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N° 1781

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juillet 1999.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. DIDIER MIGAUD,

Rapporteur général,

Député.

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ANNEXE N° 4

L'UTILISATION DES CRÉDITS
DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Rapporteur spécial : M. Jacques BARROT

Député

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Parlement.

INTRODUCTION 5

I.- QUAND LA COMPLEXITÉ DÉFIE L'ÉVALUATION 7

A.- L'INFLATION NORMATIVE, FACTEUR DE COMPLEXITÉ 7

B.- DES ACTEURS NOMBREUX, INDÉPENDANTS LES UNS DES AUTRES ET PEU COORDONNÉS 8

1.- Des acteurs nombreux et peu coordonnés 8

a) L'action directe de l'État : le contrôle et l'AFPA 8

b) Les partenaires sociaux, acteurs historiques de la formation professionnelle 11

c) Les nouvelles compétences des régions 11

2.- Une répartition complexe des tâches 12

a) Évaluer, orienter, former 12

b) La « division du travail » se poursuit en matière de financement 13

c) L'absence de prise en charge complète des frais de formation interdit l'évaluation globale de l'effet des dépenses engagées 14

C.- AU-DELÀ DE LA PROBLÉMATIQUE DU FINANCEMENT, LES DIFFICULTÉS D'UNE APPROCHE QUALITATIVE 14

1.- L'efficacité améliorée du dispositif de collecte 14

a) L'utilité avérée de la mutualisation 14

b) Dynamiser la gestion de la trésorerie 15

2.- L'approche qualitative reste absente 15

a) Pas de « contrôle qualité » 15

b) Quels critères adopter ? 16

II.- VERS UNE AMÉLIORATION DU RATIO COÛT/EFFICACITÉ 17

A.- ÉLABORER UNE STRATÉGIE PUBLIQUE DE LONG TERME POUR L'AFPA 17

1.- Dépasser la question statutaire 17

2.- Continuer et approfondir l'effort de rigueur 17

B.- RENFORCER LES CONTRÔLES ET RATIONALISER LE DISPOSITIF DE COLLECTE 18

1.- Remédier à la faiblesse du contrôle de l'État, au niveau national et local 18

a) Augmenter les effectifs du groupe national de contrôle 18

b) Grâce aux chambres régionales des comptes, mieux contrôler les actions de formation menées par les régions 18

c) Mieux encadrer les dépenses des organismes paritaires collecteurs agréés 19

2.- Poursuivre l'amélioration du système paritaire 19

a) Prendre en compte le coût inévitable du paritarisme 19

b) Rationaliser 20

c) Simplifier 20

C.- PRENDRE EN COMPTE L'ASPECT QUALITATIF DES FORMATIONS 21

1.- Préférer le contrôle social au contrôle d'État 21

a) L'agrément systématique pour les organismes dispensateurs de formation : la fausse bonne idée 21

b) Privilégier le rôle des partenaires sociaux 21

2.- De l'entreprise à la branche 22

a)  Le contrôle social sur le terrain : l'entreprise 22

b) Dans les branches : trouver le « juste prix » de la formation grâce à l'accréditation du formateur 22

CONCLUSION 25

AUDITIONS 27

1.- M. Gilles Loffredo, directeur de l'Association pour la gestion des fonds de l'alternance (AGEFAL) et du Comité paritaire du congé individuel de formation (COPACIF) 27

2.- M. Jean Lambert, chef du groupe national de contrôle de la formation professionnelle au ministère de l'Emploi et de la Solidarité 45

3- MM. Gilbert Hyvernat, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et Jean-François Danon, directeur financier 65

4- MM. Jean Michelin, directeur de la Formation au sein de la Fédération française du bâtiment, et Jacques Lair, président de la Commission de la Formation 93

5- Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle 105

INTRODUCTION

La Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) a souhaité que les crédits de la formation professionnelle constituent l'un de ses thèmes de réflexion. A cet effet, il a été décidé de procéder à six auditions ci-jointes, selon la logique et le calendrier suivant.

Le jeudi 1er avril 1999, l'audition de M. Gilles Loffredo, directeur de l'Association de gestion des fonds en alternance (AGEFAL) et du Comité paritaire du congé individuel de formation (COPACIF), a permis de présenter le mécanisme de mutualisation des prélèvements sur la masse salariale des entreprises finançant les formations en alternance et les congés individuels de formation. La mission a ensuite entendu M. Jean Lambert, chef du groupe national de contrôle de la formation professionnelle au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, afin d'apprécier l'étendue du contrôle public effectué sur les entreprises, les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et les organismes de formation.

Le jeudi 8 avril 1999, compte tenu du rôle central joué par l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) dans l'orientation et la formation des stagiaires de la formation professionnelle, son directeur général, M. Gilbert Hyvernat, et son directeur financier, M. Jean-François Danon, ont été auditionnés. De manière à disposer d'un avis extérieur sur la qualité et le prix des prestations délivrées par les organismes publics, et afin d'avoir une vue globale sur l'aval du système de formation, la mission a entendu M. Jacques Lair et M. Jean Michelin, respectivement Président de la commission de la formation et Directeur de la formation au sein de la Fédération française du bâtiment.

Enfin, la mission a entendu, les jeudi 3 et 17 juin, Mme Nicole Péry, secrétaire d'État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, et Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité.

Ce document présente les conclusions des travaux de la mission après le débat tenu le jeudi 24 juin 1999 sur les propositions du rapporteur spécial des crédits de la formation professionnelle. Le constat effectué souligne notamment la grande complexité des dispositifs étudiés. Une série de propositions vise ensuite à améliorer le ratio coût/efficacité du système.

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I.- QUAND LA COMPLEXITÉ DÉFIE L'ÉVALUATION

Interrogé sur le sujet de la formation professionnelle, M. Pierre Joxe, Premier Président de la Cour des comptes, a répondu au groupe de travail parlementaire sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire :

« Vous dites que le budget de la formation professionnelle est de 120 ou 130 milliards de francs. En réalité, on n'en sait rien. Car avec ce qu'il y a dans le budget de l'État, dans les compagnies consulaires et les collectivités locales, on ne peut pas définir clairement ce montant. En revanche, ce que l'on sait, c'est que les gaspillages sont considérables et les fraudes énormes ! ».

Il relayait ainsi la suspicion qu'éveillent parfois les modalités du financement de la formation professionnelle. M. Gilles Loffredo, lors de son audition par la mission d'évaluation et de contrôle, a déploré lui aussi « ce cycle pervers générant dans l'opinion ce que Jacques Delors appelle la « défiance diffuse envers la formation professionnelle ».

Cette suspicion se nourrit de l'inflation normative en matière de textes et de la multiplicité des acteurs. Ces deux phénomènes se conjuguent pour compliquer le contrôle et brouiller l'évaluation, particulièrement déficiente en ce qui concerne la qualité des formations.

A.- L'INFLATION NORMATIVE, FACTEUR DE COMPLEXITÉ

La complexité est d'abord causée par une certaine inflation normative. Les normes d'origine européenne, certes encore rares, les lois, les règlements, le droit de la décentralisation, le droit conventionnel résultant des négociations des partenaires sociaux se sont succédés et juxtaposés sans former un ensemble normatif clair et cohérent.

Mme Nicole Péry a rendu public en mars 1999 un document intitulé La formation professionnelle, diagnostics, défis et enjeux. Ce Livre blanc met notamment en avant la « sédimentation juridique » existant en matière de formation professionnelle. Le document dénombre ainsi l'adoption de 13 lois entre 1971 et 1996. Cette sédimentation déroute les acteurs qui auraient le plus besoin d'actions de formation : les petites et moyennes entreprises, ainsi que les personnes en difficulté. La complexité du système a également conduit à la coexistence de deux modes différents de rémunération : stagiaire de la formation professionnelle et allocataire de l'allocation formation reclassement.

La mission a relevé que les partenaires sociaux réclament parfois la mise en place de dispositifs, qu'ils n'utilisent ensuite que de manière réduite. Ainsi, Mme Nicole Péry a déploré le démarrage très lent de la formule des « contrats de qualification adultes », dont la création avait été demandée par les partenaires sociaux.

B.- DES ACTEURS NOMBREUX, INDÉPENDANTS LES UNS DES AUTRES ET PEU COORDONNÉS

M. Jacques Delors a avoué sa perplexité au groupe de travail sur l'efficacité de la dépense publique :

« Moi, par exemple, qui suis à l'origine de la loi sur la formation professionnelle, je n'arrive pas à me faire une idée sur où on est de la formation professionnelle permanente entre ce que font l'État, les budgets publics décentralisés et les acteurs non publics. »

Le système de la formation professionnelle est en effet devenu un monde non seulement complexe, mais aussi cloisonné : de nombreux acteurs poursuivent des buts peu complémentaires en direction de publics très hétérogènes. Le système de la formation professionnelle s'est adapté à la diversité des parcours personnels des candidats à la formation : qu'ont en commun les publics « jeunes » dépourvus de toute qualification, les primo-demandeurs d'emploi, de jeunes apprentis, les cadres en formation continue ou les personnes illettrées en situation d'exclusion ? Cette hétérogénéité des publics se reflète dans la multiplicité des acteurs et les « divisions du travail » mises en _uvre au sein du système de la formation professionnelle.

1.- DES ACTEURS NOMBREUX ET PEU COORDONNÉS

En 1997, sur un total de dépenses de formation professionnelle de 138 milliards de francs, la part de l'État représentait 40 %, hors formations délivrées aux agents publics. En effet, la politique de formation professionnelle est d'abord une politique négociée entre les partenaires sociaux. Elle est également devenue une compétence des régions.

a) L'action directe de l'État : le contrôle et l'AFPA

Si l'État est plus souvent un financeur qu'un véritable acteur, il continue à jouer un rôle éminent en matière de formation professionnelle. Il fixe les normes légales et réglementaires et il assume lui-même une part importante des dépenses annuelles de formation, en partie à travers le programme national de la formation professionnelle (PNFP) et surtout grâce à l'action de l'AFPA.

· L'AFPA, une association du service public de l'emploi

Les dotations annuelles attribuées à l'AFPA ont représenté en loi de finances initiale pour 1999, 4.128 millions de francs (dotation de fonctionnement) et 330 millions de francs (dotation d'équipement). L'AFPA, qui emploie 10.800 salariés en équivalents temps plein, dispose de 220 centres de formation et de 180 centres d'orientation.

L'ampleur des moyens mis en _uvre contraste avec la faiblesse relative des résultats, comme l'ont souligné les travaux de la MEC.

Les membres de la mission se sont également interrogés sur la stratégie de long terme adoptée par le Gouvernement pour l'AFPA. La fin des interventions dans le secteur concurrentiel, le recentrage sur l'accueil et l'orientation des personnes en difficulté, tels qu'ils ont été décrits aux membres de la mission d'évaluation et de contrôle par Mme Nicole Péry et M. Gilbert Hyvernat, sont-ils compatibles et cohérents avec les moyens actuels de l'AFPA ?

Selon les termes du nouveau contrat de progrès, l'AFPA doit consacrer ses moyens d'orientation professionnelle non plus seulement à son propre dispositif, mais également aux dispositifs et organismes qui l'entourent. Elle devra recevoir des flux importants de demandeurs d'emploi, les conseiller et les orienter. Sa fonction d'évaluation des qualifications sera renforcée. Selon son directeur, « Les indications chiffrées du contrat en disent long sur cette évolution. Si, aujourd'hui, nous recevons 80.000 à 100.000 personnes par an en orientation, à échéance du contrat de progrès, dans cinq ans, ce seront 250.000 personnes qu'il nous faudra recevoir dans notre structure, soit pour les orienter vers nos propres services, soit pour leur proposer une évolution dans d'autres organismes de formation, qu'ils soient conventionnés avec nous, ou relèvent des chambres de commerce, des chambres des métiers, etc. J'insiste sur ce point : le dispositif de formation qualifiant est un dispositif lourd. »

Depuis le sévère rapport de la Cour des comptes de 1997, des efforts de rigueur de gestion ont été engagés, en particulier grâce à l'institution de négociations salariales internes régulières, la désindexation des rémunérations et le respect de l'obligation des placements dans le circuit du Trésor. La désindexation des salaires, selon M. Hyvernat, a permis à l'État d'économiser annuellement entre 60 à 70 millions de francs.

· Le contrôle administratif et juridictionnel de l'État

Le contrôle de la formation professionnelle est effectué par le groupe national de contrôle (GNC) (1), unité de quatorze personnes, dont quatre sont habilitées à effectuer des contrôles sur le terrain. Le GNC anime et coordonne les 22 services régionaux de contrôle. Ces services régionaux emploient 140 agents, dont une centaine remplit une mission de contrôle (effectif « notoirement insuffisant » a précisé M. Jean Lambert). Le GNC contrôle les organismes paritaires collecteurs agréés à compétence nationale. Comme l'a rappelé devant la mission M. Jean Lambert, « les prix des prestations de service de formation sont libres depuis 1986. Ils sont déterminés par le jeu de l'offre et de la demande. » Dès lors, le contrôle porte à la fois sur le respect par les entreprises de l'obligation légale du financement de la formation professionnelle et la gestion des organismes collecteurs et des organismes dispensateurs de formation. Mme Nicole Péry a indiqué que le nombre d'organismes dispensateurs de formation contrôlés en 1998 se montait à 623, et le nombre d'organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) contrôlés à 12.

Comme Mme Nicole Péry et M. Gilles Loffredo (« Je ne peux que déplorer la faiblesse du dispositif de contrôle de la formation professionnelle. Sans vouloir verser dans le travers d'un jacobinisme exacerbé, je crois que le dispositif national de contrôle est faible ») l'ont reconnu, compte tenu du nombre d'organismes à contrôler, les effectifs du contrôle semblent trop réduits, particulièrement au niveau du GNC, où seuls trois inspecteurs sont effectivement en mission. Si l'on met en regard le niveau des effectifs et la population des organismes, il devient évident que certains ne seront jamais contrôlés. Le contrôle est donc insuffisant, à la fois sur les organismes dispensateurs de formation et sur les OPCA. A cet égard, le récent rapport d'information n°1687 de l'Assemblée nationale « Les sectes et l'argent », rédigé par M. Jean-Pierre Brard, évoquant l'infiltration d'organismes dispensateurs de formation par des organisations sectaires, souligne cette carence.

Le contrôle de la Cour des comptes, tel qu'il est défini par les textes en vigueur, ne s'étend pas pour l'instant aux OPCA. Cette lacune sera bientôt comblée : l'article 11 du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, modifie l'article L. 111-7 du code des juridictions financières afin d'autoriser la Cour des comptes à pratiquer des contrôles sur « les organismes qui sont habilités à recevoir des taxes parafiscales, des impositions de toute nature et des cotisations légalement obligatoires, de même que sur les organismes habilités à percevoir des versements libératoires d'une obligation légale de faire ».

b) Les partenaires sociaux, acteurs historiques de la formation professionnelle

La formation professionnelle, essentielle au développement personnel des salariés comme à la compétitivité des entreprises, a toujours été étroitement liée au contrat de travail ; les partenaires sociaux ont été amenés à bâtir un système particulier indépendant de l'administration. La négociation a toujours précédé la législation. Ainsi, la loi n°71-576 du 16 juillet 1971 portant sur l'organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de la formation permanente reprend les stipulations de l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970. Comme l'a rappelé M. Gilles Loffredo, les conseils d'administration de l'AGEFAL et du COPACIF sont des organes paritaires avec des présidences alternantes entre les organisations de salariés et les organisations d'employeurs.

La volonté de l'État d'exercer un contrôle sur un domaine du ressort des partenaires sociaux est parfois vécue comme une ingérence. Cette réaction est parfois légitime : il serait en effet à la fois absurde et impossible de vouloir contrôler à un niveau micro-économique l'utilité de chaque dépense de formation engagée par une entreprise, un salarié ou un demandeur d'emploi. Après avoir indiqué que les chefs d'entreprise devenaient de plus en plus vigilants sur leurs dépenses de formation professionnelle, Mme Nicole Péry a ainsi reconnu qu'il était impossible de mettre en place un corps d'« inspecteurs pédagogiques de la formation professionnelle ».

Le contrôle de l'État apparaît cependant fondé dans ses prérogatives de contrôle global et de promotion de la transparence des mécanismes financiers.

c) Les nouvelles compétences des régions

Les lois de décentralisation de 1983 ont attribué à la région la compétence de la formation professionnelle. Elles sont devenues en 1996 le troisième financeur de la formation professionnelle, après avoir obtenu la compétence de droit commun en matière d'apprentissage en 1984. Les contrats de Plan État-régions comportent donc un volet « formation professionnelle ».

L'articulation entre les structures de branches (que ce soit les organisations syndicales ou patronales) et les régions est parfois insuffisante. Un contre-exemple a été donné à la mission par M. Jean Michelin, qui a expliqué comment les structures de branche du bâtiment s'étaient décentralisées :

« Dans toutes les régions, des contrats de qualité ont été passés entre les conseils régionaux et nos CFA. Si seuls dix-huit conseils régionaux ont signé les contrats d'objectifs, les autres sont en négociation. Cela tarde un peu, mais c'est en préparation. Il y a donc des partenariats renouvelés, intéressants. Nous nous sommes décentralisés afin d'avoir la capacité de négocier avec les institutions publiques régionales. Par exemple, nous avons relancé nos commissions paritaires régionales emploi-formation pour qu'il y ait dans chaque région un dialogue social, entre la profession dans sa dimension paritaire (partenaires sociaux) et les institutions publiques (conseil régional et État au niveau régional). »

La décentralisation des compétences ne s'est pas toujours accompagnée des structures de concertation et des moyens du contrôle correspondants. Il semble que les mécanismes d'évaluation actuels soient déficients. Ainsi, les services de contrôle de la formation professionnelle ne sont pas compétents pour les actions de formation financées par les régions. Mme Nicole Péry, après avoir constaté que certaines régions voyaient avec réticence la mise en place d'un contrôle de l'État et qu'elles s'engageaient moins en direction des publics les moins qualifiés (niveau V), a souhaité devant la mission que soit instituée une « évaluation régulière des politiques régionales ».

Le Livre blanc signale que le Comité des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle rendra au Parlement son rapport sur le rôle des régions avant la fin 1999. Ce document permettra de formuler des propositions visant à renforcer l'évaluation des politiques régionales.

2.- UNE RÉPARTITION COMPLEXE DES TÂCHES

a) Évaluer, orienter, former

Le système français de formation professionnelle assure la prise en charge des actions suivantes par des organismes ou des dispositifs différents :

· l'établissement des bilans de compétences, réalisée notamment par l'AFPA et les centres interinstitutionnels de bilans de compétences,

· l'orientation professionnelle ou sociale (l'ANPE, les Permanences d'Accueil, d'Information et d'Orientation, les missions locales),

· et, enfin, la formation elle-même, assurée par de multiples organismes publics, parapublics (associations), ainsi que les organismes consulaires et privés.

Il faut mentionner, comme facteur supplémentaire de complexité, la multiplication des « guichets » due à l'autonomie des ASSEDIC, organismes chargés de l'indemnisation des demandeurs d'emploi, catégorie très demandeuse de formation. Les ASSEDIC cofinancent également un régime d'indemnisation spécifique destiné aux demandeurs d'emploi en formation : l'allocation formation reclassement (AFR), qui représente 13 % des dépenses en faveur des demandeurs d'emploi.

La collaboration entre l'ANPE et l'AFPA, particulièrement au niveau local, n'est pas toujours optimale. Mme Nicole Péry a indiqué qu'elle s'intensifierait dans le cadre du programme « Nouveaux départs » du Plan national d'action pour l'emploi, et M. Hyvernat a expliqué que les termes du nouveau contrat de progrès 1999-2003 institutionnalisent cette collaboration, pourtant jusqu'à présent handicapée par des maillages locaux différents.

b) La « division du travail » se poursuit en matière de financement

Pour des raisons historiques et pratiques évidentes, le système procède également à la distinction entre :

· les financeurs (l'Union européenne, l'État, les régions, la collecte des fonds sur la masse salariale des entreprises effectuée par les 99 organismes paritaires collecteurs agréés),

· les prescripteurs de formation (l'ANPE, les entreprises, les salariés eux-mêmes),

· et les prestataires de formation (les organismes publics et parapublics de formation, les organismes consulaires, et les dizaines de milliers d'organismes privés dispensateurs de formation).

Les cofinancements et les transferts financiers entre ces acteurs contribuent à brouiller l'évaluation. En 1996, les transferts entre financeurs ont représenté environ 30 milliards de francs. Par exemple, les dotations de décentralisation versées par l'État aux régions ont représenté 7,8 milliards de francs dans la loi de finances initiale pour 1999 (elles financent notamment des rémunérations de stagiaires). De même, conformément au principe d'additionnalité, les financements provenant de l'Union européenne (Fonds social européen) sont des cofinancements.

c) L'absence de prise en charge complète des frais de formation interdit l'évaluation globale de l'effet des dépenses engagées

Le système distingue souvent :

· la prise en charge des frais pédagogiques (le coût proprement dit de la formation : rémunération des formateurs, coût du matériel pédagogique, frais immobiliers...),

· et la rémunération du stagiaire ou du jeune sous contrat d'alternance. Cette rémunération peut donner lieu à des versements de primes ou d'exonérations de cotisations destinés à l'employeur (contrats de qualification et apprentissage notamment), rendant difficile le calcul du ratio coût/efficacité des dispositifs considérés.

C.- AU DELÀ DE LA PROBLÉMATIQUE DU FINANCEMENT, LES DIFFICULTÉS D'UNE APPROCHE QUALITATIVE

1.- L'EFFICACITÉ AMÉLIORÉE DU DISPOSITIF DE COLLECTE

Grâce à l'examen de l'efficacité de la collecte, la mission a pu mieux comprendre les mécanismes de mutualisation effectués par l'AGEFAL et le COPACIF.

a) L'utilité avérée de la mutualisation

Concernant le niveau des excédents financiers ou de la trésorerie de ces organismes, M. Gilles Loffredo a expliqué à la mission :

« Le système, donc, obligatoirement, génère des disponibilités excédentaires, même s'il existe des disparités fortes entre les organismes qui n'ont pas besoin du fonds de mutualisation - la métallurgie par exemple qui collecte, mais qui ne recourt pas aux fonds de l'AGEFAL - et ceux qui en ont grand besoin, à savoir les branches à faible contribution, tel le secteur de l'artisanat où la collecte est faible. MULTIFAF, par exemple, collecte pour les coiffeurs, taxis, fleuristes, quinze millions de francs dans l'année et compte à l'AGEFAL une garantie de 260 millions de francs, car les contrats de qualification sont très nombreux dans ce secteur. »

M. Jean Michelin a pour sa part souligné l'importance de la mutualisation pour sa branche :

« Pour la formation des jeunes, nous sommes en difficulté. Heureusement, nous avons la mutualisation à l'AGEFAL. Celle-ci donne 100 millions par an au régime de la formation en alternance dans les entreprises de moins de dix salariés. Dans les entreprises de plus de dix salariés, cette année, l'OPCA Bâtiment va demander à l'AGEFAL des crédits d'environ 30 ou 40 millions, sur une collecte de 200 millions. »

b) Dynamiser la gestion de la trésorerie

M. Gilles Loffredo, qui a souligné que les partenaires sociaux considéraient que les « engagements à financer les formations » (EFF) souscrits par les OPCA justifiaient le niveau élevé de leurs réserves financières, a également précisé que le COPACIF et l'AGEFAL voyaient baisser le niveau de leurs excédents. En particulier, l'institution en 1996 de la centralisation des excédents de la collecte du congé individuel de formation (CIF) s'est révélée très efficace. M. Gilles Loffredo a indiqué que depuis cette date, où était en outre intervenu un prélèvement opéré par l'État, la branche CIF ne produisait plus d'excédents.

Ces résultats peuvent s'interpréter comme un effet de la rigueur accrue de la gestion des OPCA. L'AGEFAL et le COPACIF, surtout en ce qui concerne ce dernier, semblent de moins en moins disposer de l'aisance financière qui avait fondé les prélèvements opérés sur leurs excédents ces années précédentes. Néanmoins, ils ont conservé une abondante trésorerie, et, en ce qui concerne l'alternance, des excédents significatifs (300 millions de francs au 30 juin 1999), qui mériteraient une gestion plus « dynamique », selon l'expression employée par Mme Nicole Péry.

2.- L'APPROCHE QUALITATIVE RESTE ABSENTE

a) Pas de « contrôle qualité »

Comme les auditions l'ont montré, au-delà des statistiques qui présentent un aspect nécessairement quantitatif (nombre de stagiaires par an, nombre d'heures/stagiaires...), la réflexion sur les crédits de la formation professionnelle ne peut s'affranchir d'une évaluation de la qualité intrinsèque des formations délivrées. M. Jean Lambert a ainsi déclaré : « En fait, la qualité est un objectif, non un critère mis en _uvre actuellement. Pour les services de contrôle, il en va de même, la loi ne permettant pas de fonder une sanction sur la mauvaise qualité de l'activité de formation ». M. Gilles Loffredo a abordé le problème de la qualité des formations en alternance : « On peut s'interroger davantage, en revanche, sur l'encadrement et le suivi du jeune en contrat de qualification dans l'entreprise, sur le tutorat ou les variantes que l'on peut en connaître. Je ne suis pas certain, diversité oblige, que, selon les branches ou les régions, nous soyons partout près de la perfection. Ce point me paraît plus délicat que celui de la nature de la formation dispensée. L'insertion profonde du jeune dans l'entreprise n'est pas facile à réaliser. »

Jusqu'à maintenant, aucun organisme public n'est habilité à procéder à un tel contrôle. Cette fonction de contrôle qualitatif, thème qui n'avait pas été abordée par la loi fondatrice de 1971, n'est ni du ressort des organismes mutualisateurs (AGEFAL ou COPACIF), ni de celui des juridictions financières, ni de celui du groupe national de contrôle. Ce manque de suivi qualitatif est un élément supplémentaire de complexité, qui nuit à l'efficacité de l'évaluation. Même les entreprises ont éprouvé des difficultés à promouvoir une « démarche qualité » dans la sélection des formations, comme l'a confirmé M. Jacques Lair :

« Je voudrais ajouter que la profession, que ce soit au niveau des employeurs ou des salariés, a décidé de prendre en main l'orientation. Nous considérons que l'orientation doit être faite par les employeurs et les salariés, et non plus par des organismes de formation. Nous avons connu une époque, pas si ancienne, où les organismes de formation dictaient la conduite des employeurs et des salariés. Depuis quelques années, cela a été considéré comme inacceptable. C'est pourquoi nous avons redonné de l'action et de la vigueur à la commission nationale paritaire de l'emploi et de la formation ainsi qu'à ces mêmes commissions au niveau régional, de façon qu'il y ait conjugaison de ces deux niveaux. »

b) Quels critères adopter ?

La qualité de la formation dispensée peut notamment s'apprécier en fonction du taux de diplômés dans la formation, de la progression du salarié dans l'entreprise (augmentation de la rémunération, mutation) ou de l'augmentation de sa productivité. Pourtant, comme l'ont confirmé les auditions auxquelles a procédé la mission, il n'existe encore guère de suivi de la qualité de la formation. Les bilans pédagogiques et financiers des organismes dispensateurs de formation établis au titre de l'article L. 920-5 du code du travail ne se présentent qu'en termes quantitatifs, sans aucun élément qualitatif autre que la typologie des actions dispensées.

La mission d'évaluation et contrôle a estimé que le dispositif du congé individuel de formation (CIF), qui a bénéficié en 1998 à 25.000 personnes, méritait un bilan approfondi. En effet, son coût moyen (120.000 francs) est particulièrement élevé, il est trop peu féminisé et très lourd à mettre en place. Son fonctionnement doit être profondément réformé et son coût unitaire diminué. Mme Nicole Péry a indiqué que ce dispositif ne répondait pas, selon elle, aux besoins d'une formation professionnelle plus massive, qu'elle a évalué à 250.000 personnes.

II.- VERS UNE AMÉLIORATION DU RATIO COÛT/EFFICACITÉ

Les travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle se sont progressivement orientées autour de la problématique de l'amélioration du ratio coût/efficacité du système de formation professionnelle français. Cette efficience augmentée passe par :

· l'élaboration d'une stratégie de rigueur et de long terme pour l'AFPA ;

· le renforcement du contrôle, particulièrement en ce qui concerne la collecte des fonds prélevés sur les entreprises ;

· en matière de qualité des formations dispensées, une place déterminante laissée au contrôle social.

A.- ÉLABORER UNE STRATÉGIE PUBLIQUE DE LONG TERME POUR L'AFPA

1.- DÉPASSER LA QUESTION STATUTAIRE

Une fusion avec l'ANPE pourrait dégager des économies d'échelle. Il semble cependant nécessaire de dépasser la question du statut particulier de l'AFPA (un organisme de droit privé travaillant dans un champ semi-public, et, jusqu'à maintenant, dans le secteur concurrentiel, sur des crédits majoritairement d'État), pour mieux traiter le c_ur du sujet, qui est l'amélioration de l'efficacité de cet organisme.

2.- CONTINUER ET APPROFONDIR L'EFFORT DE RIGUEUR

Les débats de la MEC ont fait ressortir a contrario les progrès effectués par l'ANPE, comparativement à l'AFPA, jugée moins souple et moins réactive.

Dans le cadre du nouveau contrat de progrès, et après le bilan tiré du précédent contrat portant sur les années 1993-1998, la nouvelle direction a commencé à réorganiser l'organisme, notamment la fonction comptable (« Une sorte de dispersion s'est faite par agrégation d'un ensemble d'environ six à sept cent comptables, dont le rôle n'est pas clair », selon M. Gilbert Hyvernat). Comme l'a précisé le directeur général de l'association, ces changements s'effectuent dans le « partenariat social extrêmement vigoureux » propre à l'AFPA. Il faut encourager ces mutations.

En tous les cas, il est évident que l'AFPA doit encore améliorer son système comptable. Elle doit aussi construire un suivi statistique précis du devenir de ses stagiaires, en déterminant notamment les taux d'abandon constatés par filières de formation, ce qui lui permettra des efforts accrus de gestion. Enfin, l'effort de recensement et de résorption des « emplois fictifs », problème évoqué devant la mission par M. Gilbert Hyvernat, devra être poursuivi et soutenu.

De manière générale, il faut que soit amélioré le suivi des bénéficiaires des différents dispositifs publics de formation afin d'en garantir une véritable évaluation.

B.- RENFORCER LES CONTRÔLES ET RATIONALISER LE DISPOSITIF DE COLLECTE

1.- REMÉDIER À LA FAIBLESSE DU CONTRÔLE DE L'éTAT, AU NIVEAU NATIONAL ET LOCAL

a) Augmenter les effectifs du groupe national de contrôle

Compte tenu de la faiblesse des effectifs, il faut accroître les moyens du contrôle, notamment au niveau central. Il est inacceptable que certains organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), parmi les plus importants, ne soient jamais contrôlés. Le montant de certains redressements effectués ces dernières années montre la nécessité d'encourager les pratiques exemplaires et de sanctionner les dérives.

Cette augmentation des moyens du contrôle doit s'accompagner d'un « toilettage » de la réglementation, notamment en matière d'imputation des dépenses de formation, afin de prendre en compte le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

b) Grâce aux chambres régionales des comptes, mieux contrôler les actions de formation menées par les régions

Compte tenu de la faiblesse actuelle du contrôle sur les politiques de formation des régions, sur l'opacité qui entoure celles-ci, et du manque de coordination au niveau local entre les différents acteurs, un renforcement du suivi des régions semble nécessaire. Il pourrait ainsi être établi chaque année une monographie sur l'action en matière de formation d'une région donnée. Ensuite, les différentes données statistiques émanant des régions devraient être harmonisées afin de permettre des comparaisons interrégionales.

Le contrôle des comptes des actions de formation professionnelle pourrait être effectué par les membres des chambres régionales des comptes, qui disposent naturellement d'une expertise quant à l'évaluation des politiques menées par les collectivités locales. Ce contrôle serait coordonné par la Cour des comptes. Ensuite, pour faciliter l'articulation des actions de formation à l'échelon régional, un lieu unique de concertation pourrait utilement réunir les représentants des OPCA, de l'AFPA, des GRETA et du conseil régional. Cette dernière instance se verrait attribuer un rôle central d'impulsion et de coordination.

Compte tenu de la complexité des circuits et des enjeux financiers, une mission d'information parlementaire serait une structure adaptée pour dresser un bilan global de la décentralisation de la formation.

c) Mieux encadrer les dépenses des organismes paritaires collecteurs agréés

Alors que le code du travail dispose que les fonds des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) peuvent être placés, mais sous réserve de conserver leur caractère liquide, M. Jean Lambert a rapporté le cas d'un FONGECIF redressé, dont les valeurs étaient placées en « valeurs pierre », « à la liquidité douteuse ». Il a aussi expliqué que les contrôleurs, à l'occasion d'un contrôle effectué sur le FONGECIF d'Ile de France, « ont assimilé le fait de conserver de l'argent à une dépense irrégulière. (...) A notre satisfaction, nous avons obtenu confirmation de la validité de l'analyse par un jugement du tribunal administratif de Paris qui a consolidé le redressement de 392 millions de francs infligés au FONGECIF Ile de France ».

Les dépenses des OPCA mériteraient donc d'être plus encadrées, notamment en ce qui concerne leurs placements et leurs achats immobiliers. La possession d'un parc immobilier doit devenir une exception dûment justifiée. Les règles de comptabilité et de gestion doivent être renforcées à cet effet. Enfin, un bilan patrimonial systématique pourrait être utilement mené.

2.- POURSUIVRE L'AMÉLIORATION DU SYSTÈME PARITAIRE

a) Prendre en compte le coût inévitable du paritarisme

Le fonctionnement de tout organisme paritaire engendre un coût. En particulier, le dialogue social autour de la formation professionnelle, domaine très technique, exige des interlocuteurs nombreux et compétents. Il est donc nécessaire de former et d'indemniser ces personnels. Ce financement doit s'opérer dans la plus grande transparence et dans le strict respect des règles. Pour ces raisons, en 1996, il avait été institué, après accord entre partenaires sociaux, le FONGEFOR, fonds chargé de gérer la couverture des frais du paritarisme.

Comme l'a confirmé M. Jean Lambert, le contrôle est délicat à opérer : « Soit au sein d'un OPCA, une personne figurant dans l'organigramme en qualité de démarcheur auprès des entreprises pour placer les contrats en alternance ; il faudrait en permanence un contrôleur derrière cette personne pour savoir si elle fait la promotion des contrats en alternance ou la promotion de l'organisation syndicale ou professionnelle animatrice de l'OPCA. (...) A titre d'exemple on justifie la consommation des crédits par la formation de représentants de syndicats ou d'organisations professionnelles, membres des conseils d'administration des OPCA. On se limite à considérer le nombre de personnes formées et le coût de chaque formation ; on ne s'applique pas à vérifier si les formations ont réellement eu lieu. »

Une négociation interprofessionnelle pourrait dresser le bilan de la création du FONGEFOR, et, le cas échéant, formuler des propositions afin de garantir la transparence accrue des procédures.

b) Rationaliser

Une rationalisation du contrôle pourrait également passer par une décision des partenaires sociaux visant à établir un contrôle « vertical » formel des organismes mutualisateurs (du type de l'AGEFAL) sur l'ensemble des organismes paritaires collecteurs agréés, qui pourrait les inciter à un suivi rigoureux de leurs engagements.

