N° 2311

RAPPORT D'INFORMATION
déposé en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D'INFORMATION COMMUNE
sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière
et du blanchiment des capitaux en Europe

Président
M. Vincent PEILLON,

Rapporteur
M. Arnaud MONTEBOURG,

Députés.

TOME I
Monographies
Volume 4 - La Grande-Bretagne,
Gibraltar et les Dépendances de la Couronne

AUDITIONS

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du rapport

SOMMAIRE DES AUDITIONS
Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des entretiens de la Mission

Gibraltar

Audition de M. Keith AZOPARDI, Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Télécommunications, accompagné de M. James TIPPING, Directeur du Centre financier (Financial Services Development Director)

Audition de M. Joe BOSSANO, Chef de l'opposition, Député et ancien Premier ministre

Audition de M. Martin FUGGLE, Président de la Commission de contrôle des services financiers (FSC) accompagné de MM. Brian MORRIS, Chef du service des investissements, Kieran POWER, chargé des trusts et des gérants de société et David PARODY, Assistant du chef du secteur bancaire

Audition de MM. Jay A. GOMEZ, Inspecteur de la Royal Gibraltar Police, Directeur du centre de coordination pour le renseignement criminel et la lutte contre le trafic de stupéfiants et Arthur PERERA, Directeur de l'Unité du renseignement financier et lutte anti-drogue

Audition de MM. Anthony LIMA, Directeur principal des douanes, et Emilio MACIAS, Chef de la division des enquêtes douanières et lutte anti-drogue

Audition de MM. David DURIE, Gouverneur et Commandant en chef de Gibraltar, et Lawrence WELDON, Second Secrétaire du Foreign and Commonwealth Office, attaché au service du Gouverneur

Audition de M. Peter CARUANA, Premier ministre

Audition de MM. Kevin WARWICK, Conseiller, et Albert TRINIDAD, procureur général adjoint

Audition de M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER, Directeur du Bureau des enregistrements des sociétés de Gibraltar et Directeur du Bureau des enregistrements et immatriculations de navires de plaisance et de commerce et de Maître David J. FARIA

Audition de MM. Joseph ULLGER et James Mc KAY Police Royale de Gibraltar

Île de Jersey

Audition de MM. Pierre HORSFALL et Jean LE MAISTRE, sénateurs, et de M. William BAILHACHE, procureur général

Audition de MM. Anthony RENOUF, Directeur des douanes et David MINTY, Inspecteur

Audition de M. Martin SCRIVEN, Directeur de la Barclays Bank et de M. Jean-Frédéric DESBENOIT, Membre du Comité de l'Association des banques de Jersey

Audition de M. Richard PRATT, Directeur Général de la Commission des Services financiers accompagné de Mme Helen HAMDEN, son assistante, et de M. Andrew LE BRUN, Directeur du service juridique, responsable du respect des normes internationales

Île de Man

Unité de renseignement et de lutte contre la criminalité financière. Audition de MM. X, officier de Police, Y, chef du service des enquêtes financières, et Z, chef du service du renseignement financier

Audition de M. Ian KELLY, Directeur de l'administration fiscale

Audition de M. John CORLETT, procureur général, et de Mme Lyndsey BERMINGHAM, conseil juridique, bureau du procureur général

Audition de MM. John ASPDEN, Directeur général de la Commission de supervision des services financiers, et Bill HASTINGS, Directeur général de la Commission de contrôle des assurances et des retraites

Londres 2000

Ministère de l'Intérieur (Home Office). Audition de Mme Lorna HARRIS, Chef du service de la coopération judiciaire, MM. Godfrey STADLEN, Chef du service de lutte contre la délinquance financière et Peter VALLANCE, Expert

Financial Services Authority (FSA). Audition de MM. John ELLIS, Conseiller pour la lutte contre le blanchiment, James LONDON et Neil JEANS, Chefs de projet en matière de normes anti-blanchiment

Audition de MM. Vincent HARVEY, Directeur de la Division Royaume-Uni du NCIS, et Andy BLEZZARD, Responsable de l'Unité financière du NCIS

Metropolitan Police Fraud Squad. Audition de MM. Tristram HICKS, Chef de l'unité du renseignement, David TUFFY, chargé de la formation internationale, et Paul LAFFAN, enquêteur

Division nationale des impôts. Audition de M. Gabs MAKHLOUF, Directeur des services internationaux de l'administration fiscale, accompagné de M. Ray CASANOVE

Audition de banquiers de la City

Serious Fraud Office (SFO). Audition de MM. WARDLE, directeur-adjoint, et GRIEVES, responsable de l'entraide judiciaire

Londres 2001

Financial Services Authority (FSA). Audition de M. Phillip THORPE, Directeur, et M. Brian DILLEY

Ministère de l'Intérieur (Home Office). Audition de Mme Lorna HARRIS, Chef du service de la coopération judiciaire

Audition de M. Keith AZOPARDI,
Ministre du Commerce, de l'Industrie et des Télécommunications,

accompagné de M. James TIPPING,
Directeur du Centre financier (Financial Services Development Director)

(procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Keith AZOPARDI : Je vous souhaite la bienvenue à Gibraltar. Malgré la superficie de Gibraltar - mais peut-être sa notoriété vient-elle du Rocher - beaucoup en ont entendu parler. Je le constate au travers de mes voyages à travers le monde.

Nous sommes très heureux de vous recevoir à Gibraltar et de pouvoir vous donner toutes les informations qui peuvent vous aider dans votre mission. Nous espérons que votre séjour, bien que très bref, vous laissera une bonne impression. On dit beaucoup de choses sur ce pays, mais il est toujours préférable de venir les constater soi-même sur le terrain, car il est difficile de se faire une opinion sur les personnes et le pays sans l'avoir visité.

M. le Président : Je vous remercie de votre accueil. Notre mission parlementaire travaille, depuis plusieurs mois, sur un sujet de préoccupation pour l'ensemble de l'Europe à laquelle vous appartenez au travers du Royaume-Uni, à savoir la question des paradis fiscaux et judiciaires.

Nous avons déjà visité de nombreux territoires (Monaco, Liechtenstein) et nous irons bientôt à Londres. Nous cherchons à comprendre quels sont les obstacles qui se dressent devant la constitution d'une Europe du droit. Nous avons constaté, en fait, qu'un certain nombre de territoires ont des pratiques fiscales ou judiciaires tout à fait particulières par rapport au reste de l'Europe. C'est notamment le cas de Gibraltar.

Nous avons trois préoccupations que nous devons aborder ensemble très ouvertement.

S'agissant de la fiscalité, tout d'abord, pensez-vous pouvoir conserver un régime fiscal totalement dérogatoire par rapport au reste de l'Europe ou bien envisagez-vous une évolution dans ce domaine ?

Ensuite, à propos des sociétés offshore qui sont nombreuses à Gibraltar
- environ 50 000 - comment comptez-vous mieux pouvoir identifier leurs ayants droit économiques ?

Enfin, comptez-vous améliorer ou travailler à une meilleure coopération judiciaire européenne ?

M. Keith AZOPARDI : Ces questions sont très intéressantes et très vastes. En premier lieu, je voudrais vous donner une réponse générale. Il me semble qu'il y a beaucoup d'idées fausses sur le statut de Gibraltar comme place financière. Nombre de personnes - si vous lisez entre les lignes, vous savez de qui il s'agit - essaient de faire croire que la place financière de Gibraltar est plus importante qu'elle ne l'est en réalité.

En fait, notre économie comprend d'autres secteurs tels que le tourisme et le transport. Le secteur financier, même s'il est actif, n'est pas le seul et unique secteur de notre économie comme cela peut être le cas dans d'autres territoires, par exemple les îles Caymans. Sans ce secteur financier développé, ils rencontreraient certainement des difficultés économiques.

Par conséquent, à la différence des paradis fiscaux, Gibraltar a d'autres industries. C'est l'un des plus grands centres maritimes de la Méditerranée. Notre secteur touristique est tout à fait conséquent car nous recevons 5 millions de touristes par an alors que notre cité ne compte que 30 000 habitants. En comparaison, Malte ne reçoit qu'un million de touristes par an et Londres, avec ses 7 millions d'habitants, 25 millions. Je vous donne tous ces éléments pour que vous puissiez vous affranchir des idées reçues. Même si Gibraltar donne une impression de richesse, celle-ci ne découle pas uniquement de son secteur financier. L'économie de Gibraltar repose sur plusieurs secteurs d'activité.

M. le Président : La conséquence de cela est que vous avez suffisamment de ressources maritimes et touristiques pour pouvoir vous passer de l'activité de centre offshore. Peut-être votre économie est-elle alors assez forte pour envisager le démantèlement de ces sociétés offshore ?

M. Keith AZOPARDI : Tout à fait. Mais je voudrais conclure mon exposé général sur la situation à Gibraltar. Plusieurs autres industries à Gibraltar font marcher l'économie, pas uniquement le secteur financier.

S'agissant du secteur financier, laissez-moi vous donner quelques chiffres. Vous avez évoqué 50 000 sociétés offshore. En fait, Gibraltar ne compte que 8 300 sociétés, y compris les sociétés qualifiées - environ une centaine - et les sociétés exonérées. On parle d'un secteur bancaire, mais Gibraltar ne compte en réalité que dix-huit banques privées pour vingt et un établissements.

Parmi ces banques, vous avez des banques européennes, dont la Barclays ou des banques espagnoles et toutes sont des banques sérieuses et d'une certaine importance. En comparaison, les îles anglo-normandes comptent plus de soixante-quinze banques.

Nos dépôts bancaires, à la date du mois de mars 2000, s'élèvent à 2 milliards et demi de livres sterling. S'agissant des dépôts bancaires de Jersey, pour la même période, ils s'élèvent à 110 milliards de livres et pour Guernesey, 60 milliards.

L'activité bancaire et financière de Gibraltar, l'un des plus petits centres financiers du monde, ne peut être comparée à celle de ces centres financiers. Dans l'Union européenne, Londres est le plus grand centre financier et Gibraltar, comparé à Londres, est un confetti.

Une autre idée reçue sur Gibraltar est que c'est un paradis fiscal. J'admets que nos 8 000 entreprises ont un régime fiscal particulier, mais Gibraltar est loin d'être un paradis fiscal dans le sens que ses habitants font partie des contribuables les plus imposés au monde, arrivant en deuxième position en Europe après la Suède. Le pourcentage d'imposition sur les sociétés qui travaillent avec Gibraltar, que leurs employés soient ici ou non, est de 35 %.

Cette introduction étant terminée, je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions d'ordre statistique, si vous avez des chiffres que vous souhaiteriez vérifier.

M. le Président : Je reviendrai sur la question de la fiscalité. S'agissant du nombre de sociétés, nous n'avons pas du tout les mêmes chiffres. Néanmoins, selon vos chiffres, huit mille sociétés sont exonérées des impôts qu'elles paient normalement dans les autres pays. Pour vous, une telle situation peut-elle perdurer encore longtemps sachant que, pour votre gouvernement, il y a une réflexion à mener sur ce sujet ? En effet, dans le rapport Primarolo sur les pratiques fiscales dommageables, il est très clairement inscrit la nécessité dans le temps d'une convergence européenne des fiscalités, laquelle est notamment acceptée par le Royaume-Uni.

M. Keith AZOPARDI : Je serai ravi de répondre à vos questions, mais avant toute chose, il conviendrait de clarifier la notion d'harmonisation fiscale, laquelle ne signifie certainement pas que l'Europe aura un taux unique d'imposition. Vous avez indiqué que le Royaume-Uni avait accepté cette idée d'harmonisation fiscale, toutefois il faut garder à l'esprit l'agenda des différents pays. Que le Royaume-Uni accepte de s'engager dans une harmonisation fiscale, pourquoi pas, mais que faire si d'autres pays préfèrent rester dans le système de retenue à la source, considérant que cela répond mieux aux intérêts de l'Europe ? Le système de retenue à la source est un impôt payé sur les capitaux détenus par des étrangers dans d'autres Etats européens, lorsqu'ils refusent de communiquer l'identité des ayants droit économiques.

Il est donc nécessaire de clarifier la notion d'harmonisation fiscale. Cela ne signifie nullement que tout le monde aurait le même niveau d'impôts car un certain nombre de pays ne sont pas prêts à l'accepter.

Par ailleurs, tandis que le Royaume-Uni soutient de soi-disant mesures d'harmonisation fiscale, il est également vrai que les autres pays ont leur propre programme. Je vous donne quelques éléments d'explication sur les problèmes que provoque ce type d'imposition. La directive européenne est encore actuellement en discussion. Au début, ce problème a été mis en évidence par l'Allemagne dont nombre de résidents allaient déposer de l'argent au Luxembourg. S'est alors engagée, au niveau de l'Union européenne, une discussion sur la mise en _uvre de l'une des deux possibilités suivantes : soit un échange d'informations, soit un système de retenue à la source.

Le Royaume-Uni soutient cette harmonisation, mais sa position présente néanmoins une certaine ambiguïté. Lorsque plusieurs pays européens se sont mis d'accord sur ce type d'imposition, le Royaume-Uni a alors mis son veto en indiquant que cela porterait atteinte à son marché de placement d'obligations européennes.

M. le Président : On peut continuer de critiquer l'attitude de la Grande-Bretagne, mais Gibraltar serait-il prêt à avancer sur une fiscalité de l'épargne et une fiscalité des sociétés ?

M. Keith AZOPARDI : Je vous donne quelques éléments de fond afin que vous cerniez mieux le contexte. Quelqu'un en Europe doit expliquer le sens exact d'harmonisation fiscale, afin que tous les pays puissent s'accorder sur un programme commun. Avant de vous faire part de la position de Gibraltar sur cette question, il me semble que les décisionnaires et les parlementaires, au niveau européen, devraient déjà prendre conscience de la nécessité de définir plus clairement la notion d'harmonisation fiscale que cela n'est fait dans certains organes tels que l'OCDE.

Il me semble également important de le définir philosophiquement. En effet, dans l'une des recommandations issues du sommet de Lisbonne, les premiers ministres européens ont décidé de promouvoir le commerce électronique et les sociétés de technologie de l'information afin de se mettre au niveau des Etats-Unis. Pour se faire, ils ont évoqué un programme avec des avantages fiscaux.

Si je veux offrir des avantages fiscaux à quelqu'un qui souhaite établir une usine à Gibraltar, je ne peux le faire car c'est supposé être dangereux. Mais je ne comprends pas pourquoi ce serait possible de le faire pour du commerce sur Internet. Il faut que toutes ces notions soient clairement définies.

S'agissant de la position de Gibraltar sur la régulation financière, les impôts, la transparence et l'échange d'informations, nous sommes à l'écoute de toutes les initiatives internationales de différente nature concernant ces sujets et sommes disposés à entreprendre des discussions plus approfondies. Cela concerne également le code des impôts de l'Union européenne, l'OCDE, le GAFI.

M. le Président : L'OCDE devrait publier sous peu une liste des territoires non coopératifs.

M. Keith AZOPARDI : La publication d'une liste noire des territoires non coopératifs était prévue au mois de juin 2000, mais dans une lettre adressée par l'OCDE à tous les pays, il était indiqué qu'une liste serait effectivement publiée en juin, mais pas une liste noire qui sera, en fait, publiée en juillet 2001. La liste publiée en juin 2000 concernera des territoires avec lesquels l'OCDE souhaite établir un dialogue et les persuader de changer leurs pratiques.

M. le Président :  Vous avez mis en place une législation contre le blanchiment comportant des déclarations de soupçons par différentes professions (intermédiaires financiers, banques) pouvant avoir affaire au blanchiment. Combien de déclarations de soupçons ont-elles été transmises et combien ont donné lieu à des sanctions administratives ou pénales ?

M. Keith AZOPARDI : Je voudrais terminer sur notre position quant à la fiscalité.

Tout d'abord, nous considérons qu'il faut établir des calendriers. Toutefois, il est très difficile de satisfaire un engagement quand nous voyons que, par ailleurs, tous les pays ne sont pas traités de la même manière. Tous les pays, au niveau international, devraient avoir le même traitement.

Dans le domaine des impôts, nous estimons que tous les pays, notamment la Suisse et le Luxembourg, devraient être traités indifféremment. Ces deux Etats, membres de l'OCDE et centres financiers bien plus importants que Gibraltar ne pourra jamais espérer l'être, refusent le rapport de l'OCDE.

Au-delà des initiatives internationales, la réalité est que le gouvernement de Gibraltar a été élu sur un programme de réformes fiscales qui inclut, sur le long terme, la suppression du système considéré discriminatoire, c'est-à-dire de la distinction entre résidents et non-résidents.

Même s'il est vrai qu'il y a une volonté politique très forte de se conformer aux normes internationales, nous insistons néanmoins sur le fait que notre souveraineté fiscale soit respectée. Partant de là, tout se passera bien. Nous nous sommes lancés dans une politique de réformes radicales de la fiscalité, dont une partie substantielle devrait être mise en _uvre dans les cinq ans à venir. Ce délai n'est pas impossible étant donné que l'OCDE évoque actuellement les années 2003 et 2005.

Je vais maintenant répondre à vos questions sur le blanchiment et les ayants droit économiques. Gibraltar a promulgué, en 1993, la loi sur les délits de blanchiment d'argent. Comme vous le savez, la directive européenne ne mentionne pas la totalité des délits de blanchiment et, en fait, lorsque nous avons appliqué cette directive, nous l'avons étendue à l'ensemble des délits de blanchiment, de la même manière que l'a fait le Royaume-Uni.

S'il y a preuve de blanchiment, les autorités de Gibraltar entament des poursuites contre les auteurs. Nous avons créé une unité de renseignement financier dont le but est de renforcer la coopération internationale dans le domaine de la régulation financière. Or, nous avions demandé, il y a plusieurs années, à adhérer au groupe Egmont. Tous les membres du comité juridique, qui évalue les demandes d'application pour entrer dans ce groupe, ont voté en faveur de l'adhésion de Gibraltar, sauf un, l'Espagne. Il est enregistré dans les minutes du groupe Egmont que l'Espagne quitterait le groupe si jamais Gibraltar était admis.

Si nous voulons instaurer une coopération internationale sur le blanchiment d'argent, est-il cohérent qu'un pays comme l'Espagne envisage d'abandonner le principe d'une coopération internationale sur la régulation financière simplement parce que Gibraltar a posé sa candidature pour adhérer au groupe Egmont ? C'est pour cette seule raison qu'aujourd'hui, Gibraltar n'est pas membre d'Egmont alors que c'est son souhait.

Cet exemple montre deux choses. D'une part, la volonté réelle de Gibraltar d'une coopération internationale. Personne ne sait qu'un veto a été mis à notre demande d'adhésion au groupe Egmont. D'autre part, il est de première importance pour Gibraltar d'être membre du groupe Egmont car cela nous permettrait de passer des accords de coopération internationale avec d'autres pays sur le blanchiment d'argent ou tout autre type de délit.

Etant donné que vous avez été reçus à Madrid la semaine dernière, vous avez dû être exposés à la propagande habituelle sur Gibraltar. Je n'attends aucune réponse de votre part sur ce point, mais on ne peut dire à la fois que nous ne voulons pas coopérer - ce qui est la propagande habituelle - tout en s'opposant à notre adhésion au groupe Egmont.

Vous allez rencontrer la commission des services financiers. Tout d'abord, cette commission est indépendante du gouvernement de Gibraltar car ses membres sont nommés par le gouvernement du Royaume-Uni. Par ailleurs, elle doit réguler notre centre financier en accord avec les principes européens. A cet égard, nous devons d'ailleurs suivre les normes britanniques. Si le gouvernement du Royaume-Uni estimait que nous n'étions pas en accord avec leurs normes ou celles de l'Union européenne, il n'hésiterait pas une seconde à montrer du doigt toute irrégularité.

Lorsque le ministre britannique des Affaires étrangères a tenté de convaincre Jersey et Guernesey de modifier leur système de régulation financière - ce qui a donné lieu ensuite au rapport Edwards - et les Caraïbes d'adopter une régulation financière, il a cité en exemple Gibraltar où d'excellentes normes de niveau international en matière financière étaient déjà mises en place. Cela a conduit le gouvernement britannique à indiquer à ces pays qu'ils devaient modifier leur système. Le fait est que nous avons été reconnus au niveau international.

Si vous oubliez la propagande, motivée par la politique, la plupart des pays, dont le gouvernement britannique lui-même, reconnaissent que nous avons des normes de très bon niveau en conformité avec la législation européenne. D'ailleurs, le gouvernement britannique, qui n'a eu aucune hésitation à indiquer aux gouvernements des îles Jersey, Guernesey et Caraïbes qu'ils n'étaient pas du tout en conformité avec les normes internationales et européennes, n'aurait pas manqué de nous critiquer si nous n'avions pas réellement été en accord avec ces normes.

M. le Président : S'agissant de ma question sur le nombre de déclarations de soupçons et de condamnations, avez-vous des informations à nous fournir ?

M. Keith AZOPARDI : Je suis incapable de vous donner ces chiffres. D'autres seront à même de vous les donner. Je sais qu'un cadre légal est en place, mais je n'ai pas les chiffres. Néanmoins, je peux vous affirmer que l'échange d'informations, sur un sujet international aussi important, serait renforcé si nous étions membres du groupe Egmont parce que nous aurions des contacts directs avec toutes ses unités financières. Certaines unités hésitent à échanger des informations avec un non-membre du groupe Egmont, à moins qu'il n'ait signé un accord sur l'échange d'informations.

Vous avez mentionné les ayants droit économiques. Comme vous devez rencontrer le commissaire des services financiers, c'est à lui qu'il faut adresser ces questions sur les ayants droit économiques car il traite ce sujet au quotidien.

J'ajouterai néanmoins quelques mots. Dans certains pays de l'espace européen, tels que la Suisse et l'Autriche, il y a des lois statutaires en matière de secret bancaire, chose que Gibraltar n'a pas.

Les lois en matière de secret bancaire, à Gibraltar, sont basées sur le même principe que celui du Royaume-Uni, à savoir un droit de confidentialité, mais non pas de secret. Le banquier doit savoir exactement avec qui il traite. Ainsi on ne peut dire que Gibraltar, tout comme le Royaume-Uni, est un pays qui a un secret bancaire. Le banquier qui traite avec une société exonérée doit connaître son interlocuteur. C'est essentiellement la même base, avec des règles auxquelles doivent se soumettre les institutions financières, les intermédiaires et les banquiers. Ils doivent connaître leur interlocuteur lorsqu'ils traitent des transactions. Cette déclaration fait d'ailleurs aussi partie des lois douanières.

Des sanctions sont appliquées aux personnes qui ne se soumettent pas à la loi. Le public ne le sait peut-être pas, mais la distinction entre secret et confidentialité est la suivante. Le banquier ou l'intermédiaire, qui a une relation financière avec un individu, doit savoir à qui il s'adresse. Par exemple, les informations échangées avec un avocat sont soumises à la confidentialité, selon les lois anglaises, mais pas au secret.

Cette distinction, très importante, n'est pas forcément appréciée à sa juste valeur au niveau international. Les membres de la commission des services financiers (FSC) disposent de l'identité des ayants droit économiques de toutes les sociétés agréées à Gibraltar. Si un individu souhaite que sa société soit exonérée, au lieu d'en demander l'autorisation à la FSC qui est l'organe indépendant qui réglemente, il la demande au gouvernement. Dans ce cas, il doit alors révéler l'identité des ayants droit économiques. Le gouvernement n'accordera pas à une société un statut de société offshore si elle refuse d'identifier ses ayants droit économiques.

Par conséquent, nous connaissons donc l'identité de tous les ayants droit économiques de toutes les sociétés offshore. Dans le cadre d'une enquête, la police et l'unité de renseignements financiers, qui dépendent du gouvernement, ont accès à toutes ces informations.

M. le Président : Très clairement, il n'y a donc aucun problème d'identification.

M. Keith AZOPARDI : Non, mais il est certain que cette information n'est pas dans le domaine public. Le gouvernement de Gibraltar sait exactement à qui il a affaire, dans le domaine fiscal. Quant à la FSC, si elle doit accorder un agrément à un opérateur, elle en connaît l'ayant droit économique.

M. le Président : Chypre utilise le même système. Toutefois, à Chypre comme à Gibraltar, des doutes subsistent. En effet, les déclarations des sociétés ne sont pas suffisamment précises car elles reposent sur la déclaration soit des avocats, soit des sociétés qui ont pour fonction de créer ou de gérer ces sociétés offshore. On ne peut pas vérifier immédiatement la réalité de ces informations. Par ailleurs, sauf dans des cas de droit pénal déjà avérés, il est impossible d'accéder à ces informations.

M. Keith AZOPARDI : Suggéreriez-vous que les déclarations faites par les avocats ne sont pas suffisamment précises ?

M. le Président : Tout à fait. C'est là notre question.

M. Keith AZOPARDI : Ceux qui - avocats ou intermédiaires - créent la société et fournissent la documentation nécessaire à sa création sont soumis à des règles professionnelles. Si les déclarations ne sont pas exactes, ils sont passibles de sanctions. Ils doivent s'assurer de la réalité de l'identité des ayants droit économiques car la personne qui est soumise aux règles de la FSC est celle qui détient l'agrément pour offrir ce type de services.

Afin de s'assurer de la précision des déclarations, un contact direct doit être établi avec la personne qui soumet la déclaration, au nom d'une tierce personne. Il nous est plus facile de nous assurer de la précision des déclarations en nous adressant à la personne qui soumet la demande et doit avoir un agrément à Gibraltar plutôt que sur quelqu'un qui n'a pas obligation d'avoir une licence à Gibraltar. En fait, si vous voulez vous assurer de la précision des déclarations, le plus simple est que la seule personne, autorisée à détenir une licence dans le pays, se soumette aux règles réglementant les déclarations. Ainsi, en rendant cette personne responsable, vous vous assurez d'obtenir le maximum d'informations dans les déclarations.

M. le Président : Pour conclure cet entretien, cela signifie-t-il que la réputation mal fondée de Gibraltar serait liée au travail de lobbying négatif fait par l'Espagne ?

M. Keith AZOPARDI : Cet argument reviendra certainement souvent au cours de vos différentes réunions à Gibraltar. Vous avez mentionné Chypre. Lors de mes contacts avec les Chypriotes, j'ai remarqué qu'ils ont une telle tendance à incriminer la Turquie qu'à un moment donné, vous n'écoutez plus. Je ne veux pas tomber dans ce même piège en incriminant l'Espagne. Néanmoins, je dois vous dire, au risque de vous ennuyer, que même si l'image de Gibraltar a souffert dans le passé pour des raisons autres que le lobbying négatif fait par l'Espagne, la réalité est qu'un pays de 35 millions d'habitants a beaucoup plus de ressources financières pour soutenir une campagne de relations publiques qu'un pays de 30 000 habitants.

Il est faux de dire que le territoire de Gibraltar ne veut pas coopérer, se soumettre aux normes internationales ou qu'il abrite 60 000 sociétés. D'ailleurs nous n'avons pas les mêmes statistiques sur le nombre de sociétés que celles que l'Espagne s'emploie à divulguer. Les allégations espagnoles, qui sont diffusées dans la presse, peuvent être facilement vérifiées. Nous n'avons rien à cacher. Tout ce que je peux vous dire est de vérifier, tout au long de votre séjour, les allégations espagnoles. L'Espagne dit que Gibraltar abrite 60 000 sociétés offshore alors que nous n'en avons, en fait, que 8 000. Je vous invite à vérifier la véracité de ces chiffres.

M. le Rapporteur : La FSC tient-elle un registre du nombre de sociétés et de trusts ?

M. Keith AZOPARDI : Nous avons un registre des sociétés à Gibraltar. La FSC ne gère pas le registre des sociétés, mais délivre les agréments, soit aux gérants de société, soit pour d'autres activités. Cette information est disponible.

M. le Rapporteur : Cela concerne également les trusts...

M. Keith AZOPARDI : Tout à fait, la FSC détient ces renseignements qu'elle peut vous transmettre.

En premier lieu, je vous invite à vérifier la véracité des allégations espagnoles. Si Gibraltar n'était pas intéressé à coopérer au niveau international, aurions-nous demandé à adhérer au groupe Egmont ? Enfin, si le gouvernement espagnol souhaitait notre coopération dans le domaine de la régulation financière et de la lutte contre le blanchiment, il ne s'opposerait pas à notre demande d'adhésion au groupe Egmont.

Jusqu'à encore il y a trois semaines, lorsque nous avons finalement signé un accord de coopération policière avec l'Espagne, les policiers espagnols n'étaient pas autorisés par le gouvernement espagnol à venir à Gibraltar pour apporter des preuves devant nos tribunaux dans le cadre d'affaires criminelles. En effet, l'Espagne ne reconnaissait pas nos tribunaux.

Interrogez-vous sur ces points ! Nous serions ravis de coopérer avec toute initiative internationale car il y a une réelle volonté politique de coopération. A cet égard, nous sommes tout à fait disposés à vous communiquer toutes les informations que vous souhaiteriez, quel qu'en soit le sujet.

Enfin, nos normes ont été reconnues et acceptées par tous, au niveau international, hormis l'Espagne, mais cela relève de la politique. Dans le cadre des initiatives récentes des Nations unies sur l'application des normes internationales, notre participation a été sollicitée pour l'élaboration des normes internationales concernant les centres financiers. Si notre participation a été sollicitée, c'est bien parce que les Nations unies considèrent que nos normes sont d'un bon niveau.

M. le Président : Merci beaucoup de cet entretien.

Audition de M. Joe BOSSANO,
Chef de l'opposition, Député et ancien Premier ministre

(procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Nous venons de rencontrer M. Azopardi qui nous a indiqués que, sur les trois sujets qui nous préoccupent - fiscalité, droit des sociétés et coopération judiciaire - tout allait bien et que Gibraltar était un modèle pour le reste de l'Europe. Nous aimerions avoir votre sentiment sur la fiscalité et la transparence des sociétés offshore, ainsi que sur les difficultés de la coopération judiciaire.

M. Joe BOSSANO : Je vais aller droit au but car je sais que vous avez peu de temps. Tout d'abord, je ne peux émettre de jugement sur la façon dont Gibraltar se situe par rapport aux autres centres financiers ayant les mêmes activités car je ne sais pas comment ces derniers fonctionnent. Pour ma part, je suis socialiste.

M. le Président : C'est une vertu.

M. Joe BOSSANO : (Rires) Il serait bien évidemment profitable d'organiser le monde de façon à utiliser efficacement les ressources, sans aucune distorsion introduite par une concurrence fiscale entre les pays. Mais cela n'est pas pour un avenir proche. Par conséquent, tous à Gibraltar, y compris les socialistes, s'accordent à dire que nous devons gagner notre vie dans le système actuel. Si ce système doit subir des changements, nous les soutiendrons, sous réserve qu'ils s'appliquent à tous.

Gibraltar a mis en place toutes les recommandations faites par le Royaume-Uni, dans le domaine de la protection contre le trafic de drogue et les délits graves. Ces mesures s'appliquent aux non-résidents à Gibraltar qui souhaitent faire transiter leur argent par notre centre financier. Il s'agit d'éviter que le produit du trafic de drogue et d'autres crimes graves ne transite par Gibraltar. Toutefois, elles ne concernent pas les contribuables qui ne voudraient pas payer d'impôts dans leur pays d'origine car s'ils viennent ici, c'est justement pour éviter d'en payer.

La position du gouvernement britannique semble avoir légèrement changé sous les travaillistes, car il fait maintenant une différence entre l'évasion fiscale et l'optimisation fiscale, la première étant illégale, la seconde légale. Il faut être anglo-saxon pour bien saisir la subtilité de cette distinction. Nous ne pouvons pas être comparés à d'autres pays qui sont de grands centres offshore, comme les îles vierges britanniques.

M. le Président : Combien de sociétés offshore y a-t-il à Gibraltar ?

M. Joe BOSSANO : Il convient de faire une distinction entre les sociétés offshore et les sociétés exonérées. Environ neuf mille sociétés exonérées paient une somme forfaitaire de 250 livres sterling par an et ne déclarent pas leurs bénéfices car ils ne sont pas imposés. Chaque année, nous enregistrons environ quatre mille nouvelles sociétés dont 10 % au maximum sont des sociétés exonérées.

Le client, qui vit en France, en Angleterre ou ailleurs, suit les conseils de son avocat ou de son comptable quant à l'utilisation de cette société aux fins d'exonération. Toutefois, dans la plupart des cas, le client n'a pas l'utilité d'une telle société. De nombreuses personnes, qui ont des sociétés à Gibraltar en raison de la non-imposition sur les capitaux, les utilisent en fait pour investir à la bourse, non pas pour dégager un revenu mais pour localiser une plus-value. La société tirant son bénéfice de plus-values, le client ne paie aucun impôt et il n'est donc pas nécessaire de payer 250 livres.

Le fait que huit mille sociétés paient 250 livres sterling ne signifie pas que toutes les autres entreprises à Gibraltar sont des entreprises commerciales « normales » ; en fait, beaucoup d'entre elles ne paient aucun impôt. Elles ont également un régime fiscal particulier. Les cinquante à soixante mille sociétés enregistrées comprennent l'ensemble des sociétés qui ont été immatriculées ici à Gibraltar. En effet, si une société a été enregistrée et que son enregistrement n'est pas maintenu, elle devient une société dormante. Toutefois, elle ne peut être radiée du registre en raison de dettes éventuelles dans le futur. Cela rappelle le système d'immatriculation des voitures. Le fait d'avoir 80 000 immatriculations de voiture ne signifie pas qu'il y a 80 000 voitures sur le territoire de Gibraltar. Une fois qu'un numéro a été attribué à une société, il ne peut être réutilisé. Sur les 60 000 sociétés immatriculées à Gibraltar, seules environ 35 000 peuvent être considérées comme des sociétés actives.

M. le Président : Quand une société est immatriculée, est-il possible de connaître l'identité de l'ayant droit économique de cette société ?

M. Joe BOSSANO : Non, on ne peut connaître que le nom du directeur de la société et les actionnaires. Mais il est possible d'avoir une société qui gère une autre société. Ainsi, même si l'on doit communiquer le nom des directeurs, le directeur de la société A peut être en fait la société B ou encore le directeur de la société B peut être l'avocat du client.

Imaginons que je suis avocat et que vous êtes mon client. D'un côté, je gère ma société qui s'appellerait Joe Bossano Ltd et, de l'autre, je peux vous proposer d'être le directeur de votre société. Si vous faites une recherche sur cette dernière, vous constaterez que le directeur est Joe Bossano Ltd. Puis si vous faites une recherche sur Joe Bossano Ltd, vous constaterez que le directeur est Joe Bossano lui-même.

M. le Rapporteur : Cela signifie que des personnes morales peuvent diriger d'autres personnes morales.

M. le Président : Quand M. Azopardi me dit que l'on peut connaître, par l'intermédiaire du registre, tous les ayants droit économiques, il veut surtout dire qu'il y a toujours un nom, mais qui peut être un prête-nom.

M. Joe BOSSANO : M. Azopardi, avant d'être ministre, était avocat dans le centre financier ! (Rires)

M. le Président : C'est pourquoi il connaît bien le sujet !

M. Joe BOSSANO : Pour ma part, j'étais syndicaliste. Je vais vous exposer mon point de vue philosophique sur la question. En 1989, nous avions 8 000 entreprises à Gibraltar. Lorsque j'étais en fonction, le gouvernement espagnol a décidé de mettre en place une législation contre un certain type d'entreprises immatriculées à Gibraltar. Ceci découle de l'affaire d'une entreprise britannique, appelée Dominion Trust, qui envisageait de se développer à Marbella. Au lieu de vendre des appartements, les responsables de cette société ont immatriculé des centaines d'entreprises à Gibraltar, en attribuant à chacune d'entre elles un appartement.

De ce fait, les appartements en Espagne n'ont jamais changé de propriétaire. Lorsqu'ils voulaient vendre des appartements, ils vendaient les sociétés de Gibraltar, appelées Dominion Trust I, Dominion Trust II et ainsi de suite. Ainsi, ils ne payaient ni plus-value, ni TVA en Espagne car il n'y avait pas de changement de propriétaire en Espagne, mais seulement à Gibraltar.

Le gouvernement espagnol a mis en _uvre une législation afin de se protéger de ce type de comportement. En ma qualité de Premier ministre, j'estimais tout à fait légitime le fait que le gouvernement espagnol tente de se prémunir d'abus de ce type. Cependant, là où la prise de position espagnole m'a semblé inacceptable, c'est lorsque le gouvernement espagnol a empêché ce type d'agissements à partir de Gibraltar, mais pas de Jersey ou de Guernesey. Je considère tout à fait légitime que l'Espagne se protège, mais il est inadmissible que les Espagnols admettent certains agissements de la part de sociétés de Jersey ou de Guernesey, mais pas de sociétés de Gibraltar.

M. le Président : On parle là de l'utilisation des sociétés à des fins de fraude fiscale, mais notre intérêt porte également sur l'utilisation de ces sociétés à des fins criminelles. Pensez-vous que ces sociétés soient aujourd'hui des instruments dans le cadre de la criminalité transnationale et le blanchiment ?

M. Joe BOSSANO : Si certaines le font, elles ne le font pas à Gibraltar, qu'elles n'utilisent que comme place de transit pour envoyer l'argent vers un autre pays. En fait, les sociétés immatriculées à Gibraltar détiennent des actifs ailleurs. Il n'y a pas de corrélation entre les dépôts dans le système bancaire et le nombre de sociétés. Même si le nombre de sociétés est en constante augmentation, le montant des dépôts bancaires ne suit pas la même courbe. On peut contrôler le système quand l'argent est placé sur des comptes, mais en l'occurrence, ce n'est pas le cas. Le système bancaire de Gibraltar a environ 6 milliards d'actifs, dont 4 milliards sont probablement des dépôts. Ces montants ont très peu évolué depuis 1995.

Si des sociétés amènent de l'argent à Gibraltar, il doit y avoir des mouvements à un endroit ou à un autre. Le blanchiment pourrait se faire par l'achat de propriétés, mais le secteur foncier est relativement restreint à Gibraltar. Lorsque deux bureaux de bookmakers sont venus s'installer à Gibraltar pour éviter les impôts en Grande-Bretagne, ils sont venus avec une trentaine de personnes qui ont transformé, en l'espace d'une semaine, un marché immobilier excédentaire en un marché déficitaire. Ce n'est donc pas sur un tel marché qu'il est possible de blanchir des millions de livres.

M. le Président : L'argent issu de la drogue et du trafic de drogue demeure une question préoccupante. Ces trafics font-ils l'objet de contrôles suffisants ?

M. Joe BOSSANO : Que ce soit dans le blanchiment d'argent ou le trafic de drogue, Gibraltar n'a pas une participation physique dans ce type d'activité. Ceux qui utilisent Gibraltar à ces fins l'utilisent comme un centre logistique et de contrôle pour lancer des opérations à l'extérieur du territoire. Il serait dommage d'apporter une grosse quantité de drogue ici car vous seriez dans l'impossibilité de la vendre, en raison du faible nombre de clients. Vous prendriez des risques inutiles en l'important ou l'exportant de Gibraltar.

M. le Président : Qu'entendez-vous par logistique et comment s'organise-t-elle ?

M. Joe BOSSANO : Imaginons qu'un trafiquant importe de la drogue de l'Afrique du nord vers l'Espagne. Il lui serait moins dangereux de rencontrer ses acheteurs espagnols ou ses fournisseurs nord-africains à Gibraltar plutôt que de se rendre en Espagne ou en Afrique du nord. Il serait plus facile de mettre au point l'opération et son financement à partir du territoire de Gibraltar, ainsi que d'y maintenir des contacts téléphoniques. Mais aucune entrée, sortie ou transfert de drogue ne serait constaté à Gibraltar, chose qui pourrait se révéler dangereuse. En effet, les trafiquants de drogue sont peut-être moralement corrompus, mais ils ne sont en aucun cas stupides.

M. le Rapporteur : Pourquoi le GAFI n'a-t-il pas eu l'occasion d'évaluer Gibraltar ?

M. Joe BOSSANO : Pourquoi aurait-il dû le faire ? En ce qui concerne la législation, nous avons répondu à toutes les exigences du gouvernement britannique. Maintenant, dire que la législation inscrite dans les statuts est effective est une autre question. Il faut être réaliste. Des personnalités sont impliquées dans le centre financier. C'est l'endroit où l'on gagne le plus d'argent à Gibraltar, parmi ceux qui déjà en gagnent le plus. Ce n'est pas en devenant médecin que vous gagnerez beaucoup d'argent à Gibraltar, mais en étant avocat et en immatriculant des sociétés. La plupart des personnalités influentes à Gibraltar, dont le Premier ministre, sont ou ont été des avocats, ou encore ont leur famille dans le secteur juridique, et toutes dépendent de cette activité.

Notre intérêt doit trouver un juste milieu : d'une part, protéger et mettre en place des mesures de protection du système et, d'autre part, ne pas devenir trop « gourmand » en autorisant certains agissements qui pourraient se révéler dangereux et risqueraient de faire sombrer le système. Lorsque j'étais au gouvernement, nous avons introduit la législation contre le blanchiment de l'argent, à la demande du gouvernement britannique. M. Caruana, à l'époque le dirigeant de l'opposition, a argumenté que l'obligation d'informer les autorités sur les transactions suspectes ne devait pas s'appliquer aux avocats car, selon lui, les relations entre avocat et client étaient comparables à celles entre un prêtre et le confessionnal. En tant que socialiste, cet argument ne m'avait pas convaincu.

M. le Président : Le problème est que ces avocats, devenus hommes politiques, sont démocratiquement élus. Ils sont soutenus par la population.

M. Joe BOSSANO : Dans tout système, une partie de l'argent repasse dans le circuit économique. Un avocat, qui gagne 500 000 livres, en réinjecte une partie dans l'économie. Cela crée de la richesse pour toute la population. Par conséquent, aucun habitant de Gibraltar ne peut être contre le centre financier, car c'est grâce à lui que nous pouvons bénéficier de certaines choses, comme de restaurants ou autres.

M. Gilbert LE BRIS : M. Azopardi, lors de notre réunion de ce matin, nous a brossé un tableau merveilleux de Gibraltar. Il a, entre autres, indiqué que Gibraltar peut mettre en place des mesures contre le blanchiment d'argent, à l'instar d'autres pays. Quelle serait alors la mesure la plus importante à prendre pour lutter contre le blanchiment d'argent ?

M. Joe BOSSANO : En termes de blanchiment d'argent, ce serait d'établir un diagnostic précis. Nous savons que cela a été fait et que cela fonctionne dans d'autres pays. C'est quelque chose que nous devrions appliquer ici.

M. le Président : Certaines nationalités, notamment les Russes, sont-elles plus présentes à Gibraltar ?

M. Joe BOSSANO : La population de Gibraltar compte quarante-quatre nationalités. S'agissant des ressortissants européens, toutes les nationalités, hormis les Espagnols, sont représentées, avec notamment environ deux cents Français et une centaine de Belges. S'agissant des ressortissants non européens, les Russes, hormis les Marocains, sont probablement les plus nombreux, avec environ cinquante ou soixante ressortissants ayant le droit de résidence. Si certains possèdent ici des pied-à-terre, on ne sait pas combien de temps ils restent. Certains se sont néanmoins installés avec femme et enfants, car Gibraltar est un endroit sûr.

M. le Rapporteur : Tout à l'heure, vous avez évoqué le secret professionnel des avocats et la position de l'actuel Premier ministre lorsque vous aviez fait voter la loi de 1995. La cour suprême de Gibraltar a-t-elle jugé la portée que l'on devait donner au secret professionnel d'un avocat lorsqu'une commission rogatoire internationale demande la levée d'un certain nombre de secrets que l'avocat détient ?

M. Joe BOSSANO : Pas nécessairement. Je ne suis pas avocat, mais il me semble que la cour ne peut demander, dans le cadre d'une commission rogatoire internationale, des informations qui ne pourraient être obtenues dans le cadre d'une enquête nationale.

M. le Rapporteur : Quel est le statut national du secret professionnel ?

M. Joe BOSSANO : Je ne le sais pas précisément. Si j'avais une affaire contre M. Untel et allais devant le tribunal pour obtenir une information, la loi le protège ainsi que la confidentialité professionnelle.

M. le Rapporteur : En fait, je voulais savoir quel était le régime du secret professionnel pour ces avocats lorsqu'il y a contradiction entre la protection du secret professionnel et l'ordre public, que ce soit au niveau national ou international.

M. Joe BOSSANO : Nous avons récemment voté une loi au Parlement pour protéger, contre toute poursuite légale, les personnes qui doivent, dans le cadre d'une enquête, briser le secret professionnel, mais elle ne s'applique - me semble-t-il - qu'aux banques. Ainsi le client ne pourra-t-il poursuivre la banque devant les tribunaux.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Martin FUGGLE,
Président de la Commission de contrôle des services financiers (FSC)

accompagné de MM. Brian MORRIS,
Chef du service des investissements,

Kieran POWER,
chargé des trusts et des gérants de société

et David PARODY,
Assistant du chef du secteur bancaire

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci beaucoup d'accepter de nous recevoir. Nous avons eu, ce matin, un entretien avec M. Azopardi à la suite duquel nous aimerions vous poser un certain nombre de questions sur le fonctionnement du système financier et notamment l'application des lois de 1995.

En premier lieu, combien y a-t-il par an de déclarations de soupçons ?

M. Martin FUGGLE : Je vous donnerai tout d'abord quelques indications sur les fonctions et les statuts de la FSC. En effet, il est important que vous compreniez qui fait quoi à Gibraltar. A cet effet, nous avons préparé à votre attention une documentation diverse et variée dont la loi relative à la FSC et la législation en matière de lutte contre le blanchiment.

La FSC n'est pas une création de Gibraltar. Elle a été créée par décret en 1989. La commission, dont je suis le président, comprend sept autres membres, dont quatre sont basés au Royaume-Uni et trois des professionnels natifs de Gibraltar. L'ensemble des membres de la commission - soit huit membres - ne sont pas nommés par le Gouvernement de Gibraltar, mais par le gouverneur de Gibraltar, représentant du Royaume-Uni, avec l'accord du ministre britannique des Affaires étrangères.

S'agissant de mon parcours professionnel, j'ai passé environ trente ans à la banque d'Angleterre en qualité de régulateur. Les quatre membres de la commission, basés au Royaume-Uni, sont un ancien secrétaire permanent du Gouvernement de John Majors, un ancien directeur d'une des principales compagnies d'assurance britanniques, un ancien agent du Trésor et un ancien membre du Parlement qui appartenait au conseil d'administration des autorités des services financiers au Royaume-Uni. Les trois membres de Gibraltar sont d'anciens associés d'importants cabinets d'avocats et des comptables installés sur le territoire. Ainsi est composée la FSC.

Les membres se réunissent régulièrement à Gibraltar pendant l'année. La FSC est l'organe régulateur du secteur bancaire, des assurances, des services d'investissement ainsi que de la gestion des entreprises et des trusts détenteurs d'un agrément à Gibraltar.

Nous avons une longueur d'avance sur un certain nombre de territoires du fait que nous régulons déjà ces secteurs. À la suite du rapport Edwards sur les îles anglo-normandes et l'île de Man, chacun essaie maintenant de réguler ce secteur, mais c'est quelque chose que nous faisons déjà depuis un certain temps.

Je vais maintenant vous présenter chacune des personnes présentes. Brian Morris est le chef du service des investissements, David Parody l'assistant du chef du secteur bancaire et Kieran Power est en charge des trusts et des gérants de société. La plupart des membres de cette équipe ont acquis une expérience de direction au niveau international. J'étais moi-même à la banque d'Angleterre. M. Morris est un ancien agent du Trésor. Cette introduction est nécessaire afin de bien vous faire comprendre l'indépendance de la FSC par rapport au Gouvernement de Gibraltar.

M. le Président : Nous l'avions bien compris et c'est ce qui nous permet d'aller directement aux questions qui nous préoccupent. Nous pourrions passer des heures très instructives en votre compagnie, mais notre temps est très limité.

M. Martin FUGGLE : Notre méthode de direction est très comparable à celle de l'Angleterre. En fait, la quasi-totalité de la législation a été empruntée à la législation qui existe au Royaume-Uni. Nous sommes inspectés par les Anglais sur les termes de nos dispositions réglementaires et nous avons une obligation d'harmonisation de nos normes aux normes anglaises en matière de législation. D'ailleurs, des responsables du Royaume-Uni sont venus inspecter nos services bancaires et d'assurance. Nous avions déjà eu un contrôle préliminaire concernant notre service des investissements. Selon les conclusions de ces contrôles, nos normes sont en harmonie avec celles en vigueur au Royaume-Uni.

Gibraltar fait partie de l'Union européenne, au travers de l'adhésion du Royaume-Uni. Cela signifie que nous devons mettre en place toutes les directives européennes dans notre système. Par cette introduction, je souhaitais attirer votre attention sur l'indépendance de la FSC, les normes selon lesquelles nous travaillons et les contrôles externes auxquels nous sommes soumis.

M. le Président : Combien y a-t-il de déclarations de soupçons par an ? Ces déclarations de soupçons ou leur absence ont-elle déjà donné lieu à des sanctions ?

M. Martin FUGGLE : Votre prochain interlocuteur, M. Gomez, sera mieux à même de vous donner des chiffres. En effet, les directives sur le blanchiment d'argent prévoient que les déclarations de soupçons doivent être faites auprès de l'unité de renseignement financier.

Pour notre part, nous nous occupons plus particulièrement des institutions financières, en ce qui concerne l'application de la connaissance du client et le système de contrôle pour identifier les déclarations suspectes. Nous examinons le système de contrôle et les dispositions anti-blanchiment appliqués dans le secteur bancaire. Notre système fonctionne de la même manière que celui de la banque d'Angleterre.

M. le Président : Combien de banques, de compagnies d'assurance et de trusts contrôlez-vous ?

M. Brian MORRIS : Nous devons déjà définir ce que vous appelez un trust.

M. le Rapporteur : Ce sont les 35 000 sociétés offshore qui sont appelées soit trusts, soit sociétés exonérées.

M. Brian MORRIS : Ce ne sont pas des trusts. Les sociétés offshore sont au nombre de 8 300 et non pas de 35 000.

M. le Président : Combien de trusts avez-vous ?

M. Martin FUGGLE : Nous n'avons pas de registre des trusts.

M. le Rapporteur : Vous ne pouvez donc pas savoir combien il y en a.

M. Martin FUGGLE : Non, pas en ce qui concerne les trusts individuels.

En fait, nous vérifions que les directeurs de trust, qui ont reçu une licence, respectent bien l'obligation à laquelle ils sont soumis d'identification des clients.

M. le Président : En fait, vous contrôlez que ces sociétés de création d'entreprises appliquent les normes d'identification des ayants droit économiques. Quel est votre bilan en matière de contrôle et de sanction de ces sociétés ? Avez-vous déjà prononcé des sanctions à l'encontre de l'une d'entre elles ?

M. Martin FUGGLE : Si nous-mêmes avons un soupçon à l'encontre d'une institution ou d'une transaction dans laquelle cette institution a été impliquée, nous sommes dans l'obligation de faire une déclaration de soupçons auprès de l'unité de renseignement financier. Je n'ai pas en tête le nombre de déclarations, mais nous le faisons régulièrement.

M. David PARODY : Toute institution financière a obligation de déclarer les transactions suspectes. En absence de déclaration, la sanction est de quatorze ans de prison.

M. le Président : C'est la loi, mais quelle est la pratique ?

M. Brian MORRIS : C'est la même chose.

M. le Président : Y a-t-il eu ou non des condamnations ?

M. David PARODY : La législation ne date que de 1995. Au Royaume-Uni, où la même législation est en vigueur depuis 1988, seules deux ou trois affaires sont arrivées devant les tribunaux.

M. Brian MORRIS : Il faut également considérer la nature des banques qui sont en exercice à Gibraltar. Hormis une, toutes les banques appartiennent à de grands groupes internationaux. Par conséquent, elles respectent les normes.

(M. Fuggle communique au président la liste des banques en activité à Gibraltar.)

M. Martin FUGGLE : Nombre de ces banques sont des filiales ou des succursales de grandes banques européennes, telles que le Crédit agricole.

M. le Président : Nous avons vu ce matin qu'il y a une difficulté à bien comprendre le problème de l'identification des ayants droit économiques. Le système actuel vous paraît-il satisfaisant ou, comme le disent certains, permet-il, par l'intermédiaire des avocats, des prête-noms, de ne pas savoir qui est réellement derrière la compagnie ?

M. David PARODY : Selon les normes en vigueur, les banques doivent s'assurer de l'identité des ayants droit d'une société avant de faire toute transaction pour le client. Votre préoccupation concerne plus probablement les sociétés offshore pour lesquelles il est prévu une forme de confidentialité autorisée par la législation. Toutefois, la législation anti-blanchiment, met de côté cette confidentialité et oblige les banques à identifier les ayants droit économiques de toute société à Gibraltar. Sans cette information, la banque n'est pas autorisée à faire fonctionner le compte bancaire.

M. le Président : La question est de savoir si vous vous arrêtez aux avocats, aux prête-noms ou si vous allez voir qui se cache derrière.

M. David PARODY : Cela concerne toute personne qui amène une activité, à moins que cela ne vienne d'une autre banque ou d'une institution financière réglementée à l'intérieur de l'Union européenne, en accord avec les termes des directives anti-blanchiment. Si un compte est transféré d'une banque européenne vers une banque située à Gibraltar, la banque de Gibraltar n'a pas obligation d'identifier l'ayant droit économique car on considère que la banque européenne devrait déjà l'avoir fait. Dans tous les autres cas de figure, la banque de Gibraltar a le devoir d'identifier l'ayant droit économique de l'opération bancaire.

M. Martin FUGGLE : Je voudrais vous donner un aperçu de l'importance de la place financière de Gibraltar. Actuellement, si vous additionnez l'ensemble des actifs détenus par les banques, ils s'élèvent à 4,6 milliards de livres. Les dépôts s'élèvent à 2,1 milliards. Toutes ces informations financières sont accessibles par le réseau Internet, sur le site de la FSC.

Ce montant des dépôts est très faible par rapport à celui de certains autres territoires. Par exemple, les dépôts à Jersey s'élèvent à plusieurs centaines de milliards, Guernesey 50 milliards de livres, l'île de Man environ 25 milliards. Le montant des dépôts à Gibraltar est beaucoup moins important. De ce fait, les transactions suspectes sont très vite repérées par les autorités et les banques.

Il faut comprendre que nous faisons partie du réseau des autorités de régulation. Ainsi, la FSC sera l'organe de liaison, si besoin est, avec la commission bancaire concernant le Crédit agricole ou avec les autorités de contrôle financier au Royaume-Uni concernant des opérations de la National Westminster Bank ou de la Barclay's.

M. le Président : Quelle est la nature de ces transactions financières ? Ces banques financent-elles essentiellement de l'import-export ?

M. Brian MORRIS : Gibraltar compte plusieurs secteurs d'activité florissants dont le plus important est le tourisme. Nous sommes également le plus grand port de ravitaillement de la Méditerranée. Nous avons encore quelques chantiers navals et une base militaire relativement importante.

M. Martin FUGGLE : Le secteur financier représente environ 25 % du PNB.

M. David PARODY : S'agissant plus particulièrement du secteur bancaire, les banques travaillent essentiellement avec les expatriés britanniques, français, allemands et hollandais qui vivent en Espagne. Les noms des différentes banques, qui apparaissent sur cette liste, reflètent les origines diverses des expatriés qui vivent à 50 km de Gibraltar et qui recherchent une enseigne facilement reconnaissable pour eux. Ainsi un expatrié britannique préférera avoir un compte auprès d'une banque britannique et si celle-ci n'est pas représentée en Espagne, il la retrouvera à Gibraltar.

M. Gilbert LE BRIS : Avez-vous les moyens matériels et humains pour contrôler l'ensemble des activités des sociétés et des banques que vous devez contrôler ?

M. Martin FUGGLE : Nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne de contrôle. La plupart des institutions font l'objet de contrôles consolidés qui comprennent également les opérations effectuées ici. La commission bancaire française intégrera, dans la consolidation des comptes, toutes les opérations du Crédit agricole, y compris celles effectuées à Gibraltar, en accord avec les pratiques internationales. Quant aux moyens humains et matériels, nous avons le personnel adéquat et les moyens nécessaires pour effectuer notre travail ici.

M. Gilbert LE BRIS : Y compris pour répondre aux questions qui vous sont posées par des pays étrangers ?

M. Brian MORRIS : Oui, nous disposons de tous les canaux habituels, avec les autres organes de régulation. Ils sont déjà inscrits dans la législation et nous communiquons avec eux, sur une base régulière.

Sauf avec l'Espagne qui a refusé de communiquer avec nous, mais nous rentrons là dans le champ politique.

M. le Rapporteur : Avez-vous fait l'objet d'une évaluation du GAFI ?

M. Martin FUGGLE : Cette évaluation est en cours. En fait, le GAFI procède à deux évaluations. L'une est faite à distance par M. Thierry Francq qui nous a fait parvenir des questions auxquelles le Gouvernement de Gibraltar doit répondre. Nous participerons à l'élaboration de cette réponse quant aux aspects concernant les dispositions réglementaires.

Quant à la seconde évaluation, sous l'égide du groupe des territoires offshore, elle devrait commencer dans le courant du mois de juin et se terminer à la fin de l'été. Cette équipe comprend deux Américains, un Jersiais...

M. le Rapporteur : Quand la première évaluation sera-t-elle terminée ?

M. Martin FUGGLE : A la fin du mois de juin.

M. le Rapporteur :  M. Francq est-il venu vous voir ou a-t-il l'intention de le faire ?

M. Martin FUGGLE : Non, je ne pense pas. Un certain nombre d'évaluations de territoires offshore, en plus du nôtre, sont actuellement en cours, dont une menée par le Forum de stabilité financière, deux par le GAFI, une par le forum des Nations unies, une par l'OCDE. De nombreuses entités, au niveau international, ont les mêmes préoccupations que vous.

M. le Rapporteur : Un trust peut-il être dirigé par une personne morale ? L'acceptez-vous dans vos critères ?

M. Brian MORRIS : Non, nous devons pouvoir remonter aux ayants droit économiques. Si les actions d'une société sont détenues par une autre société, la législation oblige d'aller au-delà et d'identifier les personnes physiques.

M. le Rapporteur : Comment faites-vous pour exiger de vos intermédiaires financiers, les banques ou les autres intermédiaires que vous contrôlez, qu'ils s'assurent de la véritable identité des ayants droit économiques ? Quelles sont les formalités que vous imposez aux intermédiaires financiers sous forme de circulaire ?

M. David PARODY : Ils doivent exiger un document d'identité, que ce soit un passeport ou une carte officielle d'identité et vérifier l'adresse de la personne au moyen de documents originaux, tels que des actes de propriété, des factures. Une copie de ces documents n'est pas suffisante.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous livrer une expérience que nous avons eue à Monaco où la même exigence figure dans leurs textes. Or nous avons la preuve qu'à Monaco, l'essentiel des grandes banques, mondialement et honorablement connues, ne procèdent pas à ces vérifications et que les dossiers sont vides. Nous aimerions donc avoir la preuve qu'à Gibraltar, les grandes banques mondialement connues ne se comportent pas comme à Monaco.

M. David PARODY : Pour vérifier que les banques respectent leurs obligations, nous recevons des rapports de conformité. En fait, des auditeurs externes sont envoyés par la FSC pour vérifier que la banque respecte les exigences en vigueur. Cette équipe d'auditeurs visite une banque et procède à un contrôle des dossiers. Ils nous soumettent ensuite un rapport indiquant si la banque respecte ou non ses obligations.

M. le Rapporteur : Ces rapports ont toujours été positifs pour les banques, c'est-à-dire qu'elles se sont conformées à la loi en toute circonstance...

M. David PARODY : Il n'y a pas eu d'anomalie notable, mais elles ne sont pas parfaites.

M. le Rapporteur : Dans le cas où elles n'étaient pas parfaites, y a-t-il eu des sanctions ?

M. Brian MORRIS : Cela dépend du degré d'imperfection. Les auditeurs ont relevé, dans certains dossiers, des imperfections que les banques ont ensuite corrigées. Toutefois, les imperfections de ces banques n'étaient pas de nature suffisamment grave pour leur retirer leur agrément.

Si nous avions repéré une banque en total désaccord avec les directives, elle ne serait plus en exercice aujourd'hui. Il faut toujours garder à l'esprit que nous travaillons avec des filiales de grandes banques européennes et qu'il y a toujours des moyens de pression sur la maison mère.

M. le Rapporteur : J'en viens maintenant aux avocats. Y a-t-il des auditeurs externes pour les avocats de Gibraltar qui ont le devoir de respecter les mêmes dispositions anti-blanchiment ?

M. Kieran POWER : Non, il n'y a pas d'auditeurs externes en tant que tels, mais la même procédure s'applique aux gestionnaires de société et aux trustees. Ils doivent identifier leurs clients et appliquer la même procédure que les banques en termes d'identification.

M. le Rapporteur : Qui contrôle les avocats ? Y a-t-il des contrôles inopinés de la part de vos services dans les cabinets d'avocats ?

M. Martin FUGGLE : Non, nous ne faisons pas cela.

M. David PARODY : Les avocats, qui gèrent des sociétés ou des trusts, ne le font pas en leur nom, mais sous le nom de l'entité à laquelle nous avons accordé un agrément. Les avocats qui gèrent des sociétés ont une licence et sont contrôlés par nos services. Toutefois, nous ne contrôlons pas l'activité légale propre à tout avocat.

M. le Rapporteur : Je comprends tout à fait cela, mais votre ancien Premier ministre de Gibraltar nous a rapporté que les avocats qui ont une licence peuvent être ceux qui font le contrôle.

M. David PARODY : Nous ne contrôlons pas les avocats au titre de leurs activités en tant que telles de conseil juridique, mais leurs activités commerciales lorsqu'ils créent et gèrent des sociétés ou des trusts.

M. le Président : Sont-ils contrôlés par des auditeurs externes ?

M. David PARODY : Dans le cas de ces avocats, nous faisons nous-mêmes des visites sur site. Pour les banques, en raison de leur taille, nous utilisons les services d'auditeurs externes. Mais ces cabinets d'avocats étant relativement petits, nous les visitons nous-mêmes.

M. le Président : Quel est le nombre de ces avocats que vous contrôlez ?

M. Kieran POWER : Je voudrais faire un point général. Rien dans la législation de Gibraltar ne donne aux avocats en tant que tels un traitement particulier. Si leurs activités sont dans le domaine des investissements ou la gestion de sociétés, qui sont régies par la loi, ils sont alors soumis à la loi comme les autres.

Nous contrôlons environ quinze ou vingt cabinets.

M. le Président : Des sanctions ont-elles déjà été prononcées ?

M. David PARODY : Pour quel motif ?

M. le Président : Pour non-respect des obligations légales.

M. Kieran POWER : Nous dirigeons nos propres visites lors desquelles nous contrôlons que les cabinets d'avocats respectent les dispositions. Si nous constatons qu'ils ne respectent pas la législation, il existe alors des sanctions, le retrait de l'agrément étant la plus grave.

M. le Président : Cette sanction a-t-elle déjà été prononcée ?

M. Martin FUGGLE : Cette procédure est conditionnée par la loi et peut faire l'objet d'appels. Un retrait d'agrément est une démarche très importante car vous ne traitez pas simplement avec les avocats, mais aussi avec les sociétés qu'ils peuvent gérer. Il faut le faire sur la base de motifs fondés, mais s'il est nécessaire de le faire, nous pouvons le faire.

M. le Rapporteur : Cela n'a jamais été fait.

M. Martin FUGGLE : Nous avons demandé aux institutions de prendre des dispositions pour corriger les imperfections que nous avons pu déceler dans leurs procédures, lors des contrôles.

M. le Rapporteur : Ces rapports, qui sont faits soit sur des avocats qui gèrent des sociétés, soit sur les banques que vous supervisez, sont-ils publics ?

