais à des exportations frauduleuses de farines carnées anglaises vers la France ?

Ma deuxième question porte sur le stockage des farines. La Belgique a opté en faveur d'un lieu unique de stockage, ce qui n'est pas le cas en France. Nous sommes préoccupés par les risques de contamination liés aux farines ; des scientifiques nous disent même qu'il aurait mieux valu de ne pas les interdire plutôt que de les stocker.

Nous réfléchissons également sur les produits de substitution aux farines, susceptibles de remplacer les apports protéiques qu'elles constituent. Le Gouvernement belge s'est-il penché sur la question et où en est sa réflexion ?

M. Gilbert HOUINS : Pour répondre à votre première question, qui est tout à fait légitime, je préciserai que les chiffres à ma disposition font apparaître qu'en 1990 la Belgique a importé de Grande-Bretagne 1 391 tonnes de farines animales. C'est marginal par rapport aux 22 359 tonnes que nous importions de France. En 1995, nous avons importé de Grande-Bretagne 630 tonnes ; en 1996, 2 552 tonnes ; en 1997, 530 tonnes ; en 1998, 1 294 tonnes. Vous pourriez vous étonner et vous demander comment, après l'embargo de 1996, on peut encore importer des farines animales de Grande-Bretagne ? On peut en donner deux explications. En suivant les statistiques, nous nous sommes inquiétés de la réalité qu'elles pouvaient recouvrir. Les importations de farines de mammifères étaient interdites à l'époque. C'est dire que les farines de volailles pouvaient être importées. Par ailleurs, il y avait un transit de farines, toujours autorisé, ce qui est assez paradoxal ; la Commission aurait pu prendre des mesures à cet égard. Des farines pouvaient donc être exportées via la Grande-Bretagne avec une attestation d'un pays exempt d'ESB et réexportées vers l'Irlande, la France, la Belgique. Les chiffres ne sont pas spectaculaires. Mais je suis tributaire des chiffres des services.

M. le Président : Pourriez-vous nous fournir les chiffres à partir de 1988 ?

M. Gilbert HOUINS : Je n'en dispose pas ici, mais je vous ferai parvenir les chiffres de 1988 à 1990. J'aborde votre deuxième question sur le stockage des farines. Celui-ci est effectué dans un énorme entrepôt, appelé Manuport et situé dans le port de Gand. Ces farines sont placées sous le contrôle des services régionaux de l'OVAM, organisme responsable des déchets en région flamande. De là, elles sont acheminées vers deux ou trois fours de cimenterie. Après une étude de risque, nous avons privilégié très volontairement le stockage dans un seul entrepôt. Les médias français se font écho des critiques des populations sur les nombreux sites de stockage des farines. Je voulais absolument éviter cela en Belgique. C'est la raison pour laquelle nous avons retenu l'option de tout stocker en un seul lieu, ce qui facilite par ailleurs le contrôle.

En ce qui concerne les produits de substitution, nous sommes encore plus tributaires que la France des importations de soja et de protéagineux des Etats-Unis et d'Argentine. Dans la mesure où je m'occupe également des plantes transgéniques - je suis plutôt proche de quelqu'un comme M. Kahn en France - cela ne m'effraie pas tellement, car je considère qu'il y a une évaluation du risque peut-être pas suffisante, mais tout de même sérieuse, par notre Conseil de bio-sécurité. Ce n'est pas parce que le soja est transgénique qu'il me pose des problèmes, mais parce que, sur le plan économique, cela contraindra la Belgique à importer beaucoup plus de protéines végétales des Etats-Unis. Vous connaissez les accords qui nous lient aux Etats-Unis : nous n'avons pas carte blanche pour développer comme nous le voulons les surfaces de protéagineux en Europe, ni pour augmenter les subsides comme nous le souhaitons, même si M. Fischler a récemment indiqué que les États membres disposaient d'une marge de man_uvre. Le ministère de l'Agriculture réfléchit actuellement à la question, mais aucune initiative particulière n'a encore été prise. Nous laissons actuellement jouer le marché.

M. le Président : Quelles sont les garanties prises au sujet de l'enclos unique de stockage, à l'intérieur comme à la périphérie? Est-il totalement fermé ? On parle de la transmissibilité éventuelle au rat ou à la souris. Comment avez-vous fait pour éviter tout problème et quelle est votre appréciation du risque.

M. Gilbert HOUINS : Il est assez paradoxal de dire que le stockage puisse poser des problèmes de santé publique avec contamination via les rongeurs, dans les champs. A ma connaissance, aucun pays n'a interdit l'incorporation des produits d'origine animale dans les engrais organiques hormis l'Autriche, dont le Parlement a demandé il y a quelques jours que l'on interdise formellement cette incorporation. La question du risque de contamination par les rongeurs me semble assez anecdotique, dans la mesure où l'on peut encore épandre des engrais organiques sur les champs. De surcroît, des mesures draconiennes ont été prises, qui diminuent fortement le risque présenté par les farines : d'une part, le retrait des matériaux à risque spécifiés, mesure qui supprime, selon les experts, 98 % du risque ; d'autre part, les barèmes de stérilisation. M. Gérard Pascal vous dira qu'il ne s'agit pas d'une garantie à 100 %, mais cela fait deux garanties qui se conjuguent pour réduire le facteur de risque. Nous nous situons donc à un niveau de risque extrêmement faible.

Je ne vous cache pas que nous réfléchissons très sérieusement à une interdiction formelle des farines animales dans les engrais organiques. J'ai procédé en Belgique à l'inventaire des stocks des engrais avant la saison. On en trouve actuellement partout, notamment dans les grandes surfaces et les magasins spécialisés dans le jardinage. Prendre une mesure intempestive maintenant eût été à nouveau jeter le doute chez le consommateur et probablement inutilement. Ma seule réaction fut de vérifier si nous avions importé des farines venant d'Allemagne, car les matériaux à risque spécifiés ont été maintenus dans les produits allemands jusqu'au 1er octobre 2000. Les rapports qui nous parviennent d'Allemagne montrent que, même dans les aliments pour animaux, y compris les ruminants, il y avait des farines animales. Par conséquent, c'était une origine à risque. Heureusement, en ce qui concerne les engrais organiques, pratiquement rien ne venait d'Allemagne et ce qui venait d'Allemagne était dérisoire : des poudres de corne, des farines de plumes, des produits dépourvus de risques particuliers.

N'oublions pas que ces farines peuvent être fabriquées à partir d'autre chose que les mammifères. Il peut y avoir des farines de volailles utilisables. A ma connaissance, les volailles n'ont pas hérité du prion à partir des farines de bovins. Il ne faut donc pas exagérer le risque. En Belgique, nous aurions tendance à interdire ces farines dans les engrais à partir du 1er juillet 2001. Nous avons demandé à M. Byrne, le commissaire européen à la protection des consommateurs, de poser explicitement la question au Comité scientifique directeur de l'Union européenne, car, jusqu'à présent, les avis du Comité dans le domaine des engrais ne me paraissent pas extrêmement précis.

M. le Président : Bien que le risque soit - selon vous - limité, compte tenu de la sécurisation des farines, vous avez pris des précautions particulières pour le stockage des farines, qui sont rassemblées dans un lieu unique.

M. Gilbert HOUINS : C'est un magasin qui a l'habitude de stocker des produits pour le compte des autorités. Réquisitionné par le ministre fédéral de l'agriculture, il est sous contrôle des services de contrôle régionaux. Nous travaillons avec un nombre limité de cimenteries. Elles avaient l'habitude de travailler avec nous dans le contexte de la crise de la dioxine et nous ont aidés à faire face au problème des pulpes d'agrumes importées du Brésil et contenant de la dioxine. Nous avions à l'époque engagé du personnel pour retirer les scellés sur les camions, pour vérifier que la marchandise arrivait bien à destination. Nous n'avons pas de raison de croire que la marchandise va s'échapper des cimenteries. Les farines ne sortiront pas du magasin du port de Gand, qui - c'était une raison supplémentaire qui militait en sa faveur - est très éloigné de toutes les zones habitées.

M. Pierre HELLIER : Vous avez un seul lieu, une seule entreprise de stockage et donc moins de transport, moins de risques et une surveillance facilitée. Séparez-vous dans cette usine les farines selon leur type : matériaux à risque spécifiés, cadavres, tissus à risque faible ? Par ailleurs, C'est la première fois que nous entendons parler des engrais organiques qui contiendraient des farines animales.

M. Gilbert HOUINS : Dans les engrais organiques sont surtout incorporées des farines de sang - très utilisées dans les cultures à bulbes -, des farines de corne, des farines de plumes, mais aussi, dans certains engrais, des farines animales classiques.

Le magasin de stockage de Gand est réquisitionné pour ne stocker qu'un seul type de produit. A priori, nous n'avons pas de raison particulière de distinguer entre ce qui vient des cadavres et ce qui vient des matériaux à risque spécifiés, puisque le tout est destiné à être incinéré. Les bêtes qui sont abattues dans le cadre du règlement de rachat et non testées, vont directement de l'abattoir vers la société Rendac et, sans passer par un entrepôt, sont dirigées vers les fours des cimenteries. Cela pour éviter que le FEOGA conteste les quantités abattues et remette en question le montant de l'aide que nous touchons de l'Union européenne à hauteur de 70 % du coût. Pour le reste, nous n'avons pas tellement de raison de séparer les produits. Cela dit, en dehors de la société Rendac, qui a le monopole du traitement des matériaux à hauts risques en Belgique, nous avons huit autres opérateurs qui ramassent les déchets à bas risque, lesquels sont transportés, après transformation en farines, chez Manuport à Gand. Puisqu'il s'agit de déchets à bas risque, une partie pourrait très bien être utilisée, par exemple, dans les aliments pour chiens et chats, puisque ce n'est pas interdit.

M. Pierre HELLIER : Finalement, les farines belges ne sont pas incorporées aux engrais organiques ?

M. Gilbert HOUINS : Les opérateurs belges, dans le domaine des engrais organiques, sont presque exclusivement des importateurs. Il y a quelques fabricants, mais ils n'utilisent pas de produits belges de cette origine.

M. Pierre HELLIER : De cet entrepôt, des farines sont-elles envoyées ailleurs pour être incorporées dans des aliments pour animaux ?

M. Gilbert HOUINS : Elles sont uniquement dirigées vers les fours des cimenteries.

M. le Président : Les farines restent autorisées pour les aliments destinés animaux de compagnie. Vous utilisez les farines à bas risques. Les autres sont donc transportées vers le même lieu de stockage à Gand.

M. Gilbert HOUINS : C'est bien cela. S'agissant des petfood, nous sommes essentiellement des importateurs. Des décisions récentes viennent d'être prises à l'échelle communautaire pour les farines de poissons, le phosphate bicalcique et les protéines hydrolysées. A titre personnel, je trouve qu'on va très loin, peut-être inutilement. Cela met en difficulté les rares fabricants de petfood en Belgique. Un fabricant incorpore dans les aliments pour petfood des farines de poisson. Ce fabricant qui produit à façon pour le fabricant de petfood ne peut plus utiliser les farines de poisson car il fabrique aussi des aliments pour ruminants dans son usine. Autrement dit, la société de petfood est virtuellement en faillite si elle ne trouve pas une société qui soit d'accord pour incorporer ces farines de poisson.

M. Pierre HELLIER : Mais il utilise d'autres farines animales ?

M. Gilbert HOUINS : Non.

M. Pierre HELLIER : Quelles sont ses matières premières ?

M. Gilbert HOUINS : Il utilise des farines de poisson. C'est une formule particulière pour les chiens Husky du nord de l'Europe. Il a pratiquement le monopole.

M. Pierre HELLIER : Parlons des autres petfood. Où les fabricants se ravitaillent-ils en farines ?

M. Gilbert HOUINS : Ce sont des boîtes importées des Etats-Unis et d'autres pays. La Belgique ne compte quasiment pas de fabricants de petfood, seulement quelques petits fabricants qui prennent directement les déchets non transformés en farines, les déchets à bas risques d'abattoirs, stérilisés et parfois congelés.

M. Claude GATIGNOL : En ce qui concerne les hydrolysats de protéines de poisson, vous faites bien référence à la décision interministérielle du 4 décembre.

M. Gilbert HOUINS : Oui.

M. Claude GATIGNOL : Deux sociétés implantées dans ma circonscription, en Normandie, fabriquent ce type de produit. Il me semblait qu'une lecture attentive pouvait écarter de l'interdiction les hydrolysats de protéines et qu'il était un peu abusif et restrictif de les inclure dans l'interdiction générale des protéines, sachant que ces hydrolysats de poisson proviennent de poissons sauvages, eux-mêmes apparemment exempts de consommation de farines de viandes industrielles, même s'ils sont carnivores dans leur milieu de vie.

M. Gilbert HOUINS : Je ne faisais pas référence aux hydrolysats de poisson, mais aux protéines de mammifères hydrolysés, ou phosphate bicalcique provenant d'os, et aux farines de poissons - dont on peut se demander pourquoi elles sont interdites. Tous les lots issus des pays tiers sont obligatoirement échantillonnés et les usines européennes qui fabriquent les farines de poissons ne peuvent fabriquer que des farines de poisson. On se demande où se situe le risque. La question, en fait, porte sur le contrôle ultérieur. Où la contamination croisée est-elle possible ? Personnellement, je suis sceptique. Mais c'est là une opinion qui m'est propre.

M. Claude GATIGNOL : Sur le problème plus général de la filière bovine, pouvez-nous dire les actions de communication que votre ministère ou les responsables politiques belges ont mis en place pour dissiper cette psychose de la viande rouge ?

M. Gilbert HOUINS : La chute de la consommation de viande en Belgique est bien réelle. Elle est d'environ 20 % pour la viande bovine. Elle est toutefois nettement inférieure à celle que connaît l'Allemagne. J'assistais hier à une réunion à Luxembourg avec des parlementaires du Bénélux, où l'on évoquait une chute de 60 %. Je ne sais si c'est possible. C'est notre collègue luxembourgeois qui citait ce chiffre. Cela traduit le choc psychologique en Allemagne après des années où elle s'était dite exempte de cas de vaches folles.

Ce que je vais dire va peut-être vous paraître cynique, mais, en Belgique, après la crise de la dioxine, puis le premier cas de vache folle en 1997 et les 22 cas que nous avons aujourd'hui, il y a une certaine banalisation. Cela dit, ce qui s'est passé en France a suscité des inquiétudes dans la population, car les médias français ont beaucoup d'impact en Belgique, notamment dans la partie sud du pays. Que faisons-nous ? Nous communiquons au mieux. La semaine dernière encore, nous avons organisé une conférence de presse présidée par l'administrateur délégué de la nouvelle agence de sécurité de la chaîne alimentaire et le ministre de la Santé. Nous essayons d'expliquer au mieux au grand public, via les médias, toutes les précautions prises, afin de rassurer la population.

La communication souffre toutefois de l'évolution incessante des positions du Comité scientifique directeur : il indique un jour la nécessité de retirer de la vente l'iléon, précisant que le reste de l'intestin ne pose aucun problème. Quelques mois plus tard, il estime, par principe de précaution, qu'il faut retirer tout l'intestin.

A titre personnel, je crois que, depuis 1986, la recherche a raté le coche. Les moyens financiers accordés à la recherche sont restés insuffisants en Grande-Bretagne comme ailleurs. Nous devions aider nos collègues britanniques qui sont aujourd'hui, contre leur gré, à la pointe de la recherche, parce qu'ils ont connu ce marasme, mais nous aurions dû accorder bien davantage de crédits à la recherche. Je fais partie d'une commission de scientifiques spécialistes de l'ESB. Je n'ai pas la prétention d'être un scientifique ; je donne un cours en faculté sur les pesticides et sur l'évaluation des risques en ce domaine, mais, quel que soit le domaine, les évaluations de risques se ressemblent fortement. Je pose certaines questions qui ne trouvent pas de réponse auprès des scientifiques, y compris ceux qui siègent au Comité scientifique directeur, parce que telle ou telle expérimentation n'a pas encore été réalisée. Souvenons-nous que nous nous situons quinze ans après les premiers cas de vache folle en Grande-Bretagne. Il est effrayant de constater que nous n'avons pas de réponse à certaines questions. Nous devrions les avoir.

M. Claude GATIGNOL : Les médias ou des responsables professionnels ou politiques ont-ils tenté de déterminer le niveau de gravité du risque lié respectivement au troupeau laitier et au troupeau de race à viande ?

M. Gilbert HOUINS : Le problème se pose relativement peu pour les races à viande, parce que l'on tue des taurillons très tôt, à l'engraissement. Si vous considérez l'âge des animaux atteints, les derniers cas sont des vaches laitières de six, sept, huit, neuf ans. Cela facilite bien les choses, je ne vous le cache pas, car, avec la formule du stamping out, le dernier troupeau d'où vient la bête est éradiqué. Pour les races à viande, comme les marchands interviennent, beaucoup de bovins sont susceptibles d'avoir été contaminés dans diverses exploitations, alors qu'une vache laitière reste généralement dans l'exploitation de naissance.

M. le Président : Vous avez évoqué de la réorganisation de l'agence que vous avez créée, qui a une mission différente de l'agence française et qui s'appuie sur un comité scientifique, un comité consultatif, impliquant des responsables professionnels. Vous avez précisé qu'elle relevait du ministère de la Santé. Depuis les crises successives qui ont frappé la Belgique et le Nord de la France, des modifications dans les compétences ministérielles sont-elles intervenues, indépendamment des régions ? Le ministère de la Santé a-t-il la primauté en la matière ?

M. Gilbert HOUINS : Nous avons hérité en Belgique d'un système très proche du système français, puisque Napoléon est passé chez nous ! Je le retrouve d'ailleurs aussi quand je me rends en mission en Afrique du nord. Nous avions donc une cohabitation des ministères fédéraux de l'Agriculture et de la Santé publique. Le ministère de l'Agriculture contrôlait tout ce qui était en amont de la ferme : les semences, les engrais, les aliments pour animaux, les pesticides, maintenant les plantes transgéniques. Mon Inspection générale en est chargée. Un autre service s'occupe des aides européennes. Et puis des vétérinaires de l'Agriculture sont présents au niveau des fermes. En aval, on trouve l'Institut d'expertise vétérinaire qui est un organisme de la santé publique - il est présent dans les abattoirs, ateliers de découpe et boucheries - et ce que l'on appelle « l'Inspection générale des denrées alimentaires », qui a une compétence horizontale pour toutes les denrées. Cela dit, une évolution institutionnelle est en cours en Belgique. En principe, si les lois sont votées - ces lois spéciales demandent une majorité des deux tiers à la Chambre et au Sénat - le ministère fédéral de l'Agriculture disparaît. Je ne sais si c'est une conséquence politique de la crise de la dioxine ou si d'autres considérations entrent en jeu.

Tout ce qui relève du domaine normatif - notamment l'homologation de produits dans les domaines que je viens de citer - relèvera à l'avenir de la compétence du ministère fédéral de la Santé publique et tout ce qui relève du contrôle dans les mêmes domaines reviendra à l'Agence de sécurité de la chaîne alimentaire. Les fonctionnaires seront répartis entre ces deux instances. Le reste du ministère de l'Agriculture sera régionalisé. Une dynamique joue en faveur de la régionalisation en Belgique, comme elle a existé en Allemagne avec les Länder ou en Espagne avec les provinces autonomes. Une bonne partie du ministère fédéral de l'Agriculture est destinée à être transférée dans les administrations régionales, si ces lois spéciales trouvent une majorité des deux tiers. Le Gouvernement belge s'y emploie.

M. le Rapporteur : Vous avez choisi le test Bio-Rad. Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé votre choix ?

M. Gilbert HOUINS : J'ai été très intéressé par les propos du professeur Syrota. En Belgique, le choix a été déterminé par le laboratoire unique de référence, dont le responsable de la section qui s'occupe de l'ESB siège au Comité scientifique européen. Bio-Rad a été choisi en raison de sa grande sensibilité. On lui attribue une sensibilité beaucoup plus élevée que le test Prionics. C'est dire qu'avec la dynamique de création de l'Agence de sécurité alimentaire et le rattachement de toutes les compétences à la Santé publique, nous élaborons un dispositif qui vise avant tout la protection des consommateurs. Il était donc assez logique que nous choisissions le test le plus sensible ; autrement dit, nous estimons qu'avec ce test nous aurons peu ou pas de faux négatifs. Si nous avons un faux positif, ce n'est pas grave, puisqu'il y a, derrière ce premier test, un second test Bio-Rad effectué par le laboratoire de référence et ensuite les trois tests classiques. Chaque fois que le test de référence a trouvé un cas positif - il y en eut trois sur 25 000 tests effectués - les tests classiques ont également confirmé le test Bio-Rad positif. Nous avons donc une bonne corrélation. Nous sommes très satisfaits du test. Il est délicat à mettre en _uvre dans des laboratoires, qui doivent travailler à un rythme soutenu d'analyse et c'est pourquoi nous avons eu des faux positifs. Nous indemnisons l'agriculteur quand le faux positif n'est pas confirmé ; c'est un fonds de solidarité qui indemnise l'agriculteur, mais, en principe, aucune bête porteuse ne passera au travers des mailles du filet avec le test Bio-Rad.

M. le Président : Nous vous remercions.

Annexe à l'audition de M. Gilbert Houins - I

EXPORTATIONS DE BELGIQUE

Tableau

Pays

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000 *

France

7962,7

4811,9

3650,9

6596,9

6596,5

9705

10205,4

3273,7

6135,5

6771,8

81,2

Pays-Bas

36718,4

26507,2

27955,4

20996,2

18594,3

16322,5

29412,8

34948,8

66729,3

37065,2

27197,8

Allemagne

26,2

269,1

147,4

1522,9

2214,4

1283

0

190,9

5712,4

2340,2

2216,7

Italie

172,0

218,0

59,4

0

0

0

0

3

19,4

0

2264,5

UK

311,7

322,7

251,3

437,3

431,7

495,9

1128,6

1142,6

1382,5

867,1

312,8

Irlande

0

0

0

0

0

1,6

0

0

0

0

0

Espagne

0

25,2

0

0

0,3

1,1

37,7

2,3

725,6

2000,6

33,7

Grèce

563,8

60,1

64,8

0

110,0

630,5

0

0

186

0

0

Danemark

0

0

0

0

0

0

0

130,2

0

0

102,0

Autriche

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

Portugal

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

Suède

112,1

0

27,3

0

0

0,9

1,0

0

{)

0

0

Finlande

0

0

0

0

24,9

0

0

0

0

0

9,0

Luxembourg

0

0

0

0

0

0

158,7

94,3

1,6

0,8

0

TOTAL

47856,9

34205,2

34148,5

31546,3

29966,1

30435,5

42940,2

41582,8

82722,9

51044,7

34217,7

* 1 - 10/2000

Source :O.B.C.E.

Exportation de farine, poudre, pellets de viande, abats et cretons de viande en tonnes.

CE

IMPORTATIONS EN BELGIQUE

Annexe à l'audition de M. Gilbert Houins - II

Tableau

Importation de farine, poudre, pellets de viande, abats et cretons de viande en tonnes.

Pays

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000 *

France

22359,6

36327,9

44098,3

37635,1

27583,5

42326,3

32106,5

34991,1

19490,5

8409,1

8719,6

Pays-Bas

6605,2

14669,2

15880,9

20798,6

21434,5

49243,9

55855,8

63430,2

62572,5

62234,4

35097,7

Allemagne

3569,5

973,2

458,9

1527

4216,1

5168,9

3133,5

4251,8

10721

1440,5

971,1

Italie

124,6

460,1

0

232,4

227,6

621,6

62,7

4019

957,2

10587,7

15608,2

UK

1391

1358,1

730,6

73,3

254,5

630,2

2552,6

530,2

1294,7

200,4

0

Irlande

13364,7

8508,8

10895,1

12779,6

11626,0

9314,5

26353,1

19638

10798,2

7508,8

4407,9

Espagne

24,9

101,4

0

0

0

128

0

5,7

1,4

457,7

6,5

Grèce

0

0

43,2

0

0

0

0

0

0

0

0

Danemark

1648

27,3

101,3

0

0

0

0,4

1,1

1,1

0

215,9

Autriche

3473

4226,4

3981,7

5639,9

5650

0

0

0

0

0

0

Portugal

00

0

0

0

0

0

0

0

0

0

0

Suède

0

0

80 ?7

201 ?5

20

265 ?4

0

0

0

0

0

Finlande

0

0

0

0

24,9

0

0

0

0

0

0

TOTAL

54550,5

68643,4

78262,7

80880,4

73031,1

109693,8

122060,6

128864,1

98185,7

92837,6

67026,9

* 1 - 10/2000

Source :O.B.C.E.

CE

Annexe à l'audition de M. Gilbert Houins - III

IMPORTATIONS/EXPORTATIONS

BELGIQUE - FRANCE

 

Importations

Exportations

1990

22359,6

7962,7

1991

36327,9

4811,9

1992

44098,3

3650,9

1993

37635,1

6596,9

1994

27583,5

6596,5

1995

42326,3

9705

1996

32106,5

10205,4

1997

34991,1

3273,7

1998

19490,5

6135,5

1999

8409,1

6771,8

2000 *

8719,6

81,2

TOTAL

314047,5

65791,5

* 1 - 10/2000

Source : OBCE

Bilan net sur 10 ans

Import en Belgique : 248 256 T

Annexe à l'audition de M. Gilbert Houins - IV

ENQUÊTE DANS LE PORT D'ANVERS

_ Enquête 27/11/96, 03/12/96, 10/12/96 : port d'Anvers par des inspecteurs belges

_ Northern Shipping : 8 300 tonnes de farines de viandes stockées en vrac en décembre 1996.

Propriétaire : Eurofeed

Industrie France de Boulogne (EFI)

_ Produits destinés : - au Moyen-Orient (Egypte, Syrie et Liban)

- à la France

_ Ensachage à Anvers : étiquettes utilisées intitulées « meat and bone meal » reprenant la mention « Belgian origin » ou « French origin »

_ Marchandise venant de France, des Pays-Bas ou d'Irlande.

_ Marchandise française (intitulée « concentré de protéines carnées »)

venant de :

- Caillaud de Saint Largis,

- Progilor de Chamy Meuse,

- Soprorga de Saint-Denis,

- Point SA de Nesgreffet.

Ces firmes sont autorisées pour la transformation de matières à haut risque (90/667/CEE).

_ Enquête 8/04/97 Northern Shipping au port d'Anvers par l'inspecteur belge M. Vande Casteele et les confrères français Saliou, Borowicz.

La DGCCRF promet de :

- Faire une recherche après le 20/04/97 chez EFI et les fabricants d'aliments composés : Sogal, Koseda qui ont acheté des farines animales d'EFI.

Ces firmes sont la propriété de M. Chataoui (Paris).

- Visiter les usines de destruction concernant l'origine réelle des produits vendus en Belgique.

Audition de M. Jacques ROBELIN
chef du département « Élevage et nutrition des animaux » à l'INRA

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jacques Robelin est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jacques Robelin prête serment.

M. Jacques ROBELIN : Je vous remercie de m'avoir invité à cette audition. Je voudrais, dans une brève intervention, préciser le champ de compétence du département de l'INRA « nutrition des animaux » et présenter rapidement les bases de l'alimentation animale et les concepts sur lesquels elle repose. C'est en effet sur ces concepts que repose la réponse à la plupart des questions que vous vous posez.

De formation, je suis ingénieur agronome. Je suis directeur de recherche à l'INRA et chef du département élevage et nutrition des animaux. J'ai, dans ce cadre, préparé une thèse d'Etat, au début des années quatre-vingt, dans un domaine consacré à la croissance des animaux, et plus particulièrement à la différenciation et à la croissance des tissus musculaires et adipeux. Le département « Élevage et nutrition des animaux » que je dirige a pour mission de conduire des recherches en nutrition animale sur les physiologies des grandes fonctions - lactation, croissance - et plus globalement sur les processus de conduite d'élevage, pour l'ensemble des animaux domestiques - porcins, ovins, oiseaux et ruminants.

Les chercheurs de mon département ont travaillé sur les concepts de l'alimentation animale et ont contribué à les élaborer dans les années 1960 à 1980. Je vais procéder à un bref rappel de notions élémentaires : l'alimentation animale est un processus qui a pour finalité d'approvisionner l'animal en éléments nutritifs qui lui permettent de s'entretenir, de croître, de se reproduire et de se déplacer. Les aliments ingérés par un animal sont dégradés ou transformés en éléments de plus en plus simples au cours des processus digestifs. Chez les ruminants, la digestion commence par un processus fermentaire au niveau du rumen, qui confère à ces animaux des propriétés particulières, notamment celle de pouvoir utiliser la cellulose des végétaux, chose que les monogastriques ne peuvent faire. Ces éléments nutritifs, issus de l'aliment et produits terminaux de la digestion, sont absorbés au niveau de la paroi intestinale. Ils sont transportés par le sang, la lymphe et éventuellement transformés au niveau du foie. Ces éléments nutritifs sont enfin utilisés, au niveau des cellules, pour le fonctionnement des différents organes, tels que le cerveau, le muscle, le placenta, la glande mammaire. Tous ces phénomènes sont réglés par un jeu complexe de régulation hormonale qui module le fonctionnement de l'animal, en fonction de priorités liées à son état physiologique interne et de capteurs de son environnement externe.

J'aborderai maintenant la question des protéines, thème du débat d'aujourd'hui, en précisant la nature des nutriments utilisés et produits par la digestion. Globalement, il en existe deux sortes : les nutriments énergétiques et les nutriments protéiques. Les premiers sont constitués de chaînes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. On les appelle hydrates de carbones. Ils représentent en fait l'énergie nécessaire au fonctionnement cellulaire. Quant aux nutriments protéiques, qui nous intéressent plus particulièrement, ce sont les acides aminés. Ce sont également des chaînes carbonées dont la particularité est de comporter des atomes d'azote. Ces acides aminés sont les éléments constitutifs primaires des protéines, entités caractéristiques des êtres vivants et qui sont à la base de leur fonctionnement. Il existe une vingtaine de type d'acides aminés. Leur arrangement, dicté par le génome dans les protéines, confère à celles-ci leur nature et leur fonction.

Ces bases étant données, je vais évoquer les trois points sur lesquels repose la nutrition protéique des animaux.

Le premier point est que certains de ces acides aminés peuvent être synthétisés par les tissus animaux, à partir d'autres acides aminés. En revanche, une dizaine d'entre eux, qui ne peuvent être synthétisés par les tissus animaux, sont qualifiés d'acides animés indispensables ; par conséquent, l'animal doit obligatoirement trouver ces acides aminés dans son alimentation.

Le second point est que la proportion de ces acides aminés indispensables est différente dans les tissus animaux et les tissus végétaux. Il existe donc un déséquilibre « naturel » entre les apports alimentaires que trouve l'animal dans les végétaux et ses besoins pour la synthèse de ses tissus. Ce déséquilibre se traduit, au niveau de l'alimentation, par une utilisation partielle des acides aminés devenus « inutiles » à des fins énergétiques avec, en corollaire, un accroissement du rejet d'azote dans l'urine et une utilisation non optimale de l'alimentation.

Le troisième point, duquel découle la pratique de l'alimentation animale, est que, par chance, les différentes espèces végétales renferment des proportions différentes de ces acides aminés « indispensables ». On peut, par un mélange judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations pour les animaux qui sont juste équilibrées par rapport à leurs besoins.

Ce sont ces concepts que mon département a contribué à élaborer, dans les années soixante à quatre-vingt, en collaboration avec de nombreux laboratoires dans le monde. Ces concepts constituent également les concepts de base de l'alimentation humaine. Dans la pratique, pour traduire ces concepts dans l'alimentation animale, les rations ont tout d'abord été rééquilibrées à partir de tourteaux, car ceux-ci contiennent de fortes proportions d'acides aminés indispensables. Les tourteaux, aliments riches en protéines, sont des sous-produits de l'industrie huilière (arachide, soja ou colza).

Essayons maintenant de hiérarchiser les raisons pour lesquelles on a introduit dans les rations les déchets animaux en tant que compléments protéiques. Il y a tout d'abord la disponibilité de ces sous-produits de l'industrie de la viande. La forte augmentation de production de viande, dans les années soixante-soixante-dix à soixante-quinze, a généré une augmentation de la production de ces déchets. Une tonne de carcasse de bovins produit environ huit cents kilos de déchets. L'augmentation de ces déchets a fait ressortir la nécessité de les éliminer et, en corollaire, de diminuer les coûts. Cet élément a dû jouer dans la formulation des aliments fabriqués par l'industrie de l'alimentation animale.

Une autre raison de les utiliser est la très bonne adéquation de ces produits en termes de proportions d'acides aminés indispensables, puisque ce sont des tissus animaux. En réalité, cet argument n'est valable que pour les monogastriques puisque, chez les ruminants, les farines animales comme les autres protéines sont en grande partie détruites dans le rumen, par les micro-organismes du rumen, jusqu'à l'état d'ammoniaque. En fait, le ruminant consomme davantage de protéines microbiennes que de protéines alimentaires : 80 % de protéines microbiennes et 20 % de protéines alimentaires. Donc cet élément n'est pas complètement valable pour les ruminants.

Le troisième élément qui a pu inciter à l'utilisation des déchets animaux est la recherche d'une indépendance nationale, dans ces années soixante-dix, vis-à-vis des importations de soja américain.

Dans cette introduction, je n'ai abordé qu'une seule facette de l'alimentation animale, à savoir sa finalité et les concepts sur lesquels elle repose. J'ai laissé volontairement de côté bien d'autres aspects, tout aussi importants pour nos débats, tels que le lien entre l'alimentation et le territoire, la pratique de l'alimentation dans les élevages, c'est-à-dire la conduite alimentaire des différentes catégories d'animaux et plus précisément comment est déterminée la ration d'un ruminant à la ferme, les différences dans les pratiques alimentaires entre les espèces animales. Je n'ai pas non plus cité de données quantitatives sur l'alimentation animale en France, ni sur l'utilisation des farines carnées. Je n'ai pas abordé la question du remplacement de ces farines par d'autres aliments, mais je le ferai au cours du débat.

J'ai abordé ce sujet sur un plan scientifique, qui correspond à mon expertise et à ma fonction à l'INRA. Je suis disposé à donner un point de vue de citoyen, sans prétendre qu'il ait plus de valeur que celui de n'importe quel citoyen.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser les normes et les conditions de fabrication des farines en France et en Europe ? Lors d'auditions précédentes, vous aviez évoqué le problème de l'étiquetage, plus ou moins précis. En est-il résulté une certaine confusion chez les éleveurs ? Ensuite, lorsque a été décidée l'interdiction des farines animales en Grande-Bretagne, en 1988, comment la communauté scientifique en a-t-elle été informée ? Quel était le degré d'information des pouvoirs publics ?

Enfin, l'élevage à l'herbe est un sujet qui fait actuellement l'objet de nombreux débats. L'herbe n'est certainement pas un élément suffisant dans l'alimentation. Quels sont, en dehors du soja, les autres types d'aliments qui pourraient convenir après la suppression des farines animales ? En effet, il me semble qu'il sera difficile de les remettre en circulation en France, après les six mois d'interdiction, même si l'on peut supposer qu'après le retrait des abats à risque, ces farines sont sécurisées.

M. Jacques ROBELIN : Aux trois premières questions, je donnerai une réponse de simple citoyen, car elles excèdent mon champ d'expertise. Je connais la réglementation mise en place en France depuis le début des années quatre-vingt-dix. J'avoue ma méconnaissance de la réglementation européenne, sauf de celle en vigueur. Concernant l'étiquetage, lorsque j'étais chercheur dans le département d'élevage des ruminants dont le directeur était M. Jarrige, nous avons publié, en 1978, le « livre rouge » , manuel de référence sur l'alimentation des ovins, bovins et caprins. Dans le cadre de cet ouvrage, nous avions eu un débat important pour aller dans le sens d'un étiquetage plus précis de l'alimentation animale.

S'agissant de l'alimentation protéique des ruminants dont les chercheurs INRA avaient jeté les bases, l'originalité du travail accompli à cette époque avait été de mettre en évidence le fait suivant : lorsque l'on donne un complément protéique à l'alimentation d'un ruminant qui a des besoins protéiques très importants, comme une vache laitière, 80 % de ces protéines sont complètement dégradées en chaînes carbonées, comme si c'était de l'énergie, et en ammoniaque. C'est sur la base de ces éléments simples que les microbes du rumen synthétisent leurs propres protéines, et ce sont ces protéines microbiennes qui constituent la principale source d'alimentation finale du ruminant. Dans le même temps, ces chercheurs avaient mis au point une table de valeur alimentaire des aliments qui donnait, pour chacun des aliments classiques des ruminants, la valeur en PDI (protéines digestibles dans l'intestin).

A l'époque, l'INRA souhaitait que ce type d'appréciation de la valeur des aliments apparaisse sur l'étiquetage, car cela permettait de donner la valeur réelle, d'un point de vue nutritionnel, du contenu du sac d'aliment. Il n'a pas été possible d'obtenir cet étiquetage purement nutritionnel, qui est analogue à celui que le consommateur humain a pu obtenir par la suite sur la plupart des aliments, où sont mentionnés non seulement les ingrédients ou matières premières mais aussi, comme sur une bouteille d'eau, la quantité de calcium, de magnésium, etc.

Nous n'avons pas réussi à obtenir un tel étiquetage pour les aliments du bétail. Je ne saurai dire la raison pour laquelle l'industrie de l'alimentation animale n'a pas souhaité le faire. Je suppose que c'était pour garder une plus grande liberté dans la formulation des aliments, par rapport à des approvisionnements en matières premières.

À ma connaissance, aucune réglementation n'oblige actuellement le fabricant à indiquer sur l'étiquette les ingrédients qui entrent dans la formulation des aliments du bétail, orge, tourteaux de soja ou d'arachide, calcium, etc. C'est regrettable car l'alimentation animale est transformée en produits animaux qui deviennent ensuite des aliments pour l'homme. C'est un sujet qui devrait faire l'objet d'un débat.

En ce qui concerne l'information de la communauté scientifique, j'ai commencé à entendre parler des farines animales au début de la crise, dans les années quatre-vingt-dix. J'étais alors chercheur et je travaillais sur un sujet différent. Je n'ai pas occupé de fonctions particulières avant 1992. Je ne sais pas du tout si la communauté scientifique a été avertie ou non, je ne suis pas en mesure de vous donner les précisions que vous attendez sur ce point.

M. le Président : Comment avez-vous eu l'information ?

M. Jacques ROBELIN : J'ai été nommé chef de département en 1992 et j'ai alors commencé à participer à des réunions au niveau de la direction de l'INRA. Avec mes collègues chefs de département, j'en ai entendu parler dans le cadre de réunions, au début 1992. Je dois vous dire qu'à cette époque, je ne voyais pas la relation entre farines animales et ruminants. Aussi curieux que cela puisse paraître, l'utilisation des farines animales pour les ruminants n'allait pas de soi, pour les raisons que j'ai évoquées précédemment.

Lors de mon audition devant la commission d'enquête du Sénat, il m'a été demandé si l'INRA avait encouragé l'utilisation des farines animales chez les ruminants. Dans le « livre rouge » publié en 1978 qui compte 350 ou 400 pages, les farines animales n'occupent, dans un chapitre sur les aliments concentrés pour les ruminants, que cinq lignes, et, sur les quelque sept cents aliments répertoriés, treize lignes. Le paragraphe, dont je pourrai vous citer la page, est assez laconique. Il y est dit qu'on utilise aussi les farines animales dans l'alimentation des ruminants et il se termine en indiquant que, compte tenu de la forte dégradabilité dans le rumen et de la mauvaise digestibilité des protéines qui ne sont pas dégradées dans le rumen, on se demande si c'est un aliment particulièrement judicieux.

Leur utilisation a été dictée davantage par des raisons de coûts que par des considérations d'ordre nutritionnel. D'un point de vue nutritionnel, les tourteaux étaient probablement plus efficaces et il n'y avait aucune raison particulière d'utiliser les farines animales. Les farines animales étaient moins onéreuses dans la formulation des aliments de l'industrie de l'alimentation animale.

M. le Président : Pour vous, à quel moment est-ce vraiment devenu un problème ?

M. Jacques ROBELIN : Pour les ruminants, autant que je m'en souvienne, les farines animales ont été interdites à partir de 1990 ou 1992. Lorsque j'en ai entendu parler, elles ne posaient plus théoriquement de problèmes. Quant aux recherches conduites, depuis lors dans mon département, nous n'allions pas en effectuer sur les farines animales pour les ruminants, et d'autant moins que ce sujet n'était pas particulièrement intéressant pour les ruminants. Les farines animales ont été beaucoup plus utilisées pour les monogastriques car, d'un point de vue nutritionnel, elles correspondent plus aux besoins de ces animaux.

En résumé, il me semble que l'utilisation de ces farines résulte de l'existence de ces huit cent mille tonnes de déchets à supprimer. Face à ce problème, elles ont été utilisées d'une manière qui était censée les valoriser. Cela dit, nous sommes amenés à supprimer d'autres déchets de l'industrie humaine. Cela fait partie de l'activité humaine d'avoir à gérer les déchets qu'elle produit.

Il est bien évident que rien ne s'oppose à l'élevage des ruminants à l'herbe, sans l'apport d'une complémentation. J'imagine que, dans les années 1975, l'alimentation des ruminants a été complémentée par des tourteaux d'arachides et de soja. Toutefois, la complémentation doit être ramenée à sa juste dimension. Les vingt millions de ruminants en France consomment cent millions de tonnes de fourrage, issus d'une quinzaine de millions d'hectares de production fourragère. En plus de ces cent millions de tonnes de fourrage, les ruminants consomment environ une dizaine de millions de tonnes d'aliments concentrés, soit 10 % du total.

Parmi les ruminants, le troupeau allaitant - c'est-à-dire les animaux de race à viande, les vaches qui ne produisent du lait que pour nourrir leur veau - est très peu complémenté. Les vaches sont complémentées seulement un peu pendant l'hiver, à la fin de leur gestation, pour leur assurer un niveau de réserves corporelles, c'est-à-dire des tissus adipeux, leur permettant un début de lactation suffisant pour nourrir le veau. Toute femelle mammifère a besoin, pour produire du lait pour son petit, d'avoir un peu de réserves adipeuses avant la mise bas. On complémente les vaches allaitantes avec environ deux cents kilos de concentré dans l'année pour quatre tonnes de fourrage.

Ce sont les vaches laitières et les plus hautes productrices, comme les Prim'Holstein qui produisent sept ou huit mille kilos de lait par an, qui reçoivent le plus de concentré. Ces animaux doivent consommer, dans l'année, environ une tonne d'aliments concentrés et cinq tonnes de fourrage. Je parle de matières sèches. S'il s'agit d'herbe verte, il faut multiplier par six ou sept car l'herbe verte ne contient que 15 % de matières sèches.

Pour les vaches hautes productrices, ces aliments concentrés doivent apporter une complémentation protéique. Elle peut être parfaitement assurée avec des tourteaux - c'est notre recommandation - ainsi qu'avec des acides aminés de synthèse - lysine et méthionine - qui ont commencé à être produits dans les années 1980 et qui permettaient de rééquilibrer le profil d'acides aminés en complément des tourteaux.

M. Germain GENGENWIN : Vous venez d'indiquer n'avoir entendu parler des farines animales qu'au début des années quatre-vingt-dix. Or les farines de viande existent depuis beaucoup plus longtemps. Nous avons huit cent mille tonnes de ces farines, dont nous devons nous débarrasser et pour lesquelles il nous faut trouver des dépôts pour les stocker. J'aimerais savoir si un contrôle de ces farines animales est effectué pour déterminer les produits qui rentrent dans leur composition et voir si elles ne contiennent pas des virus ou des composants à risque ?

S'agissant de la situation en Angleterre, entretenez-vous des relations avec vos collègues anglais et savez-vous si des vérifications et des contrôles sont exercés sur les composants de ces farines animales ?

M. Jacques ROBELIN : Je ne peux répondre à vos questions, qui concernent des domaines situés en dehors de mon champ de compétence, qui est la nutrition animale, et hors du champ de l'INRA, qui n'est pas un organisme de contrôle.

M. le Président : Nous nous interrogeons sur le fait qu'un problème clairement identifié en Angleterre, déjà depuis plusieurs années, n'ait pas interpellé la communauté scientifique en France. La question est de savoir quel était l'état des connaissances des scientifiques français sur un problème bien connu ailleurs et qui avait déjà fait l'objet de mesures d'interdiction.

M. Jacques ROBELIN : Je vais vous répondre, non pas sur l'état des connaissances des scientifiques français, mais sur l'état de mes propres connaissances, à la période qui vous intéresse. Je répète qu'à la période à laquelle fait référence M. Gengenwin, je n'avais pas connaissance, en tant que chercheur à l'INRA, de ce problème. Je ne saurais vous dire si j'aurais dû en avoir connaissance ou pas, mais dans le secteur dans lequel je travaillais, cela ne me paraît pas anormal que l'information ne nous soit pas parvenue, d'autant que nous n'avions jamais particulièrement recommandé l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des ruminants, et j'insiste sur ce point là.

M. Germain GENGENWIN : Depuis qu'il existe des fabricants d'aliments pour animaux, il existe des farines animales entrant dans la composition de ceux-ci. La qualité des céréales incorporée dans les aliments a été vérifiée, mais en est-il de même de la qualité des farines animales ?

M. Jacques ROBELIN : Je ne mets pas en doute le fait que les farines animales existaient avant. Par ailleurs, je suis désolé, mais je ne peux vous dire à quel moment la communauté scientifique a été informée du problème. Ne connaissant pas la réponse à cette question, je ne peux vous faire une réponse de circonstance. La situation que j'occupais à cette époque ne me prêtait pas à être informé de ce type d'informations, car je travaillais sur un domaine assez éloigné de l'alimentation proprement dite. S'agissant de la composition de ces farines, l'INRA n'est pas un organisme de contrôle des fabrications et des processus de fabrication. Je ne sais d'ailleurs pas s'il existe un tel organisme. Mais en tout état de cause, cela ne fait pas partie des missions de l'INRA.

L'INRA n'était pas sollicitée pour contrôler ce qui entrait dans la composition des aliments, mais elle a pu l'être fréquemment, et encore maintenant, par l'industrie de l'alimentation animale afin d'étudier la valeur alimentaire de certaines matières premières, avant leur introduction dans les aliments, pour déterminer si leur utilisation présenterait ou non un intérêt d'un point de vue économique. Mais le contrôle n'entre pas dans la mission de l'INRA.

M. le Président : Quel était le secteur qui pouvait être saisi du problème des farines à l'INRA, dans le domaine de la recherche ?

M. Jacques ROBELIN : Nous ne nous sommes pas penchés sur ce problème et peut-être avons-nous eu tort. Mais malheureusement, je ne pense pas que cela aurait été en effectuant des études nutritionnelles sur les farines animales que nous aurions découvert les problèmes liés à l'ESB. Dans le cadre d'études nutritionnelles sur les farines animales, nous aurions découvert qu'elles contenaient 70 ou 75 % de protéines, ainsi que les différents profils d'acides aminés, etc., mais pas le problème de pathologie auquel nous devons faire face. C'est un domaine complètement différent. En outre, cette pathologie diffère totalement de celles auxquelles nous sommes habituellement confrontés parce que, expérimentalement, il y a peu de temps qu'on sait la reproduire et que, pour ce faire, il faut des années.