En ce qui concerne les dispositifs comptables des organismes paritaires collecteurs agréés, il pourrait être utile de reprendre une suggestion avancée par M. Gilles Loffredo, qui consisterait à aboutir à un « calcul d'excédent unique à la même date ». De même, les organismes paritaires collecteurs agréés devraient renforcer le suivi statistique des signataires des dispositifs d'alternance et de CIF. Enfin, le déséquilibre constaté dans l'usage de la collecte du CIF et du « capital temps de formation » montre la nécessité d'une adaptation de ces dispositifs.

c) Simplifier

Il est nécessaire d'encourager les partenaires sociaux à participer à la simplification accrue du dispositif administratif de collecte, par exemple par la création d'un « centre de formalité » unique destiné à gérer les différentes contributions « formation professionnelle » (Trésor public, Centres de formation des apprentis, établissements d'enseignement, OPCA) versées le 28 février de chaque année par les entreprises et destinées à financer la formation professionnelle.

C.- PRENDRE EN COMPTE L'ASPECT QUALITATIF DES FORMATIONS

Les jugements relatifs à la qualité des formations doivent relever de la compétence des partenaires sociaux, sous réserve qu'ils renouvellent et modernisent les modalités de ce contrôle.

1.- PRÉFÉRER LE CONTRÔLE SOCIAL AU CONTRÔLE D'ÉTAT

Comme l'ont souligné les travaux de la MEC, le contrôle de l'État et celui exercé par les partenaires sociaux sont complémentaires.

a) L'agrément systématique pour les organismes dispensateurs de formation : la fausse bonne idée

En matière de contrôle des organismes dispensateurs de formation, une mesure radicale est souvent suggérée : la délivrance systématique d'un agrément ministériel comme condition nécessaire à l'exercice de la profession de formateur.

Mme Nicole Péry l'a rappelé devant la Mission d'évaluation et de contrôle : 63.000 organismes de formation ont été recensés en 1998. Instituer un contrôle « préventif » et exhaustif de l'offre de formation nécessiterait des moyens humains considérables. A ce sujet, Mme Nicole Péry a évoqué les échecs de deux tentatives menées par de précédents gouvernements (obligation pour l'organisme de conclure une convention avec l'État, et agrément systématique). Un autre obstacle consiste dans le choix des critères adéquats destinés à régir des dizaines de milliers d'organismes différents. En outre, une telle proposition peut engendrer une bureaucratie peu sensible aux préoccupations des entreprises comme des salariés.

b) Privilégier le rôle des partenaires sociaux

Le contrôle effectué par les organisations de salariés ou d'employeurs a été historiquement le premier. Sa légitimité devrait inciter les partenaires sociaux à le moderniser et à l'adapter, notamment en vue de renforcer le contrôle qualitatif de la formation. Le GNC pourrait devenir dans ce contexte une instance d'appel. D'autres organismes peuvent participer à l'élaboration de ce contrôle. Ainsi, M. Gilles Loffredo a ainsi indiqué « [qu'] il est sans doute temps d'aborder les dispositifs de formation sous l'angle de la qualité, de l'efficacité et non sous celui des seuls modes de financement. Aucune réflexion en profondeur n'est engagée sur l'approche qualité (...) ; cela n'entre pas dans les missions de nos structures, structures techniques qui veillent à la régularité d'un dispositif qui reçoit, affecte et reverse de l'argent et qui n'a pas de mission réellement qualitative. En revanche, le Comité paritaire national de la formation professionnelle que je citais tout à l'heure, le CPNFP, est tout à fait à même de diligenter cette réflexion en son sein et en interrogeant ses représentants dans les OPCA. Il en est de même, naturellement, de chaque confédération de salariés ou d'employeurs. »

2.- DE L'ENTREPRISE À LA BRANCHE

a)  Le contrôle social sur le terrain : l'entreprise

Le contrôle et l'évaluation de la qualité de la formation seraient idéalement réalisés par le dialogue social, particulièrement au sein même des entreprises. Comme les travaux de la mission l'ont montré, cet enrichissement du dialogue social et ce renouveau du contrôle social pourraient emprunter deux voies.

D'abord, son cadre naturel serait celui du comité d'entreprise. Ensuite, il serait facilité par un renouvellement de la présentation du bilan social, qui mettrait davantage en valeur les informations relatives aux actions de formation. L'obstacle à lever est le calcul des seuils de représentation des salariés, qui pourrait défavoriser les petites entreprises.

b) Dans les branches : trouver le « juste prix » de la formation grâce à l'accréditation du formateur

Si l'on excepte le plafonnement du coût de l'heure de formation en alternance, les prix des heures de formation sont libres. Jusqu'à ces dernières années, il semblait exister un avantage du côté des offreurs de formation : les entreprises, soumises à l'obligation de dépenser un poucentage de leur masse salariale en dépenses de formation, constituaient une sorte de marché captif. Cependant, les OPCA les plus importantes arrivent de plus en plus à négocier des tarifs horaires intéressants, comme le prouve l'exemple de la branche de la métallurgie.

L'important est donc de forger des référentiels de prix et de qualité, ainsi que des éléments de comparaisons de coût et de « bonnes pratiques », à partir desquels l'évaluation prendra tout son sens. Dans ce contexte, l'État n'interviendrait qu'en dernier lieu afin de procéder à la validation des labels. Il faut notamment constituer des banques de données, au niveau national, professionnel et interprofessionnel, afin de déterminer le prix de l'heure de formation pour chaque qualification dans chaque branche. Dans ce cadre, le Centre d'études et de recherche sur les qualifications pourrait jouer un rôle central d'expertise et de « contrôle qualité ». La profession s'est d'ailleurs engagée dans cette voie en créant l'Office professionnel de qualification des organismes de formation (OPQF). L'OPQF a déjà certifié 500 organismes : il importe de promouvoir son action.

Dans ce sens, les membres de la mission ont proposé de subordonner tout engagement de fonds publics dans le financement d'une formation à l'obtention par l'organisme formateur d'une accréditation.

Mme Nicole Péry a souligné le rôle que pourraient jouer dans cette démarche les normes nationales délivrées par l'Agence française de normalisation, l'AFNOR, ou internationales (l'organisation internationale de normalisation, l'ISO).

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CONCLUSION

Les finalités de la formation continue s'organisent aujourd'hui autour de quatre axes :

· la satisfaction des besoins immédiats de l'entreprise grâce à une formation adaptée au poste de travail ;

· à moyen terme, la conciliation des aspirations du salarié et les souhaits de l'entreprise par des formations qualifiantes lourdes ;

· dans une perspective de long terme favorable à la promotion sociale, la reconversion complète des salariés, notamment grâce à des mécanismes du type « compte épargne-temps » ou « congé individuel de formation ».

· le respect des besoins propres de la société en main d'_uvre qualifiée exprimés par le marché du travail.

Seule une profonde réforme des dispositifs de la formation professionnelle, assurant à chacun la possibilité de se former « tout au long de la vie », garantira que ces différents besoins, parfois contradictoires, soient satisfaits. Cette réforme pourrait prendre en compte les conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle, qui aident à dégager des marges de man_uvre financières dans tous les circuits de la formation professionnelle, qu'ils soient étatiques, régionaux ou paritaires. La réforme devrait élaborer un droit à la formation, individuel et transférable, qui permettra de remédier aux cloisonnements et aux déperditions observés par la mission.

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AUDITIONS

1.- AUDITION DE M. GILLES LOFFREDO, DIRECTEUR DE L'ASSOCIATION POUR LA GESTION DES FONDS DE L'ALTERNANCE (AGEFAL) ET DU COMITÉ PARITAIRE DU CONGÉ INDIVIDUEL DE FORMATION (COPACIF)

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 1er avril 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, M. Gilles Loffredo est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jacques Barrot, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la formation professionnelle.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Merci, Monsieur Loffredo, de votre venue. Pourriez-vous nous préciser brièvement les statuts juridiques de l'AGEFAL et du COPACIF, la nature juridique des fonds collectés et la fréquence des reversements effectués par les organismes collecteurs agréés ?

La commission des Finances, dont je suis le rapporteur spécial, a essayé à plusieurs reprises de comprendre comment procédaient ces fonds de mutualisation. Comment permettre à l'AGEFAL et au COPACIF d'établir entre les nombreux OPCA une mutualisation efficace ?

M. Gilles Loffredo : Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame, Messieurs les députés, il vient d'être rappelé que je dirige deux structures : l'une consacrée à la formation en alternance, l'autre au congé individuel de formation.

Ces deux organismes nationaux sont gérés par des conseils d'administration paritaires avec des présidences alternantes tous les deux ans. Ce ne sont pas deux usines à gaz : l'AGEFAL et le COPACIF réunis ne comptent que dix salariés.

Nous avons la mission de recueillir, au 31 mars pour le CIF, au 30 juin pour l'alternance, les excédents éventuels des OPCA ou des OPACIF, chargés au plan régional ou par branche de collecter les contributions obligatoires des entreprises. Sans doute serons-nous amenés à revenir sur cette mécanique perverse de la contribution, puis de l'engagement, puis du paiement et enfin du décaissement... Actuellement, nous veillons à la remontée des fonds à deux périodes de l'année pour les deux dispositifs. Nous ne les gardons pas, nous les affectons à ces mêmes OPCA afin d'être en mesure de redistribuer la trésorerie nécessaire, en cours d'année, à ceux qui en ont besoin. C'est apparemment simple et infiniment plus complexe dans la réalité.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : De quelle façon fonctionnent en amont les OPCA ? Une double collecte régionale et de branche ne va pas sans problème ; certaines branches sont très petites. L'organisation économique nationale par branche soulève des difficultés et des tensions très fortes se font jour entre une collecte territoriale et par branche.

M. Gilles Loffredo : Un OPCA a pour mission statutaire de collecter, soit au titre du plan de formation, soit pour l'alternance, soit pour le congé individuel, les contributions des entreprises dues au 28 février de chaque année. Les OPCA viennent donc d'achever une collecte, dont les grandes masses avoisinaient, en 1998, pour l'alternance, 6,5 milliards de francs et pour le congé individuel, 3 milliards de francs. Les OPCA, territorialement ou par branche nationale, selon le secteur dont relèvent les entreprises, ont une vie avant la collecte. Dès lors, son produit est affecté à la prise en charge de contrats. En effet, un certain temps s'écoule entre le moment de la collecte et celui où l'OPCA " décaisse ", parce que la formation ne commence pas de suite, qu'elle court sur deux exercices, voire plus, et que l'OPCA estime qu'à compter du moment où il a pris un engagement, il ne dispose plus de cette somme. Cependant, sur la durée, il est amené à collecter à nouveau. Le système, donc, obligatoirement, génère des disponibilités excédentaires, même s'il existe des disparités fortes entre les organismes qui n'ont pas besoin du fonds de mutualisation - la métallurgie par exemple qui collecte, mais qui ne recourt pas aux fonds de l'AGEFAL - et ceux qui en ont grand besoin, à savoir les branches à faible contribution, tel le secteur de l'artisanat où la collecte est faible. MULTIFAF, par exemple, collecte pour les coiffeurs, taxis, fleuristes, quinze millions de francs dans l'année et compte à l'AGEFAL une garantie de 260 millions de francs, car les contrats de qualification sont très nombreux dans ce secteur. Que faut-il faire ? Notre rôle est bien, à partir des excédents qui remontent des OPCA, d'affecter à l'artisanat l'argent dont il a besoin.

M. Philippe Auberger, co-président : Le document qui nous a été distribué, et qui date de mars 1999, souligne l'effort des entreprises à partir des données 1996. Les dépenses des OPCA sont évaluées à 17 milliards de francs, dont :

- plan de formation : 7 milliards de francs ;

- alternance : 5,7 milliards de francs ;

- CIF : 4 milliards de francs.

Ces chiffres ne correspondent pas à vos données.

M. Gilles Loffredo : L'AGEFAL ne suit que l'alternance et le COPACIF le congé individuel de formation. Mes chiffres n'incluent pas les plans de formation, domaine sur lequel je n'exerce aucune responsabilité.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : En termes de cotisations, on note : 0,4 % pour l'AGEFAL, 0,9 % pour le plan de formation. Quel est l'organisme qui assure la mutualisation du plan de formation ?

M. Gilles Loffredo : Il n'y en a pas.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Le pourcentage du CIF est fixé à 0,2 %.

M. Gilles Loffredo : Ce dernier pourcentage s'applique en effet, sauf mise en _uvre du capital de temps de formation, à 0,1 % prélevé sur cette contribution. M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : En d'autres termes, vous vous occupez du 0,4 % et du 0,2 %, si je puis dire.

M. Gilles Loffredo : J'aurais dû le préciser d'entrée.

Un OPCA gère un flux qui complique infiniment la lecture et la compréhension de nos organismes. Elle est très difficile pour vous, elle l'est souvent aussi pour nous.

Nous avons deux approches différentes. Celle de l'administration et des pouvoirs publics a sa logique ; elle raisonne annuellement : pour un exercice donné, l'on acquiert une vision particulière. À cette vision, les partenaires opposent ou juxtaposent la leur, fondée sur l'idée qu'un OPCA ne naît pas au moment de la collecte, mais est lié, dans le temps, par les fonds qu'il reçoit et affecte. Si le dispositif s'arrêtait demain matin, l'OPCA serait tenu d'honorer les engagements pris. Cette lecture historique fait prendre en compte la totalité d'un cycle.

Je vous accorde que nous n'avons pas la culture de la lecture et de l'analyse par exercice. Nous nous y efforçons. Mais l'on pratique plus par recherche : pourquoi de l'argent stationne-t-il dans les OPCA ? Pourquoi certains autres en manquent-ils ? Certes, il ne faut pas perdre de vue la diversité des branches économiques : on ne peut analyser le secteur des coiffeurs comme celui des consultants et quelle que soit la pertinence d'une réglementation, jamais ces deux secteurs ne se ressembleront. Or, nous sommes tenus d'appliquer des règles nationales de lisibilité et de régulation, peu compatibles, pour une grande partie, avec la diversité des secteurs.

Dans ce cycle pervers générant dans l'opinion ce que Jacques Delors appelle «  la défiance diffuse » envers la formation professionnelle, nous avons un devoir citoyen d'essayer de mieux expliquer ce qui se passe ou de faire en sorte que cela se passe mieux. Doit-on obliger les OPCA à raisonner en trésorerie annuellement et à ne plus raisonner en engagements pluriannuels ? Les pouvoirs publics peuvent nous demander de contribuer exceptionnellement à la loi de finances, sous prétexte que nous disposerions de trésorerie en cours d'année ! Il est vrai que cette trésorerie existe, mais elle est juridiquement liée par l'affectation que nous lui avons donnée.

M. Jean-Jacques Jegou : Nous sommes là pour aborder les vrais sujets. Celui qui est responsable des crédits qui vous ont été « piqués », c'est moi ! Soyons clairs.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : J'ai eu à m'insurger, car j'ai dû me battre contre le ministère des Finances qui a voulu enlever au ministère des Affaires sociales les sommes que le Parlement avait dégagées. Là, j'ai protesté.

M. Jean-Jacques Jegou : L'intention du rapporteur spécial de l'époque était d'abord d'établir - j'ai mis deux ans - le niveau de l'excédent. On nous racontait des histoires et l'on nous prenait pour plus idiots que nous sommes. Le parlementaire moyen est capable de déduire que la présence de produits financiers atteste d'une trésorerie ! Certaines années, l'on a dépassé le milliard de francs de produits financiers, soit une trésorerie qui évolue entre douze et quatorze milliards.

Au-delà du prélèvement - geste bête et méchant, j'en conviens -, restait la question de l'utilité de fonds importants. Ne discutons pas de la question de la comptabilité, mais subsiste-t-il encore un problème d'excédent de trésorerie et une gestion qui s'apparente à de la thésaurisation ? Que pouvez-vous dire aujourd'hui, après la remise en ordre à laquelle le Parlement a procédé ?

M. Philippe Auberger, co-président : Je me permets de compléter la question. Nous avons tous sous les yeux un document de 1997 intitulé « Ressources et dépenses », où l'on retrouve deux notions, aussi bien pour l'alternance que pour les CIF.

Pour l'alternance il est écrit : « provisions et autres : 8,9 % ». Si je comprends bien, l'on couvre l'ensemble des contrats passés. Est-il normal de le faire à hauteur de 100 %, ce qui n'est pas le cas de secteurs où des risques réels se posent ? Pour le CIF, le taux des provisions à hauteur est de 17,5 %. Pour l'alternance, on découvre une rubrique « Excédents » avec 15,7 %. Quinze pour cent de 6,4 milliards représentent environ 900 millions de francs.

Pouvez-vous expliquer ces chiffres ?

M. Gilles Loffredo : J'ai été très sensible à l'intervention de M. Jegou. Je pensais m'être exprimé de façon directe.

Je résume les questions par la formule suivante : quid des excédents après la régulation intervenue en 1996 pour le congé individuel de formation et celle plus ancienne et permanente pour l'alternance ?

Je réponds de façon très directe. Nous avons, pour la première fois, mis en place un dispositif de collecte de l'excédent du CIF en 1996. Le recul historique n'est pas important, mais il est suffisant pour apprécier la réalité. Nous avons alors recueilli en 1996 3,035 milliards de francs. On « nettoyait » ainsi toute une histoire.

Le COPACIF a reversé une contribution exceptionnelle au budget de l'État presque concomitamment et nous avons reversé aux branches ce qui leur revenait, du fait de la mise en _uvre du capital de temps de formation, calculé selon une méthode de proratisation. En clair, et pour ne pas multiplier les chiffres qui ne sont souvent qu'une façon d'égarer, le fonds de péréquation a démarré au 1er janvier 1997, avec 990 millions de francs, déduction faite des reversements à l'État et aux branches. Nous avons, à la date d'hier, versé à tous les FONGECIF les sommes nécessaires à leur fonctionnement et il nous « reste », si je puis dire, 197 millions de francs.

Sur deux ans nous avons essayé de lisser, en vérifiant la politique d'engagement de chaque FONGECIF. Nous pourrions nous satisfaire de cette relative régulation. Depuis 1996, nous n'avons plus recueilli d'excédent. C'est là un élément de nature à rassurer à la fois un élu de la Nation et un gestionnaire de fonds. Nous ne recueillons plus d'excédents significatifs. Le fusil a tiré un coup en 1996 - un gros coup. Comme les saignées de Molière, c'est la première qui rapporte ! Aujourd'hui, nous sommes sur la voie d'une régulation totale, mais sur la base d'un dossier accepté sur deux - des parlementaires m'écrivent au sujet de dossiers de prise en charge refusés par les FONGECIF. La fin des excédents et une trésorerie de 197 millions de francs, sur une collecte de trois milliards, en caisse au COPACIF ne permettent pas de réengager une politique. Nous répondons au coup par coup à des besoins de trésorerie de 43 organismes. Je ne peux pas leur dire d'engager plus, le niveau de la réserve ne permettant pas un surengagement.

Sur l'alternance, les volumes sont beaucoup plus importants. Le dispositif en 1995, 1996, et même en 1997 encore, a été faible : la mise en _uvre de mesures d'alternance ne se décrète pas. Un congé individuel se décrète dans la tête d'un salarié ; ensuite, on gère une file d'attente. Nous avons cofinancé des campagnes de développement de l'alternance.

Nous avons compté 100.000 contrats de qualification en 1997, 115.000 en 1998 et nous en espérons 130.000 en 1999, adultes compris. Il est vrai que chaque année 6,5 milliards tombent avec une activité qui met deux ou trois ans à démarrer. Moralité : la contribution exceptionnelle au budget de l'État au titre de l'alternance s'est élevée à 1.380 milliards de francs en 1997 et il a été, pour 1998, inscrit forfaitairement dans la loi de finances à hauteur de 500 millions de francs. Aujourd'hui, vous le savez, Mme Aubry et Mme Péry ont signalé à l'AGEFAL la décision d'un prélèvement de 500 millions de francs sur sa trésorerie courant 1999. Nous avons constaté un niveau élevé d'excédents en 1997 et 1998. Pour cette année le chiffre, vient d'être estimé.

M. Francis Delattre : Les autres chiffres ne sont pas sortis, celui-là oui !

M. Gilles Loffredo : Au 30 juin, l'AGEFAL ne recueillera pas 1,4 milliard de francs d'excédent comme elle l'a fait pendant deux ans, mais seulement 600 millions de francs.

M. Philippe Auberger, co-président : Est-il légitime de provisionner à 100 % ? Si j'ai bien compris, vous déterminez vos excédents une fois vos actions provisionnées à 100 %. Un texte ne permettrait-il pas de mieux régler la question ?

M. Gilles Loffredo : Avant de répondre, j'achève très brièvement le point précédent.

Alors que le niveau de l'excédent a sensiblement diminué par rapport à l'an dernier - c'est tant mieux, l'AGEFAL n'a pas vocation à accumuler, au sommet, un flux financier trop important -, la demande que nous présentent les OPCA traduit la prolongation dans leurs projets 1999 à partir de l'activité 1998, soit 2,5 milliards de francs en couverture d'engagements. Nous n'avons pu accorder hier, en engagements, que 1,7 milliard de francs. Nous avons certes procédé à des abattements. Il n'est pas question de prendre pour argent comptant la demande des OPCA. On vérifie le coût moyen des contrats et si l'activité est plausible par rapport à celle enregistrée en 1998. Ainsi, nous étêtons ces demandes et les rendons vraisemblables. Malgré tout, nous ne pouvons y répondre complètement.

Enfin, l'AGEFAL a terminé - cela est certifié par le commissaire aux comptes, et aucune décision ne se prend sans l'avis du commissaire du Gouvernement qui siège dans nos instances - l'exercice 1998 avec une insuffisance de couverture de 300 millions de francs. Aujourd'hui, si tout s'arrêtait, l'AGEFAL serait en découvert de 300 millions pour couvrir les OPCA - hypothèse d'école. Au 31 décembre 1999, compte tenu d'une remontée sensiblement diminuée des excédents, mais aussi compte tenu de l'activité prévisionnelle 1999 qui est forte, l'insuffisance de couverture de l'AGEFAL sera de l'ordre d'1,2 milliard. La couverture est insuffisante par rapport à l'activité des OPCA, mais il y aura, en trésorerie, sept ou huit cents millions en trésorerie.

Nous devons demander à notre commissaire aux comptes et au commissaire du Gouvernement de constater que nous sommes à moins trois cents millions en 1998 et que nous serons, au terme de l'exercice 1999, à moins 1,2 milliard de francs.

M. Jean-Jacques Jegou : Vos propos sont importants pour comprendre vos problèmes de couverture des engagements et de trésorerie. Mais avez-vous établi un pourcentage d'abandon annuel des formations ? Il nous faut aller au bout de la question afin d'aborder ensuite la pertinence des formations.

Que représentent ces abandons pour votre budget ?

M. Philippe Auberger, co-président : Tenez-vous compte de ces abandons pour établir vos provisions ?

M. Gilles Loffredo : La moyenne nationale d'abandons, toutes raisons confondues, s'élève à 15 % pour l'alternance et de 9 % pour le congé individuel de formation ; cette faiblesse s'explique dans le cadre du congé par l'existence d'un fort projet personnel lié à ce type de mesure.

M. Jean-Jacques Jegou : On finit par se mettre d'accord !

M. Gilles Loffredo : Fallait-il encore qu'on me pose la question !

Je me permets de vous suggérer de vous rapprocher des services du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, notamment auprès du Groupe national de contrôle.

M. Jean-Jacques Jegou : Je ne suis pas sûr que cela soit le meilleur endroit.

M. Gilles Loffredo : Cette remarque vous appartient.

M. Francis Delattre : Il faut avoir été au moins trois ou quatre fois ministre pour comprendre.

M. Gilles Loffredo : J'ai encore du chemin à parcourir !

Je donnais donc, en réponse aux questions, des chiffres moyens qui, naturellement, cachent des disparités très fortes. Ainsi, l'OPCA du secteur des consultants n'enregistre pas plus de 4 % d'abandons, Le secteur de l'hôtellerie-restauration 38 %. Il convient de prendre garde aux chiffres moyens qui, surtout pour l'alternance, recouvrent de grandes disparités.

Que faire ? Nous essayons, avec un grand souci de transparence, d'obtenir une accélération dans le flux des finances de la formation professionnelle. Il faut acquérir une vision biologique et non comptable ou réglementaire du circuit de la formation professionnelle. Comment empêcher que l'argent stationne, comment supprimer les engorgements, à des moments donnés ?

Sur des actions qui, par définition, excèdent un exercice, comment, pour un OPCA, s'engager sur une seule année ? Renvoyer la fin de l'engagement à plus tard reste possible, mais constituerait, à n'en pas douter, un élément de dissuasion forte pour les entreprises. N'oublions pas la rigidité qui pourrait résulter d'une lecture de l'annualité budgétaire. Mais, nous ne sommes pas totalement performants dans le suivi régulier des engagements. Certaines structures le sont, car elles sont équipées pour cela ; elles ont, dans la limite des frais de gestion, dégagé les moyens nécessaires à ce suivi. D'autres sont manifestement handicapées pour y procéder. Nous n'avons pas, de ce point de vue, une maîtrise totale et régulière du nettoyage des engagements morts. Les OPCA sont à cet égard invités à plus de rigueur par l'AGEFAL.

Je dois préciser que, statutairement, ni l'AGEFAL ni le COPACIF ne sont chargés d'une mission de contrôle. Nous ne sommes pas en position hiérarchique et chaque OPCA est agréé par le ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Nous n'avons qu'un rôle de tête de réseau et de consolidation. Je ne peux rien prescrire à mes collègues directeurs, je les invite. Heureusement, les relations interpersonnelles à tous niveaux suppléent la réalité que je décris.

M. Philippe Auberger, co-président : Il n'existe pas de cadre comptable et financier réglementaire qui permette de cadrer mieux.

M. Gilles Loffredo : Le plan comptable de 1993 adapté pour les organismes collecteurs est en vigueur et nous-mêmes ne calculons pas les excédents à notre gré et selon nos caprices, mais en fonction de décrets qui réglementent le calcul des disponibilités excédentaires. Un texte est consacré à l'alternance, un autre au CIF et j'espère pour demain...

M. Francis Delattre : Pas pour la gestion des abandons.

M. Gilles Loffredo : Effectivement. J'espère, pour les réformes à venir sur les temps de formation, sur le capital temps formation, que l'on saisisse cette occasion pour mettre à plat les dispositifs comptables et que l'on aboutisse à un calcul d'excédent unique à la même date.

Le n_ud du progrès réside en effet dans le suivi et la maîtrise des engagements.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Prenons l'exemple d'un OPCA d'une petite branche dépourvue d'échelon régional, qui reçoit des fonds, les stocke et s'avère incapable de les dépenser, faute d'implantation locale. On a le sentiment que des OPCA nationaux continuent à collecter tout en sachant pertinemment qu'ils ne placeront pas de contrats de qualification ou d'apprentissage. Dispose-t-on, dans ce cas, du moyen de réprimander une telle pratique, dans la mesure où l'on a la quasi-certitude que l'argent collecté ne pourra être engagé et viendra grossir provisoirement les excédents ?

M. Gilles Loffredo : Dans le cadre de la réglementation, il nous est très difficile de procéder autrement que selon nos pratiques actuelles, à savoir constater une insuffisance d'activité ou une suractivité et en déduire que cela génère des excédents. Rien de plus. Nous n'avons pas de mission de contrôle, sauf sur la comptabilité des OPCA.

Je ne peux que déplorer la faiblesse du dispositif de contrôle de la formation professionnelle. Sans vouloir verser dans le travers d'un jacobinisme exacerbé, je crois que le dispositif national de contrôle est faible.

Quand j'indique à un responsable d'OPCA qu'il a peut-être raison aujourd'hui, mais que son dispositif lui donnera tort à terme, il me répond : « Prouvez-le moi ! Je respecte les textes, si je ne les respecte pas, que l'on me sanctionne ! »

M. Philippe Auberger, co-président : La venue de la Cour des comptes chez vous ne serait pas pour vous effrayer ?

M. Gilles Loffredo : En aucune façon. Le directeur de l'organisme ne la redoute pas, le citoyen s'y prépare.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Pour revenir à la question de Philippe Auberger, ne conviendrait-il pas de réfléchir au lissage des engagements - je n'avais pas trouvé la solution quand j'étais au ministère - pour éviter cette reconstitution d'excédents temporaires ? Il est vrai que ce n'est guère aisé, nous avons à faire au vivant.

Il en va de même en matière de sécurité sociale où il est également extrêmement difficile de provisionner. Nous ne pouvons pas transférer, dans la dépense sociale comme dans la dépense de formation professionnelle, des procédures propres à la dépense d'État. Tout dépendra de l'appétit que manifesteront les entreprises pour recourir à la formation ou à l'apprentissage. C'est vrai que beaucoup sont placées sous l'aléa de la conjoncture, mais il faut nous efforcer de resserrer le pilotage, afin d'éviter ce qui peut apparaître scandaleux : des besoins d'argent ici, des excédents là.

M. Francis Delattre : On évoque beaucoup les problèmes financiers, mais contrôle-t-on à un moment donné la pertinence des moyens utilisés ?

M. Philippe Auberger, co-président : Nous reviendrons sur ce point.

Existe-t-il une réglementation sur les OPCA ? Que font les OPCA de leurs provisions, les placent-ils sur des comptes à terme ? Certains disposent de sommes relativement élevées, jouissent de revenus financiers. Comment cela est-il réglementé, quel est le mode de contrôle ?

M. Gilles Loffredo : Le plan comptable décrit suffisamment ce qu'est une provision, ce qu'il faut inscrire comme tel à la fin d'un exercice, à propos de charges qui sont à payer immédiatement après. Mais, comme tout texte, il laisse place à des interprétations qui permettent des lectures un peu laxistes, je n'en disconviens pas. Cela correspond à une définition réglementaire et comptable. Naturellement, il y a placement. J'indiquais tout à l'heure que les deux collectes CIF et alternance - comme il en va de toute collecte -, provoquent des pics de trésorerie, puisqu'elles sont opérées une fois dans l'année. Il n'y est pas procédé de façon fractionnée, excepté dans certains secteurs professionnels bien déterminés. Mais, globalement, il s'agit d'une collecte unique annuelle. Un placement s'impose donc, dont les produits sont un peu plus faibles que les années précédentes, ce qui est tout à fait normal, et qui sont obligatoirement réinvestis dans le disponible de l'organisme. Il en est ainsi des 68 OPCA agréés au titre de l'alternance et des 43 agréés au titre du congé individuel de formation.

Je crois donc que les règles existent. J'hésite à entrer dans le débat suscité par la question de M. le Ministre Jacques Barrot sur la nation, la région, la branche et l'interprofessionnel régional, car je crois que cela excède mon mandat administratif. Le problème politique de fond est de déterminer si les conséquences de la loi quinquennale de 1993 ont suffisamment éclairci le paysage de la collecte et je serais tenté de répondre, à la suite de M. Barrot, que nous sommes au milieu du gué, que nous n'avons pas encore soldé les acquis de la loi quinquennale, qu'émerge un besoin de remise à plat du dispositif encore trop compliqué et peu lisible.

Ma réponse à M. Barrot se limite à constater que, cette année, les excédents baissent : 200 millions de francs pour le CIF - et encore est-ce là l'historique, je ne recueille rien cette année - et 600 millions de francs pour l'alternance. Je vous accorde que c'est beaucoup, mais nous partions de 1,4 milliard de francs. J'ai tendance à dire, étant optimiste, que les excédents se régulent, lentement mais sûrement, à la baisse. Une explosion de l'activité alternance serait la seule chose qui pourrait nous placer en difficulté. Or, tel n'est pas le cas actuellement, puisque, si les contrats de qualification ont grimpé à nouveau au cours du dernier trimestre 1998, ils se sont tassés au premier trimestre 1999.

Imaginons qu'au 1er janvier, une branche m'annonce : "Les contrats de qualification "adultes" m'intéressent et j'en prévois 8988." Bravo pour la prévision ! Puis-je répondre à cet organisme : « Désolé, la barre est placée trop haut, vous ne les ferez pas » ? Non, je suis obligé d'intégrer cette prévision d'activité dans sa couverture 1999. En effet, imaginez qu'il la réalise ! C'est là toute la difficulté entre prévision et réalisation. Même si nous procédons à un suivi mensuel, nous sommes gênés par cette appréciation d'écart entre le provisionnel et le réalisé.

Cela dit, qu'est-ce qu'un fonds de péréquation ? Si l'on considère qu'un fonds de péréquation doit être à trésorerie zéro - objectif possible -, l'on ne réalise plus de péréquation.

M. Philippe Auberger, co-président : Je pense que l'on a fait le tour de la question et je suggère que l'on passe à l'utilisation des fonds.

M. Jean-Jacques Jegou : Si j'avais eu quelque insomnie depuis que j'avais fait effectuer par l'Assemblée ce prélèvement, aujourd'hui les explications entendues me rassureraient complètement. Vous avez en effet, sans le dire, montré que la démarche n'était pas absurde.

Êtes-vous - AGEFAL et COPACIF - propriétaires fonciers ? Considérez-vous fondée la révision du niveau des cotisations des employeurs - avec tout ce qui a été dit et reste à dire - et qui recouvrait le deuxième volet de la volonté du rapporteur spécial que je fus pendant quatre ans ?

M. Gilles Loffredo : Ce sont là deux questions d'inégale difficulté. Ni l'AGEFAL ni le COPACIF ne sont propriétaires. Notre local du 103, boulevard Haussmann est loué aux Mutuelles du Mans. Je sais que cela n'est pas forcément le cas de tous les OPCA.

La seconde question est infiniment plus complexe et vous m'accorderez qu'elle dépasse la responsabilité d'un directeur général qui met en _uvre un dispositif sous l'égide des partenaires sociaux. Je signale, sans vouloir botter en touche, qu'il existe un comité paritaire national de la formation professionnelle qui n'a pas d'existence juridique, mais politique, et qui pilote les orientations dont l'AGEFAL et le COPACIF sont les bras séculiers.

Je ne souhaite pas tirer de conclusions hâtives des grands flux financiers que nous avons décrits. J'imagine qu'il s'agit d'un sujet qui intéresse au premier chef les confédérations, tant d'employeurs que de salariés, et qui est débattu ailleurs dans nos instances techniques.