M. Martin FUGGLE : Non.

M. le Rapporteur : Allez-vous les transmettre au GAFI ?

M. Martin FUGGLE : Dans quel sens ?

M. le Rapporteur : Dans le sens que le GAFI ne travaille pas publiquement, contrairement à nous. Le GAFI travaille dans le secret, ce qui n'est pas notre méthode car nous travaillons dans le cadre d'auditions publiques. Accepteriez-vous de transmettre au GAFI des rapports, qui ne sont pas publics ici, sur des contrôles que vous avez faits sur des cas individuels ?

M. Kieran POWER : Le GAFI n'est pas intéressé par ce genre de détails.

M. le Rapporteur : Mais nous le sommes !

M. Kieran POWER : Nous avons une unité de renseignement financier dans le cadre de laquelle s'effectue un échange de renseignements de cette nature, sur des cas individuels, avec d'autres unités de renseignement financier.

M. Martin FUGGLE : Je suis certain que vous avez été informés de certaines questions qui découlent de problèmes politiques. Gibraltar veut rejoindre le groupe Egmont. Il existe un malentendu sur la nature des dispositions de contrôle à Gibraltar. Nombre de rumeurs, qui sont lancées dans les airs, sont politiquement motivées pour saper la réputation du centre financier de Gibraltar. Il convient de faire clairement la part entre la propagande et la réalité.

M. le Président : Vous avez permis de nous aider dans cette voie qui est notre objectif principal. Nous vous remercions.

Audition de MM. Jay A. GOMEZ,
Inspecteur de la Royal Gibraltar Police,
Directeur du centre de coordination pour le renseignement criminel
et la lutte contre le trafic de stupéfiants

et Arthur PERERA,
Directeur de l'Unité du renseignement financier et lutte anti-drogue

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Pourriez-vous nous dire combien de déclarations de soupçons vous avez reçues ?

M. Jay A. GOMEZ : Ce chiffre est confidentiel. Nous prenons néanmoins en compte votre demande concernant ces statistiques que le bureau du Premier ministre sera peut-être en mesure de vous communiquer.

Cette unité a deux fonctions particulières. Elle suit le modèle du NCIS qui existe au Royaume-Uni, c'est-à-dire qu'elle est pour moitié consacrée au renseignement criminel et pour moitié aux transactions financières.

M. Perera, directeur de l'unité du renseignement financier, va vous expliquer comment la législation fonctionne à Gibraltar. Ceci est une copie d'un document que j'ai préparé à votre intention. Il traite en détail ce que je vais vous brosser rapidement. L'unité a commencé dans le mauvais sens, mais c'était afin de répondre à la législation. En 1996, l'unité du renseignement financier, qui comprend sept personnes, a été créée en application du décret réprimant les trafics de drogue et du décret sur la justice criminelle.

Ce n'est qu'en 1997 que l'unité du renseignement financier a été rattachée à la justice criminelle qui comprend aussi les services des douanes de Gibraltar, la police royale de Gibraltar et les services de police de Gibraltar qui dépendent du ministère de la Défense. De plus, le Royaume-Uni a un officier de liaison qui est actuellement un officier des douanes.

En fait, tous les officiers de liaison que nous avons eus ont tous été des officiers des douanes britanniques qui prennent la direction lorsqu'il s'agit d'importation et d'exportation de drogue. Tous les officiers ont suivi une formation spécifique dans le traitement du renseignement au Royaume-Uni, donnée par NCIS et les douanes. Deux de ces officiers ont reçu une formation d'analyste, l'un en matière criminelle, l'autre financière.

Nous dirigeons une unité protégée dans des bureaux protégés avec des bases de données sécurisées dans le renseignement criminel et les transactions financières. Nous disposons de logiciels sophistiqués qui nous permettent de nombreuses possibilités d'analyse sur les données. Lorsqu'un service administratif chargé de l'application des lois, essentiellement à Gibraltar, porte un intérêt particulier à un individu, une société ou un véhicule, il nous transmet cette demande. Toute information que nous aurons disponible sur le sujet sera alors partagée avec lui. Nous avons une procédure, qui reste confidentielle et qui permet de partager, à l'intérieur du territoire, différentes informations.

S'agissant du groupe Egmont, le gouvernement a beaucoup _uvré pour que Gibraltar en devienne membre. Si cela ne s'est pas fait, c'est dû à la position intransigeante de l'Espagne. Nous avons présenté notre demande d'adhésion au groupe Egmont lequel a constaté que nous remplissions les critères de définition d'une unité du renseignement financier selon son cahier des charges. La législation a été mise en place depuis très longtemps. D'ailleurs vous avez en main les normes anti-blanchiment.

Les Espagnols ont mené une action de lobbying très réussie car ils ont pu convaincre les uns et les autres que nous ne pouvions faire partie du groupe Egmont. J'ai lu aujourd'hui, dans la presse, que le Premier ministre est très favorable à votre visite à Gibraltar. De même que nous le sommes à notre niveau opérationnel car nous mesurons l'intérêt de partager l'information avec les autres unités de renseignement en Europe.

M. le Président : Quels sont les types de criminalité auxquels vous avez principalement affaire ici ?

M. Jay A. GOMEZ : Ils sont très variés. Gibraltar a une population de 30 000 habitants et reçoit six millions de visiteurs par an. Chacun d'entre eux peut apporter ses propres problèmes. Cela va du pickpocket au trafiquant de drogue.

M. le Président : Votre unité n'est pas en charge des pickpockets.

M. Jay A. GOMEZ : Non, mais comme notre unité est connue pour s'occuper également du renseignement criminel, nous recevons toutes sortes de renseignements criminels. Nous avons un numéro de téléphone spécial qui permet à tout individu de nous appeler pour nous donner des renseignements de nature criminelle, tout en restant anonyme. Si ces informations concernent des pickpockets, nous les traiterons avant de les transmettre à la police, mais sans les rentrer dans la base de données. Nous ne rentrons dans cette base de données que des renseignements importants.

M. le Président : Le trafic de drogue reste-t-il le problème majeur ?

M. Jay A. GOMEZ : Non, Gibraltar est trop petit pour attirer les trafiquants de drogue. Les prix tomberaient. Il y a quelques années, des trafiquants, qui importaient de la cocaïne d'Amérique du sud en Italie, ont été attaqués et volés. Les voleurs ont alors apporté la marchandise à Gibraltar. Le prix de la cocaïne a diminué à un point tel que les Espagnols nous appelaient le « supermarché ».

M. le Président : Ces voleurs ont-ils été attrapés ?

M. Jay A. GOMEZ : Je suis soumis à un devoir de confidentialité car, dans certains cas, vous avez des informateurs dont la vie pourrait être mise en danger. Toutefois, le résultat de ces échanges d'information a donné lieu à des saisies très importantes de cocaïne et de cannabis dans d'autres pays. Les criminels n'ont pas encore été jugés.

M. le Président : Quelles sont vos responsabilités et votre travail ?

M. Arthur PERERA : Je suis un officier des douanes. Auparavant, en tant qu'enquêteur, je traitais les déclarations de soupçons. Notre législation sur les trafics de drogue date de 1988, mais les déclarations de soupçons étaient traitées par les douanes ou la police. Il n'y avait pas de centralisation. Les institutions financières pouvaient choisir à quelle entité l'envoyer. Puis en 1995, nous avons eu la loi qui a mentionné les autres délits sous-jacents sérieux.

Une décision administrative a été prise pour qu'une seule unité soit destinataire de toutes les déclarations de soupçons envoyées par les institutions financières. Ainsi les institutions financières n'avaient plus à décider si leurs déclarations de soupçons relevaient des douanes ou de la police.

L'unité du renseignement financier a alors été créée. A l'origine, la direction de l'unité était tripartite : un officier des douanes, un policier et un envoyé du Royaume-Uni.

S'agissant de notre travail, nous recevons des déclarations de quiconque a des soupçons sur tout type de criminalité (trafic de drogue, fraude ou autre). Nous encourageons toute personne ou toute institution à faire une déclaration de soupçons que nous intégrons ensuite dans notre banque de données. Nous cherchons à tirer le maximum d'informations, au-delà des éléments fournis dans la déclaration. En effet, nous avons accès, sur le territoire, à d'autres banques de données comme la banque de données criminelles de la police.

M. le Président : Travaillez-vous avec Interpol ?

M. Arthur PERERA : Oui, pas directement, mais nous pouvons leur demander des informations, comme nous pouvons le faire avec NCIS. Nous demandons des informations à ces organismes si les sujets traités ne sont pas locaux.

M. le Président : TRACFIN ?

M. Arthur PERERA : Non. Mais nous avons demandé à d'autres juridictions de vérifier si elles possédaient des informations sur certains individus qui ne sont pas de Gibraltar. Si l'individu est un habitant de Gibraltar, nous avons les informations. Après avoir obtenu l'information, nous la dirigeons soit vers la police, soit vers les douanes. Ce sont ensuite eux qui procéderont à une enquête. Nous faisons du renseignement et non pas de l'investigation.

M. le Président : Avez-vous un retour de ces services ?

M. Arthur PERERA : Tout à fait. Nous rédigeons un rapport qui comprend certains des renseignements en notre possession - mais pas tous - et qui comporte un formulaire de demande de retour d'information, si possible dans le mois qui suit. Toute information supplémentaire que nous pourrions obtenir concernant cette déclaration est également transmise aux enquêteurs.

M. le Président : Avez-vous eu de belles réussites dans le domaine du blanchiment ?

M. Arthur PERERA : Non, en fait nous n'avons pas eu d'affaire de blanchiment en tant que telle. Mais je sais que les douanes ont réussi des prises d'argent comptant à la frontière. En effet, si les douanes ou la police estiment que l'argent liquide est le produit d'un trafic de drogue, au-delà de 10 000 livres, ils ont la capacité de consigner l'argent et d'aller devant les tribunaux, mais en toute probabilité, ils pourront conserver l'argent liquide.

M. le Président : Ces opérations réussies des douanes ont-elles été obtenues grâce à vos renseignements ?

M. Arthur PERERA : Peut-être dans une ou deux affaires, mais en fait les douanes disposent de leur propre source de renseignements et peuvent décider elles-mêmes des actions qu'elles veulent entreprendre.

M. le Président : Avez-vous une bonne collaboration avec les intermédiaires financiers, banques, avocats et autres ?

M. Jay A. GOMEZ : Elle est très bonne, à tel point qu'à certains moments, nous ne pouvons travailler car ils nous appellent continuellement.

M. Arthur PERERA : Nous avons de très bonnes relations avec les institutions bancaires, les avocats et autres, en raison principalement de la taille de Gibraltar.

M. le Président : Pourquoi ces bonnes relations ?

M. Arthur PERERA : Parce que nous nous connaissons.

M. le Président : Parce qu'ils veulent être irréprochables ?

M. Jay A. GOMEZ : Tout simplement parce que l'ordonnance prévoit une sanction de quinze ans d'emprisonnement et personne ici ne veut aller en prison pour une telle durée.

M. Arthur PERERA : La loi prévoit des sanctions pénales pour non-déclaration à l'encontre de ceux qui ne déclareraient pas des infractions dont ils ont connaissance dans le domaine de la drogue. Les institutions financières de Gibraltar ont tout à fait conscience de la législation anti-blanchiment. C'est pourquoi ce sont principalement les institutions financières - plus les grandes que les petites - qui nous transmettent de nombreuses déclarations de soupçons. Les statistiques sont très comparables à celles établies pour le Royaume-Uni.

Nous entretenons donc de très bons rapports avec les banques, non seulement parce qu'elles ont conscience de la législation, mais également en raison de la superficie de Gibraltar. En effet, nous nous rencontrons régulièrement pour des échanges. Je connais la plupart des responsables de l'anti-blanchiment, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays.

M. le Président : A l'analyse des déclarations de soupçons, quel est votre sentiment sur les formes de délinquance ou de criminalité financière qui existent à Gibraltar ?

M. Arthur PERERA : La fraude commise hors du territoire est probablement la plus fréquente.

M. le Président : Quel type de fraude ?

M. Arthur PERERA : La fraude en matière d'investissement. Selon mes constatations, la société est probablement créée à Gibraltar, mais le délit est commis ailleurs par des personnes qui ne résident pas sur notre territoire.

M. le Président : La fraude est-elle le fait de la création de sociétés à Gibraltar ?

M. Arthur PERERA : Non, ce ne sont pas les sociétés, mais les personnes qui, la plupart du temps, résident hors de Gibraltar.

M. le Président : En quoi le territoire de Gibraltar est-il concerné si les personnes sont sur un autre territoire et les fraudes commises à l'extérieur ?

M. Jay A. GOMEZ : Parce que les sociétés sont immatriculées à Gibraltar. Si une société ou une personne s'installe sur le territoire de Gibraltar, un échange d'informations sécurisées se fait alors avec les pays dans lesquels la société ou la personne a perpétré la fraude. Si un Français vient à Gibraltar, forme une société et repart en France, commet une fraude en France à l'encontre de Français, nous ne pourrons rien faire ici, hormis collecter tous les renseignements disponibles et les transmettre aux enquêteurs français. Ensuite, ces derniers doivent venir à Gibraltar, sur commission rogatoire, pour obtenir les preuves.

M. Arthur PERERA : La situation à Gibraltar est sous contrôle en raison du nombre de personnes, mais nous constatons que des individus commettent des délits à l'étranger tout en ayant des intérêts - comme une société - à Gibraltar.

M. Jay A. GOMEZ : L'avantage de Gibraltar est d'être un petit territoire. Ainsi les banques sont très conscientes de la législation. Les personnels de la banque, en charge de contrôler le respect des normes, examinent toutes les transactions. En raison de leur expérience et de leur position, ils peuvent très tôt détecter des anomalies. Prenons l'exemple d'un fonctionnaire payé chaque mois par le gouvernement et qui dépose, depuis vingt ans, son chèque de salaire sur son compte bancaire. Il ne dépose aucun argent en espèces à la banque. S'il commence à déposer trois cents livres en espèces tous les mois, dans un délai de quatre mois, la banque fera une déclaration de soupçons car la situation paraîtra douteuse.

M. le Président : Cela peut être de la corruption.

M. Jay A. GOMEZ : Tout à fait.

M. Arthur PERERA : On ne demande pas aux banques de décider de ce qui relève du trafic de drogue ou d'autres délits, mais de déclarer toutes les transactions qui leur paraissent suspectes dans les mouvements des comptes bancaires. Dès lors que les banques relèvent des anomalies, elles font automatiquement une déclaration. Il revient ensuite aux enquêteurs d'établir le type de criminalité. La déclaration est entièrement basée sur le soupçon et non pas sur un quelconque seuil. Que ce soit trois cents ou trois mille livres, la banque fait une déclaration.

M. le Rapporteur : Pourquoi votre service ne fait-il pas de rapport ?

M. Jay A. GOMEZ : Nous en faisons un, mais il est uniquement adressé à nos autorités de tutelle, à savoir le gouverneur et le Premier ministre.

M. le Rapporteur : Pourquoi n'est-il pas rendu public ?

M. Jay A. GOMEZ : Il faut poser cette question à nos autorités de tutelle.

M. le Rapporteur : Je n'y manquerai pas. Par ailleurs, M. Azopardi, ministre du Commerce, nous a indiqués que votre service tenait le registre de l'identité de toutes les sociétés qui étaient constituées à Gibraltar.

M. Jay A. GOMEZ : Non, ce registre des sociétés est tenu par le bureau d'immatriculation des sociétés. Je ne sais pas dans quel contexte cela vous a été mentionné, mais nous dépensons beaucoup d'argent dans ce bureau d'immatriculation pour obtenir les informations sur des sociétés car chaque consultation du registre nous coûte cinq livres.

M. Arthur PERERA : Nous avons un budget à cet effet.

M. Jay A. GOMEZ : En fait, nous avons notre propre banque de données sur les sociétés qui nous intéressent.

M. Arthur PERERA : Par exemple, si nous recevons une déclaration de soupçons concernant une société, nous pouvons savoir qui sont ses directeurs, ses actionnaires, etc.

M. le Rapporteur : Qu'obtenez-vous de plus à consulter le registre du bureau des immatriculations ?

M. Jay A. GOMEZ : Beaucoup ou rien du tout. Cela dépend de la façon dont la société est enregistrée.

M. le Rapporteur : Que voulez-vous dire par rien ?

M. Jay A. GOMEZ : Ce n'est jamais une coquille vide. Il y a toujours quelqu'un derrière la société, mais cela facilite l'utilisation de prête-noms derrière lesquels il y a les ayants droit économiques.

M. le Rapporteur : Est-ce que cela représente beaucoup pour vous ou rien du tout ?

M. Jay A. GOMEZ : Initialement, ce n'est rien car vous pouvez faire une demande d'informations sur une société dans laquelle tous les directeurs et les actionnaires peuvent être une personne physique ou des prête-noms. Dans ce dernier cas, ces prête-noms ne sont pas complètement opaques car il existe un moyen traditionnel par lequel vous pouvez obtenir des informations.

M. le Rapporteur : Acceptez-vous à Gibraltar que les prête-noms soient par exemple des sociétés panaméennes ?

M. Jay A. GOMEZ : A un moment donné, le professionnel à Gibraltar connaîtra la personne qui se cache derrière le prête-nom. Toutefois, dans certaines situations, ce ne sera pas le cas et il faudra alors se tourner vers une autre juridiction pour obtenir ces informations.

M. le Rapporteur : Il est donc possible que des sociétés étrangères ne soient pas identifiables, sauf au travers de leurs hommes de paille.

M. le Président : Si les prête-noms sont des avocats de Gibraltar et que vous les interrogez pour savoir qui se cache derrière, ces avocats peuvent-ils invoquer leur devoir de confidentialité pour ne pas répondre ?

M. Jay A. GOMEZ : Oui et non. Nous pouvons leur demander de manière confidentielle. Mais par exemple, si nous ne connaissons pas l'avocat, il est possible d'obtenir, par une procédure judiciaire, la nomination d'un enquêteur spécial. L'avocat sera alors obligé de se présenter devant cet enquêteur spécial, avec son dossier.

M. le Président : Cette procédure est-elle souvent entreprise ?

M. Jay A. GOMEZ : Nous ne le faisons pas car nous ne sommes pas des enquêteurs. Sans dire que cela se fait tous les jours, cette procédure arrive souvent.

M. Arthur PERERA : Si vous connaissez l'avocat, vous pouvez obtenir de manière confidentielle des informations, mais tout dépend de l'utilisation que vous voulez en faire.

M. le Président : A Gibraltar, y a-t-il des avocats, voire des banques, qui ont moins bonne réputation que d'autres ?

M. Jay A. GOMEZ : Nous avons le cas d'un avocat qui a été extradé au Royaume-Uni, sur des charges de blanchiment d'argent sur le territoire du Royaume-Uni. Il attend actuellement son procès qui se déroulera au Royaume-Uni. Cette affaire a été reprise par la presse.

M. le Rapporteur : Connaissez-vous la Banco Atlantico Gibraltar Ltd ?

M. Arthur PERERA : Oui.

M. le Rapporteur : L'Etat de Gibraltar a-t-il entamé une procédure contre cette banque ? Est-ce un bon établissement bancaire ?

M. Jay A. GOMEZ : Je suppose que cet établissement remplit les critères pour avoir son agrément. Cette question est à adresser aux autorités de régulation.

M. le Rapporteur : Plus précisément, n'avez-vous pas eu d'incidents avec Banco Atlantico ?

M. Jay A. GOMEZ : Ce n'est pas à nous d'entrer dans des cas particuliers.

M. le Rapporteur : Pour notre part, nous le faisons et je voudrais vous signaler que nous avons des renseignements très défavorables sur cette banque.

M. Jay A. GOMEZ : Si vous souhaitez nous transmettre ces informations, peut-être pourrons-nous en faire quelque chose.

M. le Rapporteur : Nous le ferons officiellement auprès du Premier ministre, car c'est lui qui décide de tout...

M. Jay A. GOMEZ : Il ne décide pas de tout. Le Premier ministre et le gouvernement ont indiqué, de manière tout à fait publique, que les autorités policières et le gouvernement lui-même accepteraient avec joie tout témoignage ou information s'agissant de problèmes qui concernent Gibraltar.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de MM. Anthony LIMA, Directeur principal des douanes,

et Emilio MACIAS,
Chef de la division des enquêtes douanières et lutte anti-drogue

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Notre première interrogation porte sur les déclarations de soupçons qui vous sont transmises, dans un certain nombre de cas, pour enquête. Combien d'enquêtes avez-vous ouvertes à partir de ces déclarations et quels en ont été les résultats ?

M. Anthony LIMA : Emilio Macias est le chef du service d'investigation qu'il a lui-même mis en place avec quatre autres collaborateurs. C'est lui qui fait l'essentiel du travail d'investigation. Je suis moi-même à ce poste depuis environ deux ans. Auparavant, j'étais chef du personnel au gouvernement de Gibraltar. Lorsque le gouvernement a changé, mon collègue est parti à la retraite et on m'a demandé alors de le remplacer. C'était un transfert direct, et non pas une promotion. Néanmoins, c'est un défi pour moi.

Les investigations sont menées de la même façon qu'au Royaume-Uni car nous appliquons le même protocole. Nous avons un lien direct et quotidien avec Londres concernant les mouvements de bateaux et de yachts, et les noms de leurs propriétaires et de leurs passagers. Cela s'est étendu en matière d'anti-blanchiment d'argent. M. Macias va vous donner le nombre de déclarations de soupçons que nous recevons et vous expliquer la façon dont nous les traitons.

M. Emilio MACIAS : Quand nous recevons une demande d'information de la France ou d'un autre pays, son traitement dépend de la nature de la demande, dans le respect de la loi nationale. Si cette demande est relative à la drogue, elle doit provenir des autorités du pays dans lequel le criminel se trouve. Elle est alors dirigée vers l'autorité compétente à Gibraltar. En matière de délits liés au trafic de stupéfiants, c'est le procureur général qui reçoit la commission rogatoire. En relation avec ce bureau, nous procéderons alors à toutes les demandes mentionnées dans la commission rogatoire.

En application de l'ordonnance relative aux délits en matière de drogue, les banques, les entreprises et les individus, qui sont soumis à cette ordonnance, feront une déclaration sous serment devant le tribunal de Gibraltar. Cette déclaration, signée par la banque, la société ou l'individu, sera transmise à l'autorité étrangère requérante. Ceci est la procédure relative aux demandes d'information en matière de drogue.

S'agissant des demandes d'informations relatives à toute autre activité illégale, une autre procédure est suivie. L'autorité requérante est alors le tribunal du pays dans lequel le délit a été commis. Ce tribunal enverra une commission rogatoire internationale à la cour suprême de Gibraltar, laquelle à réception de cette commission rogatoire, nommera un enquêteur spécial. Ce dernier enverra une assignation aux banques, sociétés et individus cités dans la commission rogatoire.

Les individus cités se présenteront devant cet enquêteur avec l'ensemble des documents requis et une déclaration. Cet enquêteur spécial transmettra ensuite tous ces documents à la cour suprême, laquelle les transmettra au tribunal étranger requérant.

Ce sont les deux procédures légales que nous appliquons à Gibraltar, en relation avec les commissions rogatoires internationales.

M. Gilbert LE BRIS : Vous nous avez exposé la théorie. Qu'en est-il de la réalité maintenant ?

M. Emilio MACIAS : Nous recevons un certain nombre de commissions rogatoires, la plupart du Royaume-Uni.

M. le Président : Combien recevez-vous de demandes d'informations ?

M. Emilio MACIAS : Je peux simplement vous donner le chiffre de celles qui sont traitées par les douanes, les autres étant dirigées vers la police.

M. le Président : Combien l'unité du renseignement financier de Gibraltar vous en transmet-elle ?

M. Emilio MACIAS : En théorie, si la matière relève de l'autorité douanière, nous la traitons. Si c'est une affaire relative à la police, c'est elle qui s'en charge.

M. le Président : Combien recevez-vous chaque année de déclarations de soupçons à traiter et combien donnent lieu à des poursuites judiciaires et des condamnations ?

M. Anthony LIMA : En fait, les déclarations proviennent de deux sources. Ceci est confidentiel. Si vous allez dans un bureau de change ou une banque pour déposer un gros montant d'argent, le responsable du bureau de change ou de la banque contactera M. Macias pour l'informer que tel individu est venu déposer une grosse somme.

M. le Président : Ne faudrait-il pas qu'il appelle d'abord M. Gomez ?

M. Emilio MACIAS : Je vous cite un exemple illustrant la façon dont le système fonctionne. Il y a environ trois ans, un bureau de change à Gibraltar nous a contactés pour nous donner des informations selon lesquelles des personnes, qui venaient à Gibraltar, déposaient des sommes d'argent en espèces dans les bureaux de change et en retour des espèces, obtenaient des chèques. Ces chèques étaient ensuite déposés en banque. Le bureau de change nous a contactés ainsi que les banques.

M. le Président : Cela s'est fait directement, sans passer par l'unité de M. Gomez...

M. Emilio MACIAS : C'est-à-dire qu'ils nous ont contactés après en avoir informé M. Gomez. Nous avons surveillé ces activités pendant environ deux ans. Puis nous avons eu des informations de la banque selon lesquelles les titulaires de comptes sortaient l'argent en espèces de la banque. Nous avons mené une opération et constaté que ces deux personnes, dont je ne mentionnerai pas le nom car c'est une affaire en cours, transportaient cet argent en liquide de Gibraltar en Espagne. Après les avoir arrêtées, nous avons confisqué l'argent.

Dans ce cas de figure, nous devons démontrer - et c'est la loi à Gibraltar - que cet argent est le produit d'un trafic de drogue. Ces deux personnes sont des ressortissants français. Nous avons saisi l'argent et communiqué avec la police française à Lyon. L'une de ces deux personnes, une femme, a été arrêtée à Lyon pour trafic de drogue. Tout en communiquant avec la police de Lyon, nous avons une procédure en cours à Gibraltar par laquelle le tribunal de Gibraltar va saisir cet argent. La personne perdra l'argent.

Nous coopérons également avec la police à Lyon qui devrait nous envoyer une commission rogatoire internationale pour obtenir des preuves à Gibraltar pour leur affaire à Lyon. Cela vous montre jusqu'où nous allons dans nos enquêtes. La loi nous permet de traiter nos affaires et de coopérer, en dehors du tribunal, avec d'autres organismes pour toute information ou preuve disponible à Gibraltar. Nous avons des contacts quotidiens avec les douanes à Nantes. Je mène actuellement une enquête avec la direction nationale à Paris. Nous avons des contacts avec les enquêteurs de Londres.

M. le Président : Votre coopération avec la police de Gibraltar est-elle bonne ?

M. Emilio MACIAS : La coopération est bonne en raison de la superficie du territoire de Gibraltar. Tout le monde se connaît. Nous entretenons des relations amicales avec eux et échangeons des informations.

M. Anthony LIMA : Nous avons de nouvelles personnes qui travaillent pour nous pour la collecte de renseignements. L'un est un membre de mon équipe d'investigation, l'autre un jeune officier. Ce système vient tout juste de se mettre en place. Ces deux personnes collectent des renseignements de différentes natures pour alimenter ce système, mais ne participent pas aux opérations sur le terrain.

M. le Président : Les affaires sur lesquelles vous enquêtez concernent-elles essentiellement des affaires liées au trafic de drogue ou y a-t-il d'autres types de délit ?

M. Emilio MACIAS : Nous traitons tout type de délit en relation avec des enquêtes douanières.

M. le Président : Statistiquement, comment se répartissent les affaires en matière de drogue et les autres délits ?

M. Emilio MACIAS : Il est difficile de donner des statistiques. Nous avons chaque jour, à la frontière, des affaires liées au trafic de drogue, mais qui ne concernent pas de grandes quantités.

M. Anthony LIMA : En fait, il est difficile de quantifier, sur une base journalière, le nombre de demandes que nous recevons de la direction nationale ou des douanes à Nantes, mais elles sont d'environ une dizaine par mois.

M. Emilio MACIAS : Nous sommes chaque jour en contact avec les douaniers à Nantes avec lesquels nous avons une bonne coopération. Nous avons une banque de données dans les locaux de la douane. Tous les yachts qui s'arrêtent à Gibraltar doivent faire une déclaration à un bureau que nous avons au port. Ce bureau nous fait ensuite parvenir des rapports dont nous introduisons les renseignements dans notre banque de données. Nous avons ainsi l'ensemble des informations concernant les personnes voyageant sur les yachts. Nous envoyons, chaque jour, une copie de cette liste à Nantes.

M. le Président : Merci beaucoup de votre accueil et de ces précisions.

Audition de MM. David DURIE,
Gouverneur et Commandant en chef de Gibraltar,

et Lawrence WELDON,
Second Secrétaire du Foreign and Commonwealth Office,
attaché au service du Gouverneur

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir accepté de nous recevoir. Nous avons déjà rencontré un certain nombre de personnalités de Gibraltar ce matin. Nous allons donc nous permettre d'aller assez directement aux questions.

M. David DURIE : Tout d'abord, pourriez-vous me décrire le contexte de votre mission et l'objectif que vous poursuivez ?

M. le Président : Cette mission parlementaire française est une mission commune à plusieurs commissions permanentes : affaires étrangères, finances et lois. Elle a été créée il y a un an en harmonie avec le Gouvernement français et avec un objet qui est la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment en Europe.

Le ministre des Finances, Dominique Strauss-Kahn à l'époque, avait pris des positions offensives contre les centres offshore. Par ailleurs, nous avons souhaité avancer, avec le Gouvernement français et les autres gouvernements européens, sur ce qu'on appelle l'espace judiciaire européen dont il a été question au sommet de Tampere.

La mission s'est déplacée dans de nombreux pays d'Europe et dans des paradis fiscaux. Nous arrivons presque au terme de nos voyages. Ceci est le cadre de notre travail.

Sur Gibraltar, trois questions nous préoccupent. La première concerne le droit des sociétés et l'incapacité où il semblerait que nous nous trouvions d'identifier les ayants droit économiques. La deuxième question est la question fiscale, la troisième celle de la coopération judiciaire.

Sur ces trois questions, des problèmes importants se posent dont certains relèvent - c'est le statut particulier de Gibraltar - de votre responsabilité. Nous aimerions avoir, sur ces trois questions, votre analyse, votre point de vue et vos objectifs.

M. David DURIE : Vous avez déjà rencontré la commission de régulation des services financiers et l'unité de renseignement financier, et vous aurez bientôt des discussions avec le Gouvernement de Gibraltar. J'espère que vous repartirez avec une impression de Gibraltar meilleure que celle que vous aviez lors de votre arrivée.

S'agissant de la coopération judiciaire, les gouvernements britannique et gibraltarien sont tous les deux très désireux que la coopération judiciaire fonctionne bien à Gibraltar, que ce soit sur le plan intérieur ou avec les autres pays de l'Union européenne. Vous devez avoir conscience des difficultés que Gibraltar a rencontrées, par le passé, en raison de l'attitude de l'Espagne. J'imagine que vous êtes informés des accords récents qui favoriseront un échange d'informations entre les autorités compétentes de Gibraltar et celles des autres Etats membres. Ces accords sont d'ailleurs disponibles pour le Gouvernement français auprès de Bruxelles.

Gibraltar pourra pleinement, dans le futur, participer à la régulation européenne et à l'échange des informations d'une autorité compétente à une autre. C'est le v_u du Gouvernement britannique et du Gouvernement de Gibraltar, que Gibraltar participe pleinement à ce processus.

Quant à vos deux autres questions, qui ne sont en fait que des questions de détail, j'espère que la commission de régulation et l'unité du renseignement financier ont pu y répondre de façon précise. Gibraltar, du fait de sa taille, me semble présenter au niveau de l'application des lois des avantages qui ne pourraient exister dans un grand pays comme la France. Par exemple, il m'a été raconté qu'un employé de banque, qui trouvait suspects l'apparence et le comportement de deux clients, a fait une déclaration de soupçons sur les transactions qu'ils effectuaient. Ce comportement serait inimaginable de la part d'un employé de banque à Paris ou à Londres. Grâce aux contrôles mis en place à Gibraltar et l'attitude des institutions financières, notre capacité pour contrôler certains types de transactions est meilleure que celle que pourrait avoir un plus grand centre financier.

Les services financiers sont un secteur d'activité important pour Gibraltar, mais étant donné la petite taille de Gibraltar, il est toujours possible d'exagérer l'impact de nos services financiers sur le reste de l'Europe. Néanmoins si vous faites une comparaison des chiffres, vous constaterez que l'impact de notre secteur des services financiers, à l'échelle européenne, est faible.

Quantité d'efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer le contrôle des services financiers et des transactions monétaires à Gibraltar. Il n'est jamais possible de dire que tout est parfait, mais le contrôle est certainement meilleur ici que dans certains autres pays.

M. le Président : Je reviens à ma question initiale. Je ne remets pas en question le fait que le système bancaire est bien contrôlé ou que la régulation soit bien assurée à Gibraltar. Personne n'a d'ailleurs jamais porté d'accusation à ce sujet.

Nous avons examiné, ce matin, une difficulté importante qui concerne le droit des sociétés. Sur cette question, les avis sont contradictoires. Certains disent que les sociétés offshore seraient plusieurs dizaines de milliers.

Or les services nous indiquent que, dans un certain nombre de cas, ils ne peuvent identifier les ayants droit économiques, puisque des prête-noms peuvent servir d'intermédiaire. Dès lors, on peut se demander si un certain nombre de personnes ayant à cacher leur identité se servaient de ces sociétés, sans nécessairement déposer l'argent dans les banques. Avez-vous une analyse personnelle sur ce sujet et des éléments de prospective ?

M. David DURIE : Je ne dispose pas de beaucoup d'informations sur ce sujet. Lorsque vous allez rencontrer le Premier ministre et le registre des sociétés, peut-être obtiendrez-vous des informations selon lesquelles le nombre de sociétés actives à Gibraltar est en fait beaucoup moins élevé que le nombre de sociétés enregistrées. En effet, la loi à Gibraltar ne permet pas la radiation automatique des sociétés non utilisées. Par conséquent, seul un tiers des sociétés enregistrées auprès du registre des sociétés sont réellement des sociétés actives.

Vous avez dit, à juste titre, que si elles sont actives à Gibraltar, leurs activités seront contrôlées par la commission de régulation des services financiers et les banques. Je ne dis pas que les possibilités de blanchiment sont impossibles, mais elles sont très limitées. Cela conduit à la question suivante. Quelles sont les activités hors Gibraltar des compagnies enregistrées à Gibraltar et pourquoi les actions de contrôle, exercées hors Gibraltar, ne peuvent être aussi efficaces que celles exercées sur le territoire de Gibraltar lorsque ces sociétés sont actives ici ? C'est une question que je vous pose.

M. le Président : La deuxième préoccupation est celle de la coopération judiciaire qui relève de votre responsabilité. Le Gouvernement de Gibraltar considère que s'il y a des difficultés de coopération judiciaire, elles relèvent de l'autorité britannique et qu'il ne lui revient pas d'y répondre. Il semblerait néanmoins - en tout cas au minimum avec l'Espagne - qu'il y ait des difficultés de coopération judiciaire. Un certain nombre de juges indiquent que leurs commissions rogatoires internationales ne sont pas exécutées quand elles concernent Gibraltar. Ce sont principalement les Espagnols qui font cette récrimination. Quel est votre point de vue ?

M. Lawrence WELDON : Nous avons une tradition de coopération judiciaire avec les autres Etats membres de l'Union européenne, hormis l'Espagne. La plupart des délits sont commis dans cette région, principalement en Espagne avec laquelle nous rencontrons justement des problèmes de coopération. Les autorités espagnoles ne veulent pas reconnaître les autorités compétentes de Gibraltar. Un accord récent va nous permettre d'étendre la coopération judiciaire à l'Espagne.

M. David DURIE : Je n'ai pas connaissance d'une demande, formulée selon les critères requis par la loi à Gibraltar, à laquelle il n'aurait pas été répondu. Chaque pays a sa propre législation. Ainsi vous pouvez poser certaines questions à la France et pas au Royaume-Uni et vice versa. Je ne suis pas informé de questions légitimes qui auraient été posées, selon les critères requis par les autorités de Gibraltar, auxquelles il n'aurait pas été répondu.

M. le Président : Avez-vous des statistiques sur le nombre de commissions rogatoires exécutées par vos services vis-à-vis des différents pays européens ?

M. David DURIE : Elles ne passent pas par ce bureau.

M. Lawrence WELDON : Selon leur nature, elles sont adressées à différentes autorités. En matière criminelle, elles sont adressées au bureau du procureur général qui devrait avoir connaissance de cette statistique. S'agissant des commissions rogatoires en matière civile, la cour suprême de Gibraltar serait certainement la mieux à même de vous fournir des informations.

M. David DURIE : Nous verrons si nous pouvons vous trouver de telles statistiques. Comme je l'ai déjà dit, je n'ai pas connaissance d'un problème autre qu'avec l'Espagne. Les Espagnols n'ont jamais voulu traiter directement avec Gibraltar.

M. le Rapporteur : Je suis allé à Madrid la semaine dernière où j'ai rencontré le procureur Garzon et le juge Villarejos. Je leur ai demandé un état très précis de leurs requêtes, notamment à l'égard de Gibraltar. Nous n'avons pas repris le fait que, dans le rapport d'évaluation de l'Union européenne d'il y a deux ans, apparaissaient déjà plusieurs commissions rogatoires qui avaient été adressées directement à Gibraltar sans être exécutées pendant huit ans. Ce document dont je vous ferai copie doit être disponible au Conseil de l'Europe.

Nous avons fait le point des commissions rogatoires concernant Gibraltar, adressées directement soit au Royaume-Uni soit à Gibraltar, et dont aucune n'avait été exécutée. Je vous donnerai l'ensemble des pièces, des dates et du résultat des commissions.

La position espagnole consiste à dire qu'ils n'ont pas même pas une lettre accusant réception et rejetant la demande. La réponse est un silence, que ce soit Londres ou Gibraltar. C'est un point que cette mission devra éclaircir. Je serai prêt, dans le cadre de nos investigations, à l'éclaircir pour le profit des deux parties, puisqu'il y a maintenant un accord. Mais il ne nous paraît pas acceptable, dans l'intérêt général européen, qu'un pays puisse, pour des raisons politiques locales, se servir de l'absence de coopération judiciaire pour déplorer ce que précisément Gibraltar essaie de combattre dans sa réputation.

J'ajouterai que les juges français nous ont indiqué, à travers le ministère de la Justice, qu'ils avaient cessé depuis bien longtemps de demander à Gibraltar la coopération car ils n'en attendaient rien. C'est donc une réputation bien ancrée chez les juges français, sachant que les accords de Schengen, dont l'article 53, ne sont pas applicables.

M. David DURIE : En premier lieu, je serai vivement intéressé de voir la liste établie par les Espagnols. Le fait que les autorités espagnoles n'aient reçu aucune réponse, voire un accusé de réception, à leurs commissions me semble étrange. Vous pouvez en tirer deux conclusions et je ne sais laquelle des deux est correcte. Soit ces commissions ne sont jamais arrivées, soit elles ont été ignorées. Néanmoins, si elles n'ont fait l'objet d'aucun accusé de réception, on peut se demander si elles ont été reçues par les autorités de Gibraltar.

En ce qui concerne les juges français, vous pouvez leur conseiller de renouveler leurs demandes. L'accord récent devrait mettre en place, pour toutes les formes de coopération, une méthode de réception des commissions concernant Gibraltar. Elles sont à la fois transmises à Gibraltar et à Londres. Gibraltar répond aux demandes et les retourne aux autorités requérantes. Cet accord, formé il y a trois semaines, ne sera pas officiellement en place avant le premier juin. L'information sur cet accord a été transmise. Il y a eu des échanges de lettres entre les représentants du Royaume-Uni et les représentants espagnols à Bruxelles. L'information a également été transmise à toutes les représentations à Bruxelles, y compris la représentation française. Certains de mes collègues sont aujourd'hui à Londres pour discuter des modalités en vue de s'assurer que cet accord fonctionne, comme il se doit, dans le futur.

M. le Président : Concernant la question fiscale, le Premier ministre nous a indiqué qu'il concevait tout à fait la nécessité d'un certain nombre d'évolutions, mais qu'en même temps, il ne voyait pas pourquoi Gibraltar devait évoluer si les autres n'évoluaient pas. Quel est votre point de vue par rapport à cette spécificité fiscale de Gibraltar ?

M. David DURIE : A Gibraltar, le pouvoir du gouverneur concerne certains domaines et celui du Gouvernement d'autres domaines. Le régime fiscal relève du Premier ministre et non du gouverneur. Même si j'avais un point de vue, il me faudrait vous en faire part de façon privée.

M. le Président : Puisque vous représentez le Gouvernement britannique, cela signifie-t-il que vous n'avez pas de position sur la concurrence fiscale dommageable telle qu'elle est exprimée dans le rapport Primarolo ?

M. David DURIE : La responsabilité du domaine fiscal est de la compétence du Premier ministre.

M. le Président : Vous êtes destinataire des déclarations de soupçons parce que la police en est destinataire. Avez-vous des statistiques des déclarations de soupçons reçues par la police et des enquêtes diligentées à partir de ces déclarations de soupçons ?

M. David DURIE : La police publie un rapport annuel. Le rapport pour 1999 est prévu pour le mois prochain.

M. Lawrence WELDON : L'unité du renseignement financier devrait avoir ces statistiques.

M. le Rapporteur : Ses responsables refusent de nous les communiquer.

M. le Président : Votre unité de renseignement financier dirige ces déclarations de soupçons soit vers la douane, soit vers la police. La douane est sous l'autorité du Gouvernement, la police sous la vôtre. Dans ces enquêtes de police que vous avez à lancer à partir des déclarations de soupçons, avez-vous en tête le nombre d'enquêtes lancées et le nombre de condamnations ?

M. David DURIE : Je n'ai pas les chiffres en tête. Les statistiques pour 1999 ne sont pas encore disponibles, mais celles de 1998 le sont peut-être. Je ne sais pas si cela couvre tous ces détails qui vous intéressent. Nous verrons si nous avons les chiffres et si oui, nous vous les transmettrons.

M. Gilbert LE BRIS : A votre connaissance, et alors que le Royaume-Uni a conduit une enquête - d'où le rapport Edwards - sur la délinquance financière à l'île de Man, Jersey et Guernesey, pourquoi Gibraltar est-il passé au travers ?

M. David DURIE : Je ne connais pas la réponse.

M. Lawrence WELDON : Ces territoires sont hors de l'Union européenne alors que Gibraltar est un membre à part entière de l'Union européenne. Nous sommes soumis aux directives européennes alors qu'ils ne le sont pas. Il me semble que c'est la raison pour laquelle les îles anglo-normandes ne sont pas soumises à la même discipline que les autres.

M. le Président : Merci beaucoup de votre accueil et pour ces précisions.

Audition de M. Peter CARUANA,
Premier ministre

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Monsieur le Premier ministre, merci de nous recevoir. Ma première question portera sur le nombre des déclarations de soupçons, de procédures judiciaires et de condamnations pour blanchiment.

M. Peter CARUANA : En premier lieu, je voudrais souligner que les échanges que nous avons eus lors de notre déjeuner forment l'essentiel de l'opinion du gouvernement. Par conséquent, je souhaite que vous en teniez compte, en plus des différents éléments qui pourraient ressortir de cette audition qui fait l'objet d'un procès-verbal. Le gouvernement de Gibraltar considère que nos échanges précédents ne doivent pas rester ignorés des comptes rendus de la commission.

S'agissant de votre question, je ne dispose pas de ces informations à l'instant. Avant votre départ, nous vous les ferons parvenir par écrit. L'OCDE a demandé que cette information soit largement diffusée. De toute façon, elle est disponible.

M. le Président : Gibraltar est un paradis fiscal. Cela a fait partie d'une stratégie de développement à un moment donné. Pensez-vous que, dans les années qui viennent, ces dérogations fiscales concernant les entreprises offshore doivent être modifiées ?

M. Peter CARUANA : Votre question porte en elle-même un exposé de la situation et un jugement de valeur sur lesquels les avis peuvent diverger. Néanmoins, selon votre définition d'un paradis fiscal, il est tout à fait exact que le régime fiscal actuel de Gibraltar est appliqué différemment si l'on est résident ou non résident. Si l'on considère que c'est ce qui forme le c_ur de la définition d'un paradis fiscal, c'est-à-dire faire bénéficier d'avantages fiscaux les non-résidents et pas les résidents, il est alors exact de dire que cette forme de discrimination existe à Gibraltar.

Néanmoins, l'un des objectifs des politiques mises en place par le gouvernement de Gibraltar est d'éliminer progressivement de telles pratiques fiscales discriminatoires, conformément à notre volonté de repositionner notre centre financier et notre économie.

Nous avons déjà indiqué à l'OCDE que c'était notre intention. De juin 2000 à juin 2001, nous en discuterons les détails de la mise en _uvre, mais le principe de l'élimination de la discrimination fiscale entre résidents et non-résidents a déjà été établi. C'est le sujet qui est au c_ur de la restructuration de nos régimes fiscaux.

M. le Président : Il est souvent reproché à Gibraltar, comme à d'autres territoires dits non coopératifs, l'opacité d'un certain nombre de statuts juridiques de sociétés qui empêcheraient l'identification des ayants droit économiques. Quel est votre sentiment sur cette question ? Pensez-vous que la question du droit des sociétés doive désormais être abordée de façon internationale ?

M. Peter CARUANA : Si j'ai dit que Gibraltar avait son propre régime fiscal, c'est-à-dire le régime des impôts que nous appliquons à toutes les entités légales, car certaines ne sont pas des sociétés, Gibraltar n'a toutefois pas son propre régime de sociétés. L'ensemble de la législation britannique sur les sociétés, dont la loi de 1929, s'applique automatiquement à Gibraltar. Il n'y a pas de différence sur le plan de l'opacité entre le droit des sociétés et les sociétés à Gibraltar et le droit qui s'applique dans toute autre juridiction anglo-saxonne, que ce soit le Royaume-Uni lui-même ou les autres territoires tels que l'Australie, la Nouvelle-Zélande, une partie du Canada etc.

S'agissant des actionnaires, la loi requiert l'enregistrement des actionnaires légaux. Néanmoins les actionnaires légaux enregistrés, dont le nom apparaît auprès du registre des sociétés, ne sont pas nécessairement les ayants droit économiques. La jurisprudence anglaise fait une distinction entre le propriétaire légal, dont le nom est enregistré, et l'ayant droit économique, c'est-à-dire le bénéficiaire, qui n'a pas besoin d'être enregistré.

Le propriétaire enregistré des actions peut avoir une déclaration de trust avec un arrangement de prête-nom. De ce fait, il n'est pas nécessairement le bénéficiaire économique. Ceci est vrai pour toute juridiction légale anglo-saxonne. C'est vrai tant pour Londres que pour Manchester, Gibraltar ou toute autre entité à laquelle s'applique le modèle anglo-saxon.

Cela ne permet pas dire que ces sociétés sont opaques. Cela signifie que l'on ne peut pas avoir l'information auprès du registre public d'enregistrement où le nom du propriétaire, qui est enregistré, peut être une société prête-nom, ou un homme de paille.

Toutefois, dans le contexte d'enquêtes criminelles, le tribunal de Gibraltar a la possibilité d'établir la vraie identité des actionnaires. Le fait que l'information soit disponible auprès du registre public des sociétés n'est pas la seule définition de la transparence. C'est une utopie de transparence.

Un grand nombre de mécanismes administratifs, policiers et d'assistance mutuelle internationale, prévus par le cadre législatif de Gibraltar, sont souvent utilisés par des autorités étrangères pour des enquêtes pour blanchiment d'argent ou toute autre activité criminelle, mais pas pour des enquêtes fiscales.

L'autorité étrangère doit faire une demande. Actuellement nous avons encore l'ancien système des commissions rogatoires et non pas la coopération judiciaire. Le procureur général de Gibraltar doit faire une demande d'autorisation auprès de la cour qui inclut l'interrogatoire croisé des autorités requérantes. Ainsi l'information peut être obtenue et fournie. Je conteste le sous-entendu de votre question qui suggère que nous serions opaques parce que le vrai propriétaire n'est pas disponible sur le registre.

M. le Président : Cela signifie que vous affirmez solennellement que dès lors qu'il y a enquête judiciaire, tous les moyens sont là pour identifier les ayants droit économiques.

M. Peter CARUANA : Par ordre de la cour. Le gouvernement de Gibraltar n'a pas les pouvoirs administratifs pour obtenir cette information. Par expérience, je peux vous confirmer que cette procédure a été utilisée. Le procureur pourrait vous le confirmer. Je vous donne des informations dont j'ai connaissance, mais le gouvernement n'est ni politiquement ni constitutionnellement responsable en ce domaine. Je vous réaffirme par ailleurs que ce pouvoir ne s'applique pas en matière fiscale.

M. le Président : Vous affirmez solennellement que, dans les affaires pénales, diligentées par la cour, on peut toujours...

M. Peter CARUANA : J'ai déjà répondu plusieurs fois à votre question. La réponse est oui.

À de nombreuses occasions, nous avons reçu des requêtes de portée générale, nous demandant de contrôler si M. X a des biens à Gibraltar, et nous indiquant le nom du cabinet d'avocats concerné ou de la banque où l'on pense qu'il détient un compte. Nous n'écrivons pas à chaque avocat ou banque à Gibraltar pour nous informer s'ils ont un compte au nom de cette personne quoique dans le cas des banques, cela ait été fait par le passé.

M. le Président : Parmi les difficultés, il y a celle de fixer le nombre des sociétés offshore présentes à Gibraltar. Quels sont les chiffres exacts que vous pouvez nous donner de sociétés offshore, exemptées ou non d'impôts, enregistrées à Gibraltar ?

M. Peter CARUANA : L'information existe, mais je ne peux pas vous la donner ainsi. Les Espagnols annoncent toujours le chiffre de soixante-dix mille sociétés. Nous sommes fatigués de leur expliquer que chaque société a un numéro d'enregistrement dans une série continue depuis l'origine du registre. Dès lors que le numéro a été utilisé pour une société, si celle-ci est liquidée ou radiée du registre, il ne peut plus être réutilisé une seconde fois. Par conséquent, le fait d'avoir soixante-quinze mille sociétés enregistrées ne signifie pas que nous ayons soixante-quinze mille sociétés actives. En ce qui concerne les sociétés exemptées d'impôt, il y en a environ entre huit et neuf mille à Gibraltar.

M. le Président : A Gibraltar, un certain nombre d'avocats proposent de monter soit des sociétés offshore, soit de réactiver des sociétés déjà existantes, mais sans activité. De nombreuses personnes ayant recours à ces services, cela assure la prospérité de trois cents avocats qui proposent la création de ces sociétés.

M. Peter CARUANA : Il n'y a pas trois cents avocats à Gibraltar. Il y en environ cent trente, répartis entre cinq ou six cabinets importants, plus les avocats qui pratiquent individuellement. Au total, enregistrés auprès de la cour de Gibraltar, il y a environ cent trente avocats.

M. le Président : Mon chiffre est faux. J'avais le nombre de trois cents avocats cité dans un rapport.

M. Peter CARUANA : Ce chiffre est faux.

M. le Président : Quel est l'attrait de ces formes de société pour la clientèle des avocats ? Est-ce la question fiscale ou autre chose ?

M. Peter CARUANA : Nous avons une infrastructure bancaire, professionnelle avec des avocats et des comptables qui est un des attraits de Gibraltar, mais ce qui attire le plus ces personnes, c'est évidemment le régime fiscal.

M. le Président : Cette mauvaise réputation dont vous souffrez et dont vous pensez qu'elle est injuste, est-elle liée essentiellement à vos relations avec l'Espagne ?

M. Peter CARUANA : L'Espagne réclame la souveraineté de Gibraltar qu'elle a perdue il y a maintenant 296 ans. Elle utilise un certain nombre d'arguments pour faire avancer sa revendication. Une des stratégies qu'elle emploie est d'essayer de déstabiliser l'économie de Gibraltar. Franco avait l'habitude de dire que la pomme mûre tombe de l'arbre.

L'Espagne s'imagine que, si l'économie de Gibraltar ne fonctionne pas, les Gibraltariens se verront obligés de satisfaire sa revendication politique. Elle ne se limite pas à déstabiliser notre centre financier, elle applique aussi cette philosophie à tous les secteurs de notre économie. Dans le secteur touristique, le régime qu'elle applique à la douane cause des retards importants. Elle refuse les services aériens et maritimes entre Gibraltar et l'Espagne. Dans le secteur des télécommunications, elle refuse que sa société de téléphone passe des accords de réseau et ainsi de suite.

La réalité est que Gibraltar est en conformité avec toutes les normes légales de la Communauté européenne dont Gibraltar fait partie au travers du Royaume-Uni. Le Royaume-Uni, afin que les sociétés financières de Gibraltar aient accès au marché unique financier de la Communauté européenne, a veillé à ce que le centre financier de Gibraltar ait le même niveau de régulation et de contrôle que celui de Londres. Le Royaume-Uni nous a indiqué les mesures à prendre - que nous avons prises - pour avoir les mêmes normes. D'ailleurs, le Royaume-Uni nous a soumis à un audit au terme duquel il a été confirmé que nos normes de régulation et de contrôle étaient les mêmes que les siennes.

Monsieur Fuggle, qui dirige l'autorité de régulation des services financiers, est nommé, non pas par le gouvernement de Gibraltar, mais par le Royaume-Uni, selon un accord passé entre le gouvernement de Gibraltar et celui du Royaume-Uni il y a cinq ou six ans. De ce fait, il dépend directement du gouvernement du Royaume-Uni et non pas de celui de Gibraltar. La police, le système juridique et fiscal et le procureur général relèvent, non du gouvernement de Gibraltar, mais du gouvernement britannique lequel est tout à fait satisfait de la façon dont Gibraltar se conforme à tous les accords internationaux.

M. le Président : Si la communauté internationale indique qu'il y a des problèmes de coopération judiciaire ou qu'il y aurait un certain laxisme dans les enquêtes sur la délinquance financière, cela voudrait dire en réalité que la responsabilité en incombe au Royaume-Uni.

M. Peter CARUANA : Je vous affirme que Gibraltar coopère pleinement avec les autorités de tous les pays du monde, sauf l'Espagne. Nous avons beaucoup de dossiers avec l'administration française que Gibraltar facilite automatiquement, sans demande complémentaire. Par exemple, depuis sept ou huit ans, nous informons la douane française de tous les mouvements de yachts qui passent par Gibraltar. Quand nous recevons des demandes judiciaires ou policières de coopération, nous les traitons systématiquement.

M. le Président : Ce n'est pas vous qui les traitez...

M. Peter CARUANA : Non.

M. le Président : Vous avez la coopération administrative des douanes, sinon ce sont les autorités anglaises.

M. Peter CARUANA : Non, pas les autorités anglaises. Ce sont les autorités constitutionnelles de Gibraltar autres que le gouvernement. La seule exception, pour des raisons politiques, c'est l'Espagne car celle-ci ne reconnaît pas notre constitution ni nos institutions. Cela inclut la police, la douane, le système judiciaire. Cohérente avec cette position politique, l'Espagne refuse d'envoyer, selon les accords internationaux, les demandes aux autorités de Gibraltar parce qu'elle ne les reconnaît pas.

Quand un juge étranger nous envoie directement une demande, adressée à l'autorité judiciaire compétente de Gibraltar, même s'il ne la nomme pas correctement - une expression générique comme l'autorité compétente de Gibraltar est suffisante - nous la traitons immédiatement. Par exemple, il y a deux ou trois semaines, nous avons reçu une demande correctement rédigée du juge du tribunal de Marbella. Immédiatement, comme toutes les autres demandes qui nous arrivent d'autres pays, les autorités compétentes l'ont traitée et y ont pleinement répondu.

M. le Rapporteur : Nous avons rencontré, ce matin, M. Fuggle qui dirige la FSC. Il nous a dit qu'aucune sanction n'avait été prononcée contre les organes qu'il était chargé de contrôler depuis la loi de 1995. Nous avons rencontré M. Gomez, chargé de recueillir les déclarations de soupçons. Il nous a rappelé qu'il y avait des sanctions pénales contre ceux qui refusaient de déclarer les soupçons et il nous a expliqué qu'il n'y avait jamais eu de demandes de sanctions contre ceux qui auraient failli à leurs obligations depuis 1995.

Nous avons rencontré, par ailleurs, les Espagnols, entre autres le juge Garzon, qui nous disent qu'à Gibraltar, les lois sont très belles, mais qu'il n'y a jamais de sanction et aucune certitude que les lois s'appliquent. J'ai envie d'ajouter avec eux - c'est une question volontairement provocante et prenez-la comme telle - qu'aucune condamnation pour blanchiment n'a été prononcée à Gibraltar.

M. Peter CARUANA : M. Garzon est un juge très politique. La question que vous me posez, avec tout le respect que je vous dois, oublie un point très important. Quand une société ou une banque de Gibraltar est impliquée dans une affaire, c'est la plupart du temps en qualité de partie à la transaction qui fait l'objet d'une enquête ailleurs. Gibraltar n'étant qu'un aspect de l'enquête.

Nous avons reçu de nombreux pays un chèque du montant des fonds qu'ils ont pu récupérer grâce à notre coopération. C'est une convention internationale qui institue cette rétrocession aux autorités étrangères ayant permis la récupération de fonds. Quand vous souhaitez estimer la contribution de Gibraltar au combat international contre le blanchiment d'argent, vous ne pouvez simplement regarder les poursuites qui ont eu lieu à Gibraltar-même.

La plupart des affaires qui sont portées à l'attention des autorités de Gibraltar sont des affaires dans lesquelles les sociétés ou les banques de Gibraltar sont impliquées dans le cadre d'une enquête qui a lieu dans un autre pays. La contribution de Gibraltar n'est pas la poursuite du délit à Gibraltar, mais l'aide apportée aux autorités étrangères requérantes en vue de rassembler les preuves qui leur permettent de conduire leurs enquêtes et lancer leurs poursuites. Gibraltar a été impliqué dans des dizaines de situations de ce type, et nous avons les documents pour le prouver, car les autorités requérantes nous envoient des courriers pour nous remercier de notre coopération.

Cela n'inclut pas les nombreuses fois où les douanes de Gibraltar ont coopéré avec des douanes étrangères en révélant des passages de bateaux dans le port de Gibraltar, voire permis aux officiers de douanes étrangères de venir à Gibraltar pour enquêter. Je peux vous fournir un catalogue documenté des affaires dans lesquelles Gibraltar a coopéré pleinement et systématiquement dans tous les aspects de la lutte contre le trafic de drogue, que ce soit des contrôles anti-blanchiment ou une aide physique contre le trafic de drogue. Ce sera un exercice facile pour moi. Je veux que votre gouvernement ait ces preuves dans ses dossiers.

M. le Rapporteur : Vous avez répondu sur l'étonnement des Espagnols quant à l'absence de poursuites pénales contre des délinquants qui auraient commis des infractions de blanchiment à Gibraltar. Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas eu non plus de procédures disciplinaires contre ceux qui sont chargés de faire des déclarations de soupçons, les avocats ou les banques ?

M. Peter CARUANA : Selon le système établi à Gibraltar, les avocats, les banques et les autres intermédiaires financiers ont l'obligation de faire une déclaration de soupçon. Il est difficile d'identifier les cas où ils ne le font pas. Mais, s'il est possible de déterminer qu'ils ne se sont pas conformés à leurs obligations, ils sont poursuivis et s'il y a une dimension internationale, nous transmettons l'information à l'autorité compétente étrangère.

Personnellement, je ne connais qu'un cas où tous les aspects du délit ont eu lieu à Gibraltar. Dans la grande majorité des cas, on relève la participation d'une société établie à Gibraltar dans une transaction criminelle qui se passe dans un autre pays.

La police de Gibraltar a un département d'enquêtes sur le trafic de drogue. Quant au tribunal de Gibraltar, il lance de nombreuses poursuites criminelles contre des criminels à Gibraltar qui font du trafic de drogue ou du blanchiment d'argent.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la coopération avec les pays européens sur le terrain de la douane et la lutte contre le trafic de drogue. Depuis combien de temps le gouvernement de Gibraltar est-il satisfait de sa coopération douanière avec les autres pays européens ?

M. Peter CARUANA : Depuis le 6 mai 1996, date de mon arrivée au gouvernement. A compter de cette date, je peux vous garantir que les instructions du gouvernement de Gibraltar à la douane et, par le biais du gouverneur, à la police, sont que le gouvernement de Gibraltar ne souhaite pas créer un refuge pour les criminels. Le gouvernement de Gibraltar souhaite une coopération totale avec les autorités de tous les pays.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que ce n'était pas le cas avant votre arrivée au pouvoir ?

M. Peter CARUANA : Vous avez rencontré le chef de l'opposition. S'agissant de la contrebande de cigarettes américaines, la position du gouvernement avant 1996 était différente de celle du gouvernement actuel. S'agissant du trafic de drogue, la position de Gibraltar est la même car ce n'est pas une matière qui relève de la responsabilité du gouvernement de Gibraltar mais de la responsabilité du Royaume-Uni dont la position est consistante.

M. Gilbert LE BRIS : Ma question concerne plutôt l'avenir que le passé. Avec l'arrivée prochaine de l'euro, Gibraltar va peut-être être amené à se positionner du fait que les Anglais n'y sont pas favorables et que les Espagnols le sont. Cela va-t-il renforcer la place financière de Gibraltar par rapport aux Anglais ?

Par ailleurs, autant les établissements bancaires qui ont pignon sur rue sont surveillés et ont le droit d'établissement en Angleterre depuis 1999, autant les intermédiaires financiers sont encore sous suspicion, y compris du coté du Royaume-Uni. N'y a-t-il pas des progrès à faire sur cet aspect ?

M. Peter CARUANA : La loi de Gibraltar s'applique à toutes les catégories professionnelles qui interviennent dans le centre financier, que ce soit les avocats, les sociétés proposant la création de sociétés offshore, les trusts, les compagnies d'assurance, les banques. Toutes sont couvertes par les mêmes lois et le même régime d'agrément, de régulation et de contrôle.

Que ce soit à Gibraltar, au Royaume-Uni ou dans les autres pays européens, les bureaux de change dans la rue ne sont pas régulés comme les banques. A cet égard, nous avons le projet de les inclure dans le régime de régulation bancaire. Par ailleurs, les magasins de produits coûteux tels que les voitures, les bijoux et autres articles et qui peuvent aussi servir au blanchiment, sont déjà couverts.

Sur le thème de l'euro, notre statut dans l'Union européenne dépend exclusivement du Royaume-Uni. Il ne nous est pas possible, institutionnellement, de participer à une opération à laquelle le Royaume-Uni ne participe pas. La non-participation du Royaume-Uni à l'euro pose problème à Gibraltar. Avec une livre sterling très forte, l'économie de Gibraltar présente peu d'intérêt pour les touristes. Néanmoins, les magasins à Gibraltar acceptent toutes les autres monnaies dont la peseta. Sur cette question de l'euro, nous n'avons aucun pouvoir, contrôle ou influence en la matière.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de MM. Kevin WARWICK, Conseiller,
et Albert TRINIDAD, procureur général adjoint

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, Président

M. Albert TRINIDAD : Je suis le procureur général adjoint. Ce matin, le procureur général est à l'étranger pour assister à une conférence. C'est donc à moi qu'il revient de vous recevoir.

Ce bureau compte huit avocats. En matière de poursuites criminelles, nous sommes chargés, pour le compte du gouvernement, des procédures concernant les magistrats du tribunal de Gibraltar, de la cour suprême et de la cour d'appel ainsi que, si cela est nécessaire, du conseil privé de Londres. Nous sommes également des conseils juridiques sur différents aspects, notamment en matière civile.