En résumé, ce n'est pas grâce à des études nutritionnelles sur les farines animales ou tout autre sous-produit introduit dans l'alimentation animale que l'on peut détecter des problèmes de pathologie. En revanche, il s'agit maintenant de tirer des leçons du passé. La crise actuelle nous incite à élargir l'éventail de nos recherches sur la valeur des aliments et sur les aspects sanitaires comme les micropolluants de l'alimentation animale : la dioxine par exemple.

M. Pierre HELLIER : On peut comprendre que vous ne soyez pas en mesure de répondre de façon précise à la question qui vous est posée. Toutefois, je suis surpris de votre avis sur l'utilisation des farines animales chez les ruminants. En effet, certains intervenants, même s'ils admettent leur interdiction à partir de maintenant, ont souligné devant cette commission que les acides aminés spécifiques contenus dans les farines animales rendaient plus performantes les techniques d'élevage, particulièrement pour les vaches laitières, qui procuraient alors un rendement supérieur.

Or, vous affirmez, depuis votre livre publié en 1978, qu'il n'est pas nécessaire de donner ces farines animales et qu'avec une complémentation en protéines végétales, les rendements et les performances peuvent être équivalents. Vous avez notamment souligné, dans votre intervention, que certains acides aminés synthétiques pouvaient être ajoutés.

N'y a-t-il pas là une contradiction ? Vous dites que les farines animales ne sont pas performantes pour les ruminants, mais qu'avec un ajout d'acides aminés de synthèse pour complémenter les protéines d'origine végétale, on obtient un rendement supérieur. Si on obtient les mêmes rendements sans farines animales, pourquoi demanderait-on l'introduction de farines animales dans l'alimentation des ruminants ? Je précise que nous avons rarement entendu un tel discours.

M. Jacques ROBELIN : C'est un fait avéré que 70 à 80 % des protéines des farines animales sont dégradées dans le rumen, au stade élémentaire que j'évoquais tout à l'heure.

M. Pierre HELLIER : Mais sans être jamais absorbées ?

M. Jacques ROBELIN : Si, mais elles n'ont alors pas de valeur différente, d'un point de vue nutritionnel, par rapport à toute autre protéine que mange un animal et qui est dégradée dans le rumen. Le rumen contient alors de l'ammoniaque et des chaînes carbonées, et peu importe qu'ils proviennent de protéines d'origine animale ou végétale. Les « microbes » ne détectent pas si ces chaînes élémentaires proviennent de farines animales ou d'autre chose.

Le programme génétique de fabrication de protéines par les microbes est indépendant des aliments nutritifs en question. La population microbienne contenue dans le rumen fabrique ces protéines microbiennes dont la composition ne dépend pas des protéines en question. Il ne pourrait y avoir un effet que sur les 20 % de protéines non dégradées, lesquelles, chez le ruminant, ne sont pas particulièrement digestibles. C'est pourquoi on peut affirmer que les farines animales ne constituent pas, pour les ruminants, un aliment protéique particulièrement performant.

A cet égard, je vous fais part de mon opinion, qui n'est pas une certitude. L'utilisation des farines animales dans les aliments pour ruminants n'a été due qu'à leur faible coût. Si l'on considère qu'il y en avait huit cent mille tonnes à évacuer, le coût relatif du kilo de protéines devait être modeste par rapport à celui des tourteaux de soja ou de colza importés. Il n'y a, à ma connaissance, aucune preuve que l'utilisation de farines animales induise un rendement en lait supérieur. Qui plus est, peut-on vraiment considérer qu'un rendement en lait plus élevé soit un progrès ? C'est un débat d'une autre nature, mais qui est d'une grande actualité.

M. Pierre HELLIER : Le microbisme transforme et dégrade les protéines. Mais à quel type de protéines - animales ou végétales - aboutit-on ? En fait, des acides aminés spécifiques « farines animales » sont-ils encore présents après cette dégradation ?

M. Jacques ROBELIN : Les protéines ingérées par l'animal sont dégradées pour 80 %, dans le cas des farines animales, en ammoniaque (NH4) et chaînes carbonées, dont les microbes en refont des acides aminés et des protéines microbiennes. Il ne s'agit pas de protéines animales, mais de protéines microbiennes, de l'espèce microbienne qui a synthétisé.

M. Pierre HELLIER : Avec les acides aminés que l'on recherche dans les farines animales ou non ?

M. Jacques ROBELIN : Je pense avoir été clair dans ma réponse : il s'agit de protéines microbiennes, qui n'ont rien à voir avec l'hôte, ni avec l'aliment initial.

M. François GUILLAUME : Nous sommes là au c_ur du sujet. La question que l'on pourrait poser, après ces explications, serait de demander à des chercheurs comme M. Robelin, de renverser le jugement de valeur ridicule qui consiste à dire que des herbivores ont été transformés en carnivores. Il est important de le dénoncer, car ce jugement est fondé sur un raisonnement chimique faux : vous venez d'en faire la démonstration. Estimez-vous qu'il conviendrait d'obtenir de la presse un droit de réponse scientifique afin de faire les mises au point nécessaires, notamment une allégation selon laquelle les herbivores auraient été transformés en carnivores ? Connaissant le respect que le président de notre commission d'enquête a de la déontologie de la presse, cette proposition ne le choquera pas.

Le problème de l'étiquetage de l'aliment du bétail s'est posé à une certaine époque car les éleveurs s'interrogeaient sur la valeur nutritionnelle de l'aliment du bétail. Or, dans les années 1960 déjà, sur les sacs de bouchons destinés aux vaches laitières, la seule garantie spécifiée était un taux de protéine. Dans ces produits, il y avait un peu de tout. On recherchait notamment de la cellulose au travers des déchets, comme les écorces d'orange, dans les usines qui fabriquaient les jus d'orange. Ce n'est qu'ensuite que les différents composants ont été progressivement indiqués avec des informations sur leur qualité nutritionnelle.

Mais si nous voulons en savoir plus sur la qualité des farines animales, il conviendra d'interroger les équarrisseurs et les fabricants d'aliments du bétail, lesquels nous diront qu'ils achetaient des produits avec des garanties de taux de protéines. Il appartiendra ensuite aux équarrisseurs de démontrer que les produits qu'ils fournissaient étaient sains sur le plan bactériologique. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'ensemble des analyses qui sont effectuées par les producteurs d'aliments du bétail sur chaque lot de produits qui entre dans la fabrication des aliments.

J'aurais souhaité avoir votre avis sur un problème plus nutritionnel et chimique. Quels sont les avantages et inconvénients respectifs des farines animales, du soja, des tourteaux de colza, et quels sont les procédés qui permettent un traitement de ces produits pour éviter la destruction dans le rumen ?

Par ailleurs, que pensez-vous des acides aminés de synthèse ? Je suis éleveur et agriculteur et lorsque j'ai vu la première fois que l'urée était utilisée indifféremment pour l'engrais sur les céréales et sur l'ensilage de maïs, j'ai été surpris. Néanmoins, c'est parfaitement compatible.

M. Jacques ROBELIN : Je préfère ne pas m'exprimer sur la question de la transformation des herbivores en carnivores. Même si on peut comprendre une certaine irritation de la part de l'opinion publique, on pourrait néanmoins citer d'autres pratiques qui, d'un point de vue déontologique, sont tout aussi critiquables. Je préférerais formuler ma réponse à cette question de la façon suivante : ne portons pas de jugement sur le fait qu'on ait introduit des farines animales. En revanche, tirons-en la leçon pour le futur, c'est-à-dire pratiquons la traçabilité de l'aliment, et qu'à jamais on se mette hors de portée d'une erreur du même style. La traçabilité de l'aliment rejoint votre deuxième question relative à l'étiquetage. C'est ainsi qu'on redonnera aux filières, qui ont été entachées par une affaire dont elles ne sont peut-être pas totalement responsables, la vérité du naturel qu'elles représentent. La traçabilité et l'étiquetage des aliments seraient la leçon à tirer de cette affaire.

Un problème important que nous n'avons pas évoqué est l'aménagement du territoire. Il s'agit non seulement de défendre la filière de l'élevage des ruminants, mais aussi une activité économique qui a sa raison d'être et sa nécessité dans bon nombre de régions dans lesquelles seul l'élevage des ruminants permet d'utiliser l'herbe qui y pousse. Je considère que c'est un sujet particulièrement important. C'est la raison pour laquelle il faudrait rapidement rehausser, aux yeux des citoyens, l'image de ces filières.

S'agissant des tourteaux, il existe un procédé - le tannage - qui permet d'éviter que les tourteaux donnés aux ruminants soient dégradés dans le rumen. La valeur des protéines que l'on a fait ingérer est alors conservée. Cela s'appelle le tannage, du fait que l'on protège les protéines avec des tanins comme ceux que l'on trouve dans les feuilles de chêne ou dans le vin.

S'agissant des acides aminés de synthèse, ce sont les acides produits par fermentation microbienne. Ils ne sont pas sensiblement différents de ceux que l'on trouve dans le rumen. Quant à l'urée, je suis d'accord avec vous sur le fait que cela peut sembler surprenant d'utiliser le même produit dans l'alimentation animale et dans les engrais que l'on répand dans les champs. Je voudrais rappeler qu'en 1976, année de grande sécheresse, la combinaison urée-paille a été d'un grand secours pour les ruminants, car cela a permis de constituer un aliment pour éviter que les animaux ne meurent de faim.

M. François DOSE : En réponse à la question de M. Guillaume, vous dites que vous ne portez pas de jugement, mais que vous privilégiez la traçabilité. Or s'il est vrai qu'elle est nécessaire, elle reste néanmoins insuffisante. La traçabilité n'est pas la preuve que le produit est sain. La traçabilité est un moyen, mais non pas un objectif.

M. Jacques ROBELIN : Ma réponse sera celle d'un citoyen éclairé. Je ne comprends pas pourquoi, a posteriori et sans porter de jugement, des farines animales ont été données aux ruminants. Si cela a été fait, ce n'était probablement pas dans un but d'efficacité, mais plutôt pour la recherche du moindre coût.

M. François GUILLAUME : Il n'est pas exact que les farines animales sont moins coûteuses.

M. Jacques ROBELIN : C'est mon opinion. Du point de vue du citoyen, je partage l'idée que l'on peut faire autrement que de donner des farines de ruminants à des ruminants. On pourrait d'ailleurs se poser la même question pour toutes les espèces, d'un point de vue déontologique.

En revanche, il est juste de dire que la traçabilité n'est pas suffisante, mais commençons déjà par là.

M. le Président : C'est en spécialiste de la nutrition animale que vous vous êtes exprimé. Pensez-vous qu'il conviendrait de mener une réflexion sur l'organisation de notre recherche, et l'ouvrir à d'autres spécialités pour éviter ce cloisonnement des activités ?

M. Jacques ROBELIN : J'ai donné un premier un élément de réponse tout à l'heure en indiquant que cette crise nous ouvre les yeux car, comme dans bien d'autres domaines, il est nécessaire d'aborder les choses de façon beaucoup plus large et d'aller chercher des connexions possibles entre les différents travaux de recherche.

J'ai évoqué tout à l'heure, très rapidement, les orientations que nous prenons actuellement en termes d'alimentation. Les priorités que nous affichons dans mon département, qui se penchait essentiellement sur la valeur nutritionnelle des aliments, sont aujourd'hui la valeur hygiénique des aliments pour les animaux et la valeur santé pour les produits issus de ces aliments.

Cela peut vous paraître banal, mais compte tenu de ce que cela sous-tend en termes de compétences, c'est une évolution très importante et très lourde de conséquences. Il est nécessaire d'ouvrir plus largement nos regards sur les problèmes. Dans l'alimentation animale, nous suivons des pistes de recherche différentes de celles du passé.

M. le Rapporteur : Vous nous dites que vous n'avez jamais recommandé les farines animales pour les ruminants, mais plutôt d'autres types de complémentation alimentaire, notamment des tourteaux de soja et des acides aminés. La situation actuelle nous conduit à cette solution. Mais elle conduit aussi à importer du soja des Etats-Unis ; or vous connaissez l'inquiétude que suscitent les OGM dans l'opinion. Serons-nous confrontés à la nécessité d'importer du soja génétiquement modifié, dont il sera dit ensuite qu'il avait été recommandé de ne pas l'utiliser ? Sommes-nous en mesure de produire nous-mêmes ces protéines végétales ?

M. Jacques ROBELIN : C'est un fait que le soja ne constitue pas la seule solution. Peut-être conviendrait-il aussi de relancer la culture des protéagineux, qu'on n'avait pas suffisamment développée en raison des autres possibilités offertes. Cela ne représente pas un défi si important, car il est possible de faire des progrès en termes d'amélioration génétique des protéagineux. Huit cent mille tonnes de farines animales représentent environ deux millions de tonnes de protéagineux. Ce n'est pas hors de notre portée.

Le défi que représente la destruction des huit cent mille tonnes de déchets animaux me semble autrement plus important que celui de produire les protéagineux nécessaires, d'autant que l'on voit poindre un mouvement en ce sens dans les élevages laitiers qui étaient le plus consommateur de compléments protéiques, et que l'on développe des recherches dans ce domaine pour utiliser le maximum d'herbe, car l'herbe est un aliment très riche en protéines. Plus l'animal consomme d'herbe, moins il a besoin de complément protéique. L'herbe fraîche représente 20 % de protéines et les céréales 10 %. Quand on augmente la proportion d'herbe dans la ration d'un ruminant, on diminue d'autant la nécessité de compléments protéiques.

Par ailleurs, on commence à constater qu'une certaine limite à l'intensification de la production des troupeaux laitiers a peut-être été atteinte, compte tenu des inconvénients qu'elle comporte pour la santé des animaux, le renouvellement du troupeau, etc. L'optimum économique actuel n'est peut-être plus ce qu'il était il y a une dizaine d'années. Par conséquent, le besoin réel de substitution en compléments protéiques est peut-être plus bas que celui que l'on aurait pu évaluer il y a quelques années.

S'agissant des OGM, la position de l'INRA, qui ne porte pas sur l'importation éventuelle de soja américain, consiste à dire que la recherche sur le génome, sur la biologie du génome et ses potentialités, ne doit pas être arrêtée. En revanche, il conviendra probablement d'accompagner la recherche de comités d'éthique plus importants pour l'aider à emprunter des voies acceptables pour la société. Les pouvoirs et les responsabilités de ces comités d'éthique sont partagés entre les chercheurs et la société, représentée par des comités adéquats.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de :

Mme Anna TOFFTÉN, directrice du service des animaux au ministère de l'Agriculture de Suède,

M. Urban JOHNSON, expert en alimentation animale et ESB (Suède),

Mme Anna BLOCK MAZOYER, premier secrétaire en charge des questions économiques à l'ambassade de Suède à Paris.

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue et vous exprime la reconnaissance très cordiale de toute la commission pour avoir bien voulu accepter de venir nous faire part de l'expérience de la Suède dans l'affaire de la vache folle. Cette expérience est originale du fait que votre pays a pris, très tôt, des mesures d'interdiction des farines animales et opposé, dès 1988, un embargo à l'égard des farines et des bovins britanniques. Par ailleurs, vous avez mis au point, depuis un certain temps déjà, un dispositif de traçabilité et d'étiquetage qui semble donner satisfaction aux consommateurs. A notre connaissance, jusqu'à ce jour, la Suède est restée indemne de l'épidémie de l'ESB, même si elle ne figure pas dans la catégorie des pays dans lesquels ce risque est totalement exclu. Votre audition nous paraît d'autant plus opportune que la Suède exerce actuellement la présidence de l'Union européenne.

Mme Anna TOFFTÉN : Je vous remercie de cette invitation et de l'occasion que vous nous offrez de vous présenter les mesures importantes prises en Suède depuis de nombreuses années en matière d'ESB.

Pour comprendre le fondement de ces mesures, il est nécessaire de présenter la vision suédoise des animaux, de leur santé, de leur protection contre les maladies et, plus généralement, du bon traitement qui leur est dû. C'est vraiment la raison pour laquelle la Suède, au cours des années quatre-vingts, a mis en _uvre des mesures qui sont aujourd'hui étendues aux autres pays européens.

L'opinion publique suédoise a toujours été proche des animaux, de la nature et de la production alimentaire. Elle attache une grande importance au bon traitement des animaux. C'est un caractère que l'on peut retrouver dans la littérature suédoise, avec laquelle nous grandissons tous et qui décrit peut-être une vision idyllique des choses, mais en tout cas importante pour les Suédois. Le peuple suédois n'accepte pas que les animaux soient maltraités. Peu de choses provoque autant d'émotion que les mauvais traitements envers les animaux.

La protection des animaux et une vue globale de la chaîne alimentaire sont des éléments de grande importance pour les Suédois. Ainsi que notre ministre de l'Agriculture, Mme Winberg, le rappelle souvent, cette chaîne conduit « de la terre à la table et de nouveau de la table à la terre ».

Je soulignerai aussi l'importance accordée par les Suédois à la sécurité alimentaire, pour laquelle les animaux sont des liens qui attirent toujours l'attention du public. Même si des organisations de consommateurs et de protection des animaux se préoccupent de ces problèmes, cela va bien au-delà, car c'est en fait le peuple suédois tout entier qui, avec les médias, a contribué à faire évoluer la situation s'agissant à la fois du bon traitement des animaux et de la sécurité des aliments.

De surcroît, il n'y a jamais eu de contradiction entre les intérêts du public et ceux de l'industrie agroalimentaire. Au contraire, l'industrie et l'agriculture ont toujours fait preuve d'une bonne volonté pour améliorer les conditions de vie des animaux et la qualité des aliments, même si, à court terme, cela leur coûte plus cher. C'est bien souvent, de façon volontaire, que l'industrie et l'agriculture ont pris des mesures qui ont ensuite été consacrées par la réglementation.

L'agriculture s'est, sur ce point, montré unie et a beaucoup investi, avec l'aide des autorités, pour combattre et éradiquer un certain nombre de maladies animales. Un bon exemple en est la vision suédoise de la question des salmonelles. C'est l'industrie agroalimentaire elle-même qui a initié toutes ces mesures, au cours des années cinquante, qui impliquent notamment un contrôle de toute la chaîne alimentaire, du cheptel aux consommateurs. En cas de contamination du cheptel, celui-ci est abattu. C'est pourquoi les consommateurs se sentent en sécurité lorsqu'ils achètent des produits suédois puisqu'un contrôle est effectué dès le début de la chaîne. C'est ainsi que l'ensemble de la chaîne alimentaire est sécurisé.

L'utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance a été interdite très tôt. Notre loi sur la protection des animaux est parmi les plus strictes. Nous avons ainsi contribué à avoir des animaux qui constituent une valeur en eux-mêmes. L'environnement des animaux a été adapté afin de promouvoir des animaux sains et bien portants qui fourniront, de ce fait, une alimentation propre et saine.

L'agriculture et l'industrie étant sur la même ligne de pensée que les consommateurs, les choses ont évolué sans créer de véritables problèmes. Toutes les mesures ont été prises d'un commun accord entre les organisations de protection des animaux et des consommateurs, les autorités suédoises, l'industrie et l'agriculture. C'est grâce à ce modèle suédois que nous en sommes là aujourd'hui, en ce qui concerne la crise de l'ESB.

M. Urban JOHNSON : Pour ma part, je vous citerai quelques dates qui ne concernent pas uniquement le problème de l'ESB. Tout d'abord, je vous parlerai de l'interdiction des antibiotiques, entrée en vigueur en 1987. Les fédérations des producteurs ont en effet mis en question l'utilisation continue des antibiotiques dans la production, et ce pour des raisons éthiques : fallait-il donner aux animaux des antibiotiques, qui sont un médicament, pour faciliter leur croissance ? C'est l'industrie elle-même qui a pris l'initiative de cette interdiction de l'utilisation des antibiotiques. Les systèmes de production préexistants, dans lesquels les animaux avaient peu de place, une mauvaise ventilation et une hygiène insuffisante, ont été mis en question. Après cette interdiction des antibiotiques, leur utilisation dans un but thérapeutique a augmenté, car nous n'avons pas interdit les antibiotiques pour les animaux malades ; l'interdiction ne concerne que l'utilisation dans un but de croissance des animaux, pour augmenter la production.

Cela dit, l'élevage des porcins a été confronté à une plus grande mortalité des cas de diarrhée. Mais les paysans ont vite constaté qu'en améliorant les conditions de vie dans les porcheries par exemple, en prévoyant plus d'espace, en utilisant davantage de paille comme litière, ils parvenaient à gérer ces problèmes. Les producteurs d'alimentation animale ont commencé à produire d'autres types d'alimentation avec plus de fibres et moins de protéines.

Globalement, la Suède a diminué son utilisation totale d'antibiotiques. Aujourd'hui, elle n'utilise qu'un tiers de la totalité des antibiotiques utilisés avant l'interdiction de 1986. L'une des raisons principales de cette mesure était la crainte d'une résistance aux antibiotiques chez les animaux, laquelle peut ensuite être transmise à l'homme. C'est donc également sous l'angle de la santé publique que cette question a été traitée. L'interdiction des antibiotiques est une des mesures les plus importantes qui puisse être prise.

La même année, en 1986, nous avons introduit l'interdiction des farines de cadavres, c'est-à-dire issues d'animaux trouvés morts ou abattus pour des raisons de maladie. Nous avons donc distingué les farines animales des farines de cadavres. Ce n'est pas l'ESB qui a motivé l'interdiction des farines de cadavres car, en 1986, nous en connaissions à peine l'existence. En effet, les premiers cas d'ESB sont apparus à cette époque en Grande-Bretagne.

En fait, on peut en remercier un journaliste suédois, qui a contribué à cette interdiction très tôt. Il avait un chat qui mangeait des aliments en boite, qui ne se portait pas bien et qui perdait du poids. Ce journaliste s'est alors lancé dans une enquête pour déterminer ce que contenait cette alimentation pour chat. Au cours de cette enquête, il a appris que des farines de cadavres étaient incorporées dans cette pâtée pour chats. Quand l'histoire a été publiée, en 1985, elle a suscité une grande émotion et un vaste débat dans l'opinion suédoise. On soupçonnait déjà que ces cadavres réduits en farines pouvaient contenir des restes de médicaments et de produits toxiques, puisqu'elles étaient fabriquées à partir des carcasses d'animaux malades, ou morts de mort naturelle. Ces cadavres, en fait, étaient déjà en état de putréfaction lorsqu'ils étaient réduits en farines et utilisés dans la pâtée pour animaux.

Donc, à la base de cette première interdiction des farines de cadavres, on trouve une réaction des consommateurs découlant principalement de considérations d'ordre éthique. Les consommateurs ont réagi au fait que ces produits étaient utilisés non seulement dans l'alimentation pour les animaux domestiques, mais également dans celle des animaux destinés à la consommation humaine. Ces farines de cadavres ont été interdites en vertu du principe de déontologie, mais aussi en vertu du principe de précaution.

Même si on ne détectait pas de produits toxiques dans l'analyse chimique - car il faut savoir ce que l'on cherche pour le détecter - on pouvait néanmoins supposer la présence de tels produits. En vertu du principe de précaution, nous avons préféré opter pour la prudence. Nous sommes heureux aujourd'hui d'avoir pris cette décision, car la crise de l'ESB nous a été épargnée.

La deuxième étape importante a eu lieu en 1988, lors de la promulgation de la loi sur la protection des animaux, laquelle exige un meilleur environnement de vie pour les animaux et leur protection contre les maladies et les souffrances inutiles. Si un éleveur ne traite pas ou traite mal un animal malade, il est en infraction. S'agissant de l'espace de vie, intervenaient différents facteurs : la ventilation des locaux, la taille des boxes et l'autorisation administrative préalable de la construction de toute nouvelle porcherie ou étable.

La même année, en 1988, ont été interdites, sur décision des fédérations de l'industrie alimentaire, des laiteries et des producteurs d'aliments pour animaux, les farines animales et les farines de poissons. Je souligne encore la différence que nous faisons entre les farines animales et les farines de cadavres, lesquelles ont été interdites dès 1986.

Le syndicalisme paysan est très fort en Suède. Les laiteries, les abattoirs et l'industrie alimentaire font partie de cette coopération des paysans suédois. Du fait de cette appartenance au même grand groupe, les laiteries peuvent avoir des exigences très fortes à l'égard de l'alimentation animale. C'est ainsi qu'en 1988, les professionnels ont pris volontairement la décision de ne plus utiliser ni les farines de poissons ni les farines animales dans l'alimentation des vaches laitières.

La raison est éthique, car les vaches ne sont pas des carnivores. De façon naturelle, elles se nourrissent d'herbe et de produits végétaux, ce que ne sont pas les farines de viandes et de poissons. Nous avons estimé, sur des bases éthiques, qu'il n'était pas bon d'utiliser de tels produits pour les bovins.

De surcroît, s'agissant des farines de poissons, nous avions quelques préoccupations quant à la qualité du produit fini. En effet, les acides gras présents dans les farines de poissons pouvaient avoir un effet sur la qualité du lait produit par les vaches. A cette base éthique, s'est donc ajoutée une préoccupation plus technique à l'égard la qualité du produit fini.

Nous nous félicitons aujourd'hui de ces décisions volontaires de ne plus utiliser ces farines animales dans l'alimentation bovine, même issues d'animaux sains.

En 1988, nous avons également arrêté l'importation d'animaux vivants et de farines animales en provenance de Grande-Bretagne, en réaction à la crise de l'ESB qui touchait ce pays. Nous avions déjà reçu un certain nombre de rapports et d'informations sur les problèmes que rencontraient les Anglais, les soupçons qui tournaient autour de cette maladie de la vache folle et sur l'épidémie que cela pouvait engendrer.

Suite à la crise britannique, la législation suédoise a interdit en 1991 les protéines de ruminants pour les ruminants. Cette interdiction impliquait en pratique une interdiction de toute farine de viande et d'os dans l'alimentation des bovins.

Le même type d'interdiction a été introduit en 1994 dans l'Union européenne. En 1995, la Suède est devenue membre de l'Union européenne et, en vue de notre adhésion, nous avons mené des négociations avec la Communauté car notre législation, dans le domaine de l'alimentation animale, était plus exigeante que celle de l'Union européenne, du fait en particulier de l'interdiction de l'utilisation des antibiotiques dans un but de croissance et celle des farines de cadavres dans l'alimentation animale.

Nous avons donc bénéficié d'une exception de la législation de l'Union européenne. S'agissant des antibiotiques, lorsque cette clause d'exception a pris fin en 1998, nous avons fait appel à la clause de protection dans le cadre de la directive 70/24. De ce fait, nous avons toujours, en Suède, une interdiction totale de l'utilisation des antibiotiques dans un but de croissance.

La législation communautaire va dans notre sens. Aujourd'hui, cette directive n'autorise plus que quatre substances antibiotiques qui vont probablement être éliminées progressivement. Nous estimons que, dans quelque temps, il y aura, sur tout le territoire de l'Union européenne, une interdiction totale de l'utilisation des antibiotiques dans un but de croissance.

S'agissant de l'interdiction de l'utilisation des farines de cadavres, notre exception s'est terminée en 1997, mais nous avons néanmoins continué à l'appliquer. Au printemps 2001, cette interdiction sera vraisemblablement étendue au reste de l'Union européenne. Il nous avait été suggéré d'arrêter cette interdiction, mais on s'aperçoit aujourd'hui que nous avions eu raison de continuer à l'appliquer.

Nous avons aussi bénéficié d'une clause d'exception sur les taux de toxines dans l'alimentation animale. Dans le cas de l'aflatoxine, particulièrement toxique chez les vaches laitières car se transmettant dans le lait, nous exigeons des taux bien plus bas que dans le reste de l'Union européenne. Par ailleurs, nous n'admettons pas des teneurs en cuivre aussi importantes que dans le reste de l'Union européenne pour l'alimentation porcine.

Un certain nombre des exceptions dont nous avons bénéficié au moment de notre adhésion ont maintenant été reprises par la législation de l'Union européenne : c'est le cas, par exemple, pour l'utilisation des acides formiques dans la conservation des céréales ou l'étiquetage de la teneur en phosphore.

En 1995, l'industrie alimentaire suédoise a également pris des décisions volontaires en ce qui concerne les déchets à risque spécifié, à l'encontre desquels une décision a été prise dans l'Union européenne à l'automne 2000. Il s'agissait d'enlever les yeux, les amygdales et la cervelle de la chaîne alimentaire, ces organes ne pouvant être utilisés dans l'alimentation animale.

La dernière date que je souhaiterais citer est 1997, où l'industrie a pris la décision volontaire de ne plus utiliser la graisse animale dans l'alimentation pour les bovins.

En résumé, c'est à la fois par la législation et des mesures volontaires prises par l'industrie agroalimentaire suédoise que nous pensons avoir pu nous protéger contre l'épidémie d'ESB. Notre situation géographique a également pu avoir une influence, car la Suède se situe à la périphérie du reste de l'Europe.

Quant aux importations d'animaux, elles ont été généralement minimales, la seule importation qui a subsisté étant celle des animaux de reproduction. Dans les années 1980, seuls quatre-vingts animaux de reproduction ont été importés de Grande-Bretagne et, depuis 1995, seuls 149 bovins ont été importés en Suède, essentiellement du Canada et du Danemark.

Lors de la crise de l'ESB en 1996, les animaux de reproduction restant importés de Grande-Bretagne furent mis en observation, étant donné que nous étions conscients du problème à la lumière de la crise britannique. Ils ont été inspectés tous les six mois ; les derniers de ces animaux, qui ont donc été importés à la fin des années 1980, ont été abattus en 1997. Ils ont été autopsiés ; aucun d'entre eux n'était atteint d'ESB.

M. le Président : Nous vous remercions de toutes ces informations, qui nous éclairent sur les conditions dans lesquelles vous avez pris très tôt des mesures utiles et sur le caractère éthique de votre démarche.

M. le Rapporteur : Une question me vient à l'esprit. Lorsque vous abordez l'année 1988, au cours de laquelle les premières décisions seront prises, vous disposez de certains rapports. Pouvez-vous nous en indiquer l'origine et le contenu ?

Par ailleurs, je souhaiterais que vous nous donniez quelques précisions sur l'élevage en Suède. Quel est le rapport entre les vaches laitières et les races à viande ? Quels sont les rapports qui existent entre les différents ministères, celui de l'Agriculture, de la santé, de la Recherche ?

L'Union européenne a prescrit les tests sur les animaux âgés de plus de trente mois. Pratiquez-vous ces tests, bien que vous soyez protégés de l'ESB aujourd'hui ? Si oui, quel type de test utilisez-vous et quels sont les laboratoires dont vous disposez ?

Vous présidez pour six mois l'Union européenne. Chacun sait que vous souhaitez promouvoir une meilleure protection des consommateurs. Avez-vous d'ores et déjà des propositions précises et estimez-vous, dans le cadre de cette présidence européenne, qu'une réforme de la politique agricole commune soit devenue aujourd'hui indispensable ? Quelles sont vos propositions en ce domaine ?

Mme Anna TOFFTÉN : S'agissant des rapports qui existent entre les ministères, la situation est relativement simple en Suède. Les secteurs de la santé, de l'alimentation et de la protection des animaux relèvent tous du ministère de l'Agriculture. Le ministère de la Santé suédois est bien évidemment impliqué dans ces questions, en particulier du fait que la maladie de Creutzfeldt-Jakob est une maladie humaine. Toutefois la responsabilité finale de la chaîne alimentaire et des aliments revient à la ministre de l'Agriculture.

Nous avons également des autorités indépendantes sous tutelle du ministère de l'Agriculture, dont une autorité des produits alimentaires en charge de tout le domaine alimentaire. Cette autorité exerce sa mission par délégation du ministère et comprend un certain nombre d'experts. Nous avons également une autorité de l'agriculture en charge de l'industrie agroalimentaire, des déchets animaliers, etc. Ces deux autorités - produits alimentaires et industrie agroalimentaire - travaillent ensemble.

S'agissant des tests, la plupart d'entre vous ont connaissance du fait que nous bénéficions d'une exception : dans tous les Etats membres, hormis la Suède et la Finlande, des tests sont effectués sur des animaux de plus de trente mois au moment de l'abattage. En revanche, nous devons tester les animaux morts de mort naturelle ou abattus pour cause de maladie ou d'âge, avec une limite de trente mois pour les bovins.

La Suède a décidé de tester tous ces animaux, ce qui représente environ vingt mille animaux par an. Ces tests sont effectués par notre autorité d'experts vétérinaires qui a choisi la méthode Elisa, l'une des méthodes de tests proposées par l'Union européenne.

En ce qui concerne notre contribution pour une meilleure protection des consommateurs et une réforme de la politique agricole commune, en tant qu'Etat présidant l'Union européenne, notre ministre estime qu'il est important d'avoir une vision d'ensemble et de travailler dans le cadre de la réglementation existante. Beaucoup de travail reste à faire sur les maladies à prionss. Notre ministre estime essentiel que la réglementation touche l'ensemble du problème. Nous espérons également que la Commission proposera, au cours du printemps, une nouvelle directive zoonose pour traiter au moins le problème des salmonelles. C'est une étape que nous estimons très importante pour la santé publique dans toute l'Union européenne, puisque nous savons que nombre de pays rencontrent des problèmes avec les salmonelles. La Commission a proposé un livre blanc pour une législation alimentaire et un grand nombre d'autres mesures, ce qui est très positif. Nous estimons qu'il est important, en tant que pays président de l'Union européenne, d'_uvrer dans le sens d'une amélioration dans le domaine alimentaire.

S'agissant de la réforme de la politique agricole commune, la crise de l'ESB a certainement fait ressortir la nécessité de mener une réflexion sur la PAC, peut-être également sur un changement du système de subventions, ainsi que sur l'évolution du monde rural, etc. C'est un débat et complexe qu'il faudra sans doute mener longtemps avant d'aboutir à une solution.

M. Urban JOHNSON : J'apporterai un complément d'information sur la façon dont nous avons été informés de la crise de la vache folle qui commençait à s'étendre en Grande-Bretagne. En fait, nous avons reçu des rapports de notre ambassade en Grande-Bretagne, qui s'est préoccupée de ce problème dès son émergence en 1986. Ce problème était donc déjà connu en Suède, dès 1986, au niveau du gouvernement et de l'Etat. Je travaillais alors dans l'industrie laitière, et nous en discutions dès 1987-88.

Nous disposions d'informations provenant de la presse, mais également de notre ambassade. Même si l'ambassade n'avait pas de conseiller agricole à l'époque, certaines personnes, sans être experts en ce domaine, étaient en mesure de nous informer. La presse suédoise faisait déjà état de ce problème, dans les années 1980.

En ce qui concerne les vaches laitières et les races à viande, elles ont été traitées de la même façon à cause de l'ESB, la seule différence étant l'interdiction volontaire prise par l'industrie, en 1988, de ne plus utiliser de farines bovines dans l'alimentation des vaches laitières. En 1991, l'interdiction a été étendue à l'ensemble du cheptel bovin.

Je voudrais ajouter que la présidence suédoise estime qu'il est très important de travailler avec l'autorité alimentaire qui sera créée et qui sera appelée à jouer un rôle fondamental.

M. le Président : Quelle est la répartition du cheptel entre les races à viande et les races laitières ?

M. Urban JOHNSON : Je ne dispose pas des chiffres exacts, mais la production laitière est prédominante en Suède. Quant aux races à viande, ce sont les veaux issus de la production de vaches laitières.

M. Alain GOURIOU : Madame Tofftén a cité 1986 comme étant la date d'interdiction des farines animales. Quelle est leur origine : cadavres ou farines produites à partir d'abats, d'animaux sains ou de poissons ? Est-ce à dire que les producteurs suédois utilisaient couramment ces farines animales avant cette date ?

Quelle est la part actuelle des importations de viande dans la consommation suédoise ? Quels sont les pays d'où proviennent ces importations ?

Pour les importations d'animaux vivants, vous avez cité le Canada et aussi le Danemark, qui a connu quelques cas d'ESB. Dans un certain nombre de pays européens qui étaient restés jusqu'alors à l'abri de l'ESB, des recherches et des tests systématiques ont fait apparaître quelques cas. La Suède n'a-t-elle réellement connu aucun cas d'ESB ?

M. Urban JOHNSON : Nous n'avons connu, en Suède, aucun cas d'ESB. Avant 1995, nous avons importé des animaux vivants, mais de façon extrêmement limitée, l'essentiel de notre production provenant de Suède. Quant à la viande, la Suède a une faible part dans la production européenne de viande et sa consommation ne représente que 1 à 2 % de la consommation totale dans l'Union européenne. Les importations en provenance d'autres pays de l'Union européenne ne représentent que 1,8 % de notre consommation.

Nos exportations vers d'autres pays européens ont été quasi inexistantes ces dernières années. Actuellement, comme nous ne testons pas les animaux de plus de trente mois, nous n'exportons pas. Nos exportations vers des pays tiers, c'est-à-dire en dehors de l'Union européenne, sont insignifiantes, comme nos importations de pays tiers, qui représentent environ 2 % de notre consommation totale.

J'en profite pour souligner que la crise de l'ESB n'a pas eu d'incidence particulière sur la consommation de viande en Suède, contrairement au reste de l'Union européenne. La consommation de viande suédoise a plutôt augmenté, alors que la consommation de viande provenant de pays membres a diminué.

En revanche, nous avons davantage d'importations provenant de pays tiers, en particulier d'Amérique du Sud. Mais notre commerce de viande, en importation ou en exportation, peut être considéré comme négligeable car c'est principalement de la viande suédoise qui est consommée en Suède.

L'interdiction des farines de cadavres, c'est-à-dire les farines animales fabriquées à partir d'animaux morts de mort naturelle ou abattus parce qu'ils n'étaient pas sains, a été introduite en 1986. Avant cette date, elles étaient autorisées en Suède, comme elles l'ont été, jusqu'à il y a très peu, dans le reste des pays membres. C'est seulement en 1991 que nous avons introduit l'interdiction de farines provenant d'animaux sains dans l'alimentation des bovins, comme cela est maintenant appliqué dans le reste de l'Union européenne.

M. Alain GOURIOU : Cela signifie que vous n'utilisez plus, dans les élevages, y compris l'aviculture et les élevages porcins, aucune farine animale.

M. Urban JOHNSON : Depuis 1986, les farines de cadavres ne sont plus utilisées. Ensuite, nous avons utilisé les farines animales provenant des abattages d'animaux sains. Celles-ci ont été interdites en 1991 pour les bovins, mais ont continué à être utilisées pour les porcs et les volailles. Nous estimons que l'utilisation de ces farines animales est justifiée, si elles sont de bonne qualité, c'est-à-dire fabriquées à partir d'animaux sains, pour l'alimentation des porcs et des volailles puisque, dans la nature, les porcs et les volailles sont omnivores. Il n'y a donc aucune raison d'interdire des farines animales de bonne qualité et saines.

M. Alain GOURIOU : Pour autant, cela n'a pas été l'avis du gouvernement français. La Suède a-t-elle eu des cas de nouvelle variante de Creutzfeldt-Jakob ?

Mme Anna BLOCK MAZOYER : Nous n'avons eu aucun cas d'ESB et aucun cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, nouvelle variante.

M. le Rapporteur : Je suppose que, même si elles sont interdites, ces farines de cadavres existent. Comment les traitez-vous ?

M. Urban JOHNSON : Elles ont été utilisées, en Suède, dans les élevages d'animaux à fourrure - renards et visons - mais elles sont maintenant également interdites pour ces animaux. Cette interdiction est entrée en vigueur en 1997. Ensuite, ces farines de cadavres ont été exportées, toujours dans le cadre des élevages d'animaux à fourrure, en Finlande et vers les Pays Baltes, dont les productions d'animaux à fourrure sont très importantes. Actuellement, cette exportation est également interdite. Aujourd'hui ces farines de cadavres ne peuvent être utilisées et doivent être incinérées.

M. Pierre HELLIER : Vous avez fait une distinction très claire entre farines de cadavres et farines issues de déchets de viande destinés à la l'alimentation humaine ou de viande réputée saine. Actuellement, vous n'autorisez plus, dans votre pays, aucun type de farines animales, même celles issues de déchets de l'alimentation humaine, par exemple. J'aimerais que vous me confirmiez ce point.

M. Urban JOHNSON : Aujourd'hui nous n'en utilisons plus aucune en raison de l'interdiction temporaire. Il est vrai que nous n'utilisions déjà plus les farines animales saines pour les bovins. Dans le passé, elles ont été utilisées pour les porcs et les volailles.

M. Pierre HELLIER : S'il n'y a pas d'interdiction généralisée d'utiliser ce type de farines ne provenant pas de cadavres ou d'animaux suspectés malades, la Suède envisagera-t-elle d'utiliser ces farines animales ?

M. Urban JOHNSON : La réponse est oui. En l'absence d'une interdiction généralisée, si les mesures nécessaires sont prises par l'industrie des aliments pour animaux et que l'on s'assure qu'il ne peut y avoir de contamination de l'alimentation destinée aux bovins, nous pouvons alors envisager l'utilisation de farines saines pour les porcs et les volailles.

M. François DOSE : Avant la décision de restreindre, en vertu du principe de précaution, les importations d'animaux en provenance d'autres pays comme le Danemark et le Canada, celles-ci étaient relativement importantes. La France était-elle présente dans vos importations ? Nous aimerions savoir si la filière professionnelle a eu connaissance, à un moment donné, du fait que la Suède n'acceptait plus les animaux de France parce que vous deveniez vigilants et que vous éprouviez quelques inquiétudes.

M. Urban JOHNSON : Il n'existe aucune interdiction formelle pour l'importation d'animaux en provenance de France, mais cela ne s'est pas produit depuis des années. La dernière importation, dont je ne puis vous donner la date précise, remonte à très longtemps. C'est aux producteurs ou aux fédérations professionnelles de décider s'ils veulent importer des animaux de France ou pas. Ce sont eux qui décident d'où les animaux seront importés.

Je rappellerai que la production laitière est beaucoup plus importante en Suède que celle des races à viande. Nous importons principalement des animaux de reproduction pour produire des vaches laitières.

M. le Rapporteur : Je souhaiterai obtenir une précision concernant les farines. En France, les farines ont été interdites pour les bovins en 1990 et pour les ruminants en 1994, mais des problèmes de contamination croisée, liés notamment au transport des différentes catégories d'aliments pour animaux, ont souvent été évoqués. Les farines animales de cadavres doivent être transportées pour destruction. En matière de transport, des précautions sont-elles prise en Suède pour que les transporteurs ne chargent pas les deux types de farines ? Il suffit de rappeler la faible dose nécessaire pour la contamination. Si le transport n'était pas assuré par les mêmes sociétés, le risque de contamination disparaîtrait.

M. Urban JOHNSON : Nous avons constaté qu'il existe des risques de mélange de farines animales dans l'alimentation des bovins. Aujourd'hui, il est interdit de les utiliser pour tous les animaux, mais il nous est arrivé, après analyse, d'en trouver des traces dans l'alimentation destinée aux bovins. C'est un véritable problème.

Si nous réintroduisons les farines animales saines pour les animaux producteurs alimentaires autres que les ruminants, nous devrons prendre des mesures extrêmement strictes. Nous exigerons que le fabricant ne produise pas les deux types de farines dans la même usine, pour éviter toute contamination de l'alimentation des bovins. De plus, nous nous assurerons que les deux types de farines ne sont pas entreposés dans les mêmes silos ou transportés dans les mêmes camions.

La production d'aliments pour animaux en Suède est déjà soumise à des règles très strictes. Les silos ne sont jamais les mêmes. Cela est vrai d'amont en aval, de la fabrication jusqu'à la ferme. Nous devons à nouveau analyser la situation et nous assurer que la contamination ne peut se produire, mais en Suède les choses sont déjà bien séparées.

Notre autorité agricole, qui travaille sous la tutelle du ministère, procède régulièrement à des contrôles chez les producteurs d'aliments. L'avantage de la Suède est d'être un petit pays, avec un nombre limité de fabricants d'aliments pour animaux. Peut-être est-ce plus facile pour nous d'exercer un contrôle, mais nous sommes déterminés à faire le nécessaire pour éviter toute contamination.

Nous avons également une organisation publique de vétérinaires de district, qui ont la possibilité, dans les fermes, de faire appliquer les décisions nationales par l'éleveur. Des vétérinaires répartis dans tout le pays peuvent effectuer ces inspections.

M. le Président : Concernant les tests systématiques sur les animaux de plus de trente mois - que vous ne faites pas - un certain nombre de pays ont détecté des cas d'ESB. Ils ne les ont donc détectés que lorsqu'ils ont commencé à les chercher. Quels sont les éléments qui vous incitent à maintenir ce refus d'effectuer du dépistage systématique de l'ESB sur les bovins de plus de trente mois ?

M. Urban JOHNSON : Tout d'abord, selon l'évaluation des risques géographiques effectuée au sein du comité scientifique par les experts, la Suède, l'Autriche et la Finlande ont été classées dans la catégorie de risque 2. Cela signifie que nous sommes parmi les Etats membres dans lesquels il y a le moins de risques d'ESB. C'est dû à la législation mise en place, aux mesures prises, ainsi qu'à la modestie de nos importations et exportations. De surcroît, nous avons importé en Suède très peu d'aliments pour animaux. Nous avons importé des matières premières, en général végétales, comme le soja, mais quasiment aucun aliment composé. C'est la raison pour laquelle le risque a été évalué à un niveau très faible en Suède.

De plus, comme Mme Tofftén l'a rappelé, nous avons analysé tous les animaux qui pourraient se trouver dans la zone à risque la plus importante, c'est-à-dire les animaux malades âgés de plus de trente mois. Puisque nous avons un risque si limité, c'est parmi ces animaux à risque que nous sommes susceptibles de constater l'existence de cas d'ESB. Nous estimons qu'il est suffisant de procéder à des tests sur ces animaux à risque, soit vingt mille animaux par an. Nous testons donc les animaux à risque âgés de plus de trente mois, mais pas tous les animaux âgés de trente mois.

M. François DOSE : Nous avons senti, au travers de vos interventions, qu'en Suède le débat a été parfois d'ordre éthique, pas toujours de caractère économique et technique. Avez-vous ce même débat sur les OGM ?

Mme Anna TOFFTÉN : Oui. En Suède, surtout chez les consommateurs, il y a l'expression d'une grande inquiétude et d'une grande prise de conscience vis-à-vis des OGM. Les consommateurs exigent un étiquetage extrêmement précis et la possibilité du libre choix vis-à-vis des produits OGM de façon que le consommateur puisse savoir ce qu'il mange.

La crise de l'ESB et l'interdiction des farines animales saines ont également conduit à un débat sur le soja génétiquement modifié dans l'alimentation animale. C'est quelque chose que les Suédois ne veulent pas. C'est un débat extrêmement vivant en Suède. Les associations de consommateurs et le public expriment, de façon très claire, leur grande conscience sur ces questions.