M. Raymond Douyère : D'autres organismes que le vôtre sont propriétaires. Quelle est la valeur consolidée des patrimoines ?

M. Gilles Loffredo : Je ne l'ai pas en tête, mais j'imagine qu'elle peut être totalisée et que le directeur du groupe national de contrôle de la formation professionnelle dispose des moyens de vous informer.

M. Raymond Douyère : Ces patrimoines servent-ils à l'organisme ou à des placements financiers ?

M. Gilles Loffredo : Je me plaçais dans l'hypothèse où, pour des raisons de calcul économique, l'organisme préfère acheter pour son propre usage. Je m'interdis d'imaginer qu'il pourrait y avoir d'autres destinations.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Vos attributions, monsieur Loffredo, concernent davantage les recettes, mais portent toutefois un double regard sur l'alternance et sur les congés individuels de formation. Sur ces deux secteurs, avez-vous le sentiment d'une bonne utilisation des moyens ? L'effort demandé aux entreprises est-il proportionné à la demande ? L'intérêt de cette audition est de nous montrer que, au-delà des grands fonds de mutualisation et de péréquation, il existe des OPCA exemplaires et d'autres qui le sont beaucoup moins.

M. Gilles Loffredo : L'alternance est un dispositif régulé par des règles relativement précises, beaucoup plus que dans le cas du congé individuel de formation - cela se comprend. Je n'ai pas le sentiment d'une utilisation inadaptée de la collecte par rapport aux objectifs, tant pour la qualification que pour l'orientation.

On peut s'interroger davantage, en revanche, sur l'encadrement et le suivi du jeune en contrat de qualification dans l'entreprise, sur le tutorat ou les variantes que l'on peut en connaître. Je ne suis pas certain, diversité oblige, que, selon les branches ou les régions, nous soyons partout près de la perfection. Ce point me paraît plus délicat que celui de la nature de la formation dispensée. L'insertion profonde du jeune dans l'entreprise n'est pas facile à réaliser.

L'histoire et la raison d'être du congé individuel de formation, qui place l'individu au c_ur du dispositif, conduisent à des situations très diverses. Je rappelle tout ce qui s'est dit, écrit et constaté au cours des années 80 sur les dérives d'un dispositif alors récent. Nous étions encore en période de vaches ni maigres ni folles, mais plutôt grasses, et les fonds des premières collectes ont pu être affectés à des projets très personnels dont le bénéfice économique et social n'était pas avéré, sauf pour la personne. Les choses ont évolué avec la conjoncture, mais aussi par le jeu des organismes paritaires qui ont été conduits à plus de responsabilité dans leurs priorités de prise en charge. Aujourd'hui, la part de congés individuels de formation est très forte, de l'ordre de 32 %, en ce qui concerne de bas niveaux de qualification. Nous constatons une montée de cette catégorie dans le nombre, pas forcément dans le volume financier.

Par ailleurs, le dispositif est encore peu féminisé : 68 % des bénéficiaires sont des hommes. C'est un dispositif qui peut être considéré comme cher et lourd. Le coût moyen d'un congé s'élève à 120.000 francs. Nous avons pris en charge des formations de plus en plus longues et qualifiantes ; ce n'est pas malsain, mais cela représente un coût. Il est vrai que la collecte se monte à 3 milliards de francs et concerne 30.000 bénéficiaires. Soit l'on considère que c'est très cher, soit l'on avance qu'il s'agit d'une anticipation de parcours individuel et l'anticipation éventuelle d'un non-emploi !

Aujourd'hui, aucun congé individuel, ou presque, n'est déconnecté de la vie de l'entreprise ou du marché économique, qu'il s'agisse de progresser dans le secteur ou qu'il s'agisse de changer de secteur, de région, de vie ! Réaliser enfin, à la quarantaine, le projet professionnel que l'on n'a pu réaliser à l'adolescence, grâce à des fonds mutualisés, signifie tout de même quelque chose ! Même si l'on ne compte que 30.000 bénéficiaires, ce n'est pas neutre en termes de dispositif social. Pour l'heure, l'on retient un dossier sur deux ; si l'on veut revenir à deux dossiers sur trois comme c'était le cas il y a trois ou quatre ans, il faut réformer les dispositifs, notamment faire en sorte que la formation puisse être réalisée pour partie en dehors du temps de travail. Le coût d'un congé individuel de formation, 120.000 francs, est constitué à hauteur de 75 % par le remboursement de la rémunération. Cela revêt une signification. Doit-on s'en satisfaire ? Est-ce une bonne chose ? Doit-on le corriger ?

Pour répondre à M. Barrot, l'on compte aujourd'hui moins de cas baroques et exotiques dans les congés individuels de formation. Je vous prie de croire que les salariés qui formulent une demande construisent quelque chose. Ils ne viennent pas seulement parce qu'ils se sentent mal dans leur entreprise, ils sont animés du désir de s'en sortir. Ils anticipent une crise. Ils savent qu'ils ne resteront pas cinq ans dans le même emploi. Une telle démarche a un coût, mais aussi une certaine valeur !

M. Daniel Feurtet : Pour réussir la formation professionnelle, que pensez-vous de l'utilisation des préretraites en tutorat ?

M. Gilles Loffredo : C'est une piste à creuser, notamment par rapport à des secteurs ou des entreprises qui ne sont pas en mesure d'assurer cette mission.

M. Jean-Jacques Jegou : Je ne suis pas sûr que, dans le cadre de la mission nous soyons amenés à nous exprimer sur ce que nous pensons du CIF. Cependant, avec la nécessité de changer de métier, il faudrait que nous revoyions à la fois le problème de la cotisation et l'analyse de la pertinence des projets afin de distinguer celui qui a simplement envie de changer radicalement de celui qui y est contraint par la perspective d'un licenciement. À ces derniers, il faudrait donner la préférence.

Néanmoins, je suis sensible à vos propos sur les qualités inégales, sur les contrats de qualification, sur les organismes de formation... Vous confirmez qu'il n'existe pas de prise de position de vos organismes sur la qualité et le devenir des dispositifs. Certains contrats de qualification se passent bien, ceux que l'entreprise prend efficacement en charge et dont elle conserve ensuite le titulaire. Malheureusement, ce n'est pas la majorité. Souvent, le contrat de qualification s'interrompt en cours de route du fait de l'entreprise ou du jeune qui n'est plus motivé. Peut-on, pour justifier la dépense des deniers publics ou des prélèvements aux entreprises, essayer la mise en place de dispositifs qui améliorent les pourcentages de bonne fin de l'utilisation des crédits des entreprises ?

M. Philippe Auberger, co-président : A votre connaissance, certains OPCA disposent-ils d'un système d'évaluation a posteriori des contrats d'alternance comme de congés individuels ?

M. Gilles Loffredo : Ces questions très importantes me permettent d'avancer qu'il est sans doute temps d'aborder les dispositifs de formation sous l'angle de la qualité, de l'efficacité et non sous celui des seuls modes de financement. Aucune réflexion en profondeur n'est engagée sur l'approche qualité - je parle sous le contrôle du commissaire du Gouvernement ici présent ; cela n'entre pas dans les missions de nos structures, structures techniques qui veillent à la régularité d'un dispositif qui reçoit, affecte et reverse de l'argent et qui n'a pas de mission réellement qualitative. En revanche, le Comité paritaire national de la formation professionnelle que je citais tout à l'heure, le CPNFP, est tout à fait à même de diligenter cette réflexion en son sein et en interrogeant ses représentants dans les OPCA. Il en est de même, naturellement, de chaque confédération de salariés ou d'employeurs.

L'urgence d'une réflexion sur la qualité est claire, mais je crois pouvoir dire, sans m'avancer à l'excès, qu'elle ne se fera pas dans nos structures techniques. Il faut imaginer qu'elle puisse se développer dans un autre cadre, plus politique. Elle bénéficierait de l'appui de l'AGEFAL et du COPACIF, qui disposent d'une mine d'informations comme toute tête de réseau, mais la mission politique doit être assurée ailleurs.

M. Jean-Jacques Jegou : Vous êtes ceux qui facilitent, vous financez et recevez la facture.

M. Gilles Loffredo : De qui ?

M. Jean-Jacques Jegou : « Recevoir la facture » est une expression. C'est vous qui débloquez les fonds, qui déliez la bourse.

M. Gilles Loffredo : Sur des besoins de trésorerie dûment constatés et certifiés par des organismes en vérifiant le respect des procédures, mais jamais cela ne porte sur l'appréciation du contrat.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : L'appréciation de la demande est le fait de l'OPCA.

La vraie question est de savoir si nous pouvons confier aux organismes de péréquation une mission de ce type qui ne leur a pas été donnée par la loi quinquennale.

M. Philippe Auberger, co-président : Aucun OPCA ne pratique spontanément ce contrôle ?

M. Gilles Loffredo : Nous avons une indication sur le suivi du contrat de qualification à 3 et 6 mois et une indication sur le suivi du CIF à 6 mois et à un an. Cette indication est très faible et non totalement satisfaisante. Il faudrait imaginer un dispositif contractuel assez contraignant entre l'OPCA et son bénéficiaire sur son engagement à offrir le poste à la fin du contrat. Mais le bénéficiaire du CIF peut souhaiter changer de région ou d'activité.

Nous n'avons pas le moyen juridique d'obliger quelqu'un à répondre à un questionnaire que nous envoyons six mois après. Certains OPCA le font ; le taux de réponse est de 25 %. Comment obliger un salarié à répondre à un organisme qui a financé un an auparavant ?

M. Jean-Jacques Jegou : La question, à mon sens, ne serait pas « Êtes-vous encore dans la même entreprise ? » mais « La formation dont vous avez bénéficié vous a-t-elle conduit à retrouver un emploi ? » La liberté à laquelle nous sommes tous attachés permet à chacun de travailler où il veut. La question sera abordée aussi avec l'AFPA dont les résultats sont désespérants. Vous évoquez une insuffisance d'information ; pour l'AFPA, c'est une insuffisance de résultats !

Vous semblez avancer un pourcentage extrêmement faible de pertinence de votre action.

M. Gilles Loffredo : Sans doute me suis-je mal exprimé et avons-nous involontairement confondu plusieurs choses. En ce qui concerne le CIF, nous avons affaire à des salariés qui restent salariés. Dès lors, le critère est bien le changement d'activité ou d'entreprise.

Pour l'alternance, nous relevons des insuffisances de mesures par rapport à l'accès à l'emploi qui peut être différé par rapport aux mesures. Mais nous avons, en revanche, une lecture plus précise sur les bénéficiaires qui atteignent le niveau de qualification souhaité : soixante-quinze pour cent atteignent le niveau prévu par le contrat. Que fait le jeune de sa qualification ? Où est-il ? A-t-il trouvé un emploi correspondant à l'investissement collectif de la nation ? Nous souffrons sur ce point d'un déficit.

M. Philippe Auberger, co-président : Une OPCA a-t-elle, en ce domaine, progressé plus que les autres ?

M. Gilles Loffredo : En ce qui concerne l'alternance, l'AGEFAL ne dispose pas d'indications approfondies de la part des collecteurs interprofessionnels régionaux. L'approche « qualité » n'est pas opérée à ce niveau-là. Les OPCA de branche, par définition, disposent de meilleurs outils méthodologiques pour apprécier les parcours. Ainsi, toutes les grandes branches ont-elles une bonne lecture des contrats de qualification pris en compte et du cheminement du jeune qui en a bénéficié. Je pense à la métallurgie, au bâtiment à l'agroalimentaire... Mais, à côté, certains OPCA ne sont pas en mesure de répondre à ce type de question. Et nous, en bout de chaîne, encore moins. Cette mission ne relève pas de nos compétences.

M. Philippe Auberger, co-président : Monsieur Loffredo, je vous remercie de vos réponses.

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2.- AUDITION DE M. JEAN LAMBERT, CHEF DU GROUPE NATIONAL DE CONTRÔLE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU MINISTÈRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 1er avril 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, M. Jean Lambert est introduit. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jacques Barrot, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la formation professionnelle.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Quel est le rôle exact du Groupe national de contrôle et quels sont les moyens dont il dispose ? Quelles sont la méthode et la fréquence des contrôles des organismes paritaires ? Nous avons acquis le sentiment que les tailles et les organisations des OPCA sont très diverses. J'imagine que cette diversité ne favorise pas le contrôle.

M. Jean Lambert : Le Groupe national de contrôle (GNC) est placé sous l'autorité de la Déléguée générale à l'emploi et la formation professionnelle. C'est une unité de quatorze personnes, dont quatre sont habilitées à opérer des contrôles sur le terrain.

Le GNC exerce, d'une part, une fonction d'animation et de coordination de l'activité des vingt-deux services régionaux de contrôle, qui peut prendre la forme de circulaires, de réponses aux questions des services régionaux de contrôle ou d'assistance technique à des contrôles susceptibles de créer des difficultés particulières.

Il exerce, d'autre part, le contrôle des OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) à compétence nationale, c'est-à-dire essentiellement les organismes de branches issus de la réforme de 1993.

Accessoirement, le chef du GNC est appelé à représenter la Déléguée à l'emploi et à la formation professionnelle auprès des deux organismes de péréquation, le COPACIF et l'AGEFAL. Ces deux organismes figurent également dans le champ de contrôle du GNC, mais les règles applicables aux OPCA ne sont, juridiquement, que partiellement transposables au COPACIF et à l'AGEFAL. Dans la pratique, les comportements comptables et financiers des deux organismes sont strictement calés sur ceux des OPCA.

M. Philippe Auberger, co-président : Au niveau régional, quelle est l'importance des structures de contrôle ?

M. Jean Lambert : Il existe vingt-deux services régionaux de contrôle, un par région, pour un effectif global d'environ 140 agents, dont un peu plus d'une centaine remplit une mission de contrôle.

Le contrôle revêt deux modalités : le contrôle sur pièces par exploitation des documents que les entreprises - comme les organismes de formation - doivent fournir pour permettre de vérifier qu'elles se sont bien acquittées de leur obligation de financement, que l'argent est effectivement dépensé à seule fin d'assurer des formations aux salariés de ces entreprises.

Les services régionaux suivent et contrôlent l'activité des organismes régionaux, les FONGECIF, gestionnaires du congé individuel de formation, et les OPCAREG, organismes interprofessionnels régionaux, compétents en matière de plan de formation et de formation en alternance.

Lorsqu'on rapporte le nombre de personnes physiques ou morales assujetties au contrôle aux effectifs qui y sont consacrés, l'on ne peut guère envisager un taux de contrôles très élevé. Cela dit, le milieu de la formation professionnelle est très fermé - l'expression ne veut pas être péjorative - et les démarches recherchant l'exemplarité sont en général payantes.

Selon les derniers chiffres en ma possession, 3.000 contrôles sur le terrain ont été effectués en 1997, non compris les contrôles sur pièces qui peuvent se limiter à la simple lecture du bilan. Le montant des redressements consécutifs au contrôle a été de 150 millions de francs en 1997 ; il ne devrait pas être sensiblement différent en 1998. De ce montant de redressements, j'exclus les démarches entreprises par le GNC et les services régionaux de contrôle pour stimuler la remontée spontanée des excédents vers l'AGEFAL et le COPACIF.

M. Philippe Auberger, co-président : Le contrôle porte-t-il uniquement sur les recettes ou simultanément sur les dépenses ?

M. Jean Lambert : Il ne porte que sur les dépenses. Il serait souhaitable qu'il porte, dans le même temps, sur les recettes qui peuvent en effet être volontairement minorées, avec un résultat équivalent à celui du gonflement des dépenses.

Cela étant, il convient de noter une avancée jurisprudentielle consécutive à une initiative prise par les services à l'occasion du contrôle du FONGECIF Ile-de-France. Selon une démarche novatrice, les contrôleurs ont assimilé le fait de conserver de l'argent à une dépense irrégulière. Juridiquement, nous étions dans un certain brouillard, dans la mesure où cette approche n'était confortée ni par la doctrine ni par la jurisprudence. A notre satisfaction, nous avons obtenu confirmation de la validité de l'analyse par un jugement du Tribunal administratif de Paris qui a consolidé le redressement de 392 millions de francs infligé au FONGECIF Ile-de-France au motif qu'il avait thésaurisé excessivement les fonds.

M. Jean-Jacques Jegou : Vous avez évoqué cent quarante personnes, dont cent qui ne feraient que du contrôle. Que font les autres ?

M. Jean Lambert : Les autres agents sont soustraits au contrôle pour fournir un appoint à la gestion des dispositifs emploi et formation professionnelle mis en _uvre dans le cadre du plan d'activité des directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. L'effectif de 140 reste notoirement insuffisant. Il traduit cependant une amélioration sensible : en 1993, avant la réforme, l'on pouvait estimer à 50 ou 60 le nombre des agents s'occupant des dispositifs destinés aux jeunes, notamment PAQUE. Grâce aux efforts conjugués des parlementaires et du Gouvernement, les effectifs ont pu être réaffectés à leur destination initiale.

M. Jean-Jacques Jegou : Je me souviens de ce débat !

Vous avez évoqué 3000 contrôles sur place. Pouvez-vous retracer un contrôle type et indiquer les principaux motifs de redressement ?

M. Jean Lambert : Il faut distinguer le contrôle auprès des entreprises du contrôle des organismes de formation.

Le contrôle, dans une entreprise, a pour objectif de vérifier qu'elle a bien acquitté l'obligation légale de consacrer 1,5 % de la masse salariale (pour les entreprises de dix salariés) à la formation professionnelle, soit par un versement à un OPCA, soit par dépenses directes. Ensuite, nous nous assurons que les dépenses invoquées en justification de l'obligation sont bien des dépenses de formation professionnelle destinées aux salariés de l'entreprise. Le travail d'examen correspondant peut être plus ou moins étendu selon la bonne foi apparente de l'entreprise. Dès lors, déterminer une durée moyenne de contrôle n'a pas grand sens : elle peut aller de quinze jours, en englobant les interventions sur place, à six mois ou plus selon la complexité de l'affaire et le degré de collaboration des responsables de l'entreprise vérifiée.

Auprès des organismes de formation, il s'agit de s'assurer que l'argent reçu des entreprises, de l'État ou de l'Union européenne au titre de la formation professionnelle, a bien été dépensé à ce titre. Les services de contrôle sont amenés à rejeter des dépenses qui ne sont pas directement liées à une action de formation telles que - illustration caricaturale - l'achat de fleurs pour décorer les locaux. De même, les voyages d'étude dans des pays ensoleillés sont le plus souvent rejetés, car le responsable de l'organisme de formation éprouve le plus grand mal à établir un lien direct et nécessaire entre le voyage et la prestation de formation assurée sur les fonds de la formation professionnelle.

M. Jérôme Cahuzac : Tous les organismes de formation sont tenus de fournir un bilan pédagogique et financier chaque année. Sont-ils contrôlés et, si oui, avec quelle périodicité moyenne ? Puisque vous êtes membre du conseil d'administration de l'AGEFAL pouvez-vous démontrer que ces contrôles ont eu des conséquences - certes, directement, par la récupération de sommes, mais aussi de manière préventive ?

M. Jean Lambert : Sur les 59.000 organismes de formation déclarés en 1997, seuls 42.000 ont eu une activité et seulement 6.500 organismes réalisent un chiffre d'affaires de plus d'un million de francs. La loi précise qu'un organisme de formation qui ne produit pas, deux années de suite, son bilan pédagogique et financier ou qui annonce une activité zéro perd le bénéfice de sa déclaration et n'a plus la possibilité d'assurer des actions de formation financées par la contribution obligatoire des entreprises.

La fréquence des contrôles n'est pas calculée, mais, avec 59 000 organismes de formation et 140 agents, sans doute est-il préférable de s'abstenir de procéder à ce calcul.

M. Jérôme Cahuzac : La périodicité est séculaire !

M. Jean Lambert : Les organismes qui réalisent plus d'un million de francs de chiffre d'affaires sont vérifiés plus fréquemment. Je vous fournirai les données.

M. Jérôme Cahuzac : Quelles sont les conséquences d'un éventuel contrôle positif sur les décisions de l'AGEFAL ?

M. Jean Lambert : Je représente le commissaire du Gouvernement au conseil d'administration de l'AGEFAL, aux travaux duquel je participe assidûment. J'ai surpris les propos tenus tout à l'heure par M. Loffredo, lequel a souligné que l'aspect qualitatif n'était pas un élément déterminant ! En fait, la qualité est un objectif, non un critère mis en _uvre actuellement. Pour les services de contrôle, il en va de même, la loi ne permettant pas de fonder une sanction sur la mauvaise qualité de l'activité de formation.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Vos propos donnent à entendre qu'un contrôle est assuré ; ils sont en complet décalage avec notre impression d'une extrême faiblesse du dispositif de contrôle, impression confirmée dès que l'on entre dans le vif du sujet. Que répondez-vous à cette appréciation de la réalité ? A la lecture des observations très critiques que la Cour des comptes a faites sur un certain nombre d'organismes dont l'AFPA qui entre aussi, d'une certaine façon, dans votre champ de contrôle, l'on est effaré de constater que l'État ne se donne pas les moyens d'un contrôle suffisant, alors que le retour serait assez important si le contrôle était effectué et des sanctions prises.

Par ailleurs, vérifiez-vous le « juste prix » de la prestation ? Dispose-t-on d'éléments de comparaison entre organismes ? On a là le sentiment qu'il y aurait beaucoup à "gratter". Les prix offerts sont très élevés. Vraisemblablement, les prix demandés représentent beaucoup plus que le service offert.

M. Jean Lambert : Comme ceux de pratiquement tous les produits et services, les prix des prestations de service de formation sont libres depuis 1986. Ils sont déterminés par le jeu de l'offre et de la demande. En matière de formation professionnelle, lorsque l'État est client, il exerce son droit contractuel d'encadrement des prix, dans le cadre de la régulation de la commande publique. Pour les formations assurées dans le cadre de l'alternance, la régulation est fixée par le législateur lui-même, qui fixe à soixante francs le prix maximal d'une heure de formation. Pour les entreprises et surtout pour les OPCA, il s'agit alors de jouer sur l'offre pour que ce forfait ne soit pas assimilé à un minimum de variation, non discutable. Certains OPCA cherchent à pratiquer l'encadrement des prix. Concrètement, de nombreuses formations sont assurées pour un coût inférieur à soixante francs. C'est le cas dans la métallurgie où l'OPCAIM négocie actuellement sur la base de quarante francs de l'heure. Il est vrai que l'OPCAIM est l'un des plus gros OPCA et que son volume de commandes lui permet de disposer d'une force de négociation.

En matière d'actions mises en _uvre au titre des plans de formation, la liberté totale règne. Certes, le droit en vigueur permet théoriquement de sanctionner les prix manifestement abusifs. Mais la notion de prix manifestement abusifs suppose que l'on isole un prix par rapport à d'autres ; or si tous les prix sont élevés il n'en est plus d'abusifs!

M. Didier Migaud, rapporteur général : Existe-t-il des éléments de comparaison ? Un rapport coût-efficacité est-il calculé ? Au travers des dépenses de formation professionnelle, ne finance-t-on pas autre chose ?

Que répondez-vous lorsqu'on exprime le sentiment d'une absence de contrôle réel de l'État en la matière ?

M. Jean Lambert : L'on ne peut conclure à une absence complète de contrôle de l'État. Sans doute, le contrôle est-il insuffisant, mais le grand principe est que la gestion des fonds de la formation professionnelle, à l'exception toutefois des crédits d'État, est confiée aux partenaires sociaux ; ainsi a-t-on considéré jusqu'à présent que le contrôle social devait être premier.

M. Didier Migaud, rapporteur général : C'est là une vieille histoire  !

M. Jean Lambert : Certes, mais toujours d'actualité.

Le contrôle proprement dit, relève, lui, de mes attributions ; j'ai pris mes fonctions le 1er avril 1993, il y a six ans ; j'ai pu constater que des contraintes nouvelles, notamment celles qu'a introduites la loi quinquennale, ont permis des progrès sensibles qu'il convient de souligner, même si l'on est loin d'avoir atteint l'autre rive.

Sans doute, les effectifs restent-ils insuffisants, mais l'activité de contrôle a eu des suites significatives. Si, en exécution de la volonté du législateur, le COPACIF et l'AGEFAL ont pu verser trois milliards et demi de francs sur deux exercices, c'est parce que les organismes de contrôle ont veillé à la remontée aux deux organismes de péréquation des fonds excédentaires détenus par les organismes collecteurs !

M. Raymond Douyère : Faites-vous régulièrement des séances de reporting auprès de votre ministre ?

M. Jean Lambert : Par l'intermédiaire de la Déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, la ministre est réputée suivre l'activité des services de contrôle. En outre, nous lui transmettons un rapport annuel d'activité.

M. Raymond Douyère : Mais vous n'avez pas de contacts directs avec votre ministre ?

M. Jean Lambert : Non, d'autant plus que, désormais, la formation relève davantage des attributions de Mme Nicole Péry. Je n'ai pas un rang hiérarchique suffisant pour aller plus avant dans cette approche.

M. Philippe Auberger, co-président : En dehors de stages linguistiques, existe-t-il, à votre avis, des dépenses professionnelles justifiant réellement des voyages à l'étranger ?

Quelle est la réglementation exacte des placements des OPCA ? Certaines d'entre elles sont propriétaires d'immeubles ou placent librement leur argent à la banque, voire sur des marchés risqués, tels le MATIF ou les produits dérivés.

M. Jean Lambert : Pour les stages à l'étranger, il convient de distinguer l'étranger au sens large et l'Union européenne. Ne sont imputables, parmi les stages qui se déroulent à l'étranger, que ceux qui n'ont pas d'équivalent au sein de l'Union européenne. Cette procédure est strictement suivie et sa méconnaissance se traduit par le rejet des dépenses invoquées. Pour renforcer le dispositif, on a, de plus, prévu, il y a une dizaine d'années, que le stage n'est imputable que s'il a reçu l'autorisation préalable des services de contrôle de la formation professionnelle. L'exemple le plus courant est celui des pilotes qui se recyclent aux États-Unis ; fort classiquement, l'administration accepte les dépenses correspondantes, l'imputation ne portant, en tout état de cause, que sur les dépenses de formation et d'hébergement, non sur le déplacement.

A l'intérieur des frontières de l'Union, il n'est plus possible de refuser un stage dans un autre pays au prétexte qu'il pourrait être assuré en France.

En ce qui concerne le parc immobilier des OPCA, un contrôle est assuré, afin qu'en application de la législation un OPCA ne détienne que les biens immobiliers strictement nécessaires à l'exercice de son activité. La loi pose le principe de l'interdiction de tout parc et les vérifications sont opérées régulièrement. J'ai en tête deux organismes mis en demeure sous menace de redressement de procéder à la vente des immeubles non directement nécessaires à leur activité, de façon à réintégrer les produits dans les moyens de financement de l'organisme. Je ne vous livrerai pas leur nom. Je l'aurais dit devant une commission d'enquête parlementaire.

M. Philippe Auberger : Et sur les autres placements financiers ?

M. Jean Lambert : La loi est très claire : les fonds disponibles ne peuvent être placés que sous réserve de conserver leur caractère liquide. Tout placement hasardeux ou de longue durée est prohibé. C'est d'ailleurs sur de telles considérations que l'on avait pensé, à juste titre, que le comportement du FONGECIF Ile-de-France était anormal. En effet, ses fonds étaient placés en valeur pierre, dont la liquidité était douteuse, puisque ce n'était rentable, ou du moins le gain ne pouvait être réalisé, qu'au terme de cinq ans. L'organisme aurait eu du mal à liquidifier rapidement et sans pertes ses valeurs placées.

Plusieurs autres organismes ont fait l'objet des mêmes procédures et de redressements avec reversement au Trésor public de la valeur des placements financiers irréguliers, c'est-à-dire des placements de longue durée à caractère spéculatif.

Il faut admettre que ce sont là des cas en nombre limité.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Il me semble distinguer trois dimensions du contrôle.

Le contrôle, d'abord, ce que fait l'entreprise des versements obligatoires auxquels elle est tenue. Il devra prendre la forme d'une négociation dans l'entreprise conformément aux règles d'une bonne démocratie sociale, entre l'employeur et les salariés grâce à leurs représentants au comité d'entreprise. Je ne vois pas pourquoi l'État serait chargé de ce contrôle, même si les effectifs et l'efficacité de la mission ont été accrus depuis l'arrivée de M. Lambert, à qui je rends hommage.

Je conçois, à ce premier niveau, la mission de contrôle comme une instance d'appel.

La seconde forme de contrôle porte sur ceux qui assurent la formation.

Je dois rappeler, à cet égard, à Jérôme Cahuzac que la portée des taux de contrôle qu'il a calculés doit être relativisée car, parmi les 60.000 organismes de formation recensés, certains sont de toute petite taille. Sur le fond, je me demande s'il ne conviendrait pas que le législateur intervienne, non pour rigidifier l'offre, mais pour la labelliser. Certaines de nos entreprises connaissent des labellisations de type « ISO ». Pourquoi n'appliquerait-on pas aux organismes des labellisations de ce type, qui permettraient un allégement des contrôles ?

Reste le contrôle des OPCA sur lequel portaient les questions de Philippe Auberger à l'instant.

Selon un discours sous-jacent, qui n'est sans doute pas sans un certain fondement, la démocratie sociale serait financée, en partie, par le biais des OPCA. Autrement dit, des OPCA bénéficient de postes soi-disant rattachés à la formation professionnelle alors qu'ils servent en réalité à financer le fonctionnement du monde syndical ou patronal. La France a doté la vie politique d'un financement public ; elle ne l'a pas fait, à ma connaissance, de manière claire pour la vie syndicale et professionnelle, ce qui pose un vrai problème. C'est pourquoi je ne soulève pas la question en termes d'accusation. Je demande simplement : disposez-vous des moyens de savoir si l'encadrement des OPCA correspond à leurs tâches ou si l'organisation de certaines OPCA est manifestement surdimensionnée parce qu'elle est sollicitée pour d'autres tâches - louables au demeurant, mais qu'il conviendrait de financer d'autre manière ? Pardonnez mes propos quelque peu brutaux, mais tel est notre rôle.

M. Jean Lambert : A titre personnel, j'adhère tout à fait aux deux premiers développements de votre analyse, en d'autres termes à la nécessité d'une réalisation concrète du « contrôle social » au niveau de l'entreprise et de la gestion des OPCA.

En ce qui concerne les dérives possibles de l'emploi des fonds, notamment de la collecte des OPCA, des indices permettaient, par le passé, de conclure dans le sens de votre propos. Toutefois, prévalaient une tolérance, une ambiguïté, parce qu'il est incontestable que le fonctionnement paritaire d'un organisme a un coût. Or le droit de la formation professionnelle ne prévoyait pas la possibilité de prendre en compte un tel coût. Entre l'emploi nécessaire d'une personne et la dérive de ce même emploi s'immisce un élément de subjectivité difficilement contrôlable, ce que l'on note dans toutes les affaires dites « d'emplois fictifs », qui appellent des instructions longues, difficiles et délicates. Soit, au sein d'un OPCA, une personne figurant dans l'organigramme en qualité de démarcheur auprès des entreprises pour placer les contrats en alternance : il faudrait en permanence un contrôleur derrière cette personne pour savoir si elle fait la promotion des contrats en alternance ou la promotion de l'organisation syndicale ou professionnelle animatrice de l'OPCA.

En raison de ces difficultés, des règles précises ont été édictées. Elles prévoient l'affectation à la couverture des frais de fonctionnement du paritarisme de 1,5 % des sommes collectées par les OPCA au titre de la formation professionnelle à la couverture des frais de fonctionnement du paritarisme, pourcentage lui-même fractionné en deux parts de 0,75 % chacune. La première part est versée par chaque OPCA à un organisme national, le FONGEFOR, chargé de gérer la cagnotte de couverture des frais de fonctionnement du paritarisme ; la seconde part est consacrée par chaque OPCA à la couverture de ses frais internes au même titre. La réglementation prévoit que ces sommes sont données pour solde de tout compte et que leur emploi fait l'objet d'un compte rendu annuel. Compte tenu de la date d'entrée en vigueur du dispositif, les premiers comptes rendus ont été établis au titre des années 1996 et 1997. Le compte rendu du FONGEFOR a été envoyé à l'administration fin 1998 ; on a commencé à l'exploiter pour s'assurer que les motifs de dépenses présentent une vraisemblance certaine et correspondent à une stricte réalité. Mais, là aussi, contrôler le FONGEFOR revient à contrôler les organisations professionnelles et syndicales, d'où une dimension politique et ...

M. Jean-Jacques Jegou : Et vous ne le faites pas !

Nous sommes là au c_ur du problème : on est en train d'expliquer avec beaucoup de pudeur que l'on finance des organisations syndicales, patronales et professionnelles. Vous avez même poussé la conscience professionnelle jusqu'à citer des pourcentages qui n'apparaissent nulle part !

M. Jean Lambert : Ils sont tirés d'un décret.

M. Jean-Jacques Jegou : Que personne n'a lu !

La mission, qui émane de la commission des finances, peut-elle accepter un coût lié à la gestion paritaire ? Pouvez-vous me l'expliquer sinon à dire que l'on finance des organisations syndicales et professionnelles ?

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : On ne peut avoir de démocratie sociale sans en payer le coût. Ce que nous voulons c'est la transparence.

M. Jean-Jacques Jegou : J'en suis d'accord, mais disons-le !

On parle bien du coût de la formation professionnelle. Le contrôle de légalité et de régularité financière se révèle insuffisant. On parlera de l'inexistence du contrôle qualitatif. A quoi aboutit l'effort faramineux de la Nation ? Nous aurons l'occasion d'y revenir. Nous ne sortirons pas d'ici si l'on ne reconnaît pas que nous finançons en fait les syndicats - du MEDEF à la CGT. Voyez, nous vous mettons à l'aise !

Par le passé, on a reproché à mes rapports d'être un peu trop directs ; néanmoins, il semble qu'ils ne l'aient pas été suffisamment, puisque cela n'apparaît pas aujourd'hui. Nous savons que les crédits en question financent autre chose que la formation professionnelle. Je ne suis pas contre : comme le dit excellemment M. le Rapporteur spécial, peut-être la transparence et l'efficacité obligent-elles à reconnaître que la démocratie sociale a un coût, de même que la démocratie tout court et le financement des partis politiques. Tout le monde est d'accord, je crois, pour que vive la démocratie - nous représentons ici plusieurs partis politiques - et pour dire qu'un financement doit être supporté par le contribuable.

M. Jean Lambert : J'ai le regret de m'inscrire en faux contre l'assertion selon laquelle le contrôle des fonds affectés au fonctionnement du paritarisme ferait défaut. La nature du contrôle est conforme à celle prévalant dans d'autres activités. Tout est question de degré : jusqu'où faut-il aller ?