Nous avons une division internationale dont M. Warwick est responsable ainsi qu'une autre avocate conseil. Ils sont chargés de toutes les procédures intervenant au niveau international, notamment les commissions rogatoires ainsi que l'extradition et l'assistance judiciaire.

M. le Président : Merci de nous recevoir. En tout premier lieu, je voudrais savoir si les magistrats du bureau du procureur dépendent de l'autorité du gouverneur, donc des autorités britanniques.

M. Kevin WARWICK : Nous essayons d'être indépendants en ce qui concerne notre travail en matière criminelle. De ce fait, toutes les décisions prises à cet égard, à savoir des décisions de poursuite, le sont en toute indépendance par le procureur général, ceci en conformité avec la constitution anglaise qui établit la séparation de l'exécutif et du judiciaire.

M. le Président : Les personnes qui travaillent dans ce bureau sont-elles natives de Gibraltar avec la nationalité gibraltarienne ou sont-elles anglaises ?

M. Kevin WARWICK : Le procureur général est anglais, et nous sommes gibraltariens. Néanmoins nous sommes tous des citoyens britanniques à part entière.

M. le Président : Par rapport aux déclarations de soupçons dans le domaine du blanchiment, combien de condamnations avez-vous prononcé pour motif de blanchiment ?

M. Kevin WARWICK : Notre travail, dans le domaine du blanchiment, concerne principalement l'assistance mutuelle. Nous aidons les autres juridictions dans leurs enquêtes.

Concernant les condamnations, la plus récente à Gibraltar a été prononcée dans le cadre de l'affaire Broker. Néanmoins, toutes les affaires qui ont été portées devant la cour à Gibraltar pour motif de blanchiment sont le résultat d'une affaire qui a eu lieu hors le territoire de Gibraltar.

Concernant votre demande de statistiques, nous ne collectons pas de chiffres à Gibraltar car nous ne pensons pas avoir un nombre suffisant de poursuites pour alimenter ces données. En effet, la législation en place serait plutôt de nature préventive que répressive et, de ce fait, nous avons moins de poursuites pénales.

M. le Président : Par conséquent, vous travaillez beaucoup dans le cadre de la coopération judiciaire. Combien de commissions rogatoires internationales traitez-vous par an et avez-vous des statistiques précises sur ce point ?

M. Albert TRINIDAD : En 1999, nous en avons traité un peu plus de quatre-vingts, en provenance principalement du Royaume-Uni. Dans les trois dernières années, nous n'en avons reçu qu'une seule de la France. Elles ont toutes été exécutées.

M. le Président : Quel est votre délai d'exécution ?

M. Albert TRINIDAD : De la réception de la commission jusqu'à l'envoi des informations, le délai se situe entre un et quatre mois, selon la complexité de la demande. Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, le délai peut être rallongé du fait que les policiers étrangers veulent venir à Gibraltar afin de participer à l'enquête. Si un témoin doit être interrogé, les policiers veulent participer à cet interrogatoire. C'est pourquoi les délais sont rallongés car il faut attendre que les policiers soient disponibles pour venir à Gibraltar.

M. le Président : A travers ces commissions rogatoires, avez-vous une typologie de la délinquance à Gibraltar et en particulier, à partir de cette typologie, pouvez-vous dire qu'il y a soit beaucoup de trafic de drogue ou de blanchiment ?

M. Kevin WARWICK : Nous avons deux régimes séparés s'agissant des commissions rogatoires. Nous avons d'une part tout ce qui concerne le trafic de drogue qui est soumis à une législation spécifique, tandis que le blanchiment d'argent et les autres types de crimes sont soumis à une autre législation. A nous de décider quelle législation s'applique à une commission rogatoire.

S'agissant de la nature des commissions rogatoires, elle est partagée. Un certain nombre des commissions rogatoires que nous recevons ont pour objet le trafic de drogue. Dans cette catégorie, la majorité concerne des individus qui ont commis des délits en dehors de la juridiction et qui ont peut-être un compte dans une banque à Gibraltar. Le trafic de drogue et les délits rattachés représentent environ 25 à 30 % des demandes.

Le reste des demandes est une combinaison de différentes choses. Par exemple, dans l'une des commissions rogatoires que nous avons récemment reçues, il était demandé accès au compte bancaire d'un individu afin de s'assurer de l'endroit où il se trouvait à un moment donné. Ceci concerne une affaire de délits de nature sexuelle. Nous avons donc contrôlé son compte bancaire ici et constaté qu'il avait effectué des retraits.

M. Albert TRINIDAD : Chaque commission rogatoire est unique. Néanmoins un grand pourcentage d'entre elles concerne le trafic de drogue et le reste une combinaison de sujets de différentes natures.

M. le Président : Dans le cadre des commissions rogatoires que vous recevez, y a-t-il une collaboration sans difficulté non seulement des intermédiaires financiers mais aussi des cabinets d'avocats ?

M. Albert TRINIDAD : Dès lors que le tribunal a émis un ordre, chose que nous demandons dès réception de la commission rogatoire, il est très rare de rencontrer des problèmes de collaboration.

M. le Président : Disposez-vous des moyens pour identifier les ayants droit économiques qui se cachent derrière les sociétés offshore ?

M. Albert TRINIDAD : Toujours. Si l'information est à Gibraltar, on peut l'obtenir.

M. Kevin WARWICK : Le pouvoir de l'ordre d'exécution de la commission rogatoire, qui vient du tribunal, est très important. Il nous autorise à pénétrer dans les comptes pour savoir qui sont les propriétaires. Cela ne pose aucun problème.

M. le Rapporteur : Les comptes en banque auxquels vous avez accès et dont on vous demande les coordonnées, par le biais des commissions rogatoires internationales, sont-ils ouverts dans tous les établissements bancaires au nom de la personne poursuivie à l'étranger ? Est-ce la même personne qui possède le compte bancaire sur lequel on vous demande des informations que celle qui est poursuivie par la juridiction étrangère ?

M. Albert TRINIDAD : Oui, en principe, il s'agit du même individu. Dans certains cas, lorsque nous recherchons des preuves qui relieraient une personne à un compte bancaire, la personne, qui a le compte en banque, peut s'avérer être le propriétaire de la société.

M. le Rapporteur : En fait, ce ne sont pas uniquement des comptes en banque, mais également des sociétés prête-nom. L'argent est à l'intérieur ou circule par l'intermédiaire de ces sociétés. Est-ce la situation que l'on retrouve généralement ?

M. Albert TRINIDAD : C'est difficile car chaque affaire est différente. C'est arrivé dans le passé.

M. le Président : Selon quels critères la cour décide-t-elle de permettre les investigations ? Y a-t-il une possibilité d'empêchement à ce niveau-là ?

M. Kevin WARWICK : Dès lors que nous recevons une commission rogatoire, la procédure est suivie.

M. Albert TRINIDAD : Si la commission rogatoire concerne une affaire criminelle en matière de trafic de drogue et qu'une personne est inculpée dans une autre juridiction, cette inculpation nous suffit pour exécuter la commission. C'est une condition très importante en matière de trafic de drogue. Néanmoins, s'agissant des affaires en matière civile, ce ne sont pas les mêmes critères.

Si la commission rogatoire provient d'une autorité compétente d'une juridiction étrangère et que des preuves suffisantes sont établies dans la commission attestant que le délit commis à Gibraltar l'est en matière de trafic de drogue, cela nous suffit. Cela est très similaire à la convention de Vienne. Toutefois, nous ne pouvons l'accepter directement d'une autorité compétente étrangère en tant que telle, l'ordre doit venir du tribunal.

En matière criminelle, nous ne pouvons pas exécuter une commission rogatoire d'une juridiction étrangère si l'individu en question n'a pas été arrêté et inculpé par la juridiction requérante.

M. le Rapporteur : C'est un gros obstacle.

M. Albert TRINIDAD : Cela ne concerne que les affaires criminelles et non pas les affaires civiles ou le trafic de drogue. La personne doit être inculpée.

M. Kevin WARWICK : Ceci pour éviter les requêtes non motivées, du type « pêche à la ligne ».

M. le Rapporteur : Est-ce interdit ici ?

M. Kevin WARWICK : Non, ce n'est pas interdit dans les affaires criminelles ou qui concernent le trafic de drogue. Néanmoins, pour poursuivre l'exécution de la commission rogatoire, la condition essentielle est que l'individu concerné soit inculpé dans la juridiction requérante.

M. le Président : Parmi les quatre-vingts commissions rogatoires que vous avez reçues l'an dernier, combien ont été refusées ?

M. Albert TRINIDAD : Je ne peux pas vous donner de chiffre. Peut-être nos amis espagnols pourraient vous dire pourquoi certaines ont été refusées.

M. le Rapporteur : Je ne parle pas des demandes espagnoles. Ma question est générale. Combien de commissions rogatoires internationales ont-elles été refusées par Gibraltar pour non-respect des critères ?

M. Kevin WARWICK : Parmi les quatre-vingts, il n'y en a que quatre, me semble-t-il. Quelques autres ont été refusées, mais si nous constatons que c'est une raison technique qui empêche l'exécution, nous contactons les autorités requérantes afin qu'elles nous envoient aussitôt une autre commission avec les critères requis. Le Royaume-Uni, par exemple, nous enverra au préalable un brouillon. Si cela nous pose des problèmes, nous leur signalons. Sinon les autorités requérantes nous renverront officiellement leurs commissions.

M. le Rapporteur : Imaginons que je suis un juge français et que je soupçonne, en France, un individu de cacher de l'argent à Gibraltar. Je vous envoie une commission rogatoire par laquelle je vous demande de vérifier que monsieur X a de l'argent dans une société à Gibraltar. C'est un soupçon, je n'ai aucune preuve, mais je recherche la preuve. Je vous donne les raisons pour lesquelles je le suspecte. Je suis le juge qui fait l'instruction du dossier. Qu'allez-vous faire ? Allez-vous vérifier toutes les banques ?

M. Albert TRINIDAD : En premier lieu, il nous faut le nom de la société.

M. le Rapporteur : J'ai le nom de la personne, mais pas celui de la société car le suspect m'a raconté des mensonges.

M. Albert TRINIDAD : Pourquoi le soupçonnez-vous alors d'avoir de l'argent à Gibraltar ?

M. le Rapporteur : Parce que je l'ai appris par le biais d'une dénonciation anonyme, par exemple, ou encore parce qu'un de ses proches m'a dit qu'il avait de l'argent à Gibraltar, mais je n'ai aucune preuve.

M. Kevin WARWICK : La police de Gibraltar ou Interpol peuvent déjà faire une enquête.

M. le Rapporteur : Ma commission rogatoire sera-t-elle refusée ?

M. Albert TRINIDAD : Non, elle ne sera pas refusée.

M. le Président : C'est là le problème, vous ne donnez pas d'ordre à la police.

M. Albert TRINIDAD : Non. La réussite d'une commission rogatoire dépend de sa nature et de la densité des informations fournies. Si l'un ou l'autre sont succincts ou sans suffisamment de fondement, comme dans votre exemple, cela peut nécessiter, avant d'engager toute suite, une enquête par la police ou Interpol. Une fois que cette enquête est engagée et que plus d'informations sont recueillies, nous pouvons alors exécuter la commission rogatoire. Néanmoins, dans la plupart des cas, une commission rogatoire n'est pas aussi vague que l'exemple que vous avez cité.

M. le Rapporteur : Quand j'adresse une commission rogatoire à mon homologue juge à Luxembourg et que je lui demande de vérifier que, dans une banque, il y a effectivement de l'argent appartenant à telle personne, il me répondra, tout comme vous, qu'il lui faut le nom et la société. Mais si je m'adresse à un juge en Europe, que ce soit au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Belgique ou aux Pays-Bas, aucune de ces précisions ne me sera demandée. Seuls la Suisse, qui n'est pas membre de l'Union européenne, le Luxembourg et Gibraltar répondront qu'il leur faut des preuves avant de pouvoir chercher les preuves. Leur réponse est du type « donnez-moi les preuves et je vous les confirmerai ».

M. Albert TRINIDAD : Je ne pense pas qu'ils veulent les preuves, mais de la matière pour entamer la procédure.

M. le Rapporteur : Si j'avais le nom de la société, cela signifierait que j'ai un début de preuve. Par exemple, j'ai trouvé le nom d'une société écrit sur un morceau de papier. Dans ce cas, je n'ai pas besoin de m'adresser aux autorités de Gibraltar.

M. Albert TRINIDAD : En principe, vous auriez besoin de plus d'informations que le seul nom de la société.

M. le Rapporteur : Bien évidemment, je ne refuserai pas votre aide, mais je voudrais vous faire comprendre comme il est très difficile d'obtenir quelque chose de Gibraltar.

M. Kevin WARWICK : Le nom de la personne serait suffisant, mais pour ma part, je n'ai jamais reçu de commission rogatoire demandant si monsieur X avait un compte dans une quelconque société. Le cas serait différent si vous dites que monsieur X a un compte dans telle et telle société. Nous pouvons alors exécuter la commission rogatoire.

M. le Rapporteur : Nous allons transmettre vos conseils à nos juges pour qu'ils indiquent « qu'ils supposent que monsieur X a un compte à la banque Amro »...

M. Kevin WARWICK : Il y a une différence entre supposer et être sûr.

M. le Rapporteur : S'agissant du secret professionnel des avocats, existe-t-il une jurisprudence de la cour suprême de Gibraltar concernant le refus d'enfreindre ce secret professionnel à un moment donné ?

M. Albert TRINIDAD : En principe, lorsque le tribunal nous donne le pouvoir de poser les questions, les avocats sont obligés de rompre cette confidentialité. Par exemple, dans le cas d'une société prête-nom, si nous demandons à l'avocat le nom des ayants droit économiques, l'avocat qui les connaît est obligé de répondre.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des décisions donnant à ces avocats l'autorisation de garder le silence, selon des circonstances définies par une jurisprudence ?

M. Kevin WARWICK : Notre loi est exactement la même que celle du Royaume-Uni. Le privilège de la confidentialité est uniquement rattaché aux questions de conseils légaux. Il n'y a aucun privilège dans le domaine fiscal. Les faits connus par l'avocat en raison de ses relations avec le client ne sont pas protégés par la confidentialité. Par conséquent, devant le tribunal, l'avocat doit révéler les informations dont il a connaissance. Dans de nombreuses occasions, c'est ce que les avocats font en rompant une relation de confidentialité.

M. le Rapporteur : Combien de fois par an les avocats sont-ils convoqués par le procureur général pour révéler des informations relevant de leur secret professionnel ?

M. Albert TRINIDAD : Nous n'avons aucun pouvoir pour obliger les avocats à enfreindre le secret professionnel, mais ils le font aussi souvent que c'est demandé.

M. Kevin WARWICK : Chaque commission rogatoire étant exécutée sur ordre du tribunal, les avocats ont donc l'ordre de témoigner et ils obéissent à cet ordre.

M. le Rapporteur : Est-il déjà arrivé qu'un avocat qui témoigne ne connaisse pas l'identité de l'ayant droit économique ?

M. Albert TRINIDAD : Non, ce n'est jamais arrivé, à ma connaissance. Je travaille ici depuis deux ans et je traite ces affaires à temps plein.

M. le Rapporteur : Y a-t-il des voies de recours qui peuvent être exercées sur l'exécution de commissions rogatoires internationales ?

M. Kevin WARWICK : Les ordres sont toujours pris ex parte. Cela signifie que lorsque nous demandons un ordre du tribunal pour l'exécution d'une commission rogatoire, la personne qui fait l'objet de cette commission rogatoire n'est pas avertie de l'exécution.

M. le Rapporteur : Il n'y a pas de voie de recours. C'est un paradis judiciaire.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER,
Directeur du Bureau des enregistrements des sociétés de Gibraltar
et Directeur du Bureau des enregistrements et immatriculations
de navires de plaisance et de commerce

et de Maître David J. FARIA

(extrait du procès-verbal de la séance du 16 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, Président

M. le Président : Nous vous remercions de nous recevoir. Comment est organisé le registre des sociétés à Gibraltar ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : C'est exactement la même organisation qu'en Angleterre où vous avez l'organisation Companies House UK qui dépend du ministère du Commerce et de l'Industrie. La fonction du Companies House est l'équivalent du greffe du registre du commerce. Sa mission est d'enregistrer les sociétés et de conserver les informations requises par la législation en vigueur.

M. le Président : Ce qui signifie que vous êtes des fonctionnaires.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Oui et non. Nous avons un rôle de fonctionnaire, mais il va peut-être y avoir un changement en Angleterre où Companies House est une agence gouvernementale qui dépend du ministère du Commerce. A Gibraltar, en raison de gros problèmes de personnels, l'organisation est copiée sur celle de la France, c'est-à-dire que la Companies House est une fonction publique, mais avec des partenaires qui ont un rôle privé, à savoir les greffiers. La seule différence est que les greffiers en France ne paient pas de loyer au tribunal d'instance et gardent la totalité des honoraires, alors que nous en rendons 60 % au gouvernement et payons un loyer.

M. le Président : Tous vos services sont-ils payants pour accéder au registre ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Oui, mais en respectant la directive communautaire stipulant que la facturation ne doit pas excéder un coût administratif raisonnable. Il est d'environ cinq livres. Toute personne a accès au registre du commerce de Gibraltar, tous les documents sont publics. La consultation des documents est soumise à des charges administratives qui sont du même ordre que les charges françaises.

Nous avons mis en route deux procédures. Il y a, d'une part, une consultation gratuite. Toute personne qui le souhaite peut venir au registre de Gibraltar consulter sur écran la liste des sociétés et savoir si la société existe. Si la société est enregistrée à Gibraltar, il est possible d'obtenir son numéro et savoir si elle est dormante ou encore en existence. Toutes ces informations sont gratuites. Ensuite, les personnes intéressées peuvent demander un extrait ou des informations plus précises.

La différence avec d'autres registres non coloniaux - Guernesey, Jersey et l'île de Man -, c'est que la législation de Gibraltar est pratiquement la même que la législation anglaise. Chaque fois que les Anglais apportent des modifications, Gibraltar les applique également. Ce fut le cas récemment pour les 4éme et 7éme directives relatives au droit des sociétés qui s'appliquent à Gibraltar depuis le 1er janvier.

De plus, lorsqu'on nous demande une information sur une société, nous répondons dans l'après-midi. Si, par exemple, le service fiscal de Londres a un compte chez nous et demande des informations par fax, nous répondons dans l'après-midi.

Le document que nous vous avons préparé correspond à un Kbis en France. Il y est indiqué le nom de la société et son numéro d'immatriculation. Par exemple, si la société a changé de nom, chose qui se produit assez souvent, et si vous faites une recherche sur un ancien nom, nous serons à même de vous dire que la société a changé à telle et telle date. Sont également indiqués le statut, l'adresse du siège social, le nombre d'actions émises et le nombre d'actions payées. A Gibraltar, comme en Irlande et en Angleterre, il n'y a pas d'obligation de minimum de capital libéré. C'est une caractéristique des sociétés anglaises. C'est pourquoi nous précisons non seulement le capital autorisé, mais aussi la partie du capital payé.

On peut avoir une société avec 10 000 livres sterling de capital et n'en avoir qu'une petite partie de libérée. Ces informations sont précisées. Vous avez la liste des actionnaires, qu'il est obligatoire de conserver à Gibraltar, avec la liste des administrateurs, la date à laquelle ils ont été nommés et celle de leur démission.

A Gibraltar comme en Angleterre, il est possible d'enregistrer des hypothèques sur les sociétés. Les documents de charges sont ouverts au public. Enfin, dans les observations, nous notons par exemple une erreur sur les dates de nomination des administrateurs.

M. le Président : Le document a été rempli par la société elle-même. Vous-même n'intervenez qu'au niveau des observations...

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Tout à fait.

M. le Président : Je voudrais aborder la question des sociétés offshore et de l'enregistrement de ces sociétés. Il y a déjà visiblement une querelle sur le nombre exact de ces sociétés. Entre le nombre que diffuse, paraît-il de façon mensongère, l'Espagne et celui que reconnaît le gouvernement ou qu'évoque l'opposition, la fourchette va de 10 000 à 70 000.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Depuis 1932, date de la première société enregistrée à Gibraltar, nous avons eu 75 000 sociétés enregistrées. C'est la première erreur de l'Espagne. En effet, si on prend l'ordre numérique, 75 000 sociétés ont effectivement été enregistrées depuis 1932. Il n'y a pas vraiment de sociétés offshore à Gibraltar car toutes les sociétés sont enregistrées au même endroit. Vous avez par exemple Indosuez, Lyonnaise des Eaux.

Les sociétés, quelle que soit leur activité, sont toutes inscrites au registre. Elles peuvent avoir un traitement fiscal différent qui est du ressort du gouvernement, mais pas du registre. En ce qui concerne le registre comme greffe, toutes les sociétés ont le même statut. Ceci est complètement différent de certains endroits où vous avez un registre offshore.

On considère comme active une société qui a actualisé ses informations. Les sociétés ont l'obligation, à Gibraltar comme en Angleterre, de fournir tous les ans une liste d'administrateurs et une liste d'actionnaires, ainsi que la confirmation du capital et le nombre d'actions. A partir de cette actualisation, nous classons les comptes. Nous savons aujourd'hui qu'environ 23 000 sociétés sont actives, mais ce nombre varie tous les ans.

M. le Président : Combien de sociétés ont des activités à Gibraltar ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Vous avez des activités commerciales à Gibraltar. S'agissant du nombre de personnes immatriculées, la chambre de commerce peut vous indiquer qu'ils sont peut-être quelques milliers, mais ce n'est pas la bonne information. En France, vous avez les SARL et les SCI. Ici, ce sont toutes des sociétés « limited ». Deux individus formeront, en France, une SCI pour acheter un immeuble alors qu'à Gibraltar, ils formeront une limited. Cette société ne sera pas commerciale au sens strict du terme, mais sera une SCI. Plusieurs milliers ont des activités non seulement à Gibraltar, mais aussi à l'extérieur. Il est donc difficile de répondre à votre question.

A mon avis, vous aurez très rapidement la réponse avec le classement des comptes car, quand une société classe ses comptes, vous voyez immédiatement quelle est son activité. Nous aurons ainsi plus de transparence. En France, on ne peut pas savoir ce que fait une SCI parce que, la plupart du temps, les comptes ne sont pas classés.

Ces documents étant publics, nous avons pris des sociétés au hasard. Nous n'avons pas d'obligation de confidentialité. Ceci est un certificat pris au hasard. Son administrateur habite en Hongrie et son actionnaire est hongrois. On sait parfaitement qui il est. De toute évidence, cette société n'est pas résidente. On peut également avoir des sociétés avec des administrateurs étrangers qui ont des activités à la fois à Gibraltar et en Espagne.

Ce qui fournira cette information, ce sera d'une part la recherche des directeurs et, d'autre part, la consultation des comptes. S'agissant du traitement fiscal des sociétés, la fiscalité varie de 5 à 50 %. Pour ma part, je paie 50 % d'impôt sur mes revenus. Pour les sociétés, le gouvernement décide des taxations qui diffèrent d'une société à l'autre, mais qui ne concernent pas le registre.

Nous avons le même fonctionnement que Companies House en Angleterre. D'ailleurs quand nous avons un doute, nous demandons soit aux Anglais leur manière de faire, soit au gouvernement d'adapter la législation de Gibraltar pour qu'elle suive la gestion anglaise. Nous avons les mêmes normes pour tout ce qui est du domaine de l'enregistrement, de la classification des sociétés et de la transparence des informations.

En revanche, comme en Angleterre, tout ce qui concerne le domaine fiscal et la taxation est du ressort de l'administration fiscale. Nous avons la même distinction. Nous sommes donc à même de vous confirmer les statistiques de sociétés, mais en ce qui concerne la taxation de chaque société, c'est du ressort de l'administration fiscale.

M. le Président : La première difficulté que je voudrais aborder, au-delà de la comptabilité des sociétés, est celle de connaître les ayants droit économiques de ces sociétés, c'est-à-dire de passer derrière des prête-noms. Certains soutiennent que, dans le registre, sont indiqués les éléments qui permettent d'identifier, dans tous les cas, les ayants droit économiques tandis que d'autres soutiennent que c'est absolument impossible.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Les deux ont à la fois tort et raison. C'est vrai que le registre ne peut savoir que ce qui est classé. Dans l'exemple donné, nous avons pu voir que l'actionnaire vivait en Hongrie. Cela dit, les prête-noms sont légaux aussi bien en Angleterre qu'en Irlande ou qu'à Gibraltar. Mais ils sont illégaux en France où la notion de fiducie n'est pas acceptée, même si vous avez des sociétés qui agissent comme fiduciaires. C'est vrai qu'à notre niveau, nous ne pouvons pas le savoir, car nous savons que ce qui est déclaré.

En revanche, là où la deuxième réponse est également exacte, c'est que depuis quelques années, contrairement à d'autres pays, les sociétés ont l'obligation de garder dans leurs dossiers les ayants droit économiques. Si une société de Gibraltar ouvre un compte bancaire et que la banque connaît l'administrateur et l'actionnaire, elle ouvrira le compte car elle ne demande que les références bancaires. Mais si la banque considère que la société a des actionnaires qui sont des fiduciaires - qui agissent donc pour une tierce personne - elle n'ouvrira pas le compte si elle n'a pas l'identité de l'ayant droit bénéficiaire ainsi qu'une référence bancaire.

Tous ceux qui gèrent des sociétés à Gibraltar sont agréés par la FSC. La FSC impose à tous ceux qui ont des activités fiduciaires, que ce soit des fiduciaires, des comptables ou des banquiers, l'obligation d'avoir dans leurs dossiers l'identité des ayants droit économiques. C'est une des conditions de leur agrément. Gibraltar a signé les directives communautaires. Lorsqu'on nous demande des informations, en cas d'activités délictueuses ou criminelles, elles sont communiquées aux autorités de Gibraltar et étrangères. Légalement, les informations doivent être conservées à Gibraltar.

M. le Président : Pour votre part, vous conservez les informations que les gens déclarent. Ensuite, s'il y a acceptation par la cour de l'ouverture d'une procédure judiciaire, cela ne vous pose aucun problème car vous considérez que tout le monde respecte l'obligation de déclaration.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : C'est une obligation car, selon la loi à Gibraltar, si un prestataire de services financiers n'a pas l'identité de l'ayant droit économique dans ses livres, il risque de perdre son agrément.

M. le Président : Si l'on résume, cela signifie qu'un citoyen hongrois, par exemple, n'a aucun intérêt à ouvrir une société à Gibraltar pour dissimuler son identité, en cas d'activités criminelles, car il n'y parviendra pas. Son intérêt ne réside que dans le fait de mener des activités économiques ou dans les avantages fiscaux.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Cela peut être aussi un point d'entrée pour mener des activités et faire des investissements en Europe. Gibraltar, en plus de son statut européen, a une législation anglaise relativement souple.

M. Gilbert LE BRIS : Le véritable intérêt de ces vingt-trois mille sociétés actives réside donc dans la fiscalité, qui est intéressante, ou la possibilité de mener des activités commerciales...

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Commerciales, je ne pense pas. Pour avoir un intérêt commercial, il faudrait avoir de très bons traités fiscaux, ce que Gibraltar n'a pas. Une société à Gibraltar, qui facture des services en Espagne ou en France, va payer un prélèvement à la source de 35 %. Il est difficile de dire quelles sont les activités, mais il me semble qu'il n'y a pas excessivement d'activités commerciales. Toutefois cela peut servir de sociétés de participation parce que le droit anglais s'y prête. En effet, à Gibraltar, nous n'avons pas de limitation de nationalité pour les administrateurs et les actionnaires alors que beaucoup de pays européens ont des exigences de résidence à l'encontre des non-Européens. Par exemple, un Hongrois, un Américain ou un Japonais, qui voudrait être administrateur d'une société européenne à Gibraltar, peut le faire sans demander une autorisation particulière. Cela présente un intérêt.

Le nombre de vingt-trois mille sociétés évoqué est la totalité des sociétés à Gibraltar. On ne connaît pas exactement le nombre de sociétés ayant des activités commerciales, mais il est forcément inférieur. Certaines sociétés ont même des activités des deux côtés de la frontière, à la fois en Espagne, à Gibraltar et au Portugal. Des sociétés, qui n'auraient des activités qu'en dehors de Gibraltar, quand bien même seraient-elles plusieurs milliers, seraient relativement peu nombreuses par rapport à l'ensemble de l'Europe.

M. Gilbert LE BRIS : L'atout ou la différence avec Jersey, Guernesey et l'île de Man, c'est l'entrée dans l'Europe.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : La grosse différence par rapport à ces territoires est que nous avons un système qui est pratiquement le même qu'en Angleterre. La façon dont fonctionne Companies House à Gibraltar est similaire à celle de Companies House UK. D'ailleurs nous avons le même nom. Comme en Angleterre, quand une banque prête de l'argent à une société à Gibraltar, elle prendra une hypothèque sur cette société. A Gibraltar, nous pourrons savoir si la banque a prêté, à qui et pourquoi. Cela ne pose pas de problèmes dans un régime normal d'activités.

Quelqu'un qui veut cacher ses activités ne viendra pas à Gibraltar. Si, par exemple, il prend un prêt sur une société des îles vierges britanniques, les banques ne peuvent pas faire enregistrer une hypothèque. A Gibraltar, elles le feront. Quant à Guernesey et Jersey, ils sont également en dehors de l'Union européenne.

Gibraltar a un niveau de taxation différent. Mais en ce qui concerne les directives communautaires, elles s'appliquent ici. C'est vrai qu'il a fallu un certain temps pour que les normes communautaires relatives à l'établissement et à la présentation des comptes s'appliquent à Gibraltar, mais nous n'avons pas été plus longs que l'Allemagne qui a été traînée devant la cour européenne car ils n'ont accepté de le faire qu'en décembre dernier. Cela prend parfois un peu de temps parce qu'il faut changer les habitudes, mais la normalisation des comptes ne pose aucun problème si on n'a rien à cacher.

L'Angleterre a attaché beaucoup d'importance, pour ne pas être critiquée, à ce que Gibraltar signe les directives communautaires. Pour la bonne raison que nous avons un voisin qui réclame, de façon tonitruante, la souveraineté sur Gibraltar. Il est bien évident que la moindre erreur faite à Gibraltar est immédiatement montée en épingle par les autorités espagnoles qui s'empressent d'appeler les autorités anglaises. Nous sommes contrôlés, de façon journalière, sur le moindre faux pas. C'est pourquoi les autorités britanniques, en toute logique, ont été beaucoup plus attentives. De plus, on ne peut pas à la fois demander que Gibraltar bénéficie des avantages européens et ne pas appliquer les directives communautaires.

C'est pourquoi l'île de Man a eu beaucoup de problèmes avec les sociétés non-résidentes car aucun organisme ne recueillait les informations que personne n'avait obligation de fournir. C'est la grosse différence. S'agissant de cette transparence, nous avons eu de très longues discussions pour comparer les méthodes utilisées en France, au Portugal, en Angleterre ou à Gibraltar. C'est à cette occasion que nous avons appris que les SCI françaises ne publiaient pas leurs comptes car elles ne concernaient que des investissements privés, sans influence sur les personnes à l'extérieur.

Mais les Anglais ont décidé, investissements privés ou pas, que toutes les sociétés, sauf celles à but non lucratif comme les associations loi 1901 en France, avaient obligation de le faire. Dans les applications des directives communautaires, les Anglais sont allés plus loin que les autres pays européens.

M. le Rapporteur : Est-il possible de recycler ou de vendre des sociétés mortes ou inactives ? On nous a parlé de cette activité de réutilisation des coquilles vides. Dans les 75 000 sociétés immatriculées depuis 1932 et dont une partie ne fonctionne plus, certaines peuvent être réutilisées pour des activités actuelles.

Maître David J. FARIA : Les sociétés ont obligation, chaque année, d'enregistrer les renseignements légaux. Si la société ne le fait pas pendant quelques années, nous devons le lui notifier. Si elle ne se conforme pas à l'enregistrement des informations, elle est alors radiée, c'est-à-dire que juridiquement elle n'existe plus. Dans les registres, elle est indiquée comme étant radiée.

M. le Rapporteur : Combien ne sont pas radiées ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Actuellement, plus de vingt mille sont en cours de radiation.

M. le Rapporteur : Sur les 75 000.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Toutes les sociétés qui n'ont pas rempli la déclaration annuelle depuis dix-huit mois vont également être radiées en raison de la nouvelle législation qui se met en place depuis fin décembre 1999. Nous radions actuellement un grand nombre de sociétés qui n'ont pas actualisé leurs informations. Une fois cet exercice terminé, il restera environ entre 23 000 et 23 500 sociétés.

Si une société radiée veut réexister, il y aura deux possibilités : soit former une autre société avec les mêmes contraintes, soit passer devant le tribunal de Gibraltar pour indiquer les raisons de la reprise d'activités de la société. Si la société n'a pas eu d'activités pendant dix ans, le tribunal ordonnera la publication de toutes les informations qui nous ont manqué pendant cette période de dix ans.

Maître David J. FARIA : Si on l'enregistre comme une nouvelle société, la personne juridique doit être différente de la première.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Nous avons rencontré le cas récemment, lorsque nous avons collaboré avec les autorités espagnoles sur une escroquerie de temps partagé, comme il y en a malheureusement beaucoup sur le territoire espagnol, notamment sur la Costa del Sol. En général, c'est très souvent en liaison avec des sociétés de biens à l'île de Man. Cette affaire concernait une société de Gibraltar impliquée dans un cas de fraude sur du temps partagé. On s'était aperçu que la société n'était pas même pas enregistrée. Mais les escrocs utilisent tous les moyens, et cela pourrait se produire n'importe où.

Le gouvernement de Gibraltar va adopter dans quelques semaines une législation afin de raccourcir le délai au terme duquel les sociétés doivent être automatiquement radiées. Une société qui ne fournit aucune information sera radiée beaucoup plus rapidement.

M. le Rapporteur : Peut-on ouvrir une société à distance par courrier électronique, par télécopie, c'est-à-dire sans se présenter physiquement à Gibraltar ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Par courrier électronique, ce n'est pas techniquement possible. Pour les personnes qui immatriculent une société à Gibraltar, nous avons deux obligations qui n'existent pas à l'île de Man. D'une part, le registre des assemblées doit obligatoirement être conservé à Gibraltar au siège social de la société car la société doit avoir un siège social à Gibraltar. On peut rechercher les informations au registre ou demander à un avocat d'aller voir les informations qui figurent dans le registre des assemblées. D'autre part, on ne peut pas avoir de sociétés délocalisées, comme à Panama, où une société n'a pas de siège social et peut avoir son siège dans le pays où elle exerce son activité.

Pour enregistrer une société, Companies House oblige les personnes à être physiquement présentes. Cela dit, une personne peut parfaitement envoyer une procuration à un avocat à Gibraltar pour lui demander d'agir en son nom et d'enregistrer une société pour son compte. C'est cette procuration qui incarne un ordre passé à distance.

Maître David J. FARIA : La société doit également faire une déclaration de mise en conformité, signée devant notaire à Gibraltar. Cela signifie qu'il doit y avoir une présence physique à Gibraltar pour enregistrer la société.

M. le Rapporteur : La personne doit donc se déplacer.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Par une déclaration de mise en conformité, vous déclarez que telle société aura tel capital, elle sera enregistrée à Gibraltar et aura tel administrateur.

M. le Rapporteur : C'est quelque chose que vous pouvez faire à distance. Il suffit qu'on vous envoie le papier et que vous signiez.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Non.

M. le Rapporteur : Mais si on vous demande les documents, vous les envoyez...

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Non, cela doit être fait devant notaire. Cela ne signifie pas qu'une personne ne peut pas incorporer une société à Gibraltar en demandant à être représentée. Je vous parle de l'opération physique d'enregistrement.

M. le Rapporteur : Si j'ouvre une société sans me déplacer à Gibraltar, mon mandataire, qui sera un avocat local, se rendra chez le notaire.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : C'est exactement comme si je créais une SCI à Paris. On peut parfaitement faire une déclaration devant un notaire à Gibraltar donnant tous pouvoirs à telle personne pour le faire, mais on en aura trace. Nous n'avons pas du tout les facilités qui existent dans certains pays où avec un courrier électronique, la société est enregistrée. A Gibraltar, il y a obligation de conserver le registre des assemblées, d'avoir un siège social et d'utiliser les services d'un professionnel local devant un notaire local.

Certains professionnels avaient demandé la possibilité de faire des ouvertures par courrier électronique, mais nous y sommes très réticents. En tant que registre, notre fonction n'est pas de porter de jugement, mais de faire un travail de façon correcte. Tout notre système fonctionne sur la façon dont on vérifie les documents et les signatures, et tout ce qui est signature électronique pose problème. D'autre part, la Commission financière veut mettre en jeu la responsabilité des professionnels de Gibraltar, ce qui semble assez difficile dans le cadre de l'utilisation des courriers électroniques.

Maître David J. FARIA : La constitution de sociétés dans le système français et le système anglais est différente. Dans le système français, les personnes qui constituent la société doivent se déplacer devant un notaire devant lequel elles signent l'acte de constitution. Ensuite, il y a un délai pour enregistrer cet acte de constitution dans le registre commercial. Nous nous interrogeons pour savoir si la société est constituée une fois que l'acte est signé devant le notaire. A Gibraltar, la société est constituée quand l'acte de constitution est présenté au registre par le notaire.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Le système à Gibraltar est exactement le même qu'en Angleterre. La différence se situe en fait par rapport au système anglo-saxon en général, que la société soit anglaise, irlandaise ou gibraltarienne. Les Français étaient horrifiés de voir qu'en Angleterre, on pouvait enregistrer une société en quarante-huit heures avec l'équivalent de mille francs français de capital. Mais cela existe partout en droit anglais. Que ce soit à Cardiff, à Londres ou en Irlande, vous enregistrez une société auprès de Companies House avec un capital qui peut être très bas. C'est plus une différence de conception de l'enregistrement de la société qu'une particularité de Gibraltar. La société existe une fois qu'elle a été enregistrée auprès du Companies House de Gibraltar.

M. le Président : Les sociétés ont-elles très souvent les mêmes statuts ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Selon une habitude anglaise, les sociétés utilisent, en général, des statuts standards très larges. Pour la plupart des clients qui sont en Angleterre ou à Gibraltar, le travail passe par des avocats. Ces derniers ont pour habitude, systématiquement, même en Angleterre, de prévoir des statuts très larges car la procédure de changement de statuts est très coûteuse. Si la société a une activité très particulière, elle sera mentionnée dans la première partie des statuts.

M. Gilbert LE BRIS : Avez-vous des statistiques sur la nationalité des directeurs de ces sociétés qui permettraient d'identifier des tendances en provenance de tel ou tel pays ?

Maître David J. FARIA : Nous n'avons pas de statistiques, mais comme je signe de nombreux certificats, je constate que cela change beaucoup.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Nous n'avons pas les moyens de faire les statistiques par nationalité, mais nous constatons un grand nombre de Hongrois, de Polonais, de Russes. Il y a encore dix ans, beaucoup de sociétés à Gibraltar étaient créées par des Espagnols, mais il n'en existe maintenant plus car il n'y a pas d'avantages fiscaux. Nous avons un grand éventail de nationalités du fait que nous n'avons pas d'obligation de résidence pour un administrateur.

M. le Rapporteur : Les banques vous interrogent-elles souvent lorsque qu'elles sont sollicitées par ces sociétés pour ouvrir des comptes ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Indirectement, nous avons deux ou trois méthodes de vérification. Nous travaillons de façon efficace par télécopie comme, par exemple, avec les services fiscaux en Angleterre qui nous demandent souvent des informations. Nous avons eu des discussions avec les banques pour expliquer notre fonctionnement. Nous pouvons fournir un certificat de conformité aux obligations. Dans le cas d'une société qui n'aurait pas classé ses documents dans l'année, nous pourrons sortir un extrait, mais nous refuserons de signer ce certificat.

Lorsque nous avons eu des réunions de travail, notamment avec nos homologues helvétiques, sur la manière de bien fonctionner pour éviter le blanchiment d'argent, nous leur avons conseillé - et les grandes banques suisses suivent nos conseils - de demander systématiquement un certificat de conformité. Une banque, qui demandera ce certificat, signé par nos services et qui date de moins d'un an, aura la certitude d'avoir affaire à une société qui a actualisé ses documents à Gibraltar. Elle connaîtra les administrateurs et les actionnaires et saura qui agit pour le compte de qui.

C'est une des premières étapes. Nous n'avons pas d'informations générales sur ce que font l'ensemble des banques, mais nous savons que, suite à nos réunions, les quatre banques suisses requièrent systématiquement ce certificat. Pour faciliter le travail des banques internationales, Companies House à Gibraltar a créé un département qui fournit les certificats en quatre langues, français, anglais, portugais et espagnol. C'est le meilleur moyen de s'assurer que la société de Gibraltar a satisfait à ses obligations légales.

Nous savons que des banques sérieuses, de grandes banques internationales, ont suivi notre conseil de certificat. Des banques monégasques l'utilisent car nous avons eu des échanges de correspondance. Les banques espagnoles également le demandent et reconnaissent la signature du registre. Je ne pense pas que les banques anglo-saxonnes utilisent ce certificat car elles n'en ont pas l'habitude.

M. le Rapporteur : Quelles sont les sanctions à la non-publication des comptes dans la nouvelle loi ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Dans un premier temps, il y a une amende de deuxième catégorie, reprise de la directive européenne. Ensuite, nous envoyons une lettre recommandée. Les sociétés qui paieront l'amende mais sans se conformer au dépôt des informations seront, à partir d'un certain délai, automatiquement radiées par le registre. C'est la nouvelle législation qui se met en place. Cela simplifie de beaucoup la procédure. Il y aura également des sanctions pénales.

M. le Rapporteur : Dès lors, cela vous paraît-il possible d'ouvrir à distance un compte bancaire à Gibraltar au nom de cette société ?

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Il y a dix ou quinze ans, cela aurait été possible. Aujourd'hui, les banques n'ont plus le droit de le faire. Si elles le font, elles sont en infraction. Comme Gibraltar compte surtout des banques appartenant à des groupes internationaux et peu de banques privées appartenant à des individus, je ne connais aucun banquier qui le ferait, à moins d'être un escroc.

Maître David J. FARIA : Même si la personne est à Gibraltar, elle ne peut pas ouvrir un compte immédiatement car la banque lui demandera des références bancaires. La banque acceptera peut-être un dépôt d'argent, mais le compte restera bloqué jusqu'à ce qu'elle reçoive l'information nécessaire.

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : Certains se sont plaints que les procédures à Gibraltar étaient beaucoup plus strictes qu'en Andorre où on peut ouvrir des comptes sans référence bancaire. Mais Gibraltar suit maintenant la façon de faire britannique en ce domaine.

Si la législation de Gibraltar rend les choses plus difficiles pour ceux qui ne veulent pas respecter la loi, ils iront faire leurs affaires dans les banques des Caraïbes où les exigences sont légères. Dans certains centres anglo-saxons, vous pouvez ouvrir un compte avec une télécopie. En Angleterre, il n'y a pas d'obligation de carte d'identité alors qu'à Gibraltar, nous avons une carte d'identité. Jusqu'à il y a encore trois ou quatre ans, on pouvait ouvrir un compte bancaire en Angleterre, uniquement avec la signature d'un témoin et envoyer les documents par la poste. L'Angleterre elle-même a été obligée de changer les procédures pour être en conformité avec les directives communautaires. Je sais que dans certains pays anglo-saxons, mais pas l'Angleterre, on peut encore ouvrir un compte bancaire par courrier ou par télécopie.

Maître David J. FARIA : Quelle est la procédure pour ouvrir un compte bancaire en France ?

M. le Président : Il vous faut une pièce d'identité et un justificatif de domicile.

Maître David J. FARIA : Et des références bancaires ?

M. le Président : Non. Mais la banque peut vérifier auprès du fichier centralisé de la banque de France.

M. le Rapporteur : A Chypre, ils demandent aussi des références bancaires. Ce sont des banques russes qui certifient que monsieur untel...

M. Bruno GOUTALAND ROSSET de GREYSIER : A Gibraltar, la référence bancaire doit être issue d'une banque reconnue, identifiable et de bonne réputation. Par ailleurs, en raison de sa taille, Gibraltar n'a pas de problème de paiement en liquide et d'ailleurs il y en a très peu. De plus, nos sterling ne sont utilisées qu'à Gibraltar et ne sont pas échangées en Angleterre. Les bureaux de change ont des problèmes car ils n'ont pas de grosses quantités en devises.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de MM. Joseph ULLGER et James Mc KAY

Police Royale de Gibraltar

(extrait du procès-verbal de la séance du 17 mai 2000 à Gibraltar)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de nous recevoir. Je voudrais savoir, sur la question du blanchiment, combien d'enquêtes vous avez mené cette année.

M. Joseph ULLGER : Durant ces deux dernières années, nous avons mené deux enquêtes pour blanchiment. La première a concerné un avocat de Gibraltar et un homme d'affaires, mais je ne peux vous en parler car cette affaire est encore en cours. C'était une enquête conduite par le Royaume-Uni dans laquelle nous avons également été très impliqués. Dans cette affaire, le crime avait été commis au Royaume-Uni. Les criminels ont tenté de blanchir l'argent à Gibraltar, mais nous avons réussi à les arrêter. Cela portait sur un montant de 160 000 livres sterling qui ont été saisies. Les responsables ont été arrêtés à Gibraltar et extradés vers le Royaume-Uni. M. Mc Kay pourra vous parler plus précisément de la seconde enquête.

M. James Mc KAY : Nous travaillons étroitement, au niveau international, avec les autres forces de police sur commissions rogatoires qui nous sont adressées par le bureau du procureur général. Au niveau international, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers avec les autres pays, mais seulement avec les Espagnols.

S'agissant des affaires locales de trafic de drogue, elles concernent de très petites quantités. L'affaire la plus importante que nous avons traité récemment a concerné un demi-kilo d'amphétamines. La personne a fait l'objet d'une enquête pour blanchiment et nous avons confisqué la somme de 15 000 livres sterling, ce qui est un montant relativement peu élevé. Ce sont des affaires de ce type que nous traitons au niveau local.

Nous avons un département, composé d'un sergent et d'un agent, qui traite spécifiquement des délits liés au trafic de drogue et qui fait partie d'une structure plus importante en charge des enquêtes financières sur la fraude.

M. Joseph ULLGER : Concernant votre question quant au nombre d'affaires pour blanchiment, il n'est pas nécessaire que nous ayons une déclaration pour lancer une procédure d'enquête pour blanchiment d'argent. Si nous constatons un blanchiment d'argent, nous avons autorité pour lancer une enquête. Nous considérons être un organisme professionnel et efficace, à même de travailler sur tout blanchiment d'argent, quelle que soit l'importance des montants impliqués.

Les deux points importants sont les suivants. Si une personne vient à Gibraltar et nous affirme que des millions de livres ont été blanchis, nous lancerons une enquête car nous avons les lois et les ressources humaines adéquates pour le faire. Si nous avons besoin d'aide supplémentaire, nous pouvons faire appel au Royaume-Uni. Le deuxième point est que nous soumettons toute affaire, qu'elle relève d'un trafic de drogue ou tout autre crime, à une enquête financière. Nous avons eu des succès en la matière. On parle de sept mille livres, dix mille, ou quinze mille livres.

M. le Président : Avez-vous eu l'occasion de recevoir des policiers autres que ceux du Royaume-Uni ?

M. James Mc KAY : Oui, nous avons eu la visite de policiers français, polonais, danois, australiens, canadiens et du FBI. Actuellement, nous recevons une équipe britannique de sept officiers. Dans le cadre de certaines enquêtes spécifiques, nous avons reçu des policiers britanniques du Royaume-Uni auxquels nous avons accordé les pouvoirs spécifiques de la police de Gibraltar pour leur permettre d'aller témoigner devant le tribunal.

M. Joseph ULLGER : Je vous fais un résumé historique des différents problèmes politiques rencontrés avec l'Espagne. Gibraltar a été accusé par l'Espagne d'être un centre de blanchiment d'argent. Nous avons proposé aux Espagnols de travailler ensemble sur des enquêtes portant sur ces personnes qui blanchissent de l'argent à Gibraltar. Mais nous n'avons eu aucune réponse de leur part.

M. le Président : Avez-vous des statistiques annuelles sur la criminalité ?

M. Joseph ULLGER : Nous pouvons vous communiquer le rapport que nous avons préparé l'année dernière.

M. le Rapporteur : Quels sont vos pouvoirs dans les enquêtes financières ? Que pouvez-vous faire quand quelqu'un vous fait part de soupçons sur une personne ? Quels sont les pouvoirs que vous pouvez exercer sans l'autorisation d'une quelconque autorité telle que le procureur ?

M. James Mc KAY : En tant que service d'enquête, si nous avons des soupçons fondés suite à des informations valables, nous pouvons demander au juge un ordre afin de bloquer les fonds, avant de lancer notre enquête.

M. le Rapporteur : Devez-vous toujours obtenir une autorisation du juge du tribunal ou avez-vous des pouvoirs vous permettant d'agir sans autorisation du tribunal ?

M. Joseph ULLGER : Nous ne pouvons rien faire sans autorisation.

M. le Rapporteur : Je vous pose cette question car les policiers français ont certains pouvoirs de la sorte.

M. Joseph ULLGER : Si vous faites une déclaration indiquant que M. X a des millions de livres à la banque, même s'il y a des preuves, nous devons demander au juge un mandat pour pouvoir ensuite aller dans la banque. Mais il faut être prudent.

M. James Mc KAY : Pour bloquer les fonds, vous avez deux voies possibles : soit obtenir du juge ou du magistrat un mandat pour bloquer les fonds ; soit déclencher une enquête pour obtenir plus d'informations afin de nous permettre de bloquer les fonds. Pour recueillir le maximum d'informations au niveau local ou international, nous pouvons utiliser les services de l'unité de renseignement financier.

M. le Rapporteur : Quelle est la nature des informations que vous pouvez recueillir sous votre autorité, de façon confidentielle, auprès des banques, sans qu'il soit question de saisie des fonds ?

M. Joseph ULLGER : Nous ne pouvons travailler que sur des renseignements. C'est pourquoi nous avons une unité centrale de renseignement financier qui est l'organe essentiel dans la collecte des informations, que ce soit dans le domaine du blanchiment d'argent ou de la criminalité liée au trafic de drogue. Ce service nous transmet ces informations sur la base desquelles nous lançons notre enquête.

M. le Rapporteur : Quelles sont les conditions existant dans la jurisprudence pour obtenir un mandat du juge ?

M. Joseph ULLGER : Nous jurons sur l'honneur, devant le juge, que cette information est avérée. Je ne peux aller devant le juge avec de simples soupçons. Sans avoir des preuves formelles, je dois néanmoins pouvoir disposer de documents ou autres qui permettent de soupçonner valablement M. X de faire du blanchiment.

Les preuves dont je parle ne sont pas du même type que celles à apporter devant un tribunal. Il nous suffit d'un document qui permette de confirmer la validité des renseignements. Ensuite je prête serment pour confirmer que ce soupçon est valable. Ma seule tâche consiste à en convaincre le juge.

M. le Rapporteur : Vous est-il déjà arrivé de ne pas convaincre le juge ?

M. Joseph ULLGER : Jamais. Le juge ou le juge de paix ont confiance dans notre jugement.

M. le Rapporteur : Sur ces bases judiciaires, combien de mandats avez-vous obtenu, l'année dernière, auprès du tribunal ?

M. James Mc KAY : C'est difficile à dire. Les mandats que nous avons obtenus sont principalement destinés à l'étranger. Au niveau local, nous n'en générons que quelques-uns. Que ce soit au niveau international ou local, il me faut vérifier nos statistiques.

M. le Rapporteur : Est-ce dix, cent ou mille...

M. Joseph ULLGER : Je préfère vous donner l'information précise, mais c'est certainement en dessous de cent.

M. le Rapporteur : Les juges espagnols Garzon et Villarejos, que j'ai rencontrés la semaine dernière à Madrid, m'ont rapporté qu'ils avaient envoyé des commissions rogatoires au Royaume-Uni ou à Gibraltar, parfois aux deux, sans jamais recevoir aucune réponse, voire un accusé de réception. Quelle est la raison technique, et non pas politique, qui peut expliquer ce silence ?

M. Joseph ULLGER : Nous n'avons pas d'explications à donner. S'agissant de l'affaire du juge Garzon, nous avons mené une opération. Les autorités britanniques nous ont transmis des renseignements et nous avons arrêté nous-mêmes une personne pour blanchiment d'argent. Nous avons enquêté sur cette affaire. Il est très facile de lancer dans les airs de telles insinuations, mais j'aimerais voir le document officiel produit ici à Gibraltar.

Ces trois cents dernières années, l'Espagne nous jette de petits morceaux d'informations par ci par là, non seulement en ce qui concerne le blanchiment d'argent, mais aussi le trafic de drogue, l'immigration clandestine, la contrebande de cigarettes et autres, l'évasion fiscale... Je suis très intéressé par vos propos. Si vous avez la possibilité de répondre par écrit au juge Garzon, dites-lui que nous respectons les forces policières en Europe et de par le monde. Je serai ravi de lire cela.

La police de Gibraltar ne s'occupe pas de politique. Lorsque je me suis adressé à l'association européenne de police, lors d'une rencontre à Gand en Belgique, j'ai fait une intervention sur la façon dont la police de Gibraltar collabore avec la police espagnole dans le détroit, lieu d'un trafic portant sur des centaines de tonnes de drogue du Maroc vers l'Espagne.

Chaque nuit, nous aidons les forces de police espagnoles. Quand les policiers espagnols arrêtent des trafiquants de drogue et qu'ils nous demandent de mener des enquêtes financières, nous sommes tout à fait disposés à le faire, mais ils doivent nous fournir des informations sur ces personnes.

M. Gilbert LE BRIS : Exercez-vous une surveillance particulière sur le port de plaisance ?

M. Joseph ULLGER : Nous avons les meilleures lois en ce domaine dans toute l'Europe. Nous n'autorisons pas les vedettes rapides à opérer à Gibraltar. Aucun autre pays d'Europe n'a une législation aussi stricte en ce qui concerne les vedettes rapides. Notre système de surveillance, qui contrôle le détroit et qui est géré par les militaires, est le plus efficace et le plus moderne d'Europe. Chaque nuit, les policiers espagnols comptent beaucoup sur nos informations quant à l'activité de vedettes rapides qui opèrent entre l'Espagne et le Maroc. Non seulement nous communiquons ces renseignements aux policiers espagnols, mais nous sortons également dans le détroit pour les aider dans leur poursuite de ces vedettes rapides.

Le port est sous la surveillance des douaniers et de nos policiers, lesquels ont une très bonne relation avec les autorités d'immigration qui transmettent des informations au centre de renseignement financier. La France et Gibraltar enquêtent actuellement sur une affaire de trafic d'une tonne de cannabis. Les trafiquants ont été arrêtés et sont détenus à Gibraltar. Il s'agit de l'affaire Matechek. Les officiers du port nous aident beaucoup car ils nous informent de la provenance des bateaux et de l'identité des passagers.

Dans l'affaire Matechek, il est évident qu'il y a délit de blanchiment. Nous avons des documents prouvant le blanchiment et l'implication de ces personnes dans l'importation de mille tonnes de cannabis en France. Si des policiers étrangers viennent enquêter à Gibraltar suite à des arrestations que nous avons faites, nous leur indiquons que la loi nous donne un pouvoir d'enquête dès lors qu'il y a un document confirmant des soupçons.

M. le Président : En termes de délinquance financière, rencontrez-vous surtout des problèmes de fraude ?

M. James Mc KAY : Un grand nombre d'enquêtes pour fraude ont été conduites, dont certaines internationales. Actuellement, nous avons plusieurs affaires en cours, qui vont de 250 000 dollars à plusieurs millions de dollars.

M. le Président : Avec une implication de ressortissants de Gibraltar ?

M. James Mc KAY : Non, ce sont principalement des ressortissants étrangers. Peut-être ont-ils formé une société à Gibraltar impliquée dans du blanchiment d'argent ou dans une fraude commise en dehors de notre territoire.

M. le Président : Quelles sont les nationalités que vous rencontrez le plus fréquemment ?

M. James Mc KAY : Des Américains, des Anglais... Principalement des ressortissants de pays européens.

M. le Président : Le statut des sociétés est-il un obstacle à vos enquêtes ?

M. James Mc KAY : Non.

M. le Président : Parvenez-vous toujours à identifier les ayants droit économiques ?

M. James Mc KAY : Parfois nous devons pousser nos recherches. Ceux qui forment ces sociétés ont créé plusieurs niveaux au travers desquels il est parfois difficile de passer. Mais ce phénomène est international et pas unique à Gibraltar.

M. le Président : Si j'étais un délinquant international, quel serait mon intérêt de venir à Gibraltar ?

M. James Mc KAY : Gibraltar, de par sa petite taille, permet à la police de disposer d'un bon réseau de renseignement qui fonctionne très vite, étant donné notre superficie. Doucement mais sûrement, la réputation de Gibraltar fait que ce n'est peut-être plus le meilleur endroit pour venir.

M. le Président : Si la réputation de Gibraltar s'améliore, est-ce une façon de reconnaître qu'il y a eu, de par le passé, des difficultés ?

M. Joseph ULLGER : Maintenant nous avons de bons organes de régulation à Gibraltar avec la commission financière et l'unité de renseignement financier.

M. le Président : Il y a quelques années, rencontriez-vous de réelles difficultés ?

M. Joseph ULLGER : Il y a quelques années, nous avions effectivement des difficultés. Des vedettes rapides opéraient depuis Gibraltar. Nous avons maintenant mis en place la loi sur tous les crimes. Les lois anti-blanchiment ont été renforcées. Une loi interdit maintenant aux vedettes rapides d'opérer de Gibraltar. Tout cela s'est fait dans les trois ou quatre dernières années. Mais si vous retournez sept ou huit ans en arrière, la situation était loin d'être parfaite. Aujourd'hui, sans dire qu'elle est parfaite, elle peut être considérée comme bonne.

M. le Président : Vos problèmes étaient-ils essentiellement liés au trafic de cigarettes et de drogue ?

M. Joseph ULLGER : Oui.

M. le Président : Quand ce changement est-il intervenu ?

M. Joseph ULLGER : Avant 1995, les vedettes rapides opérant de Gibraltar nous posaient des problèmes. Les lois sur le tabac n'étaient pas aussi strictes. Mais maintenant nous sommes fiers de nos lois. Par exemple, en ce qui concerne le trafic de drogue, les bateaux opèrent à partir de l'Espagne vers le Maroc. Gibraltar a joué un rôle très important, à un niveau international, en aidant l'Espagne et le reste de l'Europe à arrêter ce trafic de drogue entre l'Espagne et le Maroc.

M. le Président : Vous dites que les trafics, depuis 1995, se sont déplacés vers l'Espagne.

M. Joseph ULLGER : Je peux vous affirmer qu'à Gibraltar, cela ne pose plus de problèmes. Je pourrais vous montrer une vidéo, que j'ai d'ailleurs projetée lors de la rencontre à l'association à Gand. Elle montre clairement que tous ces bateaux opèrent maintenant de l'Espagne vers le Maroc grâce à nos lois interdisant aux vedettes rapides d'opérer à Gibraltar. Ce trafic concerne des tonnes de cannabis. Selon Interpol, 70 % du cannabis découvert en Europe vient du Maroc par l'Espagne.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de MM. Pierre HORSFALL et Jean LE MAISTRE,
sénateurs,

et de M. William BAILHACHE, procureur général, 1

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 mai 2000 à l'Ile de Jersey)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Pierre HORSFALL : Après un petit historique sur Jersey, le Procureur général vous entretiendra des affaires qui vous intéressent plus particulièrement.

L'histoire commence en 1166, à l'époque où Jersey appartenait à la Normandie. Les ducs de Normandie ont envahi l'Angleterre et, du fait de la vacance du trône, notre duc est devenu roi d'Angleterre. Jersey avait fait serment d'allégeance à la couronne anglaise car elle était propriété du duc. En 1204, le roi Jean a perdu ses territoires continentaux, et Jersey est restée fidèle à la Couronne. C'est ainsi qu'une couronne figure sur notre blason et que maintenant, nous obéissons à la Couronne, mais non pas au gouvernement britannique.

L'indépendance que nous avait conférée le roi Jean s'est renforcée au cours des siècles. Maintenant, nous gouvernons toutes nos affaires intérieures, y compris les impôts, l'enseignement, le logement, etc. Quant aux affaires extérieures, c'est le ministère des Affaires extérieures britannique qui en a la charge.

Nous maintenons nos propres politiques sur différents sujets. S'agissant de la place financière, qui représente la principale activité de Jersey, c'est le gouvernement jersiais qui définit les références de son régime juridique.

M. le Président : Ce sujet m'intrigue beaucoup. Le blanchiment d'argent, est-il considéré comme une affaire intérieure ou relevant de la politique extérieure ? En effet, le blanchiment est généralement une affaire transnationale, et la Couronne répond de Jersey dans les instances internationales. Comment l'abordez-vous ?

M. Pierre HORSFALL : Les normes applicables au blanchiment d'argent sont du ressort des autorités de Jersey, mais toute la politique générale est cadrée sur des règles équivalentes à celles du Royaume-Uni, acceptables au plan international.

Par ailleurs, les établissements qui ont le droit d'exercer à partir de Jersey, sont enregistrés ici. Les agréments sont uniquement accordés à des établissements qui ont une bonne réputation, qui existent depuis longtemps et qui sont contrôlés de manière appropriée tant dans leur pays d'origine qu'à Jersey.

M. le Président : Parlez-vous des banques ou des sociétés ?

M. Pierre HORSFALL : Les deux. Je peux vous citer un exemple. La banque BCCI a demandé par deux fois l'octroi d'un agrément pour venir exercer à Jersey et, par deux fois, nous le lui avons refusé. Nous sommes un des seuls pays au monde à avoir refusé la BCCI, ce pour trois raisons. Cette banque n'était pas bien contrôlée dans son pays d'origine, le Luxembourg. Elle n'avait pas une renommée internationale car elle était jeune. De plus, les propriétaires de la BCCI étaient un très petit groupe.

C'est notre politique générale. Les établissements qui ont une réputation à défendre et qui se battent contre le blanchiment ont l'autorisation de s'établir à Jersey. Le procureur va maintenant vous exposer les cas particuliers.

M. William BAILHACHE : J'aimerais commencer mon exposé en renouvelant un message de bienvenue à Jersey. Cette visite particulière s'est présentée d'une manière assez inhabituelle, mais vous êtes ici et c'est pour le mieux. Parfois à Jersey, nous nous sentons incompris, voire fâchés, de l'image extérieure et des idées préconçues que l'on se fait de nous. Permettez-moi d'évoquer un article paru dans le journal « The Guardian », où l'opinion d'un juge français a reçu une grande publicité.

Il ne faut pas croire tout ce qui est écrit dans les journaux. Je ne sais pas si ce juge est déjà venu à Jersey, mais je suppose qu'il n'a aucune idée de nos structures législatives. Si ces remarques sont réellement les siennes, il est extraordinaire qu'il puisse tirer des conclusions qui sont totalement fausses et préjudiciables aux relations que Jersey entretient avec les autres juridictions.

Je présume que vous êtes ici aujourd'hui parce que vous avez l'esprit ouvert et non des idées arrêtées. Il me semble que si vous aviez souhaité rédiger un rapport qui condamne l'île sans vous informer au préalable, vous n'auriez pas effectué cette visite pour nous rencontrer, ce dont je suis très heureux. En raison des choses que vous avez certainement déjà lues et entendues à propos de l'île, il est possible que vous ayez à l'esprit des idées préconçues que nous croyons erronées.

Néanmoins, le fait que vous soyez ici est pour nous une excellente occasion d'exposer notre version de la situation. De ce fait, nous sommes donc doublement heureux de vous accueillir.

