Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Tome II
Auditions - volume 4

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

M. Daniel RABILLER, président de la Fédération nationale des coopératives de production et d'alimentation animales (SYNCOPAC) (le 20 février 2001) 4

M. Yves MONTÉCOT, président du Syndicat national des industriels de la nutrition animale (SNIA) (le 20 février 2001) 385

M. Francis RANC, président de la Fédération des industries avicoles ; M. Denis SIBILLE, secrétaire général de la Fédération nationale bovine (FNB) ; M. Bernard MARTIN, président de la Fédération nationale ovine (FNO) ; M. Jean-Michel SERRES, secrétaire général de la Fédération nationale porcine (FNP) ; M. Bernard AIRIEAU, premier vice-président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) (le 27 février 2001) 395

M. Laurent SPANGHERO, président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes (CEBV), accompagné de M. René LAPORTE, directeur de la CEBV (le 27 février 2001) 424

MM. Benoît MANGENOT, directeur, et Thierry GESLAIN, chef du service scientifique et réglementaire, de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) (le 27 février 2001) 436

M. Xavier BEULIN, président, et Olivier de GASQUET, directeur, de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux ; M. Henri de BENOIST, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) ; M. Jacques DOUSSET, membre du Bureau, et M. François-Gilles LE THEULE, directeur, de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) (le 7 mars 2001) 444

Suite des auditions (volume 5).
Sommaire des auditions.


Audition de M. Daniel RABILLER,
président de la Fédération nationale des coopératives de production
et d'alimentation animales (SYNCOPAC)

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Daniel Rabiller est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Daniel Rabiller prête serment.

M. Daniel RABILLER : Je vous remercie de votre invitation à vous faire part de nos interrogations et de nos réflexions sur les problèmes de l'ESB, des farines animales et de l'alimentation animale d'une façon générale.

En introduction, je voudrais brièvement présenter le SYNCOPAC. Celui-ci est une fédération de coopératives agricoles qui fabriquent des aliments du bétail. Le SYNCOPAC est affilié à la Confédération Française de la Coopération Agricole (CFCA) et fabrique un peu plus de 50 % de l'aliment pour animaux en France, l'autre moitié étant fabriquée par des entreprises privées.

Je voudrais, dans mon introduction, distinguer trois périodes pour traiter de ce problème des farines animales. La première période débute en août 1989, date de l'interdiction de l'importation de farines britanniques dans l'alimentation des bovins en France, étant observé que les importations restaient autorisées pour les filières spécialisées, avec des dérogations données par les services vétérinaires. En juillet 1990, ont été ensuite interdites dans l'alimentation des bovins les farines carnées, qu'elles soient britanniques ou françaises. Cette même mesure a été prise au niveau communautaire en juillet 1994 et étendue à l'ensemble des ruminants. La deuxième grande période s'ouvre en mars 1996. Une décision relativement importante intervient à cette date : il s'agit de l'interdiction de toute importation de viandes et de produits bovins britanniques en France. C'est l'embargo décidé par le ministre de l'Agriculture, le jour même où le ministre anglais déclarait la transmission possible entre les espèces.

Puis, en juin 1996, intervient la publication du rapport Dormont qui recommande trois mesures importantes, afin de sécuriser les farines :

- l'élimination des cadavres et des saisies d'abattoirs ;

- le traitement de farines par le procédé unique 133°, 3 bars 20 mn ;

- la séparation stricte des circuits de fabrication et de distribution des aliments contenant des farines et de ceux qui n'en contiennent pas. Cette recommandation concernait les fabricants d'aliments.

La dernière période commence à la fin de l'année 2000, en octobre 2000, avec l'application harmonisée au niveau communautaire des retraits des matériaux à risque spécifiés. Puis, en novembre 2000, intervient la décision française d'interdiction des farines et de certaines graisses animales dans l'alimentation des animaux. Et enfin, en décembre 2000, l'Union européenne interdit l'usage des farines carnées dans l'alimentation animale. Voilà les trois périodes que l'on peut distinguer très clairement s'agissant de l'utilisation des farines animales.

Quelques points à souligner : 1996 tout d'abord marque incontestablement une grande rupture dans la prise de conscience du risque sanitaire. J'ai coutume de dire qu'il y a eu « l'avant 1996 » et « l'après 1996 ». C'est une date charnière, où nos façons de voir les choses, comme industriels, mais aussi en tant que citoyens, ont complètement changé. Avant 1996, seuls les Britanniques avaient conscience d'un risque sanitaire pour les animaux ; ils estimaient d'ailleurs, comme la plupart des scientifiques, que l'ESB, tout comme la tremblante du mouton, n'était pas transmissible à l'homme, du fait de la barrière des espèces. Après 1996, en revanche, on assiste à un franchissement de cette barrière des espèces et il apparaît que le risque concerne aussi les humains. Et l'on s'aperçoit, enfin, à la fin de l'année 2000, que le risque sanitaire n'est plus limité à quelques pays, mais qu'il est devenu européen, qu'il va même au-delà.

En 1996, on s'est beaucoup focalisé sur les importations de farines anglaises qui s'opéraient légalement ou frauduleusement. Ainsi, on s'est très peu inquiété, durant toute cette période qui va de 1989 à 1996, de toutes les importations d'abats et de viandes anglaises. Toutes ces viandes et ces abats importés d'Angleterre pour la consommation humaine se sont donc retrouvés tout à fait normalement dans les farines animales françaises. A partir de juillet 1996, à la suite des recommandations du « rapport Dormont », on peut considérer que les farines françaises ont été fabriquées avec des matériaux sains, puisque les cadavres et les saisies étaient éliminés. Cette mesure a été considérée à la fin de 1996 par les pouvoirs publics comme la disposition essentielle permettant de sécuriser les farines carnées, qui continueraient à être utilisées dans l'alimentation des animaux autres que les ruminants. Il est à noter que le traitement des farines suivant les normes européennes, soit 133° à 3 bars pendant 20 mn, devait être appliqué en Europe à partir du 1er avril 1997. Mais la France n'a pris cette décision qu'en février 1998.

La séparation des circuits de fabrication et de distribution, malgré nos démarches renouvelées auprès des pouvoirs publics - on pourra faire la liste de tous les courriers que nous avons envoyés sur cette question - n'a jamais fait l'objet de décision permettant à restreindre l'utilisation des farines aux usines spécialisées, ni aux élevages spécialisés ne comportant pas de ruminants.

En l'absence de décisions claires et précises, la profession a élaboré en 1997 à la demande des pouvoirs publics, un « guide de bonnes pratiques », permettant de limiter ce que l'on a appelé un an plus tard les « contaminations croisées » lors de l'approvisionnement en matières premières, au stade de la fabrication comme à celui de la livraison chez l'éleveur.

Parallèlement, nous avons introduit dès 1996 des mentions d'informations particulières sur nos aliments du bétail permettant de mettre en garde les éleveurs. Cela concernait surtout les élevages comportant à la fois des ruminants et des non-ruminants. L'information figurait sur les aliments contenant des farines animales et il était précisé que ces aliments ne devaient pas être distribués aux ruminants. Notre décision de poursuivre l'utilisation des farines animales en 1997 a été prise à la suite d'une réponse que nous avait faite le ministre de l'Agriculture de l'époque. Celui-ci nous avait indiqué que nous pouvions continuer à utiliser des farines carnées, même si ces farines ne respectaient pas les normes recommandées par le professeur Dormont. Nous avions dit au ministre de l'agriculture, qu'en l'absence de réponse précise, nous recommanderions à nos adhérents de ne plus utiliser de farines animales dans nos usines d'aliments du bétail.

Je voudrais dire maintenant quelques mots sur la psychose de la « contamination croisée ». Aujourd'hui les incertitudes scientifiques demeurent toujours quant au mécanisme de la transmission de l'ESB et la transmission par les farines animales demeure une hypothèse, même si celle-ci est fort probable. Mais, on ne peut pas exclure d'autres formes de contamination.

Cette psychose de la « contamination croisée » a été entretenue également par les méthodes d'analyses des farines animales. Ces méthodes ne sont apparues qu'en juillet 1997, avec une marge de fiabilité de 0,1 % pour ce qui concernait les fragments d'os, de 0,3 % lorsque cela concernait des farines de viande, ce qui a valu l'an dernier ce déferlement médiatique concernant ces 0,2 ou 0,3 %, qui provenaient de la fiabilité des analyses. Puis, cette psychose des « contaminations croisées » est apparue parce que l'on s'est rendu compte, à partir du témoignage des scientifiques, qu'une très faible dose de farine animale contaminée pouvant se trouver accidentellement dans l'aliment du bétail suffisait pour contaminer un bovin sain.

Ce fut la grande découverte des années 1997-1998, qui a accentué cet effet de psychose et braqué l'attention sur les fabricants d'aliments du bétail. Donc, on est toujours dans une situation de confusion entre « contamination croisée » et incorporation volontaire. Si l'on interroge des citoyens, on ne serait pas loin d'entendre que finalement, les fabricants d'aliments du bétail auraient mis depuis 1990 des farines animales volontairement dans l'aliment bovin, alors que cela était interdit et que l'on ne parle que de « contamination croisée ». La « contamination croisée » est une contamination qui se limite à des traces provenant de systèmes de fabrication et donc on ne peut à aucun moment assurer une totale absence de trace.

A plusieurs reprises, nous avons interrogé les différents ministres de l'Agriculture. Tous ceux qui se sont succédé depuis 1996 ont été ainsi interrogés par nous, sur la question des méthodes à utiliser, et des précautions à prendre.

Dans la dernière lettre que nous avons envoyée à M. Glavany, en date du 11 juillet 2000, nous faisions remarquer que s'il existait des « contaminations croisées » à l'état de traces, et là, il ne s'agirait pas de pour cent mais de pour mille, et si ces traces devaient représenter un risque pour la santé publique, il faudrait selon nous d'une façon urgente interdire ces farines animales dans l'alimentation des animaux de toutes espèces. La contamination dans le cadre de livraisons peut aussi s'effectuer dans les élevages, puisqu'un certain nombre d'élevages sont constitués de troupeaux bovins, de volailles et de porcs, dont les aliments pouvaient contenir des farines animales.

Je précise que les différents courriers que nous avons pu envoyer au ministre de l'Agriculture n'ont jamais fait l'objet de réponse.

85 % de nos adhérents avaient, début octobre 2000, supprimé les farines animales de leurs usines d'aliments ; seules les usines spécialisées en volailles ou en porcs continuaient à les incorporer, puisque cela ne représentait pour elles aucun risque de « contamination croisée ». Ces farines animales ont toujours fait l'objet de scandales à répétition, contrairement à notre volonté bien entendu. Je parle bien de « farines animales » et non de « fabrication d'aliments » ; nous sommes bien, en effet, des fabricants d'aliments, nous ne sommes que des acheteurs de matières premières, dont les farines animales.

On peut considérer que la France a tardé pour se mettre aux normes, puisqu'elle ne s'est mise aux normes européennes qu'en 1998. En 1999, on a eu la révélation de l'incorporation de boues de stations d'épuration dans la fabrication des farines ; j'ai fait publier un communiqué début juillet 1999, juste après cette sortie médiatique, demandant de suspendre l'utilisation des farines animales tant que les conditions de fabrication de ces farines ne seraient pas clarifiées. Nous considérions effectivement que nous avions, nous aussi, été trompés sur un certain nombre de matières premières déclarées « saines, loyales et marchandes », comme l'on dit dans le commerce ; nous constations que tel n'était pas le cas. Nous pouvions observer en outre que la réglementation interdisait l'incorporation des boues d'épuration dans ces farines. Donc, les farines carnées ont fait l'objet de scandales à répétition.

On peut considérer aussi qu'il y a eu une certaine hésitation de la part des pouvoirs publics pour prendre des décisions cohérentes, s'agissant de la fabrication et de l'utilisation des farines animales ; il suffit à cet égard de relire le rapport de l'AFSSA rendu public en août 2000.

Nous avons été durant toutes ces périodes une véritable cible politique et médiatique. Nous avons été une cible assez privilégiée, nous, fabricants d'aliments, même si nous avons supprimé la plupart des farines animales de nos usines d'aliments du bétail.

En conclusion de ces propos, je voudrais redire que 1996 est vraiment une année de rupture importante, où s'est produite une vraie prise de conscience par la société, et aussi par nous-mêmes, fabricants d'aliments industriels de l'alimentation animale ou humaine, que ce risque de transmission était réel et qu'il fallait agir. Avant 1996, les conditions d'utilisation des farines qui étaient considérées saines à l'époque, dans nos usines, étaient respectées par tous les opérateurs professionnels ; les choses étaient connues et contrôlées par les services de l'Etat ; il n'y a pas eu d'infraction notifiée chez nos adhérents et dans la profession. Depuis 1996, on se trouve devant des incertitudes scientifiques persistantes sur l'ESB et sa transmission, le phénomène s'étant amplifié à la grande surprise des scientifiques, parce que les découvertes faites à la fin de l'année 2000 sont bien loin de ce que l'on pouvait imaginer au début des années 1996.

Tous ces éléments ont conduit les médias, les professionnels de l'agriculture et même les éleveurs et le public à focaliser la responsabilité sur les fabricants d'aliments ; ceci donne à penser que, finalement, l'on recherche avant tout des coupables, et que l'on trouve dans les fabricants d'aliments des coupables faciles, plutôt que de rechercher la « vraie vérité ». J'espère que cette commission d'enquête permettra d'y voir clair.

Sachant que toutes ces évolutions et ces conditions ont abouti à la mesure d'interdiction totale des farines animales prise le 14 novembre 2000. Je rappelle que, personnellement, j'avais recommandé à mes adhérents dès le début octobre 2000 de ne plus utiliser une seule farine animale dans les usines polyvalentes. Je répète que l'on ne peut passer sous silence les importations de viandes et d'abats anglais ; les tonnages d'abats destinés à la consommation humaine ont été extrêmement importants et ont été multipliés par 15 entre 1988 et 1996 ; l'on a fatalement retrouvé dès lors un certain nombre de ces produits dans les farines animales françaises.

Parfois, l'on peut se demander si, en définitive, l'on n'a pas pris plus de soin pour la santé animale que pour la santé humaine.

Enfin, pour terminer sur une note un peu plus optimiste et un peu plus encourageante, je tiens à souligner que la France n'a pas du tout à rougir des décisions qu'elle a prises concernant la sécurité alimentaire par rapport à ses partenaires européens. On l'a vu ces derniers temps avec la crise en Allemagne et en Italie. Je crois que la France a eu le courage de regarder cela de très près, dès 1996, même si l'on peut considérer qu'elle l'a fait un peu tard par rapport à ce que l'on connaissait six ans plus tôt en Angleterre.

Cette crise de l'ESB met en évidence, je crois l'avoir dit devant d'autres commissions d'enquête, la grande difficulté de l'harmonisation des réglementations européennes. Puisque nous sommes dans une communauté de libre-échange, il est important que les réglementations soient uniques, car cela peut nous conduire à des situations anormales, à des transferts de marchandises qui ne répondent pas aux mêmes normes, et notamment, aux mêmes normes de sécurité.

M. le Rapporteur : Merci pour la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimé, mais cette franchise a un revers. Vous soulevez un certain nombre de choses qu'il faudra nous préciser ; nous sommes là pour rechercher et connaître un ensemble de vérités. Il n'est pas du tout de notre intention de viser l'un plus que l'autre, même s'il est vrai que, par votre activité, vous êtes dans une situation charnière. Je voudrais que vous nous reprécisiez à quelle date vous avez recommandé à vos adhérents de ne plus utiliser des farines animales dans les aliments pour ruminants.

M. Daniel RABILLER : Il est interdit d'incorporer des farines animales dans l'alimentation des bovins depuis 1990 en France.

M. le Rapporteur : N'aviez-vous pas recommandé cette mesure auparavant ?

M. Daniel RABILLER : Si, en 1989.

M. le Rapporteur : Pourquoi aviez-vous fait cette recommandation en 1989 ?

M. Daniel RABILLER : Mes prédécesseurs ont fait cette recommandation en 1989, qui est l'année où les Anglais ont interdit l'usage des farines en alimentation bovine.

M. le Rapporteur : Vous disposiez donc d'informations assez précises. Etait-ce la transmission à l'homme qui vous inquiétait ? Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les connaissances de l'époque ?

M. Daniel RABILLER : Autant que je me souvienne et je ne me situe pas en tant que fabricants d'aliments, puisqu'en 1989, cela faisait quatre ou cinq ans que j'étais Président de ma coopérative, nous entendions parler par les médias d'une maladie, de cette maladie de la « vache folle » en Angleterre. Il est évident que, s'il existe un problème sanitaire important dans un pays voisin, ce problème peut nous concerner nous aussi.

Toujours en tant qu'éleveur, je me demande pourquoi lorsqu'un pays prend des précautions extrêmes, on ne les prend pas nous-mêmes. De toute évidence, il existait un risque, même s'il ne s'agissait pas à l'époque de transmission d'espèce, la santé des troupeaux était tout de même en jeu, ce qui représentait un problème économique très important. Pour avoir tous connu, en tant qu'éleveurs, des problèmes sanitaires, tels notamment que ceux de la fièvre aphteuse ou de la brucellose, nous savons ce que cela représente en termes de coûts financiers, mais aussi en termes psychologiques pour les éleveurs. La principale inquiétude d'un éleveur, c'est un problème sanitaire non maîtrisé.

Les fabricants d'aliments sont des gens qui sont là pour nourrir les animaux et les maintenir en bonne santé. Si j'essaie de me resituer à la place de mes prédécesseurs de l'époque, je pense qu'ils ont estimé que, s'il y avait un problème de santé et si l'Angleterre interdisait les farines animales pour les ruminants, compte tenu du libre-échange entre les deux pays, il fallait prendre des précautions. C'est ce qui a dû pousser les responsables de l'époque à prendre cette recommandation.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que la santé animale l'avait emporté sur la santé publique ; je pense également que des raisons économiques ont prévalu sur la santé publique. Autrement dit, les farines animales ayant un coût faible, il a sans doute été jugé opportun de continuer à les utiliser. Pour vous, le prix des farines a-t-il été un élément déterminant au plan économique ?

M. Daniel RABILLER : D'une façon globale, je ne le pense pas. Cela a pu l'être pour certains importateurs, mais pour le fabricant d'aliments lui-même, je ne le pense pas, car il aurait fallu alors qu'il y ait des volumes d'importation extrêmement importants, venant remplacer les farines françaises. Je vous rappelle que les farines animales étaient incorporées à des doses relativement faibles dans l'alimentation des ruminants, comme dans celle des volailles et des porcs ; les doses n'étaient que de 2 à 5 %. L'essentiel de l'aliment pour animaux est constitué principalement de produits végétaux. Il faut rappeler que les farines animales sont une protéine très riche découverte par nos arrière-grands-parents, qui avaient considéré à l'époque qu'il était préférable de les recycler dans l'alimentation animale, parce que cela représentait bien moins de problèmes sanitaires que d'enfouir les cadavres et les déchets de l'époque.

Il faut rappeler aussi le fait que l'on a toujours manqué de protéines végétales et ne pas oublier l'embargo de 1973 décidé par les Américains sur leurs protéines végétales, qui avait occasionné une flambée des prix des protéines et mis à mal toute la production animale française. Je suis assez mal placé pour vous dire si, à l'époque, cela avait des incidences économiques. Je serais beaucoup plus catégorique sur la question des importations de viandes et d'abats, car sur ce point, effectivement, les incidences économiques ont été importantes.

On a atteint, à la fin de 1995, les cours de viande les plus bas. Ce phénomène était dû essentiellement aux importations de viandes anglaises, qui venaient en quantités relativement importantes notamment à Rungis, ce qui faisait baisser les cours. Les cours des farines animales sont liés à ceux des protéines végétales. Compte tenu des faibles quantités concernées, certains opérateurs en ont peut-être profité, mais cela ne va pas au-delà. Si vous avez une matière première qui est introduite à 2 % ou 3 % dans un produit fini et si le prix de cette matière première chute de 50 %, les incidences restent faibles.

M. le Rapporteur : Vous nous dites qu'il y a de grandes difficultés à harmoniser la réglementation européenne, j'aimerais bien que vous précisiez ce point. Par ailleurs, un certain nombre d'éleveurs que nous avons entendus nous ont présenté des étiquettes. Sur celles-ci, figure le taux de protéines mais, nulle part, ne sont mentionnées les farines animales. Quelle est la réglementation applicable ?

M. Daniel RABILLER : L'Angleterre a pris des mesures importantes en 1988 et 1989 en matière sanitaire. Compte tenu de la nouveauté de cette maladie, qui était peu connue, quel a été le travail de l'ensemble des responsables européens, scientifiques ou politiques pour s'intéresser à ce qui se passait dans ce pays et pour prendre toutes les précautions nécessaires ? La France a interdit les farines animales dans l'alimentation des bovins en 1990, l'Europe n'ayant pris cette mesure qu'en 1994. Entre-temps, vous pouvez très bien avoir assisté à de nombreux transferts de produits, puisque l'on est dans un système de libre-échange, avec des conditions sanitaires qui ne sont pas les mêmes.

Il est nécessaire que, dans une communauté comme l'Europe, les scientifiques, les professionnels mais aussi les politiques soient particulièrement vigilants et qu'ils ne se désintéressent pas d'un problème important qui se passe dans un pays. Ce qui se produit dans un pays peut concerner un autre pays par la suite. Il y a eu en Italie la peste aviaire en 1999/2000 ; les autres pays européens ont pris de multiples précautions. Un travail considérable a été accompli par les ministères et les différents services vétérinaires pour éviter que cette peste aviaire s'étende à un autre pays.

Dans le cas de l'ESB, on a assisté en revanche à une succession de négligences ; les personnes en charge de ces dossiers n'ont peut-être pas compris et éprouvé l'intensité du problème telle qu'on la perçoit maintenant. Aujourd'hui, l'on dispose de connaissances que l'on n'avait pas auparavant ; il est toujours plus facile de raisonner après coup. L'étiquetage constitue effectivement un dossier important. Certains éleveurs disent ignorer ce qu'il y a dans les aliments qu'ils utilisent. Parfois, lorsque j'ai des éleveurs en face de moi et j'ai eu à le dire à certains, je leur fais remarquer qu'ils ne savent pas lire, parce qu'il y a une étiquette sur l'aliment du bétail qui est conforme à la réglementation.

La réglementation applicable en matière d'étiquetage des aliments pour animaux est à peu près la même que celle qui s'applique à l'alimentation humaine. Nous avons une réglementation très stricte ; nous sommes contrôlés par la DGCCRF et nous sommes tenus de faire apparaître sur l'étiquette jusqu'à maintenant toutes les catégories d'ingrédients. Curieusement, il faut savoir que la France, au début des années 1980, indiquait tous les ingrédients sur l'étiquette. Pour une question d'harmonisation européenne, nous sommes passés aux catégories d'ingrédients. 16 grandes catégories ont été déterminées, et nous étions tenus de les respecter. Aujourd'hui, j'ai recommandé à tous les adhérents de mon syndicat au début octobre 2000 de prendre toutes les dispositions pour revenir à un étiquetage par ingrédients.

Nous sommes en train de travailler sur cette question sachant que la Commission européenne projette de rendre obligatoire l'étiquetage par ingrédients. Lorsqu'un éleveur ne sait pas où figure la mention des produits carnés ou des farines animales, s'il s'agit d'éleveur de bovins, je réponds « heureusement qu'il ne le voit pas, parce qu'il n'y en a pas ». Un éleveur de bovins verra sur son étiquette « produit issu des céréales », « produit de l'industrie du sucre », « coproduit du sucre » ou « coproduit de la meunerie » ou encore « oléoprotéagineux », mais il ne verra pas « protéines animales ».

Quant aux producteurs de volailles ou de porcs, ils ne donnent pratiquement plus de farines animales, compte tenu des dispositions des cahiers des charges imposés par la grande distribution ou par les groupements de producteurs. La plupart des producteurs de porcs ne voient plus non plus cette ligne « protéines carnées » ou « farines animales ». Dans la plupart des cas, cette mention a été éliminée.

M. le Rapporteur : Cette mention doit-elle figurer pour les volailles ?

M. Daniel RABILLER : Prenez n'importe quel éleveur qui lit son étiquette, il sait très clairement ce que cela signifie. Tout agriculteur, tout éleveur qui a la plus petite formation agricole a appris ce que mangeaient les animaux et de quoi étaient constitués les aliments du bétail.

M. le Président : Puisque vous nous dites que l'étiquetage était clair, alors que les éleveurs n'en avaient pas le sentiment, je vous propose de nous faire passer des étiquettes qui avaient cours en 1990 et en 1996, et qu'on les fasse figurer dans notre rapport.

M. Daniel RABILLER : Je vous les ferai parvenir ainsi que les étiquettes actuelles par ingrédients.

M. le Président : Nous espérons que vous pourrez nous fournir des étiquetages de 1990, 1994, 1996, 1998 et 2000.

M. Daniel RABILLER : Il serait intéressant de les comparer avec l'étiquetage de l'alimentation humaine.

M. le Président : Nous vous en remercions, car il s'agira d'une avancée importante.

M. Marcel ROGEMONT : Vous avez dit que le chauffage des farines à 133°, 20 mn, 3 bars était une disposition prévue par l'Union européenne en avril 1997, qui aurait été appliquée en France à compter de février 1998. Dans quelles conditions les entreprises françaises chauffaient-elles les farines ? Était-on loin de la norme européenne ? Combien de temps ont mis les industries de fabrication des farines pour se mettre aux normes ? Avez-vous eu entre avril 1997 et février 1998 des contacts avec le ministère sur l'application éventuelle de cette nouvelle norme qui devait s'appliquer en France ?

Par ailleurs, vous avez dans votre exposé mis en avant l'idée selon laquelle des dispositions auraient pu être prises plus tôt. Par exemple, lorsque vous avez évoqué les dates d'octobre et novembre 2000 pour les interdictions totales, encore qu'au mois d'octobre vous préconisiez qu'il n'y ait plus de farines animales dans les usines polyvalentes. Dans votre conclusion, vous estimez que la France a plutôt mieux agi que les autres pays.

Je voudrais vous demander comment vous pouvez estimer d'un côté, que nous accusions un retard et, d'un autre côté, que l'on était finalement en avance.

M. Daniel RABILLER : Vous évoquez une sorte de contradiction dans mon propos. Il faut replacer les choses dans un contexte européen. La France a pris un certain nombre de mesures avant ses partenaires européens.

Mais, en regardant en France même, et compte tenu de toutes les données dont nous disposions et de celles que les administrations pouvaient avoir, je pense que la coordination n'a pas été suffisante. On aurait pu aller plus vite et plus loin. Lorsque l'on refaisait ce matin le listing de toutes les lettres, tout le courrier que nous avons envoyé aux différents ministres qui se sont succédés, aux différentes administrations pour leur demander...

M. le Président : Je souhaiterais que vous nous en donniez copie, car nous entendrons les ministres concernés ; il serait très intéressant de savoir, pour s'assurer que les bonnes décisions ont été prises au bon moment, quels étaient les éléments en leur possession.

M. Daniel RABILLER : Nous donnerons toutes les lettres et recommandations que nous avons pu faire. En France, il aurait fallu aller plus vite. Depuis 1996, nous nous sommes concentrés sur ce problème. Début 1997, nous avons estimé avoir manqué quelque chose d'important en France. Les fabricants d'aliments auraient dû dès 1996 et 1997 recommander à leurs adhérents de ne plus utiliser de farines animales. C'est ce que nous aurions dû faire et nous n'avons pas eu le courage de faire. Nous nous rendions compte du fait que l'on allait rencontrer des problèmes.

En 1997, on nous disait qu'il y avait extrêmement peu de risques que les farines animales qui se trouvaient par inadvertance dans les aliments pour ruminants puissent contaminer un bovin. Les scientifiques à l'époque disaient qu'il en faudrait une telle quantité qu'il y avait peu de chance pour que cela contamine l'animal. Trois ans plus tard, on s'aperçoit que quelques grammes suffisent. C'est toute l'inquiétude que l'on peut avoir sur cette maladie. Il ne s'agit pas d'accuser, mais, encore une fois, il est beaucoup plus facile après coup de voir ce qui s'est passé, et en tenant compte de toutes les connaissances que l'on a accumulées depuis.

De toute évidence, depuis 1996, nous étions face à un problème de santé humaine. Le principe de précaution dont on parle tant aujourd'hui, peut-être aurait-il fallu l'appliquer plus tôt, mais encore une fois, c'est facile à dire aujourd'hui. La cohérence entre les différentes administrations a peut-être été insuffisante.

S'agissant des normes européennes, je vous rappelle que le professeur Dormont a, en 1996, a bien précisé les trois mesures à prendre : élimination des cadavres, traitement des farines par un procédé unique 133°, 3 bars pendant 20 minutes et séparation stricte des circuits. Les entreprises, les fabricants et les équarrisseurs avaient la possibilité de se mettre ensuite aux normes au cours de l'année 1998. A partir de février 1998, lorsque est intervenu le décret obligeant à la mise aux normes, nous avons eu régulièrement la liste de tous les équarrisseurs qui étaient aux normes et auprès desquels nous pouvions nous approvisionner. Au fur et à mesure que les investissements étaient réalisés dans les usines, le ministère de l'agriculture précisait quelles entreprises étaient aux normes. A partir de février 1998, ceux qui achetaient des farines animales ne devaient les acheter qu'à ceux qui respectaient les normes prévues.

M. François COLCOMBET : Lorsque l'on demande quels sont les responsables de la crise de la « vache folle », bien entendu il y a les politiques, dont le métier est de servir de « tête de Turc », mais vous figurez encore avant et bien avant les agriculteurs. On peut le comprendre, encore que l'on peut remarquer aussi que chacun a tendance à se décharger sur l'autre ; c'est l'autre qui n'a pas dit les choses à temps, ce sont les scientifiques qui n'ont pas dit...

Lorsqu'on essaie de remettre les choses à plat, on a l'impression d'une absence de coordination et même de grande confusion. Il y a certainement des données qui n'étaient pas sûres et qui n'ont été connues que tardivement, notamment le chauffage idéal. Les Allemands, jusqu'à Noël 2000, étaient persuadés que leur système était parfait. Or, l'expérience a montré qu'ils se sont complètement trompés, peut-être même que les lendemains qui se préparent vont être douloureux pour eux. Il en va de même pour déterminer la quantité de farine susceptible de contaminer.

Il y a un point sur lequel j'aimerais vous poser une question : vous avez dit, qu'en 1996, on a su que s'était opéré le saut d'une espèce à une autre. Or, on peut supposer que vous devez avoir l'_il fixé sur le problème. Il suffisait de se tenir au courant pour savoir que le saut d'une espèce à l'autre est constaté depuis plus longtemps, à partir des chats et des animaux de zoo. Ce n'est pas parce que l'on n'élève pas de chats, ni de tigres dans les fermes que le problème ne se posait pas. Je suis de ceux qui, à partir de cette époque, ont considéré que le problème du saut d'une espèce à l'autre était posé avec une très grande crédibilité. C'est pourquoi j'aimerais vous poser quelques questions sur la date de 1996. A partir de quel moment vous, grand spécialiste, vous auriez dû être attentif à ce problème du saut d'une espèce à l'autre ?

M. Daniel RABILLER : Nous sommes des spécialistes de l'alimentation animale, nous ne sommes pas des scientifiques.

M. François COLCOMBET : Les chats sont des animaux.

M. Daniel RABILLER : Nous ne sommes pas des fabricants d'aliments pour chats et chiens, mais des fabricants d'aliments pour animaux d'élevage.

M. François COLCOMBET : Des animaux de zoo ont été contaminés, et cela a été constaté...

M. Daniel RABILLER : ... nous sommes des fabricants d'aliments pour animaux d'élevage, d'exploitation agricole. Je ne connais pas parmi mes adhérents de fabricants d'aliments qui livrent des zoos. Les fabricants d'aliments qui fabriqueraient des aliments pour chiens et chats appartiennent à une autre structure syndicale.

M. François COLCOMBET : Comme quoi les commissions d'enquête sont utiles !

M. Daniel RABILLER : Les grands spécialistes que nous sommes ont constaté - et je ne suis pas un spécialiste - qu'en 1996, il ne s'est pas agi du saut d'une espèce à une autre, mais du saut de l'animal à l'homme ; c'est ce qui est grave et personne ne nous l'avait dit ou démontré auparavant. Comment voulez-vous que nous, fabricants d'aliments, nous ayons pu le savoir, alors que toutes nos réglementations, tous nos suivis d'exploitation et de fabrication par les différents services, nous disaient que nous étions dans une situation normale et que dans les élevages, dans les exploitations agricoles, l'éleveur qui avait à la fois des aliments pour ruminants et des aliments pour volailles ne prenait pas plus de précautions. Personne ne lui avait dit qu'il fallait prendre des précautions à cette époque. Personne n'avait considéré qu'il y avait un risque.

Je reformule ma question que je crois essentielle : comment se fait-il que l'on ait pris autant de précautions sur les farines anglaises et que l'on a laissé entrer chez nous les viandes et les abats anglais ? Cela voulait bien dire que l'on considérait alors en France - tout le milieu scientifique, tout le milieu politique - qu'il n'y avait pas de risques de saut de l'animal à l'homme. Si, à l'époque, il y avait eu le moindre soupçon, il y aurait eu des protestations.

M. le Président : La question qui se trouve posée, en l'état des connaissances, concerne les délais de réponse dans l'ensemble des pays européens. D'ailleurs, le problème que vous évoquez avec les importations de matériaux à risque s'est poursuivi avec des pays identifiés comme étant à risque par le Comité scientifique européen, dont nous avons auditionné l'un des responsables. Nous avons continué d'importer des viandes de certains Etats jusqu'à la fin de l'année 2000.

Le problème se pose ensuite du contrôle des conditions dans lesquelles se font les importations de pays de l'Union européenne qui n'ont pas pris les mêmes précautions. C'est un problème de fond qui est posé et, avec lui, c'est celui des contrôles, parce qu'il faudra bien aussi que l'on soulève le problème des importations frauduleuses de farines ; nous avons entendu ici même des responsables belges nous dire que l'on a découvert à une certaine époque des stocks de 8 500 tonnes en phase de ré-étiquetage ; on essaie de démonter des mécanismes pour pouvoir tirer les leçons. Pour ce qui concerne les distorsions d'application de mesures sur des risques clairement identifiés dans un pays membre de l'Union européenne, dès 1986 ou 1988, on a vu les délais et vous les avez rappelés vous-mêmes ; et nous partageons ce sentiment que la France a effectivement pris des mesures utiles. On essaie de distinguer l'état des connaissances, et d'ailleurs vos lettres contribueront à nous éclairer. Voilà quel était le sens de la question de M. Colcombet, encore qu'il n'ait pas besoin d'interprète.

M. François COLCOMBET : Mon souci n'est pas d'exonérer les politiques, il est simplement de se demander comment les responsables en charge de ces questions,
- syndicalistes agricoles, politiques, scientifiques - ont pu ne pas percevoir les évolutions en cours. Dès 1992 ou 1993, en effet, les éléments de la crise étaient connus.

M. Daniel RABILLER : Je n'ai jamais vu d'articles ou de positions fortes sur ces problèmes avant 1996, ou alors cela est resté très discret.

M. Alain GOURIOU : On joue toujours sur des histoires de dates. Vous avez parlé de la période d'avant 1996 et de celle d'après 1996. Vous avouerez tout de même qu'à la place qui est la vôtre, observant l'évolution d'une filière aussi importante que celle de l'élevage, vous ne pouviez ignorer les problèmes qui se sont posé dès 1986, les premiers cas d'ESB en Angleterre aussi bien que les réactions d'un pays, dont nous avons reçu ici même les représentants, la Suède, qui a pris des mesures immédiates. Il me semble que, dans cette affaire, la France a une guerre de retard.

M. Daniel RABILLER : Je suis d'accord avec vous.

M. Alain GOURIOU : Par conséquent, dès 1986, 1987 ou 1988, les spécialistes établissaient déjà un rapport évident entre la consommation de farines animales et les problèmes sanitaires du bétail, même si encore aujourd'hui et comme vous l'avez dit tout à l'heure, l'on n'a pas pu établir un lien entre les deux phénomènes de manière absolument claire et transparente. Mais, on a continué en France à utiliser les farines animales comme compléments protéiques à l'aliment du bétail, alors qu'au même moment, la maladie faisait rage en Angleterre. On continuait en France à ajouter, au moins jusqu'en 1990, des compléments d'origine farines animales et ce n'est qu'après 1990, que cela a été interdit ; rien ne nous prouve d'ailleurs que cela n'a pas continué avec l'importation de farines d'autres provenances et avec des manipulations sur les étiquetages. Je suis un peu surpris que vous fassiez allusion de manière insistante à l'importation de viandes anglaises, puisque l'on nous a dit que, de toute manière, la consommation de viande, de muscle n'avait strictement aucun effet nocif sur l'homme.

M. Daniel RABILLER : Et les abats ?

M. Alain GOURIOU : Je parlais des viandes et non des abats.

M. Daniel RABILLER : Les abats sont importants, on est passé de 300 tonnes à 8 000 tonnes d'importations d'abats.

M. Alain GOURIOU : Avez-vous vous-même une unité de fabrication de farines animales dans votre structure ?

M. Daniel RABILLER : Nous n'avons pas de fabricants de farines animales.

M. Alain GOURIOU : Auprès de quelles unités fabriquant des farines animales vous alimentiez-vous pour les compléments que vous ajoutiez à vos aliments du bétail ? S'agit-il d'unités françaises ou étrangères ?

M. Daniel RABILLER : Il s'agissait essentiellement de fabrications d'origine française ; ce sont les grands groupes français de fabrication de farines qui approvisionnaient nos usines. Nous sommes des fabricants d'aliments, c'est-à-dire que nous achetons différentes matières premières, nous les rassemblons puis les travaillons pour faire un aliment répondant à la demande. Nous achetons la matière première chez les professionnels qui la fabriquent ou éventuellement chez ceux qui l'importent.

M. Alain GOURIOU : Vous ne pouviez pas contrôler de manière absolue l'origine de ces farines animales ?

M. Daniel RABILLER : Elles étaient en principe françaises. Je ne suis pas opérateur au quotidien.

M. Alain GOURIOU : Pouviez-vous l'affirmer ?

M. Daniel RABILLER : Y avait-il un intérêt à l'affirmer à l'époque ? Je reviens sur votre première interrogation qui est importante. C'est en 1988, que les Anglais se sont rendu compte que leur problème de maladie d'ESB pouvait être dû à l'alimentation de leurs animaux.

M. Alain GOURIOU : Il est grave que les Britanniques aient eux-mêmes interdit l'utilisation de farines animales...

M. Daniel RABILLER : Fin 1988.

M. Alain GOURIOU : ... sur leurs propres élevages et que l'on ait continué chez nous pendant des mois à importer des farines animales de Grande-Bretagne.

M. Daniel RABILLER : C'est bien pour cette raison que, fin 1988, lorsque les Anglais ont pris cette décision, nous avons, nous fabricants d'aliments, décidé de ne pas attendre, mais de recommander l'abandon des farines animales dès 1989.

M. Alain GOURIOU : Pouvez-vous dire que, dans les farines animales que vous utilisiez, il n'y avait pas de mélange avec des farines animales venant de Grande-Bretagne ?

M. Daniel RABILLER : Je ne peux pas le certifier.

M. Alain GOURIOU : Ne voyez pas dans mes propos une mise en cause ; nous essayons de comprendre comment les choses ont pu se passer. Des informations circulaient, certains pays étaient au courant, et ont pris des mesures, notamment la Suède.

M. Daniel RABILLER : C'est un problème d'harmonisation européenne.

M. Alain GOURIOU : Les Suédois nous ont précisé qu'ils n'ont pas connu de cas d'ESB sur leur territoire.

M. Daniel RABILLER : L'Allemagne le disait jusqu'à la fin 2000.

M. Alain GOURIOU : Les mesures précoces que les Suédois ont prises semblent avoir été plutôt positives, sachant qu'il faut prendre en compte la taille du pays, celle de ses élevages et le volume du commerce intérieur et extérieur. Il est très curieux que l'on ait pu observer de tels retards dans les décisions prises en France.

M. Daniel RABILLER : Je le regrette.

M. Alain GOURIOU : Le fait qu'on ait continué à importer des farines de Grande-Bretagne, alors que les Britanniques eux-mêmes avaient interdit l'utilisation de ces farines, me choque.

M. Daniel RABILLER : Ils les ont interdites en 1988 et, c'est pourquoi, je faisais allusion à ce problème d'harmonisation européenne. Nous sommes dans une Communauté européenne. Lorsqu'apparaît un problème important dans un pays, qui peut concerner la santé animale et surtout humaine, il est du devoir de cette Communauté de mettre tous les scientifiques autour d'une table et de prendre toutes les dispositions. Je rappelle qu'en 1988, les Anglais ont interdit les farines animales pour les ruminants. En 1989, devant l'absence de décision française, nous avons recommandé à nos adhérents de ne plus utiliser de farines animales pour les ruminants ; ce n'est qu'en 1990, que la réglementation française a été prise et ce n'est qu'en 1994 que l'Europe a pris une disposition analogue.

Pourquoi ai-je pris certaines recommandations en octobre 2000 auprès de nos adhérents, leur demandant de ne plus utiliser de farines animales dans leurs usines ? C'est parce que le risque m'a semblé important. Je regrette que les autorités françaises n'aient pas pris de décision plus tôt. Auparavant, lorsque j'ai observé que l'on prenait les décisions nécessaires, j'ai pensé que les problèmes allaient s'atténuer. L'on répondait à une attente forte de la société. Mais, devant l'inconnu ou devant les incertitudes de l'évolution de cette maladie, il fallait prendre des précautions. On était devant une situation qui était devenue beaucoup trop lourde.

Croyez-moi, l'ensemble des fabricants ne restaient pas insensibles à ce tout ce qui se passait, et on a souvent regretté de ne pas avoir eu de position plus précise sur les attitudes qu'il convenait d'avoir vis-à-vis de certains produits.

M. le Président : Il serait souhaitable que vous indiquiez comment vous vous assuriez de l'origine des farines que vous achetiez.