A titre d'exemple, on justifie la consommation des crédits par la formation de représentants de syndicats ou d'organisations professionnelles, membres des conseils d'administration des OPCA. On se limite à considérer le nombre de personnes formées et le coût de chaque formation ; on ne s'applique pas à vérifier si les formations ont réellement eu lieu. Certes, vous pouvez estimer un tel contrôle insuffisant.

M. Jean-Jacques Jegou : Ne dites pas cela ! Je suis membre de la commission des finances depuis suffisamment longtemps pour affirmer qu'il n'y a pas de contrôle. Vous venez de dire vous-même à l'instant, mot pour mot, que l'on ne vérifiait pas si la formation avait eu lieu. C'est bien une absence de contrôle !

M. Jean Lambert : Oui, par absence d'effectifs suffisants.

M. Jean-Jacques Jegou : Monsieur Lambert, il y a bien absence de contrôle !

M. Jean Lambert : Si l'on me demande de vérifier dans le détail, je vérifierai dans le détail.

M. Jérôme Cahuzac : Je n'ai pas eu le sentiment que vous m'ayez totalement répondu lorsque je vous ai demandé si les rapports pédagogiques, qui doivent être fournis par l'organisme sous peine de retrait d'agrément, sont analysés. Si oui, pouvez-vous nous citer un exemple prouvant qu'une telle analyse a eu des conséquences, non seulement en matière de récupération, mais également en matière d'abondement via l'AGEFAL ?

On nous a expliqué que l'AGEFAL mutualisée finançait un certain nombre d'actions, mais que la mission de son directeur ne consistait pas à procéder au contrôle sur lequel nous vous interrogeons.

Pouvez-vous nous indiquer si, en tant que chef du groupe national de contrôle, vous indiquez à l'AGEFAL, au conseil d'administration duquel vous siégez, s'il est légitime de continuer à financer ou non tel organisme de formation sur la foi du rapport pédagogique qui doit vous être fourni ?

M. Jean Lambert : Le rôle de l'AGEFAL ne consiste pas à payer des dépenses exposées par des organismes de formation. Elle finance les besoins des OPCA. Le contrôle plus ou moins poussé de la qualité des formations peut être assuré ; il est même souhaitable qu'il le soit, ce qui correspond du reste à une certaine réalité au niveau des normes « ISO » spécialisées. Lorsqu'il s'agit des dépenses directes des entreprises il leur appartient d'apprécier le rapport qualité-prix de la formation reçue.

Quant à l'AGEFAL, elle a une mission de stricte régulation financière. Le commissaire du Gouvernement veille au respect des principes de régulation financière. Aucun élément qualitatif n'est pris en compte au niveau de l'AGEFAL. Il n'en demeure pas moins que, dans le domaine de l'alternance, le souci qualitatif n'est absent des préoccupations, ni des partenaires sociaux, ni de l'administration.

Les bilans pédagogiques et financiers des organismes de formation ne se présentent qu'en termes quantitatifs - le nombre d'heures de formation, le coût des formations, la sanction de la formation - sans aucun élément qualitatif autre que la typologie des actions de formation dispensées.

Dans le cadre de l'enquête qualitative sur l'alternance, menée par l'AGEFAL par agrégat des données fournies par chaque OPCA, on obtient des éléments, non seulement sur les taux de rupture des contrats, mais sur le taux d'insertion des jeunes à l'issue des formations. Ce type de préoccupations y figure. Bien évidemment, l'administration participe également à cette recherche qualitative, non en termes de contrôle et de sanctions directes, mais par les études qu'elle confie, notamment au CEREQ, sur la qualité des formations.

Quant à la sanction directe d'un organisme de formation incompétent, elle est essentiellement assurée par le client. Les OPCA éditent de plus en plus des catalogues d'organismes susceptibles d'assurer les formations dans les meilleures conditions. On veille à ce que ces catalogues ne présentent pas un caractère anticoncurrentiel, autrement dit qu'ils ne contiennent pas uniquement des organismes de formation dont on s'apercevrait qu'ils s'inscrivent dans la stricte mouvance de la branche professionnelle de l'OPCA concernée. Il n'y a pas de sanction directe de mauvaise qualité, je le confirme.

Mme Nicole Bricq : Les OPCA sont bien agréés.

M. Jean Lambert : Oui.

Mme Nicole Bricq : Existe-t-il des procédures de retrait d'agrément, où un cahier des charges - qui porte en lui-même une vision qualitative - pourrait entrer en ligne de compte ? Ou s'agit-il d'une déclaration purement administrative ?

M. Jean Lambert : L'agrément est délivré en fonction de l'observation de plusieurs critères fixés par le législateur, complétés par voie réglementaire. L'administration s'assure ensuite du respect des critères.

La procédure de retrait d'un agrément à un organisme collecteur est délicate à mettre en _uvre, puisqu'elle touche aux relations liant l'État et les partenaires sociaux. Elle ne peut être engagée qu'à l'égard de pratiques réellement scandaleuses. Si l'on peut considérer que certains OPCA n'ont pas une assise financière suffisante ou qu'ils ont tendance à gonfler le montant de leurs engagements pour obtenir des fonds réservés auprès de l'AGEFAL, ces comportements ne sont pas strictement de nature à légitimer un retrait d'agrément et je crains qu'une procédure de retrait fondée sur de telles bases, à supposer qu'elle intervienne, soit censurée par le Conseil d'État.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Nous sommes face à des prélèvements obligatoires, mais, en même temps, le monde de l'entreprise, disons le paritarisme, estime que ces fonds ne sont pas proprement assimilables à des fonds appartenant à l'État. L'observation de Nicole Bricq est tout à fait justifiée. Cela explique qu'un retrait d'agrément sera vécu par les partenaires sociaux comme une agression à l'égard d'un prélèvement, certes obligatoire. C'est une vraie question de fond.

M. Philippe Auberger, co-président : C'est vrai et je crois qu'on peut la généraliser. Les chefs d'entreprise nous expliquent que les prélèvements obligatoires sont beaucoup trop élevés ; dans le même temps, pour la formation professionnelle, le 1 % logement et les CIL, des ressources nouvelles sont souhaitées : les présidents des chambres de commerce ne cessent de demander des augmentations de leurs cotisations de base. C'est une contradiction forte qu'il convient de soulever. On ne peut, d'un côté, regretter les prélèvements obligatoires jugés trop nombreux et, de l'autre, admettre que des financements restent quasiment exempts de contrôles, que règne à leur propos une sorte de consensus tacite pour ne pas examiner de trop près l'usage des fonds. Il y a là un problème. Je suis heureux qu'il ait été soulevé au sujet de la formation professionnelle, parce qu'il est réellement important dans le débat démocratique.

M. Francis Delattre : Et qu'il représente 40 milliards !

Le FONGEFOR centralise 0,75 % de la masse. Ce pourcentage est-il uniquement perçu sur les fonds d'alternance ou sur les fonds des congés individuels de formation, voire, le cas échéant, des plans de formation ? Combien cela représente-t-il au niveau national ?

Est-on assuré que c'est pour solde de tout compte en ce qui concerne le fonctionnement du paritarisme dans le secteur de la formation professionnelle ?

M. Jean Lambert : L'assiette englobe l'ensemble des cotisations : plan de formation, alternance, congé individuel de formation. Ne sont astreints à cette obligation que les OPCA dits « dans le champ ». Les OPCA dont les représentants ne sont pas partie à la signature des accords interprofessionnels sur la formation professionnelle n'y sont pas astreints : c'est le cas, à titre d'exemple, d'Uni Formation. Le total des versements faits par l'ensemble des OPCA au FONGEFOR est, de mémoire, de l'ordre de 200 millions de francs annuels.

L'emploi des fonds donne lieu à un compte rendu qui fait l'objet de vérifications administratives, dont on peut considérer qu'elles sont insuffisamment poussées, mais qui sont réelles.

Dans le cadre des investigations menées sur pièces ou sur place auprès des OPCA et en application du principe de solde de tous comptes, on s'assure que ce que l'on a chassé par la porte ne rentre pas par la fenêtre. Jusqu'à présent, nous ne disposons d'aucun indice démontrant le cumul de pratiques anciennes et des recettes officielles.

M. Philippe Auberger, co-président : Autrement dit, les fonds sont bien normalement affectés à la formation des administrateurs des OPCA.

M. Jean Lambert : La formation des administrateurs est un exemple d'emploi de ces fonds. Par ailleurs, les représentants à l'échelon national des organisations syndicales et d'employeurs sont amenés à exercer leurs responsabilités à l'égard du bon fonctionnement des organismes régionaux. Ils réalisent donc des missions d'audit, des investigations. Ce genre de débours est réputé correspondre à des coûts de fonctionnement du paritarisme. Il ne s'agit donc pas de financer des organisations, mais un certain type de dépenses de ces organisations.

M. Philippe Auberger, co-président : Les administrateurs des OPCA sont-ils indemnisés lorsqu'ils assistent à des réunions de travail dans le cadre de leurs fonctions d'administrateurs ? Est-ce financé dans le fonds ?

M. Jean Lambert : Non. Sont éventuellement financés les débours de transport. Les administrateurs ne reçoivent pas d'indemnisation, excepté si, salariés, ils ne sont pas payés par l'entreprise qui les emploie pendant le temps où ils assument leurs fonctions d'administrateur. Il est alors admis que l'OPCA prenne en charge la compensation salariale.

M. Philippe Auberger, co-président : Les fonctions d'audit que s'arrogent un certain nombre d'organismes au niveau national ne sont pas organisées, puisque c'est vous qui, normalement, êtes chargé de procéder à l'audit des OPCA.

M. Jean Lambert : Il s'agit du contrôle interne du paritarisme. (Rires.)

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : M. Lambert, il convient de faire un peu d'historique, car le système, issu d'un accord interprofessionnel, est récent. En réalité, nous sommes un peu en chemin. Ce dispositif n'est certes pas satisfaisant, mais cela fut, pour les plus responsables, aussi bien du côté syndical que patronal, un premier geste. Je suis, pour ma part, convaincu qu'il ne suffira pas.

M. Jean Lambert : L'accord date, en effet, de 1996. Antérieurement, il était difficile aussi bien juridiquement que politiquement de réprimer des dérives, dans la mesure où il n'existait pas de corps de règles précises. Il existe, aujourd'hui, le suivi administratif se développe. Bien sûr, il faut un suivi constant de l'activité, mais, comme le disait M. le Rapporteur spécial, ce n'est qu'une étape sur le chemin à parcourir.

M. Jean-Jacques Jegou : Pourriez-vous nous livrer une définition du coût de fonctionnement du paritarisme ?

L'an I du contrôle du paritarisme datant de 1996 - M. Barrot n'y est pas étranger - des sanctions ont-elles été prises depuis ?

M. Jean Lambert : En matière de frais de fonctionnement de paritarisme, assis sur la réglementation de 1996, aucune sanction n'a été prise jusqu'à présent, car aucune dérive probante n'a été constatée.

Les frais de fonctionnement de paritarisme sont une dépense comme une autre. Ce sont des éléments de coût objectifs. De simples affirmations ne constituent pas un élément de coût ; c'est pourquoi il convient de se fonder sur les factures. Quand une organisation syndicale indique qu'elle a organisé en région Aquitaine une réunion d'information et de sensibilisation de l'ensemble des administrateurs relevant de sa mouvance, les justificatifs à produire tiennent au coût de la location de la salle, aux frais de déplacement qui ont suivi la session, tous éléments qui doivent être objectifs.

Fort naturellement, une première tendance consistait à vouloir faire admettre par l'administration que de simples affirmations de caractère général avaient valeur de compte rendu d'activités. A suivre certains, la mention « Participation aux frais de fonctionnement du paritarisme : 200.000 francs » aurait dû suffire, sous peine de porter atteinte aux libertés syndicales. L'administration n'a pas admis cette démarche et les comptes rendus produits sont détaillés ; en tout cas, ils n'ont rien de choquant. Nous opérons quelques vérifications par sondage, sans pour autant procéder à des contrôles exhaustifs.

M. Jean-Jacques Jegou : Ces rapports pourraient-ils être mis à la disposition de la mission ?

M. Philippe Auberger, co-président : Cela demande une analyse juridique précise : il convient de connaître la nature de ces rapports. En outre, le rapporteur spécial, dans le cadre de ses pouvoirs, peut-il avoir accès à ces documents ? Ce n'est pas certain, car la qualification de l'ensemble des fonds de la formation professionnelle est totalement ambiguë. A ma connaissance, ils n'ont pas la qualification de fonds publics ; s'ils résultent d'un prélèvement obligatoire, ils ne présentent pas le caractère d'un impôt. Les entreprises peuvent s'en exonérer dès lors qu'elles justifient des dépenses correspondantes.

M. Jean-Jacques Jegou : C'est pourtant bien le cas des cotisations à la sécurité sociale, qui sont privées, personnelles ; ce ne sont pas des deniers publics.

M. Philippe Auberger, co-président : A chaque ressource non fiscale peuvent s'appliquer une jurisprudence et des textes différents.

A ma connaissance, les fonds de la formation professionnelle n'ont pas la qualification de fonds publics. Dès lors, les comptes rendus d'utilisation de ces fonds ne sont pas accessibles de plein droit au rapporteur spécial au même titre que les éléments correspondant à des ressources ou à des dépenses publiques. Voilà ma première analyse, mais il appartient à M. Barrot de nous le dire.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Il existe bel et bien un problème puisque la Cour des comptes - je parle en présence du Président de la cinquième chambre - probablement pourra, par habilitation législative, contrôler ces fonds qu'elle n'était pas autorisée auparavant à contrôler.

Moi-même, comme Jean-Jacques Jegou, et notre prédécesseur M. Berson, j'ai pu contrôler les fonds.

S'agissant du FONGEFOR, sans doute convient-il d'apporter une petite nuance, car cet organisme résulte d'un accord interprofessionnel et peut être considéré par les partenaires sociaux comme approvisionné par une sorte d'accord sans base législative. Cela dit, si votre rapporteur spécial en faisait la demande au nom de la commission des finances - et il la formulera - je ne peux croire qu'on ne lui montre pas les comptes. Cela dit, je pense que Philippe Auberger a raison en indiquant qu'il convient de se pencher sur l'aspect juridique de la question.

M. Jean Lambert : Au plan juridique, il en va un peu comme pour la qualification des fonds de la formation professionnelle eux-mêmes. Ces perceptions sont à la fois assises sur un accord interprofessionnel et sur un instrument réglementaire. D'où un caractère un peu particulier. Quelle doit être la conclusion définitive ? Je l'ignore. Il est à souligner que tous les OPCA ne sont pas astreints à ce versement, seulement les signataires des accords interprofessionnels. Or, l'ensemble de ces organismes hors champ sont gérés paritairement par des représentants tant des organisations syndicales que des organisations d'employeurs. Le débat juridique est assez complexe, je ne suis pas compétent pour le trancher. Je sais que, sur les fonds mêmes de la formation professionnelle, ce débat a pris une certaine ampleur à l'échelle de l'Union européenne, notamment pour l'appréciation de l'obligation de cofinancement posée par le Fonds social européen. Les autorités européennes ont jusqu'à présent admis, sans enthousiasme, de considérer les fonds perçus par les OPCA pouvaient être considérés comme d'intérêt collectif et constituer un élément du cofinancement par l'autorité publique française. Mais ce n'est pas une position très affirmée et tous azimuts, puisqu'une telle notion n'a été développée que dans le seul cadre du financement FSE.

M. Philippe Auberger, co-président : Pour revenir d'un mot sur le FONGEFOR, on voit bien que par ce biais l'on peut financer des organisations syndicales représentatives, dans la mesure où les frais exposés ne correspondent pas rigoureusement aux factures présentées. Pouvez-vous néanmoins donner l'assurance qu'aucun permanent syndical n'est rémunéré par ses fonds ?

M. Jean Lambert : Je ne peux bien évidemment pas vous en donner l'assurance, mais les efforts des services de contrôle portent sur ce point, non pas essentiellement, mais cela fait partie de leurs objectifs. Sans que l'on puisse nous imputer une obligation de résultat, tous nos moyens sont mobilisés pour éliminer totalement de telles pratiques.

M. Jean-Jacques Jegou : Je souhaiterais que vous nous parliez de l'AFPA.

M. Jean Lambert : Je ne suis pas un bon interlocuteur, puisque le GNC n'est pas chargé de la tutelle de l'AFPA et n'intervient que s'il reçoit des instructions lui demandant d'effectuer des vérifications auprès de l'AFPA.

Les services de contrôle n'interviennent qu'indirectement, dirais-je, dans les activités de l'AFPA, par le biais des responsabilités qu'ils assument dans le contrôle du bon usage des fonds communautaires. Lorsqu'un cofinancement est assuré par l'État, par l'AFPA et par un financement communautaire, nous vérifions la bonne exécution des conventions et nous pouvons ainsi contrôler indirectement le respect par l'AFPA de la législation. Certes, l'AFPA est une association de formation et entre, juridiquement, dans le champ de compétences du groupe national, mais il est évident que, compte tenu des liens l'unissant au ministère, un contrôle de l'AFPA ne peut être décidé d'office. C'est là un état de fait qui ne me semble que très normal.

M. Philippe Auberger, co-président : Avez-vous une délégation explicite de la commission pour assurer le contrôle des fonds européens ?

M. Jean Lambert : Non. Le rôle des services régionaux de contrôle a été défini par la Commission interministérielle de contrôle des fonds communautaires. Dans la mesure où une partie non négligeable des fonds FSE concernait des programmes de formation, il a été considéré par l'ensemble des ministres intéressés que les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle, pouvaient intervenir sur la base d'un règlement communautaire. Il n'y a pas de délégations ; ce sont des contrôles nationaux en exécution des engagements que la France a pris à l'égard de l'Union européenne. Ces contrôles sont assumés aussi bien par les services régionaux de contrôle que par d'autres institutions : l'IGAS, les services du Trésor, la Cour des comptes... (je laisserai M. Marmot se prononcer sur le sujet). Il se trouve que les services régionaux de contrôle ont pris en charge l'aspect communautaire de l'utilisation des fonds, ce qui pose du reste des problèmes d'arbitrage entre les contrôles des fonds strictement nationaux et ceux des fonds communautaires, car la charge de cette mission nouvelle n'a pas été compensée par des effectifs supplémentaires. Il en de même de nos responsabilités de contrôle sur la collecte de la taxe d'apprentissage, qui ont suscité un fort investissement des services de contrôle, non compensés par un appoint en personnel. Les arbitrages entre fonds de la formation professionnelle, fonds communautaires, fonds de l'apprentissage, posent des questions d'ajustement assez délicates pour la gestion des effectifs et des moyens.

M. Jérôme Cahuzac : On constate que les stagiaires en dispositif public ont été financés à 24 % par l'AFPA en 1986 et 1994, à 14 % en 1994, soit une chute de dix points, et que les frais de mission ont doublé dans la même période.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Nous entendrons le directeur général de l'AFPA la semaine prochaine.

M. Jean-Jacques Jegou : Puisque nous allons recevoir le directeur général de l'AFPA, qui, pour le compte de l'État, pourrait nous parler du contrôle de l'AFPA ?

M. Jean Lambert : La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. Demandez à Mme Rose-Marie Vanlerberghe qui assure la tutelle de l'AFPA de venir, ou de déléguer un collaborateur responsable.

M. Philippe Auberger, co-président : Je vous remercie, monsieur Lambert.

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3.- AUDITION DE MM. GILBERT HYVERNAT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION NATIONALE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES (AFPA) ET JEAN-FRANÇOIS DANON, DIRECTEUR FINANCIER

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 8 avril 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, MM. Gilbert Hyvernat et Jean-François Danon sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jacques Barrot, rapporteur spécial des crédits de la formation professionnelle.

M. Jacques Barrot, rapporteur général : Monsieur le président, je serai bref. Pour l'intérêt de l'audition de M. Hyvernat, il serait peut-être utile de se donner une sorte de grille et de lui demander d'abord si, à son avis, l'AFPA ayant connu une histoire mouvementée dans un paysage de la formation professionnelle qui a beaucoup évolué, est vraiment aujourd'hui au clair pour son rôle et ses missions. Quel est, dans l'ensemble de notre appareil de formation professionnelle, le rôle spécifique de l'AFPA ? Qu'est-ce qui justifie aujourd'hui le rattachement direct à une association nationale d'un tel ensemble de moyens ? En fonction de ses missions, l'AFPA s'est-elle dotée des outils lui permettant d'évaluer si elle a atteint correctement ses objectifs ?

La deuxième question porte sur la gestion des moyens eu égard à ces missions. L'AFPA dispose d'un personnel relativement important. Sa gestion n'est-elle pas caractérisée par un excès de rigidité qui vient justement de l'organisation centralisée de l'association ? N'a-t-on pas vu dans le passé, se développer dans cette gestion un certain nombre de pratiques qui donnent le sentiment, parfois, que le personnel de l'AFPA bénéficie d'un statut relativement favorable, sans que, peut-être, ne soient consentis en contrepartie les efforts nécessaires pour s'adapter à des besoins constamment changeants ?

Quels sont les outils de gestion ? En particulier, comment M. Hyvernat voit-il évoluer peu à peu une gestion interne des personnels qui - la vérité m'oblige à le dire - n'a pas toujours été facile, en raison d'un contexte syndical parfois tendu?

Ensuite, un troisième regard porte sur les liens entre l'AFPA et l'ANPE. On peut se demander si, dans les contrats de progrès à venir, il ne faudrait pas instaurer des rapprochements, avec l'ANPE par exemple. Par ailleurs, l'AFPA s'est-elle bien adaptée à la régionalisation de la formation professionnelle ? Sans vouloir plaider pour la régionalisation de l'AFPA, une véritable coordination ne serait-elle pas nécessaire pour optimiser les moyens et faire en sorte que l'AFPA prenne sa place aux côtés de tous les outils dont les régions disposent et dont les entreprises bénéficient par le biais des OPCA ?

Monsieur le Président, je n'ai pas tout à fait répondu à votre désir de poser des questions très précises. J'attends, en bref, de M. Hyvernat des réponses sur trois points : les missions de l'AFPA, aujourd'hui, sont-elles suffisamment claires et évaluées dans leurs résultats ? Les moyens et la gestion des personnels sont-ils assez mobiles et leurs rémunérations suffisamment adaptées au rôle qu'ils remplissent ? Quel regard peut-on porter sur la liaison AFPA-ANPE et quels liens se créent entre les structures de l'AFPA, sur le plan régional, et les politiques dont les régions sont maintenant les chefs de file ?

M. Gilbert Hyvernat : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Monsieur le Ministre, que j'ai plaisir à saluer, je vous remercie de ces questions qui me permettent de traiter d'entrée des thèmes plus globaux et plus politiques sur l'AFPA, association de droit privé, mais fonctionnant dans le champ public, dans une ambiguïté relevée par le rapport de la Cour des comptes.

Je ne suis que depuis quelques mois de retour dans cette maison, où j'ai été moniteur pendant dix ans, puis formateur de formateurs pendant six ans. Je la connais bien de l'intérieur et j'y reviens, en qualité de directeur général; en l'ayant totalement parcourue. Il est vrai que j'exerçais, quand j'étais à l'intérieur, des critiques et, maintenant que j'en suis directeur général, je retrouve les mêmes sujets, mais avec un angle d'attaque différent.

L'un des événements particuliers et nouveaux qui a marqué mon arrivée est la signature d'un nouveau contrat de progrès pour cinq ans. Ce contrat de progrès, totalement différent du précédent, marque fortement la stratégie de l'AFPA. Il en change totalement le positionnement à l'intérieur du champ de la formation professionnelle. En résumé, il dispose l'AFPA à s'occuper essentiellement des demandeurs d'emploi adultes, dans le champ de la formation professionnelle qualifiante, le Gouvernement ayant souhaité que les moyens donnés à l'association soient fondamentalement consacrés à une tentative de résolution du problème du chômage de longue durée. Le contrat de progrès est extrêmement précis sur ce calage.

Deuxième élément, le gouvernement a souhaité que la mission de l'AFPA soit désormais beaucoup plus dédiée qu'elle ne l'était à l'accueil, à l'orientation, au conseil, à l'accompagnement dans des parcours de réinsertion professionnelle. Cette mission n'était pas vivante à l'AFPA.

La fonction d'orientation, qui existait auparavant au sein de l'AFPA, était essentiellement destinée à l'alimentation de son propre dispositif de formation avec ses 45.000 ou 46.000 places. Compte tenu de l'investissement fait par l'État, il était nécessaire de garantir la meilleure réussite possible au sein d'un parcours, de limiter au maximum les échecs très onéreux pour l'État. Pour ce faire, était mise, en amont du parcours de formation, une structure d'orientation ou, plus proprement de sélection.

Le Gouvernement, dans le deuxième point du contrat de progrès, indique que, désormais, l'AFPA doit consacrer ses capacités professionnelles d'orientation, non plus seulement à son propre dispositif, mais aux dispositifs et organismes de formation qui l'environnent. De ce fait, elle a mission de recevoir un flux très important de demandeurs d'emploi en situation d'incertitude quant à leurs qualifications, marqués par le chômage en raison de déficits de qualification, de les accueillir, de les conseiller et de les accompagner tout au long d'un parcours.

Cet élément décisif s'articule avec le troisième en ce que ce flux de demandeurs d'emploi doit transiter par l'ANPE. On ne vient pas à l'AFPA parce qu'il y a de la lumière, mais on entre dans une logique de prise en main par l'ANPE. Lorsque l'ANPE, parmi les millions de gens qu'elle rencontre, en particulier le million de chômeurs de longue durée, repère que le déficit de qualification est un empêchement majeur à la réussite d'une réinsertion, l'AFPA est l'outil public destiné à apporter réponse au citoyen mis en difficulté.

Les indications chiffrées du contrat en disent long sur cette évolution. Si, aujourd'hui, nous recevons 80.000 à 100.000 personnes par an en orientation, à échéance du contrat de progrès, dans cinq ans, ce seront 250.000 personnes qu'il nous faudra recevoir dans notre structure, soit pour les orienter vers nos propres services, soit pour leur proposer une évolution dans d'autres organismes de formation, qu'ils soient conventionnés avec nous, ou relèvent des chambres de commerce, des chambres des métiers, etc. J'insiste sur ce point : le dispositif de formation qualifiant est un dispositif lourd.

Les moyens attribués pour ces missions apparaissent clairement dans l'annexe 1 - la première de cinq - de ce simple contrat de progrès, lisible et très facile à saisir. Le ministère du Budget, en opposition à ses pratiques habituelles, s'est avancé sur une logique de développement, notamment dans le champ de l'orientation, en posant le principe que le développement de la commande publique, dans le monde de l'orientation, serait accompagné d'un développement de moyens à apprécier, année après année, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances. Ceci permettra à l'AFPA de conduire un développement maîtrisé et rationnel par rapport à une mission nouvelle.

L'évaluation apparaît en pointillés dans le contrat de progrès. Le problème est de donner à tous ceux qui le souhaiteraient la capacité d'évaluer ses acquis, de faire le point sur son métier avant d'entreprendre une formation ou un changement d'activité. La France recherche des solutions et un large débat a eu lieu dans la presse, pour savoir s'il fallait passer par une recherche de certification de compétences, de qualification. Le débat n'est pas uniquement sémantique, il est autrement politique. Mme Nicole Péry, secrétaire d'État à la formation professionnelle, a indiqué clairement - cela apparaît également dans le livre blanc - qu'elle souhaitait que l'AFPA puisse participer à la mission d'évaluation pour tous ceux qui pourraient le souhaiter, dans le champ de ses compétences et en tant que service public et gratuit.

Le contrat pointe une autre mission, qui aujourd'hui n'existe pas au sein de l'AFPA, sauf pour ses propres populations : ouvrir sa compétence en matière d'évaluation des qualifications en direction de publics variés. En soulignant ce changement, monsieur le ministre, je réponds à votre première question sur le recentrage de cette maison. Le contrat de progrès est un élément absolument décisif qui met en jeu la part de responsabilité prise par l'AFPA, dans le champ public, pour la réduction du chômage de longue durée et la lutte contre l'exclusion.

L'AFPA, aujourd'hui, ce sont environ 220 centres de formation et 180 centres d'orientation. Dans mon jargon, je dis que tout citoyen devrait trouver, grâce à un maillage assez fin, une gamme de services dans chacun des centres AFPA proches de sa région, de son département, de son domicile. Il doit y avoir un désenclavement. La donne du nouveau contrat de progrès nous oblige à rentrer dans une logique de services au public totalement ouverte, déployée et qui n'a plus rien à voir, à mon sens, avec l'AFPA des années antérieures.

La seconde question est d'une grande difficulté et assez passionnante. Je sors d'une réunion du comité central d'entreprise de l'AFPA, qui comprend environ soixante personnes autour de moi. Il représente un partenariat social extrêmement vigoureux à l'intérieur de la maison, historique - cette maison a 50 ans - et qui s'est opposé hier, très clairement, au projet, que Jean-François Danon et moi conduisons, de mise en place du contrôle interne, appelé par les voeux de nos tutelles depuis au moins dix ans.

Nous nous y sommes enfin décidés et avons mis au vote hier, lors du comité d'entreprise, ce projet de réforme profonde de la gestion interne. Il y a eu un vote négatif de l'ensemble des partenaires sociaux, qui ne supportent pas l'idée que l'on puisse revoir, à l'intérieur de la maison, le dispositif de comptabilité, de gestion et d'ordonnancement des dépenses. Il est inacceptable que cela dure. Nous ferons donc avancer le projet, mais quand nous rentrons dans une logique de gestion des personnels, les choses sont alors moins faciles qu'il pourrait y paraître.

Cela dit, des progrès considérables ont été faits depuis la dernière visite de la Cour des comptes et sous la pression des ministres de tutelle successifs. Ils ont porté en particulier, sur un point statutaire fondamental. L'AFPA disposait d'un statut hybride et ambigu, avec un rattachement très fort aux arsenaux militaires, qui remonte à l'année 1968 et qui implique une indexation automatique de la valeur du point de salaire et des avantages sociaux divers. Dès 1996 et 1997, un changement fut engagé au sein de l'institution et le précédent directeur général, avec un grand courage, réussit à casser ce système pour le remplacer par un autre, plus propre à notre époque, dans lequel on repérera deux choses : tout d'abord, il y a désormais une négociation salariale annuelle, au mois de mars, et l'évolution des salaires se discute comme dans tous les établissements publics aujourd'hui, sur les mêmes bases...

M. Jean-Jacques Jegou : Vous n'êtes pas un établissement public. Vous parlez de comité central alors que vous êtes une association loi 1901... N'est-ce pas déjà une première contradiction ?

M. Gilbert Hyvernat : Ce n'est pas une contradiction, mais permettez-moi de souligner que j'ai dit « comme ».

M. Jean-Jacques Jegou : Non, vous avez dit « dans un établissement public... »

M. le Rapporteur spécial : Vous avez bien dit « comme dans un établissement... »

M. Gilbert Hyvernat : J'ai dit que nous rentrions dans des discussions salariales, puisque la seconde question posée concernait la gestion des personnels. Comme dans toute grande entreprise, nous la gérons avec un encadrement salarial, mais en fonction de normes et de règles qui nous sont largement imposées par le règlement des tutelles. L'époque du lien avec le secteur des arsenaux est totalement terminée aujourd'hui. Nous avons une négociation salariale interne.

Par ailleurs, la gestion du personnel a été largement déconcentrée. Les effectifs sont d'environ 10.800 aujourd'hui en équivalent temps plein, soit une stabilisation, pratiquement, depuis quatre ans, mais dans une logique totalement inversée par rapport à celle des années antérieures. En effet, désormais, à la différence de l'ANPE, la gestion du personnel de l'AFPA ne part pas d'une attribution de moyens en effectifs, mais du volume de la commande publique et de son prix. C'est à l'AFPA de décider de la façon dont et avec quels types de personnels elle va remplir sa commande publique.

Ceci fait que nous pourrions être amenés à pratiquer des plans sociaux. En effet, en fonction de l'évolution de la commande publique, l'effectif devra bouger pour s'adapter, c'est tout à fait évident. En observant les recettes de l'AFPA, trois-quarts venant de l'État et un quart du champ déconcentré (collectivités territoriales et entreprises), on voit que l'équilibre de cette " entreprise " tient maintenant à sa production. Il n'y a plus aucun lien inébranlable entre des structures externes et la quantité de ses effectifs. Ils sont désormais reliés à la qualité et à la quantité de la production propre de l'AFPA.

La désindexation, selon les indications que le directeur financier me donnait, hier soir encore, représente, pour l'AFPA, une économie pour le budget de l'État d'environ 60 à 70 millions par an. Depuis trois ans ce sont donc près de 200 millions que l'AFPA a dépensés en moins dans la gestion de ses salariés.

Les liens entre l'AFPA et l'ANPE prennent désormais la forme d'une relation structurée qualifiée par le contrat de progrès, à la demande des ministres de tutelle, de services intégrés entre l'ANPE et l'AFPA. Cette relation avec l'ANPE va toucher deux volets majeurs : l'accueil pour l'orientation vers la qualification de demandeurs de l'emploi qui le nécessitent, et le placement de tous ceux et celles qui viennent se former dans les centres de l'AFPA - qui ne sont pas en fonctionnement simplement local, mais parfois interdépartemental, voire régional ou national - et pour lesquels l'appui de l'ANPE pour renforcer l'utilité de la formation et réussir le placement, est évidemment à consacrer contractuellement.

Les deux établissements restent totalement autonomes et indépendants quant à leur statut et leurs modalités de direction, mais désormais des conventions, supervisées par notre ministère de tutelle, nous lient à travers l'activité de production.

La régionalisation de la formation professionnelle pose problème pour notre relation avec l'ANPE. L'ANPE représente environ huit cents agences locales pour l'emploi, distribuées de manière assez fine sur le territoire et en fonction des problématiques d'emploi. La structure de l'AFPA, historiquement, n'a pas été distribuée ainsi, mais beaucoup plus en fonction de paramètres autres que ceux mêmes de l'emploi, sauf quand ces critères d'emploi ont été pris en compte pour répondre aux besoins particuliers d'une région. Certains départements comptent plusieurs centres de l'AFPA, d'autres, aucun. Le dialogue avec l'ANPE peut s'avérer, dans telle ou telle région, plus difficile que dans d'autres parce que les représentations ne sont pas harmonisées.

La question des financements de la formation professionnelle dans le champ décentralisé-déconcentré pousse plus loin. Nous sommes persuadés que l'évolution de la maison se fera, non seulement par rapport au développement de la commande publique nationale, mais surtout par rapport au développement de la commande régionale et locale. Trois types de commandes lui sont passés au niveau décentralisé-déconcentré.

Les services publics déconcentrés de l'État, autour du DRTEFP et du préfet, peuvent impliquer l'AFPA dans la mise en place de stages CIF ou d'actions concertées à l'intérieur de la politique de globalisation.