J'aimerais vous entretenir de trois points en particulier. Le premier concerne les arrangements constitutionnels entre Jersey, le Royaume-Uni et l'Union européenne ; le deuxième la question du blanchiment des capitaux et les initiatives du GAFI en ce domaine, dont notamment une initiative actuelle relative à la question des juridictions coopératives et non coopératives. Le troisième point concerne l'initiative de l'OCDE sur les pratiques fiscales dommageables.

Je vais donc aborder le premier point, c'est-à-dire la situation constitutionnelle. Jersey est une dépendance de la Couronne qui est indépendante en pratique. Nous avons notre propre gouvernement et nous adoptons nos propres lois, lesquelles sont soumises à la sanction royale. En cas de problèmes graves, la Couronne conserve un pouvoir d'intervention dans les affaires intérieures de l'île s'agissant de l'administration judiciaire ou de l'ordre civil. Il est fort improbable qu'une intervention de cette nature devienne nécessaire comme le gouvernement de sa Majesté l'a confirmé le 3 mai dernier.

La Grande-Bretagne demeure responsable de nos affaires étrangères. Les modalités d'application pratique de ce régime sont compliquées car nous sommes en contact quotidien avec le ministère de l'Intérieur, lequel doit s'adresser au ministère des Affaires étrangères pour nos affaires extérieures.

Pour ce qui concerne Jersey et le Royaume-Uni, la situation est donc la suivante. Jersey ne fait pas partie du Royaume-Uni et n'a pas de représentants à la Chambre des communes. Enfin, Jersey est responsable de sa propre législation et de ses affaires intérieures, y compris en matière fiscale.

La relation entre Jersey et l'Union européenne est également particulière. Au moment de l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne en 1972, des arrangements spéciaux ont été négociés pour Jersey et les autres îles anglo-normandes. Les conséquences pratiques du troisième protocole du traité d'adhésion font que les îles sont en dehors de l'Union à toutes les fins, sauf pour les affaires douanières.

En conséquence, les directives de l'Union sur, par exemple, les affaires de santé ou d'environnement ne sont pas applicables à Jersey. Cependant, les directives relatives aux affaires douanières s'appliquent à Jersey. Il est certain que le concept de marché intérieur s'est développé depuis 1972, ce qui a affecté considérablement les relations entre les pays de l'Union européenne et la façon dont certaines de ces directives sont désormais établies. Néanmoins le marché intérieur n'affecte pas en lui-même les relations institutionnelles entre Jersey et l'Union européenne.

Je suis entré dans autant de détails parce que l'on croit souvent à tort, non seulement en Europe mais aussi au Royaume-Uni, que celui-ci a le pouvoir de nous imposer sa volonté. Nous n'acceptons pas que ce soit le cas, et le Gouvernement non plus comme en témoigne sa dernière déclaration à la Chambre des Lords.

Nous passons au deuxième point, le blanchiment des capitaux. Selon l'article de « The Guardian », il semble que le juge français tienne pour acquis que Jersey cherche à protéger les criminels, ce qui est totalement faux. Notre législation est suffisamment étoffée pour nous permettre d'empêcher le blanchiment de capitaux et, à cet égard, elle va plus loin que la législation en vigueur dans beaucoup d'autres pays, y compris la France.

Que ce soit en pratique ou en théorie, nous faisons en sorte d'empêcher que l'île soit utilisée aux fins d'activités de blanchiment de capitaux provenant du crime. Depuis 1988, nous avons une législation sur le trafic de drogue qui non seulement a créé des délits relatifs au trafic de drogue, mais également attribué aux autorités des pouvoirs d'enquête étendus lorsque les produits issus du trafic sont déposés dans des banques, des sociétés ou des trusts gérés dans l'île.

De même, depuis plusieurs années, les dispositions des lois du Royaume-Uni sur la prévention du terrorisme ont été étendues à Jersey, avec notre consentement. En 1996, elles ont été remplacées par des dispositions similaires contenues dans la loi de Jersey sur la prévention du terrorisme.

En 1991, la loi de Jersey relative aux enquêtes sur les fraudes a été adoptée. Celle-ci confère des pouvoirs étendus au Procureur général pour enquêter sur les fraudes graves, en faisant appel aux banques et autres institutions afin d'obtenir des copies des dossiers bancaires intéressant l'enquête et de pouvoir interroger les représentants des banques. C'est un exercice de regroupement d'informations qui permet de compléter une enquête.

En 1999, la loi de Jersey sur les produits des crimes est entrée en vigueur. J'aimerais faire deux commentaires sur cette loi. Le premier est qu'il relève désormais de la juridiction de la Cour royale de pouvoir émettre des injonctions sur la communication de documents, sur demande de la police et avec l'accord du Procureur général. Cette procédure est appliquée dans les cas où il existe des raisons suffisantes de penser qu'une personne est coupable de blanchiment de capitaux et que la divulgation des documents peut être très importante pour l'enquête en cours. Cette disposition comble une lacune qui existait auparavant par rapport aux enquêtes sur le blanchiment de capitaux.

Le deuxième apport de cette loi est qu'elle a créé une série de délits passibles d'amendes ou de peines de prison importantes, dès lors qu'une personne est convaincue de participation à du blanchiment de capitaux. Cependant, la personne soupçonnée d'être impliquée dans une affaire de blanchiment de capitaux peut échapper à la mise en cause de sa responsabilité pénale en révélant ses soupçons aux autorités. TRACFIN aussi a fait cela à la différence près que notre législation inclut les fraudes fiscales.

Grâce à cette loi, les banques et les prestataires de services financiers font régulièrement des déclarations de soupçons à notre unité d'enquêtes financières. Plus tard, vous assisterez à une présentation de notre unité d'enquêtes financières qui vous indiquera la façon dont nous traitons ces informations.

Les unités étrangères d'enquête sur le blanchiment des capitaux collaborent étroitement avec nous. Nous adhérons au groupe Egmont et un mémorandum d'entente est en cours de discussion au niveau opérationnel. Ce mémorandum doit être passé entre notre unité d'enquêtes financières et TRACFIN dont Jersey a reçu des représentants il y a quatre semaines. Un tel protocole reflétera la coopération qui est offerte en ce moment et que TRACFIN pourra vous confirmer.

Selon les rapports de TRACFIN, qui sont des documents publics me semble-t-il, cet organisme a reçu, en 1999, mille six cent cinquante-cinq déclarations de soupçons pour l'ensemble du territoire français. D'après nos discussions, TRACFIN semble considérer que le niveau de l'information en France n'est pas aussi élevé qu'il devrait l'être. Etant donné que nous sommes un petit territoire, nos niveaux d'informations sont proportionnellement beaucoup plus élevés. Il est possible que cela résulte de la structure de notre législation qui va plus loin que celle de beaucoup d'autres pays car elle incrimine le recyclage des capitaux issus de la fraude fiscale.

Jersey participe également activement aux mécanismes de suivi de la convention de Bâle sur la surveillance bancaire transfrontalière et des Nations unies sur le blanchiment des capitaux où nous avons été reconnus comme une référence quant à la conformité aux normes internationales de notre régulation financière et de nos mesures contre le blanchiment des capitaux. Le groupe de travail du Forum sur la stabilité financière considère Jersey comme un territoire coopératif qui offre une surveillance de la plus grande qualité et qui adhère aux normes internationales.

Malgré tout cela, nous continuons à subir les préjugés de certains qui, contrairement à vous, ne se donnent même pas la peine de venir constater les faits sur place. Il y a, comme vous le savez, une enquête du GAFI sur les territoires non coopératifs. La France a désigné Jersey comme une juridiction non coopérative pour des raisons que nous n'avons jamais pu découvrir.

Dans mon cabinet, autant que je le sache, mon prédécesseur et moi-même n'avons jamais reçu de plainte de la France ou de la part de fonctionnaires français à propos des enquêtes qu'ils nous ont demandés de mener. Nos rapports avec TRACFIN sont bons. Malgré tout, le rapport du GAFI procède d'une manière très insatisfaisante. L'évaluation doit être faite par un groupe ad hoc qui se réunira pour examiner les avant-projets des rapports relatifs aux différents territoires suspectés. Ce groupe d'études a attribué l'évaluation de notre politique à l'Espagne.

Il y a environ deux semaines, nous avons reçu un rapport provisoire que nous devons corriger, sans tenir compte du fait que cela fait des mois que l'auteur de l'étude a effectué ses recherches. De plus, il ne s'est même pas donné la peine de venir à Jersey pour se rendre compte sur place de la situation réelle.

Il a simplement examiné quelques documents historiques qui ne sont plus en vigueur, sans étudier l'étendue de notre législation puis il a produit un montage de commentaires faits par les autorités de l'île. Ce rapport est erroné et contient de multiples inexactitudes. Il n'a été accordé à Jersey qu'une dizaine de jours pour y répondre. Le groupe ad hoc recevra donc un rapport du groupe d'études qui comprend l'Espagne ainsi que la France et les Etats-Unis.

Le groupe d'études devait se réunir hier. Si les autres rapports concernant d'autres territoires sont aussi inexacts que celui qui est consacré à Jersey, on peut imaginer que soit le groupe de révision ne pourra pas présenter de rapport convenable dans un avenir proche, soit qu'il se prononcera sur la base d'enquêtes superficielles débouchant sur des conclusions tendancieuses et incorrectes.

Vous réalisez que pour une île comme la nôtre, qui est fière de sa conformité aux normes internationales sur le blanchiment d'argent, ces développements sont à la fois inquiétants et exaspérants. Je suis heureux que vous soyez là pour recueillir notre point de vue. Nous ne doutons pas que tout observateur objectif reconnaîtra que nous sommes une juridiction coopérative.

J'ai, en ma possession, des lettres de remerciements que nous avons reçues d'autres territoires, pour l'aide que nous leur avons apportée. Je dois dire que mon dossier ne contient pas de lettre de la France, mais c'est probablement parce que nous recevons très rarement des demandes de France.

Nous avons rencontré hier le directeur général de l'organisme européen de lutte antifraude, l'OLAF, à Bruxelles, avec lequel nous avons eu une discussion. Il nous a indiqué que beaucoup de pays doivent faire face à ces idées préconçues car les rapporteurs des avant-projets ne connaissent pas la législation ni ne la comprennent.

M. le Président : Serait-il possible de nous transmettre votre texte avec tous les éléments de la législation ? Cela nous permettra de prendre le temps d'éclaircir, avec vous, certains points.

M. William BAILHACHE : Cela ne pose pas de problème.

M. le Président : Merci beaucoup de cet exposé. Nous avons senti une grande sensibilité et, sur la question des évaluations en cours, le sentiment d'une injustice faite à Jersey. Notre démarche est de visiter différents pays pour ne pas rester sur des a priori et nous rendre compte, concrètement sur le terrain, de la situation.

Je dois néanmoins vous indiquer que, par rapport aux lois que vous évoquez, notre expérience est que très souvent la loi ne suffit pas. Certes elle est nécessaire, mais il faut aussi s'interroger sur une mise en _uvre de la loi et de sa pratique.

M. William BAILHACHE : Nous avons reçu très peu de demandes de la France. Il est évident que si vous ne posez pas de question, vous n'obtenez pas de réponses.

M. le Président : J'aimerais que l'on traite deux sujets. Le premier concerne le fonctionnement à Jersey de la régulation et du contrôle interne avec les déclarations de soupçons et les ouvertures de procédures judiciaires. Le second concerne la coopération judiciaire.

Sur le premier point, vous avez indiqué qu'environ trois cents déclarations de soupçons annuelles sont faites à Jersey.

M. William BAILHACHE : Ce n'est pas du tout le bon chiffre. Vous pourrez discuter ce point avec la douane.

M. le Président : Par rapport à ces déclarations de soupçons, quel est le nombre de procédures judiciaires ouvertes et, sur la base de cette législation, des condamnations pour blanchiment ont-elles été obtenues ?

M. William BAILHACHE : C'est une très bonne question car c'est un problème pour nous aussi.

En pratique, toutes les déclarations de soupçons sont automatiquement transmises au NCIS à Londres. Si une déclaration de soupçons a un rapport avec la France, nous l'envoyons automatiquement à TRACFIN. Je suis dans l'incapacité de vous dire si cela a donné lieu à des procédures judiciaires car nous n'avons aucun retour sur ces déclarations de soupçons.

M. le Président : Avez-vous déjà ouvert des procédures à Jersey ?

M. William BAILHACHE : Non, car la loi ne date que de 1999. Jusqu'à maintenant, rien n'est parvenu à mon bureau.

M. le Président : Savez-vous si ces déclarations sont faites par l'ensemble de la place financière, c'est-à-dire les banques et les avocats ou si certaines professions ont du mal à se plier à ces obligations ?

M. William BAILHACHE : D'après mon expérience, oui. Certains privilèges légaux sont accordés pour la fourniture de conseils, mais ils ne couvrent pas le blanchiment d'argent. Un avocat est soumis à l'obligation de faire une déclaration de soupçons de la même façon qu'un comptable, un trust ou une banque.

M. le Président : Dans le rapport Edwards, et nous avons rencontré ce problème à l'île de Man, une des grandes difficultés que l'on retrouve souvent, c'est l'impossibilité d'identifier les ayants droit économiques qui se cachent derrière certaines sociétés, en particulier les trusts. Le modèle des trusts se retrouve ici comme dans beaucoup de territoires. Aujourd'hui, il y a une volonté de mettre en place des outils pour parvenir à identifier les ayants droit économiques. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. William BAILHACHE : Selon la loi relative aux enquêtes sur la fraude, de 1991, il est possible, dans les enquêtes lancées par le Procureur général, d'obtenir la révélation de l'identité des ayants droit de trusts car ceux des sociétés sont déjà connus. Selon la loi relative à l'extension des délits sous-jacents de 1999, la police peut faire une demande auprès du tribunal pour la production de documents sur l'identité des trustees et les relations avec les actions de la société.

M. Pierre HORSFALL : Avant de vous quitter, je voudrais rappeler qu'une société enregistrée à Jersey doit déclarer l'ayant droit économique au moment de l'enregistrement. Il faut aussi déclarer la nature des activités de cette société. Il existe une liste des activités que nous n'acceptons pas comme, par exemple, l'exportation d'armes. Je ne connais pas d'autres territoires qui ont les mêmes exigences, et c'est pourquoi beaucoup de sociétés que les gens voudraient créer à Jersey le sont finalement ailleurs parce qu'ils ne veulent pas déclarer les ayants droit économiques et la nature précise des activités de la société. C'est un élément essentiel ici. C'est pourquoi l'on crée beaucoup moins de sociétés à Jersey que dans d'autres centres.

M. le Président : Combien y a-t-il de sociétés enregistrées à Jersey ?

M. William BAILHACHE : Vous obtiendrez ces renseignements cet après-midi.

(Départ du sénateur Horsfall à dix heures dix.)

M. le Rapporteur : Je voudrais, à mon tour, vous remercier de la franchise de vos propos. Nous avons fait le tour de l'Europe et visité la Belgique, l'Italie, l'Espagne et bien sûr la France sur laquelle nous travaillons également. Nous ne sommes pas exempts de critiques à l'égard de notre propre système. Nous tenons un langage international avec des collègues parlementaires italiens, espagnols, allemands, suisses, etc. Puisque chacun adhère à cette lutte, il est intéressant que nous échangions, non seulement des informations, mais aussi des critiques.

Il se trouve que lorsque nous sommes allés en Belgique, nous avons entendu sur procès-verbal un juge d'instruction au parquet de Bruxelles et le procureur du Roi de Bruxelles dont je voudrais vous lire les déclarations car elles concernent Jersey.

Parlant de ces difficultés, ce juge explique la chose suivante : « J'ai un exemple de non-coopération concernant Jersey. Voici une réponse qui nous a été donnée lors d'une commission rogatoire qui date de 1996. Je me permets de vous informer, nous répondait-on, - je pense que c'était votre prédécesseur, monsieur le Procureur général -...

M. William BAILHACHE : Oui.

M. le Rapporteur : « ... que bien que les faits décrits au sein de votre commission rogatoire démontrent effectivement une fraude apparente de la part des responsables de la société X, le montant du préjudice ainsi causé ne semble s'élever qu'à la somme de 31 millions de francs belges soit 700 000 livres sterling. Je suis au regret de vous informer qu'à l'exception des affaires de fraudes particulièrement complexes ou moralement répréhensibles, l'attorney général de sa Gracieuse Majesté ne peut donner suite à votre commission rogatoire. »

Cette lettre, certainement signée de votre prédécesseur, dont je vous ferai parvenir copie, a provoqué beaucoup d'exaspération à Bruxelles.

M. William BAILHACHE : Je ne peux pas faire de commentaire car je ne connais pas cette affaire. Il est possible que la demande faite n'était pas conforme à nos lois et à nos procédures. C'est un problème dont nous avons discuté hier à l'OLAF. Parfois, en raison de malentendus sur la manière de procéder, les mauvaises questions sont posées aux mauvaises personnes. Il ne s'agit pas d'être non coopératif, mais de coopérer selon nos lois, comme la France ou la Belgique coopèrent selon les leurs.

Lors de notre réunion à Bruxelles hier, nous avons décidé de participer à des stages de formation à l'OLAF. Ainsi, il y aura une meilleure compréhension sur la façon de demander la coopération. Si on nous demande certaines procédures qui ne sont pas légales dans notre système, nous ne les ferons pas, mais cela n'a rien à voir avec le fait de ne pas vouloir coopérer.

M. le Président : Sur l'assistance judiciaire, posez-vous des conditions de montants de la fraude, de complexité ou de délai ?

M. William BAILHACHE : Cela doit être une fraude grave. Il ne nous serait pas possible de traiter des fraudes de 500 livres. La complexité de la fraude peut avoir un impact sur le délai d'obtention de l'assistance ou la difficulté pour obtenir les informations nécessaires, mais cela n'a aucun impact sur notre désir de coopérer.

M. le Rapporteur : La question des conditions que vous fixez à l'exécution des commissions rogatoires est très importante. C'est d'ailleurs la position des Belges qui ont compris qu'en dessous de 700 000 livres, ce qui est quand même considérable, on considérait qu'il ne s'agissait pas, conformément à la loi de Jersey, de fautes particulièrement complexes et moralement répréhensibles.

M. William BAILHACHE : Il y a un problème qui est sans doute historique. Dans le contexte d'obtention des preuves, il est important, selon nos lois, que la procédure judiciaire ait été entamée. Le magistrat instructeur en Belgique, aux Pays-Bas et parfois en France, a le pouvoir de lancer une enquête avant que la procédure ne soit entamée. Si le but de la commission rogatoire est l'obtention de preuves, selon nos lois sur l'obtention des preuves, elle ne pourra être exécutée car aucune procédure n'est entamée.

Nous pouvons utiliser d'autres lois telles que les lois concernant les enquêtes pour fraudes ou la poursuite d'un délit criminel, qui nous autorisent à lancer une enquête. C'est le point dont nous avons discuté hier à l'OLAF.

Le premier point de différence concerne les preuves techniques et l'enquête. Je suppose que le juge français, si c'est une commission rogatoire, a ouvert son dossier en cherchant des preuves. Pour nous, cela signifie que la procédure a été entamée. Mais le magistrat instructeur, selon le droit belge, n'a pas encore lancé cette procédure judiciaire.

M. le Président : S'il n'y a pas de procédure judiciaire lancée, vous ne répondez pas...

M. le Rapporteur : Je voudrais revenir sur ce point qui est décisif. Je viens de recevoir, de mon bureau à Paris, un dossier sur l'échec d'une commission rogatoire française dans une affaire très grave portant sur des millions de francs d'escroquerie. Cette affaire a été révélée grâce à TRACFIN. Nous avons, sous les yeux, une lettre de votre représentant, M. Simon Jew, conseiller juridique de Jersey, qui pose des conditions à l'exécution de la commission rogatoire d'un juge de Paris, relatives au montant de l'escroquerie.

D'ailleurs, ce point se retrouve dans les critiques très graves adressées à Jersey par le rapport Edwards. Celui-ci, à la page 129, explique qu'aucun cas ne peut faire l'objet de coopération judiciaire en dessous de 2 millions de livres.

M. William BAILHACHE : Ce seuil a changé, ce n'est plus vrai à ce jour.

M. le Rapporteur : Mais en mai 1999, nous n'avons eu aucune réponse.

M. William BAILHACHE : Je ne peux faire de commentaires.

M. le Rapporteur : Cette limitation posée par Jersey sur le niveau de l'escroquerie ou du préjudice est doublée d'une autre condition qui est de contrôler la nature de la fraude, grave, complexe et moralement répréhensible. Pour nous, cette position est inacceptable car ce n'est pas aux autorités de Jersey de faire le travail du juge d'instruction européen, qu'il soit belge ou français.

M. William BAILHACHE : Vous essayez de me piéger sans que j'aie connaissance des documents auxquels vous faites référence.

M. le Rapporteur : Ce n'est pas un piège, mais de la colère !

M. William BAILHACHE : Si vous vouliez que j'apporte ma contribution, vous auriez dû me transmettre ces documents au préalable.

M. le Rapporteur : Je viens juste de les recevoir.

M. William BAILHACHE : Vous auriez dû venir un mois plus tard. C'est incroyable ! Ce n'est pas une façon de faire !

M. Jean LE MAISTRE : Le problème est que l'on essaie de discuter à deux niveaux. Tout d'abord, il y a la voie légale pour recevoir l'information, et la loi est ainsi faite. Par ailleurs, vous entrez dans des exemples spécifiques. On ne peut demander au Procureur général de pouvoir répondre, sur-le-champ, à ces accusations. Si on travaille dans un esprit de coopération, ces propositions devraient être faites au moment approprié. Je suis certain que le procureur répondra aux questions posées, mais il lui est difficile de le faire sur-le-champ.

M. le Président : Néanmoins, M. le procureur s'est dit attristé des accusations portées contre Jersey, dont celles du juge Jean de Maillard. Nous ne faisons qu'expliquer ici les raisons précises pour lesquelles il y a cette incompréhension entre Jersey et d'autres systèmes judiciaires. Car aujourd'hui, en coopération judiciaire internationale, les normes sont de ne pas mettre de conditions à la communication alors que Jersey met davantage de conditions. Pour nous permettre d'avancer dans notre discussion, le rapporteur ne faisait que citer un exemple pour que l'on puisse partir de faits.

Avec ces exemples, nous sommes au c_ur de notre sujet, mais il n'y a pas de piège. Notre rapport ne sort pas dans l'immédiat et, par conséquent, nous aurons un certain délai pour approfondir les différents points de vue. Il y a le temps de la confrontation, de la réécriture et de l'examen des différentes pièces.

M. William BAILHACHE : Cette lettre vous indique, selon nos lois, ce dont nous avons besoin pour coopérer. Lorsque cette lettre est lue à Paris, elle est considérée comme un refus de coopération. Je ne peux pas comprendre que le destinataire puisse la considérer comme telle. Je travaillerai donc avec mon département pour trouver un moyen de convaincre - notamment les Français car nous avons beaucoup de problèmes avec eux - les juges d'instruction que nous sommes prêts à coopérer, mais que certaines conditions juridiques doivent être remplies.

Rien dans cette lettre ne suggère que nous ne sommes pas disposés à coopérer. Cette lettre commence par « Nous pouvons vous assister... » Nous avons besoin d'informations pour apporter notre coopération. Ce n'est pas à vous de nous dire quelles doivent être nos lois. C'est notre position. Le rapport Edwards, qui va plus loin que vous dans son analyse, reconnaît Jersey au niveau international.

M. le Rapporteur : C'est pourquoi notre juge se plaint dans le « Guardian » !

M. William BAILHACHE : Je peux vous citer des exemples encore pires de difficultés que nous avons rencontrées lorsque nous avons demandé l'assistance judiciaire de la France. Nous travaillons tous dans le même but. Nous devons dépasser, d'une façon ou d'une autre, ce malentendu. C'est pourquoi je suis très heureux que nous allions à l'OLAF à Bruxelles pour les aider dans cette formation qui concerne non seulement le blanchiment, mais la façon de traiter avec les différents territoires, pas seulement Jersey. La France a un problème avec les autres territoires en raison de leurs différents systèmes juridiques.

M. Gilbert LE BRIS : Sans croire obligatoirement ce qu'écrit tel ou tel juge, nous en avons reçu beaucoup et rencontré un certain nombre à l'étranger. Il en ressort qu'il existe des pays non coopératifs absolus (Liechtenstein, Malte) et des pays coopératifs absolus. Entre les deux, se trouvent les pays non coopératifs ambigus parmi lesquels Jersey et Monaco.

S'agissant des conditions mises à la réponse aux commissions rogatoires, la législation de Jersey évolue-t-elle afin de diminuer le niveau des exigences requises ou rend-elle toujours plus difficiles de tels échanges ? Certains juges français nous ont indiqué que la situation avec Jersey aurait tendance à s'améliorer.

M. William BAILHACHE : Le niveau de l'assistance est fixé selon différents critères. L'un d'entre eux est que nous sommes une petite place. Je comprends le malentendu que cette lettre peut provoquer, chez un juge français, sur la nature de nos intentions. Nous souhaitons apporter une assistance et pour ce faire, nous avons identifié des catégories d'informations que nos lois nous imposent de requérir.

M. le Président : Vous avez fait une réponse politique intéressante en disant que l'on n'avait pas à juger vos lois et vous avez raison. Néanmoins, vous avez mentionné votre souhait d'améliorer la coopération internationale. Cela signifie-t-il que vous seriez disposé à modifier la façon dont Jersey conçoit la coopération judiciaire, au moins dans son expression, pour lever ces difficultés ?

M. William BAILHACHE : Dans peu de temps, oui. Nous reconnaissons aujourd'hui que nous faisons partie d'un vaste monde et qu'il faut respecter les normes internationales. Nous pensons le faire. Ma discussion avec l'OLAF hier a montré qu'il y avait des préjugés sur ce que nous faisons. Mais il me semble que cette session de formation mettra en évidence les cas où les difficultés surgissent. Je ne connais pas les difficultés pratiques car, de mon coté, je ne reçois aucune plainte écrite, personne ne me dit que ce n'est pas bien.

M. le Président : Monsieur le sénateur, vous avez dit, en accord avec M. le procureur, que vous vouliez respecter les normes internationales. Tout à fait par hasard, nous arrivons à un moment où le Parlement de Jersey a autorisé hier les paris sur Internet, contre l'avis de la commission de régulation financière. Vous savez peut-être que cette question des paris sur Internet est abordée par le GAFI. Y a-t-il là une difficulté entre les autorités de régulation et les autorités politiques ?

M. Jean LE MAISTRE : Il n'y a aucune difficulté. Toutefois, l'article que vous avez lu n'est pas entièrement correct. Malheureusement, je n'assistais pas hier à l'assemblée car j'étais à Londres. Ce sujet ne concerne pas mon département, mais il semblerait que le principe doive être encore discuté.

M. William BAILHACHE : J'ai entendu, ce matin à la radio, le directeur de notre commission de régulation des services financiers qui indiquait qu'il avait des inquiétudes sur cette question des paris sur Internet. Si les autorités politiques souhaitent autoriser les paris sur Internet, les mêmes règles que celles qui régissent les établissements financiers doivent s'appliquer à cette activité. Le conseil donné aux hommes politiques était de faire attention car cela pourrait être mal compris au niveau international.

Si cette activité s'établit, elle doit être soumise aux mêmes strictes conditions afin d'éviter l'utilisation des paris sur Internet à des fins de blanchiment. Il me semble avoir compris que les hommes politiques sont d'accord sur ce point. Cela doit être clarifié de nouveau cet après-midi avec l'introduction de strictes conditions.

M. le Rapporteur : Je voudrais conclure sur un point très important pour l'ensemble des pays européens qui ont besoin parfois de votre aide. C'est également utile pour la réputation de Jersey. Politiquement les autorités de Jersey sont-elles prêtes à faire évoluer la législation de façon que la coopération judiciaire ne se heurte pas à ces obstacles qui n'existent dans aucun autre pays, sauf peut-être à l'île de Man où les mêmes critères sont appliqués ?

M. William BAILHACHE : Ce n'est pas vrai. Notre législation est basée principalement sur la législation britannique. Tout problème avec Jersey est rencontré de la même manière avec le Royaume-Uni.

M. le Rapporteur : Je vous confirme néanmoins très fermement que, lorsque nos juges écrivent à Jersey ou à l'île de Man, ils reçoivent des réponses négatives. Nous rencontrons d'autres problèmes avec le Royaume-Uni.

M. William BAILHACHE : C'est dû à une différence structurelle de nos systèmes juridiques. Le système britannique ne reconnaît pas les juges d'instruction comme la France ou la Belgique. Actuellement les deux systèmes ne s'accordent pas parfaitement comme ils le devraient. Dans le futur, ces problèmes seront traités différemment. C'est une question d'éducation et de meilleure compréhension des systèmes juridiques. De mon point de vue, cette lettre était une offre de coopération.

M. le Rapporteur : Quels sont les changements contenus dans la nouvelle loi ?

M. William BAILHACHE : Avec la nouvelle loi, il est possible pour un policier d'obtenir, après une demande auprès des tribunaux, la divulgation de documents.

M. le Rapporteur : Sans aucune condition ?

M. William BAILHACHE : Il y a bien sûr des conditions. Je les ai mentionnées. Il vous suffit de compulser notre législation. Vous ne me croyez pas ?

M. le Rapporteur : Je vous crois, mais je déplore qu'il y ait des conditions. Je regrette de vous paraître exaspéré, mais j'ai cru comprendre que vous l'étiez aussi. Nous sommes néanmoins venus à Jersey pour parler. Notre venue à Jersey est un acte d'amitié. Il faut nous répondre car nous nous faisons une opinion au contact de ce que vous nous dites. Si c'est de l'incompréhension, cela ne doit pas être difficile à résoudre. Mais si la nouvelle loi contient les mêmes conditions que la précédente, nous allons les analyser et reprendre, à l'aune de la nouvelle loi, l'application de cette commission rogatoire qui nous pose tant de problèmes à Paris.

M. William BAILHACHE : Jersey compte 85 000 habitants. Nous avons autant de personnels dans notre unité d'enquêtes financières que vous en avez à TRACFIN, alors que Jersey est un territoire beaucoup plus petit que la France.

M. le Président : Combien recevez-vous de demandes d'entraide judiciaire par an ?

M. William BAILHACHE : Elles proviennent principalement de l'Angleterre et des Etats-Unis. Les Américains n'ont aucun problème car ils posent les bonnes questions et de plus, ils n'ont pas de juge d'instruction.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de MM. Anthony RENOUF,
Directeur des douanes

et David MINTY, Inspecteur 2

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 mai 2000 à l'Ile de Jersey)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

(Présentation des services de police par M. David Minty.)

M. Anthony RENOUF : Jersey considère la question de la lutte anti-blanchiment des produits du trafic de drogue ou de la criminalité comme une priorité, que ce soit au niveau politique ou opérationnel. Les services de la police et de la douane y consacrent quasiment tout leur temps ainsi qu'à la coopération avec d'autres territoires. Nous sommes fiers à Jersey de coopérer au maximum avec l'étranger. C'est pourquoi nous sommes très irrités de voir que Jersey est parfois considéré comme un territoire non-coopératif et facilitant le blanchiment d'argent. Tous les établissements participent à cette coopération.

En fait, les capitaux placés à Jersey ne sont pas énormes. Très souvent, les délits sont perpétrés dans d'autres pays et l'argent introduit dans le système bancaire d'autres pays.

(Distribution d'une copie de l'exposé, de statistiques sur l'exécution des commissions rogatoires reçues et du plan stratégique.)

M. le Président : Merci de cet exposé. Combien de déclarations de soupçons avez-vous reçu en 1999 ?

M. David MINTY : Quatre cent quatre-vingt-seize.

M. le Président : Quelle est leur provenance ? Vous avez mentionné quatre-vingts banques. Avez-vous constaté que toutes les banques faisaient des déclarations de soupçons ou sont-elles concentrées sur quelques banques ?

M. David MINTY : Sur les quatre cent quatre-vingt-seize déclarations, trois cent douze provenaient des banques, dont une grande majorité de banques commerciales.

M. le Président : Y a-t-il des banques qui aujourd'hui ne font pas de déclarations de soupçons ?

M. David MINTY : En vertu de la loi, elles doivent toutes le faire. C'est le travail de la police et des services financiers de s'assurer qu'elles sont prêtes à fonctionner ainsi.

La commission des services financiers a un programme de visites sur place afin de garantir et vérifier que les banques ont effectivement mis un système en place. Chaque mois, nous tenons des réunions avec la commission des services financiers et les policiers pour examiner quelles sont les banques qui ont fait des déclarations de soupçons.

M. Anthony RENOUF : Dans la structure bancaire, toutes les banques ont joué le jeu dès le départ.

M. le Président : Combien d'enquêtes sont ouvertes sur la base de ces déclarations de soupçons et, dans le cadre d'une enquête, êtes-vous déjà allé jusqu'à une condamnation pour motif de blanchiment ?

M. David MINTY : Nous n'avons encore poursuivi personne pour blanchiment de capitaux à Jersey. Jusqu'au 1er juillet de l'année dernière, nous ne pouvions qu'enquêter sur le recyclage du produit du trafic de drogue. Les procédures judiciaires provenaient du trafic de drogue fait ailleurs et non pas à Jersey. Nous avons actuellement une demi-douzaine d'enquêtes en cours sur le blanchiment des capitaux à Jersey, dont une en Suisse et une aux Etats-Unis.

M. le Président : Lorsque vous menez des enquêtes, une des difficultés pour vous est-elle d'identifier qui se cache derrière les sociétés à Jersey, notamment les trusts ?

M. David MINTY : Cela ne nous jamais posé de problème particulier étant donné que l'information sur l'ayant droit économique est à Jersey. Si nous avons des preuves suffisantes, nous pouvons demander une injonction du tribunal pour obtenir ces renseignements. L'année dernière, nous avons reçu soixante-dix-sept déclarations de soupçons de la part de trusts. Dès lors qu'ils ont des soupçons à l'égard des activités d'un de leurs clients, ils font une déclaration de soupçons à la police et révèlent toujours les informations sur l'ayant droit économique. Par conséquent, quand nous lançons une enquête, nous disposons dès son ouverture de ce type d'informations.

M. le Président : La qualité de ces déclarations, telles qu'elles existent dans le fichier central, n'a-t-elle jamais été prise en défaut ?

M. David MINTY : La qualité des déclarations s'améliore rapidement. Nous travaillons très étroitement avec l'association des personnes chargées de l'application de la réglementation. Nous participons à la formation interne des établissements dans la lutte contre le blanchiment.

M. le Président : Qui a la possession de ces informations ?

M. David MINTY : La commission des services financiers conserve les renseignements sur les ayants droit économiques des sociétés mais pas toujours des trusts. Elle nous les transmet si besoin est. Il revient aux sociétés de trust de révéler l'identité de l'ayant droit économique. Les prestataires de services, les avocats, les comptables et les sociétés de création et de gestion des trusts sont les professionnels qui interviennent dans la constitution des trusts.

Si la commission des services financiers n'a pas toujours les renseignements sur l'ayant droit économique, la société de trust doit les avoir.

M. le Président : Pourquoi et comment les blanchisseurs utilisent-ils Jersey ?

M. David MINTY : Jersey fait partie d'une stratégie d'empilement et sert à opérer des transferts de capitaux entre différents centres financiers. Jersey est un lieu de repos entre deux destinations.

M. Anthony RENOUF : Les trafiquants de drogue et les blanchisseurs de capitaux dispersent et déposent leurs fonds dans de nombreux territoires dont Jersey fait partie.

M. le Président : Ne pensez-vous pas plutôt que certains considèrent que la coopération judiciaire avec Jersey est difficile et qu'ils seraient plus protégés ici qu'ailleurs ?

M. David MINTY : Nos statistiques et les informations fournies tout à l'heure prouvent le contraire. Ce sont les trafiquants de drogue et les blanchisseurs d'argent qui devraient s'inquiéter à Jersey.

M. Anthony RENOUF : C'est pourquoi j'ai regretté tout à l'heure que ces préjugés perdurent sur Jersey.

M. le Président : Nous venons de rencontrer le procureur général et lui avons remis une commission rogatoire française qui n'avait pas abouti. Je voudrais savoir si, pour accorder votre assistance policière et douanière, vous émettez des conditions concernant la nature des affaires ou les procédures.

M. David MINTY : Nous faisons tout notre possible pour satisfaire aux demandes étrangères, tout en demeurant néanmoins dans le cadre de notre législation. Nous n'avons pas connaissance des raisons ayant entraîné la non-exécution de cette commission rogatoire française. Peut-être nous est-elle parvenue avant le 1er juillet 1999, avant que la nouvelle loi soit passée.

M. Anthony RENOUF : Avez-vous des détails sur cette commission rogatoire qui n'aurait pas été exécutée ?

M. le Président : Le procureur général l'a en sa possession. Le malentendu venait de conditions quant au seuil du préjudice, la nature complexe et répréhensible de la fraude. Cette commission rogatoire date de mai 1999.

M. David MINTY : Il existait une limite qui ne déterminait pas notre coopération ou non, mais qui empêchait le procureur général de déclencher une procédure judiciaire dans le cadre de la loi sur la fraude. C'est lui qui établissait la limite, en accord avec le bureau des fraudes graves (SFO) à Londres, soit un seuil de 2 millions de livres sterling.

Toutefois, depuis fin 1998, il n'y a plus de seuil et depuis le 1er juillet 1999, nous disposons de pouvoirs pour les procédures judiciaires dans le cadre de la loi pénale.

M. le Président : Traitez-vous directement ou cela passe-t-il par le bureau du procureur général ?

M. David MINTY : Si le procureur général reçoit directement une commission rogatoire dans le cadre de la loi sur la fraude, il peut décider d'agir sur le fondement de cette loi ou de nous demander d'enquêter. La plupart du temps, nous recevons les demandes directement, sans passer par le procureur.

M. le Rapporteur : Il existe plusieurs types de conditions posées, dont le seuil de 2 millions de livres en deçà duquel Jersey n'accordait par sa coopération. Cela a été fortement critiqué par le rapport Edwards. Pour nous, c'est inacceptable car il est rare qu'un juge européen sollicite l'aide d'un de ses collègues pour une affaire insignifiante. Si la coopération de Jersey lui est nécessaire pour mener son instruction, il n'y a aucune raison que Jersey prétende contrôler l'utilisation de cette coopération. Par ailleurs, cela pourrait signifier que Jersey tolère la délinquance financière en dessous de 2 millions de livres sterling, soit 20 millions de francs.

M. David MINTY : Ce n'est plus le cas.

M. le Rapporteur : En avril 1999, un juge français a adressé à Jersey une commission rogatoire qui a fait l'objet d'une réponse négative du procureur général de l'époque qui a demandé au juge français d'évaluer le montant des infractions commises en France. S'il n'y a pas de limite, pourquoi demander le montant, d'autant que dans la commission rogatoire, les montants évoqués sont assez considérables, environ 170 millions de francs ?

M. David MINTY : C'était avant le 1er juillet 1999 et la promulgation de la loi sur les produits du crime. La connaissance du montant était importante pour que le procureur général sache quels étaient les pouvoirs à invoquer, si c'étaient les siens ou non, selon la loi en vigueur à cette époque.

M. le Rapporteur : Mais les montants figuraient dans la commission rogatoire ! Il y avait cinq pages d'explication. Ce rejet a été interprété comme dilatoire.

M. David MINTY : Je n'ai pas vu cette commission rogatoire, je ne peux donc faire de commentaires. Toutefois, la loi sur les procédures criminelles est en vigueur depuis le 1er juillet 1999. Si la même demande nous parvenait aujourd'hui directement de TRACFIN ou d'une autre unité de police, nous la traiterions.

Les problèmes rencontrés par les commissions rogatoires de juges français viennent aussi du fait qu'elles ont été adressées au ministère de l'Intérieur à Londres. Le ministère de l'Intérieur aurait dû répondre aux juges français de s'adresser directement au procureur général de Jersey.

M. Anthony RENOUF : Nous ne pouvons pas répondre pour le procureur général.

M. le Rapporteur : En vérité, la deuxième condition fixée par le procureur général dans son rejet était qu'il exigeait de contrôler qu'il s'agissait effectivement d'une fraude grave et moralement répréhensible.

M. David MINTY : De nouveau, je ne peux répondre pour le procureur général. Toutefois avant le 1er juillet 1999, les seuls pouvoirs disponibles pour le procureur général à cette époque étaient ceux prévus par la loi sur les fraudes qui disposait que la fraude devait être grave et complexe. Ce critère de fraude grave est le même que celui invoqué par le SFO à Londres.

M. le Président : Mais vous êtes indépendants !

M. le Rapporteur : Pour nous, ce critère est inacceptable. Cette position a également fait l'objet d'une appréciation négative de la part du procureur de Bruxelles qui s'est vu refuser la coopération judiciaire dans une affaire de trafic d'armes impliquant 31 millions de francs belges.

M. David MINTY : Etait-ce adressé au procureur général ?

M. le Rapporteur : Tout à fait, mais le procureur général a exprimé un refus car le montant impliqué n'était pas suffisamment important et que la nature sérieuse et complexe de la fraude n'était pas établie.

M. Anthony RENOUF : Cette affaire a eu lieu en avril 1999, avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Je peux comprendre votre contrariété, mais la situation actuelle est totalement différente.

M. le Rapporteur : Je voulais vous informer du fait que notre ministre de la Justice a de nouveau sollicité le procureur général de Jersey le 14 avril 2000, adressant une nouvelle fois, un an après, la même commission rogatoire. Nous espérons que la nouvelle loi permettra à Jersey d'octroyer la coopération judiciaire à la France.

M. David MINTY : Je l'espère également.

M. Anthony RENOUF : Je ne vois aucune difficulté qui empêcherait cette commission rogatoire d'aboutir maintenant favorablement.

M. Gilbert LE BRIS : Vous organisez des réunions inter-îles entre Jersey, Guernesey et l'île de Man. Quels sont les résultats de ces réunions ?

M. David MINTY : Nous avons commencé ces forums cette année et nous pensons les renouveler trois fois dans l'année. Nous avons eu notre première réunion il y a peu. La première préoccupation est de mettre en place un système cohérent entre les trois îles pour le traitement des renseignements. Cela consiste à examiner la provenance des déclarations de soupçon, établissements bancaires ou autres.

Nous essayons d'utiliser le même format d'enregistrement des déclarations ainsi que de coordonner nos relations avec d'autres pays par le biais de mémorandums d'entente. La commission des services financiers essaie de distribuer les mêmes informations dans les trois îles, afin de faciliter le travail des banques qui ont des établissements à la fois à Jersey et à Guernesey. Nous pouvons ainsi utiliser le même système de fonctionnement dans les trois îles.

M. le Rapporteur : Quel type de rapports entretenez-vous avec TRACFIN ou la CETIF belge ?

M. David MINTY : Le mémorandum d'entente concernera une circulation libre de toutes les informations. Il est approuvé, mais pas encore signé.

M. Anthony RENOUF : Nous adhérons au mémorandum d'entente à la demande de la Belgique et de la France. Toutefois, ce mémorandum n'est pas nécessaire car nous agissons de toute manière ainsi. Cette signature intervient pour satisfaire leurs propres objectifs.

M. le Rapporteur : Vous adressez systématiquement vos informations au NCIS à Londres ; après le mémorandum, transmettrez-vous spontanément à TRACFIN ou à la CETIF les déclarations qui les concernent ?

M. David MINTY : Tous les rapports vont à NCIS à Londres, mais selon la personne ou la société en cause, nous enverrons spontanément les informations au pays concerné.

M. le Rapporteur : Ce chiffre de treize dans vos statistiques concernant TRACFIN correspond-il au nombre de déclarations que vous leur avez envoyées ou que vous avez reçues de TRACFIN ?

M. David MINTY : Nous n'avons reçu aucune déclaration de soupçons de la part de TRACFIN, mais nous leur en avons envoyé treize.

M. Anthony RENOUF : Nous avons de très bonnes relations de travail avec nos collègues de la douane française. Nous collaborons très étroitement et connaissons un certain nombre d'entre eux personnellement.

M. le Président : Merci beaucoup pour toutes ces indications.

Audition de M. Martin SCRIVEN,
Directeur de la Barclays Bank

et de M. Jean-Frédéric DESBENOIT,
Membre du Comité de l'Association des banques de Jersey

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 mai 2000 à l'Ile de Jersey)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci beaucoup de nous recevoir. Nous avons déjà rencontré ce matin les autorités de l'île. Nous avons maintenant plaisir à rencontrer les professionnels des banques, étant donné les sujets de préoccupation qui sont les nôtres.

Notre champ d'enquête est le blanchiment d'argent et la délinquance financière. Le système européen sur le blanchiment repose en grande partie sur les déclarations de soupçons faites par les banques. Comment la profession bancaire de Jersey accueille-t-elle ces contraintes et quel travail pédagogique est effectué à cet effet dans vos établissements ?

M. Martin SCRIVEN : Tout d'abord, vous devez être informés de cette nouvelle loi sur la généralisation des délits sous-jacents au blanchiment, qui inclue les délits fiscaux, ce qui permet d'affirmer que la législation de Jersey satisfait désormais aux meilleures normes internationales.

L'un des éléments principaux est la formation à laquelle nous donnons une importance considérable. Notre personnel est entraîné à répondre aux questions portant sur la connaissance des clients. C'est le mot d'ordre qui est donné au personnel.

M. le Président : Qui assure la formation ?

M. Martin SCRIVEN : Cela peut varier d'une organisation à une autre. La formation a lieu à plusieurs niveaux selon l'importance de l'affaire qui est traitée. Chaque banque comprend, dans son personnel, un « compliance officer ». Cette notion est difficilement traduisible en français, mais elle signifie que vous devez identifier une personne chargée de veiller à l'application des lois dans votre établissement. Ensuite le service du personnel entre en jeu. A un niveau plus spécifique, ce sera en fonction du service qui traite le dossier.

La banque prend ses obligations très au sérieux car sa responsabilité est engagée. Si vous venez avec de l'argent liquide pour le placer sur un compte, cela sera difficile à Jersey.

M. le Président : La réputation de Jersey, pour ce qui concerne les questions de blanchiment, n'est pas bonne. Le groupe d'action financière va publier prochainement une liste des territoires non-coopératifs sur laquelle de grands pays, dont la France, ont proposé de faire figurer Jersey.

Cette image négative de Jersey notamment à propos de la coopération judiciaire vous gêne-t-elle aujourd'hui dans votre activité professionnelle ? Faites-vous pression sur le gouvernement pour que, le plus rapidement possible, il s'adapte aux normes internationales ? Il a commencé à le faire à la suite de la publication du rapport Edwards, mais doit-il continuer ?

M. Martin SCRIVEN : Tout le monde est vigilant sur son image. Jersey a une très bonne image sur le plan international. Souvent une petite affaire reçoit beaucoup de publicité alors qu'on n'en parlerait pas si la même chose arrivait à Londres, New York ou Paris. Nous ne voulons pas d'affaires qui ne soient pas respectables car il y en a tellement d'autres à faire. Nous avons besoin d'une bonne réputation pour nos activités et nous ne voulons pas toucher à ce qui n'est pas respectable.

Si nous avions une affaire non respectable à la Barclays, cela toucherait la Barclays dans le monde entier. La même chose s'applique à mon collègue de la B.N.P. ici présent.

Nous n'avons pas de loi sur le secret bancaire à Jersey, alors que certains territoires, comme la Suisse, ont ce type de loi. Nous avons simplement une loi de confidentialité qui s'applique également aux médecins par rapport à leurs patients comme en France ou au Royaume-Uni.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : A propos de la réputation de Jersey, il faut garder à l'esprit que l'île a adopté une politique d'octroi d'agrément à des banques de premier niveau. En soi, c'est un mode de protection. En effet, ces banques ont elles-mêmes leurs propres règles de contrôle de l'argent sale et donc du blanchiment. Ces règles internes sont au moins aussi strictes que celles imposées par la législation jersiaise.

M. Martin SCRIVEN : C'est un point important car les banques les plus importantes, parmi les cinq cents mondiales, sont établies à Jersey et ont donc une bonne réputation. Cela signifie que les banques appliquent elles-mêmes leur propre politique de contrôle interne. Les banques établies à Jersey respectent déjà les normes appliquées par les autres banques ailleurs dans le monde. Les normes sont identiques et sont aussi bonnes que pour d'autres banques.

Par ailleurs, il est inexact de dire que les banques font pression sur le gouvernement parce que la législation est suffisante pour assurer le respect de ces normes. Je ne pense donc pas qu'il soit nécessaire de faire pression sur les autorités.

M. le Président : Sur les soixante-dix-huit banques de la place, avez-vous l'esprit tranquille, en tant que responsable de la profession, quant au contrôle portant sur le blanchiment d'argent ?

M. Martin SCRIVEN : Oui. Nous faisons des déclarations de soupçons de façon occasionnelle mais régulière, de même que les autres banques.

M. le Président : Nous avons lu dans le rapport Edwards qu'une banque, en 1998, la banque Cantrade, avait eu des difficultés. Nous aimerions avoir votre point de vue sur cette affaire.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : L'affaire de la banque Cantrade n'a absolument rien à voir avec le blanchiment d'argent. C'est un cas malheureux, mais en même temps banal, de faute professionnelle sur des marchés financiers. Autrement dit, un spécialiste, ou du moins considéré comme tel, des marchés financiers a fait prendre à ses clients des positions spéculatives en leur cachant les pertes potentielles sur ces positions. Quand les marchés se sont retournés, la vérité est ressortie. La banque a réalisé, mais trop tard, la position dans laquelle elle se trouvait. Par conséquent, des pertes substantielles ont été supportées par les clients en question.

Cantrade est une filiale de la banque UBS laquelle a immédiatement annoncé qu'elle allait couvrir les pertes de ses clients. L'homme, à l'origine de ces malversations professionnelles, est en prison pour quelques années. Aujourd'hui, la situation entre la banque et ses clients est en train de se résoudre à l'amiable. L'affaire a fait l'objet d'une intervention auprès du tribunal, mais le règlement du litige se fait de manière amiable entre le groupe UBS et la clientèle concernée.

M. le Président : Lorsque Jersey est accusé - ou stigmatisé - internationalement, ce n'est pas principalement pour la régulation de son secteur bancaire, mais pour la question de la coopération judiciaire, ce qui rejaillit sur la réputation de la place. Les juges indiquent - et c'est un des critères que prennent en compte les organismes internationaux - rencontrer des difficultés de coopération judiciaire avec Jersey. Une prise de conscience politique a amené à une première modification législative intervenue cette année. J'aimerais savoir si les banquiers avaient conscience de cette difficulté.

M. Martin SCRIVEN : Je rappelle que Jersey a reçu une récompense des autorités américaines du fait de sa bonne coopération. Une somme d'argent a été attribuée par les autorités américaines à Jersey pour nous remercier de cette coopération.

Le sujet de la coopération est toujours un sujet très intéressant et en même temps délicat. Tout d'abord, nous voulons coopérer et, par ailleurs, ne jamais être engagé dans quelque chose qui apparaisse suspicieux ou illégal. Nous sommes, en tant que banquiers, prêts à la coopération dans tous les cas, dès lors qu'il s'agit d'une coopération et d'une information résultant d'une procédure normale. J'affirme que le procureur général est favorable à la coopération dès lors qu'il est approché par les voies normales.

Je me demande seulement s'il n'y a pas, dans certains cas, des expéditions de « pêche à l'information », ce qui n'est pas du tout acceptable. Néanmoins, d'une manière générale, la coopération entre Jersey et les Etats, notamment européens, est un principe acquis pour nous. Il ne devrait pas y avoir d'obstacle, pour peu que les procédures normales, judiciaires et officielles, soient respectées.

M. le Président : Il faut que vous sachiez que la coopération judiciaire était entravée par un certain nombre de conditions posées par Jersey à l'exécution des commissions rogatoires. C'est d'ailleurs souligné dans le rapport Edwards. Une première condition était que le montant des transactions en cause ou des préjudices soit au moins de 2 millions de livres. Mais cette condition a été supprimée depuis le 1er juillet de cette année.

Il semble qu'il demeure encore quelques difficultés que nous allons vérifier. Cela donne le problème suivant. Une commission rogatoire, portant sur des sommes très importantes, part de France il y a plus d'un an, à propos d'une personne dont on a identifié les comptes bancaires, sur la place de Jersey. Les autorités de Jersey ont refusé de l'exécuter. Le ministre de la Justice, Mme Guigou, a de nouveau écrit il y a un mois et demi pour demander que soit enfin exécutée cette commission rogatoire qui porte sur des montants de près de 200 millions de francs. Il est avéré que cet argent est d'origine criminelle.

Lorsque nous sommes allés en Belgique, nous avons eu des récriminations fortes du procureur du Roi lui-même. Quand nous disons cela, ce n'est pas une guerre de principe, mais c'est parce qu'il y a des exemples négatifs de coopération judiciaire. Les banques n'en sont pas responsables car elles n'en sont pas informées, mais cela rejaillit sur l'image de Jersey. Avec cette perspective d'inscription sur la liste des territoires non coopératifs, le système financier se trouvera malgré tout impliqué ou stigmatisé.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : Y a-t-il eu une raison pour expliquer le refus d'exécuter cette commission rogatoire ?

M. le Président : La lettre type qui existait, avant la modification de la loi au 1er juillet 1999, indiquait, d'une part, que les montants en cause étaient en dessous du seuil, alors qu'ils étaient au-dessus des 2 millions de livres, et d'autre part, exigeait la démonstration du caractère répréhensible de la fraude.

M. Martin SCRIVEN : Dans ce cas particulier, je ne peux faire de commentaires et répondre pour le procureur général. Mais en général, il me semble que les autorités coopèrent. Par ailleurs, la coopération est à double sens. Sans porter d'accusation, il est arrivé que Jersey n'ait pas reçu la coopération espérée.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : Les autorités locales expriment aux banquiers une volonté politique claire de coopérer. Nous entendons également qu'elles rencontrent des problèmes dans la coopération lorsqu'elles la demandent. Pour nous, il est difficile de connaître exactement la situation, à moins d'un cas précis.

M. Martin SCRIVEN : La dernière chose que nous voulons voir dans la presse, ce sont des articles indiquant que nos institutions ne coopèrent pas, que ce soit pour le trafic de drogue ou d'armes. Nous vivons dans l'angoisse que cela survienne dans notre activité. Nous abordons tous ces sujets de façon très sérieuse. Nous ne voulons pas de ce type d'activités.

M. le Président : S'agissant de l'identification des ayants droit économiques, estimez-vous avoir les moyens aujourd'hui de connaître les ayants droit des trusts et des sociétés offshore ?

M. Martin SCRIVEN : La question a été abordée lors de l'évaluation du GAFI. Il faut attendre la publication du rapport du GAFI.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : Jersey a décidé d'adopter une loi sur la régulation des services financiers. Cette loi a été adoptée par les Etats de Jersey la semaine dernière. Le dispositif concernant l'identification des ayants droit économiques va être renforcé à Jersey.

M. Martin SCRIVEN : Cette loi concernant cent cinquante cabinets, le règlement deviendra donc plus formel. De l'extérieur, cela leur donnera un aspect plus contrôlé.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : Il est clair que cette loi va renforcer considérablement le dispositif que ces sociétés font devoir appliquer pour s'auto-réguler. Dès lors qu'une société de cette nature n'aura pas le nombre de collaborateurs suffisants, trois minimum, pour examiner préalablement les affaires reçues, elles seront hors-la-loi. Ces sociétés vont devoir soit disparaître, soit fusionner, soit se faire racheter par de plus grandes.

M. Martin SCRIVEN : Ces sociétés de trusts font partie de cabinets comptables, juridiques, de banques.

Une partie de nos activités concerne les trusts. Chaque année, nous effectuons un contrôle sur place, pour nous assurer que tout est conforme à la loi. Lorsque nous acceptons d'ouvrir un compte avec les sociétés de trust, mes clients fournissent les noms des administrateurs et des signataires et nous connaissons les sociétés véhicules des clients. Si nous avons besoin de connaître l'ayant droit économique, il nous est possible d'obtenir les renseignements par l'entremise de nos clients.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : La loi actuellement en vigueur à Jersey n'oblige pas une société de trust à dévoiler, auprès d'un banquier, l'ayant droit économique.

En ce qui concerne les sociétés, il n'y a aucune différence entre la pratique à Jersey, en France ou en Grande-Bretagne où, lorsque vous ouvrez un compte, vous vous informez de la nature de l'activité de la société, de ses dirigeants, mais vous n'avez pas l'obligation légale de vous informer sur ses actionnaires. A Jersey, parce que nous sommes attentifs sur cette question, nous nous renseignerons sur les actionnaires.

M. Martin SCRIVEN : S'agissant de la modification de la législation sur les trusts, la nouvelle loi a été votée, mais les décrets sont encore en discussion. Nous n'avons pas encore les détails. Les points à noter sont l'exigence minimale de trois collaborateurs qui a été mentionnée et la formation. Une discussion active sur les ayants droit économiques se tient également suite à la visite de M. Edwards.

Il existe déjà l'obligation légale, pour créer une société à Jersey, de déclarer les ayants droit économiques auprès de la commission des services financiers. Les difficultés surviennent lorsque nous utilisons des sociétés qui ne sont pas enregistrées à Jersey, mais dans d'autres territoires comme les îles Caïmans. Mais on retrouve le même problème en France et d'autres pays.

Dans le cadre de cette discussion sur le contrôle et les régulations, nous aimerions être aussi ouverts que possible, mais si nous changions notre législation, le reste des territoires doit changer en même temps. Si Jersey devient trop ouvert et commence à distribuer toutes les informations demandées, les affaires vont alors se déplacer vers d'autres endroits qui sont peut-être moins bien régulés et encore plus difficiles à contrôler que Jersey. Il semblerait que la liste de l'OCDE sur les paradis fiscaux, qui comprend Guernesey, Jersey et l'île de Man, ne comprendrait pas la Suisse, Luxembourg, Hong-Kong, Singapour, Chypre, les Pays-Bas. Où est la justice !

Jersey, de par la qualité de sa réglementation locale et de ses pratiques bancaires, garantit la sécurité de ses marchés et de ses clients. De plus, par sa proximité avec les marchés de Londres et Paris, une part substantielle des avoirs contrôlés à Jersey est recyclée sur ces marchés. Il faut donc préserver autant que possible la possibilité de travailler sur un plan d'égalité. Si nous devions aller encore plus avant, il faut le faire concomitamment avec les autres centres financiers.

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : Nous entendons beaucoup parler de cette liste de paradis fiscaux établie par l'OCDE. Comment définit-on la notion de paradis fiscal ? Quelles sont les implications derrière ? De plus, n'y a-t-il pas un problème à faire l'amalgame entre la notion de paradis fiscal et celle de blanchiment d'argent ?

M. Martin SCRIVEN : Les grands centres de blanchiment ne sont pas ici, mais à New York, Londres...

M. Gilbert LE BRIS : Pouvez-vous confirmer que les soixante-dix-huit banques à Jersey sont des banques de place et non pas simplement des banques « armoire à ordinateurs » ?

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : La question peut aussi être posée aux autorités financières locales qui peuvent apporter une réponse. Dès lors que les banques sont éligibles à un agrément, elles sont sélectionnées de manière rigoureuse. En soi, il y a déjà une protection. Il peut aussi y avoir quelques banques dépendantes, c'est-à-dire qui obtiennent un agrément, ouvrent un établissement sur la place, mais sont gérées par une autre banque. Ce ne sont pas des banques que l'on peut qualifier de « plaque de cuivre ». Elles sont obligatoirement gérées par d'autres, pour un type d'activités très spécifiques autorisées par la loi.

M. Martin SCRIVEN : Un des points forts pour Jersey est le marché du travail où le taux de chômage est quasi inexistant car le secteur financier a été très bénéfique pour l'île. Six cents personnes travaillent à la banque Barclays. Par ailleurs, je suis anglais, mes collègues sont français, américains. Ces banques sont toutes dirigées par des gens venant de l'extérieur. Nous avons un grand intérêt à préserver notre réputation tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

Mes collègues et moi-même souhaitons rendre ce pays le plus amical possible. Nous voulons qu'il présente un intérêt pour que les étrangers viennent faire des affaires chez nous. Enfin, pour que ce centre financier survive, il faut une concurrence fiscale.

M. Gilbert LE BRIS : La communauté bancaire de Jersey souhaite-t-elle une régulation de ce qu'on appelle les intermédiaires des services financiers ?

M. Jean-Frédéric DESBENOIT : En tant que banquier, oui. Par ailleurs, la loi qui vient d'être votée et qui va être codifiée à travers les décrets va s'appliquer à ce secteur.

M. le Président : Merci de votre accueil et de cette discussion.

Audition de M. Richard PRATT,
Directeur Général de la Commission des Services financiers

accompagné de Mme Helen HAMDEN, son assistante,
et de M. Andrew LE BRUN, Directeur du service juridique,
responsable du respect des normes internationales 3

(extrait du procès-verbal de la séance du 24 mai 2000 à l'Ile de Jersey)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de votre accueil. Nous étions très impatients de vous rencontrer car nous sommes convaincus que vous saurez nous apporter des réponses aux nombreuses questions que nous nous posons.

M. Richard PRATT : Il semblerait que le but de votre visite est de vous rendre compte de la façon dont Jersey contrôle l'application de la loi contre le blanchiment de capitaux. Nous avons préparé une présentation. N'hésitez pas l'interrompre à tout moment si vous souhaitez poser des questions.

(Projection d'une présentation de transparents.)

Mme Helen HAMDEN : Les établissements et la clientèle qui viennent à Jersey sont informés que le gouvernement souhaite disposer d'un bon système de régulation.

La politique jersiaise exigeant une présence physique des établissements financiers dans l'île et non pas seulement une vitrine, les autorités de régulation rencontrent les employés pour s'en assurer.

(Reprise de la présentation.)

M. le Président : Quelles sont les raisons qui motivent les clients français à venir à jersey ? Est-ce d'abord l'attrait fiscal ou autre chose ?

M. Richard PRATT : Il y a peu d'avantages fiscaux pour le citoyen français qui vit en France, mais il se peut qu'il y ait des avantages fiscaux pour un Français qui vit en dehors de la France. Il y a également des clients français qui désirent utiliser le système des trusts qui n'existe pas en France.

(Reprise de la présentation.)

M. Richard PRATT : Je vais maintenant vous présenter la commission des services financiers qui est l'organe de régulation. Selon le modèle britannique traditionnel, cet organisme appartient au secteur public, mais il est indépendant du gouvernement. Il est établi sous la forme juridique d'une corporation, mais sans actionnaires. C'est très similaire à la structure de la Commission des opérations de bourse en France.

Cet organisme a pour mission la régulation de l'ensemble du secteur financier. Cela comprend le contrôle bancaire, les services financiers et les assurances. Il fait également office de registre des sociétés. Il assume donc à la fois le rôle de la Commission des opérations de bourse et de la Commission bancaire. Nous sommes indépendants du gouvernement, ce qui signifie que nos décisions, en matière d'agrément, sont nos propres décisions que le gouvernement ne peut remettre en question.

M. le Président : Depuis combien d'années existez-vous ?

M. Richard PRATT : En tant qu'organe indépendant, depuis juillet 1998. Mais avant, les fonctions de régulation étaient directement assumées par le gouvernement.

M. le Président : Combien de personnes travaillent ici ?

M. Richard PRATT : Environ cinquante-cinq. Depuis que j'ai pris ce poste, il y a environ un an et demi, le personnel est passé de trente-huit à cinquante-cinq.

M. le Président : Je trouve très intéressante cette idée d'indépendance par rapport au pouvoir politique. Nous arrivons à un moment où un fort débat a lieu au parlement de Jersey sur la possibilité de faire des paris par Internet. Nous avons vu que la commission avait donné un avis négatif, conformément aux recommandations du GAFI, mais nous avons le sentiment que les parlementaires vous écoutent assez peu. Pouvez-vous nous préciser ce débat ?