M. François DOSE : Vous refusez depuis une décennie les farines carnées, que vous ne remplacez pas par les produits OGM. Quels types de substitution utilisez-vous alors ?

M. Urban JOHNSON : Nous avons utilisé les farines animales saines pour les porcs et les volailles jusqu'en décembre 2000, date de l'interdiction généralisée des farines édictée par la Communauté européenne. L'industrie de production des aliments pour animaux s'est aussi volontairement engagée à ne pas importer en Suède de soja génétiquement modifié. On ne peut jamais être certain que le soja génétiquement modifié n'entre pas dans le pays.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-François HERVIEU,
président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture

et de M. Daniel GREMILLET,
président de la chambre d'agriculture des Vosges

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Jean-François Hervieu et Daniel Gremillet sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jean-François Hervieu et Daniel Gremillet prêtent serment.

M. Jean-François HERVIEU : J'ai souhaité être accompagné par M. Daniel Gremillet, Président de la Chambre d'agriculture des Vosges. Pendant les six années de notre mandat, M. Gremillet a présidé les établissements départementaux d'élevage au niveau national, où il a pu suivre les questions que pose l'usage des farines animales. Il est, en outre, représentant d'un département qui a connu des problèmes dans ces domaines.

Les difficultés que nous connaissons aujourd'hui résultent malheureusement de l'absence des décisions nécessaires dans certains pays, depuis une bonne dizaine d'années. Je n'insisterai pas sur les dates, que vous connaissez. Je rappelle simplement que c'est en juillet 1988 que le Royaume-Uni a pris pour la première fois une décision de première importance, en interdisant l'usage des farines de viande et d'os pour les ruminants. La France a émis un avis interdisant l'importation sur le territoire national des farines animales originaires du Royaume-Uni en août 1989, soit une année après. Ce n'est qu'en décembre 1989 que cet avis aux importateurs a été étendu aux produits venant d'Irlande, car on pensait à l'époque que des produits transitaient par ce pays. C'est en juillet 1990 que la France a interdit l'utilisation des farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins et en juillet 1994 que l'Europe, à son tour, a interdit l'utilisation de ces farines dans l'alimentation des ruminants.

En 1996, la « bombe a explosé » car, si le problème était connu des spécialistes et des décideurs, il était largement inconnu du public et des consommateurs. Nous sommes intervenus dès cette date sur la question, qui sera développée par Daniel Gremillet, de l'étiquetage des farines. Cinq ans après et, alors que le problème a pris de l'ampleur, nous pensons que les éleveurs sont aussi pénalisés que peuvent l'être les consommateurs à l'autre bout de la chaîne. Dès cette époque, nous avons voulu que les producteurs aient une connaissance précise des éléments nutritifs qu'ils pouvaient donner à leur bétail. Or, il est clair que l'étiquetage dont nous disposions alors et que nous avons toujours ne donne pas de façon claire les informations minimales que tout utilisateur d'un produit est en droit de disposer lorsqu'il l'achète.

C'est pourquoi, dès 1996, nous sommes intervenus auprès des autorités ministérielles françaises, des différentes directions du ministère de l'Agriculture, et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), comme auprès des autorités de Bruxelles pour demander que les règles d'étiquetage soient modifiées de telle sorte qu'elles procurent une information claire et transparente. Nous avons entrepris cette même démarche auprès des deux fédérations nationales de fabricants d'aliments du bétail et auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. Ces démarches avaient pour but d'éviter que les éleveurs ne soient amenés, contre leur volonté, à acheter des aliments contenant des éléments qu'ils ne voulaient pas donner à leurs animaux.

Nous avons vainement attendu des réponses à ces demandes. De surcroît, nous déplorons des dysfonctionnements, puisque des décisions auraient dû être prises, peu après juillet 1988, date à laquelle le Royaume-Uni a pris sa décision d'interdire les farines, tout en continuant à les exporter. La décision de la France de les interdire n'est intervenue qu'en août 1989, soit plus d'une année après. De même, nous nous interrogeons sur la cessation effective des importations de farines britanniques, comme sur la non-communication de certains chiffres par les Douanes françaises. Avec votre autorisation, je souhaiterais maintenant céder la parole à Daniel Gremillet.

M. Daniel GREMILLET : En complément des propos du Président Jean-François Hervieu, j'indiquerai, en ma qualité de responsable des éleveurs à l'APCA, que nous avons eu à traiter dès 1996 du délicat problème de l'information sur les faits, celle des scientifiques, mais aussi celle dont disposaient les éleveurs.

Je dispose ici d'étiquettes d'aliments qui proviennent de mon élevage, comme d'autres élevages français. Ces étiquettes sont conformes à la réglementation française. Pour vous éclairer sur les difficultés et le travail que nous avons tenté de réaliser depuis cette époque, je voudrais vous en lire deux. La première remonte au 2 décembre 1992 ; pour un aliment destiné aux vaches laitières, il était indiqué :

« Catégories d'ingrédients : coproduits des céréales, coproduits de sucrerie, tourteaux et produits azotés végétaux, céréales et amylacés, produits cellulosiques, substances minérales. ».

Je vous livre maintenant les indications figurant sur une étiquette de 1999 :

« Produits et sous-produits de graines oléagineuses, produits et sous-produits de graines de céréales, produits et sous-produits de fabrication du sucre, prémélanges, minéraux ».

Donc, en tant qu'éleveurs, nous ne connaissons pas les ingrédients qui entrent dans la composition des aliments de nos animaux. À aucun moment, ne figurent sur les étiquettes les ingrédients que nous pourrions retrouver dans une livraison destinée à notre exploitation ou le mélange qui pourrait être provoqué au moment du stockage, de la fabrication ou de la livraison par les reliquats d'aliments qui restent dans les camions.

En 1996, les présidents et directeurs d'établissements d'élevage de tous les départements français se sont réunis, après un travail préalable au sein d'une commission « élevage ». Nous avions souhaité obtenir une modification de l'étiquetage et, à ce titre, nous avions pris plusieurs initiatives : la première, pour demander aux fabricants, privés et coopératifs - nous avions organisé une réunion avec les présidents du SNIA et du Syncopac - qu'ils modifient l'étiquetage, pour permettre une information sur la totalité des ingrédients présents dans les aliments pour bétail. Je précise bien « la totalité des ingrédients ». Il ne s'agissait pas pour nous de connaître les pourcentages entrant dans la composition des aliments ; nous ne demandions pas que soient dévoilés les secrets de fabrication, car, lorsque nous demandions la transparence totale, on nous opposait les secrets de fabrication. La connaissance de la totalité des ingrédients incorporés ne revient pas à dévoiler la formule. Cela ne coûte pas un centime en termes analytiques, puisqu'il s'agit simplement d'indiquer les matières entrées dans l'alimentation livrée ou susceptibles d'entrer du fait d'une contamination croisée.

J'insiste sur cet aspect des choses pour vous montrer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. M. Hervieu a évoqué les actions que les éleveurs ont lancées dès 1996, avant que le département des Vosges ne connaisse un premier cas d'ESB en l'an 2000.

En 1996 et 1997, nous avons également adressé un courrier au ministère de l'Agriculture pour demander une modification de la réglementation sur l'étiquetage. Nous avons mené la même démarche au niveau communautaire, car il ne faut pas oublier que les règles communautaires n'obligent pas à indiquer sur l'étiquette la totalité des ingrédients. Il est important de vous le dire, dans la mesure où, en 1996, dès lors qu'ils ont appris, dans un premier temps par les médias, puis par les scientifiques que la multiplication du nombre de cas d'ESB au Royaume-Uni, était due à l'alimentation, les éleveurs ont voulu savoir si l'alimentation avait été, à un moment donné, contaminée par des farines de viande anglaises.

La mise en _uvre du marché unique pose, par ailleurs, un problème spécifique. Selon les informations que nous avons reçues, les différentes administrations ont rencontré des difficultés pour vérifier ce qui pouvait sortir d'un pays pour entrer dans un autre, notamment en provenance du Royaume-Uni. Le ministre de l'Agriculture et le directeur de la DGCCRF ont confirmé récemment devant le tribunal de Créteil, qu'une farine quittant le sol anglais et arrivant en France devenait farine française ; lorsque cette farine arrive en Belgique ou aux Pays-Bas, elle devient farine belge ou néerlandaise. C'est dire que nous n'avions pas de traçabilité des matières premières.

En 1996, les éleveurs du département des Vosges ont souhaité connaître la composition des aliments achetés et payés au cours de la période 1990-1996, puisque l'on sait aujourd'hui que les animaux à risques sont surtout ceux des années 1993, 1994 et 1995, les trois années qui forment un pic du point de vue du nombre de cas révélés.

Nous étions quatorze éleveurs à demander à nos différents fabricants la composition des aliments ; mais nous n'avons pu l'obtenir et nous avons saisi le juge des référés pour connaître cette composition. À ce jour, au 13 février 2001, je ne connais toujours pas la composition des aliments que j'ai achetés au cours de la période 1990-1996. Je verse cet élément au débat, car il est important. Des éleveurs ont voulu connaître, en toute transparence - sans accuser, puisque nous avons choisi une juridiction civile - la composition des aliments. Quatre ans après, nous ne sommes toujours pas en possession des informations demandées.

M. Jean-François HERVIEU : Nous avons approuvé l'interdiction totale des farines animales pour l'ensemble du territoire et l'ensemble des espèces, adoptée par la France en novembre 2000. Cette initiative, reprise récemment par l'Union européenne, était nécessaire, même si elle ne paraissait pas totalement justifiée techniquement. En tout cas, sur un plan psychologique, elle était indispensable pour répondre à la tension de l'opinion publique, pour laquelle l'utilisation des farines carnées est le symbole d'un « productivisme poussé à outrance », expression employée à tort et à travers. Par ailleurs, c'était une façon indiscutable de répondre aux phénomènes de contaminations croisées, puisque, chaque fois qu'un cas de vache folle a été révélé, le commentaire qui en accompagnait l'annonce faisait référence à la probable utilisation d'un mélange ou de contaminations croisées résultant de la fabrication, du transport ou du stockage des farines.

Il convient de préciser que cette mesure radicale d'interdiction est aussi le reflet de carences des pouvoirs publics en matière de contrôle des fabrications et des circuits de commercialisation des aliments. Nous pensons qu'une plus grande vigilance en ce domaine aurait permis d'appréhender le risque de contaminations croisées beaucoup plus tôt. L'interdiction générale reflète aussi une carence de communication vis-à-vis du grand public, qui reste toujours désarçonné par la multitude d'informations et le manque transparence des informations.

Chacun est conscient du problème que pose actuellement l'interdiction des farines, que ce soit sur le plan financier - il faudra cinq milliards de francs pour les éliminer - sur le plan environnemental, social ou encore de notre indépendance protéique. Si vous le souhaitez, nous reviendrons sur les difficultés qu'engendre cette dépendance protéique, car s'il est normal de revendiquer notre capacité de produire des protéines, il est assez difficile, en l'état actuel des choses, d'y parvenir. Il faut à cet égard une évolution, voire une révolution dans les décisions communautaires.

L'interdiction des farines a été prise pour un temps déterminé. Sur le plan des principes, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions éternellement interdire l'utilisation des farines animales pour les monogastriques. Cela étant dit, il faut être appuyé par les réseaux scientifiques et par l'AFSSA. Il ne faut pas nier que le fait de réintroduire à bref délai les farines animales dans le circuit des animaux monogastriques, même si toutes les précautions étaient prises pour séparer totalement la fabrication, le transport, le stockage de ces aliments par rapport à ceux utilisés par les ruminants, serait aujourd'hui un facteur supplémentaire de confusion dans l'esprit des consommateurs.

Dans quelques mois ou années - plus probablement dans quelques années -, quand la question de l'ESB sera réglée et que le débat avec les consommateurs et l'opinion publique aura été conduit dans de bonnes conditions, on pourra de nouveau recourir aux farines, car il est probable que leur destruction ou leur affectation à d'autres usages seront particulièrement onéreuses pour l'économie française et pour la filière en particulier.

M. Daniel GREMILLET : Nous sommes confrontés à un problème spécifique à l'alimentation des bovins. Du fait de la politique européenne, nous sommes très largement dépendants de l'extérieur pour notre approvisionnement en protéines végétales. Un éleveur qui voudrait produire des protéines, quelle que soit sa région, connaîtrait de grandes difficultés.

Les moyens scientifiques de recherche sur les variétés et les cultures herbagères ont été largement insuffisants par rapport à ce qui a pu être développé dans d'autres secteurs de productions végétales. Aujourd'hui, que l'on soit dans le nord, dans le sud ou dans le centre de la France, on connaît une pénurie, voire une inadaptation des semences fourragères répondant aux besoins alimentaires des bovins. Je dis cela, car un bovin, comme tout être vivant, a besoin d'énergie et de protéines en fonction de ce qu'il fait, de ce qu'il réalise. Pour grandir, il a besoin de richesses alimentaires ; il en va de même pour la production de lait ou de viande. Or, l'Europe et notamment la France ont la capacité de produire des protéines. Il faut donc _uvrer pour retrouver, non peut-être une indépendance, mais tout au moins des capacités de production de protéines beaucoup plus en rapport avec les besoins effectifs du cheptel.

Je confirme le propos de notre Président : si l'introduction, même à niveau très faible, de farines animales dans l'alimentation, parfois même à l'insu des éleveurs, puisque cela ne figure pas sur l'étiquette, est difficilement compréhensible pour le consommateur et le citoyen, il peut être tout aussi dangereux pour l'avenir d'empêcher des espèces qui, naturellement, ont besoin de produits carnés, de ne retrouver que ce qu'elles consommeraient à l'état naturel si ces animaux étaient en liberté.

Aujourd'hui, nous souhaitons obtenir des certitudes scientifiques sur le traitement des éléments qui pourraient entrer dans la production de farines, lesquelles seraient uniquement destinées aux monogastriques. Que mon propos soit bien compris : pour les bovins, c'est à jamais terminé. En second lieu, nous demandons que les activités de transformation et de fabrication soient réalisées dans des sites contrôlés de telle sorte que l'on puisse être sûr que l'intérêt économique ne poussera pas certains à ne pas chauffer les préparations aux températures exigées par la réglementation.

Autre point qui nous paraît essentiel : on ne peut relancer ce type de production si l'on n'a pas au préalable la certitude, que ce soit dans les stockages ou dans la fabrication, que tout risque de contaminations croisées, donc des mélanges possibles avec d'autres produits, est écarté. Cela implique des usines spécialisées et des livraisons spécialisées avec les conséquences que cela entraîne aujourd'hui pour l'alimentation du bétail. Il existe très peu d'usines spécialisées dans les départements français. Cela fait partie de nos exigences d'éleveurs : réintroduire pour des espèces qui en ont besoin l'utilisation des farines de viande suppose ce type de décision.

Dernier point : tout doit se faire dans la transparence qui, pour nous, ne peut passer que par l'étiquetage : l'étiquetage pour l'agriculteur, l'étiquetage pour le citoyen. On doit, à tout moment, sécuriser la production et les différentes étapes de la transformation.

M. Jean-François HERVIEU : Dans le droit-fil des propos précédemment tenus, il convient de rappeler quelques chiffres, pour écarter l'impression que l'on n'a fait manger que des farines de viande aux animaux. Les besoins en protéines en Europe s'élèvent à cinquante millions de tonnes d'équivalent de tourteaux de soja. Sur ces cinquante millions de tonnes, nous en importons trente millions. En consommation, les farines de viande représentent 2,3 millions de tonnes. Par rapport à l'ensemble des farines consommées, la farine de viande représente environ 4 à 5 % et la farine de viande représente 1 % de la consommation alimentaire d'un animal.

Il convient de savoir si nous devons essayer de produire ces 2,3 millions de tonnes ou si nous devons les importer. M. Fischler, dans un premier temps - sa position a évolué depuis - a déclaré qu'il fallait importer 33 millions de tonnes de soja, au lieu de 30 et qu'ainsi le problème serait réglé. Réponse facile, mais qui nous semble assez dangereuse. Actuellement, nous ne produisons en Europe que 30 % environ de nos besoins en protéines. Si nous importons 3 millions de tonnes supplémentaires, nous ne couvrirons que 25 % de nos besoins et nous dépendrons pour trois quarts de protéines importées, ce qui est considérable.

On ne peut cacher que la mise en place d'un « plan protéines » poserait quelques difficultés, car nous nous situons dans le cadre de réglementations et d'accords internationaux. Sur le plan international, je rappelle que, lorsque les premiers éléments de protection de la Communauté européenne furent élaborés dans l'Europe des Six avec M. Pisani, ministre de l'Agriculture, les pays avaient négligé de traiter la question des aliments du bétail ; en 1960-1962, l'importation des aliments du bétail était quelque chose de relativement secondaire et cet élément n'avait donc pas été pris en compte. La porte de l'extérieur était donc beaucoup plus largement ouverte dans ce secteur que dans les autres.

Nous sommes donc extrêmement dépendants des pays tiers dans ce domaine. Lorsque les États-Unis, en 1974 ou 1975, ont bloqué leurs exportations de soja parce qu'ils avaient eu une mauvaise récolte, l'Europe, et donc la France, se sont retrouvés en situation de pénurie. Il a fallu faire face. C'est pourquoi nous avons utilisé plus largement les farines de viande. Nous sommes aujourd'hui dans un système où les portes ont été ouvertes et où il est difficile, par rapport à nos concurrents ou pays exportateurs au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, de bloquer ou d'empêcher les importations. On revient au problème des accords qui se concluent de façon plus ou moins aisée. Il faudrait obtenir un accord sur la mise en place d'un système de garanties pour les producteurs de matières protéiques en Europe ; s'il existe un plancher pour les céréales, il n'en existe pas pour les matières protéiques. Cela permettrait, comme le pratiquent les États-Unis avec leur marketing loan, d'instaurer une protection minimale pour les producteurs, tant il est vrai qu'il n'existe pas de plancher pour le prix des produits sur le marché international. Une autre solution consisterait à prévoir une aide complémentaire à l'exploitation agricole en fonction de critères agronomiques ou environnementaux. Elle pourrait être prise dans le cadre du « deuxième pilier » de la PAC. Il convient de travailler en ce sens, malgré les difficultés liées aux limites du budget communautaire.

Suffirait-il d'augmenter la prime à l'herbe ? C'est une position que l'on entend exprimer un peu partout. Sur le principe, pourquoi pas ? J'indique toutefois qu'augmenter la prime à l'herbe dans la Communauté européenne pose deux types de difficultés : la première est celle de l'équilibre actuel entre les grandes cultures, et plus particulièrement les céréales autoconsommées - le maïs, le fourrage et l'herbe - et les retours financiers pour chacun des pays. Lorsqu'on dit que l'on va aider l'herbe, en fait, il faut voir globalement l'ensemble des productions ; les productions végétales et l'ensemble des soutiens animaux, car l'accord de Berlin passé en 1999 a été le fruit d'une négociation très difficile avec l'Allemagne, premier contributeur net au budget communautaire. L'Allemagne bénéficie de retours financiers moins élevés que ceux de la France - retours liés aux productions extensives de vaches allaitantes et aux productions à l'herbe - puisqu'elle compte moins de surfaces herbagères que la France. C'est donc une question qu'il faut réexaminer, ce qui ne sera pas aisé, avec nos partenaires, l'Allemagne en particulier, pour que les retours s'opèrent de façon à peu près équilibrée dans chacun des pays.

Actuellement, le soutien aux productions animales consenti par l'Europe s'élève à environ 46 milliards de francs. Le retour vis-à-vis de l'Allemagne est de 13 %, contre 25 % pour la France. L'Allemagne évalue ce que lui coûte la politique agricole commune, l'Europe en tant que telle, par rapport à sa population et à ses ambitions. Il y a donc nécessité de revoir l'ensemble du problème. Il s'agit d'une négociation longue et difficile entre les Quinze, si nous voulons rééquilibrer les financements entre les différents pays et les différentes productions, de sorte que la France puisse favoriser davantage les productions extensives et les productions à l'herbe.

L'objectif français est clair : c'est celui que nous défendons à l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture et vis-à-vis des instances politiques. Nous sommes néanmoins assez isolés dans notre démarche par rapport aux autres pays européens. Ne pouvant compter sur des aides communautaires, nous devrons probablement obtenir l'autorisation de financements nationaux, qui sont susceptibles de remettre en question le fondement même de l'agriculture européenne, qui doit être unitaire.

M. le Rapporteur : Si vous le permettez, nous allons étendre le débat au-delà de l'alimentation animale, puisque l'objet de notre commission d'enquête est plus large. Je ne reviens pas sur le remplacement des farines. Je ne suis pas sûr que l'on puisse les rétablir aussi rapidement pour les monogastriques, même si je partage votre sentiment. Il convient de prendre en compte l'état d'esprit, dans cette crise qui, à certains égards, dépasse l'entendement. En 1996, la crise a été vive. J'ai relu les déclarations de cette époque. Elles sont identiques à celles d'aujourd'hui. Qu'est-ce qui a manqué entre 1996 et 2000 pour éviter cette nouvelle crise ? Lorsqu'on lit l'excellent rapport de notre collègue Mattei, on est en droit de se demander pourquoi l'on rechute de cette façon et plus durement encore.

Les Chambres d'agriculture jouent un rôle important en matière d'identification et de traçabilité. Or, aujourd'hui, la traçabilité même est remise en cause, ne serait-ce qu'entre l'arrivée et la sortie de l'abattoir. Que pourrait-on dire aujourd'hui pour rassurer entièrement le consommateur ? Aujourd'hui, l'un des gros problèmes de nos éleveurs, notamment pour les broutards ou les taurillons, tient à l'exportation, qui est malheureusement en panne. Ne peut-on porter un regard critique sur la filière dans son ensemble, dont les éléments sont cloisonnés et entre lesquels la communication fait défaut ? Ne faudrait-il pas imaginer une structure qui puisse suivre tout le processus, comme l'avaient écrit certains, « du pré à l'assiette » ?

J'éprouve quelques inquiétudes. Je continue à acheter ma viande chez mon boucher. Je constate que le prix de la viande à la consommation chez le boucher augmente. D'aucuns préconisent de faire du label, de la qualité. Je suis assez d'accord. Mais, maintenir l'idée du label et de la qualité implique dans le même temps qu'il existe une viande de qualité et une autre de mauvaise qualité et, dès lors, une viande à risque et une viande qui ne l'est pas. Je reste persuadé que le muscle n'est pas dangereux aujourd'hui - qu'il y ait un label ou non. Ne risque-t-on pas d'arriver à une situation où existerait une viande pour les riches et pour eux seuls ? Tout le monde ne peut acheter du faux-filet à 130 francs le kilo. N'y a-t-il pas danger à ne parler que de labels pour le consommateur ?

Dans un autre ordre d'idées, que pensez-vous de la mesure consistant à abattre tout le troupeau au sein duquel un cas d'ESB a été détecté ? Doit-on écarter systématiquement les bêtes accidentées de la chaîne alimentaire ?

Enfin, parmi les propositions présentées par le Gouvernement dans le cadre de la loi d'orientation agricole, figurent les CTE à l'herbe simplifiés. S'agit-il d'une mesure qu'il faut soutenir ? Je dis cela car vous avez évoqué l'augmentation de la prime à l'herbe. Je me souviens combien fut difficile l'instauration de la prime à l'herbe, à l'époque où M. Soisson était ministre de l'Agriculture. Quelle appréciation portez-vous enfin sur les mesures actuelles de soutien au marché ?

M. Jean-François HERVIEU : Entre 1996 et 2000, beaucoup a été fait, si bien que la consommation de viande bovine était revenue en octobre 2000 au niveau de 1996 et même à un niveau légèrement supérieur. Les efforts de la filière avaient donc permis de redonner globalement confiance aux consommateurs, en grande partie grâce à l'identification et à la traçabilité. Je pense que M. Gremillet, puisque cela relève de sa responsabilité, vous en dira quelques mots. En effet, c'est principalement sous la responsabilité des Chambres d'agriculture que le dispositif a été mis en place.

Sur le plan de la communication, beaucoup a été fait. Il n'en reste pas moins qu'un dysfonctionnement est à relever. La réglementation communautaire du chauffage des farines - le triptyque température-pression-durée -, date de 1996. Or, la décision ne fut appliquée en France que deux ans plus tard, en 1998. Pourquoi ce délai entre les deux décisions ? C'est regrettable. En revanche, une mesure a été positive, bien qu'elle ait constitué une source d'inquiétude pour les consommateurs - c'est là, je crois, un problème d'information, toujours très difficile à faire passer et je n'accuse personne - le ministère de l'Agriculture a lancé une campagne de tests auprès des animaux à risques, c'est-à-dire des animaux qui n'avaient pas les symptômes de la maladie, mais qui, compte tenu des régions où ils se trouvaient et de leur état sanitaire, risquaient de contracter la maladie. Nous avons détecté de nouveaux cas, ce qui était normal.

Mais on a rapporté le nombre des cas trouvés sur le plan clinique à celui des tests effectués. Sur toutes les ondes, il a été annoncé qu'il y avait 2 pour mille ou 2,5 pour mille animaux touchés. On annonce publiquement et sans autre précision que 2,5 pour mille des animaux sont touchés alors qu'il s'agissait en réalité de 2,5 pour mille animaux à risque ! Si on regarde la réalité des pourcentages, si on calcule le nombre de cas par rapport à tous les animaux français, on est dans un rapport de deux pour un million et si on le considère par rapport au nombre d'animaux abattus chaque année, on obtient un chiffre qui est de l'ordre de cinq par million. La proportion réelle est sans rapport avec les chiffres présentés.

J'évoquerai un autre problème que j'ai vécu de plus près, dans mon département. Au mois d'octobre 2000, une cultivatrice a arrêté sa production. Elle a vendu son cheptel à un marchand de bestiaux ; ce cheptel, moins quelques animaux, est allé à l'abattage. Aucun animal ne présentait de symptômes. Parmi les animaux restés chez le marchand de bestiaux et qu'il a livré à l'abattoir la semaine d'après, un animal présentait des symptômes ; après vérification, il a été déclaré atteint. Cet animal n'est pas entré dans la chaîne alimentaire. Confusion ou amalgame, il a été dit que le reste du troupeau, contrairement à l'habitude, n'avait pas été abattu. Or, le risque était minime, voire inexistant. Simultanément, des films sur la situation anglaise ont été diffusés. Tout cela a déclenché le nouveau malaise que nous connaissons. Cela dit, la France a pris la décision opportune d'interdire dès 1996 les abats à risque, notamment le cerveau et la moelle épinière.

Je dirai un mot du problème de l'organisation des producteurs. Nous le disons nous-mêmes : deux filières sont difficiles à organiser dans notre pays, à savoir celle des fruits et légumes et celle de la viande, car il s'agit d'une production très diverse, essaimée sur l'ensemble du territoire. Les intérêts des uns ne sont pas ceux des autres. C'est pourquoi, beaucoup de difficultés entourent la mise en place d'une organisation que nous appelons encore de nos v_ux. Lors d'un conseil supérieur d'orientation, l'an passé, nous avons demandé que les aides attribuées à l'organisation des producteurs le soient de façon beaucoup plus stricte et rationnelle. Cette proposition ne s'est pas encore concrétisée. Je pense qu'il faut absolument arriver à une organisation des producteurs qui soit convenable et qui permette ensuite une bonne organisation de l'interprofession réunissant l'ensemble des partenaires.

Quant aux différents types de viande mis sur le marché, il faut le dire très clairement : qu'elle soit sous signe de qualité ou non, la production doit d'abord être saine. Donc, qualité sanitaire pour tout le monde. C'est évident. Il n'est pas question de faire autre chose. Cela étant, il existe différents degrés dans les approches gustatives et il existe des viandes qui, par leur durée de maturation, le niveau des morceaux ou la race, présentent une qualité différente de celle des autres animaux. C'est pourquoi sont prévus notamment les labels, qui prévoient des garanties et des cahiers des charges. Les farines sont depuis fort longtemps interdites dans les cahiers des charges des labels.

Je m'interroge comme vous : pourquoi le prix de la viande augmente-t-il, alors qu'il baisse de deux ou trois francs le kilo auprès du producteur ? Un argument est parfois mis en avant : en certains endroits, on en vend moitié moins qu'avant ; or, les coûts sont les mêmes. Il faut donc vendre la viande plus cher pour récupérer les frais supportés. Les agriculteurs, malheureusement, ne peuvent agir de même lorsqu'ils vendent moitié moins d'animaux. Au contraire, ils sont doublement pénalisés et doivent passer sous « les fourches caudines » qui leur sont imposées. Il y a là une certaine incompréhension - je le dis avec beaucoup d'interrogations - car, dans le circuit, l'argent n'est pas perdu pour tout le monde ! Il ne se crée pas toujours, mais il ne se perd pas non plus. À un moment ou à un autre, des personnes profitent de la situation.

Dans un premier temps, l'abattage-destruction d'un certain nombre d'animaux paraît la seule solution pour faire face à de telles situations. Dans quelques jours, le commissaire Fischler proposera d'élargir cette disposition prise pour six mois à l'ensemble de l'année 2001. Pour la suite, nous préconisons l'application de la procédure HÉRODE, c'est-à-dire la suppression de veaux dès leur naissance, car si les choses s'étaient bien remises en place dernièrement, c'est-à-dire jusqu'en octobre 2000, c'est parce que nous avions, par la prime HÉRODE, supprimé 300 000 tonnes de viande du marché européen. Trois cent mille tonnes représentent 4 % du marché communautaire, ce qui est important.

Par ailleurs, nous n'éviterons pas un effort de maîtrise de la production, de la même façon qu'il y a eu maîtrise des productions laitières par les quotas. C'est un élément à prendre en compte. Elle devra être équilibrée entre les différents pays, car nous sommes confrontés à un problème : certains pays s'adaptent mieux que d'autres.

S'agissant du CTE herbager, je voudrais rappeler qu'un contrat territorial d'exploitation suppose un projet d'agriculteur. En l'occurrence, le CTE herbager n'est pas fondé sur un projet d'agriculteur. Mais si cette formule peut aider un producteur pendant une période, à conserver et à adapter son système, notamment en matière d'herbe, elle doit être favorisée, car elle permet d'obtenir des financements communautaires dont nous ne bénéficierions pas autrement. Il faudra certainement améliorer le CTE à terme, mais, dans l'immédiat, ce peut être une solution que nous devons accepter pour aider les producteurs d'herbe en particulier.

Sur le soutien des marchés, on revient aux procédures mises en place. Il existe actuellement un marché et des indemnisations pour l'abattage-destruction. On se rend compte que, malheureusement, le marché est souvent fondé sur des indemnités prévues pour l'abattage-destruction, c'est-à-dire que l'agriculteur-éleveur est pris dans un système où il n'a plus la maîtrise du marché. La base devient celle de l'achat pour la destruction et non celle de la qualité de l'animal. Il y a là un problème de fond qui ne peut être réglé que par le partenariat entre les différentes parties de la filière. Cela étant, les décisions nationales et communautaires ne permettent pas de faire face aux difficultés rencontrées par les agriculteurs. Il faut prendre garde, au niveau européen, à ne pas prendre rapidement des mesures irréversibles. En 1996, l'Europe avait mis à disposition des États certains montants, que la France avait redistribués au niveau des départements ; on avait pu adapter certaines aides complémentaires pour tenir compte de la situation particulière de chacun des départements, car le problème n'est pas du tout le même dans le Massif Central et en Bretagne. Malheureusement, cette mesure n'a pas été reprise. C'est l'un des éléments sur lequel on devrait insister pour permettre le meilleur ajustement entre les soutiens apportés actuellement et les problèmes posés aux différentes catégories d'éleveurs.

M. François DOSÉ : M. Gremillet - que je connais et apprécie depuis longtemps - ne m'en voudra pas si j'use d'une certaine liberté de ton. Vous dites être informés du problème en 1995-1996. Vous êtes ouverts, vous connaissez le monde, vous internationalisez votre réflexion, vous êtes formés. On arrive difficilement à croire que des personnes à la pointe n'apprennent le problème qu'en 1996. En Suède, on l'a appris bien avant 1996 ; la profession avait organisé une sorte d'autodéfense. Bon travail des ambassades, nous dit-on, en se moquant peut-être un peu des nôtres. Après tout, la BBC se traduit aussi bien en suédois qu'en français ! On n'arrive pas à comprendre comment vous pouvez dire que votre jeune génération, a pris pleinement conscience du problème qu'en 1996.

Au cours de la douzaine d'auditions à laquelle nous avons procédé, on retrouve la relation entre les scientifiques et la société civile et les scientifiques et vous. Vous avez indiqué que la connaissance des scientifiques n'avait été communiquée aux éleveurs que très tardivement. On nous dit, depuis au moins une douzaine d'auditions, qu'on ne cherchait que ce que l'on trouvait. Je commence à croire que l'on n'étiquette que ce que l'on veut montrer ! Les scientifiques, vous avez la possibilité de les saisir, car vous avez des exigences. Je voudrais bien comprendre deux choses : qu'est-ce qui autorise à faire passer le message - et nous serions à vos côtés pour le faire passer, s'il le fallait - que des personnes initiées peuvent affirmer ne pas avoir été au courant avant 1996? Et comment, dans un pays aussi développé que le nôtre qui compte des scientifiques de qualité, expliquer un tel sentiment d'ignorance ?

M. Patrice CARVAHLO : Dès lors que nous avons commencé à disposer des premiers éléments sur les farines, pourquoi n'a-t-on pas clamé la vérité en disant que le chauffage avait été insuffisant ? Pourquoi n'a-t-on pas expliqué que le souci était d'alimenter davantage les animaux qui se nourrissaient habituellement avec de l'herbe ? Pourquoi avoir finalement décidé l'interdiction complète des farines, ce qui, à mon sens, est une erreur, vous l'avez indiqué au début de votre propos : il faudra revenir aux farines, les animaux ayant besoin des protéines qu'elles contiennent.

M. Pierre HELLIER : Vous avez décrit une étiquette de 1992, sur laquelle il n'est fait aucune mention de protéines d'origine animale. En va-t-il de même de toutes vos étiquettes ou cela ne concerne-t-il que votre fabricant? Les farines animales entraient dans la composition de ces produits, puisque c'était autorisé pour les animaux autres que les bovins. L'étiquette actuelle est-elle différente ? Je vous pose la question, M. Gremillet, car vous avez déclaré « Plus jamais de farines animales » pour les bovins, mais réintroduction des farines animales, quand ce sera possible, pour les autres animaux.

M. Germain GENGENWIN : Le Président Hervieu a déjà répondu en grande partie à la question que je voulais lui poser. Quand nous observons les montagnes de farines animales actuelles, nous nous demandons s'il fallait vraiment en importer en 1990, avant la crise . Vous avez indiqué que les Anglais avaient interdit l'utilisation des farines en 1988 et que la France en avait importé, notamment d'Irlande. Quels sont les circuits responsables ?

S'agissant de la coordination des différents services, je voudrais indiquer que, ce matin, nous avons entendu un spécialiste de la nutrition de l'INRA, qui disait ignorer qu'on incorporait des farines animales dans l'alimentation du bétail avant 1990. Comment voyez-vous enfin l'après-crise pour le monde de la production animale ?

M. Marcel ROGEMONT : Mon propos est une demande d'explication au Président Hervieu, qui, dans son propos liminaire, a rapproché deux dates : celle de juillet 1988 relative à une décision prise par la Grande-Bretagne intéressant les farines, puis celle prise par la France en août 1989 dans ce même domaine. J'aurais voulu que M. Hervieu nous précise la nature de la décision prise par la Grande-Bretagne et celle de la décision française.

M. Daniel GREMILLET : Tout en faisant un lien avec la question « pourquoi une deuxième crise ? », je répondrai à M. Dosé. Hier matin, le ministre de l'Agriculture qui était en fonctions en 1990 nous a appris qu'il n'avait jamais reçu de notes de service, ni de rapport d'expertises ou de rapport scientifique sur le dossier des farines et sur ce qui se passait en Angleterre avant le mois de mai 1990.

M. le Président : À dire vrai, c'est assez incroyable !

M. Daniel GREMILLET : Je rappelle le contexte : l'ancien ministre de l'Agriculture nous a expliqué que la décision qu'il avait prise en 1990 faisait suite à des articles de presse britanniques faisait état du franchissement de la barrière des espèces. Les éleveurs et les responsables français n'apprennent le danger des farines qu'en 1996. Le Président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNDGS) avait alerté le ministère en 1989 mais son courrier était resté sans suite.

La réponse à la question « pourquoi une nouvelle crise en 2000 ? » est simple : la plupart des animaux abattus d'aujourd'hui sont nés en 1993, 1994 et 1995. Arrêtons d'évoquer « l'avant » qui vise essentiellement ce qui se passait en Angleterre et les animaux vivants venus d'Angleterre en France. Tous ces animaux vivants qui devaient être tués dans les six mois n'ont pas tous été tués dans les six mois et, pour certains, ont été retraités dans les farines françaises ou dans celles d'autres pays de l'Union européenne. C'est dire que ces bêtes malades s'ajoutent aux contaminations des farines anglaises exportées : n'oublions pas que l'Angleterre prend une décision d'interdiction en 1988, que la mise en application d'une telle décision réclame un an et que c'est en 1989 que l'on juge dangereuses les farines anglaises. Personne ne se pose la question de savoir pourquoi un pays qui décide d'interdire les farines chez lui continue de les exporter vers d'autres pays. Je le dis en tant qu'éleveur et responsable.

Lorsque, en 1996, on découvre le problème, les scientifiques nous indiquent que la maladie se transmet essentiellement par la consommation de farines. N'oublions pas comment fut gérée la crise en 1996 : en France, a été créé le logo « Viande Bovine Française » (VBF) et on a pensé que la question serait résolue grâce à l'identification permanente généralisée (IPG). Le Président de l'APCA m'a confié cette responsabilité ; cela fait douze ans que je m'occupe de cette IPG, des boucles d'oreilles et de la traçabilité des animaux. C'est un travail que nous avons mené en partenariat avec les groupements de défense sanitaire. Il y a dix ans, nous nous sommes battus, les responsables agricoles et moi-même, pour obtenir une IPG pour l'ensemble des animaux, alors que certains responsables nationaux et européens ne voulaient entendre parler d'une identification des animaux que pour les bêtes primées.

S'agissant de la traçabilité des animaux, seuls comptaient pour les pouvoirs publics, pour l'Europe, les élevages qui recevaient des primes ou des aides. Les autres aspects, génétiques ou sanitaires, paraissaient secondaires. Ce sont les paysans et les responsables, dont l'APCA et les GDS, qui se sont battus ! En 1996, tous les pays de l'Union européenne n'étaient pas au niveau de la France en matière de connaissance du cheptel ; dans certains pays, on ne pouvait pas connaître le propriétaire d'un animal comme on le peut en France.

Pourquoi la crise de 2000 ? Une erreur collective a été commise, partagée entre les pouvoirs publics, l'Union européenne et les fabricants d'aliments. Lorsqu'on fait une erreur, on a deux solutions : soit la cacher, en se disant qu'il n'y aura jamais de problèmes, soit la gérer. On a refusé de gérer la crise de 1996. Tous les bovins français n'avaient certes pas consommé des aliments contaminés par des farines de viande et tous les fabricants d'aliments n'ont pas introduit de la farine de viande dans leurs préparations, mais ces farines ont néanmoins été utilisées, soit par méconnaissance, soit frauduleusement. C'est une hypothèse qu'il ne faut pas écarter après les éléments que nous avons obtenus lors des auditions juridictionnelles d'hier, que je pourrais vous transmettre. On sait aujourd'hui qu'il y a eu fraude et que la filière frauduleuse n'est pas nationale, mais communautaire.

Pourquoi avons-nous subi en France l'impossibilité de connaître la composition des aliments de 1990 à 1996 ? Pourquoi n'a-t-on pas voulu distinguer les aliments, ceux qui présentaient un risque et ceux qui n'en présentaient pas ? Je le dis parce que c'est le combat que nous menons, notamment avec les éleveurs des Vosges et à l'APCA. Nous verserons au dossier tous les courriers que le Président Hervieu ou moi-même avons envoyés au ministère de l'agriculture et aux autorités européennes en 1996 et en 1997.

Ainsi que l'a très justement indiqué le Président Hervieu, aujourd'hui, 99,99 % des animaux français ne présentent pas de risques. Or, le doute porte sur tous les animaux, car on n'a pas eu le courage de gérer la crise et d'indiquer que telle marque d'aliments contenait des farines animales, que le cheptel de tel éleveur situé dans tel département a été exposé, qu'il fallait surveiller celui-ci et faire en sorte qu'aucun animal n'en sorte sans analyse, sans contrôle. Pourquoi n'avons-nous pas eu ce courage ?

En 1996, on explique aux Français que la viande qu'ils consomment est de la viande française ; on leur certifie qu'il n'y aura pas de problèmes. Manque de chance, en 2000, tout explose. Dans la vie, rien n'est plus terrible que de mentir aux gens ; la confiance ne se décrète pas et tout s'écroule à l'automne 2000, lorsque les Français ont cru qu'ils avaient eu dans leur assiette de la viande contaminée. J'explique cela, car nous l'avons vécu. Et je le répète : au 13 février 2001, j'ignore toujours ce que contient l'aliment du bétail que j'ai acheté. C'est l'éleveur qui vous parle, l'éleveur qui travaille au quotidien, qui nourrit ses animaux et qui, aujourd'hui, y compris pour lui-même, n'a pas le droit de consommer son animal.

J'en viens au regard critique sur la filière. L'APCA est très favorable à une organisation de la filière ; ainsi que l'a indiqué le Président Hervieu, elle doit aller plus loin. La filière doit travailler par lots. L'étiquetage doit concerner les viandes comme d'autres produits alimentaires. Il n'est pas normal qu'un steack haché ne soit composé que de 50 % de viande. Je suis personnellement présent dans le secteur laitier ; aujourd'hui, on sait qu'un fromage vient d'une citerne, qu'il est passé dans tel tank et que tel lot de fromage vient de tel ou tel producteur. Grâce à la traçabilité, un animal garde sa boucle de sa naissance à sa consommation ; on devrait pouvoir travailler, y compris pour des steacks hachés, par lots, pour sécuriser l'alimentation humaine.

Enfin, s'agissant de la qualité de la viande et des labels, je voudrais souligner que les réglementations mises en place par les différents ministères - à ce titre, je voudrais rendre hommage aux administrations - ont permis la qualité des produits ; on n'a jamais procuré autant de sécurité alimentaire. Un produit alimentaire mis sur le marché, par définition, correspond aux normes de qualité du produit définies par les différentes réglementations. Viennent s'ajouter éventuellement des démarquages d'identification du produit par rapport à un concept de production ou par rapport à un concept de transformation, mais, au départ, le produit est de qualité. Je ne voudrais pas que l'on reste sur l'idée de « la viande pour les riches » et « la viande pour les pauvres ». Pour nous et c'est essentiel, une viande qui est sur l'étal ne peut être que de qualité et correspondre aux normes sanitaires réglementaires imposées par la France et l'Union européenne. Il est un autre point important : la constitution d'une charte, permettant un socle commun et le respect par un maximum d'éleveurs de ces exigences de qualité sanitaire.

M. Alain GOURIOU : Il est un point qui, à mon sens, mériterait d'être étudié. Nous avons entendu les représentants suédois nous dire que, dès 1986, l'ambassade de Suède en Grande-Bretagne avait été informée des problèmes d'ESB sur les cheptels britanniques et qu'elle avait répercuté cette information auprès de son gouvernement. À ma connaissance, il y a une ambassade de France à Londres qui est même considérée comme l'une des plus prestigieuses du corps. Comment se fait-il que nos attachés, nos correspondants, soient passés complètement à côté d'une information qui nous paraît aujourd'hui capitale ?

M. le Président : Pour nous, c'est une interrogation depuis le début de la commission d'enquête : nous observons qu'un pays a connu un phénomène identifié comme un problème de santé animale, puis comme un problème de santé publique et que la communauté scientifique ne s'est pas saisie du problème en amont. Un spécialiste de nutrition animale nous a déclaré ignorer en 1994, ce qui se passait, alors que le phénomène était déjà clairement identifié en 1988 et que des mesures avaient été prises en France !

Il existe des organisations agricoles européennes et des lieux de rencontres, où vous retrouvez des professionnels britanniques européens. Même si ce problème ne présentait pas l'acuité qu'il a eue lorsqu'on a parlé de sa transmissibilité à l'homme, il y a bien eu des débats. C'était un problème majeur dans un des pays d'Europe. Or, on a l'impression que l'information ne circulait plus et que notre ambassade n'avait plus de contact avec son environnement ! Nous ne sommes pas encore au bout de notre réflexion, mais nous sommes résolus à faire toute la lumière sur les raisons pour lesquelles il a fallu quasiment dix ans pour se rendre compte que ce problème avéré existait également en France.

M. Daniel GREMILLET : On a découvert hier que l'ambassade de France en Grande-Bretagne avait alerté le ministère de l'Agriculture au mois de mars 1989. J'ai le document sous les yeux, dont je vous laisserai copie. La Fédération nationale des éleveurs, qui s'est rendue en 1989 en Grande-Bretagne, a également alerté le ministère.

M. le Président : Ce document nous sera très utile.

M. Daniel GREMILLET : Ce qui a été affirmé hier est encore bien plus simple : la note dont vous parlez n'est jamais parvenue au ministre, puisque celui-ci nous a affirmé textuellement qu'il avait appris l'information du franchissement de la barrière des espèces par des coupures de presse britannique en 1990 et que les notes, y compris d'organisations agricoles en 1989, se sont arrêtées aux services. Le document a été versé au débat hier au tribunal.

M. Marcel ROGEMONT : J'aimerais que M. Hervieu réponde à la question que je lui ai posée. C'est une demande d'explication. Il a rapproché deux dates : juillet 1988, pour la décision britannique concernant les farines animales ; août 1989, pour la décision française. Quelle était la teneur exacte de ces décisions et quelle peut être l'explication du délai qui les sépare ?

M. Jean-François HERVIEU : En juillet 1988, il y a eu interdiction des farines de viande et d'os pour les ruminants au Royaume-Uni. En août 1989, la France a émis un avis aux importateurs, interdisant l'introduction en France de farines animales originaires du Royaume-Uni pour la fabrication d'aliments pour ruminants.

M. Marcel ROGEMONT : Pardonnez-moi, mais le fait que des farines aient été interdites pour les ruminants en Grande-Bretagne n'excluait nullement qu'il puisse y avoir commerce de farines dans la mesure où elles n'étaient pas interdites pour les autres animaux.

Vous laissiez entendre que pesait une incertitude sur la décision française, mais je voudrais en comprendre l'ampleur. En juillet 1988, les farines interdites en Grande-Bretagne ont continué d'être exportées. Il s'agissait bien de farines interdites pour les ruminants. Les volailles et les porcs pouvaient donc en consommer. Il pouvait donc y avoir commerce de ces farines sans acte délictueux ; dans l'état des connaissances de l'époque, pour les Britanniques, cela ne portait pas à conséquences.