Des conseils régionaux, jusqu'alors prudents par rapport à l'AFPA et qui participaient de manière inégale à la subvention de ses investissements, nouent aujourd'hui ici ou là des partenariats pour la formation de demandeurs d'emploi ou pour le conseil et l'orientation.

La Cour des comptes avait enfin présenté des observations sur le développement des activités sur le marché privé de la formation professionnelle. C'était l'axe politique de la précédente direction générale, mais l'objectif n'avait pas réussi à être atteint. Les entreprises représentent, aujourd'hui, environ 500 millions de francs dans les recettes de l'AFPA sur un total de 5 milliards. De ces 500 millions, seuls 150 millions sont liés aux plans de formation des entreprises, le solde étant lié aux contrats de qualification et aux congés individuels de formation, qui sont des mesures sur lesquelles le champ public peut s'investir normalement.

Nous avons essayé de ralentir, voire même de faire cesser, le développement d'activités dans le champ privé de la formation professionnelle continue. Nous avons à travailler avec le secteur des entreprises et des branches, mais sans aller au-delà de notre utilité et nous devons certainement - c'est ma décision - ne plus rentrer dans des logiques de concurrence. A mon sens, notre maison n'est pas équipée pour agir dans la transparence et la clarté entre des crédits d'État, d'une part, et des crédits qui viendraient d'entreprises finançant leurs actions de formation professionnelle, d'autre part.

M. Didier Migaud, Rapporteur général : Notre sentiment est que les résultats, en matière de formation professionnelle, ne sont pas à la hauteur des crédits qui lui sont affectés. Il a été conforté par les rapports de la Cour des comptes et par les auditions auxquelles nous procédons depuis quelque temps.

Vos premiers propos nous confortent également dans l'impression d'une contradiction extraordinaire. Ceux qui sont chargés de l'évaluation des autres sont, semble-t-il, incapables d'évaluer eux-mêmes leur propre fonctionnement, ce qui pose, pour les parlementaires que nous sommes, une question redoutable.

Même si j'ai le sentiment qu'un certain nombre de progrès ont pu être réalisés depuis le dernier rapport de la Cour des comptes, les informations les plus récentes dont nous disposons font apparaître une dégradation inquiétante de la position de l'AFPA dans le système public de la formation professionnelle. Les chiffres sont nets : vous aviez formé 24 % des stagiaires en dispositif public en 1986, vous en avez formé 14 % en 1994. Parallèlement, les frais de mission ont doublé pendant cette période. Par conséquent, de moins en moins de personnes sont formées, mais par contre, les frais de fonctionnement de la structure augmentent de façon importante. Comment expliquez-vous cela ?

Vous êtes-vous doté des moyens pour évaluer votre propre efficacité, le coût moyen des stages ? Vous avez dit n'être pas dans un système de concurrence, mais il est bon d'avoir des éléments de comparaison. Quel est le coût horaire d'une formation dispensée par l'AFPA ? Avez-vous des éléments vous permettant d'apprécier mieux l'efficacité de votre propre structure ? Nous ne cherchons pas à faire des économies « bêtes », mais à savoir si l'argent public est bien utilisé, conformément aux objectifs définis, et si on ne pourra pas faire aussi bien avec moins de crédits.

On constate que chaque année, des crédits nouveaux vous sont affectés ; mais, dans le même temps, depuis quelques années, le montant de vos placements financiers dépasse 500 millions de francs, ce qui n'est pas une modeste somme. Ce constat pourrait susciter la question suivante : n'appelez-vous pas plus d'argent qu'il ne vous est nécessaire pour remplir les missions qui sont les vôtres ?

M. Gilbert Hyvernat : Sur la question du contrôle de l'AFPA, que la Cour des comptes avait également soulignée, je vous donne deux éléments. Tout d'abord, désormais, depuis quatre à cinq ans, le contrôle de l'État porte sur l'exécution de la commande qu'il passe. Je rappelle que cette commande décrit avec une extrême précision les productions attendues : formation, orientation, validation et accompagnement... Elles sont repérées une par une, chiffrées unitairement, déterminées en volume une année à l'avance, en fonction des exercices précédents ou des volontés politiques nouvelles. L'exécution de la commande publique fait l'objet d'un examen très attentif de nos tutelles, que ce soit Bercy ou le ministère de l'Emploi.

Nous sommes donc dans un champ un peu différent de celui d'il y a quelques années. Nous sommes dans le champ de l'exécution d'une commande avec tous les contrôles qui s'y rapportent. L'exécution du budget fait partie de la préoccupation mensuelle. Nous procédons désormais à un relevé mensuel, avec des indicateurs précis de la production correspondant à la commande publique. Notre objectif est de pouvoir rendre compte au franc près de l'exécution de la commande publique.

L'AFPA étant une association, elle a, d'une part, ses propres organes délibérants auxquels participent les tutelles et où la puissance publique dispose d'un pouvoir de veto classique dans tout système associatif. D'autre part, comme elle est largement subventionnée par l'État, l'AFPA est soumise, pour ses marchés, aux règles de gestion des finances publiques. Son comptable est assimilable à un comptable public, de plus en plus proche de la gestion et du suivi de tout ce qui tient à la gestion financière et comptable de cette maison.

Nous avons un contrôleur d'État et un commissaire du gouvernement et enfin, nous sommes soumis à un contrôle financier que la tutelle provoque quand elle le souhaite. Cela m'a fait dire tout à l'heure que nous étions maintenant très proches du modèle de fonctionnement du système public. Nous sommes également soumis au contrôle de l'IGAS, de l'inspection générale des Finances, il y a quatre ans, de la Cour des comptes, il y a deux ou trois ans. Les organismes de contrôle ont accès à l'AFPA, légitimement, et ne se privent pas, par missions successives, d'examiner ce qui se passe au sein de l'AFPA et d'en faire des rapports.

M. Francis Delattre : ... Qui ne sont pas vraiment suivis d'effets.

M. Gilbert Hyvernat : La critique de la Cour des comptes, dans son dernier rapport, portait fondamentalement sur des éléments de gestion. On peut répondre point par point. Prenons l'exemple des frais de mission. Ceux-ci ont été stabilisés à hauteur de 120 millions par an, depuis pratiquement quatre ans. La dérive observée - on peut même dire la gabegie car, à une époque, il est vrai que cela a été mal géré - a été totalement stabilisée. Pour autant, la question des frais de mission n'est pas réglée...

M. Jean-Jacques Jegou : La gabegie...

M. Gilbert Hyvernat : J'ai osé le dire. Cela fut probablement le cas, mais j'ai le sentiment qu'aujourd'hui nous les tenons mieux. Ces frais de mission sont un budget particulièrement délicat à observer, car ils recouvrent notamment l'activité des 300 ou 350 personnes qui assurent notre propre système de remplacement interne : c'est un élément important de pondération. Nous sommes également une maison en réseau.

M. Francis Delattre : Comment pouvez-vous dire que les choses vont mieux puisque vous nous avez dit, tout à l'heure, que vous aviez du mal à mettre en place votre contrôle interne ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous le mettons en place durement, mais nous le mettons en place. Je voulais, tout à l'heure, indiquer une tonalité sociale.

Le Président Augustin Bonrepaux : Ces oppositions qui se sont exprimées contre un contrôle interne sont difficilement compréhensibles. Quelles en sont les raisons ?

M. Gilbert Hyvernat : La résistance tient au fait que le projet est global et impacte entre 1.200 et 1.500 personnes. Cette maison, connue pour être répartie en petites unités très fines, a développé un système de comptabilité et d'ordonnancement qui ne convient plus à notre époque. Une sorte de dispersion s'est faite par agrégation d'un ensemble d'environ six à sept cents comptables, dont le rôle n'est pas clair, et il convient de revenir sur ce sujet.

Nous allons donc impacter les personnels. Nous dirons probablement qu'il y a trop de comptables et que certains d'entre eux ne font pas ce pour quoi ils sont destinés. On peut ajouter que certains parmi eux sont de bien mièvres professionnels. Cela impacte donc durement le personnel et évidemment, la réaction s'est portée sur la résistance à ce changement.

Le Président Augustin Bonrepaux : Que pouvez-vous nous dire sur les comparaisons des coûts horaires, votre propre évaluation et vos placements financiers ?

M. Gilbert Hyvernat : Je demanderai à Jean-François Danon de répondre sur les placements financiers car les événements ont été relativement cadrés.

La maîtrise de nos coûts va progresser dans les années à venir. C'est dit implicitement dans le contrat de progrès. La réflexion devrait porter sur la limitation de l'évolution des coûts, voire sur leur réduction, en fonction de l'évolution de la formation professionnelle. L'AFPA est une maison lourde, massive et qui a été conçue pour faire des formations qualifiantes, diplômantes, délivrant des titres au nom du ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Elle a la charge, pour le ministère, de délivrer ces titres, de les rénover au sein de commissions paritaires et de les faire vivre.

Cette mission détermine un système de formation particulier dans le champ de la formation professionnelle, en ce sens que l'AFPA est une entreprise de formation qui délivre des formations lourdes, très structurées, avec des tours, des fraiseuses, des murs, des baguettes de soudage, des camions, etc., dans des domaines où les investissements en moyens sont considérables et où les durées de formation sont importantes.

A l'AFPA, la durée moyenne de formation est d'environ 650 à 700 heures, ce qui est lourd. Ses formations longues, qualifiantes s'appuient sur des infrastructures lourdes. Par conséquent ses coûts sont plus élevés. Je ferai une comparaison avec les GRETA. Très globalement, l'AFPA fait à peu près le même nombre d'heures de formation - 60 à 70 millions d'heures stagiaires - que les GRETA, mais ceux-ci forment cinq fois plus de personnes, c'est-à-dire que les formations, grosso modo, durent cinq fois moins longtemps, plutôt de 150 à 200 heures alors que les formations de l'AFPA sont des formations lourdes.

La qualification donnée par un appareil de formation très lourd a certes un prix, mais les professionnels de la soudure, aujourd'hui, nous disent que seule l'AFPA n'a pas fermé lors de la crise qui les affectait. Aujourd'hui, la demande de formation qualifiante dans ce secteur est énorme. Or elle coûte très cher, en raison des métaux et matériaux utilisés, si on veut la faire autrement qu'avec un papier et un crayon.

Nous qualifions donc clairement le coût de chacune de nos formations. L'avenir va être à l'achat ou au non-achat de prestations. Or, pour faire acheter des prestations, il faut pouvoir les qualifier en qualité et en coûts. Aujourd'hui, la maison, très progressivement, y arrive. Nous mettons en place un système de comptabilité analytique, comme nous nous y sommes engagés, et nous avons maintenant les deux premières années de référence. Dès l'année prochaine, nous pourrons proposer, en particulier à la tutelle de Bercy, notre approche de comptabilité analytique, qui est la condition pour déterminer clairement des coûts.

Les coûts de la formation à l'AFPA vont globalement de 35 francs de l'heure pour des formations d'initiation ou de repérage de potentiel, à plus de 100 francs de l'heure lorsqu'on entre dans des formations pour lesquelles les consommations de matériels ou les amortissements sont beaucoup plus considérables que ceux de papier et de crayons.

M. Jean-François Danon : Dans le rapport de la Cour des comptes, le point des placements financiers avait été particulièrement souligné. Je répondrai en deux temps. D'abord, la Cour soulignait à l'époque que la situation réglementaire n'était pas claire. Elle est aujourd'hui totalement clarifiée par une lettre de la direction de la comptabilité publique du 13 août 1998 qui tient en deux points. L'AFPA, comme toute association de droit privé, a des comptes bancaires : ceci a été régularisé et la comptabilité publique en a pris acte. Par ailleurs, il nous a été demandé que l'ensemble des placements que nous pouvions être amenés à faire le soient dans le circuit du Trésor, ce qui est aujourd'hui parfaitement le cas. Sur le plan réglementaire, il y a bien eu une suite au rapport de la Cour des comptes.

En second lieu, la question est de savoir d'où viennent les montants que vous évoquez et si, finalement, l'AFPA a trop d'argent. Je voudrais donner un autre chiffre qui restitue le sujet. Les produits financiers dont vous avez parlé sont en fait les stocks, les valeurs qui atteignent effectivement 500 millions en 1997. Le montant des produits est d'environ 25 ou 25,9 millions, si vous prenez les comptes de 1997, soit moins de 0,5 % de nos recettes qui s'élevaient à 5,4 milliards.

Ces produits contribuent à l'équilibre financier de la maison. Pour répondre directement à votre question, si nous n'avions pas ces produits - je vous expliquerai d'où ils viennent - il faudrait bien trouver les 25 millions correspondants pour équilibrer notre maison.

Pourquoi ces placements existent-ils ? Quels sont les flux ? L'AFPA gère deux flux liés à sa production et au paiement du personnel et deux flux, assez importants, correspondant aux missions de service public accomplies pour le compte de l'État : le paiement du FNE et le paiement de la rémunération des bénéficiaires.

En premier lieu, tous ces flux sont parfaitement contrôlés par les autorités de tutelle. Les appels mensuels auxquels ils donnent lieu sont parfaitement suivis. Il y a un lien permanent entre l'AFPA et les autorités de tutelle qui peuvent apprécier les versements. En second lieu, une partie des produits financiers de ces placements viennent des versements liés à la rémunération des bénéficiaires ou au FNE. Ce sont des flux importants pour l'AFPA, notamment ceux qui correspondent à la rémunération des bénéficiaires. C'est également un service de proximité.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Je ne suis pas satisfait de votre réponse parce que, ouvertement, je ne l'ai pas bien comprise. Certes, 25 millions sur 5,5 milliards représentent peu, mais pouvoir placer 500 millions sur 5,5 milliards, ce n'est pas si mal.

M. Jean-François Danon : Sur 8 milliards.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Même... Si vous êtes en mesure de placer 500 millions, la subvention de l'État doit-elle être aussi importante, au moins pour une année donnée, ce qui vous permettrait de placer un peu moins ? Il est certain que cela vous rapportera moins, mais cela peut s'ajuster. Comment arrivez-vous à placer 500 millions de francs ?

M. Jean-François Danon : Il a pu arriver que des fonds, correspondant notamment au FNE soient versés, à un certain moment, plus rapidement que nécessaire. De tels versements donnent des possibilités de trésorerie, mais sans la subvention, nous aurions un problème d'équilibre. Actuellement, chaque appel de fonds mensuel, aussi bien sur le FNE que sur la rémunération des stagiaires ou la commande publique, fait l'objet d'un contrôle. Je n'ai pas les chiffres sur la fin de l'année. Le chiffre de 500 millions a pu exister, mais n'est pas récurrent dans la maison.

M. Jean-Jacques Jegou : J'ai bien entendu, comme mes collègues, votre plaidoyer pour l'association que vous dirigez depuis quelques mois. Il n'est pas question de vous faire porter le poids de l'ensemble des turpitudes de l'AFPA car vous êtes certainement d'une grande bonne volonté pour y mettre fin. L'ancien rapporteur spécial que je suis ne reviendra pas sur les rapports qui ont dénoncé cet état de fait : comme le rappelaient l'un de nos collègues ainsi que le rapport de la Cour des comptes de 1997, il n'a pas été réellement mis fin à ces errements.

Vous avez dit vous-même avoir stabilisé certains frais... J'avais à l'époque listé la vie assez heureuse que permettaient les frais de fonctionnement et diverses manifestations coûteuses. En fait, je voudrais revenir sur le statut. Trouvez-vous normal de présider une entreprise dont le statut hybride n'a aucun équivalent ? D'autres sociétés ou organismes parapublics peuvent être apparentés, mais dans le cas présent, nous sommes devant une association de la loi de 1901, employant 10.800 salariés, avec un budget de 8 milliards dont 5 milliards de subventions !

Je voudrais que l'on entre un peu plus dans le détail. Il est normal que la mission d'évaluation et de contrôle vous demande quel usage est fait de l'argent public et des subventions.

Puisque le régime statutaire a été dénoncé et que les négociations salariales ont lieu maintenant chaque année, pourriez-vous nous donner le salaire moyen d'un agent de l'AFPA ? Même s'il n'est plus aligné automatiquement sur le statut des arsenaux, il reste néanmoins une rémunération assez curieuse. Un jour, je m'en souviens, votre prédécesseur avait été appelé par l'un de ses directeurs régionaux, qui lui demandait l'autorisation d'embaucher un collaborateur extérieur qui acceptait d'être rémunéré 25 ou 30 % au dessous du salaire statutaire.

Parmi les propositions que j'avais faites, sous le ministère de Jacques Barrot, en tant que rapporteur spécial, figurait la fusion de l'AFPA et de l'ANPE. J'ai l'impression d'avoir entendu, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1999, Mme Martine Aubry reprenant cette idée que je trouve excellente et que vous avez vous-même d'ailleurs justifiée. Pouvez-vous préciser votre position sur ce point ?

Nous nous préoccupons également du niveau du personnel. Le rapporteur spécial, Jacques Barrot, a indiqué que les 5 milliards versés par l'État étaient essentiellement une subvention de fonctionnement. Vous avez vous-même souligné que maintenant, elle variait en fonction de la commande publique. J'ai d'ailleurs noté que, dans la loi de finances, elle avait encore un peu augmenté.

Concernant les résultats, quel est le rapport entre le nombre de stagiaires que vous recevez et les coûts de formation ? Nous, mission d'évaluation et de contrôles, nous devons connaître le coût exact par stagiaire.

Vous avez pris l'exemple de la soudure. C'est l'exemple extrême par excellence. Peut-on avoir, pour un certain nombre de formations, les chiffres de pérennisation exacts ? On ne peut pas dire qu'une fois passé par l'AFPA, on a un emploi à vie. Y a-t-il emploi après la formation qualifiante ? J'ai été très intéressé de savoir que vous êtes en mesure de former les personnes que recherche l'ANPE. Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises recherchent des formations qu'elles ne trouvent pas et que vous pouvez apporter.

M. Gilbert Hyvernat : Le taux moyen de salaire d'un salarié de l'AFPA est de 19.000 francs par mois, bruts, hors charges patronales.

M. Jean-Jacques Jegou : Je vois que cela n'a pas beaucoup baissé, cela aurait plutôt augmenté.

M. Gilbert Hyvernat : L'ensemble du personnel est rémunéré 39 heures par semaine. Les formateurs, sur les 39 heures, disposent de quatre heures dites de préparation de l'enseignement. Ils sont donc en position d'enseigner auprès des stagiaires sur une durée moyenne d'environ 35 heures actuellement par semaine. Ils bénéficient d'une semaine de congés supplémentaires dite d'interstage, coupure entre le stage qui se termine et le stage qui reprend. Ils disposent par ailleurs, comme les uns et les autres, de différents ponts et d'accès à quelques départs anticipés.

M. Jean-Jacques Jegou : Combien de stagiaires y a-t-il en moyenne par formateur ?

M. Gilbert Hyvernat : Le taux d'encadrement par formateur varie selon les formations. Il va de 10 à 15 dans les sections dites de techniciens. C'est un paradoxe que l'évolution des nouvelles technologies devra casser. Les formateurs de formations de niveaux 3 et 4 ont moins de personnes en face d'eux. Ce sont les chiffres à l'entrée. La question de M. Jegou évoquait la situation suivante : nos formations sont longues - sept ou huit mois, voire plus - le zapping est un fait établi, le découragement peut prendre tel ou tel demandeur, les modèles de formation pratiquent à leur façon l'exclusion, c'est-à-dire qu'en cours de route, nous avons de l'évaporation avec le départ de certaines stagiaires. De ce fait, il est difficile d'établir un résultat net. Le formateur étant toujours rémunéré pour ce qu'il est, les installations et les frais fixes restant les mêmes, il peut arriver qu'une formation démarrant à quinze se termine à douze, voire dix. Cela change beaucoup les choses.

L'une de nos préoccupations est d'imaginer comment adapter notre offre de service pour pouvoir, le cas échéant, lorsqu'un stagiaire quitte une formation, le remplacer immédiatement par un autre. C'est l'une des questions fondamentales de la maison car, à terme, sa productivité en est extrêmement entachée.

Le taux des rémunérations est maintenant stabilisé grâce à une négociation salariale qui a lieu chaque année. Il comporte une part de rémunération fixe et une part de rémunération variable en fonction des résultats, ce qui est nouveau. Nous ne sommes plus sur les grilles de l'ancien temps. Le régime nouveau a fait voler en éclats des grilles qui provoquaient l'effet que vous mentionnez, à savoir l'impossibilité d'une première embauche dans une catégorie en dessous du salaire fixé pour celle-ci. Maintenant, des éléments permettent de rentrer dans des logiques promotionnelles et d'embaucher à des tarifs différents. De plus, le régime des congés des salariés de l'AFPA, dont les particularités s'expliquent par son histoire, a été touché. Par exemple, il faut attendre la fin des cinq premières années d'exercice pour pouvoir bénéficier de la semaine de vacances dite de Noël.

Cet élément a été probablement pris en compte dans la négociation sur la réforme du statut, qui a permis d'aboutir à la réduction d'un certain nombre d'avantages automatiques et de lier désormais ces avantages à des progressions à l'intérieur de l'établissement, de manière plus normale.

M. Jean-Jacques Jegou : Je considère que la réponse est close sur le plan du statut. Ne pensez-vous pas que votre entreprise a plus un aspect d'établissement public que d'association loi 1901 ?

M. Gilbert Hyvernat : Vous avez raison. Votre question est une question clé. Notre organisme a un statut un peu hybride. Dire qu'il en existe quelques autres de cette nature, n'est pas pour autant une réponse suffisante. Notre gouvernement est entré dans une certaine logique, et c'est ainsi qu'il m'a confié mission de ne pas aller vers une réforme du statut, mais plutôt vers une réforme de la production de services et de partenariats dans le champ de la formation professionnelle, notamment par le rapprochement avec l'ANPE et d'autres organismes périphériques.

Par conséquent, cette maison, désormais, n'est plus un bastion isolé avec ses financements publics et son statut hybride, mais un organisme de formation professionnelle, fonctionnant sur mission d'État et répondant tant aux incitations de l'ANPE qu'à celles d'un certain nombre d'organismes périphériques. C'est une révolution culturelle fondamentale.

Est-ce un chemin pris pour aller vers d'autres évolutions ? Je ne saurais le dire et je n'ai pas à le dire à mon niveau. Mais de manière solide et pragmatique, plutôt que d'affronter une question de statut qui reste une question très difficile, car elle suppose l'intervention de la loi, nous sommes rentrés dans une logique qui est de modifier le fonctionnement même et l'utilité de la maison, dans ses relations avec des partenaires et dans les objectifs qui lui sont attribués.

Les différents rapports établis par la Cour des comptes et par des personnes consultées à des titres divers, montrent bien, effectivement, que nous sommes tellement proches d'un fonctionnement public dans le contrôle, l'attribution des moyens, la gestion de la commande publique et la gestion des marchés publics, que l'on peut se demander pourquoi ne pas aller au bout. C'est la question posée. Pourquoi ne pas faire le chemin plus loin ? C'est une question politique à laquelle je ne m'affronte pas. Je sais, par contre, qu'il existe un certain nombre de résistances et de blocages extrêmement forts à l'intérieur de la maison, mais aussi peut-être à l'extérieur, chez ceux qui la supervisent dans les départements, dans les régions. Leur question, au fond, est la suivante : faut-il aller vers un statut différent du statut actuel qui, bien utilisé, bien appliqué en termes de missions et bien contrôlé, peut apporter tous les services que la nation est en droit d'attendre de cette maison ?

Une ambiguïté demeure, dans le débat interne, entre une vision technique qui conduirait à cette sorte d'évolution naissante et une vision plus rationnelle qui se demanderait ce que l'AFPA gagnerait à aller vers un EPIC ou un EPA ? C'est encore un débat très vif.

La position du directeur général est assez simple : ma mission est de faire travailler cette maison dans de bien meilleures conditions de transparence, de clarté et de production qu'elle ne l'a fait jusqu'alors. Nous verrons si, in fine, la question du statut est posée par les politiques et s'ils viennent provoquer une révolution dans ce domaine, à savoir un changement de statut.

Ma mission est bordée par le contrat de progrès pour les cinq années qui viennent, de façon que cette maison fonctionne mieux et dans la transparence, avec d'autres, et dans le champ de la commande publique étalonné et vérifié. C'est mon champ de référence actuel, mais je n'ignore pas que la question du statut pourrait se poser à terme pour cette maison.

M. Jean-Jacques Jegou : Vous n'avez pas vraiment répondu à M. Migaud. Que pensez-vous exactement de la productivité actuelle ? Je m'inquiète même de vos propos liminaires, suite aux questions de M. Jacques Barrot, dans lesquels vous parliez d'un changement radical. Des 80.000 stagiaires annuels, le contrat de progrès parle de passer à 250.000. Des moyens nouveaux vont donc être nécessaires. On vous dit ici que vous dépensez déjà trop d'argent, mais allez-vous nous en redemander ?

M. Gilbert Hyvernat : Il n'est pas totalement faux de dire que nous irons peut-être demander quelques moyens supplémentaires. On a évoqué le rapprochement avec l'ANPE. Aujourd'hui, on ne peut parler de fusion dans la mesure où les deux maisons ont des statuts totalement différents, et des institutions différentes. Ce serait un sujet politique de grande ampleur que d'envisager le rapprochement de ces deux maisons en termes de fusion.

Par contre, il nous a été demandé, à Michel Bernard, qui a dirigé pendant cinq ans l'ANPE et a contribué à l'amélioration constatée aujourd'hui, et à moi-même, de nous interroger sur la cohérence et sur la synergie. Les entreprises sont toujours à la recherche de rapprochements et de synergie. La question posée est de savoir si nous sommes capables d'établir des cursus continus pour des demandeurs d'emploi, à moindre coût de temps et engagement de l'argent public.

La deuxième question que vous évoquez est celle du développement. Peut-on faire un développement sans moyens supplémentaires ? Serons-nous capables de modifier considérablement notre gamme de services et la quantité de production effectuée en nombre de personnes ayant bénéficié d'actions de formation professionnelle, d'orientation ou d'évaluation, tout en restant dans la commande publique telle qu'elle est aujourd'hui ? Est-ce dans notre compétence et notre savoir-faire ? Nous prenons l'hypothèse que la capacité de redéploiement interne est forte.

Lorsque j'évoquais tout à l'heure le problème de nos mille et quelques comptables, se posait la question de savoir si chacun, dans cette maison, est affecté aux tâches qui conviennent, à savoir rendre des services à des demandeurs d'emploi en termes de formation, c'est-à-dire au métier lui-même ? Le risque souligné hier était que cette maison, ayant souffert d'une certaine forme de bureaucratie au fil des années, a généré dans son personnel un double panel de compétences : le panel de compétences qui traite de la demande d'emploi et de la formation et, avec un risque de phénomène bureaucratique, tout un ensemble de gens censés l'accompagner.

Le vrai problème de la maison est de rééquilibrer les moyens dont elle dispose plutôt que d'aller vers leur augmentation. C'est la définition retenue au sein du contrat de progrès. C'est ce que nos amis de Bercy appelleraient la recherche de nouvelles productivités...

On peut en prendre un exemple. Aujourd'hui un formateur forme quinze personnes en mille heures. Demain, pourra-t-il en former trente en cinq cents heures ? La durée de mille heures correspond-elle aux besoins de la personne ? Dans le monde où nous vivons, où la formation est un accompagnement tout au long de la vie, nous savons qu'il existe non seulement des besoins de reformation et de requalification très lourds, mais également des besoins qui peuvent se résoudre de manière beaucoup plus courte et apporter des réponses en deux ou trois cents heures. Cela doit être notre talent. Ainsi, notre dispositif aura une capacité de réponse et de service au public infiniment différente de sa position actuelle.

Mme Nicole Bricq : Vous nous avez brossé, en propos liminaires, l'avenir vu à la lueur du nouveau contrat de progrès, qui semble très intéressant. Toutefois, notre mission étant d'évaluer le passé, je vous poserai des questions très précises, en regard de l'information que j'ai et qui provient essentiellement du rapport de la Cour des comptes. Ces questions précises devraient appeler des réponses précises, me semble-t-il.

La première a trait à l'appréciation des résultats. Êtes-vous en mesure maintenant, comme la Cour le recommandait, de vérifier l'accroissement des taux d'insertion de vos stagiaires et des diplômés, ce qui n'était pas le cas à l'époque des contrôles ?

Le deuxième point est relatif à la place que l'AFPA occupe sur le marché de la formation professionnelle. J'ai bien noté la réorientation fondamentale, par le nouveau contrat de progrès, vers le public prioritaire, notamment les demandeurs d'emploi et les chômeurs de longue durée.

Sur le passé, j'ai vu qu'en 1995, les chiffres n'étaient pas bons, on avait fixé des objectifs apparemment trop ambitieux. Êtes-vous capable de nous donner le nombre de demandeurs d'emploi par rapport aux salariés ? L'AFPA fournit également des prestations à des salariés actifs. D'où partez-vous aujourd'hui par rapport à la mission qui sera la vôtre, en termes de demandeurs d'emploi ?

Le troisième point, un peu particulier, avait été relevé par la Cour des compte : il s'agit du problème des mises à disposition. Quelles mesures correctrices avez-vous utilisées ? La Cour des comptes ne contestait pas, autant que je m'en souvienne, le principe des mises à disposition, mais souhaitait une clarification des postes objets de mises à disposition et de la durée de ces dernières. Avez-vous effectué, dans ce domaine, les redressements nécessaires ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous procédons à une enquête de suivi longitudinale, qui permet de situer à six mois où se trouvent les stagiaires sortis qualifiés de notre dispositif. Nous savons aujourd'hui qu'en 1997, 47 % étaient dans un dispositif professionnel...

Mme Nicole Bricq : Comme nous sommes en 1999, ce sont les éléments sur les stagiaires de 1997...

M. Gilbert Hyvernat : Tout à fait, car le rapport 1998 ne sortira que dans un mois et demi. Le rapport 1997, le dernier en notre possession, nous indique que 47 % des stagiaires, sortis à six mois, occupent un emploi qui correspond à la compétence développée au sein de l'établissement. 17 % n'y sont plus ou sont dans d'autres emplois qui ne correspondent plus à leurs compétences. Nous ne savons pas où sont passés les 30 % qui nous manquent. C'est l'état actuel du suivi.

Par ailleurs, mais cela porte plus sur des actions futures, le précédent contrat de progrès comportait un certain nombre d'indicateurs sur le placement. Le nouveau contrat de progrès est encore plus précis puisqu'il comporte des batteries d'indicateurs ainsi que des enquêtes spécifiques et longitudinales sur le devenir par profession.

M. Philippe Auberger, co-président : Pour bien comprendre vos propos, vous comptez là les stagiaires en fin de stage. Il y a donc déjà eu le taux de perte dont vous avez fait état tout à l'heure et que l'on peut évaluer environ au tiers...

M. Gilbert Hyvernat : Non, à environ 15 %. Ce chiffre augmente dramatiquement. Il est passé, en cinq ans, de 12,5 % à 15 %. Notre problème est que les stagiaires, aujourd'hui, après leur orientation, ne restent pas pendant un temps suffisamment long à l'intérieur des formations. C'est un phénomène qui va en s'aggravant.

Il y a un très fort débat sur la nature des personnes venant à l'AFPA. Les chiffres de 1997 et de 1998 sont les suivants : 104.000 demandeurs d'emploi et environ 50.000 salariés venant d'entreprises, dans des conditions diverses. Toutefois, je rappelle que cette statistique en nombre de personnes ne correspond à rien, puisque les 104.000 stagiaires demandeurs d'emploi ont une présence d'environ 650 à 700 heures en moyenne par personne, alors que les salariés d'entreprises ont souvent des présences d'environ 40 à 80 heures en moyenne.

S'agissant des mises à disposition, j'ai trouvé une situation très marquée par le rapport de la Cour des comptes sur ce sujet ; il était, qui plus est, question d'emplois fictifs, de personnes mises à disposition mais dont on ne savait plus où elles étaient, ni ce qu'elles faisaient, et à quoi elles servaient. C'est une question à laquelle nous ne devons pas nous dérober. Dès mon arrivée au mois de juin, j'ai demandé un audit de cette situation, qui conduit maintenant aux résultats suivants.

Ainsi que la Cour des comptes l'a souligné, les mises à disposition sont autorisées par notre tutelle, y compris dans notre commande publique. Nous avons actuellement 116 personnes mises à disposition. Je vous en donne le détail réparti en quatre catégories.

Cinquante-neuf personnes sont employées dans les COTOREP. Il existe une demande récurrente pour augmenter nos mises à disposition au sein des COTOREP et pour pratiquer des techniques d'orientation pour les publics handicapés.

Huit personnes sont mises à disposition d'organisations régionales avec lesquelles nous travaillons et dans lesquelles nous avons une sorte de participation croisée, en particulier en matière d'études.

Quarante-deux personnes sont employées au niveau national, essentiellement au ministère de l'Emploi et de la Solidarité (les GEFP) et au ministère des Affaires étrangères.

Mme Nicole Bricq : Cette dernière catégorie de mises à disposition est tournée vers les administrations centrales...

M. Gilbert Hyvernat : Tout à fait. Enfin la dernière catégorie comprend sept mises à disposition au plan national, en particulier dans le cadre d'un partenariat avec le CEREC pour la conduite d'études en commun.

Ma politique actuelle est de faire en sorte que toute mise à disposition fasse l'objet d'un contrat clair, sur les modalités de rémunération, sur la mission et sur le retour financier qui est attendu de la mise à disposition. De même nous limiterons la durée des contrats de mises à disposition. Actuellement, à l'AFPA, il ne reste plus que 116 cas de mises à disposition contre 140 à 150 il y en a encore trois ans.

M. Pierre Méhaignerie : A partir du constat sur le terrain, on s'aperçoit qu'il faut être très courageux pour gérer l'AFPA. Si elle a eu un rôle important dans les années 1960 dans le cadre de la reconversion du monde agricole vers les autres formations, elle s'est énormément syndicalisée, rigidifiée et bureaucratisée. Ma première question est le suivant : quelle peur justifie la position du comité central d'entreprise devant ce qui devrait être une absolue nécessité, lorsque vous avez mentionné le résultat de la négociation de la semaine dernière ?

Par ailleurs, chacun constate aujourd'hui, sur le terrain, que l'appareil de formation professionnelle est surdimensionné. Il suffit de voir les deux ou trois pages de publicité que nombre d'organismes consacrent à attirer les stagiaires, pour constater que les stagiaires suivent des stages parce qu'ils reçoivent des dotations, mais qu'ils y vont sans aucune conviction.

Ma deuxième question est celle-ci. Dans la comparaison des rapports respectifs coût-qualité des différentes structures, nécessaire dans un système concurrentiel, l'AFPA serait mal placée. Ne croyez-vous pas que l'exigence première d'une bonne gestion serait, à terme, de réduire de 20 à 25 % les effectifs de l'AFPA, alors que l'on note qu'ils ont encore augmenté lors de ces dernières années ? Au moins faudrait-il gérer sérieusement le redéploiement, sans créer sans cesse de nouveaux postes ?