M. Richard PRATT : Les activités de jeux et de paris ne font pas partie de notre champ de compétences. Lorsque les parlementaires nous ont demandé notre avis, nous avons donné un avis négatif en indiquant que nous étions notamment inquiets que les jeux d'argent sur Internet soient un moyen de blanchiment. Comme nous ne régulons pas le jeu, nous ne pouvons pas nous opposer à la décision. Toutefois notre point de vue est que si les hommes politiques veulent autoriser les jeux d'argent sur Internet, ils doivent les contrôler de la même manière que, pour le blanchiment d'argent, nous contrôlons le secteur financier.

Cela implique que les sociétés de jeux doivent connaître chacun de leurs clients, avoir une preuve de l'identité de leurs clients, déclarent tout pari suspect, gardent des archives et forment leurs employés dans la lutte contre le blanchiment. Ce sont toutes les obligations qui s'appliquent au secteur financier. Nous avons dit aux parlementaires de poursuivre dans leur projet, à la condition de trouver une société de jeux en mesure de se soumettre à ces obligations.

Le sénateur Pastrol a indiqué qu'il était d'accord avec ces conditions, et qu'il n'autoriserait une société de jeux que si elle se conformait à tous les règlements que nous avons établis dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Je serais très surpris qu'une société de jeux puisse remplir toutes ces exigences. Nous verrons si une société se présente et est disposée à se soumettre à toutes ces obligations.

(Reprise de la présentation.)

M. le Président : Combien de personnels comprend la division du contrôle ?

M. Richard PRATT : Entre quinze et vingt, mais c'est en constante augmentation.

M. le Président : Combien de contrôles annuels in situ effectuez-vous ?

M. Richard PRATT : Notre objectif est de visiter en moyenne la moitié des institutions financières chaque année. Toutefois certaines seront visitées deux fois dans l'année parce qu'elles présentent des risques, tandis que d'autres ne seront visitées que tous les trois ou quatre ans. C'est la politique que nous comptons appliquer dès l'année prochaine, mais nous ne l'avons pas encore fait en raison de notre restructuration et du manque de personnels.

M. Gilbert LE BRIS : Même si votre existence en tant qu'institution indépendante est relativement récente, puisqu'elle date de juillet 1998, pourriez-vous déjà nous donner des statistiques concernant les interventions que vous avez pu faire ? Avez-vous été amené à prendre des sanctions disciplinaires à l'égard d'organismes ? Avez-vous procédé à des retraits d'agréments ou prononcé des avertissements ?

M. Richard PRATT : Cela prendra un certain temps avant de voir les résultats d'une demi-douzaine d'affaires en cours mais nous avons refusé plusieurs agréments, nous en avons retiré un et fait des déclarations publiques.

M. le Président : Parlez-vous de banques ?

M. Richard PRATT : Nous avons procédé à six ou sept retraits d'agréments à l'égard d'entreprises d'investissement. Les banques ne sont pas concernées car elles n'agissent pas ainsi. Néanmoins il y a quelques années, nous avons mené à son terme une procédure contre la banque suisse UBS. C'est le seul cas où une banque de renommée mondiale a été condamnée. Cela concernait un montant de 2 millions de livres.

M. le Président : Condamnée pour quel motif ?

M. Richard PRATT : La banque avait laissé un de ses clients s'engager dans une affaire illégale de violation d'un contrôle de change. Si elle avait été plus attentive, elle aurait dû s'en apercevoir. La banque n'avait pas directement participé à la fraude, mais elle n'a pas été suffisamment rigoureuse pour l'empêcher.

M. le Rapporteur : Certains membres de votre conseil de direction appartiennent à des professions qui sont susceptibles d'être soumises au contrôle de la FSC. Comment gérez-vous les conflits d'intérêt entre ces membres de la direction et votre mission ?

M. Richard PRATT : Si un membre de la direction a un lien quelconque avec une affaire en cours, il doit se retirer aussitôt de la discussion concernant cette affaire. La plupart des membres du conseil de direction n'exercent actuellement aucune activité en rapport avec leur profession. Trois de nos membres actuels ont des liens avec la profession, mais deux d'entre eux sont à la retraite et le troisième est avocat.

Le fait que les membres, qui ont des liens avec une affaire en cours, doivent se retirer nous pose parfois des problèmes de quorum. Si besoin est, nous repousserons une prise de décision.

M. le Rapporteur : Reste une question sur laquelle nous ne parvenons pas à y voir très clair, à savoir les trusts qui n'existent pas en France. Certains disent qu'il est possible d'obtenir l'identification des ayants droit économiques, c'est-à-dire des véritables propriétaires qui se cachent derrière ces trusts, d'autres disent qu'il est parfois difficile de l'obtenir. En ce qui vous concerne, comment exercez-vous ce contrôle et organisez-vous la transparence conformément aux normes internationales ?

M. Richard PRATT : Un trust n'étant pas une société, il n'a donc pas de propriétaire. Les propriétaires des capitaux du trust sont les trustees qui doivent savoir qui est derrière le trust. Sinon ils violent la loi sur les trusts. Le trustee est soumis à la loi contre le blanchiment. Dans le cas où le trustee exerce une activité professionnelle, il doit obligatoirement faire une déclaration de soupçons à la police s'il considère que le trust est engagé dans des activités suspectes.

Dans le cas d'une enquête policière sur une fraude ou tout autre délit ou si une enquête est en cours dans un autre territoire pour laquelle la coopération de Jersey est requise, la loi donne le droit à la police d'insister auprès du trustee pour obtenir l'identité de ceux qui sont derrière le trust. L'année prochaine, selon la nouvelle loi adoptée à Jersey il y a une semaine, les trusts seront soumis à notre régulation. De ce fait nous pourrons entreprendre des contrôles sur place, de la même manière que pour les autres institutions financières. Nous pourrons trouver qui se cache derrière le trust individuel si besoin est. L'avantage de ce système est que nous pourrons nous assurer que les trustees possèdent effectivement cette information.

M. le Rapporteur : Allez-vous créer un registre des ayants droit économiques des trusts, accessible à tous moments par vos soins, de manière à contrôler la véracité des informations qui sont parfois formellement demandées aux compagnies offshore et aux sociétés qui créent des trusts, mais qui ne sont en réalité jamais vérifiées ?

M. Richard PRATT : Nous n'estimons pas nécessaire d'avoir un registre des ayants droit économiques des trusts pour contrôler la véracité des informations. D'ailleurs aucun pays n'a ce type de registre. Nous aurons un registre des trustees que nous contrôlerons sur place pour nous assurer qu'ils se conforment aux lois. Le point important est que l'identité des personnes derrière le trust doit être une information détenue sur l'île. Ainsi nous pourrons obtenir cette information si besoin est, pour le compte d'un régulateur étranger ou d'une police étrangère.

M. le Président : A l'île de Man, la perspective de ce contrôle des sociétés a déjà conduit à la radiation de six mille sociétés. Vous avez finalement accepté l'idée que jusqu'à maintenant, il n'y avait pas de réel contrôle sur les ayants droit économiques. Pensez-vous que la mise en place de cette législation va conduire à la radiation de beaucoup de trusts ?

M. Richard PRATT : Je me doute qu'un certain nombre de sociétés quittent déjà Jersey en raison de la nouvelle loi. Nous refuserons certainement des agréments à certaines des activités qui, en ce moment, sont exercées par des sociétés étrangères.

M. le Président : A combien estimez-vous le nombre de trusts existants que vous allez devoir contrôler sur place ?

M. Richard PRATT : Entre deux et trois cents sociétés de trust. Ils ne pourront continuer d'exercer que lorsque nous leur accorderons l'agrément. Néanmoins ils auront la possibilité de faire une demande prévisionnelle d'agrément. S'ils la font à temps, ils pourront continuer d'exercer jusqu'à ce que nous les contrôlions sur place. Ensuite, nous leur accorderons un agrément.

Nous n'avons pas de registre des trusts, mais nous avons un registre des sociétés. Dans ce registre, nous disposons de la liste de tous les ayants droit économiques de chaque société jersiaise. En raison de la législation stricte sur les sociétés à Jersey, beaucoup de sociétés sont administrées à partir de Jersey, mais sont enregistrées dans des pays où les règles sont moins rigoureuses. Ces sociétés ne sont donc pas soumises à la régulation de l'organisme actuel.

Mais avec la nouvelle loi, les sociétés exerçant à Jersey l'administration des sociétés enregistrées dans un autre pays, devront se plier aux normes de régulation. Elles doivent déjà connaître les ayants droit économiques. La nouvelle loi nous permettra de les contrôler sur place pour vérifier qu'elles ont effectivement connaissance de l'identité des ayants droit économiques des sociétés qu'elles gèrent.

M. le Président : Des sociétés offshore peuvent-elles être actionnaires de sociétés présentes à Jersey et comment faites-vous pour connaître les ayants droit ?

M. Richard PRATT : Les sociétés de Jersey enregistrées ici ont toutes leurs actionnaires figurant sur le registre public. Les sociétés enregistrées dans un autre pays sont soumises aux règles du pays concerné. Si vous voulez connaître les actionnaires d'une société enregistrée aux îles vierges britanniques, vous devez aller dans ce pays pour obtenir cette information. Mais avec la nouvelle loi, nous conserverons une liste des sociétés étrangères avec le nom de l'entité qui administre cette société depuis Jersey et le lieu d'enregistrement de cette société. Nous communiquerons cette information à qui nous la demande. Ce sera donc une information publique. Si une société est administrée à Jersey mais est enregistrée aux îles vierges britanniques, on pourra obtenir auprès de la commission l'adresse du siège social et le pays d'enregistrement.

M. Gilbert LE BRIS : Vous souhaitez imposer à tous les établissements financiers l'obligation de connaître leurs clients. Etes-vous prêt à supprimer la délégation d'identification ? Cela signifie qu'une personne, qui vient d'un pays connu du GAFI, ne fait l'objet d'aucune vérification particulière.

M. Richard PRATT : Nous avons une règle qui prévoit que tous les établissements financiers doivent connaître le nom de leurs clients et la nature de leurs activités, sans aucune exception. La connaissance du client est un concept plus large que les vérifications formelles d'identité. Si le client est engagé dans une transaction suspecte, l'établissement financier à Jersey doit faire une déclaration. L'établissement doit avoir une copie du passeport ou d'autres preuves d'identité.

Nous avons indiqué, comme tous les pays du GAFI, que si le client est amené par un autre établissement, que cet établissement est lui-même soumis à l'obligation de vérifier l'identité et régulé, le banquier doit néanmoins vérifier que l'établissement étranger a procédé à une vérification de l'identité dans les règles. Si l'établissement fournit une assurance écrite et signée qu'il a effectué les vérifications correctes d'identité, l'établissement financier à Jersey n'a pas obligation de faire de nouveau cette vérification. Toutefois, il doit savoir qui est le client, la nature de son activité et où la société est enregistrée.

Nous estimons que nous pouvons nous en remettre aux établissements qui sont régulés et soumis aux recommandations du GAFI, seulement si nous avons une assurance écrite dans chaque cas. Cette position est semblable, me semble-t-il, à celle qui est pratiquée au Royaume-Uni.

M. Gilbert LE BRIS : Comptez-vous soumettre à votre contrôle non seulement les avocats mais également les prestataires de services financiers ?

M. Richard PRATT : C'est fait dans le sens où la nouvelle loi, votée la semaine dernière, le prévoit. Nous attendons que la Reine signe cette loi, ce qui prend en moyenne trois ou quatre mois. Une fois signé, le contrôle sera mis en _uvre puisque nous avons une équipe formée pour l'application de cette législation.

M. le Rapporteur : Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Nous sommes allés à l'île de Man où il y a dix banques de moins qu'à Jersey, mais presque quatre à cinq fois plus de déclarations de soupçons de la part des établissements bancaires, avec un nombre équivalent de sociétés de domicile. Je voudrais comprendre pourquoi il y a autant de déclarations de soupçons à l'île de Man, alors qu'il y a plus de banques à Jersey.

M. Richard PRATT : L'une des raisons est que l'île de Man a adopté avant nous une loi sur l'extension des délits sous-jacents du blanchiment. Une fois que notre loi a été mise en vigueur, le nombre de déclarations de soupçons des banques et des établissements financiers a doublé. Notre moyenne mensuelle de déclarations de soupçons est proche de celle de l'île de Man, mais pas tout à fait la même, parce que la structure des activités à l'île de Man est différente. Ils reçoivent un grand nombre de déclarations de soupçons du secteur des assurances, ce que nous n'avons pas ici. Nous sommes néanmoins préoccupés par ce problème et en avons cherché les raisons.

Nous conservons ici des statistiques mensuelles sur les déclarations de soupçons que font les banques. Si une banque ne fait pas de déclaration de soupçons, nous cherchons à savoir pourquoi. De même que si une banque fait beaucoup de déclarations de soupçons, nous vérifions que ce sont des déclarations valables. Nous suivons cela. Nous nous réunissons régulièrement avec l'île de Man et Guernesey pour établir une tendance des déclarations de soupçons et voir si nous pouvons apprendre les uns des autres.

M. le Président : Certains établissements financiers n'auraient jamais fait de déclaration de soupçons ici ?

M. Richard PRATT : C'est exact. Nous en examinons les raisons avec ces établissements. Nous suivons de près ce problème. Nous ne prétendons pas avoir le système idéal dans la lutte contre le blanchiment d'argent. Nous pouvons toujours apprendre des autres, et c'est pourquoi nous nous rencontrons régulièrement avec l'île de Man et Guernesey.

C'est aussi la raison pour laquelle nous avons été ravis de la visite du GAFI pour évaluer Jersey, en juillet dernier. Je me rappelle avoir dit au président de la délégation du GAFI que c'était un examen auquel nous voulions obtenir de bonnes notes et que c'était également un moyen d'apprendre et d'améliorer nos procédures. Ils ont apprécié cette réponse et vous avez pu lire le rapport préliminaire.

Le procureur général nous a demandés de vous transmettre nos commentaires sur ce rapport. En gros, le rapport est équitable. Nous avons de bonnes et de mauvaises choses. L'une des demandes de ce rapport était que les trois îles se rencontrent, ce que nous faisons déjà sur une base régulière.

M. le Rapporteur : Nous, parlementaires français, avons voté il y a environ un mois, une disposition autorisant le gouvernement français à interdire les mouvements de capitaux en provenance ou à destination de territoires non coopératifs - une sorte d'embargo - qui figureraient sur la liste du GAFI. Les Américains ont déposé un texte du même ordre, qui est soutenu par l'administration Clinton. Par ailleurs, les Canadiens nous ont informés la semaine dernière qu'une loi était en préparation contenant les mêmes types de sanctions.

La France, qui assumera la présidence de l'Union européenne au 1er juillet, prendra un certain nombre d'initiatives sur la question des sanctions à l'égard des territoires non coopératifs. L'absence consubstantielle de transparence d'un certain nombre d'institutions, comme les fonds fiduciaires et les trusts, pose problème et requière des efforts que nous considérons comme encore insuffisants de la part d'un certain nombre de pays de culture de common law.

M. Richard PRATT : Nous sommes d'accord sur des propositions de sanctions à l'égard des territoires non coopératifs. Nous pensons que c'est la chose à faire et nous participerons à une telle initiative internationale. Nous pensons qu'il est essentiel que tous les territoires coopèrent pour lutter contre le blanchiment d'argent et la fraude. Cette commission passe beaucoup de son temps sur la coopération internationale et les initiatives internationales contre la fraude et le blanchiment d'argent.

Nous-mêmes avons souvent souffert de ce manque de coopération d'autres territoires, notamment des Antilles, quand nous avons essayé de poursuivre les sociétés qui violaient nos lois. Il y a toujours des difficultés lorsque les pays agissent de bonne foi, mais ont des systèmes juridiques différents. Par exemple, le concept du trust est bien connu des pays anglo-saxons, mais moins bien des autres, et souvent cela amène des problèmes.

Par exemple, nous avons demandé l'aide de la Commission des opérations de bourse qui menait une enquête sur une de nos affaires. La commission a ensuite transmis l'enquête au procureur et cette affaire est maintenant soumise au secret de l'instruction. Nous ne pouvons plus avoir accès au résultat de cette enquête que nous avions demandée. Nous trouvons cela difficile à comprendre. Nous n'accusons pas la France d'être non coopérative, mais nous n'étions pas informés de ce type de procédure.

Nous connaissons l'initiative du GAFI sur les pays non coopératifs et nous savons que nous sommes évalués sur la demande de la France. En fait, nous avons parlé à certains membres du GAFI, aux Américains et à la Commission européenne qui sont convaincus que Jersey est coopératif.

Je vous transmets une note qui comprend des statistiques et qui vous montrera notre volonté de coopération. Cela nous a préoccupés de penser que la France nous considère comme un pays non coopératif. Nous avons donc engagé un certain nombre d'initiatives pour améliorer les choses. Par exemple, nous avons reçu des membres de TRACFIN auxquels nous avons exposé nos pouvoirs. Ils m'ont dit personnellement qu'ils pensaient que nous n'aurions pas collaboré. Mais maintenant ils sont entièrement convaincus que nous sommes coopératifs et prêts à collaborer.

M. le Président : Pourquoi les Français pensent-ils que vous n'êtes pas coopératifs ?

M. Richard PRATT : Vous devez le demander à vos collègues. J'ai proposé à la Commission bancaire la signature d'un accord sur l'échange d'informations, ce qu'elle a accepté. J'ai fait la même chose avec la Commission des opérations de bourse, avec un accord d'échange d'informations qui est en cours de discussion. J'ai discuté avec un conseiller de M. Trichet, président de la banque de France, lequel a proposé que nous participions à une formation organisée pour les procureurs et juges français, au cours de laquelle nous expliquerions comment nous pouvons coopérer. Comme nous sommes voisins, il est important de travailler ensemble dans la répression de la délinquance financière.

M. le Président : Les difficultés viennent sans doute de la coopération judiciaire. Sur ce sujet, un certain nombre de malentendus sont très clairement à lever.

M. Richard PRATT : Tout à fait. Il faut parler aux personnes qualifiées. Je participais à Paris à une réunion de l'OCDE sur la corruption. Un procureur français tenait des propos désagréables sur Jersey. A la fin de la réunion, je lui ai dit que j'étais un régulateur et non pas un procureur, et que j'étais désolé d'entendre toutes ses expériences difficiles pour obtenir la coopération de Jersey. Je lui ai proposé mon aide. Il m'a répondu que la prochaine fois, il s'adresserait directement aux autorités à Jersey car il s'était toujours adressé aux autorités britanniques. Si vous posez les mauvaises questions aux mauvaises personnes, vous obtenez les mauvaises réponses.

M. le Rapporteur : Ce matin, nous avons eu une conversation très intéressante et très libre avec le procureur général. Il est incontestable que nous avons des problèmes sur le terrain judiciaire. Comment faire pour améliorer la situation ?

M. Richard PRATT : Il y a un sujet particulier qui concerne les demandes de compte rendus des témoignages obtenus en vue des procédures judiciaires. C'est un point délicat pour Jersey. En effet, nous fonctionnons comme le système anglo-saxon dans lequel les procédures judiciaires interviennent plus tard qu'en France. En France, l'enquête fait partie de la procédure judiciaire. A Jersey, elle intervient à la fin de l'enquête.

Nous avons ici un petit manuel sur la façon d'obtenir les informations et de formuler la demande. Vous pouvez y trouver des noms et des numéros de téléphone.

M. le Président : Merci beaucoup pour cette discussion.

Unité de renseignement et de lutte
contre la criminalité financière

Audition de MM. X, officier de Police,

Y, chef du service des enquêtes financières,

et Z, chef du service du renseignement financier
anonymat demandé par les personnes rencontrées

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 mai 2000 à l'Ile de Man)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Nous vous remercions de cette présentation que vous allez nous faire sur les méthodes de travail de la douane et de la police. J'espère qu'ensuite, nous pourrons prendre le temps d'échanger des questions et des réponses.

M. Y : Nous interromprons cette réunion afin d'aller rencontrer le président de Tynwald (le Parlement Mannois), puis nous reviendrons ici pour une série de questions et réponses, avant d'aborder la prochaine réunion.

M. Z : M. Y et moi-même appartenons à la douane. Pour ma part, je suis chef du service du renseignement financier. M. X est policier. La présentation que vous allez voir fait partie de l'information générale contre le blanchiment d'argent que nous présentons aux sociétés de services financiers.

M. Z M. Y : La législation dispose que le responsable du contrôle de l'obligation de déclaration de soupçon peut être un agent de police ou de la douane. Toutefois ce terme peut prêter à confusion. En effet, beaucoup de sociétés attribuent cette fonction uniquement à la police alors que les délits qui concernent les droits de douane et les accises sont contrôlés par les douaniers.

S'agissant des fraudes à la TVA intra-communautaire, elles portent sur de petits articles à prix élevé comme les puces d'ordinateurs et les téléphones portables. Les douaniers contrôlent également les sociétés qui commercent en euro car elles pourraient l'utiliser pour dissimuler des trafics. En effet, les paiements en euros sont acceptés ici.

Au niveau de l'import export, des contrôles sont effectués sur les stupéfiants et les matériels pour les fabriquer, les armes de guerre, les armes offensives et les fusils, la pornographie, les animaux en voie de disparition, la contrefaçon et l'immigration. Les délits portent aussi sur le blanchiment d'argent et la dissimulation de l'origine ou de la destination des articles.

M. X  Je vais maintenant aborder plus spécifiquement les fonctions de l'unité de renseignement et de lutte contre la criminalité financière. Nous avons identifié, il y a trois ans, le besoin d'une plus étroite collaboration entre la police et la douane, au sein d'une unité de ce type. A cette époque, nous manquions de ressources humaines pour constituer cette unité dont la création a finalement eu lieu au début de cette année. Elle s'est établie au c_ur du centre financier, ce qui la rend très accessibles aux intervenants de ce secteur.

Des ressources financières supplémentaires nous ont été allouées. D'ici septembre, l'unité, qui comprend actuellement huit officiers de police, en comprendra douze. Nous avons également installé un bureau spécifiquement destiné à la douane et aux accises afin de permettre une meilleure collaboration. Selon la législation pénale, les officiers de police et de douane sont considérés comme des officiers de police judiciaire. Par conséquent, les déclarations de soupçons peuvent être faites auprès d'eux.

De plus, nous venons d'embaucher un avocat spécialisé dans la fraude et les affaires criminelles en matière financière et nous utilisons les services d'un comptable spécialisé dans la fraude. Il y a quelques jours, nous avons mis une annonce pour recruter un analyste civil, qui sera chargé d'analyser les tendances dans les déclarations de soupçons. Par ailleurs, nous disposerons de personnel supplémentaire pour assurer un retour d'information aux établissements qui nous adressent des déclarations de soupçons.

Les responsabilités spécifiques de l'unité sont la collecte de renseignements financiers et les enquêtes portant sur des délits financiers. 65% de notre travail consiste dans la collecte d'informations au profit d'autres juridictions. Cette année, nous avons reçu la visite de cent vingt officiers de juridictions étrangères.

L'unité est le réceptacle des déclarations de soupçons pour l'île de Man. Le Royaume-Uni nous considère comme une unité de renseignement financier et d'analyse des déclarations de soupçons.

M. Z M. X : Vous avez ici le nombre de déclarations de soupçons reçues depuis 1995. La nouvelle législation, mise en place en 1998, n'a en fait pas eu un réel impact sur le nombre de déclarations.

Pour l'année 1999, ce chiffre de mille déclarations ne tient pas compte des deux cents déclarations supplémentaires qui sont une répétition des déclarations (c'est un suivi de la première déclaration). Les établissements ont fait une première déclaration, elles ont revu leurs archives et ont fait une déclaration supplémentaire, mais concernant le même fait.

Ce nombre croissant de déclarations de soupçons ne signifie pas qu'il y a plus de blanchiment d'argent dans l'île qu'ailleurs, mais il traduit au contraire une amélioration des relations avec les institutions financières et de la formation de leur personnel. Le service équivalent au nôtre pour le Royaume-Uni, NCIS, reçoit, pour l'ensemble du Royaume-Uni, seize mille déclarations de soupçons.

Nous avons récemment concentré nos efforts sur les prestataires de services financiers. L'année dernière, nous avons reçu cinquante déclarations de soupçons en provenance de ce secteur. A mi-année, ce chiffre se situe déjà à trente. Cela tend à prouver que la situation s'améliore.

Concernant les avocats, ils estimaient qu'ils devaient être sûrs du fait avant de faire une déclaration puis nous leur avons expliqué la notion de soupçon, entre la spéculation et la certitude, ce qui a contribué à augmenter le nombre de déclarations.

68 % des déclarations tombent sous la loi portant sur tous les crimes, 30 % sur le trafic de drogue et 2 % sur le terrorisme. Afin de se protéger, les établissements financiers doivent remplir des déclarations de soupçons complètes et, pour nous aider à enquêter sur ces déclarations, nous avons besoin d'informations spécifiques, c'est-à-dire le nom complet, l'adresse, la date et le lieu de naissance, et le passeport. Si la déclaration porte sur une société, nous exigeons non seulement le nom de la société, mais aussi le pays de constitution, les noms des directeurs, des détails sur les ayants droit économiques, la raison sociale et le numéro de TVA.

Comme les organes de régulation des établissements financiers insistent sur l'obligation de connaître leurs clients, ces informations sont disponibles et nous pouvons les obtenir. Si les informations n'apparaissent pas dans la déclaration, nous la renvoyons à la société qui doit nous la soumettre de nouveau dans une version plus détaillée avant que nous lui donnions quitus du respect de ses obligations.

Nous encourageons les établissements à nous fournir l'historique des mouvements de capitaux avec leurs clients et à nous exposer les raisons de leurs soupçons. Si la déclaration de soupçons n'est pas suffisamment détaillée, nous la leur renvoyons pour plus de détails sans toutefois leur donner notre assentiment pour continuer les transactions. La lettre de quitus que nous leur renvoyons accuse réception de la déclaration de soupçons, mais ne les autorise pas à continuer à effectuer des opérations qu'ils jugent suspectes ou de blanchiment d'argent pour le compte de leurs clients. Ce ne sont encore que des soupçons à ce stade. Néanmoins le fait d'avoir fait une déclaration de soupçons n'autorise pas les établissements à continuer de prêter leur concours à des activités criminelles. Nous sommes très stricts sur ce point. En fait, si cela va au-delà du soupçon et qu'il y a des preuves d'opérations criminelles, nous n'envoyons pas de quitus aux établissements et nous lançons une enquête sur le cas en liaison avec toute autre juridiction concernée.

M. le Président : Pouvez-vous bloquer les comptes ?

M. Z : Oui. Une fois que nous avons reçu une déclaration de soupçons, nous lançons une enquête et nous pouvons demander au juge une décision de contrainte afin de bloquer les fonds. L'ordre de production est le moyen légal d'obtenir des informations auprès des institutions financières. Cela leur permet de lever l'obligation de confidentialité qu'elles ont vis-à-vis de leurs clients.

Pour bloquer les fonds, il suffit au juge de valider que c'est de l'argent criminel jusqu'à obtention de plus amples informations. Si nous sommes certains qu'il s'agit de trafic ou de blanchiment d'argent, nous avons le droit de demander au juge de bloquer les fonds. C'est la même procédure si des informations proviennent d'une autre juridiction, avec l'intervention du juge pour bloquer les comptes. Quand la police ou la douane demande un blocage ou une confiscation des fonds, avant que cela passe devant le juge, le bureau du Procureur général opère une vérification.

Le bureau du Procureur général joue un rôle de coordination et pourra vous donner le nombre consolidé de demandes de contraintes qui lui sont parvenues de la police, de la douane et de l'étranger. Les commissions rogatoires vont également au bureau du Procureur général qui les transmet à la police ou à la douane pour enquête.

M. le Rapporteur : Combien de fois avez-vous demandé aux établissements bancaires plus d'informations après une déclaration de soupçons ?

M. X : Pour l'année 2000 et jusqu'à cette date, douze fois sur trois cent soixante déclarations.

M. le Rapporteur : En 1999 ?

M. X : Nous n'avons pas de statistiques sur ce sujet mais toutes ces informations seront disponibles au bureau du procureur.

M. Z : Les établissements financiers nous donnent plus d'informations sans que nous n'ayons recours automatiquement à une intervention du tribunal. Très souvent, une fois que la déclaration de soupçons a été faite, les établissements financiers sont prêts à fournir toutes les informations à la police. Nous n'avons pas besoin de passer par le juge pour cette demande d'ordre de production.

M. le Président : Vous est-il déjà arrivé de découvrir des établissements qui n'ont pas fait leurs déclarations de soupçons et de les sanctionner ?

M. Z : Il est difficile de découvrir qu'ils avaient des soupçons et qu'ils n'ont pas procédé à la déclaration, car il peut arriver que des informations sur une société proviennent d'enquêteurs étrangers. Ces informations ne portent pas obligatoirement sur la personne que le prestataire de services juridiques et financiers connaît ici, mais sur son associé ou d'autres sociétés en relations commerciales avec cette société. Nous avons du mal à prouver la négligence en matière de déclarations de soupçons.

Si le prestataire de services a fait une déclaration concernant le blanchiment d'argent, il est protégé contre la décision de justice. Ce fut le cas dans plusieurs affaires où les prestataires de services avaient fait une déclaration de soupçons.

Ce sont les délits que la police traitent normalement et qui ont un lien avec le blanchiment : le trafic de drogue et d'armes, le terrorisme et les fraudes sur le paiement des garanties de primes bancaires.

M. le Président : Pourquoi le secteur de l'assurance vie est-il aussi développé ici et comment faites-vous quand il y a des titres aux porteurs pour identifier ceux qui sont les réels ayants droit de ces sommes d'argent ?

M. Z : Vous allez rencontrer cet après-midi la commission financière et la commission de contrôle des assurances et des retraites qui contrôle les assurances et qui pourront vous donner des réponses. Le fait de connaître les clients est aussi valable pour les compagnies d'assurance. Elles doivent savoir qui sont les ayants droit des titres au porteur.

M. le Président : Cela signifie-t-il qu'il n'y a plus de titres au porteur ?

M. Z : La personne la plus appropriée à interroger sur ce point est la commission financière. Quand nous recevons des déclarations de soupçons de compagnies d'assurance vie, elles nous indiquent qui sont les ayants droit.

M. le Président : Nous avons, en France, une affaire de corruption politique très importante. Les fonds sont parvenus à l'île de Man par des titres au porteur d'assurance vie.

M. Y : Chez le prestataire de services, il y a un document signé par la personne qui s'est présentée et à qui on a remis le titre.

M. le Rapporteur : Mais ce n'est pas l'ayant droit.

M. Z : Dans toute juridiction, il y a ce problème d'identité de la personne. La personne peut posséder un passeport français tout à fait valide, mais le problème est que les informations dont elle s'est servie pour l'obtenir sont fausses.

M. le Rapporteur : Il n'est plus difficile d'obtenir un faux passeport.

M. Y : (Présentation d'un document.) Ceci est un vrai passeport britannique. Les informations ont été prises sur la pierre tombale d'une personne née le même jour que le criminel. Il a ensuite obtenu le duplicata d'un certificat de naissance. Là nous avons le cas d'un malfrat qui a été condamné à dix-neuf ans de prison pour trafic de drogue. Quand il a été arrêté, il avait deux passeports authentiques sur lui dont l'un était un passeport suédois. Plus tard on a trouvé dans ses valises deux passeports canadiens, portant sa photo, mais avec des noms différents. Néanmoins tous les documents étaient valables.

M. Z : Tout le monde doit travailler ensemble. Du côté de la loi, il y a l'unité d'enquête sur les crimes financiers, la douane, la police, la commission de supervision financière, l'unité sur les assurances et les retraites et le Procureur général. De l'autre, il y a toutes les institutions financières, les prestataires de services juridiques, les avocats, les sociétés d'import ou d'export, en fait toutes les sociétés où il y a des transactions d'argent.

M. le Président : Le Procureur général vous refuse-t-il parfois de lancer une enquête au motif que les informations transmises relèvent de la fraude fiscale ?

M. X : Le procureur ne refuse pas, mais peut demander plus d'informations, avant de lancer une enquête. Il lui faut des preuves du délit.

M. le Président : Vous dites que pour lancer une enquête, il faut des preuves.

M. X : Nous pouvons obtenir des renseignements sur la base des soupçons pour commencer un dossier. Ce n'est pas quand l'affaire est prouvée que nous recherchons l'information. La collecte se fait pendant la construction du dossier. Nous n'exigeons pas une preuve en bonne et due forme avant de commencer une enquête. Nous pouvons obtenir des informations pour contribuer à instruire un dossier s'il y a des bases raisonnables pour suspecter des agissements délictueux.

M. le Président : Pour ouvrir et mener une enquête, devez-vous avoir des éléments avérés ou des soupçons suffisent-ils ?

M. Z : Nous devons avoir des raisons fondées de suspecter. Si nous avons une relation sécurisée avec une unité de renseignement étrangère, nous pouvons échanger des informations sur une base confidentielle, aussi longtemps qu'elle n'inclue pas dans sa demande officielle les informations données à titre confidentiel. Ces renseignements nous permettent de juger du bien-fondé de la requête et de saisir le Procureur général pour obtenir les preuves.

M. X : Je suis rentré, il y a deux jours, de Panama City où se tenait une rencontre des unités de renseignement financier du groupe Egmont à laquelle cinquante-trois pays participaient. L'objectif était de promouvoir l'échange de renseignements concernant les affaires criminelles. Nous avons travaillé sur la logistique de l'échange d'informations.

M. le Président : Vous avez dit précédemment que vous aviez reçu cent vingt visites de représentants étrangers. Quelles sont les proportions par pays ? Sont-ce principalement des Anglais ou d'autres pays ?

M. X : Une grande majorité de nos visiteurs viennent du Royaume-Uni, mais aussi des Etats-Unis, d'Allemagne, d'Italie, du Danemark, d'Israël, de l'Inde.

M. le Président : Sur quel type d'affaire ces visites portent-elles ? Quelle est la typologie de ces affaires ?

M. X : Le trafic de drogue, tous les crimes qui impliquent une fraude financière, les accises. Pour les fraudes sérieuses et complexes, nous avons une législation spécifique au titre de laquelle les enquêteurs peuvent s'adresser au Procureur général ici. Cette législation date de 1990.

M. le Président : Les enquêtes portent-elles sur les faits sous-jacents, la drogue ou la fraude, ou sur des flux financiers qui passent par des sociétés enregistrées ici ?

M. X : Il y a très peu de placements d'argent blanchi à l'île de Man. Très souvent, l'argent a déjà été intégré dans le système financier dans un autre pays et transféré ici. L'argent est déjà dans le circuit. Il peut avoir été placé en France.

M. le Président : Pourquoi l'argent est-il transféré ici ?

M. X : C'est un processus d'empilement.

M. Z : Le trafiquant de drogue est un homme d'affaires. Il fait du trafic de drogue pour l'argent et non pas pour sa consommation. Il veut investir le bénéfice de son commerce, c'est pourquoi il peut venir à l'île de Man d'où il transférera son argent par exemple vers la bourse de Londres.

M. X : Il peut placer son argent dans une police d'assurance vie. Six mois après, il peut vendre la police et reçoit un chèque d'argent propre.

M. Z : Dans d'autres pays, la rentabilité est moins bonne, elle est entre 2 ou 3 %. Ici, l'argent est confié à des spécialistes financiers qui sortent des rendements de 8 %. C'est une logique financière.

M. le Président : Et fiscale.

M. le Rapporteur : Cela peut être pour cacher son argent.

M. Z : Non, car vous pouvez le cacher plus facilement ailleurs.

M. Gilbert LE BRIS : Si une enquête ou une procédure judiciaire est ouverte contre quelqu'un qui a des fonds ici, la législation de l'île de Man permet-elle de bloquer ces fonds dans l'attente du résultat de l'enquête ?

M. X : Il y a deux procédures possibles, soit par la police, soit une procédure civile, initiée par la personne qui s'estime lésée. La deuxième procédure est souvent utilisée par des gouvernements étrangers, qui contractent un avocat ici et engagent une procédure civile pour bloquer les fonds. Le meilleur moyen est de passer par les forces de police qui sont coopératives et qui peuvent le faire immédiatement.

M. le Président : Combien d'enquêteurs y a-t-il dans la police et les douanes ?

M. Z : Neuf personnes travaillent aux douanes sur le renseignement et les enquêtes financières. De plus, six officiers visitent les sociétés et s'occupent du blanchiment. Ce sont les agents de la douane qui s'occupent des vérifications dans les sociétés sur les accises et la TVA.

M. X : Les agents de la douane sont chargés de la vérification des montants de TVA payés et peuvent en même temps rechercher le blanchiment d'argent. Mais c'est la commission de supervision financière qui organise un programme de visites sur place de tous les organismes assujettis à son contrôle.

M. le Président : Combien d'officiers avez-vous dans la police ?

M. X : Huit pour le moment et treize à la rentrée. Nous sommes en période de transition...

M. le Président :  Avez-vous une bonne coopération avec Jersey ?

M. X : Nous avons des réunions inter-îles auxquelles participent la police, les douanes, le Procureur général, les autorités de régulation financières, dont une s'est tenue vendredi dernier.

M. Z : La police et la douane s'engagent à mener des enquêtes sur toutes les déclarations de soupçons, à fournir au prestataire de services financiers ou à l'établissement d'où provient la déclaration un retour d'informations quand cela est possible. Toutefois, si le gouvernement français demande que la société ne soit pas informée des résultats de l'enquête, nous ne le ferons pas. De plus, nous nous engageons à utiliser les informations conformément à la législation en vigueur. L'échange des informations pourrait être plus limité lorsqu'il y aura une nouvelle législation prenant en compte les droits de l'homme.

La douane et la police attendent des établissements qu'ils soient diligents dans la façon dont ils mènent leurs activités, qu'ils soient conscients des possibilités de délits de blanchiment d'argent. Ils doivent déclarer immédiatement tout soupçon concernant le blanchiment d'argent.

M. X : Chaque semaine, nous faisons cette même présentation à des établissements de l'île de Man, que ce soit des banques, des prestataires de services, des compagnies d'assurance vie. Nous vous donnerons par ailleurs copie du dossier qui est fourni avec la présentation.

M. le Président : Comme acteurs de la lutte contre le blanchiment, quels sont les instruments qui vous manquent aujourd'hui pour être le plus efficace possible ?

M. X : Ce sont principalement les moyens humains. Notre département traite ou participe à la lutte contre la fraude, le blanchiment, le trafic de drogue, etc. Dans beaucoup de pays, des services différents sont en charge de ces affaires.

M. Z : C'est la même demande de la part de toutes les autorités dans les autres pays.

M. Y : Nous sommes en période de croissance. Les services de la douane se sont déjà étoffés et les services de police compteront cinq enquêteurs supplémentaires d'ici septembre. Nous verrons par la suite comment cela fonctionne.

M. X : Nous voulons devenir proactifs plutôt que réactifs.

M. Z : Les moyens commencent à être disponibles. Nous venons d'acquérir un logiciel très sophistiqué. C'est un projet de pointe qui nous permettra de lire le contenu d'un ordinateur très rapidement. C'est une façon d'obtenir des preuves informatiques.

M. le Président : Vous avez donc les pouvoirs aujourd'hui de contrôler les institutions financières de l'île de Man.

M. Z : Dès lors que ce dernier projet de loi relatif aux prestataires de services financiers sera voté cet été, nous aurons tous les instruments nécessaires.

M. Y : Le projet de loi, qui va être adopté cet été, couvre les prestataires de services financiers lesquels représentent 85 % des fournisseurs de services en matière de trust.

M. le Président : Qui sont les 15 % restants ?

M. Y : Ce sont les sociétés qui s'occupent uniquement de la prestation de services pour les trusts. Cela devrait être couvert par un autre projet de loi qui serait discuté l'année prochaine. C'est une question à adresser plus particulièrement à la Commission de supervision financière.

M. le Président : En disant cela, cela signifie que jusqu'à présent, dans vos enquêtes, le point faible était bien les trusts.

M. Z : Pas nécessairement. Il n'est pas nécessaire d'avoir une législation en vigueur pour faire le travail. La plupart des établissements financiers de l'île de Man travaillent avec le gouvernement et la police pour lutter contre le blanchiment d'argent. Les établissements veulent mener des affaires saines. Le fait de ne pas avoir une législation spécifique ne signifie pas que ces sociétés ne collaborent pas avec nous.

M. le Président : Je vais formuler ma question autrement. Partout où nous allons, tout le monde accepte l'idée qu'il y a des banques plus ou moins sérieuses, des avocats ou des prestataires plus au moins sérieux. Connaissez-vous les quelques prestataires ou avocats qui posent des difficultés ? Y en a-t-il à l'île de Man ?

M. Y : Bien sûr.

M. Z : Nous doutons qu'il y ait ici des banques et autres pas aussi diligents qu'ils le devraient. Nous les surveillons tout particulièrement par le biais des équipes de collecte du renseignement. L'intérêt de la législation sur les prestataires de services sera de pouvoir exclure ces établissements moins sérieux. Cela permettra à la Commission de supervision financière de les sanctionner. Il y aura collaboration entre les équipes de renseignement et l'autorité de régulation qui surveille les mécanismes de déontologie.

M. le Président : Quand vous dites que cela permettra de les sanctionner, cela signifie que jusqu'à maintenant vous n'aviez pas le moyen de le faire.

M. Y : La nouvelle législation a prévu un système de permis. Si une société ne coopère pas pleinement dans un domaine, nous pouvons lui retirer son permis. Jusqu'à maintenant, on pouvait sanctionner pénalement le blanchiment d'argent, mais nous aurons maintenant des sanctions disciplinaires dont l'ultime est le retrait du permis.

M. Z : Par ailleurs, nous aurons plus de moyens pour mener des enquêtes ailleurs.

M. X : Quelle était votre image de l'île avant de venir ici ?

M. le Président : C'est une image mitigée avec le sentiment que la difficulté principale pour l'île de Man reste cette question de l'identification des ayants droit économiques. Nous étions informés des efforts faits, dans le cadre de la législation, pour pallier ces difficultés.

M. Z : C'est l'île de Man qui a inventé le concept de l'identification du client en 1986. (« Know your customer »  - « Connaissez votre client ». Nous exportons cette initiative dans d'autres territoires.

M. Y : Après avoir mis en place cette pratique, nous avons découvert qu'il n'était pas suffisant de s'en remettre à l'apporteur d'affaires ou à l'intermédiaire, pour identifier les ayants droit économiques, même s'il était implanté dans un pays soi-disant bien régulé appartenant par exemple au GAFI. Désormais nous n'accepterons plus cette façon de faire.

M. le Président : Depuis quand ?

M. Y : Suite à la publication du rapport Edwards. De ce fait, l'organisme de régulation n'admet plus depuis fin 1998 ce procédé. Ils exigent que les détenteurs d'un permis connaissent directement l'ayant droit économique et ne s'en remettent pas à un intermédiaire, fût-il implanté dans un pays du GAFI.

M. le Président : Qu'en est-il des cessions de titres au porteur ?

M. Y : Cette question est à poser à la Commission de supervision financière.

M. Z : Des sociétés implantées ici indiquent à la police ou à la douane qu'elles considèrent l'île de Man en avance par rapport au projet de directive européenne contre le blanchiment d'argent. Les sociétés ne se plaignent pas des coûts administratifs supplémentaires générés pour se mettre en conformité avec les normes en vigueur à l'île de Man, car elles évoluent ainsi dans un environnement bien régulé.

M. le Président : Hormis cette question des ayants droit économiques, nous avons néanmoins des remarques d'un certain nombre de juges déplorant parfois des difficultés de coopération judiciaire.

M. Y : Certaines autorités étrangères ne connaissent pas bien la législation et comment formuler une demande recevable de coopération judiciaire. Elles adressent des commissions rogatoires au ministère de l'Intérieur à Londres alors qu'elles devraient les adresser directement à l'île de Man. Le Procureur général a des statistiques sur toutes les commissions rogatoires qui sont parvenues.

M. X : Le problème est que la plupart des commissions rogatoires envoyées par la France nous parviennent par l'intermédiaire d'Interpol. Il est beaucoup plus facile pour nous de traiter directement avec les enquêteurs français, qu'ils soient juges ou policiers, plutôt que de s'adresser à une tierce partie. De plus, si nous devons échanger des informations confidentielles, nous préférons avoir affaire directement aux enquêteurs.

M. le Président : Y a-t-il des conditions qui bloquent la coopération policière ou judiciaire, tels que les seuils de préjudice, la question fiscale, les délais entre le crime imputé ou le soupçon et le moment où la commission arrive ?

M. X : Non, la seule condition est que le délit perpétré à l'étranger soit pénalement qualifiable ici.

Il nous faut l'historique d'une enquête. Il ne suffit pas de recevoir une lettre mentionnant qu'une enquête est menée sur M. Untel et nous demandant s'il est l'ayant droit de telle société ou trust. Il faut aussi que nous connaissions l'historique des délits.

M. le Président : Si quelqu'un est incriminé en France pour un délit qui existe ici, mais qu'un juge français vous adresse une commission rogatoire pour vous demander si M. Untel a un compte bancaire à l'île de Man, allez-vous faire une enquête ou avez-vous besoin du nom de la banque ou du numéro de compte ?

M. X : L'autorité requérante doit nous indiquer dans quelle banque orienter nos recherches. Nous ne faisons pas d'enquêtes du type expédition de « pêche aux informations ».

M. le Président : Pourquoi pas un fichier centralisé de tous les comptes bancaires comme en France ?

M. Z : Cela signifie que vous pouvez sortir un listing de tous les J. Smith possédant un compte sans savoir si c'est la bonne personne ou non. L'utilisation de ce type d'instruments bute sur le préjudice que l'on peut causer à des personnes innocentes. Je ne peux pas donner une liste de tous les J. Smith possédant un compte sur l'île de Man car cette liste contiendrait non seulement des criminels mais aussi des innocents. La cour des droits de l'homme refuserait l'utilisation de cette liste car elle contiendrait aussi bien des présumés coupables que des innocents.

M. le Rapporteur : Cela a été jugé en France par le biais de la convention européenne. La réponse juridique a été ferme. Beaucoup de pays européens ont ce fichier centralisé des comptes bancaires. La cour des droits de l'homme a jugé et ne l'a pas contesté. Sur un terrain juridique, cela ne pose pas de problème, c'est surtout sur le terrain politique.

M. Z : L'autorité requérante emprunte la procédure officielle et lance la commission rogatoire via l'intermédiaire officiel. Nous lui fournissons l'information directement. Ensuite elle oublie de signifier à l'intermédiaire officiel que la réponse a déjà été apportée directement. Quelques mois plus tard, nous recevons une lettre officielle nous indiquant que nous n'avons pas répondu selon la procédure normale. Cela fausse les statistiques. Avec mon collègue M. Y, nous avons vérifié hier que toutes les commissions rogatoires envoyées par la France avaient reçu une réponse en bonne et due forme.

M. Y : Nous avons reçu huit demandes de la France ces trois dernières années. Chacune d'entre elles a reçu réponse. Si vous étudiez les dates de réception de la demande et l'envoi de la réponse, nous sommes dans des délais très courts. Les demandes étant formulées dans des termes très généraux et sans information spécifique, nous y répondons de manière générale.

Sur chacune des commissions rogatoires, nous avons demandé aux autorités françaises plus d'informations sur l'enquête menée en France pour nous aider de notre côté à chercher la bonne information. Mais sur aucune de ces commissions, nous n'avons reçu de demandes supplémentaires après avoir envoyé notre réponse générale. Ce n'est pas normal. D'autres juridictions, qui auraient reçu une telle réponse, s'adresseraient de nouveau à nous pour avoir plus d'informations, mais la France, non. Nous pouvons en tirer deux conclusions : soit ils n'ont pas besoin d'informations supplémentaires, soit il n'y a aucun dossier d'instruction. Nous ne savons qu'en penser.

M. X : Cela a été la même chose pour dix-sept demandes d'informations reçues de la part d'Interpol, mais ce n'est généralement pas le cas s'il s'agit de trafic de drogue.

M. le Président : Si je comprends bien, vous n'êtes pas satisfaits de la façon dont les juges français émettent leurs commissions rogatoires. Elles ne sont pas suffisamment précises pour donner lieu à une réponse détaillée.

M. X : Oui, nous avons besoin d'informations plus précises pour donner une réponse détaillée.

M. Z : Même une réponse négative disant que les autorités françaises ont poussé leur enquête et qu'il n'y a pas lieu de continuer le dossier serait la moindre des choses. Cela pourrait même s'appeler de la politesse.

M. X : Nous rencontrons le même problème avec l'Angleterre, pas seulement la France. Si nous voulons avoir la coopération des établissements financiers, nous devons leur donner un retour d'information. Si vous examinez les statistiques sur les affaires de blanchiment, nous avons peu d'affaires avec la France. Nous n'avons reçu aucune déclaration de mouvements suspects émanant de la France ou à destination de la France cette année. Nous n'avons reçu que quatre déclarations concernant des Français vivant en France mais ayant un compte bancaire ici. Les Français ont plutôt tendance à mettre leurs fonds dans les centres offshore plus proches de la France, comme Monaco, Andorre, voire Jersey et Guernesey où beaucoup de personnes parlent français.

M. le Président : Votre clientèle est-elle formée essentiellement d'anglophones ?

M. X : Oui.

M. Gilbert LE BRIS : Dans l'affaire du docteur Godard, personne en France ne vous a demandé si le docteur Godard avait un compte à l'île de Man et avez-vous les moyens de vérifier s'il en avait un ?

M. Y : Nous ne savons pas s'il avait un compte ici. Nous pouvons voir si cette question a été posée ou pas, mais nous sommes certains d'avoir coopéré pleinement avec la police.

M. Z : L'officier en charge de cette affaire a travaillé auparavant à l'unité des crimes financiers. Nous lui poserons la question.

Audition de M. Ian KELLY,
Directeur de l'administration fiscale

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 mai 2000 à l'Ile de Man)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de nous recevoir. Pouvez-vous nous faire un bref exposé afin de nous éclairer sur vos fonctions et vos missions ?

M. Ian KELLY : Je suis à la tête d'une des divisions de la Trésorerie qui est chargée de la collecte des impôts directs, c'est-à-dire l'impôt sur les revenus des personnes et des sociétés. Les sociétés et les individus sont imposables. La situation actuelle va changer dans un futur proche.

M. le Président : Pourquoi va-t-elle changer ?

M. Ian KELLY : Elle va être modernisée. Au cours des trois années à venir, un nouveau programme de législation va introduire un nouveau régime d'imposition des sociétés.

M. le Président : Les sociétés offshore ?

M. Ian KELLY : Toutes les sociétés.

M. le Président : Actuellement, les sociétés offshore sont-elles exemptées d'impôts ?

M. Ian KELLY : Pas toutes. Les sociétés offshore auxquelles vous faites référence sont les sociétés exemptées lesquelles ne paient aucun impôt.

M. le Président : Combien y a-t-il de sociétés exemptées ?

M. Ian KELLY : Environ dix mille.

M. le Président : Ces sociétés vont donc être imposées ?

M. Ian KELLY : Non, pas nécessairement. Nous allons essayer d'atténuer certaines différences. Les sociétés seront désormais couvertes par la législation sur l'impôt sur les sociétés. Néanmoins certaines d'entre elles seront toujours à un niveau zéro d'imposition, selon ce qui ressortira des discussions avec l'OCDE. Cela fait suite au rapport de l'OCDE sur la concurrence fiscale dommageable.

Une autre partie de la modernisation consistera à rendre plus simple notre système de taxation appliqué aux individus. Cela nous permettra, dans le même temps, de mettre en place de nouvelles technologies informatiques. Nous venons d'ailleurs de dépenser 5 millions de livres pour mettre à jour le système informatique.

S'agissant des autres changements que nous allons mettre en _uvre, nous avons un projet de loi concernant la gestion des taxes. Ce projet nous donnera plus de pouvoirs pour obtenir des informations. Il permettra de centraliser toutes nos structures administratives, y compris tout ce qui concerne les sanctions et les déclarations d'impôts qui doivent nous être retournées.

Nous venons récemment de revoir l'organisation de nos services afin d'évaluer si nous avons suffisamment de personnel pour traiter toutes les nouvelles tâches qui sont prévues. Cette nouvelle organisation comprend une modification de la direction qui inclura un groupe chargé de tout ce qui relève du contrôle de conformité.

M. le Président : Dès lors que les sociétés sont des sociétés exemptées, quelles informations avez-vous sur celles-ci ?

M. Ian KELLY : Pour être exemptées, les sociétés doivent faire une demande d'exonération dans laquelle elles doivent déclarer qui sont les directeurs et la nature de l'activité de la société. Nous pouvons savoir qui sont les actionnaires. Si le service fiscal considère que les activités ne sont pas approuvées par le gouvernement, nous pouvons aussi leur demander leurs comptes.

M. le Président : Y a-t-il des échanges d'informations entre l'administration fiscale, la police et la douane ?

M. Ian KELLY : Le responsable du groupe de vérification de conformité du service fiscal travaille en étroite collaboration avec la douane, la commission de supervision des services financiers, l'unité d'enquêtes sur les crimes financiers ainsi qu'avec les autorités britanniques. Cela peut être sur une base formelle ou informelle.

M. le Président : Il y a donc échanges d'informations ?

M. Ian KELLY : Oui. En dehors de l'île de Man, l'échange d'informations se fait uniquement avec le Royaume-Uni car nous avons un accord de double imposition. Jusqu'à présent, aucun autre pays n'a souhaité conclure un accord de double imposition avec l'île de Man. Mais si un accord se concrétisait avec un autre pays, il y aurait le même échange d'informations avec ce pays.

Pour en venir à mes fonctions, je gère une équipe de cent vingt-quatre personnes, dont les deux tiers sont chargés de la vérification et la collecte des impôts, le dernier tiers étant des services de soutien.

Une des fonctions des services de soutien est la formation. Nous avons notre propre centre de formation pour les services fiscaux. Toutefois nous organisons aussi des stages au Royaume-Uni, gérés par la fonction publique ou les services des impôts britanniques.

M. Gilbert LE BRIS : Quel est le rendement de l'impôt et la perte de recettes fiscales engendrée par ces sociétés exemptées ?

M. Ian KELLY : Nombre des dix mille sociétés exemptées d'impôts ne seraient pas, de toute façon, redevables d'un impôt sur le revenu à l'île de Man car leurs activités s'exercent dans un autre pays. Par conséquent, l'île de Man ne pourrait pas les imposer sur les revenus.

S'agissant de ma propre opinion sur l'honorabilité de cette activité, je ne vois rien à y redire. Si les autorités d'un pays ont une objection quant aux sociétés exemptées, elles peuvent me demander des informations pour vérifier la conformité de ces activités à leur régime fiscal. Le moyen le plus simple est de passer un accord de double imposition, comme nous l'avons fait avec le Royaume-Uni. Nous pourrons alors fournir les informations que les autorités étrangères souhaitent avoir. Ces sociétés nous fournissent un certain nombre de services au niveau local. Cela ne présente aucune différence avec ce qui s'est fait pendant des années dans certains pays où il y avait des sociétés anonymes.

M. le Président : S'il y avait des accords de double imposition avec beaucoup d'autres pays, ces sociétés exonérées ne perdraient-elles pas un peu de leur attrait ?

M. Ian KELLY : Certaines, oui.

M. le Président : Avez-vous des discussions pour envisager l'évolution de la fiscalité et des scénarios pour les activités de l'île de Man que vous privilégiez plus que d'autres ?

M. Ian KELLY : Actuellement, nous avons des discussions sur l'évolution de l'économie de l'île de Man dont la fiscalité. Ces discussions tiennent compte du désir de modifier les normes internationales concernant l'ouverture et l'échange d'informations.

Quant au traitement fiscal favorable accordé à certaines sociétés, nous allons nous concentrer sur les nouvelles sociétés. Pendant une période de quatre ou cinq ans, les nouvelles sociétés bénéficieront d'une fiscalité privilégiée, mais après cette période, elles seront soumises au même régime.

Ce privilège serait valable pour toutes les sociétés, que les ayants droit économiques soient résidents de l'île de Man ou de la France. Il n'y aura pas de restriction en la matière.

M. le Président : A terme, pensez-vous supprimer le régime exceptionnel d'exonération des sociétés exemptées ?

M. Ian KELLY : Cela dépend. Si le système international change, nous pourrions envisager un retrait du système des sociétés exemptées, mais il ne faut pas oublier que beaucoup de ces sociétés exemptées ne seraient pas soumises à l'impôt sur le revenu ici puisque leurs activités se font ailleurs. De plus, il n'y a pas d'impôt sur le capital.

M. le Président : Même pour les résidents ?

M. Ian KELLY : Oui.

M. le Président : Quelle est la fourchette d'imposition sur les revenus pour les résidents ?

M. Ian KELLY : Elle se situe entre 14 et 20 %.

M. le Président : Même pour les résidents, c'est un taux relativement faible. Merci beaucoup.

Audition de M. John CORLETT, procureur général,

et de Mme Lyndsey BERMINGHAM, conseil juridique,

Bureau du Procureur Général

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 mai 2000 à l'Ile de Man)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de nous recevoir.

M. le Rapporteur : Nous avons été impressionnés par les quelque mille déclarations de soupçons adressées par l'unité de renseignement financier. Notre question est de savoir le traitement que vous faites de ces nombreuses déclarations car il nous a été rapporté qu'aucune poursuite n'avait été entreprise à l'île de Man.

M. John CORLETT : Les déclarations de soupçons sont le résultat de la loi assez récente sur le trafic de stupéfiants et la répression du terrorisme ainsi que de la loi relative aux autres comportements criminels. Le but de cette législation est de permettre aux institutions financières ou autres de faire ces déclarations de soupçons à la police. Dans la plupart des cas, ces déclarations concernent des personnes ayant commis des délits en dehors de l'île de Man. Il n'est donc pas étonnant que les déclarations soient exploitées à l'extérieur de l'île de Man.

En ma qualité de procureur général, j'ai le pouvoir d'autoriser la divulgation du contenu d'une déclaration de soupçons à des autorités étrangères enquêtant à l'extérieur de l'île de Man. Les demandes étant générées à l'extérieur de l'île de Man, le point important est que nous soyons en mesure de communiquer ces déclarations de soupçons aux autorités policières étrangères. A la fin de l'année 1999, j'ai donné un accord de principe à notre police afin qu'elle puisse transmettre ces déclarations de soupçons au NCIS.

Il faut l'autorisation du procureur général uniquement en ce qui concerne la transmission des déclarations de soupçons. Elle n'est pas nécessaire pour tout ce qui concerne l'échange d'informations informelles avec la police. Dès lors que les déclarations de soupçons sont transmises au NCIS, il lui revient de les traiter comme bon lui semble. Jusque là, malheureusement, il n'y a pas eu beaucoup de retours.

Des procédures pourraient être entamées à l'île de Man, suite à certaines déclarations de soupçons, si elles mettaient en évidence des délits qui ont lieu sur ce territoire. Vu la complexité de certaines de ces déclarations, cela demande du temps de mener une enquête. Dans les cas appropriés, la police n'hésitera pas à mener une enquête et portera à mon attention les preuves pour que j'entame les poursuites.

M. le Rapporteur : Avez-vous déjà demandé une injonction de la cour en vue de saisir des fonds, sur la base des lois que vous aviez auparavant ?

M. John CORLETT : Il n'y a eu aucune saisie judiciaire de fonds, en application de la loi de 1998 sur le blanchiment. Néanmoins, il me semble qu'il y a eu des ordres de confiscation de fonds, sur la base de la loi sur le trafic de drogue.

M. le Rapporteur : Combien de fois est-ce arrivé ?

M. John CORLETT : Je n'ai pas les statistiques ici. Je pourrai néanmoins vous transmettre l'information.

Chaque semaine, grâce à la législation qui date de 1991, nous avons coutume de nous adresser au tribunal pour les demandes de preuve provenant d'un pays tiers, par exemple la France.

M. le Rapporteur : Quel est le niveau de preuve demandé pour mettre en place des mesures, par exemple la saisie des fonds dans le cas de trafic de drogue ?

M. John CORLETT : Pour coopérer et prendre des mesures, le procureur général doit être convaincu de la nature sérieuse ou complexe d'une fraude, selon notre loi criminelle de 1990. Il n'y a aucun seuil financier pour accorder notre assistance, même s'il y a allégation d'une fraude fiscale. En tant que procureur général, je pourrais être réticent pour coopérer si le délit remontait à très longtemps, mais jusque là, cela n'a pas posé de problème.

Si une procédure est déjà en cours dans un autre pays, j'ai le pouvoir d'aller demander au tribunal l'autorisation de prendre des dépositions de résidents de l'île. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire que je sois convaincu de la nature complexe ou sérieuse de la fraude. Le fait qu'il existe une procédure dans une juridiction étrangère suffit.

M. le Rapporteur : S'agissant de la coopération judiciaire, vous avez indiqué, lors du déjeuner, que vous estimiez que la mauvaise réputation que l'île de Man avait en France ou en Italie n'était pas fondée.

M. John CORLETT : Nous savons que la France et l'Italie ont une mauvaise opinion de l'île de Man que nous pensons ne pas mériter. Ce qui nous préoccupe, c'est de donner l'impression aux pays d'outre-mer que l'île de Man, Jersey et Guernesey ne font qu'un alors que nous sommes tous différents. Bien que nous travaillions ensemble, nous avons nos façons de procéder à nous, nos propres règles et lois en matière par exemple de coopération judiciaire. Dans la mesure du possible, nous faisons tout pour coopérer. Je peux vous dire que nous avons eu deux cas où les autorités françaises ont fait des demandes de coopération judiciaire. Le premier cas concernait l'affaire du docteur Godard dans laquelle la police de l'île de Man a pleinement coopéré avec la police française.

La deuxième demande concernait un cas de fraude pour lequel mon prédécesseur a eu des difficultés à obtenir des autorités françaises des précisions sur les documents nécessaires.

S'agissant de l'Italie, il y a environ deux mois, nous avons reçu la visite d'un juge d'instruction de Venise qui s'est déclaré satisfait de la coopération qu'il a eue avec les autorités de l'île de Man. Dans ce contexte, plus nous aurons de contacts personnels et de rencontres entre l'île de Man et les autres pays, meilleure sera la coopération. Ce sera tout au bénéfice de la réputation de l'île. Je suis certain qu'il existe de nombreux malentendus quant aux procédures entre le système continental et le système anglo-saxon. Si nous recevons des demandes de la France, nous ferons tout notre possible pour répondre à ces demandes, tout en restant dans le cadre de nos lois.

M. le Rapporteur : Il y a un point sur lequel j'aimerais avoir votre confirmation. Quand vous avez été sollicité par les autorités judiciaires françaises, votre problème a été d'obtenir plus de précisions sur les preuves. Mais ce point est précisément celui qui engendre le mécontentement des juges français. Le Liechtenstein, Jersey, Guernesey demandent en permanence aux juges des compléments d'information, des précisions. Si les juges requièrent la coopération judiciaire, c'est parce qu'ils cherchent des preuves dans le cadre de leur affaire. C'est pourquoi l'île de Man a peut-être mauvaise réputation.

M. John CORLETT : Je comprends cette analyse générale et je ne peux pas parler au nom du Liechtenstein, de Jersey ou de Guernesey. Je n'ai connaissance que des deux cas de demandes de coopération provenant des autorités françaises dont je vous ai parlé et sur lesquels nous avons fait tout notre possible pour coopérer. Je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le fait que nous voulons être certains que cette demande ne constitue pas une expédition de « pêche aux informations ».

M. le Rapporteur : Qu'exigez-vous avant de rechercher les informations qui vous sont demandées ? Nos juges ont le droit de savoir, en quarante-huit heures, si une personne suspecte ou poursuivie possède tel compte bancaire en France. Leur demande, qui me semble légitime, est la même à l'égard des juridictions étrangères. Dans tous les centres offshore, il devrait y avoir un organe centralisateur des informations par le biais duquel nos juges pourraient obtenir toute l'information souhaitée.