M. Daniel RABILLER : Lorsque l'on importe des viandes anglaises et des abats anglais travaillés ensuite dans des usines françaises, la farine est française.

M. Alain GOURIOU : Vous saviez que l'on importait de la viande et des abats britanniques. Mais, puisque ces produits étaient importés et que probablement, on pouvait fabriquer des farines françaises à partir de produits britanniques, avez-vous pris des recommandations ?

M. Daniel RABILLER : A cette époque, nous n'avions pas ce type de préoccupation. Nous n'avons découvert qu'après coup les données des importations. La profession agricole aurait pu le savoir puisqu'elle connaît l'évolution des marchés et pouvait ainsi analyser la situation de la filière. Je n'ai pas vu la profession agricole prendre quelque disposition ou demander une information aux pouvoirs publics s'agissant de ces problèmes.

Encore une fois, jusqu'en 1996, je n'ai vu aucune réglementation sur cette question ; aucune organisation syndicale de la profession ne s'est, à ma connaissance, élevée contre des mouvements de marchandises quelconques. Nous nous trouvions dans une situation où l'on pensait que les mesures nécessaires avaient été prises et que l'on était à l'abri de tous les risques.

M. Claude GATIGNOL : Je m'adresse à vous, puisque vous êtes le représentant d'une partie des fournisseurs d'alimentation animale. Vous êtes donc spécialisé, et avez en face de vous un des clients moins au fait de la composition de chacun des aliments que vous proposiez, et qui étaient, à juste titre, plus préoccupés de leurs résultats économiques. Notre commission cherche à retrouver les dysfonctionnements qui ont permis l'apparition chez nous de l'ESB, qu'il faudrait d'ailleurs replacer dans la hiérarchie des problèmes sanitaires, à la fois en termes de santé animale et de santé humaine.

A ce jour, il n'y a pas plus de 262 cas en France par observation vétérinaire ou par test et, malheureusement, c'est beaucoup trop, il y a trois cas en médecine humaine. L'agitation médiatique est sans commune mesure avec la réalité de la situation. Mais toute la filière est pénalisée.

Je vous sais gré aussi d'avoir dit que les protéines d'origine animale faisaient partie des excellents concentrés que l'on pouvait donner à nos animaux, afin d'exonérer les clients utilisateurs de cette accusation « d'empoisonneurs », que l'on voudrait leur faire porter, que vous portez d'ailleurs pour partie vous aussi. L'on voit bien d'ailleurs maintenant qu'une alimentation d'origine exclusivement végétale pose d'autres problèmes de complémentation de cette alimentation. Puisque vous étiez des « assembleurs » de concentrés, comment opériez-vous à l'époque le contrôle de la composition et de l'origine des différents composants ? Saviez-vous si les farines de viandes et d'os étaient britanniques, belges, françaises, irlandaises ? Comment conduisiez-vous vos recherches ? Pourriez-vous nous indiquer quels tonnages étaient produits dans les années 1990, par les adhérents du SYNCOPAC, en précisant les tonnages globaux et ceux des farines incorporées ?

La sécurisation des farines vous est-elle apparue à l'époque et vous apparaît-elle toujours comme assurée, soit par le fameux traitement à 133°, 3 bars, 20 mn, soit par l'incinération, par l'exclusion des MRS et des produits venant directement de l'équarrissage ?

Si vous aviez une proposition à faire demain, en cas de retour à l'usage des farines animales quelle sécurisation nous suggéreriez-vous ?

Par ailleurs, la consommation d'aliments à base de farines de viandes et d'os est le commun dénominateur à tous les cas d'ESB en Grande-Bretagne. On est à peu près sûr. Avez-vous une idée sur la manière dont étaient alimentées les vaches atteintes, nées en 1993, 1994 et 1995 (les cas NAIF), en prenant en compte les recommandations que vous aviez vous-mêmes faites dès 1989 ?

M. François GUILLAUME : Je souhaiterais avoir quelques précisions sur les prétendues contaminations croisées. Il serait important que vous nous précisiez les conditions dans lesquelles sont fabriqués les produits dans lesquels il peut y avoir ou non des mélanges. En tant que producteur, je sais parfaitement qu'il arrive dans une ferme un camion avec plusieurs trémies, qu'une soufflerie reprend une trémie pour la propulser dans le réservoir destiné à l'aliment des bovins, puis l'on repasse à une autre trémie éventuellement pour l'aliment des porcs. Il est vrai qu'il peut y avoir un peu de poussière. Tout le problème est de savoir comment cela se passe dans une industrie de fabrication des aliments. Personnellement, je ne crois pas à des contaminations croisées. Des scientifiques ont parlé de telles contaminations, à partir de quelques milligrammes, mais quelques milligrammes de quoi ? Les farines auraient été introduites dans l'alimentation des animaux dans une proportion de 3 % maximum pour les ruminants, de 10 % au maximum pour les dindes qui étaient les animaux qui consommaient le plus de farines animales. Je ne vois vraiment pas comment, sauf hypothèse d'accident, ont pu se produire ces contaminations croisées.

Vous avez indiqué également que vous aviez proposé à vos adhérents de stopper l'utilisation des farines animales pour les monogastriques, et ceci, après l'interdiction des farines animales issues de l'équarrissage. Je voudrais que vous en donniez les raisons. L'exclusion des FVO pour les monogastriques ne résulte-t-elle pas d'une application excessive du principe de précaution ? Tous les scientifiques que nous avons entendus ont reconnu que leur durée de vie est de 45 jours pour les poulets et de 5 mois pour les porcs : ce sont des durées trop brèves pour que l'on puisse redouter une contamination.

J'aborderai enfin la question des produits de substitution. Je rentre du salon de l'agriculture, comme quelques-uns d'entre nous, et j'ai constaté que les progrès de notre élevage sont toujours aussi considérables. Nous avons vu des vaches laitières fournissant 12 000 litres de lait. Vous savez mieux que moi que, pour parvenir à ce résultat, il faut mettre un certain prix. Quels recours va-t-on avoir désormais aux acides animés ? Quels produits de remplacement va-t-on utiliser ? Il faudra remplacer les farines animales par des protéines végétales, lesquelles sont moins riches, à l'exception peut-être des tourteaux de soja. Importe-t-on des tourteaux de soja ou du soja ? Du soja génétiquement modifié naturellement. On me dira que l'on va chercher du soja non-OGM en Argentine ou au Brésil. On peut dire cela à tout le monde, mais pas à moi.

Va-t-on avoir recours à des protéines de synthèse, qui pourront poser d'autres problèmes aux consommateurs, lysine, méthionine, urée ?

M. Daniel RABILLER : Comment garantir les produits finaux, lorsque l'on a des difficultés à en connaître l'origine ? Je voudrais préciser que les établissements qui fabriquent les farines animales sont suivis par les services vétérinaires. Ils sont contrôlés et censés mettre sur le marché des produits sains. Par ailleurs, lorsque nous recevons des matières premières dans nos usines, quelles que soient ces matières premières, nous les analysons ; un nombre croissant d'usines ont un laboratoire. Il est indispensable, pour fabriquer les aliments, de savoir exactement ce que l'on achète et ce que l'on a dans nos silos. Pour les farines animales, nous avons un certain nombre de règles précises qui doivent être respectées. Sont-elles bien aux normes ? Nous analysons cela dans nos laboratoires. A partir du moment où ceux qui achètent font des analyses, ceux qui fournissent prennent des précautions.

Vous m'avez posé une question sur les tonnages que nous représentions en 1990 ; pour le SYNCOPAC, nous représentions 30 % du tonnage fabriqué en France. Les coopératives ont pris de plus en plus d'importance depuis cette date, du fait de leur implication plus forte dans l'élevage français, du fait aussi que les rentabilités des productions sont de plus en plus faibles. Dès lors que les rentabilités sont plus faibles, c'est toujours le secteur coopératif qui doit assurer la situation, car il est bien obligé de s'impliquer dans sa région et de sauvegarder un certain nombre de moyens pour ses éleveurs.

M. Claude GATIGNOL : Par rapport à la production globale, quels étaient le taux et le tonnage d'incorporation de FVO ?

M. Daniel RABILLER : Dans l'aliment volailles essentiellement, cela allait de 2 % à 4 % ou 5 %, selon les espèces de volailles. Pour le porc, cela représentait une très faible proportion, encore plus réduite aujourd'hui. Je ne puis vous préciser les tonnages en cause. Je pense que les tonnages de farines animales incorporées dans les aliments du bétail atteignaient 400 000 tonnes environ. A la fin de l'année dernière, nous étions à peine à 200 000 tonnes en France. Je ne sais pas si les chiffres correspondent à ceux que vous pouvez avoir. Pour ce qui concerne les qualités des produits, on prend maintenant de plus en plus de précautions. Les contraintes imposées à nos fournisseurs de matières premières sont de plus en plus fortes.

Nous avons entrepris depuis l'an dernier, avec nos collègues du SNIA, un travail avec tous nos fournisseurs pour définir de nouveaux cahiers des charges permettant d'assurer une traçabilité de toutes nos matières premières. Compte tenu des demandes des éleveurs, mais aussi des consommateurs, nous devons garantir d'un bout à l'autre de la chaîne, donc de la vie de l'animal, tout ce qui s'est passé, les conditions d'alimentation du bétail étant à cet égard très importantes. Nous avons un gros travail à accomplir, puisque les exigences sont de plus en plus fortes.

Quant au retour à l'usage des farines carnées, je pense que ce n'est pas à moi de me prononcer sur ce sujet et que nous sommes face à un phénomène de société. Si l'on prend l'exemple des farines de poissons, qui ont été interdites jusqu'à ces derniers jours, elles sont désormais autorisées pour l'alimentation des poissons, et ce, dans des cas très spécifiques. Aujourd'hui, je ne connais pas de fabricants d'aliments qui puissent prendre le risque de réintroduire des farines de poissons dans l'aliment, compte tenu des pressions existantes, même si ce produit peut être bon. Nous avons su transformer nos méthodes pour être en mesure de nous dispenser de recourir aux farines animales.

Pour revenir aux questions de M. François Guillaume et au problème des contaminations croisées, je voudrais observer que les cas d'ESB que l'on connaît concernent des animaux ayant contracté la maladie en 1993. Cela est très tôt, puisque la durée moyenne d'incubation est de 5 ans. A l'époque, au début des années 1990, tout le monde considérait que les matières premières que nous avions sur le marché étaient saines. Si quelqu'un avait su que les matières premières que nous avions sur le marché étaient risquées, étaient « empoisonnées », je ne pense pas que l'on aurait continué. Après 1996, compte tenu des dispositions prises à la suite de la publication du « rapport Dormont », on a éliminé tous les cadavres, les produits à risques, mais l'on avait encore des produits sains.

Depuis 1996, ce sont les éleveurs qui ont été les plus insistants. Nous n'avions plus de farines animales dans la plupart des aliments pour porcs, et c'était pareil pour la plupart des aliments pour les volailles ; toutes nos productions, qui étaient en contrat de certification avec la grande distribution, ne comportaient plus de farines animales depuis 1997. Les éleveurs et la grande distribution nous avaient obligés à ne plus en incorporer.

Nous avons déjà réfléchi depuis longtemps au remplacement des farines par des protéines végétales. Nous avons rencontré des difficultés depuis le 14 novembre 2000 pour certaines espèces, notamment la dinde. Mais, pour la plupart des espèces animales, nous avions déjà étudié depuis quatre ou cinq ans, dans nos firmes de recherche, nos entreprises, la possibilité de substitution, y compris pour les graisses animales. Celles-ci étaient autorisées, mais la plupart de nos coopératives adhérentes ne les utilisaient plus dans l'alimentation des bovins depuis juillet 1996.

Nous n'avons pas porté ce genre d'informations sur la place publique, mais il n'empêche que c'est une réalité. Nous sommes des gens dont le travail consiste à nourrir des animaux, et donc les hommes ; je considère donc que nous travaillons pour l'alimentation humaine. Donc, on ne joue pas avec cela. Nous nous sommes rendu compte de notre degré de responsabilité et avons pris toutes ses dispositions nécessaires.

En ce qui concerne les importations de soja, il nous semble qu'elles n'ont pas été plus importantes, puisque nous recourions déjà largement à des protéines végétales. Il y a eu une petite flambée du cours de soja, à la fin novembre 2000, mais la situation s'est rapidement modifiée. Au-delà, se pose la question du recours aux OGM et à la lysine. Là encore, la technologie de l'alimentation animale évolue et, contrairement aux Anglais qui utilisaient beaucoup de farines animales pour la production laitière, nous avions toujours recouru en France aux tourteaux de colza et de tournesol, qui nous permettaient d'atteindre des productions laitières à 12 000 litres, ces laitières à 12 000 litres n'ayant jamais consommé de farines animales.

M. Claude GATIGNOL : Dans les usines de fabrication d'aliments, vous avez recommandé la séparation très ferme des différents destinataires ; ceci semble indiquer que les mélanges se seraient produits plutôt dans la distribution dans les fermes que dans les usines de fabrication.

M. François PERROT : Vous nous dites qu'il n'y a plus du tout de traces de farines animales dans les aliments. Or, nous avons entendu parler d'une tolérance de 0,3 %. A partir de quand peut-on dire que, dans les aliments, il y avait 0 % de tolérance en farines animales ?

M. Daniel RABILLER : Il y a eu 0 % à partir du 14 novembre 2000, parce que cette matière première a été complètement enlevée de tout le circuit. Le taux de 0,3 %, qui a fait l'objet de déferlements médiatiques, correspond en fait à un problème de fiabilité des analyses.

Nous en sommes au stade de traces sur des problèmes de contaminations croisées. Il ne s'agit pas d'incorporations volontaires, mais ce sont d'infimes parties qui peuvent à un moment donné se mélanger. Dès 1997, à la demande des pouvoirs publics, nous avions établi un « guide des bonnes pratiques » à l'intention de nos adhérents. Nous avons vu avec le temps que cela ne suffisait pas, parce que l'on retrouvait toujours des traces. Certains de nos adhérents, en 1998 et en 1999, se sont dit qu'ils allaient livrer tout l'aliment ruminants complètement séparé des autres aliments. Des camions ne livraient que de l'aliment ruminants, d'autres camions ne livraient que de l'aliment volailles. Sur une même journée, deux camions pouvaient arriver sur l'exploitation. Nous avions pris cela à notre charge, car il fallait en finir avec ces problèmes de traces, alors que les farines étaient censées être saines.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Yves MONTÉCOT,
président du Syndicat national des industriels
de la nutrition animale (SNIA)

(extrait du procès-verbal de la séance du 20 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Yves Montécot est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Yves Montécot prête serment.

M. Yves MONTÉCOT : Puisque mon collègue du SYNCOPAC vous a fait un exposé sur notre profession, mon propos introductif sera bref. Dans le domaine de la nutrition animale, je représente le syndicat des industriels ; nous réalisons à peu près la moitié du tonnage produit en France. Je rappelle que ce tonnage annuel en France s'élève à 23 millions de tonnes et que la France est le premier producteur européen d'aliments pour animaux. En termes d'entreprises, nous sommes un peu plus nombreux que le secteur des coopératives, puisque nous comptons entre 180 et 200 usines réparties sur l'ensemble du territoire français.

Pour entrer directement dans le vif du sujet, qui est l'ESB, s'il faut retenir une date significative pour le SNIA, c'est celle du 27 novembre 1989 : le Président a adressé une lettre aux adhérents leur demandant de ne plus utiliser de farines animales dans les aliments pour ruminants. Je dis bien « ruminants », c'est à dire que cela concernait aussi les aliments pour les moutons. Cette recommandation date du 27 novembre 1989. Elle demandait de ne pas utiliser ces farines, mais elle demandait aussi de prendre des précautions pour éviter les mélanges ; le terme de contamination croisée, utilisé plus tard, évoque quelque chose de dangereux. Ceci fut dit de façon explicite dans la lettre : il fallait éviter de fabriquer des aliments pour ruminants après avoir fabriqué des aliments qui auraient pu contenir des farines animales.

Pour vous éclairer, je dirai que la gestion des mélanges est la base de notre métier. La gestion nécessaire pour éviter les mélanges potentiellement dangereux ou qui pourraient poser problèmes est fondamentale dans notre profession. Par exemple, les ovins ne supportent pas les mêmes taux de cuivre que les autres espèces. Donc, les aliments des ovins ont des taux de cuivre beaucoup plus faibles que ceux des aliments destinés à d'autres espèces. Nous organisons les gestions à l'intérieur de nos process, pour éviter que des produits qui ne sont pas désirés, à quelques dose que ce soit, se retrouvent dans un aliment où ils ne doivent pas figurer. C'est la base de notre métier.

M. le Président : Je voudrais revenir sur votre recommandation du 27 novembre 1989, adressée aux membres de votre syndicat. Cette date nous semble importante. Pourquoi cette date ? Sur quelle base, avez-vous pris cette décision, cette mesure de précaution, alors que l'on n'avait pas encore pris de mesures en France en dehors d'un avis aux importateurs de FVO ?

Que pouvez-vous nous dire sur l'étiquetage et la traçabilité ? Nous avons besoin de précisions, puisque l'on nous donne des informations très diverses, à la fois sur le manque de lisibilité des étiquettes et sur le fait qu'elles seraient incomplètes, notamment qu'elles ne feraient pas apparaître la présence de farines animales dans leur composition. Est-ce exact ?

M. Yves MONTÉCOT : Pourquoi cette date ? La première alerte formelle date du 13 août 1989, qui est l'interdiction d'importation des farines de viande du Royaume-Uni. C'est donc un message d'alerte. Nous avons eu, le 23 septembre 1989, d'après nos archives, une réunion à la DGAL, où des informations alarmistes sont venues du Royaume-Uni, ce qui nous a conduits à une réflexion en octobre et novembre 1989. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque, où le problème n'avait pas pris la dimension que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agissait d'une maladie qui avait été isolée au Royaume-Uni et qui n'avait pas pris encore les proportions actuelles.

C'est à partir de cette date, août-septembre 1989, que le nombre croissant de cas a fait qu'un certain nombre de professionnels, mais aussi d'agents de l'administration, se sont interrogés ; nous avons commencé à étudier le problème de près et nous avons pris notre décision le 27 novembre 1989. Il faut préciser que la loi n'est intervenue qu'un an après, en juillet 1990.

La réglementation de l'étiquetage en alimentation animale est plus ancienne que celle de l'alimentation humaine. Il y a plus de 40 textes qui la régissent. Je vous ai apporté quatre étiquettes différentes pour vous montrer comment elles sont faites. Je dois dire qu'il n'y a pas un sac d'aliment du bétail qui sort de l'une des usines sans une étiquette. Celle-ci est cousue sur le sac et elle est inviolable, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être enlevée sans être déchirée. Elle accompagne systématiquement toute livraison de vrac. L'étiquette comporte les coordonnées du fabricant, son code déclaratif, le nom de l'aliment, à savoir un aliment composé, complet ou complémentaire, c'est-à-dire qu'il se donne seul ou accompagné ; ensuite figure la composition.

La composition peut revêtir deux formes en France : une composition par ingrédients (blé, maïs, orge) ou une composition par catégorie d'ingrédients, c'est-à-dire grains de céréales, produits et sous-produits d'oléagineux ; c'est l'une ou l'autre, mais on ne peut pas panacher. C'est en vigueur depuis 1992. Je reviendrai, car c'est important, sur l'étiquetage avant 1992. Cette composition est indiquée en ordre décroissant, c'est-à-dire que le premier ingrédient est quantitativement le plus important. L'étiquette s'accompagne de l'indication de valeurs nutritionnelles, pour donner des garanties : vitamines, protéines, celluloses, matières grasses et aussi un mode d'emploi avec une date de péremption.

M. le Président : Ce qui nous intéresse est de savoir s'il y avait des farines de viande, et si la mention figurait sur l'étiquette.

M. Yves MONTÉCOT : C'est pourquoi j'ai précisé : depuis 1992. Jusqu'en 1992, il était clairement indiqué : « farine de viande, farine de poisson ». Après 1992 : « produit d'animaux terrestres ou produit d'animaux marins » en raison d'une mesure communautaire. Lorsqu'on dit que les fabricants ne signalaient pas s'il y avait des farines de viande, je suis bien obligé de réagir, car c'était indiqué clairement jusqu'en 1992.

Pourquoi cette modification après 1992 ? C'est très simple, la France avait sa terminologie, les autres pays de la communauté avaient d'autres dénominations pour les mêmes matières premières. Cette catégorie a été faite pour que l'ensemble des dénominations soient les mêmes au niveau européen.

M. le Président : Donc tous les producteurs adhérents de votre syndicat indiquaient avant 1992, par des mentions sur les étiquettes, la présence de farines de viande. Or, des éleveurs nous ont dit qu'ils se trouvaient dans l'impossibilité de savoir ce qu'il y avait dans les sacs d'aliments.

M. Yves MONTÉCOT : Je suis moi-même chef d'entreprise, professionnel depuis 40 ans. Sur le terrain, je n'ai jamais vu un sac d'aliments, même de mes collègues, qui ne portait pas une étiquette. Je l'affirme sous serment. Pourquoi des éleveurs le disent-ils parfois ? En fait, ce n'était pas leur préoccupation principale. Quelle était leur préoccupation ? Nos aliments sont faits pour que les animaux s'élèvent bien, soient en bonne santé, aient un bon aspect et puissent correspondre au marché. Les éleveurs avaient une confiance totale dans le métier de fabricant. Nous ne sommes sur la sellette que depuis 1996. Avant, la confiance régnait. En fait, ils ne regardaient pas les étiquettes ou ils ne les conservaient pas. Vraiment, je peux vous affirmer qu'il n'y a pas d'aliment qui ait circulé sans étiquette.

M. François GUILLAUME : Je n'ai jamais eu d'aliment sans étiquette.

M. Yves MONTÉCOT : La mise en place des étiquettes est généralement automatique.

M. François GUILLAUME : Et pour les livraisons en vrac ?

M. Yves MONTÉCOT : Les étiquettes accompagnent systématiquement le bon de livraison. Mais, parfois l'éleveur n'y accordait pas d'importance. C'est un fait important.

M. Germain GENGENWIN : Les exploitants que nous avons auditionnés il y a quelques jours ne critiquaient pas le manque d'étiquette mais le manque d'information sur la composition. Ce qui manquait et ce que les gens voulaient savoir était le pourcentage de céréales et de chacune des matières premières.

M. Yves MONTÉCOT : Il ne s'agit pas de la même question, et cela n'apporte pas les mêmes réponses. La formule ouverte est un autre problème. De toute façon, pour l'instant, légalement nous ne pourrions pas le faire, c'est un problème de législation. Il y a des discussions au niveau européen pour modifier la législation sur l'étiquetage. Cela pose le problème de la vérification, on ne peut pas à l'analyse déterminer et vérifier la composition exacte, on peut vérifier si les matières premières indiquées correspondent bien aux mentions de l'étiquette. Cela pose aussi le problème de la protection intellectuelle et industrielle. L'important en termes nutritionnels, ce sont les valeurs nutritionnelles des aliments.

M. le Rapporteur : C'est compréhensible, mais j'ai l'impression que l'on ne peut pas vérifier pleinement la composition des aliments. On a l'impression d'un secteur finalement très cloisonné, où tout est vertical, ce qui permet d'ailleurs de se jeter la pierre les uns sur les autres. A partir du moment où vous n'avez pas d'unité dans la filière, il est aisé de dire que ce n'est pas soi, mais l'autre. On a peut-être fait preuve d'un peu de légèreté ou d'insouciance. Le « cloisonnement » ne vous apparaît-il pas comme quelque chose de préjudiciable ? Je pense que vous avez aussi réfléchi à la question de la substitution après l'interdiction des FVO ?

M. Yves MONTÉCOT : Je dois corriger mon propos, car on peut tout à fait retrouver, à l'analyse, les composants des aliments. La preuve : à des niveaux de 1 ou 2 pour 1000, on détecte des traces. On peut détecter à l'analyse l'ensemble des composants, donc il y a bien transparence. Ce que l'on ne peut pas retrouver, c'est le pourcentage exact de tel ou tel composant, mais par contre à l'analyse on les retrouve et on descend parfois jusqu'à 1 ou 2 pour 1000. Il n'y a pas de cloisonnement ; je vais vous donner un autre exemple. Depuis très longtemps, la filière de l'alimentation animale participe avec celle de l'élevage à la mise en place de cahiers des charges. Prenons le label rouge. Depuis les années 1960, soit plus de 40 ans, nous sommes contrôlés par des organismes certificateurs, indépendants des producteurs et de nos industries ; ceux-ci ont accès à l'ensemble de nos formules en usine, à l'ensemble de nos détails de fabrication (le fil de l'eau) et à l'ensemble de nos fabrications et des lots. Cela vaut pour les labels, pour les cahiers des charges et pour la certification produits. Ces contrôles couvrent une part importante des productions animales

Deuxième élément, et ce n'est pas un effet de mode, dès les années 1990, nous avons engagé professionnellement nos adhérents à se mettre en certification d'entreprise. Pratiquement, 80 % des tonnages qui sont fabriqués actuellement sont sous certification d'entreprises. Là, aussi ce sont des certifications AFAQ, contrôlées par des organismes extérieurs, et qui vont justement pénétrer dans l'ensemble de nos process et délivrer des agréments pour 2 ou 3 ans. Ensuite, des audits annuels sont pratiqués. Voilà la réalité de notre profession.

M. le Président : Si l'on vous suit bien, tout va bien, tout est en ordre et surveillé, tout est contrôlé, les indications figurent sur les étiquettes. Comment expliquez-vous le fait que, dans l'alimentation bovine, il y ait une interdiction d'utilisation des farines animales ? Il est établi qu'existe un lien entre la farine animale et l'ESB. Tous les experts scientifiques nous l'ont dit, même s'ils n'excluent pas d'autres hypothèses. La durée moyenne d'incubation chez l'animal étant de l'ordre de 5 ans, l'interdiction ayant été prise en 1990, cela nous mène à 1995. Comment expliquez-vous que l'on ait actuellement des pics d'ESB et ce lien direct avec les farines animales ?

Deuxième question, corollaire de la première, on a appris que des stocks extrêmement importants en Belgique, 8 500 tonnes, se sont trouvés, à un moment donné, en cours de ré-étiquetage. 8 500 tonnes : cela équivaut, selon les chiffres officiels, à une années d'importation de farines. Que sont devenues ces farines ? Nous sommes des gros fabricants d'aliments pour animaux en Europe, vous avez rappelé les chiffres.

M. Yves MONTÉCOT : 23 millions de tonnes.

M. le Président : Ces farines d'origine animale ne se sont pas évaporées. Comment vous êtes-vous assurés, puisque vous avez pris un certain nombre de certifications, de l'authenticité des produits qui vous étaient livrés ? Quels étaient les contrôles ? Ont-ils révélé des fraudes ? Quelles mesures avez-vous prises pour vous assurer que les recommandations que vous avez faites en 1989 ont été suivies d'effet ?

M. Yves MONTÉCOT : Je dois rappeler qu'en France, nous en sommes à 260 cas et au Royaume-Uni à 180 000 cas. Or, nous avons le double de cheptel du Royaume-Uni. Si l'on raisonne à partir de ces faits et que l'on cherche à comprendre, cela signifie que l'on n'a pas appliqué les mêmes conditions que les Anglais. De 1980 à 2000, nous avons pris une quarantaine de mesures de précaution, soit professionnelles soit scientifiques soit administratives. La première date de 1980, c'était un guide professionnel pour la qualité des farines animales. En France, nous avons donc pris des précautions. Toutefois, la vraie question est que l'on ne peut prendre des précautions que si le risque est identifié. Que savait-on précisément dans des années 1990-1991 ? La connaissance n'était pas la même. Les précautions prises par l'ensemble des membres de la filière ne pouvaient pas être les mêmes que celles prises dix ans après.

Je dirai à nouveau ce que j'avais dit en 1996 devant la mission d'information : s'il y a fraude, nous nous constituons partie civile, dans ce domaine comme dans d'autres. Pour l'instant, nous n'avons pas de dossier de partie civile pour fraude dans ce domaine. Par contre, il y en a d'autres où nous en avons : nous sommes partie civile actuellement dans une dizaine de dossiers. Cela ne concerne pas les importations illégales de farines animales, cela concerne les hormones et d'autres difficultés, des dérapages qui ont pu se produire.

S'il y a parmi nos adhérents des gens qui ont fraudé, que ce fait soit avéré, nous serons partie civile. Je dis ceci parce qu'il s'agit de la responsabilité professionnelle. Maintenant, concernant les fraudes et les importations, toutes les vérifications effectuées depuis 1993, 1996 et plus tard par l'ensemble des services des douanes et de contrôle, ont amené en janvier 1997 M. Galland, ministre à l'époque, à déclarer : « nous n'avons détecté aucune fraude, ni en provenance directe du Royaume-Uni, ni en passant par la Belgique ». C'était un communiqué de M. Galland du 17 janvier 1997. Il restait sur cette période une incertitude sur 53 tonnes, qui n'avaient pas pu être identifiées. Je crois qu'elles sont devenues aujourd'hui 15 ou 16 tonnes.

M. le Président : Que sont devenues les 8 500 tonnes en cours de ré-étiquetage ?

M. Yves MONTÉCOT : Si vous me permettez, je vais vous donner une réponse, car une entreprise a fait l'objet d'une dépêche de presse il y a quelques semaines. C'est une entreprise que nous connaissons, qui exporte vers le Moyen-Orient et qui, en fait, ne ré-étiquette pas des farines de viande. Elle utilisait, lorsque c'était encore possible, des farines de viande pour faire des concentrés alimentaires destinés au Moyen-Orient. Pourquoi les faisait-elle en Belgique ? Tout simplement, parce que les infrastructures portuaires permettent de le faire. Ce ne sont pas des farines de viande qui ont été ré-étiquetées, mais des farines de viande qui ont été remélangées à d'autres matières premières et qui sont devenues des aliments concentrés pour des animaux, exportés au Moyen-Orient, avec utilisation tout à fait légale des matières premières.

Pourquoi pouvons-nous affirmer cela ? En 1994, la DGCCRF a fait 370 contrôles, portant sur 385 fabricants. En 1995, elle en a fait 270 et en 1996 plus de 300. Je vais vous dire, pour les avoir vécus personnellement, que ce n'étaient pas des contrôles rapides, mais des contrôles intensifs en entreprises qui duraient parfois plusieurs mois, avec plusieurs agents de la DGCCRF. Savez-vous ce qu'ils ont fait ? Ils ont repris toutes nos comptabilités matières, c'est-à-dire toutes nos entrées. Ils ont refait nos fabrications pendant des années, et ensuite ils ont comparé avec notre stock final. Nous avons dans nos entreprises une traçabilité qui nous permet de remonter aux fabrications jour par jour, heure par heure, ce que l'on appelle « le fil de l'eau ». Ces déclarations figurent dans le communiqué de presse de M. Galland. Ce sont donc des contrôles intensifs qui ont permis de voir si les matières premières comportaient des fraudes ou non. Dernier élément, les farines animales voyageaient par bateaux de 3 000 tonnes et par camions de 25 tonnes, ce ne sont pas des choses que l'on passe dans un coffre. Ces marchandises sont forcément accompagnées d'un document de route : pour la France, une indication du pays d'origine, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe. Ces matières premières, lorsqu'elles rentrent en France, doivent être accompagnées de documents indiquant la mention du pays d'origine. Donc, ce sont des mouvements qui sont vérifiables. Je crois d'ailleurs que M. Galland indiquait en juillet 1996 que tous les mouvements de bateaux sur les ports de l'Ouest concernant ces produits avaient été vérifiés. Ces chiffres sont disponibles. Voilà, Monsieur le Président, ce qui nous permet de dire qu'à notre connaissance il n'y a pas eu fraude et que, s'il y en avait, nous serions partie civile.

M. Germain GENGENWIN : Dès le 27 novembre 1989, vous avez recommandé à vos adhérents de ne plus utiliser les farines de viande pour les ruminants. Le Syncopac a fait de même : il a recommandé à ses adhérents et coopératives de ne plus les utiliser. Je considère que c'était un conseil, mais pas une obligation. Alors comment explique-t-on que l'importation de Grande Bretagne n'ait pas diminué ? Nous avons aussi eu des chiffres. Vous avez cité la filière belge, mais on nous a dit également que la baisse des importations de Grande-Bretagne a été compensée par l'importation venant d'Irlande. Comment explique-t-on que la consommation ou l'introduction des farines de viande se soit maintenue, bien que vous et le secteur coopératif ayez donné des conseils de ne plus les utiliser pour les ruminants ? En 1992, l'expression « farines de viande » est remplacée par celle de « produits d'animaux terrestres ». C'est véritablement induire en erreur beaucoup d'utilisateurs.

Je voudrais poser une autre question au spécialiste que vous êtes la question suivante : suivez-vous l'évolution de la recherche dans ce domaine en Grande-Bretagne ? Et comment expliquer que les farines de viande soient soudain devenues le vecteur de l'ESB ? Car on utilise depuis plus de 100 ans les farines de viande à l'état brut.

M. Yves MONTÉCOT : Vous avez entendu des experts scientifiques ; dans certains domaines où nous n'avons pas de réponse sur la cause et sur la transmission, c'est à eux de répondre. A l'heure actuelle, les farines animales sont considérées comme l'hypothèse la plus probable. C'est ce qui ressort notamment des communiqués du ministère de l'Agriculture. D'autres hypothèses peuvent être évoquées : celles de la transmission parentale et d'autres qui ne seraient pas connues. Je ne suis pas qualifié pour commenter les hypothèses. Les farines animales sont d'ailleurs totalement interdites depuis le 14 novembre 2000.

Je voudrais revenir sur un point important qui a fait la une de la presse en 1996 et que l'on a vu resurgir en 2000. Un grand quotidien du soir a fait état de 130 000 tonnes d'importations illégales. Nous n'avons obtenu un droit de réponse que deux mois après. Je voudrais rappeler que l'interdiction de 1990 ne concernait que les aliments pour bovins, les farines animales restant autorisées pour les autres animaux, ovins, caprins et monogastriques.

Deuxième élément, les farines de volailles et les farines de plumes ne sont pas des FVO, mais elles figuraient dans la même nomenclature douanière ; elles ont été dans un premier temps regroupées. Dans une première nomenclature, tout ce qui est farine était regroupé sous un seul numéro. Les douanes ont épluché toutes les nomenclatures et ont reclassé ces différents produits. L'exemple le plus significatif est celui des farines de plumes italiennes, qui étaient arrivées en France par les soins d'un négociant anglais. Dans un premier temps, ces farines ont été considérées comme des farines anglaises. Lorsqu'elles ont été retraitées, elles ont été requalifiées et les nomenclatures ont été modifiées. Toutes ces analyses ont demandé plusieurs mois. On entend parfois dire que l'on a donné plusieurs séries de chiffres entre juin 1996 et janvier 2000, mais ces analyses, chiffres et nomenclatures douanières, ont demandé plusieurs mois. C'était un travail colossal, il fallait reprendre tous les documents douaniers et les feuilles de route. Il restait une incertitude sur 52 tonnes, qui sont finalement devenues 15 tonnes.

Autre élément que l'on entend très souvent : le commerce avec la Belgique a été multiplié par 10. Il est vrai que l'on est passé de 1 000 tonnes à 10 000 tonnes, alors que dans les mêmes périodes on utilisait environ en France 400 000 tonnes de farines au total. Pourquoi ? Les mouvements de marchandises étaient libres, il n'y avait plus de fournitures provenant d'Angleterre, le commerce s'est déplacé vers d'autres pays. La France était exportatrice, nos collègues équarrisseurs ont dû vous le dire, mais elle était aussi importatrice.

Le dernier point qui a fait couler beaucoup d'encre, ce sont les farines irlandaises. De 1989 à 1993, l'embargo pèse sur les farines anglaises, en provenance du Royaume-Uni et d'Irlande. En 1993, la levée de l'embargo en provenance d'Irlande a été décidée, parce que l'Irlande n'était plus considérée comme un pays à risque. Les importations d'Irlande ont donc repris. Ces explications se fondent sur des faits réels.

M. le Président : Vos explications sont intéressantes, mais des questions subsistent. On s'est aperçu que les chiffres des exportations de Belgique vers la France et les chiffres fournis par l'administration sur les importations françaises en provenance de Belgique ne correspondaient pas. Si vous me dites qu'en démontant tout cet écheveau complexe, vous arrivez à une différence de 15 tonnes, je m'étonne que l'on ne soit pas arrivé à faire concorder deux sources statistiques, la belge et la française.

M. Yves MONTÉCOT : Je vais vous donner une explication technique : ces importations sont la vie et le fonctionnement de nos sociétés et elles sont enregistrées selon les nomenclatures douanières. A partir de 1993, date du marché unique, les déclarations n'étaient obligatoires qu'à partir d'un certain seuil de chiffre d'affaires, au-delà de 650 KF. Ces seuils ne sont pas les mêmes dans tous les états membres. Donc, les enregistrements de mouvements ne sont pas établis sur les mêmes bases et avec les mêmes seuils. C'est vrai pour les farines animales comme pour beaucoup de mouvements intra-communautaires.

M. Claude GATIGNOL : Connaissiez-vous l'origine des matières premières ? Vous avez parlé de l'Irlande, de la Belgique, de l'Angleterre et de la France. Leur nature était-elle connue ? Vous êtes un fournisseur d'aliments et aussi un assembleur de matières premières. Avez-vous eu, compte tenu du contexte de l'époque, les préoccupations de sécurisation de ces FVO par des modes de chauffage, par l'élimination de matériaux à risques et des déchets d'équarrissage ? Après 1989, vous avez arrêté d'importer les farines anglaises et vous les avez remplacées par des farines d'autres origines : étaient-elles exclusivement françaises à ce moment-là ? Vous avez aussi évoqué les tonnages : 23 millions de tonnes d'aliment du bétail et en gros 800 000 tonnes de FVO sans les graisses.

Du fait de l'interdiction des farines pour les ruminants, y a-t-il eu une baisse des tonnages utilisés ? Que pouvez-vous nous dire là-dessus ? Cette interdiction s'est-elle bien traduite dans les chiffres ? Enfin la grande interrogation : comment se fait-il qu'il y ait des vaches positives nées après l'interdiction des farines animales ? Pensez-vous que ce soit dû à une fabrication insuffisamment contrôlée ? Un problème de livraison et de stockage peut-il expliquer que les vaches aient consommé de la nourriture qui ne leur était pas destinée ? Vos propres contrôles dans les usines de vos adhérents sont-ils faits à l'entrée pour les matières premières et à la sortie pour le produit fini ? A quel niveau interviennent les organismes certificateurs ?

M. François GUILLAUME : Les Anglais ont interdit l'utilisation des farines à partir du mois d'août 1988. Avez-vous eu connaissance de cette interdiction ? Quand l'avez-vous appris ? On a vu immédiatement se développer l'exportation des farines anglaises. Malheureusement, les statistiques n'ont été connues qu'en fin d'année, et on a constaté une progression des exportations de ces farines. Aviez-vous des relations avec vos collègues, au niveau européen, qui vous permettaient d'avoir des informations de producteurs d'aliments britanniques ? Les avez-vous interrogés sur la raison de cette interdiction des farines ?

Vos adhérents n'achètent pas au jour le jour, mais passent des contrats. Du fait de l'interdiction des farines pour les bovins en France, intervenue un an après, les contrats en cours pouvaient-ils être remis en cause ?

M. Yves MONTÉCOT : Vous avez posé une série de questions importantes. En France, les origines des matières premières importées sont précisées, l'indication du pays d'origine étant obligatoire. Il y a une connaissance et un suivi jusqu'en 1993, avec tous les documents douaniers ou feuilles de route qui accompagnent le produit. Lorsque l'on reçoit un produit dans une entreprise, cela n'entre pas sans programmation. C'est une matière première qui est connue et référencée, qui doit arriver, elle est stockée à part. La gestion garantit une traçabilité immédiate. En termes d'évolution des volumes, on ne peut pas dire que l'interdiction des FVO pour les ruminants ait eu une importance significative : les farines, lorsqu'elles étaient utilisées avant 1989 pour les ruminants, l'étaient parfois à 2 %, mais ce n'était pas systématique, et beaucoup de fabricants n'en ont jamais utilisé.

On a pu constater que, depuis cette période, l'utilisation globale des farines animales avait tendance à diminuer, surtout dans les années 1995-1996, puisque l'on a terminé aux environs de 300 000 tonnes en 2000, avant l'interdiction. On est monté dans certaines périodes jusqu'à 500 000 tonnes ; sur 20 millions de tonnes, cela ne représente qu'un faible pourcentage. Ce n'était pas une matière première stratégique. L'évolution du son prix est comparable à celui du soja : la courbe du prix du soja et la courbe des farines de viande sont parallèles. Ce qui fait le cours mondial des protéines, c'est le soja.

Pour répondre précisément à votre question, dans les années 1988-1989, elles étaient relativement chères, puisque le cours était aux environs de 2 F/kg. Compte tenu de l'évolution des monnaies, on peut être entre 1,2 F et 2 F/kg. Le plus important, c'est de démontrer que la courbe suit celle du soja ; c'est le soja qui fait le marché et non les farines animales. Les fabricants anglais ont modifié leur processus de fabrication des farines, chose qui n'a jamais été faite dans les autres pays. Ce n'est pas mon métier, puisque je ne suis pas fabricant, mais les équarrisseurs pourront vous le dire.

S'agissant des contrats, ils sont établis sur plusieurs mois, mais un avis aux importateurs ou une décision réglementaire constituent un cas de rupture de contrat systématique. On ne peut pas être obligé d'acheter ou d'importer une matière première devenue interdite. C'est un principe du commerce international ; donc il n'y a pas eu à ce moment-là d'obligation d'exécuter les contrats.

M. le Rapporteur : Quelle est votre vision personnelle des choses, en admettant que les farines soient la cause de la contamination ? Vous avez raison de souligner le faible nombre de cas que l'on a en France, surtout compte tenu du dépistage systématique. Pensez-vous qu'il puisse y avoir d'autres causes que celles des contaminations croisées ?