M. Daniel GREMILLET : En 1989, rien n'a été signé par le ministre, qui l'a bien précisé hier, ce qui signifie que la notification aux fabricants a été faite par les services du ministère, mais aucun fabricant d'aliments du bétail ne peut dire qu'il n'a pas été informé par le ministère, dès 1989, de ce qui se passait en Angleterre. Second élément important : en 1990, la France décide d'interdire les farines pour l'alimentation des bovins, mais non de tous les ruminants. Pour les ovins, la mesure interviendra seulement à partir de 1994.

M. Jean-François HERVIEU: C'est une autre étape.

M. Daniel GREMILLET : Oui, mais c'est important, car cela veut dire que la France autorisait l'incorporation de farines de viande dans l'alimentation des ovins. Pour revenir au problème des contaminations croisées, les aliments des porcs, des volailles ou de certains ruminants comme les moutons pouvaient donc constituer une source de contamination.

M. François PERROT : Vous avez indiqué que vous n'aviez reçu aucun chiffre des Douanes suite à la démarche que vous aviez engagée.

M. Daniel GREMILLET : Peut-être vais-je être brutal, mais les Douanes nous ont bien expliqué qu'une personne introduisant dans un pays un produit illégal n'en informera pas les Douanes. C'est le cas de la drogue. Vous direz que votre mallette contient des chewin-gums, non de la drogue ! Par ailleurs, le Directeur des services vétérinaires (DSV) des Côtes-d'Armor nous a expliqué hier que la France était entrée, en août 1989, dans une période de dérogations. Des farines anglaises ne pouvaient être introduites en France que sous couvert de dérogation. Nous avons demandé au DSV, puisque c'était ses services qui accordaient les dérogations, s'il avait un jour refusé à un fabricant la dérogation qu'il sollicitait. Sa réponse a été négative. C'est dire que l'on n'était plus dans un système de dérogation, mais dans un système d'autorisation ! Quiconque formulait la demande recevait l'autorisation d'importer des farines. On pouvait importer des farines de viande anglaises en certifiant sur l'honneur que les aliments que l'on importait seraient incorporés uniquement dans les farines destinées aux espèces animales autorisées. Cela s'arrêtait là.

M. le Président : Nous vous demanderons de bien vouloir nous laisser les étiquettes et les autres documents que vous avez cités. Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Jacques ROSAYE,
président de la Fédération nationale
des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS),

accompagné de M. Marc-Henri CASSAGNE, directeur,

et de Mme Anne TOURATIER, adjointe au directeur

(extrait du procès-verbal de la séance du 13 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Jean-Jacques Rosaye, Marc-Henri Cassagne et Mme Anne Touratier sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, MM. Jean-Jacques Rosaye, Marc-Henri Cassagne et Mme Anne Touratier prêtent serment.

M. le Président : Nos collègues connaissent l'importance de l'activité des groupements de défense sanitaire du bétail, qui représentent les éleveurs et participent à la mise en _uvre des mesures réglementaires de prophylaxie. Vos groupements mènent des actions collectives contre des maladies pour lesquelles ces mesures n'existent pas. Vous avez également pour mission d'informer les éleveurs sur les caractéristiques des pathologies auxquelles ils peuvent être confrontés, ainsi que sur les mesures à prendre pour les maîtriser. Ce dispositif fonctionne bien et il est intéressant de prendre connaissance de la façon dont vous avez appréhendé les problèmes liés à l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) au moment où, progressivement, les groupements de défense sanitaire ont été confrontés à cette maladie. Il s'agit de déterminer si les professionnels et les pouvoirs publics nationaux ont réagi de manière efficace et en temps voulu pour faire face aux premières manifestations de l'épizootie.

M. Jean-Jacques ROSAYE : La loi du 4 janvier 2001 précise le dispositif des réseaux de surveillance et a requalifié les groupements de défense sanitaire (GDS) en organismes à vocation sanitaire (OVS). Cette loi est l'héritière de décrets parus en 1953 et 1964 ainsi que d'une loi datant de 1990. Les groupements de défense sanitaire existent en effet depuis 1953, à l'initiative des pouvoirs publics. Il s'agissait de lutter contre les maladies dans les élevages, dans la mesure où la puissance publique ne parvenait pas, à l'époque, à éradiquer la fièvre aphteuse, puis, par la suite, la tuberculose et la brucellose.

Il existe donc une structure par département, qui, globalement, est en charge du domaine sanitaire et qui contribue ainsi à la lutte contre les maladies réputées contagieuses en collaboration avec l'administration ou contre d'autres maladies en collaboration avec les vétérinaires ou, plus directement, avec les éleveurs. La FNGDS fédère au niveau national l'ensemble de ces structures départementales. Quatre-vingt-quinze pour cent des éleveurs sont adhérents aux GDS et ce, sous forme d'une adhésion volontaire. Peu d'associations d'éleveurs sont ainsi aussi représentatives desdits éleveurs que la nôtre.

Nous pratiquons un large partenariat avec l'Etat, notamment avec les directions des services vétérinaires. S'agissant de l'ESB, nous intervenons au niveau national. Au niveau local, nous travaillons en appui aux éleveurs quand un cas d'ESB est décelé dans leur troupeau et, plus généralement, auprès de la profession, par des actions d'information. Ainsi, des réunions des GDS ont lieu depuis six mois à un an, à l'occasion desquelles nous essayons de fournir un maximum d'information auprès des éleveurs, tant concernant les mesures mises en _uvre par les autorités publiques, que s'agissant d'une information plus générale relative à l'ESB. Nous appuyons aussi les experts pour le calcul des indemnités versées à un éleveur en compensation de l'abattage de son troupeau après qu'un cas d'ESB y ait été décelé.

En préambule, je voudrais aborder plusieurs points s'agissant de l'ESB. La FNGDS est la première organisation à avoir sensibilisé les pouvoirs publics, notamment le ministre de l'Agriculture, sur un problème qui n'affectait, à l'époque, que la Grande-Bretagne. Ainsi, mon prédécesseur, Alain Blandin, en août 1989, a alerté les pouvoirs publics français par une lettre qui figure dans le dossier que nous vous avons remis. Ce courrier était le résultat d'une visite en Grande-Bretagne. Nous avions donc souligné l'importance de la maladie qui, à l'époque, était sans relation directe avec la santé publique, mais posait un problème de santé animale pour le cheptel français.

La France est le pays qui a décidé le plus rapidement d'un grand nombre de mesures au cours de la décennie écoulée, pour lutter contre l'ESB, mais aussi pour appréhender précisément les questions de santé publique et ce, dans la transparence. Celle-ci a eu d'ailleurs des effets inattendus et indésirables, parce qu'il est toujours difficile de contrôler l'information que l'on rend public, du fait notamment d'un traitement médiatique que l'on peut parfois qualifier de dérive. Nous en faisons la triste et pénible expérience depuis quelques mois.

La décision la plus importante porte sur le retrait des matériaux à risque spécifiés, mise en _uvre en France à compter de l'année 1996. Cette mesure essentielle n'a été mise en _uvre que depuis octobre 2000 dans de nombreux pays de l'Union européenne. Par la suite, entre autres mesures, on peut notamment citer la généralisation du test sur les animaux âgés de plus de trente mois destinés à entrer dans l'alimentation humaine.

S'agissant de l'analyse de l'épizootie, la FNGDS a recoupé l'ensemble des informations en sa possession, afin d'analyser les causes des contaminations. Il convient, au préalable, de prendre garde aux effets d'optique ; ainsi, la période d'incubation de la maladie chez un bovin dure, en moyenne, six ans ; en fait, l'incubation peut aller de deux ans à plus de dix ans. C'est pourquoi, les mesures mises en _uvre à une date n'ont d'effet que cinq ou six ans après ladite date.

Concernant le pouvoir infectieux des morceaux à risques, il faut préciser que, selon certains scientifiques, l'ingestion par voie alimentaire d'un gramme de cervelle issue d'un bovin atteint par l'ESB est suffisante pour contaminer un autre bovin.

L'analyse globale épidémiologique entreprise au niveau de la FNGDS fait ressortir deux vagues essentielles de contamination. La première concerne les années 1988, 1989 et 1990. Les animaux concernés ont développé la maladie en 1993, 1994 et 1995. La seconde a eu lieu de 1993 à 1996. Les cas d'ESB actuellement détectés sont issus de cette seconde vague de contamination. Ces cas concernent des animaux nés après l'interdiction des farines animales (NAIF).

S'agissant de la première vague, l'importation de farines de viandes de Grande-Bretagne a été le facteur essentiel de contamination. Interdites en Grande-Bretagne, les farines entraient en France légalement. Elles ont envahi, le verbe étant peut-être un peu fort, la bordure atlantique et notamment la Bretagne. L'analyse épidémiologique montre que c'est dans cette région que fut contaminée la majorité des animaux atteints lors de cette première vague. Certains d'entre eux ont donc été détectés par le réseau d'épidémiosurveillance dans les années 1992 à 1994. Cependant, un certain nombre de cas n'ont pas été détectés à cette époque. Ceux-ci ont donc contaminé des farines de viande. Cela a entraîné la seconde vague d'animaux contaminés, dans les années 1993 à 1996, par des farines de viandes françaises.

L'usage des farines de viandes dans l'alimentation des bovins et des ovins était interdit respectivement depuis 1990 et 1994. Elles continuaient à être utilisées dans l'alimentation des porcs et des volailles. Il existe deux modes de passage des farines animales destinées à l'alimentation de ces derniers à l'alimentation des bovins.

Les contaminations croisées constituent le premier et le plus important de ces deux modes. Elles ont eu lieu de façon diffuse dans toute la France. Les contaminations frauduleuses ou intentionnelles, c'est-à-dire, soit l'introduction de farines de viandes et d'os dans la fabrication des aliments pour bovins, soit l'importation d'aliments non sécurisés pour bovins, constituent le second de ces modes. Il faut savoir que jusqu'à l'an dernier, le marché des farines de viandes était un marché international. Lesdites farines ont ainsi circulé dans l'Union européenne, même si elles étaient interdites dans l'alimentation des bovins en France. Les contaminations croisées ont été notamment révélées par un rapport datant de 1999 de la brigade nationale d'enquête vétérinaire. Ces contaminations croisées ont pu avoir trois origines.

En premier lieu, il s'agit des procédés de fabrications des farines animales en usine. Jusqu'à récemment, une chaîne de fabrication d'usine n'était pas nécessairement dédiée selon l'animal auquel était destiné l'aliment sur laquelle ledit aliment était fabriqué. En fait, peu d'usines disposaient de chaînes de fabrication des aliments spécialisées selon les espèces. Au terme de la fabrication d'un lot d'aliments destinés à une espèce, les machines pouvaient encore contenir des aliments destinés à cette espèce, puisqu'elles n'étaient pas nécessairement nettoyées « jusqu'au dernier gramme ». Ainsi, une certaine quantité d'aliments destinée à un lot pouvait en fait entrer dans la composition du lot suivant. Au surplus, il faut évoquer les « retours de lots ». Ainsi, s'il restait sur une exploitation des aliments destinés à des volailles en grande quantité et ce, après la distribution des rations, l'usine de fabrication desdits aliments s'engageait à les reprendre. Le lot ainsi récupéré était-il réintroduit dans l'alimentation de ces mêmes espèces ou était-il reversé sur le lot en cours de fabrication et peut-être destiné à l'alimentation d'une autre espèce ?

En deuxième lieu, il s'agit des problèmes liés au transport des aliments. Un camion qui transporte des aliments compte plusieurs compartiments, en général de quatre à six selon la taille du camion. Chacun d'eux contient des aliments destinés à une espèce. Cependant, lors d'une livraison d'aliments pour des bovins, le camion pouvait comporter des lots d'aliments destinés à des porcs ou à des volailles. Au moment de la vidange d'un lot, les aliments dudit lot entraînent les cinq ou dix kilos d'aliments du lot précédemment vidangé qui sont restés dans la vis sans fin. Je suis éleveur et je sais très bien que des granulés d'une autre couleur que celle des granulés du lot livré sont toujours visibles au début de la livraison. C'est encore le cas aujourd'hui. Quand un camion ne livre que des lots d'aliments pour des bovins, il n'y a pas de difficultés. Par contre, si un lot d'aliments pour des bovins est livré après qu'aient été livrés des lots d'aliments destinés à des porcs ou des volailles, le premier peut contenir cinq à dix kilos d'aliments potentiellement infectieux. En effet, comme je l'ai déjà évoqué, avant le mois de novembre 2000, des farines de viandes pouvaient légalement entrer dans la composition de l'alimentation des porcs ou des volailles.

En troisième lieu, il faut évoquer le cas des exploitations où cohabitent plusieurs productions. Les restes d'aliments destinés à une espèce n'étaient pas toujours remontés en usine quand il n'en demeurait que cent ou deux cents kilos. Dès lors, l'éleveur, surtout avant 1996, quand il n'était pas conscient du risque, le donnait à consommer à ses bovins. Il ne faut pas se faire d'illusion, un éleveur ne met pas à la décharge cent kilos d'aliments ! Par ailleurs, quand une exploitation subissait un jour une rupture de stock d'aliments sur une production, l'exploitant pouvait prélever deux seaux d'aliments initialement destinés aux animaux d'une autre production. Il faut cependant noter que sur les vingt-six cas positifs détectés dans le cadre du programme de tests ciblés, initié durant l'été 2000 dans la région du Grand-Ouest, vingt cas relevaient d'exploitations en monoproduction, ce qui signifie qu'aucun aliment ne contenant potentiellement de farines de viandes n'était, a priori, introduit dans ces vingt exploitations.

Dans son propos introductif, le Président s'est interrogé sur le point de savoir pourquoi les éleveurs n'étaient pas autant sensibilisés avant le mois de mars 1996 qu'ils le sont aujourd'hui. Mais qui connaissait l'ESB avant le mois de mars 1996 ? Hormis le cas des spécialistes, le problème existait « à faible  bruit», s'agissant notamment de la question de la transmissibilité de la maladie bovine à l'homme. Si la révélation de mars 1996 du ministre anglais de la Santé a provoqué un effet phénoménal en termes de diffusion de l'information, avant celle-ci, il y avait plus de doutes que de certitudes. Peu d'éleveurs ou d'acteurs de la chaîne de fabrication des aliments pour animaux étaient donc sensibilisés au risque. Le fait que l'ingestion de moins d'un gramme de la cervelle d'un animal malade suffise à en contaminer un autre n'était pas connu. Les scientifiques ont prétendu à un moment que seule une grande quantité de farines de viandes était contaminante. Depuis, ils ont modifié leur position. C'est pourquoi il est toujours nécessaire de se replacer dans le contexte des connaissances d'une époque donnée.

Par ailleurs, la fabrication des aliments ne fut pas à une certaine époque sécurisée comme elle aurait dû l'être. La chaîne de fabrication des aliments pour animaux faisait l'objet de contrôles rares, soit quelques centaines par an jusqu'en 1997. Il était pourtant important de contrôler les procédés de fabrication dans les usines. Il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de ces rares contrôles était positif. Selon les rapports de 1997 afférents à ces contrôles, 4,2 % des prélèvements opérés afin de vérifier la composition d'aliments destinés à des bovins, contenaient des farines de viandes et d'os. Le pourcentage est faible, mais non négligeable.

La contamination croisée a certainement constitué la forme d'infection la plus importante en France et est sans doute à l'origine de l'essentiel des cas détectés depuis 1999 jusqu'à aujourd'hui. La mesure essentielle qui a évité une progression accentuée de l'épizootie est le retrait des matériaux à risque spécifiés depuis 1996. À compter de cette date, les morceaux contaminants, soit les cervelles ou les moelles épinières, ont été systématiquement détruits. Même si un croisement entre aliments destinés aux bovins et à une espèce pour laquelle l'usage des farines animales demeurait permis s'est produit depuis fin 1996, ou début 1997 pour tenir compte d'une phase d'adaptation, il ne peut être la source d'une contamination. En conséquence, compte tenu de la période, on devrait constater une baisse significative du nombre de cas d'ESB en France à compter de la fin de 2001 et du début de 2002.

La deuxième voie de contamination est la voie intentionnelle ou frauduleuse. À cet égard, il est très difficile de recueillir des preuves et de mesurer l'importance qu'elle a pu revêtir. Les faits éventuels sont vieux de plus de cinq ans. Dans les usines de fabrication des aliments et chez les transporteurs desdits aliments, il n'y a aucune information. En effet, au-delà d'une période de cinq ans, les registres et les relevés n'existent plus. Cependant, il existe des rumeurs fortes et concordantes selon lesquelles des quantités élevées de farines de viandes fabriquées au Royaume-Uni ont transité par les Pays-Bas ou la Belgique afin d'acquérir la nationalité de ces pays et, ainsi, d'être livrées en France à la faveur de cette naturalisation. Bien sûr, le prix de ces farines, qui ne valaient plus rien en Grande-Bretagne, les rendait attractives sur le marché des aliments pour animaux d'élevage. Elles seraient arrivées en France par nos frontières septentrionales ainsi que par certains ports méditerranéens, mais ces suppositions ne sont pas confirmées et il est difficile de rassembler des preuves.

Nous avons récemment mené une enquête auprès de nos GDS départementaux pour savoir s'il existait des preuves tangibles pouvant être versées au dossier. Il n'a pas été possible de dépasser le stade de la rumeur. L'incorporation de farines de viandes dans les aliments destinés aux bovins a ainsi été après 1990, soit le fait du non-respect de la réglementation par des fabricants d'aliments, soit, éventuellement, le fait des contaminations croisées évoquées.

En résumé, je dirai que la fraude a existé, sans doute de façon non négligeable, et ce, à différents niveaux, dans le temps et dans l'espace. Il est difficile de définir quelle a été son intensité. Plusieurs affaires ont été déférées devant les tribunaux. En tant que représentants des éleveurs, nous espérons que la justice disposera de moyens d'investigation suffisants, afin d'y apporter des réponses claires et précises.

S'agissant de la santé publique, il convient de ne jamais oublier le délai d'incubation de l'ESB chez les bovins, soit cinq ans en moyenne, et de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ) chez l'homme, qui demeure indéterminé scientifiquement. Les scientifiques et les autorités britanniques, qui ont pourtant et malheureusement une expérience plus longue du développement de la maladie chez l'homme, ne sont pas en mesure de répondre à cette question.

Les êtres humains ont été exposés à des charges infectieuses plus limitées à compter de 1990, date d'entrée en vigueur de l'interdiction de l'utilisation des farines de viandes dans l'alimentation des bovins. Mais il y a eu, postérieurement à cette date, de nouvelles contaminations de bovins, du fait des contaminations croisées et d'actes frauduleux et donc une poursuite de l'exposition au risque de contamination pour l'être humain. En France, la date la plus importante en terme de santé publique est donc 1996, avec le retrait de la chaîne alimentaire des matériaux à risque spécifiés les plus infectieux. Cependant, ainsi que l'affirmait récemment la revue Que choisir, publication d'une association de consommateurs que vous connaissez, lesdits consommateurs ont été exposés aux risques les plus importants dans les années 1988-1990. La FNGDS partage cette analyse, le risque étant lié durant cette période à l'importation de viandes, d'abats et de farines de viandes en provenance de Grande-Bretagne.

À partir de 1990, le réseau de détection de l'ESB a été mis en place et ce, avec l'appui des vétérinaires et des éleveurs. Ce réseau a connu une amélioration progressive de son fonctionnement et, aujourd'hui, il ne fonctionne pas trop mal. Contrairement au message diffusé et relayé à l'aide d'une forte pression médiatique, l'ESB reste très rare en France. En effet, seuls 250 cas environ ont été décelés en France depuis 1991 sur 20 millions de bovins. Il s'agit donc d'une maladie rare selon les termes utilisés par les scientifiques. Il est vrai, pour les raisons que j'ai évoquées, que le nombre de bovins concernés a augmenté au cours des derniers mois, il n'en reste pas moins que l'ESB demeure une maladie rare. La position de la FNGDS est que les autorités publiques françaises ont globalement mis en _uvre de bonnes décisions au regard des connaissances qui étaient les leurs au moment de leur entrée en vigueur, avec peut-être, le cas échéant, un peu de retard.

Progressivement, les ministres ont adapté et complété le dispositif français, mieux que ne l'ont fait nos voisins européens, à l'exception de la Grande-Bretagne, qui a dû affronter avant la France un problème plus massif. Il convient de comparer l'incidence de la contamination en France à celle constatée dans d'autres pays. Depuis le 1er janvier 2001, l'Allemagne constate sur son territoire un taux de 3,2 cas d'ESB par million de bovins, l'Espagne 3 cas et la France 2,4 seulement. Malgré toutes les mesures de détection que la France a mises en _uvre, soit la mise en place du réseau d'épidémiosurveillance, la campagne de tests initiée durant l'été 2000 ainsi que le dépistage systématique des bovins de plus de trente mois destinés à l'alimentation humaine, notre pays bénéficie d'un taux d'incidence de la maladie plus bas que ceux constatés chez nos voisins européens.

La FNGDS souhaiterait une commission d'enquête comparable à celle qui a travaillé en Grande-Bretagne sous la direction de Lord Philipps. Nous en avons d'ores et déjà fait part au ministre de l'Agriculture. Nous espérons que cette commission disposera de moyens d'investigation importants qui puissent aboutir, le cas échéant, à des saisines judiciaires s'agissant d'importations frauduleuses ou d'utilisation de farines interdites.

Les contaminations par les farines de viandes et d'os en 1990-1996 résultent essentiellement de contaminations croisées, celles-ci ayant eu lieu dans les usines de fabrication des aliments pour animaux, au cours du transport desdits aliments ou dans les exploitations. Je crois aussi que la pression des contrôles était, à cette époque, insuffisante. Lesdits contrôles étaient insuffisamment harmonisés pour être réellement efficace et, ainsi, n'offraient pas de garanties sanitaires suffisantes aux consommateurs. Le retrait des matériaux à risques a été l'élément central de l'amélioration de la sécurité alimentaire. La France a été l'un des seuls pays, avant la Grande Bretagne, à avoir mis en _uvre cette pratique avant le mois d'octobre 2000. Pour cette raison, il est important que tous les animaux ainsi que tous les produits animaux qui sont livrés en France à partir d'autres pays de l'Union européenne soient testés ou soient issus d'animaux ayant fait l'objet d'un test. Il est inconcevable que nous recevions, en France, des carcasses de pays de l'Union européenne qui ne testent pas encore la totalité des animaux qui entrent à l'abattoir. Il est inconcevable que ce genre de pratiques perdure au regard des risques observés dans certains de ces pays.

Je veux, par ailleurs, signaler les luttes d'influence entre certaines administrations, qui ont pu perturber in fine l'efficacité et la lisibilité des mesures mises en _uvre par les autorités publiques. On a en effet pu observer un climat de surenchères, de suspicions et de critiques permanentes. Depuis six mois à un an, certaines interventions publiques, au niveau des ministres et de leurs administrations, ont eu pour effet d'opacifier la compréhension du consommateur, qui s'est alors mis à douter.

Enfin, je souligne que les éleveurs sont conscients des souffrances dramatiques que les familles connaissent quand un des leurs est atteint de la nvMCJ. Cependant, quelle sera la cause du plus grand nombre de décès en France entre, d'une part, ceux causés par la nvMCJ et ceux qui résultent de suicides consécutifs à la crise actuelle de l'élevage ? Nous en sommes arrivés à un point où un certain nombre d'éleveurs se posent des questions essentielles et existentielles. Leur désarroi est important. Ce n'est certes guère comparable à la douleur des familles des victimes de la nvMCJ, mais je ne suis pas sûr que le nombre de décès consécutifs à cette maladie sera plus important que celui issu des tentatives de suicide de certains éleveurs.

En conclusion, il ne fait pas de doute que la FNGDS participera à la mise en place du réseau sanitaire bovin qui constitue un élément supplémentaire afin de garantir la sécurité alimentaire des consommateurs. La loi du 4 janvier 2001 en est l'une des expressions.

M. Carvalho, Vice-Président, remplace M. Sauvadet au fauteuil de la présidence.

M. le Président : J'ai lu avec attention la lettre que vous avez évoquée, adressée par votre prédécesseur en 1989 au ministre de l'Agriculture de l'époque. Elle semble imprécise, vous n'y parlez pas des farines animales comme base de la contamination qui se développait en Grande-Bretagne, alors que l'on commençait à cette époque à l'évoquer. On y perçoit plutôt votre volonté de bloquer les importations d'animaux anglais. Si j'avais été ministre de l'Agriculture à l'époque, mon attention n'aurait vraisemblablement pas été attirée par ce courrier. Quelles suites le ministre a-t-il donné à votre courrier ? À l'époque, soupçonniez-vous les farines de jouer un rôle dans la maladie ?

M. Jean-Jacques ROSAYE : Je ne peux vous répondre car je ne suis président de la FNGDS que depuis six mois. À l'époque, le président était M. Alain Blandin. De plus, en 1989, je n'étais pas membre de la FNGDS.

M. Marc-Henri CASSAGNE : À l'époque, la FNGDS avait l'ambition d'organiser un congrès concernant l'état sanitaire de l'Union européenne. La FNGDS s'est donc rendue dans chacun des pays de l'Union européenne, afin d'y étudier cette question. À l'occasion de notre déplacement au Royaume-Uni, l'attaché agricole de l'ambassade et le vétérinaire qui assumait ses fonctions auprès dudit attaché nous ont confié avoir alerté le ministère à plusieurs reprises sur un événement en cours et au sujet duquel nul n'avait d'explications. En Grande-Bretagne, des animaux mouraient d'une maladie mystérieuse. Ils nous demandèrent si, de retour en France, il nous serait possible d'appuyer leur message par un courrier de la FNGDS au ministre. Pour celle-ci, il ne s'agissait nullement d'interdire l'usage ou l'importation des farines ou d'animaux.

À l'époque, nous ne savions pas grand-chose, nous n'étions en effet en possession que du propos de l'attaché agricole de l'ambassade de France au Royaume-Uni, M. Demange, et du vétérinaire qui l'assistait. Nous avons envoyé une lettre au ministre de l'époque, bien évidemment imprécise, non par volonté d'être imprécis, mais mûs par le seul souci de relayer l'information auprès des autorités publiques compétentes. Voilà quel était notre état d'esprit au moment de rédiger cette lettre. Nous n'avons pas reçu de réponse du ministère à l'époque. Nous ne savons où le courrier s'est perdu. En tout état de cause, comme l'indique Alain Blandin, président à l'époque de la FNGDS et qui en demeure aujourd'hui le président d'honneur, dans Le Figaro, « J'ai de nouveau évoqué la crise de la vache folle avec le ministre de l'Agriculture entre août et l'automne 1989 peu de temps avant qu'il ne décrète l'embargo des jeunes veaux britanniques... »

La FNGDS a donc, dans un premier temps, alerté le ministre par courrier. Puis son président a de nouveau évoqué avec le ministre de l'Agriculture le message que nous avait transmis notre ambassade à Londres. J'ajoute qu'à l'occasion du congrès européen que nous avons donc organisé, qui rassemblait des responsables importants des Communautés européennes, dont le chef du service de la législation vétérinaire, à aucun moment, un orateur n'est revenu sur le phénomène de l'ESB. Le rapport que nous avions préparé a été distribué larga manu à environ 600 ou 700 participants. Il évoquait ce qu'à l'époque chacun nommait par le sigle anglais « BSE ». Ce rapport ne rencontra aucun écho. Voilà le déroulement des événements d'août 1989 jusqu'à notre congrès.

En juin 1990, dans le numéro 100 de notre petite revue interne GDS info, nous avons établi un rapport sur la situation des connaissances en matière de BSE. Cela indique qu'il existait à l'époque certains éléments d'ores et déjà connus. L'article écrit par le vétérinaire conseil de l'époque de la FNGDS, Barbara Dufour, avait été nourri par des conversations, menées notamment avec le professeur Savey, à l'époque en fonction à l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort. La bibliographie fait référence à un article de 1988 dans Le Point vétérinaire, à un autre datant de 1989 dans La Semaine vétérinaire, et à un article en anglais tiré d'un numéro de 1988 de la revue Epidemiological studies. Des informations scientifiques apparaissaient donc à l'époque.

En conclusion, nous émettions des propositions en matière de prévention de l'ESB en France. Il s'agissait d'interdire l'importation en France de farines animales et de bovins vivants en provenance de chacun des pays connaissant des cas cliniques d'ESB, d'opérer une étude approfondie des conditions de traitement des farines animales et, enfin, de créer un réseau d'épidémiosurveillance clinique et histologique afin de détecter très rapidement l'apparition d'un premier cas.

M. le Rapporteur : Je peux témoigner de l'action de la FNGDS dans le cadre de mes fonctions de président de l'association des maires de mon département. J'ai eu en effet l'occasion de transmettre à l'ensemble des maires un document que vous avez établi, notamment pour les inciter à ne pas retirer la viande bovine du menu des cantines scolaires. J'ai beaucoup apprécié vos propos, même si certains peuvent être discutés. J'ai apprécié votre sincérité.

Pour expliquer les contaminations de bovins entre 1990 et 1996, vous indiquez que des fraudes se sont produites, ce qui tend à corroborer d'autres informations en notre possession. Vous évoquez par ailleurs des contaminations croisées, dont nous pensons aussi qu'elles ont eu lieu. S'agissant de ces dernières, est-il selon vous possible d'assurer le transport dans un même camion d'aliments pour différents animaux, alors que certains composants de certains aliments sont destinés à des volailles et sont interdits, par ailleurs, à la consommation des bovins ?

Les éleveurs ont utilisé les farines animales, parce qu'il s'agissait d'un moyen pratique et peu coûteux d'apporter les protéines nécessaires à l'alimentation des animaux. Nous ne nous sommes sans doute pas suffisamment souciés à une époque, et je n'incrimine pas uniquement les éleveurs, mais chacun des acteurs de l'alimentation animale, de la santé publique. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit en partie d'un problème de formation des éleveurs ? S'agissant des problèmes relatifs à l'ESB, étaient-ils suffisamment informés ? Pendant un certain temps, chacun savait que l'ESB existait, on ne peut dire que l'on ne savait pas, mais sa transmissibilité à l'homme semblait totalement exclue. Nous avons donc laissé se poursuivre certaines pratiques comme l'usage des farines animales dans l'alimentation de certains animaux, parce qu'elles étaient pratiques et bon marché. Nous n'avons pas pris le problème suffisamment au sérieux et nous n'avons pas su expliquer certains éléments à nos éleveurs qui se défendent, avec raison, d'avoir été des empoisonneurs. Ils ont été d'une certaine façon les victimes d'un système.

Enfin, une de vos affirmations m'inquiète un peu et, à ce titre, je vous demande une précision. Vous dites que, depuis six mois à un an, vous constatez des luttes d'influence entre certaines administrations, qui rendent opaque le discours des autorités publiques. Pouvez-vous nous décrire ces luttes d'influence ?

M. Jean-Jacques ROSAYE : S'agissant de l'utilisation de farines animales par les éleveurs, il faut noter qu'encore très récemment, la description des aliments pour animaux vendus aux dits éleveurs prenait non pas en compte la composition de ces aliments, mais était basée sur ce qu'ils étaient susceptibles d'apporter aux animaux en termes de protéines, d'unités fourragères, de calcium, ou de phosphore. Il s'agit là des bases essentielles pour élaborer la ration alimentaire d'un animal. Nous avons laissé aux marchands d'aliments pour animaux la responsabilité de savoir ce qu'ils pouvaient ou ne devaient pas introduire dans leurs produits.

Il faut par ailleurs noter que le recyclage des sous-produits et, parmi eux, des farines animales est un problème de société. Sans l'ESB, la valorisation des farines de viandes par leurs utilisateurs dans l'alimentation d'autres espèces que l'espèce bovine constituait la meilleure valorisation possible. Il faut se souvenir que les farines n'existent pas depuis 1990, mais depuis 1900, voire, peut-être, depuis plus longtemps encore. Il s'agit d'une source de protéines, comme les tourteaux de soja. Cette valorisation permettait d'éviter certaines contaminations, qui désormais vont peut-être affecter les nappes phréatiques. En effet, les contaminations issues du stockage des farines adviendront tôt ou tard.

S'agissant du discours des différentes administrations, il est clair qu'il existe une certaine concurrence entre le ministère de la Santé et le ministère de l'Agriculture. Certaines personnes haut placées ont annoncé des chiffres pas toujours étayés, qui ont instillé le doute dans l'esprit des consommateurs et qui ont constitué une surenchère alors qu'il était nécessaire de calmer le jeu et de relativiser certains éléments. Les journalistes exagéraient d'ores et déjà certains éléments et ont contribué à médiatiser les points douloureux. Il n'était donc pas nécessaire que des personnes responsables, dont la mission consiste plutôt à relativiser les choses, fassent leurs des éléments d'information plus ou moins étayés.

M. Pierre HELLIER : Je considère que la lettre adressée au ministre par M. Alain Blandin, alors président de la FNGDS, en août 1989, est en soi très précise et très inquiétante. Au surplus, elle a pour origine la FNGDS, organisme crédible et reconnu s'agissant de maladies chez les animaux d'élevage. Je ne veux accabler personne, mais cette lettre méritait, à tout le moins, un accusé de réception. Je suis Vice-Président du Conseil général de la Sarthe. Si le GDS de mon département m'écrivait, j'espère très honnêtement qu'il recevrait une réponse.

Par ailleurs, il ressort de cet exposé de qualité que l'épidémie animale a sans doute été mal gérée au Royaume-Uni, mais dès l'instant où la transmission à l'homme de l'ESB est devenue une certitude, la situation fut relativement bien gérée dans ce pays. Est-ce également votre avis ?

M. Jean-Jacques ROSAYE : J'ai du mal à porter un jugement, dans la mesure où je ne suis pas parfaitement au fait du déroulement des événements au Royaume-Uni. La déclaration à la Chambre des Communes, le 20 mars 1996, de Stephen Dorel, alors ministre de la Santé, constitue le point de basculement de toute la crise et ce, au détriment de l'élevage bovin anglais qui a complètement fondu à l'époque et qui est en train de se reconstituer progressivement. Mais au Royaume-Uni, comme en France, je pense que le mal était déjà fait à l'époque. Les premières contaminations chez les bovins datent de 1980. Donc les premières contaminations humaines datent peut-être de 1983-1984. À compter de 1996, je pense que les Britanniques ont correctement géré la crise qu'ils subissaient, un peu poussés par l'Union européenne sur certains points. Cependant, durant les années 1988-1990, alors qu'ils interdisaient sur leur territoire l'usage des farines animales dans l'alimentation des ruminants, ils ont poursuivi les livraisons à destination de la France. Sur ce point, je crois qu'ils n'ont pas été corrects.

M. Marcel ROGEMONT : M. Rosaye estime donc que certaines déclarations intempestives ont pour origine certains ministères. Je crois que d'autres institutions ou organisations se sont livrées à de telles déclarations. Vous avez par ailleurs évoqué l'existence de la fraude. Pouvez-vous nous préciser où et comment a-t-elle eu lieu ? Pensez-vous qu'il soit possible d'avoir une traçabilité de la fraude s'agissant notamment des cas d'ESB dits NAIF ?

M. Roger LESTAS : Ma question s'adresse à M. Jean-Jacques Rosaye, que je n'ai pas eu le plaisir de connaître lorsque je siégeais au sein de la FNGDS. Je sais, cependant, qu'à l'initiative du Président Blandin, l'un de vos prédécesseurs, une rencontre annuelle européenne devait être créée afin d'établir un programme commun pour lutter contre les maladies animales. Si mes souvenirs sont bons, la première rencontre a eu lieu à la fin de l'année 1990 au Sénat. Ces rencontres se sont-elles poursuivies ? Une telle rencontre européenne s'est-elle tenue sur l'ESB ?

M. Marcel DEHOUX : J'ai été alerté par de nombreux agriculteurs et éleveurs de l'arrivée de viande bovine allemande dans les grandes surfaces. L'arrivée en France de viande à neuf francs le kilo, non testée, remet en cause l'ensemble de l'action de prophylaxie conduite en France. Faut-il, selon vous, revenir à la viande bovine française ?

M. François COLCOMBET : Ce qui ressort de l'exposé de M. Jean-Jacques Rosaye est qu'il y a déjà longtemps que l'on pouvait savoir. Vous avez dit qu'en 1990 vous aviez alerté le ministre, mais tout le monde à l'époque savait, ne serait-ce que parce que dans les tabloïdes anglais, il n'était question que de cela. On savait par ailleurs que l'agent pathogène de l'ESB passait la barrière des espèces et avait ainsi atteint le chat. Par ailleurs, les scientifiques ont rappelé à cette époque l'existence de la maladie du kuru. Des éléments étaient donc versés au débat public. Il y eut ensuite la mission d'information de l'Assemblée nationale présidée par Mme Evelyne Guilhem et dont le rapporteur était Jean-François Mattei au mois de janvier 1997. Il suffisait de lire le rapport qui en est issu pour voir qu'il était urgent d'engager des travaux de recherche. Mais certains ont continué à ne pas considérer réellement le problème. Quand la Suisse fait l'épreuve de vérité, les éleveurs bavarois qui pratiquent le même type d'élevage, élèvent les mêmes bêtes, demeurent persuadés jusqu'en décembre 2000 qu'ils sont indemnes. Comment peut-on expliquer que le monde scientifique, le monde politique, probablement aussi le monde agricole - je ne parle pas des petits agriculteurs isolés, mais des organisations agricoles, des grands syndicats - n'ont pas perçu l'importance du problème ?

M. François DOSÉ : Je prolonge la question de mon collègue, car c'est l'absence de prise de conscience du problème dans des délais raisonnables qui m'inquiète et ce, dans chacune de nos auditions. Il s'agit d'un phénomène que j'avais sans doute sous estimé. Ainsi, il y a une demi-heure, nous entendions M. Daniel Gremillet, qui est quelqu'un que je connais bien, qui est une personne sincère, et qui nous explique qu'il a découvert les problèmes liés à l'ESB en 1996. Or, il est éleveur, et je puis persuadé qu'il est membre d'un GDS. Je ne comprends pas comment, en 1989, un groupement de personnes volontaires, sensibilisées aux problèmes sanitaires dans les élevages, a pu ainsi demeurer dans l'ignorance du problème. D'un côté, d'aucuns dénoncent le système français parce que, disent-ils, il est très jacobin. De l'autre côté, on veut s'approprier des défis dont le traitement était centralisé et cela ne fonctionne pas alors que c'est un collectif qui veut se les approprier !

M. Jean-Jacques ROSAYE : S'agissant des fraudes, je ne peux guère en dire plus que ce que j'ai d'ores et déjà dit. Les membres de la commission d'enquête du Sénat nous ont demandé avec insistance de rassembler dans nos départements d'éventuelles informations tangibles. Hormis la persistance des rumeurs, nous n'arrivons pas à rassembler de preuves tangibles d'actes frauduleux. Comme l'a dit M. Daniel Gremillet, le fraudeur n'annonce pas publiquement quelle est la nature de ces actes. Il est donc difficile d'opérer des enquêtes de traçabilité sur d'éventuels actes frauduleux.

Par ailleurs, la FNGDS a en effet organisé une rencontre en 1992 au niveau européen. Une autre fut organisée en 1996 à Bruxelles. Elles sont organisées tous les trois à quatre ans. Nous n'avons pas tenu de colloque sur l'ESB en tant que tel, mais nous travaillons actuellement afin d'élaborer une fédération européenne qui réunira les six ou sept pays européens les plus avancés au niveau sanitaire et qui se concrétisera d'ici à quelques semaines ou quelques mois.

S'agissant de la viande allemande livrée en France, j'ai été parmi les premiers à m'exprimer. Ainsi, en novembre de l'année 2000, pour lutter contre la défiance des consommateurs à l'égard de la viande française, le supermarché situé à cinq kilomètres de chez moi a dressé un grand linéaire consacré à la viande allemande. J'étais hors de moi ! Comment était-il possible que des gens qui introduisent de la viande sur le territoire français soient aussi ignorants de ce qui se passait en Allemagne ? Nous savions très bien que l'Allemagne n'avait quasiment pas déclaré de cas parce qu'elle ne les cherchait pas !

M. Pierre HELLIER : Il s'agit d'habileté commerciale !

M. Jean-Jacques ROSAYE : Cette soi-disant habileté risque de se retourner contre eux, au regard, notamment, des nombreux cas déclarés en Allemagne depuis deux mois.

M. Marcel DEHOUX : Les supermarchés et les hypermarchés n'indiquent plus cette origine !

M. Jean-Jacques ROSAYE : Si j'avais été consommateur de cette viande, je serais en droit de demander des comptes à l'enseigne que j'ai évoquée. S'agissant de la traçabilité à partir des bovins jusqu'à la viande commercialisée, le dispositif français est au moins aussi efficace que ceux existant dans d'autres pays de l'Union européenne. De plus, la France a mis un programme de tests des animaux les plus susceptibles d'être atteints dès l'été 2000. En conséquence, il ne faut pas avoir peur de dire que la viande française est la plus sûre des viandes produites dans l'Union européenne.

Je crois, par ailleurs, pour répondre à M. Dosé, que les organisations professionnelles agricoles n'ont pas senti la nécessité de s'informer de façon plus approfondie car nous n'avons pas eu la sensation que le risque était aussi important que nous l'avons appris par la suite. Le risque fut ressenti à sa juste intensité lorsque nous avons su que la maladie se transmettait à l'homme. Aujourd'hui, il est possible que des bovins ou des animaux soient atteints en Europe de maladies que nous ne connaissons pas bien et qui pourront peut-être émerger de façon explicite pour chacun dans seulement dix ans. S'agissant de l'ESB, l'information est venue jusqu'à nous progressivement. Si un cas de nvMCJ avait été détecté dès 1989, l'information se serait diffusée plus rapidement. Une maladie atteignant des bovins et quelques autres animaux comme le chat n'intéressait pas forcément tout le monde en 1989.

La lettre que j'ai évoquée, adressée au ministre de l'Agriculture de l'époque montre notre intérêt pour ce problème dès 1989. Nous gérions en effet des problèmes sanitaires liés aux bovins. Nous n'avons pas senti le problème de santé publique présent dans cette affaire, avant que celui-ci soit avéré.

M. Marc-Henri CASSAGNE : Je pense qu'il y a eu par ailleurs un problème de communication scientifique. En fait, la communauté scientifique sait depuis longtemps que la dose infectieuse nécessaire à la contamination d'un bovin est très faible. Cependant, il a fallu beaucoup de temps avant que cet élément soit connu, en dehors des scientifiques spécialisés dans le domaine des maladies à prions.

Quand Daniel Gremillet déclare que la profession ne savait pas avant 1996, il ne ment pas. Lorsque le premier cas est apparu en 1991 en France dans le département des Côtes d'Armor, toute la « communauté agricole », alors réunie au salon de l'agriculture, s'est interrogée. Mais il ne s'agissait pour chacun d'entre nous que d'une maladie animale. À l'époque, les scientifiques déclaraient que le risque de transmission à l'homme, s'il ne pouvait être formellement exclu, restait extrêmement mineur. C'est donc en 1996 que la situation a basculé, car on s'est rendu compte à ce moment-là que le risque de transmission à l'homme était fort. Cependant, jusqu'en 1996, le problème intéresse plus des cénacles que la population. Cela concernait les éleveurs dans les troupeaux desquels une bête malade avait été détectée. Les groupements de défense sanitaire connaissaient certains de ces cas. La FNGDS en parlait avec le ministère, lequel a mis sur pied le réseau d'épidémiosurveillance passive. Il y a eu aussi la mise en _uvre de certaines actions en matière de recherche. Mais l'ESB n'en restait pas moins une maladie animale. Le réveil a donc eu lieu en 1996. Cela n'a certes pas empêché, avant 1996, la diffusion d'un certain nombre d'informations sur le terrain. Mais je pense que la communauté scientifique ne s'est pas donnée tous les moyens pour diffuser ces informations.

Je reviens sur les problèmes de lutte d'influence évoqués par M. Jean-Jacques Rosaye. Je vais vous livrer un exemple. L'expérimentation mise en _uvre par le ministère de l'agriculture dans le Grand-Ouest, à compter de l'été 2000, sur les animaux les plus susceptibles d'être infectés, portait sur 40 000 tests. Un rapport a été établi sur les résultats de 15 000 tests. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a révélé que, s'agissant des animaux abattus d'urgence, le taux des bêtes pour lesquelles l'ESB avait été détectée était de 30/00, ce qui, selon elle, était extrêmement inquiétant. L'AFSSA a donc souhaité l'interdiction de l'abattage d'urgence. Quelle pouvait être la réaction du ministère de l'Agriculture ? Il était obligé de suivre l'avis exprimé par les scientifiques. Mais il convenait de préciser que le taux évoqué avait un intervalle de confiance, ou une marge d'erreur de un à sept. Dès lors, la question de la pertinence de la décision mise en _uvre par le ministre se pose.

Une « mécanique » semble avoir été lancée, par laquelle on prend de plus en plus vite des décisions avant même que les précédentes aient pu être appliquées et avant que l'on ait pu se donner les moyens de contrôler leur mise en _uvre.

Les farines en tant que telles ne sont pas contaminantes, ce sont les MRS qui le sont et qui, par leur présence dans les farines animales, ont rendu leur ingestion contaminante. Il a donc été décidé de retirer ces farines de l'alimentation des bovins, mais qu'en a-t-il été concrètement ? La réponse a été apportée par M. Jean-Jacques Rosaye dans son exposé introductif, quand il a évoqué les contaminations croisées et les fraudes. Le problème est le contrôle de l'application des décisions prises. La mise en _uvre de nouvelles décisions est un problème accessoire. Sinon, on assistera à une course sans fin vers le « zéro défaut » ou « le plus blanc que blanc ».

Aujourd'hui, la création significative d'emplois au ministère de l'Agriculture dans les services vétérinaires compense simplement les pertes constatées depuis plusieurs années. Ces créations d'emplois demeurent probablement insuffisantes. Il n'est pas possible de contrôler vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

La « mécanique » évoquée pose réellement problème. Elle a commencé à fonctionner en 1996, et s'est accélérée en 2000 en France et, de plus en plus, au niveau de l'Union européenne, depuis que des Etats membres qui n'avaient pas détecté de cas d'ESB en ont découvert, notamment depuis l'obligation de tester les animaux de plus de trente mois destinés à intégrer l'alimentation humaine.

M. Jean-Jacques ROSAYE : La FNGDS a décidé d'informer les éleveurs et les consommateurs par des réunions en diffusant une information fondée du point de vue scientifique. C'est la seule solution pour amener les consommateurs à de plus justes réactions à l'égard de la viande bovine.

M. Le Président : Nous vous remercions.

Audition de

M. Eugène SCHAEFFER, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ;
accompagné de M. Joseph GARNOTEL,
directeur-adjoint de la FNSEA ;

M. Jean-Luc DUVAL, président du Centre national
des jeunes agriculteurs (CNJA) ;

M. Xavier COMPAIN, secrétaire national, porte-parole du Mouvement des exploitations familiales (MODEF) ;

M. François LUCAS,
président de l'Union nationale de la Coordination rurale ;

M. François DUFOUR,
porte-parole, responsable de la commission ESB de la Confédération paysanne ;

M. François TOULIS, membre du Bureau de la Confédération française
de la Coopération agricole (CFCA)

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. le Président rappelle à MM. Eugène Schaeffer, Jean-Luc Duval, Xavier Compain, François Lucas, François Dufour, François Toulis et, Joseph Garnotel que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Eugène Schaeffer, Jean-Luc Duval, Xavier Compain, François Lucas, François Dufour, François Toulis et Joseph Garnotel prêtent serment.