M. John CORLETT : Lorsqu'il s'agit d'une procédure ouverte dans un pays, le magistrat instructeur ne devrait rencontrer aucune difficulté pour obtenir les informations voulues. Notre loi de 1991 dispose que si je reçois d'un tribunal une demande d'assistance pour obtenir des preuves, dans le cadre d'une procédure déjà entamée ailleurs ou d'une enquête criminelle, j'ai le pouvoir d'accéder à cette demande. Dès lors que les preuves que le tribunal a effectivement ouvert une enquête me sont fournies, je peux exercer mes pouvoirs.

Les difficultés proviennent parfois de la manière dont les corps de police d'un autre pays formulent leurs demandes. Ils nous disent enquêter sur telle personne ou qu'ils ont des raisons de penser que telle personne peut être impliquée, mais cela reste une spéculation. Nous devons rester attentifs à conserver un juste équilibre : préserver la confidentialité tout en coopérant dans le cadre d'enquêtes judiciaires.

M. le Rapporteur : C'est le point de désaccord. Nous estimons que l'ordre public est plus important que les priorités privées et la confidentialité. C'est pourquoi les juges français n'acceptent pas que leurs demandes essuient un refus, sur la base de ces préoccupations.

M. John CORLETT : Je peux vous assurer que la confidentialité ne fait jamais obstacle à une enquête criminelle. C'est un élément très connu de nos lois. Par ailleurs, il est également très bien établi dans nos lois, comme dans celles du Royaume-Uni, qu'un individu a le droit de garder ses affaires privées et confidentielles, à moins de preuves d'activités illicites. Il sera toujours répondu favorablement à la demande officielle d'un magistrat français qui a déjà lancé une procédure officielle. En revanche, on ne peut répondre favorablement si, par exemple, on téléphone à un officier de police de l'île de Man pour lui demander de chercher des informations sur un compte bancaire d'un individu, car cela rentre alors dans le domaine de la spéculation.

M. Gilbert LE BRIS : La législation est basée sur le fait que les établissements financiers connaissent leurs clients. Toutefois, les avocats, par exemple, s'ils veulent connaître leurs clients, doivent leur poser des questions. Mais s'ils posent trop de questions à leurs clients potentiels, ils peuvent aussi perdre des affaires. Pensez-vous que les avocats soient le maillon faible dans un dispositif légal dans la lutte contre le blanchiment d'argent ?

M. John CORLETT : Depuis dix ans, les avocats forment une profession qui autocontrôle. La Commission de supervision des services financiers a permis aux avocats de se contrôler eux-mêmes, sous réserve qu'ils aient connaissance de l'identité de leurs clients. Cette condition leur a été imposée depuis au moins quinze ans. Les avocats, comptables ou banquiers ont l'obligation de connaître leurs clients. Sinon ils seront poursuivis en justice, car c'est alors considéré comme un délit.

La nouvelle législation, qui sera votée par la chambre haute du parlement, renforcera le régime de l'obligation d'identification du client. En effet, elle prévoit la création d'un certain nombre de contrôles qui obligeront les prestataires de services financiers à connaître leurs clients.

M. le Rapporteur : Nous avons évoqué, lors du déjeuner, différents cas de corruption politique, notamment en France. Les fonds détournés ont été placés sous forme de titres au porteur à l'île de Man. Est-ce encore autorisé ou allez-vous interdire ce système ?

M. John CORLETT : Pour ma part, je suis très hostile à ce système de titres au porteur. Les titres aux porteurs sont encore autorisés par nos lois aujourd'hui, mais à ma connaissance, ils sont très rarement utilisés par les sociétés ayant une bonne réputation. Ma recommandation, auprès du gouvernement, serait très certainement d'amender la loi et d'en supprimer la section qui autorise les titres au porteur. Cela prendra peut-être un peu de temps pour permettre aux sociétés de convertir les titre au porteur en actions ordinaires enregistrées.

M. le Président : (s'adressant à Mme Bermingham) Quel est votre champ d'intervention et quelles sont les modifications législatives ou réglementaires qui vous sembleraient importantes pour arriver à lutter contre le blanchiment et la délinquance financière ?

Mme Lyndsey BERMINGHAM : Je suis conseil juridique pour la lutte contre la délinquance financière. Je traite les demandes judiciaires de coopération que reçoit le procureur. Je travaille en étroite collaboration avec la Commission de supervision financière, la police et la douane. Comme je ne remplis mes fonctions que depuis mars, je ne peux me prononcer quant aux modifications législatives nécessaires. Toutefois je considère que le traitement des demandes de coopération a bien fonctionné jusqu'à maintenant.

M. le Président : Quels sont les cas de fraude les plus fréquents que vous avez à traiter ?

Mme Lyndsey BERMINGHAM : Jusqu'à maintenant, mon travail consiste principalement dans le traitement des demandes étrangères, mais je peux vous dire le type de fraude qu'elles concernent.

Je m'efforce d'enquêter sur les réseaux des individus et des sociétés qui peuvent être impliqués dans le blanchiment à l'île de Man, à la demande des autorités étrangères. Je traite également des cas de falsification de contrats et de documents commerciaux en vue d'en tirer des bénéfices indus.

M. le Rapporteur : J'aurai une dernière question technique. Du fait que l'île de Man n'a pas signé le traité de Schengen, de même que le Royaume-Uni, un juge français qui souhaite vous faire parvenir une demande de coopération doit-il l'envoyer au ministère des Affaires étrangères à Londres ou à vous directement ?

M. John CORLETT : Même si nous n'avons pas ratifié le traité de Schengen, mon bureau est inscrit sur la liste des pays qui fournissent la coopération judiciaire. En fait, je reçois de temps à autre des invitations pour participer à des réunions internationales dont l'objet est d'améliorer la coopération. Sur cette liste, sont indiqués les numéros de téléphone et de fax de mon bureau, nous sommes donc accessibles.

La demande doit nous être faite directement et non pas au ministère de l'Intérieur britannique. Si la demande est adressée au ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni, personne ne sait ce qu'il faut en faire et cela prend du retard. A l'avenir, toutes les demandes devraient parvenir directement au bureau du procureur. Nous faisons également partie du réseau judiciaire européen.

M. le Rapporteur : Par conséquent, il n'y a aucun obstacle au fait de vous adresser directement la demande ?

M. John CORLETT : Non, aucun.

M. le Président : Nous vous remercions de votre aide.

Audition de MM. John ASPDEN,
Directeur général de la Commission de
supervision des services financiers,

et Bill HASTINGS,
Directeur général de la Commission de contrôle des assurances et des retraites

(extrait du procès-verbal de la séance du 23 mai 2000 à l'Ile de Man)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de nous recevoir. Vous avez mis en _uvre une nouvelle loi destinée à faciliter l'identification des ayants droit économiques d'un certain nombre de sociétés.

M. John ASPDEN : La nouvelle législation porte sur l'introduction d'un nouveau régime d'agrément et de contrôle des prestataires de services financiers, et non pas uniquement sur l'identification des ayants droit économiques.

M. le Président : Cette loi doit permettre de contrôler ceux qui créent des sociétés, en particulier les trusts, et leur faire obligation de connaître les personnes au profit desquelles ils créent ces sociétés.

M. John ASPDEN : La loi ne traite pas des trusts, mais uniquement des sociétés et de leurs prestataires de services. Tous les établissements agréés ont l'obligation d'avoir connaissance de l'identité de leurs clients. Cela comprend également l'identité des ayants droit économiques qui se cacheraient derrière des trusts et des sociétés.

M. le Président : Quand on analyse le phénomène du blanchiment à l'île de Man, on constate que cela ne passe pas par des dépôts bancaires, mais plutôt par des sociétés qui permettent à certaines personnes de se dissimuler. Partagez-vous cette analyse ?

M. John ASPDEN : Il est possible que des personnes essaient de se dissimuler sous le couvert d'une société. Ces personnes seront toutefois révélées par la déclaration des ayants droit économiques.

M. le Président : Depuis deux ans et demi, six mille sociétés ont été radiées des registres. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette radiation ?

M. John ASPDEN : Il y a un certain nombre de raisons. La première est que le registre des sociétés et la commission de supervision des services financiers contrôlent de plus en plus étroitement la conformité à la législation en vigueur des sociétés. Si un problème de bilan annuel revient de façon récurrente, la société est radiée.

Certaines sociétés anticipent et nettoient leur portefeuille afin d'être en conformité avec la nouvelle législation dont l'entrée en vigueur est imminente. La troisième raison est qu'il est maintenant plus facile pour certaines personnes d'enregistrer des sociétés dans un autre pays qu'à l'île de Man en raison de ces nouvelles mesures de contrôle. C'est peut-être ce qui explique la baisse du nombre des sociétés.

M. le Président : Au profit de quels territoires ?

M. John ASPDEN : Par exemple, certains pays dans les Caraïbes et dans le Pacifique.

M. le Président : La santé de la place financière, qui représente presque 40 % de la richesse de l'île, peut-elle être compromise par la disparition de ces sociétés ou, au contraire, estimez-vous que ces sociétés pouvaient surtout engendrer des difficultés et que leur disparition ne gênera pas le fonctionnement de l'économie ?

M. John ASPDEN : La réponse à votre première question est non parce que le chiffre de 40 % représente l'apport de tout le secteur financier. Les sociétés représentent un petit pourcentage de ce chiffre. Par conséquent, le fait que le nombre de sociétés baisse ne va pas énormément impacter ce chiffre de 40 %.

Le fait que le nombre de sociétés diminue ne posera pas de problèmes particuliers quant à la réputation de l'île de Man, car les marchés financiers savent que cette baisse est notamment due à l'introduction d'une régulation renforcée. C'est ressenti positivement.

M. le Président : Quel est votre point de vue par rapport aux cessions de titres au porteur ? Le procureur général nous a indiqué qu'il avait recommandé au gouvernement d'introduire un amendement permettant la suppression de ce mécanisme. Partagez-vous cette position ?

M. John ASPDEN : Il me semble que le retrait du système des titres au porteur serait une bonne chose. Comme l'a indiqué le procureur général lors du déjeuner, cela n'aurait pas un grand impact à l'île de Man car les pratiques de titres au porteur sont très peu utilisées.

M. le Président : La plupart des établissements bancaires implantés sur l'île de Man sont des succursales de banques, notamment anglo-saxonnes. Se pose le problème du contrôle interne de ces banques. Considérez-vous qu'elles assurent de façon efficace leur contrôle interne ou devez-vous renforcer les vôtres ?

M. John ASPDEN : En règle générale, les banques appliquent de bons contrôles, mais néanmoins encore acceptables. Notre souci principal est de vérifier les règles de contrôle interne, y compris par des programmes d'inspection sur place. L'autre type de contrôle peut s'exercer au niveau de la maison mère de manière consolidée, grâce à une coopération avec nos équivalents britanniques, c'est-à-dire l'autorité des services financiers à Londres.

M. le Président : Pendant longtemps, le fait que les clients soient identifiés par des banques étrangères, en particulier de la zone GAFI, était considéré comme suffisant. Par conséquent, on ne contrôlait pas ces clients outre mesure. Aujourd'hui, recommandez-vous à vos banques de ne pas se fier à ces recommandations et de vérifier par elles-mêmes ?

M. John ASPDEN : Toutes les banques doivent établir l'identité de leurs clients. Il y a un accord avec les pays du GAFI sur l'introduction du client, mais cela ne suffit plus sans l'appui de documents la confirmant. Tous les établissements financiers doivent connaître et vérifier par eux-mêmes l'identité du client.

M. le Président : Combien d'enquêteurs avez-vous et combien de contrôles sur place faites-vous par an ?

M. John ASPDEN : La commission de contrôle des établissements financiers comprend environ cinquante personnes. La division en charge des contrôles comporte une équipe de quinze personnes. Nous visitons toutes les banques sur place, chaque douze ou dix-huit mois, en fonction de l'évaluation du risque de la banque. Si la banque présente un grand risque, nous la visitons tous les six à neuf mois. Sinon tous les dix-huit mois. De plus, les responsables des banques viennent ici pour rendre compte de leur activité une fois tous les douze ou dix-huit mois.

M. le Président : Avez-vous également le contrôle des assurances, qui est un secteur très important ici à l'île de Man ? Comment s'explique d'ailleurs l'importance de ce secteur ?

M. Bill HASTINGS : Le secteur des assurances de l'île gère des fonds de l'ordre de 16 milliards de livres sterling, ce qui représente environ 20 % du PNB de l'île. L'assurance se divise en deux secteurs : assurance vie et assurances générales, sur lesquelles les primes annuelles sont de 400 millions de livres sterling.

M. le Président : Comment s'explique cette puissance ?

M. Bill HASTINGS : Le secteur de l'assurance s'est développé au début des années quatre-vingts, en particulier pour des raisons fiscales. Maintenant, ces raisons fiscales ne sont plus valables, mais de nombreuses sociétés d'assurance sont captives. Ce sont des filiales de grands groupes industriels exclusivement dédiées à l'assurance des activités de ce groupe industriel car les sociétés d'assurances classiques n'ont pas le savoir-faire pour assurer ce type de risques. Ces grands groupes ont trouvé ici une expertise pour faire ce métier.

L'autre grande spécialité du marché de l'assurance est l'assurance vie qui s'est développée à la demande des expatriés britanniques. Au départ, ce secteur s'est également développé pour des raisons fiscales car les rendements étaient supérieurs ici à ceux en vigueur au Royaume-Uni. Maintenant les raisons fiscales sont moindres, mais n'en demeure pas moins qu'une expertise s'est créée dans ce secteur.

M. le Président : Le secteur des assurances joue-t-il le jeu du contrôle prudentiel et des déclarations de soupçons ?

M. Bill HASTINGS : Oui. Le grand nombre de déclarations faites par le secteur de l'assurance ne vient pas d'un quelconque phénomène de blanchiment d'argent à l'île de Man, mais parce qu'il existe ce système de déclaration de soupçons.

M. le Président : Je vous remercie.

Ministère de l'Intérieur (Home Office)

Audition de Mme Lorna HARRIS,
Chef du service de la coopération judiciaire

MM. Godfrey STADLEN,
Chef du service de lutte contre la délinquance financière
et Peter VALLANCE, Expert

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Godfrey STADLEN : Bienvenue au Ministère de l'Intérieur. Je vais vous présenter mes collègues et vous décrire nos rôles et fonctions, en relation avec les questions qui vous intéressent tout particulièrement, c'est-à-dire le blanchiment d'argent et la coopération en ce domaine. Mme Lorna Harris est responsable du service de la coopération judiciaire. Ce service est plus particulièrement chargé de la saisie des biens des délinquants financiers, mais il est compétent pour d'autres questions, comme les extraditions ou la coopération internationale en matière de répression des crimes de guerre ainsi que de la coopération européenne.

Pour ma part, je suis chef du service de lutte contre la criminalité financière, dont la mission est d'élaborer de nouvelles lois en vue notamment de la saisie des biens. Peter Vallance, membre de cette équipe, est un expert des questions relevant du blanchiment d'argent, sur lesquelles nous travaillons depuis neuf ans. Mme Lorna Harris, avant de nous rejoindre, a eu également une grande expérience de ces questions car elle travaillait à l'office de lutte contre les fraudes graves (SFO). Avocate, elle a été détachée au secrétariat du Conseil à Bruxelles pour traiter de tout ce qui concerne la coopération judiciaire.

M. le Président : Merci de votre accueil. Mes premières questions vont s'adresser à Mme Harris, qui doit nous quitter assez rapidement en raison d'un autre engagement. Dans la préoccupation qui est la nôtre, à la fois le blanchiment mais aussi la délinquance financière, la coopération judiciaire internationale est indispensable, pour les raisons que vous connaissez aussi bien que nous, à savoir que les affaires de blanchiment sont dans la plupart des cas d'envergure internationale et pas uniquement nationale.

Or nous savons qu'un certain nombre de juges chargés de poursuivre ces affaires se plaignent du défaut de coopération.

Mme Lorna HARRIS : Surtout avec la Grande-Bretagne ?

M. le Président : Pour le moment, je parle de façon générale, mais j'y reviendrai plus précisément. Nous avons visité différents pays européens afin de mettre sur la table les difficultés rencontrées afin de pouvoir progresser ensemble. La première question que je voudrais vous poser, avant d'en venir plus spécifiquement à la Grande-Bretagne, est de savoir si vous rencontrez des difficultés de coopération judiciaire avec la France.

Mme Lorna HARRIS : Non, nous ne rencontrons pas de problème particulier avec la France. Néanmoins, comme avec tous les autres pays, nous rencontrons de temps à autre quelques difficultés, mais de moindre importance, et que nous parvenons toujours à régler en discutant avec nos collègues français. Nous avons également la possibilité d'en discuter avec M. Benoît Meslin, le magistrat de liaison, auquel nous demandons aide et assistance si besoin est.

M. le Président : Disposez-vous de statistiques actualisées sur l'entraide judiciaire internationale indiquant le nombre reçu et exécuté de commissions rogatoires internationales et, inversement, le nombre de commissions rogatoires internationales adressées par votre pays à d'autres pays de la zone européenne avec le nombre exécuté et le délai ?

Mme Lorna HARRIS : Oui, nous avons ces chiffres que je vous communiquerai tout à l'heure.

M. le Président : Ils nous seraient très utiles. Comme vous devez nous quitter sous peu, je vais aller plus directement aux problèmes qui nous préoccupent. De nombreux juges, non seulement français mais aussi d'autres pays - Belgique, Espagne - que nous avons auditionnés, nous ont dit rencontrer une difficulté particulière de coopération judiciaire avec le Royaume-Uni. C'est également ce qui nous a été rapporté, dans les parquets financiers en France, par le procureur général, M. Marin. Nous aimerions savoir si vous avez connaissance de ce problème et l'analyse que vous en faites.

Mme Lorna HARRIS : Nous avons entendu dire qu'il y avait des problèmes avec le Royaume-Uni. Néanmoins les seuls problèmes qui existent sont dus à une mauvaise compréhension de notre système qui est tout à fait différent du vôtre. C'est un problème de système. Si le problème rencontré est d'un autre ordre, votre magistrat de liaison est là pour nous le communiquer. Mais la France ne nous a jamais fait savoir qu'elle rencontrait des problèmes particuliers avec le Royaume-Uni. Si vous nous dites que c'est effectivement le cas, j'attends de M. Benoît Meslin qu'il nous en informe, mais cela ne s'est jamais avéré nécessaire.

Par ailleurs, nous avons un réseau judiciaire européen qui traite des délais, lesquels font l'objet d'une étude en cours. Nous aurons une réunion sur ce sujet au Portugal à la fin du mois. Les autres pays n'ont pas identifié le Royaume-Uni comme posant un problème de délai. Pour notre part, nous rencontrons des problèmes avec les autres pays. A la suite d'une étude que nous avons faite, nous avons constaté que plusieurs de nos commissions rogatoires n'avaient toujours pas été exécutées, notamment en France.

M. le Président : Vous allez pouvoir nous donner ces chiffres.

Mme Lorna HARRIS : Le délai des réponses ne nous gêne pas outre mesure car nous savons la procédure longue. La Grande-Bretagne ne dit pas que la France pose un problème parce que ce n'est pas le cas. A mon sens, c'est plus une difficulté de compréhension. Votre système fonctionne avec des juges d'instruction alors que chez nous, ils n'interviennent que beaucoup plus tard dans la procédure.

M. le Président : Avec quels pays en Europe rencontrez-vous le plus de difficultés ?

Mme Lorna HARRIS : Nous rencontrons parfois des problèmes de délai avec l'Espagne. Néanmoins, avec le système d'évaluation que nous avons mis en place avec les pays de l'Union européenne, il a été reconnu que l'Espagne avait apporté des modifications pour améliorer la situation.

(Départ de Mme Lorna Harris.)

M. le Président : Pour aller plus avant dans la discussion, pouvez-vous nous préciser quel est votre travail ? Concernant Mme Harris, j'ai bien compris qu'il s'agissait de coopération judiciaire. Mais pour ce qui vous concerne, j'ai plus de mal à cerner si vous exercez une fonction juridique comme l'élaboration de nouvelles législations, ou une activité opérationnelle de poursuites et de centralisation des données portant sur la délinquance financière.

M. Godfrey STADLEN : M. Vallance et moi-même avons fait partie du service de coopération judiciaire jusqu'à il y a encore quelques mois. M. Vallance a été responsable du traitement des demandes en matière de coopération, notamment la traçabilité et la saisie des biens. Quant à moi, j'occupais en fait les fonctions qui sont celles de Lorna Harris maintenant. Actuellement, nous travaillons uniquement sur la législation en cours.

M. le Président : Nous pouvons ainsi continuer, en l'absence de Mme Harris, sur le sujet de la coopération judiciaire que vous maîtrisez parfaitement.

M. le Rapporteur : Nous avons fait un tour d'Europe au cours duquel nous avons visité la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, l'Espagne et nous y avons entendu des juges qui ont le même système d'instruction que le système français. Nous avons, par exemple, rencontré des magistrats du parquet anti-corruption de Madrid avec lesquels nous avons noué des contacts. Ceux-ci nous ont exposé les problèmes qu'ils rencontrent quant à l'obtention de la coopération judiciaire avec un certain nombre de pays, notamment Monaco, le Liechtenstein et les îles anglo-normandes, comme Jersey et Guernesey, qui dépendent de la couronne.

Les juges espagnols, italiens, belges et français ressentent l'impossibilité d'obtenir des informations qui permettent de reconstituer la traçabilité des flux financiers, à travers les comptes bancaires et les sociétés.

Les conséquences concrètes, dans ces pays, sont que les enquêtes s'arrêtent, que les juges se découragent ou qu'ils font passer en jugement des exécutants sans avoir pu découvrir les commanditaires, dès lors que l'argent a transité par un certain nombre de comptes bancaires situés à Londres ou ailleurs. Le problème est exactement le même pour l'Irlande. Nous comprenons les difficultés liées aux systèmes juridiques très différents, mais cela n'est pas sans poser un problème considérable pour les libertés publiques en France. En effet, pendant que le juge attend la coopération sans l'obtenir, des personnes font l'objet d'une détention préventive qui se prolonge en France.

Cela met aussi en jeu l'ordre public car il semble que les enquêtes s'arrêtent devant le système juridique britannique. Ceci n'a pas été résolu malgré l'arrivée du magistrat de liaison à Londres. De nombreux juges ont néanmoins constaté que les magistrats de liaison, que l'on retrouve dans de nombreux autres pays, ont permis d'enregistrer des progrès notables.

Le juge Zanoto, en charge d'une affaire très importante à Paris qui concerne les malversations du Crédit lyonnais, tient les propos suivants : « Quand on connaît par expérience un certain nombre de pays et quand on sait comment ils sont organisés, on faxe parallèlement à ce schéma officiel, un exemplaire des commissions rogatoires. Pour travailler beaucoup avec le Luxembourg et la Suisse, je connais l'organisation de ces pays. En revanche, j'ai d'énormes difficultés à comprendre comment est organisée la Grande-Bretagne avec laquelle nous n'enregistrons aucun progrès. C'est désespérant. »

M. le Président : Avant que vous nous expliquiez les raisons de cette situation, je voudrais vous donner quelques chiffres. Nous avons demandé à notre ministère de la Justice, il y a environ un an au début de nos travaux, de mener une étude sur l'état des commissions rogatoires internationales avec un certain nombre de pays.

Cette étude, qui nous a été communiquée il y a quelques mois, porte sur trois années : 1996 à 1999. S'agissant des commissions rogatoires envoyées au Royaume-Uni en matière de délinquance financière, le nombre est de cinquante commissions rogatoires non exécutées sur quatre-vingt-quatorze envoyées, soit plus de 50 % non exécutées après trois ans.

En matière de blanchiment, six commissions rogatoires ont été adressées au Royaume-Uni depuis 1996 parmi lesquelles cinq, trois ans après, demeurent non exécutées. Nous avions demandé une étude comparative sur six pays. Hormis le Liechtenstein, le Royaume-Uni a les pourcentages de non-exécution les plus élevés. Nous avions demandé cette étude pour ne pas en rester seulement à des impressions et avoir des chiffres, pour autant que le ministère pouvait les centraliser.

Cela signifie que, dans nos dossiers, nous avons des éléments objectifs. Il est tout à fait clair qu'il y a nécessité de mieux se comprendre et de résoudre ce problème qui ne peut nous satisfaire. Pouvez-nous nous donner les raisons de ce dysfonctionnement et les moyens d'améliorer cette coopération ?

M. Godfrey STADLEN : Je voudrais tout d'abord vous dire que nous attachons une grande importance à la coopération judiciaire, notamment à une coopération très efficace en ce qui concerne le blanchiment d'argent car, comme vous l'avez dit, il s'agit essentiellement d'affaires internationales.

Par ailleurs, afin de résoudre les problèmes et notamment les cas individuels, nous avons besoin d'une communication beaucoup plus efficace. Quand un problème est porté à notre attention, je sais que nous faisons le maximum pour résoudre les difficultés. La présence d'un magistrat de liaison constitue un élément très important en faveur de l'amélioration de la coopération en ce domaine.

Bien évidemment je suis déçu par les chiffres que vous venez de citer, mais les statistiques, dont disposent Lorna Harris, semblent donner une image différente de la coopération avec la France. Nous devons analyser plus en profondeur la situation pour mieux l'appréhender.

Lorna Harris a également rappelé que, dans le contexte du réseau de coopération judiciaire européen, il semblerait que la situation soit loin d'être aussi mauvaise que ne le donnent à penser vos juges d'instruction. De manière générale, il me semble qu'il y a peut-être moins de problèmes qu'on ne le suppose, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il n'y en a pas.

Lorna Harris a indiqué, à juste titre, qu'il y a un problème réel avec le système en vigueur au Royaume-Uni et en Irlande. Nos systèmes sont totalement différents. A titre d'exemple, selon nos lois, nous n'avons pas le droit de geler un compte bancaire avant qu'un suspect soit sur le point d'être traduit en justice.

Deux initiatives, en cours dans l'Union européenne, vont nous aider à améliorer la situation. Il y a tout d'abord la nouvelle convention concernant l'assistance mutuelle, qui va sans doute nous obliger à modifier notre législation et dont nous avons commencé à étudier les conséquences. Nous examinons également notre adhésion aux accords de Schengen en ce qui concerne l'entraide judiciaire.

La deuxième initiative, proposée par le Royaume-Uni, est ressortie du sommet de Tampere. Elle concerne le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires selon lequel une décision judiciaire prise dans un pays sera reconnue comme valable dans un autre. Les travaux ont déjà commencé à Bruxelles pour la mise en application de ce nouveau concept, notamment en ce qui concerne le gel des biens des personnes. Si la France souhaite, par exemple, bloquer les biens d'un individu au Royaume-Uni, il ne sera pas demandé, au contraire de la procédure appliquée jusqu'à présent, à un juge britannique de prendre une décision selon les lois britanniques. La décision prise en France sera reconnue comme valable au Royaume-Uni. Ce principe ne sera pas facile à mettre en _uvre, mais les travaux ont déjà commencé.

M. Peter VALLANCE : Je suis très surpris par le chiffre que vous avez cité selon lequel cinquante commissions rogatoires sur quatre-vingt-quatorze n'auraient pas été exécutées. Je me demande s'il s'agit de refus ou de non-exécution des commissions rogatoires.

M. le Président : De non-exécution. Ce ne sont pas nécessairement des refus, mais aussi des réponses dilatoires. Cela signifie qu'elles ne sont pas exécutées et que les pièces demandées ne sont pas parvenues.

M. Peter VALLANCE : A-t-on donné suite à la demande ? Y a-t-il eu une explication ?

M. le Président : On retrouve les deux : des cas sans explications et des cas sans réponse. Il y a également des cas dans lequel des demandes d'explication complémentaires ont été formulées.

M. Peter VALLANCE : Londres est une place financière extrêmement importante. Un grand nombre de demandes nous parvient de tous les pays du monde. Nous avons également certains pouvoirs en matière de renseignements bancaires et de reconstitution des montages financiers, et nous pouvons intervenir assez tôt dans les enquêtes.

Il s'agit en fait de mieux éduquer les personnes qui interviennent et d'encourager un dialogue entre les autorités de contrôle afin d'améliorer la confiance entre les deux parties. C'est vrai que nous pouvons maintenant intervenir beaucoup plus tôt dans la procédure auprès des tribunaux. Néanmoins, nous recevons beaucoup de demandes d'information d'ordre général dans lesquelles le pays requérant, qui n'a pas le nom d'un individu, nous demande par exemple de rechercher si certaines sommes ont été reçues. C'est comme si nous allions à la pêche aux informations.

Selon nos lois en vigueur, nous devons avoir beaucoup plus d'informations précises sur la personne qui fait l'objet de l'enquête. Il faut encourager le dialogue entre les autorités de contrôle. Je suis très surpris par les statistiques que vous avez citées car je suis certain que lorsque nous recevons des demandes, nous y apportons une réponse. Nous avons la possibilité d'intervenir, d'une part, au stade de l'instruction de l'enquête et de l'autre, en aval, lorsqu'il s'agit d'offrir des éléments de preuve.

Nous avons fait la preuve de notre intérêt pour une meilleure coopération judiciaire car, sous la présidence du Royaume-Uni, nous avons pris l'initiative de lancer une action commune pour encourager l'entraide judiciaire en matière de saisie des biens. J'espère que cette initiative permettra d'améliorer la coopération dans l'Union européenne.

M. le Rapporteur : Les juges continentaux butent sur les exigences que pose votre législation préalablement à la réquisition bancaire, c'est-à-dire la connaissance des ayants droit économiques et des flux financiers ayant transité sur un compte, sans parler de saisie et de confiscation beaucoup plus attentatoire au droit de propriété.

Les exigences fixées par l'autorité chargée de la coopération découragent nos juges. Un certain nombre de réponses ont d'ailleurs provoqué des réactions très fortes. Je vais vous lire la réponse de Londres adressée à un juge belge.

« Après un examen approfondi, il a été décidé que les moyens que vous avez invoqués à l'appui de la requête sont insuffisants pour procéder à un ordre de perquisition. En particulier, nous estimons que rien ne nous permet de croire que les preuves significatives se trouvent encore sur les lieux à perquisitionner. En ce qui concerne les preuves bancaires, nous devons savoir pour quelles raisons vous estimez que les preuves, au sujet du bénéfice résultant des infractions sous enquête, seraient trouvées dans le compte. » La réponse du juge est la suivante : « C'est justement l'objet de mes vérifications. Ils me demandent de lire dans une boule de cristal. »

Ce sont les propos tenus par l'un des juges les plus importants de Belgique. Lorsque nous examinons les raisons qui expliquent ces refus, nous constatons des conditions qui n'existent pas dans les autres pays européens et qui compliquent le travail des juges. Deux questions se posent alors : celle de vos dispositions législatives, qui est une question politique que nous adresserons à vos responsables politiques, et celle de l'interprétation de cette législation donnée par l'administration et les tribunaux.

Par exemple, lors de notre visite à Jersey, nous avons évoqué le cas de commissions rogatoires qui ont fait échouer nos enquêtes à Paris. Le procureur général nous a indiqué qu'en dessous de 2 millions de livres, la fraude n'était pas considérée comme sérieuse et complexe. En deçà de ce seuil, d'ailleurs signalé dans le rapport Edwards, on considère qu'il n'y a pas de délinquance dangereuse.

Cela nous pose un problème de nature politique considérable avec Jersey. Selon le procureur général de Jersey, le même texte s'appliquerait au Royaume-Uni. Il est vrai que, dans certaines des réponses mais pas toutes, apparaît effectivement le renvoi à la nécessité du caractère complexe et sérieux de la fraude. Nous considérons cela comme un refus inacceptable sur le plan politique et de la construction européenne. Il existe un certain nombre de territoires non coopératifs, que nous pointons du doigt et contre lesquels nous avons engagé un combat politique et diplomatique. Il apparaît incompréhensible aux Français, qui ont des liens d'amitié avec la Grande-Bretagne, qu'un pays de ce poids et membre de l'Union européenne puisse avoir des pratiques similaires à celles de territoires considérés par le GAFI comme étant non coopératifs.

M. Peter VALLANCE : S'agissant des îles anglo-normandes, il faut revoir cet aspect sous un angle historique. Ce sont des territoires qui dépendent de la couronne, qui suivent de près notre législation et dont les lois doivent être contresignées par la Reine. Certes, Jersey n'a pas encore appliqué toutes les lois en matière de blanchiment d'argent et de délinquance financière en général, mais cela ne saurait tarder. Cela permettra d'éliminer les problèmes créés par ce seuil très élevé pour la définition de la fraude sérieuse. Il y a d'ailleurs eu beaucoup de discussions sur ce point à la suite du rapport Edwards.

Je voudrais revenir sur un point que j'ai déjà abordé tout à l'heure. Lors de l'enquête, il s'agit de savoir ce qui est permis ou non dans les différents pays. En ce qui concerne le Royaume-Uni, nos lois disposent que nous pouvons exécuter une demande dès lors qu'il y a suffisamment de raisons de penser qu'un individu nommé a bénéficié d'une infraction particulière. Au juge ensuite de décider si les preuves obtenues vont constituer un élément important pour l'enquête en cours.

Nous avons deux obstacles à surmonter. Si, par exemple, un meurtre est commis en France et que le juge d'instruction demande aux Britanniques des renseignements concernant le compte bancaire d'un individu soupçonné d'avoir commis ce meurtre, l'Angleterre opposera un refus s'il n'y a pas de liens apparemment directs et clairement établis entre le meurtre et le bénéfice qu'aurait pu en tirer cet individu. Par ailleurs, le dialogue doit s'instaurer très tôt dans une enquête afin que la partie requérant l'information puisse l'obtenir au moment voulu.

(Départ de M. Stadlen et retour de Mme Harris.)

Mme Lorna HARRIS : Il est très important de comprendre que les conditions que nous mettons à l'assistance que nous offrons aux juridictions étrangères sont absolument identiques à celles qui régissent notre propre système juridique, à une exception près, la possibilité d'aide positive aux enquêtes étrangères.

Nous avons, au Royaume-Uni, une administration (le SFO) spécifiquement chargée de la poursuite en justice de personnes ayant commis des délits financiers graves et complexes. Le seuil de un million de livres qui qualifie une telle délinquance ne s'applique qu'au Royaume-Uni.

Tous les autres cas de fraudes sont traités par d'autres services. Les fraudes graves et complexes sont prises en charge par notre service spécialisé qui dispose de pouvoirs supplémentaires pour mener les enquêtes. Nous pouvons utiliser ces pouvoirs supplémentaires dans l'intérêt des pays étrangers et pour des dossiers qui satisfont à cette condition du seuil d'un million de livres. Par exemple, nous avons mené l'enquête, pour le compte de la France, dans l'affaire des délits allégués concernant les actions d'Eurotunnel.

S'agissant des affaires se situant en dessous du seuil d'un million de livres et qui pourraient néanmoins faire l'objet d'une enquête par le SFO, nous retombons dans le système habituel où il convient de produire des preuves devant le juge pour obtenir son autorisation. Dans le cadre d'enquêtes financières impliquant des Britanniques, nous devons nous adresser au juge pour obtenir des injonctions alors que pour des enquêtes étrangères, nous pouvons directement utiliser nos pouvoirs d'investigation dits de « l'article 4 ». Il est ainsi plus facile d'obtenir des renseignements financiers pour les enquêtes étrangères que pour nos propres enquêtes. C'est bizarre, mais c'est ainsi.

M. le Rapporteur : Ce double régime, avec des pouvoirs distincts selon un seuil arbitraire, a-t-il déjà fait l'objet d'une tentative de modification et dans quel sens ?

Mme Lorna HARRIS : Il n'a pas été nécessaire de modifier le système car nous utilisons les services du SFO dans le cadre d'affaires déjà citées comme Eurotunnel, Elf, etc. Pour nous, il s'agit de crimes tellement graves que nous avons besoin de pouvoirs particulièrement renforcés pour pouvoir exiger la récupération immédiate de documents. Mais nous ne pouvons pas utiliser les mêmes types de pouvoirs d'enquête pour tous les cas de délinquance financière ou de fraude.

M. le Président : Avez-vous mis en place une centralisation du traitement des affaires de délinquance financière et de blanchiment ? Auquel cas, pouvez-vous nous dire combien d'enquêtes ont eu lieu sur des affaires de blanchiment et combien ont abouti à des condamnations dans les dernières années ? Quels sont les pays d'origine ou les nationalités de ces délinquants, les moyens qu'ils utilisent pour blanchir l'argent et l'ampleur de ce blanchiment, selon vos estimations, sur la place de Londres ?

Mme Lorna HARRIS : Avant d'évoquer les statistiques sur le blanchiment d'argent, j'aimerai lever la confusion qui règne toujours concernant notre système.

En règle générale, le début d'une enquête est pris en charge par la police. Lorsqu'il s'agit de polices de deux ressorts différents, il y a très fréquemment un échange informel d'informations. Lorsque des demandes sont adressées par le Royaume-Uni à des juridictions étrangères, c'est la police qui s'en charge car c'est elle uniquement qui intervient au début d'une enquête en Grande-Bretagne.

Quand l'enquête avance et que les autorités judiciaires interviennent de chaque côté, il est possible de faire appel au mécanisme d'une commission rogatoire et c'est alors qu'entrent en jeu le ministère de l'Intérieur et les autorités centrales du Royaume-Uni. Selon nos lois, le ministre de l'Intérieur peut intervenir pour « répondre à une demande reçue d'une cour ou d'un tribunal et en tant que juridiction appropriée pour le cas à traiter, lorsque le procès a déjà commencé ou lorsqu'il y a une enquête criminelle en cours ».

Si, de votre côté, un juge d'instruction est saisi d'un dossier, nous pourrons répondre à sa demande de coopération. Si des preuves bancaires lui sont nécessaires, nous désignerons un tribunal près de la banque en question. Puis nous enverrons une demande officielle au responsable de la banque qui aura obligation de se présenter au tribunal compétent avec les renseignements bancaires demandés. Mais il ne sera pas nécessaire d'utiliser le mécanisme de l'injonction.

C'est une procédure fort simple, tout à fait acceptable pour un responsable de banque car elle lui permet d'enfreindre la règle de confidentialité vis-à-vis de son client. En effet, le banquier sera protégé par la requête du tribunal.

Cela donne lieu à malentendus. En effet, très souvent, les pays étrangers, pour obtenir des renseignements bancaires, doivent passer par un ordre de perquisition. Ainsi une autorité étrangère se présentera à l'autorité britannique en demandant qu'une perquisition soit conduite auprès de la banque. Nous ne pouvons l'accepter car, selon notre loi, il ne peut y avoir perquisition que lorsque tous les autres moyens pour obtenir les informations voulues ont été épuisés. Le moyen le plus simple pour obtenir les renseignements bancaires requis par l'autorité étrangère est d'utiliser la loi que je viens de vous citer. C'est pourquoi il y a une tension entre les deux autorités car très souvent, cette demande de perquisition ne peut être valablement acceptée par les autorités britanniques.

M. Peter VALLANCE : J'ai évoqué tout à l'heure ce qu'on appelle l'injonction. Ce mécanisme, qui peut être utilisé entre les différentes autorités de contrôle, peut intervenir avant d'en arriver au stade de l'enquête judiciaire et de la demande d'entraide. Par exemple, les douaniers français pourraient faire une demande aux douaniers britanniques par le biais d'une injonction pour obtenir certains renseignements. Nous accepterons la demande si certains critères sont respectés. Ainsi la demande doit être motivée et il doit y avoir suffisamment de raisons pour penser que telle personne est impliquée.

Je répète, ce moyen peut être utilisé avant d'arriver au niveau des juges, mais néanmoins j'insiste sur le fait qu'on ne peut aller à la pêche aux informations, il faut cibler un individu. On ne peut répondre à une demande telle qu'entreprendre une enquête auprès de toutes les banques d'Angleterre pour savoir si M. X a des fonds sur un compte bancaire. Nous n'avons pas de système centralisé des comptes bancaires.

M. le Rapporteur : La question des expéditions de pêche aux informations est une question centrale. Sur ce point, l'essentiel des pays européens ont la même réponse. Ils considèrent que, dès lors que des charges pèsent sur un individu, il est naturel que tout juge, gardien des libertés individuelles, puisse avoir connaissance des mouvements de fonds qui ont affecté le patrimoine ou la vie de cet individu.

Lorsque nous avons rencontré les autorités luxembourgeoises, nous avons eu des conversations très dures. Nous leur avons indiqué, de manière forte, qu'elles devaient accepter toutes nos demandes d'informations concernant un individu poursuivi en France, c'est-à-dire après sa mise en examen, et nous fournir une vision centralisée de l'ensemble de ses comptes bancaires et des fonds dont il dispose. La réponse du ministre de la Justice du Luxembourg a été de dire qu'ils le feront lorsque les Suisses l'auront fait.

C'est un obstacle à la coopération judiciaire et à la lutte contre le blanchiment d'argent. Le juge luxembourgeois est obligé d'envoyer, dans tous les établissements bancaires, une demande, ce qu'en Grande-Bretagne, vous ne faites même pas. Notre revendication politique, c'est de pouvoir rapprocher nos législations sur ce terrain dès lors que les préoccupations d'ordre public nous paraissent supérieures à la préoccupation de confidentialité.

Je souhaiterai poser une question plus personnelle. Vous êtes chargés d'élaborer une nouvelle législation. Ne pensez-vous pas que tous ceux qui sont en charge de la lutte contre le blanchiment de l'argent sale ont intérêt, y compris ici, à avancer sur ce terrain et à faire sauter un certain nombre d'obstacles législatifs ?

Mme Lorna HARRIS : Je refuse totalement de cautionner l'idée selon laquelle le système juridique du Royaume-Uni facilite le blanchiment d'argent. Le fait d'être contre les expéditions de pêche aux informations ne nous met pas dans une situation unique par rapport aux autres pays. Notre système offre une certaine protection des droits de l'homme. Si un dossier est ouvert en France, par exemple, dans une affaire d'assassinat et que vous demandiez au Royaume-Uni de vérifier si l'individu accusé possède des comptes bancaires au Royaume-Uni, nous refuserons votre demande.

En revanche, si vous nous offrez des informations précises selon lesquelles la personne inculpée a reçu une certaine somme du Royaume-Uni, nous accepterons la demande et mènerons l'enquête nécessaire. Nous ferons tout notre possible pour identifier les comptes bancaires s'il existe un lien entre cette demande d'information et le crime en cours d'instruction.

Le fait que le Royaume-Uni n'a pas de système centralisé des comptes bancaires ne pose aucun problème particulier. La France fait d'ailleurs figure d'exception parmi tous les pays européens en ce qui concerne son fichier centralisé des comptes bancaires. D'autres systèmes peuvent très bien faire l'affaire.

J'estime qu'au Royaume-Uni, nous sommes bien placés pour lutter contre le blanchiment d'argent et que la nouvelle loi, une fois votée, permettra de renforcer notre lutte contre le blanchiment d'argent.

M. Peter VALLANCE : Mme Harris vous a dit l'essentiel de ce que je voulais dire. J'insisterai, en conclusion, sur la nécessité d'un dialogue renforcé entre toutes les autorités et d'un rapprochement entre nos différents pays. Il conviendrait, en fait, de renforcer, très tôt dans le processus, la coopération au niveau de l'enquête. Des efforts doivent être apportés dans la formulation des demandes afin qu'elles soient plus acceptables par le pays qui les reçoit.

Nous avons déjà réalisé des progrès grâce à l'élaboration d'instruments législatifs appropriés dont nous devons néanmoins améliorer la mise en application. Nous pouvons intervenir auprès des tribunaux pour obtenir les autorisations nécessaires. Nous avons déjà la possibilité de passer outre la confidentialité de la relation entre la banque et son client. Nous renforçons actuellement nos pouvoirs. C'est le cas, non seulement pour le Royaume-Uni mais aussi pour les territoires dépendants. Dès le 1er janvier de cette année, l'île de Jersey a introduit la loi sur l'extension des délits sous-jacents. C'est un grand progrès. Cela signifie que l'île de Jersey devrait pouvoir coopérer de façon beaucoup plus efficace.

M. Stadlen et moi-même faisons partie de cette nouvelle équipe qui mène une réflexion sur les possibilités dans ce domaine. Nous étudions toute une série de mesures et de projets possibles que nous allons bientôt annoncer. Nous réfléchissons notamment à la possibilité de créer une agence spécialisée pour traiter les cas de confiscation et de saisie. Cette possibilité avait été mentionnée dans le livre blanc publié il y a deux ans. Nous allons donc accomplir des progrès réels très bientôt et j'espère que cela nous permettra de renforcer la coopération avec nos collègues en Europe, notamment dans la lutte contre le blanchiment d'argent. J'espère que ces entretiens vous ont été utiles. Je vous remercie d'être venus.

M. le Président : Merci beaucoup de ces entretiens très francs et très utiles.

Financial Services Authority (FSA)

Audition de MM. John ELLIS,
Conseiller pour la lutte contre le blanchiment
James LONDON et Neil JEANS,
Chefs de projet en matière de normes anti-blanchiment

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. John ELLIS : Bienvenue à la FSA. Je suis le conseiller pour la lutte contre le blanchiment d'argent de la FSA.

M. James LONDON : Je suis responsable du projet relatif à l'élaboration de la réglementation en matière de blanchiment d'argent. Nous introduisons actuellement à la City une nouvelle réglementation contre le blanchiment d'argent. Je vais bientôt changer de fonctions car je vais être appelé à gérer ce que nous appelons le thème blanchiment d'argent, sujet dont la FSA se préoccupe tout particulièrement.

M. Neil JEANS : J'ai principalement une expérience de contrôle financier au sein des institutions de régulation. Je travaille maintenant sur le projet que M. London vient d'évoquer.

M. le Président : Merci de votre accueil. En préambule, je voudrais vous informer que cet entretien risque d'être difficile pour vous car nous arrivons avec une idée préconçue d'excellence à votre sujet et qu'il va vous falloir illustrer pendant toute cette réunion. En France, certains de nos interlocuteurs nous ont indiqué que vous pourriez être un modèle pour nous. Dès lors, nous attendons beaucoup de cette réunion quant aux mécanismes que vous avez mis au point, notamment dans le domaine de la lutte contre le blanchiment.

M. John ELLIS : Je voudrais tout d'abord vous indiquer que M. Raikes, qui est responsable de la surveillance des économies de l'Europe dont la France, nous rejoindra pour le déjeuner. Il est chargé de suivre les développements institutionnels et d'en étudier les conséquences pour l'économie du pays concerné.

M. le Président : Peut-être pourrions-nous déjà voir comment votre système fonctionne aujourd'hui et les perspectives créées par cette mission sur les nouvelles régulations. Ensuite nous passerons à une séance très libre de questions et réponses.

M. John ELLIS : Je vais vous décrire la situation actuelle et ensuite, l'un de mes collaborateurs enchaînera pour vous décrire le projet concernant les nouvelles régulations, en particulier dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent pour les six mois à venir.

S'agissant de la législation du Royaume-Uni, nous avons commencé par incriminer en 1986 le blanchiment des revenus issus du trafic de stupéfiants. Ensuite, nous avons incriminé le blanchiment des revenus du terrorisme et enfin de tous les crimes graves.

Les lois adoptées par notre parlement ont créé plusieurs catégories de délit dont la plus grave concerne l'aide apportée au recyclage et à la dissimulation de l'origine de produits d'activité criminelle et peut conduire à une condamnation de quatorze ans de prison. Les délits moins graves consistant à ne pas informer les autorités lorsque l'on soupçonne un individu de blanchir de l'argent, notamment dans le domaine du trafic de drogue et du terrorisme, et à informer un individu qu'il fait ou va faire l'objet d'une enquête. Ces délits moins graves sont passibles d'une condamnation à cinq ans de prison.

Nous avons un second niveau de législation au Royaume-Uni, constitué des normes anti-blanchiment qui résultent d'un acte parlementaire. Cette procédure n'a pas d'équivalent dans les autres pays d'Europe.

M. Neil JEANS : Ce sont des normes professionnelles qui sont appliquées comme s'il s'agissait d'une loi.

M. John ELLIS : Le premier niveau que j'ai cité crée des délits d'ordre personnel et individuel tandis que ce deuxième niveau de normes anti-blanchiment crée des infractions au niveau des entreprises. Ces normes sont entrées en vigueur en parfaite conformité à la directive contre le blanchiment d'argent de 1991, adoptée par l'Union européenne.

Notre ministère des Finances impose ainsi des obligations à un certain nombre d'institutions financières, telles que les banques, les compagnies d'assurance, les courtiers, etc. et crée des obligations pour d'autres organismes qui ne font pas, pour l'heure, l'objet d'une régulation spécifique. Les institutions sont dans l'obligation de mettre en place certaines procédures en vue de prévenir les activités de blanchiment. Elles portent notamment sur la vérification de l'identité du client, la conservation de certaines archives, la formation du personnel, la désignation d'un responsable en matière de lutte contre le blanchiment d'argent, et sur l'obligation de déclarer ses soupçons aux autorités de contrôle.

La violation de ces obligations fait l'objet de sanctions pénales. Autrement dit, un directeur de banque peut être condamné à une peine de prison s'il y a violation de la réglementation et l'institution en tant que telle sanctionnée d'une amende.

M. le Président : Combien de personnes sont-elles affectées à la surveillance de ces institutions ? Combien de contrôles sur place dans les banques ? Combien de condamnations d'individus ou d'entreprises ont-elles été prononcées pour blanchiment ou non-respect des obligations instituées ?

M. John ELLIS : Je vais vous expliquer pourquoi nous ne sommes pas en mesure de vous fournir les statistiques que vous recherchez et la situation de la FSA par rapport à toute cette législation. Nous ne sommes pas chargés de l'application des lois concernant le blanchiment d'argent à proprement parler, mais du contrôle d'application par les banques de leurs obligations professionnelles. Pour exercer une activité bancaire et obtenir un agrément, la banque doit respecter certains critères, dont la mise en place de procédures destinées à lutter contre le blanchiment d'argent.

Pour notre part, nous examinons la situation des banques et si, en tant qu'autorité de régulation et de contrôle, nous constatons qu'une institution financière n'a pas respecté ses obligations législatives, nous pouvons agir. Mais nous restons dans le cadre de la loi de 1987 relative aux banques. Il ne s'agit pas d'appliquer la législation pénale contre le blanchiment d'argent.

Nous disposons d'une gamme de sanctions disciplinaires que nous pouvons appliquer à une banque pour non-respect de ses obligations. Nous pouvons limiter leurs activités et aller jusqu'au retrait de leur agrément. En règle générale, nous ne faisons pas d'inspection sur place dans les établissements bancaires. En fait, nous recevons des rapports réguliers que nous examinons pour éventuellement déceler une vulnérabilité ou des anomalies par rapport aux obligations professionnelles.

Si nous décelons des points négatifs, nous demandons à de grands cabinets d'audits d'effectuer une enquête pour notre compte, en leur indiquant les activités ou les éléments qui doivent être approfondis. Le cabinet nous transmet ensuite un rapport à la suite duquel nous décidons des actions à engager.

Je ne peux vous donner de statistiques, mais il y a eu au moins un cas très célèbre où nous sommes allés jusqu'au retrait de l'agrément d'un établissement bancaire, notamment en raison de la faiblesse de ses contrôles anti-blanchiment. Toutefois, cela reste un cas de figure très rare. Nous évoquerons tout à l'heure les perspectives de changements car la situation pourrait évoluer dans ce domaine.

Il y a eu globalement plus de cent condamnations au titre de la délinquance financière, notamment en matière de blanchiment d'argent. Il s'agissait essentiellement de condamnations de personnes physiques sur le fondement de notre loi réprimant la grande criminalité, essentiellement des trafics de stupéfiants.

Toutefois, un avocat a été envoyé en prison car il avait aidé un criminel à blanchir le produit du trafic de stupéfiants. Par ailleurs, un opérateur de bureau de change a été sanctionné d'une amende et envoyé en prison pour dix ans pour avoir blanchi le produit de la criminalité organisée.

M. le Président : Selon la réglementation anti-blanchiment, les banques sont dans l'obligation de faire des déclarations de soupçons. Qui contrôle que les banques, en dehors de ces rapports qu'elles envoient, satisfont à leur obligation de diligence ?

M. John ELLIS : En fait, il n'y a pas, dans la lutte contre le blanchiment, de seuil qui déclenche une enquête généralisée. Le système repose sur l'identification par le personnel de l'institution financière d'une transaction suspecte. C'est le point de départ. Si le personnel bancaire relève une transaction de ce type, un rapport sera élaboré à l'attention du NCIS lequel consultera sa base de données et préparera, si besoin est, un dossier. S'il s'agit de trafic de stupéfiants, le dossier sera envoyé aux douaniers. Pour toute autre type de criminalité, notamment le blanchiment d'argent, ce sera la police.

Le NCIS décide laquelle des forces policières décentralisées en Grande-Bretagne s'occupera du dossier. Puis les forces de police désignées détermineront le type d'actions à engager. Si la police a besoin d'une information supplémentaire, elle devra se tourner vers les tribunaux pour obtenir une injonction en vue de forcer la banque à lui révéler les renseignements dont elle a besoin. Si la police décide d'ouvrir une instruction, c'est alors le procureur qui prendra le dossier en main.

La FSA ne se préoccupe pas de ces procédures. Elle veille simplement à ce qu'il y ait un système en place au sein des institutions financières et des procédures adéquates pour assurer l'identification des opérations soupçonnées d'être délictueuses. Notre objectif est de faire en sorte que le personnel bancaire, par exemple, soit bien formé, puisse repérer une transaction suspecte, soit informé des mesures à prendre et qu'un responsable sache établir un rapport de manière appropriée.

En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d'argent, les informations passent directement de l'institution financière à l'unité de renseignement financier (NCIS) puis à la police qui, pour sa part, communiquera le rapport et le résultat à la banque.

M. le Président : J'ai bien compris cette procédure. Je m'interroge néanmoins sur votre méthode de contrôle. Comment un organisme comme le vôtre, chargé de contrôler les banques, opère-t-il ces contrôles sans visite in situ ? Pour avoir travaillé avec nombre de vos homologues en Belgique, en Italie, en Suisse et en France, nous savons que des contrôles sont faits sur place car on ne peut se fier uniquement aux rapports des banques. Peut-être peut-on faire confiance aux bonnes banques, mais les moins bonnes peuvent présenter de beaux rapports derrière lesquels se cachent de mauvaises pratiques. Comment faites-vous pour contrôler cela ?

M. John ELLIS : Nos moyens sont limités au vu des cinq cent soixante banques à Londres, sans compter les institutions financières de toutes sortes. Nous pouvons certes effectuer des visites, mais seulement pour contrôler certaines activités de ces institutions financières. De plus, ces visites se font toutes les X années.

Toutefois, si nous recevons de quelque source que ce soit des informations indiquant certaines faiblesses chez une banque, même si nous n'avons pas effectué de visites in situ, nous pouvons intervenir pour étudier les pratiques de la banque en question. Par exemple, si nous apprenons que les procédures d'ouverture d'un compte bancaire sont vulnérables ou inadéquates, nous étudierons plus particulièrement cette activité. Nous avons une petite équipe d'experts qui se rendra dans la banque en question pour examiner les manuels et effectuer des tests pratiques pour déterminer ce qui se passe lors de certaines situations.

Si cette équipe considère qu'il y a certaines faiblesses, le rapport sera transmis au responsable de la FSA concerné et nous déciderons de ce qu'il y a lieu de faire pour remédier à cette situation. Nous avons plusieurs possibilités, mais très souvent nous demandons que des mesures correctrices soient prises dans un certain délai. Lors d'une vérification que nous effectuons par la suite, si nous estimons que les mesures prises sont inadéquates, nous avons encore la possibilité d'intervenir.

M. James LONDON : La FSA regroupe neuf autorités de contrôle, chacune ayant une attitude différente vis-à-vis de toutes ces questions. La banque d'Angleterre, évoluant dans un contexte juridique assez lâche, a eu la possibilité d'intervenir de matière très active en ce qui concerne les questions de lutte contre le blanchiment d'argent.

Toutefois, les autres autorités de contrôle ne disposaient pas de ces possibilités dans le contexte juridique et n'ont donc pu intervenir, sauf lorsqu'il s'agissait d'activités bancaires.

Notre gouvernement a constaté la nécessité de renforcer la législation en ce domaine. Une possibilité va se présenter car un nouveau projet de loi concernant les services et les marchés financiers sera promulgué avant la fin de l'année. La FSA s'est vue attribuer quatre objectifs dont la lutte contre la délinquance financière, laquelle est subdivisée en trois catégories dont le blanchiment d'argent.

Désormais, la FSA a une responsabilité très claire en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d'argent. Pour répondre à ses obligations, la FSA sera maintenant dotée de pouvoirs spécifiques pour lutter contre le blanchiment d'argent pourra engager une procédure contre toute institution qui n'aurait pas respecté les normes en matière de lutte contre le blanchiment.

La FSA dispose donc maintenant de deux possibilités pour lutter contre le blanchiment : poursuivre devant les tribunaux ou appliquer des sanctions disciplinaires.

Nous avons procédé à une consultation, qui est maintenant achevée, auprès de l'industrie des services financiers et des autorités policières.

Notre démarche pour mettre en application ces nouveaux pouvoirs a été de renforcer le modèle existant en matière de normes contre le blanchiment d'argent. Nous avons également utilisé, comme base de nos nouveaux pouvoirs, les conseils formulés, en 1990, par le groupe directeur sur le blanchiment d'argent au Royaume-Uni regroupant des représentants de l'ensemble de l'industrie des services financiers.

En ce qui concerne l'extension des domaines réglementés, toute institution financière ou banque devra désormais obligatoirement nommer un responsable anti-blanchiment d'argent au sein de son établissement. Cette personne aura des devoirs et des responsabilités précises, qui n'ont pas encore été définis en tant que tels jusqu'à présent. Elle devra notamment présenter, chaque année, un rapport devant le conseil d'administration lequel sera tenu d'examiner le rapport et d'agir en fonction de ses conclusions. De plus, la personne nommée devra être approuvée par la FSA qui doit, par conséquent, être convaincue que la personne a la formation et l'expérience nécessaires pour remplir une telle responsabilité.

Nous nous attendons aussi à une croissance des activités internationales afin de tirer les conséquences des différents mécanismes d'identification de territoires ou pays vulnérables. Par exemple, le GAFI va publier prochainement une liste de territoires non coopératifs;  mais cette institution, comme le gouvernement du Royaume-Uni ou des Etats-Unis recommandent aussi aux établissements bancaires et financiers une vigilance renforcée lors des opérations effectuées avec des contreparties domiciliées dans certains Etats ou territoires comme la Turquie, les Seychelles, Antigua et la Barbade. Sur le plan national, il n'existe aucun mécanisme pour donner suite à ces recommandations. Nous avons donc entrepris d'introduire des règles afin de décider des actions que doit prendre une institution financière si un pays donné a été identifié par une institution internationale.

Nous pensons que le commerce électronique va constituer un défi considérable pour les autorités de contrôle et que la démarche actuelle, pour lutter contre le blanchiment d'argent, ne sera plus valable en raison de la disparition probable des barrières aux points d'entrée. Actuellement nous estimons qu'il ne faudrait peut-être plus autant contrôler le point d'entrée, mais plutôt se concentrer sur les vérifications et les contrôles après l'entrée dans le système financier. Nous recommandons aux banques de donner aux personnes en contact direct avec les clients - notamment les caissiers - les informations dont ils ont besoin pour vérifier l'identité et évaluer s'il s'agit ou non d'une transaction valable ou suspecte. En effet, un client peut venir déposer cent livres par semaine, puis commencer à augmenter la somme sans que le caissier sache si c'est une modification importante du comportement. Cette démarche va s'avérer coûteuse pour les banques, notamment en matériels informatiques.

Les banques et les institutions financières n'apprécient pas les obligations qui leur sont imposées quant à l'identification de leurs clients. Elles hésitent à accepter un système qui exigerait un investissement matériel très lourd. En ce qui concerne l'identification du client, nous introduisons également une nouvelle règle car il est souvent dit qu'au Royaume-Uni, les banques ne favorisent pas les exclus sociaux. Il est difficile pour un sans domicile fixe ou un chômeur d'ouvrir un compte en banque car il ne peut fournir les pièces nécessaires. Nous réfléchissons à la possibilité d'offrir des solutions bancaires à ces personnes, si elles peuvent présenter des références écrites et non pas seulement une facture d'électricité par exemple, comme cela est normalement demandé. Nous ne savons pas si ce type de garantie sera acceptable, mais c'est un nouveau concept que nous souhaitons introduire.

En conclusion, nous n'avons pas, pour le moment, de pouvoirs écrits qui nous permettent d'intervenir de manière préventive. Toutefois, pendant ces huit derniers mois, nos contrôleurs ont été beaucoup plus actifs et nous avons eu des cas très intéressants où nous avons pu identifier des activités non acceptables. Cela entraîne une modification de la démarche et de l'attitude adoptées jusqu'alors par les différentes autorités de contrôle regroupées désormais au sein de la FSA.

M. le Président : Dans le rapport d'évaluation du GAFI en 1996, un point important avait été soulevé qui était la difficulté à identifier les ayants droit économiques que cachent certaines sociétés ou certains comptes bancaires. L'utilisation fréquente d'avocats ou d'experts comptables spécialistes de la constitution de sociétés dissimulant ses ayants droit économiques incitaient les banques à reconnaître la difficulté de savoir qui est véritablement leur client. Cette question, depuis 1996, a-t-elle évolué et quel est votre jugement sur ce problème ?

M. John ELLIS : Selon les normes anti-blanchiment, la banque est responsable de la vérification de l'identité de son client. S'il est représenté par un avocat ou un expert comptable, ces deux catégories professionnelles doivent également respecter les normes. La banque n'a donc pas besoin de faire une diligence particulière, mais peut se fier à la diligence effectuée par le comptable ou l'avocat.

Sans doute avez-vous eu des explications sur certains problèmes impliquant des trusts ou des fiducies lors de votre visite à Man ou aux îles anglo-normandes, mais pour le moment, nous nous fions aux recommandations édictées par le groupe directeur sur le blanchiment d'argent. Ces manuels fournissent des explications détaillées quant aux bonnes pratiques en matière de lutte contre le blanchiment et certaines procédures à suivre concernant les trusts, les fiducies et autres.

Notre démarche jusqu'ici a été de fournir des conseils à la profession pour l'identification des commanditaires. Restent cependant d'autres problèmes qui ne seront pas pris en compte dans le manuel. Il s'agit entre autres de l'utilisation d'agents spécialisés dans la création et l'établissement de sociétés qui créent ces coquilles vides destinées à dissimuler les ayants droit économiques.

Nous avons là une faiblesse que le gouvernement a reconnue. En effet, ces agents spécialisés dans l'établissement de sociétés ne sont pas tenus de respecter les normes. Le gouvernement va probablement présenter un projet de loi, dans un avenir proche, pour remédier à cette situation.

M. James LONDON : De toute façon, nous devons respecter les directives, et le principe général est qu'une institution financière doit obligatoirement identifier les ayants droit économiques. En ce qui concerne les personnes qui se spécialisent dans la création d'entreprises, toutes les parties concernées ont identifié ces agents comme présentant un problème. Je ne pense pas vraiment que le gouvernement a l'intention, pour le moment, de soumettre l'activité de ces personnes à une réglementation particulière, mais il croit à un remède proportionnel au problème posé ainsi qu'à une analyse du bénéfice par rapport au coût.

Comme plus de dix mille de ces personnes se sont spécialisées dans la création d'entreprises, nous aurions des difficultés à créer un système pouvant réglementer de manière adéquate ces activités. Je suis moins optimiste que M. Ellis quant à l'intention du gouvernement de procéder à des mesures pour réglementer ces personnes.