M. le Président : Pouvez-vous nous éclairer sur la valeur juridique d'un avis aux importateurs ?

M. Yves MONTÉCOT : L'avis aux importateurs est publié au Journal Officiel et s'impose aux opérateurs. Quant à la cause de la maladie du bétail, on a dû vous rappeler que le premier cas identifié sur un bovin en France remonte à 1883 à Bordeaux. Les contaminations croisées ne nous paraissent pas constituer une explication, parce que la base de notre métier est d'éviter justement les mélanges. Nous avons fait en 1997 un guide pour éviter les contaminations croisées, mais ce guide n'est pas une novation, il reprenait et mettait en ordre ce qui avait été mis en place dans les entreprises. On l'a fait valider et il a servi à faire les contrôles. Il subsiste donc encore beaucoup d'inconnues. En éliminant les abats à risque et en faisant augmenter la température, la France, en 1996, a appliqué le principe de précaution.

En Europe, l'arrêt des farines animales dans les aliments pour animaux date de 1994. La France l'a appliqué dès 1989 ou 1990. Si l'on accumule les 40 mesures qui ont été prises les unes après les autres, on réalise la véritable application du principe de précaution qui a été faite et qui est de la responsabilité des professionnels mais aussi des pouvoirs publics

M. le Président : Il n'en demeure pas moins qu'il y a eu des cas d'ESB qui sont allés croissants ces dernières années, y compris en France.

M. Yves MONTÉCOT : Je suis d'accord avec vous et nous le constatons. Il faut aussi savoir et dire que le système de recherche et de dépistage s'est nettement amélioré. Les pays voisins ont d'ailleurs décelé des cas d'ESB dès qu'ils se sont mis à les chercher à l'aide des tests.

M. le Président : Le lien entre les farines animales et la maladie de l'ESB, de l'avis de tous les experts que l'on a entendus, est établi.

M. Yves MONTÉCOT : Ils parlent généralement « d'hypothèse la plus probable. ».

M. le Président : Mais c'est une hypothèse établie. Il suffit de regarder les courbes et de voir leur évolution après l'interdiction des farines animales. Nous ne demandons qu'à être convaincus par les éléments que vous nous apportez, mais je dois vous dire que les questions de nomenclature n'expliquent qu'une partie du problème.

M. Yves MONTÉCOT : Je cite simplement les conclusions de toutes les enquêtes qui ont été faites par les services de contrôle : nous ne prétendons pas détenir l'explication. On ne connaît pas le pouvoir contaminant des farines. On connaît le pouvoir contaminant d'un extrait de cerveau frais contaminé, qui est de l'ordre de 1 g. On peut regretter qu'il n'y ait eu aucune recherche pour connaître le pouvoir contaminant des farines.

M. Claude GATIGNOL : Quelle est l'organisation des fabricants de farines de viande et où se situe la plaque tournante du commerce des farines de viande ?

M. Yves MONTÉCOT : Il y a des organisations professionnelles, des syndicats professionnels d'équarrisseurs, avec lesquels, depuis le 1er mars 1980, nos organisations syndicales détectaient et déterminaient, par des cahiers des charges d'ordre privé, la qualité des matières premières. Celle-ci doit, pour les opérateurs que nous sommes, être saine, loyale et marchande. C'est la base de tout le commerce : sain, loyal et marchand. Donc, il y a bien entendu des accords. Ces accords ont commencé en 1980 sur ce produit et se sont continués en 1996. Dans certains cas, on va même plus loin. En 1996, lorsque la France a décidé le retrait des abats à risque, les autres pays de la communauté n'ont pas pris les mêmes mesures. Nous avons décidé immédiatement de n'utiliser des farines animales d'autres pays de la communauté que si elles étaient conformes aux spécifications françaises.

M. le Président : Avez-vous des chiffres sur les volumes de vos importations de farines ?

M. Yves MONTÉCOT : Ces chiffres ont déjà été transmis à la justice sur la réquisition du juge Boizette. Toutes les entreprises françaises ont transmis, avec les documents d'accompagnement l'ensemble des données relatives aux importations. C'était une réquisition et elle a concerné l'ensemble de la profession.

M. le Président : Quels sont les éléments dont dispose votre syndicat ?

M. Yves MONTÉCOT : Nous n'avons pas d'éléments individuels ni globaux, puisqu'il s'agit de démarches d'entreprises. Vous trouverez ces chiffres au niveau des douanes, puisque ce sont elles qui enregistrent les mouvements. Ces éléments sont disponibles dans chaque entreprise, mais ils ne sont pas regroupés. On retrouve ces mouvements, ils ont été établis sous l'autorité et la responsabilité des pouvoirs de contrôle et des services des douanes. Ils sont publiés et ils font partie du rapport de la mission d'information de 1996. Ils peuvent être reconstitués.

M. le Président : Non, en 1996, le rapporteur et le Président ont souligné qu'ils n'avaient pas été en mesure d'établir une cohérence dans l'ensemble des chiffres qui leur étaient fournis. Nous avons d'ailleurs auditionné M. Mattei. Je vous redis que je m'étonne que des syndicats professionnels n'aient pas des chiffres globaux concernant leurs activités.

M. Yves MONTÉCOT : Nous avons des chiffres globaux de production et d'utilisation, mais nous n'en avons pas par catégorie. L'incohérence des chiffres, qui a fait beaucoup parler, vient aussi du fait que entre juin 1996, où le problème s'est posé, et la fin de la vérification en janvier 1997, plusieurs séries de chiffres correspondaient à la vérification.

M. le Président : Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous vous remercions.

Audition conjointe, dans le cadre d'un forum
des organisations professionnelles d'éleveurs, de :

M. Francis RANC, président de la Fédération des industries avicoles ;

M. Denis SIBILLE, secrétaire général de la Fédération nationale bovine (FNB) ;

M. Bernard MARTIN, président de la Fédération nationale ovine (FNO) ;

M. Jean-Michel SERRES, secrétaire général de la Fédération nationale porcine (FNP) ;

M. Bernard AIRIEAU, premier vice-président
de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL)

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Francis Ranc, Denis Sibille, Bernard Martin; Jean-Michel Serres et Bernard Airieau sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Francis Ranc, Denis Sibille, Bernard Martin, Jean-Michel Serres et Bernard Airieau prêtent serment.

M. le Président : Par vos activités et celle de vos adhérents, vous êtes au c_ur de la réflexion et des investigations que nous menons sur la crise de la « vache folle ».

La période actuelle est marquée par une certaine ébullition et un malaise des professionnels. Néanmoins, certaines strates du marché sont épargnées par la crise et ont su conquérir ou conserver la confiance des consommateurs.

Nous serons très intéressés de vous entendre sur tous ces sujets. Ce forum nous éclairera sur le passé, c'est-à-dire sur la manière dont vous analysez les causes de la crise, sur la situation actuelle, c'est-à-dire les mesures qui ont été prises pour faire face à la crise par les autorités politiques mais aussi par les responsables professionnels, et surtout sur les perspectives, c'est-à-dire les solutions que vous préconisez pour limiter à moyen et long termes les incidences de ces crises successives, alors que nous en voyons une nouvelle se développer autour de la fièvre aphteuse.

Je propose que nous entendions chacun de vous pour un bref exposé liminaire avant que s'engage un débat avec les parlementaires qui composent la commission d'enquête.

M. Francis RANC : Je vous présenterai rapidement la filière avicole et j'analyserai les conséquences de l'interdiction des farines animales en sachant que cette crise de la viande bovine entraîne des conséquences plutôt positives pour la filière avicole, puisque les consommateurs qui ont abandonné momentanément la viande bovine se sont en partie reportés sur les volailles. Nous constatons depuis l'apparition de la crise au mois de novembre 2000 , que la demande en matière de volaille est forte en France et en Europe, et a augmenté de 10 à 15 % par rapport à la période précédente.

Il faut savoir qu'en 1999, la filière volaille n'a pas été à l'abri d'une crise provoquée par l'affaire de la dioxine et du poulet belge, qui fut pour l'essentiel une crise médiatique dont la filière a beaucoup souffert, puisqu'elle a provoqué une chute de la consommation de près de 50 % pendant un à deux mois et qu'il a été assez difficile de retrouver un niveau de consommation normal.

Cette crise était essentiellement médiatique, puisqu'il n'y avait aucun problème en France aucun poulet français n'ayant été touché par la dioxine. C'est à partir de cette crise que le procès des farines animales a été ouvert, et une fois l'enquête faite sur l'origine de la présence de dioxine dans ces fameux poulets belges, il a été démontré que cette présence n'était pas liée aux farines animales mais, en fait, à des graisses d'origine végétale. Il semble que ce soit de l'huile de friture frelatée, ajoutée dans l'aliment, qui a provoqué la présence de dioxine. Tout cela montre bien que, dans toutes ces crises, il y a la réalité des faits et son amplification par les médias. Les farines animales ont été mises en accusation dans l'affaire du poulet à la dioxine en 1999, alors qu'elles n'en étaient pas l'origine.

Le secteur avicole représente en France une production de 2 230 millions de tonnes réparties en 1,1 millions de tonnes de poulet, 720 000 tonnes de dinde, 236 000 tonnes de canard et 56 000 tonnes de pintade. Ce secteur est très orienté vers l'exportation, puisque les exportations françaises représentent près de 900 000 tonnes, tant sur l'Union européenne que sur les pays tiers. La filière avicole est une grosse consommatrice d'aliments puisque les aliments composés consommés par cette filière s'élèvent à 10 millions de tonnes environ dont, avant l'interdiction, 500 000 tonnes de farines de viande et 250 à 300 000 tonnes de graisses.

Du point de vue des farines animales, nous sommes dans une situation différente de la celle de l'élevage bovin, dans la mesure où la volaille est, par définition, un omnivore et que l'utilisation de farines d'origine animale dans l'alimentation des volailles est une pratique très ancienne, qui ne pose aucun problème, ni technique ni éthique. Pour produire une volaille standard, des céréales sont introduites dans la ration, à raison de 65 % ; elles peuvent atteindre 75 % pour les volailles sous labels. La céréale apporte l'énergie mais il faut un apport de protéines, qui était assuré essentiellement par les tourteaux de soja, de l'ordre de 20 à 25 % et, avant l'interdiction, par des farines animales dans une proportion qui pouvait atteindre 3 à 4 %. C'était un équilibre alimentaire intéressant à la fois en termes de coûts, mais aussi en termes de performances car ces farines d'origine animale étaient tout à fait performantes pour leur teneur en phosphates et en potassium et permettaient une bonne croissance des volailles.

Dans ce domaine, nous avons respecté toute la réglementation. En l'état actuel des connaissances, aucun danger pour la santé animale ou la santé publique, n'a été évoqué à propos de l'utilisation des farines de volaille dans l'alimentation animale puisqu'a priori, il n'y a aucun danger de transmission de prion à partir de celles-ci. Or, compte tenu de sa production de plus de 2 millions de tonnes, le secteur avicole produit environ 900 000 tonnes de déchets crus qui étaient, jusqu'à présent, transformés en 300 000 tonnes de farines de volailles qui allaient tout naturellement vers l'alimentation animale.

Les décisions de suspension qui ont été prises par le Gouvernement français, puis par les autorités de Bruxelles, créent bien entendu un problème pour l'écoulement de ces 300 000 tonnes de farines de volaille qui étaient, jusqu'à présent, tout naturellement valorisées dans l'alimentation des volailles et des porcs, et qu'il faut maintenant stocker et détruire. Sur le plan communautaire, le secteur des graisses n'a pas été touché par l'interdiction, alors qu'elles sont interdites par le Gouvernement français. Nous attendons tous avec impatience l'avis de l'AFSSA sur les dangers éventuels de l'utilisation de farine de volaille et de porc dans l'alimentation. Cet avis n'est toujours pas publié. Nous attendons aussi les décisions communautaires, puisqu'avant le 30 juin 2001, la Commission de Bruxelles doit proposer un système définitif concernant ces farines.

Si j'insiste sur ce point, c'est pour bien faire comprendre que, dans notre secteur, les farines et les graisses de volaille étaient un débouché valorisé. Bien entendu, le fait de ne plus les utiliser, de devoir les stocker, puis de les détruire, entraîne un coût important pour la collectivité, qui n'est, à mes yeux, pas justifié par des raisons de santé publique. Il est certain, cependant, que l'ensemble des consommateurs et de nos clients souhaitent obtenir du « 100 % végétal » et nous nous sommes adaptés à cette demande. Nous avons donc, dans toutes nos formules, été amenés à remplacer les farines de viande par du tourteau de soja. Or, pour remplacer les 3 ou 5 % de farines et graisses animales qui entraient dans la composition des aliments, la meilleure protéine est le tourteau de soja. Cela se traduit notamment par une augmentation des coûts, car le passage au « tout végétal » accroît les coûts de l'alimentation de 7 à 8 %, voire 10 % pour certaines espèces comme la dinde. Nous rencontrons aussi des problèmes techniques que nous n'avons pas tout à fait résolus, notamment une certaine diminution des performances chez la dinde liée à l'abandon des graisses d'origine animale. Nous parviendrons sûrement à trouver les bonnes formules, mais nous avons l'impression que le « tout végétal » entraîne une moins bonne qualité des viandes, surtout sur le plan organoleptique. On peut penser qu'il peut créer une moins bonne tenue des carcasses, un moins bon rendement et une présentation au consommateur différente. C'est un problème presque résolu pour le poulet mais pas pour la dinde. Nous avons encore des progrès à faire en la matière.

En fait, le secteur avicole sous label n'utilisait déjà plus les farines animales et la richesse de notre secteur vient de la diversité des produits offerts au consommateur. Le poulet sous label ne représente que 15 % de la production française, les 85 % restants étant des poulets classiques. Pour la dinde, le label est très faible, 1 ou 2 %. Ce secteur se développe et répond bien à la demande du consommateur français, mais il est loin de couvrir tous les besoins de la demande.

L'interdiction des farines et des graisses animales nous pose donc des problèmes de coûts que nous arrivons à répercuter, parce que le consommateur est prêt à les accepter, mais pose aussi un problème de diminution des performances ; la viande de dinde alimentée au « tout végétal » que nous proposerons au consommateur sera sans doute de moins bonne qualité par rapport aux formules plus équilibrées comprenant des protéines d'origine animale. Enfin, cela engendre une plus grande dépendance vis-à-vis de la filière soja, et donc une plus grande dépendance vis-à-vis des Américains et des Brésiliens dans la mesure où les 500 000 tonnes de farines animales seront remplacées par 500 000 tonnes de tourteaux de soja.

Je pense d'ailleurs que les protéines d'origine européenne, comme les pois et autres protéagineux, sont beaucoup plus difficiles à utiliser dans les filières de la volaille. C'est certainement plus facile dans le secteur porcin, mes collègues pourront sans doute vous le dire. Techniquement, pour avoir une bonne performance des volailles, nous pensons qu'il faut utiliser le tourteau de soja plutôt que des tourteaux de colza, de pois ou de luzerne. Nous sommes véritablement dépendants des Américains et des Brésiliens avec, mais c'est un autre problème, la présence ou non d'organismes génétiquement modifiés dans le soja. A l'heure actuelle, il est très difficile d'obtenir une bonne traçabilité à partir des Etats-Unis. A partir du Brésil, nous avons actuellement des productions garanties non-OGM. Mais un grand débat s'engage à ce sujet au Brésil puisque le gouvernement fédéral est favorable à l'autorisation du soja génétiquement modifié. Un certain nombre d'Etats s'y opposent au sein du Brésil mais le débat est d'actualité et les tenants des OGM semblent être en train de marquer des points, en particulier auprès des agriculteurs brésiliens auxquels on tente à démontrer que s'ils n'entrent pas dans le système des OGM, ils risquent perdre énormément de compétitivité par rapport aux Américains. Et je sens bien que le gouvernement fédéral brésilien n'est pas loin d'autoriser les OGM.

M. Denis SIBILLE : En préambule, je précise que je suis éleveur et responsable professionnel, et que je n'ai pas encore rencontré d'éleveur qui ait déjà vu ce à quoi ressemblaient les farines animales. Peut-être en existe-t-il mais je n'en connais pas. Face au dénigrement médiatique du métier d'éleveur, je crois qu'il est bon de rappeler qu'aucun éleveur de bovins n'a acheté des camions de farines animales par vingtaines tonnes comme, malheureusement, une bonne partie de la population française a pu le comprendre. Cette situation est dramatique pour les éleveurs en termes de métier et de reconnaissance de celui-ci.

Je commencerai par tracer un bref historique. En 1989, nous avons été informés de l'apparition d'une nouvelle maladie en Grande-Bretagne, dont l'origine semblait être les farines de viande et d'os. En concertation avec la FNSEA, nous avons demandé à la direction générale de l'alimentation d'interdire l'introduction des farines de viande britanniques. Nous avons dit aussi à l'administration qu'un simple avis aux importateurs ne présentait pas une sécurité juridique suffisante. L'interdiction d'emploi de farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins date de 1990. On semble l'oublier mais cela fait maintenant plus de dix ans que ces farines sont interdites dans l'alimentation des bovins. Cela nous semblait être la bonne mesure de maîtrise de l'ESB. La production bovine n'a d'ailleurs pas souffert économiquement de l'interdiction de ces farines de viandes et d'os.

Avec l'apparition des premiers cas « NAIF » (nés après l'interdiction des farines), nous avons découvert la problématique des contaminations croisées. Dès que le SNIA et le SYNCOPAC, fabricants d'aliments du bétail, ont édité leur guide de maîtrise des contaminations croisées, nous en avons assuré la diffusion en rendant son application obligatoire pour toute entreprise d'aliments du bétail approvisionnant des éleveurs engagés dans des démarches de qualité. Ce dispositif a été étendu en 1999 aux éleveurs engagés dans la charte des bonnes pratiques d'élevage. Néanmoins, l'étiquetage exhaustif des ingrédients composant les aliments du bétail n'est toujours pas imposé. C'est pourtant une demande forte des producteurs. J'avais eu l'occasion de le dire il y a dix-huit mois devant la commission d'enquête parlementaire sur la sécurité sanitaire des aliments. A ce jour, nous n'avons toujours pas de réponse sur cet étiquetage exhaustif.

En 1996, le retrait des cadavres, des saisies d'abattoirs et des MRS de la fabrication de farines de viande et d'os a été une mesure fondamentale dont les effets favorables ne manqueront pas de se manifester dès 2001. Nous n'avons aucune information particulière sur le commerce international des farines de viande et d'os, si ce n'est celle contenue dans les différents rapports établis depuis 1996 et repris par la presse. Il nous semble que les Etats et l'Union européenne n'ont pas les moyens de vérifier la bonne application de la réglementation. Que s'est-il réellement passé pour les retraits de cadavres et les saisies entre 1996 et 2000, quand la réglementation différait d'un Etat à l'autre ? Nous pensons que les arrêtés miroirs français n'ont pas été observés. Est-on assuré, par exemple, que les Allemands n'ont pas expédié sur le territoire français des farines de viande et d'os élaborées à partir de cadavres et de viandes saisies ? comment la société SARIA, par exemple, a-t-elle géré ses flux de matières entre ses usines situées en France et celles situées en Allemagne ?

Quant aux aspects judiciaires, la FNB a porté plainte avec constitution de partie civile dans toutes les affaires de farines dont elle a eu connaissance. La dernière en date concerne un fabricant italien. De nombreux éleveurs, victimes de l'ESB, souhaiteraient identifier l'origine de la contamination de leur troupeau. Pourquoi ne sont-ils pas destinataires des résultats de l'enquête réalisée par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires ?

Les dépôts de plaintes semblent peu efficaces, les délais de prescription étant souvent atteints dans le cas de l'ESB, compte tenu des délais d'incubation de la maladie. Par ailleurs, il est très difficile d'apporter la preuve de la contamination. La filière viande bovine souffre ; nous sommes en crise depuis maintenant cinq mois.

Je conclurai d'un mot en disant que le dénigrement à l'égard du métier d'éleveur de bovins, depuis de longs mois, est insupportable. Il est difficile aux éleveurs d'y faire face. Je crois que nous avons atteint le fond. Il nous faut absolument relever la tête. Il en va de la vie et de l'avenir des éleveurs, qui manquent aujourd'hui totalement de perspectives ; il en va de l'avenir de nos paysages, de nos contrées, de nos campagnes ; il en va aussi de la sécurité et de l'indépendance alimentaire de notre pays. La production de viande bovine est une production pour laquelle la France est autonome. Grosso modo, nous consommons 1,4 million de tonnes de viande bovine et nous produisons 1,4 million de tonnes.

Dans le débat permanent entre élevage intensif et extensif, il me semble toujours intéressant de rappeler que nous sommes à la limite. Cela vaut pour la France mais aussi bien pour l'Europe, puisque celle-ci fournit 110 % de ses besoins. Si des producteurs quittaient l'activité, soit parce que le moral n'y est plus, soit parce que les revenus sont trop faibles pour continuer, nous serions assez rapidement en situation de dépendance alimentaire pour la viande bovine. Tant en Europe qu'en France, ce serait une évolution incroyable par rapport à notre passé agricole.

Depuis cinq mois, nous suivons toujours la même stratégie : en premier lieu, comprendre ce qui s'est passé et mettre en évidence les responsabilités, parce que les éleveurs sont des victimes ; en deuxième lieu, dégager des marchés, ce qui nous préoccupe fortement car nous ne pouvons pas connaître une situation de sous-consommation de l'ordre de 30 % en Europe et conserver des niveaux de production identiques, sans pouvoir les écouler.

Nous produisons du vivant, ce qui rend la tâche extrêmement difficile. Il faut que chaque pays de la Communauté fasse preuve de responsabilité et assume la maîtrise de sa production. La France le fait ; l'Irlande le fait aussi mais d'autres pays, comme l'Allemagne, n'assument absolument pas leurs responsabilités. L'alternative est simple : soit nous faisons du retrait-destruction pendant quelques mois, soit de l'intervention, c'est ce qui se passe en ce moment. La France a eu 13 000 tonnes à l'intervention la semaine dernière. Nous sommes partis pour stocker dans les frigos de grosses quantités de jeunes bovins qui ne trouvent plus preneur.

Nous sommes également préoccupés par le problème des compensations. Nous sommes déçus de ce qui s'est passé hier à Bruxelles dans la mesure où nous aurions aimé que la solidarité communautaire s'exprime. Nous ne pouvons pas gérer une crise agricole d'une telle ampleur, sans doute l'une des plus importantes depuis de la fin de la guerre, sans une solidarité communautaire. Malheureusement, nous sommes soumis au cadre budgétaire des Accords de Berlin. C'est, je crois, ce qui a joué hier. Comme au Sommet de Nice, les chefs d'Etat ont redit qu'ils ne souhaitaient pas accroître la programmation financière pour les années 2000-2006 définie à Berlin. Nous sommes loin d'avoir une unanimité des chefs d'Etats sur ce sujet, mais il faudra que les pouvoirs publics français prennent la mesure de la situation et apportent les compensations que nous estimons légitimes pour le revenu des producteurs, parce que nous ne pouvons pas produire pendant cinq mois en-dessous des prix de revient.

Point fondamental, il nous faut retrouver la confiance des consommateurs. Nous nous y employons tous les jours. Nous avons annoncé il y a une quinzaine de jours, lors d'une conférence de presse, les nouveaux steaks hachés « pur muscle », qui seront présents dans une quinzaine de jours chez tous les distributeurs, marqués d'un nouveau logo qui permettra de rassurer ce segment de marché qui connaît une situation catastrophique, puisque la consommation a enregistré une baisse de 50 %. Nous souhaitons également que le code des usages que nous avons mis au point avec les maires de France et les entités territoriales fasse son entrée dans les appels d'offre, notamment de la restauration scolaire mais aussi de toute la restauration hors domicile. Les contrôles que les producteurs font à ce jour dans la campagne montrent que nous trouvons là quasiment exclusivement de la viande allemande. Il est regrettable de constater que la seule règle est celle du moins disant.

Enfin, nous nous sommes engagés dans la définition d'une nouvelle éthique de l'élevage, axée autour de chartes de bonnes pratiques, qui doit, au-delà du cadre réglementaire qui entoure notre métier et nos pratiques, améliorer le bien-être des animaux et également le respect de l'environnement. Cet ensemble d'éléments doit permettre de redéfinir un métier en liaison avec les attentes sociétales qui se sont exprimées fortement lors de cette crise.

Pour terminer, j'évoquerai un motif de satisfaction : les schémas qualité que nous avions mis en place depuis 1996, parfois même un peu plus tôt, traversent assez bien la crise et permettent que le chaos ne soit pas total.

M. le Président : Il nous appartient de tirer toutes les leçons de dysfonctionnements éventuels. Je pense notamment à la difficile question des contrôles : lorsque l'on prend des mesures sanitaires dans un pays, comment s'assurer que ces mesures sont bien appliquées dans les autres et ne produisent pas, sur un marché unique, un appel d'air à l'importation de produits venant de pays qui n'ont pas pris les mêmes mesures de précaution. C'est une question essentielle.

M. Bernard MARTIN : La production ovine en France n'offre que 40 % d'autosuffisance. La production européenne ovine représentant aussi 83 % d'autosuffisance, cela induit une certaine dépendance à l'égard des pays tiers.

Pour assurer cet auto-approvisionnement de 40 %, la production ovine en France occupe un peu plus de cinquante mille éleveurs de plus de dix brebis.

Il faut rappeler que la production ovine est généralement une production traditionnelle non productiviste, souvent établie sur des territoires difficiles dans lesquels la vocation de la terre ne permet pas de faire autre chose. Les éleveurs qui, déçus du bas revenu de l'élevage ovin, ont transformé leurs terres pour y cultiver des céréales, sont aujourd'hui dans une situation catastrophique parce que, même s'ils bénéficient de primes, les résultats techniques ne sont pas au rendez-vous. Je souligne ce point parce que la technique de l'élevage ovin fait appel aux produits de l'exploitation, essentiellement des fourrages, des grains et, éventuellement, quelques apports extérieurs sous forme d'aliments complets mais qui sont, pour des raisons physiologiques, essentiellement à base végétale. Je ne veux pas dire qu'avant 1996, il ne se passait rien ; il a pu arriver sûrement qu'avant 1994, les protéines animales aient été utilisées dans l'alimentation des ovins mais, dans l'ensemble, l'élevage n'appelle pas et ne nécessite pas l'emploi de ce genre de produits. Je ne peux manquer de souligner que, depuis une dizaine de jours, à l'occasion de l'actualité qui touche l'ESB, on parle d'une vieille maladie du mouton : la tremblante. Cette dernière est connue depuis 1732. C'est la première maladie du système nerveux connue et analysée. Cela a d'ailleurs permis de comprendre rapidement le problème de l'ESB, ce fameux prion qui touche les bovins. Donc, premier constat, cette vieille tremblante est connue depuis longtemps.

Deuxième constat, personne n'a pu démontrer la transmission à l'état naturel de l'ESB au mouton. Il a cependant été démontré en laboratoire au moyen d'inoculation qu'il y avait possibilité de transmission. S'il n'y a donc pas de transmission à l'état naturel, on ne peut, par contre, pas exclure qu'avant 1994 des protéines animales aient pu compléter l'alimentation des ovins.

Troisième constat, on sait aujourd'hui distinguer l'agent de l'ESB des différentes souches de la tremblante. Quatrième constat, depuis 1996, les mesures de précaution qui n'étaient pas obligatoires ont été fortement renforcées en France et étendues aux ovins pour prévenir un risque éventuel de transmission à l'homme. A cette fin, la tremblante est devenue une maladie à déclaration obligatoire. Elle implique le retrait de certains tissus pour les animaux de plus de douze mois. Ces tissus sont gérés de la même façon que les matériaux à risque spécifié de la filière bovine.

Cinquième constat, depuis 1996, au travers du réseau dit d'épidémiosurveillance, on a pu enregistrer 244 foyers de tremblante ovine pour 330 cas suspectés. Puisque la tremblante est soumise à déclaration obligatoire, les éleveurs font leur déclaration, puis, le vétérinaire suit l'animal. Sur 330 cas de tremblante déclarés par l'éleveur, seuls 244 étaient avérés. Jamais la souche ESB n'a été mise en évidence, pas même au Royaume-Uni - c'est un élément complémentaire par rapport à l'actualité.

Mon dernier constat portera sur les avis de l'AFSSA. Nous sommes respectueux des avis des scientifiques et je n'ai pas d'états d'âme à ce sujet. En revanche, nous sommes très préoccupés, et avons même été fortement choqués, lors des dernières recommandations de l'AFSSA en date du 14 février, par la gestion de la communication de ces avis. Il est, à mes yeux, inadmissible que le public soit informé avant que le gouvernement puisse analyser cet avis et prendre ses décisions.

Ce qui fait que l'on assiste à une espèce de surenchère, avec des commentaires de tel ou tel scientifique, largement répercutés, qui contribuent à alimenter les médias, mettant les éleveurs sur leurs gardes et ancrant les consommateurs dans la crainte. Il faudrait empêcher cette logique de la surenchère.

M. Jean-Michel SERRES : La filière porcine française représente environ quinze mille producteurs et assure une couverture des besoins très légèrement supérieure à 100 %, sachant que ce taux tend à diminuer. Les prix à la production sont depuis quelques mois favorables pour les producteurs. C'est une tendance générale dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Ces niveaux de prix favorables s'expliquent, d'une part, par une baisse de production qui fait suite à la crise exceptionnellement grave que nous avons connue en 1998 et 1999 et, d'autre part, par un report de consommation lié à la crise dans le secteur de la viande bovine ; ce report de consommation est généralisé dans la plupart des pays de l'Union européenne - France, Allemagne, Italie et Espagne. Ces reports sont très difficiles à évaluer mais l'on peut estimer qu'ils étaient de 20 % fin 2000 pour la viande fraîche.

S'agissant de l'ESB, je rappellerai que, malgré l'ingestion expérimentale de matières infectieuses par des porcs, les scientifiques n'ont jamais pu faire la preuve de la transmission du prion par la voie alimentaire au porc. Celui-ci ne s'est révélé sensible au prion que dans un seul essai de laboratoire, uniquement par voie intracérébrale, considérée comme la plus sensible. En effet, une dose inoculée par voie intracérébrale doit être multipliée par 40 000 à 100 000 pour agir par une autre voie chez les espèces qui expriment la maladie. De plus, quand le bovin est contaminé par la voie orale avec un gramme de cervelle porteuse de prion et le mouton avec 0,5 gramme, le porc est insensible à la contamination, même en ayant ingéré 4 000 grammes de cervelle (situation extrême).

De façon plus générale, il est important de rappeler que les mesures prises sur l'alimentation des animaux lors de la première crise bovine en 1996 ont permis à la production française d'être « au top » en termes de sécurité sanitaire en Europe. La mise en place de deux circuits pour les farines à risque et les farines provenant de déchets issus de la chaîne alimentaire nous a permis de sécuriser au maximum notre filière. A cela, s'ajoute la traçabilité sur la production porcine, sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.

La suspension de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation induit une hausse du coût de celle-ci, la fourchette s'établissant entre 0,2 et 1,8 %.

Il faut rappeler que les farines de viande étaient exclues de nombreuses fabrications, notamment pour les aliments d'engraissement. Cela correspond à une demande des consommateurs. Une estimation a fait ressortir qu'avant le 14 novembre 2000, près de 70 % de l'alimentation destinée au porc charcutier ne contenait déjà plus de farines de viande. Les farines de poisson, quant à elles, étaient utilisées pour les porcelets et les animaux reproducteurs. La décision du 13 février autorisant à nouveau de les utiliser à condition qu'elles soient fabriquées dans des usines qui ne traitent que des aliments porc et volaille, nous paraît être une mesure positive, car la farine de poisson est un élément important pour l'équilibre des formules et la qualité des viandes.

Les graisses sont importantes pour la qualité des gras et, donc, la qualité du produit porc viande fraîche transformée livrée aux consommateurs. Certains aspects techniques de la présentation de l'aliment font que l'interdiction d'utiliser des graisses pose des problèmes aux fabricants des aliments pour bétail et, évidemment, aux éleveurs. La substitution de ces graisses est difficile, voire impossible, et coûteuse. Nous considérons que, toujours dans les circuits d'usines spécialisées, le rétablissement de l'utilisation des graisses serait une bonne chose pour la filière porcine.

En tout état de cause, j'insiste sur la nécessité de parvenir à une harmonisation sur le plan européen. C'est un élément extrêmement important. Dans un marché unique, on ne peut pas imaginer que soient interdites en France des matières qui seraient autorisées ailleurs. Je rappelle que le porc est un animal omnivore et qu'une fois retirés tous les matériaux à risque, comme cela se fait parfaitement en France, il n'y a aucune raison de rendre cet animal à cent pour cent végétarien. Si une demande du consommateur s'exprime - et c'est le cas - nous y répondrons mais cela doit résulter d'un accord à l'intérieur des filières entre le fabricant d'aliments du bétail, le producteur, le transformateur et la grande distribution ou le détaillant.

La traçabilité est la condition première de la sécurité de la filière, la traçabilité est un aspect extrêmement important. Par exemple, nous avons lancé officiellement avec le ministre de l'Agriculture le logo VPF, la Viande Porcine Française. Cette « appellation » obéit à un cahier des charges extrêmement précis, qui va du logement et de l'alimentation des animaux, en passant par les conditions d'élevage, de transport, d'identification des animaux nés, élevés et abattus en France, jusqu'à l'étal, pour la viande fraîche mais aussi pour les produits transformés, ce qui n'est pas anecdotique puisque, pour cent kilos de viande de porc produit, environ soixante-quinze kilos sont transformés. Il est donc important que le consommateur soit informé, y compris sur les produits transformés.

Je rappelle que 95 % de la production française passe par des groupements de producteurs et que par conséquent, l'organisation de la traçabilité et du contrôle à tous les niveaux en est d'autant plus facilité. Je souligne également l'engagement de tous les partenaires des producteurs et de leurs groupements, des fabricants d'aliments mais également de tous les distributeurs. Je pense aussi que ce qui nous réunit aujourd'hui doit poser la question des contrôles sur les produits importés de pays tiers. Les producteurs ne pourront pas accepter des contraintes croissantes sans avoir l'assurance que les produits importés, que ce soit en viande fraîche ou en produits transformés, sont soumis aux mêmes règles. A défaut, nous ne pourrons plus continuer notre activité.

Du fait de la destruction des déchets qui viennent de la chaîne alimentaire, ce qui était coproduits hier devient aujourd'hui déchets. Il en résulte un coût important pour le contribuable. C'est un constat indéniable.

L'importance des tourteaux de soja est moindre dans les formules d'aliments pour porc par rapport à certaines formules d'aliments pour volaille. Ceux-ci nous posent un réel problème car nous sommes confrontés à une forte demande des consommateurs pour que nous utilisions des sojas non modifiés génétiquement. Il va falloir nous dire comment faire car nous n'avons pas de réponse en la matière. Aux Etats-Unis, il n'y a pas ou peu de traçabilité ; au Brésil, le dilemme est cruel ; les productions de soja dans notre pays sont limitées et ne permettront pas de faire face à la demande française. En clair, pour évoquer la politique agricole commune, quarante ans après 1962, nous n'avons pas encore corrigé les choix engagés à l'époque d'abandonner à d'autres la production de protéines végétales. Qu'allons-nous faire ?

Il faudra bien nous donner les moyens de répondre aux attentes du consommateur. Les décisions prises dans le cadre de l'Agenda 2000, au mois de mars 1999 à Berlin, nous découragent de produire des pois protéagineux alors que ceux-ci pourraient pallier le manque de soja non-OGM pour la production porcine dans certaines limites techniques. La réforme de l'Agenda 2000 fait que les producteurs de céréales n'ont pas intérêt à cette production de pois ; c'est moins intéressant. C'est une anomalie de taille ! De plus, il y a un volet recherche. Comme cette production était peu importante, la recherche n'a pas été suffisante dans ce domaine. Donc, les niveaux de rendement n'ont pas progressé. Nous ne nous y retrouvons pas. Il y a des corrections extrêmement importantes à faire sur cette production.

Le dernier point de mon intervention portera sur les conséquences de la crise de l'ESB sur les formes de production agricole et la sécurité alimentaire. J'établirai un lien avec la fièvre aphteuse au Royaume-Uni. A mon avis, le modèle de production porcine en France est un très bon modèle car c'est un élevage familial, de taille raisonnable, un système naisseur-engraisseur qui limite les mouvements d'animaux d'une exploitation et d'une région à l'autre. Cela nous a permis d'échapper dans le passé à des épidémies extrêmement importantes de peste porcine, comme cela a pu arriver en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique ou en Allemagne. L'élevage, par ailleurs décrié en France, présente des garanties de sécurité sur le plan de la traçabilité.

Aujourd'hui, au Royaume-Uni, tous les animaux sont dehors, y compris les porcs, et la contamination par la fièvre aphteuse s'est faite d'autant plus rapidement que, dans les mêmes prés, on retrouve les bovins, les ovins et les porcs. Le système français est plus sécurisé et il convient de poursuivre dans cette voie.

M. Bernard AIRIEAU : Je partage tout à fait les propos tenus par M. Denis Sibille. Ils n'exprimeront jamais assez le désarroi dans lequel se trouvent aujourd'hui les producteurs de bovins, qu'ils exploitent des races allaitantes destinées à la viande, des races mixtes ou des races laitières.

En tant qu'éleveurs laitiers, nous appartenons à un secteur qui, dans la crise actuelle, a beaucoup trop occupé le devant de la scène. Ce type d'élevage a pu être cloué au pilori en raison, notamment, de pratiques jugées inavouables par l'opinion publique, ou du moins présentées comme telles par certains, ce qui illustre bien le décalage qui existe aujourd'hui entre la réalité de l'élevage - en particulier, de l'élevage laitier - et la perception qu'en ont nos concitoyens consommateurs.

Je concentrerai mon propos sur des aspects liés plus directement à l'activité des producteurs laitiers. Je soulignerai, en premier lieu, l'effort très important de la production laitière dans la recherche d'un produit de qualité, qu'il soit destiné directement au consommateur ou livré transformé par l'industrie laitière. Cette qualité nous a toujours amenés à répondre aux besoins du marché en délivrant un produit qui réponde à des normes hygiéniques mais qui aille aussi au-delà des normes réglementaires en termes de composition, parce que le consommateur mange également des produits laitiers et que de la transformation du lait en produits laitiers dépend la consommation humaine de ces produits.

Pour ce faire, chaque éleveur a pour objectif de couvrir les besoins de l'animal, la vache laitière, en rapport à son cycle de production. Nous sommes confrontés à une consommation de lait et de produits laitiers régulière qui connaît peu de variations dans le courant de l'année ; en revanche, une production quasi naturelle et traditionnelle de lait implique une très grande « saisonnalité » de la production, avec ses conséquences. En effet, si dans les années 60 et 70, se manifestaient de forts besoins de régulation du marché entraînant des dispositifs appropriés mis en place par l'Union européenne sous forme de mises à l'intervention de beurre et de poudre de lait, un effort énorme a été fait par la suite pour adapter la production à cette consommation régulière. Cela a conduit les producteurs de lait à « désaisonnaliser » leur production et à fournir régulièrement un lait en quantité et en composition qui réponde aux objectifs du marché.

Nous rejoignons les problèmes actuels et le décalage qui existe entre cette réalité du métier d'éleveur laitier et la perception qu'en a maintenant le consommateur, qui dispose de produits de qualité toute l'année. La valeur des fourrages variant de manière importante, tant en volume qu'en qualité pour répondre à cette production régulière, à cette « désaisonnalisation » de la production, il nous faut apporter à certaines époques de l'année des compléments pour offrir à la vache laitière une ration alimentaire qui couvre ses besoins.

Prenons un exemple : il existe deux façons de produire, une façon française, européenne, car elle vaut pour la quasi-majorité des pays européens, fondée sur le principe d'une alimentation à base de fourrages grossiers et de quelques compléments pour compenser la désaisonnalisation ; et une autre qui répond à un cycle tout à fait naturel, celle de la production de l'Irlande ou de la Nouvelle-Zélande. Dans le premier cas, entre le mois le plus faible de production de lait, celui de novembre, qui pourrait être de 100, nous avons un pic à 160 au mois de mai ; en Irlande, quand nous avons 100 en décembre, le pic est de 600 en mai ; et en Nouvelle-Zélande, ils arrêtent de traire pour les besoins du marché mondial pendant deux mois. Ce ne sont pas du tout les mêmes marchés. Nous sommes sur un marché européen qui est tel qu'il nous permet d'offrir, en quantité et qualité, des produits répondant au marché.

Je vous dirais maintenant combien nous sommes scandalisés d'avoir été trompés dans cette fourniture d'aliments concentrés, destinés à corriger nos rations. Ils les corrigent en proportion mineure puisqu'ils représentent au plus le quart de la ration alimentaire de la vache laitière. Je dis haut et fort que si fraudes il y a eu au cours de ces dix dernières années, elles doivent être rigoureusement sanctionnées parce que c'est nous qui en supportons aujourd'hui les conséquences. Sur les dernières plaintes déposées par nos organisations en 1996, nous n'avons été entendus qu'au mois de décembre par le juge qui instruit ces dossiers. C'est difficilement supportable.

Notre production est très sensible aux aléas climatiques mais aussi aux aléas de conjoncture et je veux souligner ici le lien de dépendance que nous avons avec nos fournisseurs de matières premières et nos fournisseurs d'aliments concentrés. A cet égard, je tiens à insister devant cette commission sur le problème que constitue l'étiquetage des aliments. Nous avons, à mon avis, énormément perdu avec la mise en place de la directive de l'Union européenne, qui date des années 1979-1980. Auparavant, nous avions une liste de la composition des matières premières entrant dans la fabrication d'un aliment. Aujourd'hui, nous n'avons que l'indication d'une catégorie, sans que nous puissions savoir exactement ce qu'il y a dedans. Il en est de même pour les suppléments nutritionnels qui n'obéissent à aucune réglementation européenne. Seuls les additifs apparaissent sous forme de liste positive, mais il n'y en pratiquement aucun dans les aliments pour vache laitière.

Se pose, bien évidemment, le problème du contrôle. Pour vous apporter un témoignage de la région des Pays de la Loire, témoignage qui nous vient de l'interprofession bovine qui s'était engagée dans des démarches de certification et de label pour la région, des analyses d'aliments ont pu mettre en évidence, à certains moments - et encore après 1996 - des traces de farines carnées dans les aliments destinés aux bovins. Je dis bien « des traces » car nous ne sommes pas en mesure de dire quel était le pourcentage de celles-ci.