M. Gilbert Hyvernat : Du courage, il en faut chaque fois que l'on dirige. Cela fait donc partie du quotidien. Mais il est vrai que certains jours sont un peu rudes. Concernant votre question sur la peur, je m'interroge beaucoup sur cet état de fait. Un précédent ministre du Travail, que j'ai connu en d'autres temps, m'avait dit : « Mais pourquoi, lors de mes rencontres avec des gens de l'AFPA, à la troisième phrase, me disent-ils qu'ils sont inquiets ? Toutes les bonnes fées se sont penchées sur eux. » Nous étions alors dans les années d'opulence, et tout leur était dévolu. En dépit de cela, régnait un sentiment permanent d'inquiétude parmi les personnes de l'AFPA. C'est profondément culturel. J'en ai fait partie en son temps et je me rappelle fort bien cet état quasi permanent d'inquiétude.

J'ajouterai qu'aujourd'hui, tous les événements conduisent à renforcer ce sentiment d'inquiétude. En effet, nous parlons du statut, ce qui provoque un sentiment d'inquiétude. Que va-t-il se passer en cas de changement de statut ? Nous parlons également de la décentralisation... Il y a donc des motifs d'inquiétude réels concernant la position dans le champ de la formation professionnelle.

J'ajoute un point, le manque de fierté du travail accompli. L'idée serait de se dire que le travail peut-être dur, mais qu'il est tout de même reconnu, utile... Cela s'est un peu perdu, à la grande différence des années 1950 ou 1960, où l'on savait que l'on préparait la migration des campagnes, que l'on était utile pour la formation des maçons... Aujourd'hui, dans ce monde compliqué et moderne, on ne voit plus bien le sens de l'action que l'on conduit et, de ce fait, le sentiment d'inquiétude prévaut.

Mon travail consiste à calmer cette inquiétude pour essayer d'aboutir à la réussite, objet de votre deuxième question, d'un vrai travail de reconversion interne. Les missions ont été redéfinies : il va falloir augmenter le flux de gens qui traverse cette institution afin d'augmenter de manière considérable sa production et sa productivité. Nous voyons arriver cela au travers de la production sur l'orientation. Avec le même appareil, nous devons conduire des opérations d'orientation et, à terme, des opérations d'évaluation.

Quant à la troisième question que vous ouvrez, nous sommes, me semble-t-il, pris dans le paradoxe d'un pays qui affiche, pour près de 40 % de la population, un niveau de compétences inférieur au niveau 5. Je ne préjuge pas des besoins existants en face. Il y a aussi une sorte de mythologie qui consiste à dire qu'il faut toujours monter de niveaux. En tout cas, aujourd'hui, notamment par rapport à nos amis allemands, un peu moins par rapport à nos amis anglais, le niveau moyen de formation professionnelle de nos populations n'est pas excellent. Cet état de fait doit faire l'objet de réponses de la part des entreprises ou des services publics qui les accompagnent.

Dans le même temps, la question posée est beaucoup plus celle de la diversité des organisations de formation, et du manque de cohérence et de synergie entre elles. Incontestablement, il devrait y avoir de meilleures coordinations qui apportent plus d'efficacité et surtout de lisibilité. Au fond, l'avantage de l'AFPA est d'être relativement lisible par tout citoyen. Mais dès lors que l'on s'interroge sur sa formation professionnelle et au vu de la myriade d'organisations, cela pose un problème.

Enfin, l'autre extrémité du paradoxe est que si nous développons des formations tout au long de la vie, vont se poser la question de la nécessité de cette formation que l'on a envie de suivre et celle du type d'emploi, question que nous laisserons de côté. Le premier effet que nous mesurons dès aujourd'hui, dans notre maison, est la pression exercée sur le nombre de demandes de formation. Nous serons amenés à opposer un nombre de refus supérieur à celui de nos propositions actuelles.

La vocation de l'AFPA, lorsqu'elle reçoit quelqu'un, est de lui proposer dans les quatre mois qui suivent une solution de formation. En effet, demander à une personne d'attendre un an est contestable sur le plan social et éthique. Mais aujourd'hui, nous observons que le travail fait sur l'orientation provoque un abondement des flux de ceux qui demandent de la formation car ils y voient plus clair. Ils ont reçu une motivation et ont envie de s'y porter. Nous sommes donc là face à une redoutable contradiction.

M. Jérôme Cahuzac : En 1997, sur cent stagiaires inscrits à l'AFPA, quinze se sont évaporés en cours de formation et vous ne savez pas où se trouve un tiers d'entre eux, deux ans plus tard. Reste donc entre 55 et 60 % deux ans plus tard, dont une quarantaine exerce une activité correspondant à la formation reçue à l'AFPA. Pour avoir une idée plus précise, combien de stagiaires ont-ils été inscrits en 1997, de façon à mettre un chiffre précis sur ce 40 % ?

Concernant votre patrimoine immobilier et votre parc automobile, quelle politique envisagez-vous en matière de réduction des coûts ? Comptez-vous externaliser ou non un certain nombre de services ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous avons vu passer environ 104.000 personnes en 1998. Le taux de chute, deux ans après, est une question fondamentale. En effet, nous pensons que beaucoup plus de ces personnes devraient rester dans l'emploi pour lequel elles ont été formées à grands frais. Mais le comportement de l'individu dans sa vie personnelle et professionnelle est une chose sur laquelle nous avons peu de maîtrise.

Par contre, la question peut se poser de savoir si l'AFPA forme bien dans les bonnes spécialités. On peut former en tout, mais n'avons-nous pas mission de former dans des spécialités suffisamment durables, solides pour que la personne, changeant d'endroit, garde son métier ? Au fond, des gens peuvent quitter leur métier parce qu'il n'est pas très porteur ou ne présente que peu d'intérêt.

Sur les 100.000 personnes, environ la moitié disparaît au bout de deux ou trois ans, à l'intérieur de leur métier ou parce qu'ils exercent d'autres activités. Ne devrions-nous pas rechercher des formations qui assureraient une plus grande pérennité dans l'emploi par rapport une vision trop courte ?

Sur les coûts, nous n'avons pas la capacité d'externaliser un certain nombre de nos coûts. La question qui se pose à toutes les entreprises est celle de ses services informatiques. Notre service informatique en réseau est d'une grande lourdeur. Nous gérons de grands flux. Nous devons nous raccorder à l'ANPE. La question se pose de savoir jusqu'où nous pouvons externaliser, mais nous avons déjà commencé à le faire.

Nous pourrions également mener en partenariat un certain nombre de tâches que nous effectuons nous-mêmes aujourd'hui. Il s'agirait de traiter en sous-traitance des actions d'orientation ou d'évaluation. Ceci pourrait répondre à la question de l'augmentation des effectifs. Cependant, l'évolution de l'entreprise, ne révélera pas une grande facilité à externaliser comme cela peut être fait dans des mondes plus industriels.

M. Jérôme Cahuzac : Qu'en est-il de l'état du parc immobilier et automobile ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous avons 727 véhicules. Nous avons omis de mentionner tout à l'heure qu'à la demande insistante de la Cour des comptes, nous bouclons l'évaluation de notre patrimoine, ce qui n'avait jamais été fait. Nous connaissons maintenant l'ensemble de notre patrimoine mobilier et immobilier, et nous pourrons donc discuter d'amortissements, voire d'investissements, avec notre tutelle, sur la base de chiffres plus certains.

M. Jérôme Cahuzac : Avez-vous un ordre de grandeur ?

M. Jean-François Danon : L'opération d'inventaire du patrimoine immobilier sera terminée en juin 1999. Le patrimoine immobilier, de 2 millions de mètres carrés, a une valeur estimée de 12 milliards de francs et une valeur nette comptable de 3,5 milliards. Le patrimoine mobilier est d'environ 2,6 milliards.

M. Jean-Jacques Jegou : Cela ne pose-t-il pas un problème juridique car ces bâtiments appartiennent à l'État ?

M. Jean-François Danon : Tout à fait.

M. Jean-Jacques Jegou : La Cour des comptes devra nous expliquer clairement ce qu'il faut en faire.

M. Jean-François Danon : Tout à fait. Dans ce patrimoine, il y a deux catégories : les biens qui appartiennent à l'État, largement majoritaires, et quelques biens propres de l'association. Mais cela ne nous a pas empêché de faire l'opération d'inventaire. C'est retracé au bilan de l'AFPA et, au budget de l'an 2000, vous verrez apparaître des dotations aux amortissements équilibrées par des reprises de subventions.

M. Daniel Feurtet : J'encourage le directeur général de l'AFPA à faire en sorte que le dialogue social soit un élément de la productivité de l'entreprise, même s'il y aura forcément des moments de confrontation, et si le dialogue social n'est pas toujours aisé.

Vous avez parlé de synergie. Je viens de l'enseignement professionnel, en tout cas j'en ai bénéficié. Toutes ces dernières années, nous avons observé une certaine tendance à considérer l'orientation vers l'enseignement professionnel comme étant dévalorisante pour la personne concernée. Nous avons pris, de ce point de vue, un retard considérable. Vous savez, comme moi, que si vous n'aviez pas bien réussi au collège, on vous orientait vers l'enseignement professionnel. C'était scandaleux du point de vue de l'éthique et de l'orientation, mais cela a aujourd'hui des conséquences assez redoutables sur un certain nombre de métiers.

Quels sont les rapports et les liens possibles entre cet enseignement professionnel assurant la formation initiale, et l'AFPA, qui non seulement doit être un élément d'adaptabilité aux transformations du marché de l'emploi, mais qui pourrait aussi se situer plus dans la nécessité d'une formation dite continue ? La synergie ne va-t-elle pas plus fortement de l'enseignement professionnel initial vers ce maillon que constitue l'AFPA, dans le parcours professionnel des uns et des autres ?

M. Gilbert Hyvernat : Nous avons coutume de dire que, cette maison a été située dans le champ de la promotion sociale au sens qu'on lui donnait dans les années 1950 et 60. Il est évident qu'aujourd'hui, cette notion mérite d'être révisée et que le positionnement même de l'AFPA en subit quelques conséquences.

Mais ceux qui viennent nous voir considèrent toujours - cela renvoie à la qualité de nos formations - le parcours d'apprentissage qu'ils font au sein de l'AFPA comme une revalorisation : leur enseignant est en effet un véritable professionnel reconnu. Nous avons vingt-cinq Meilleurs ouvriers de France parmi nous : ils nous donnent une image prestigieuse aux effets très positifs.

Par ailleurs, nous travaillons sur des matériaux et des situations qui correspondent à la situation du travail. Notre formation n'a donc pas une image un peu théorique, ayant peu de choses à voir avec le terrain pratique.

Pour terminer, on trouve du travail quand on sort d'une section AFPA. C'est une évidence. Il y a donc le côté positif. Le danger, est que la durabilité dans l'emploi qui suit soit modeste ou bonne, selon les cas. Néanmoins, à la sortie d'une formation AFPA, la reconnaissance par les employeurs est telle qu'il y a revalorisation de la personne et placement dans l'emploi.

M. Gilles Carrez : Je voudrais revenir sur les questions de recrutement. Quelle est la pyramide des âges à l'AFPA ? Des départs à la retraite sont-ils prévus en nombre important dans les prochaines années et comment, par rapport à cette évolution, - pyramide des âges et départs à la retraite - envisagez-vous les politiques de recrutement ?

M. Gilbert Hyvernat : Le directeur général est navré de n'avoir pas un âge qui convient bien à la pyramide des âges. Je me régalerais certainement si la pyramide des âges permettait de créer un flux d'écoulement plus grand. Cela se produira dans trois ou quatre ans. Outre la retraite à 60 ans nous disposons aujourd'hui de procédures comme l'ARPE qui permettra à des gens, qui disposent des annuités suffisantes, de partir plus tôt.

Le turnover moyen de cette maison, pour les trois ou quatre années à venir, est d'environ 250 à 300 personnes par an, sur l'ensemble du dispositif ; il est très modeste sur la partie des formateurs et psychologues, qui n'est pas l'endroit de la grande transformation où je vais pouvoir disposer de moyens certains de renouvellement.

Quant au recrutement, nous nous dirigeons vers des capacités de recrutement un peu moins historiquement « bétonnées » qu'elles ne le furent auparavant. Je rappelle qu'il fallait quasiment deux ans pour embaucher un enseignant. Certains enseignants devaient même recevoir un avis de la commission professionnelle consultative. Dans nos recrutements, dont les procédures vont être simplifiées, nous chercherons à obtenir un ensemble de polyvalences évidentes pour effectuer éventuellement des conversions en cours de route. Les personnes recrutées ne seront plus des personnes extrêmement pointues dans leur métier, ce qui est une noblesse, mais également un embarras. En effet, si une conversion s'avère nécessaire dans dix ans, nous ne pouvons plus changer du fait de la précision du métier des personnes.

En conséquence, nous rechercherons plus de personnes polyvalentes, probablement plus jeunes, avec des recrutements plus rapides que par les systèmes anciens.

M. le Rapporteur spécial : On peut se demander s'il ne faut pas que l'AFPA dispose de personnes qui y viendraient enseigner, tout en ayant des carrières qui pourraient se terminer ailleurs. En effet la formation professionnelle est un monde où il faut constamment s'adapter. Comme vous l'avez très bien dit à l'instant, l'AFPA recrutait souvent des gens extrêmement pointus, qui avaient fait la démonstration de leurs capacités, mais dans un secteur très précis. Comment pouvaient-ils être optimisés sur la durée de toute une carrière ?

Je prends acte de la manière excellente dont M. Hyvernat connaît le dossier. Notre commission et la mission devront examiner de près - j'aurai l'occasion de revoir M. Hyvernat à cet égard - comment il pourra assurer cette mue de l'AFPA. J'approuve l'orientation prise de recentrer l'AFPA sur les chômeurs de longue durée, car les problèmes d'employabilité que nous connaissons dans ce pays seront les problèmes majeurs de l'avenir. Il sera nécessaire d'avoir un « offreur » de formations plus particulièrement tourné vers ces publics.

Dans le même temps, que ferez-vous des services que vous avez hérité de l'histoire lorsque la préoccupation était plutôt la performance ? On oublie de mentionner que certaines sections de l'AFPA sont très performantes. On trouve des Meilleurs ouvriers de France à l'AFPA. Passer d'un objectif à l'autre ne sera pas chose toujours facile.

Vous avez ajouté un second point très important, la fierté d'un personnel qui veut savoir à quoi il sert. Vous avez également mis le doigt sur un élément très intéressant, cette fonction d'orientation qui pourrait être parfaitement assumée, en liaison étroite avec l'ANPE. Il me semble que c'est dans ce domaine, que l'AFPA devrait pouvoir trouver ses lettres de noblesse à venir.

M. Gilbert Hyvernat : Je reste à votre disposition. Merci de m'avoir permis cet exercice qui m'a fait réviser et préciser nombre de choses. Lorsque l'on est sur le vélo et que l'on pédale, on a quelques difficultés à préciser le chemin que l'on va suivre. C'était une formidable occasion de reposer les problèmes politiques et de stratégie, suite aux questions acides qui conviennent.

Le Président Augustin Bonrepaux : Je vous remercie de vos réponses. Je vous adresse mes encouragements pour améliorer la gestion de l'AFPA et pour aller vers plus de rigueur et plus de performance.

4.- AUDITION DE MM. JEAN MICHELIN, DIRECTEUR DE LA FORMATION AU SEIN DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU BÂTIMENT, ET JACQUES LAIR, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE LA FORMATION

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 8 avril 1999)

Présidence de M. Augustin Bonrepaux, Président

A l'invitation du Président, MM. Jean Michelin et Jacques Lair sont introduits. Le Président leur rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses. Il donne ensuite la parole, pour une première question, à M. Jacques Barrot, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan sur les crédits de la Formation professionnelle.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Depuis le début de ces auditions, nous avons regardé comment parvenir à un meilleur contrôle de la formation professionnelle et des fonds qui y sont engagés ; il était intéressant de les terminer par les bénéficiaires, en tout cas par ceux qui expriment les besoins en formation professionnelle.

Pouvez-vous brièvement nous rappeler les besoins en formation et les dispositifs qui vous paraissent actuellement les plus intéressants. On s'interroge, par exemple, sur le capital de temps de formation, dispositif un peu nouveau. Quel usage en a été fait ? Qu'en est-il du congé individuel de formation et de l'alternance ?

Par ailleurs, s'agissant du financement, nous aimerions savoir avec combien d'OPCA le bâtiment est en relation. La collecte des fonds nous a paru, au cours de ces auditions, quelque peu obscure. Nous aimerions également savoir si vous avez des moyens d'évaluation de leur efficacité.

En dernier point, la question se pose de savoir si la formation professionnelle continue ne devrait pas, de plus en plus, faire l'objet d'une validation des acquis et des compétences pour que l'on ait des repères et qu'on discerne ainsi si la formation professionnelle à la française est efficace.

M. Jean Michelin : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je tenterai, sous le contrôle du président Lair, de répondre à votre première série de questions. Dans une profession telle que la nôtre, regroupant 266.000 entreprises et comptant 1,05 million d'actifs dont 800.000 salariés et 250.000 artisans, les besoins sont très diversifiés. Ils ne s'expriment pas de la même manière dans l'entreprise Bouygues que chez l'artisan qui travaille avec deux salariés dans nos provinces. Il nous a fallu inventer des dispositifs qui puissent apporter des réponses ou accompagner les entreprises dans l'expression et la satisfaction de leurs besoins, en matière de formation.

Nous comptons environ vingt-cinq métiers différents dans le bâtiment. Les besoins sont très différents entre les métiers de l'électricité, ceux de la maçonnerie, ceux de la menuiserie, ou encore ceux d'entreprises qui construisent des édifices tels que le Grand Stade.

Nous avons effectivement mis en place un certain nombre d'OPCA. Le plus vieil OPCA du monde, le 3CA-BTP, a probablement été inventé par le BTP : il a été créé après la guerre. C'est notre système de financement, d'animation, de co-financement avec les conseils régionaux et d'animation de la pédagogie et de la qualité de notre apprentissage. Aujourd'hui, nous formons 65.000 apprentis dans notre profession, ce dont nous sommes fiers. Si toutes les professions suivaient notre exemple, il y aurait plus d'un million d'apprentis en France et nous n'aurions sans doute plus le problème du chômage des jeunes.

Nous avons donc l'habitude des organismes paritaires collecteurs de contributions d'entreprises et gérés paritairement. Ils rassemblent les neuf organisations - quatre d'employeurs et cinq de salariés - sur l'ensemble du territoire. Ils négocient et gèrent avec les conseils régionaux et l'État, les dispositions qui ont permis le développement du système d'apprentissage. De la même manière, lorsque la formation continue a été instaurée en France, nous avons créé un premier OPCA, qui s'appelait à l'époque FAF - le GFC-BTP- dès 1972, avec des relais dans l'ensemble des régions, que nous appelons les AREF. Avec ce dispositif, nous avons pu mettre en place un système de proximité, d'accompagnement des entreprises, de relations avec l'offre de formation.

Il a toutefois été nécessaire de remettre de l'ordre dans ce système au début des années 1990. En effet, nous avons eu alors à subir la crise du bâtiment pendant laquelle nous avons perdu 250 000 emplois, le changement de réglementation, le rapport de l'IGAS en 1992, celui de la commission Ueberschlag-Goasguen. Ces différents éléments nous ont poussé à reprendre la main et à faire en sorte que le dispositif soit plus fluide, plus transparent, plus performant, plus proche des entreprises.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial Pouvez-vous nous dire, quant aux différents axes de formation-alternance, capital temps formation, congé individuel de formation-l'effort que cela représente ?

M. Jean Michelin : Sur l'effort en matière de formation continue, je peux vous citer quelques chiffres. Nous sommes aujourd'hui à dix mille contrats d'alternance. Ce sont, majoritairement, des contrats de qualification au nombre, fin 1997 ; de huit mille, les deux mille restant sont des contrats d'adaptation ou d'orientation, qui ont quelques difficultés à démarrer dans notre profession.

Dix mille contrats de qualification ? Est-ce beaucoup, trop ou pas assez ? Il faut, pour répondre, tenir compte du fait que nous avons 65.000 apprentis : globalement, nous avons donc 75.000 jeunes en contrat de travail - apprentissage ou alternance - dans nos entreprises. Il faut ajouter à cela le fait que près de cent mille jeunes préparent un diplôme du BTP dans les établissements de l'Éducation nationale. L'AFPA est un grand prestataire de formation pour le compte du BTP ; elle nous fournit, chaque année, 26.000 demandeurs d'emploi qu'elle a formés pour nous.

Pour financer les dix mille contrats d'alternance, nous avons dû faire appel à la grande mutuelle AGEFAL. Dans les entreprises de moins de dix salariés, nous collectons environ 25 millions et nous avons un « chiffre d'affaires » annuel de 150 millions : depuis toujours, nous bénéficions de la mutualisation offerte par l'AGEFAL.

Le capital de temps de formation est un dispositif récent. Dans une profession telle que la nôtre, avec sa multitude d'entreprises sur l'ensemble du territoire, il n'est pas aisé de faire passer une réforme du jour au lendemain. Certes, les grandes entreprises du BTP s'approprient très rapidement les dispositifs nouveaux. Cependant, l'effectif moyen dans les entreprises de plus de dix salariés est de 35, grands groupes compris, et dans les entreprises de moins de dix salariés, l'effectif moyen est inférieur à trois.

Il faut du temps pour faire comprendre un nouveau dispositif tel que le capital de temps de formation, ses règles de financement, ses critères de prise en charge. Il a eu quelques difficultés à monter en puissance, mais c'est maintenant chose faite puisqu'en cette fin d'année, nous aurons résorbé les reliquats des années précédentes. Ce dispositif fonctionne, il rend service en permettant principalement d'accompagner la promotion. La promotion, dans nos professions, signifie qu'un ouvrier devient assez rapidement ouvrier hautement qualifié, puis chef d'équipe de quatre ou cinq unités. Elle est donc très importante et, souvent, elle se fait grâce à ces financements qui sont individualisés. Le capital de temps de formation est une bonne réponse.

Le CIF, que nous ne gérons plus car il est géré dans les FONGECIF régionaux, avait, lorsqu'il était géré par la profession, cette vocation première de promotion professionnelle et d'accompagnement des projets personnels. Nous avons regretté le départ du CIF. Cela dit, nous le compensons progressivement par la mise en oeuvre du capital de temps de formation qui repose sur la démarche personnelle de l'individu, son ambition de promotion au sein de l'entreprise ou de la profession.

Notre contribution au CIF est actuellement supérieure à ce que nos salariés en reçoivent.

S'agissant du régime du plan de formation, actuellement, le nombre total des bénéficiaires d'actions de formation continue dans les entreprises du BTP, qu'elles aient plus ou moins de dix salariés, est, en 1997, de 137.000. Les chiffres seront quasiment les mêmes en 1998.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial Considérez-vous que les moyens financiers mobilisés, qui sont des prélèvements collectifs obligatoires, affectés à la formation professionnelle initiale et continue, sont satisfaisants ? On peut discuter de la nature exacte de tels prélèvements au regard d'une branche telle que la vôtre. Pourrait-on, soit les réduire en les optimisant, soit à terme les accroître ?

M. Jean Michelin : Notre système repose sur les deux principes de la mutualisation et de la solidarité. En effet, les unités étant très petites et la contribution minimum étant réduite, il faut faire jouer le principe de la mutualisation pour aider les entreprises qui veulent développer de la formation. Par exemple, la mutualisation nous permet d'offrir aux entreprises de moins de cinquante salariés, le doublement de leur crédit de formation. On a souvent noté que le système ne bénéficiait pas toujours aux très petites entreprises et aux PME, mais principalement aux très grandes entreprises : grâce à ce système de mutualisation et à une politique volontariste, nous pouvons contribuer au développement de la formation dans les PME. Pour l'instant, j'ai envie de dire que c'est suffisant. Nos politiques de formation continue me paraissent répondre aux attentes, d'autant que les partenariats se sont développés avec les pouvoirs publics, de manière générale, dans toutes les régions. Dix-huit conseils régionaux ont signé des contrats d'objectifs avec le bâtiment tant en formation initiale qu'en formation continue. Nous avons des engagements de développement de la formation qui, eux aussi, permettent d'accéder aux aides de Bruxelles, etc. Globalement, il me semble que l'on répond aux attentes pour la formation continue.

Pour la formation des jeunes, nous sommes en difficulté. Heureusement, nous avons la mutualisation à l'AGEFAL. Celle-ci donne 100 millions par an au régime de la formation en alternance dans les entreprises de moins de dix salariés. Dans les entreprises de plus de dix salariés, cette année, l'OPCA Bâtiment va demander à l'AGEFAL des crédits d'environ 30 ou 40 millions, sur une collecte de 200 millions. Cela étant, nous nous en sortons bien. Nous avons la conscience tranquille.

En effet, si nous bénéficions de la solidarité interprofessionnelle, nous contribuons peut-être plus que d'autres à la solidarité nationale, justement par le biais de la formation des jeunes où l'on fait un très gros effort en formation d'apprentis. Bien sûr, ils ne restent pas tous dans nos entreprises, ce que l'on pourrait regretter, mais on les retrouve au service entretien d'un collège ou d'une autre administration. On peut considérer, de manière générale, que le bâtiment est solidaire dans cet ensemble.

Dans le total des OPCA, je n'inclus pas l'OPCA historique, le 3CA qui n'est pas tout à fait un OPCA au sens de la réglementation puisqu'il vit d'une taxe parafiscale et non pas d'une contribution des entreprises.

Le FAFSAB, un OPCA spécifique aux entreprises de moins de dix salariés, a été créé il y a dix ans. Le législateur de 1971 n'avait pas introduit d'obligation légale de dépenser pour ces entreprises. C'est à partir d'un accord dans l'artisanat que le législateur a repris le dispositif en 1989 et, dès lors, s'est créé dans l'artisanat, un FAF (fonds d'assurance formation spécifique) pour nos 400.000 salariés de l'artisanat. Par ailleurs, nous avons un OPCA Bâtiment pour les entreprises de plus de dix salariés, soit 14.000 entreprises qui représentent 451.000 salariés. Dans le paysage du BTP, nous avons aussi un OPCA Travaux publics dont je ne suis pas autorisé à parler.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Dans votre réponse à M. Jacques Barrot, vous avez dit recourir aux services de l'AFPA. Recourrez-vous à d'autres organismes publics pour assurer les formations ? Êtes-vous satisfait de l'efficacité des prestations apportées par ces organismes ? Pouvez-vous nous apporter également des précisions sur le ratio coût/efficacité, que vous pouvez vous-même calculer ? Avez-vous établi une grille de calcul de coût moyen par type de formation ? Comment se situent ces organismes publics par rapport à d'autres organismes qui peuvent exister ?

M. Jean Michelin : Effectivement, l'AFPA est un grand partenaire. Le budget qu'elle consacre aux actions de formation du bâtiment est considérable : nous l'estimons à environ 1,5 milliard. L'AFPA répond au besoin d'une formation très professionnelle et moins théorique qu'ont des salariés adultes prêts à entrer dans nos entreprises du bâtiment et qui y évolueront. Certains d'ailleurs deviennent, après quelque temps, artisans.

Ne me faites pas dire que l'AFPA ne travaille que pour l'artisanat, ce ne serait pas vrai. De grandes entreprises du bâtiment ont des partenariats avec l'AFPA, tant pour la formation que pour des évaluations ou des dispositifs d'orientation.

Dans l'Éducation nationale, la profession travaille avec des GRETA, selon une politique de partenariat très forte. Nos relais régionaux des OPCA ont, depuis plusieurs années, développé ou apporté de l'ingénierie et de l'aide à des GRETA afin d'offrir des formations ouvertes en permanence, dans des unités ou centres spécifiques au bâtiment. Cela marche bien. Les entreprises en sont satisfaites.

L'AFPA et l'Éducation nationale sont les deux grands partenaires, mais nous en avons d'autres dans la profession. Nous travaillons évidemment avec les 90 CFA du bâtiment et les Compagnons du devoir, qui sont de grands formateurs, chacun répondant à des attentes différentes des entreprises.

Aujourd'hui, nous expérimentons des dispositifs d'évaluation et de certification, par rapport aux titres existants du ministère du Travail ou aux diplômes de l'Éducation nationale. Ce point sera à l'ordre du jour de nos commissions paritaires de l'emploi qui se tiendront la semaine prochaine, afin d'étudier la possibilité d'accompagner ces dispositifs de validation et de certification des qualifications et des compétences.

S'agissant des coûts, je ne suis pas très bien placé pour vous les donner dans le détail. Pour les 137 000 salariés ayant suivi une action de formation continue dans le bâtiment en 1997, le coût moyen était d'environ 147 francs de l'heure, coûts pédagogiques, salaire et frais de stage compris. Ce coût se situe tout à fait dans la moyenne et il serait même plutôt dans la moyenne inférieure.

M. Didier Migaud, rapporteur général : Comment se situent l'AFPA et les GRETA par rapport à ce coût moyen ?

M. Jean Michelin : Cela dépend de la nature du stage, du niveau d'intervention. Il est certain que lorsque la grande école spécialisée des ingénieurs de travaux publics, l'ESTP, offre une action de formation continue à des ingénieurs, le prix est plus élevé. Pour la formation des ouvriers, - 78 % de nos salariés sont des ouvriers -, consistant en des actions de perfectionnement technique, de mise à niveau dans les domaines généraux, les prix sont de 150 francs, plus ou moins 20 %, quel que soit l'organisme intervenant.

Il y a eu quelques abus, notamment dans l'utilisation du capital de temps de formation pour des formations liées au développement informatique, mais les conseils d'administration des OPCA se sont emparés de l'affaire afin d'y remettre de l'ordre.

M. Francis Delattre : S'agissant de l'offre, avez-vous l'impression qu'elle est un peu débridée ? Avez-vous vécu des cas de gabegie concrets dans votre secteur ? Par ailleurs, nous entendons souvent les maîtres d'oeuvre nous expliquer qu'ils ont des difficultés à trouver tel ou tel métier. Pouvez-nous dire plus précisément quels sont les métiers qui, aujourd'hui, vous paraissent mal pourvus par la formation professionnelle ?

M. Jacques Lair : Pour répondre à la deuxième partie de votre question, l'évolution de nos professions est très importante. Il y a quelques années, nous étions plutôt sur le tout neuf et aujourd'hui, nous sommes à plus 50 % dans le domaine de la réhabilitation. Il est évident que le savoir-faire et la connaissance requis par un ouvrier ou un cadre pour mener à bien des travaux neufs ou de réhabilitation sont totalement différents.

Il est vrai que, avec certaines spécificités, mais cela s'applique à tous les métiers, que ce soit le gros oeuvre ou les corps d'état techniques, chauffage, plomberie, électricité, climatisation, nos déficits sont actuellement importants. C'est toute la réactivité de notre système qui doit permettre d'y remédier ; les partenariats établis, que ce soit au niveau du ministère de l'Éducation nationale ou de l'AFPA, nous permettent d'y répondre assez facilement. Toutefois, nous savons que sur tout l'aspect réhabilitation, nous sommes amenés à une action de formation importante.

Le Président Augustin Bonrepaux : Monsieur Delattre, avez-vous eu toutes vos réponses ?

M. Francis Delattre : J'ai l'impression que l'offre de formation professionnelle, dans ce secteur comme dans d'autres, est un peu débridée. On peut avoir un avis différent.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Avec votre mécanisme interne de formation dans les OPCA, et vos 90 centres de formation pour l'apprentissage, vous contrôlez une grande partie de l'offre. Toutefois, lorsque vous devez recourir à des organismes formateurs extérieurs, n'avez-vous pas le sentiment parfois d'avoir un résultat médiocre pour un coût relativement élevé ? C'est peut-être moins vrai dans le bâtiment où l'on reste très proche des réalités, mais n'avez-vous pas des exemples d'offreurs de formation qui ne sont pas tout à fait à la mesure des ambitions qu'ils proclament et des services qu'ils prétendent apporter ?

M. Jacques Lair : Tout à fait. Nous l'avons constaté, mais dans une période plus ancienne. Dans la période récente, les entreprises et leurs salariés ont appris à acheter de la formation et à faire un cahier des charges pour répondre aux besoins de l'entreprise et de ses salariés. Nous avons beaucoup progressé. Les services d'études ou d'ingénierie des AREF se sont penchés sur le sujet pour répondre justement aux besoins des entreprises.

Aujourd'hui, la formation se fait à la carte. Nous insistons beaucoup, dans notre fédération, sur la réponse aux besoins spécifiques, en faisant une évaluation préalable du salarié et en déterminant ce vers quoi on veut qu'il aille, de façon que la formation soit bien calquée sur le besoin.

Lors de certaines périodes, on sait qu'il y a eu quelques exemples, sinon de gabegie - le mot est peut-être fort - du moins d'exagérations.

M. Jean-Jacques Jegou : Mes deux questions tournent autour du débat que nous avons actuellement. Notre rapporteur spécial, Jacques Barrot, a bien spécifié que la profession du bâtiment est l'un de ceux qui ont le mieux organisé le champ de la formation. Mes questions seront peut-être redondantes ; elles visent à clarifier le débat.

Dans le secteur du bâtiment, existe-t-il des structures qui établissent les besoins et les expriment en termes de demandes annuelles ou pluriannuelles ? En effet, en tant qu'élu local, aussi bien dans les appels d'offres dans nos relations avec les entreprises sur le terrain, nous avons tous au moins dit une fois que l'on ne trouve jamais ce dont on a besoin.

J'irai plus loin. Le type de population que l'on voit sur les chantiers montre bien qu'il reste encore des efforts à faire, si l'on veut y voir nos jeunes. Sans vouloir exagérer les choses, il y a encore très peu de temps, on voyait sur les chantiers, principalement, des travailleurs d'origine portugaise qui, par la suite, ont amené des travailleurs d'origine angolaise et de " formation " portugaise. Cette constatation amène à conclure que certaines demandes ne sont pas satisfaites. En premier lieu, comment établissez-vous leur état ?

Par ailleurs, vous citez des chiffres faramineux : 266.000 entreprises ; vingt-cinq métiers différents ; 1,05 million d'actifs, dont 800.000 salariés et 200.000 artisans. Quant aux jeunes, vous citez le chiffre de 75.000 dans les entreprises - 65.000 apprentis et 10.000 contrats d'alternance - et, en ajoutant les jeunes en formation dans l'Éducation nationale, un total de 100 000 jeunes. Ce sont les données de départ. Qu'en est-il à l'arrivée ?