M. le Président : Vous savez que l'objectif de notre commission d'enquête est d'établir la vérité sur le recours aux farines animales, de faire le point sur la lutte contre l'ESB et de vérifier que toutes les décisions ont bien été prises par les pouvoirs publics en fonction de l'état des connaissances du moment. Il s'agit également de tirer les leçons qui s'imposent en matière de pratiques agricoles et de santé publique. Pour amorcer le débat, je vais donner la parole au président ou au représentant de chacune des organisations présentes aujourd'hui.

M. Eugène SCHAEFFER, vice-président de la FNSEA : Merci, monsieur le Président, de nous recevoir ce matin, car, sur un sujet aussi grave et aussi important, il est normal que nous puissions nous exprimer devant le Parlement. Le problème de l'ESB est aujourd'hui un véritable drame pour l'agriculture, notamment pour les producteurs touchés, mais également pour l'ensemble de la profession. Des discussions sont en cours avec le ministre de l'agriculture pour essayer de trouver des solutions à la crise. Mon intervention s'articulera autour de trois axes : la réglementation et son évolution, le respect de cette réglementation et son application pratique.

La fabrication des farines animales remonte déjà à plus d'un siècle, mais leur emploi s'est accéléré dans les périodes d'après guerre, dans les années 1960-1970, lorsque la France a décidé de fermer pratiquement tous les abattoirs particuliers. Il faut savoir que, jusqu'à cette époque, chaque boucher avait encore son abattoir et pouvait tuer chez lui. Il a donc été décidé de recentrer cette activité sur les grands abattoirs, ce qui a conduit à accumuler des déchets d'abattoirs.

Face à cette situation, il convenait de trouver des solutions. On a donc décidé de valoriser la transformation de ces déchets en farines animales ou protéines animales destinées à l'alimentation des animaux, sachant qu'il fallait importer de très grandes quantités de protéines végétales.

Il existait une réglementation qui, à mon avis, était appliquée, mais, lorsqu'en 1988-1990 ont débuté les affaires en Grande-Bretagne, nous avons tout de suite tiré la sonnette d'alarme en déclarant qu'il y avait danger. Je me souviens d'ailleurs que, lorsque nous l'avons fait - c'est un point qui mérite d'être souligné - la Commission européenne et les responsables de l'époque veillaient surtout au respect de la libre circulation des marchandises, arguant que les services vétérinaires avaient pris leurs dispositions. Nous avons vu par la suite ce que cela a donné... En 1990, alors que le problème commençait à poindre en Grande-Bretagne, sans que personne n'en soupçonne l'envergure, la France a pris un certain nombre de mesures, comme il était d'ailleurs impérieux de le faire : l'interdiction d'incorporer des farines animales dans l'alimentation des bovins s'avérait indispensable.

Survient ensuite la première crise de 1996. Est-ce que, dans cet intervalle, l'interdiction a été respectée ? Il est difficile de le dire : on sait que des farines étaient importées de Grande-Bretagne. Les pouvoirs publics et l'administration veillaient-ils à ce que cette interdiction soit strictement appliquée ? Ce sont normalement les services vétérinaires du ministère de l'agriculture et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'économie et des finances, qui devaient s'en assurer : il est également difficile d'affirmer que tel a bien été le cas.

Il est donc permis de s'interroger sur le respect et l'application effective de la réglementation. Toujours à partir de 1996, la France a essayé de mettre en place un système à double tour qui consistait à interdire l'incorporation des produits à risque et des cadavres dans les farines animales. Cette décision n'était pas communautaire. Elle relevait uniquement d'une initiative française. C'est à ce moment-là qu'a commencé, dans les cimenteries, la destruction des farines animales dans la composition desquelles entraient des cadavres et des produits à risque, ce qui représentait une lourde tâche.

Parallèlement, la Commission européenne a élaboré une nouvelle réglementation sur le chauffage à 133° - 3 bars, si bien que coexistaient deux réglementations : la réglementation européenne et notre réglementation nationale spécifique. Je dois avouer que, à l'époque, les abattoirs fonctionnant sous le contrôle des vétérinaires qui veillaient strictement à la séparation des produits à risque destinés à l'incinération et des produits sains destinés à la fabrication de farines animales, nous étions relativement confiants ; seul se posait le problème des graisses.

Il faut dire que ce système de réglementation était unique en Europe et présentait l'avantage d'éliminer les cadavres et les produits à risque et assurait ainsi la présence de produits sains dans les farines animales, alors même que les autres pays de l'Union, notamment l'Allemagne, continuaient à fabriquer des farines à base de cadavres.

Il convient, là encore, de se poser la question de savoir si, à l'époque, la réglementation était bien respectée et appliquée. Dès 1996, une réglementation extrêmement sévère avait été mise en place. Je trouve très injuste l'article du Canard enchaîné faisant état de farines animales à déjections humaines. Cette réglementation se traduisait d'ailleurs pour les usines d'équarrissage par des investissements importants. Etaient-ils faits à temps ? Les crédits promis par l'Etat étaient-ils débloqués assez vite ? Toutes ces questions fournissent matière à réflexion.

En 1998, ces affaires ont été connues, nous nous sommes vraiment interrogés sur ce qui avait été fait concernant le respect et l'application de la réglementation de 1996. J'avoue franchement que c'est à partir de ce moment-là qu'au sein de nos organisations syndicales nous avons commencé à être saisis de doutes et que nous nous sommes posé la question de savoir s'il ne convenait pas d'interdire l'ensemble des farines animales. En effet, nous nous rendions bien compte que des lacunes pouvaient affaiblir la traçabilité et l'étanchéité du système. C'est alors que l'on a commencé à entendre parler des contaminations croisées.

A l'époque où les farines animales n'étaient plus autorisées que pour l'alimentation des porcs et des volailles, un sujet avait pris une particulière importance : la situation des petits fabricants d'aliments, notamment dans les zones rurales et celles où l'élevage de porcs et de volailles étaient nettement moins important que celui des bovins. En effet, ces producteurs n'étaient pas à même d'assurer deux circuits de fabrication, ils fabriquaient alternativement des aliments avec farines animales pour les porcs et les volailles et des aliments sans farines animales pour les bovins. Or, lorsqu'il n'y a qu'un seul circuit, il n'y a qu'une seule mélangeuse, les camions transportent indifféremment les diverses productions, d'où de nombreux risques de contamination.

On aurait dû, à mon avis, accorder à ces petits fabricants un délai et leur interdire d'avoir recours aux farines animales s'ils ne mettaient pas en place un système avec deux circuits séparés. Par ailleurs, on avait déjà relevé les difficultés posées par le système de fabrication à la ferme. Nombreux sont les agriculteurs qui fabriquent les aliments à la ferme et qui ont à la fois une production de porcs, de volailles ou de pondeuses, et, à côté, une production laitière. Dans ce cas, les mêmes machines servent à fabriquer tous les aliments et si le nettoyage n'est pas parfait, il existe également un risque de contamination. En outre, il convenait de se demander si certains agriculteurs n'auraient pas distribué à des bovins des aliments destinés aux volailles et aux porcs.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons considéré que le système n'était pas étanche et qu'il convenait de réfléchir à des solutions pour éviter toute contamination croisée. Ayant pris conscience qu'il était très difficile d'assurer cette étanchéité, nous avons fini par dire qu'il fallait arrêter la fabrication des farines animales pour l'ensemble de l'alimentation animale. Comme nous avions des doutes sur l'application de la réglementation, nous avons déposé une plainte, dont M. Garnotel pourra, par la suite, préciser la teneur. Maintenant, il appartient à votre commission et à la justice d'étudier la question et de déterminer quels étaient les points faibles de la réglementation et si des acteurs ont été défaillants.`

M. Jean-Luc DUVAL, président de la CNJA : Les jeunes agriculteurs sont vivement intéressés par les travaux de cette commission parlementaire. Des actions en justice sont en cours, mais nous attendons beaucoup de votre volonté de faire éclater la vérité sur un dossier tellement important. Beaucoup de mes mandants n'étaient pas encore installés ou n'avaient pas encore achevé leur formation agricole au début de cette affaire de l'ESB, dont le vecteur principal semblerait être celui des farines animales. Cette affaire, qui est vécue dans certains endroits de façon dramatique, soulève toutes sortes de questions. Pour ma part, je m'en tiendrai à quelques réflexions d'ordre et à quelques observations fondées sur mon expérience d'éleveur. M'étant installé en 1988, je peux en effet vous dire comment les inquiétudes ont été vécues sur le terrain et quelle a été l'action des jeunes agriculteurs.

Ainsi que vient de le dire Eugène Schaeffer et comme le confirment un certain nombre d'articles que nous avons retrouvés dans des revues spécialisées et dans des manuels d'enseignement agricole du début du siècle, les farines animales ne datent pas d'une dizaine d'années mais s'inscrivent dans une pratique qui a cours depuis longtemps. C'est la raison pour laquelle je rappellerai qu'il faut bien prendre conscience que, toute production générant des déchets, la question de leur recyclage finit toujours par se poser. On a imaginé à un moment donné que les farines carnées pouvaient présenter un intérêt pour l'alimentation animale. Cette conviction s'est trouvée renforcée par des décisions politiques, prises notamment au moment de l'après-guerre, quand, conformément à un accord non écrit, il a été décidé de confier à l'Europe la production de protéines énergétiques comme le blé, et aux Etats-Unis celle des protéines azotées. Cette décision explique, d'une part, que la France ait toujours été et demeure fortement déficitaire en protéines azotées - il y aurait un gros effort à réaliser pour la rendre, sinon autosuffisante, du moins provisoirement indépendante - et, d'autre part, que le recours aux farines animales se soit développé au point d'atteindre les excès que l'on connaît.

Les jeunes agriculteurs se sont posé beaucoup de questions au cours des années 1990 et mes prédécesseurs, saisis du problème, observaient avec force craintes l'évolution de la situation, tant en Grande-Bretagne qu'en France. Les jeunes éleveurs se posaient des questions sur l'étiquetage de l'alimentation utilisée sur leurs exploitations. Je me rappelle, par exemple, avoir mené, alors que j'étais jeune militant, plusieurs réunions avec des fabricants d'aliments. Quand je les interrogeais sur la composition exacte de leurs produits, j'obtenais la réponse suivante : « les informations qui figurent sur l'étiquette correspondent à ce que la législation nous impose, mais nous n'en dirons pas plus parce que nous travaillons en fonction du coût du marché et que les formules peuvent varier à tout moment en fonction des opportunités et du prix des matières premières. ».

L'incompréhension était grande, alors que nous avions pris conscience du fait que l'alimentation pouvait comporter des éléments nocifs. J'insiste sur le fait que cela a été le cas au cours de plusieurs réunions qui ont alors pris une tournure brûlante. Il a fallu attendre 1996 pour que l'information s'améliore un peu, tant il est vrai qu'il n'y a qu'en période de crise que les choses évoluent : on a encore pu le constater avec la traçabilité de la viande bovine ! Ce n'est qu'à partir de cette date que les éleveurs en ont appris un peu plus sur ce qu'ils avaient donné à manger à leurs animaux. Aussi, lorsqu'ils détectent aujourd'hui un cas d'ESB, ils se sentent victimes et tentent de faire la lumière, ce qui en incite un certain nombre à agir en justice.

Pour avoir connu, entre Noël et le premier janvier, deux cas d'ESB dans mon canton, chez des agriculteurs qui produisent comme je peux le faire moi-même, je sais quel effet de « douche froide » cette découverte peut produire sur le terrain.

Des cas d'ESB ont même été recensés sur des exploitations où la production est la plus extensive que nous puissions connaître, avec un élevage tout à l'herbe et juste quelques distributions de concentré au moment du sevrage.

Concernant les farines animales et leur utilisation, le C.N.J.A avait estimé que transformer des cochons et des poules en végétariens était sans doute, comme le confirme l'enseignement agricole, quelque peu aberrant. Il s'efforçait donc de trouver des solutions pour permettre l'installation de circuits alimentaires différenciés pour les productions bovines d'une part, et avicoles et porcines d'autre part, afin d'éviter toute contamination croisée. Le dossier ayant peu évolué, peut-être du fait d'un manque de volonté de certains intervenants de la filière, mais aussi de l'importance du travail à mener au niveau de l'administration et des pouvoirs publics, nous en sommes arrivés à demander la suppression totale des farines animales.

Cela étant, en qualité de citoyen, je m'interroge aussi sur le devenir de ces farines. Si l'on doit les stocker pour s'apercevoir qu'il y en a entre 800 000 et 850 000 tonnes, sans compter les 150 000 tonnes de graisse, on ne pourra pas les conserver indéfiniment. J'approuve donc les propos précédents soulignant que la gestion de nos déchets est un problème important. Nous regrettons que le dossier des déchets ait été abandonné, mais il n'en demeure pas moins vrai que, ces derniers temps, il était important d'éliminer les farines animales pour rassurer le consommateur pour qui le problème est complexe, d'autant que ces farines animales étaient issues des carcasses déclarées bonnes pour la consommation humaine. Je ne pense pas que les agriculteurs aient failli à leur mission. Les jeunes agriculteurs sont disposés à revoir un certain nombre de protocoles et à réfléchir à des solutions, sans pour autant renier tout ce qu'ils ont fait ces dernières années.

M. Xavier COMPAIN, Secrétaire national du MODEF : Monsieur le Président, mesdames et messieurs mon intervention comportera quatre parties : notre analyse des raisons de cette crise de l'ESB ; le vécu de cette situation par les agriculteurs ; des propositions pour sortir de la crise ; des propositions plus générales en matière communautaire.

Tout d'abord, nous pensons que cette crise n'est pas née du hasard mais qu'elle résulte de l'ensemble des décisions et des choix politiques dictés par les lois de l'argent érigées en système de pensée. L'agriculture fondée sur un type de développement productiviste, que le MODEF combat depuis quarante ans, a généré le drame que nous vivons. Cette crise grave, dont les exploitants familiaux ainsi que les petits et moyens éleveurs font les frais, est le fruit du libéralisme exprimé par les réformes successives de la PAC, par le GATT et, aujourd'hui, par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Mes prédécesseurs en ont énuméré toutes les causes : libéralisme sous toutes ses formes, privatisation des services vétérinaires en Grande-Bretagne, suppression des frontières et des contrôles depuis 1993, 80 % des aides compensatoires accordées aux plus grosses exploitations dans le cadre des politiques agricoles communes, contingentements des viandes dans le cadre des accords de Marrakech, importations des pays tiers, durée et niveau de chauffe réduits pour les fabricants d'aliments, etc.

Aujourd'hui, l'inquiétude est grande chez les éleveurs, aussi pensons-nous que la tempête médiatique qui a accompagné le début de cette crise en novembre 2000 n'était pas de nature à poser lucidement le problème de la sécurité alimentaire. Paysans et à la fois citoyens, nous estimons que cette crise doit être traitée avec responsabilité et détermination. Les consommateurs, comme les paysans, sont en droit d'attendre la plus grande transparence de l'ensemble de la filière. Les fraudeurs doivent être sanctionnés par la justice, mais la recherche doit aussi être encouragée, notamment à travers l'AFSSA. Le Gouvernement s'est prononcé pour la suppression des farines animales destinées aux animaux d'élevage, ce qui implique de prendre des mesures immédiates et des mesures à long terme.

Cette solution de sagesse publique s'imposait. De cette décision politique, découlent des choix importants.

Nous le savions, cette filière était en crise en 1996. Nous avions alors fait des propositions et organisé des manifestations. Aujourd'hui, la consommation est toujours en baisse, les abattoirs travaillent au ralenti ou sont au chômage technique, les cours de toutes les catégories d'animaux ont subi une chute catastrophique. Nous pensons que les exploitants ne peuvent supporter financièrement tous ces surcoûts liés à l'alimentation, au stockage, à la baisse du prix de la viande. Des mesures financières directes doivent être décidées, plafonnées par actif et par exploitation. L'arrêt des farines animales doit permettre de relancer la production d'oléo-protéagineux et d'obtenir de l'Union européenne la revalorisation des aides compensatoires. L'accord de Blair-House qui plafonne la production européenne doit être renégocié. La France doit aller vers l'autosuffisance en matière de protéines, alors qu'elle est aujourd'hui très largement dépendante. Veillons à développer des protéines non génétiquement modifiées, afin d'éviter demain une crise alimentaire supplémentaire.

Des mesures telles que la fixation des prix agricoles rémunérateurs doivent inciter les éleveurs à poursuivre leur effort de traçabilité et de qualité. Les différents cahiers des charges, labels, certifications « agriculture durable » ou « bio », doivent être développés, mais ils méritent rémunération du travail paysan : c'est, pour le MODEF, la première règle. La France doit obtenir de l'Union européenne, pour ses viandes et celles qui pénètrent sur son territoire, un étiquetage cohérent et des signes de transparence à l'égard du consommateur. Nous souhaitions également que la grande distribution et les banques partenaires de l'agriculture, les groupes coopératifs ou privés et leurs filiales, la filiale bovine plus particulièrement, contribuent financièrement à accompagner les éleveurs. Le MODEF propose que le gouvernement de la France et ceux des Etats membres de l'Union européenne prennent des mesures fortes pour lutter contre la crise de l'ESB : j'y reviendrai par la suite.

Aujourd'hui, les animaux de plus de trente mois, testés ou non, alimentent les centrales thermiques EDF. Détruire des animaux de qualité qui sont le fruit du travail de l'éleveur donne le sentiment que l'on marche sur la tête : plus on détruit, plus le marché est déprimé et cela sans regagner la confiance du consommateur. Les cours chutent pour le producteur, tandis qu'au rayon boucherie les prix enregistrent des augmentations de l'ordre de 5 % à 8 %. Les étables débordent, les comptes en banque sont dans le rouge, les coûts des aliments grimpent : la situation est grave ! Mais il y a plus grave encore : la Commission européenne, prétextant des coûts budgétaires trop élevés, propose une réforme de l'Organisation commune des marchés (OCM) de la viande bovine visant à réduire la production. Nous craignons que la Commission européenne ne veuille profiter de la situation pour restructurer la filière pour se rapprocher des obsessionnels cours mondiaux et renforcer les élevages dits « de type industriel » donc de jeunes bovins, au détriment de l'élevage allaitant.

Le MODEF condamne avec force cette stratégie européenne et le laisser-faire des gouvernants. Les éleveurs ne sont pas responsables, mais victimes de l'ESB. Pendant ce temps, les sociétés d'équarrissage, elles, bénéficient d'aides substantielles de l'Etat ; les fabricants d'aliments, suite à la suppression des farines, augmentent leurs tarifs ; les sociétés d'import-export spéculent, par exemple, sur le prix du tourteau de soja. Si quelqu'un doit payer, ce n'est ni l'éleveur, ni le consommateur, mais ces sociétés et les multinationales.

J'en arrive aux propositions relatives à la gestion du marché et à la relance de la consommation. Nous proposons que soient mises en place des mesures de stockage sur pied avec aides directes aux éleveurs, que soit compensée la perte subie par animal et bien évidemment, selon les catégories. Nous proposons une prime OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture) à l'instar de la prime dite « ONILAIT » (Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers) créée à destination de la restauration collective. Nous proposons la mise en place obligatoire, dans chaque rayon boucherie, d'informations claires sur le type, la catégorie et tout ce qui relève des cahiers des charges et de l'étiquetage des animaux, ce qu'on appelle « les signes de qualité ». Nous proposons également de rendre obligatoire pour les centrales d'achats et de distribution une répercussion de la baisse des prix à la production sur les prix à la consommation.

Pour ce qui est des aides aux éleveurs, nous réclamons une compensation intégrale des pertes sous forme d'aides directes, une augmentation de 20 % de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), l'exonération de 50 % des cotisations sociales pour les agriculteurs dégageant un revenu inférieur au SMIC par actif et l'alignement de la prime à l'herbe sur la prime maïs. Pour financer ces aides, nous proposons de mettre à contribution les sociétés d'équarrissage, les sociétés d'aliments de bétail et les sociétés d'import-export de matières premières. Cette contribution pourrait prendre la forme d'une taxe sur le chiffre d'affaires. Il peut également être envisagé d'augmenter la contribution spécifique complémentaire au budget des Etats membres.

Nous demandons la relance d'un véritable « Plan protéines » ambitieux. Ce dernier serait appliqué sous forme de revalorisation des aides aux oléagineux et protéagineux au moins équivalente à celles de l'Agenda 2000, et, pour demain, une incitation à la culture de légumineuses fourragères avec une prime équivalente à l'aide céréales. Enfin, puisque cette crise a conduit, au niveau communautaire, à rediscuter d'une réforme de la PAC, nous sommes favorables à une véritable refonte du modèle de pensée européen en termes de développement agricole, alimentaire et rural, favorables à une politique agricole commune fondée sur des organisations communes de marché assises sur des prix rémunérateurs, la préférence communautaire, la maîtrise des volumes de production, la qualité, le terroir, l'environnement.

Il convient de garantir le revenu paysan par des prix rémunérateurs et par des aides plafonnées par actif et par exploitation en faveur des exploitants familiaux. Il faut rétablir la préférence communautaire et envisager la renégociation des accords de Blair-House et, s'il le faut, des accords de Marrakech et faire preuve d'une grande vigilance dans les négociations actuelles de l'OMC, d'où seraient retirées l'agriculture et l'alimentation. Nous pensons que ces besoins fondamentaux ne sont pas des marchandises, des productions « banalisables ». D'autres structures, telles que la FAO ou l'ONU, peuvent être des lieux de discussions utiles en ces domaines. Il nous semble important de remplacer la notion « d'arme alimentaire » par une notion - sur laquelle il nous faut réfléchir et discuter ensemble - de « coopération alimentaire ».

Quant aux volumes et aux modes de production, nous estimons que les droits à produire doivent bénéficier en priorité aux petits et moyens exploitants. Il faut avancer vers le plafonnement et la modulation des aides au niveau communautaire et mettre à l'ordre du jour la relance de la production des protéines déficitaires. Succinctement, sur la qualité terroir et l'environnement, nous pensons qu'il devrait exister un cahier des charges de « droit commun » au niveau communautaire fondé sur ce principe de base : pas d'OGM, plus de farines, pas d'activateurs de croissance ou d'hormones. Enfin, nous attendons un soutien à la production de qualité et la rémunération, sous des formes dont nous laissons le choix au législateur, des fonctions environnementales assurées par le paysan.

M. François LUCAS, Président de l'Union nationale de la coordination rurale : Je commencerai par rappeler que notre syndicat avait, dès le mois de décembre 1995, par une lettre ouverte au ministre de l'agriculture de l'époque, M. Philippe Vasseur, demandé l'interdiction des importations de bovins et de viande bovine britanniques, ayant eu connaissance, avant que la crise n'éclate, des problèmes potentiels liés à l'ESB. Je rappelle aussi que, dès 1996, nous nous sommes prononcés pour l'interdiction totale de l'adjonction de farines animales dans l'alimentation des bovins et que nous avons également déposé des plaintes contre X dans quarante départements pour essayer d'établir la vérité, pensant que la confiance du consommateur en dépendait pour une bonne part.

En 1999, à l'occasion de l'affaire de la dioxine, nous avons réitéré notre demande de voir interdire totalement les farines animales. Aussi, je dois préciser que, lorsque, en décembre 1999, j'ai déclaré, devant la commission d'enquête de cette assemblée, que le problème était momentanément réglé pour les bovins, j'ignorais l'existence de la « tolérance de 0,3 % » et je présume que de nombreux députés n'en avaient pas plus connaissance que moi. J'avoue que, en apprenant la chose, j'ai eu l'impression, comme les consommateurs, d'avoir été trompé. Nous déplorons l'extrême lenteur de l'instruction judiciaire sur l'utilisation frauduleuse des farines animales. Il est essentiel de redonner confiance au consommateur pour résoudre la crise que traversent les éleveurs et nous pensons que l'aboutissement des enquêtes serait de nature à restaurer la crédibilité de la filière bovine. Aussi longtemps qu'il restera un doute, le soupçon demeurera.

Pour l'avenir, nous réclamons une expertise scientifique des raisons pour lesquelles les farines animales ne pourraient être utilisées comme engrais à épandre sur les sols. Nous soulignons que les cycles de la vie passent toujours par la décomposition des animaux morts, qui contribue à la fois à enrichir la matière organique des sols et à entretenir leur fertilité. Nous ne voyons pas le public s'inquiéter du devenir des millions de tonnes d'animaux qui régulièrement, mourant à terre, participent au cycle de la vie. Nous pensons que la destruction de farines saines est une dérive de notre société, qui a perdu tout bon sens.

Pour ce qui est du remplacement des protéines animales par des protéines végétales, qui plus est non-OGM, nous jugeons le problème insoluble en l'état actuel de la PAC. Nous rappelons d'abord que, même en utilisant les farines animales, nous étions fortement déficitaires - à hauteur de 80 % environ - en matière de protéines. Ce déficit était couvert par des importations de soja lequel est, depuis 1996, génétiquement modifié. Le problème n'est donc pas nouveau, il convient de le rappeler. Bien que cela mette en jeu la sécurité alimentaire, les concepteurs de la PAC ont toujours négligé cet aspect des choses. Pire encore : les réformes successives n'ont fait qu'accentuer le déficit protéique, puisqu'elles ont toujours assigné à la politique agricole commune et à l'agriculture européenne une vocation exportatrice.

En effet, on peut considérer que c'est par le biais du prix du tourteau de soja que nous importons au cours mondial, que la production européenne de protéines est rendue économiquement impossible, compte tenu des coûts de production européens, sans le versement d'aides importantes à la production. Modifié en 1991, le régime des aides conclu dans le cadre des accords de Blair House verrouille notre superficie européenne en oléagineux et, en plafonnant la surface aidée, nous interdit de compenser notre déficit.

En 1999, il a été décidé, à la suite du Conseil européen de Berlin, de supprimer en deux ans l'aide spécifique aux cultures d'oléagineux. Cette mesure nous permet, certes, de sortir des contraintes de l'accord de Blair House, mais, en décourageant la culture des oléagineux, elle nous fait aussi reculer, puisqu'elle se traduit par une nouvelle réduction des cultures d'oléagineux en Europe.

Pour les protéagineux, qui sont des cultures très intéressantes sur le plan agronomique, et qui échappent aux accords de Blair House, les aides sont encadrées par la PAC ; elles sont indispensables, compte tenu du prix des cultures concurrentes, blé-soja ou maïs-soja. Les principaux inconvénients des fourrages riches en protéines, comme la luzerne, sont, soit le coût du transport, puisqu'il s'agit de matières très volumineuses qui ne peuvent être consommées que sur place, soit, pour contourner cet obstacle, le coût de la déshydratation qui, compte tenu de l'importante consommation énergétique qu'elle requiert, nuit à la compétitivité de la filière. On peut donc dire que les politiques agricoles successives ont, dans la pratique, déséquilibré nos productions agricoles en poussant les producteurs à produire toujours plus de céréales et à cultiver de moins en moins d'oléoprotéagineux, ne faisant ainsi que creuser davantage notre déficit protéique.

Quelles solutions envisager ? Le volet aides directes de la PAC coûte de plus en plus cher et est de plus en plus contesté. A notre sens, on ne peut donc pas, aujourd'hui, régler ce gigantesque déficit européen en protéines par une augmentation des aides : ce serait inacceptable et voué à l'échec pour des raisons budgétaires. Il faut donc en tirer la conséquence suivante : si on admet la pertinence du cours mondial, si on admet que notre sécurité alimentaire passe après les accords commerciaux internationaux, il ne nous restera plus qu'à continuer à importer toujours plus de soja des Etats-Unis, avec les risques que cela comporte. La situation requiert donc un choix politique. Si la sécurité constitue une priorité, il faut adopter les solutions politiques adaptées. Nous verrons alors qu'il est techniquement possible de résorber ce déficit, sinon totalement, compte tenu du manque de superficies agricoles de l'Europe pour assurer son autosuffisance, du moins partiellement, en reconvertissant en cultures d'oléoprotéagineux les jachères et une partie des superficies céréalières excédentaires.

Tous ces changements sont techniquement possibles et souhaitables, puisque ces cultures, très intéressantes du point de vue des assolements agronomiques, contribueraient aussi efficacement à l'amélioration environnementale. Il reste à les rendre économiquement possibles. Si la priorité est la sécurité alimentaire, il convient de restaurer l'outil que constitue la préférence communautaire, et de fixer un niveau de prix intra-européen qui permette de retrouver un équilibre entre le prix des céréales et celui des oléoprotéagineux, de façon à inciter les producteurs à se lancer dans ces productions.

Les chances d'évolution vers une telle PAC sont bonnes, puisque l'organisation actuelle est remise en question : la crise que nous traversons - et qui n'est pas le fait des producteurs, je le rappelle, mais le fait des filières amont, qui se sont en quelque sorte approprié les moyens techniques de production - trouble vivement les consommateurs et les contribuables. Selon nous, l'agriculture du XXIe siècle ne peut pas continuer à fonctionner comme elle l'a fait au XXe siècle et particulièrement durant les cinquante dernières années. Nous savons que cette politique conduit à un certain nombre d'impasses et l'on peut déjà en constater les dégâts : des équilibres naturels menacés par l'érosion, par la tendance à la monoculture ; des délocalisations d'élevages vers les zones portuaires pour de simples questions d'opportunité économique ; une disparition accélérée des agriculteurs, avec la désertification qui s'ensuit ; une concurrence déloyale avec les pays pauvres qui n'ont pas les moyens d'aider leurs agriculteurs, ce qui génère des déséquilibres géopolitiques, voire des mouvements migratoires que nous ne sommes plus en mesure de contenir.

En conséquence, la réorientation de la PAC s'avère aujourd'hui indispensable : c'est un problème politique qui ne peut se traiter qu'à l'échelle européenne. Il n'y a pas de solution nationale, à l'exception de celles que je vais détailler maintenant, mais qui restent marginales. On pouvait en effet encourager la culture de soja ; de ce point de vue, nous considérons que la mise en place de la filière « soja de pays », lancée l'année dernière, ne constitue pas un encouragement à la culture du soja, mais plutôt une dissuasion, puisqu'elle crée un certain nombre d'obstacles. Pour nous, il importe avant tout de produire en France du soja non génétiquement modifié, comme le demande le consommateur. Or, comme il suffit, à cet effet, de respecter la réglementation française et européenne, tout cahier des charges est superfétatoire et dissuasif !

Nous estimons, par ailleurs, qu'il est possible de produire plus de tourteau à partir d'oléagineux qui pourraient être triturés à la ferme. Cette possibilité passe par un aménagement réglementaire permettant d'utiliser l'huile sous forme de carburant, à l'instar de ce qui est fait pour le diester, ce qui présenterait l'avantage, d'une part d'obtenir des tourteaux de très bonne qualité de manière locale, et d'autre part de freiner la délocalisation des élevages.

S'il s'agit d'étudier les modèles agricoles pour l'avenir, celui que nous attendons reste à inventer. Nous sommes bien d'accord pour reconnaître que l'agriculture conventionnelle d'aujourd'hui a fait son temps, mais, à notre sens, l'agriculture biologique n'est pas non plus une réponse satisfaisante, d'une part parce qu'elle pose un vaste problème quantitatif - sa généralisation entraînerait une baisse de production si importante qu'elle déséquilibrerait les marchés alimentaires -, d'autre part parce qu'elle n'est pas, non plus, exempte de critiques du point de vue qualitatif, l'impossibilité d'avoir recours aux substances chimiques étant mal maîtrisée dans certains secteurs. L'agriculture raisonnée dont on parle beaucoup en ce moment ne constitue pas non plus la panacée, dans la mesure où elle ne modifie les modes de production agricole qu'à la marge : nous craignons qu'elle ne soit avant tout un outil de marketing inventé pour capter un peu plus de valeur ajoutée au détriment des agriculteurs et au profit de la filière alimentaire.

En fait, l'avènement de cette agriculture nouvelle et durable passe d'abord par un gigantesque effort de recherche. En effet, en tant que producteurs, nous ne disposons pas des outils nécessaires pour modifier nos comportements et nos pratiques agricoles, qui résultent à la fois d'une longue recherche orientée dans une seule direction, d'une sélection des végétaux et des animaux au mépris d'une certaine rusticité et d'un environnement politique. Ce dernier doit également changer car c'est aussi pour une large part la politique européenne qui a calibré et façonné l'agriculture actuelle.

Finalement, c'est un vaste débat de société qui doit s'instaurer car, nous agriculteurs, n'avons pas, seuls, la capacité d'apporter toutes les réponses aux questions posées. Pour conclure et caricaturer un peu ce que je considère comme des anomalies de comportement et des incohérences dans l'environnement agricole, je parlerai de la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Lorsque l'on y regarde de près, c'est la même autorité qui homologue des substances, délivre le permis de les utiliser et les taxe au motif qu'elles sont polluantes. Cette taxe est une parfaite illustration de l'impasse dans laquelle tout le monde s'est engouffré et de l'inadéquation des réponses qui sont apportées à de réels problèmes.

M. François DUFOUR, responsable de la commission ESB de la Confédération paysanne : Je vais m'efforcer de présenter le bilan et les perspectives de sortie de cette crise que nous vivons depuis de nombreuses années. Je voudrais d'abord rappeler que, en 1990, nous avions eu l'occasion de nous rendre en Grande-Bretagne et d'y rencontrer des syndicalistes britanniques qui, à l'époque, nous avaient alertés sur le fait que les zones de leur pays les plus touchées par l'ESB n'étaient pas clairement délimitées et qu'il y avait fort peu de transparence dans la gestion de la crise. Ils se plaignaient eux-mêmes de ne pas voir mettre en _uvre les moyens susceptibles d'endiguer dans l'ensemble des campagnes ce qui était, non pas encore une épidémie, mais une sinistrose due aux milliers de cas recensés à l'époque. Ce constat nous avait conduits à demander à la Commission européenne, dès 1990, par un communiqué de presse, d'arrêter l'utilisation des farines carnées pour l'alimentation de tous les animaux d'élevage, qu'il s'agisse des bovins, des ovins, des caprins, voire des chevaux et des animaux de compagnie.

En mars 1996, nous avons réitéré notre demande et nous l'avons fait savoir au ministère français de l'agriculture. Nous avions précisé que, malgré les réglementations mises en place à la fin des années 1980 en Grande-Bretagne et en France, avec notamment l'interdiction d'importer de Grande-Bretagne des farines d'origine animale et l'obligation pour les fabricants d'aliments d'avoir des chaînes séparées pour les produits destinés aux bovins et ceux destinés aux porcins et aux volailles, nous savions, après avoir diligenté des enquêtes, qu'un certain nombre d'entreprises ne s'étaient pas mises aux normes et que l'opacité régnait sur l'ensemble de la filière. Dès 1996, nous avons donc pointé le péril et le risque en demandant au ministère, puisque diverses entreprises n'avaient pas pu, pour des raisons multiples, respecter la loi, d'interdire immédiatement les farines.

Malheureusement, personne à ce moment-là n'a pris cette mesure. Nous avons même entendu certaines voix s'élever pour nous traiter d'irresponsables, au motif qu'une telle interdiction augmenterait les coûts de production et irait contre l'intérêt des agriculteurs. Cette réaction nous a incités quelques jours plus tard à déposer une plainte contre X auprès du doyen des juges du tribunal de Nantes, le juge Pétillon, visant, premièrement, à savoir si les nouvelles règles juridiques et administratives établies en Grande-Bretagne et en France avaient été bien appliquées aux importations des farines et, deuxièmement, à savoir si elles étaient suffisantes. Cette plainte est toujours à l'instruction à Nantes, auprès du juge Pétillon, que nous avons rencontré à deux reprises pour évaluer la situation.

Quinze jours après le dépôt de cette plainte, nous avons mené une action auprès des douanes de Toulouse, à la suite de la diffusion sur France 3 d'un reportage qui donnait la parole à des douaniers de Cherbourg. Ces derniers se plaignaient de ne pas être assez nombreux pour assurer un contrôle aux frontières : je me souviens les avoir entendus dire que, n'étant que deux ou trois pour contrôler 800 camions à la sortie du bateau, il était possible que certaines cargaisons leur échappent. Ils avaient ajouté que tous les documents se trouvaient entreposés aux douanes de Toulouse au service central des douanes. Forts de cette information, nous avons donc entrepris le voyage quelques jours plus tard, sachant que, pour voir notre plainte instruite avec diligence, il nous fallait fournir au juge Pétillon et à la police des éléments attestant qu'il y avait effectivement eu des importations de farines entre 1989 et 1996.

Au printemps de 1996, le service des douanes de Toulouse a reçu de son administration centrale - la DGCCRF - une demande visant à établir un relevé des entreprises ayant importé en France des farines de la nomenclature 230 11 000, entre le 1er janvier 1993 et le 31 mars 1996. Le travail a été exécuté le 13 juin 1996. Le listing répertoriait les importateurs, les pays de provenance, la valeur des produits et leur quantité. Il en ressortait que les produits provenaient du Royaume-Uni, de la Belgique et du Luxembourg, d'Irlande et du Danemark. Il nous semble quelque peu bizarre que les chiffres qui figurent au document des douanes, et qui font état de 153 000 tonnes importées, soient accompagnés d'une correction portant sur environ 30 300 tonnes, dont la note ne prend soin de signaler ni si elle s'effectue à la hausse ou à la baisse ni pour quel solde et pour quel pays. Il est toutefois précisé que l'Irlande serait créditée de 13 080 tonnes de plus et que le Royaume-Uni fournirait 10 540 tonnes de moins.

Comme nous en avions le dessein, nous avons remis ce document sous forme de disquettes au juge Pétillon, mais aussi à la mission d'information de l'Assemblé nationale, présidée par Mme Guilhem, à la Commission européenne, au ministère de l'agriculture et à Matignon.

Face à cette crise sans précédent, où les éleveurs sont en train de couler, face aux annonces du ministre de l'agriculture britannique, qui aurait sans doute pu parler sept ou huit ans plus tôt, nous ne pouvions pas nous taire et nous nous devions de remettre ces documents aux instances responsables. Dès lors que nous avons remis, en 1996, un tel document faisant état de chiffres portant sur la période 1988 -1996, et plus particulièrement sur les années 1993 à 1996, nous savons que la prescription est suspendue, que la police peut se rendre dans les entreprises pour mettre la main sur les cahiers de rentrée et de sortie des farines et qu'il devient alors aisé de cibler la recherche sur tel ou tel industriel. C'est donc dans le dessein de faciliter le travail de la police que nous avons tenu à transmettre des documents au juge.

Toujours à ce propos, je tiens à souligner qu'un avis aux importateurs a été publié au Journal officiel le 17 mars 1993 et qu'il consistait pour le ministère de l'agriculture à lever l'interdiction pesant sur l'importation des farines de viandes et d'os (FVO) en provenance d'Irlande. Comment expliquer que l'Irlande, qui est considérée comme un pays limitrophe du Royaume-Uni, ait brutalement bénéficié d'une telle mesure, qui permettait l'entrée de nouvelles marchandises en provenance de ce pays, alors même que l'ESB y était en plein essor ?

Par ailleurs, l'absence de décisions et de contrôles à l'égard de la Belgique nous semblait également grave et nous avons fait savoir aux pouvoirs publics que ce pays nous paraissait être un lieu de passage facile et pouvait fonctionner comme une sorte d'entonnoir. Il conviendrait de savoir quel système s'est mis en place entre la Grande-Bretagne et la Belgique. Nous réclamions alors que des investigations soient conduites tant auprès du ministère du Budget qu'auprès de la Direction générale de l'alimentation du ministère de l'Agriculture (DGAL). Qu'en est-il aujourd'hui ? Je l'ignore.

Je souhaiterais vous entretenir maintenant de la gestion de la crise de l'ESB au cours des derniers mois. Au début des années 1990, des décisions ont été prises pour abattre la totalité du troupeau où avait été détecté un cas d'ESB. Une telle mesure pouvait se concevoir, compte tenu de l'état des connaissances, au moment où la France commençait à être la proie d'une psychose. Les scientifiques de l'époque se montraient peu bavards, sans doute parce que peu informés et ils avaient besoin d'approfondir leurs connaissances.

Quelques années plus tard, les abattages de troupeau en cas d'ESB se poursuivent, alors que nous savons, après avoir rencontré à plusieurs reprises les experts, que la maladie tire son origine à 98 %, voire 99 %, des farines animales. Continuer à abattre les troupeaux alors que des mesures d'interdiction et de sécurisation ont été prises constitue, selon nous, d'abord un non-sens économique, ensuite une mauvaise opération en termes de confiance, le consommateur finissant par se demander si la totalité du troupeau n'est pas atteinte. Dans nos régions du grand Ouest, nous savons que les cas d'ESB se sont presque tous déclarés entre 1993 et 1996 ; mais, depuis lors, il n'y a normalement plus de risques puisque, si le travail a été bien fait, on n'a plus recours aux farines animales.

Au moment de l'arrivée des tests Prionics, pratiqués à partir de juin 2000, on s'est contenté de les appliquer aux seuls animaux en mauvaise santé ou entrant à l'équarrissage. Nous demandions alors d'étendre ces tests à tous les animaux nés entre 1993 et 1996, encore nombreux dans les élevages, à leur entrée dans les chaînes alimentaires. Cette précaution aurait évité d'alimenter la psychose : dès lors en effet que l'on soumettait aux tests uniquement les animaux malades ou morts par euthanasie, les cas détectés conduisaient à se demander ce qu'il en était des animaux vivants et destinés à la chaîne alimentaire sans avoir été contrôlés. Ce raisonnement nous a incités à demander, dès juin 2000, l'élargissement de l'application des tests à l'ensemble des animaux nés entre 1993 et 1996 et l'arrêt de l'abattage systématique au profit d'un abattage sélectif. Nous maintenons aujourd'hui encore notre demande. De quelle manière convient-il de procéder ? Nous préconisons l'abattage des animaux de la cohorte - c'est-à-dire nés la même année que l'animal atteint -, l'abattage des animaux nés l'année antérieure et l'année postérieure, dans la mesure où tous les animaux nés entre 1993 et 1996 doivent, selon nous, disparaître de l'élevage, ainsi que l'abattage des descendants de l'animal malade, qu'ils soient mâles ou femelles.

En conclusion, je souscris à un certain nombre des propos de mon prédécesseur, M. Lucas, sur les méthodes pour sortir de la crise, notamment la refonte de la politique agricole commune. Un véritable « plan protéines » implique pour nous une réorientation de la PAC : il faut en finir avec une PAC qui pousse à l'élevage intensif en donnant, par exemple, 2 450 F par hectare de maïs, alors que la prime à l'herbe n'est que de 300 F. Nous réclamons une refonte de la prime maïs dans une prime à la surface fourragère incluant l'herbe, le maïs, la betterave fourragère, tous fourrages propres à alimenter les bovins et entre lesquels l'éleveur pourra donc choisir en fonction de sa compétence, de son sol ou de ses ambitions. Cet équilibre entre les fourrages nous permettrait de réintroduire des légumineuses dans les prairies et, par conséquent, des protéines azotées dans le sol et donc d'avoir un moindre recours à la chimie.

En outre, nous proposons d'utiliser nos surfaces en jachère pour produire des protéines végétales : nous pensons au soja, au lin, au tournesol et même au pois fourrager, qui s'adapte aux plantations de l'Ouest, même si le soleil n'y brille pas autant qu'au Sud, et qui peut se cultiver en mélange dans les zones céréalières et équilibrer l'alimentation des bovins.

Nous proposons également d'utiliser les 4 millions d'hectares qui, à travers l'Europe, servent aujourd'hui à produire des céréales destinées au marché mondial. Ces dernières pèsent d'autant plus lourdement sur le budget agricole européen - qui représente 47 % du budget global - que ce marché mondial n'est pas toujours solvable, qu'il s'agit d'un marché de surproduction qui déséquilibre les marchés intérieurs et impose, pour compenser le revenu des agriculteurs, de demander aux contribuables de payer toujours plus. Diminuons nos surfaces en céréales, utilisons en Europe tous les moyens pour nous rapprocher de l'équilibre en développant la production de protéines végétales, en favorisant la culture du soja ou de toute autre céréale, sans ces OGM que l'Europe doit bannir si elle veut conserver la maîtrise de son développement.

M. François TOULIS, membre du Bureau de la CFCA : En tant que représentant de la Confédération de la coopération agricole et Président de la Fédération nationale des coopératives bétail et viande, je souhaiterais vous rappeler dans quelles difficultés nous nous débattons. En dépit des informations rassurantes, nous sommes toujours au c_ur de la crise, avec un marché européen qui s'est totalement effondré et une chute de la consommation de 70 % en Allemagne, de 60 % en Italie, de 50 % à 60 % en Espagne, et de 30 % en France. Ces chiffres sont d'autant plus dramatiques que ces quatre grands pays concentrent la majeure partie de la population européenne. C'est pourquoi je tiens à souligner que le marché français du secteur bovin est indissociable de ce qui se passe dans les pays voisins.

La crise qui touche tout ce secteur frappe en premier lieu nos adhérents coopérateurs, nos agriculteurs éleveurs, nos groupements de producteurs de première mise en marché, nos entreprises d'aval très durement touchées dès le début de la crise et dont les difficultés persistent : on peut le constater au nombre de plans de restructuration qui ont déjà été lancés puisque, sur l'ensemble du secteur, entreprises privées et coopératives confondues, c'est vers la suppression de 6 000 à 7 000 emplois que l'on s'achemine en ce début d'année. Si, depuis le début de cette crise, des discussions sont engagées avec les pouvoirs publics et un certain nombre de mesures ont été arrêtées, les décisions d'application prennent trop de retard. Mardi dernier, lorsque nous avons rencontré le ministre, je lui ai dit que, si un certain nombre de décisions avaient été prises pour tenter de soulager un peu cette filière, aucune n'était entrée en application, pas même celle concernant le versement de certaines aides. Cet état de choses affecte le niveau des trésoreries des entreprises et, par voie de conséquence, les producteurs. Les banques qui ont tenu à financer des entreprises devenues, à leurs yeux, non solvables ne pourront le faire indéfiniment. Il faut donc que des décisions soient prises ; à défaut tout le système va s'écrouler.

Je vous rappelle que nous sommes dans une situation physiquement dramatique : sur les 7,5 millions de tonnes de viande produites dans la Communauté, une chute de consommation de 20 % représente 2 millions de tonnes à détruire ou à stocker ; or nous avons dépassé ce seuil. Selon notre analyse, il apparaît qu'avec les mesures d'intervention, de destruction, d'exportation et avec les 800 000 tonnes que nous pourrons peut-être expédier en Russie en 2001, nous serons capables d'assumer cette chute de la consommation, mais qu'au-delà nous nous trouverons totalement submergés, comme c'est déjà le cas des exploitations.