Pour souligner encore le problème de l'étiquetage, nous avons fait dans notre région des recherches sur la composition exacte des aliments. Nous avons remarqué à cette occasion qu'une partie des aliments ne correspondait pas à ce qui était indiqué sur l'étiquette. Nous sommes en conflit avec nos fournisseurs à ce sujet, sans parler de toutes les allégations techniques concernant l'efficacité de ces aliments. Cela milite en faveur de mesures destinées à compenser le manque de protéines de qualité. Je tiens donc à souligner l'importance de la mise en place d'un plan « protéines » permettant de satisfaire aux objectifs de l'alimentation d'une vache laitière. Cela passe, à court terme, par la qualité de l'herbe, puisque c'est malheureusement la seule ressource disponible pour les éleveurs en 2001. De plus, nous devrons le faire en adéquation avec le respect de l'environnement, ce qui est une véritable gageure car pour avoir une herbe de qualité, il faut aussi des apports azotés ; il nous faut donc maîtriser de plus en plus l'utilisation des effluents d'élevage.

A moyen terme, un plan de qualité passera par de nouvelles cultures fourragères ou des cultures de protéagineux. Mais reconnaissons qu'en ce domaine, nous sommes cette année confrontés au problème de l'approvisionnement en semences de qualité, car nous craignons des semences qui risquent d'entraîner plus de problèmes que de résultats. Je tiens également à souligner l'efficacité du réseau de surveillance sanitaire des bovins en France qui permet, dans un cadre difficile, de mieux détecter les animaux qui seraient atteints d'ESB, à telle enseigne qu'aujourd'hui, si j'en crois les chiffres de l'AFSSA, de plus en plus de suspicions sont déclarées mais, en proportion, de moins en moins de cas se révèlent positifs. C'est un aspect important pour l'avenir.

Si le Gouvernement prenait la décision de supprimer l'abattage total du troupeau lorsqu'il y a un cas d'ESB, ce que la plupart des éleveurs souhaitent, et optait pour un abattage sélectif, il faudrait que l'Etat prenne aussi ses responsabilités jusqu'au bout, y compris dans ses organismes de contrôle, pour obtenir la délivrance de certificats de provenance compatibles avec les conditions à satisfaire pour l'exportation vers les pays tiers. La plupart de ceux-ci, vous le savez, imposent aujourd'hui à la filière laitière d'indiquer que le lait provient d'exploitations indemnes d'ESB.

Si la politique d'abattage était modifiée en France, il faudrait s'assurer que l'Etat soit, au travers des instructions qu'il donnera aux services vétérinaires, en mesure de délivrer les attestations confirmant que nous pouvons toujours exporter du lait. Sinon, c'est une charge qui deviendrait très vite intolérable pour la transformation laitière.

Dernier point, j'ai vu que vous vous interrogiez, à juste titre, sur les systèmes et les modes de production de l'élevage français. Je souhaiterais, à cet égard, attirer votre attention sur quelques données incontournables. Quand on parle d'intensification et de désintensification, il faut partir de la réalité actuelle de l'élevage et en mesurer les conséquences sous tous ses aspects : lait, viande et occupation du territoire. Nous venons de faire des études prospectives à l'horizon 2020. Les résultats font ressortir le fait que, dans tous les cas de figure, c'est l'importance de la consommation, tant en lait qu'en viande bovine, qui revêt une correction pour l'avenir.

Lorsque l'on parle d'une variable « désintensification complète » de l'élevage bovin-lait et bovin-viande, cela n'est pas sans conséquence préoccupante : pour une consommation en lait qui reste toujours en légère progression, s'il faut demain beaucoup plus de vaches pour produire ce même lait, cela signifie que, concomitamment, plus de viande sera offerte ; cela laisse moins de place à la production du troupeau allaitant. Je pense que chacun voudra éviter cette situation, parce que c'est une production qui a l'avantage de mieux occuper le territoire.

Autre conséquence en termes d'occupation du territoire : plus nous désintensifierons - et, si c'est la nouvelle politique, je pense que les éleveurs sauront s'adapter aux indications qui leur seront données - plus il faudra de surface. Or dans bon nombre de régions d'élevage aujourd'hui, la surface est un facteur limitant. On sait, par exemple, que pour produire la même quantité de lait en agriculture biologique, il faut 30 % de surface supplémentaire par rapport à un élevage dit conventionnel. Dans certains secteurs géographiques, cela sera particulièrement difficile à réaliser, sauf à faire partir des producteurs vers d'autres régions. Mais chacun sait aujourd'hui que les zones d'élevage sont spécialisées parce que c'est avant tout la nature du sol qui détermine son affectation à l'élevage.

En conclusion, au-delà des idéaux syndicaux et politiques, il faut rester réaliste et prudent. Les producteurs souhaitent que le système soit appréhendé dans sa globalité et dans sa diversité, car c'est de cette diversité que viennent aujourd'hui des produits de qualité hygiénique et organoleptique, tant en volume qu'en régularité d'apport, qui permettent une occupation du territoire, qui peut certes être encore harmonisée ou améliorée, mais dont on sait qu'une rupture et un déséquilibre trop brutaux provoqueraient des dégâts sur les territoires et sur les hommes qui y vivent.

M. le Rapporteur : Je vous remercie pour ces exposés à la fois précis et concis. Dans tout ce que vous avez dit, un point me frappe particulièrement. Cette commission d'enquête a examiné ce qui s'était passé depuis quelques années. Certains d'entre vous ou leurs prédécesseurs étaient déjà intervenus en 1996 devant la mission d'information de notre assemblée. En vous entendant, j'ai noté bien des similitudes entre les propos d'hier et ceux d'aujourd'hui, en dépit du temps qui s'est écoulé.

On a « rechuté », si j'ose dire. Que s'est-il passé pendant ces quatre années pour que l'on rechute ainsi ? N'aurions-nous pas pris les bonnes mesures ? N'aurions-nous pas tiré les leçons de 1996 ?

Si nous revenons en arrière, vous nous avez tous dit, me semble-t-il, qu'en 1989, vous étiez informés. Les données venant de Grande-Bretagne étaient connues. Qu'a-t-il manqué, à ce moment-là, pour que l'on puisse éviter ce qui s'est passé ? Vous évoquez tous les farines en disant que ce n'est pas réellement le problème puisque vous n'en avez pas utilisé. Je voudrais alors que l'on revienne sur les contaminations croisées qui ont été évoquées par certains d'entre vous. Autrement dit, quel système de relations entretenez-vous entre producteurs ?

Certains ont dit devant cette commission d'enquête que, lorsque les aliments pour le bétail manquaient, si la livraison d'aliments ne devait intervenir que quarante-huit heures après, on n'hésitait pas à se servir dans le stock de farines que l'on avait pour les cochons pour nourrir d'autres animaux. Croyez-vous qu'un problème de contamination croisée ait pu se produire ?

J'aimerais également connaître votre avis sur le transport des aliments. Pensez-vous que des mélanges aient pu exister ?

Vous avez raison d'évoquer la question de l'étiquetage parce qu'il faut savoir ce qui s'est passé. Certains interlocuteurs nous ont montré des étiquettes sur lesquelles ne figuraient pas la mention « protéines animales », mais nous avons aussi reçu des fabricants d'aliments qui affirmaient qu'il suffisant de prendre le temps de lire les étiquettes. L'un de vous disait que vous aviez émis des propositions concernant l'étiquetage, propositions qui n'avaient pas été suivies. Quelles sont ces suggestions ?

Pour être d'un pays d'éleveurs, je sais le problème qui se pose actuellement à ceux qui produisent du broutard et du taurillon, avec une forte production pour l'exportation. N'est-il pas temps de mener une réflexion sur les mesures à engager pour garantir l'avenir ? Je n'aime pas trop citer d'exemples car ce n'est mettre en valeur qu'un aspect des choses mais, j'ai rencontré hier un producteur « bio » qui me disait que la crise ne le touchait pas. Il ne tenait pas trop à le dire par solidarité pour ses collègues. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Je pose cette question en précisant bien que les éleveurs qui sont aujourd'hui en difficulté dans ma région et que je voudrais vraiment voir sortir de cette crise, sont ceux qui produisent du broutard et du taurillon et qui n'exportent plus du tout vers l'Italie, la Grèce, etc. Le produit fini peut-il être une solution ? Beaucoup ont décidé de faire du maigre et de ne pas engraisser ? Les mesures que nous proposerons ne devraient-elles pas inciter à aller dans ce sens ?

Certains évoquent l'idée d'un prix plancher, disant que le pouvoir législatif devrait s'orienter vers un prix minimum garanti, qui éviterait ces crises à répétition. Qu'en pensez-vous ?

M. Denis SIBILLE : M. le rapporteur, vous évoquez les rencontres de 1996 lors desquelles les producteurs vous avaient tenu les mêmes propos. Je n'y étais pas mais je n'en doute pas. Quand on observe cette crise de l'ESB et les animaux atteints, on parle exclusivement d'animaux nés entre 1991 et 1995. On parle bien d'animaux nés avant les mesures d'interdiction de mettre les cadavres et les matériaux à risque spécifié dans la fabrication de farines autorisées pour les porcs et les bovins. Pour l'instant, nous n'avons eu aucun cas né en 1997 ou 1998. J'imagine bien que les producteurs qui sont venus devant vous en 1996 et qui vous ont dit être inquiets vis-à-vis de la crise, avaient dans leur élevage des animaux nés en 1992.

Le problème des années 1996 - 2000, tient essentiellement au fait qu'en 1996, on a lancé un « cocorico » général, que ce soient les producteurs, les pouvoirs publics ou l'ensemble de la profession, en expliquant que les Anglais avaient eu recours à des pratiques douteuses et mercantiles pour fabriquer les farines et qu'en fermant les frontières de l'Angleterre, nous ne serions pas atteints sur notre territoire. Or, appliquant le principe de précaution maximum, la France a voulu faire des tests et renforcé son système d'épidémiosurveillance ; il s'est alors avéré que nous étions aussi touchés de l'intérieur.

Je pense sincèrement qu'en 1996, les gens se sentaient indemnes. Que s'est-il passé ? Il n'est pas normal que des animaux nés entre 1992 et 1994 déclarent des cas d'ESB alors que les farines de viande étaient interdites depuis 1990. On s'interroge : y a-t-il eu des fraudes ? Des contaminations croisées ? Cette dernière raison est celle qui est le plus souvent invoquée. Le ministre de l'Agriculture a parlé d'une troisième voie il y a plus d'un an, justifiant la mise en place d'un programme de tests pour avoir une juste vue de l'épidémie. Je voudrais que l'on nous explique ce que sont ces troisièmes voies de contamination, si elles existent. Pour l'instant, on sait que la voie la plus commune est celle de l'alimentation ; la voie mère-veau n'a jamais été prouvée ; et l'on ne sait pas précisément ce qu'est cette troisième voie dont on entend parler.

Même des éleveurs « bio » ont eu des cas d'ESB. Je ne dis pas cela pour dénigrer le « bio ». Mais lors d'une reconversion vers le « bio », les animaux du troupeau qui ont sept ou huit ans ont aussi pu être contaminés auparavant à votre insu. La caractéristique de la crise de l'ESB est que malgré les schémas de qualité que l'on a mis en place en 1996 - bio, label ou autres -, on peut rencontrer des contaminations même si, il faut le reconnaître, la probabilité est moindre. Ne disposant pas de chiffres, je ne pense pas que les contaminations croisées soient nombreuses.

M. le Rapporteur : Nous avons ici des personnes qui représentent des productions différentes mais je connais, dans mon département, des personnes qui ont choisi de pratiquer un élevage mixte, de la volaille et de l'ovin, ou de la volaille ou du porc, par exemple. C'est donc dans ce cadre que je me plaçais. Il se peut qu'un jour, confronté à un retard de livraison, on ait pu substituer un aliment à un autre. Je ne fais que répéter ce qui a été dit devant notre commission. Compte tenu du nombre peu élevé de cas de bêtes atteintes chez nous, il faut ramener les choses à leurs justes proportions.

M. Denis SIBILLE : Il doit bien exister un rapport épidémiologique des cas d'ESB, qui indique les régions touchées et ce que font les éleveurs sur leur exploitation. Mais il me semble qu'il y a une grande majorité d'éleveur « bovins purs ». La proportion d'éleveurs ayant, à côté de leur activité bovine, une activité porcine ou avicole me paraît vraiment faible. Je ne saurais donner de chiffres, mais ils ne doivent pas être nombreux. Cela étant, peut-être y a-t-il eu des contaminations croisées du fait de l'éleveur. C'est possible dans la mesure où le comportement que vous décrivez a pu se produire.

M. le Président : Certains cas d'ESB ont été découverts au sein d'élevages exclusivement bovins, ce qui pose d'autres types de problèmes. Avons-nous les moyens d'assurer tous les contrôles nécessaires ?

M. Bernard AIRIEAU : Je souhaite intervenir sur la suspicion de présence de farines de viande et d'os dans les aliments. Le rapport de la brigade vétérinaire de surveillance sur les cas d'ESB déclarés en 1999 indique clairement que le point commun à tous les cas positifs est que l'animal avait bien consommé à un moment donné des aliments concentrés, presque exclusivement au cours de la première année de vie de l'animal. Cela m'amène à mettre en cause l'aliment destiné aux veaux dans la période un peu critique du sevrage, à la fin de l'alimentation lactée, quand il devient un ruminant. Il est probable qu'il y a eu avant 1990 des formulations d'aliments qui, pour les besoins en apport de qualité, utilisaient des farines carnées pour ce type d'aliments. Par la suite, j'ai entendu donner comme explication le fait que ce type d'aliments concentrés n'était pas sécurisé, en raison de deux de ses ingrédients. Le premier, ce sont les graisses utilisées dans ces aliments ; elles n'ont fait l'objet de suspicion qu'au cours de la dernière partie de la décennie, et non dès le départ. Elles étaient vraisemblablement non sécurisées pendant toute cette période 1990-1996.

Le second, c'est le mode de fabrication de ce type d'aliments. On utilisait souvent les restes d'autres aliments qu'on obtient en purgeant les circuits ou les fonds de cuve. Cela n'a sûrement pas été suffisamment sécurisé. C'est une explication. J'estime qu'elle peut être retenue car les données scientifiques de l'époque n'étaient pas suffisantes pour signaler un danger, à plus forte raison pour en tirer des conséquences en matière de santé humaine.

De plus, au cours des premières années de la décennie 90, nous avons connu dans certaines régions des saisons très sèches et donc une pénurie de fourrage, nécessitant un apport plus conséquent d'aliments concentrés, y compris dans les élevages de races à viande. C'est peut-être aussi l'une des causes qui font qu'aujourd'hui quelques cas positifs apparaissent dans les races à viande, qui reçoivent beaucoup moins d'apport de concentrés.

M. le Rapporteur : Dans son exposé introductif, M. Airieau a dit combien les éleveurs avaient été scandalisés d'avoir été trompés. Vous comprendrez que je vous demande des précisions. Qu'entendez-vous par là ?

M. Bernard AIRIEAU : Quand je dis que nous avons été trompés c'est parce que - vous connaissez bien le monde rural et le monde paysan - nous agissons en pleine confiance avec nos fournisseurs. Lorsque je lis dans la presse - et vous-même l'avez souligné dans vos rapports - qu'il y a pu avoir des fraudes, je dis que c'est un véritable scandale, car notre confiance a été trompée.

M. Pierre HELLIER : Nous comprenons tout à fait votre désarroi et je pense qu'à situation exceptionnelle, il faudra des mesures exceptionnelles. J'ai une question à ce sujet : une fois les farines animales sécurisées, elles pourront sans doute être utilisées à nouveau. Vous les disiez utilisables pour les volailles et les porcs, sans doute pas pour les bovins ni les ovins. Je voudrais que vous vous exprimiez clairement sur ce sujet : faudra-t-il réintroduire des farines animales chez les volailles ? Par ailleurs, vous avez dit que les produits sous label étaient des produits de qualité. Or vous disiez auparavant que l'on ne pouvait pratiquement pas garantir la qualité sans introduire de farines de viande. J'entends là une petite discordance. Au fond, quelle production a besoin de farines animales ?

M. Francis RANC : Monsieur le président, j'ai l'intime conviction qu'à l'avenir, les farines animales sont définitivement abandonnées dans l'alimentation des porcs et des volailles, alors qu'il sera sans doute démontré qu'elles ne présentent aucun danger pour la santé publique. En d'autres termes, je ne vois pas quel producteur de porcs ou de poulets pourrait annoncer demain qu'il utilise à nouveau les farines animales dans l'alimentation de ses animaux.

Dernièrement, le ministère de l'Agriculture s'interrogeait sur le point de savoir pourquoi l'on ne mettait plus de farines de poissons dans l'aliment volaille. Il est évident qu'aucun producteur de poulets n'annoncera aujourd'hui qu'il remet de la farine de poisson dans son aliment depuis qu'elle est de nouveau autorisée.

Cela dit, nous nous retrouvons avec ces problèmes très complexes pour l'avenir car cela pose, en définitive, une série de questions. Premièrement, celle de la destruction et du devenir des sous-produits que l'on appelle coproduits d'abattage des porcs et volailles. A l'heure actuelle, j'entends des discours assez euphoriques : tout va bien, nous avons des capacités de stockage, des solutions miracles qui s'appellent les ciments, la cogénération pour produire de l'électricité. Je suis persuadé que dans quelques mois, nous aurons des problèmes de stockage et que toutes les solutions envisagées ne seront mises en place que d'ici deux ou trois ans. De plus, vous le savez très bien, dès qu'un projet de stockage ou d'incinération de ce type de produits se dessine, de très nombreux élus s'opposent à leur implantation dans leur commune.

Il y a une sorte de tradition, en particulier dans les départements de l'Ouest, selon laquelle on veut bien produire ces farines animales, mais il faut les stocker ailleurs. C'est un véritable problème. Je ne sais pas si, dans quelques années, vous ne créerez pas une nouvelle commission sur la destruction des farines animales.

M. le Président : Nous n'allons pas créer cette commission d'enquête puisque je vous le confirme : nous irons sur un site vérifier comment cela se passe et nous auditionnerons également des personnes concernées par le devenir des farines.

M. Francis RANC : Une décision communautaire sera prise en la matière. A partir du moment où Bruxelles, à la suite de la période de suspension, prendra une décision, j'estime indispensable que des principes de précaution nationaux ne se surajoutent pas à nouveau à une décision communautaire. C'est essentiel, il faut sortir des super-précautions apportées par chacun des Etats membres. Par exemple, nous importons des volailles d'origine belge et néerlandaise. Il faut que le principe de précaution soit communautaire et ne soit pas national.

Un autre problème relatif à la volaille me semble évident, c'est celui de l'accès au marché européen de produits venant de l'extérieur de la Communauté.

On note la progression très importante d'importation en provenance du Brésil et de Thaïlande à destination des industries de transformation anglaise, néerlandaise et allemande. On constate une progression importante de la découpe et de l'industrie de transformation, avec tous les nuggets, cordons bleus et charcuteries de volaille. Les industries de transformation travaillent de plus en plus avec des produits d'importation. Or, il est évident que les importations qui viennent de Thaïlande, du Brésil et, demain, de Chine ne subissent aucune contrainte en matière de non-utilisation de farines animales. Dans les discours actuels, sur les modèles de l'agriculture européenne qu'il faut remettre en cause, je suis effrayé d'entendre, d'un côté, que l'agriculture européenne se contente de nourrir ses consommateurs, plus exigeants que les autres et, de l'autre, dans les futures négociations de OMC, que l'Europe doit ouvrir très largement son marché en vue du rééquilibrage Nord-Sud. Je me demande comment tout cela va se jouer car je vois là une véritable contradiction.

M. Pierre HELLIER : Vous parlez d'un principe de précaution communautaire. Cela peut se comprendre mais vous avez dit tout à l'heure qu'il n'est plus question, a priori, de réintroduire les farines animales.

M. Francis RANC : Sur le plan économique, car je reste persuadé que sur le plan communautaire il va être très difficile de démontrer que les farines de porcs et de volailles sont dangereuses pour la santé. Il va y avoir un avis favorable autorisant leur utilisation, mais que se passera-t-il ensuite ?

M. Pierre HELLIER : Le principe de précaution en France consiste à interdire la réintroduction des farines animales et il faut bien qu'il en soit de même sur le plan communautaire.

M. Francis RANC : Je pense que ce n'est pas la décision de M. Glavany qui va peser mais celle de Carrefour. A partir du moment où la grande distribution dans son ensemble exige du tout végétal, M. Glavany aura beau dire que ces farines de volaille peuvent être réintroduites, cela ne se fera pas. C'est là le vrai problème.

M. Jean-Michel SERRES : Je serai très bref, car je partage l'essentiel de ce qui vient d'être dit. J'ai le sentiment que même si les farines étaient à nouveau autorisées, elles ne seront pas rétablies dans l'alimentation du porc. Ce sont nos acheteurs qui nous imposeront cette contrainte dans le cahier des charges. Je me suis exprimé tout à l'heure sur les farines de poisson en précisant bien que cela ne concernerait que l'aliment destiné aux animaux reproducteurs et porcelets. Reste la question des graisses, mais nous retombons sur la question de l'harmonisation européenne où les graisses ne sont pas concernées pour la mesure de suspension qui a été prise à l'échelle communautaire. Elles le sont actuellement en France. Cela pose quelques problèmes techniques.

Je partage l'inquiétude exprimée par M. Ranc et tiens à insister sur le sujet car c'est une question de fond extrêmement importante. Nous avons fait des concessions lors des dernières négociations du GATT. On nous demandera certainement d'en faire encore d'autres en faveur des pays tiers. Je parlais tout à l'heure de la traçabilité et de l'accord qui a été pris en France mais il sera difficile à tenir quand les écarts de prix seront importants. Si l'on compare le coût de production des carcasses par rapport au coût moyen de l'Union européenne, nous sommes perdants. Comment allons-nous faire ?

M. le Président : Nous constatons l'incohérence entre les mesures nationales et communautaires. Face à des risques clairement connus, clairement identifiés par la communauté scientifique, y compris dès 1997, un certain nombre de pays n'ont pas pris de dispositions. Certains pays, comme l'Allemagne, ont volontairement refusé d'affronter le problème de l'ESB. Nous avons reçu une personnalité de la communauté scientifique européenne qui nous a indiqué que tous les pays à risque nous environnant avaient été destinataires d'un avis le leur spécifiant très clairement. Le problème des graisses relève de la même problématique. Les mesures prises sont incohérentes. Cela posera à terme la question du rôle de l'Agence européenne, création qu'il faut espérer rapide afin que le système soit harmonisé, puisque les marchandises circulent.

M. Marcel ROGEMONT : M. Sibille, comme vous avez porté des appréciations sur la façon dont avaient été prises les décisions en France sur la question de l'ESB, j'aurais aimé savoir plus précisément si vous avez le sentiment que ces décisions étaient bonnes au moment où elles ont été prises. Ont-elles été prises dans des délais satisfaisants, compte tenu de l'information disponible au moment où elles furent prises ?

Ma deuxième question est plus factuelle. Le fait de citer une entreprise qui possède deux sites de production, l'un en France, l'autre en Allemagne, vous conduirait-il à nommer d'autres entreprises qui auraient pu être, dans des formes différentes, mises éventuellement en situation de contourner les décisions françaises ?

Enfin, une question qui intéresse les fédérations avicole, bovine, ovine et porcine : sur les trois ou quatre dernières années, on constate une succession de crises dans la fabrication de la viande, causée par une distorsion entre la demande et l'offre, quelles qu'en soient les causes, même si ces crises sont souvent d'origine sanitaire. En définitive, se pose la question d'un autofinancement du risque de distorsion entre la demande et l'offre car, enfin - ce qui a été rapporté ce matin est édifiant en la matière - ce qui n'est pas mangé chez l'un l'est chez l'autre ; si l'on mange moins de viande bovine, on mange plus de viandes issues des filières avicole ou porcine. Il y a des interactions entre les différentes filières de production de viande ; dans ce cas, une sorte de solidarité peut-elle jouer ? Peut-être faudrait-il faire en sorte qu'entre les différentes filières de fabrication de la viande il y ait une sorte de mutualisation des risques.

M. Denis SIBILLE : Je vais être humble parce que nous ne sommes pas des spécialistes du métier de l'équarrissage. Cela dit, je peux tout de même affirmer que l'Etat n'assure pas correctement le contrôle des équarrisseurs. C'est en tout cas ainsi que le vivent les producteurs.

J'ai cité SARIA parce que c'est un exemple d'équarrisseur qui possède des sites en France et en Allemagne. Entre 1996 et fin 1999, l'Allemagne ne procédait pas au retrait des cadavres et des MRS. Il est légitime de s'interroger sur les flux entre pays. Les arrêtés « miroir » ont-ils été respectés, ce respect a-t-il fait l'objet d'un contrôle ?

Quant aux décisions, je rappelle qu'en 1990, l'Angleterre a interdit totalement certaines farines et que le reste de l'Europe les a importées, sous réserve qu'elles soient destinées à certains usages ; on se dit qu'il y a eu une grande légèreté. En 1996, je pense que la France a pris de bonnes décisions. Elle a été une des seules à retirer des farines les matériaux à risque spécifié et les cadavres, quand les autres Etats membres ne le faisaient pas.

En 1999-2000, Jean Glavany a pris de bonnes décisions lorsqu'il a décidé de faire des tests pour connaître la prévalence de la maladie et, au fur et à mesure de l'année qui vient de s'écouler, des décisions ont été prises toutes les trois semaines en termes de retrait de certains organes de la consommation humaine. Nous sommes le seul pays au monde à le faire. La profession a toujours été d'accord avec le ministre pour développer la précaution. Je pense donc que depuis 1996, de bonnes décisions politiques ont été prises vis-à-vis de l'ESB.

Cela dit, il faut reconnaître la difficulté qu'il y a à gérer les affaires et à représenter l'intérêt commun. Je suis maire de mon village et j'en ai une certaine expérience, mais nous sommes là devant une problématique extrêmement compliquée, dans la mesure où les scientifiques doivent déterminer des données claires. Il ne peut y avoir d'avis ou de gestion politique sans un avis scientifique clair. La difficulté de l'ESB est que l'on découvre certains éléments au fur et à mesure et que certains autres sont encore inconnus. Il est très compliqué d'avoir une législation qui s'adapte au jour le jour, et qui soit pertinente pour l'avenir. C'est un véritable exercice d'équilibriste pour le législateur, le gestionnaire de la crise et les personnes de la filière.

M. Marcel ROGEMONT : C'est à dessein que je vous posais la question : la problématique de cette maladie est extrêmement complexe. Néanmoins, vous avez semblé dire à deux ou trois reprises que vous aviez envoyé des stimuli et qu'il n'y avait pas eu de réponse, du moins pas les réponses que vous espériez. Il serait bon que vous précisiez. Vous nous dites que depuis 96, les décisions prises ont été de bonnes décisions. Soit mais pourquoi, dans ce cas, laisser entendre que les décisions auraient pu être - disons - plus justes ?

M. Denis SIBILLE : On peut prendre des décisions et, ensuite, ne pas se donner les moyens d'application de leur application. Par exemple, si l'on prend des décisions en France, sur notre filière, appliquera-t-on les mêmes règles aux produits entrant sur le territoire français en provenance de nos partenaires de l'Europe et des pays tiers ? On fait des effets d'annonce sur la filière française et, ensuite, on se garde de procéder à tout contrôle - peut-être n'en a-t-on pas les moyens - sur les produits entrants sur notre territoire. Souvent les décisions prises ont été de bonnes décisions. En revanche, je pense que les pouvoirs publics ont manqué, dans leur rôle régalien, de rigueur pour sécuriser le système.

M. le Président : Les règles de l'Union européenne se sont imposées, notamment celle de libre circulation des marchandises, ce qui pose le problème de savoir, comme vous le disiez, comment garantir et comment être en mesure d'annoncer en France que toutes les viandes d'importation sont bien testées, tout au moins celles provenant de pays de l'Union européenne ?

M. Denis SIBILLE : J'ai posé cette question au Conseil de direction de l'OFIVAL il y a un mois. Il m'a été répondu qu'elles sont supposées être testées car la règle communautaire veut que tout animal de plus de trente mois consommé sur le territoire communautaire, à l'exception des deux pays du Nord ayant obtenu une dérogation, soit testé. C'est la règle.

M. le Président : En tirez-vous la conclusion que la règle s'applique ?

M. Denis SIBILLE : Je l'espère.

M. le Rapporteur : Marcel Rogemont a évoqué le fait que les crises étaient toujours sujettes à des pics. Je reprends la question qu'il a posée : comment peut s'exercer la solidarité de l'interprofession ? J'avais évoqué certains éléments de réponse : les éleveurs disent qu'il n'est pas possible de vendre en dessous du prix de production et que nous devrions imposer un prix plancher garanti, car lors d'une crise, on saurait où l'on va. Je souhaiterais également que vous évoquiez l'étiquetage, même brièvement, mais nous devons connaître votre avis sur ce sujet.

M. Marcel ROGEMONT : Je comprends très bien la question de mon collègue sur le prix plancher. Ma question était différente, car lorsque l'on parle de prix plancher, l'on sait qui paie au bout du compte, c'est tout le monde. La question que je posais n'était pas de savoir qui paie mais de savoir comment l'on paie.

M. Jean-Michel SERRES : C'est un sujet extrêmement intéressant, mais si on poursuivait le raisonnement, cela nous entraînerait sur un chemin à peu près à l'opposé de l'orientation de la politique agricole commune, à savoir de plus en plus de libéralisme, de plus en plus d'ouverture des frontières, de moins en moins d'organisation commune des marchés et le risque de renationalisation. Je ne vais surtout pas parler à la place de mes collègues de la production de viande bovine mais, à mon sens, ce qui s'est passé hier et cette nuit à Bruxelles, est bien un début de renationalisation de la politique agricole commune. Pour ma part, cela ne me convient pas !

La production porcine est l'exemple type d'une production qui a connu des crises successives liées à des rapports différents entre l'offre et la demande. Depuis dix ans, la question sanitaire, tant en Europe que dans le Sud-Est asiatique, a été à l'origine d'écarts entre l'offre et la demande. Il faut dire que ces productions - la production porcine et la production de volailles - sont fondamentalement différentes en termes d'organisation commune de marché de celles du lait et de la viande bovine. Les fonctionnaires communautaires considèrent d'ailleurs la production porcine comme un dérivé des céréales, c'est-à-dire avec une intervention quasiment nulle des fonds communautaires. La production porcine en Europe représente 17 à 18 millions de tonnes de viande, avec des crédits du FEOGA qui sont de l'ordre de 0,3 à 0,4 %, - un peu plus quand il y a des problèmes sanitaires, l'Europe intervenant alors par exemple pour la destruction des animaux.

Mais, dans l'ensemble, l'intervention communautaire est dérisoire. Traduite en chiffres sur un budget de 45 milliards d'euros, la production porcine représente moins de 200 millions d'euros : les interventions concernent le sanitaire, un peu de stockage privé et un peu de restitution en plus, en année de crise. Nous avons très peu d'interventions directes. Contrairement, à ce qui est dit dans la presse, il n'y a pas d'aide directe pour les producteurs de viande porcine. Nous nous débrouillons. Il y a, effectivement, les mesures nationales de désendettement mais, globalement, très peu de fonds publics entrent dans la production porcine.

Il faut bien reconnaître que ce sont des productions qui se développent. Mais cela pose, sur le fond, le problème de la politique agricole commune. Elles se développent par substitution. Par exemple, depuis l'instauration des quotas laitiers, quand on a voulu installer un jeune sur une exploitation, à défaut de faire plus de lait, on a fait soit de la volaille soit du porc. Quand la réforme de 1992 a touché le système céréalier et polyculture, celui qui a voulu garder de la valeur ajoutée s'est tourné vers la production de volailles ou de porcs. Chaque fois, cela a entraîné des hausses de production.

Un autre problème, mais on retombe dans les difficultés de l'harmonisation européenne, est lié au fait que la conception d'un pays à l'autre est complètement différente. Le modèle espagnol aujourd'hui est tout à fait unique en Europe. Aucun autre pays en Europe n'est prêt à accepter le modèle de développement de production porcine de l'Espagne, où l'atelier construit aujourd'hui est en intégration, construit par les clients. On peut compter sur 2 000, 3 000 ou 4 000 truies. Aujourd'hui, faire quatre-vingt à cent truies dans certaines régions françaises est devenu une mission quasiment impossible.

L'idée de péréquation est séduisante mais le chemin pris est à l'opposé de ce que vous suggérez. Nous avions, mais exclusivement pour la production porcine, prêché très fort en France, et ma fédération en particulier et la FNSEA, pour un système de péréquation entre producteurs de porcs pour essayer de tempérer les amplitudes de production. Les pays d'Europe du Nord, y compris nos collègues producteurs, ont, toutes productions confondues, une vision beaucoup plus libérale de l'agriculture que la nôtre. La quasi totalité des ministres de l'Agriculture étaient opposés à cette idée de fonds de péréquation ou de caisse de solidarité. Cela n'a pas vu le jour. J'imagine donc mal que l'Europe aille vers la mise en place d'une caisse de péréquation. Dans les crises, nous devons avant tout compter sur nous-mêmes et sur la bonne gestion de nos outils pour essayer de rester en place.

Ou on change la production agricole commune et on pourra envisager d'autres solutions, à condition que l'on puisse faire valoir nos propres règles à l'OMC, et l'on n'en prend pas le chemin ; ou on continue comme aujourd'hui.

M. Bernard MARTIN : Je voudrais rappeler qu'au niveau communautaire, il a été décidé pour la plupart des productions - pas pour toutes puisque, cela vient d'être rappelé, tel n'est pas le cas pour le porc - que le consommateur ne paierait pas le prix du produit et que l'on compenserait le producteur par un soutien communautaire. C'est un premier élément de distorsion par rapport à la question posée. Deuxièmement, toutes les productions connaissent des difficultés de revenus, à un degré plus ou moins fort.

Ces deux éléments étant pris en compte, dès le moindre problème de marché, a fortiori au niveau sanitaire, la production concernée n'a pas les moyens de se « refaire », comme l'on dit en agriculture. Nous n'avons pas une année d'avance pour amortir le choc. De plus, les productions étant les unes aidées par Bruxelles et les autres pas, on voit mal comment on pourrait mutualiser sauf si - et l'on revient à cette notion de prix garanti ou de prix minimum - existait ce fameux fonds d'assurance de garantie de production. Ce serait une formule innovante et je l'avoue, assez séduisante, mais il faut que l'Etat mette la main à la poche. Le système est tel qu'il ne peut pas en être autrement. En outre, puisqu'il a été beaucoup fait allusion à l'origine des crises, aux aspects sanitaires, il faudrait effectivement que la même politique soit suivie partout.

Je ne parle pas de la fièvre aphteuse, mais je citerais l'exemple de la brucellose ovine ; en France, pour avoir un troupeau sain, la gestion sanitaire passe par l'éradication. En Espagne, c'est par la vaccination. Eh bien ! Avec les transhumants dans les Pyrénées, malgré la frontière, nous avons chaque année des problèmes sanitaires dans ces zones. Si je vous livre cette anecdote, c'est pour montrer combien il est déjà difficile de gérer ce genre de crise dans un Etat. Que dire alors des difficultés au niveau communautaire pour parvenir à une politique unique de maîtrise des risques !

M. Francis RANC : Tout a été dit, je pense en effet que le secteur des viandes est solidaire. On constate à chaque crise que la consommation des viandes, dans leur ensemble, a tendance à diminuer. En Angleterre, 30 % des moins de vingt-cinq ans sont végétariens à la suite de tout ce qui s'est passé dans les Iles britanniques, amplifié encore par tous les discours sur le bien-être de l'animal.

Il existe une certaine solidarité. Pour en revenir aux organisations de filière, aux organisations de marché, je rappelle que la filière avicole ne coûte pas très chère à la collectivité publique puisque, de mémoire, si le cochon coûte 200 millions d'euros à Bruxelles, la filière avicole représente 60 millions d'euros, uniquement pour les restitutions.

Nous avons d'abord, me semble-t-il, à organiser une bonne solidarité au sein des filières spécifiques pour voir ensuite si des passerelles pourront être établies au niveau du secteur des viandes. Il me semble que nous avons déjà beaucoup de travail à faire dans les différentes filières pour organiser une excellente solidarité entre tous les maillons car chaque crise a plutôt tendance à exacerber les contradictions plutôt qu'à créer des solidarités.

M. Denis SIBILLE : Toute la difficulté en Europe est de déterminer un modèle agricole qui soit compatible avec les attentes du consommateur et du citoyen et l'existence d'une agriculture familiale sur quasiment tous les territoires et, comme les modèles sont différents, pouvoir faire vivre tout cela. L'exercice est difficile et l'on parle souvent des contraintes de l'OMC. Nous n'en avons pas parlé ce matin, c'est la raison pour laquelle j'en parle. Nous sommes également dans l'obligation d'avoir un modèle qui soit cohérent et ouvert dans une Europe qui comptera bientôt vingt-cinq pays.

La réforme de 1992 et surtout l'Agenda 2000 ne sont pas mauvais en totalité bien que décriés :quand on affronte une crise, on a tendance à dire que tout est mauvais. En tous les cas, l'Agenda 2000 a aussi été pensé, peut-être plus dans la perspective de l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale (PECO) dans l'Europe que dans celle de la négociation de l'OMC. J'ai senti que les PECO représentaient une contrainte forte. Quand je regarde le prix de la viande, il y a une douzaine d'années nous étions à trente francs ; nous sommes aujourd'hui à dix-sept francs. En quinze ans, nous avons pratiquement perdu 50 % sur le produit. Cette baisse des cours s'est peut-être faite dans l'intérêt de la consommation de la viande bovine car, sans elle, le filet serait à un prix inabordable car c'est un produit nécessitant beaucoup de main d'_uvre. Dans un bovin, on fait 1500 portions consommateur. Mais on a surtout baissé les cours pour essayer de rapprocher les économies agricoles des PECO de l'économie communautaire et aussi pour ne pas créer en Europe de l'Est de nouveaux riches agriculteurs, qui vendraient leurs produits extrêmement cher.

Il est difficile de construire une Europe à vingt-cinq et d'avoir une PAC qui permette que cela fonctionne. Les logiques sont différentes selon que l'on considère le lait, par exemple, où le consommateur est prêt à payer son litre 2,5 francs ou 3 francs sans problème, ou les céréales, pour lesquelles ce n'est pas le consommateur qui en est le consommateur direct, ce qui a permis de retrouver une compétitivité dans ce secteur puisque l'on a reconquis le marché de l'alimentation des animaux avec nos céréales. Pour ces secteurs, c'est intéressant.

La logique de la viande bovine se situe entre les deux, entre celle du lait et celle des céréales, mais elle se rapprocherait plutôt - et nous faisons tout pour cela - de la logique laitière : pour le consommateur, le prix de la viande bovine est placé sur le même plan que celui de la sécurité et la qualité. Nous faisons donc tout pour essayer de stopper cette logique communautaire qui pousse à descendre les cours parce que, sinon, nous ne nous y retrouverons pas.

La seule façon d'y arriver est de maîtriser la production. C'est la raison pour laquelle, au sein de la Fédération nationale bovine, nous sommes des fanatiques de la maîtrise de la production. Il y a deux façons de procéder pour ce faire : en maîtrisant le nombre de vaches, soit ce sont des quotas laitiers qui déterminent le nombre d'animaux, soit ce sont des primes à la vache allaitante qui déterminent le nombre de vaches de race à viande que vous possédez.

Si ensuite, on a une politique du veau de boucherie, on arrive à quelque chose de cohérent. C'était d'ailleurs le cas il y a cinq mois, juste avant la crise de l'ESB, parce que nous avions récupéré un peu de parité - les revenus des producteurs de viande ne sont guère élevés - avec les autres secteurs de l'agriculture. C'est en cela que la crise actuelle est surtout conjoncturelle ; avant de rediscuter de la PAC, il faut prendre le temps de la réflexion et ne pas confondre structurel et conjoncturel.

M. le Président : Quel est votre avis sur les droits à produire ?

M. Denis SIBILLE : Il existe une réglementation sur les droits à produire qui permet de maîtriser le développement des vaches allaitantes. Il y a quelques années, beaucoup de vaches allaitantes n'avaient pas de droits dans le cadre des quotas. Depuis quatre ans, l'augmentation de la prime à vache allaitante a fait que ceux qui n'ont pas de droits se sont séparés des vaches non primées. Ces animaux-là ont disparu. On fait donc de la maîtrise. Mais j'ai lu dans Le Monde ce matin la déclaration de la présidente suédoise du Conseil « Agriculture » pour le présent semestre, qui explique qu'en 2003 il faudra faire sauter les quotas laitiers. Le discours sur l'herbe est un bon discours, car il est bon de valoriser l'herbe, mais si en même temps, on démonte les primes à la vache allaitante et on fait sauter les quotas laitiers, on aura obtenu l'effet inverse de celui recherché. Il faut donc se méfier des discours.

Sur la maîtrise des coûts, j'ai beaucoup d'espoir dans le travail interprofessionnel, celui de tous les métiers de la viande ; il faut que nous fassions un effort. Imaginons que le steak haché nouvelle formule « pur muscle » qui rassure, se vende à un prix intéressant dans le commerce, cela permettrait de reprendre des parts de marché dans la restauration hors domicile. Cela peut aussi permettre de valoriser les avants des animaux, puisque c'est de cela qu'il s'agit principalement, à des prix de dix ou douze francs. Cela peut donc permettre de remonter le prix chez les producteurs. Il faut donc aussi trouver des comportements citoyens à l'intérieur de la filière, faire en sorte que l'on se respecte mieux entre partenaires dans l'intérêt du consommateur et, bien entendu, dans l'intérêt de l'éleveur. De ce point de vue, nous ne sommes pas parfaits.

M. François REBILLARD : Quelles relations entretenez-vous, à l'heure actuelle, avec les secteurs de la transformation et de la distribution ? Vous avez parlé de la règle du moins-disant et l'on peut être assez choqué de voir aujourd'hui certains intermédiaires ou transformateurs acheter des animaux en Allemagne, alors que notre propre cheptel est en difficulté. La contractualisation est-elle en marche ? Arrivez-vous, en faisant appel à la citoyenneté, à organiser une filière de façon à pouvoir vous appuyer sur d'autres considérations que celle du prix ?