M. John ELLIS : En fait, j'ai dit que le gouvernement avait identifié la faiblesse dans le système, en ce qui concerne nos défenses contre le blanchiment d'argent, et qu'il pourrait peut-être un jour décider de procéder à une action précise, mais c'est tout ce que je peux vous dire. Ce n'est pas un problème pour la FSA car elle ne s'en occupe pas.

M. le Président : Merci de cet entretien.

Audition de MM. Vincent HARVEY,
Directeur de la Division Royaume-Uni du NCIS,

et Andy BLEZZARD,
Responsable de l'Unité financière du NCIS

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, Président

M. Vincent HARVEY : Je suis directeur de la division Royaume-Uni du NCIS et Andy Blezzard, responsable de l'unité financière du NCIS. Je vais tout d'abord vous situer le NCIS, parce que nous sommes différents de bien d'autres organismes dans ce domaine, de par le monde. Nous pourrons ensuite passer aux questions.

Le NCIS est un organisme indépendant des structures administratives. Nous avons nos propres structures de gestion et nous ne dépendons pas hiérarchiquement d'un ministre. Le Gouvernement est néanmoins responsable de notre financement et du cadre législatif. Nous nous concentrons principalement sur la grande criminalité, c'est-à-dire les deux cents criminels qui nous préoccupent le plus, qu'ils soient résidents du Royaume-Uni ou à l'étranger.

A la différence des structures décentralisées habituelles au Royaume-Uni, nous sommes compétents pour tout le territoire avec une équipe en Ecosse et une en Irlande du Nord. Nous regroupons en fait environ vingt-quatre agences, essentiellement de la police et des douanes.

Nous avons certaines responsabilités sur l'ensemble du territoire national qui vont des supporters de football jusqu'à la contrefaçon, la criminalité financière, etc. Nous avons aussi des fonctions de soutien technique - écoutes téléphoniques, etc. - sur la base de commandes gouvernementales.

Si nous nous intéressons plus particulièrement à une personne, nous pouvons consulter différents organismes dépendant du Gouvernement, que ce soit pour des questions de fiscalité ou de fraude douanière, afin de rassembler des informations. Nous sommes limités par les lois régissant les documents d'identité personnels, mais nous essayons d'apporter certaines modifications aux lois qui nous gèrent.

Nous sommes en fait le point intermédiaire entre les différentes forces de police. C'est la police qui est chargée de la criminalité organisée, mais c'est à nous de décider si un dossier doit être traité par la police, en lui offrant un contrôle et un support technique.

Nous avons plusieurs méthodes de travail. D'abord nous devons comprendre comment fonctionne la criminalité dans notre pays. Pour cela, nous menons, chaque année, une étude globale en vue de déceler les nouvelles tendances. Par exemple, nous avons une unité spécialisée sur le Nigeria, pays très important pour la criminalité en Angleterre. Il y a également les groupes turcs qui importent de l'héroïne. Avant de mener ce type d'étude de manière régulière, nous mettions un certain temps à déceler ces nouvelles tendances.

Nous essayons de comprendre comment fonctionne la criminalité organisée et comment les groupes de criminels s'organisent. Par exemple, nous nous concentrons actuellement sur les problèmes d'identité, afin d'identifier les clandestins qui commettent des délits ou qui entrent dans le pays en utilisant l'identité de quelqu'un d'autre. Il s'agit d'infractions qui ne font pas partie des statistiques traditionnelles. Nous essayons d'influencer les modèles de permis de conduire et de passeport pour enrayer cette nouvelle catégorie d'infractions.

Nous avons une division internationale où travaillent notamment les officiers de liaison pour Europol et Interpol. Nous voulons en fait organiser le guichet unique. S'agissant des demandes de l'étranger venant vers le Royaume-Uni, nous essayons de coopérer avec la division internationale pour faire en sorte qu'il n'y ait qu'un seul appel téléphonique pour obtenir la réponse. A l'inverse, si quelqu'un souhaite se renseigner sur une personne à l'étranger, il peut se tourner vers la division internationale qui collaborera avec notre division pour offrir les informations voulues.

Des officiers de liaison, rattachés à la division internationale, sont également répartis en Europe, notamment le long de la route de l'héroïne entre la Turquie et le Royaume-Uni. D'ailleurs, lorsque le Royaume-Uni fera partie des accords Schengen, ce qui est apparemment imminent, le système SIREN sera basé ici. Tout sera organisé au mieux pour améliorer la coopération.

Notre dernière fonction est d'offrir une assistance aux forces de police, par exemple dans la collecte de renseignement, le travail et la formation des analystes. Nous avons récemment élaboré des manuels sur la future intégration de la convention européenne des droits de l'homme dans notre législation. Cette convention va avoir un impact très important sur notre travail. La convention a déjà été intégrée en Ecosse et pose des problèmes de compatibilité avec le système juridique du pays.

Pour résumer, nous sommes le guichet unique pour toute la criminalité allant des crimes de guerre aux hooligans.

M. le Président : Merci beaucoup. Combien y a-t-il de personnes pour assurer toutes ces tâches ?

M. Vincent HARVEY : Nous avons sept cents personnes dans tout le Royaume-Uni.

M. le Président : Comme vous nous avez mis l'eau à la bouche en nous indiquant que vous étiez les mieux à même de nous expliquer quelles sont les évolutions de la criminalité organisée, pourriez-vous nous préciser le type de nationalité, de délinquance, etc. ?

M. Vincent HARVEY : Notre étude portait uniquement sur le Royaume-Uni, mais en l'effectuant, nous avons consulté nos officiers de liaison répartis partout dans le monde, y compris ceux qui s'occupent des douanes. Dans le domaine de la criminalité, la drogue et le trafic de drogue alimentent tout le reste.

S'agissant de la nationalité, nous avons, au Royaume-Uni, une pègre bien établie. Il est donc très difficile pour un étranger de venir s'y établir. Il sera repoussé très rapidement par les criminels déjà implantés et qui sont résidents en Grande-Bretagne.

Concernant l'importation d'héroïne, elle est essentiellement le fait de groupes turcs, avec des communautés bien établies à Londres et à Liverpool, et un blanchiment d'argent par la suite, par l'intermédiaire des usines et des clubs turcs. Le trafic de cocaïne est organisé à partir du Royaume-Uni et distribué par des criminels britanniques. Nous avons également une consommation très élevée de drogues type ectasy et synthétiques qui sont fabriquées sur commande aux Pays-Bas et importées par Douvres. Le trafic est organisé par des criminels britanniques.

Concernant les nouveaux types de délinquance, on voit de plus en plus apparaître des groupes ethniques, surtout liés à une nouvelle délinquance. Par exemple, la fréquence des enlèvements a augmenté. Ils ont très souvent lieu entre revendeurs de drogue chinois, et la rançon sera payée en Chine.

Un des grands secteurs de la délinquance est le vol d'automobiles et de motos, dont un tiers sont exportées. L'année dernière, plus de motos ont été volées que vendues, surtout les grosses cylindrées, notamment contre de la drogue. Les vols concernent également les bulldozers et autres engins de terrassement. Les motos vont au Moyen Orient et en Irlande du Nord par conteneurs, les voitures en Espagne et en Afrique. C'est une délinquance que nous commençons tout juste à explorer. Je cite le cas des motos parce que nous avons pu identifier un criminel qui finançait les terroristes de l'IRA par la vente de motos.

Il y a également l'immigration, notamment les Chinois et les Indiens, avec un itinéraire qui va de la Chine et de l'Inde vers le Royaume-Uni en passant par la Russie et l'Allemagne. C'est une criminalité très violente et d'une grande ampleur. Les personnes transitent de pays en pays après avoir payé la somme nécessaire.

Je dois citer également les Nigérians au titre des escroqueries car c'est une affaire extrêmement importante. Nous interceptons environ 500 000 lettres frauduleuses par an. Les Etats-Unis interceptent 1,5 million de lettres aux aéroports. Vous voyez l'énormité du problème. Maintenant les groupes nigérians envoient leurs lettres de l'Afrique du Sud car ils ont compris que nous interceptions chaque lettre timbrée au Nigeria. C'est un problème énorme car ils sont présents dans tous les pays du monde.

M. le Rapporteur : Nous avons constaté en France, en matière de délinquance et de blanchiment, notamment dans des dossiers de corruption politique et économique, que l'argent transite souvent par le Luxembourg ou la Suisse. Toutefois, la deuxième destination, après la Suisse, pour nous Français, c'est la Grande-Bretagne et Londres notamment. Avez-vous une analyse particulière des raisons pour lesquelles la place de Londres est ainsi utilisée ?

M. Andy BLEZZARD : Je vais tout d'abord vous situer mon service et ensuite, je répondrai à cette question. Notre service a été établi en 1987. Comme c'est le premier à avoir été établi, nous avons le plus d'expérience, mais nous avons été aussi le premier à commettre le plus d'erreurs en raison de son ancienneté.

Nous pouvons utiliser les moyens des renseignements criminels, mais nous nous occupons en fait plutôt des renseignements financiers. Pour le NCIS, c'est l'argent qui est à la base de tout, que ce soit la drogue, l'immigration ou autre. L'argent est le dénominateur commun.

Le système du Royaume-Uni est caractérisé par l'importance des organismes veillant à l'application des lois. Les renseignements que nous recevons, notamment des déclarations de soupçons qui sont établies par les institutions financières, sont transmis par nos services aux organismes responsables de la mise en application des lois. Dans 99 % des cas, nous transmettons directement aux services de la police les renseignements qui nous sont fournis.

Nos services sont très proches de ceux de TRACFIN. Nous recevons les déclarations de soupçons, nous les analysons et ensuite nous les transmettons à la police. Ainsi les institutions financières ont conscience qu'une suite sera donnée dès lors qu'une déclaration de soupçons aura été transmise. Au cours des six ou sept dernières années, nous avons reçu chaque année quinze mille déclarations de soupçons et, en 1999, nous avons reçu cinq mille demandes de consultation de notre base de données qui est un instrument propre à l'unité financière.

M. le Rapporteur : Ce chiffre de quinze mille concerne-t-il les personnes qui sont visées par les déclarations de soupçons ou le nombre de déclarations de soupçons ? Il y a un débat parmi les membres du groupe Egmont sur ce point.

M. Andy BLEZZARD : C'est une déclaration établie par les institutions financières concernant une transaction liée à un compte bancaire. Cela nous a pris deux ans pour mettre au point un nouveau système informatique. C'est pourquoi j'ai dit que nous avions commis beaucoup d'erreurs.

Jusqu'ici notre système a été basé sur support papier. Mais nous souhaitons établir un système entièrement informatisé qui nous permettra de recevoir les déclarations des institutions financières par ordinateur. Une recherche automatique sera lancée pour établir des liaisons éventuelles avec d'autres types de fraude ou d'infraction. Ensuite, nous transmettrons automatiquement par ordinateur ces dossiers aux services de police compétents.

En effet, avec quinze mille déclarations à traiter chaque année, il est difficile de continuer avec un système sur support papier. Nous espérons achever le système d'ici trois ans et avoir convaincu la police et les institutions financières de faire toutes les opérations électroniquement.

M. le Président : Sur les quinze mille déclarations que vous recevez, combien sont envoyées à la police et la douane ?

M. Andy BLEZZARD : Dans tous les cas, sur les quinze mille, 14 800 seront envoyées immédiatement à la police. Pour le reste, il s'agira de transactions importantes, d'affaires où nous n'avons pas identifié l'auteur présumé ou d'affaires politiques trop sensibles pour les envoyer immédiatement à la police. Nous conservons ces dossiers par-devers nous, nous les étudions, et au moment approprié, nous les enverrons à la police pour traitement.

On adresse le dossier seulement aux spécialistes dans les forces de police concernées, car il faut respecter la confidentialité.

M. le Président : Quel retour avez-vous par rapport à vos envois et à combien de condamnations a donné lieu ce nombre très impressionnant de déclarations de soupçons envoyées à la police et aux douanes ?

M. Andy BLEZZARD : Il ne faut pas oublier qu'il y a toujours un certain décalage concernant les résultats par rapport à la déclaration. Le taux de condamnation augmente d'année en année. Une déclaration de soupçons, faite en 1987, donnera lieu à une enquête en 1988, suivie éventuellement d'une condamnation deux ans plus tard. Nous aurons peut-être 230 à 250 arrestations d'auteurs présumés, mais il s'agira, pour la plupart, de cas importants (trafic de drogue, évasions fiscales, fraudes).

Si une personne fait l'objet d'une enquête policière, nous en sommes informés. Si nous recevons des déclarations de soupçons d'une autre source, nous pouvons retransmettre ces informations aux policiers qui traitent l'affaire en question. Cela signifie qu'il y a peut-être des condamnations indirectes et qui ne relèvent pas directement des déclarations reçues.

M. le Président : Les services de police et les douanes vous informent-ils en retour ou non ?

M. Vincent HARVEY : Jusqu'ici, nous n'avons pas eu régulièrement ces réponses, mais en principe avec le système électronique, nous devrions recevoir automatiquement les réponses.

M. Andy BLEZZARD : Il est très important d'avoir un retour. Cela nous est difficile du fait que nous n'avons aucun contrôle sur l'enquête. Avec la banque de données que nous allons mettre en application, les forces de police auront un message à l'écran qui leur indiquera de donner, dans la journée, un retour sur certains cas. Dans l'ancien système, qui a huit ans et est basé sur une technologie totalement dépassée, nous avions des retours dans environ 55 à 60 % des cas. Ce taux n'était pas merveilleux, mais il était néanmoins meilleur que celui de nombreux autres services dans le monde.

M. le Président : La question du rapporteur portait sur les raisons de l'attirance des capitaux sales pour le Royaume-Uni. Comment expliquez-vous cette attractivité de la place de la City pour la délinquance financière ?

M. Andy BLEZZARD : Lorsque vous dites que Londres est la deuxième destination, est-ce votre impression ou le résultat d'une étude ?

M. le Rapporteur : C'est le résultat des demandes de coopération judiciaire. La Suisse est notre première destination de demandes de coopération judiciaire, la deuxième étant la Grande-Bretagne, puis le Luxembourg. La Suisse est très largement devant et la deuxième destination, elle aussi très significative, c'est la Grande-Bretagne. Chaque fois qu'un dossier de délinquance financière et de blanchiment fait l'objet d'un signalement à TRACFIN en France et donne lieu à l'ouverture d'une information judiciaire et des poursuites pénales, la deuxième destination est la Grande-Bretagne. Comment analysez-vous cela ?

M. Andy BLEZZARD : Lorsque vous parlez de la coopération judiciaire, s'agit-il de demandes concernant uniquement le blanchiment d'argent ou l'ensemble des demandes ?

M. le Rapporteur : L'ensemble des demandes.

M. Andy BLEZZARD : Je vais vous indiquer ce que nous avons fait comme recherches, puis je vous dirai un mot sur notre collaboration avec TRACFIN. S'agissant de nos recherches, nous avons consulté les différentes agences, la police etc., en leur demandant, lorsqu'il s'agit de criminalité financière, la destination des capitaux. Ce n'est pas nécessairement basé sur la demande de coopération judiciaire car plusieurs pays peuvent être impliqués dans le blanchiment d'argent.

Selon les résultats de cette enquête, les pays destinataires sont, par ordre d'importance, l'île de Man, Jersey et Guernesey, la France, l'Espagne, les Pays-Bas, et ensuite les Etats-Unis, les Caraïbes et la Suisse. Notre conclusion, dans le cadre de ces recherches, c'est que les criminels préfèrent garder la main sur leur argent. Ils ne veulent pas le laisser partir trop loin, ils veulent pouvoir y accéder facilement. Nous avons eu des discussions avec les Etats-Unis pour lesquels l'argent est surtout blanchi aux Caraïbes. Lorsque les fonds apparaissent à Londres, tout le monde a tendance à croire qu'il s'agit d'argent propre, étant donné la grande réputation de nos systèmes de lutte contre le blanchiment d'argent.

Concernant TRACFIN, nous avons de très bonnes relations et nous avons signé un mémorandum d'entente il y a trois ans. Par la suite, il y a eu un échange de personnels car il est très important que chacun comprenne les deux législations. Il faut créer un climat de confiance pour que les deux parties soient convaincues que le secret sera respecté.

L'année dernière, les demandes de renseignement de TRACFIN n'ont concerné que deux dossiers alors que les nôtres ont concerné six dossiers. Il y a une raison cachée à cela. Cela tient aux initiatives de notre unité d'innovation et de performance au Cabinet office qui est chargée, plus particulièrement en ce moment, de la saisie et de la confiscation des biens.

Nous avons compris qu'il était nécessaire d'améliorer nos procédures et c'est la raison pour laquelle nous avons fait faire cette étude par nos services. En ce moment, j'ai trente-trois employés alors que je devrais en avoir le double, voire plus. S'il y a une interaction limitée entre TRACFIN et le NCIS, c'est parce que nous devons transmettre ces quinze mille dossiers à la police du Royaume-Uni aussi rapidement que possible. Je peux identifier, dans le lot, quelques cas dont il faudrait aviser TRACFIN, mais étant donné le nombre peu élevé de collaborateurs à ma disposition, j'ai tendance à faire mon métier de base, c'est-à-dire transmettre les dossiers à la police britannique.

M. le Président : Dans ces effectifs, avez-vous seulement des policiers et des douaniers, ou avez-vous également des analystes financiers et des spécialistes des questions financières ?

M. Andy BLEZZARD : A l'heure actuelle, l'équipe comprend treize civils en charge de l'informatique. Je dispose d'un analyste stratégique, mais dans le cas de dossiers importants, je peux demander des moyens supplémentaires que je n'obtiens pas toujours. D'ailleurs cela fait partie de nos difficultés, car étant donné la jeunesse de notre service, nous sommes en pleine évolution. Je dispose également de onze responsables du renseignement, trois policiers, deux douaniers, un représentant du ministère de la Défense car nous avons de gros marchés pour ce ministère et beaucoup de corruption, et deux personnes des services fiscaux. Nous ne pouvons pas demander d'informations au fisc, mais en revanche, nous sommes autorisés à lui en envoyer pour les cas d'évasion fiscale.

Je dispose d'un policier des services spéciaux et d'un représentant des douanes américaines. C'est un peu curieux, mais par le passé, grâce à une collaboration entre nos deux services, nous avons pu identifier un cas de fraude considérable. Pour les Etats-Unis, il est donc utile d'avoir une personne chez nous. Mais il y a quand même des limites en ce qui concerne la confidentialité des renseignements que nous leur communiquons. Nous avons également un représentant des autorités réglementant les jeux et paris et un représentant de l'autorité de régulation des services financiers.

Il est très important, pour le NCIS, de disposer de cette variété de compétences, car pour bien identifier la criminalité sur la base des déclarations, il me faut beaucoup d'experts.

Il est intéressant de savoir que lorsque notre unité a été créée, le Gouvernement ne l'a pas dotée de financement. Il avait été supposé que la police s'en chargerait. Mais après l'étude menée par les services d'audit au Cabinet office, nous allons obtenir des ressources financières supplémentaires, ce qui nous permettra de doubler les effectifs.

Je vais renforcer notamment notre expertise en analyse. J'ai besoin de beaucoup plus d'analystes statistiques et stratégiques pour bien comprendre les évolutions et affiner les renseignements transmis à la police, sur la base des déclarations que nous recevons. Nous ne voulons pas trop développer ce sujet car le Premier ministre doit faire une annonce à ce sujet.

M. le Rapporteur : Lorsque vous recevez une déclaration de soupçons, avez-vous le pouvoir de retourner vers l'établissement financier et de lui demander des compléments d'information pour étendre votre investigation, à partir de la transaction suspecte afin d'approfondir son contexte ?

M. Andy BLEZZARD : Nous avons la possibilité de nous adresser à la banque pour demander des renseignements sur une base informelle. Comme nous avons de très bonnes relations avec les banques, nous pouvons obtenir les renseignements voulus. Mais les banques ont aussi la possibilité de refuser auquel cas il faut se tourner vers les tribunaux. Si nous avons les renseignements, nous devons décider si nous avons besoin ou non des justificatifs pour établir les preuves. Nous devons alors nous tourner vers les tribunaux pour obtenir une injonction qui autorisera la banque à violer le secret professionnel.

M. le Rapporteur : Quelle est la condition pour obtenir un complément d'information devant un tribunal ?

M. Andy BLEZZARD : Nous devons avoir des motifs valables de suspecter que la personne soit impliquée dans un blanchiment d'argent ou un délit.

M. le Rapporteur : Est-ce vous ou la police qui va devant le tribunal ?

M. Andy BLEZZARD : C'est en principe la police, mais comme je suis un policier assermenté, ce n'est pas nécessaire. Nous évoquons le sujet au niveau politique en vue d'entreprendre nous-mêmes cette démarche.

M. le Rapporteur : Considérez-vous que vous disposez des mêmes pouvoirs lorsque vous êtes saisi par un service de renseignement étranger que lorsque vous êtes saisi par une déclaration de soupçons en provenance d'un établissement financier britannique ?

M. Andy BLEZZARD : Si cette demande de renseignement précise l'établissement financier concerné, nous pouvons le contacter pour demander des renseignements. La banque généralement répond de façon positive, en précisant que les informations sont données à titre de renseignement confidentiel.

Toutefois, si nous donnons ces informations à la banque, elle est obligée par la suite de poursuivre et de faire une enquête interne pour voir s'il y a eu des transactions suspectes, ce qui débouchera peut-être sur une déclaration adressée à nos services. Si la banque répond par la négative en disant qu'elle ne constate rien de particulier, nous pouvons alors nous retourner vers le pays requérant en lui demandant des précisions sur les renseignements voulus et les moyens de preuve. Nous pouvons, dans un deuxième temps, nous retourner vers nos tribunaux pour une injonction obligeant la banque à révéler des informations.

Toutefois, si on sait seulement qu'il s'agit de la Barclays à Londres mais sans savoir quelle est l'agence, on peut faire une enquête informelle par l'intermédiaire d'Interpol, mais ce serait uniquement dans un cas très important en raison du nombre de banques et de titulaires de comptes.

M. le Rapporteur : Je vous pose cette question car j'ai là toutes les commissions rogatoires des juges français, espagnols, italiens qui ne parviennent pas à obtenir des informations bancaires en utilisant le terrain judiciaire. Vous nous expliquez qu'en utilisant la coopération informelle de service de renseignement à service de renseignement, on peut y parvenir plus facilement.

M. Andy BLEZZARD : Pas tout à fait. Vous devez faire la différence entre renseignements et preuves. Les preuves concernent la coopération judiciaire traditionnelle. Nous ne sommes pas concernés par les preuves. TRACFIN et NCIS doivent pouvoir échanger des renseignements rapidement pour suivre les fonds, pour permettre éventuellement d'obtenir des preuves.

M. le Rapporteur : Quand nous demandons des preuves par le biais de la coopération judiciaire, on nous demande des informations que nous n'avons pas car nous utilisons les moyens judiciaires pour obtenir ce que vous appelez l'information.

M. Andy BLEZZARD : Nous voulons faire en sorte que notre unité financière soit le point de contact pour tous ces renseignements. Le sujet est délicat et nous pensons qu'il y aura des problèmes si la police s'en charge au Royaume-Uni. Si nous avons ici une déclaration de soupçons, nous pouvons demander à TRACFIN d'obtenir les renseignements, et TRACFIN s'adressera directement à la banque. Au Royaume-Uni, nous ne pouvons pas faire cela, mais de manière informelle, nous avons la possibilité d'obtenir rapidement les renseignements.

M. le Rapporteur : Nous voulons seulement obtenir des informations pour établir la preuve. Vos procédures judiciaires sont beaucoup plus exigeantes que les nôtres.

M. Vincent HARVEY : Comme nous l'avons dit, il s'agit d'offrir des informations à titre de renseignement confidentiel et non pas pour les preuves. Il ne s'agit pas uniquement de la relation entre la France et l'Angleterre. Dans le cadre du groupe Egmont, il y a cinquante-trois pays. Nous souhaitons établir des accords avec chacun de ces pays pour mettre en place un échange de renseignements rapide. En effet, nous ne pouvons pas attendre l'utilisation des procédures judiciaires car c'est beaucoup trop long. Au final, nous aurons des liaisons automatiques avec TRACFIN pour un échange rapide d'informations.

M. le Rapporteur : Vous avez instauré, dans la loi en Grande-Bretagne, des sanctions pénales pour absence de déclarations de soupçons. En France, un débat a actuellement lieu sur le renforcement de l'arsenal permettant de lutter contre le blanchiment, sur la question de savoir s'il faut des sanctions pénales en cas de non-déclaration de soupçons. Cela exige une part d'intentionnalité, c'est-à-dire d'accomplissement de l'infraction en connaissance de cause par l'établissement bancaire ou toute autre personne assujettie à la déclaration de soupçons. Vous qui recevez les déclarations de soupçons, quel bilan faites-vous de ces sanctions pénales ? Sont-elles positives ou, au contraire, ont-elles trop d'effets pervers ?

M. Andy BLEZZARD : Les sanctions sont de cinq ans d'emprisonnement et, depuis 1987, quatre procès ont eu lieu.

Le grand problème au Royaume-Uni vient des avocats et des comptables qui sont tenus de faire des déclarations. Toutefois, l'année dernière, nous n'avons reçu que 180 déclarations émanant de ces professions sur les quinze mille, ce qui est peu. Très souvent, ces personnes ne voient uniquement que ce qu'elles veulent voir et arrivent très facilement à se convaincre qu'il n'y a rien de suspect ou de criminel dans ce qu'elles font. Nous sommes en train d'étudier, sans être encore parvenu à une conclusion, le moyen d'améliorer le respect de la loi.

M. le Rapporteur : S'agissant d'avocats, c'est préoccupant !

M. Vincent HARVEY : Mais nous sommes en train d'introduire un nouveau système informatique. Les avocats et les comptables vont tous recevoir une disquette, ce qui va leur faciliter le travail. Ils ne pourront plus arguer du fait qu'ils n'ont pas le matériel pour faire les déclarations. D'ailleurs nous allons préparer des formulaires qui indiqueront exactement ce qu'il faut révéler. Puis, après un temps de transition, nous leur dirons qu'ils ont eu leur chance. S'ils n'ont pas fait de déclarations, ils en paieront les conséquences.

M. le Rapporteur : Quelle est la position de la Law Society sur ce point ?

M. Andy BLEZZARD : Il y a un débat en cours. Très souvent, les avocats se cachent derrière le respect de la volonté du client. Le client n'ayant rien dit, ils ne pouvaient pas savoir qu'il s'agissait d'argent sale. Pour notre part, nous disons que cette justification est loin d'être suffisante, il faut faire mieux. Nous allons d'abord poursuivre ceux qui s'occupent de criminels ou qui blanchissent de l'argent pour les Russes car nous pouvons les repérer.

Concernant la Law Society, comme elle ne veut pas de corruption parmi ses membres, elle est obligée de soutenir nos actions. Sur le plan pratique, si un avocat me contacte en me soumettant sa situation, je peux lui répondre que la Law Society a un service spécialisé pour le blanchiment de l'argent. Il peut donc contacter la Law Society pour évaluer son cas pratique et ensuite, il nous recontacte pour faire sa déclaration.

Nous parcourons le monde pour faire passer ce message. Nous venons d'envoyer un représentant au parlement canadien pour expliquer à ses membres qu'il est possible de poursuivre les avocats.

M. le Président : Avez-vous repéré des banques qui ne font aucune déclaration de soupçons ? Par ailleurs, où en êtes-vous s'agissant des bureaux de change ?

M. Andy BLEZZARD : Avec notre nouveau système, nous pourrons tout vous dire sur les statistiques concernant les différents établissements financiers. Ce n'était pas le cas avec l'ancien système qui ne nous permettait pas de faire des statistiques. Concernant les bureaux de change, ils ne sont pas réglementés et ne sont pas touchés par les régulations au Royaume-Uni, mais nous essayons de faire modifier le système en ce sens.

Nous avons de très bonnes relations avec les grands bureaux de change, mais s'agissant des petits, autour des gares principales par exemple, nous craignons qu'ils ne fassent du blanchiment d'argent. Nous souhaitons donc les assujettir à la réglementation. En tant que policiers, nous n'avons pas de pouvoirs pour contrôler leurs dossiers, mais les bureaux de change doivent néanmoins respecter la directive de l'Union européenne concernant le blanchiment d'argent. J'espère que la situation changera bientôt.

Concernant les statistiques, nous exerçons une pression sur les avocats parce que nous publions, chaque année, les chiffres des déclarations de soupçon par profession, ce qui provoque parfois des réponses violentes de la part des avocats. Quant aux bureaux de change, il peut être utile de renforcer leur surveillance. Récemment, nous avons eu de bons résultats, notamment dans les cas de trafic de drogue. Nous avions envoyé des contrôleurs dans les bureaux de change soupçonnés de faire du blanchiment d'argent. Nous estimons qu'il faut réglementer et contrôler systématiquement les bureaux de change alors que la police a tendance à dire qu'il faut simplement les surveiller.

M. le Rapporteur : Nous sommes allés à l'île de Man et Jersey. Vos homologues, responsables de l'unité de renseignement financier, nous ont indiqué qu'ils adressaient la totalité de leurs déclarations de soupçons au NCIS. Est-ce exact et quel usage en faites-vous ? Comment fonctionne la coopération avec ces territoires ?

M. Andy BLEZZARD : En fait, nous avons un système d'échange avec Jersey, Guernesey et l'île de Man, comme nous souhaitons l'avoir avec les Pays-Bas, la France et les autres pays européens. D'ailleurs, dans le contexte de l'amélioration de nos systèmes informatisés, nous lançons une étude pilote avec les Pays-Bas par laquelle toutes leurs déclarations de soupçons seront renvoyées automatiquement chez nous. En effet, très souvent, il nous est rapporté que l'argent a été envoyé à Londres, mais nous ne parvenons pas à identifier son origine. Nous perdons sa trace après quelques étapes.

Actuellement, nous pensons perdre environ 8 % des traces dans ce type de situation. Nous avons déjà indiqué, lors de discussions avec la Belgique et TRACFIN, que nous aimerions organiser ce type d'échange automatique lorsque l'étude pilote sera lancée.

Concernant les îles, nous recevons des renseignements, mais je ne peux dire si nous recevons la totalité, et ces îles sont traitées comme les autres pays. En d'autres termes, nous devons les consulter si nous voulons transmettre à un tiers les informations reçues. Mais je dois dire que nous obtenons beaucoup de déclarations des îles.

M. le Président : Merci beaucoup pour cet entretien fort intéressant.

Metropolitan Police Fraud Squad
Audition de MM. Tristram HICKS,
Chef de l'unité du renseignement,

David TUFFY,
chargé de la formation internationale,

et Paul LAFFAN, enquêteur

(extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. Tristram HICKS : Je vais me présenter et vous décrire le fonctionnement du service. Ensuite nous vous exposerons un cas particulier de blanchiment d'argent. Je suis inspecteur de police et responsable de trois services, du Metropolitan Police Fraud Squad qui a uniquement en charge la ville de Londres, la place financière de la City ayant sa propre police et ses propres services de lutte contre la fraude. Il y a bien sûr des échanges entre nous, mais il s'agit de deux forces de police indépendantes.

Nous ne sommes pas concernés par des crimes ou délits qui auraient lieu en dehors de Londres, néanmoins si un délit transite par Londres, nous sommes alors saisis. Le Metropolitan Police Fraud Squad compte cent vingt policiers dont douze officiers dans mes services. Il s'agit d'abord d'un service des affaires internationales constitué de quatre officiers qui traitent les demandes provenant de pays étrangers. Si une commission rogatoire internationale est envoyée au ministère de l'Intérieur, celui-ci nous adressera la demande pour traitement.

Le deuxième service dont je suis responsable est celui du renseignement qui travaille essentiellement sur des bases de données informatiques. Le troisième service est l'unité de développement et d'enrichissement des renseignements dont font partie mes collègues ici présents. Nous exploitons les renseignements fournis par le NCIS, dans le cadre des déclarations de soupçons, afin de constituer un dossier susceptible d'être traité devant les tribunaux.

Je vais passer la parole à Paul Laffan qui va vous faire une courte présentation sur un cas d'espèce de blanchiment d'argent. Le procès est en cours. C'est pourquoi je ne souhaitais pas la présence d'un journaliste.

M. Paul LAFFAN : Je travaille à la police métropolitaine depuis onze ans et depuis deux ans, je suis enquêteur au Metropolitan Police Fraud Squad.

En octobre 1998, nous avons commencé à enquêter, suite à une information, sur un cas de fraude organisé par des Nigérians. Cette présentation a pour objectif de vous exposer les mécanismes d'un dossier en cours de blanchiment d'argent au Royaume-Uni. Je vais vous expliquer les stratégies utilisées pour obtenir les preuves nécessaires et évoquer les problèmes pratiques rencontrés au cours des investigations.

Nous avons commencé à enquêter sur une affaire d'escroquerie dans laquelle un dépôt d'argent était demandé par des Nigérians, mais nous avons découvert par la suite qu'il s'agissait de blanchiment d'argent. Nous avons été informés, de source non policière, qu'une chambre d'hôtel avait été réservée en vue d'une réunion avec des Nigérians. Nous soupçonnions qu'une victime de l'escroquerie allait participer à cette réunion.

Après avoir organisé la surveillance de la salle de conférence de l'hôtel, nous avons attendu l'arrivée de la victime et des auteurs présumés, et laissé démarrer la réunion. Après quelques minutes, nous avons interrompu la réunion, arrêté quatre suspects nigérians et identifié une victime de nationalité allemande, qui avait perdu 50 000 livres. Nous avons lancé une enquête financière sur les auteurs présumés et la victime, pour savoir ce qu'il était advenu de l'argent. Le but de cette enquête était d'établir si l'un ou l'autre des auteurs présumés avait pu bénéficier du produit de l'escroquerie identifiée ou supposée.

Nous avons traduit devant la justice quatre hommes, accusés de cette fraude type 419. Par la suite, nous avons identifié deux hommes et deux femmes, accusés d'avoir blanchi l'argent produit par deux autres escroqueries de ce type.

Je vous donne quelques explications quant au mécanisme de la fraude type 419. La victime reçoit une lettre (distribution d'un exemplaire en anglais). Ces lettres, qui sont envoyées partout dans le monde, offrent la possibilité de recevoir une somme importante d'argent si le destinataire de la lettre donne son numéro de compte bancaire. L'argent est censé venir de la Banque centrale du Nigeria, mais bien évidemment, cet argent n'existe pas. Nous avons pu identifier une victime de nationalité italienne, une autre allemande et une autre française. On retrouve des groupes de Nigérians, soupçonnés de participer à cette escroquerie, dans tous ces pays.

Les auteurs présumés sont en communication constante. A réception de la lettre, la victime envoie au Nigeria une télécopie avec ses coordonnées bancaires. Puis les suspects lui font parvenir une documentation qui semble tout à fait officielle. Après envoi de la documentation, la victime est informée qu'elle recevra la somme d'argent indiquée dès lors qu'elle aura réglé les frais administratifs. C'est alors qu'il y a escroquerie car les fonds n'existent pas, mais la victime est convaincue qu'il lui faut payer des frais administratifs pour libérer l'argent.

Pour nous, il est clair que c'est une proposition aberrante, mais au regard des milliers de lettres envoyées aux victimes potentielles, deux ou trois réponses suffisent pour réaliser des gains énormes. Ce type d'escroquerie ne donne pas nécessairement lieu à une enquête dans tous les pays. Nous nous y intéressons, mais du point de vue du blanchiment d'argent. En effet, très souvent, les victimes sont peu crédibles. Même s'il s'agit d'un cas d'escroquerie flagrant, nous préférons poursuivre l'enquête sous l'angle du blanchiment d'argent, en examinant la réception de fonds frauduleux et la facilitation du transfert de tels fonds. C'était d'ailleurs le cas dans cette affaire.

M. David TUFFY : Il est important de savoir que la victime vient toujours d'un autre pays. Si c'est un Français, il devra venir en Angleterre pour recevoir les sommes d'argent. L'intérêt de traiter ces affaires sous l'angle du blanchiment, c'est que l'on peut poursuivre en justice ces délinquants sans avoir à faire venir d'un autre pays les victimes qui très souvent sont peu crédibles. On parvient ainsi à apporter une preuve de blanchiment d'argent sans avoir à traiter de l'escroquerie à proprement parler.

M. Paul LAFFAN : Dans le cas que je vous présente, la victime allemande avait reçu sa lettre et réglé ses frais administratifs au Nigeria. En fait, nous avons identifié deux autres cas similaires. La victime commençant à avoir des soupçons quant à l'existence du contrat, les suspects, pour la convaincre qu'il y avait effectivement de l'argent, l'ont fait venir à Londres et ont sorti une valise dans laquelle il y avait une première couche de dollars américains et en dessous du papier.

Nous avons arrêté les quatre hommes, lancé notre enquête financière et identifié deux membres de leur famille dont les comptes bancaires étaient utilisés pour recevoir le revenu généré par l'escroquerie. Des sommes très importantes transitaient par leurs comptes, ce qui ne cadrait absolument pas avec leurs professions car il s'agissait d'une infirmière et d'un étudiant. Leurs revenus officiels n'expliquaient pas le passage de 250 000 livres sur chacun de leur compte bancaire.

Après avoir contacté les banques concernées, nous avons constaté qu'elles avaient elles aussi repéré ces transactions suspectes. J'ai ainsi pu bénéficier de renseignements de leur part, ce qui m'a beaucoup aidé dans mon enquête.

Nous avons identifié et arrêté les deux femmes qui blanchissaient l'argent sale. Nous avons découvert que le Français avait dépensé 76 000 livres en vue de gagner beaucoup plus, et l'Italien 250 000 livres. Les suspects avaient en leur possession des lettres de tous les pays du monde.

M. le Président : En France, ces lettres sont envoyées aux notaires et autres.

M. David TUFFY : La lettre que nous vous avons distribuée a été reçue le 26 mai. Cette escroquerie joue sur la crédulité des gens qui pensent gagner beaucoup d'argent ainsi.

M. Paul LAFFAN : Nous avons pu récupérer 20 000 livres grâce à l'audit que nous avons effectué. Le procès est en cours. Nous espérons, lorsque les suspects auront été condamnés, pouvoir offrir une compensation aux victimes et ensuite confisquer certains biens des auteurs, notamment ceux obtenus par cette escroquerie. C'est l'utilité de notre législation sur le blanchiment d'argent. Nous pouvons envoyer devant les tribunaux les auteurs présumés, puis leur confisquer l'argent qu'ils ont gagné malhonnêtement.

Dans le cas présent, les fonds ont transité par les comptes des deux femmes, avant d'être retirés ensuite par les suspects qui les avaient sur eux. Une fois condamnés, il revient aux suspects de prouver l'origine légale des fonds, sinon ils leur sont confisqués.

Je n'entre pas dans le détail d'une affaire très intéressante. Cela démontre toutefois qu'il est beaucoup plus opportun d'utiliser notre législation sur le blanchiment d'argent que de poursuivre les délits sous-jacents.

M. le Président : Combien de dossiers sont-ils traités ici à partir des envois du NCIS ?

M. Tristram HICKS : Le NCIS reçoit environ quinze mille déclarations de soupçons par an, dont cinq mille nous parviennent pour traitement. Nous en transmettons certaines à d'autres services, car toutes les déclarations ne donnent pas lieu à l'ouverture d'une enquête.

M. le Président : Combien d'enquêtes sont-elles ouvertes à partir de ces cinq mille ?

M. David TUFFY : Sur les cinq mille déclarations reçues, nous pouvons identifier un grand nombre de délits allégués car les informations fournies par les institutions financières concernent systématiquement des transactions suspectes. On peut immédiatement affirmer qu'il s'agit de délits. Néanmoins, sur les cinq mille déclarations reçues, seuls 10 %, soit cinq cents, donneront lieu à l'envoi d'un dossier aux tribunaux.

M. le Président : Par conséquent, cinq cents dossiers seront jugés et donneront lieu à des condamnations.

M. David TUFFY : Ce serait l'idéal, mais ce n'est pas le cas. Nous établissons des dossiers sur cinq cents cas et nous prenons certaines mesures opérationnelles. Mais il ne s'agira pas nécessairement d'un procès car très souvent, nous préférons enrayer le délit pratiqué, au besoin en informant les fraudeurs que la police a connaissance de leurs agissements. Il est donc très difficile de dire à combien de procès cela a donné lieu.

Nous avons eu, par exemple, dix à onze cas de fraude type 419 dans lesquels des personnes ont été arrêtées, impliquant des sommes entre 50 000 et 100 000 livres. Mais d'autres cas peuvent avoir été poursuivis sur la base de renseignements divers, pas nécessairement sur la base des rapports du NCIS ou des institutions financières. Nous ne traitons pas non plus du trafic de drogue, qui est sous la responsabilité d'une unité différente de la police métropolitaine. La drogue est derrière un grand nombre de cas de blanchiment d'argent, que ce soit le petit trafiquant qui renvoie son argent en Jamaïque ou une entreprise multinationale. Nous ne pouvons pas vous donner de chiffres précis.

M. le Président : En tant que policiers, considérez-vous que les déclarations de soupçons qui vous sont envoyées par le NCIS sont un matériau de qualité ou sont-elles difficiles à exploiter ? Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le fait que vous soyez séparés de la police de la City, qui est une police spécifique. Qu'est-ce qui justifie cette séparation ? Dans le cadre de vos enquêtes qui concernent souvent le blanchiment, cette séparation brutale ne pose-t-elle pas de problèmes ?

M. Tristram HICKS : Les cinq mille déclarations de soupçons que nous recevons du NCIS nous posent des problèmes et de qualité et de délai. En effet, entre le moment où le NCIS reçoit la déclaration, fait les vérifications nécessaires puis nous envoie un résumé, il s'est écoulé trois mois. Très souvent la qualité des renseignements est médiocre. Le NCIS ne fait pas un bon filtrage des données reçues et ne réussit pas à bien établir les liens entre les différentes transactions. Toutefois, le NCIS s'est engagé à améliorer son système et la qualité des produits.

C'est une question de moyens. Le NCIS n'a pas les moyens financiers d'offrir un bon service. Quant à la police, elle n'a pas perçu la nécessité de bénéficier d'un bon service. Nous reconnaissons devoir beaucoup aux banques et aux établissements financiers qui ont l'obligation de faire ces déclarations, ce qui entraîne des coûts pour eux.

M. David TUFFY : La police pourrait améliorer sa performance. Nos services comprennent fort bien l'importance des déclarations de soupçons auxquelles le gouvernement attribue une grande valeur. Mais entre nous et le gouvernement, il y a toute une série de strates qui considèrent que le blanchiment d'argent, la fraude et la délinquance financière ne sont pas prioritaires par rapport aux autres délits tels que le trafic de drogue, les vols, voire les contraventions pour stationnement en zone illégale. Il me semble toutefois maintenant qu'il y a un changement de politique.

M. Tristram HICKS : Les cas de délinquance financière sont très difficiles à étudier et très peu de policiers sont spécialisés dans ce domaine. Idem pour les procureurs, les avocats et les juges. On hésite à traiter ce type de dossier. De plus, la difficulté de ces affaires est renforcée par notre système juridique d'interrogatoire et de contre-interrogatoire. Le jeu de la défense est de créer une confusion dans l'esprit des jurés. C'est très facile à faire lorsqu'il s'agit d'une affaire compliquée, comme c'est souvent le cas pour la délinquance financière.

Quant à la séparation de la police avec la City, elle est historique, mais cela ne nous pose aucun problème particulier. Sur le plan opérationnel, nous avons de bons contacts avec la police de la City et nous montons des opérations conjointement sans aucune difficulté.

M. David TUFFY : De toute façon, le Royaume-Uni compte quarante-trois polices régionales, chacune ayant son propre système informatique et ses propres fréquences de radio. La police de la City n'en est qu'une parmi d'autres.

M. Tristram HICKS : Il existe néanmoins un réseau très étroit de coopération et d'information entre les forces de police et les services de lutte contre la fraude dans chacune de ces polices régionales.

M. David TUFFY : Nous avons créé une association pour renforcer ces liens de collaboration.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous poser une question sur la police de la City. Lors de notre tour d'Europe, nous avons rencontré nombre de juges continentaux, italiens, espagnols, français, belges. En France, le juge Van Ruymbeke, spécialiste de l'argent sale, a enquêté sur les financements illicites des partis politiques.

Je vous lis ses propos sur la police de la City. (Lecture) « En ce qui concerne la Grande-Bretagne, il est vrai que lorsque l'appel de Genève, qui a appelé à plus de coopération judiciaire en 1996, a été lancé, tous les juges ont fait le constat qu'il était impossible d'obtenir des renseignements de Londres. Si vous allez à Londres, il faut absolument que vous passiez par la City qui réalise 15 % du PNB de la Grande-Bretagne. Le pouvoir de la City est colossal. Elle a sa propre police et les policiers de Londres n'agissent pas comme ils le souhaitent dans ce périmètre.

Un juge italien m'a fait part des difficultés qu'il a rencontrées pour accéder aux comptes ouverts à la City au nom de mafieux. Comme il n'avait pas de réponse à sa commission rogatoire au bout de six mois, il s'est rendu sur place pour poser quelques questions au responsable de la banque concernée. On l'a fait entrer dans un bureau où se trouvaient sept ou huit personnes, et cela s'est passé de la manière suivante : il posait sa question aux policiers de Londres qui la posaient aux policiers de la City qui la posaient à l'avocat de la banque qui la posaient au responsable de la banque. Ce dernier répondait par le même circuit.

A Londres, il y a un problème de contact. J'ai eu l'occasion de travailler avec les Anglais récemment, et je me suis aperçu qu'ils pouvaient y avoir des problèmes culturels. Ils n'ont pas de juge mais seulement des policiers. Par ailleurs, il est très difficile à la police d'avoir accès aux comptes bancaires, le titulaire du compte disposant de voies de recours. »

Ma question concerne, en premier lieu, le problème des pouvoirs spécifiques de la police de la City. Est-ce une police particulière qui a moins de pouvoirs que vous ? Est-il exact qu'il est extrêmement difficile, du fait de la culture de cette police, d'obtenir des renseignements sur les comptes ouverts ? De manière plus générale, comment expliquez-vous que les pays continentaux ne parviennent pas à obtenir, aussi facilement qu'ailleurs, de la documentation sur les comptes ouverts en Grande-Bretagne ?

Nous avons actuellement une cinquantaine de commissions rogatoires qui ne sont pas exécutées, en raison d'obstacles juridiques. Cela compromet la répression de l'argent sale dans les pays européens qui font tous les mêmes récriminations à l'égard du Royaume-Uni.

M. Tristram HICKS : Que ce soit avec les juges d'instruction en Europe ou les policiers en Grande-Bretagne, notre souhait est de coopérer avec tous. Toutefois nous ne pouvons répondre à la demande qu'une fois que les avocats du gouvernement l'ont vérifiée et se sont assurés qu'elle a été faite en bonne et due forme. Nous rencontrons le même problème lorsque nous demandons des informations à l'étranger. Les avocats du gouvernement britannique filtrent nos demandes et ne laissent passer que celles qui leur semblent acceptables. C'est un système bureaucratique, qui prend beaucoup de temps et qui nous pose beaucoup de problèmes.

Je vous cite un exemple. Dans le cadre d'une opération, menée conjointement en Belgique, en Suisse et en France, la police néerlandaise nous a demandé d'obtenir un permis de perquisition afin de mener une fouille dans des maisons britanniques. Les perquisitions avaient eu lieu dans chacun des pays cités ci-dessus, mais lorsque la demande est parvenue aux autorités britanniques, elle a été déboutée faute de moyen de preuve.

M. David TUFFY : Nous étions dans l'impossibilité d'accéder à la demande parce que la loi britannique ne le permettait pas. C'est très frustrant pour nous.

M. le Rapporteur : Vous nous faites comprendre, me semble-t-il, que la question est politique, et relève du gouvernement et du parlement britanniques qui ne veulent pas se donner les moyens d'organiser une coopération plus fluide. Aujourd'hui, c'est la loi qui est en cause.

Ce matin, nous avons rencontré les responsables du ministère de l'Intérieur auxquels nous avons posé les mêmes questions. Ils coupent les cheveux en quatre. On ne peut nier le fait que chaque pays a un système juridique qu'il organise souverainement, mais le blanchiment d'argent ne connaît pas les frontières. Notre problème est de lutter contre ces frontières et de les démanteler sur le plan de la coopération simple. Lorsque nous avons demandé à Mme Harris du ministère de l'Intérieur et auteur d'un livre qui fait autorité sur la question, s'il pouvait être envisagé d'assouplir les conditions d'obtention de renseignements bancaires, il nous a été répondu que c'était un droit de l'homme que de protéger le secret bancaire.

Nous considérons au sein de cette mission, au-delà des sensibilités politiques, que l'ordre public doit permettre de s'affranchir du secret bancaire. Cela existe dans tous les pays, européens ou autres, qui reconnaissent les recommandations du GAFI.

Considérez-vous que le ministère de l'Intérieur, en la personne de Mme Harris, représente la voix du gouvernement ou celle d'une technostructure qui a des intérêts différents que ceux du gouvernement ?

M. Tristram HICKS : Mme Harris représente un processus bureaucratique. L'objectif de la police est d'arrêter les délinquants et de les mettre en prison. Celui du gouvernement est de lutter contre la criminalité, la délinquance et la fraude. Mais entre les deux, vous avez cette bureaucratie que constituent les tribunaux et les procureurs qui sont là pour se pencher sur les preuves. Nous ne pouvons pas contourner cette couche bureaucratique car ce sont les tribunaux et les procureurs qui nous accordent les permis de perquisition et les injonctions qui nous permettent de poursuivre notre travail. Pour les obtenir, nous devons leur soumettre les preuves nécessaires.

Par ailleurs, les demandes que nous recevons des pays européens restent très vagues. Elles nous demandent de faire une perquisition chez un particulier pour trouver les preuves nécessaires. Lorsqu'il s'agit d'une demande aussi vague, nous ne pouvons rien faire.

M. le Président : Mme Harris a indiqué très nettement, ce matin, que les lois appliquées en matière de coopération judiciaire ou policière étaient les mêmes que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du Royaume-Uni. Il n'y a pas deux traitements, l'un pour les étrangers et l'autre pour les policiers anglais. Par conséquent, si on pousse ce raisonnement à l'extrême, cela signifie que vous subissez dans vos propres enquêtes les mêmes interdits qui entravent la coopération judiciaire et policière avec l'étranger.

Le secteur bancaire constitue-t-il, pour vous, un monde opaque dans lequel ni vous ni vos collègues étrangers ne peuvent entrer ?

M. David TUFFY : J'ai une grande expérience en la matière. Je ne pourrais pas mener à bien mon travail sans une bonne collaboration du monde bancaire. Toutefois le problème qui se pose avec la délinquance financière est qu'elle est extrêmement rapide. Elle évolue à la vitesse des fibres optiques. Je suis toujours très frustré si je n'obtiens pas une bonne coopération ou si elle est très lente. J'ai connu moi-même des problèmes de retard concernant des demandes dans tous les pays mentionnés, à part le Luxembourg. La réciprocité pose beaucoup de problèmes. Il faut vraiment vouloir coopérer.

Le meilleur moyen d'obtenir cette collaboration et cette réciprocité est d'éviter la couche bureaucratique et d'établir de bonnes communications à la base entre policiers. De par leur expérience, ce sont eux qui sont les mieux à même de pouvoir dire comment formuler une demande en bonne et due forme, en vue d'obtenir les renseignements nécessaires.

M. le Président : Cette bonne collaboration avec les banques signifie que vous ne rencontrez pas de problèmes particuliers pour connaître l'identité des ayants droit économiques des comptes et leur contenu, lorsque cela vous est nécessaire.

M. David TUFFY : S'agissant des renseignements, nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers.

M. le Rapporteur : Mais du point de vue des preuves ?

M. David TUFFY : Il faut passer par les tribunaux et convaincre le juge que la personne concernée a bénéficié du produit d'activités frauduleuses. Entre policiers, nous arrivons à bien coopérer dans les pays du Commonwealth, notamment en ce qui concerne le trafic de drogue et le terrorisme. Pour la délinquance en général, je dois admettre que c'est plus difficile.

M. le Président : La difficulté qu'éprouvent les policiers français ou étrangers, voire les juges, est que les autorités britanniques demandent les preuves alors qu'on les recherche. Par conséquent, le serpent se mord la queue. Le même problème doit se poser pour vous. Quand vous êtes à la recherche de preuves, il faut les avoir déjà en main pour obtenir l'autorisation d'aller les rechercher.

M. David TUFFY : Concernant le trafic de drogue, nous avons une loi très puissante. Il me suffit de convaincre le juge que nous avons des raisons de soupçonner telle personne d'avoir bénéficié du produit d'un trafic de drogue ou d'avoir eu des activités de trafiquant. Le juge acceptera de me donner une injonction. Dans ce cas, je n'ai pas l'obligation d'apporter la preuve.

En ce qui concerne la délinquance, je peux appliquer le même raisonnement. Il me suffit de dire qu'on peut légitimement soupçonner telle personne d'avoir bénéficié financièrement d'activités criminelles.

Je peux vous citer le cas d'une affaire dont nous a saisis la Nouvelle-Zélande. Les autorités néo-zélandaises nous ont envoyé par télécopie une demande de perquisition chez une personne soupçonnée d'avoir acheté du LSD aux Pays-Bas pour l'expédier par courrier ensuite en Nouvelle-Zélande. Sur la base de cette télécopie nous demandant de rechercher les stupéfiants au Royaume-Uni, car il n'y a pas eu de demande formelle, nous avons convaincu le juge de nous donner l'ordre de perquisition. Nous avons découvert les preuves requises.

De plus, nous avons constaté qu'il y avait eu transfert de fonds entre la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, avec un transit par les Pays-Bas. Toutefois, grâce aux informations données dans cette télécopie, nous avons pu obtenir du juge un permis pour examiner les comptes bancaires, les factures de téléphone, etc. A la suite de cette enquête, la personne a été condamnée à neuf ans de prison.

M. Tristram HICKS : Cette procédure n'était pas conforme aux exigences de la loi sur l'assistance mutuelle. En principe, nous devons toujours passer par le ministère de l'Intérieur.

M. David TUFFY : Ma position est la suivante. Si j'obtiens un renseignement, dans le cadre par exemple du groupe Egmont, concernant des activités criminelles, suis-je censé ne pas tenir compte de ce renseignement car il ne rentre pas dans le cadre d'une procédure formelle ? Selon le ministère de l'Intérieur, je ne devrais pas en tenir compte, mais en tant que policier, cela m'est difficile.

M. le Président : On entend souvent dire qu'au Royaume-Uni, il y a une réelle difficulté à identifier les ayants droit économiques de comptes bancaires en raison de certaines catégories de sociétés. Lors de notre réunion avec l'autorité de contrôle du système financier, il nous a été indiqué qu'au Royaume-Uni, dix mille personnes ont pour profession la création de sociétés au profit d'autres personnes.

Ces formules juridiques constituent-elles des obstacles à la progression de vos enquêtes et pouvez-vous nous confirmer qu'elles permettent de dissimuler l'identité des ayants droit économiques ?

M. David TUFFY : Au Royaume-Uni, nous ne rencontrons pas de problème particulier pour identifier les ayants droit économiques, nous les rencontrons principalement avec les îles offshore (île de Man, îles Caymans, etc.) J'aimerais que la création d'une société coûte autant qu'en Suède car ici cela ne coûte que cent livres. Cela permet, par la suite, de créer plusieurs sociétés et de les imbriquer les unes dans les autres. Toutefois cela ne pose pas de problème quant à l'identification des ayants droit économiques. Il y a évidemment un problème politique car le gouvernement de ces territoires cherche à stimuler le commerce et n'a pas pour objectif premier l'élimination du blanchiment d'argent.

M. Paul LAFFAN : Il y a un problème pratique. On peut obtenir assez facilement les coordonnées du titulaire du compte, mais rien ne l'empêche d'avoir utilisé un faux nom et une fausse adresse.

M. le Président : Ce matin, au ministère de l'Intérieur, nous avons voulu leur donner des éléments objectifs car nous arrivons au terme de notre voyage européen. Notre séjour à Londres était intentionnellement le dernier car tous les pays que nous avons visités nous ont fait part de grandes difficultés avec le Royaume-Uni en matière de coopération judiciaire.

Nous avons demandé au ministère français de la Justice d'établir, pour six pays - Royaume-Uni, Suisse, Luxembourg, Liechtenstein, Pays-Bas.... - une statistique sur l'exécution des commissions rogatoires internationales, entre 1996 et 1999, en matière de délinquance financière, d'une part, et de blanchiment, d'autre part.

En matière de délinquance financière, le pourcentage du Royaume-Uni est de plus de 50 % de commissions rogatoires non exécutées. De ce point de vue, il est le plus mal placé des six pays que nous avons comparés. En matière de blanchiment, 76 % de commissions rogatoires sont non exécutés au Royaume-Uni. Seul le Liechtenstein présente un résultat encore moins bon.

Il y a un problème très important. Aujourd'hui, suite à cette réunion et à celle avec le ministère de l'Intérieur, nous comprenons mieux où se situe la difficulté et, en même temps, votre volonté de la résoudre. Nous allons donc nous tourner vers les vrais interlocuteurs, qui sont les interlocuteurs politiques, pour leur indiquer que les policiers britanniques, qui font le travail de nos juges en France, sont motivés pour que la coopération policière et judiciaire soit plus efficace et qu'il faut leur en donner les moyens.

Je vous remercie très sincèrement de cette séance de travail et de votre honnêteté car vous avez dit certaines choses qui ne sont certainement pas faciles à dire en votre qualité de fonctionnaires.

Division nationale des impôts
Audition de M. Gabs MAKHLOUF,
Directeur des services internationaux de l'administration fiscale

accompagné de M. Ray CASANOVE

(extrait du procès-verbal de la séance du 8 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci beaucoup de nous recevoir. Nous avons travaillé, hier, avec un certain nombre de vos collègues qui sont plus directement concernés par les problèmes de blanchiment. La question fiscale n'étant pas directement liée aux questions de blanchiment et de délinquance financière, cette préoccupation est pour vous secondaire.

Cela étant, il existe des points de recoupement possibles, ne serait-ce que dans la façon de mener les enquêtes ou d'utiliser les renseignements fiscaux pour conduire des enquêtes. Dans certains pays, notamment les Pays-Bas, les renseignements fiscaux sont communiqués directement aux autorités chargées des enquêtes portant sur la délinquance financière. Ce n'est pas le cas en France et je ne crois pas que ce soit le cas chez vous.

J'aimerais, pour commencer, que vous nous expliquiez quels sont vos liens avec les organismes chargés directement de la lutte contre la délinquance financière, la fraude et le blanchiment.

M. Gabs MAKHLOUF : Depuis trois ans, il y a eu un grand changement dans les relations entre les autorités fiscales et les organismes de lutte contre le blanchiment d'argent. Depuis toujours, les autorités fiscales du Royaume-Uni ne communiquaient pas d'informations fiscales aux organismes de lutte contre le blanchiment, qu'ils soient implantés au Royaume-Uni ou à l'étranger. Aujourd'hui, cela a changé, mais dans un sens seulement.

Ce changement est intervenu depuis le sommet du G7. De plus, le communiqué, publié au mois d'avril/mai 1998, a bien insisté sur la nécessité d'améliorer le flux d'informations entre les différentes autorités de contrôle, notamment les informations anti-blanchiment à destination des autorités fiscales. Nous avons donc mis en application, de manière active, ces recommandations. M. Casanove vous expliquera exactement ce que nous faisons maintenant dans ce domaine. Toutefois nous maintenons notre position traditionnelle, à savoir que nous ne communiquons pas les informations fiscales à l'extérieur.

Nous sommes toujours très contraints par les exigences en matière de confidentialité d'informations fiscales. Ceci étant dit, de manière générale, un grand débat a lieu au sein de notre gouvernement concernant la quantité d'informations à partager entre les ministères. Comme dans tous les pays européens, les ministères ont tendance à garder pour eux les informations, mais aujourd'hui cette question a été mise en discussion en vue de la lutte antifraude, mais aussi pour pouvoir mieux répondre aux besoins de nos usagers, les clients des services gouvernementaux.

M. Ray CASANOVE : Je voudrais dire d'emblée que je suis d'accord avec vous à propos de la similitude des techniques utilisées pour les enquêtes portant sur des délits de blanchiment d'argent et sur des délits fiscaux. Les techniques utilisées sont les mêmes parce qu'il y a beaucoup d'éléments communs entre ces types de délits. Le Royaume-Uni est très partisan d'améliorer les contacts, prudemment et progressivement, entre les différentes autorités fiscales et les organismes anti-blanchiment d'argent et d'intensifier les contacts tant sur le plan national qu'international.

Il existe deux types d'obstacles concernant le flux d'informations entre les autorités fiscales et les autorités anti-blanchiment. D'un côté, ce sont des obstacles d'ordre juridique et, de l'autre, d'ordre culturel. Concernant les obstacles d'ordre culturel, il y a, de toute évidence, dans tous les pays et toutes les organisations, des rivalités, parfois une concurrence entre les différentes agences qui interviennent dans ces domaines. Mais, il n'y a pas plus de concurrence entre les autorités fiscales et les autorités anti-blanchiment qu'entre les autres agences.

Il faut cependant éliminer les obstacles car nous vivons dans une économie mondialisée. Comme il n'y a pas de frontière pour la délinquance financière - les criminels ne s'embarrassent pas d'obstacles pour commettre des délits - la réponse gouvernementale doit être du même ordre, nous devons obligatoirement éliminer les obstacles pour mieux traiter cette criminalité.

S'agissant des obstacles d'ordre juridique, de manière générale, toutes les autorités fiscales, notamment au Royaume-Uni, sont tenues de respecter les règles protectrices de la confidentialité des informations reçues, ceci afin de maintenir une relation de confiance entre les autorités fiscales et les contribuables, car nous devons encourager les contribuables à participer au système.

Il en va de même pour les organes de lutte contre le blanchiment d'argent car, pour obtenir les informations utiles pour les enquêtes, il faut consulter les institutions financières qui perdront confiance dans le système si elles apprennent que les informations sont diffusées trop librement à l'extérieur. Il y a donc cette tension entre la nécessité de distribuer des informations et celle de protéger les informations pour maintenir un climat de confiance.

S'agissant des procédures en place au Royaume-Uni, il y a eu un changement radical dans nos activités depuis deux ou trois ans. Cela a commencé avec la présidence du G7 exercée par le Royaume-Uni en 1998. Le changement porte sur un échange d'informations beaucoup plus constant et sans faille, entre les différentes organisations du gouvernement britannique. Pour donner suite à cette décision de changer les procédures, nous avons créé un portail pour permettre le flux d'informations entre les autorités fiscales et les services d'enquêtes financières. Il y avait déjà une législation permettant de transmettre au NCIS ces informations, mais elle n'avait jamais été mise en application.

Le changement est intervenu au niveau pratique. Nous avons mis en place des procédures pratiques pour permettre ce flux d'informations. Pour ce faire, nous avons détaché à plein temps un employé de l'administration fiscale au NCIS. Cet inspecteur des impôts, ayant reçu une formation ad hoc, filtre toutes les informations reçues des institutions financières et décide, selon des critères stricts, quelles sont les informations à transmettre aux autorités fiscales. Il s'agit en fait d'envoyer les informations à l'unité centrale de l'administration fiscale.

Comme je l'ai dit, les données sont transmises selon des critères très stricts et uniquement à cette unité spécialisée au sein de l'administration fiscale. Si on décide d'utiliser les données reçues, c'est uniquement sous l'autorité des fonctionnaires des niveaux les plus élevés, et ces données ne sont jamais communiquées aux contrôleurs fiscaux sur le terrain. Par ailleurs, la personne qui fait l'objet de l'enquête ne peut connaître la source des informations reçues.