Pour en revenir au problème de l'ESB, je dirai que nous devons nous montrer modestes, car il appartient beaucoup plus aux scientifiques qu'à nous-mêmes de se prononcer sur cette maladie. On ne peut pas tout mettre sur le compte des farines animales et je pense qu'aujourd'hui tout le monde s'accorde à reconnaître que les farines animales ont été un vecteur de la maladie mais que son origine se trouve ailleurs. Les anciens avec qui nous discutons évoquent d'ailleurs des cas d'animaux qui tremblaient de la même façon par le passé. Alors, ils les abattaient et, faute de pouvoir les vendre, parfois même s'en nourrissaient...

Si l'ESB a une autre origine, il n'en reste pas moins vrai que des erreurs ont été commises, en particulier en ne respectant pas la réglementation du traitement des farines, ce qui a sans doute beaucoup favorisé le développement du mal. Vous vous demandez si les mesures de précaution appropriées ont bien été prises. Très certainement non : les règles du jeu n'ont pas été respectées, notamment en Grande-Bretagne, concernant d'abord le traitement, ensuite la circulation des farines. Il est cependant difficile de désigner le coupable, car même le marchand d'aliments qui importe légalement des farines, persuadé avoir un produit irréprochable, peut parfaitement disséminer la maladie si la réglementation n'a pas été strictement observée en amont.

Le problème est global et concerne l'ensemble de la réglementation européenne, en raison des distorsions entre les décisions qui ont pu être prises en France - je rappelle que notre pays a pris les mesures les plus pointues, ce qui lui a valu d'entrer le premier dans la crise - et la réglementation appliquée dans les autres Etats membres, beaucoup moins stricte puisque autorisant l'incorporation, déjà proscrite chez nous, de cadavres dans les farines.

Les organismes que je représente n'ont jamais remis en cause les avis scientifiques, puisqu'ils ont travaillé dès 1996 sur la collecte « séparative » des MRS et sur leur destruction. Mais, là encore, on peut se demander si tout le monde a fait les choses comme il faut, ce que je ne peux certifier catégoriquement. Ce que je peux prouver, en revanche, c'est que nous avons transmis les consignes à nos entreprises pour qu'elles assurent correctement le traitement et la séparation des produits. On ne peut pas empêcher que certaines procédures y échappent.

Vous vous interrogez ensuite sur les farines animales et leur élimination. Ainsi que je l'ai dit au cours de mes trois auditions, dont deux ici même l'autre au Sénat, il faut garder dans cette affaire un peu de bon sens. S'il est vrai qu'il n'était pas bien logique de faire consommer aux ruminants des farines animales, un poulet ou un cochon ne renâcleront jamais à dévorer le cadavre qui se trouvera dans leur gamelle. Il me semble donc qu'en interdisant les farines animales à tous les animaux et en particulier aux porcs et à la volaille, on tombe dans l'excès inverse.

Pourquoi suis-je conduit à le souligner ? Pour attirer l'attention sur la nuisance qu'une telle attitude peut entraîner. Aujourd'hui, aux matériaux à risque et déchets d'équarrissage, nous en sommes arrivés à ajouter les animaux détruits, pour les transformer en piles de farines. Nous sommes ainsi partis dans une logique où, alors que nous ne sommes même plus capables de broyer ces produits pour les stocker ou les incinérer en quantités suffisantes, nous allons devoir, à partir de cette semaine, les congeler, les décongeler et les broyer avant de les remettre en circulation. Franchement, nous marchons un peu sur la tête ! Le comble, c'est cet exemple d'un directeur de lycée agricole qui, distribuant, à mon avis fort intelligemment, à la bande de cochons de l'établissement les déchets de sa cantine scolaire, ce qui, selon ses calculs, représentait 1,5 tonne de déchets de moins dans les poubelles, s'est vu dénier par la direction des services vétérinaires (DSV) le droit de donner aux cochons le bout de gras ou de viande abandonné par les enfants dans leur assiette. Certaines choses bonnes pour les enfants ne le sont plus pour les cochons ! Le monde est devenu fou !

Nous en sommes arrivés à un point où, sans lever la mesure de précaution, nous pourrions avoir des outils spécialisés pour traiter tous les matériaux à risque et des outils spécialisés pour traiter, sans qu'il y ait de mélanges possibles, les déchets de notre propre consommation, c'est-à-dire les os ou le gras des animaux que nous mangeons et qui sont reconnus sains. Ce serait quand même plus intelligent ! Cela étant, le problème reste posé, non seulement en termes budgétaires mais, au-delà, en termes physiques, car nous allons avoir à décider du sort de tonnes et de tonnes de matériaux. Le problème est gigantesque.

Après avoir interdit les ris de veau - certains d'entre vous en ont certainement mangé et ont pu apprécier combien ils étaient savoureux -, les autorités européennes reviendraient sur leur décision. En attendant, on aura ruiné cette filière du veau et fait perdre 300 F par tête aux producteurs, sans compter qu'il sera très difficile relancer la consommation de ce produit. Bien sûr, il faut appliquer le principe de précaution et avoir tout le recul nécessaire pour prendre des décisions, mais il me semble que l'on va un peu vite pour arrêter un certain nombre d'entre elles.

Vous posiez également des questions sur la manière de lutter contre l'ESB ; pour ce qui nous concerne, nous avions demandé, sitôt que les tests étaient opérationnels, qu'ils soient généralisés : il a fallu attendre la catastrophe et des déclarations intempestives venues de tous côtés pour qu'une décision de cette nature soit prise au niveau communautaire. Je me rappelle avoir rencontré en novembre 2000 M. Glavany, avec Laurent Spanghero, pour lui demander cette généralisation des tests et lui faire valoir que c'était l'un des moyens qui pouvait nous permettre de régler le problème et de rassurer les consommateurs. Cette demande faisait suite à la critique émise par Luc Guyau, et nous tous par sa voix, sur l'abattage les animaux à une date donnée, alors que l'abattage à trente mois semble, en l'état actuel des connaissances que les scientifiques doivent encore confirmer, obéir à une plus grande logique.

Cela étant, je pense que toute cette affaire aura au moins eu un aspect positif, celui de nous avoir fait progresser dans la transparence et la traçabilité de cette filière qui nous pose de gros problèmes. Toutefois, nous nous heurtons, là encore, à un problème européen : quand, en France, on met en place un système de traçabilité très précis en spécifiant l'origine, la catégorie et la race des animaux sur une étiquette qui « parle » au consommateur, on constate que Bruxelles invente une réglementation avec des numéros dont la longueur ne tient même pas sur le ticket d'agrément de l'abattoir où la bête a été découpée. Ce n'est pas ce que veulent nos consommateurs, ce n'est pas ce que nous voulons.

Des discussions son engagées avec les pouvoirs publics français et nos fédérations pour nous faire entendre sur ce sujet. Personnellement, je suis prêt à signer à nouveau l'accord interprofessionnel sur l'étiquetage et à demander aux pouvoirs publics de l'étendre, à condition d'améliorer la réglementation européenne, qui est totalement dépassée. Tandis que le ministre nous conseille d'avancer sur ce sujet, la DGCCRF nous applique des amendes. Il nous faut donc avancer sur le sujet et indiquer clairement les informations que nous voulons donner aux consommateurs, car elles sont essentielles pour garantir la qualité du produit et son suivi.

Vous posez la question des formes de production agricole et de leurs effets sur la sécurité alimentaire. Nous avons beaucoup de travail devant nous, mais je tiens à dire que la qualité des aliments que nous consommons, et pas seulement la viande bovine, n'a jamais été aussi fiable qu'elle l'est aujourd'hui, et je parle en termes de qualité sanitaire et de traitement des produits. Si jamais vous conserviez quelques doutes, je vous invite à visiter nos outils d'abattage et de transformation des viandes et à aller visiter quelques pays voisins : vous verrez alors combien la profession française a travaillé. Elle vient encore la semaine dernière, dans le cadre d'un accord interprofessionnel, d'élaborer un protocole d'accord sur le steak haché pour en assurer la qualité et surtout le contrôle par un organisme tiers. J'ajoute que la profession a pris cette mesure tout à fait volontairement, comme cela a été le cas pour la traçabilité.

Je vois là un point positif dans cette crise : elle nous fait avancer en matière de suivi et de traçabilité et je pense qu'il nous faudra encore aller plus loin en matière de transparence. Il est clair que, pour nous, l'organisation économique des producteurs permet d'aller dans ce sens avec « agriconfiance », avec la qualification de nos élevages, avec la mise sous chartes de bonnes pratiques qui devrait s'appliquer à l'ensemble de l'élevage français. Il faut donc élever et alimenter correctement notre produit, veiller à fournir toutes les informations utiles quant à sa traçabilité et à son suivi, mais tenir compte également de l'attente du consommateur.

M. le Président : En dépit de leur diversité, vos analyses s'accordent sur un point : la dimension européenne de cette crise et des mesures à prendre pour y faire face. Comme l'a rappelé M. Toulis, il arrive qu'en prenant de l'avance, on puisse se trouver au c_ur de la tourmente sans être à l'abri d'importations de pays qui n'ont pas consenti les mêmes efforts, je pense notamment à l'Allemagne.

M. Joseph GARNOTEL, directeur-adjoint de la FNSEA : Très brièvement, parce que l'essentiel a été dit, je voudrais préciser deux points concernant, d'une part, les plaintes qui ont été déposées et, d'autre part, l'étiquetage des aliments du bétail. La FNSEA, comme d'autres organisations, a porté plainte contre X, dès 1996, devant le procureur de la République du Tribunal de grande instance de Paris. Elle a été suivie en cela par de nombreuses fédérations départementales, notamment dans les Vosges. On peut déplorer que, depuis 1996, faute de moyens, la justice n'ait pas avancé et soit en panne sur ces dossiers. Nous ne pouvions pas aller au-delà de la plainte contre X car nous ne disposons pas de pouvoirs d'investigation et il appartenait à la justice d'enquêter pour déterminer s'il y avait eu des fraudes ou des malversations. C'est parce que nous avons des doutes et des soupçons que nous avons porté plainte, mais nous ne pouvons naturellement pas fournir de preuves. Cette plainte a été renouvelée en 2000, au moment de la deuxième crise de la vache folle et nous nous sommes portés partie civile avec la Fédération nationale des producteurs de lait et la Fédération nationale bovine, qui toutes deux adhèrent à la FNSEA.

On peut déplorer la grande opacité de l'étiquetage de l'aliment du bétail vendu aux éleveurs. Il a pu y avoir dans certains cas tromperie, dans la mesure où les mentions essentielles ne figuraient pas sur les sacs d'aliments du bétail, ou sur les bordereaux qui accompagnent les livraisons en vrac pour les éleveurs de taille plus importante. Il faut souligner que la mention figurant sur l'aliment porcs et volailles contenant des farines de viande, interdites dès 1990 aux ruminants, et qui était la suivante : « Cet aliment contient des produits protéiques interdits dans l'alimentation des ruminants » n'est apparue qu'à compter de 1998. Cela revient à dire qu'auparavant des éleveurs de bonne foi ont pu être abusés.

Je ne dis pas qu'il n'y ait pas pu y avoir des contaminations croisées - comme l'a rappelé Eugène Schaeffer - mais, de toute façon, il y a eu une carence très manifeste dans le domaine de l'étiquetage pour des raisons diverses, dont peut-être des pressions de groupes de fabricants d'aliment du bétail, et nous le déplorons.

M. le Rapporteur : En tant qu'élu d'un département d'élevage comme la Creuse, je suis avec beaucoup d'attention cette crise de l'ESB et les différentes interventions de vos syndicats respectifs qui s'expriment avec une volonté commune de sortir de cette crise au plus vite. Je voudrais revenir sur quelques déclarations qui ont été prononcées ici, notamment par le président de la Fédération des groupements de défense sanitaire (FNGDS) qui a dit la semaine dernière qu'avant 1996, les éleveurs n'étaient pas conscients des risques liés aux farines animales. Je souhaiterais vous entendre sur ce point.

Puisque nous sommes, tout comme vous, ainsi que le démontrent vos actions en justice, à la recherche des responsabilités, pensez-vous que l'on puisse parler d'une responsabilité collective, s'étendant des services publics jusqu'au dernier maillon de la filière ? Il me semble en effet qu'il y a eu de tels cloisonnements que les décisions n'ont pas pu être prises au bon moment. Comment éviter ces dysfonctionnements dans l'avenir ? Tant que la transmission de la maladie à l'homme n'était pas une certitude, peut-être a-t-elle été observée d'un _il trop distant : partagez-vous ce sentiment ?

Le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, que nous avons également entendu, estime que la communication n'a pas été bonne. Il s'est montré très critique sur le sujet. J'en viens à une question d'ordre plus général : quelles sont les relations que vous entretenez avec les différentes organisations professionnelles à l'échelle européenne ? Ces organisations jouent un rôle moteur quand elles présentent un socle de revendications pour forcer les pouvoirs publics et les décideurs européens à y prêter une oreille plus attentive qu'aux sujets de discorde. Existe-t-il entre les fédérations des points de contact qui permettent d'avoir une appréciation européenne de la situation ?

J'aimerais enfin savoir quelles mesures législatives il conviendrait de prendre pour tirer les leçons des épisodes de 1996 et 2000 et organiser la pérennité de la filière ?

M. François TOULIS : Au point où nous en sommes de la crise, il est impossible d'en sortir en brûlant les animaux et en s'en tenant à toute une panoplie de solutions de ce genre. Il faut absolument trouver le moyen de relancer la consommation : si nous n'y parvenons pas, nous serons enterrés ! Si nous voulons un rééquilibrage du marché, il faut travailler sur la sécurisation des consommateurs et disposer d'importants moyens de communication, non seulement en France, mais aussi dans d'autres pays, dont l'Italie, qui représente pour nous un énorme débouché. Par ailleurs, il convient de maîtriser la production à court, à moyen et à long terme.

Pour le court terme, on procède à des opérations de destruction de broutards, ce qui veut dire que l'on supprime de la viande fabriquée en dix mois et qu'il faut absolument remettre en route l'abattage des petits veaux de huit jours. Vous vous interrogiez pour savoir ce qui se passe au niveau européen : je participe au groupe viande du COPA-COGECA au niveau européen et je peux vous dire qu'il n'y pas d'accord sur l'ensemble des pays, les pays nordiques, en particulier la Finlande, refusant de signer au motif qu'ils ne connaissent pas ce problème. Si nous ne parvenons pas à conduire ces opérations, nous ne dégagerons pas le marché dans dix-huit mois. A plus long terme, il s'agit d'engager des réflexions sur les niveaux de production qu'il conviendra d'adopter et sur les mesures qui devront être prises.

J'attire votre attention sur l'originalité de la situation de la France : comme son troupeau allaitant représente 40 % du troupeau européen, les autres Etats membres auront vite fait de le prendre pour cible afin de se préserver.

Je pense qu'il faudra adopter des mesures de maîtrise qui favoriseront probablement l'extensification en France, mais il faudra les prendre en douceur, c'est-à-dire, par exemple, en jouant sur les départs à la retraite. Pour me résumer, je pense qu'il faudra passer par une maîtrise de la production, mais surtout par un plan de relance de la consommation.

Avant d'en terminer, je voudrais évoquer la question du prix de la viande, qui est aujourd'hui complètement déséquilibré. Pourquoi ? Parce qu'en France, on ne distribue pour ainsi dire plus de vaches laitières. Or, les viandes provenant d'animaux élevés à cet effet, identifiées, tracées et placées sous labels et marques, sont payées à peu près au même prix aux producteurs, alors qu'on a rajouté un coût d'environ 6 F le kilo, du fait de l'application du test, de la destruction des matériaux à risque et de la non-valorisation des produits ajoutés. En disant cela, je ne donne pas un blanc seing à la distribution sur la marge qu'elle peut prendre, mais je veux souligner qu'on a conservé la catégorie la plus chère et à laquelle se sont ajoutés des coûts supplémentaires. Je rappelle qu'en Grande-Bretagne, au paroxysme de la crise, il a été décidé d'éliminer tous les animaux de plus de trente mois, mais qu'on a vendu les autres bêtes à des prix très attractifs, ce qui a relancé la consommation.

Aujourd'hui, en France, la relance ne s'amorce pas car les prix sont trop élevés. Le grand public trouve que les marchandises sont inaccessibles. Il faut donc parvenir à sécuriser le consommateur, y compris pour la vache laitière dès lors qu'elle est testée. Il ne faut pas s'en détourner, puisqu'elle représentait près des deux tiers de notre consommation avant la crise. Si la consommation n'est pas relancée, nous allons être écrasés sous une montagne de produits que nous ne parviendrons pas à écouler.

M. François DUFOUR : Je crois que le stockage public et privé doit fonctionner au maximum pour dégager la filière des animaux des élevages.

C'est la première chose à faire ! Nous n'allons pas faire l'impasse sur une aide directe que nous avons chiffrée à 2 000 F par bovin, après avoir procédé à quelques études d'exploitation et évalué le surcoût qui nous a été imposé depuis quelques semaines. Le fait d'apprendre, hier, que l'on envisageait d'appliquer les tests aux animaux vivants, ce qui serait très intéressant, mais engagerait à nouveau un coût de 500 F par tête de bétail, ne fait que me conforter dans cette opinion.

D'ailleurs, sur le coût du test, fixé à 500 F, je vous invite à faire une étude approfondie, surtout si les tests doivent être généralisés : cette somme prélevée par les abattoirs correspond-elle bien au prix de revient ? Mais il n'est pas question de remettre le test en cause.

M. le Président : L'application du test va dans le sens de la préoccupation exprimée par M. Toulis, à savoir qu'il faut sécuriser l'opinion si l'on veut que la consommation reparte, mais la question du coût et celle du choix du test sont posées.

M. François DUFOUR : Pour sortir de la crise, de grâce ne refaisons pas, comme on l'a vu faire à chaque crise de surproduction porcine, voire à chaque crise sanitaire porcine, ou lors de la crise subie par les Pays-Bas lorsqu'ils ont été frappés par la peste porcine, des déplacements de production dans des bassins de production et des zones portuaires pour des raisons d'opportunité économique. M. Toulis a évoqué la nécessité de « maîtriser » la production. S'il y a, au niveau européen, une proposition qui me plait, c'est bien celle-là : il faut se poser la question de savoir si l'on doit continuer à mettre sur le marché mondial des viandes bovines, auquel cas, il faudra parfois les produire à moins de 6 F le kilo, ce à quoi personne n'a intérêt en Europe. N'attendons pas que la crise engendre faillites et départs à la retraite pour y remédier. Plusieurs régions, en effet, courent déjà de graves dangers car les départs à la retraite ne sont pas compensés par un même nombre d'installations de nouveaux agriculteurs. Il faut donc faire bien attention en procédant à la restructuration, sachant que certains maillons de la filière se réjouiraient certainement d'une concentration. Il conviendrait de réduire, non pas le nombre d'éleveurs, mais peut-être le nombre d'animaux par élevage. Quand on parle aujourd'hui de rééquilibrer la prime à la surface fourragère, il faut savoir que, dans une région comme la mienne, la Normandie, si une prime herbe, maïs, betterave représente environ 800 F, le fait de réduire l'intensification en diminuant les surfaces cultivées en maïs inciterait certains agriculteurs à réduire le nombre de leurs taurillons pour libérer des hectares au profit du troupeau laitier. Cette procédure de « désintensification » progressive éviterait de tomber dans une extensification qui, dans certaines régions, peut conduire au vide total.

M. Eugène SCHAEFFER : Je voudrais répondre à la question qui portait sur la déclaration du président des groupements de défense sanitaire, selon laquelle les éleveurs n'étaient pas conscients des risques avant 1996. Il faut distinguer les périodes. J'ai le souvenir d'avoir produit des porcs sous statut sanitaire garanti dans les années soixante-quinze : je choisissais moi-même mes aliments et j'avais éliminé les farines animales, estimant que leur mode de production, que je savais à l'époque pour le moins laxiste, me faisait courir un risque en tant qu'éleveur. Le temps a passé. On a réglementé à juste titre la fabrication des farines animales. On a progressivement retiré aux éleveurs, dont certains travaillaient avec des aliments composés, le choix de leurs matières premières, et ils ont alors fait confiance à leurs fournisseurs. Dès lors que vous déléguez votre confiance à quelqu'un, vous ne pouvez, en permanence, la remettre en question. Il faut se dire que les éleveurs avaient fini par considérer que la composition des aliments ne relevait finalement plus de leur compétence et qu'ils se croyaient garantis.

S'agissant de la communication, il conviendrait vraiment de l'améliorer, d'autant plus qu'elle permettrait de restaurer la confiance du consommateur et donc de relancer la consommation. Autant les médias se sont montrés efficaces pour casser la filière bovine, autant ils sont inopérants pour restaurer son image. Je pose d'ailleurs la question de savoir si on peut continuer de fermer les yeux sur des comportements comme ceux que l'on a connus, avec les conséquences que l'on sait, alors qu'on ne dispose d'aucun moyen pour y mettre un terme. Si nous avions bénéficié d'un niveau de communication équivalent pour ranimer la confiance du consommateur, je pense que les choses seraient allées plus vite.

Vous comprendrez qu'il est difficile d'admettre la limitation de la production ; nous contestons la position de M. Fischler qui consiste aujourd'hui à considérer la surproduction comme un état de fait. Or, nous sommes en présence d'un déplacement de production momentané.

Dans ma précédente analyse d'une politique que j'appellerais « raisonnée », j'ai dit que l'élevage devait retrouver toute sa place, notamment l'élevage en liaison avec le sol, et je comprends parfaitement quelles peuvent être vos inquiétudes dans le département de la Creuse, par exemple. Notre syndicat est encore trop jeune et dispose de trop peu de moyens pour entretenir des relations avec les organisations européennes et jouer dans « la cour des grands ». Je sais qu'il existe à Bruxelles de grandes organisations européennes et, à ma connaissance, le Comité des organismes professionnels agricoles (COPA-COGECA), par exemple, ne parvient pas à trouver une position commune susceptible de faire avancer la situation. Vous nous avez demandé quelles étaient les mesures à prendre dans l'immédiat, en dehors de la compensation pour les éleveurs. Je tiens quand même à souligner que ces compensations ne sont pas des gratifications, ni des cadeaux, mais qu'elles correspondent à un juste retour des choses. Quoi qu'il en soit, dans l'immédiat, hormis des mesures d'ordre tout à fait exceptionnel à l'image de celles qui s'imposeraient à l'occasion d'un cataclysme, je ne vois pas dans l'arsenal classique de moyens de venir en aide aux éleveurs. Je crois qu'il serait utile de faire feu de tout bois en faisant preuve de beaucoup d'imagination, quitte à avoir recours à des crédits en rapport avec l'aménagement du territoire, pour apporter un peu d'oxygène, faute quoi il ne restera qu'à recueillir le dernier souffle de nombreux éleveurs.

Je suis assez d'accord avec les propos qu'a tenus M. Toulis sur les dégâts que cause aujourd'hui la destruction des animaux non testés, qui concerne surtout les vaches laitières, mesure destinée sans doute à restaurer la confiance du consommateur.

Il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas reprocher à des fournisseurs de se procurer, y compris hors de France, des viandes qui sont retirées du marché pour satisfaire une demande réelle : je pense notamment à la demande considérable de la restauration à domicile. C'est là un problème très difficile à régler.

Enfin, nous appelons de nos v_ux un test fiable sur les animaux vivants, qui, selon nous, réglerait le problème en banalisant la maladie. A notre connaissance, il semble qu'un pas ait été fait dans cette direction en Allemagne. Nous souhaitons que, si ce test s'avérait fiable, il soit mis en place plus rapidement possible.

M. Jean-Luc DUVAL : En contrepoint des déclarations du président de la FNGDS, je souhaiterais vous faire part de mon expérience, qui est celle d'un éleveur installé dans les années 1990. Dès cette époque, les éleveurs commençaient à s'inquiéter et la presse spécialisée donnait quelques informations sur la situation en Grande-Bretagne. Nous nous posions de nombreuses questions. Je me souviens notamment qu'au cours d'une réunion sur le prix de l'aliment du bétail, je m'étais étonné d'apprenant que certaines exploitations pouvaient se le procurer à un meilleur prix ; il m'avait cependant été impossible d'obtenir les explications que je demandais... À la lumière des événements qui sont survenus depuis dix ans, je peux vous dire que, si l'aspect sanitaire est devenu une forte préoccupation de la société, c'est aussi une préoccupation des producteurs agricoles et qu'aujourd'hui ils réagiraient différemment si on ne leur fournissait pas d'explication sur une telle différence de prix.

Les jeunes agriculteurs souhaitent vivement la maîtrise de la production et l'adéquation de l'offre à la demande. En effet, imaginer qu'ils ne bâtiront toute leur carrière que sur une baisse des prix systématique et des compensations à dates fixes, est peu attractif en termes de perspectives de métier et fort peu satisfaisant pour l'amour-propre des professionnels et pour leur image de producteurs. C'est pourquoi ils sont très soucieux de garder la maîtrise de la production laitière et désireux d'imprimer dans les autres productions, dont la production viande bovine et la production végétale, un équilibre similaire. En effet, on a pu constater pour les productions dont la maîtrise a été conservée, je pense notamment à la production viticole et aux droits de plantations, que cette méthode permettait de conserver bon nombre de producteurs et garantissait à chacun, malgré des crises régulières, un niveau correct de rémunération. Dans cet esprit, je pense que nous devons tous mener une réflexion à l'échelle européenne et mondiale sur la façon de revenir à des prix agricoles acceptables.

Vous nous demandiez si nous avions des relations entre jeunes agriculteurs européens : nous en avons, mais nous devons aussi, dans la perspective des négociations de l'OMC, bien défendre notre spécificité européenne et trouver des alliés en d'autres points du globe. Je me suis rendu au Japon la semaine dernière et je peux dire que les agriculteurs japonais et européens, bien que confrontés à des problèmes différents, partagent un certain nombre de points de vue face aux partisans du libre-échangisme que peuvent être les Etats-Unis ou le groupe de Cairns.

J'en arrive à la crise de l'ESB et aux mesures à prendre. Il va de soi que la question des compensations nous est toujours posée. A ce sujet, il ne faut pas oublier que c'est du marché que la profession tire sa rémunération. Puisqu'on parle du déséquilibre actuel entre l'offre et la demande, je peux dire qu'au mois de septembre, il n'y avait pas de décalage entre la production et la consommation et que les cours ne se tenaient pas trop mal, ce qui dans la bouche d'un paysan signifie plutôt bien. Il y a un « trou de consommation » que l'on se doit de combler avec des mesures difficiles à accepter pour les producteurs. Pour autant, même s'il faut passer par des mesures de destruction, nous nous y résoudrons, étant précisé toutefois que les mesures arrêtées doivent s'appliquer à tous les pays européens.

A l'heure actuelle, la France est la bonne élève en la matière, tandis que d'autres pays, notamment l'Allemagne, ne la suivent pas. Cette différence d'attitude explique que de la viande allemande puisse arriver sur notre territoire à des prix défiant toute concurrence : le bruit court que l'on trouverait à Rungis de la viande de réforme à sept ou huit francs le kilo. Cette situation pèse très lourdement sur le marché et l'on n'enregistre aucune remontée des cours français. A court terme, il convient donc absolument de soulager le marché.

Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il faut aussi travailler à reconquérir la confiance du consommateur, que nous avons une responsabilité professionnelle, comme vous en avez une au niveau politique dans le domaine de la sécurité alimentaire. En tant que professionnel, je déplore vivement que la sécurité sanitaire devienne parfois un enjeu politique. Il est évident que la prime Hérode doit se mettre rapidement en place, étant précisé que celle qui avait cours jusqu'alors représente 600 000 tonnes d'équivalent carcasses que nous aurions à gérer en plus aujourd'hui sur le marché.

Je terminerai en disant que les jeunes ont le sentiment qu'il faut profiter de ces moments de crise pour bousculer un peu les choses. Je pense que la filière bovine doit se remettre en cause - et je parle en tant que responsable professionnel - car il y règne une certaine opacité, comme chez les producteurs. En effet, un de nos adhérents a découvert, il y a un mois et demi, de la viande pratiquement avariée, destinée à la consommation humaine, en transit sur la route dans un camion non frigorifique. Ce n'est pas aux paysans de contrôler les routes pour détecter de tels abus, mais tous les échos qui nous parviennent nous laissent penser qu'il y a quelques anomalies dans l'application des règles. Nous avons sans doute besoin de discuter tous ensemble pour redonner un coup de fouet à cette filière et lui permettre de se relever avec fierté de la crise.

M. Xavier COMPAIN : Le problème de la communication constitue un point sensible ; je ne donnerai pas de réponse, mais je soulèverai plutôt une question. J'ai dit que nous défendions la recherche et notamment le travail accompli par l'AFSSA. Or, ces derniers jours, la portée d'un avis s'est très vite transformée et nous a fait retomber, à très peu de choses près, dans les travers « médiaticopolitiques » que nous avons connus au mois de novembre. Les ardeurs se sont calmées, mais on a pu vérifier que cette recommandation pouvait prendre très vite une tournure polémique. Nous considérons que cette recommandation est juste : l'AFSSA a fait son travail en émettant un avis, mais il faut se garder de toute récupération médiatique. Nous avons un réel besoin de communication sur notre métier, qui dépasse très largement le cadre de la filière bovine et de l'ESB. Nous avons à dire qui nous sommes, comment nous produisons, comment nous récoltons : dans de nombreux départements, les portes des exploitations s'ouvrent et elles doivent s'ouvrir dans la plus grande transparence.

Si le métier de paysan faisait jusqu'alors appel à des qualités techniques, les plus jeunes doivent maintenant avoir un talent supplémentaire : celui de communiquer pour décrire leur travail et suppléer les éventuelles carences des médias. D'après les commentaires sur toutes ces crises, on en viendrait presque à dire que tout serait pourri et mauvais : c'est là une interprétation erronée des événements, car jamais les producteurs n'ont été aussi bons et aussi performants.

Permettez-moi de vous livrer mon sentiment de paysan et de vous dire que je trouve nulle la dernière campagne publicitaire sur la viande : les images ne sont pas bonnes ; on ne fait que répéter des choses déjà connues ; le message ne passe pas ! Il faudrait peut-être que nous réfléchissions ensemble à ce que pourrait être, demain, une bonne campagne de communication. Celle d'aujourd'hui a été conçue par des spécialistes, mais je ne suis pas sûr qu'elle réponde à l'attente des consommateurs.

La France est en effet une excellente élève quant à la traçabilité et aux politiques mises en place. Pourtant, je remarque avec regret que nos voisins européens ne suivent pas le rythme, ce qui me conduit à dire que le Gouvernement, mais aussi tous les politiques, doivent s'attacher à obtenir de nos partenaires européens qu'ils entreprennent la même démarche. Il ne faut pas que les efforts que nous consentons en matière de traçabilité et d'étiquetage soient abaissés quelques semaines plus tard au niveau européen. Il faut donc parvenir à une cohérence des politiques entre la France qui est le pays moteur et le reste de l'Europe.

Nous participons, avec la coordination paysanne européenne, à une réflexion qui conduira à un certain nombre de propositions en matière d'ESB. Je les ai présentées dans mon exposé liminaire. Nous débattons actuellement contre la libéralisation des quotas laitiers et je crois que nous aurons également à nous exprimer sur le fait que cette situation de crise peut trop facilement devenir prétexte à restructuration. Nous sommes favorables à la maîtrise de la production, à une étude approfondie du marché, mais nous sommes défavorables aux restructurations dont la production a déjà été victime. Il faut une réorientation de la politique agricole commune qui intègre les données de base que sont les prix rémunérateurs, la préférence communautaire, l'écoulement de nos produits, la maîtrise de production et le triptyque qualité-terroir-environnement avec rémunération du travail paysan.

M. Jean-Luc DUVAL : Sur ce point, je voudrais ajouter qu'à l'échelle européenne, les jeunes agriculteurs sont en train de développer un concept de guides pédagogiques à l'usage de tous les enseignants de tous les pays de l'Union pour parler de l'agriculture et du métier agricole. Les jeunes ont parfois besoin d'idées, mais ont parfois les poches un peu vides et nous constatons qu'ils ne montrent pas toujours un grand empressement pour nous suivre.

M. Eugène SCHAEFFER : Je suis d'accord avec ce qu'a dit Jean-Luc Duval sur la formation et la communication et je voudrais simplement préciser un point qui vous intéresse directement en tant qu'élus de l'Assemblée nationale : lors du débat sur la nouvelle loi d'orientation agricole, nous étions longuement intervenus sur la réglementation de ce qu'on appelle « les marchés agroalimentaires ». Or, je considère qu'il existe toujours des lacunes en ce domaine car le produit agroalimentaire est tout de même très différent de tous les autres produits industriels. Nous avons toujours demandé si ce produit alimentaire, qui est tellement essentiel que les consommateurs en font une question de santé, peut être soumis aux mêmes règles de la concurrence que les autres produits industriels. Je prendrai un exemple : lorsqu'un poulet sous signe de qualité label rouge est en promotion à 23 F le kilo, contre 35 F en période normale, il y a un problème quelque part. Nous ne sommes pas opposés à la promotion des produits, y compris de ceux sous signe de qualité, mais une telle différence de prix pose problème car le consommateur ne peut que s'interroger ; c'est pourquoi nous avions proposé de fixer pour les promotions un pourcentage de réduction par rapport au prix normal du produit. Vous m'autoriserez un second exemple : si demain, j'achète une veste en promotion, et que sa qualité ne me donne pas entière satisfaction, je l'accepterai puisqu'il s'agira d'un article en promotion. En revanche, quand bien même il s'agit d'une promotion, l'opinion n'admet pas qu'un produit alimentaire rende malade. Sur ce point, il y a quelque chose à creuser en matière de réglementation. Depuis vingt ans, j'entends tous les inspecteurs du ministère des finances défendre, au nom de la lutte contre l'inflation, au nom de la politique anticoncurrentielle, ces pratiques sur lesquelles il nous faut réfléchir, puisque nous savons tous comment se déroule le référencement des industries agroalimentaires dans les grandes surface. On ne peut en rester là.

En ce qui concerne l'avenir de l'élevage français, qui a une très forte spécificité, je ne cache pas nos préoccupations : notre pays compte environ 70 % des vaches allaitantes européennes ; elles se trouvent notamment dans cette grande région du Centre où elles assurent le revenu des agriculteurs. Donc la politique des vaches allaitantes ne se pose pas dans les mêmes termes que dans les autres pays de l'Union. En effet, tandis que nous comptons 4 millions de vaches laitières et autant de vaches allaitantes, l'Irlande en a quelques-unes, l'Allemagne en a très peu, et l'essentiel de la viande bovine des autres pays tire son origine de vaches laitières, ce qui change fondamentalement les données du problème. Quand on sait que 80 % de la viande bovine que consomment les Français est d'origine femelle, on mesure la force économique et l'ampleur des enjeux que représente le cheptel français. Pour ces 4 millions de vaches allaitantes, il faut des broutards, dont la plus grande partie est expédiée vers les pays de l'Union. On ne peut donc pas se passer, par rapport au troupeau allaitant, des exportations vers les autres pays de l'Union, et celles-ci sont actuellement bloquées. Il convient donc de les relancer de même que les exportations de carcasses, dont autrement nous ne saurons que faire. Il faut bien réfléchir à cette question, car lorsqu'elle est débattue à Bruxelles, les intérêts des uns et des autres sont divergents.

Outre ce problème des exportations vers les pays de l'Union, il faut prendre en compte la position de l'Allemagne : je suis très frappé depuis deux ans de constater, à la lecture des statistiques de l'OFIVAL, que les exportations de viandes bovine allemande étaient plus importantes que les exportations françaises, notamment vers tous les pays de l'Est. Toutes les vaches mixtes, notamment la « pis rouge » de l'Est que l'on trouve en Bavière, font un veau qui, s'il est femelle est réservé à la production laitière, mais qui, s'il est mâle donne un jeune bovin. Il faut donc savoir que ce pays est un gros producteur de jeunes bovins et que ce qui l'intéresse dans les débats n'est pas le problème de la vache allaitante, mais la prime aux jeunes bovins. Il faut également dire qu'une grande partie des volumes de viandes importées des pays tiers passe par l'Allemagne en raison d'accords commerciaux : pour l'Argentine notamment, ils portent sur des voitures et des camions de la firme Mercedes. C'est ce marché croisé qui fait de l'Allemagne un très important importateur de viandes en provenance de pays tiers et le plus gros exportateur de viandes. Il faut donc faire très attention et garder en mémoire que les Allemands occupent sur l'import-export des postes importants auxquels ils tiennent.

Il est vrai que le COPA - Comité des organismes professionnels agricoles - regroupe toutes les grandes organisations professionnelles européennes mais, tout comme au Conseil des ministres, chacun y défend ses intérêts, notamment la France avec ses spécificités, telles que son cheptel de vaches allaitantes et les jeunes bovins qui en dépendent. Lors de la réforme de la politique agricole commune, notre ministre de l'agriculture de l'époque s'était farouchement battu pour que ces spécificités soient reconnues : je me souviens que les débats avec M. Legras, Directeur général de la DG 6, pour faire reconnaître notamment le troupeau allaitant et tous les problèmes du Massif central, avaient conduit M. Fischler à se rendre à plusieurs reprises dans cette région pour y examiner la situation de plus près. Je pense que nous Français devons faire entendre nos positions au COPA et les défendre pour aboutir à des positions communes qui ne soient pas vidées de leur sens.

Au-delà des indemnisations qui seront accordées aux agriculteurs et que j'approuve, nous avons le souci de savoir comment sortir de cette crise de dimension européenne, et comment reconstruire et préserver la filière. Ce ne sera pas simple ; il va bien falloir, ainsi que l'a dit François Toulis, adapter la production à la consommation. C'est un sujet de réflexion actuel et nous devons nous méfier, car le Commissaire Fischler a commencé à faire des propositions sur l'extensification et sur la diminution des primes à la vache allaitante dont il sait qu'elle concerne essentiellement les Français, et sur les quotas individuels pour les jeunes bovins. Il s'agit donc de bien savoir quelle évolution nous souhaitons et quelles sont les structures que nous entendons conserver pour nos exploitations à responsabilité personnelle, car il ne s'agit pas de nous voir imposer des systèmes que nous refusons.

M. Germain GENGENWIN : Je voudrais d'abord féliciter les orateurs pour la qualité de leurs interventions. Nous sommes ici pour savoir où est la vérité et je crois qu'Eugène Schaeffer dans son intervention vient de poser les données du problème en parlant des prix et des grandes surfaces. Au bout de la chaîne de fabrication du « produit viande », on trouve un consommateur qui veut toujours acheter moins cher, ce qui est son droit. Tous les gouvernements ont favorisé la pratique des bas prix, qui impose de passer par ce goulet d'étranglement que constitue le prix à l'entrée de la grande surface. Aussi, la question que je vous pose est la suivante : le grand public n'était pas informé de l'existence de l'ESB avant 1996, mais, depuis 1990, alors que la France avait interdit les farines pour les ruminants, n'avons-nous pas, tous, fermé les yeux pour, comme l'a dit M. Duval, gagner quelques centimes sur les aliments et pratiquer des prix concurrentiels en grandes surfaces ? Pour baisser les prix des farines de viande, n'y a-t-on pas incorporé des produits d'animaux malades ? Accepte-t-on aujourd'hui d'admettre que la qualité a un prix incompressible ?

J'ajouterai un mot sur les protéines végétales. Je me rappelle que dans les années soixante et soixante-dix, une campagne avait été menée en faveur du développement des productions de protéines végétales, notamment du tournesol, du colza et du soja, qui a été produit jusqu'en Alsace. Or, quand ces cultures ont commencé à se développer, les primes se sont trouvées brusquement et considérablement réduites, ce qui a eu pour effet de mettre un terme à presque toutes ces cultures. Quelles sont les raisons qui ont conduit à l'évolution de cette politique dont nous faisons tous les frais ?

M. le Président : Dans le prolongement des interventions et des récents propos du rapporteur, je voudrais souligner qu'il s'est écoulé plusieurs années après que le problème de l'ESB ait été identifié et que pendant tout ce temps, on nous a dit qu'on ne savait pas, ou en tout cas pas suffisamment pour que des décisions soient prises. Sur ce point, vous nous avez déjà apporté quelques éléments de réponse mais peut-être pourriez-vous aller plus loin.

Notre deuxième interrogation concerne l'information. M. le rapporteur a très justement, parlé de décloisonnement. Or, celui-ci existe entre des communautés scientifiques, entre les éleveurs européens et j'en veux pour preuve qu'en 1986 le problème de l'alimentation animale était connu outre-Manche et avait déjà fait l'objet de nombreuses publications scientifiques. Nous pouvons l'attester pour avoir reçu des responsables britanniques et M. Rebillard peut témoigner de la même expérience dans le groupe d'études qu'il préside. Notre troisième interrogation renvoie à la question de M. François Toulis, qui consiste à savoir comment traiter les communications qui accompagnent les mesures de précaution : les avis scientifiques qui sont pris doivent-ils être transmis aux pouvoirs politiques ou rendus publics ?

Nous nous posons enfin la question de savoir comment nous devons faire, dans un pays qui est en avance, pour nous garantir à l'égard d'autres pays qui ne prennent pas les mêmes mesures de précaution que nous alors que, du fait de la libre circulation des marchandises en Europe, nous ne sommes pas en mesure d'empêcher l'entrée sur notre territoire de bovins nourris de farines qui comportaient jusqu'en septembre 2 000 des matériaux à risque. Le fait est que, pendant plusieurs années, des pays européens, sur un marché unique, ont sciemment fermé les yeux sur une situation préoccupante.

M. le Rapporteur : Je me pose la question suivante : dès lors que le problème est lié à l'utilisation des farines animales est-il indispensable de les utiliser - je ne parle pas des ruminants pour qui elles sont interdites depuis longtemps - en raison des acides aminés qu'elles contiennent, ou peut-on se contenter de protéines végétales et développer leur culture à l'échelle européen ? Si la seconde hypothèse doit être écartée, il conviendra alors de sécuriser de façon très significative la filière de préparation, de transport et de distribution des farines animales. La question qui est posée est donc de savoir si cela vaut la peine de tout faire pour sécuriser les farines animales ou s'il est envisageable de s'en passer.

M. Jacques REBILLARD : Je me demande pourquoi la justice est si lente pour instruire les plaintes que vous avez déposées en 1996. Je suppose que vous êtes allé voir les juges saisis : manquent-ils de moyens ? Est-ce sur le compte des contaminations croisées qu'il faut mettre les cas d'ESB ? Pour d'autres affaires, les délais ont été bien plus courts.

Par ailleurs, je me demande si nous ne prenons pas le chemin d'une renationalisation de la politique agricole notamment en matière d'élevage. Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples. M. David Barnes, attaché agricole à l'ambassade du Royaume-Uni, que nous avons reçu ici, nous disait que, contrairement à la Grande-Bretagne, pays plus petit et plus peuplé, pour qui l'intensification était en partie nécessaire, la France avait tendance à rechercher des solutions dans l'extensification, et nous avons vu clairement, avec les troupeaux allaitants dont vous avez parlé, que certaines oppositions paraissaient incontournables. De même avec les troupeaux de broutards, il apparaît nettement que la facilité a été d'exporter nos animaux vers l'Italie, sans même nous poser la question de savoir comment nous pouvions les valoriser sur le territoire national. Ne faut-il pas que les solutions proposées s'orientent vers une affirmation plus forte d'une politique nationale sans pour autant sortir du cadre européen ?

Enfin, je m'interroge sur la place de la citoyenneté au sein de la filière et parmi les opérateurs, car je suis quand même atterré d'entendre dire aujourd'hui que certains, dans une situation de crise comme celle que traverse la France, ont encore l'audace d'acheter des animaux à l'Allemagne. Si nous vivons dans un pays dénué d'un minimum de morale, c'est à désespérer de tout et je pense que nous pourrons difficilement nous payer le luxe de mettre des contrôleurs derrière chacun.

On m'a expliqué qu'il y a quelques années, la restauration collective utilisait du « baby » et que, progressivement, elle s'est tournée vers des produits d'importation moins chers. Il reste à savoir de quelle manière on discute de tels problèmes dans la filière, car on aura beau demander au Gouvernement d'édicter des règles pour imposer le « baby » français dans la restauration, ce sera en vain, parce que ce n'est pas ainsi que les choses marchent. Dans ces conditions, j'aimerais que vous me disiez, d'une part comment vous vous organisez, d'autre part si le réseau coopératif est plus citoyen que le réseau privé. J'aimerais savoir si, dans les coopératives, on privilégie l'approvisionnement en animaux français.

M. Alain GOURIOU : J'ai entendu à plusieurs reprises les représentants des formations professionnelles nous parler de maîtrise de la production, de traçabilité, et, par ailleurs, de l'excellent état sanitaire de notre pays. Actuellement, le cours de la viande de porc est revenu à un niveau optimum - il se situait ce matin entre 10 F et 11F. Je m'en réjouis d'autant plus que, dans l'Ouest, cette remontée permet aux éleveurs qui pratiquent les deux élevages bovin et porcin, de compenser par l'un les pertes de l'autre. Cela étant, ne jugez-vous pas le moment favorable pour réfléchir à la maîtrise de cette production ? Est-ce que l'on ne va pas revoir, à partir de cette hausse de prix, se développer une intensification massive qui va, une fois de plus, aboutir à une crise ? C'est un phénomène malheureusement récurrent et je vous demande si ce phénomène suscite une réflexion de la profession. Va-t-on réellement prendre la mesure de la situation pour éviter les dérives, les tricheries, les montées en charge de certains élevages avec les effets que l'on connaît ?

M. Claude GATIGNOL : Je n'aurai qu'une seule question à poser : elle concerne l'idée de la qualité que se fait chacun des intervenants. Puisqu'elle a été évoquée à plusieurs reprises, qu'est-ce, pour eux, la qualité ? Mon collègue Gengenwin a certes demandé tout à l'heure si la qualité avait un prix, mais encore faut-il savoir ce que les professionnels entendent par ce terme. En tant que médecin, je crois pouvoir souscrire à l'idée récemment émise que la qualité sanitaire de l'alimentation française est sans doute l'une des meilleures au monde. Je voudrais que l'on en soit bien conscient, quels que soient les efforts des médias pour prétendre ou laisser dire le contraire : alors que tout allait bien en septembre, tout s'est très détraqué le 20 octobre, du seul fait de la présentation médiatique d'un petit incident survenu à l'abattoir de Villers-Bocage. La qualité, pour vous, concerne-t-elle le produit fini, ce qui arrive dans l'exploitation du producteur, ou la façon dont est gérée une exploitation ?

J'ai également été fort intéressé par la question de la communication, qui me paraît tout à fait primordial. Il me semble qu'il y a déjà quelques années, un ministre avait lancé le fameux slogan « suivez le b_uf ». Je crois que nous pourrions écouter ce conseil, même s'il faut tenir compte des autres productions qui sont absolument nécessaires pour l'équilibre alimentaire de nos concitoyens.