La mise en place de logos, comme celui de « Viande porcine française » (VPF), a été évoquée. Je ne sais si c'est de la « renationalisation », mais cela y ressemble. Là encore, ces critères et marques à caractère local ne peuvent bien fonctionner que si un accord s'établit sur l'ensemble de la filière. Je souhaiterais que vous nous expliquiez comment vous procédez à l'heure actuelle.

On pourrait étendre cette pratique à l'utilisation de la viande de broutard, parce que notre élevage s'est beaucoup appuyé sur l'exportation et, aujourd'hui, l'on sent que c'est fragile et qu'à terme les débouchés risquent d'être limités. Cela signifie qu'il faut utiliser ces viandes que l'on ne peut plus vendre à l'extérieur. Cela demande là-encore un accord de l'ensemble de la filière. Sans cet accord préalable, je ne sais pas comment nous ferons. A une époque, on a évoqué la possibilité de relancer la consommation de b_uf par l'allongement de la durée de vie des animaux ou par la possibilité d'utiliser des animaux mâles. Si l'on n'est pas capable, à deux ou trois ans, de prédire ou de s'engager sur l'utilisation de ces animaux, comment ferons-nous ? De nombreuses questions sont posées au niveau national. Comment se passe la concertation ?

Ma question suivante vous concerne tous. Elle porte sur la maîtrise globale de production de viandes. On voit bien qu'aujourd'hui, certaines sont tirées vers le haut par un glissement de la consommation. Comment faites-vous entre vous pour décider, par exemple, qu'il serait bien que la filière avicole aille plus doucement et que l'on ne mette pas trop de mètres carrés en place ? Mais si vous ne voulez pas perdre de marchés, il ne faut sans doute pas que la grande distribution aille trop rapidement vers l'importation. Comment vous organisez-vous entre vous pour maîtriser globalement cette production et éviter des phénomènes de surproduction dans d'autres filières ?

Enfin, on dit qu'il y a trop de fonctionnaires dans le milieu agricole. Mais, en même temps, j'entends dire depuis des mois qu'il faudrait plus de contrôleurs. Comment faire ? Avez-vous estimé le nombre de contrôleurs qui seraient nécessaires dans les abattoirs, les chambres froides, aux frontières, etc. ? Cela demanderait-il d'engager des dépenses nouvelles ? Où les prendre ? D'où les redéployer ?

M. Francis RANC : En fait de maîtrise de la production, la filière avicole y est obligée, ne serait-ce que parce qu'elle ne fait pas l'objet d'intervention publique. Il faut donc absolument adapter l'offre à la demande. En 1996, lors de la première crise anglaise de la « vache folle », la filière avicole a été imprudente, elle a cru que la chute de la consommation de viande bovine allait perdurer. Je pense que les difficultés que nous avons connues en 1997 et 1998 étaient dues sans doute à une offre trop importante, notamment pour le secteur de la dinde, considérant que l'on allait prendre les places laissées par la viande bovine.

Tout cela explique les difficultés rencontrées par la filière avicole en 1998 et 1999, qui se sont traduites par des restructurations douloureuses puisque nous avons assisté à des faillites d'entreprises importantes, fermetures d'abattoirs et à l'abandon de productions. Actuellement, nous sommes plus prudents. De plus, nous avons des difficultés à trouver de nouveaux éleveurs, parce que nous sortons d'une crise ; installer de nouveaux jeunes dans la production avicole, en particulier dans les régions de l'Ouest où toutes les contraintes de l'environnement s'accumulent, je puis vous assurer que ce n'est pas facile. Des goulots d'étranglement existent au niveau de la production et également au niveau des abattoirs car, dans ce domaine, notre secteur manque de personnels. Nous faisons partie des branches, au même titre que le bâtiment et l'agroalimentaire, qui ont des problèmes pour recruter du personnel Il n'y a donc pas de grand risque de voir la filière avicole se mettre à produire de manière considérable dans les mois ou les semaines qui viennent. Nous restons très prudents, guidés par le souci de maîtriser la production, en sachant que si nous tombons dans un phénomène structurel - ce que je ne souhaite pas pour mes collègues - qui fait qu'en définitive, la consommation de viande bovine ne redémarre pas, nous aurons sans doute, tant dans le secteur porcin qu'avicole, à programmer pour les années qui viennent une production plus importante.

M. Denis SIBILLE : Concernant les filières, nous avons profité du Salon de l'Agriculture pour voir beaucoup de monde et nous nous sommes intéressés surtout à rencontrer les grands distributeurs, les grandes enseignes étaient presque toutes là. Il nous semble que, malgré leur puissance, ils sont aussi l'otage des consommateurs. Nous avons ressenti qu'ils avaient une envie de transparence. Ils ont aussi peur des producteurs. La pression syndicale est parfois efficace. Ce n'est pas très agréable d'avoir à le dire, mais c'est tout de même ainsi que cela se passe.

Le consommateur est demandeur d'une grande transparence sur l'origine, sur l'étiquetage, etc. Il préfère plutôt la viande française parce que le message est passé, selon lequel nous avons un système extrêmement sécurisé dans notre pays. Il me semble que, dans toutes leurs démarches de qualité, les grands distributeurs souhaitent favoriser la viande française. C'est bien entendu le cas en boucherie traditionnelle. Sur la distribution en général, nous avons un travail commun à faire. Cela ne se passe pas trop mal. On peut regretter que, dans les marges, nous ne soyons pas dans un rapport totalement favorable. Le problème numéro un est quand même celui de la restauration hors domicile, où nous rencontrons un véritable problème de transparence et d'explication de texte sur ce qui est distribué chez les gens.

Entre le producteur et le consommateur, il y a les abatteurs et les industriels. Nous avons là des relations un peu difficiles. Ce sont des gens qui ont du mal, parce que leur métier est certainement dur et qu'ils ont des difficultés pour pérenniser leurs entreprises. Cependant, ils sont toujours sur la défensive quand on parle de transparence et d'étiquetage. C'est très gênant d'avoir un partenaire dans la filière qui a peur de jouer un rôle qu'il doit pourtant remplir. La viande, ce n'est plus comme il y a vingt ans. On a vraiment fait la révolution. Nous regrettons en tant que producteurs que nous n'avancions pas plus, la main dans la main, parce qu'une chaîne, une filière, n'est solide que lorsque tous ses maillons sont solides. Nous espérons tous pouvoir travailler mieux ensemble avec ce maillon du milieu. C'est le cas à propos de l'étiquetage : le consommateur le veut, le distributeur le réclame, il faut que l'on y arrive. C'est l'intérêt collectif. Nous aimerions voir changer certains comportements.

Quant aux broutards, malheureusement, une vache fait une fois sur deux un mâle et une fois sur deux une femelle. La structure de consommation de la viande bovine en Europe fait que les autres mangent plutôt du jeune bovin et que la France mange plutôt de la femelle. Nous avons fait tout ce que l'on a pu pour le développement de la génisse. Nous avons mis une grosse partie de l'enveloppe, presque la moitié de l'argent de la subsidiarité que nous avons obtenu de la PAC, sur le développement de la production de génisses bouchères, parce que nous savions que cela nous était demandé, alors que nos broutardes partaient en Espagne se faire engraisser et nous revenaient. Sur le mâle, la partie est plus compliquée, parce que le b_uf a un cycle plus long. Il existe déjà dans le cadre de la réforme de la PAC, un système qui favorise la production de b_uf, puisque deux primes sont accordées. Normalement, la PAC devrait inciter au développement du b_uf. Il se développe mais ce n'est tout de même pas terrible.

Enfin, ce n'est pas parce que nous connaissons aujourd'hui une crise et que les frontières se sont fermées en Italie, en Allemagne, en Grèce ou en Espagne, que la production de broutard est sans avenir. Tous ces pays consomment vraiment du jeune bovin et n'ont pas de cheptel de souche, et sont demandeurs de ces broutards. Ils sont actuellement à moins 60 à 70 %. Conjoncturellement, il faut sans doute trouver une solution et même sûrement parce qu'aujourd'hui, les éleveurs sont en difficulté. Mais, dans six mois, les mouvements d'échange auront peut-être repris. Nous le souhaitons tous fortement. Aussi, dire que nous allons transformer tous les broutards en b_ufs, je ne suis pas certain que ce soit réaliste, ni que ce soit une solution. J'aime autant que les Grecs ou les Italiens viennent chercher les broutards chez les Français, qui les valorisent d'ailleurs bien, plutôt que d'aller les prendre chez les Irlandais ou dans les pays de l'Est. Il existe entre nos pays un mouvement commercial qui fonctionne bien depuis longtemps et, j'espère, pour longtemps, compte tenu de la qualité de nos productions.

M. Bernard AIRIEAU : Quelques mots pour rappeler les fondamentaux de la production de viande bovine et illustrer par des chiffres ce que vient de dire Denis Sibille, puisque c'était sur ce même thème que je voulais intervenir. La production de viande bovine en France est certes assurée davantage à partir du troupeau viande que du troupeau lait. Une de ses spécificités, c'est qu'il y a un profond déséquilibre entre la production et la consommation. La consommation concerne 76 % de femelles adultes. La consommation de b_uf aujourd'hui ne représente que 10 % de la consommation française. C'est l'un des grands aspects du défi que nous avons à relever dans l'équilibre de la production globale de viande en France, puisque ces équilibres sont, bien sûr, assurés par la consommation intérieure et par l'importation et l'exportation, principalement de mâles.

Quand on regarde la production de b_uf dont vous souhaitez relancer la consommation, pour un b_uf d'origine de race à viande, il y en a plus de deux qui sont de race laitière ou mixte, c'est-à-dire des animaux dont la mère est traite. En face de ce problème, la consommation française n'augmente pas sur ce type d'animaux. En général, lorsque le marché du jeune bovin est équilibré, c'est là qu'il y a nécessité d'intervention pour assurer l'équilibre de marché. A certaines périodes, une grande partie des b_ufs s'en va à l'intervention. Nous sommes donc bien devant un problème de consommation en France, et non devant un problème de production.

Pour modifier les habitudes de consommation, il faut un travail de communication en profondeur. Modifier le goût des gens est parfois trop difficile. En l'occurrence, c'est souvent improductif. C'est un travail de longue haleine mais, dans l'immédiat, il ne sera pas, à mon avis, possible de développer la production de b_uf, faute de débouchés en France, sauf à considérer que d'autres pays rechercheraient maintenant ce type de viande, alors que ce n'était pas leur type de consommation hier.

M. Jean-Michel SERRES : Concernant les craintes exprimées sur les initiatives qui pourraient conduire d'une manière ou d'une autre à une renationalisation, le logo VPF est une démarche interprofessionnelle. C'est une initiative privée qui répond aux demandes de la grande distribution et aux demandes des consommateurs. Il était très difficile pour nous de ne pas répondre à cette demande parce que c'est une façon de rassurer le consommateur et de garantir nos débouchés.

Quant à l'idée de maîtrise de la production, la suggestion qui avait été faite d'une caisse de péréquation entre producteurs de porcs au sein de l'Union européenne avait été refusée à la fois par une partie de nos collègues producteurs et par une très forte majorité de ministres de l'Agriculture. Il n'existe donc pas de volonté politique d'organiser le marché du porc. Aujourd'hui, la création d'élevages est devenue très rare. Si bien que l'on s'interroge sur le renouvellement des producteurs. Jusqu'à ces dernières années, la population des éleveurs de porcs était une population plus jeune que la moyenne des exploitants agricoles. Aujourd'hui, cela change parce que nous n'installons pas assez de jeunes. De ce point de vue également, nous retrouvons les problèmes d'harmonisation européenne. Alors que, globalement, la production de l'Union européenne est en train de baisser, deux pays connaissent une augmentation : l'Espagne que j'évoquais précédemment, et le Danemark.

Sans entrer dans des considérations techniques et réglementaires, on ne peut que constater des anomalies de taille : la réglementation sur les installations classées existe depuis peu en Europe. Pour le porc et la volaille, elle existe depuis 1976 en France. Quand on regarde la taille d'élevage qui déclenche la procédure « installation classée », le rapport pour la production porcine entre la France et la réglementation européenne doit être de un à six ou sept. Cela signifie que nous n'avons pas du tout les mêmes contraintes. Cela explique que certains se développent et d'autres non. La maîtrise, en l'état actuel des choses, existe mais de façon très variable d'un pays à l'autre.

M. Bernard MARTIN : En matière ovine, il y a deux façons de gérer et de maîtriser la production : l'une, communautaire, avec les droits à bénéficier des PCO gérés par les départements ; l'autre, que je ne devrais pas citer mais que je rappelle tout de même, étant le défaut de revenu. Le défaut de revenu fait qu'au niveau européen, sauf en Espagne, la production ovine a tendance à beaucoup diminuer. Par là même, nous perdons des parts de marché car, au niveau des équilibres entre productions que l'on évoquait tout à l'heure, des concurrences éventuelles entre viandes, c'est d'abord par production que nous avons ce phénomène à gérer, en particulier en production ovine, dans la mesure où nous sommes dépendants pour 60 % de la consommation, de l'Europe et de pays tiers. Donc, notre préoccupation est plus de conserver notre part de marché, qui est au niveau national, de l'ordre de 40 % d'autoproduction. Nous avons déjà beaucoup travaillé pour l'avenir. L'important, c'est de préserver des démarches de qualité car nous sommes le seul pays à avoir une production d'animaux de base qui soient officiellement identifié.

La question de l'étiquetage reste latente. En matière ovine, nous avons un accord interprofessionnel visant à mettre en place l'étiquetage dans la distribution mais il n'a pas été étendu, notamment par Bruxelles. Nous ne sommes pas sûrs que l'on soit bien pressé de l'obtenir. L'actualité permettra, j'espère, de remettre ces fers au feu. Nous étions parvenus à un accord interprofessionnel. Il n'est pas toujours facile de faire vivre une interprofession dans la mesure où chaque famille essaie de conserver sa spécificité. Alors, aujourd'hui, la crise aidant, nous souhaiterions que se mette en place une vision plus collective de l'avenir.

M. François PERROT : Je voudrais revenir sur les propos de M. Airieau, qui parlait de divergences avec les fournisseurs de farines. Je voudrais savoir à partir de quand et sur quelles bases ces divergences sont nées. Des analyses ont-elles été faites ? Jusqu'où êtes-vous allés face à vos fournisseurs de farines ?

M. Bernard AIRIEAU : Avec nos fournisseurs d'aliments concentrés, nous avons effectivement eu quelques problèmes. Le premier parce qu'il existe un engagement sous forme de cahier des charges dans des démarches qualité, qui imposait l'analyse des aliments qui étaient donnés à des animaux qui devaient être certifiés. Dans le cadre de ces analyses, les prélèvements étant faits par les contrôleurs de l'interprofession de manière aléatoire, il s'est avéré - je n'ai pas en tête le pourcentage exact - que certains aliments ont révélé des traces de farines carnées - en l'occurrence, on recherche les os, car c'est la seule information que nous pouvions avoir, compte tenu des méthodes d'analyse dont nous disposions. Cela mettait en évidence le fait qu'il a pu y avoir à certains moments des circuits non sécurisés dans la livraison ou la fabrication des aliments. Il est vrai que depuis ces trois dernières années, de manière générale, il y a eu beaucoup plus de sérieux dans ce secteur d'activité. Cela résulte du fait que de plus en plus de fournisseurs se sont engagés dans des démarches qualité, utilisant la méthode HACCP, certains s'étant fait reconnaître selon la norme ISO.

C'est la première facette du problème, l'autre étant un programme de recherche que nous avons effectué dans le cadre de la région en partant du constat, principalement chez les producteurs laitiers, que certains aliments n'avaient pas la réponse qu'ils auraient dû avoir, compte tenu de leur coût. Le rapport coût-qualité n'était pas évident. C'est principalement, ceux qui accompagnent les éleveurs, notamment les contrôles laitiers, qui avaient mis ce problème en évidence. Sur la base d'un protocole qui entraînait des prélèvements aléatoires dans un certain nombre d'élevages sans que l'on incrimine ou suspecte tel ou tel fournisseur d'aliments, il s'est avéré - de manière non identifiée, c'est-à-dire que nous n'allions pas jusqu'à l'identification du fournisseur - qu'il y avait quelques différences, ne serait-ce que sur la qualité des matières premières - comme, par exemple, celle du tourteau de soja. La qualité variait ; c'est le cas, par exemple, de la composition en matière azotée totale.

D'autres se fournissaient aussi directement en matières premières. Or il y a aussi un risque de ce côté, car parfois on trouve des lots qui ont pu être rejetés par la filière et qui sont quand même proposés aux agriculteurs. C'est un problème sanitaire au niveau de la matière première puisque des lots refusés pour l'entrée en France, peuvent revenir par des circuits détournés, se retrouvant achetés directement par des éleveurs à des négociants. Ce ne sont pas les fabricants d'aliments qui sont alors en cause mais il faut savoir que ce problème existe et qu'il y a du travail à faire à ce sujet.

En matière d'aliments composés destinés à l'alimentation des vaches laitières, certaines années, cette manipulation a été effectuée pendant trois ans. Dans les premières années, il y avait près de 30 à 40 % des aliments qui ne correspondaient pas en termes de valeur alimentaire, y compris sur le plan réglementaire, à ce qui était garanti par l'étiquette. Cela explique notre grande insistance pour que nous puissions disposer de la liste des matières premières entrant dans la fabrication des aliments. Nous souhaiterions en tant qu'éleveurs aller au-delà de la liste en vigueur et disposer aussi de la proportion.

Nous retrouvons là le problème du contrôle, car lorsque nous avons soumis cette question à la DGCCRF, il s'est avéré que notre programme de recherche était insuffisant, puisque les prélèvements n'étaient pas faits en présence d'huissiers et n'étaient donc pas contradictoires. Dans ces conditions, les éléments recueillis ne pouvaient fonder une action en justice contre le fabricant d'aliments. Je souhaite que le parlement européen édicte une vraie réglementation de l'étiquetage.

M. Roger LESTAS : Ma question n'a pas trait à la sécurité alimentaire mais plutôt à l'économie. Sachant que certains de nos partenaires européens n'ont pas toujours le sens de la préférence communautaire, notre rapporteur parlait des broutards qui ne quittaient plus le centre de la France, alors qu'ils allaient auparavant chez nos voisins italiens, qui ont certainement aujourd'hui les mêmes besoins qu'autrefois. Ils s'approvisionnent donc ailleurs. Sans doute nos interlocuteurs, pourraient-ils nous dire où ceux-ci s'approvisionnent maintenant et si l'ESB n'est pas un prétexte pour se tourner vers d'autres pays producteurs de broutards ?

M. Denis SIBILLE : Les Italiens ont avant tout un problème de sous-consommation phénoménal, tout comme l'Allemagne. Ils ont eu leurs premiers cas d'ESB, cela a été terrible. D'après les informations récentes, la consommation est tombée à moins 60 %. Des mesures nationales d'aide à leurs éleveurs de jeunes bovins ont déjà été décidées - je le rappelais à M. le Premier ministre la semaine dernière. Les Italiens essayaient déjà depuis quelques temps de s'approvisionner dans d'autres pays, mais ils reviennent à l'approvisionnement français, parce que nous avons effectivement un approvisionnement de qualité.

Par ailleurs, ils savent bien fermer la frontière quand ils ont la possibilité de le faire, de façon à faire baisser les cours !

C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place un plan pour remettre en place chez les engraisseurs français 30 000 broutards qui sont en peine dans les élevages français pour relancer et recréer un mouvement commercial de façon à ce que, même si les Italiens sont peu présents, le marché soit relancé.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Laurent SPANGHERO,
président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes (CEBV),

accompagné de M. René LAPORTE, directeur de la CEBV

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Laurent Spanghero et M. René Laporte sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. À l'invitation du Président, M. Laurent Spanghero et M. René Laporte prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Monsieur Spanghero, vous connaissez l'exercice qui vous est demandé, puisque vous êtes déjà venu témoigner devant la mission d'information commune sur la vache folle le 17 juillet 1996 et devant la commission d'enquête sur la sécurité de la filière alimentaire française le 1er décembre 1999.

La première fois, vous exprimiez le regret qu'il n'y ait pas eu de réaction plus ferme des autorités françaises - je ne sais si ce regret vous concernait aussi directement - dès l'apparition de la crise de l'ESB en Grande-Bretagne, notamment en s'abstenant trop brièvement d'importer des viandes anglaises. Il a fallu attendre des mois avant que des décisions soient prises en France et des années avant que des décisions soient prises au plan européen. Et il a fallu attendre quasiment dix ans pour que, dans certains pays, les matériaux à risque spécifié soient éliminés alors que nous sommes dans un marché ouvert et que le problème était connu. Cela pose une vraie question : comment, dans un pays en avance en matière de sécurité sanitaire et alimentaire, s'assurer que les importations qui proviennent des Etats membres de l'Union européenne et des Etats-Unis, répondent aux mêmes exigences que celles que nous imposons nous-mêmes à nos producteurs ?

Lors de votre deuxième audition en 1999, vous déploriez que la plainte contre X déposée en 1996 par des professionnels nationaux contre les importations de farines animales n'ait toujours pas été instruite. De ce point de vue, vous avez rejoint les préoccupations exprimées ce matin par les responsables professionnels agricoles qui s'interrogeaient, car ils avaient dû attendre très longtemps avant d'être entendus.

Vous pourrez également nous parler des progrès de la traçabilité. Ce matin a été évoqué le souhait partagé par l'ensemble des professionnels de vous voir vous impliquer plus fortement dans la voie de la traçabilité et de l'étiquetage.

Compte tenu de votre expérience, il serait intéressant d'entendre votre point de vue sur les différentes responsabilités qui vous paraissent en jeu dans cette crise qui dure et sur les moyens de retrouver la confiance du consommateur.

M. Laurent SPANGHERO : Je ne reviendrai pas sur les propos que j'ai tenus au cours des auditions antérieures, sinon pour confirmer que je suis toujours étonné que nous ayons fait preuve d'autant de laxisme au cours des années 88-90-92 vis-à-vis de l'importation de farines animales en provenance de Grande-Bretagne. Dès août 1988, le ministre de l'Agriculture, M. Henri Nallet, a essayé d'interdire l'importation des farines. Or, des dérogations ont permis leur importation. Je rappelle également qu'en 1992, les Britanniques n'avaient le droit d'exporter en France que des viandes désossées, c'est-à-dire que pesait déjà il y a huit ou neuf ans quelque suspicion, notamment sur la colonne vertébrale, qui est un problème qui se pose en Grande-Bretagne depuis longtemps. Je continue donc à m'étonner que l'on ait mis autant de temps avant de réagir.

Dès juin 1996, nous nous sommes portés partie civile dans ce dossier des farines animales. Nous n'avons été entendus que le 7 décembre 2000, c'est-à-dire quatre ans et demi après. Alors que nous vivons une situation de crise depuis longtemps avec l'apparition de la crise de l'ESB, je trouve qu'un grand laxisme caractérise cette affaire.

Il a fallu attendre octobre 2000 pour que tous les autres pays européens éliminent des farines de viandes les cadavres et les matériaux à risques. Il est extraordinaire, dans la situation que nous connaissons depuis quatre ans, que nous ayons tant tardé à prendre ces mesures. C'est un point que nous relevons.

Ajoutons que le manque d'harmonisation communautaire reste encore frappant à l'heure actuelle. Pour l'exemple, la France a pris la décision unilatérale d'interdire la consommation de ris de veau alors qu'elle est autorisée dans les autres pays de la Communauté. Ce n'est pas acceptable. Ce qui s'est passé il y a une dizaine de jours avec le mouton est de la même veine ! On ne peut continuer ainsi. Soit les mesures sont justifiées et doivent alors être appliquées dans tous les pays de la communauté ; soit elles n'ont pas lieu d'être. Ce sont là des faits que nous sommes obligés de dénoncer, car ils portent préjudice à nos activités et à l'activité bovine tout entière.

Quelle est la situation actuelle ? Concernant la sécurisation des produits, la France, comme l'Europe, a pris suffisamment de mesures. Reste la question soulevée par la colonne vertébrale. Nous avons inventé un matériel destiné à extraire la moelle épinière par aspiration ; l'outil est à l'essai dans deux abattoirs. Nous pensons généraliser cette installation ; bien sûr, nous demandons aux pouvoirs publics de nous accompagner, car il s'agit là d'investissements lourds. Cet outil présente un triple avantage. Il évite de projeter de la moelle épinière lors de la fente des carcasses. Ensuite, il sécurise le personnel, ce qui est très important. Enfin, il sécurise les suifs destinés aux aliments d'engraissement des veaux. Nous continuons à travailler pour sécuriser davantage encore les produits. On peut dire aujourd'hui que nous avons réalisé l'essentiel du chemin pour sécuriser les produits que nous mettons sur le marché.

La traçabilité ne pose aucun problème pour les bovins. Je parle des bovins, car on a évoqué récemment les ovins : pour ces derniers, la traçabilité n'est pas parfaitement assurée. Pour les bovins, les mesures ont tardé à se mettre en place. A l'aube du troisième millénaire, il est malheureux que nous n'ayons pas utilisé tous les outils disponibles, notamment l'informatique, le système d'information par réseau, qui permet partout, en temps réel, de disposer des informations. Malgré tout, nous avons suffisamment d'éléments pour assurer la traçabilité de l'ensemble des animaux. Depuis peu, l'enregistrement de la date de naissance des animaux est effectif. Tous les éleveurs jouent le jeu et déclarent au bout de huit jours leurs animaux. Le système est désormais bien enclenché ; nul souci à avoir de ce côté-là, la traçabilité bovine en France est certainement l'une des meilleures d'Europe et du monde.

S'agissant de l'étiquetage, que j'appelle « l'information du consommateur », il faut livrer une meilleure information au consommateur. L'accord interprofessionnel que nous avons signé en 1997 allait en ce sens. Aux termes de cet accord, nous garantissions au consommateur l'origine de l'animal - né, élevé, abattu dans tel pays -, la catégorie - s'il s'agissait d'un jeune bovin, d'un b_uf, d'une vache, d'une génisse ou d'un taureau - et le type racial - s'il s'agissait d'un animal issu de la viande ou du lait ou mixte, cette dernière information étant optionnelle. Au mois de septembre 2000, la Communauté européenne a décidé un étiquetage totalement différent. Il s'agissait surtout d'une traçabilité et non d'une information au consommateur. Indiquer le numéro de l'abattoir qui a reçu l'animal ou le numéro de l'atelier qui l'a découpé n'intéresse pas le consommateur : il souhaite savoir d'où vient l'animal, ce qu'il a consommé ou son mode d'élevage, beaucoup plus qu'une série de numéros.

Nous avons présenté des propositions aux pouvoirs publics. Nous avons indiqué que nous étions d'accord pour conserver l'essentiel de l'accord interprofessionnel de 1997 ; que nous étions également d'accord pour assurer la traçabilité des produits : si, demain, un problème se pose au sujet d'un steak, il faut savoir de quelle viande, de quel animal il s'agit, identifier l'éleveur qui a élevé l'animal. Nous disposons d'un numéro de lot que nous conservons, de même que le numéro du dernier atelier qui a travaillé l'animal. Compte tenu de la traçabilité à l'intérieur des ateliers, abattoirs et autres, on peut, fort de ces deux seules informations, remonter jusqu'à l'éleveur.

D'un côté, on assure la traçabilité avec ces informations que sont le numéro de lot et le numéro du dernier atelier qui a travaillé les carcasses. De l'autre, nous disposons d'une information pour le consommateur, que nous souhaitons compléter. Nous avons formulé des demandes auprès de la Fédération nationale bovine et de la Fédération nationale des productions laitières pour que tous les éleveurs consentent un effort important, soit de guide de bonnes pratiques de l'élevage, soit de qualification des élevages. Nous avons fait là un pari, je ne sais si nous le tiendrons : nous souhaiterions qu'à la fin juin, au moins la moitié des troupeaux français soit sous guide de bonnes pratiques ou sous qualification des élevages. Le guide de bonnes pratiques sous-entend le suivi de normes à respecter, telles que la prophylaxie, la traçabilité au sein de l'élevage, l'état des étables, l'alimentation, sachant qu'aujourd'hui toute farine animale est proscrite.

Un mot maintenant sur les farines animales. Il fallait certainement suspendre l'utilisation des farines animales, mais je continue à penser que, dans la mesure où les farines animales sont traitées comme les aliments destinés à l'alimentation humaine, avec la même rigueur, il n'y a aucune raison que certains animaux, demain, ne consomment pas de farines animales. Une farine animale est une protéine noble, ainsi que le disent les scientifiques. Le gaspillage que nous connaissons aujourd'hui est dommageable. Bien sûr, ces farines doivent être complètement sécurisées. Peut-être vais-je à contre-courant de l'opinion publique, mais je me fonde sur deux éléments : les farines sont des protéines nobles et la destruction des farines animales revêt un coût excessif aujourd'hui.

Je voudrais appeler votre attention sur la taxe d'équarrissage fixée à 3,9 % de la valeur du produit vendu au consommateur. C'est une deuxième TVA ! C'est inacceptable ! La taxe d'équarrissage revient à pénaliser les produits en général. Dans la mesure où son application est élargie à tous les produits à base de viande - poulet, porc, etc. - tous les produits sont taxés à 3,9 %. J'ai discuté récemment avec un directeur de magasin de 1500 mètres carrés, ce qui n'est pas énorme. Il paiera cette année 450 000 francs de taxe d'équarrissage contre environ 100 000 francs il y a un ou deux ans. C'est excessif !

La recherche des responsabilités. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? À partir du 22 octobre, nous avons assisté à un concert à plusieurs voix qui nous a conduits à des situations assez invraisemblables. Bien sûr, il y a eu l'affaire de la Soviba, mais surtout plusieurs phénomènes majeurs qui ont jeté la suspicion. Le premier : nous avons assisté au retrait des viandes dans les cantines. C'est là une décision politique qui, par ricochet, a touché toutes les mères de famille qui aujourd'hui vous disent ne pas servir de steak haché à leurs enfants, parce qu'elles culpabilisent ! Tant de choses ont été dites, qu'elles déclarent suspecter le steak haché. Le deuxième événement est le fait des médias, avec en figure de proue M6, dont l'émission du 6 novembre 2000 a terriblement nui à la viande bovine et a tué le steak haché. Troisième élément ayant suscité la suspicion, les déclarations politiques diverses, y compris celle du ministère de la Santé, qui a déclaré que l'on devait s'attendre à plusieurs dizaines de morts dues à l'ESB. Je ne sais sur quels éléments la secrétaire d'Etat s'est fondée pour avancer de telles assertions. Les scientifiques ont par ailleurs introduit le doute dans toutes leurs réflexions.

Ces divers éléments s'ajoutant, on arrive à un faisceau de présomptions qui font que les gens doutent et aujourd'hui 15 à 20 % de nos concitoyens n'ont plus confiance dans la viande : ils n'en consomment plus ou beaucoup moins souvent, en tout cas avec grande réticence. Il s'agit bien cette fois-ci d'une crise réelle, profonde, qui ne sera pas résolue de sitôt. Je ne crois pas que nous retrouvions les consommations de viande bovine que nous avons connues. En 1996, nous abattions 1,45 million de tonnes de bovins. La crise de 1996 est survenue et en 2000 nous abattions 1,3 million de tonnes, soit 10 % de moins. Je suis prêt à parier que nous allons encore enregistrer une perte de 10 % après la crise de 2000. Avant d'arriver à ces 10 %, on passe par la réduction de 20 à 25 % que nous connaissons aujourd'hui.

Quel retour à la confiance peut-on espérer des consommateurs ? La confiance se fonde sur plusieurs éléments. Tout d'abord, il faut réhabiliter les viandes, mais surtout le steak haché, car il présente deux vertus. D'une part, c'est un élément d'équilibre de la filière, qui utilise les bas morceaux, les morceaux moins nobles, qui, s'ils ne peuvent être consommés en l'état, peuvent l'être une fois hachés. Le steak haché a été discrédité par des émissions télévisées comme par le fait d'avoir été retiré des cantines. Il faut le réhabiliter. L'interprofession a donc décidé, dès le mois de janvier, de travailler sur un nouveau code des usages du steak haché. La semaine dernière, nous avons parlé de ce nouveau code des usages en présentant un steak haché 100 % pur muscle, qui sera entouré de garanties apportées aux consommateurs. Il faut que nous communiquions sur ce que nous faisons. Nous avons demandé, notamment au ministère de l'Agriculture, de nous accompagner à la fois pour une communication générique et pour une communication dans chaque foyer pour expliquer comment nos produits sont sécurisés. De tout temps, on a dit que le muscle était sain, qu'il n'était pas touché. Nous avons pris d'autres initiatives visant à sécuriser encore davantage ces produits.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais que vous nous parliez davantage des techniques d'abattage, certaines étant susceptibles de mettre le muscle en danger. Vous avez évoqué un procédé d'aspiration de la moelle épinière, mais il faudrait parler aussi des techniques de découpe.

On dit parfois, sans doute de manière un peu simpliste, que la traçabilité permet de remonter jusqu'à l'entrée à l'abattoir, mais que l'on ne sait pas trop ce qui en sort. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?

Vous n'avez pas non plus évoqué la question des tests. Que pensez-vous du choix retenu ? Les tests, obligatoires depuis le 1er janvier sur les animaux de plus de trente mois, ont-ils apporté quelque chose ? À quel rythme se déroulent-ils? Est-ce suffisant ? Êtes-vous informés d'une évolution des tests ?

M. Laurent SPANGHERO : L'abattage pose encore problème au moment de l'assommage, de l'anesthésie. Pour l'heure, on utilise une sorte de merlin qui entre dans le crâne. Dès que cela nous fut recommandé, nous avons supprimé le jonchage. Mais le problème central est la fente de la carcasse.

M. le Président : Le jonchage est-il encore pratiqué dans les abattoirs ?

M. Laurent SPANGHERO : Non, c'est interdit. Nous avions demandé quelques semaines de délai pour passer à un système sans jonchage. Le jonchage n'est plus pratiqué au moins depuis le mois d'octobre 2000. Le problème, c'est la fente des carcasses. Nous avons imaginé plusieurs méthodes, dont la double fente, de chaque côté de la moelle épinière, mais cela ne s'est pas révélé positif. En définitive, nous nous sommes résolus à pratiquer de la même façon que pour les moutons, à savoir par aspiration de la moelle épinière. Nous avons demandé aux fabricants de matériels, aux techniciens, de diriger leurs recherches de ce côté-là. Après des essais de plusieurs mois, nous obtenons aujourd'hui satisfaction à 99 %. La dure-mère, la paroi qui contient la moelle épinière, se colle sur un côté par absence d'air, permettant à la scie de travailler dans de bonnes conditions et d'éviter de « tartiner » la moelle épinière sur les vertèbres. Il convient en revanche que nous allions maintenant très vite pour mettre en place cette nouvelle technologie. Nous serons les premiers en Europe, puisqu'à notre connaissance aucun pays n'est aussi en avance. Nous, nous sommes prêts. Nous attendons un accompagnement des pouvoirs publics, pour sécuriser à la fois le produit et le personnel qui travaille dans les abattoirs.

Je ne puis laisser dire que la traçabilité n'est pas bonne. Aujourd'hui, ce ne sont pas les viandes françaises qui nous posent problème, mais les viandes d'origine étrangère, dans la mesure où le niveau de traçabilité n'est pas le même partout dans les pays de la Communauté. Quand on achète des viandes dans certains pays de la Communauté, il nous arrive de ne pas obtenir toutes les informations dont nous avons besoin. Si, aujourd'hui, on décide d'informer le consommateur du type racial d'une viande française, en revanche, je suis incapable d'indiquer le type racial d'une viande achetée en Hollande, par exemple, car ce n'est pas une information obligatoire dans ce pays. Certes, je disposerai de l'indication relative à l'abattoir qui a abattu l'animal et, en Hollande, on pourra certainement ensuite trouver d'où vient l'animal, mais des informations nous feront défaut. Aujourd'hui, on peut dire que la traçabilité des animaux nés, élevés, abattus en France est satisfaisante ; le seul problème qui peut éventuellement se poser est celui des petits ateliers, notamment celui des abattages dits « familiaux » qui deviennent industriels. Je connais des abattages familiaux qui tuent soixante ou quatre-vingts animaux par an, lesquels sont revendus par caissettes dans des conditions qui ne sont pas toujours correctes. J'admets qu'il y a des familles nombreuses. Mais, manifestement, il y a un problème. D'ailleurs, la Direction générale de l'alimentation (DGAL) s'en est émue, puisqu'elle vient de faire paraître un document sur la traçabilité des viandes issues de ces abattages familiaux, ce qui entraînera forcément des mesures de suivi et de surveillance.

M. le Président : Les abattages familiaux traitent des bêtes qui font partie de la catégorie des animaux « nés, élevés, abattus en France ». Or, nous nous interrogeons aussi sur les importations en provenance d'autres pays. Nous aimerions savoir si toutes les conditions de mise sur le marché respectent les critères imposés en France. Par exemple, toutes les viandes qui entrent en France sont-elles testées ? Plutôt que de vouloir laver plus blanc sur des aspects qui paraissent mineurs, sur des règles de transparence, certes légitimes, nous souhaitons savoir quelles sont les garanties dont vous vous entourez et comment vous réagissez au problème soulevé en ces moments de crise par les professionnels eux-mêmes, qui utilisent les termes de « comportement citoyen » ou de « comportement éthique ». Ils dénoncent le fait que l'on achète ailleurs des viandes qui ne présentent pas les mêmes exigences de garantie et de sécurité que celles requises en France.

M. Laurent SPANGHERO : Je fournirai plusieurs réponses. Premièrement, nous sommes dans un marché unique, libre. Que les viandes soient produites en Allemagne, en France, en Angleterre ou en Espagne, je ne peux, en tant que président de la fédération, interdire a priori à une entreprise d'en acheter. Deuxième règle, le principe de subsidiarité joue et chaque État membre est chargé, dans son pays, de faire respecter les règles communautaires. Lorsque mon entreprise achète de la viande en Hollande, nous nous adressons à des gens qui ont pignon sur rue, qui gèrent des entreprises respectables. Si ces viandes ont reçu l'estampille communautaire du pays, cela signifie qu'elles sont saines, loyales et marchandes ; en conséquence, je n'ai pas de raisons de ne pas les acheter. Cela dit, je puis affirmer que le dépistage de l'ESB pour tous les animaux de plus de trente mois et destinés au commerce entre les Etats membres est respecté. Je suis également Président de l'Union européenne de bétail et viandes. J'ai des collègues dans presque tous les pays. Je sais que dans certains pays la mise en place des tests a posé beaucoup plus de problèmes qu'en France, car ils étaient encore moins préparés que nous. Il se trouve que les habitudes alimentaires de certains pays ont facilité les choses. En Italie et en Espagne, on abat des animaux de vingt mois, de dix-huit mois, de seize mois ; le problème ne se posait donc pas. Il s'est, en revanche, posé avec acuité en Allemagne, en Hollande et en Belgique. Aujourd'hui, les animaux sont testés dans toute la Communauté. Je ne peux croire que, parmi les animaux mis sur le marché, une carcasse de b_uf de plus de trente mois circule sans avoir été testée.

Il y a quelques semaines, on a vidé un camion en provenance d'Espagne ; des morceaux de colonne vertébrale étaient collés aux carcasses. Il est clair que le niveau d'exigence de notre pays et de nos services vétérinaires est l'un des plus élevé d'Europe. Dès lors, nos produits présentent un caractère irréprochable supérieur à celui des autres pays.

M. le Président : Je souhaitais obtenir votre appréciation en tant qu'industriel sur des règles imposées en France et qui ne le sont pas par l'Union européenne. Depuis le début de la crise, il s'est parfois écoulé quatre ou cinq ans avant que la règle édictée en France par les autorités sanitaires ne soit transposée au plan européen et ne s'impose à l'ensemble des pays. Vous l'aviez d'ailleurs vous-même relevé lors de vos précédentes auditions. Nous souhaiterions savoir comment vous abordez cette question, qui risque de perdurer dans l'attente d'une Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Vous avez vu les annonces successives, y compris celles de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) en France. Nous aimerions savoir ce que vous pensez de ce problème. J'ai bien compris que vous appliquiez les normes européennes, mais le problème des éleveurs français, c'est que les règles édictées par l'Union européenne en matière de sécurité alimentaire sont parfois moins exigeantes que celles imposées en France.

M. Laurent SPANGHERO : Je ne vois guère de solutions. Il y a d'abord ce que nous demandent aujourd'hui les paysans : ne pas acheter de viandes à l'étranger, mais ce n'est pas la bonne solution, car se pose un problème de rééquilibrage des pièces et des morceaux. De tout temps, nous avons acheté à certains pays des morceaux nobles, des morceaux à griller dont les Français sont friands, et nous avons toujours vendu des morceaux de moindre qualité destinés à la charcuterie. C'est une règle intracommunautaire d'échange. La seule recommandation que nous pourrions faire serait de mettre en place des commissions de contrôle au niveau des directions des services vétérinaires (DSV), pour que les mêmes règles soient appliquées dans tous les pays. Je ne crois pas que la solution soit de n'acheter que des produits franco-français. Ce n'est pas acceptable en l'état ; en revanche, il est possible de faire évoluer rapidement les autres pays au même niveau que le nôtre, car nous savons que certains pays sont en retard, notamment les pays du sud. L'Allemagne, la Hollande, la Belgique sont très proches de nous.

M. le Président : S'agissant de l'Allemagne, cette soi-disant proximité a quand même mis quatre ans avant de s'exprimer s'agissant des matériaux à risques spécifiés (MRS).

M. Laurent SPANGHERO : Je parlais du traitement des viandes dans les abattoirs, non de la sécurisation du produit. Quant aux matériaux à risques, je fus l'un des premiers à dénoncer l'absence de mesures. J'en viens aux tests. Le démarrage s'est révélé compliqué et difficile. Notre fédération a beaucoup contribué à améliorer les choses. Nous avons à peu près tout fait pour amortir le choc. Au bout d'un mois, malgré tout, on est arrivé à un nombre de laboratoires suffisant pour faire face aux besoins et, aujourd'hui, nous sommes suréquipés, puisque nous avons besoin de tester trente-cinq mille animaux par semaine environ, alors que nos laboratoires peuvent en tester cinquante mille. Tous les animaux de plus de trente mois sont testés. C'est systématique, car la mesure est appliquée sous contrôle vétérinaire ; nous sommes obligés de classer les animaux selon qu'ils sont âgés de moins ou de plus de trente mois. Sur ce point, il n'y a pas d'équivoque possible.