Vous parlez principalement de l'AFPA, dont nous venons d'auditionner le directeur général et vous évaluez son budget formation pour le BTP à 1,5 milliard, ensuite vous mentionnez les GRETA... Tout cela s'empile. A-t-on calculé un coût total ? Vous avez parlé de l'évaluation de la formation, mais cette formation ne perd-elle pas en ligne entre le moment où l'on a fait la dépense - pour l'AFPA, on a parlé d'un pourcentage de stagiaires qui se perdait dans la nature - et l'arrivée dans les entreprises ? Comment sont arrêtés les besoins en formation de salariés ? Pourquoi ceux-ci ne se retrouvent-ils pas sur les chantiers de nos entreprises ? Celles-ci ne refusent-elles pas souvent des chantiers car elles n'ont pas la main d'oeuvre suffisante ?

M. Jean Michelin : Nous travaillons beaucoup sur l'essai d'identification des besoins, avec plus ou moins de succès, il faut le dire. Au niveau national, nous avons redonné aux commissions paritaires nationales de l'emploi, cette ambition de mieux appréhender les besoins, les flux, les renouvellements... Nous nous entourons d'expertises provenant de nos propres organismes, et nous avons établi avec le CEREQ un partenariat au terme duquel sortira, dans l'année à venir, un tableau de bord permanent de l'évolution des emplois et des qualifications des jeunes dans notre secteur.

Il est vrai que, bien que nous formions un grand nombre de jeunes, jamais nous n'en avons eu aussi peu dans nos entreprises. C'est un réel problème. On ne sait comment les garder. On peut nous dire que les entreprises ne les paient pas... Il est possible de trouver toutes sortes de raisons à cet état de fait.

M. Jean-Jacques Jegou : L'image du bâtiment peut-être ?

M. Jean Michelin : On pourrait également développer cet aspect. Au niveau national, nous essayons d'appréhender des grands indicateurs avec les grands experts de la nation sur ces questions. C'est vraiment à l'ordre du jour de nos travaux actuels. Par ailleurs, nous avons mis en place, dans chaque région ou presque, des observatoires emploi-formation BTP, complémentaires des OREF des conseils régionaux. Ces observatoires travaillent sur l'intérim dans le bâtiment, sur les besoins en renouvellement des jeunes et également sur le besoin en renouvellement des chefs d'entreprise, dont 30 % vont passer le relais dans les dix années à venir.

Ces observatoires réunissent des partenaires de l'acte de construire : la cellule économique, notre AREF, les représentants des CFA, les partenaires sociaux, parfois l'État et ses services, les conseils régionaux. Notre objectif est de bien appréhender la dimension de l'offre, notamment de l'apprentissage : nous avons augmenté de 50 % les effectifs d'apprentis en quatre ans, alors que, dans la même période, nous avons perdu environ 250.000 emplois.

Il faut travailler - c'est l'un des points de notre négociation de la semaine prochaine - sur la fidélisation des jeunes qui, pendant quatre ans, préparent, par exemple, un CAP ou un brevet professionnel. Le brevet professionnel, dans nos professions, est un diplôme très apprécié car nous avons des métiers à fort contenu de savoir-faire. Nous travaillons donc sur la fidélisation. L'accord, signé entre toutes les organisations le 6 novembre dernier, affiche cet objectif et met déjà en avant des perspectives de fidélisation.

Par ailleurs, le dispositif des associations régionales de formation, mis en place depuis vingt ans, contribue à accompagner les entreprises dans l'expression de leurs besoins. Il n'est pas toujours facile à une entreprise de le faire. Elle sait qu'elle doit trouver un marché et qu'elle a besoin de personnels, mais si on lui demande de formuler ses besoins à horizon de cinq ans, elle ne sait pas bien faire.

Nous avons investi 20 millions de francs pour former à l'expertise, dans ce domaine, nos conseillers qui assurent ce service de proximité auprès des entreprises. L'objectif est de faire préciser la stratégie de l'entreprise, de lier stratégie, démarche qualité, démarche compétences, d'évaluer les besoins de renouvellement. Il s'agit de jouer un réel rôle d'interface entre l'entreprise et l'offre de formation, et de peser sur cette offre.

Nous avons divisé par deux certaines des prestations de l'AFPA, non pas en termes de coûts, mais de durée de formation, car nous avons été en mesure de mieux l'évaluer. Avec tous les autres formateurs, nous suivons cette démarche de charte qualité. Nous mettons en place des outils de diagnostic pour mieux appréhender le besoin de formation et accompagner les entreprises.

Reste que, pour le moment, l'on n'a pas rassemblé tous ces indicateurs de manière à savoir quel est l'investissement total pour une profession telle que la nôtre. La difficulté provient de l'existence, dans notre champ d'activité, d'un élément dont on parle rarement, mais qui est très important, la formation sur le tas. On apprend en faisant, c'est encore plus vrai dans nos métiers manuels, et cette démarche n'est pas toujours valorisée. On nous dit parfois que nous ne sommes pas très bons, en termes de pourcentage du chiffre d'affaires des entreprises dans l'investissement en formation continue, mais l'investissement interne de formation sur le " tas " n'est jamais comptabilisé, les critères actuels légaux ne nous le permettant pas.

M. Jacques Lair : Il y a peu de choses à ajouter. Il est certain que, sur la fidélisation, nous nous posons des questions. Nous avons perdu 250.000 emplois en peu d'années, tout en étant constamment en recherche de personnels ayant un profil plus adapté à l'activité qui allait bouger. L'existence de ce flux d'entrants et de ce flux de sortants n'est pas facile à expliquer. Les entreprises ont aussi des difficultés à exprimer leurs besoins, elles ne savent pas trop ce qu'elles vont faire demain.

L'absence de perspectives des entreprises a été certainement l'un des vecteurs qui nous a fait perdre beaucoup de l'important investissement financé par le biais des cotisations des entreprises, des contributions de l'État, des collectivités locales ou régionales.

Actuellement, nous arrivons à mobiliser davantage les entreprises puisque les perspectives semblent meilleures dans le bâtiment.

M. le Rapporteur spécial Avec la régionalisation qui s'est affirmée en quelques années et vos rapports avec les conseils généraux, avez-vous trouvé les partenariats que vous souhaitiez, même si vous étiez déjà structurés ? Vous avez mentionné dix-huit régions ; à notre connaissance, il y en a un peu plus, donc certaines n'ont pas signé. Vous avez des contrats d'objectifs. Estimez-vous que, dans ce domaine, le partenariat pourrait être encore amélioré ? Je pense aux financements des centres de formation d'apprentis qui sont des investissements relativement lourds. Êtes-vous satisfait de l'action des régions ?

M. Jean Michelin : Nous sommes très satisfaits du partenariat avec les régions. C'est vrai, comme vous le rappeliez, que nous étions organisés régionalement depuis 1972, dix ans avant les lois de décentralisation. Cela nous a facilité la tâche lors des négociations avec les conseils régionaux, dans le cadre de la première compétence qu'ils avaient reçue et qui était celle de l'apprentissage. Ces négociations ont été aisées, parce que notre système est reconnu par tous comme transparent et bien géré. Il est certainement perfectible, mais il faut aussi voir les jeunes qui entrent dans notre apprentissage, les difficultés qu'ils rencontrent et l'effort que nous faisons pour les réconcilier avec l'effort.

Dans toutes les régions, des contrats de qualité ont été passés entre les conseils régionaux et nos CFA. Si seuls dix-huit conseils régionaux ont signé les contrats d'objectifs, les autres sont en négociation. Cela tarde un peu, mais c'est en préparation. Il y a donc des partenariats renouvelés, intéressants.

Nous nous sommes décentralisés afin d'avoir la capacité de négocier avec les institutions publiques régionales. Par exemple, nous avons relancé nos commissions paritaires régionales emploi-formation pour qu'il y ait dans chaque région un dialogue social, entre la profession dans sa dimension paritaire (partenaires sociaux) et les institutions publiques (conseil régional et État au niveau régional).

Aujourd'hui, lorsque nous proposons une convention de développement, que ce soit de l'apprentissage ou de la formation continue, elle est débattue en commission paritaire régionale emploi-formation avant d'être négociée et proposée aux pouvoirs publics régionaux. Un dialogue s'installe et la décentralisation est maintenant de plus en plus efficace.

M. Jacques Lair : Je voudrais ajouter que la profession, que ce soit au niveau des employeurs ou des salariés, a décidé de prendre en main l'orientation. Nous considérons que l'orientation doit être faite par les employeurs et les salariés, et non plus par des organismes de formation. Nous avons connu une époque, pas si ancienne, où les organismes de formation dictaient la conduite des employeurs et des salariés. Depuis quelques années, cela a été considéré comme inacceptable.

C'est pourquoi nous avons redonné de l'action et de la vigueur à la commission nationale paritaire de l'emploi et de la formation ainsi qu'à ces mêmes commissions au niveau régional, de façon qu'il y ait conjugaison de ces deux niveaux.

M. le Président : Je vous remercie de vos réponses.

5.- AUDITION DE MME NICOLE PÉRY, SECRÉTAIRE D'ÉTAT AUX DROITS DES FEMMES ET À LA FORMATION PROFESSIONNELLE

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 3 juin 1999)

Présidence de M. Philippe Auberger, Président

A l'invitation du Président, Mme Nicole Péry est introduite. Le Président lui rappelle les règles définies par la mission pour la conduite des auditions : pas d'exposé introductif, échange rapide des questions et des réponses.

M. le Président : Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à cette audition en accueillant Mme Nicole Péry, qui nous parlera des problèmes de formation professionnelle.

Madame la Ministre, merci de répondre à l'invitation de la Mission d'évaluation et de contrôle, constituée au sein de la commission des Finances. Votre audition fait suite à celles d'un certain nombre de responsables d'organismes, dans le domaine de la formation professionnelle, tels que le directeur général de l'AFPA et des responsables d'OPCA.

Aujourd'hui, nous souhaitons, à titre de conclusion, vous entendre sur un certain nombre de points sensibles, d'autant plus que nous savons que vous préparez une réforme de la formation professionnelle. Je passe la parole à notre rapporteur spécial, M. Jacques Barrot.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Madame la Ministre, j'ai préparé un questionnaire ouvert afin de vous laisser le soin de rebondir sur les quelques chapitres que j'avais identifiés, de manière à nous donner les éclairages que vous souhaitez.

Nous avions pensé, en premier lieu, avoir quelques éléments quant aux résultats de la politique actuelle, notamment en matière de formation professionnelle initiale. Il serait intéressant de savoir où nous en sommes en matière d'apprentissage, de qualification et de congés individuels de formation. Il semblerait que pointe déjà, dans certains secteurs, un manque de main d'_uvre qualifiée.

En second lieu, nous souhaiterions un point sur la stratégie actuelle dont l'AFPA veut se doter. Nous avons d'ailleurs rencontré son directeur qui nous a fourni quelques indications. Certains membres de la Commission ont beaucoup insisté sur une comptabilité plus analytique de l'AFPA. C'est un aspect de ce second chapitre qui concernera le financement de la formation professionnelle.

M. le Président : Si vous le permettez, il serait préférable de sérier les questions une à une. La première question est la suivante : quel bilan rapide peut-on faire de la formation professionnelle (apprentissage, congés individuels de formation) et quelles en sont les conclusions ?

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : En effet, c'est plus didactique.

Mme Nicole Péry : Je tiens tout d'abord à vous remercier de cette invitation, à laquelle j'ai immédiatement répondu car je suis moi-même extrêmement intéressée de connaître vos propres conclusions. Nous travaillons tous dans le même sens et devons arriver à mettre en place un système plus efficace et plus transparent. C'est dans ce souci d'échange réciproque que je suis aujourd'hui parmi vous. Je ne dispose pas des conclusions de toutes les auditions que vous avez menées, en revanche je les lirai avec beaucoup d'intérêt lorsque vous les rendrez publiques.

En ce qui concerne la formation professionnelle initiale, chaque fois que j'ai l'occasion de m'exprimer, j'insiste sur la nécessité de la professionnalisation des jeunes, qui sera un axe fort de la réforme. Il est évident que tous les outils existent déjà. Mon bilan est qu'il faudra les accentuer et non pas nous diriger vers d'autres formes de professionnalisation. Pour faire très synthétique, j'ai l'occasion de rappeler qu'il fut une époque - il y a quinze ou vingt ans - où l'on demandait à l'Éducation nationale d'apporter la connaissance, et à l'entreprise de former sur les outils de travail.

Nous savons pertinemment, sans revenir sur les causes, que l'organisation du monde du travail et de l'emploi a totalement évolué. Par conséquent, aujourd'hui, il faut mixer beaucoup plus ce qui relève de la connaissance et ce qui relève directement de la formation pratique. C'est pourquoi personnellement, je soutiens et je soutiendrai tout ce qui peut relever de la professionnalisation des jeunes.

Depuis un an, inlassablement je plaide en ce sens auprès de M. Claude Allègre. La charte de l'enseignement professionnel qu'il a fait paraître va dans ce sens. En effet, on y retrouve la place et la responsabilité de l'entreprise, dans toutes les filières de la formation professionnelle initiale, y compris au sein de nos lycées professionnels. M. Claude Allègre a choisi le mot « intégré », et non pas le mot « alternance », mais la signification reste la même, c'est-à-dire l'intégration du monde des entreprises, d'une façon plus claire, dans les dispositifs de l'Éducation nationale.

Pour ce qui relève directement de ma responsabilité, c'est-à-dire l'alternance dans ces deux filières - contrat de qualification, contrat d'apprentissage -, ce sont deux politiques d'insertion et de qualification, voire de professionnalisation, des jeunes, qu'il faudra de plus en plus soutenir. Lors du projet de loi de finances pour 1999, nous avions eu une discussion à ce sujet, puisque nous avions supprimé les primes à la signature du contrat, s'agissant de la filière apprentissage et des contrats de qualification que l'on souhaitait traiter de la même façon, pour les jeunes bacheliers qui continuaient dans une filière supérieure.

A ce jour, on ne note aucune régression de la signature des contrats, que ce soit d'apprentissage ou en contrats de qualification. Je n'en suis pas étonnée, étant donné que ces contrats s'adressent massivement à de jeunes sans qualification et n'ayant pas atteint le baccalauréat.

Je vais maintenant vous donner brièvement une image des deux ou trois dernières années. Même si ce n'est pas au millier près, j'ai quand même en tête une progression continue. En 1997, nous devrions être au-dessus de 100.000 en ce qui concerne les contrats de qualification et autour de 210.000 au niveau des contrats d'apprentissage. Au bilan 1998, nous avons 215.000 contrats d'apprentissage et 115.000 contrats de qualification. Dans le budget 1999, nous avions voulu encore progresser et inscrire 230.000 contrats d'apprentissage et 130.000 contrats de qualification. On peut affirmer que, ces trois dernières années, la courbe est ascendante, ce qui correspond à un besoin réel. J'ai cette volonté de continuer à dynamiser la formation professionnelle dans ces trois filières.

Dans votre seconde série de questions, vous m'avez parlé du manque de main d'_uvre qualifiée, ce que j'observe moi-même au travers de mes rencontres avec les partenaires sociaux, notamment dans certaines branches professionnelles. Ces sujets sont évoqués le plus souvent dans le monde de la métallurgie et dans le bâtiment. Vraisemblablement, le regain de croissance a sa part dans ce manque actuel de main d'oeuvre qualifiée.

D'une façon générale, on a tendance à lier le niveau quantitatif de la main d'oeuvre de certaines branches professionnelles à la conjoncture générale. Quand cette dernière s'améliore, apparaissent des déficits de main d'oeuvre. Il est certain que, très vite, il faut prendre des mesures pour attirer l'attention de tous les acteurs sur ce sujet. Si Mme Martine Aubry était à ma place, elle vous dirait que cette difficulté atteint aussi une profession comme celle de pâtissier. Elle semble avoir rencontré ce problème au niveau local et elle l'a évoqué à plusieurs reprises. Pour ma part, c'est principalement au niveau de la métallurgie et du bâtiment que ces sujets me sont le plus souvent présentés.

Le troisième point concerne le congé individuel de formation. J'ai eu l'occasion de répondre, il y a quinze jours ou trois semaines, à une question d'un parlementaire. Au travers de cette question, j'ai pu rappeler que ce congé individuel de formation concernait aujourd'hui 25.000 personnes, et qu'il correspondait généralement à des formations longues, qualifiantes et onéreuses.

Ma réserve vient plutôt de la dimension - 25.000 personnes - qui ne correspond pas au diagnostic des besoins.

M. le Président : Madame la ministre, afin que l'on comprenne bien, quel est le jugement exact que vous portez sur les congés individuels de formation ? Jugez-vous que son coût actuel et son intérêt justifient le maintien d'un prélèvement obligatoire spécifique pour le financement de ces congés individuels de formation ?

Mme Nicole Péry : Je traiterai votre question de façon plus globale et ainsi, vous aurez une réponse la plus précise possible. Un accord interprofessionnel lié à la loi quinquennale, a permis de réserver, dans les branches ayant signé des accords, une partie des sommes collectées au titre du congé individuel pour monter des actions qualifiantes dans les entreprises. C'est ce qu'on appelle le capital de temps formation. Cela n'a pas donné tous les résultats escomptés, malgré l'intérêt de ce dispositif pour la personne. En effet, les demandes de congés individuels sont très nombreuses et ne peuvent pas être toutes satisfaites. L'intérêt des CIF sur le plan qualitatif est certain. Il ne permet pas de répondre à l'ampleur des besoins. Il nous faudra trouver, grâce à la réforme, une réponse beaucoup plus massive.

Quel jugement fais-je de ce système ? J'ai indiqué que, qualitativement, c'est une formation qualifiante qui peut présenter un grand intérêt pour la personne. Toutefois, si vous me demandez un jugement plus politique et plus global, je dirais que le qualitatif des congés individuels de formation, compte tenu des formations longues et coûteuses, ne répond pas à une exigence que nous aurons de former d'une façon beaucoup plus massive. Là se trouve le vrai problème et c'est l'un des axes de la réforme.

J'ai attiré l'attention de tous les partenaires sociaux, avec qui j'ai repris en bilatéral une série de négociations, sur ce point. Mais tout cela passe par une vraie prise de conscience de l'enjeu. Je suis arrivée avec un regard extérieur sur ce dossier. Au-delà de sa complexité et d'une transparence encore à améliorer malgré les efforts entrepris, ce dossier m'a frappé par son décalage entre ce qu'apportait la logique de la loi 1971 - très novatrice, innovante - et ce qu'apporte aujourd'hui notre système au regard de ce qu'est la réalité du monde du travail. Il y a un décalage tel qu'il ne répond plus, à mon avis, aux exigences de l'entreprise.

C'est tout le sens que j'essaie de redonner à ce débat et au rôle de la formation professionnelle. On ne met pas assez en avant ces besoins, on ne parle pas assez de ces 40 % de la population active actuelle qui ont quitté la formation initiale avec un diplôme professionnel inférieur ou égal au CAP. Ces 40 % de la population active n'ont pas 58, 59 ou 60 ans, mais 35, 40 ou 45 ans... Bien sûr ils ont acquis, et heureusement, des connaissances et des savoir-faire au travers de leur parcours professionnel. Mais on sait pertinemment que ces savoirs, savoir-faire et savoir-être ne sont pas reconnus, validés, pris en compte dans leur futur CV, le jour où en raison de l'accroissement de la mobilité, ils se retrouvent sur un marché du travail avec un CV qui ne reprend, la plupart du temps, que le degré de leur formation initiale.

Au vu de ces 40 % de la population active, cela signifie que, dans cinq ou sept ans, se posera un réel problème de cohésion sociale et de performance économique. Il s'agit donc de mettre en place un système qui permette la performance économique et la cohésion sociale. J'estime que c'est un vrai défi, une responsabilité à laquelle nous devons répondre. Par conséquent, ce ne sont pas 25.000 personnes qu'il nous faudrait former par an, mais 250.000. Nous n'avons pas les moyens de permettre à 250.000 personnes de prendre un congé d'un an pour suivre une formation qui parfois coûte 100.000 francs ou plus. C'est ce sujet que j'ai mis sur la table, et je fais tout pour que les partenaires sociaux, quels qu'ils soient, prennent conscience de ce défi et se saisissent de ce problème.

Durant toute cette année, je n'ai pas vraiment eu le sentiment que cette prise de conscience était totale, dans tous les milieux avec lesquels j'ai pu échanger, y compris le milieu politique, qui tout de même est peut-être le plus en éveil sur ce sujet.

Prenons la loi de 1983 sur l'égalité professionnelle qui dit « à travail égal, salaire égal ». C'est un outil dont les partenaires sociaux ne se sont pas saisis. Ceci explique qu'encore aujourd'hui, entre les femmes et les hommes, demeurent des inégalités de salaire d'environ 15 % pour un même poste de travail - 27 % si on prend les salaires moyens - et par rapport à l'accès à la formation professionnelle, des inégalités du simple au double. Or, la loi existe, mais les partenaires sociaux ne l'ont pas fait vivre, car en permanence, nous sommes les uns et les autres confrontés à des problèmes de conjoncture auxquels il faut faire face dans l'immédiat, sans privilégier les problèmes de moyen terme. Avec l'accentuation sévère de la courbe du chômage lors de ces années 1980-1990, la priorité des partenaires sociaux était de savoir comment y faire face.

Ce débat de fond que je souhaite avoir, cette prise de conscience que je souhaite développer, se heurtent à la deuxième loi sur la réduction du temps de travail qui monopolise nos forces politiques, syndicales et patronales et occulte, partiellement pour l'instant, le débat sur la formation professionnelle. C'est pourquoi j'estime que la prise de conscience psychologique et l'appel à la responsabilité sont extrêmement importants si l'on veut répondre à la dimension nécessaire. Le chiffre des 250.000 salariés par an me semble vraiment le plancher que nous devrions atteindre.

Par quels outils ? J'en arrive à votre question sur l'AFPA, à laquelle je répondrai clairement, mais en vous donnant mon sentiment...

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Juste une précision. Dans l'immédiat, le congé individuel de formation utilise l'intégralité des montants prélevés tandis que le capital temps de formation tarde un peu à monter en régime. Ne faudrait-il pas, à titre temporaire, utiliser les excédents du capital du temps de formation ?

Mme Nicole Péry : A titre temporaire, c'est ce qui est envisagé. Il serait dommage, alors que des besoins existent, de ne pas les utiliser. Mais ceci demeurera peut-être sous une autre forme, car c'est une approche intéressante, y compris en termes de formation permanente, qui donne à chacun le droit de choisir à un moment donné de sa vie de changer de métier... Il y a une vocation que je compte intégrer dans la réforme.

Je consulte également les partenaires sociaux pour voir comment, avec l'ensemble des dispositifs de financement obligatoire - 0,5 % de l'apprentissage, 0,9 % du plan de formation, 0,4 % de l'alternance, 0,2 % du congé individuel de formation - construire un système beaucoup plus efficace et correspondant mieux aux défis actuels. Comme vous pouvez l'imaginer, le dialogue est difficile, toutefois on avance.

En matière d'outils, vous avez évoqué l'AFPA. Je traiterai ce sujet en indiquant que, selon les décrets d'attribution, ces services ANPE, AFPA et administration sont mis à ma disposition autant que de besoins, qui sont fréquents et importants, mais je n'ai pas la tutelle de l'ensemble de ces organismes, qui revient à Martine Aubry.

Je peux cependant vous faire part de mon avis sur cet outil public parfois décrié, avec des interrogations parfois contradictoires. Lors de mes rencontres, certains me disent que c'est un instrument lourd, qui pourrait vraisemblablement, avec des dispositifs moins publics, être plus performant. D'autres voix disent le contraire. Comme on ne peut obtenir un contrôle qualitatif sur les organismes de formation privés, il faut donc, au contraire, essayer de dynamiser les outils publics.

J'ai bien compris les messages, assez souvent contradictoires. J'essaie d'obtenir, et c'est ma responsabilité actuelle, un équilibre de l'offre sur ce marché de la formation car, de toute façon, que ce soit des outils publics ou des organismes privés, nous sommes en droit d'attendre une formation de qualité et qui réponde aux besoins des salariés.

J'ai rencontré l'AFPA, ce grand outil de service public, au travers des contrats de progrès, puisque j'ai signé le deuxième contrat de progrès, d'une durée de quatre ans. Je crois à ce mode de gestion. Au-delà du statut des organismes, chaque fois que l'on peut passer des conventions, avec des exigences d'évaluation et de résultats, nous progressons et les obligeons à progresser. J'estime donc que ces contrats de progrès, passés entre l'État, l'AFPA, l'ANPE, vont dans une bonne direction. Il est certain qu'il faut accompagner la modernisation d'un tel outil, veiller à leur rappeler qu'ils ont avant tout, mais pas exclusivement, une mission de service public.

Nous savons bien, les uns et les autres, que tout ce qui relève des publics les plus fragiles - demandeurs d'emploi, personnes sans qualifications - restera une mission de l'État. Nous devons donc rappeler à l'AFPA que cette mission est essentielle et qu'au vu du financement de 4,12 milliards de francs, l'essentiel de cette mission doit être l'accompagnement des publics les plus fragiles, sans toutefois limiter son action à ce domaine.

L'AFPA a un rôle nécessaire sur l'ensemble des champs de la formation professionnelle, y compris au niveau de la requalification des salariés, de la validation des acquis, qui sont un autre axe fort. Je vous ai parlé de la professionnalisation des jeunes. La validation des acquis est un deuxième axe fort de la réforme qui me demande au moins autant d'énergie, de conviction et de pédagogie quand j'en discute avec les uns et les autres. Je continue à suivre cette ligne, nous avancerons sur ce thème.

Mon souci premier est de conforter ces 40 % de salariés auxquels on ne reconnaît pas aujourd'hui, suffisamment, les profits professionnels acquis au travers de leurs expériences professionnelles et de la formation continue, à défaut de les avoir acquis lors de la formation initiale. Je souhaite vraiment conforter leur statut et que l'on reconnaisse leur niveau actuel de compétences. Ceci ne peut être fait que si l'Éducation nationale comprend et accepte d'être partenaire dans cette opération, y compris au niveau des universités.

Avec M. Claude Allègre, nous avons un groupe de travail entre nos deux cabinets. Je rencontre moi-même le ministre sur ces sujets, très fréquemment. Il faut faire passer ce message de manière très forte. L'Éducation nationale devra s'impliquer beaucoup plus, à l'avenir, dans tout ce qui relève de la formation tout au long de la vie. Demain cette formation sera une exigence pour chacun d'entre nous. L'Éducation nationale doit donc entrer beaucoup plus massivement dans cette responsabilité, y compris les universités. Mon discours est le même au niveau de l'AFPA, c'est une discussion que j'ai eue avec son directeur. Je souhaiterai que l'ensemble des outils publics participe à cette évolution.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : J'orienterai maintenant notre dialogue sur le contrôle des organismes, notamment dans le système de formation professionnelle. En fait, il est apparu à la mission d'évaluation et de contrôle qu'il y a tout d'abord un contrôle financier, puis un contrôle de la qualité de la formation dispensée.

S'agissant de l'adaptation des moyens des organismes chargés du contrôle, notamment le groupe national de contrôle dont nous avons reçu le chef, ce groupe national de contrôle dispose-t-il des moyens adéquats ? Nous pensons également au rôle de la cour des comptes, ici présente, qui n'avait pas reçu, dans les législations antérieures, la mission de surveiller ces organismes. Comment mettre plus de transparence dans les systèmes de mutualisation ? Comment éviter que ces systèmes de mutualisation n'accumulent des réserves ?

Nous avons été amenés à entendre des responsables de fonds de mutualisation. Il y a eu, ces dernières années, des prélèvements budgétaires directs pour tenter d'utiliser cet argent stocké sans doute en quantité excessive. De manière générale, nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir s'il ne faudra pas, un jour, aborder également le problème du financement de la démocratie sociale, source d'opacité. Un certain nombre d'organismes collectent et utilisent ces activités de collecte pour se financer, ce qui au demeurant est utile. Le paritarisme social est une nécessité, mais peut-être faudrait-il encore, malgré les efforts en ce sens, mieux clarifier les modes de financement de ce paritarisme.

Ce contrôle concerne non seulement les organismes collecteurs et de mutualisation, mais également les régions. Quel regard portez-vous sur la montée en charge des régions et comment peut-on essayer de savoir si l'argent des régions est bien utilisé ?

Toutes ces questions ont, au arrière-fond, l'idée que nous pouvons aller vers des contrôles plus efficaces, encore que... Tout à l'heure, avant que vous n'arriviez, nous nous penchions sur le fait que, dans le cadre de la formation continue dans l'entreprise et notamment les plans de formation, il faudrait sans doute un double système : un système extérieur, avec des organismes d'évaluation permettant d'évaluer les formations dispensées, et un système dans l'entreprise, avec un dialogue social.

Nous avons évoqué le bilan social en nous interrogeant s'il ne devrait pas comporter plus de renseignements afin que le comité d'entreprise puisse discuter à son tour de ce qui est entrepris en matière de formation des salariés. Je résume : les flux financiers sont-ils bien contrôlés ? Peut-on en savoir plus sur leur efficacité ?

Mme Nicole Péry : J'ai dû assez vite aborder cette question, à la fois du contrôle qualitatif et de l'efficacité de la formation, au travers des questions orales, que ce soit de l'Assemblée ou du Sénat. Très vite, j'ai dû me replonger dans la logique de la loi de 1971. Il y est clairement stipulé que les contrôles sont des contrôles financiers et administratifs, mais en aucun cas des contrôles de la qualité pédagogique de la formation effectuée. Cherchant une logique dans cela, à l'évidence, j'ai compris que l'on demandait à chaque organisme de formation d'avoir sa qualification de départ, qui doit être garante de la qualité de sa prestation. En fait, nous savons les uns et les autres que c'est bien plus compliqué. Je commencerai par le qualitatif pour aborder ensuite le financier.

Lorsqu'il y a un an j'ai commencé à travailler sur ce dossier, je me suis plongée dans la loi de 1971 et dans les dernières auditions que vous avez faites ici, lors de la Commission d'enquête de l'époque, contenues dans le rapport de M. Goasguen. J'ai également examiné l'ensemble de vos critiques et tenté de mesurer, à mon tour, le degré de leur réalité. Au travers des rencontres que j'ai pu faire, il me semble que les choix relevant de l'achat de formation par les chefs d'entreprise sont faits d'une façon rigoureuse. Si vous me permettez de dire les choses un peu crûment, les chefs d'entreprise en veulent pour leur argent. Lorsque les salariés reviennent, ils s'assurent que la formation a été profitable.

Étrangement, c'est d'abord au niveau de l'achat public des formations et pour les formations individuelles (CIF) que nous devons examiner comment améliorer l'efficacité de la formation dispensée ou les formations individuelles. J'ai reçu, cette année, une trentaine de courriers de citoyens se plaignant du manque de qualité de la formation alors qu'ils bénéficiaient d'un financement du CIF. C'est pourquoi j'ai voulu voir quelles précautions les chefs d'entreprise prenaient lorsqu'ils passaient des conventions pour la formation de leurs salariés. En effet, quand les salariés reviennent dans l'entreprise, les chefs d'entreprise estiment qu'ils doivent avoir progressé en qualification.

Tous ces courriers de citoyens concernent plus particulièrement des prestations individuelles ou parfois des prestations que l'on donne aux demandeurs d'emploi. Je réfléchis à ce point, tout en sachant qu'il est impossible d'envisager la création d'un corps d'inspecteurs, tel que cela se fait dans l'Éducation nationale, pour inspecter la pédagogie. Je réfléchis beaucoup dans le sens de la validation avec un regard extérieur des formations données, soit à travers l'accès à une qualification, soit sous d'autres formes. Là encore, je fais appel aux partenaires directement concernés par ces sujets pour avancer dans une réflexion commune.

Lorsque je suis allée devant la Commission des affaires sociales, il y a peu, au Sénat, j'ai fait préparer une fiche au niveau financier. Je suis donc en mesure de vous fournir des chiffres très précis. Je voulais connaître la réalité de notre corps d'inspection, de ce qui était réalisé dans le cadre du contrôle financier et administratif relevant pleinement de la loi de 1971.

En 1998, nous avions, au niveau du contrôle, 341 agents, dont 265 en poste dans les directions régionales. Sur ces 265, 111 étaient affectés directement au contrôle de la formation professionnelle. Quant au groupe national de contrôle, je ne tairai pas une interrogation de ma part puisque, d'après mon enquête, trois inspecteurs sont actuellement en mission de contrôle. Sur ce point, j'ai déjà fait savoir que je souhaitais approfondir ce sujet.

Toujours sur le bilan de l'année 1998, ces 111 agents ont effectué 2.895 contrôles sur pièce et sur place. Ceci a conduit à un redressement d'un montant de 150 millions de francs. Ces vérifications ont concerné 2.244 entreprises, 623 organismes de formation, 12 organismes collecteurs paritaires et 16 structures d'accueil et d'information.

Il me semble qu'au niveau du groupe national de contrôle, on peut faire un effort, ce à quoi je m'emploierai. N'empêche que le nombre de contrôles effectués et d'entreprises visitées vous montre que le contrôle existe et qu'il ne faut pas non plus avoir une critique trop sévère qui dépasse la réalité du sujet. Un contrôle financier est effectué et les chiffres sont là pour le montrer.

Concernant la mutualisation et le paritarisme, je suppose que c'est également une question directe quant aux prélèvements que l'on a pu effectuer sur l'AGEFAL. Cela a également été l'un des sujets de discussion du PLF 1999. Le premier prélèvement avait été effectué sous l'ancien gouvernement, avec un prélèvement fort de près 1,5 milliards de francs. Je suis tout à fait consciente que lorsqu'on donne une si bonne idée à Bercy - sans suggérer le nom d'un ministre plutôt que d'un autre - il est extrêmement difficile de la lui enlever.

Qu'ai-je pu obtenir ? Cela a été, de ma part, une vraie bagarre. J'ai d'abord pu obtenir que ce chiffre soit divisé par trois et que ces 500 millions de francs soient affectés à un fonds de concours pour la formation professionnelle et non pas reversés dans le budget général. J'ai beaucoup travaillé avec les partenaires sociaux, pour leur faire comprendre cette démarche. Je rappelle que cet argent est géré par les partenaires sociaux et que l'Etat doit avoir le souci d'expliquer et d'arriver à prendre une décision, dès lors qu'elle converge avec l'opinion des partenaires sociaux.

Je me suis employée à réduire ces prélèvements et à faire en sorte qu'ils soient, avec l'accord des partenaires sociaux, affectés à la formation professionnelle. Comme vous pouvez le penser, l'essentiel de ces fonds va au soutien de l'apprentissage, qui est un effort budgétaire lourd.

Pour 1999, les exonérations, de cotisations sociales et les primes à l'aide à la formation ont été maintenues. Les primes à l'embauche ont été recentrées sur les contrats préparant à un diplôme de niveau V ou IV. Cela représente un effort, dans le budget, de 9,5 milliards de francs. Si vous y ajoutez environ 3 milliards pour les contrats de qualification, c'est un effort important qui représente 38 % du budget formation professionnelle. Il est clair que ce fonds de concours aide à répondre à cette courbe ascendante des contrats de qualification et des contrats d'apprentissage.