M. François DUFOUR : Je répondrai d'abord à M. Gengenwin qui, à propos du « plan protéines », a fait référence à une époque où un tel plan avait été soutenu. Depuis, l'accord de Blair-House est intervenu, partageant le monde en deux secteurs, dont l'un aurait davantage vocation à produire la céréale et à la vendre sur le marché international et l'autre, incluant le continent américain, vocation à produire des protéines. Tout le problème, c'est que l'Europe et la France, qui ont développé leur production de viandes blanches et de volailles, disons « industrielles », dans nos régions de Bretagne et de Normandie, prennent conscience que ce système international, si on y inclut les coûts énergétiques, sociaux et tous les coûts afférents à ce type de développement, ne présente aucun avantage économique. Le débat mondial est actuellement marqué par une bonne part d'hypocrisie. Il semble bien, aujourd'hui, que les accords de Marrakech ont été élaborés, non pas par les responsables des 132 pays, dont ceux de l'Europe, qui les ont signés, mais par des experts inventant des règles qui ne servent ni les politiques, ni les paysans. Ils développent un système où la matière première agricole et alimentaire s'est transformée en enjeu pour quelques firmes purement commerciales.

Nous nous trouvons embrigadés dans ce système parce que nous avons perdu la notion de préférence communautaire. Nous sommes entrés dans un schéma où l'agriculture se trouve traitée comme n'importe quel autre produit à l'échelle du commerce international. Il ne faudrait tout de même pas oublier que les fondements de la PAC qui figuraient dans le traité de Rome étaient nobles et louables. Nous sommes toujours disposés à donner à l'Europe l'autosuffisance alimentaire et ce n'est pas remettre en place des frontières ou faire du nationalisme que de dire que la vocation première d'une agriculture nationale est de nourrir la population de son pays ou de l'Europe. Si l'on veut aller jusqu'au bout de la préférence communautaire, il faut rappeler aussi à l'OMC que, pour un certain nombre de pays ou de groupes de pays, l'agriculture doit remplir cette mission. Ensuite seulement, nous pourrons parler de commerce et d'échanges. Il ne s'agit pas de fermer les frontières, mais de remettre en place un certain nombre de « filets de sécurité ».

Je parlais d'hypocrisie : si je remonte à la signature des accords de Marrakech, nous Européens, avec le système de subventions et d'aides non plafonnées, non limitées et non maîtrisées, nous avons envoyé - vous pourrez le vérifier, chiffres à l'appui, dans le rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) - des milliers de tonnes de viande dans les pays subsahariens et abaissé ainsi de moitié le prix, d'environ 18 F, qui était alors payé aux paysans de ces régions du monde et qui correspondait à peu près à leur coût de production. C'est ainsi que 45 % de leur production locale a disparu par le seul jeu du « dumping » pratiqué avec des aides publiques non maîtrisées.

Je vous renvoie donc au conflit entre les Etats-Unis, l'Europe et le reste du monde car, il convient de retravailler tous les accords signés pour revenir sur des bases plus saines qui garantiront, premièrement l'autosuffisance alimentaire des peuples et leur droit de choisir leur alimentation, deuxièmement le rôle de l'agriculture sur la planète car elle a pour vocation d'assurer la production mais aussi un équilibre social, la création de territoires et, par ce bais, la défense de l'environnement. En effet, si ces règles sont appliquées, les écosystèmes seront préservés au lieu d'être mis à mal par des concentrations et des surproductions dans certaines zones bien définies. C'est là, selon moi, que se situe tout l'enjeu du débat.

En acceptant ces bases saines, nous allons abattre des murs et dire qu'il n'appartient plus à certains lobbies qui, sur la planète, ne sont pas très nombreux mais faciles à identifier, de décider de l'alimentation et de l'agriculture mondiales. Cette tâche incombe aux politiques et notamment aux responsables européens.

En conclusion, monsieur Rebillard, puisque vous avez évoqué la possibilité de revenir à une politique nationale, je vous mets en garde contre les dangers d'une telle mesure. Je pense que ce serait inadmissible et je trouverais très malsain de chasser, comme cela commence à être aujourd'hui le cas dans les magasins, les produits d'importation pour écouler nos « bons produits français ». Dans l'espace européen et dans le cadre de la préférence communautaire, il y a un commerce possible ! Il est, certes, insensé que des firmes aillent chercher de la viande à l'autre bout de l'Europe pour en remplir les magasins, alors qu'il y a suffisamment de très bonnes viandes en France. C'est pourquoi, dans cette folle spirale qui nous aspire, face à l'opacité totale des filières, et aux fraudes dont il a été question précédemment, nous ne pouvons compter que sur les politiques pour « faire le ménage » car nous n'en avons pas, nous, les moyens. D'ici à deux mois, vous allez entendre parler d'un procès qui va se dérouler à Coutances dans la Manche suite à l'importation de 7 000 veaux anglais entre 1993 et 1995. Je vous demande de suivre avec attention cette affaire, où nous nous sommes constitués partie civile, et pour laquelle nous sommes allés interroger les services vétérinaires et les services de l'État, qui nous ont répondu qu'au nom du libre échange les frontières étaient ouvertes et qu'aucun contrôle n'était possible. Il n'en demeure pas moins que, cinq ans après, un procès va s'ouvrir.

M. le Président : Les marchandises peuvent circuler dans un espace intracommunautaire lorsque chacun se reconnaît dans des règles de sécurité sanitaire partagées. Or, nous avons vécu depuis1996 une situation que je qualifierai « d'anormale » au plan européen parce que, le risque étant identifié et connu par chacun des Etats, certains ont préféré fermer les yeux et maintenir leurs exportations notamment vers la France qui, elle, avait pris les devants et adopté des mesures de précaution sanitaire. Voilà le fond du problème !

M. François TOULIS : Il va de soi que nous vivons pleinement l'Europe et qu'il n'est plus possible de faire autrement : personne ne songe à refermer la France sur elle-même. La question est plutôt savoir comment protéger la France en cette période de crise. La réponse passe par les règles sanitaires, dont le ministre nous a annoncé lundi qu'il entendait les faire respecter en « resserrant les boulons à tous les niveaux ». Cela étant, nous sommes toujours sur le fil du rasoir, puisque nous interdisons encore l'entrée de notre pays aux viandes britanniques, avec les conséquences juridictionnelles que l'on connaît. Nous sommes donc à la limite de la régularité, mais c'est la seule attitude que nous pouvons adopter dans cette affaire.

Pour répondre à une question du rapporteur, je dirai que nous pouvons nous passer des protéines animales pour élever nos animaux, mais il reste à savoir quelles seraient les incidences d'une telle décision pour les déchets animaux et quels en seraient les effets néfastes sur l'environnement.

Vous nous excuserez de ne pas répondre à la question relative à la lenteur de la justice, mais nous n'avons pas compétence pour le faire. Soit les juges n'y voient pas plus clair que nous en la matière, soit la volonté manque pour faire avancer le dossier !

Vous avez parlé d'une nationalisation des politiques d'élevage. Elle est, aujourd'hui, impossible. Les Européens travaillent ensemble et sont dépendants les uns des autres. Si un débat peut être ouvert sur le marché mondial, la qualité de la production et la forme d'agriculture souhaitée par la société, il a sa place dans le concert européen. Vous vous demandiez s'il était moral de continuer à importer : je réponds par l'affirmative, du moins si les règles étaient respectées dans les autres pays européens. Le problème c'est qu'il y a eu un manque de transparence, c'est pourquoi nous sommes très mécontents de la démarche européenne. Nous avions pris des dispositions en termes de traçabilité, d'étiquetage, d'information, de règles sanitaires, de production, tout cela pour se retrouver dans la même situation de crise que les autres pays !

C'est sur ce point qu'il convient de progresser. Voici quelques jours encore, l'Allemagne refusait de soumettre ses troupeaux aux tests, au motif que l'ESB ne l'avait pas atteinte. Quelques jours après l'apparition du premier cas, le chancelier a opéré une volte-face. Il reste que la Finlande et la Norvège ne veulent toujours pas entendre parler de cette mesure, alors qu'elle doit s'appliquer à tous les Etats membres. Il y a un travail à accomplir au niveau des députés européens pour que tout le monde accepte ces exigences de clarté et de transparence, au nom du respect que nous devons à nos consommateurs. La France, qui a été la première à s'imposer des mesures de précaution, fait un peu les frais de sa position de pionnière et se trouve pénalisée : elle est entrée dans la crise avec deux mois d'avance sur ses voisins pour en avoir trop fait. Les analyses y sont devenues obligatoires depuis le premier janvier, sur les bêtes de plus de trente mois ; sur les 200 000 analyses pratiquées jusqu'à la semaine dernière, seulement quatre cas ont été détectés. Encore faut-il préciser que ces quatre cas ne seraient pas forcément susceptibles d'être des vecteurs de contamination, puisque les MRS sont enlevés et que la maladie ne se transmet pas par la consommation des muscles. En outre, il faut le rappeler, le risque zéro n'existe pas. Je ne prétends pas qu'il ne faille pas lutter contre le risque, mais je dis seulement qu'il ne faut pas l'exagérer, surtout si l'on considère que les mesures nécessaires ont été prises.

Pourquoi ne pas réorienter la production française ? N'oublions pas qu'elle est excédentaire et que les éleveurs ont besoin d'exporter, au moins en Europe. Nous parlions tout à l'heure de nos broutards, dont on peut, bien sûr, dire que nous pouvons en faire des b_ufs adaptés au goût des consommateurs français, mais que ferons-nous alors de nos vaches et de nos génisses ? Avant la crise, un équilibre était a peu près assuré à l'échelle de l'Europe, mais il reposait sur des échanges liés aux goûts respectifs des consommateurs des différents pays européens.

Concernant le porc, il n'y a pas de miracle : la chute de la consommation du b_uf - et celle de l'agneau qui peut survenir si les choses continuent à ce rythme - avantagent le porc et la volaille, dont les cours flambent, ce qui peut inciter des producteurs à s'intéresser à ces filières. Il est vrai qu'il faudrait tenter de conserver un certain équilibre, mais nous ne pouvons pas empêcher les échanges commerciaux !

Qu'est-ce que la qualité ? Je vous ai dit - et c'est ce à quoi conduit la charte des bonnes pratiques d'élevage - qu'il convenait d'abord de faire respecter la réglementation dans toutes les exploitations ce qui, aujourd'hui, n'est pas le cas. Nous devons avoir une qualité sanitaire irréprochable et je peux vous dire que la France a pris de l'avance en la matière sur beaucoup d'autres pays. Nous devons avoir le souci du bien-être animal - nous y travaillons activement - le souci de la défense de l'environnement et, juste après, celui de la qualité gustative, qui est une appréciation beaucoup plus subjective, compte tenu du fait que ce qui est bon pour l'un peut ne pas l'être pour l'autre. Il reste néanmoins indispensable de bien informer le consommateur pour lui permettre de trouver le produit qu'il apprécie et qu'il souhaite consommer.

M. le Rapporteur : Lorsque Jacques Rebillard a parlé d'éventuelles autres solutions, il n'envisageait naturellement pas de fermer les frontières, car nous ne tenons pas un tel discours. Il cherchait seulement à savoir s'il n'était pas dangereux d'être trop dépendant de l'exportation et s'il ne fallait pas aussi chercher à valoriser nos produits sur notre territoire. Dans ma région, les éleveurs qui se consacrent aux broutards et aux taurillons voient leur avenir un peu compromis et je me demande ce qu'ils vont pouvoir faire, sachant qu'ils dépendent de l'exportation et que cette dernière ne repart que vers la Grèce, et encore dans une faible mesure. Le marché italien s'étant complètement effondré, il y a du souci à se faire.

M. Jean-Luc DUVAL : Puisque le problème de la grande distribution a été évoqué, nous attendons toujours l'adoption définitive de la loi sur les nouvelles régulations économiques que nous appelons de nos v_ux , car une remise en ordre entre les producteurs, les transformateurs et la grande distribution est nécessaire. Bien que l'Assemblée nationale ait agi rapidement, on s'aperçoit, un an et demi plus tard, que les choses en sont toujours au même point. Je vous encourage donc vivement à faire en sorte que cette loi, tenant compte de toutes nos questions et revendications, soit promulguée au plus vite.

Nous avons besoin du développement des protéines azotées végétales si nous voulons, non seulement remplacer les farines animales, mais aussi nous trouver dans une situation de moindre dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Là encore, nous payons des décisions politiques qui ne relèvent pas de la volonté des agriculteurs, qui les ont d'ailleurs combattu, parfois même un peu durement. Ils ont, dès le mois de novembre, posé le problème afin que des dispositions concernant les semis de printemps puissent être mises en _uvre. Des mesures très simples auraient pu être arrêtées par la Communauté européenne, qui auraient été reçues comme le signe d'une volonté politique de relancer la culture des protéines azotées, mais, une fois de plus, on aura perdu du temps.

Sur le problème de communication d'un organisme comme l'AFSSA, il faut éduquer le grand public, qui s'inquiète si vite face à un message transparent, que l'on en vient parfois à regretter de l'avoir communiqué. Il y a dix ou quinze ans, en cas de problèmes sanitaires portant sur des aliments, on retirait parfois des lots sans le dire, alors qu'aujourd'hui le seul fait d'informer le public engendre d'énormes catastrophes : les problèmes de listeria ont mis à mal un certain nombre d'entreprises de ma région, alors que je m'explique mal comment on peut faire un camembert au lait cru sans listeria. Il faut donc éduquer le public. Dans ce dessein, les agriculteurs ont bien sûr des efforts à faire, mais il faut également que toutes les professions de santé puissent s'exprimer pour expliquer les choses sereinement, en dehors de toutes les polémiques qui accompagnent les périodes de crise.

Lorsqu'on apprend, en discutant avec les chercheurs qui travaillent sur l'ESB, la faiblesse des moyens dont ils disposent, même si la situation a changé récemment, on se dit que l'on ne peut pas laisser aux grands groupes industriels le soin de faire de la recherche appliquée, sans financer la recherche fondamentale. Il faut donc distribuer des crédits publics suffisants pour permettre à tous nos organismes publics - l'INRA notamment - de mener à bien leurs travaux.

Faut-il et pouvons-nous alimenter les animaux sans avoir recours aux farines animales ? Nous savons le faire, mais je me demande, à la lumière de ma formation scientifique, s'il est utile de transformer le porc, qui est omnivore, en végétarien. En outre, qu'adviendra-t-il de ces fameuses farines ? Si on pouvait recycler ces déchets en matériaux pour le bâtiment, je serais le premier intéressé, mais laisser entendre qu'il n'y a pas d'autre solution que l'incinération, sachant les coûts qu'elle suppose, ne fait que renvoyer à d'autres débats, comme celui que vous pouvez avoir sur les boues des stations d'épuration. Il faut faire admettre l'idée qu'il arrive un moment où les déchets doivent être recyclés.

Franchement, je ne sais pas à quoi attribuer les lenteurs de la justice, mais ce n'est pas l'envie de la pousser un peu qui me manque. En effet, sur le terrain, les paysans vivent très mal les accusations portées contre eux d'être des empoisonneurs ou d'être tombés dans certains travers. Ceux qui ont été victimes de l'ESB, qui ont fait abattre leurs troupeaux, qui ont été montrés du doigt et qui ont subi à longueur de dimanches les files de voitures de ceux qui viennent voir « la ferme où a été détecté un cas d'ESB » ont porté plainte et ont envie que l'on trouve au plus vite les coupables.

J'estime que le grand pays agricole qu'est la France n'a pas intérêt à renationaliser totalement sa politique, mais qu'elle doit bien réfléchir à la politique agricole qui pourrait être conduite à l'échelle européenne. Cette dimension européenne est très intéressante : l'agriculture française en a bénéficié, les agriculteurs aussi, en dépit de quelques erreurs. A mon avis, les problèmes actuels vont nous permettre de rouvrir les débats sur la politique agricole commune, dans le sens que j'appelle de tous mes v_ux, celui d'une moindre libéralisation et d'une plus grande prudence.

Pour ce qui est de la moralisation de la profession, je peux vous dire que les paysans n'ont qu'une envie : être fiers de leur métier et le faire le mieux possible, quitte à montrer du doigt ceux qui ne jouent pas le jeu. Tous ceux que je peux croiser ont vraiment envie de travailler dans de bonnes conditions, de façon à être irréprochables. Le CNJA a toujours été un ardent défenseur de la maîtrise de la production porcine en demandant que l'on commence par la mettre en place en France, sachant qu'elle devrait ensuite s'étendre au niveau européen. Cependant il est bien de maîtriser la production nationale, mais si les Espagnols et les Danois continuent à développer leur production, ce ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau ! Il faut tenir compte de cette donnée et savoir que le cycle porcin va se renouveler, c'est-à-dire que la production va augmenter, mais que la moindre relance de la consommation de viande bovine va faire chuter les cours, ce qui causera de gros dommages chez les producteurs.

Enfin, je terminerai en disant que l'appréciation de la qualité est l'affaire de tous. Les consommateurs estiment que la qualité sanitaire est un dû, mais il convient, là encore, de bien poser le problème. C'est une erreur de penser que l'agriculture bio serait un rempart au niveau sanitaire : elle l'est seulement par rapport à un comportement environnemental et par rapport à la production agricole. Il faut travailler, quelle que soit la production, pour atteindre le niveau sanitaire le plus élevé, sachant que nous travaillons avec le vivant et que nous sommes dépendants du climat. Si le CNJA se bat pour défendre la qualité de la formation des agriculteurs, c'est aussi pour maîtriser ce genre de problèmes. Pour la qualité gustative, il ne faut pas demander tout et son contraire en prétendant, par exemple, conserver la tradition des fromages au lait cru et éliminer toute trace de listeria. C'est une fois encore un problème de bonne information du public, à qui il faut expliquer qu'une femme enceinte ou une personne immunodéprimée doit éviter pendant quelque temps de consommer de tels produits, qui restent inoffensifs pour les autres.

M. Eugène SCHAEFFER : La qualité est un vaste chantier qui passe effectivement par une réorientation de la politique agricole et agroalimentaire. Il ne faut pas se leurrer : pour nous, la qualité commence par la recherche, que ce soit à l'INRA ou dans nos instituts de recherche, sur les produits agricoles et alimentaires. Tous les travaux sont orientés aujourd'hui vers des objectifs de qualité : nouvelles variétés, nouvelles races, etc. Ensuite, la qualité obéit à des règles de production sur les exploitations : les entreprises respectent un certain nombre de règles et de méthodes de production. Puis, interviennent les règles sanitaires dans l'entreprise qui transforme le produit et le valorise, car la qualité dépend d'une politique de filière. Enfin, au bout de cette filière se trouve la distribution. A ce stade, je pense qu'il convient d'imposer également un certain nombre de règles afin de mieux valoriser les produits dits « sous signe de qualité ».

Il s'agit donc d'une politique qui doit être transparente, et, pour être absolument crédible, soumise à un contrôle. En effet, on peut dire et répéter en permanence à l'opinion ou au consommateur ce qui est fait : sans une attestation lisible, personne ne le croit. Une fois ce constat dressé, il n'en reste pas moins que les Français sont les meilleurs dans les démarches de produits sous signe officiel de qualité : il n'y pas un seul pays européen qui ait consenti autant d'efforts que nous sur les produits certifiés « signe officiel de qualité » , les labels rouges, les AOC etc. D'ailleurs, en mettant en place toutes ces politiques de qualité, nous sommes parvenus à imprégner fortement la démarche européenne en la matière. En conséquence, il faut poursuivre cette démarche déjà bien engagée puisque, aujourd'hui, on peut dire que ce sont 15 % à 17 % des produits avicoles qui sont sous signe de qualité. Le problème qui nous est posé consiste à rester dans une politique alimentaire abordable pour l'ensemble de nos concitoyens car de nombreuses familles disposent de bas revenus, alors que la recherche et les exigences vis-à-vis de la filière entraînent indéniablement un surcoût. Pour être producteur de poulet label, je peux vous dire que le contrôle d'un seul bâtiment coûte 700 F, et je vous laisse imaginer la charge que cela représente pour l'ensemble de l'exploitation. Tout cela a un coût qu'il faut effectivement intégrer.

La politique s'européanisant de plus en plus, M. Lamy a du travail car, si l'Europe engage des démarches volontaires sous signe de qualité, elle ne peut pas laisser entrer les produits des pays tiers dans n'importe quelles conditions. Nous avons dit à M. Lamy que les affaires de viande bovine et autres remettaient peut-être en cause les accords de Marrakech et de Blair-House et supposaient donc une négociation différente dans le cadre de l'OMC. Je vous laisse imaginer ce qui se passera si on commence à toucher aux importations de viande ovine en provenance de Nouvelle-Zélande.

Concernant la réglementation sur le bien-être animal, l'Europe a décidé par exemple, de sortir en 2012, par étapes successives, les poules des cages. Or, nous avons déjà accepté, au moment des négociations du GATT, un très grand contingent d'importations d'_ufs de pays tiers et nous savons que la Commission a l'idée d'élargir encore le contingent à l'exportation de pays tiers : une telle méthode n'est pas tenable ! Nous sommes en pleine contradiction. Il faut que le Commission sorte de ses incohérences : d'un côté elle souhaite la mise en place des politiques de production et des filières conformes à l'agriculture environnementale, et de l'autre, elle poursuit sa volonté d'ouvrir les frontières extérieures. C'est incompatible !

M. François LUCAS : Je vais m'efforcer de répondre rapidement à toutes les questions. Pour ce qui est de la connaissance par certains de l'existence de l'ESB avant 1996 et du fait de savoir pourquoi on a fermé les yeux, il est certain que la politique de la baisse des prix a certainement contribué à occulter le problème. La Commission de Bruxelles, en 1990, avait d'ailleurs réalisé un travail où elle recommandait, compte tenu des enjeux économiques, de garder le silence sur cette affaire.

L'enjeu du développement des protéines végétales, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, est certainement à la fois l'arme alimentaire et la volonté d'affaiblir l'agriculture européenne en la déformant. De là découle peut-être une réponse à la question de la valorisation des broutards. Pourquoi la France exporte-t-elle sa viande ? Parce qu'elle ne la consomme pas ou plus. Il existe une distorsion de concurrence entre les viandes blanches, qui sont produites avec des marchandises importées au cours mondial, des produits de substitution, des céréales, et les viandes rouges, qui sont produites en relation intime avec le sol, dans des prairies qui ne sont pas délocalisables. Quand je parle de « déformation » de l'agriculture, je ne parle donc pas d'un phénomène à la marge, mais d'un processus important, consécutif à une démission politique qui a consisté à contrecarrer notre souhait de développer les protéines végétales.

Sur la communication de l'AFSSA, je crois que le grand public, aujourd'hui, n'est pas apte à recevoir tels quels des avis scientifiques parfois complexes, et qui, de surcroît, sont relayés par des médias à la recherche de sensationnel plus que d'objectivité. A mon sens, ces communications devraient être transmises aux responsables politiques, mais leur traduction devraient être filtrée de façon à ne pas jeter en pâture à l'opinion publique des informations susceptibles de déséquilibrer totalement les marchés. S'agissant du mouton, il aurait fallu résumer la situation en disant qu'il y avait un risque si le mouton mangeait du b_uf, ce qui aurait permis au grand public de relativiser immédiatement les choses.

Actuellement, nous sommes dans un marché ouvert et nous ne pouvons pas le fermer, mais l'Europe est restée à la moitié du chemin. Nous sommes à la veille d'une monnaie commune et lorsque nous allons exporter sur les pays de la zone euro en euros, il sera très difficile de comparer notre balance commerciale à ce qu'elle était dans le passé, parce que nous deviendrons, en quelque sorte, le département d'un grand pays et qu'à ce titre il sera difficilement imaginable de pratiquer des cloisonnements. Il faut donc très vite parfaire l'Europe et ne pas se hâter d'ériger la tour de Babel avec l'élargissement aux PECO que l'on prétend faire à marche forcée. Il faut marquer une pause, parachever l'Europe, la rendre cohérente et faire en sorte, au lieu d'avoir quelques pays vertueux, que l'ensemble des pays le devienne.

Nous ne nous expliquons pas les lenteurs de la justice. Nous notons simplement qu'entre 1996, date à laquelle nous avons déposé nos plaintes et novembre 2000, rien ne s'est passé. Nous avons été de nouveau entendus en novembre 2000 comme si la nouvelle crise avait relancé les choses et permis de ressortir les dossiers des tiroirs.

La renationalisation des politiques d'élevage nous paraît inconcevable. Nous avons bâti l'agriculture française en fonction du grand marché européen. Avec une monnaie qui devient commune, ce serait pour nous une folie que de prétendre faire une politique agricole française. Ce n'est plus possible !

Pour ce qui est de la « citoyenneté » au sein de la filière, vous me permettrez de l'illustrer par une comparaison : vous ne pouvez pas, après avoir abattu la clôture du poulailler demander au renard d'avoir de la morale : il adore les poules et il les mangera. Même si le constat est attristant, la « citoyenneté » n'est pas possible dans un marché ouvert. Je me pose donc des questions sur les clôtures en réitérant la demande de mon collègue : nous aimerions voir la loi sur les régulations économiques avancer, voire s'enrichir au vu des connaissances actuelles. Par exemple, les rayons boucherie de la grande distribution ne se portent pas trop mal par rapport aux autres, en termes de rentabilité.

La remontée des cours de la viande de porc est une réaction normale du marché face à une demande supérieure en viande blanche.

Il est évident qu'aussi longtemps que nous n'aurons pas l'outil de maîtrise des productions, nous risquons de connaître des lendemains difficiles et nous avons toujours jugé que, lorsque des productions deviennent excédentaires, il fallait absolument les maîtriser. Nous n'avons jamais pensé pouvoir sortir les agriculteurs de leurs problèmes en les incitant à produire plus pour gagner plus. En ce domaine, il convient donc d'agir, tout en sachant que des mesures franco-françaises ne seraient pas suffisantes.

Pour terminer, j'aurais tendance à dire que la qualité, c'est à la fois un objectif et ce que le producteur ferait naturellement si on lui en donnait les moyens. Cela étant, je ne partage pas du tout le point de vue qui consisterait à dire : « qualité = contrôle » ou « contrôle = qualité ». Il faut comprendre que la qualité a un coût et que l'on ne peut pas à la fois demander à un fabricant d'automobiles de faire une voiture au rabais en apportant toutes les garanties de sécurité, de longévité et de normes. La qualité a un coût et quand on se plaint de la médiocrité de certains produits - je pense par exemple aux poulets standards - on sait qu'ils ont au moins l'avantage du prix. Si le processus industriel de la transformation permet d'instituer un certain nombre de normes qui ne dépendent pas uniquement de la volonté des intervenants, la qualité intrinsèque du produit, qu'il soit végétal ou animal, vient, elle, du producteur agricole. Je souligne que le produit brut agricole représente aujourd'hui moins de 4 % de la consommation des ménages et que, pour un impact dérisoire sur leurs revenus, on devrait être capable d'en améliorer considérablement la qualité.

M. Xavier COMPAIN : S'agissant de la baisse des prix, nous nous interrogeons, à la fois comme paysans et comme citoyens, sur la question de savoir si ce n'est pas le problème du pouvoir d'achat du consommateur qui est posé. Avant la crise, ne pouvait-on pas déjà se demander s'il n'y avait pas sous-consommation de viande rouge par rapport à d'autres viandes ? Concernant une éventuelle renationalisation des politiques, je crois m'être déjà suffisamment expliqué pour ne pas y revenir. Cela étant, je crois qu'il faut parvenir très vite à une maîtrise de la production porcine pour pallier l'inorganisation commune des marchés qui prévaut depuis des années. Il n'y a nul besoin de mauvaises publicités pour finir de terrasser les derniers moutonniers. On a fait allusion précédemment aux exportations de Nouvelle-Zélande, et force est de reconnaître que les moutonniers français sont un peu les Mohicans de l'agriculture. Il faut bien prendre garde à ce qui peut se faire dans les jours prochains en matière de communication sur les ovins : il est inutile d'en rajouter pour que cela aille mal.

Le thème de la qualité aurait constitué, dix ans plus tôt, un excellent sujet de dissertation au lycée agricole et il pourrait nous conduire à débattre tout l'après-midi. J'ai tenté ce matin de faire passer une idée forte auprès de votre commission : à côté de la qualité sanitaire que l'on peut estimer, sinon irréprochable, du moins excellente, il y a une notion de qualité qui, pour le consommateur, se traduit par des signes de certification. Quels que soient les critères et le degré d'engagement du cahier des charges, il faut dire ce qui est fait et comment.

S'agissant de la loi sur les nouvelles régulations économiques, l'idée de prix minimum a été retenue, mais c'est une idée qu'il faudra approfondir, et j'invite les parlementaires à se saisir de la question.

M. le Rapporteur : Pour conclure, je voudrais dire que ce débat m'a en partie rassuré parce qu'il m'a semblé percevoir dans les différentes interventions, des objectifs, des idées communes, une coïncidence de points de vue qui n'était pas évidente au départ. Homme du terroir et de la Creuse, j'ai été heureux de vous entendre parler tous de « paysans ». C'est une nouveauté que l'apparition de ce terme dans tous les discours. Elle est rassurante parce qu'elle signifie que c'est l'homme que l'on va, enfin, remettre au centre du dispositif. Ce sentiment me semble, sinon bien augurer de la suite, puisque nous savons que la crise est profonde, du moins aller dans le bon sens. La route est longue, difficile et semée d'embûches et je crois que nous devons la faire ensemble et engager, comme cela a été dit, un véritable débat de société.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Bruno POINT,
président du Syndicat des industries fabriquant des coproduits (SIFCO)

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Bruno Point est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Bruno Point prête serment.

M. le Président : Notre commission d'enquête a un objectif bien précis : faire la lumière sur tout ce qui a pu se passer, en fonction de l'état des connaissances de l'époque, et donc bien s'assurer que toutes les mesures ont été prises, notamment par les industriels. Il s'agit de repérer les dysfonctionnements éventuels pour essayer d'en tirer les leçons et faire des propositions.

Nous attendons des éclaircissements non seulement sur les incidences de la dernière mesure d'interdiction des farines animales sur vos activités, notamment celles relatives au traitement des cadavres et des saisies d'abattoirs et des abats à risque, mais aussi sur la manière dont vous avez appliqué les précédentes réglementations et interdictions, en tout cas l'analyse que vous en faites. Je rappellerai pour mémoire :

- 1990 : interdiction des farines animales pour l'alimentation des bovins. Un certain nombre de questions se sont posé sur la façon dont les industriels ont pu appréhender la difficulté pour éviter notamment ce que l'on a découvert ensuite, les contaminations croisées et, compte tenu des indications des scientifiques sur la durée d'incubation de l'ESB, sur la propagation de cette maladie malgré la mesure d'interdiction.

- 1994 : interdiction étendue aux ruminants par un texte communautaire. C'est toute la question des relations intracommunautaires, des importations de farine : comment avez-vous géré cette nouvelle situation ?

- 1996 : interdiction de l'incorporation aux farines des saisies d'abattoirs, des cadavres et des matériels à risque spécifiés (MRS), avec des difficultés qui ont pu se produire, puisque cette mesure n'était pas applicable dans d'autres pays européens.

- 1998 : thermisation des farines rendue obligatoire par un texte communautaire. Nous serons également très intéressés de savoir comment vous avez fait face ce problème, qui est à la fois français et européen.

Nous aimerions également connaître les normes que vos adhérents ont appliquées pour la fabrication des farines et si les deux activités distinctes que sont les traitements des cadavres et les saisies d'abattoirs d'une part, la fabrication des farines d'autre part, ont été exercées par les mêmes entreprises, malgré les souhaits de scission qui ont été exprimés.

M. Bruno POINT : Pour éclairer les dix ou douze dernières années d'évolution et d'insertion de notre profession au sein de la filière, j'ai pris le parti, après une première audition auprès de votre Assemblée et après une seconde auprès du Sénat, de ne pas vous présenter un exposé très structuré, dans la mesure où je vous aurais pratiquement répété le même discours que celui que j'avais tenu en 1999, hormis les éléments nouveaux que vous connaissez et que nous traiterons, mais qui ne sont pas l'objet premier de l'audition, puisqu'il s'agit plutôt du passé. J'ai donc préféré être très léger dans cette présentation liminaire.

M. le Président : Il s'agit de déceler les dysfonctionnements éventuels qui ont pu se produire dans le passé, mais aussi de savoir comment vous abordez la période actuelle, les problèmes nouveaux qu'elle pose et comment les professionnels y feront face.

M. Bruno POINT : C'est le double intérêt de cette audition, le vôtre qui est de tirer des leçons du passé et de recueillir des informations, et le nôtre qui est d'apporter des éléments dans une période qui est fort difficile, pas forcément pour notre profession, mais pour la filière, pour les pouvoirs publics, pour nous-mêmes, pour tous les intervenants.

Je vais donner quelques chiffres pour rappeler ce qu'est notre profession, qui s'est fortement concentrée au cours des vingt et des dix dernières années : elle compte une vingtaine d'entreprises pour un chiffre d'affaires de 4 milliards de francs, 30 sites de production et 10 sites de production initialement affectés au service public de l'équarrissage, donc issus de la scission des deux filières en 1996.

La production de farines et de graisses animales s'effectue à partir de 3,2 millions de tonnes de coproduits, dont 600 000 tonnes qui étaient affectées à la destruction au titre des décisions de 1996, mais qui, aujourd'hui, au fur et à mesure des mesures récentes et peut-être des mesures à venir, vont devenir 800 000, voire 1 million ou 1,2 million de tonnes.

La partie restante fait l'objet pour la quasi-totalité de l'interdiction au titre de l'arrêté ministériel du 14 novembre qui, je vous le rappelle, a anticipé la décision européenne datant de décembre.

Petit détail qui a son importance, la France a souhaité interdire l'utilisation des farines et des graisses animales, le 14 novembre. L'Europe a prohibé l'utilisation des farines, mais les graisses ne sont pas en cause à ce jour au niveau européen, en tout cas elles ne font pas l'objet d'une interdiction. Dans la pratique, certains pays peuvent avoir pris des décisions à l'image de la France, mais en tout cas ce n'est pas une interdiction européenne.

J'en reviens aux chiffres : les productions de farines et de graisses sont de 600 000 tonnes, qui étaient vouées à la valorisation et qui sont donc interdites au titre de l'arrêté du 14 novembre, et de 500 000 tonnes en matière de graisses animales, et de 250 000 tonnes pour la farine prohibée au titre de 1996 et d'environ 100 000 tonnes de graisses animales. Ces deux chiffres ont vocation à augmenter au détriment du premier puisqu'il y a une bascule de produits au fur et à mesure que les semaines et les mois s'écoulent. Juste un chiffre au niveau européen : la production globale est estimée à 3 millions de tonnes pour la farine et 1,5 million de tonnes pour les graisses animales.

Je vous rappelle aussi que nous traitons des coproduits animaux, mais que nous ne sommes pas les seuls à le faire : d'autres industries les utilisent, essentiellement l'industrie de l'alimentation pour les animaux de compagnie - que traditionnellement, au mépris des textes français, nous appelons le « pet food » - et l'industrie de la gélatine. Une gélatine qui utilise des produits soumis à de nombreuses interrogations aujourd'hui, tels les os de b_uf et la couenne de porc, ainsi que certains déchets de cuir.

Voilà pour le rappel des chiffres de base.

Depuis 1990, la farine animale voit son utilisation interdite pour l'alimentation des bovins. Depuis 1996, en même temps que la prohibition des abats à risque, il y a eu un arrêté prohibant l'utilisation de toutes farines animales pour l'alimentation des ruminants, ce qui veut dire qu'entre 1990 et 1996, étaient interdites les farines issues de ruminants mais pas les farines de volailles.

D'où l'éventualité, dans des usines et des véhicules tout au long de la chaîne, non pas de fraudes, car je ne pense pas très sérieusement qu'il y ait eu des fraudes et des schémas volontaires de distribution, qui n'étaient pas opportuns économiquement, mais d'un manque d'étanchéité des circuits, tout au moins pendant cette période, entre les farines interdites et les farines autorisées.

Deuxième mesure, les cadavres d'animaux dans leur ensemble, les saisies d'abattoirs dans leur ensemble et les MRS, c'est-à-dire les parties issues du système central nerveux du ruminant, ont été interdites d'utilisation et vouées à la destruction le 28 juin 1996 ; en décembre 1996, une loi a institué cette activité de « service public » que nous appelons le SPE, le Service Public de l'Équarrissage.

Pendant les premiers mois, les usines étant pour une part mixtes, les volumes ont été nettement séparés, les tournées nettement distinguées, mais il a certainement fallu plusieurs mois pour obtenir une réelle étanchéité. Il suffit de lire les chiffres et de regarder les volumes détruits au regard des volumes non détruits.

Les volumes détruits ont été très importants. On peut dire en toute bonne foi que les mesures nécessaires au respect des textes ont été mises en place. Mais depuis l'organisation en amont, c'est-à-dire en abattoirs, dans les véhicules, dans des usines mixtes, il n'est pas exclu que des contaminations aient pu se produire. Il faut rappeler en parallèle que chaque fois qu'une mesure est prise - et je n'entends porter aucun jugement sur la teneur de ces mesures - il y a obligatoirement des conséquences en termes de faisabilité industrielle.

Lorsqu'il a été décidé le 28 juin 1996 qu'une masse de produits équivalant alors à 400 ou à 500 000 tonnes devait être détruite, encore fallait-il disposer de véhicules distincts et d'usines adéquates, baptiser certaines d'entre elles « à haut risque », et d'autres « usines pour traitement des produits dits à bas risque », c'est-à-dire valorisables.

A ce jour, il existe en France cinq usines mixtes. Leurs ateliers, tout à fait conformes à la réglementation, sont distincts, les trémies de réception sont distinctes. Il n'empêche que ces usines sont mixtes. Je préfère apporter une information claire à votre assemblée. Voilà pour ce qui est de la deuxième mesure importante.

Le traitement thermique a fait l'objet, au regard de notre profession, de trois mesures successives. La première, en 1990, a institué - je crois que c'était la décision 667 au niveau européen - l'obligation de déclaration de procédés à préciser par les entreprises et à valider par les pouvoirs publics : elle prévoyait un certain nombre de process-types avec obligation pour les entreprises de préciser les niveaux et les durées d'opérations thermiques pratiquées. Elle a été suivie en 1994 d'une seconde mesure qui a imposé sur ces procédés des températures ainsi que des niveaux de durée et éventuellement de pression à appliquer obligatoirement et qui faisaient l'objet d'un agrément pour toutes les entreprises.

En 1996, la directive 449 qui a été reprise en juillet 1998 a imposé pour tous les déchets issus de mammifères - je vous prie de m'excuser si de temps en temps je confonds mammifères et ruminants - l'obligation du traitement thermique à 133°C, 3 bars, 20 mn, ce qui, grosso modo, fait que sont équipées les entreprises traitant des produits « tout venant », donc de toutes espèces confondues et ne sont pas équipées au niveau de la profession en général les entreprises traitant essentiellement les volailles, puisque ce sont ces entreprises qui peuvent être spécifiques pour une espèce dans la pratique.

Voilà pour ce qui est des principales mesures. Ceci nous amène aux deux dernières années où notre profession a entrepris une démarche complémentaire consistant à passer du « tout recyclage » qui caractérisait le fonctionnement de notre profession et le fonctionnement de la filière en général, au tri plus parfait, au-delà des prescriptions au titre de la santé publique mises en place en 1996. Nous avons donc cherché avec les abattoirs à mettre en place un tri tout à fait précis et pointu des sous-produits, de sorte qu'il n'y ait pas une masse de coproduits, mais des sous-produits bien identifiés. Ceci pour assurer la connaissance précise de la composition des farines de viande, pour pouvoir affirmer qu'il y avait tel et tel produit à l'exclusion de tel ou tel autre, et aussi pour pouvoir mettre en place une traçabilité sérieuse de ces produits.

Cet effort a été mené avec beaucoup d'énergie par notre profession, a fait l'objet de beaucoup de travail avec les fédérations amont, notamment les fédérations d'abattoirs. Il demeure à l'ordre du jour, dans la mesure où les textes réglementaires sur lesquels il s'appuie sont en vigueur. Il n'en reste pas moins que, globalement, la donne est légèrement différente depuis le 14 novembre, dans la mesure où les deux filières, y compris ce que nous appelons l'ex-filière valorisation, sont vouées aujourd'hui à la destruction, néanmoins avec une étanchéité, puisque nous avons deux types de produits : les farines et graisses issues du service public de l'équarrissage, qui sont retirées pour des motifs de santé humaine, donc d'identification précise de certains coproduits, les autres étant interdites de commercialisation au titre du produit fini et non pas de sa composition.

Ceci correspond aussi à l'encadrement législatif qui était le nôtre : jusqu'en 1996, nous étions sous le régime d'une loi de 1975. Celle-ci définissait notamment le principe d'une couverture nationale par le biais d'arrêtés préfectoraux départementaux. Chaque préfet devait prendre un arrêté préfectoral instituant à l'intérieur de son département un ou plusieurs périmètres, lesdits périmètres étant attribués à un équarrisseur. Cette loi nous a valu une très mauvaise image que nous avons conservée et que nous subissons encore aujourd'hui : nous étions perçus par notre amont, parfois par les pouvoirs publics, par les préfectures et par les commissions d'équarrissage comme bénéficiant d'un monopole. Or ce monopole résultait de la loi.

On nous octroyait un périmètre au sein de chaque département. Lorsque l'on étudie très précisément cette loi, on s'aperçoit qu'elle concernait historiquement les cadavres d'animaux, mais qu'en fait elle touchait tous les coproduits animaux, c'est-à-dire que tous les déchets d'origine animale étaient obligatoirement affectés, dès lors qu'ils n'étaient pas collectés, à un équarrisseur. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, mais cette mesure répondait à la préoccupation tout à fait louable de voir l'ensemble des coproduits animaux collectés rapidement dans les abattoirs.

Chaque détenteur de coproduits animaux était donc fondé à demander la collecte par l'équarrisseur. C'était le premier arrêté préfectoral. Le deuxième instituait une commission d'équarrissage au sein de chaque département, présidée par le préfet et réunissant tous les services de l'État, notamment la direction des services vétérinaires (DSV), la direction départementale de l'agriculture (DDA), la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDAS), la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF), des représentants des élus locaux, des représentants du monde de l'abattage et du monde de l'élevage.

On peut regretter peut-être que ces commissions n'aient pas vécu et n'aient pas été animées. À mon sens, elles ont été animées uniquement par des motifs économiques, c'est-à-dire que, lorsqu'un équarrisseur entendait percevoir une indemnité, on réveillait la commission d'équarrissage, qui donnait lieu parfois à des conversations fort sympathiques, parfois à des négociations houleuses ; c'était toute une culture. Mais, tout le débat était purement économique, la commission n'était réunie que dans un objectif économique.

Le troisième arrêté préfectoral que j'ai évoqué portait sur la tarification, lorsque le besoin s'en faisait sentir et lorsqu'il était exprimé par l'une ou l'autre des parties. De fait, les arrêtés préfectoraux n'étaient pratiquement pris qu'à la demande des équarrisseurs pour percevoir une indemnité, avec beaucoup de difficultés. Dès lors qu'il y avait possibilité de paiement, les périmètres n'étaient plus du tout respectés, ou en tout cas la loi ne jouait pas son rôle, et c'est le commerce qui primait : les équarrisseurs faisaient des offres aux abattoirs et travaillaient à l'intérieur ou hors de leur périmètre. Il y avait là quelque ambiguïté.

Depuis 1996, la donne est changée, mais une très profonde ambiguïté subsiste, que j'entends souligner auprès de votre commission. Je ne suis pas juriste, mais je m'étonne que personne, hors de notre profession, ne prenne la mesure de la nature banalisée du déchet animal au même titre que tout déchet industriel : il n'y a aucune distinction entre les déchets industriels et les déchets d'entreprises, les déchets d'origine animale sont des déchets.

Par là même, ils ne font l'objet d'aucune couverture particulière, si ce n'est pour celui qui les détient le devoir de s'en défaire, et pour celui qui les collecte le devoir de respecter les réglementations qui concernent son activité. On touche au n_ud de notre profession et de notre insertion dans la filière.

L'exemple de l'arrêté du 14 novembre 2000 vient pour appuyer mon analyse. Cet arrêté interdit l'utilisation des farines de viande et des graisses animales. Si je veux faire une mise à plat, n'y voyez aucune provocation de la part de notre profession, ce n'est absolument pas mon propos. L'État a pris des dispositions pour que le travail soit effectué dans des conditions normales, si ce n'est avec tous les soucis que vous me demanderez peut-être d'exposer ultérieurement ; mais lorsque l'on interdit un produit, théoriquement on ne devrait plus pouvoir le fabriquer.

Or, nos entreprises ont vocation à le fabriquer, puisque c'est notre activité. Néanmoins, il y a un vide juridique absolu : nous avons un produit interdit de commercialisation, la filière amont est détentrice d'un déchet, aucun texte « n'oblige » qui que ce soit à collecter ce déchet. Je me permets d'attirer votre attention sur ce point.

L'arrêté du 14 novembre a été suivi du décret du 1er décembre 2000. Celui-ci institue au profit de notre profession, une indemnisation qui a été globalement indexée sur les marchés existant à la date d'interdiction, c'est-à-dire que des valeurs proches du marché ont été retenues. Nous voyons donc notre industrie indemnisée par l'État, et j'insiste sur le terme « indemnisation » parce qu'il a une portée fiscale, qu'il faut donc respecter. De ce fait, nous avons trouvé quelqu'un qui a remplacé notre client. Donc, nous effectuons un chiffre d'affaires, et ce dernier nous permet de continuer notre activité comme auparavant, c'est-à-dire d'effectuer nos travaux de collecte et de transformation.

Le décret prévoit même que soient conservées à l'identique - c'est un v_u pieux, mais en tout cas c'est un souhait exprimé dans le décret, qui est respecté de part et d'autre - les relations existantes entre notre amont et nous-mêmes. Lorsque les produits étaient payés, ils continuent de l'être ; lorsque les produits faisaient l'objet d'une prestation émise par notre profession, ils continuent de l'être.

Il n'empêche que c'est un dispositif qui ne peut pas perdurer. Il était important de le mettre en place, donc ne voyez aucune critique dans mes propos. Mais on a là quelque chose qui vient pallier un manque, à savoir qu'aujourd'hui les farines de viande ne devraient pas exister.

On parle sans arrêt des farines de viande et des problèmes que notre profession génère, mais la question n'est pas là. Les déchets animaux jusqu'à présent, trouvaient une valorisation, qui a posé des problèmes de santé humaine. C'était la première partie de l'exposé et c'est le sens de vos recherches, mais aujourd'hui on se trouve dans un tout autre débat. Les déchets animaux sont actuellement transformés en farines de viande et en graisses animales qui doivent être détruites. Nous pensons que ce processus est très probablement un bon processus économique, et même et surtout au titre de l'environnement, mais il n'a pas d'encadrement législatif, si l'on admet que son détenteur n'en est pas responsable économiquement. Voilà pour ce qui est du panorama actuel.