S'agissant des tests eux-mêmes, nous avions émis dans un premier temps des doutes quant au choix de Prionics. À l'usage, il s'avère que Prionics est certainement le moins mauvais - je ne dis pas le meilleur. Passées les quatre années de naissance fatidiques 1993-1994-1995-1996, je reste persuadé que l'on reviendra aux tests aléatoires dans un an ou deux, car nous ne trouverons que très peu d'animaux qui réagiront positivement. En tout cas, telle est ma conviction.

M. le Président : Avez-vous des éléments à nous apporter sur le test du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) vous permettant de dire que le test Prionics est meilleur ?

M. Laurent SPANGHERO : Je ne suis pas scientifique. Jusqu'à ces dernières semaines, nous étions persuadés que le test du CEA était le meilleur. Or, à l'usage, il apparaît que ce n'est pas le cas. Je tiens cela de la DGAL, qui soutient donc que l'on ne se serait pas trompé dans le choix du test.

M. Jean-Pierre DUPONT : Dans mon département, la Corrèze, 1500 tests sont effectués par semaine. Selon les données dont je dispose du laboratoire, le Bio-Rad est un test extrêmement sensible, voire trop sensible, qui enregistre trop de faux positifs. Je n'ai pas très bien compris la méthode d'aspiration de la moelle. On aspire la moelle avant la fente de la carcasse ?

M. Laurent SPANGHERO : Oui.

M. Jean-Pierre DUPONT : Ce qui ne doit pas être aisé à cause de la dure-mère.

M. Laurent SPANGHERO : C'est tout de même possible.

M. Jean-Pierre DUPONT : La méthode est expérimentale ?

M. Laurent SPANGHERO : Nous travaillons sur le sujet depuis plusieurs mois. La préoccupation de la DGAL a toujours été la fente des animaux et la sécurisation des suifs destinés aux aliments d'engraissement des veaux. Aujourd'hui, deux industriels ont mis au point des produits, notamment un qui donne satisfaction à 99 %, mieux que ce que nous aurions pu espérer il y a quelques semaines.

M. Jean-Pierre DUPONT : C'est une bonne nouvelle, car cela va sécuriser l'abattage.

M. Laurent SPANGHERO : J'espère que les pouvoirs publics comprendront notre demande. Nous avons 280 abattoirs à équiper sur la base de 150 000 francs par abattoir. En contrepartie, nous sécurisons le personnel ainsi que les produits. J'espère que nous allons rapidement aboutir à un accord de principe pour pouvoir passer à l'acte et équiper un maximum d'abattoirs.

M. Jean-Pierre DUPONT : L'identification raciale n'apporte pas grand-chose à la traçabilité. Je sais bien qu'elle présente un avantage commercial important : si l'on précise qu'il s'agit de la Charolaise, de la Limousine ou de la Holstein, les consommateurs vont en acheter. Le prix n'est pas le même. Pour autant, je ne pense pas que cela ajoute à la traçabilité.

M. Laurent SPANGHERO : Il s'agit là d'une information pour le consommateur, non de traçabilité. C'est pourquoi j'ai bien distingué la traçabilité avec le numéro de lot, de l'information au consommateur, à laquelle on pourrait ajouter la mention « alimenté selon les règles en vigueur » ; aujourd'hui, on sait que l'alimentation ne contient plus que des végétaux. Savoir si l'on consomme de la vache laitière ou un animal destiné à la viande présente un intérêt pour certains consommateurs, surtout après tout ce que l'on a dit sur les vaches laitières, même si les produits sont sécurisés.

M. Jean-Pierre DUPONT : Vous avez parlé des abattages familiaux, qui peuvent sans doute exister pour les porcs, les productions locales, familiales... Mais une vache ne peut être tuée que dans un abattoir ; autrement, il s'agit d'un abattage clandestin. La législation est claire. La sécurité a été à ce point poussée que l'abattage d'urgence n'existe plus, y compris pour un animal qui se casse une patte, qui est consommable. L'abattage d'urgence n'existe plus. Le vétérinaire est payé par l'État pour euthanasier l'animal. Cela incite - du moins peut-on le penser - certains producteurs à ne pas déclarer un animal qui se casse une patte, car ils le considèrent comme consommable. Cette interdiction des abattages d'urgence induit la clandestinité, autrement dit le non-dépistage de l'ESB. Disposez-vous de données sur cette pratique ? A-t-elle tendance à augmenter, à diminuer ?

M. Laurent SPANGHERO : Nous comprenons la décision de la DGAL d'interdire l'abattage de tout animal accidenté. Nous le comprenons, mais dans le cadre d'un accident de trajet, d'un accident qui se produit en changeant un troupeau de stabulation ou d'incidents de vêlage, je trouve anormal que cet animal n'entre pas dans le circuit de la consommation humaine. Certes, il y a les dérives que vous soulignez. Nous considérons aujourd'hui que, s'il est un point qu'il faut revoir, c'est celui de ces animaux accidentés. Il ne s'agit pas d'introduire sur le marché des animaux malades destinés à la consommation humaine. Mais il est évident que les règles actuelles poussent à la clandestinité.

M. le Président : A dire vrai, c'est une question compliquée. Nous avons entendu une analyse selon laquelle la tentation serait forte, en présence d'un animal au comportement un peu trouble, « de le retrouver » avec une fracture.

M. Laurent SPANGHERO : Il ne faut pas exagérer.

M. Jean-Pierre DUPONT : Un animal malade auquel on casserait une patte subirait le test, puisqu'il passerait à l'abattoir.

M. le Rapporteur : Je pense en effet qu'il faut reconsidérer le sort des animaux accidentés. Je suis député du département de la Creuse. Mes préoccupations rejoignent celles de M. Dupont, nos départements présentant des similitudes. Les éleveurs ne comprennent pas cette mesure, qui débouche sur une indemnisation de 1 500 francs. Il en résulte une perte considérable, surtout s'il s'agit d'un éleveur bio ! Dans le même ordre d'idée, l'abattage de l'ensemble du troupeau lorsqu'un cas d'ESB est repéré est-il la meilleure solution ? Les Anglais ne pratiquent pas du tout de la même façon. Quel est votre sentiment ? Les éleveurs reconnaissent que l'indemnisation est correcte ; parfois d'ailleurs, s'agissant de certains animaux, c'est une bonne affaire.

M. Laurent SPANGHERO : S'il s'agissait d'une épidémie, il n'y aurait aucun doute pour affirmer la nécessité d'abattre l'ensemble du troupeau. Toutefois, dès lors que nous testons les animaux, je ne vois pas l'intérêt qu'il y a à continuer à abattre l'ensemble du troupeau. Nous l'avons indiqué à plusieurs reprises au ministre. Nous sommes contre l'abattage total. À partir du moment où les animaux sont testés et où la sensibilité du test est suffisante, il est inutile d'abattre l'ensemble des animaux. Nous sommes contre. Les éleveurs, du fait de cette mesure, souhaitent plutôt envoyer des animaux à la destruction qu'à l'abattage pour ne pas prendre de risques.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous faire le point sur la situation économique actuelle ? Les choses semblaient repartir début janvier. Or, ce ne fut pas le cas ; peut-être est-ce dû aux cas déclarés en Italie. Quel est votre sentiment et comment voyez-vous la sortie de crise ?

M. Laurent SPANGHERO : La crise actuelle diffère totalement de celle que nous avons connue en 1996. La crise est européenne et beaucoup plus profonde, comme est également plus profond le traumatisme. La situation allemande, italienne, espagnole nous préoccupe ; il faut savoir que la consommation de viande en Allemagne est tombée à 60 % et qu'elle restera durablement à ce niveau, car les Allemands ont une culture beaucoup plus « verte », beaucoup plus écologique que la nôtre. Nous avons un vrai souci. L'Italie est aussi dans une situation compliquée, de même que l'Espagne et la Grèce.

En France, les industries de première transformation, les abattoirs, ont retrouvé un niveau d'abattage, tout simplement parce qu'à la consommation normale s'ajoutent la destruction et l'intervention publique. Les animaux étant là, les abattoirs trouvent un niveau d'activité semblable à celui d'avant la crise. En revanche, dès lors que l'on se place en deuxième transformation, a fortiori en troisième transformation, c'est-à-dire le steak haché, les produits élaborés, on atteint moins 40 %. À moins 15 ou 20 %, on passe en dessous du seuil de viabilité d'une entreprise. Nous sommes parfois à moins 40 %, ce qui rend la situation très difficile à gérer. Pour compléter le tableau, toutes les entreprises exportatrices sont arrêtées. Trente-sept pays tiers ont fermé leurs frontières. Nous sommes interdits quasiment partout, sauf en Russie et au Liban. Tous les autres pays sont fermés, y compris notre marché privilégié qu'est l'Italie avec plus d'un million d'animaux par an ! Nous n'envoyons plus rien en Italie, ce qui, bien sûr, explique le traumatisme des éleveurs de jeunes broutards qui nous interrogent sur ce qu'ils doivent faire. Mettre à la destruction ? Non. En stockage public ? Cette mesure est réservée aux animaux de plus de douze mois. La seule réponse est la consommation, non seulement française, mais européenne.

Dernier phénomène que nous subissons depuis un mois : ce qui s'est produit en Allemagne et en Italie s'agissant du veau. Il y a encore quelques semaines, le veau n'était pas touché, mais l'on a enregistré un effondrement de la consommation en Italie et en Allemagne, avec pour conséquence que la Hollande, deuxième producteur de veau européen, est venue vendre du veau en France, dont le marché s'est effondré de dix francs le kilo. Aujourd'hui, il manque dix ou douze francs le kilo sur tous les veaux que nous abattons. Nous n'y sommes strictement pour rien. Nous perdons 1 200 à 1 300 francs par veau, alors que la consommation française est sensiblement toujours la même. Un apport de 10, 15, 20 % de veaux hollandais - actuellement, il arrive mille tonnes par semaine - a complètement effondré le marché français. Nous sommes dans une situation où des pertes colossales viennent s'ajouter à toutes les autres précédentes. Les abats, le steak haché, l'exportation de bétail et de viande sont sinistrés. C'est maintenant le tour du veau. Sans compter l'agneau. Il a été réhabilité, car la fièvre aphteuse en Angleterre a fait remonter les cours, mais nous enregistrons un tassement de deux ou trois francs le kilo suite à l'annonce de l'AFSSA. Voilà pour la situation générale, qui est assez préoccupante.

M. Germain GENGENWIN : Vous dites que nous avons perdu le marché du veau en Italie et que l'on continue d'importer des veaux de Hollande. Je veux bien que nous soyons dans un marché ouvert, mais quand on perd le marché à l'exportation de veau, comment les producteurs peuvent-ils comprendre que nous importions des veaux vivants de Hollande ?

M. Laurent SPANGHERO : C'est bien là le problème : qu'est-ce qui peut nous empêcher d'importer du veau de Hollande ? Nous sommes dans un marché unique, ouvert. Je comprends que vous ne compreniez pas. Quatre-vingt dix pour cent de la production française de veau sont une production intégrée. C'est-à-dire qu'on apporte aux éleveurs le veau de huit jours, l'aliment, les services techniques ; on reprend le veau gras et on leur paye une prestation. Je suis moi-même producteur de veaux. J'ai huit mille veaux en élevage. Actuellement, je sors trois ou quatre cents veaux par semaine. Cela coûte 500 000 francs par semaine, non que nous ayons mal travaillé, ni que le marché français se soit effondré, mais parce que les Hollandais sont venus nous concurrencer à dix francs de moins le kilo. Je suis le premier à déplorer cette situation !

M. Roger LESTAS : J'étais parlementaire lorsque la taxe sur l'équarrissage fut instituée. Je considérais que le consommateur voulait la qualité et la sécurité. Il ne pouvait en être ainsi que si le consommateur payait la taxe d'équarrissage. Si l'équarrisseur l'avait fait payer au producteur, nous serions revenus au temps des délais de paiement, où les abattoirs faisaient supporter aux producteurs les agios de paiement à quatre-vingt-dix jours-fin de mois des commerçants. Je me disais donc qu'il en serait de même et que ce serait le consommateur qui, s'il voulait la qualité, devait supporter la taxe d'équarrissage.

Un débat a eu lieu sur le paiement des tests. Quand on compare le prix à la production et le prix au détail, qui n'a guère changé entre aujourd'hui et il y a quelques mois, je considère que l'on devrait trouver dans la différence le prix du test pour contrôler les animaux.

M. Laurent SPANGHERO : Sur le prix des tests, rien à dire. Nous savions qu'il fallait le prendre en charge. Ce n'est pas ce qui nous préoccupe. Ce sont plutôt les sommes colossales que nous avons été amenés à trouver pour éliminer les farines animales et les déchets. Je suis persuadé qu'à ce titre, des gains importants sont à réaliser. Aujourd'hui, le pourcentage de 3,9 % pour la taxe d'équarrissage me paraît excessif. Il est évident que quelqu'un doit prendre en charge les coûts. Lorsqu'il a été décidé d'éliminer les cadavres d'animaux de la chaîne des farines animales, la logique eût voulu que le producteur paye la destruction de l'animal. Cela représentait 80 % des déchets de l'époque, les 20 % restants étant des déchets d'abattoir. C'est la raison pour laquelle nous avons plaidé pour que la taxe d'équarrissage soit prise en compte par les distributeurs via le consommateur. Mais il s'agissait de 0,8 ou 0,9 %, contre près de 4 % aujourd'hui. Nous considérons qu'est appliquée une deuxième TVA et que les sommes sont à ce point colossales qu'elles doivent être remises en question. C'est pourquoi je dis que certaines farines animales devraient être réhabilitées dans le futur. Mais je sais que, en disant cela, je marche sur des _ufs !

M. Roger LESTAS : Les déchets des abattoirs peuvent donc entrer dans la chaîne alimentaire animale ?

M. Laurent SPANGHERO : Oui, dès lors qu'ils sont traités correctement.

M. Marcel ROGEMONT : Je reviens sur les farines animales à « réintégrer » sous certaines conditions. Comment les sécuriser lorsque l'on pense à des pays dont la réglementation ou la vigilance sont faibles ? Même si nous légiférons et réglementons en France, il n'en reste pas moins que nous sommes dans un marché unique. C'est-à-dire que nous achetons des animaux sur le marché sans autre précaution. Comment peut-on sécuriser ces farines animales dans un contexte où la capacité d'édicter des règles et la capacité de contrôle diffèrent grandement d'un pays à l'autre ?

M. Laurent SPANGHERO : Tout simplement en traitant tous les coproduits de la même façon que l'on traite ceux destinés à la consommation humaine. Il faut utiliser la même chaîne et édicter les mêmes règles. Aujourd'hui, que je sache, les Allemands et les Hollandais consomment de la viande bovine au même titre que nous. Dans le pot-au-feu, on met un os à moelle ; cela donne du goût au pot-au-feu. Comment ce même produit ne pourrait-il être utilisé pour alimenter nos porcs ? Je trouve cela anormal, dans la mesure où il s'agit d'une protéine noble bien traitée. C'est clair. Pendant longtemps, on a utilisé les petits cubes Maggi, à base d'os de b_uf cuits. Je suis un peu choqué que l'on gaspille des protéines nobles, qui sont traitées avec les mêmes précautions que les produits destinés à l'alimentation humaine.

Dans certains fondoirs, on fond des graisses de canards ou d'oies. Une entreprise implantée à proximité de Nantes s'est spécialisée. Une partie des graisses provient des bovins, des veaux ou des porcs. L'autre partie est issue des graisses de canards, qui sont des graisses nobles, réutilisées ensuite dans des confits ou dans des cassoulets. Cela provient d'un fondoir qui fond également d'autres produits. C'est dire que l'usine est sécurisée. Le produit qui sort est sécurisé. Il n'y a aucune raison que les autres produits qui sont travaillés dans cette usine ne soient pas sécurisés de la même façon, sinon ils n'entreraient pas dans l'alimentation humaine. En revanche, il existe des tabous, mais c'est autre chose.

M. le Président : Vous qui êtes un industriel, appartenant à une filière qui souffre beaucoup, comment analysez-vous ce qui s'est passé hier au Conseil des ministres de l'Agriculture à Bruxelles, dans la perspective des prochains rendez-vous, notamment de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale ? J'aimerais connaître les recommandations que vous formuleriez pour que la sécurité ne soit pas un élément de distorsion de concurrence entre les producteurs nationaux et d'autres sur le marché européen.

M. Laurent SPANGHERO : Premier point : il faut se convaincre de l'existence de la baisse de la consommation européenne qui est de l'ordre de 10 à 15 %. C'est là, je pense, une conviction partagée : nous ne retrouverons pas la consommation passée. Si nous ne disposons pas d'une capacité exportatrice forte, puisque nous produisons à un prix de revient plus élevé que le reste du monde, de deux choses l'une : soit on reçoit des aides à l'exportation vers les pays tiers, soit on connaîtra une baisse générale de la production européenne. On s'oriente vers une maîtrise de la production, recommandée par certains.

Que m'inspire ce qui s'est passé hier à Bruxelles, au Conseil des ministres de l'Agriculture ? Il est regrettable que nous n'ayons pas une analyse et une position communes sur un sujet aussi important. Que nous soyons divisés et que la France soit isolée est préoccupant. La France ne pourra indéfiniment supporter seule ses paysans, ses agriculteurs et ses entreprises.

Vous avez évoqué l'Europe centrale. La préoccupation est plus grande encore. Nous étions plutôt autosuffisants, faibles exportateurs en viande bovine. Les potentiels en viande bovine sont là, mais nous ne serons pas a priori compétitifs demain, sauf à trouver des solutions de production extensive, à alléger les charges des éleveurs, car s'ils ont à supporter les mêmes charges qu'aujourd'hui, ils ne pourront continuer à produire des viandes à un prix inférieur. Le chef d'entreprise que vous avez devant vous aujourd'hui est préoccupé. Je me dis qu'il faut réduire la voilure de nos installations, de nos entreprises et, bien sûr, continuer à travailler dans une démarche de qualité. Nous croyons beaucoup à l'identification régionale des produits. Demain, les gens voudront savoir d'où vient le produit qu'ils consomment. Plus le produit sera proche du lieu de consommation et plus le consommateur sera rassuré. Je reste persuadé que nous travaillerons par bassin de production, par bassin de consommation et que la restructuration passera par-là. Voilà notre conviction.

Je suis également persuadé que, avec la crise que nous venons de vivre et le traumatisme qui s'en est suivi, les autres pays, avec plus ou moins de rapidité, s'aligneront sur nos standards de sécurité, mais ce que nous disons pour notre pays sur la régionalisation, par exemple, est vrai pour les autres. En Allemagne, on parle de viande de Bavière, en Italie de viande de la Plaine du Pô. On se retrouve dans chaque pays, avec, non pas une nationalisation, mais une régionalisation des produits. Nous nous inscrivons dans ce cadre. Transversalement, pour la restauration collective par exemple, on trouvera d'autres qualités de viande, encore que l'on parle même de viande bio dans les cantines. À un moment donné, tout cela va se régulariser, mais je crois qu'il y a place pour une viande de qualité, mais produite, vendue, commercialisée et consommée régionalement. Voilà comment je vois les choses, avec un grand souci de restructuration et de remise en état de l'ensemble de la filière bovine, aujourd'hui très atteinte.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de MM. Benoît MANGENOT, directeur,
et Thierry GESLAIN, chef du service scientifique et réglementaire,
de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 février 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Benoît Mangenot et Thierry Geslain sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Benoît Mangenot et Thierry Geslain prêtent serment.

M. le Président : Monsieur Mangenot, je vous souhaite la bienvenue au nom de toute la commission d'enquête.

Les entreprises du secteur de l'agroalimentaire - dont vous aviez souligné à l'époque qu'elles étaient la première industrie française, avec plus de 800 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel - sont en quelque sorte dans une position intermédiaire entre les producteurs et la distribution. Intervenant dans la transformation, vous êtes impliqués dans les processus de sécurité alimentaire, domaine dont les investissements pouvaient être évalués, selon vous, de 20 à 40 milliards de francs en 1998. Néanmoins, vous dépendez, pour la sécurité, des mesures prises en amont, qui font l'objet de réglementations et de contrôles, dont vous nous direz ce que vous en pensez, de même que pour les mesures de sécurité et de contrôle qui assortissent l'activité de vos adhérents. Nous attendons votre éclairage sur la manière dont les pouvoirs publics et les organisations professionnelles ont réagi dès l'apparition de la crise de l'ESB.

M. Benoît MANGENOT : L'ANIA a remplacé le qualificatif « agroalimentaire », voici quatre ou cinq ans par celui « d'alimentaire ». Ce point de détail revêt une signification par rapport au sujet qui nous occupe. Nous avons voulu marquer notre identité, celle d'une industrie qui transforme des produits agricoles, certes, mais qui est plus proche encore du consommateur et dont la principale fonction n'est pas d'être transformatrice de produits agricoles, mais d'être productrice de produits alimentaires.

Nous regroupons trente et une fédérations, représentant des professions extrêmement diverses, certaines très éloignées du sujet qui nous occupe aujourd'hui. Je citerai l'exemple de la Chambre syndicale des eaux minérales, du syndicat des fabricants des boissons rafraîchissantes ou des fabricants d'ingrédients, des fabricants d'amidon, de levure, d'additifs alimentaires, qui ne sont en aucune manière concernés par l'ESB. Nous comptons également parmi nos membres la Fédération nationale de l'industrie laitière - nous nous approchons davantage du sujet qui nous intéresse - et des secteurs transformateurs de viande, au premier rang desquels figurent la Fédération des industries charcutières et traiteurs et le Syndicat national des industries de la viande, représenté à notre conseil d'administration par M. Laurent Spanghero que vous venez d'entendre. Mes propos ne diffèrent pas des siens, car, s'agissant de viande, en tout cas bovine ou ovine, c'est vers lui que nous nous tournons pour nous forger une opinion.

Nous représentons une industrie très concernée par les questions de sécurité alimentaire. Elle l'est depuis toujours, certes, mais, de plus en plus, au fil des années, la sécurité des aliments est portée au premier plan de sa réflexion. Notre organisation professionnelle visant à promouvoir les industries de l'industrie alimentaire, nous avons procédé à un exercice d'identification des sujets sur lesquels nous étions concernés. C'est ainsi que nous avons porté au premier rang de nos priorités les questions de sécurité et de qualité des aliments. Plus que jamais, nous travaillons sur ce sujet dans le cadre dune commission « Qualité, sécurité, réglementation » dont M. Geslain est le rapporteur. Nous travaillons sur les multiples questions liées à la qualité et à la sécurité des aliments dans le cadre d'une commission qui comporte de nombreux groupes de travail et qui réunit plus d'une centaine d'experts provenant des entreprises de l'industrie alimentaire. Nous réfléchissons par ailleurs aux questions environnementales, sociales, à la problématique des échanges extérieurs et à la vocation exportatrice de la France ; enfin, aux relations avec nos clients distributeurs.

Je voudrais éclairer le rôle de l'ANIA sur la question de la qualité et de la sécurité des aliments. Notre rôle doit être précisé en considérant la place que nous occupons dans la chaîne alimentaire. Nous sommes à la fois les clients du monde agricole et les fournisseurs du dernier maillon de la chaîne avant le consommateur, qu'il s'agisse de la grande distribution, de la restauration - commerciale ou collective - ou des petits commerçants. C'est dire que nous occupons une position intermédiaire : nous partons d'une matière première agricole pour la transformer en aliments, cette transformation pouvant comprendre plusieurs stades. Je dis cela, car, dans le cadre du problème qui nous occupe aujourd'hui, notre industrie a eu jusqu'à une période très récente une vision qui portait essentiellement sur une relation de client à fournisseur, c'est-à-dire d'exigence de qualité de la matière première fournie par le fournisseur agricole. En revanche, ce n'est que très récemment que nous avons pris l'initiative d'engager une démarche de réflexion, d'évolution des habitudes, une démarche constructive sur les questions d'amont de l'agriculture. Jusqu'à maintenant, nous n'étions pas allés voir ce qui se passait en amont de l'agriculture. Notre relation s'établissait avec notre fournisseur. Autrement dit, nous n'agissions pas en tant qu'organisation professionnelle pour savoir si les fabricants d'engrais ou les fabricants d'aliments du bétail avaient tel ou tel comportement. Il n'y a pas, je crois, d'exception, hormis - mais tel n'est pas le sujet de votre commission d'enquête - le contact que nous avons eu avec les producteurs de semences génétiquement modifiées, puisque cette question touchait directement notre industrie, tout en remontant en amont de la chaîne alimentaire.

M. le Président : Les OGM nous intéressent, car la commission d'enquête aura des pistes à proposer. À ce titre, nous avons posé la question des produits de substitution aux farines animales et donc des protéines d'origine végétale. Il est bien précisé dans la proposition de résolution adoptée par notre assemblée que la commission d'enquête examinera la question des productions de substitution non génétiquement modifiées

M. Benoît MANGENOT : Vaste question ! Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Notre rôle est d'être présents le plus en amont possible des risques alimentaires qui peuvent survenir. Nous nous appuyons donc sur les systèmes de veille mis en place par les entreprises et les fédérations ainsi que sur la veille que nous organisons nous-mêmes. Nous informons les pouvoirs publics de nos propositions sur ces questions et nous tentons de les faire accepter par eux afin que la réglementation intègre les réalités de l'industrie alimentaire. Nous avons donc un rôle de porte-parole, un rôle d'information, voire d'explication auprès de nos adhérents sur l'évolution de la réglementation, mais ce rôle se limite à la réglementation et ne se traduit pas par la mise en place d'actions concrètes de gestion des marchés, de décisions qui auraient une incidence directe sur la gestion des entreprises.

J'en viens au problème qui vous occupe. Je dois vous avouer que la question de l'importation des farines animales est restée totalement extérieure aux préoccupations de notre organisation professionnelle, à tort ou à raison - il ne m'appartient pas d'en juger - vous apprécierez vous-mêmes. Nous avons tenté d'analyser la façon dont nous avions fait face à la crise intervenue en 1996. Nous y avons répondu en aidant les entreprises à comprendre ce qui était en train de se passer. Jusqu'en 1996, notre relative tranquillité d'esprit, je crois partagée par tous, se fondait sur l'idée de la non-transmission de l'ESB à l'homme. Comme tout le monde, nous avons été extrêmement pris au dépourvu par l'information relative au franchissement de la barrière des espèces. Notre rôle fut d'aider nos adhérents à comprendre et à les informer sur deux ou trois questions techniques précises ayant trait à l'industrie alimentaire, comme l'utilisation de la gélatine ou le problème des viandes séparées mécaniquement, toutes questions très pointues sur lesquelles nos adhérents nous interrogeaient et au sujet desquelles nous étions en contact avec l'administration pour essayer de gérer au mieux la crise.

Le problème de l'importation des farines animales est resté extérieur à notre organisation, d'autant que le Syndicat de la nutrition animale, membre de l'ANIA dans une vie très lointaine, a quitté notre organisation avant le début des années 90. En outre, jusqu'en 1996, le Syndicat national d'industrie de la viande ne faisait pas partie de l'ANIA. Voilà deux raisons qui nous éloignaient de cette préoccupation. Telle est la façon dont nous avons vécu la crise en 1996. Depuis lors, nous avons suivi ce dossier, non en première, mais en seconde ligne, même si les décisions prises en matière d'élimination des matériaux à risques, de temps à autre, concernait notre industrie.

Depuis un an, nous avons souhaité nous engager dans une démarche de progrès, essentiellement de communication. Celle-ci nous amène à faire évoluer nos comportements sur les questions de sécurité des aliments, parmi lesquelles figure celle de l'ESB. En juin 2000, nous avons été les premiers à demander le dépistage systématique des bovins entrant dans la chaîne alimentaire, et insisté sur la nécessité d'avoir des tests fiables. Nous avons été effectivement très en avance sur cette question dans une optique de sécurisation de la chaîne alimentaire, qui est une préoccupation forte.

M. le Président : L'objet de la commission d'enquête vous a été communiqué. Il porte notamment sur le système de veille sanitaire et son renforcement. C'est pourquoi nous souhaitions vous entendre sur ces dispositifs de veille, qui ont d'ailleurs concerné certaines de vos entreprises. Dans ce cadre, sont intervenues des annonces successives de retrait de matériaux à risque, ainsi que la publication d'avis, en particulier ceux de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), qui ont eu des conséquences sur la chaîne alimentaire - au moins en termes économiques - et sur l'utilisation des farines carnées. Nous avons bien insisté - cela figure dans le texte de la résolution - sur le remplacement des farines par des protéines végétales non génétiquement modifiées. Nous aimerions donc avoir votre avis sur ce qui a été mis en _uvre en termes de dispositifs de surveillance et sur l'harmonisation communautaire des règles de sécurité alimentaire, question qui touche très directement votre industrie, ainsi que votre analyse sur le fait que des problèmes clairement identifiés un pays de l'Union européenne ont conduit à des mesures qui ne furent généralisées que plusieurs années après. En toile de fond, se pose la question des contrôles, et, par suite, celle des importations dans le cadre du Marché unique. Sur ces sujets, nous aimerions avoir votre appréciation, même si nous mesurons qu'elles revêtent un caractère large, mais il faut tirer les leçons des crises successives que nous traversons pour formuler des recommandations, y compris dans l'organisation des systèmes de veille sanitaire.

M. Thierry GESLAIN : S'agissant des contrôles, nous sommes à la fois contrôlés par les services vétérinaires, par les services de la répression des fraudes et, dans une moindre mesure, par les services de la Santé. En matière d'effectifs et de pression des contrôles, vous savez combien ils sont supérieurs en France par rapport à la moyenne communautaire. Lorsque l'on retrace l'histoire des mesures prises depuis 1996, date de l'annonce de la transmissibilité de l'ESB à l'homme, l'ANIA a souhaité être parfaitement au clair sur la manière dont les contrôles allaient être mis en place. Dans nos courriers et échanges avec l'administration, nous avons formulé beaucoup de demandes en ce sens pour être parfaitement informés sur la manière dont s'opéreraient les contrôles. Il s'agissait et il s'agit encore, pour nous, d'exercer notre rôle d'information vis-à-vis de nos adhérents. Notre souci porte sans doute moins sur l'harmonisation des mesures que sur l'élaboration et le contrôle de celles-ci.

Les contraintes qui pèsent sur l'industrie alimentaire ont surgi avec la réglementation des matériaux à risque qui devait, en principe, concerner l'alimentation humaine, ce qui n'est toujours pas le cas. Par exemple, nous ne nous sommes pas sentis extrêmement concernés par la mesure d'exclusion de la rate. En revanche, cela touchait la filière, dans la mesure où était posée la question de savoir si ces matériaux étaient ou non récupérés dans les farines animales.

S'agissant de l'harmonisation nécessaire entre les mesures nationales et communautaires dans le domaine de l'alimentation humaine, nous sommes probablement moins exposés à des écarts de niveau de réglementation entre États membres. À ce stade, nous avons aujourd'hui essentiellement un rôle de veille. Les évolutions sont plutôt à venir : on craint parfois des mesures assez différentes entre la France et l'Union européenne. Par exemple, il n'est rien sorti de nouveau hier sur les matériaux à risque ovins au Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne ; pour autant, le dossier reste au niveau communautaire. A priori nous n'aurons pas, dans l'attente d'un avis communautaire, de mesures spécifiques à appliquer, par exemple, sur les intestins d'ovins. Les mesures seront prises à l'échelle communautaire. C'est notre souci principal quant à ce type de nouvelles dispositions. De même pour les graisses animales, matière première également utilisée dans l'alimentation humaine, qui a déjà fait l'objet de restrictions et qui pourraient en appeler d'autres, puisque sont formulés des avis à la fois nationaux et européens pour traiter les graisses à 133 degrés, 20 minutes, 3 bars, à l'instar des farines. C'est effectivement l'avis exprimé par le Comité scientifique directeur. Nous sentons que c'est une mesure à venir et que les graisses bovines utilisées dans l'alimentation humaine subiront ce type de traitement. Nous espérons que la mesure interviendra à peu près en même temps au niveau national et européen. Nous présumons qu'il en sera ainsi. Si, toutefois, la mesure intervenait en premier lieu en France, elle serait néanmoins rendue applicable, par l'intermédiaire des cahiers des charges, aux graisses importées d'autres États membres.

M. Benoît MANGENOT : Au sujet de l'élimination des matériaux à risque, nous avons le sentiment que le principe de précaution est utilisé avec ampleur par les pouvoirs publics et que sont éliminés de la chaîne alimentaire des matériaux dont les risques ne sont pas forcément prouvés, mais sur lesquels pèse une présomption de risque. Cela dit, notre discours n'a pas pour objet de dire qu'on retire trop de matériaux de la consommation, car aucune entreprise n'a intérêt à mettre en jeu sa notoriété en utilisant des produits qui feraient courir un risque au consommateur. Nous avons simplement constaté à certaines occasions que la gestion de l'interdiction de certains matériaux à risque était intervenue dans des conditions quelque peu désordonnées, qui n'ont pas simplifié la vie des opérateurs et qui contribuaient davantage à attiser les craintes des consommateurs qu'à les calmer. On a annoncé le retrait de certaines parties de l'intestin pour ensuite revenir sur la décision. Dès lors que les situations sont gérées dans le désordre, cela pose des problèmes d'image des produits offerts sur le marché et des difficultés de gestion de stocks de produits. Cela dit, l'objectif principal est d'arriver à la sécurisation du produit ; nous n'avons pas envie de mettre en jeu notre responsabilité en utilisant des produits qui pourraient présenter un risque. Globalement, nous comprenons l'action de l'Agence et des pouvoirs publics, même si nous la trouvons très musclée.

Plus généralement, nous avons été très favorables, dès l'origine, à la mise en place de l'Agence. Nous avons regretté et nous continuons de regretter de ne pas avoir la capacité de la saisir. Des exemples récents nous confirment qu'il est regrettable que nous ne puissions pas la saisir pour lui demander un avis sur l'utilisation du sel dans les aliments. Nous avons également considéré que l'Agence faisait preuve d'un ostracisme quelque peu excessif vis-à-vis des experts scientifiques issus de l'industrie. Ces remarques de détail étant faites, nous considérons que le rôle joué par l'Agence est essentiel et qu'il s'agit d'un juge de paix extrêmement précieux. L'Agence française fait partie des deux références citées en exemple à l'échelle européenne. Notre jugement sur l'Agence est globalement très positif, à quelques nuances près.

M. Thierry GESLAIN : L'Agence est par principe indépendante, y compris dans le domaine de la communication. Pour préciser le propos de M. Mangenot, les difficultés subies par les opérateurs ont été engendrées plus spécifiquement par la question des intestins. Un avis est exprimé par une agence qui a autorité ; c'est le cas de l'AFSSA aujourd'hui et c'est tant mieux. Mais un avis publié avant que la décision soit prise peut déstabiliser les opérateurs, qui sont alors interrogés par leurs clients, qu'il s'agisse des transformateurs ou des distributeurs. Entre l'avis et la décision, il peut s'écouler un délai suffisant pour semer la confusion dans les esprits. On vit difficilement les quelques journées qui séparent l'avis de la décision - ce fut heureusement assez rapide pour les intestins de bovins. La situation peut présenter un caractère déstabilisant, non seulement pour les opérateurs, mais également pour les consommateurs. Communiquer immédiatement sur les avis est une preuve de transparence très positive, mais il convient d'apprendre à gérer ce nouvel outil que l'on a en main. Le démarrage, au cours des derniers mois, a suscité quelques difficultés d'application. C'était inévitable. Nous avons intérêt à ce qu'intervienne le plus rapidement possible une décision pour dire si l'on suit ou non l'avis et pourquoi. Pour l'industriel, le doute est parfois difficile à gérer.

M. le Rapporteur : Ce matin, a été évoquée l'idée qu'il serait peut-être prudent, avant de rendre public un avis de l'Agence, qu'il y ait eu préalablement information interne et concertation. Vous avez souligné le souci de transparence. Les personnes chargées de retransmettre l'information, les médias, font leur travail. Il est normal qu'ils diffusent l'information, puisqu'elle est donnée. Sans vouloir remettre en cause l'indépendance de la presse, ne pourrait-on améliorer le fonctionnement actuel, dans la mesure où, aujourd'hui, une information est livrée aux médias avant que le pouvoir politique n'ait pu s'exprimer, voire de façon divergente? Autrement dit, livrer l'information immédiatement au grand public ne présente-t-il pas un risque ? Ne serait-il pas préférable qu'une réflexion préalable ait lieu, sans qu'il s'agisse, bien entendu, de revenir sur le droit du grand public à l'information ?

M. Benoît MANGENOT : Il n'est pas facile de répondre à la place de l'Agence ou du politique. Cela dit, il est un peu ennuyeux qu'un avis soit diffusé d'emblée, surtout s'il ne s'agit pas d'une situation nécessitant une réaction d'urgence. Si l'avis débouche sur une interdiction immédiate, il n'y a pas de délai à subir. Mais, dans de très nombreux cas, la mise en application d'une mesure de gestion immédiate ne s'impose pas. Il serait donc préférable, dans un laps de temps très rapide, de laisser le soin aux pouvoirs publics, si possible après concertation avec les professionnels, de prendre les mesures de gestion voulue, pour que, lors de la publication de l'avis, l'on puisse annoncer tout à la fois la position des scientifiques, la décision du politique et les mesures préparées par les entreprises pour se mettre en conformité. À défaut, on attise l'inquiétude, puisqu'on présente le danger sans disposer des outils pour le gérer. Ce point pourrait être amélioré de façon significative.

J'en viens à la responsabilité personnelle des experts appartenant au comité d'experts de l'Agence. Il arrive que le politique se défausse, ou, disons, s'en remette à l'expertise des scientifiques pour prendre une décision de gestion. En fait, la façon dont est formulé l'avis ou dont la question est posée à l'Agence fait que la réponse contient en elle-même la mesure de gestion qui doit être prise. La responsabilité du politique est abandonnée et transférée aux experts scientifiques, ce qui est une manière de protéger le politique par rapport aux décisions qu'il aurait à prendre et qu'il ne prend plus, puisqu'il les a renvoyées sur un autre. Je crains que, ce faisant, les experts scientifiques se trouvent chargés d'une responsabilité extrêmement lourde et que cela ne les amène à agir à l'instar du politique : en tant que scientifiques, leur rôle est de s'interroger, donc de mettre en doute, c'est le principe même de la science. Exprimant un doute, ils ne peuvent jamais affirmer l'absence totale de dangerosité. Dans la mesure où, de surcroît, leur carrière ou leur responsabilité personnelle peut être mise en cause par la réponse qu'ils vont donner, ils s'entourent de toutes garanties en avançant l'existence d'un risque. La dérive n'est pas aujourd'hui manifeste, mais elle se produirait si la responsabilité personnelle des experts scientifiques n'était pas fortement protégée.

M. le Rapporteur : J'ai été frappé par l'un de vos propos, qui me surprend et qui nous surprend tous depuis le début de cette commission d'enquête. Vous avez déclaré avoir été complètement pris au dépourvu en apprenant la possibilité de transmission de la maladie à l'homme en 1996. Nous avons là une vraie interrogation. Des scientifiques ont évoqué cette possibilité bien avant. On a du mal à comprendre que des personnes aient pu être à ce point surprises en 1996. Certains éleveurs nous ont même dit ne pas avoir entendu parler de la transmissibilité de l'ESB en 1996. Peut-être l'information était-elle diffusée dans des journaux scientifiques et non dans la presse grand public. Je voudrais que vous nous précisiez cet aspect de la situation. J'aimerais par ailleurs que vous m'expliquiez ce qui a changé dans votre domaine d'intervention depuis le début de la crise. Comment gérez-vous la crise à votre niveau ?

M. Benoît MANGENOT : La deuxième question est plus compliquée que la première ! Sur le premier point, je vous ai dit qu'en 1996, j'étais personnellement persuadé de la non-transmissibilité à l'homme. J'ai appris l'information par la presse ; j'ai même pensé que les scientifiques s'étaient trompés. Je croyais à la barrière des espèces au même titre, je crois, que Thierry Geslain. Notre industrie n'est pas directement au contact des animaux. L'industrie laitière l'est sans doute davantage, mais la préoccupation des industriels laitiers est avant tout d'éviter la présence d'éléments pathogènes dans leur lait ; ils ne se préoccupaient guère de savoir comment sont nourries les vaches. Du point de vue de notre industrie, la question de la maladie de la vache folle, avant 1996, se posait Outre-Manche, peut-être un peu en France, mais elle n'était pas considérée comme susceptible de mettre en cause la sécurité des aliments.

Nous avons découvert la situation, je vous le dis en toute bonne foi, en 1996. Je ne vous garantis pas, car je ne peux m'exprimer à la place de toutes les personnes qui travaillent dans l'industrie alimentaire, que certaines n'étaient pas informées, mais, au niveau de notre organisation professionnelle, aucun échange de vue, aucune réunion, aucun propos tenu, même dans un couloir, nous permettait de penser qu'il y avait transmission à l'homme.

M. Thierry GESLAIN : Certes, les scientifiques échangeaient, mais nous nous situions à une époque où, contrairement à aujourd'hui, les échanges de nature scientifique avaient lieu dans des comités plus restreints. L'existence même de l'Agence favorise la transmission d'informations, de manière pédagogique, auprès du grand public.

Il est très probable que des personnes évoquaient les risques, mais non dans le cadre de débats que nous pouvions tenir. Dans une structure comme l'ANIA, où les sujets à traiter sont de toute nature, celui-là se situait encore à l'amont de notre amont. Nous n'avions pas spécifiquement de veille sur le sujet et les échanges entre scientifiques étaient plus confidentiels qu'à l'heure actuelle et ne venaient pas jusque sur la place publique. Il faut se resituer dans le contexte de l'époque. Si un sujet similaire venait à faire son apparition aujourd'hui, l'existence même de l'Agence et les débats scientifiques permettraient à l'information d'atteindre plus rapidement le grand public. Nous aurions des échanges sur ce sujet alors que nous ne les avons pas eus à l'époque.