Comment se fait-il qu'il y a là de l'argent visible ? A quoi correspondaient ces prélèvements ? Il n'est pas certain qu'ils pourront se poursuivre éternellement, en tout cas c'est le message que je fais passer très fortement. Il s'agit plus de trésorerie que d'excédents à proprement parler. J'ai invité les partenaires sociaux à travailler d'une façon dynamique et à ne pas avoir forcément devant eux, un an de fonctionnement. Plus personne ne fonctionne avec une trésorerie d'un an. Je les ai donc invités à une gestion plus dynamique, de façon que cet argent ne soit pas là aussi visible, parce qu'on ne laissera pas une telle somme dormir un an. Il me semble que ce message est bien passé et que l'année prochaine, nous pourrons vraisemblablement avoir une gestion plus dynamique de cette trésorerie par les partenaires sociaux.

M. le Président : Nous avons bien compris qu'il ne s'agit là que de fonds de roulement et qu'ils doivent être réduits. Il doit même y avoir, si possible, une instruction comptable explicitant la notion de fonds de roulement. Actuellement, d'après les questions posées, il reste un certain flou dans ce domaine et c'est justement sur ce flou que Bercy se repose pour reprendre la main sur ces fonds.

Il semblerait également que certains organismes se soient lancés dans des acquisitions immobilières. Êtes-vous d'accord avec une conclusion qui semblerait se dégager, à savoir que ces organismes de redistribution n'ont pas autorité à immobiliser des fonds dans de l'immobilier, ce qui constituerait une forme détournée d'utilisation de ces fonds ? Ce sont des prélèvements obligatoires et il est donc normal qu'un contrôle très strict soit fait de leur utilisation.

Mme Nicole Péry : Je ne peux répondre avec précision à cette question. Ils peuvent acquérir les locaux où ils travaillent, mais il est certain qu'ils ne peuvent avoir un patrimoine immobilier en dehors de ceux-ci. Personnellement, je n'ai eu aucune note attirant mon attention sur le fait qu'ils dépassaient leurs droits. Toutefois, si vous avez des informations à ce sujet, n'hésitez pas alimenter mes réflexions et mes données.

M. le Président : Je fais appel à ma mémoire, mais il me semble que la Cour des comptes avait détecté le cas d'un OPCA d'Ile-de-France qui avait fait des acquisitions immobilières.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Cela me permet, madame le ministre, de rappeler que nous avions préconisé un accès beaucoup plus direct et net de la Cour des comptes à cette comptabilité des organismes de formation, précisément afin de repérer, si besoin est, des opérations immobilières et des placements pouvant générer des excédents utilisés à diverses fins. Il faut rompre avec une certaine opacité qui s'est abritée derrière le paritarisme. J'aime beaucoup le paritarisme et je crois à la démocratie sociale, mais cela ne dispense pas pour autant de la transparence.

Mme Nicole Péry : Mon directeur de cabinet m'informe qu'il y a eu effectivement un redressement de 400 millions de francs, grâce au contrôle de la formation professionnelle. C'est un élément supplémentaire à ajouter à l'existence du contrôle de la formation professionnelle. 400 millions de francs ne sont pas une petite somme et je suis, comme chacun d'entre vous, attachée à ce que ce système devienne, dans son ensemble, plus efficace et plus transparent.

Votre question sur les régions est intéressante. Ce sujet s'est révélé plus délicat que je ne l'imaginais. Moi-même étant une régionale - vous le devinez à mon accent -, très attachée à la décentralisation et ayant oeuvré, dans mon propre parti, dans les années 1980, pour un projet de société décentralisé, j'ai donc entrepris avec confiance ce dialogue avec les régions. Très vite, je me suis rendu compte d'une résistance instinctive au fait que la puissance de l'État puisse demander une forme de contrôle. Il m'a d'ailleurs été rappelé, par les uns et les autres, que ce soit à droite et à gauche pour être encore plus précise, qu'ils avaient acquis une compétence et qu'ils tenaient à l'assumer seuls. Nous continuons notre dialogue.

Je rappellerai brièvement les contributions au budget annuel de la communauté nationale : 56 milliards pour l'État, pour l'ensemble de notre effort public, y compris la formation continue des agents de la fonction publique ; 55 milliards pour le monde de l'entreprise ; 13 milliards pour les régions ; 14 milliards pour les organismes associés, notamment l'UNEDIC.

Ces gros postes montrent que la part des régions est financièrement relativement faible dans l'effort de la communauté nationale, même si leurs compétences sont grandes. Partant de ce constat et du fait que l'argent public est massif dans l'animation de l'ensemble de la formation tout au long de la vie, on peut penser être en droit, de temps à autre, de demander une évaluation aux régions quant à l'application de leurs compétences en ce qui concerne la formation professionnelle.

Je compte beaucoup sur les travaux du comité de coordination. Un premier rapport a été effectué sur le qualitatif. J'ai demandé que, dans le second rapport en cours, soit approché le quantitatif : quels publics, quelles formations... J'essaie surtout de restaurer ce climat de confiance et de faire passer le message soulignant qu' il n'est pas question, pour moi, de revenir sur la décentralisation. Le message que je souhaite faire passer est qu'il y a beaucoup d'argent public et que nous sommes en droit de demander, a posteriori et régulièrement, une évaluation des formations effectuées. J'estime que ce langage raisonnable peut être compris des uns et des autres.

Je l'ai dit sur divers tons, plus ou moins ferme ou coopératif, mais le message est passé. Nous verrons ce que l'évaluation en cours apportera. Cela nous donnera une idée du niveau de coopération nécessaire. En tout cas, au-delà du contrôle financier qualitatif qu'à mon avis nous pouvons demander aux régions, j'ai une autre préoccupation, toujours au regard de l'efficacité du système.

Le comité de coordination fonctionne très bien au niveau national. Pour ma part, je suis satisfaite de la qualité de leurs travaux. J'ai noté que nous trouvions là, pour avoir passé de longues heures devant eux, l'ensemble des acteurs et peut-être l'efficacité de cette structure vient-elle de ce que tout le monde est autour de la table. En revanche, dans les régions, les instances en place regroupent un certain nombre d'acteurs, mais sans que l'on retrouve l'ensemble des acteurs comme au niveau du comité de coordination.

C'est pourquoi j'ai demandé au Premier ministre de charger M. Gérard Lindeperg d'une mission d'évaluation sur le partenariat institutionnel. Il me semble que la liberté d'un parlementaire peut être plus efficace que la multitude de contacts que j'essaie d'avoir, avec cette résistance que j'ai ressentie. Je compte beaucoup sur cette mission parlementaire pour me donner non seulement des propositions qui permettraient une efficacité renforcée des instances régionales sur les partenariats et les convergences à construire, mais également une définition des politiques de formation professionnelle dans les régions, construite avec les conseils régionaux, les services de l'Etat, les partenaires sociaux, l'ensemble des acteurs étant présent dans une même instance. Je n'ai pas encore les retours pour savoir comment les acteurs, dans les régions, reçoivent cette proposition.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Merci. Je vais terminer sur un dernier chapitre pour laisser à nos collègues, le soin de vous poser des questions. Vous avez, à plusieurs reprises, confirmé votre désir de voir évoluer le système et mettre en place cette formation professionnelle tout au cours de la vie. A propos du CIF, vous avez dit qu'il touchait finalement assez peu de salariés. Il y avait là un besoin manifeste de donner au dispositif une autre dimension.

J'ajoute que le plan de formation - le 0,9 %-  évidemment est aujourd'hui une obligation un peu dépassée, notamment pour les grandes entreprises qui sont toutes au-delà de 0,9 %.

S'agissant des PME, c'est un monde extrêmement disparate où certains s'en tiennent rigoureusement au 0,9 %, confiant d'ailleurs parfois leur argent au titre de la promotion professionnelle à des organismes dont la performance et les compétences ne sont pas évidentes. En revanche, certaines PME sont bien au-delà du 0,9 % et font manifestement un effort de formation important. Dans cette situation donnée, comment voyez-vous aujourd'hui une réforme sur cette formation au cours de la vie, sans plus parler de la formation initiale ? Pouvez-vous nous dire où vous en êtes de vos réflexions et de vos projets ?

Mme Nicole Péry : Un débat a cours aujourd'hui, venant plus particulièrement du monde des entreprises laissant à penser que l'obligation de financement devient inutile. Certaines organisations, telles que le Medef, pensent que la responsabilité de la formation doit être retirée de la charge des chefs d'entreprise et assumée par le salarié lui-même, celui-ci devant s'assurer de son employabilité tout au long de la vie. Toutefois, d'autres discours beaucoup plus raisonnables viennent du monde des entreprises, notamment des PME.

J'ai été satisfaite des rencontres répétées dans ce milieu qui, longtemps, avait moins pris conscience que les grandes entreprises, de la nécessité de considérer la formation comme un véritable investissement, une stratégie d'entreprise, et non pas comme une obligation de financement. Les PME étaient plus réticentes. Je connais la réalité du tissu économique local chez moi, par exemple, où l'on retrouve une multitude de petites PME, dans lesquelles très souvent, les chefs d'entreprise se sont formés sur le "tas". Cela existe encore beaucoup en province. Elles peuvent d'ailleurs très bien cohabiter avec des PME très pointues.

Nous faisions donc face à une résistance quasiment d'ordre culturel. De façon très récente, on a constaté une véritable évolution de la mentalité des chefs d'entreprise de PME. Il semblerait qu'ils aient pris conscience que cette époque est révolue et qu'ils doivent assumer leur formation tout au long de la vie, que ce soit celle de l'entreprise ou de ses salariés. C'est pourquoi, à ce stade de ma réflexion, je ne compte pas revenir sur l'obligation de financement, mais plutôt bien faire comprendre que l'époque où l'on considère ce 0,9 % comme une obligation de financement est révolue et qu'il faut le considérer comme une nécessité absolue de se former, que ce soit du côté du chef d'entreprise que de celui des salariés.

J'ai essayé de mieux comprendre pourquoi, au-delà de l'aspect culturel, certains chefs de petites entreprises n'avaient pas encore intégré cette dimension de qualification tout au long de la vie, s'il existait d'autres motifs objectifs à cet état de fait. Ce sont souvent des motifs d'éloignement d'un centre de formation, ce qui pose un réel problème. C'est pourquoi je suis en cours de discussion avec certaines organisations professionnelles quant à une expérimentation sur les formations à distance et sur l'auto-formation, utilisant les nouvelles technologies, afin de voir comment vaincre cette entrave objective de la distance.

Une autre difficulté vient du remplacement. Les TPE, les toutes petites entreprises, ne peuvent plus fonctionner dès lors qu'un salarié quitte l'entreprise. Là encore, dans cette expérimentation, je compte explorer des pistes sur le remplacement des salariés.

Ma perception actuelle est que l'on ira vers un plein emploi de ces 0,9 %, même pour les TPE. Elles en bénéficieront elles-mêmes, maintenant qu'elles ont pris conscience que c'était une absolue nécessité pour elles en termes de stratégie économique.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : A partir du Livre blanc, envisagez-vous un projet de loi sur ce sujet, dans un délai...

Mme Nicole Péry : L'objectif que j'ai donné aux partenaires sociaux, cet automne, est de parvenir à une convergence afin d'avancer sur une négociation collective, à l'instar de celle de 1970, dont la loi de 1971 a repris les accords. 1970 arrivant après 1968, il y avait là un environnement d'effervescence culturelle, politique, économique, qui a vraisemblablement été un moteur, dans toute cette dimension. Voyons si nous allons vers une série positive de négociations collectives que nous pourrions reprendre sous la forme d'une loi en l'an 2000, sachant qu'il faudra définir non seulement des axes forts sur lesquels reposerait ce nouveau système, mais également le mode de financement.

Pour l'instant, je réfléchis à budget constant. Je n'ai reçu aucun signal indiquant qu'à ce stade, on pouvait bâtir un système sur un financement qui prendrait une courbe extrêmement ambitieuse. Ma question est de savoir comment faire beaucoup mieux avec le même budget global de la communauté nationale. Voilà l'exercice que j'ai mis sur la table.

Je commence à recevoir des réponses des uns et des autres qui, pour l'instant, ne sont pas totalement convergentes, le contraire aurait été étonnant. Pour ma part, je fais des simulations, mais comme cas d'école, pour leur montrer comment cela pourrait fonctionner. Toutefois, je ne peux, à la fois, leur dire que je respecterai la culture traditionnelle de la formation professionnelle, élément central du dialogue social, et mettre sur la table une proposition comme si c'était le résultat obligé.

J'ai fait des simulations, ne serait-ce que pour me convaincre que c'est possible, intéressant et efficace. J'attends beaucoup qu'eux-mêmes évoluent. Les syndicats, tout comme certaines organisations patronales, m'ont informé qu'ils n'étaient pas prêts à me répondre d'une façon concrète, sur ce sujet. Ils sont en train d'y travailler.

M. Jacques Barrot, rapporteur spécial : Je voudrais attirer l'attention du ministre sur l'intérêt d'une réflexion liant la réduction du temps de travail et ce dossier de la formation tout au long de la vie. Il me semble que le projet de loi sur la réduction du temps de travail est peut-être aussi une occasion d'ouvrir quelques fenêtres qui permettraient de faire progresser le dossier, dont vous rappelez à juste titre qu'il doit aussi passer par la négociation sociale. C'est une simple remarque.

Mme Nicole Péry : Je ne surdimensionne pas cette difficulté que nous avons devant nous, mais elle est là. Avant l'an 2000, nous avons la deuxième loi RTT. Quelle est ma ligne de conduite à ce jour ? J'ai dit à Martine Aubry ma préoccupation que la deuxième loi RTT ne prenne en otage la formation professionnelle. Mon souci est que je puisse avoir ce rendez-vous RTT, sans amputer la cohérence d'un projet global. J'aurais tendance à demander que la deuxième loi RTT renvoie à la loi suivante, chaque fois que cela sera possible.

Quelle est la ligne rouge que je ne souhaiterais pas franchir ? Ce serait la demande, à mon avis irrecevable, de certains partenaires sociaux qui demandent de soustraire la formation de la responsabilité de l'entreprise. Pour moi, c'est irrecevable. Je défendrai, pied à pied, la nécessité de garder un lien direct entre la formation professionnelle et le contrat de travail.

Partager à quel niveau et selon quelles modalités ? Là se situe un champ possible de négociations. Dès lors qu'un salarié a en projet une formation qualifiante ou entrant dans un module de parcours professionnel et que le chef d'entreprise en est intéressé, en raison d'un poste à proposer ou d'un intérêt à accroître la qualification de tel ou tel salarié, dans ce cas, personnellement, je ne crois pas que l'on trahirait l'esprit de ce qu'est la formation tout au long de la vie. Il peut y avoir là du "donnant-donnant", sous réserve que ce soit dans le contrat de travail, et lié aux négociations au sein même de l'entreprise. Mais rejeter la responsabilité de la formation sur le salarié, qui devra assumer seul son employabilité, est pour moi une ligne à laquelle je m'opposerai très fermement.

M. le Président : Merci. Un certain nombre de nos collègues souhaitent poser des questions. Pour lancer le débat, je me permettrai de vous demander quelques précisions. Pensez-vous que votre groupe de contrôle doit avoir une certaine police de l'agrément des organismes de formation professionnelle ? Sous quelle forme peut avoir lieu le contrôle des organismes qui dispensent la formation professionnelle ? Vous en remettez-vous uniquement aux chefs d'entreprise et donc, finalement, au marché de la formation professionnelle ?

Par ailleurs, l'idée a été évoquée, à différentes reprises, notamment par le directeur général de l'AFPA, d'un partenariat organisé entre l'AFPA et l'ANPE. Au niveau local en particulier, on voit bien que les deux organismes travaillent de façon parallèle, mais sans véritable concertation. L'AFPA aurait cependant tout intérêt à être mieux informée des besoins en matière de formation professionnelle et des besoins de personnel grâce à l'ANPE. Pour sa part, l'ANPE pourrait utiliser l'évaluation des compétences qu'est en mesure de donner l'AFPA pour la réinsertion professionnelle des personnes. N'y a-t-il pas là un chantier à organiser ?

Mme Nicole Péry : Concernant l'agrément, quelle est la réalité du nombre d'organismes de formation à ce jour ? 63.500 organismes de formation ont déposé une déclaration préalable. J'ai fait mener une enquête pour bien connaître ce paysage et si je me suis intéressée à connaître bien le paysage, c'est pour savoir si nous avions ou non une capacité d'exiger l'agrément et comment la mettre en place. Sur ces 63.500, on m'a assuré que 40.300 ont eu une activité effective. L'ensemble de ces organismes a réalisé un chiffre d'affaires de 37,2 milliards de francs. Pour 23,3 % d'entre eux, la formation professionnelle constitue l'activité principale. Mais seuls 1,5 % des organismes actifs réalisent un volume d'activité supérieur à 10 millions de francs. 83,8 % de ces 40.300 organismes ont un chiffre d'affaires inférieur à 1 millions de francs. Ceci est la réalité du paysage.

J'ai essayé de voir, politiquement, comment les gouvernements précédents s'étaient attaqués à un paysage aussi compliqué. Je ne parlerai que de deux moments, l'un avec la gauche, l'autre avec la droite. Il y a eu, à une époque, une certaine velléité pour avoir prise sur la qualité de la formation. On proposait de conclure des conventions avec l'Etat, qui auraient lié ces organismes au travers de leur programme de formation. C'était une forme assez intelligente. Que s'est-il passé ? Il n'y a jamais eu de décret d'application parce qu'on n'a pas été en mesure de mettre en place le service déconcentré et les fonctionnaires nécessaires.

Quelques années plus tard, en 1995, lors d'une modification des dispositions d'ordre social, un amendement a été voté et a exprimé l'obligation du principe d'agrément par l'Etat des organismes de formation de droit privé. Il n'y a jamais eu de décret d'application. Voici l'interrogation : 40.500 organismes ont eu une activité. Il me parait difficile de décréter une politique d'agrément, antérieure à leur installation, pour vérifier le degré de leurs compétences et de leurs qualités.

J'ai pris note qu'en fait, seuls 1,5 % représentaient des organismes de formation importants, avec un chiffre d'affaires de plus de 10 MF. Cela fait peu. On a donc un émiettement complet du paysage.

Un autre élément me semble être une bonne direction. De plus en plus, on semble se diriger vers des normes de qualité et les organismes eux-mêmes se sont organisés autour de deux normes de qualité, dont la norme ISO qui concerne la structure générale de l'organisme, son système de gestion de la qualité. L'intérêt de cette approche ISO est que les preuves doivent être apportées par un tiers. Quant à la deuxième procédure, la marque NF, elle fournit des garanties sur la qualité des services attendus ainsi que sur les moyens mis en oeuvre à cet effet. Il m'a même été précisé que cette marque NF était mise en place par l'Association française de normalisation, l'AFNOR. Voilà pour ce qui concerne une première série de certifications.

Quant au deuxième axe, c'est une qualification délivrée par l'office professionnel de qualification, l'OPQF, sur la base de trois critères : la stabilité de l'organisme, le professionnalisme des intervenants, et la satisfaction des clients. J'ai demandé qu'une enquête soit menée pour savoir, à ce jour, combien d'organismes portaient ce label qualité. Cent organismes sont certifiés ISO et près de cinq cents sont qualifiés OPQF.

En ce qui concerne la troisième norme qualité, NF, je n'ai pu obtenir à ce jour aucune évaluation, ce dispositif ne s'étant mis en place qu'il y a quelques mois. Je n'ai donc pas suffisamment de recul pour procéder à une évaluation. C'est une direction que j'ai souhaité intensifier, pragmatique et à portée de nous. L'agrément, dans tout ce que cela comporte de contrôles, me semble, compte tenu de la réalité de ce paysage, très difficile à mettre en oeuvre. De plus, ces 40.000 organismes représentent, en termes de salariés, plus de 100.000 salariés. Il y a donc une série de paramètres qu'il convient de prendre en considération dans le cadre de cette évaluation.

M. le Président : Merci. Votre réponse est très complète sur la première question. Qu'en est-il de la deuxième, c'est-à-dire un partenariat organisé entre l'AFPA et l'ANPE ?

Mme Nicole Péry : Ce partenariat est présent dans les contrats de progrès, avec des objectifs quantifiés d'évaluation. C'est une garantie ainsi qu'une autre forme de contrôle sur l'efficacité et la qualité des prestations. J'ai présenté le PNAE (Plan national d'action pour l'emploi) hier en conseil des ministres. En ce qui concerne l'ANPE et l'AFPA, l'évaluation que j'ai inscrite est de 250.000 accueils dans le cadre des nouveaux départs.

Je me suis engagée, avec Martine Aubry, dans ce PNAE - que nous allons très vite présenter à Bruxelles, que j'ai déjà présenté aux partenaires sociaux - à faire bénéficier chaque jeune chômeur d'un entretien avant les six mois de chômage et chaque adulte...

Mme Nicole Bricq : Le programme TRACE...

Mme Nicole Péry : Oui, qui est inclus dans le Plan national d'action pour l'emploi, ce que l'on appelle les « Nouveaux départs ». C'est le plan français, avec ses engagements, que nous présentons au niveau européen. Cette année, nous avons pu faire face à environ 80.000 accueils, l'objectif étant de 250.000 accueils. Voilà donc le contrat que nous avons passé, dans le cadre du PNAE.

M. le Président : Monsieur DOUYERES souhaite prendre la parole.

M. DOUYERES : C'est effectivement l'objectif que s'est fixée la ministre, mais sur le terrain, notamment en faisant la tournée des ANPE, je ne vois aucune personne mise dans le dispositif. Dans mon département, je ne suis pas sûr qu'il y en ait dix.

Mme Nicole Péry : Je vais reprendre point par point car il y a là une ambiguïté. Le programme TRACE est inclus dans le PNAE, mais ne concerne ni l'accueil, ni les nouveaux départs. Ce sont deux choses différentes. Le PNAE est moins connu de nous ici. Même si c'est un plan négocié avec les partenaires sociaux, c'est un engagement que nous prenons au niveau européen. C'est vrai que l'on a tendance à moins en débattre au niveau du débat politique en France.

Je répète pour clarifier les choses. Nous avions pris, en 1998, dans le cadre du premier Plan national d'action pour l'emploi, l'engagement de réaliser 80.000 nouveaux départs. La définition de ces nouveaux départs est un accueil systématique ou un entretien, pour une proposition soit de stage, soit de formation, soit d'un contrat de travail aidé, à tout jeune qui atteint six mois de chômage et à tout adulte qui atteint douze mois de chômage. J'avais inscrit 80.000 accueils dans le PNAE 1998. Nous avons dépassé ce chiffre en atteignant 150.000 nouveaux départs.

Dans le PNAE que j'ai présenté hier en conseil des ministres, j'ai proposé de passer à 250.000 nouveaux départs, toujours dans cette logique, c'est-à-dire information, accueil, proposition d'une solution stage, formation, contrat aidé. La mise en oeuvre de ce programme « Nouveaux départs » fait partie du contrat de progrès que j'ai signé avec Martine Aubry, entre l'AFPA et l'ANPE qui doivent travailler ensemble pour assumer cet engagement. C'est aussi une façon, puisqu'on met une barre chiffrée, d'obtenir des obligations de résultats et une forme d'évaluation de ce qui est fait par les uns et les autres.

Par ailleurs, il y a le programme TRACE que nous avons inclus dans le PNAE pour montrer à nos amis européens ce que nous comptions faire dans le cadre de la lutte contre les exclusions. Sans reprendre le descriptif du programme TRACE, je vous rappelle que c'est un parcours individualisé, qui peut se construire sur 18 mois. Il est juste de dire que nous n'avons pas réalisé autant de constructions de parcours individualisés que nous en avions prévu, même si nous avons atteint la barre des 10.000 que nous nous étions fixés pour décembre 1998, trois mois plus tard.

Ce printemps 1999, les 10.000 constructions de parcours individualisés sont acquis. Dans ce cadre, je n'hésite pas à vous dire que si l'action a été moins massive que dans d'autres programmes, c'est qu'une partie de ces constructions de parcours individualisés revient aux régions. Ce sont les parcours préqualifiants. En effet, sur les parcours de 18 mois, il était nécessaire parfois de resocialiser certains jeunes, parfois même de lutter contre l'illétrisme. Le « préqualifiant » concerne des publics particulièrement fragiles. Cette action préqualifiante a été, au travers de la loi quinquennale, peu à peu transférée aux régions. Ce transfert progressif s'est d'ailleurs achevé l'an dernier.

Aujourd'hui, il faut reconnaître qu'il est difficile d'obliger les régions - qui ne font pas preuve d'un enthousiasme débordant - à s'occuper de ces publics fragiles, et qu'elles préfèrent souvent mettre en place des formations beaucoup plus pointues ou qualifiantes. C'est une réelle difficulté car je n'ai trouvé aucun moyen d'imposer aux régions, qui résistent, de prendre en compte ces actions préqualifiantes. Avons-nous bien fait de transmettre cette compétence aux régions qui la demandaient ? Je me suis quand même inquiétée de savoir dans quel état d'esprit cela avait été fait. On m'a assuré que cela faisait suite à une demande des Régions et non d'une volonté de l'État.

Aujourd'hui, c'est une interrogation que j'inclus dans mes réflexions pour la réforme. Cela rejoint ce que j'ai dit tout à l'heure. Autant il n'est pas question de revenir sur la décentralisation, autant il faut que les règles du jeu soient correctement appliquées par les régions.

M. le Président : Merci. Qui veut poser une question ?

Mme Nicole Bricq : Je me limiterai à deux questions, dont l'une concerne le contrat de qualification adulte, voté dans le cadre de la loi contre l'exclusion. J'aimerais savoir si on a procédé à une simulation du nombre de personnes que cela pourrait toucher et l'objectif de ces contrats de qualification adulte. Ils me paraissent une bonne chose, car correspondant à un besoin. Mais a-t-on été en mesure de faire une étude d'impact sur ce point précis ?

Ma seconde question, que je motiverai plus longuement, concerne le CIF, dont vous avez une vision institutionnelle, administrative. Pour ma part, j'en ai une vision pratique. Pendant un certain nombre d'années, j'ai été directeur des ressources humaines et j'ai vu comment fonctionnait la mise en place des CIF pour les salariés. Cela explique peut-être le fait que vous ayez des avis favorables de la part des employeurs, et des avis mitigés, voire mauvais, de la part des salariés, par la voie de leurs courriers.

Votre réflexion consiste à dire qu'il est inadapté par rapport à la situation où l'on se trouve et par rapport à l'esprit du législateur à l'époque. En effet, cela partait d'un très bon sentiment, celui qu'un salarié puisse se former tout au long de sa vie. C'est une nécessité, mais cela ne fonctionne pas ainsi. De plus, il est onéreux. Il faut donc, me semble-t-il, non seulement le revoir complètement, mais même trouver une autre formulation, un autre titre et fixer des cahiers des charges très précis.

Le CIF s'adresse souvent à des salariés qui ne sont pas à l'aise dans l'entreprise, à la suite d'une restructuration ou de la suppression d'un service. Ces salariés se retrouvent dans une situation telle qu'ils ne savent plus où se diriger. Un jeu assez curieux consiste alors à ce que ces salariés demandent des formations. Les demandes sont très importantes et, compte tenu des sommes mises en face, le taux de réponse est faible. Il y a donc une frustration permanente parce que l'employeur ne se fait aucune illusion.

C'est pourquoi je vous pose la question suivante. Avez-vous un bilan, non pas qualitatif, mais sur des éléments objectifs qui vous diraient que les CIF aboutissent effectivement à un changement de métier dans l'entreprise ou à une nouvelle qualification pour affronter une autre entreprise, se remettre sur le marché du travail ? Je connais à peu près la réponse. En effet, il se trouve que la manière dont il fonctionne maintenant arrange tout le monde. Cela permet, pendant une période de temps assez longue, de "caser" un salarié dont on ne sait trop quoi faire dans l'entreprise, mais qu'on ne veut non plus licencier.

Cela permet de répondre, même mal, à un besoin exprimé par la personne. De plus, la personne elle-même a beaucoup de mal à définir ce besoin. Elle a un besoin vague de faire autre chose, et c'est là tout le problème de l'offre de formation. Cela rejoint la question que posait le président Auberger sur l'agrément des entreprises de formation. En effet, sur le cahier des charges, il faudrait que les entreprises se donnent à elles-mêmes des objectifs. Quand je dis "entreprises", le plan de formation est discuté par le comité d'entreprise. C'est aussi aux partenaires sociaux qu'il faut poser la question.

Il faut un cahier des charges et des évaluations précises, et que le plan de formation fasse réellement l'objet d'une discussion préalable avec le salarié. Le CIF, très onéreux, ne correspond plus aux besoins de la société dans laquelle on vit aujourd'hui, qui est une société de mobilité à l'intérieur de l'entreprise, avec en plus la grande difficulté des entreprises qui sont sur les marchés internationaux.

Pendant plusieurs années, j'ai eu l'occasion de travailler avec des Canadiens. Ils ont mis plusieurs mois pour monter une formation adaptée à la France. Ils sont perdus parce que nos formations sont très complexes et ne sont pas directement productives. Il me paraît vraiment nécessaire de réformer le CIF parce qu'il coûte cher.

Mme Nicole Péry : Concernant le contrat de qualification adulte, le décret d'application a mis un certain temps pour être publié. Mon évaluation, pour l'instant, est relativement simple : à ce jour, 300 contrats de qualification ont été signés. Je rappelle que notre objectif est de 10.000. J'ai entendu à plusieurs reprises Martine Aubry regretter que cet outil soit trop peu utilisé alors qu'il avait été demandé par les partenaires sociaux.

A une certaine époque, on nous incriminait le retard dans les décrets, mais maintenant nous verrons la vitesse de croisière que prendra cet outil. Ce contrat démarre lentement, comme tout ce qui est nouveau. Cela demande des partenariats, et c'est toujours difficile à construire. Les deux branches vers lesquelles on accentue ce partenariat sont le bâtiment et l'agro-alimentaire.

S'agissant des CIF, je n'ai qu'une évaluation quantitative, soit 25.000 personnes par an. Mais ne disposons à ce jour que de peu d'évaluation sur ce que deviennent ces salariés, combien obtiennent une progression dans l'entreprise, dans leur vie personnelle en changeant d'entreprise.

M. le Président : Monsieur Bapt souhaitait prendre la parole.

M. Gérard Bapt : Ma question sera très brève. Je voulais poser cette question sur les contrats de qualification adulte parce qu'effectivement, sur le terrain, on ne constate aucune montée de charge. De plus, cette mesure reste encore très méconnue. Il est étonnant qu'elle ait été demandée par les partenaires sociaux et qu'elle ne soit pas effectivement attendue ou sollicitée sur le terrain.

Concernant le CIF, vous y avez déjà largement répondu et Mme BRICQ vient de poser la question de manière très pertinente. Dans le cadre du rapport à l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, concernant la formation professionnelle, notamment le CIF, il ressortait que globalement cela profitait d'une part, aux grandes entreprises, et d'autre part, aux salariés ayant le plus haut niveau de qualification, ce qui prolonge ce que vient de dire Mme BRICQ. Je voudrais compléter par la question suivante.

Comment les entreprises les moins offensives sur le plan de la formation professionnelle pourraient-elles être plus incitées à cela ? Je pense en particulier aux salariés que l'on retrouve dans les travaux les moins qualifiés. Lorsque l'entreprise ferme, ce sont des salariés qui, à partir de 40 ans, sont totalement perdus. Je pense notamment au textile, à l'habillement, ou encore à la confection.

Il y a trois ou quatre ans de cela, une entreprise de confection de 250 salariés a fermé à Toulouse et on retrouve toujours les mêmes personnes qui traînent avec leur CAP de mécanicienne en confection. Elles ont travaillé 20 ou 25 ans et n'ont jamais bénéficié de formation professionnelle continue.

Mme Nicole Pery : Concernant le CIF, je regarderai de plus près, en termes de progression personnelle et professionnelle, ce que cela peut donner. Un chiffre me revient en mémoire, mais ce n'est pas une réponse directe. 60 % de salariés ayant suivi un CIF quittent leur entreprise, mais je ne suis pas en mesure de vous dire si c'est pour une progression personnelle et professionnelle. Je n'ai que du quantitatif. Le qualitatif méritera une autre commande.

Comment répondre à ce besoin aigu de formation des salariés peu qualifiés qui se retrouvent, en raison de la mobilité accrue, en situation de fragilité totale ? En simplifiant, on peut dire que ceux qui en auraient peut-être le moins besoin sont ceux qui en bénéficient le plus, même si, pour les cadres supérieurs, les ingénieurs et autres, la formation tout au long de la vie fait partie du quotidien. Culturellement, ils ont bien compris que c'était une exigence.

Mais comment faire bénéficier d'une formation les 40 % de salariés, qui sont en situation réelle de fragilité, alors qu'aujourd'hui, ils sont pratiquement exclus de la formation tout au long de la vie ? C'est pour répondre à cette exigence que nous avons mis sur la table la création d'un droit nouveau, d'un droit individuel. Si ce droit n'est pas individuel, on ne pourra jamais permettre à tout salarié, s'il le souhaite et au moment où il le souhaite, de faire cet acte de formation pour un « plus » de qualification.

Pourquoi introduire un droit individuel transférable ? Ce droit doit pouvoir être saisi par l'homme ou la femme, durant sa vie d'adulte, quel que soit son statut, qu'il soit salarié ou demandeur d'emploi. Notre logique est de casser les statuts qui empêchent une fluidité suffisante d'un système à l'autre. Il est difficile d'avancer.

Nous avons notre définition de sujets, bien évidemment, que nous avons d'ailleurs inscrite dans le Livre blanc. Mais c'est également aux partenaires sociaux de faire la construction du possible, sous réserve de répondre à cette exigence d'apporter, à chaque salarié qui le souhaite et à ceux qui en ont le plus besoin, une possibilité de faire appel à ce droit individuel lui permettant de faire progresser sa qualification.

Nous aurons certainement l'occasion de revenir sur ces axes forts de la réforme, au travers de l'ensemble des négociations que je mène et des débats parlementaires. Je suis à votre disposition pour revenir quand vous le souhaitez.

M. le Président : Je remercie beaucoup Mme Péry pour l'ensemble de ses explications et les détails qu'elle nous a fournis.

La séance est levée à onze heures quarante.

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N° 1781.- Rapport d'information de M. Didier Migaud, Rapporteur général, déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des finances, en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 3 février 1999.- Annexe 4 : L'utilisation des crédits de la formation professionnelle.- Rapporteur spécial : M. Jacques Barrot.

() Le GNC dépend de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, qui est un service du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.