M. le Président : Je n'ai pas le sentiment que vous ayez répondu aux questions que je vous ai posées sur les conditions dans lesquelles vous-même vous êtes assuré du respect de règles qui mettent pourtant en jeu la santé animale et la santé humaine.

La question posée était : comment votre profession organisée au sein d'un syndicat s'est assurée elle-même que les précautions nécessaires étaient prises ? On a vu que dans d'autres pays des professionnels s'étaient imposés à eux-mêmes un certain nombre de règles de transparence.

Il semble qu'il y ait eu des fraudes. Vous avez eu une période pendant laquelle tout cela était soumis à autorisation préalable, notamment pour les importations de farines en provenance d'Angleterre. Comment avez-vous vécu toute cette période ? Comment vous êtes-vous assuré, auprès de l'ensemble des professionnels adhérents de votre syndicat, du fait que tout cela était bien respecté, parce que tel est bien votre rôle ?

M. Bruno POINT : Absolument. C'est le rôle des entreprises et c'est le rôle du syndicat d'apporter les éléments d'information et d'inciter ses adhérents à veiller au respect de la réglementation.

M. le Président : Comment avez-vous vécu les étapes successives de la chronologie que vous nous avez résumée dans votre exposé liminaire ? Qu'avez-vous fait pour vous assurer la transparence ? Vous avez indiqué qu'il y a encore cinq sites mixtes, même si leurs ateliers sont maintenant distincts. Il y a eu probablement des contaminations croisées, peut-être des fraudes. Comment voyez-vous ce problème ? Quelle est votre analyse ?

M. Bruno POINT : Si l'on parle de l'amont pour ce qui est des filières, l'amont c'est la ressource en abattoir. Elle est du domaine de l'abatteur et des services vétérinaires, c'est-à-dire qu'il y a deux lieux distincts dans l'abattoir où sont stockés les produits : un où sont stockées les saisies sanitaires et les MRS, éventuellement dans deux salles distinctes ; et un ou plusieurs lieux où sont stockés les produits qui étaient valorisables avant le 14 novembre.

Nous avons mis en place des tournées spécifiques qui, à l'intérieur d'un même véhicule, ne pouvaient pas transporter des produits de l'une ou de l'autre des filières. Généralement, cela correspond tout à fait à l'activité des abattoirs : cette activité générait - et génère toujours - des coproduits valorisables au quotidien ; étaient stockés pour des enlèvements hebdomadaires ou bihebdomadaires les produits, notamment les MRS des bovins, puisqu'il s'agit du volume important concerné par ces mesures.

Le problème est totalement différent pour les cadavres d'animaux : ils n'ont jamais été collectés en même temps que les coproduits animaux, puisqu'il s'agit d'un fonctionnement particulier avec des véhicules distincts et des collectes distinctes à la ferme.

On a bien d'une part une collecte de cadavres qui est complètement distincte, d'autre part une collecte en abattoir qui fait l'objet de tournées spécifiques et d'émission d'un laissez-passer vétérinaire systématique à chaque enlèvement : en effet, un véhicule qui charge en abattoir doit se voir remettre un laissez-passer vétérinaire qui identifie les produits collectés et qui est obligatoire pour l'accompagnement desdits produits.

Un projet pour lequel nous avons presque milité mais qui n'est pas allé à son terme prévoyait aussi l'émission par une autorité, soit la direction des services vétérinaires, soit l'abattoir sous sa responsabilité, d'un laissez-passer pour les produits dits valorisables, ce qui eut permis effectivement de responsabiliser toute la filière quant à la distinction stricte de ces produits.

Par ailleurs, les entreprises font l'objet d'un agrément : cet agrément a été révisé afin de tenir compte de l'obligation de stricte séparation des activités lorsque ces entreprises étaient mixtes.

Des entreprises affectées à une seule activité ont l'avantage de la clarté et de l'absence de soupçons, qu'ils soient de fraude ou de maladresse ; celles qui sont mixtes ont fait l'objet de préconisations que notre syndicat a rappelées en son temps aux adhérents.

M. le Président : À quand remontent les préconisations, dès 1990 ou après 1996 ?

M. Bruno POINT : C'est après 1996 pour ce qui est de la séparation.

Elles ont fait l'objet de rappel tendant à ce que les bâtiments soient distincts. À l'évidence, les lignes de fabrication sont distinctes, y compris les bâtiments qui doivent être distincts de A à Z de la filière, c'est-à-dire de l'arrivée des matières premières jusqu'au broyage des produits finis.

Par contre, à ma connaissance, il n'existe toujours pas, à ce jour, de texte imposant des véhicules distincts pour le départ des produits. Je veux bien que nous ayons eu notre part de responsabilité, mais nous fonctionnons dans une économie de marché et il faut tenir compte des contraintes matérielles. Vous connaissez aussi le marché du transport, il n'est pas toujours très simple.

Nous avons mis en place - en tout cas le syndicat l'a préconisé et les entreprises ont suivi ses conseils - des procédures de contrôle et de désinfection des véhicules pour les cas où, après avoir transporté des farines issues de produits à hauts risque, ils transportent ensuite des farines issues de produits à bas risque.

Vous trouverez dans de nombreuses entreprises des procédures en place lourdes, qui fonctionnent. Mais, à ce jour, pas plus notre profession que qui que ce soit ne peut affirmer que les véhicules étaient distincts, puisque aucun texte ne le prévoit. Il est clair que des véhicules ont pu transporter l'une et l'autre de ces catégories.

M. le Président : Des matériaux à risque et des farines ?

M. Bruno POINT : Les deux. Pour être exact, le cahier des charges du service public de l'équarrissage prévoit une stricte affectation des véhicules, mais celui-ci a été repoussé de semestre en semestre pour d'autres motifs, dont il ne m'appartient pas de juger les fondements, encore que je les connaisse. C'est tout simplement la difficulté pour le ministère et pour l'État de lancer un appel d'offres dans des circonstances faisant que la ressource, la nature des produits, est sans arrêt changeante.

Dès que les appels d'offres sont lancés, trois mois après ils sont caducs. Nous avions un appel d'offres prévu au 15 janvier et comme, du fait de l'arrêté du 14 novembre, il n'avait plus beaucoup de sens, il a été repoussé au 25 juin.

Les mesures en cours, dont je ne préjuge pas, mais qui font l'objet d'une information auprès de notre profession et dans la presse, prévoient peut-être la disparition par destruction des colonnes vertébrales chez les bouchers. Dans une telle hypothèse, les appels d'offres seront à refaire. Ils seront peut-être repoussés, et je préférerais que ce soit les services concernés qui vous le disent, mais en tout cas ils sont pratiquement d'ores et déjà caducs.

Ces cahiers des charges qui sont plus exhaustifs n'ont jamais réellement été mis en vigueur, puisque l'appel d'offres a été repoussé de date en date ; ce qui n'a pas empêché notre profession de mettre en place des procédures nombreuses, des bulletins de lavage, des préconisations pour distinguer vraiment les deux activités.

M. le Président : En 1990, les entreprises avaient l'obligation de fournir un certain nombre de précisions ; mais, à cette époque, on ne faisait pas de distinction ?

M. Bruno POINT : Je n'ai peut-être pas été précis. En 1990, le texte concernait les paramètres de cuisson. Notre profession, la filière en général et les services de l'État n'envisageaient aucunement, à cette époque, de détruire les cadavres d'animaux, puisque c'est en 1996 que les décisions ont été prises. Donc, il n'y avait pas deux filières.

L'ensemble de la filière faisait l'objet, par contre, de ce texte qui imposait, pour qu'une usine soit agréée, de définir très exactement son process, son circuit propre, son circuit souillé, tous les mouvements à l'intérieur de l'usine. On n'est pas dans le cadre de l'ESB, mais dans le cadre du sanitaire, du bactériologique, de la salmonelle, de données plus basiques qui étaient valables de façon générale dans l'industrie agroalimentaire.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé des différents risques de contamination croisée, soit à l'usine, soit lors du transport, compte tenu de la réglementation que vous venez d'indiquer. Je suppose que des contrôles pouvaient être effectués sur l'application des règles édictées. Par qui, à quelle fréquence, avec quels résultats ?

Ensuite, pour les produits eux-mêmes fabriqués, traités, se pose souvent pour nous le problème de la traçabilité. Lorsque le produit est là, que devient-il ? Qui connaît sa composition ? Comment l'indique-t-on ? Comment peut-on préciser tout cela ?

Vous nous dites que le régime d'indemnisation, tel qu'il est aujourd'hui, c'est le pis-aller. Il vous permet de fonctionner et le client est devenu l'État, mais cela ne pourra pas perdurer, ce que je comprends...

M. Bruno POINT : ...C'est un avis de citoyen.

M. le Rapporteur : Je partage votre avis de citoyen. L'interdiction des farines est de six mois ; personne ici ne pense qu'elles vont pouvoir être réintroduites rapidement.

M. Bruno POINT : Notre profession non plus, ce n'était pas le sens de mon propos.

M. le Rapporteur : Quels sont les autres moyens de valoriser le produit ? Si ce ne sont plus des aliments pour animaux, qu'en fait-on ? Existe-t-il une autre solution que la destruction ? On a entendu parler d'engrais notamment. Les professionnels ont-ils une idée sur ce point ?

Deux autres questions me semblent importantes. Nous avons rencontré l'autre jour des représentants de la Suède, qui ont une approche différente. Vous devez avoir des contacts avec vos collègues européens. Ces contacts sont-ils ponctuels, ou existe-t-il une réflexion collective ? Où en est la réflexion européenne ?

Enfin, s'agissant de production, quelle est la réglementation applicable ? C'est un peu annexe à nos débats, mais c'est quand même important : le traitement implique peut-être une pollution qui vient de l'usine, notamment pour l'eau et sans doute pour l'air. Quelles sont les obligations que vous avez dans ce domaine ?

M. Bruno POINT : La première question portait sur les contrôles dont nous faisons l'objet. Les contrôles sont opérés par les services vétérinaires : chaque entreprise fait l'objet, au titre d'une décision européenne qui date de 1990, d'un agrément. L'agrément comprend, comme pour toute entreprise agroalimentaire, la définition des circuits et la définition des moyens, l'arrivée et la sortie, la description précise de la ligne de process, les contrôles thermiques, les moyens thermiques. En parallèle de cet agrément, il y a aussi un dossier dit « établissement classé » - c'était l'objet de votre question finale -, qui prévoit notamment le traitement de l'environnement, et notamment les rejets d'eau, dont nous parlerons peut-être plus tard.

Ces contrôles sont opérants : pour être moi-même responsable d'une unité, je peux vous assurer que les services vétérinaires contrôlent les entreprises. Par l'arrêté préfectoral d'autorisation et au titre de l'agrément, les données de contrôle sont à leur disposition, c'est-à-dire que nous devons tenir des registres très précis de nombreuses données, notamment des données sanitaires. Ces données sont obligatoirement conservées dans les entreprises.

La deuxième question portait sur la traçabilité des produits. Il y a notamment depuis 1997 une directive européenne qui définit les conditions de circulation intracommunautaire des sous-produits animaux. À l'époque, nous avions même questionné les services de l'État pour savoir si l'on était dans l'intracommunautaire lorsque l'on circulait à l'intérieur de la France ; en l'occurrence, la réponse avait été négative. Il n'empêche qu'un texte français a repris tous les modèles qui sont en annexe de cette directive et qui bâtissent les documents qui doivent obligatoirement, pour tout produit d'origine animale, accompagner les véhicules et les livraisons.

Notre profession a mis en place ces documents. C'est une obligation légale. Nous avons informé nos adhérents. Ils ont fait l'objet de contrôles tant des services vétérinaires que des services des fraudes. Dans les mois ou les années qui ont suivi, ces services ont contrôlé l'existence, la réalité et la pertinence des documents ; ils ont parfois fait des remarques sur leur nature, parce que ces documents ne sont pas simples à comprendre et quelquefois il faut vraiment se concentrer pour ne pas faire d'erreur. Ce sont des documents très précis, qui mentionnent notamment la nature des sous-produits, c'est-à-dire de quelles espèces ils sont issus, dans quelles entreprises ils ont été traités. Donc, ils interdisent tout mouvement de négoce qui aboutirait à ce qu'un produit transite par une usine et soit mélangé à d'autres. Ils précisent les modalités de traitement, la référence aux textes qui identifient les modalités de traitement.

Ils précisent aussi le devenir, c'est-à-dire le type de clients auxquels ils s'adressent : à l'alimentation des chiens et chats, à l'alimentation des porcs et des volailles, à l'alimentation des bovins lorsque les textes le permettaient. Ils précisent aussi les interdictions qui frappent ce type de produits.

Ce texte est en vigueur, au niveau européen depuis 1997, et je pense qu'il a été repris très rapidement en France. Tous les mouvements de farines de viande depuis cette date sont accompagnés de ces bons de livraison « documents d'accompagnement » qui ont un caractère obligatoire.

L'interdiction française des farines est une interdiction d'utilisation en alimentation animale, c'est-à-dire que la farine de viande n'est pas interdite en engrais, par exemple. À ma connaissance - en tout cas ce sont les conseils que nous donnons à nos adhérents, mais un syndicat ne se substitue ni à la loi, ni aux possibilités offertes par le marché - il n'y a pas de farines de viande vendues en engrais en France.

Les farines de plumes étaient fort utilisées en engrais. Aussi je n'exclue pas qu'elles le soient pour partie aujourd'hui ; cela me semble probable, mais très certainement dans des quantités minimes, d'une part parce que les fabricants d'engrais hésitent à utiliser de l'azote d'origine animale, et d'autre part parce que les professionnels sont aussi très craintifs à l'égard d'une mauvaise presse qui pourrait leur être faite à cet égard.

Néanmoins, il est important de rappeler que le texte prohibe l'utilisation en alimentation animale au sens des animaux d'élevage et au sens des animaux de compagnie, encore qu'il y ait des dérogations, fort heureusement sinon les malheureux chiens et chats ne pourraient plus manger. Il y a des dérogations qui méritent très probablement d'être calées et précisées, parce qu'elles sont d'une complexité telle que leur mise en _uvre, voire leur simple lecture, les rend assez hermétiques pour tout le monde, y compris les professionnels. La dérogation existante, c'est pour les animaux de compagnie. Par contre, toute autre utilisation n'est pas prohibée. De fait, l'utilisation potentielle, ce sont les engrais. À ma connaissance, elle n'est pas pratiquée, en tout cas pas pour les farines des viandes, mais elle l'est peut-être pour les farines de plumes.

Après, le devenir probable, c'est l'utilisation. Aujourd'hui, on parle de destruction. Notre profession partage votre avis : les farines de viande ne reviendront pas à l'alimentation animale. Par contre, elles rentrent dans le domaine du déchet en général, et elles vont suivre très probablement le comportement économique, réglementaire et sanitaire des déchets, à savoir qu'il faut que se mette en place rapidement une réglementation précisant les classes de ces déchets. Il existe des rubriques : il faut que nos produits, dès la source, c'est-à-dire dès le coproduit cru, jusqu'au produit déshydraté, trouvent leur place dans l'une d'elles.

Or, aujourd'hui, ces rubriques ne sont pas encore tout à fait claires. Il importe que les ministères, en concertation, ou d'autres instances, les clarifient. Sinon, la situation difficile dans laquelle se trouve notre profession, et toute la collectivité, perdurera.

En matière de déchets, l'avenir n'est pas à la destruction pour la destruction, mais à la destruction productrice d'énergie. Les chiffres sont très simples. Le fioul a un pouvoir calorifique de l'ordre de 9.500 Pci, la graisse animale a un pouvoir calorifique de 8.500 Pci, donc on se trouve avec une valeur assez proche. Les farines, selon leur nature de dégraissage, puisque c'est la graisse qui est riche, ont un pouvoir calorifique qui va de 3.500 à 4.500. Donc, on se trouve avec un produit qui très certainement n'a pas la valeur économique qui était la sienne lorsqu'on l'utilisait en tant que protéines - on était sur des marchés de protéines et de corps gras, mais qui a un intérêt énergétique - je n'oserai pas dire une valeur ; d'où l'extrême importance des décisions qui seront prises en matière de classement qui, elles, devront tenir compte des risques qu'il ne m'appartient pas de juger dont sont porteurs, potentiellement, ces produits.

En tout cas, c'est un débat qu'il y a lieu de mener le plus rapidement possible, au gré de l'implication de tous les intervenants et des connaissances scientifiques.

M. le Président : Les graisses sont interdites.

M. Bruno POINT : Elles sont utilisées en énergie.

M. François GUILLAUME : En France, quelle était la réglementation existante pour le traitement du bétail d'équarrissage ? Quelles étaient les pratiques réelles avant 1990, c'est-à-dire avant l'interdiction des farines en France ?

Ma deuxième question porte sur les farines britanniques. À partir de 1980, les Anglais ont modifié leurs pratiques en abaissant fortement les températures, en utilisant des solvants. Cela a-t-il constitué un élément de concurrence important sur le marché européen des farines animales ?

Actuellement, la loi de 1996 définit les conditions dans lesquelles les farines doivent être traitées. Est-ce vraiment utile, si les procédés qui ont été retenus sont plus chers que les pratiques britanniques, d'aller jusque là dans la mesure où toutes les farines sont détruites ?

Comment est calculée l'aide qui vous est apportée, puisque vous n'avez plus de clients ou pratiquement plus, et que votre client c'est l'État ? Comment est définie l'indemnité qui vous revient ? N'est-il pas plus confortable d'avoir comme client l'État plutôt que le marché ?

Enfin, dernière question, on nous a assez peu parlé du marché du suif. Qu'en est-il exactement ? Un certain nombre de graisses sont détruites, d'autres, nous a-t-on dit, sont toujours conservées pour leur utilisation dans les laits de remplacement. Comment tout cela se passe-t-il et où en est le marché du suif qui était bien connu sur le plan international ?

M. Bruno POINT : Votre première question portait sur les conditions de l'équarrissage avant le texte de 1990 en France. Il est difficile de donner une réponse exhaustive, notamment parce qu'à l'époque il y avait plus d'entreprises qu'il n'y en a aujourd'hui, les entreprises se sont concentrées.

Néanmoins, chaque pays a sa culture industrielle ; c'est vrai dans tous les métiers. Lorsque l'on regarde le panorama de l'Europe des industries, et je n'ai d'ailleurs pas répondu à votre question tout à l'heure, on s'aperçoit que les sous-produits ne sont pas traités de la même manière dans tous les pays, ne font pas l'objet du même encadrement juridique, ni des mêmes pratiques. Je n'ai pas un regard de juriste, je n'ai pas étudié les textes, mais je vois les pratiques industrielles. Vous avez vraiment des situations complètement différentes. a titre d'exemple, en Italie, il y a un très grand nombre de très petites unités qui font des produits semi-ouvrés et qui les revendent à deux ou trois très gros fabricants qui les finissent et les standardisent. À l'opposé aux Pays-Bas ou au Danemark, une ou deux entreprises non seulement dominent, mais traitent la quasi-totalité des produits de leur pays.

La France se situait entre les deux, avec au fil des années une concentration importante des entreprises, probablement en raison des contraintes en matière d'environnement, c'est-à-dire des investissements importants, tant en énergie humaine et en compétences, que du point de vue financier, voire avec des soucis locaux de pouvoir ou non agrandir une usine. Ces trois éléments ont fait qu'en France la concentration a été réelle.

Pour en revenir à votre question sur la pratique générale en France : les farines étaient chauffées, et là ce n'est pas une réponse pour apparaître tout blanc face à une assemblée et aux médias en général, mais cela correspond aussi à des réalités de fonctionnement. Il existe en France une réglementation depuis toujours et une administration. J'enfonce des portes ouvertes, mais tous les pays n'ont pas ce type de fonctionnement. Il y a des réglementations notamment en matière bactériologique et une administration en place, que l'on critique assez pour en parler lorsqu'on en a besoin. Il y a des services vétérinaires et des contrôles. J'ai démarré dans ce métier il y a 25 ans, on avait 4 contrôles bactériologiques par an et, lorsqu'un contrôle était mauvais, on avait une lettre. Deux ans après, on en avait 10 et cinq ans après on en avait 20.

M. le Président : Une question très précise a été posée.

M. Bruno POINT : C'est très important.

M. le Président : On a bien compris qu'il y avait des cultures différentes, des réglementations différentes selon les pays, mais la question très précise portait sur les conditions de fabrication des farines, leur importance économique, et ensuite sur le marché, notamment sur la vente des farines dans la période qui a précédé 1990...

M. Bruno POINT : J'avais compris qu'il s'agissait des conditions de traitement...

M. le Président : Sur les conditions de fabrication de farines, il serait intéressant de savoir si elles étaient chauffées - si oui, comment et à quelle température - mais j'insiste sur les conditions économiques de mise sur le marché des farines, dont nous avons vu la complexité du contrôle lorsque des réglementations s'appliquent.

M. Bruno POINT : Je l'ai trop argumentée et vous prie de m'en excuser. Il y a des textes précis en France sur la bactériologie, et l'on ne détruit les bactéries que si l'on chauffe. Donc, en France, la pratique industrielle était de chauffer. Les deux procédés dominants étaient le procédé de cuisson pendant une longue durée pour déshydrater complètement, et là obligatoirement on atteint des températures de 110-120°, parce qu'on a la matière grasse dans le produit.

La deuxième pratique de groupe, car c'était une pratique industrielle, consistait en l'adjonction de graisses. C'est le principe de la friteuse : on met des matières premières dans un bain de graisse, on ne met pas en pression, mais on obtient des températures qui vont de 130 à 140°, et on détruit les bactéries.

Vous avez parlé aussi, et c'était l'une de vos questions, du principe anglais qui a consisté à traiter à basse température. On a dit que c'était pour des motifs économiques : c'est faux, c'était pour des motifs nutritionnels. Lorsque l'on chauffe plus fort, on détruit une partie des acides aminés ; lorsque l'on chauffe moins, on les détruit moins. L'objectif des Anglais n'était pas économique, mais de vendre un meilleur produit nutritionnel. Par contre, cela reflète la différence entre la France et l'Angleterre au niveau des missions et de l'importance des administrations.

Je ne crois pas que l'on puisse détruire vraiment les bactéries avec le système anglais. Or, la bactériologie, c'est un texte qui a 25 ou 30 ans. C'est là où l'on est en droit de se demander comment se met en place à l'échelle d'un pays - qu'un individu ou une entreprise le fasse, tout peut arriver - un système qui ne correspond pas à une réglementation basique en matière de bactériologie : la question mérite d'être posée. En France, où j'ai visité de nombreuses usines, même lorsque j'étais très jeune, les températures étaient importantes.

M. le Président : Qu'avez-vous à dire sur les conditions économiques, car c'est un aspect très important ?

M. Bruno POINT : Aujourd'hui ou hier ?

M. le Président : Hier ! C'est pour compléter la question, que je me permets de renouveler, en espérant une réponse, car les conditions économiques avaient leur importance et ont pu même inciter à des fraudes.

M. Bruno POINT : C'est-à-dire les conditions économiques d'importation des farines anglaises ?

M. le Président : Selon les modes de fabrication, quel était l'état de la concurrence, puisque vous étiez sur un marché - vous l'avez vous-même rappelé - où des importations se trouvaient en concurrence avec des fabrications nationales, ce qui pose aussi la question de l'exercice de votre profession dans différents pays. Collectiez-vous exclusivement des déchets sur place ou alliez-vous en chercher ailleurs pour vos entreprises ? Comment parveniez-vous à faire la différence entre des règles imposées chez nous et celles qui n'étaient pas aussi clairement définies ailleurs ? Quelles pouvaient en être les incidences économiques et les risques de croisement ? C'est la question très précise que vous a posée M. Guillaume et que je me permets de renouveler.

M. Bruno POINT : À quelle date ?

M. le Président : Avant 1990 d'abord, puis vous nous ferez l'analyse pour la période après 1990. Ai-je été clair ?

M. Bruno POINT : Oui, je souhaite vous répondre. Avant 1990, tous les marchés étaient libres, ce qui signifie que notre profession exportait pour une part plus ou moins importante, selon les années, mais que nous étions d'une manière structurelle exportateurs.

Ensuite, des importations ont pu être faites. Je précise que nous tenons au niveau de notre syndicat des statistiques de production. Nous suivons les statistiques douanières d'importation et d'exportation des différents produits. Par contre, nous ne disposons pas et n'entendons pas disposer - ce qui nous est d'ailleurs assez reproché par l'administration des fraudes, qui fait des investigations pour savoir si nous étions organisés en monopole dans le passé - d'informations cumulées des entreprises pour contrôler leurs exportations et leurs importations.

Les importations de farines, qu'elles soient d'Angleterre ou d'ailleurs, ont existé essentiellement du fait des fabricants d'aliments du bétail. Je ne dis pas « ce n'est pas nous, c'est eux », mais par nature celui qui importe c'est celui qui consomme. Certaines entreprises ont pu importer dans notre profession, dans la mesure où elles apportaient une valeur ajoutée à ces produits. Donc les entreprises qui faisaient du dégraissage au solvant, notamment, importaient des farines dites grasses d'Europe pour les dégraisser. Avant 1990, c'est une réalité.

Maintenant, je suis incapable de vous dire - je n'ai pas les éléments - si telle ou telle entreprise a importé de tel ou tel pays avant 1990. Il doit y avoir des statistiques douanières, vraiment je n'ai pas les éléments. Mais les entreprises ont importé les farines en provenance de pays d'Europe, même jusqu'en 1996. Ai-je répondu à votre question ?

M. le Président : Sur les conditions économiques, vous parlez des farines, mais je vous ai aussi parlé des déchets.

M. Bruno POINT : Les déchets ont été importés encore jusqu'à une date très récente.

M. le Président : Par vos entreprises ?

M. Bruno POINT : Par nos entreprises de pays frontaliers, notamment, à ma connaissance, de l'Allemagne. Je ne crois pas que ce fut le cas de la Belgique mais cela reste à vérifier. Pour la Suisse, c'était le cas pendant fort longtemps et cela a dû s'arrêter depuis un certain nombre de mois, voire d'années, du fait de la présence de l'ESB et des interdictions que se sont eux-mêmes formulées les Suisses, qui ont été probablement plus rigoureux que les Anglais en la matière, car dès lors qu'ils ont proscrit certains produits, ils ont proscrit leur exportation. À ma connaissance, il n'y a pratiquement pas d'importation d'Espagne, et il n'y a pas d'importation de matière crue d'Italie. Je vous parle de mouvements de masse, vous pouvez peut-être trouver un boucher qui traverse la frontière, mais il n'y a pas de mouvements de masse.

M. le Président : Quelle était votre pratique, dans la mesure où le Comité scientifique européen avait formulé des recommandations en faisant état des risques concernant certains pays ? Vous aviez une réglementation en France sur les matériaux à risque : avez-vous pris de vous-mêmes des mesures de précaution par rapport aux déchets importés d'autres pays qui n'étaient pas présumés indemnes d'ESB, même si cette maladie n'était pas révélée et reconnue par les autorités publiques ?

M. Bruno POINT : En 1996, la France interdit l'utilisation d'un certain nombre d'abats, on ne va pas y revenir, vous les connaissez. L'Europe n'a jamais formulé une telle interdiction, sauf le 1er octobre 2000, et le 14 novembre 2000, pour les farines.

Par contre, pour tous les professionnels que je connais - ce sont des sujets dont nous parlons entre nous - tous les produits crus importés faisaient obligatoirement l'objet de documents d'accompagnement émis par le producteur et par les services vétérinaires du pays concerné, notamment l'Allemagne, garantissant que, si c'était des os de b_uf, ils étaient exempts des matériaux à risque tels que définis en France. Il n'est donc pas rentré en France de produits à risque, sauf cas de professionnel qui ne fait pas son travail comme il doit le faire. À mon sens, ce n'est pas là qu'il faut chercher, car cela ne fera pas des volumes. Tous les importateurs ont vraiment surveillé la nature des produits, leurs documents d'accompagnement et les garanties au titre des textes français.

Je peux vous assurer aussi que les services de l'État, pour tout ce qui est importation, ont beaucoup contrôlé tant les documents que les produits eux-mêmes. Ceci dit, on reste quand même dans un marché de produits fort délicats à surveiller : avant d'avoir fait l'inventaire exhaustif d'un semi-remorque de produits crus, un contrôle visuel est possible, mais 25 tonnes de produits de crus, ce n'est pas simple à contrôler, quelles que soient les procédures mises en place.

M. le Président : Nous avons bien compris.

M. Bruno POINT : Je ne voudrais pas que vous en déduisiez qu'il y a eu négligence de notre part : ce sont des sujets qui nous ont beaucoup occupés et qui, dans les usines, ont généré beaucoup de travail ; mais les mesures ne sont pas simples à mettre en place.

M. le Président : Les techniques de fabrication ou d'approvisionnement ont-elles une incidence sur le prix de la farine ?

M. Bruno POINT : Je vous prie de m'excuser.

M. le Président : Vous étiez sur un marché, vous vendiez des farines qui avaient un prix et un acheteur. Vous étiez dans un système concurrentiel, avec des farines qui pouvaient circuler. On regarde cela de très près ; on examine les conditions de circulation de ces farines après leur production ; mais au moment de leur production, y avait-il une différence de prix ? Si oui, où était le différentiel de prix sur le marché ? Au-delà de la relation client, les méthodes de fabrication avaient-elles une incidence sur le prix ? Je ne peux pas être plus clair.

M. Bruno POINT : Les méthodes de fabrication en France étaient quasiment uniformes.

M. le Président : Qu'en était-il par rapport aux autres pays, puisque vous n'étiez pas dans un marché fermé ? Vous alliez chercher des déchets ailleurs, vous étiez exportateur, il y avait probablement aussi quelques importations. Je voudrais savoir quels étaient les éléments constitutifs du prix. La méthode de fabrication et la méthode d'approvisionnement avaient-elles une incidence sur le prix ? Était-ce un facteur déterminant lorsque vous aviez en face de vous des acheteurs, notamment des fabricants d'aliments ?

M. Bruno POINT : Oui. Je ne peux pas me prononcer par rapport au fabricant d'aliments qui importait des farines de viande, lorsque c'était autorisé. Je vais parler de notre profession qui a pu importer des farines, notamment encore une fois pour faire des dégraissages au solvant - l'acte d'importation avait essentiellement ce but. On se situe avant 1996, puisque après il n'y a plus d'importations, sauf quelques éventuelles importations de farines de plumes, car les autres pays n'étaient plus sous le même régime au niveau de la composition et de la nature des produits. Notre profession n'a pas importé après 1996 de farines de viande, à l'exclusion des farines de volaille. Suis-je clair dans la réponse ?

Par contre, lorsque nous en importions auparavant, nous importions des produits avec un cahier des charges. Avant 1996, les préoccupations étaient plutôt d'ordre nutritionnel, c'est-à-dire que lorsque l'on importait, on demandait le numéro d'agrément, parce que chaque usine au niveau européen depuis 1990 est titulaire d'un numéro d'agrément. On demandait le numéro d'agrément et le respect d'un cahier des charges nous attestant que le produit était transformé conformément à l'agrément, et qu'il était revêtu d'un certain nombre de qualités nutritionnelles. Voilà ce que nous pratiquions.

M. Pierre HELLIER : L'Angleterre avait-elle les mêmes exigences bactériologiques que nous ?

M. Bruno POINT : Il s'agissait d'une réglementation communautaire.

M. Pierre HELLIER : Exportez-vous des graisses animales qui sont actuellement produites en France, puisqu'elles ne sont pas interdites sur le plan européen ?

M. Bruno POINT : Non.

M. Pierre HELLIER : Et la gélatine ?

M. Bruno POINT : Je souhaite être précis, pour faire un recoupement avec une question qui m'a été posée sur la graisse et les suifs. Pour pouvoir répondre « non » à votre question, il faut être précis. Deux produits font souvent amalgame. Si l'on prend la définition de la graisse dans un dictionnaire, au sens d'un produit fabriqué dans notre profession, c'est par la fonte de corps gras que l'on obtient un produit liquide, dont la nature est très proche de celle de l'huile, sauf que la température à laquelle elle fige est différente.

Autrement dit, pour que de la graisse animale soit liquide, elle doit être aux environs de 40° ; au-dessous elle fige. Il y a deux manières d'obtenir des graisses, en tout cas il y a deux filières distinctes. La première consiste à prélever à la source en abattoir ce que l'on appelle les suifs ou les saindoux, qui sont, lors du travail de la viande, la mise de côté des parties grasses de l'animal. Donc, on a là une matière première dont la dominante est le gras ; par exemple, sur les bovins toute la partie grasse autour de l'animal. C'est une industrie qui fait partie de notre profession, dont le nom commun usuel est le fondoir, parce que l'on fond.

On obtient à partir de ces produits qui sont plus purs dès le départ les deux produits finis que sont le suif lorsqu'il s'agit de bovins, le saindoux lorsqu'il s'agit de porcs, accessoirement des graisses de volaille - mais les volumes sont moindres lorsqu'il s'agit de gras de volaille. On obtient un résidu farineux qui traditionnellement hier, et encore aujourd'hui pour une petite part, est le produit destiné, pour des raisons d'appétence et de nutrition, à l'alimentation des chiens et chats.

Les suifs font l'objet d'une interdiction, due à l'interdiction des graisses, mais les textes actuellement en vigueur prévoient une dérogation lorsqu'ils sont produits dans des fondoirs agréés pour l'alimentation humaine. Il existe aujourd'hui comme hier une industrie de fonte de graisses provenant d'abattoirs aux fins de fabriquer du suif qui trouve sa place, mais de moins en moins, dans nombre d'industries destinées à l'alimentation humaine, telles que la biscuiterie, la quenelle.

Ce produit suscite aujourd'hui des interrogations. Nous sommes dans l'attente d'un certain nombre de textes, dans la mesure où, lors des opérations d'abattage, il peut y avoir présence d'os de colonne, donc peut-être d'une infection. Je suppose que j'enfonce une porte ouverte, ce sont des éléments d'information qui sont disponibles pour tout le monde. Ce produit existe toujours, et est commercialisé dans des volumes diminuant de jour en jour.

Les lactoremplaceurs sont aussi issus du suif et font l'objet d'une commercialisation pour remplacer le beurre que contenait le lait, dans l'alimentation des veaux.

Une large part des suifs trouve une utilisation que nous appelons « technique », par opposition à l'utilisation alimentaire, avec deux grandes subdivisions : la savonnerie et les autres utilisations, techniques en général, par exemple en tant que complément à des huiles minérales de graissage et dans des industries que je ne soupçonne même pas, mais en tout cas non alimentaires.

Voilà pour ce qui est du suif au sens prélèvement à l'abattoir, traitement en atelier de fonte. Dans le cadre actuel de l'interdiction, il y a très peu de destruction. La quasi-totalité de ces suifs, issus de fondoirs, ce sont donc des usines bien précises qui les commercialisent, en très petite quantité, aujourd'hui en diminution, soit en alimentation humaine, soit en lactoremplaceurs, mais par contre beaucoup en technique. Voilà la réalité actuelle.

Les graisses que l'on appelle animales sont obtenues lorsqu'on traite communément un ensemble de coproduits - os, boyaux, tout sous-produit d'abattoirs - que l'on déshydrate : on obtient une farine dite grasse.

Cette farine grasse est dégraissée, c'est-à-dire que l'on sépare la farine de la graisse généralement par pression, hier par solvant, mais ce n'est plus utilisé. On utilise des presses comme pour presser des olives. Par pression, on extrait le jus et cette graisse qui ne fait pas aujourd'hui l'objet d'interdictions autres qu'alimentaire, à mon sens n'est pas commercialisée du tout : elle est détruite ou stockée dans le cadre des consignes gérées par la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales (MIEFA).

M. Pierre HELLIER : Et la gélatine ?

M. Bruno POINT : Elle provient des couennes de porc. À mon sens il n'y a pas eu de bouleversement particulier de l'industrie de la gélatine issue des couennes de porc, si ce n'est une flambée des prix, puisque le porc a la chance de ne pas être un bovin. Par contre, l'industrie de la gélatine issue des os de b_uf est remise en question, jour après jour. Aujourd'hui, tout est autorisé, je ne vois aucune interdiction dans aucun texte. Mais c'est à l'étude depuis plusieurs mois, et en tout cas depuis une semaine ou deux d'une manière forte.

M. François PERROT : Je voulais vous poser une question concernant les processus de fabrication. Au cours de la vie d'un équipement industriel, il y a des règlements et des lois qui viennent, en particulier au niveau des rejets, vous obliger à faire des investissements sur vos unités de production. À un moment donné, en avez-vous profité pour automatiser davantage vos chaînes, pour mettre en place une fabrication assistée par ordinateur qui vous permet d'avoir une traçabilité de vos fabrications, garantir les températures, les temps de cuisson, etc. ? Avez-vous élaboré, en particulier pour les usines mixtes, des consignes de changement de fabrication, des check-lists pour votre personnel ? Avez-vous fait preuve de cette rigueur industrielle ? Du côté des achats, avez-vous une traçabilité des différents produits que vous rentriez dans vos chaînes de fabrication ?

M. Bruno POINT : La plupart des usines, qui sont aujourd'hui de plus en plus importantes en taille, sont réellement automatisées, c'est-à-dire qu'une unité qui va traiter 100 000 tonnes ou 150 000 tonnes, ce qui est une base à peu près opérante, est pilotée par une ou deux personnes. Donc, il y a une automatisation importante, un pilotage par ordinateur, des registres d'enregistrement, des consignes de niveau, des points d'interdiction de sortie, des recyclages. La plupart des usines entrent dans ce schéma. Dans les dix dernières années, cela a évolué très vite.

Les usines mixtes ne pratiquent pas de changement de fabrication. Depuis le 1er janvier 1997, à ma connaissance, les usines mixtes peuvent être mixtes à condition qu'elles aient deux chaînes de fabrication distinctes, dans des bâtiments distincts. Il n'y a pas d'usines qui travaillent une fois du haut risque, une fois du bas risque avec le même outil industriel.

Les textes de 1996 prévoyaient la scission, encore faut-il la matérialiser. Il y a eu un problème d'adaptation et, à ma connaissance, le texte réglementaire, la note de service, qui vient définir précisément ce qu'est la séparation, interdit le régime mixte sur la même filière depuis le 1er janvier 1997.

M. Pierre HELLIER : Avez-vous une traçabilité des achats dans votre chaîne de fabrication ?

M. Bruno POINT : Absolument. Vous seriez très surpris de voir l'importance des informations disponibles dans les entreprises. C'est une obligation légale, on ne fait pas circuler un véhicule sans un bon d'accompagnement et de livraison : lorsqu'on va charger dans un abattoir, on émet un document. Les documents existent, ils sont saisis. Il faut faire attention en parlant de traçabilité. Il y a obligatoirement dans les entreprises - c'est une obligation légale - des informations précises sur toutes les rentrées au quotidien, véhicule par véhicule, et leur provenance. On est vraiment très loin de l'image selon laquelle les camions se promèneraient et ramasseraient ce qui traîne au bord de la route. Tout cela est très organisé, autrement ce ne serait pas gérable.

Mais il faut voir où commence et où s'arrête la traçabilité. Lorsqu'une usine traite 100 000 tonnes par an, soit 500 ou 600 tonnes au quotidien, il est mis en place obligatoirement dans les agréments l'existence d'un suivi de lots. Par exemple, le 20 février, on a des rentrées, qui vont donner lieu à un lot de farine, mais celui-ci sort chaque minute, cela ne s'arrête jamais. On n'est pas dans un système continu où l'on sait ce que l'on a mis, que l'on ressort et que l'on met dans un coin.

Par contre il existe, et c'est en place dans les entreprises, des systèmes de lots, c'est-à-dire que la journée du 20 va donner un lot qui a transité par tel silo. Cela peut être un, deux ou trois jours, ce sont des cahiers des charges inhérents à chaque entreprise, qui sont dans leur dossier d'agrément.

M. le Président : Avec tous les documents que vous avez, je m'étonne, et je vous le dis très franchement, qu'un syndicat professionnel n'ait pas eu de chiffres consolidés sur l'activité de ses adhérents, sur les mouvements.

M. Bruno POINT : Nous avons les volumes. J'ai un dossier où figurent les volumes de notre profession.

M. le Président : Y compris les importations et les exportations : vous avez tous ces chiffres ?

M. Bruno POINT : J'ai les chiffres de production des adhérents de notre syndicat.

M. le Président : Je parlais de chiffres plus précis. Je m'étonne qu'avec la qualité des documents qui sont à votre disposition, vous n'ayez pas dans un syndicat professionnel des chiffres consolidés sur l'activité de vos entreprises.

M. Bruno POINT : Nous disposons des volumes produits par nos entreprises, des statistiques douanières, mais nous ne disposons pas des volumes individuels d'importation ou d'exportation de chaque entreprise. C'est une manière quasi déontologique, indépendante de la commission d'enquête.

M. le Président : Je parlais des chiffres consolidés de l'ensemble des entreprises, pour que l'on puisse les rapprocher des chiffres douaniers.

M. Bruno POINT : Je suis désolé de ne pas partager votre étonnement. Je ne vois pas qu'un syndicat ait à cumuler des chiffres individuels.

M. le Président : Pas individuels.

M. Bruno POINT : Cela passe forcément par un cumul individuel, notamment en matière d'importation et d'exportation. Nous avons suivi et nous avons des dossiers d'importation/exportation des produits, mais nous n'avons jamais, pas plus aujourd'hui qu'hier, demandé aux entreprises de nous déclarer leurs importations et leurs exportations. Convenez que, de toute façon, chaque entreprise avait ses circuits commerciaux et elle n'aurait pas répondu à ce type de demande d'informations, même dix ans en arrière, avec des inquiétudes de caractère sanitaire.

Nous avons peu parlé de la situation actuelle au regard de la production, du devenir des stocks. Je ne voudrais pas que l'on se retrouve dans trois ans avec une commission d'enquête de l'Assemblée nationale qui viendrait juger notre comportement.

M. François COLCOMBET : Il y en a déjà eu qui n'ont servi à rien !

M. le Président : Posez toutes les questions que vous voulez, M. Colcombet, pour que cela soit utile !

M. François COLCOMBET : Il y en a déjà eu sur l'ESB qui n'ont servi à rien.

M. le Président : Cela renvoie aux responsabilités du politique. Avez-vous quelques éléments complémentaires à nous fournir ?

M. Bruno POINT : Quelques réflexions personnelles. Il serait très important aujourd'hui que les politiques, le Gouvernement, fixent clairement leurs attentes, notamment en matière de conditions de stockage. Il existe un cahier des charges, qui est plutôt bien rédigé. Il faut le diffuser et fixer clairement les obligations des uns et des autres, les appliquer et aboutir. Aujourd'hui, on va tous droit dans le mur, dans la mesure où l'on est inquiet de savoir où les farines seront stockées ; il est certain qu'elles sont encore fabriquées, sauf à ne pas collecter les coproduits animaux. Aujourd'hui, il est important de définir précisément les règles de fonctionnement. Même si je ne parle pas d'économie, c'est sous-jacent, car, quel que soit celui qui paie - les entreprises, l'État, les collectivités - tout cela a un coût.

Il y a une attente largement alimentée par des angoisses. Il faut absolument définir le niveau de protection que l'on souhaite, et c'est un débat de société. Si l'on doit prévoir des entrepôts extraordinaires, il suffit de le dire et ils se mettront en place, avec un certain coût. Si l'on veut des véhicules spécifiques, il faut l'écrire et l'imposer, ils seront mis en place. Si l'on veut un stockage unique, il faut le dire.

Il faut aussi dire si on veut que se construisent rapidement des unités de destruction pour faire de la cogénération, ce qui semble être la vocation de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales ; donc j'enfonce des portes ouvertes, mais j'ai peur que cela n'aille pas très vite. Il faut définir les rubriques : tant que l'on ne connaîtra pas le classement des cendres issues de la combustion, il ne se fera rien, car ce n'est pas possible.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir complété vos réponses. Je vous propose, si vous avez d'autres suggestions à nous faire, de nous les adresser en complément de cette audition dont la durée prouve l'intérêt que nous portons à votre profession. Nous partageons votre sentiment qu'il faut fixer un cadre normatif précis. Mais qui dit cadre normatif dit aussi responsabilité clairement assumée. C'est le message que vous avez souhaité faire passer.

M. Bruno POINT : Tout à fait.

M. le Président : Vous avez rappelé - ce qui est important - qu'il peut s'écouler plusieurs mois entre la décision et son application.

M. Bruno POINT : J'en terminerai par là : notre profession est oubliée - il ne s'agit pas d'économie - elle n'est pas intégrée, pas plus dans notre filière de professionnels qu'au niveau de l'État. Un simple exemple : les programmes de retrait de bovins et les programmes d'intervention qui existent aujourd'hui et qui sont en place, mais que je n'entends absolument pas juger, car ce n'est pas de ma compétence. Lorsqu'on met en place un programme important, à la demande des éleveurs, les animaux arrivent à l'abattoir, ils sont abattus et génèrent des déchets qui sont l'objet d'une réglementation. Or, aujourd'hui, notre industrie est complètement saturée.

Les entreprises ont peut-être leur part de responsabilité : il y a diverses situations et nos entreprises sont toujours en devenir avec des investissements à réaliser. Mais, avec l'arrivée des carcasses des bovins, elles sont en dépassement d'activité. Encore une fois, je n'entends absolument pas juger la décision prise en novembre dernier de classer les boyaux de bovins en matériaux à risque spécifiés, mais il faut savoir que cela fait des volumes considérables dans quelques sites dédiés, puisque l'on est ici dans le domaine du service public de l'équarrissage.

Donc, vous avez 9 usines en France et tout d'un coup un volume qui augmente de 300 000 tonnes, et demain, avec les colonnes vertébrales, de 300 000 tonnes. On nous fera bientôt le procès, et c'est pourquoi je veux en parler, du fait que nos entreprises n'ont pas la capacité, ce qui est complètement faux. L'industrie de traitement des coproduits a la capacité. Sinon, on le saurait : l'activité agroalimentaire française d'abattage toutes espèces aurait été freinée. Or, ce n'est pas le cas, on était en surcapacité parce que l'on avait besoin d'une sécurité. Un outil, cela tombe en panne, donc on a toujours eu un volant de sécurité.

Lorsque l'on y ajoute des carcasses de bovins - c'est-à-dire de la viande qui, vous me l'accorderez, ne peut être que ponctuelle - on ne peut pas s'attendre à ce qu'une entreprise, une filière professionnelle, soit à même de détruire des milliers de tonnes de viandes du jour au lendemain. Or, je ne vois dans aucun texte, qu'il soit européen ou français, la simple prise en compte de l'existence de ce problème potentiel.

Aujourd'hui, nous sommes toujours l'équarrisseur qui, lorsqu'il y a un déchet, doit vite venir chercher. Il se peut que de nombreuses choses soient oubliées, car il faut faire face, les carcasses encombrent. C'est un problème.

Tout cela est important, car on rentre dans un autre système de déchets où les normes ne sont plus les mêmes et où il faut que tout le monde - la filière, les services de l'État - ait cette philosophie.

M. le Président : Nous vous remercions.


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