M. Benoît MANGENOT : La sécurité alimentaire était un sujet sur lequel nous avancions tranquillement, avec une douce certitude et avec les moyens que nous mettions en place, notamment la certification Iso 9000. Les doutes sur cette façon de gérer la sécurité alimentaire ont commencé à naître avec la crise de la vache folle où, effectivement, l'incertitude scientifique a été manifeste. La controverse sur les OGM a également montré qu'une certitude scientifique pour l'un ne l'était pas forcément pour un autre.

Pour nos organisations professionnelles, l'électrochoc fut la crise de la dioxine, qui a montré les difficultés d'une traçabilité absolue. En effet, notre industrie, qui pensait garantir la sécurité du consommateur, et qui continue de le penser, s'est trouvée subitement dans une situation dont l'origine était totalement insoupçonnable, lointaine et infinitésimale, mais qui concernait 50% de la production alimentaire française. Face à cela, nous avons décidé, non pas seulement de faire de la traçabilité - car l'on peut tracer du poison, des amanites phalloïdes, la traçabilité n'est pas une garantie en soi - mais d'aller plus loin, de remonter en amont de la filière et d'établir un dialogue avec les entreprises de l'amont pour que leurs pratiques permettent de sécuriser complètement la chaîne alimentaire. C'est ce qui nous a amenés à engager un dialogue avec les fabricants d'aliments du bétail depuis le début de cette année.

M. le Rapporteur : Comment percevez-vous les perspectives d'évolution du marché des viandes à moyen et long terme ?

M. Benoît MANGENOT : Vous me demandez de lire dans la boule de cristal ! Pour répondre, il faudrait savoir comment le consommateur va réagir. Aujourd'hui, par rapport à son alimentation en général et à la viande en particulier, le consommateur est dans une situation de grand trouble. Retrouvera-t-il confiance et reviendra-t-il à la consommation de la viande ou la situation se calquera-t-elle sur celle constatée en Grande-Bretagne, où une partie de la population est devenue végétarienne ? Je ne saurais le dire. Le trouble est grand, la crise n'est pas terminée et on ne peut dire que nous avons reconquis aujourd'hui la confiance du consommateur, loin de là !

M. le Président : Vous avez parlé des OGM. Quelle est votre approche globale par rapport aux OGM ? La substitution des farines animales conduit à importer des tourteaux, dont on nous a dit que la traçabilité n'est pas assurée, en tout cas qu'il était très difficile de s'assurer de l'absence d'OGM. Quelle est votre approche ?

M. Benoît MANGENOT : Jusqu'à présent, nous n'avons jamais considéré - mais tout peut s'inverser - que les OGM devaient être traités sous l'angle de la sécurité alimentaire. Jusqu'à maintenant, on nous a indiqué que les OGM posaient des questions de caractère environnemental, qu'ils faisaient l'objet d'une controverse forte entre scientifiques, mais personne ne nous a dit, preuves à l'appui, que les OGM représentaient un risque avéré pour la santé du consommateur. Par ailleurs, nous avons constaté que le consommateur ne voulait pas d'OGM ; donc après avoir, pendant quelques mois, déclaré que nous allions utiliser les OGM et étiqueter nos produits, nous nous sommes rapidement aperçus que cette voie ne correspondait pas aux attentes des consommateurs, en tout cas que c'était une voie sur laquelle les entreprises n'avaient pas envie de s'aventurer. Nous avons donc éliminé les OGM des produits que nous vendons aux consommateurs. Nous n'avons pas d'OGM dans nos produits et, par voie de conséquence, pas de produits étiquetés.

M. le Président : Vous dites que les OGM ne présentent pas de risques. Certains comportent cependant le risque d'entraîner une résistance aux antibiotiques.

M. Thierry GESLAIN : Il s'agissait de marqueurs spécifiques, qui ne seront plus utilisés à l'avenir, mais que l'on voit encore sur le maïs. Ce thème a fait l'objet de débats nombreux. Pour ce qui nous concerne, nous nous sommes toujours appuyés sur les évaluations scientifiques préalables à l'autorisation. Rien d'alarmant n'en est ressorti. Cela dit, la question reste débattue, y compris entre scientifiques. Pour autant, l'examen qui a abouti à l'autorisation a conclu à l'absence de risques. Nous n'avons pas d'éléments autres que ceux établis par l'AFSSA sur le sujet. Pour ceux qui sont aujourd'hui autorisés et donc évalués, les OGM ne sont pas un sujet de nature sanitaire. De ce fait, c'est un problème de choix, d'éthique. Dans la mesure où les consommateurs n'en souhaitent pas, on ne trouve plus d'ingrédients OGM sur le marché - pour un bon moment d'ailleurs.

M. Benoît MANGENOT : Les OGM résultent d'une technique du génie génétique ; or, il n'y a pas de raison de rejeter une nouvelle technique a priori. Cela dit, elle suscite des interrogations. Nous nous en remettons donc à l'avis des scientifiques pour savoir s'il est possible ou non de les utiliser, et à l'avis du souverain final qu'est le consommateur. Les études de marché indiquant que le consommateur ne veut pas d'OGM, nous ne les utilisons pas. Maintenant, se pose le problème, beaucoup plus compliqué, de savoir si la vache ou la poule, dont nous consommerons le lait ou la viande, a le droit d'être nourrie aux OGM. Vaste problème qui nous laisse quelque peu démunis !

M. Thierry GESLAIN : Il ne s'agit pas, là non plus, d'un problème de sécurité alimentaire ; cela reste effectivement un choix. Nous avons uniquement réfléchi à cet aspect sous l'angle des allégations « sans OGM », pour lesquelles on a un point de vue assez clair : dans l'esprit du consommateur, c'est sans OGM dans l'absolu, y compris en amont. Sinon, la logique serait de se préoccuper de savoir si le beurre utilisé ne vient pas d'une vache ayant mangé du corn gluten feed génétiquement modifié.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition conjointe, dans le cadre d'un forum,
des organisations professionnelles de productions végétales
pour animaux, de :

M. Xavier BEULIN, président, et Olivier de GASQUET, directeur,
de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux ;

M. Henri de BENOIST, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) ;

M. Jacques DOUSSET, membre du Bureau,
et M. François-Gilles LE THEULE, directeur,
de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM)

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

MM. Xavier Beulin, Olivier de Gasquet, Henri de Benoist, Jacques Dousset et François Le Theule sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Xavier Beulin, Olivier de Gasquet, Henri de Benoist, Jacques Dousset et François Le Theule prêtent serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Cette réunion a pour but d'examiner avec vous la manière dont les productions végétales peuvent se substituer aux farines animales, dont l'utilisation a été suspendue pour six mois à l'échelle de la Communauté européenne. Il y a lieu de s'interroger avec vous, non seulement sur les conditions de cette substitution de protéines, mais aussi sur la marge de man_uvre que nous laissent nos engagements internationaux. Nous souhaiterions avoir votre sentiment sur les conditions dans lesquelles on peut aborder, en Europe et en France, cette nouvelle période, et notre capacité à y faire face, techniquement et eu égard à nos accords internationaux et aux relations entre Etats au sein de l'Europe et de l'Union européenne.

La question sous-jacente, souvent évoquée au sein de cette commission d'enquête, est le remplacement de ces protéines animales par des protéines végétales non génétiquement modifiées. Sur cette question des OGM et des importations, nous aurons à vous entendre pour connaître votre analyse. Comme vous le savez, notre commission d'enquête n'est pas seulement destinée à faire le point sur la situation passée et à pointer du doigt les dysfonctionnements éventuels, en fonction des connaissances de l'époque, elle est également destinée à préparer l'avenir et à faire un certain nombre de recommandations et de suggestions. C'est dans cet esprit que se situe votre audition. D'un point de vue rétrospectif, il serait également intéressant que vous nous disiez pourquoi, selon vous, les farines animales ont occupé la place qu'elles avaient prise sur le marché. Il y a bien entendu l'aspect nutritionnel que nous avons évoqué avec les meilleurs spécialistes, mais il y a également un aspect économique.

M. Xavier BEULIN, Président de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux : Je vous remercie d'avoir bien voulu associer les productions végétales à votre commission d'enquête. C'est pour nous, effectivement, un point important, puisque, même si à aucun moment nous n'avons voulu jouer les opportunistes par rapport à cette situation liée à la fois à l'ESB et aux farines carnées, il nous paraît quand même essentiel de vous éclairer sur ce qu'est aujourd'hui le secteur des protéines végétales en Europe. Nous sommes obligés de l'inscrire dans une réflexion mondialisée : l'Europe est aujourd'hui importatrice nette d'environ 75 % de ses besoins avant le retrait des farines carnées.

Je ferai avant tout un historique afin d'expliquer la situation actuelle en Europe. J'évoquerai les conséquences du retrait des farines, à la fois en termes de volume et d'équivalent en surface de production végétale en Europe. J'étayerai nos propositions afin d'apporter un certain nombre de réponses, sachant que parmi ces propositions, certaines sont du ressort communautaire - cela va de soi - et d'autres pourraient sans doute faire l'objet d'un accompagnement national.

Tout d'abord, quelques dates. Cela fait globalement quarante ans que nous « courons » derrière les Etats-Unis d'Amérique par rapport à ce problème des protéines, et singulièrement des protéines issues des tourteaux de soja. En effet, dans les années soixante, à travers un double accord négocié dans le cadre du GATT, l'Europe a fait le choix d'importer des tourteaux de soja à droit zéro, en quantité importante, en contrepartie d'un certain nombre de mécanismes liés à d'autres productions majeures en Europe. A l'époque, l'Europe, et la France en particulier, reposait surtout sur un élevage bovin, à la fois laitier et allaitant, pour l'essentiel nourri à l'herbe. C'était aussi l'époque où commençaient à émerger, en particulier en Hollande et au Danemark, un certain nombre de besoins liés à l'implantation d'élevages hors sol, que ce soit en aviculture ou en production porcine, lesquels élevages nécessitaient un approvisionnement important, tant en céréales qu'en protéines. Un certain nombre de grands groupes agro-alimentaires, dont Unilever, avaient fortement fait pression sur la Communauté européenne pour encourager ces importations de soja et faire en sorte que l'on puisse ainsi satisfaire les besoins européens.

On est resté sur cet accord pendant une douzaine d'années jusqu'aux années 1972, 1973 où, à la suite d'un embargo des Etats-Unis sur leurs exportations de soja vers l'Europe, l'Europe a finalement fait l'amer constat qu'elle était non seulement dépendante pour son approvisionnement en protéines, mais qu'il lui fallait sans doute initier une politique en matière de production de protéines végétales, non pas pour satisfaire tous ses besoins mais pour apporter une première réponse. C'est ainsi qu'un premier plan protéines est né, entre 1973 et 1975. Sans porter aucun jugement de valeur politique, c'était quand même sous l'influence et par la volonté du président de la République de l'époque, M. Georges Pompidou, qui avait bien senti la nécessité à la fois stratégique, économique, et technique - au sens d'une qualité et d'une sécurité d'approvisionnement - de doter l'Europe d'une véritable politique en matière de protéines.

La mise en place de ce plan protéines a permis le développement de productions que nous connaissons encore aujourd'hui, telles que les oléagineux - colza, tournesol, soja. Il faut noter que le soja ne concerne que le Sud-Ouest de la France pour des raisons climatiques. A l'époque, un système de soutien aux oléagineux est intervenu, qui transitait non pas par les producteurs mais par les opérateurs de la première transformation, c'est-à-dire les triturateurs. L'aide versée aux triturateurs permettait de maintenir un cours intérieur en France et en Europe. Je rappelle qu'à la fin des années quatre-vingt, en France, les graines de colza ou de tournesol se payaient aux alentours de 300 francs le quintal au producteur. Après la réforme de 1991-1992, nous sommes tombés à des valeurs oscillant autour de 100 francs le quintal. Vous voyez que les prix ont été divisés par trois parce que le système a changé.

Nous arrivons à la fin des années quatre-vingt, aux condamnations du GATT. L'Europe a perdu à deux reprises sur plainte des Etats-Unis concernant ce système de soutien européen. Nous sommes ainsi arrivés aux accords de Blair House, selon lesquels les Européens pouvaient être autorisés à apporter un soutien aux productions oléagineuses, mais sous deux réserves : la première, que ces soutiens soient directement apportés sous forme d'aide compensatoire payée à l'hectare au producteur - moyen très transparent, lisible, avec une véritable affectation budgétaire ; la seconde, qu'une autorisation de surface à ne pas dépasser soit respectée. Si les producteurs, au niveau de l'Union européenne, dépassaient cette surface, il y avait une réduction de l'aide de base du paiement à l'hectare. Ce système a fonctionné pendant une dizaine d'années.

Je rappelle que ces accords de Blair House sont nés un an avant la réforme de la PAC de 1992. Nous avions une critique fondamentale à faire sur ces accords. Nous étions contingentés par ce plafond de surface, qui portait à la fois sur les usages alimentaires des huiles et sur les usages non alimentaires. En 1990, nous commencions à envisager d'autres usages des huiles végétales, de colza et de tournesol en particulier. Nous pensions fortement aux biocarburants. Nous avions un plafond pour les graines de colza et de tournesol, qui étaient fléchées sur le marché alimentaire : 5,5 millions d'hectares pour l'Union européenne qui comprenait douze Etats membres à l'époque. Ce plafond n'a jamais été revalorisé lorsque l'Union européenne est passée à quinze. Un autre contingent portait sur les usages non alimentaires des huiles : 1 million d'hectares pour l'Union européenne. C'est la principale critique que nous faisions sur ces accords de Blair House.

En 1999, sont intervenus les accords de Berlin, dans le cadre de l'Agenda 2000. Selon ces accords, on ramène, entre 2000 et 2002, cette fameuse aide spécifique aux oléagineux, supérieure à l'aide des céréales, au niveau des céréales et de la jachère. L'avantage économique qui était le nôtre depuis 1991 par rapport aux autres cultures, a été gommé par l'Agenda 2000. A partir de la récolte 2002, l'ensemble des soutiens hectare, qu'ils soient payés pour les céréales, la jachère, les oléagineux ou les protéagineux, est ramené au même niveau.

Les conséquences sont diverses. Tout d'abord, d'un point de vue économique, aujourd'hui, les producteurs sont de moins en moins incités à produire des oléagineux et se tournent davantage vers la céréale ou le maïs, en tout cas vers des productions jugées plus rentables sur leurs propres exploitations.

Ensuite, à partir du moment où ce soutien spécifique aux oléagineux n'existe plus, les accords de Blair House sont vidés de leur substance. Par ailleurs, le plafonnement des surfaces à l'échelle communautaire, disparaît avec la mise en _uvre d'Agenda 2000. C'est plutôt un point positif. Si entre 1991 et 1999, nous avons connu trois années de dépassement de la surface communautaire, c'est-à-dire plus de 5,5 millions d'hectares, nous faisons l'amer constat que sur 2000, 2001 et sans doute 2002, nous serons bien en deçà de ce plafond, puisque les producteurs sont plutôt dissuadés de se tourner vers ces productions.

Les oléagineux sont cultivés à la fois pour la valeur en huile et pour les tourteaux, riches en protéines. Les protéagineux - le pois, la féverole, le lupin - et les légumineuses, notamment la luzerne, sont essentiellement cultivés pour leur teneur en protéines. Sur ce secteur, nous n'avons aucune contrainte internationale.

En revanche, dès lors que l'aide de base payée aux producteurs de protéagineux est abaissée, l'intérêt pour ces productions n'est plus au rendez-vous. C'est ainsi que nous sommes passés d'une situation, en 1993 et 1994, où la France comptait entre 720 000 et 750 000 hectares de protéagineux à une situation de récolte 2000 de 450 000 hectares, et de récolte 2001 qui sera probablement du même niveau, voire inférieure. Tout cela va à l'encontre du but recherché. La suppression des farines de viandes et d'os (FVO) devrait au contraire nous inciter à nous orienter vers ces productions d'oléo-protéagineux.

Je ferai deux constats sur le marché. Premièrement, nous sommes aujourd'hui indexés sur le marché mondial des huiles et des protéines : le soja coté à Chicago est la référence mondiale. A la fin de l'année 2000, avec un dollar à 7,50 francs, on s'est retrouvé, en Europe, avec des prix de graines, de tourteaux, et donc d'huiles, à des valeurs supérieures à celles que nous connaissions depuis environ deux campagnes. Le dollar ayant fortement baissé depuis le mois de décembre, nous retrouvons désormais des niveaux comparables à ce que nous connaissions au début de l'année 2000. En termes de marché, la situation n'est pas brillante.

Deuxièmement, avec l'Agenda 2000, nous avons perdu un point fondamental, qui est ce que l'on appelle un filet de sécurité sur ces productions oléagineuses et protéagineuses européennes. Nous entendons par filet de sécurité un système qui protège le producteur et la filière dans son ensemble contre des baisses importantes de marché. Aujourd'hui, nos concurrents américains usent de ce dispositif. A titre d'information, nos homologues américains producteurs de soja, depuis un an et demi, font plus de 60 % de leur chiffre d'affaires à l'hectare, donc de leurs recettes totales, avec des aides gouvernementales, et 40 % avec la vente de leurs produits.

Cette situation exagérée pèse sur les cours mondiaux puisque depuis trois ans, les surfaces de soja aux Etats-Unis ont cru de l'ordre de 30 %. Les volumes se sont accrus dans les mêmes proportions. Par conséquent, le marché mondial des protéines, aujourd'hui, est plutôt tiré à la baisse, même si la demande est forte. N'ayant plus, en Europe, de filet de sécurité pour ces productions, nous sommes exposés à ces aléas de marché, phénomène qui ne fait qu'amplifier le déficit économique de ces productions et le désintérêt des producteurs.

Pour avancer rapidement sur les conséquences du retrait des farines, nous allons parler en équivalent tourteaux de soja. C'est la référence utilisée partout dans le monde. Aujourd'hui, le retrait des farines représente, sur une année civile, 2,3 millions de tonnes équivalents de tourteaux de soja, qu'il nous faut désormais trouver sous forme de protéines végétales. J'allais dire qu'il nous faut désormais importer, puisque la situation actuelle montre clairement que nous sommes obligés d'importer 2,3 millions de tonnes d'équivalents tourteaux supplémentaires. S'agissant de la situation de la production de protéines végétales européennes, cela revient, en termes de surface européenne, à mettre en culture environ 30 % de surfaces supplémentaires, en oléagineux et en protéagineux, par rapport à la référence 2000 pour compenser l'équivalent des retraits des farines carnées. C'est important.

Malgré cela, si nous étions à un pourcentage compris entre 27 et 29 % selon les années, en termes de production d'origine communautaire, le retrait des farines carnées nous fait tomber à moins de 25 % d'autosuffisance par rapport à nos besoins. Si l'on y ajoute les farines de poissons, nous tombons à 23 ou 24 %. C'est dire que nous régressons. Compte tenu du double impact du retrait des farines et de l'Agenda 2000, nous sommes aujourd'hui dans une situation particulièrement délicate.

Quelles propositions pouvons-nous faire ? J'en citerai quatre. Premièrement, les protéagineux. Il n'existe pour ceux-ci aucune contrainte internationale. Les accords de Blair House ne s'appliquent pas aux protéagineux. Nous pensons qu'il serait de bon augure de revaloriser l'aide de base aux protéagineux et d'encourager le producteur à s'orienter vers ces cultures. La revalorisation qu'il nous faut obtenir est aujourd'hui de l'ordre de 400 à 500 francs par hectare par rapport à la situation des paiements actuels pour atteindre un différentiel de l'ordre de 800 à 1 000 francs entre une culture de protéagineux et, par exemple, une culture de céréales. Je prends souvent la céréale comme référence, car c'est le choix de culture que nous retrouvons le plus fréquemment. Le différentiel de 800 à 1 000 francs représente ce que nous avions avant les accords de Berlin et c'est ce qu'il nous faudrait retrouver aujourd'hui. Sachant que nous sommes sur des filières jeunes, qui ont vingt-cinq ans de recherche derrière elles, et qui ne sont peut-être pas encore à leur point de maturité en ce qui concerne la productivité optimale, et notamment la nécessité de consolider la recherche variétale et de retrouver des parités économiques avec d'autres cultures qui se retrouvent sur les mêmes exploitations.

Deuxièmement, les oléagineux. La mesure la plus fondamentale, qui nous renvoie à la fois au cadre des négociations internationales et à la clause de rendez-vous prévue dans Agenda 2000, consiste à restaurer un filet de sécurité sur ces productions protéagineuses et particulièrement oléagineuses. La forme de ce filet de sécurité reste à discuter, mais il faut au moins acter son principe. Sur ce point, nous attendons beaucoup de M. Lamy, dans le cadre de ces négociations. Nous ne pouvons supporter que nos homologues américains puissent être bordés de toutes parts et même incités à produire du soja avec un maximum de soutien, alors qu'en Europe, nous serions dans des situations économiques présentant beaucoup plus de distorsions.

Troisièmement, le développement des usages non alimentaires. Il s'agit bien entendu des biocarburants, mais aussi de la lipochimie. Sur les deux filières éthanol et diester, nous avons obtenu, au mois de septembre, à la suite des mouvements syndicaux concernant le prix des carburants, un agrément supplémentaire de 70 000 tonnes pour la production de diester à partir de graines de colza. L'intérêt est qu'il s'agit de contribuer aux énergies renouvelables en développant la production de tourteaux riches en protéines. Il y a là un point tout à fait important qui mérite, nous semble-t-il, un accompagnement supplémentaire.

Pour votre information, sachez qu'avec cet agrément supplémentaire, nous arrivons désormais en France à une production de 350 000 tonnes de diester additionné au gazole. L'essentiel de cette production est fait sur jachère. La contribution sociale et économique de ces filières nous paraît tout à fait intéressante.

La quatrième proposition qui mérite d'être discutée est un complément d'aide au tournesol résultant, non des paiements compensatoires, mais du deuxième pilier de la PAC, c'est-à-dire du règlement relatif au développement rural. Il s'agit d'aménager ce soutien pour le rendre éligible à d'autres cultures, non seulement celle des oléo-protéagineux, mais aussi de la luzerne et des plantes textiles. Notre idée est, d'une part, d'aménager ce soutien par un encouragement à pratiquer la rotation dans les exploitations et, d'autre part, à faire en sorte que notre système, qui nous emmène globalement vers une forme de monoculture, puisse être pris en compte dans ce soutien, et incite les producteurs à diversifier leur assolement. Ce paiement à l'hectare aurait l'avantage de ne pas être réintégrable dans ces fameux accords de Blair House, puisqu'il serait considéré comme relevant du développement rural, donc classé en boîte verte, et par conséquent non soumis à contingence au plan international.

Je termine en vous disant un mot d'une filière particulière, celle du soja de qualité, du soja de pays. Cette filière se développe en France depuis deux ans, notamment à l'initiative de notre fédération. Elle vise à mettre en place, à partir d'un cahier des charges très rigoureux reposant sur une forte traçabilité, depuis la semence jusqu'à l'utilisateur final, une filière non OGM tracée, à partir de soja français. Les surfaces engagées en 2000 représentaient 73 000 hectares. Nous pensons que 120 000 hectares seront cette année cultivés en France à travers cette filière non-OGM. Le gouvernement français, en 2000, a fait le choix de soutenir cette filière en apportant une aide de 1 000 francs par hectare au producteur qui s'engagerait dans ce cahier des charges, reconduite pour l'année 2001.

Par ailleurs, les opérateurs se sont engagés à apporter une valeur ajoutée à ce produit tracé non OGM, notamment à travers les filières _ufs de consommation, volaille, et production porcine. Ce point mérite d'être souligné car il s'agit d'efforts importants à tous les niveaux. La question sous-jacente est de savoir dans quelle mesure les consommateurs vont accepter la valeur ajoutée qu'il faudra bien facturer. A titre d'information, l'impact sur un _uf est d'un centime, et de 0,50 francs sur un kilo de porc ou de volaille, dès lors que nous utilisons ce soja tracé non OGM. Cela nous semble aujourd'hui à la fois réaliste et ambitieux. Cela doit aussi nous rendre assez humbles et sans doute plus volontaires en matière de pédagogie à l'égard des consommateurs sur ces filières dites tracées, pour lesquelles il y a engagement, respect, et contrôle des services de l'Etat, c'est-à-dire de la DGCCRF.

M. Henri de BENOIST, Président de l'Association générale des producteurs de blé : Nous sommes d'accord avec ce qui vient d'être dit ; en général, un producteur d'oléo-protéagineux est également producteur de céréales.

J'ajouterai un point d'histoire à l'exposé que nous venons d'entendre. Au moment de la négociation de l'Uruguay round, nous avions suggéré de proposer aux Américains une diminution des exportations de céréales européennes, ainsi que l'autorisation de mieux protéger notre marché des protéines. Je le précise car, bien souvent, certains pensent pouvoir opposer les producteurs entre eux. Je voudrais par ailleurs souligner les possibilités qu'offrent les drêches de céréales, en particulier de la distillerie, pour faire du bio-éthanol. L'éthanol est un excellent carburant renouvelable.

M. le Président : Pouvez-vous expliquer ce qu'est la drêche de céréale ?

M. Henri de BENOIST : La drêche est ce qui reste quand on a extrait l'essentiel de l'amidon de la céréale. Ce sont à la fois les protéines, puisqu'il y a du gluten, et un certain nombre d'autres composés qui n'ont pas été totalement utilisés pour la distillerie, cette dernière n'utilisant que le sucre de l'amidon. Il reste donc un certain nombre de produits riches en protéines. Le blé, par exemple, peut contenir 10 à 13 % de protéines, à l'origine. Une fois qu'on a retiré l'amidon pour en faire, par exemple, du bio-étahnol, le pourcentage de protéines peut aller jusqu'à 30 ou 35 %. Sans égaler le soja américain, qui atteint 48 %, c'est tout de même intéressant.

Cette drêche est à peu près aussi équilibrée que le tourteau de soja dans les principaux acides aminés. Le taux de protéines compte, ainsi que la qualité des protéines en question, les quatre principaux acides aminés bien connus. L'équilibre est à peu près le même dans une drêche de distillerie de blé français, après que l'on ait extrait le bio-éthanol, que dans un soja argentin, par exemple. Il faut souvent l'enrichir en lysine. Malheureusement, il n'y a plus d'entreprise française qui produise de la lysine. C'est une entreprise japonaise qui en produit. Une autre base, la méthionine, est fabriquée par ex-Rhône-Poulenc et ses filiales.

Quel est l'intérêt de cet enrichissement en acides aminés de la drêche et du soja ? Il est aujourd'hui scientifiquement prouvé que l'on peut diminuer le taux réel de protéines, du moment que l'on équilibre bien l'alimentation des animaux en acides aminés, en particulier pour les monogastriques. L'intérêt complémentaire évident est que les déjections des animaux en question sont moins riches en protéines, donc en azote et sont par conséquent moins polluantes. Nous constatons qu'un point de protéines en moins permet des déjections de monogastriques de 10 % moins riches en azote. L'intérêt environnemental est aujourd'hui prouvé.

Je voulais insister sur ce phénomène complémentaire en ajoutant que la drêche en question est un coproduit du bio-éthanol. Tout est bon dans le blé. Avec les coproduits de l'industrie du bio-éthanol, on fait une excellente drêche qui pourrait compléter l'augmentation de la production d'oléo-protéagineux en Europe. Quoi qu'il arrive, l'Europe est très consommatrice et il y aura de la place pour tout le monde.

M. le président : Pourriez-vous nous donner quelques indications qui nous permettent d'apprécier l'importance en termes de volume ?

M. Henri de BENOIST : Je n'ai pas les chiffres exacts, mais nous vous les adresserons. Actuellement, le bio-éthanol doit consommer entre 30 000 et 50 000 hectares de blé, sachant qu'il y en a environ 4 900 000 hectares en France. Il n'y a donc aucun risque d'être saturé.

Le gros problème est celui du bio-éthanol en Europe et des biocarburants en général. La société BP a déposé une plainte car elle conteste le fait que l'on puisse aider le biocarburant d'origine agricole, par rapport au carburant de complément fait par synthèse. BP est l'un des farouches opposants, avec la Shell, de tout ce qui est biocarburant en Europe. Est-ce que l'Europe va trouver une solution pour favoriser la production de bio-éthanol, auquel cas il peut se développer assez considérablement à base de betterave à sucre et de céréales ?

Aux Etats-Unis, le bio-éthanol est fabriqué à base de maïs. Ils utilisent l'équivalent de 15 millions de tonnes de maïs pour faire du bio-éthanol, soit plus que toute la production française. Il y a donc largement assez de place, surtout au vu de la potentialité de consommation d'additifs de carburant en Europe, pour le bio-éthanol, carburant renouvelable dont l'intérêt complémentaire est d'être moins polluant que d'autres. En France, on produit 2 millions d'hectolitres de bio-éthanol et l'on peut en produire rapidement. Il faut deux ans pour faire des usines, en particulier des usines de TBE, c'est-à-dire ce que l'on met directement dans les carburants en complément des essences. Si l'on veut démarrer rapidement une usine de bio-éthanol, on peut le faire à partir des usines existantes. Nous vous fournirons les chiffres exacts. Nous vous indiquerons également ce que cela peut donner en complément en drêches.

M. Jacques DOUSSET, membre du Bureau de l'Association générale des producteurs de maïs : Le tour d'horizon fait par le président Beulin retrace bien la problématique dans laquelle nous sommes. Je rappellerai qu'en tant que représentant des producteurs de maïs, je suis également producteur de céréales et de protéagineux. Je voudrais faire comprendre que les agriculteurs ne sont pas monoproducteurs et que la plupart des producteurs de maïs sont également producteurs d'autres céréales.

Je voudrais insister sur l'importance de cette céréale dans l'alimentation animale. Je rappellerai que le maïs consacré à l'alimentation animale est, d'une part, le maïs ensilage et, d'autre part, le maïs grains. Le maïs ensilage représente environ la moitié de la surface cultivée en France. A cela s'ajoute une partie du maïs grains, également consommé par les animaux. Cela représente à peu près 1 600 000 hectares en France. Il faut rappeler l'importance du maïs dans l'alimentation et comme aliment fourragé pour les animaux.

Cette culture du maïs, si largement et si souvent décriée, est faite dans toutes les régions de France, principalement dans le Sud, mais également dans la région Centre, au nord de la Loire, dans l'Est et en Bretagne.

Par ailleurs, cette culture est pour le moment sans OGM. Depuis que la polémique sur les OGM est engagée, nous avons fait le choix de ne cultiver, en France, que du maïs non OGM. Cette assurance donnée à l'alimentation animale à partir du maïs peut être tout à fait confortée auprès des consommateurs. Tant que les doutes ne seront pas levés, nous avons fait le choix de ne cultiver que du maïs non OGM en France.

S'agissant de la production de maïs pour l'alimentation animale, la moitié de la surface est consacrée au maïs ensilage, dont l'importance est primordiale dans les performances de production de viande, et notamment de la viande bovine. Je rappellerai également que comme toute céréale, le maïs a besoin d'être complémenté en protéines. Même une ration de maïs doit être complétée à partir d'éléments protéines, soit de pois, soit de soja. Il serait illusoire de penser qu'un animal, quel qu'il soit, pourrait être nourri uniquement à partir de céréales pures, blé ou maïs. Dans tous les cas, il sera nécessaire d'apporter un complément de protéines.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous indiquer quelques chiffres sur les surfaces ? Quelle est la référence des productions ? Qu'est-ce que cela représente par rapport aux marchés européen et international ?

M. Jacques DOUSSET : Le maïs ensilage, qui représente la moitié de la surface, occupe 1 600 000 hectares. Il y a un peu plus de 3 millions d'hectares de surface consacrés au maïs. Au moment où l'on sème le maïs, sa destination n'est pas connue de façon définitive. Pour certaines régions de production de céréales, il est clair que la destination sera le maïs grains, et pour d'autres, à vocation de production animale, elle pourra être soit de maïs grains soit d'ensilage. Cela dépend des conditions climatiques de l'année. Si elles sont difficiles, on prendra un peu plus en maïs fourrage et si elles sont plutôt favorables, auquel cas l'herbe sera plus abondante, on réduira le maïs ensilage pour passer au maïs grains. Le maïs est donc un élément important, pour les éleveurs, dans l'ajustement de la quantité destinée à l'alimentation animale.

Le volume de production de maïs grains est de l'ordre de 17 millions de tonnes en France. Sachant qu'il y a toujours une variation de 5 à 10 %, selon les conditions climatiques de l'année et l'usage du maïs, ensilage ou grains.

Ces 3 millions d'hectares consacrés au maïs sont également le fait d'une production de semences, en France. Nous sommes le deuxième producteur mondial de semences de maïs avec toutes les principales firmes de semences mondiales représentées en France.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais que vous nous précisiez l'importance des surfaces que l'on pourrait consacrer au soja. Comment voyez-vous la question de l'autosuffisance européenne, en prenant en compte toutes les conditions que vous avez évoquées tout à l'heure ? Si l'on ne peut pas être autosuffisant, la solution intelligente serait peut-être de rétablir les FVO pour les volailles et les porcs et de continuer à les supprimer pour les ruminants. Quelle est votre appréciation ?

Une autre question qui se pose souvent à propos des FVO est celle des engrais. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Ma dernière question est la suivante : n'a-t-on pas vu venir la crise résultant des farines animales ? A la fin des années quatre-vingt, on aurait pu se poser déjà un certain nombre de questions, avec ce qui se passait en Angleterre. Je suppose que vous n'avez pas manqué de réagir, d'alerter, de mettre en garde. Quelles ont été vos réactions à cette époque ? Quelles ont été vos réactions après 1996 ?

M. le Président : Une question complémentaire. Pouvez-vous nous indiquer comment on peut récupérer une marge de man_uvre par rapport à ces protéines, à la fois en Europe et dans les futures négociations dans le cadre de l'OMC ? Il serait intéressant de voir comment vous appréhendez ces futurs rendez-vous. Vous avez dit un jour que vous étiez prêts à répondre au nouveau défi protéines. Avez-vous les semences suffisantes pour répondre à ce défi ? Pratiquement, pourriez-vous démarrer demain, s'il y avait une décision politique ? Si oui, qu'attendez-vous de l'Union européenne ?

M. Xavier BEULIN : Je vais commencer par la dernière question. Depuis quand nous sommes-nous préoccupés de ce problème ? Ce n'est pas nouveau. Mon prédécesseur était déjà partie prenante dans le premier plan protéines de 1973. Il faisait partie de ceux qui avaient attiré l'attention des pouvoirs publics français et communautaires sur ce déficit en protéines qui, un jour ou l'autre, nous devait nous exploser à la figure. Mais à l'époque, nous connaissions un problème d'approvisionnement en quantité. Aujourd'hui, nous ne sommes plus dans ce schéma. Les marchandises circulent, la croissance de l'offre et de la demande de protéines végétales est de l'ordre de 3 à 4 % par an. Nous perdons l'équivalent du croît de demandes mondiales en protéines, chaque année, avec les farines carnées en termes d'usage de protéines dans l'Union européenne. C'est tiré fortement par la Chine qui, à elle seule, jusque dans les années quatre-vingt, était exportatrice de protéines et qui, depuis le début des années quatre-vingt-dix, est désormais importatrice de protéines. Le marché mondial des protéines est en fort développement.

La question qui nous est posée aujourd'hui est plutôt qualitative, au sens de la sécurité alimentaire, de la réidentification des matières premières de base qui entrent dans l'alimentation animale. Aujourd'hui, la question n'est pas de savoir si nous avons ou non la capacité d'être autosuffisants car ma réponse est nette : c'est non. Aujourd'hui, l'Europe est dans l'incapacité de satisfaire ses besoins en protéines, compte tenu de la suppression des farines carnées.

En revanche, passer d'un taux de 20 % à un taux de 40 % d'autosuffisance serait déjà faire un bond considérable. Il faut savoir si nous répondons ou non à cette demande des consommateurs de mieux tracer nos productions. Il s'agit, dans des schémas contractuels entre productions végétales et productions animales, de pouvoir identifier une production française et communautaire à travers les critères produit, territoire, et absence d'OGM.

Un mot sur le soja. Aujourd'hui, les scientifiques de l'INRA et des instituts techniques disent que la France pourrait sans doute monter à 200 000 hectares de soja sur son territoire, compte tenu de ce que nous savons aujourd'hui des capacités variétales. En effet, la plupart des variétés ont aujourd'hui leur origine génétique de l'autre côté de l'Atlantique. Ces variétés ont été réadaptées pour être cultivées en France et dans le sud de l'Europe. L'INRA travaille pour essayer de faire monter cette zone soja. On en cultive jusqu'au sud de la Loire et il y a assez peu de problèmes. En situation plus septentrionale, le soja, aujourd'hui, n'est plus adapté. Nous avons une interrogation. Nous voyons aujourd'hui le Canada produire du soja en quantité importante. Ils ont des températures élevées sur une durée courte, mais plus fortes que les nôtres, avec souvent de bien meilleures conditions hygrométriques que les nôtres. Nous pensons qu'avec beaucoup de recherche variétale, nous pourrions sans doute améliorer les choses. L'Europe s'est plutôt tournée vers des productions de type colza, tournesol et protéagioneux, beaucoup mieux adaptées à nos conditions climatiques.

La baisse des surfaces en France en 2001 par rapport à 2000 est presque de moins 5,5 % en colza, sera de moins 15 % en tournesol, et est encore de moins 3,3 % en pois protéagineux. Nous sommes vraiment dans une situation affligeante car les besoins sont là et malgré cela, les conditions économiques ne sont pas réunies pour inciter les producteurs à s'orienter vers ces productions.

Je répondrais maintenant sur l'autre volet de la question. Sommes-nous prêts à produire ? La réponse est oui, dans des proportions raisonnables à l'échelle de l'Europe. Entre la situation actuelle et ce que nous pourrions faire, il y a un delta tout à fait réaliste. Je rappelle que nous avons encore 10 % de taux de jachère en Europe. Dans un assolement de grande culture, il n'est pas incongru de penser que l'on puisse avoir une tête de rotation qui représente environ 30 % de l'exploitation. Ce n'est pas irréaliste.

Si je reviens à votre question relative aux engagements communautaires, aujourd'hui, le plan protéines, c'est vraiment zéro. La seule proposition de M. Fischler aujourd'hui est d'autoriser sur jachère la production de luzerne et de trèfle biologiques. Je vous laisse deviner ce que cela peut représenter en termes de surfaces et de matières riches en protéines par rapport à nos besoins. Tout cela n'est pas sérieux. Il faut vraiment mettre en _uvre un certain nombre de solutions pratiques.

Vous avez demandé des chiffres sur le pois protéagineux. Si l'on revalorisait l'aide protéagineuse de 500 francs à l'hectare, il faudrait entre 120 et 140 millions d'euros pour l'Union européenne à quinze, c'est-à-dire entre 1 200 000 et 1 500 000 hectares de pois protéagineux. On obtiendrait une augmentation de production de 30 %.

Quant aux problème des semences, les semenciers s'adapteront. On sait produire de la semence, ce n'est pas le problème. Il faut être conscient que sur la récolte 2000, il ne se passera rien. Les emblavements d'oléagineux divers sont faits. Les emblavements de protéagineux sont en cours. Les prévisions de tournesol sont quasiment définitives. Nous sommes aujourd'hui en régression pour 2001, mais en stand-by par rapport aux prévisions, telles que nous les connaissions à la fin de l'année 2000.

Le constat que je fais est plutôt négatif, mais c'est la réalité des faits.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous donner des précisions sur les engrais ? On dit que les farines animales pourraient servir d'engrais.

M. Xavier BEULIN : Je vais vous parler très franchement. A partir du moment où toutes les mesures sont prises pour garantir la qualité sanitaire de ces farines, il me semble aberrant aujourd'hui de ne pas les valoriser. Faut-il sélectionner les espèces ? Je rappelle que, depuis 1996, seuls la volaille et les porcs pouvaient consommer ces farines. Faut-il y revenir ? Personnellement, j'en doute. Je ne vois pas comment, politiquement et médiatiquement, on peut revenir en arrière. Cela étant dit, entre leur élimination complète et leur valorisation dans d'autres usages, il y a probablement une réflexion à conduire.

Pour ce qui est de nos cultures et de la PAC environnementale, il faut distinguer le tournesol, le soja, les pois protéagineux qui, en termes de fertilisation, ne demandent aucune fumure azotée ou quasiment pas. C'est un point important.

En revanche, elles restituent de l'azote. A partir du moment où elles restituent de l'azote au sol, il est bien que derrière un pois ou un soja, on puisse avoir une culture d'hiver qui va capter cet azote. Le colza, lui, est un peu dans la situation inverse. Cette culture, à l'automne, va piéger les résidus de nitrates des cultures précédentes. Il consomme de l'azote pour son développement.

Il y a moins de dix ans, nous apportions environ 300 kilos d'azote à l'hectare pour un colza. Nous sommes aujourd'hui à moins de 200 kilos, pour des résultats, en termes de rendement, bien meilleurs. Tout cela s'affine. Dans tous nos départements, il y a des campagnes « azote mieux » ou « nitrate moins », où des analyses systématiques de résidus sont réalisées, au mois de février, pour adapter la fumure azotée.

Aujourd'hui, techniquement, nous avons beaucoup de moyens à notre disposition pour bien faire les choses. Nous sommes dans une démarche d'agriculture raisonnée, tout d'abord parce que c'est indispensable du point de vue économique, ensuite parce qu'elle propose des réponses sur le plan environnemental.

M. Henri de BENOIST : Je voudrais ajouter deux compléments. Le premier concerne l'idée générale de la capacité européenne de fournir des protéines végétales. Nous ne serons jamais autosuffisants et c'est, entre autres, la raison pour laquelle le développement du bio-éthanol est souhaitable. Un hectare de blé fournit sous forme de drêches l'équivalent d'un hectare de soja américain, soit 2,5 à 3 tonnes en équivalent tourteaux de soja enrichies en protéines.

Le second concerne le problème des engrais et des taux de protéines. Un des points sur lesquels nous sommes tous d'accord, est que l'assolement triennal est le meilleur. Une tête d'assolement, c'est parfois le maïs, mais cela peut être d'une manière avantageuse du pois protéagineux, du colza, du tournesol. Pour ce qui concerne les céréales, il faut apporter de l'azote.

Il convient d'être très attentif au fait que nous recherchons une augmentation du taux de protéines des céréales, en particulier pour les drêches, et que pour ce faire, il faut définir les doses d'azote intelligemment. Toute méthode qui les limite abruptement est un peu simpliste. Il est évident qu'un blé capable de faire 100 quintaux n'a pas les mêmes besoins en azote qu'un blé capable d'en faire 30. Aujourd'hui, nous sommes certains qu'une plante commence par faire son potentiel en quantité avant de fournir de la protéine. Par exemple, un blé va d'abord faire son potentiel en quintaux avant d'enrichir son grain en protéines. Nous avons appris à réaliser nos apports d'azote à des phases précises de l'évolution du blé. Si nous le faisons maintenant, cela aura une très mauvaise influence car cela fera de l'herbe plutôt que du grain. Il faut limiter l'azote en ce moment, lui en apporter quand il commence à grandir et surtout en ajouter à la fin de son mûrissement, pour enrichir le grain en protéines.

Ce fractionnement a permis de diminuer de 20 % le taux d'azote à l'hectare et d'augmenter, ces deux dernières années, le taux de protéines de 0,5 point. Cela exige évidemment d'affiner les techniques. L'avenir, ce n'est pas moins de science, comme certains le croient.

J'aborderai maintenant le problème des farines de viande. L'Europe ne peut autoriser à nouveau l'utilisation de farines animales dans l'alimentation des animaux. Dans les années cinquante, soixante, l'INRA prônait l'utilisation des farines animales dans l'alimentation animale pour la raison évidente qu'il s'agissait de protéines nobles, comme on disait à l'époque, c'est-à-dire des protéines équilibrées pour l'alimentation des animaux. Souvent, les protéines végétales ont besoin de complément en acides aminés, alors qu'une farine de viande se suffit à elle-même. Compte tenu du fait que les Américains ne nous autorisaient pas à faire des protéines végétales, cela a fait de la place pour les protéines animales. Les politiques agricoles européennes avaient ce défaut de jeunesse d'avoir protégé le soja américain en nous autorisant à mettre une organisation de marché en ce qui concerne les céréales.

Je suis très sceptique sur l'épandage des farines de viande dans les champs. S'il y a un quelconque danger dans l'alimentation, cela veut dire que l'on risque d'épandre des prions dans les champs. Il faut être très prudent. L'Assemblée nationale a institué une commission, voici quelques mois, sur ces problèmes. J'avais l'honneur d'y participer et de dire déjà que nous étions très interrogatifs sur l'épandage des boues de station d'épuration, parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a dedans. Dans une analyse chimique, on ne trouve que ce que l'on cherche. Si on avait su que le prion existait, on n'aurait sans doute pas donné de farines de viande. Quand on fait une station d'épuration, on concentre des pollutions. Cela pose quelques problèmes de les épandre après. Ne vaut-il pas mieux les épandre chacun chez soi plutôt que de les concentrer avant de les épandre ?

Je me permets d'insister sur ce point, car j'entends souvent dire que les agriculteurs font du chantage en s'opposant à l'épandage des boues de stations d'épuration. Ce n'est pas du chantage. Dans les boues de stations d'épuration, il y a des antibiotiques, et un certain nombre de produits chimiques. On sait mesurer et éviter les métaux lourds, mais pas les antibiotiques pour la simple raison que l'on en consomme énormément. Peut-être vaut-il mieux s'en servir pour faire de l'énergie ?

M. Jacques DOUSSET : Je voudrais apporter un complément sur l'usage de l'azote à l'égard de la culture du maïs. La production de maïs maîtrisée valorise et recycle de façon très performante l'azote, notamment quand elle est irriguée. Comme l'a dit tout à l'heure M. de Benoist, le potentiel de cette culture est très important. L'assimilation de l'azote par cette culture est très importante quand elle est irriguée. La conduite de la culture du maïs et de l'usage de l'engrais, et de l'azote en particulier, est un excellent moyen d'avoir une production à la fois riche en qualité et en quantité, tout en maîtrisant l'environnement sur lequel elle est faite. Il s'agit de comprendre les mécanismes de production. On connaît très bien aujourd'hui les facteurs et les éléments nécessaires à la production. L'azote en est un. Lorsque tous les éléments sont apportés en quantité, au moment opportun, l'environnement peut être contrôlé et les nuisances maîtrisées.

Par ailleurs, ces connaissances sont aujourd'hui apportées aux producteurs par le biais des communications des instituts techniques. En maïs, l'AGPM travaille en collaboration avec des spécialistes de l'INRA et de l'IFEN, afin de valider toutes ces connaissances et de les diffuser auprès des producteurs pour éviter tout abus.

M. François GUILLAUME : Il y a deux enseignements importants dont vous venez de faire une belle démonstration. Le premier est que l'on ne peut pas perturber une production agricole par des interdits sans, au préalable, avoir analysé les conséquences de ces interdits et la possibilité de substituer à ces produits d'autres produits. On constate des problèmes techniques, commerciaux, de concurrence internationale qui, finalement, nous amènent à des situations de blocage.

Le second enseignement est qu'il est trop facile de déclarer « urbi et orbi » et qu'il faut revenir à la production d'autrefois pour éviter un certain nombre de conséquences. Tout le monde sait que le progrès atteint fort heureusement l'ensemble des activités et que si le progrès entraîne un certain nombre de nuisances, il ne s'agit pas de l'arrêter, mais d'effectuer des recherches complémentaires afin de pouvoir réduire les nuisances des progrès mis en _uvre. Il est vrai qu'à une époque on utilisait des engrais à partir des éléments qui nous permettaient de les utiliser le plus raisonnablement possible. Jamais un paysan n'a cherché à gaspiller les engrais pour la bonne raison que les phytosanitaires sont coûteux.

Tous les progrès réalisés ne l'ont pas seulement été pour des raisons environnementales ou de santé publique, mais aussi parce qu'il existe derrière un enjeu économique important. J'en viens à mes questions. Tout d'abord, je souhaiterais des précisions sur le tannage des tourteaux, effectué pour éviter leur destruction dans le rumen. Ma seconde question concerne le problème du filet de sécurité, qui s'apparente au lown price américain. Pour quelle raison la Commission européenne n'a-t-elle pas agi à l'OMC contre les Etats-Unis, qui ne font que transgresser les règles qu'ils ont acceptées au sein du GATT, en ne cessant de subventionner leurs productions ? Le lown price représente un déficit de paiement lié aux volumes de production et non aux superficies.

Pensez-vous, pour faire remonter le soja un peu plus au Nord, qu'il serait bon de s'intéresser aux OGM afin d'obtenir une adaptation du soja à un climat un peu différent de celui du Sud ?

Enfin, plutôt que d'introduire de l'ETBE, ne vaudrait-il pas mieux introduire directement de l'éthanol ? En ce moment, on utilise un mélange d'alcool et de produits pétroliers, ce qui réduit d'autant la consommation d'éthanol que l'on pourrait faire en direct, comme le font d'autres pays.

M. Xavier BEULIN : Dans notre cahier des charges, nous étions plutôt sur la production de protéines végétales non génétiquement modifiées. Cela n'exclut pas le débat.

M. François GUILLAUME : Certes, il faudrait en discuter. Je signale que les superficies en céréales consacrées à la production d'éthanol se doublent de superficies consacrées à la production d'alcool. Il est important de le signaler. Sur la production de protéines, on a beaucoup parlé de luzerne. Cela veut dire aussi des installations importantes à proximité des champs de production. Autant cela se fait très bien dans la Marne, autant cela me paraîtrait plus difficile en Lorraine. Je demanderai au président de l'AGPM de bien vouloir nous dire un mot du corn gluten feed, dont on a beaucoup parlé à une certaine époque. La France, deuxième producteur de semences du monde, peut-elle se permettre de laisser de côté les maïs OGM ?

M. Xavier BEULIN : Sur le problème de la qualité des tourteaux, je compléterai ma réponse par écrit car cela mérite plus qu'une réponse orale. Grâce aux efforts de la recherche, nous avons aujourd'hui des tourteaux parfaitement digestibles par les ruminants. Nous avons des réponses techniques tout à fait satisfaisantes.

S'agissant du filet de sécurité, j'ai parlé de 60 % de soutien aux Etats-Unis pour la production de soja. Sur ces 60 %, 20 % seront effectivement constitués de ce qu'on appelle les marketing Ioan, différentiels entre le prix de marché et le coût de revient du producteur, coût de revient théorique pris en compte comme référence et couplé au marché. Il y a là un paradoxe à relever. Cela fait une dizaine d'années que l'on nous parle de découplage et dans le même temps, après les accords de Marrakech, en 1996, on « recouple » une partie des soutiens.

Je réponds très précisément à la question de M. Guillaume. On constate que les Américains sont sortis de leurs engagements pris à Marrakech, et notamment de la clause de paix en ce qui concerne ces soutiens appliqués à la culture de soja. La FOP a instruit, il y a six mois, un dossier de plainte non pas pour combattre ces marketing Ioan aux Etats-Unis, mais mettre en évidence que le soutien couplé qui existe aux Etats-Unis génère une distorsion sur les marchés, calibrée à hauteur de 12 % à la baisse sur les marchés mondiaux, et a donc une forte incidence sur le marché européen.

Par ailleurs, si le commissaire Lamy, dans la négociation internationale, veut s'emparer de ce dossier, il peut le faire aujourd'hui en s'appuyant sur ce volet juridique et en revendiquant, d'une part, le démantèlement pur et simple de Blair House et, d'autre part, la restauration de ce fameux filet de sécurité en Europe.

Aujourd'hui, nous avons la possibilité d'utiliser la procédure du règlement des obstacles au commerce, procédure communautaire qui permet à une organisation comme la nôtre, non pas de déposer une plainte à l'OMC, à Genève, mais d'obliger la Commission, dans un délai de six mois, à porter un jugement de validation technique sur le dossier, et d'aller ensuite le déposer à l'OMC. Nous sommes convenus avec le commissaire Lamy de ne pas déposer pour l'instant cette procédure. Nous pensions qu'il nous fallait savoir si la bonne stratégie était de « négocier avec le colt sur la table » ou de déposer une plainte.

S'agissant des biotechnologies et du fait de savoir si elles pourraient contribuer à faire remonter le soja dans des zones plus septentrionales, je pense qu'il nous faut vraiment maintenir un potentiel dans le domaine des biotechnologies, y compris sur la transgénèse. Si l'Europe, et la France en particulier, baissent pavillon là-dessus, il est clair que nous serons un jour complètement liés aux trois groupes internationaux, qui seront détenteurs des semences et qui nous obligeront à passer par leur fourche. Il est important d'avoir des programmes de recherche très avancés.

Aujourd'hui, le programme sur lequel nous sommes très avancés sur nos filières, avec le partenariat de l'INRA et des partenariats privés, c'est le Génoplante. C'est un outil qui permet de décrypter le gène de plusieurs plantes : le blé, le pois, le tournesol, le maïs, le colza. Ce n'est pas à moi de dire que ce produit Génoplante, demain, évoluera vers des applications de transgénèse en Europe. Ce sont des questions purement politiques. Maintenons au moins les moyens dont nous pouvons disposer en ce domaine.

Cela ne veut pas dire pour autant que, sans la transgénèse, on ne peut rien faire. Grâce à ce décryptage génétique des plantes, nous allons beaucoup progresser sur la recherche variétale et nous en tirerons des bénéfices dans les années à venir.

Parlons de la légumineuse. Aujourd'hui, la légumineuse peut s'entendre sous deux formes : soit en utilisation directe par les éleveurs de ruminants et c'est alors un schéma d'autoproduction qu'il ne faut pas négliger, soit en utilisation dans les filières de luzerne ou de fourrage déshydraté. Il existe actuellement des problèmes d'ordre communautaire. En effet, le règlement sur les fourrages déshydratés pose aujourd'hui question en termes de soutien. Il faut tenir compte des coûts d'énergie importants. Je ne pense pas que l'on soit aujourd'hui sur le point de reconstruire des usines. Il s'agit plutôt de consolider l'existant et de ne pas perdre des potentiels de production à travers cette filière de fourrage déshydraté.

M. Henri de BENOIST : L'utilisation directe de bio-étahnol dans les carburants est possible. Au Brésil, tous les grands constructeurs ont utilisé jusqu'à 100 % d'éthanol comme carburant. Actuellement, le Brésil en revient à ce programme qu'il avait un peu abandonné lorsque le prix mondial du sucre était très élevé. Les Etats-Unis utilisent de l'éthanol en incorporation directe dans l'essence. En Europe et en France, on nous a obligé à passer par le système ETBE, qui utilise 50 % d'éthanol et 50 % d'isobutylène provenant des produits pétroliers. Tous les motoristes européens, au départ un peu interrogatifs, diront que l'incorporation directe est possible. Le président de Peugeot l'a dit à l'Assemblée européenne, il y a peu de temps, lors d'un colloque. Renault, c'est pareil. Il serait dommage que Volkswagen dise le contraire, alors qu'au Brésil, il fabrique des voitures qui marchent à l'éthanol. Il faudrait peut-être convaincre le corps des ingénieurs des Mines de la faisabilité du procédé.

Il existe un problème de fond sur la bioénergie. Pour certains, tout ce qui ne vient pas du sous-sol n'est pas un carburant. Cela explique bien des choses, me semble-t-il.

M. le Président : Voulez-vous parler des lobbies pétroliers ?

M. Henri de BENOIST : Il s'agit d'un lobby large, sans commune mesure avec les « puissants » lobbies que, paraît-il, nous représentons. Je voudrais ajouter un mot sur les biotechnologies. Nous travaillons tous ensemble par l'intermédiaire d'une société qui s'appelle Biogemma que nous avons créée avec Limagrain et la coopérative de Pau. Nous ne voulons pas être prisonniers de Monsanto et Dupont, les deux Américains qui ont racheté pratiquement tout ce qui se fait dans la recherche mondiale sur ce sujet. Si les biotechnologies présentent un jour un intérêt pour les consommateurs, ce que je crois personnellement, nous ne souhaiterons pas être totalement dépendants de Monsanto et de Dupont. Les autorités de ce pays l'ont bien compris. Je tiens d'ailleurs à souligner que M. Allègre a beaucoup fait pour développer Génoplante et je pense que nous pouvons l'en remercier pour l'avenir de nos productions et de notre indépendance européenne.

Pour ne pas être dépendants, il faut investir dans la recherche : ceux qui détruisent les instruments de la recherche sont des imbéciles.

M. Jacques DOUSSET : Le corn gluten feed américain était d'actualité en France il y a une dizaine d'années, mais aujourd'hui, il ne l'est plus ; en revanche, il en arrive toujours au Nord de l'Europe et en Espagne - alors qu'il n'est pas tracé et qu'il contient, tout comme le maïs américain, des OGM - ce qui entraîne une moindre consommation de maïs en Europe.

S'agissant des biotechnologies, je m'associe à ce qui a été dit par les présidents Beulin et de Benoist. Je souhaiterais rappeler ici qu'il n'y a pas de maïs OGM cultivé en France, alors que 40 % des Français pensent le contraire. Ils associent cette culture à la technique OGM, ce qui est une erreur. Cela étant dit, il est clair que nous avons une politique de recherche très volontariste. Si nous sommes prudents et défavorables à ce type de culture, nous sommes également tout à fait conscients de la nécessité d'en savoir plus ; c'est la raison pour laquelle nous désirons développer la recherche dans ce domaine et que nous soutenons toutes celles qui peuvent être entreprises, que ce soit par l'INRA ou par des sociétés privées, dans le but d'obtenir un produit propre qui corresponde au besoin du consommateur. La maîtrise intelligente du génome peut être une réponse : en connaissant la constitution exacte du végétal, nous pourrons l'améliorer. Mais compte tenu des connaissances actuelles, la prudence s'impose.

M. le Président : Il convient en effet d'être extrêmement prudent, mais il ne faut pas abandonner des terrains de recherche dont on imagine bien les enjeux qu'ils représenteront dans l'avenir. La recherche doit être encouragée, car elle représente également des enjeux en termes de marché : vous avez parlé de la Chine, qui a une forte demande en protéines, nous devons absolument être dans la course.

M. François GUILLAUME : Il ne faut pas se bercer d'illusions : tout le monde est content, les recherches se poursuivent, mais on ne produit pas ! Or toute recherche qui ne se traduit pas par des applications rapides est une recherche qui se meurt, car elle n'est plus dotée de moyens financiers suffisants pour pouvoir se développer.

M. Pierre HELLIER : Les intervenants ont parfaitement décrit ce qu'il conviendrait de faire entre les productions d'avant-hier et les productions sciences-fictions d'après-demain, en matière notamment d'apports azotés, de boues, de farines animales - qu'il faut éviter d'utiliser comme engrais - et de biotechnologies. Il convient, en fait, d'utiliser sérieusement les données actuelles de la science. Je suis également membre de la mission d'information sur les lois relative à la bioéthique, et je puis vous affirmer que l'on va faire la même chose en bioéthique humaine ; on aura à utiliser un certain nombre de procédés.

Actuellement, le consommateur voit d'un mauvais _il les OGM, il faut en tenir compte. Ma question concerne les filières OGM : existe-t-il de telles filières en Europe pour le maïs et le soja ? J'ai appris ce matin que la France était le deuxième producteur de semences de maïs au monde : produit-on également des semences génétiquement modifiées ?

Enfin, les performances européennes en matière de protéagineux et d'oléagineux sont inférieures à celles des Américains : est-ce pour une raison de variété ou de climat ?

M. Jacques DOUSSET : En France, je le répète, nous ne produisons pas d'OGM ; nous sommes le seul pays européen à avoir volontairement choisi une culture non OGM. En Europe, certains pays tels que l'Espagne ont une politique moins affirmée que la nôtre et cultivent des OGM. Il est vrai que nous sommes le deuxième pays producteur de semences de maïs. Ces firmes produisent en France, mais également partout ailleurs dans le monde et notamment dans l'hémisphère sud ; les variétés cultivées en France le sont donc également en Amérique du Sud. Nous veillons à ce que ces cultures soient bien isolées afin que cette filière maïs ne contienne pas d'OGM.

Bien entendu, il existe des îlots de recherche, développés ici et là pour faire avancer les connaissances sur ce sujet. Et je suis tout à fait d'accord avec François Guillaume lorsqu'il dit que ces recherches ne doivent pas durer éternellement ; il faut qu'elles aboutissent rapidement.

M. le Président : Avez-vous une idée du volume de maïs OGM entrant en France ?

M. François-Gilles LE THEULE : La France est un exportateur net de maïs : la moitié de notre production est exportée vers l'Union européenne et tout récemment, du fait de notre label « non OGM », vers les pays tiers. Ainsi, on vient d'envoyer un bateau de 15 000 tonnes de maïs français au Japon destiné à l'alimentation humaine, aucun autre producteur mondial ne pouvant garantir aux Japonais une production exempte d'OGM. Sur les 17 millions de tonnes produites en France, on en exporte la moitié, soit environ 8 millions de tonnes, vers l'Union européenne - en général, celle-ci les transforme en amidon qu'elle exporte vers les pays tiers.

L'an dernier, l'Espagne a ensemencé 30 000 hectares en OGM sur une superficie totale de 400 000 hectares ; cependant, ce pays est un grand importateur de maïs - il est notre premier client, tout le maïs du Sud-Ouest est exporté vers l'Espagne. Par ailleurs, l'Espagne, ou plus exactement la Péninsule ibérique, bénéficie du contingent GATT permettant d'importer du maïs dans l'Union européenne ; il s'agissait au départ de maïs américain, mais il provient maintenant d'Argentine et, dans une moindre mesure, des pays d'Europe centrale et orientale, qui ne font pas d'OGM. L'Espagne n'est donc pas un vrai problème puisque son maïs OGM n'est pas exporté. Cela étant dit, il s'agit de l'illustration d'une règle bien connue dans l'ensemble des productions agricoles européennes : les règles que l'on s'impose dans le nord de l'Europe ne s'appliquent pas forcément dans le sud. En particulier en matière environnementale, où il existe des distorsions de compétitivité entre les producteurs du nord des Pyrénées et ceux du sud.

Nous ne faisons pas de semences OGM en France, hormis pour la recherche et dans des conditions extrêmement difficiles, car même en tant qu'institut technique nous avons du mal à trouver des agriculteurs qui acceptent de procéder à des essais. Un climat de terreur règne dans ce domaine et, d'année en année, nous avons de moins en moins de volontaires pour effectuer des essais, même isolés, ce qui porte un préjudice à la recherche.

En termes de production de semences, voici les chiffres : nous avons un peu plus de 3 millions d'hectares en France, dont la moitié en maïs fourrage, donc non exporté ; seul un quart de la surface totale du maïs français est exporté. Nous avons 50 000 hectares de production de maïs semence - deuxième surface mondiale après celle des Etats-Unis - 5 000 agriculteurs multiplicateurs spécialisés, et nous exportons un tiers de notre production. Nous sommes donc également le deuxième pays exportateur mondial de semences de maïs.

Enfin, si la France est bien le deuxième producteur mondial de semences toutes catégories confondues, c'est très largement dû à l'importance de la filière maïs, qui représente la moitié du chiffre d'affaires de la filière semences. Il s'agit d'un marché qui est arrivé à maturité, et grâce aux revenus générés par cette filière, nous possédons encore quelques petites entreprises qui se situent dans le top 4 mondial. L'Europe a donc une place à tenir dans ce domaine ; mais cela suppose évidemment de poursuivre l'effort de recherche, sinon les firmes telles que Monsanto ou Dupont, avec leurs budgets considérables, vont nous laisser sur place.

En ce qui concerne le maïs, nous sommes les leaders mondiaux en matière de semences de maïs fourrage, ce produit n'étant pas développé aux Etats-Unis ; il a été mis au point en France au fil des siècles et les bassins de production étaient situés dans le Sud-Ouest et en montagne. Le maïs américain est de type tropical, le maïs français de type océanique ; il supporte donc des températures plus basses. On a découvert, après la guerre, dans le Massif Central, un maïs qui mûrissait à 800 mètres d'altitude - qui était le fruit de centaines d'années de développement artisanal, ce que l'on ne peut pas trouver aux Etats-Unis. C'est à partir de ce maïs, que l'on a appelé F1 - « France 1 » - à l'époque, que l'on a réussi à fabriquer un maïs qui pousse en Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Irlande, et dans tout le nord de l'Europe.

M. Xavier BEULIN : S'agissant de la compétitivité, il convient de distinguer la compétitivité au plan international et celle qui a lieu dans nos propres exploitations. A l'échelle internationale, nous n'avons pas, aujourd'hui, à rougir de nos performances : nous sommes largement leaders en termes de performances à l'hectare pour le colza et le tournesol et, pour le soja, nous faisons pratiquement jeu égal, puisque dans le Sud-Ouest, nous cultivons le soja à 30 quintaux l'hectare, ce qui correspond à la moyenne des Etats-Unis aujourd'hui.

En Europe, le problème est le suivant : à partir du moment où nous sommes, au cours mondial, sans protection - on importe « à droit zéro » et il n'existe aucun soutien spécifique lorsque les marchés s'effondrent - le producteur n'a qu'un choix micro-économique d'entreprise agricole. Nous sommes plus performants aujourd'hui dans une céréale à paille, voire à maïs, que dans un oléagineux ou un protéagineux. C'est ce qui justifiait cette aide spécifique aux oléagineux et protéagineux qui a été démantelée les accords de Berlin et qui explique aujourd'hui les difficultés dans lesquelles nous sommes.

Nous n'avons aucune production d'OGM, ni en France ni en Europe sur les espèces oléagineuses ou protéagineuses : pourquoi donc justifier une filière non OGM soja ? Un soja importé vient pour moitié des Etats-Unis et pour l'autre moitié d'Argentine et du Brésil ; or le soja provenant d'Argentine est à 90 % OGM, celui des Etats-Unis à 50 %, et celui du Brésil est « officiellement » sans OGM. Cette filière non OGM tracée était donc justifiée pour son aspect « sécurisation » : nous voulions pouvoir garantir aux consommateurs que, depuis la semence jusqu'au produit fini, tous les engagements du cahier des charges étaient respectés et contrôlés.

Je regrette aujourd'hui la politique de Carrefour qui étiquette des produits de ses propres filières animales « non-OGM », alors que leur alimentation est à base de soja brésilien, qui n'a aucune traçabilité ! Ou l'on s'impose un certain nombre de garanties, ce qui peut justifier un accompagnement spécifique et une valeur ajoutée sur le produit final, ou bien l'on étiquette tout et n'importe quoi et ce sera le mieux-disant qui se placera dans les rayons des supermarchés ! Mais là aussi, en termes de compétitivité, nous ne sommes pas sur les mêmes registres. Il y a donc véritablement un choix à faire aujourd'hui. Pour ma part, je considère qu'il existe une place pour une gamme de produits clairement identifiés, issus d'une alimentation à base de matière première ayant fait l'objet de contrôles extrêmement rigoureux et sur lesquels il ne faut pas transiger ; or cela mérite un accompagnement spécifique. Nous sommes là devant un choix véritablement politique.

M. le Président : Il est vrai qu'en matière de sécurité alimentaire et de traçabilité, nous avons pris connaissance de toutes les limites des systèmes mis en place, dans la mesure où ils n'étaient pas harmonisés, dans un marché unique qui est le marché européen. Je souhaiterais avoir votre point de vue sur ce sujet. Un certain nombre de mesures de sécurité et de traçabilité ont été prises pour le maïs ; on comprend bien la difficulté d'assurer cette traçabilité y compris dans des domaines essentiels touchant à la sécurité sanitaire ou alimentaire. Nous avons pris des dispositions en France, avec l'Agence de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ; nous sommes dans un marché unique, et nous avons pourtant été incapables de nous assurer que ce qui entrait chez nous répondait bien aux règles que nous nous sommes imposés en matière de sécurité alimentaire.

Je souhaiterais que vous nous fassiez part de vos points de vue sur ce qui constitue pour nous un sujet de préoccupation : l'absence de règles communes dans le marché unique européen. Dans la perspective d'une ouverture aux PECO, comment l'Union européenne pourra-t-elle s'assurer que tous les pays disposent de règles de sécurité sanitaire et de traçabilité ? Comment allons-nous pouvoir réagir rapidement, à l'échelle de l'OMC, à des enjeux dont on voit bien qu'ils sont, pour certains secteurs, des facteurs extrêmement restrictifs ? La lecture des accords de Blair House était intéressante, car le contexte dans lequel nous sommes aujourd'hui est un contexte essentiellement économique : l'enjeu principal, au-delà des surfaces de production, est économique, avec des règles qui sont appliqués aux Etats-Unis et que l'on n'applique pas - je pense notamment à un levier minimum au-delà duquel il conviendrait d'avoir des mécanismes de garantie pour s'assurer de la possibilité économique de continuer à produire des protéines.

Troisièmement, vous parliez tout à l'heure de « négocier avec le colt sur la table », M. Beulin, s'agissant des Etats-Unis. J'ai le sentiment qu'ils sortent d'abord leur revolver et discutent ensuite ! En France, on s'interroge sur son utilisation en ce qui concerne les mécanismes de soutien couplé dont ils disposent. Quel est votre sentiment sur ce sujet essentiel ?

Enfin, avez-vous, au sein de l'Union, des discussions avec les organisations européennes ? M. Le Theule a évoqué des possibilités nouvelles grâce à des filières bien tracées dans des pays solvables, tels que le Japon ; il s'agit là d'un indicateur intéressant.

M. Xavier BEULIN : Récemment, nous exposions ce projet de plainte devant un certain nombre de fonctionnaires de la direction générale de l'agriculture à Bruxelles, et l'un d'entre eux m'a tenu ces propos : « Si je me place du point de vue des intérêts des producteurs ou des filières oléagineuses européennes, vous avez raison, et votre dossier et parfaitement légitime. Mais si je me place du point de vue des intérêts de l'Union européenne, à partir du moment où l'on importe 75 % de nos besoins en protéines - 35 millions de tonnes d'équivalent de tourteaux, ce qui représente, en valeur, l'équivalent, voire plus, de notre propre production communautaire de blé tendre - vous avez tort. En effet, nous avons tout intérêt à laisser les Américains mettre en place leur système de protection et de soutien couplé ; cela fait baisser les prix, et comme nous sommes importateurs nets, c'est tout bénéfice pour l'Union européenne. » Que voulez-vous répondre à cela ? Cela traduit bien la difficulté dans laquelle nous sommes.

Deuxièmement, l'Union européenne est-elle prête aujourd'hui à une confrontation sur un tel dossier ? Quel est le caractère stratégique de ce dossier protéines pour l'Europe, par rapport à d'autres sujets agricoles ou non agricoles ? Bien entendu nous avons notre point de vue sur la question.

Troisièmement, il nous semble évident que nous devons répondre à la double attente des consommateurs : sécurité alimentaire et agriculture plus sociétale. Au moment où l'Europe défend cette généreuse idée de multifonctionnalité de l'agriculture à l'OMC, qui veut dire en termes clairs : une agriculture qui produit non seulement des biens alimentaires, mais également des biens marchands, ou non marchands, des bien industriels et biocarburants, la question qui se pose est de savoir si la première règle n'est pas d'encourager les pratiques agronomiques et alimentaires.

Si l'on regarde du côté du passif, il est clair que nous sommes, s'agissant des protéines, dans une situation de forte dépendance. De ce fait, nous sommes obligés d'importer des OGM, alors que l'opinion souhaite garder un espace européen complètement propre. Ce qui veut dire en termes d'enjeux économiques, qu'un producteur de soja ou de colza français a un handicap d'environ 500 francs à l'hectare par rapport à son homologue argentin ou américain !

Voulons-nous ou non assumer politiquement et économiquement un certain nombre de choix ? Le choix du non OGM, d'une agriculture mieux sécurisée ? Il ne faut pas se voiler la face, cela passera par une participation du consommateur et du contribuable. Sinon, la solution sera celle du mieux-disant : nous devrons posséder des structures d'exploitation compatibles avec le standard mondial, nous devrons avoir accès à un certain nombre de technologies qui nous sont refusées aujourd'hui, etc. L'enjeu est donc avant tout de nature politique : quelle agriculture, quel type d'alimentation voulons-nous, que voulons-nous assigner au métier d'agriculteur ? Si nous répondons à ces questions, les moyens seront plus lisibles.

M. le Président : Et sur l'aspect intracommunautaire ?

M. Xavier BEULIN : On ne peut pas envisager d'autre solution qu'une solution communautaire, par rapport aux standards. Nos difficultés, outre financières, tiennent également au fait que l'on n'a pas réglé tous les problèmes de normes en matière vétérinaire, sanitaire, etc. Ne serait-ce que pour des questions de sécurité alimentaire ou de positionnement par rapport à la question « OGM ou non OGM », on ne pourra pas passer à côté d'une réglementation communautaire.

S'agissant de la question des OGM, la France a une position distincte de celle des autres pays de l'Union ; en ce qui concerne les problèmes de seuil, de présence fortuite dans les semences ou dans les graines de consommation, la France a également une attitude différente du standard européen. Il convient de s'interroger, car quelque part nous sommes incohérents. Nous sommes partie aux accords de Schengen, alors que d'un autre côté nous voudrions nationaliser un certain nombre de données normatives, notamment en matière de traçabilité et de sécurité. Ma position est simple : une réglementation communautaire doit s'appliquer à l'ensemble des pays.

M. Henri de BENOIST : Les problèmes soulevés sont tout à fait fondamentaux pour l'Europe de demain. La forte morosité qui existe dans le monde agricole en France aujourd'hui est due à la contradiction que vient de souligner M. Beulin : nous devons être compétitifs, mais en même temps, nous ne devons pas travailler comme nos concurrents. Que demande la société à son agriculture, en France d'abord et en Europe ensuite ?

Vous nous avez demandé, monsieur le président, si nous n'avions pas le sentiment que les Américains « tiraient avant de discuter ». Non. Mais ils ont en face d'eux quelqu'un qui n'a pas de volonté, alors ils continuent à avancer. Je vous citerai cette anecdote qui date du deuxième choc pétrolier. J'étais alors à Washington et je devais rencontrer une personne - le président des producteurs de blé - qui est devenue par la suite sous-secrétaire d'Etat chargé des affaires étrangères ; quand je lui ai demandé s'il n'était pas possible de conclure un accord international pour le maïs - prix minimum, prix maximum, stock de sécurité mondial -, il m'a répondu : « Jamais ! On ne fera pas la bêtise de l'Arabie Saoudite avec le pétrole : on maintiendra les prix du blé si bas sur le plan mondial, que personne ne pourra produire à ce prix-là ! » C'est ce qu'ils ont fait aujourd'hui pour le soja qui, avant les accords de Marrakech, n'était pas subventionné !

Cela pose de sérieux problèmes, pourtant la grande presse européenne n'en dit pas un mot. Elle se contente de proférer des insultes sur le « productivisme » des agriculteurs ; qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce l'augmentation de la productivité qui est en cause ? Ce serait vraiment étonnant dès lors qu'on ouvre les frontières à tout-va ! Si l'on nous interdit d'augmenter la productivité, donnez-nous des subventions ! La productivité, c'est l'amélioration de l'outil de production, faire davantage avec les mêmes outils. S'il s'agit de ne plus augmenter la productivité, je ne sais pas où va l'Europe. Ce sont ces contradictions qui nous préoccupent.

Par ailleurs, lors des conférences, nos quinze délégations se retrouvent à Genève ; même si un commissaire est chargé de la négociation internationale, nos quinze pays sont là, discutent dans les couloirs. Imaginez ce qu'en pensent les Etats-Unis ! Comme cela a été dit, le président Bush se regarde dans la glace et négocie avec lui-même ! Voilà le problème de l'Europe : ce sont les cités grecques face à l'empire romain.

M. Jacques DOUSSET : Je voudrais pour ma part relever les incohérences qui existent entre les baisses de prix que nous enregistrons aujourd'hui et les exigences toujours plus importantes du consommateur. On nous accuse d'être des productivistes qui ne tiennent pas compte du social ou de l'environnement. Or nous avons mis en place depuis de nombreuses années, par le biais de tous nos organismes économiques, des outils d'évaluation et des méthodes de production qui prennent en compte toutes ces attentes de la société. C'est la raison pour laquelle nous sommes désolés de voir que, malgré tous les efforts réalisés pour permettre une production raisonnée - la maîtrise de l'azote, de l'emploi des pesticides et des fongicides - on ne parle que de productivisme. Le scepticisme qui existe chez les producteurs est le résultat de cette non-reconnaissance du travail effectué. Si les prix continuent de baisser, si les aides diminuent et que les exigences sont de plus en plus importantes, la corde va céder.

M. le Président : Nous nous posons des questions sur la transparence, la communication des résultats de la recherche scientifique qui peuvent affoler le consommateur ; nous pouvons en effet constater leurs conséquences sur le marché, avec des annonces régulières de connaissances scientifiques dont nous savons qu'elles sont par nature évolutives. Par ailleurs, vous semblez dire, les uns et les autres, qu'en matière de sécurité alimentaire, il y a une nécessité de parvenir à une meilleure harmonisation européenne, afin d'éviter les désordres tels que les importations de viandes bovines de pays qui n'appliquent pas les mêmes règles de sécurité sanitaire que nous.

Comment parvenir à cette harmonisation et éviter que les pays qui sont en avance en matière de sécurité alimentaire soient pénalisés. Car nous nous sommes aperçus, dans le passé, qu'entre la prise de mesures de sécurité dans un pays et la prise de conscience de leur nécessité à l'échelle européenne, il s'est parfois écoulé cinq ans !

M. Henri de BENOIST : Ce sont malheureusement des questions que je me pose également ! Je n'ai donc pas vraiment de réponses à vous apporter. En ce qui concerne la transparence scientifique et la communication, il est évident qu'il est indispensable que nos concitoyens aient une meilleure connaissance du problème. Je pense que, pour beaucoup de personnes, la science a toujours raison ; c'est la raison pour laquelle elles ont été extrêmement surprises lorsqu'on leur a dit qu'un scientifique ne pouvait rien affirmer à 100 %. Et si les consommateurs ne prennent pas cette donnée en compte, il n'y a rien à faire pour améliorer la transparence et la connaissance ; ils doivent comprendre que la méthode scientifique de Claude Bernard, c'est justement le doute. Le problème est le suivant : s'agissant de leur alimentation, les Français ont besoin d'une sécurité absolue ; or elle n'existe pas et ne peut exister.

Prenons l'exemple des produits biologiques, que je ne conteste pas. Il convient tout de même de savoir que, si l'on n'ajoutait pas de fongicides, on retrouverait de l'ergot du seigle dans les farines ! Souvenez-vous de l'affaire de Pont-Saint-Esprit : des personnes étaient mortes à cause d'une farine infectée d'ergot du seigle. Il existe de nombreux risques dus aux champignons, c'est la raison pour laquelle les fongicides sont indispensables. Le risque zéro n'existe pas, même dans les produits biologiques. Le risque, c'est la vie ; c'est ce que nos concitoyens devraient admettre. Or dans nos vieux pays, on admet de moins en moins le risque, notamment à titre individuel - vous le savez bien, messieurs les députés.

En ce qui concerne les normes européennes, nous voulons plus d'Europe, mais surtout une meilleure Europe. Il me paraît incroyable qu'au moment de l'avènement d'une monnaie unique - que nous attendons depuis longtemps - on « renationalise » les politiques ! Nous voulons donc une meilleure Europe. Et ce que nous ne souhaitons pas - contrairement aux Britanniques - c'est une grande zone de libres échanges en Europe car s'il n'y a plus de douaniers, plus rien ne sera surveillé au niveau alimentaire. Nous nous imposons des contraintes très sévères, à juste titre, et nous laissons entrer chez nous n'importe quoi. L'animal porteur de la fièvre aphteuse provient certainement d'Afrique ou d'Asie.

M. Xavier BEULIN : En ce qui concerne le volet européen, je partage totalement les propos de M. de Benoist. L'Europe est à la fois riche et vieillissante et voudrait se protéger de tout. Nous travaillons sur du vivant et je crains que dans ce domaine le principe de précaution soit appliqué de manière démesurée ; l'exemple de la fièvre aphteuse en est une illustration.

Bien entendu, on peut espérer plus de transparence, plus de communication. Mais il convient avant tout de distinguer ce qu'est la recherche par rapport à la connaissance. Revenons sur le dossier des OGM. Aujourd'hui, on fait du laboratoire ; mais dès qu'il faudra passer à la phase d'expérimentation en parcelles, nous nous retrouverons dans des situations totalement ingérables. Et parce qu'on ne veut pas chercher, ou pas trouver, on ne fait plus rien. Tout cela n'est pas très sain.

Contrairement à ce que l'on dit, le citoyen est intelligent et comprend les choses ; bien entendu, il ne faut pas que sa seule source d'information soit le journal de 20 heures ! Mais il ne faudrait pas non plus que l'on arrive à une autre situation extrême : il n'appartient pas aux lobbies, grâce à leur puissance financière, d'orienter l'information - car il serait possible, pour nous, d'utiliser ce biais. Nous devons donc, sur ces dossiers, revenir à des comportements plus sensés : on ne peut pas, le même jour, dans la même émission, se glorifier d'avoir réussi le décryptage du génome humain et raconter n'importe quoi sur la sécurité alimentaire. Nous nous sentons, aujourd'hui, vraiment mal à l'aise, et le mot est faible.

Quoi qu'il en soit, si l'on veut être transparent, il ne faudra pas l'être uniquement sur les moyens de recherche ou les objectifs de recherche, mais également sur la restitution de l'information au public - et l'on est confronté, sur ce sujet, à une vraie difficulté.

M. le Rapporteur : M. de Benoist distingue productivité et productivisme. Il est vrai qu'il existe une réelle interrogation aujourd'hui, quand on sait que l'on produit pour détruire. Les paysans eux-mêmes ne comprennent plus. J'apprécie donc que vous puissiez dire, M. de Benoist, qu'il faut savoir quelle agriculture on veut - pour quoi faire et pour quel besoin. Et je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il faut plus d'Europe et une meilleure Europe. Le problème est que l'on ne peut pas à la fois être protégé et faire du commerce. Je terminerai en vous demandant votre sentiment sur les acides aminés de synthèse.

M. Henri de BENOIST : En ce qui concerne votre remarque, M. le Rapporteur, je voudrais vous dire que nous avons été les premiers, à l'AGPB, à prôner la jachère pour éviter un excès de production ; ce qui a été très mal perçu à l'époque. S'agissant de l'ajustement de l'offre et de la demande, il n'y a pas trente-six solutions, si elle doit se faire par les prix et le marché, elle est impossible dans le monde agricole. C'est pourquoi je suis favorable à une organisation de marché avec un arbitrage des pouvoirs publics. Mais vous avez raison, et maintenant mes collègues l'ont compris : on produit non pas pour tuer, ensevelir ou brûler, mais pour un marché. Abattre tout un troupeau est un véritable drame pour un éleveur ; et je puis vous dire qu'il y a plus de morts chez les éleveurs par suicide que par l'ESB !

En ce qui concerne les acides aminés de synthèse, les Quinze consomment 150 000 tonnes de lysines, dont 60 000 tonnes sont produites sur le territoire de l'Europe par Eurolysine, filiale du groupe Ajinomoto implantée dans la Somme. Il ne s'agit pas réellement d'une synthèse, mais d'une fermentation de substrats de lait d'amidon ou de sucre de betteraves. Le reste est importé des Etats-Unis, ADM étant le principal producteur. Eurolysine et ADM détiennent chacun environ 30 % du marché mondial.

La méthionine, quant à elle, est réellement obtenue par synthèse. Les volumes produits dans le monde sont équivalents à la lysine, avec environ 400 000 tonnes par an, les Etats-Unis en produisant 50 %, l'Europe 35 % et le Japon 13 à 14 %. La production des deux autres acides aminés, la thréonine et le tryptophane, est beaucoup moins importante, et la concentration est à peu près la même entre les mains de quelques producteurs. Il y a sans doute également un problème d'augmentation de production de ces acides aminés.

M. le Président : Nous vous remercions.


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