Si vous n'avez pas de questions sur cette première partie de ma présentation, je vais passer maintenant passer à la question du flux d'informations dans l'autre sens.

M. le Président : A priori nous sommes plus intéressés par l'autre sens car pour le moment, nous évoquons plus la fiscalité que le blanchiment. (Rires)

M. Ray CASANOVE : A l'heure actuelle, il n'existe aucun point de passage pour permettre un flux d'informations des autorités fiscales vers les autorités de lutte contre le blanchiment d'argent. En fait, les possibilités pour un partage d'informations dans ce sens sont très limitées. Mais à l'heure actuelle, les ministères envisagent la possibilité de changer cette situation. Un projet de loi est étudié, mais qui n'est pas encore publié. Il devrait l'être prochainement.

Selon cette proposition, il serait possible de créer une procédure d'information en provenance des autorités fiscales et à destination des organismes anti-blanchiment ou des autorités type commission de régulation des services financiers. Il nous semble que les ministres sont bien disposés à approuver cette proposition.

M. le Président : Savez-vous combien il y a de sociétés non-résidentes et de non-résidents à titre individuel sur la place de la City ? Par ailleurs, pouvez-vous préciser à quelle fiscalité ces non-résidents, sous forme de société ou sous forme individuelle, sont astreints ?

M. Gabs MAKHLOUF : Concernant la fiscalité, un non-résident paie des impôts uniquement s'il a un revenu obtenu au Royaume-Uni ou s'il y est établi de manière permanente. Un grand nombre de non-résidents, qui font des affaires dans la City, ne paient pas d'impôts au Royaume-Uni car ils ne font qu'utiliser les services de ladite City.

M. le Président : Revenus salariaux ou revenus d'épargne ?

M. Gabs MAKHLOUF : Les deux en fait, mais il y a toujours des exceptions. En Europe, des discussions sont en cours concernant la fiscalisation du revenu d'épargne pour les non-résidents. A Londres, il y a en fait des non-résidents individuels qui ne paient pas d'impôts car leurs revenus viennent de l'épargne.

Sur la question relative au nombre de sociétés, il serait impossible de donner des statistiques pour l'ensemble des non-résidents, mais éventuellement pour les non-résidents fiscalisés en Angleterre.

M. le Rapporteur : On pourrait connaître le nombre de résidents qui paient des impôts en Angleterre, mais on ne connaît pas le nombre de sociétés non-résidentes créées en Grande-Bretagne et qui échapperaient à l'impôt, en raison de ces exemptions. Est-ce exact ?

M. Gabs MAKHLOUF : Ce type d'entreprise échappe à nos statistiques. Néanmoins, ces non-résidents sont couverts par les statistiques et les déclarations des institutions financières car, étant donné qu'elles sont tenues de faire des déclarations au NCIS concernant les transactions douteuses, peu importe s'il s'agit d'un résident ou d'un non-résident. Dans un certain sens, le NCIS aura de meilleures informations que nous car nous nous intéressons seulement aux entreprises et aux individus astreints à la fiscalité britannique.

M. le Président : Vous avez évoqué cette discussion européenne en cours. Quelle est votre position sur la taxation de l'épargne des non-résidents et sur la question du secret bancaire, notamment à l'égard de pays comme le Luxembourg qui pratiquent un secret bancaire très fort ?

M. Gabs MAKHLOUF : Concernant la taxation de l'épargne en Europe, le gouvernement britannique considère que la meilleure solution est d'assurer un échange d'informations aussi large que possible et non pas limité entre les quinze membres de l'Union européenne. Le gouvernement britannique pencherait vers cette solution car la plus efficace et la seule pratique.

M. le Président : Cela signifie que tous nos résidents ayant de l'épargne ici verraient systématiquement leurs comptes d'épargne communiqués aux services fiscaux de leur pays d'origine.

M. Gabs MAKHLOUF : Tout à fait. Notre ministre des Finances, en annonçant son budget au mois de mars cette année, a introduit un grand changement en matière d'échange d'informations. A l'heure actuelle, les institutions financières n'ont pas l'obligation de nous communiquer des renseignements portant sur le revenu de l'épargne des non-résidents. Dès l'année prochaine, en revanche, les institutions financières auront l'obligation de nous communiquer ces informations.

Actuellement, dans le cadre de ce débat européen, nous ne pouvons pas entreprendre d'échanger des informations car nous ne les avons pas. Dès l'année prochaine, nous les aurons.

M. le Président : Je n'ai pas compris quand vous avez dit que votre objectif est de mettre en place cet échange d'informations sur les revenus de l'épargne à un niveau pas seulement européen, mais internationalement, « le plus large possible ». C'est très inquiétant quant à la capacité pratique de le réaliser. On voit déjà la difficulté que cela pose en Europe, mais s'il faut en plus demander la même chose aux autres pays, nous risquons d'avancer à reculons. Qui englobez-vous dans « ce plus large possible » ?

M. Gabs MAKHLOUF : J'ai bien dit dans la mesure du possible. Le Royaume-Uni considère que, pour pouvoir réaliser quelque chose en ce domaine, il faudrait aller au-delà des Quinze. Si nous n'avons pas la Suisse, et sans doute les Etats-Unis, nous n'arriverons pas à résoudre ce problème. Nous ne ferons que le déplacer. Sans avoir tous les pays du monde, nous avons certainement besoin, dans un strict minimum, des grandes places financières.

M. le Président : Je comprends très bien cette logique qui est très cohérente. Sur cette proposition anglaise, il y a des résistances très fortes qui concernent le secret bancaire émanant de pays comme le Luxembourg. La disposition, que vous venez de prendre pour l'année prochaine, est une disposition qui lève, d'une certaine façon, le secret bancaire. Quel est votre point de vue sur la protection du secret bancaire dans ces pays et considérez-vous qu'aujourd'hui, il ne doive plus y avoir de secret bancaire ?

M. Gabs MAKHLOUF : Il me semble que, dans la presse, on introduit une certaine confusion concernant la position du Royaume-Uni. On fait croire assez souvent que le désir d'améliorer l'échange d'informations signifie l'élimination du secret bancaire. Notre position est bien retracée dans le rapport publié par l'OCDE en avril. C'est d'ailleurs une position qui a été souscrite par tous les membres de l'OCDE, y compris le Luxembourg et la Suisse.

Cette position est la suivante. Dans un monde idéal, tous les pays membres devraient permettre à leurs autorités fiscales d'accéder aux informations bancaires, directement ou indirectement, à des fins fiscales.

L'élément clé, dans la position britannique, c'est que nous vivons dans une économie mondialisée. Par conséquent, il est nécessaire d'avoir d'un échange d'informations efficace afin d'assurer que chacun paie les impôts qu'il doit payer. Nous ne voyons aucune contradiction entre l'autorisation d'un transfert d'informations aux autorités fiscales et le maintien du secret bancaire sur les affaires financières de l'individu. En d'autres termes, personnellement, cela ne me pose pas de problèmes si les autorités fiscales demandent à ma banque des renseignements sur mes comptes bancaires, mais cela m'en posera si les autorités fiscales voulaient transmettre ces informations à la presse. Il me semble que si quelqu'un souhaite conserver le secret bancaire à ce niveau-là, c'est parce qu'il a quelque chose à cacher.

M. le Président : Un échange d'informations n'équivaut pas à une déclaration systématique. Votre position est-elle d'autoriser les services fiscaux à répondre à une demande d'informations ou est-elle d'imposer aux établissements bancaires la transmission systématique des opérations portant sur les comptes des non-résidents aux autorités fiscales de leur pays d'origine ? C'est très différent. Dans un cas, il y a échange d'informations à la demande de l'administration qui le requiert, dans l'autre, l'échange est systématique.

M. Gabs MAKHLOUF : Le monde évolue et pour suivre le mouvement, nous serons obligés d'avoir un échange systématique d'informations. Mais j'insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'un échange dans les deux sens et non pas simplement la fourniture unilatérale de données.

M. le Président : Quelle est votre façon d'appréhender les territoires non coopératifs ou à fiscalité très faible, et qui sont des territoires dépendants ?

M. Ray CASANOVA : Tout d'abord, je précise que les territoires non coopératifs et les territoires à faible taxation ne sont pas nécessairement les mêmes. De plus, le Royaume-Uni se trouve dans une position unique parmi les pays européens, et sans doute les pays du monde, en ayant des liens très complexes d'ordre constitutionnel, économique et autres, avec une grande variété de territoires à faible taxation ou à taxation nulle. Nous avons affaire à des questions d'une complexité exceptionnelle.

Cependant notre position est très claire car nous croyons qu'il est extrêmement important de pouvoir échanger des informations, en d'autres termes, qu'une autorité fiscale dans une juridiction donnée doit avoir la possibilité d'obtenir les informations dont elle a besoin à des fins fiscales.

Dans le contexte de l'initiative de l'OCDE sur l'élimination de la concurrence dommageable en matière de fiscalité, il est essentiel de prendre en compte, dans la définition du paradis fiscal et la classification d'un pays comme paradis fiscal, la capacité du pays donné d'être en conformité avec les normes que je viens de citer et la volonté de ce territoire d'offrir des informations à d'autres pays.

Selon les conclusions de l'OCDE que nous partageons, il ne s'agit pas d'obliger un pays défini comme un paradis fiscal à adopter un régime donné de fiscalité ou à introduire des niveaux minima de taxation pour échapper aux conséquences de cette classification. Nous sommes d'accord avec cette position pourvu que le pays concerné veuille bien procéder à un échange d'informations avec les autorités fiscales d'autres pays au sujet des opérations effectuées sur son territoire.

Le Royaume-Uni est actuellement très actif dans deux domaines. Tout d'abord, s'agissant de l'échange d'informations, notre ministre des Finances, lorsqu'il a annoncé son budget, a indiqué qu'il allait concéder de nouveaux pouvoirs à l'administration fiscale permettant la signature d'accords avec d'autres pays afin de favoriser l'échange d'informations fiscales. Jusqu'ici, nous n'avons eu la possibilité d'échanger ce type d'informations que dans le cadre d'une convention de double imposition. Désormais, il sera possible de faire cet échange d'informations, même s'il n'y a pas d'accord de double imposition.

Par ailleurs, nous participons aux discussions au sein de l'OCDE, en vue d'élaborer un modèle multilatéral permettant l'échange d'informations sur le plan international. Ces discussions ne font que débuter, mais elles permettront peut-être de déboucher sur un accord qui devra être signé par tous les pays, y compris les paradis fiscaux, et qui favorisera un échange d'informations systématique. Néanmoins peut-être serait-il nécessaire de progresser par étape. Comme vous l'avez mentionné, il existe des obstacles d'ordre pratique, et il faudra sans doute commencer sur une base beaucoup plus modeste en échangeant, par exemple, des informations à la demande, avant d'arriver à notre but ultime, à savoir un échange d'informations systématique entre tous les pays du monde.

M. Gabs MAKHLOUF : Pour en revenir au blanchiment d'argent, n'oubliez pas les discussions en cours et les contacts entre l'OCDE et le GAFI. Le Royaume-Uni est très favorable à l'intensification de ces discussions.

M. le Président : Merci de votre accueil et des éléments de réflexion que vous nous avez fournis.

Audition de banquiers de la City

(sous couvert de l'anonymat des intervenants)
anonymat demandé par les personnes rencontrées

(extrait du procès-verbal de la séance du 8 juin 2000 à Londres)

Présidence de M. Vincent PEILLON, président

M. le Président : Merci de nous recevoir. Pourriez-vous nous exposer les procédures de contrôle interne que vous avez mises au point ?

INTERVENANT : Nous avons commencé à nous préoccuper du blanchiment des capitaux au Royaume-Uni avec l'introduction, en 1993, des nouvelles normes de régulation. Selon cette législation, le blanchiment d'argent a été érigé en infraction pénale. Depuis, chaque membre du personnel bancaire prend très au sérieux ces questions car il en va de sa responsabilité personnelle.

INTERVENANTE : Je suis responsable du bon respect des normes en interne et j'ai une grande expérience en ce domaine. Le blanchiment d'argent est considéré comme un délit lorsqu'une institution financière au Royaume-Uni n'a pas adopté les procédures et contrôles appropriés en ce domaine : l'identification du client, la formation du personnel, l'archivage de la documentation, les procédures internes pour la déclaration de soupçons en cas de transactions suspectes et les contrôles internes d'autres sortes. Des sanctions sévères sont appliquées, telles que des amendes et des peines d'emprisonnement si les déclarations de soupçon ne sont pas faites de façon appropriée.

INTERVENANT : La responsabilité est portée par chaque individu, membre du personnel de la banque. Si un directeur faible ou médiocre était tenté de ne pas faire une déclaration ou de minimiser la responsabilité d'un client, concernant l'activité de blanchiment de capitaux, un membre du personnel ordinaire, voire un jeune agent, se doit de contourner l'autorité de son supérieur pour faire la déclaration, car sa responsabilité personnelle est engagée et il pourrait aller en prison. Cette leçon a été bien apprise.

M. le Président : Y a-t-il déjà eu dans votre banque, ou une autre sur la place de Londres, des condamnations de banquiers ou d'employés de banque qui iraient au-delà de l'amende, jusqu'à l'emprisonnement, pour non-diligence ?

INTERVENANT : Nous savons que certaines personnes ont été convaincues d'infraction à la loi dans ce domaine. Mais nous ne savons pas s'il y a eu des condamnations allant jusqu'à l'emprisonnement. Toutefois la menace qui pèse sur le personnel est déjà suffisamment grave pour prévenir ce type de comportement. Je crois que beaucoup de déclarations de soupçons sont fournies aux autorités de contrôle.

M. le Président : Quinze mille déclarations et quatre condamnations. Nous connaissons bien ces sujets. La question qui se pose pour nous est très importante. La ville de Londres compte un grand nombre de banques. C'est le seul pays que nous avons visité en Europe où l'autorité de contrôle, chargée de traiter les déclarations de soupçons, est incapable de nous dire, en raison de la défaillance de son système informatique, de quelles banques elles proviennent et si certaines n'en produisent jamais. Comme dans tous les pays du monde, il y a des bonnes banques et des moins bonnes, que ce soit à Jersey, Monaco, Paris, Londres ou ailleurs.

Vous qui êtes un banquier expérimenté et attentif à ce sujet, pense-vous que les cinq cents établissements financiers à Londres sont tous d'une qualité équivalente à celle dans lequel vous travaillez ?

INTERVENANT : En ce qui concerne les centres offshore, nous avons un responsable anti-blanchiment des capitaux et je pense que tout soupçon entraîne une attention particulière car la réputation des centres offshore est très importante.

INTERVENANTE : Il y a deux niveaux dans les normes et les contrôles que nous appliquons et, dès l'année prochaine, il y en aura un troisième, car la compétence du contrôle des institutions financières sera reconnue à l'autorité de régulation du service financier (FSA). Notre association professionnelle, la British Bank Association, a élaboré des conseils pour l'interprétation des normes et formulé un code de bonnes pratique.

La FSA a toujours contrôlé les institutions financières sous son égide, en suivant les conseils de ce code de bonnes pratiques. Les banques sont en conformité avec le règlement à cet égard. D'ailleurs, comme cela a fait débat dans la presse et à la télévision, il est très difficile pour un particulier d'ouvrir un compte bancaire sans passeport en Angleterre. Cela pose de nombreux problèmes à certaines personnes. C'est un point très important car le compte en banque est le premier point d'entrée pour le blanchiment des capitaux.

M. le Président : Vous devez savoir que le Royaume-Uni, pour ce qui concerne la délinquance financière, est le pays qui, en termes de coopération judiciaire internationale, collabore le moins. En coopération judiciaire, dans les affaires de délinquance financière, on recherche les mouvements de capitaux qui passent par les banques. Nous avons un grand nombre de dossiers dans lesquels nous constatons que, dans les transactions financières relevant de la délinquance organisée, le passage par Londres, Gibraltar, Jersey, Guernesey ou l'île de Man - puisque vous y avez des succursales - est très fréquent. Quelle que soit la qualité des contrôles, il y a une véritable difficulté ensuite à obtenir l'information sur ces mouvements de capitaux.

Quels intérêts ont les délinquants à utiliser cette place financière et quelles sont les attraits particuliers de cette place de Londres ou des territoires dépendants ? Est-ce un intérêt purement fiscal car ce sont des centres offshore ou est-ce un autre type d'intérêt, tel que la confidentialité, des services variés, etc. Allons au c_ur du débat car ce sujet est de notoriété internationale.

Uniquement pour la France, sur cent commissions rogatoires concernant la délinquance financière, cinquante sont non exécutées à Londres et toutes concernent des mouvements de capitaux, dans des grandes banques de la place, y compris pour nous, Français, du financement politique.

INTERVENANT : Vous nous surprenez, mais étant donné que Londres est la place financière la plus importante d'Europe, je suppose que nous y rencontrerons nécessairement un plus grand nombre de cas de ce type. Nos contrôles sont bien perçus par les autres pays, notamment par les Etats-Unis. Je suppose en outre que s'il y a passage de capitaux blanchis à Londres, ensuite il sera facile de considérer qu'il s'agit de capitaux propres et que Londres aura partiellement participé à ce blanchiment. C'est vrai que nous recevons parfois des demandes des autorités pour communiquer des renseignements. C'est rare, mais si jamais nous recevons une injonction du tribunal, nous ne refusons jamais d'y donner suite.

Je travaille dans la banque des particuliers depuis trente ans et jamais je n'ai eu connaissance de résistance à la coopération dans ce domaine. Les banquiers ne se cachent pas derrière le secret bancaire, comme cela se fait encore en Suisse ou au Luxembourg. Je peux vous affirmer que la nouvelle loi sur la délinquance financière, votée aux îles anglo-normandes, est très adéquate, non seulement pour la lutte contre le blanchiment des capitaux, mais aussi l'évasion fiscale. Cela représente un changement radical depuis dix ans.

Cette semaine, j'ai encore interrogé un homme d'affaires français très connu et je lui ai demandé son passeport pour vérifier son identité et son adresse. Je lui en ai expliqué les raisons. Il n'y a aucune restriction en la matière.

INTERVENANTE : Auparavant, j'ai travaillé pour l'autorité de contrôle. Lorsque j'ai demandé la coopération des banques, elles ne me l'ont jamais refusée.

INTERVENANTE : Il y a les mêmes contrôles et la même situation en ce qui concerne les autres institutions financières.

M. le Président : De par la loi, vous avez obligation de connaître vos clients. Toutefois, nous nous interrogeons, de même que les policiers londoniens, sur la capacité, de connaître, dans un certain nombre de cas, les vrais ayants droit économiques qui se cachent derrière des trusts ou des sociétés qui ont pour intermédiaires des agents de création de société qui sont au nombre de dix mille et qui ne sont pas régulés.

L'autorité financière nous a indiqué qu'il n'y avait toujours pas de régulation sur cette profession alors que, par exemple à l'île de Man, c'est une pratique que les autorités mettent en place. Etes-vous toujours capables de connaître l'identité des ayants droit économiques qui se cachent derrière ces sociétés ou est-ce pour vous une difficulté ?

INTERVENANTE : Lorsque nous avons évoqué la vérification de l'identité de la personne, il s'agit non seulement des particuliers mais également des sociétés, partenariats et trusts. Dans tous les cas, il faut identifier, par exemple dans un trust, les fiduciaires, les ayants droit économiques ainsi que les directeurs et les activités commerciales. Il ne suffit pas de connaître les noms des personnes intervenant dans cette société.

Pour vérifier l'identité et connaître les activités commerciales, nous allons jusqu'à visiter les locaux de la société. Il nous arrive de refuser d'ouvrir un compte en banque si nous n'avons pas cette assurance. Il est clair que les trusts sont identifiés comme un véhicule particulièrement utilisé par les criminels pour éviter les contrôles d'identité et masquer l'origine de l'argent sale. Nous prêtons tout particulièrement attention aux demandes d'ouverture de compte lorsqu'il existe des liens avec des centres offshore et des pays observant un secret bancaire très strict.

Ces contrôles seront renforcés par le troisième niveau de contrôle qui sera instauré l'année prochaine. Je vous cite un cas en exemple. Nous avons ouvert un compte au nom de quelqu'un que nous avons estimé, par la suite, suspect. Nous avons alors interrompu la transaction et alerté le NCIS.

M. le Président : Quelles sont les modifications dans les comportements lors de transactions suspectes ou inhabituelles ?

INTERVENANTE : Nous devons non seulement vérifier l'identité du titulaire d'un compte, mais également étudier le type d'activités commerciales de cette entreprise car cela nous donne une idée du type de transactions habituelles. Si l'on constate des changements par la suite, nous pouvons plus facilement identifier le blanchisseur d'argent sale.

Les cas identifiés de blanchiment, dans la majorité des cas, le sont du fait d'un changement de comportement. Cela renvoie à la responsabilité individuelle de chaque employé et aux contrôles constants qui doivent être effectués. Dans les grandes chambres de compensation, où le volume des transactions est si énorme qu'on ne peut demander à un individu d'identifier une transaction suspecte, on fait appel à des systèmes informatiques très sophistiqués.

Toutefois, s'agissant des particuliers, si nous avons soixante ou soixante-dix clients, nous maîtrisons plus facilement les mouvements habituels ou inhabituels sur leurs comptes. Il faut aussi noter l'importance de la formation. Chaque employé dans la banque suivra une formation, obligation d'ailleurs prévue par la loi.

M. le Rapporteur : Comment travaillez-vous avec les filiales des îles anglo-normandes ? Y a-t-il beaucoup de mouvements interbancaires ?

INTERVENANT : Je travaille plus particulièrement avec notre filiale aux îles anglo-normandes. De toute façon, il s'agit, dans chaque cas, d'établissements indépendants et donc assujettis aux autorités de contrôle du pays concerné.

Toutes les banques de notre Groupe sont soumises au contrôle de la FSA qui, chaque année, nous demande de faire une étude comptable portant sur un thème particulier. Cette année, c'est sur le blanchiment des capitaux. Je n'ai pas encore reçu le rapport, mais ce sera, me semble-t-il, un rapport satisfaisant.

Il est clair que toutes les banques indépendantes doivent être en conformité avec les normes en vigueur dans le pays, mais nous choisissons toujours les normes les plus exigeantes. Le code de bonnes pratiques anglais est le plus exigeant, c'est celui que nous appliquerons.

S'il y a conflit, nous demandons une explication pour savoir quelles normes appliquer. Par exemple, nous avons une différence entre le code de Paris et celui du Royaume-Uni car, à Paris, il faut déclarer toutes les transactions suspectes, tandis qu'au Royaume-Uni, ce sont toutes les transactions suspectes au-delà d'un certain seuil.

M. le Rapporteur : Quelle est la proportion économique d'échanges internes, par des montages ou des mouvements de compte, entre vos filiales des îles anglo-normandes, notamment Jersey, et votre établissement à Londres ?

INTERVENANT : Nous sommes plus importants à Jersey qu'à Londres.

M. le Rapporteur : Quelle est la justification de l'achat d'une filiale aux Bahamas ?

INTERVENANT : C'est principalement destiné à de la banque privée.

M. le Rapporteur : Que va-t-il se passer quand le GAFI fera figurer les Bahamas sur sa liste et comment allez-vous faire pour vous désengager ?

INTERVENANT : Notre achat d'une banque aux Bahamas fait partie de notre stratégie de banque mondiale. Le rapport annuel de Merrill Lynch fait ainsi état de la grande importance de l'Amérique du Sud pour les marchés des capitaux. Nous avons examiné notre stratégie et notre position dans le monde, et nous avons estimé qu'il y avait une lacune dans les Caraïbes.

Une possibilité s'est présentée, et nous avons pu acheter une banque spécialisée dans les trusts anglo-saxons, ce qui correspond tout à fait à notre stratégie. En ce qui concerne la liste noire du GAFI, j'ai de bons contacts avec le gouverneur de la banque des Bahamas, M. Julian Francis, et je connais donc la réputation des établissements des Bahamas. Je suis étonné d'ailleurs que les Bahamas figurent en catégorie trois, j'aurais plutôt penché pour la catégorie deux.

Mais depuis l'arrivée de M. Ingraham comme Premier ministre, il me semble qu'il y a un renforcement de l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux car le Premier ministre souhaite améliorer la réputation des Bahamas. Nous allons pouvoir tous établir un bon dialogue avec les autorités pour renforcer la coopération.

M. le Président : Merci beaucoup de votre accueil.

Serious Fraud Office (SFO)

Audition de MM. WARDLE, directeur-adjoint,
et GRIEVES, responsable de l'entraide judiciaire

(procès-verbal de la séance du jeudi 8 juin 2000)

M. R. WARDLE : Bienvenue au Serious Fraud Office. Je suis directeur adjoint, avocat de formation. Je travaille pour le SFO depuis 1988, l'année de création du bureau. M. Martin Grieves, qui est un ancien policier, est enquêteur financier et s'occupe notamment des demandes d'entraide judiciaire.

M. le Président : Je vous remercie de nous recevoir. Nous souhaiterions avoir une présentation de votre service, avant d'avoir un échange sous forme de questions et réponses.

M. R. WARDLE : Nous sommes un service indépendant. Notre directrice est nommée par le procureur général. Elle est responsable des enquêtes, puis des poursuites judiciaires en matière de fraudes graves ou complexes. Nous traitons environ quatre-vingt-dix dossiers pour des montants très élevés, toujours au-delà du seuil d'un million de livres, et atteignant parfois des centaines de millions de livres.

Notre service, qui travaille étroitement avec les services de police, est formé de comptables, d'avocats, d'enquêteurs financiers ainsi que d'experts dans différents domaines, dont des informaticiens. La quasi-totalité des cas de fraude ont des liens avec l'étranger. Par conséquent, nous devons essayer d'obtenir les preuves nécessaires, surtout d'ordre bancaire, des pays étrangers et chercher où sont allés les capitaux et les sommes dont l'origine est douteuse. De ce fait, notre intérêt est d'entretenir de bonnes relations avec les différentes autorités, y compris les autorités chargées des poursuites judiciaires.

M. Grieves est responsable de l'unité spécialisée dans l'assistance aux autorités chargées des poursuites judiciaires à l'étranger, en vue d'offrir une meilleure entraide judiciaire. La loi qui nous régit nous octroie des pouvoirs particuliers dans la conduite de l'enquête. Par exemple, nous pouvons obliger les témoins ou les personnes soupçonnées à être interrogés par nos services et les parties tierces à nous fournir des informations bancaires si besoin est.

Nous pouvons utiliser ces pouvoirs pour le compte d'une enquête menée à l'étranger si la demande nous en est faite par les autorités britanniques et s'il s'agit d'un cas de fraude grave ou complexe. Nous avons déjà utilisé nos pouvoirs pour aider les autorités françaises dans leurs enquêtes. Je peux vous citer un exemple intéressant. Nous traitons actuellement le dossier d'un avocat ayant reçu des millions de livres que nous pensons être le produit d'argent sale. Dans le cadre de cette enquête, nous avons reçu des policiers et juges d'instruction français pendant une semaine, lesquels ont collaboré avec nos propres enquêteurs, nos avocats, etc. C'était vraiment une enquête partagée.

(Distribution d'un document)

M. R. WARDLE : Ceci est la version française d'une note que nous avons rédigée pour expliquer de quelle manière nous pouvons aider les pays étrangers.

M. le Rapporteur : Je voudrais vous remercier au nom d'un certain nombre de magistrats français qui nous ont fait des compliments au sujet de votre coopération. Ils regrettent seulement que vos pouvoirs soient limités, c'est-à-dire que vous n'ayez pas compétence pour la totalité des investigations de nature économique. Cela pose un énorme problème pratique car la Metropolitan Police ou les polices de comté ne sont pas aussi habituées à la coopération internationale.

Après ces compliments, je voudrais vous interroger sur les moyens dont vous disposez pour obtenir des informations bancaires et reconstituer la traçabilité des flux financiers. Pour ce faire, avez-vous l'obligation d'obtenir une injonction du tribunal ?

M. R. WARDLE : Non, il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux tribunaux. Si nous envoyons à la banque une requête dite « de section 2 », elle est obligée de nous fournir l'information demandée, les détails concernant la transaction et de répondre à nos questions. Evidemment, nous devons lui accorder un délai suffisant pour lui permettre de rassembler ladite documentation. Mais nos relations avec les banques étant très bonnes, nous parvenons, en cas d'urgence, à obtenir une réponse dans un délai extrêmement court.

M. le Rapporteur : La banque peut-elle refuser de vous donner ces informations ? Dispose-t-elle de voies de recours pour s'opposer à votre requête ?

M. R. WARDLE : Refuser la communication de ces informations sans motif valable, est considéré comme un délit sauf s'il s'agit d'informations d'ordre juridique et professionnel particulièrement protégées. Je pense notamment à la relation privilégiée qui existe entre un avocat et ses clients. Mais s'agissant des banques, il est très rare qu'elles avancent ce type d'arguments. Quant à la centralisation des comptes, le fait de ne pas en avoir au Royaume-Uni ne pose aucun problème particulier.

M. le Rapporteur : J'ai noté, par ailleurs, que le seuil de votre intervention est fixé à 10 millions de francs, soit 1 million de livres sterling, au titre du montant du préjudice causé par la fraude. Je voudrais savoir qui évalue ce préjudice dans le cadre d'une commission rogatoire d'un juge européen et qui vous saisit. Pouvez-vous être saisis directement par le juge étranger ou est-ce le ministère de l'Intérieur qui distribue l'exécution des commissions rogatoires et qui apprécie ce chiffre ?

M. R. WARDLE : Ce seuil d'un million de livres permet, au Royaume-Uni, de considérer qu'il s'agit effectivement d'une fraude grave. Si un juge ou un policier nous indique qu'il s'agit d'une fraude grave et importante, nous pouvons nous satisfaire de leurs indications. Si le juge indique qu'il s'agit d'une affaire d'un million de livres, nous accepterons son évaluation et nous utiliserons nos pouvoirs, mais nous ne pourrons les utiliser que si le ministère de l'Intérieur nous a transmis la demande.

Ceci étant dit, nous encourageons les policiers et les juges d'instruction à nous contacter informellement s'ils ont besoin de conseils sur la manière de procéder pour obtenir l'entraide.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces encouragements que nous ne manquerons pas de transmettre aux juges et policiers. La question que je me pose maintenant est de savoir qui est l'autorité décisionnelle pour votre saisine. Vous nous dites que formellement c'est l'autorité centrale du ministère de l'Intérieur et que vous vous pouvez convaincre cette autorité, dès lors que vous avez connaissance d'une commission rogatoire faite par un juge étranger, de déférer l'affaire au SFO.

M. R. WARDLE : Nous collaborons assez étroitement avec le ministère de l'Intérieur et lui recommandons de nous adresser autant de cas que possible car il nous semble parfois que certains dossiers ne nous sont pas adressés alors qu'il serait approprié qu'ils le soient. La plupart du temps, nous prenons contact avec le ministère de l'Intérieur pour leur signaler de faire quelque chose. A la suite d'une intervention de ce type, il est rare qu'ils refusent de transmettre le dossier. Il faut que cela suive une procédure officielle, c'est-à-dire la signature par le ministre de l'Intérieur de la demande qui est ensuite transmise formellement au directeur qui pourra accepter son exécution. Néanmoins, tout au long de ce processus, nous pouvons intervenir pour faire en sorte que le dossier soit traité aussi rapidement que possible.

Je précise que nous pouvons traiter certaines demandes sans commission rogatoire : par exemple, si les informations sont dans le domaine public ou si les témoins veulent bien témoigner. Ce n'est que pour utiliser nos pouvoirs coercitifs dits de la « section 2 » que nous sommes obligés de passer par des commissions rogatoires internationales.

M. le Rapporteur : J'ai là, monsieur le directeur, un certain nombre de commissions rogatoires qui, depuis quatre ans, n'ont pas l'objet d'une exécution satisfaisante de la part du Royaume-Uni. J'ai là également des déclarations de juges italiens et espagnols qui nous indiquent la difficulté extrême à obtenir la coopération judiciaire et des renseignements de nature bancaire, simples à obtenir dans tous les autres pays européens. Nous avons pu identifier, lors de notre rencontre d'hier avec la Metropolitan Police, certaines raisons expliquant ces difficultés. Quelle est votre analyse ? Lorsque vous évoquiez des faiblesses britanniques, comment envisageriez-vous une amélioration ?

M. R. WARDLE : Je ne peux parler que de nos propres dossiers. Je sais qu'il y a eu des problèmes et des griefs au sujet des procédures et de l'attitude de l'autorité centrale du Royaume-Uni, incarnée actuellement par Mme Harris. Anciennement membre du Serious Fraud Office, elle possède une grande expérience de l'obtention de preuves à l'étranger. J'espère qu'elle pourra améliorer la situation. Je sais qu'il y a toujours des problèmes de retard et autres, mais peut-être sont-ils dus à une difficulté de compréhension réciproque du système juridique en vigueur dans les différents pays. J'ai moi-même toute une série de commissions rogatoires non exécutées pour tous les pays du monde, le pire étant le Liechtenstein.

Pour améliorer la situation, il faut coopérer et personnellement, j'aimerais bien améliorer le système au Royaume-Uni. En ce qui concerne le SFO, si vous avez des demandes non exécutées, faites-le moi savoir et j'essaierai de vous aider.

Pour améliorer le système au Royaume-Uni, on pourrait accélérer la procédure utilisée pour consulter les tribunaux et obtenir une injonction. On devrait mieux contrôler le processus de traitement d'une demande. Personnellement, lorsque je veux obtenir une information dans une affaire à l'étranger, si je disposais des coordonnées du juge qui en est chargé et de son numéro de téléphone, je pourrais le contacter et essayer d'accélérer le processus. Cela aiderait dans l'autre sens également.

M. le Président : Quelle est la nature des fraudes que vous traitez ? Est-ce de la fraude à la TVA intra-communautaire ou d'autres types de fraude, et à quel type de criminalité cela nous renvoie-t-il ?

Par ailleurs, avec quelles institutions, en particulier en France, êtes-vous le plus amené à travailler ? Est-ce la police judiciaire, les douanes ou d'autres institutions comme les services fiscaux ?

En troisième lieu, il y a une question que nous nous posons depuis le début et qui, pour vous, est très difficile. Dans les enquêtes que vous menez, vous heurtez-vous souvent à la difficulté d'identifier les véritables ayants droit économiques des sociétés détentrices de comptes bancaires ?

M. R. WARDLE : Je vous réponds immédiatement oui à la troisième question. S'agissant des types de fraude, nous traitons tous les types de fraudes graves ou complexes, mais normalement nous n'avons pas affaire à la fraude douanière ou la fraude fiscale, à moins qu'il n'y ait des liens avec le dossier que nous traitons.

Nous enquêtons sur des fraudes relatives aux subventions pour l'éducation et la formation - très souvent les aides communautaires sont mal utilisées -, des fraudes à l'encontre du système national de santé ou des fraudes bancaires, sur des entreprises, tous les types de fraude pourvu que le montant soit suffisamment élevé et qu'il y ait preuve de malhonnêteté.

Il s'agit essentiellement, avec la France, d'une coopération avec la police et les juges d'instruction, parfois les douanes. Nous sommes évidemment en contact avec la communauté européenne lorsqu'il s'agit d'une fraude sur les aides communautaires.

S'agissant de l'identification des ayants droit économiques, elle est parfois très difficile. Nous pouvons la demander et si nous arrivons à identifier le titulaire du compte, la loi l'oblige à nous répondre sous peine de prison. Mais évidemment si l'argent est parti faire un tour du monde, il est très difficile d'obtenir les informations. Il faut vraiment identifier l'individu. A titre d'exemple, nous avons réussi à avoir un ordre de saisie des biens d'un individu de nationalité pakistanaise afin de l'obliger à payer 2,9 millions de livres. Nous savons que cette personne a eu accès à cette somme d'argent, mais il est très difficile d'arriver jusqu'à elle. Nous sommes bloqués au niveau de son cercle amical et familial.

M. le Rapporteur : Voulez-vous dire que les mécanismes d'identification des véritables ayants droit économiques ne sont pas suffisants aujourd'hui au Royaume-Uni ?

M. R. WARDLE : Cela ne pose pas de problème lorsqu'il s'agit du Royaume-Uni. C'est quand il y a départ de fonds vers les centres offshore, Caraïbes et autres.

M. le Rapporteur : Avez-vous rencontré ce genre de problème avec Gibraltar, Jersey, Guernesey et l'île de Man ?

M. R. WARDLE : Avec Jersey, Guernesey et l'île de Man, tout se passe très bien car ces îles se sont dotées des mêmes pouvoirs d'enquête que nous. Nous avons de très bonnes relations. Pour Gibraltar, il n'y a pas l'équivalent de la section 2. Il serait bon d'en disposer, mais la situation s'est quand même améliorée.

M. le Président : Merci beaucoup pour vos indications.

Financial Services Authority (FSA)

Audition de M. Phillip THORPE, Directeur,

et M. Brian DILLEY

(procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, rapporteur

M. Phillip THORPE : Tout d'abord, je tiens à vous remercier de votre venue. Vous aurez certainement des questions spécifiques à nous poser, et nous vous ferons part des progrès accomplis dans le domaine du blanchiment d'argent au sens large du terme.

Nous disposons d'une législation dépassée en la matière et attendons du Parlement qu'il mette en vigueur la nouvelle législation qui a été adoptée au mois de juin dernier. Nous espérons que MM. les ministres demanderont que cette législation soit mise en place en novembre de cette année.

En attendant, nous disposons donc d'une ancienne législation bancaire et de lois. Nous devons veiller à ne pas contrevenir nous-mêmes à la législation et nous focalisons notre attention sur les systèmes de contrôle mis en place par les banques. Pour l'instant, nous ne disposons pas encore de pouvoirs d'investigation directs dans les infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent et nous devons passer par l'autorité judiciaire. Nous ne poursuivrons pas en justice l'infraction de blanchiment de capitaux, mais seulement l'absence de contrôles suffisants. Nous considérons que le système d'application des normes anti-blanchiment n'est pas aussi satisfaisant que nous le voudrions.

A l'avenir, nous disposerons de pouvoirs plus étendus touchant toutes les institutions financières, que ce soient les banques, les compagnies d'assurance, les gestionnaires de fonds, et nous aurons les moyens de les poursuivre nous-mêmes en matière de systèmes et de contrôles.

Le problème des infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent reste à la charge des autorités criminelles et, de ce point de vue, nous n'avons aucun pouvoir direct à exercer. Ce sont ces autorités criminelles qui sont chargées de conduire les actions.

Mais, comme je le disais en introduction, cela ne se fera pas avant novembre 2001.

En ce qui concerne l'affaire des « fonds Abacha », nous avons reçu des informations d'un grand nombre de sources, parmi lesquelles les Suisses, qui ont publié un communiqué sur leurs investigations. Nous avons entrepris le contrôle d'un certain nombre d'institutions bancaires, pour nous assurer de la conformité de leur dispositif anti-blanchiment à l'actuelle législation. Depuis le rapport que la FSA a publié en mars de cette année, nous avons passé du temps avec celles de ces institutions qui ne répondaient pas aux exigences légales, afin d'obtenir qu'elles mettent en place les systèmes et contrôles nécessaires.

Si nous avions dû entreprendre ces enquêtes après le mois de novembre 2001, nous aurions disposé de pouvoirs plus étendus et nous aurions été en mesure de citer nommément les institutions qui ne respectaient pas la législation.

L'une de nos frustrations pour le moment est donc cette limitation de nos pouvoirs.

Nous devons donc fonctionner sur la base de la coopération avec les institutions impliquées, ce qui se produit.

Voilà ce que je pouvais vous dire. Je laisse la parole à Brian pour entrer plus dans le détail, mais serai heureux de répondre à vos questions.

M. Brian DILLEY : Ayant obtenu des informations de la part des autorités suisses sur l'existence des fonds de la famille Abacha à Londres, nous avons dû décider de la façon d'orienter nos propres enquêtes. Il s'agissait avant tout de banques, mais un certain nombre d'institutions financières qui sont également impliquées dans d'autres services financiers.

Nous avons contacté les banques et avons demandé à recevoir des informations sur tout compte identifié comme ayant un lien direct ou indirect avec le général Abacha, lui ou ses associés. Nous avons étudié la documentation qui nous est revenue et sommes allés dans chaque institution étudier en détail les procédures et systèmes de contrôle et de vérification.

Nous avons examiné toutes les faiblesses en ce qui concerne la collecte de données au moment de l'ouverture de compte et avons vérifié aussi les procédures utilisées pour la gestion du compte.

Lorsque nous avons relevé des faiblesses dans les procédures utilisées, nous avons essayé de voir si l'erreur avait été relevée par la banque elle-même et si des procédures avaient été introduites pour y remédier.

Au mois de mars, un communiqué de presse a été publié et nous avons annoncé que des faiblesses significatives avaient été relevées dans quinze institutions bancaires. Sur ces quinze, huit ont depuis remédié aux manquements constatés. Nous avons demandé aux sept autres de modifier leur système et leurs procédures.

Nous avons créé un petit groupe d'intervention - Task force - pour faire en sorte que des procédures uniformes soient appliquées par la FSA à toutes ces institutions bancaires. Nous avons bien dit aux institutions concernées quelles étaient les faiblesses constatées et nous avons fixé à chacune un délai d'exécution pour y remédier.

Nous verrons si, en temps voulu, chaque banque concernée aura pris les mesures qui lui étaient demandées. A cette fin, ont été nommés des comptables, qui doivent nous rendre leurs conclusions avant la fin de l'année.

Concernant ces quinze banques pour lesquelles nous avons relevé des faiblesses significatives, la FSA se préoccupe surtout de savoir si la situation persiste encore. Mais, évidemment, le fait qu'il y ait eu par le passé des faiblesses dans les procédures pourrait aussi donner matière à procès. En d'autres termes, les banques seraient coupables d'avoir enfreint le règlement concernant le blanchiment d'argent, d'avoir enfreint les lois qui ont été introduites par la Grande-Bretagne pour donner suite à la première directive sur le blanchiment des capitaux de l'Union européenne.

Nous sommes en discussion avec les autorités policières pour voir si, effectivement, les faiblesses relevées sont une infraction à la législation pénale. La police, de son côté, mène une enquête pour voir s'il faut engager un procès contre ces banques.

Concernant les autres résultats de l'enquête, nous avons observé six autres types de faiblesses qui concernent, en fait, toutes les banques étudiées. Cela ne signifie pas que toutes ces faiblesses ont été relevées dans chacune des banques mais que ce sont des faiblesses qui reviennent régulièrement. Je peux vous donner le communiqué de presse qui vous livrera de plus amples détails sur ces lacunes.

Je dois par ailleurs préciser que nous ne sommes pas chargés de retrouver les fonds détournés par Abacha. Cela ne relève pas de nos responsabilités. Nous nous intéressons simplement aux systèmes et aux procédures de contrôle mis en place par les institutions financières qui relèvent de notre autorité.

Mais, bien sûr, nous sommes en contact avec les autorités policières du Royaume-Uni. Comme toute autre institution financière, la FSA est soumise à l'obligation de signaler à la police tout soupçon portant sur des fonds qui seraient le produit d'un comportement criminel. Si nous avions des soupçons au cours d'une de nos enquêtes concernant l'une ou l'autre des institutions financières, nous serions confrontés à la même obligation de transmettre ces informations à la police.

L'étape suivante, dans le cadre de cette enquête de la FSA, est de finaliser le contenu du rapport à fournir par les comptables, nommés rapporteurs. Ceux-ci examinent les procédures et nous rendent compte si elles ont été améliorées.

Tout ne se déroule pas en même temps. Les rapports seront échelonnés au long des mois à venir, parce que les institutions se trouvent dans des situations différentes les unes par rapport aux autres. Mais si nous trouvons, à la fin de l'année, qu'une institution n'a pas corrigé les faiblesses constatées, nous pourrons utiliser les pouvoirs qui nous sont conférés dans le cadre de la loi sur les banques (Banking Act). Ces pouvoirs comprennent la mise en place de plans d'actions de redressement, la limitation des affaires de la société et enfin, le prononcé du retrait. Les pouvoirs d'application de la loi nous seront conférés dans le cadre de la loi sur les marchés et les institutions financières (Financial Services and Markets Act) plus tard dans l'année.

M. Phillip THORPE : Nous avons dit très clairement aux institutions financières qui font l'objet de nos investigations qu'il serait bien mieux pour elles de prendre les mesures de redressement nécessaires avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Nous avons également indiqué très clairement que nous avions bien l'intention d'utiliser pleinement les nouveaux pouvoirs qui nous seront octroyés dans le cadre de cette nouvelle loi.

M. Brian DILLEY : Il ne s'agit pas de pouvoirs rétroactifs, même s'il s'agit toujours de systèmes et de procédures de contrôle et de vérification mais, dès l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, il nous sera possible d'exercer nos nouvelles compétences. Donc, si à ce moment-là subsistent encore des faiblesses au sein des institutions financières, nous aurons la possibilité d'agir tout de suite car, bien sûr, nous évaluerons les faiblesses constatées à l'aune du nouveau règlement FSA - dont je vous donne un exemplaire.

M. Phillip THORPE : Je tiens à vous préciser qu'il s'agit là du projet de nouveau règlement. Ces nouvelles règles n'entreront réellement en vigueur qu'au 21 juin. Elles n'existent donc pas pour le moment.

M. le Rapporteur : D'accord.

M. Brian DILLEY : Ensuite, notre fonction consistera à nous assurer que les institutions financières sont en conformité avec le nouveau règlement. De plus, nous aurons la possibilité d'engager des procès, s'il y a infraction à la législation sur le blanchiment des capitaux.

Comme le disait M. Phillip Thorpe, l'action que pourra désormais entreprendre la FSA dans une affaire du type Abacha sera tout à fait différente de ce qui a été fait sous l'actuelle législation, dans le cadre de cette affaire Abacha.

M. Phillip THORPE : J'ajouterai deux ou trois remarques concernant le problème de fond.

Nous nous occupons surtout des institutions bancaires. Avec l'adoption de la nouvelle loi, notre responsabilité s'étendra à toutes les institutions financières. Nous pensons que les banques ont de quoi améliorer leurs procédures et leurs systèmes de contrôle, mais nous pensons également que cela s'applique aussi à d'autres institutions financières qui ont, je crois, bien besoin d'améliorer leur système.

Nous nous occupons de la réglementation d'un grand nombre d'institutions financières, mais nous reconnaissons que si nous mettons en place un cadre très complet, le blanchiment de capitaux essaiera de trouver d'autres circuits. Il pourra par exemple se diriger vers les bureaux de change qui, aujourd'hui encore, ne sont pas réglementés au Royaume-Uni.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de votre hospitalité et de toutes les informations que vous nous donnez.

Les Français que nous sommes, réfléchissons à ce que vous avez déjà réalisé à travers la FSA. C'est pour nous un point de réflexion sur l'évolution de nos propres structures. J'aurais quelques questions techniques à vous poser sur votre mode de fonctionnement car, de culture juridique différente, certains points nous échappent.

Avez-vous la possibilité d'infliger des sanctions disciplinaires, c'est-à-dire des sanctions qui ne soient pas pénales c'est-à-dire conditionnées par la définition d'une infraction et l'administration de preuves, mais de type administratif - une amende, une interdiction de gérer - qui ne seraient pas infligées par un juge ou un tribunal ?

M. Phillip THORPE : La réponse est oui.

Lorsque nous aurons ces nouveaux pouvoirs, nous aurons des pouvoirs administratifs et des pouvoirs relevant de la législation pénale. Nous aurons donc la possibilité d'infliger un certain nombre de sanctions : nous pourrons expulser une institution financière de la communauté financière ; nous pourrons infliger une amende, nous pourrons également prononcer une réprimande publique. Pour nous, cela s'appliquera non seulement à l'institution, mais aussi à l'individu au sein d'une institution.

Petit point additionnel concernant la charge de la preuve pour les sanctions disciplinaires, le niveau de la preuve ne sera pas aussi élevé que pour les délits et crimes, mais ne sera guère inférieur.

M. le Rapporteur : Ces pouvoirs n'interviendront qu'en novembre ?

M. Phillip THORPE : C'est cela.

M. le Rapporteur : Ils ne sont pas encore en vigueur ?

M. Phillip THORPE : Pas encore.

M. le Rapporteur : Pour quelle raison, cette loi n'a-t-elle pas été d'application immédiate ?

M. Phillip THORPE : Les politiques ! (Sourires.)

En fait, la nouvelle législation est très complexe et sa mise en _uvre prendra inévitablement du temps. Elle arrive après toute une série de lois antérieures et elle remplace également un grand nombre de lois secondaires - règlements et ordonnances. Il faut donc une période de transition parce qu'il faut mettre en _uvre des procédures compliquées pour transférer l'ensemble de ces règles dans le nouveau corpus.

M. le Rapporteur : J'ai une autre question technique. Vous édictez des règles qui vont s'appliquer aux intermédiaires financiers, c'est-à-dire qu'en fait, vous faites application de la loi. Vous disposez donc d'un pouvoir réglementaire ?

M. Phillip THORPE : Cela peut paraître choquant, mais nous avons un pouvoir de législation...

M. le Rapporteur : C'est-à-dire que vous avez délégation par le parlement britannique pour édicter des règles ?

M. Phillip THORPE : Tout à fait.

M. le Rapporteur : C'est ce que nous ne comprenons pas.

M. Phillip THORPE : Cette loi sur les marchés financiers est une loi-cadre.

M. le Rapporteur : Comment est nommé Howard Davis ? Quel est son statut, son indépendance par rapport à la puissance financière ?

M. Phillip THORPE : Nous pensons que c'est un acte de Dieu ! (Sourires.) En fait, c'est le gouvernement.

Les directeurs exécutifs sont directement nommés par le gouvernement, par le chancelier de l'Echiquier. C'est un contrat de durée déterminée, le président est nommé pour cinq ans et les directeurs pour trois ans. Notre mandat est renouvelable.

M. le Rapporteur : Dans l'affaire Abacha, qui est un très bon exemple, nous sommes allés en Suisse où nous avons vu que la Commission fédérale des banques avait rendu un rapport public, dans lequel sont cités les noms des établissements qui n'ont pas respecté leurs obligations. Je voudrais connaître les raisons pour lesquelles vous n'avez pas jugé utile de faire la même chose.

M. Phillip THORPE : Pour l'instant, c'est un délit de citer une institution de cette manière.

M. le Rapporteur : C'est une criminal offense.

M. Phillip THORPE : Dans le cadre de la nouvelle loi, il faudra fournir la preuve d'une infraction avant de pouvoir nommer une institution ou individu.

M. le Rapporteur : Auprès de qui faudra-t-il le prouver ? D'un tribunal ou de l'opinion ?

M. Phillip THORPE : Nous devrons le prouver auprès du tribunal administratif qui sera également établi dans le cadre de la nouvelle loi.

M. le Rapporteur : Permettez-moi de citer les Suisses car, lorsque nous avons rendu notre rapport, les Suisses nous demandaient pourquoi nous les critiquions et nous conseillaient d'aller plutôt demander des explications à nos amis anglais. Je leur répondais qu'en tant que Français, nous nous posions nous-mêmes les questions que nous posions aux Suisses, aux Anglais, aux Allemands, etc., que c'était un problème universel ou, pour le moins européen.

A l'instar des Suisses, allez-vous traiter particulièrement le problème des politically exposed persons, des « PEP », dans les règles que vous avez établies à l'intention des établissements financiers ? Le cas Abacha pourrait en faire partie.

M. Phillip THORPE : Non, pas encore parce que ces règles ont été élaborées juste avant l'affaire Abacha. Brian va vous expliquer où en est notre réflexion actuelle.

M. Brian DILLEY : Les Suisses ont organisé une conférence générale à Lausanne en janvier dont le thème était justement le traitement réservé par les gouvernements aux capitaux détenus par ces « PEP », considérés sous l'angle de la réglementation : quelles règles énoncer, quelle conduite adopter face à ce type de groupes ? Il a surtout été question du rapatriement des capitaux volés.

Après cette conférence en Suisse, la FSA a organisé un atelier à l'intention des représentants des autorités réglementaires des différents pays où il a été discuté du point de savoir s'il fallait un cadre international pour la gestion de ce type de compte et, si oui, ce qu'il devrait être.

Une nouvelle réunion se tiendra au mois de septembre pour poursuivre notre réflexion sur ce sujet, l'hôte étant la Commission bancaire française.

Ensuite, les pays décideront eux-mêmes si ce travail doit être poursuivi. La FSA pourrait très bien décider d'énoncer une règle pour la Grande-Bretagne concernant la gestion des comptes de ces personnalités sensibles. Si elle prenait cette décision, elle pourrait modifier son règlement dans ce sens.

M. Phillip THORPE : C'est un domaine délicat. Evidemment, il y a les PEP, mais plus généralement la question d'un régime corrompu. Pour la FSA, il ne faut pas caractériser certains régimes comme étant des régimes corrompus.

Ce n'est pas notre rôle. Cela, c'est la tâche d'un gouvernement.

M. le Rapporteur : Mais dans la mesure où vous êtes un peu législateur, vous exercez une tâche gouvernementale ?

M. Phillip THORPE : Oui, mais il faut l'exercer dans le cadre des directives données par le gouvernement. En règle générale, nous estimons que ce n'est vraiment pas à nous de critiquer.

M. le Rapporteur : Je comprends. Ce n'est pas à vous de dire à l'égard de quel pays vous pourriez être amenés à édicter des normes plus restrictives que pour d'autres. Cela, il est vrai, relève du gouvernement.

Pourtant, l'élaboration de critères impersonnels à partir desquels il serait possible de détecter de l'argent sale à travers les caractères politiques de la personnalité en question reste un critère qui n'est pas offensant, pour quelque souveraineté que ce soit. C'est ce qu'a fait l'autorité de contrôle suisse, sans d'ailleurs toujours l'appliquer comme certains observateurs l'auraient souhaité.

M. Phillip THORPE : Je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous avons la possibilité d'édicter des normes. Le problème, c'est qu'un gouvernement ne peut pas toujours donner un signal très clair. Il y a souvent une certaine ambiguïté dans les instructions données. Le gouvernement britannique avait des relations avec le régime d'Abacha. Il n'avait pas exclu, mis de côté, le gouvernement Abacha. Cela aurait été gênant.

M. le Rapporteur : Mais vous voyez bien qu'un jugement de valeur moral sur un régime peut être sans rapport direct avec une analyse objective de la fortune incompréhensible d'un ayant droit économique.

M. Phillip THORPE : Nous sommes, à mon avis, sur un terrain tout à fait normal pour la FSA parce que le blanchiment de l'argent est une question de droit qui peut être définie assez exactement et nous pouvons édicter des règles et des critères que les institutions financières doivent appliquer pour décider si, oui ou non, il s'agit de faits qui se produisent dans leur institution. Mais c'est un domaine où la politique et le financier se côtoient et s'imbriquent.

M. le Rapporteur : Pardonnez-moi de passer d'un sujet à un autre, mais l'année dernière, nous avons écouté attentivement ce que vous nous aviez dit. Une expression revenait souvent sur votre méthodologie, celle d'une parallel but separate approach. Qu'est-ce que cela signifie ? Nous n'avons pas tout à fait compris. A quoi cela s'applique-t-il ? Pourquoi cette nuance ?

M. Brian  DILLEY : Une approche parallèle mais distincte concerne les règles de la FSA comparées aux exigences des règles de lutte contre le blanchiment des capitaux de 1993 (loi pénale). L'intention est de montrer que les exigences sont approximativement les mêmes mais qu'elles ne sont pas directement liées.

Les money laundering regulations comportent des notes d'interprétation élaborées par des associations professionnelles. Dans ces notes, on trouve des codes de meilleures pratiques, dont l'identification du client, la surveillance, etc. En outre, être en conformité avec ces notes veut dire être en conformité avec les money laundering regulations.

Les règles de la FSA ne sont pas liées directement aux régulations ou aux notes d'interprétation, mais la première règle que vous trouverez dans ce texte est d'identifier de manière appropriée la personne demandant à ouvrir un compte. La FSA doit décider si une institution financière a appliqué la règle ou non, voire si cette institution est en conformité avec les notes d'interprétation des money laundering regulations.

M. le Rapporteur : Pour revenir à ce que la Mission parlementaire française appelle la maladie des autorités de régulation financière, c'est qu'elles ont une approche avant tout économique, et procèdent à des analyses prudentielles de respect de ratio, d'équilibre interne, etc., et que cette analyse prime toujours l'analyse déontologique de respect de la règle. C'est le cas en France, et c'est la critique que nous adressons à notre institution.

J'aimerais savoir comment vous avez mis en place des réponses à ce risque ?

M. Phillip THORPE : Ce n'est pas une question facile. Jusqu'à présent, notre système accorde une grande priorité aux systèmes et aux procédures de vérification ainsi qu'à la qualité des dirigeants.

Je ne veux pas dire que nous avons toujours trouvé le bon équilibre par le passé. En révisant notre démarche d'appréciation du risque, notre conclusion est qu'il faut renforcer les systèmes et les procédures de contrôle pour donner aux institutions financières beaucoup plus de possibilités pour prendre des décisions dans des circonstances difficiles.

Je vous l'ai déjà dit, nous n'avons pas encore assez de pouvoirs pour sanctionner les individus et, en ce qui concerne les banques et les autres institutions financières, ce sont de nouveaux pouvoirs pour la FSA et les institutions financières ne font pas preuve d'un enthousiasme inconditionnel pour ces nouvelles compétences que nous avons acquises. C'est donc un petit problème de « marketing » pour la FSA, mais nous devons annoncer très clairement que nous avons bien la possibilité de modifier le comportement des institutions financières, et les dirigeants des institutions financières doivent bien comprendre leur responsabilité personnelle.

Dans le cadre de notre nouveau système de surveillance, nous nous occuperons surtout des responsabilités des hauts dirigeants.

Les directeurs d'une institution, les responsables supérieurs, les personnes qui s'occupent du respect des lois, y compris le responsable du blanchiment des capitaux, bref, toute une série de personnes au sein d'une institution financière sont identifiées comme devant se comporter avec excellence. On leur explique bien qu'elles sont personnellement responsables et qu'elles encourent le risque grave d'être en infraction avec la loi si elles ne réussissent pas à respecter les normes.

Il faut vraiment faire comprendre le besoin au sein des institutions financières d'un comportement éthique. Le message ne passera vraiment que lorsque les individus l'auront compris. Chaque fois que nous relevons des faiblesses au sein d'une institution, c'est toujours que quelqu'un a pris une décision personnelle, parce que quelqu'un est responsable, seul, de la priorité accordée au chiffre d'affaires, responsable d'avoir fait passer le chiffre d'affaires ou les résultats avant les principes éthiques.

M. le Rapporteur : A ce sujet, j'ai lu que la FSA appliquait aux filiales des banques britanniques qui sont situées en dehors de la Grande-Bretagne, les règles déontologiques que vous exigiez sur le territoire de la Grande-Bretagne. Quelle est votre position sur les filiales des banques, de quelque nature que ce soit et de quelque nationalité que ce soit - la notion de nationalité est d'ailleurs assez complexe à définir - dans les territoires non coopératifs qui figurent sur la liste noire du GAFI ?

M. Brian DILLEY : Au sein de l'Union européenne, c'est l'Etat membre où se trouve le siège de la société holding qui porte une pleine responsabilité pour la surveillance des filiales se trouvant à l'intérieur de l'Union européenne.

C'est la même chose en ce qui concerne les filiales de banque originaires des autres pays membres de l'Union européenne.

M. Phillip THORPE : Mais, au delà,...

M. Brian DILLEY : Mais, au-delà, nous avons un pouvoir réglementaire sur les filiales à l'étranger. Nous n'aurons pas le pouvoir de sanctionner des individus en dehors du Royaume-Uni. Toutefois, si un individu du Royaume-Uni dirige des opérations en dehors du Royaume-Uni, il peut faire l'objet d'une action disciplinaire pour ne pas avoir agi avec intégrité. Les procédures de contrôle qui s'appliquent à l'institution en général, s'appliqueront également aux filiales. On aura le même système. Donc, la haute direction de l'institution se trouvant au Royaume-Uni doit mettre en place des procédures appropriées de vérification et de contrôle des filiales.

M. le Rapporteur : Cela signifie que si une filiale de banque britannique fait l'objet d'une enquête judiciaire dans un pays lambda, il serait possible que le juge d'un pays d'Europe qui essaie d'obtenir en vain des informations sur le fonctionnement d'un compte, d'une société ou d'une entité financière dans ce territoire non coopératif, puisse signaler à votre autorité les anomalies qu'il considère comme entachées au titre des règles anti-blanchiment de son pays, et fournir les informations qu'il est en mesure de posséder, de manière à ce que la police interne à l'entité bancaire puisse fonctionner ?

En clair, quand on n'arrive pas à avoir de la coopération judiciaire, est-il possible d'avoir, en substitution, de la coopération administrative ?

M. Phillip THORPE : Excusez-moi, je ne pourrais peut-être pas vous donner une réponse complète, mais nous avons ce que l'on appelle des gateway provisions dans notre nouvelle loi, qui offre la possibilité de collaborer avec les autorités administratives. Il faudrait que je vérifie le contenu exact de la nouvelle loi mais je sais que nos compétences seront considérables.

Même aujourd'hui, dans le cadre des lois existantes, nous recevons pas mal de demandes des autorités réglementaires d'autres pays concernant des institutions, des individus, parfois même des transactions. Si nous croyons que la demande est bien fondée, nous avons la possibilité de mener une enquête ou de rechercher les informations demandées.

M. Brian DILLEY : Je n'ai pas le détail, mais je pense qu'il serait assez improbable qu'un juge se tourne vers la FSA pour obtenir des informations.

M. le Rapporteur : Il peut vous transmettre des informations pour enquête interne au sein de l'entité financière.

M. Phillip THORPE : Bien sûr.

M. le Rapporteur : Vous l'accepteriez ?

M. Phillip THORPE : Oui, de n'importe où.

M. le Rapporteur : Et n'importe qui ? Même d'un juge ? ! (Sourires.)

M. Phillip THORPE : Nous ne sommes pas difficiles.

M. Brian DILLEY : D'ailleurs, parmi les grands principes de bon comportement exigés des institutions financières par la FSA, l'intégrité de gestion d'une entreprise est une grande exigence de la FSA. Donc, si une filiale devait faire obstacle à une enquête, si une entité juridique au Royaume-Uni était concernée ou mettait des entraves, cela pourrait déclencher une action disciplinaire, parce que l'on pourrait dire que cette entreprise ne s'est pas comportée avec l'intégrité de gestion exigée par la FSA.

M. le Rapporteur : Pour passer au secteur non bancaire, qui est le problème de toutes les autorités de régulation, la participation du secteur non bancaire se pose de façon particulière au Royaume-Uni, mais dans d'autres pays également par rapport aux professions juridiques qui manient de l'argent et les fameux corporate services providers. Comment la FSA entend-elle améliorer la situation, puisque vous êtes un peu législateurs ?

M. Phillip THORPE : Nos pouvoirs législatifs vont être considérables mais ne vont pas s'étendre aux corporate services providers.

M. le Rapporteur : Donc, il faudrait une nouvelle loi.

M. Phillip THORPE : Je sais que le Gouvernement britannique étudie cette question et envisage de faire passer une nouvelle loi pour couvrir les corporate service providers. Un rapport de l'Unité de performance et d'innovation du cabinet du Premier ministre a été publiée dans lequel était identifiée toute une série de possibilités pour compléter la législation existante.

Les corporate formation agencies avaient été ciblées, ainsi que les bureaux de change, les ventes aux enchères - les maisons comme Christies -, les revendeurs d'automobiles et les agents immobiliers. Toutes ces professions ont été identifiées comme des secteurs d'intérêt potentiel pour ceux qui pratiquent le blanchiment des capitaux.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions infiniment. Désolé de vous avoir harcelé de questions, mais nous sommes très intrigués.

M. Phillip THORPE : Si vous aviez d'autres questions, n'hésitez pas à nous contacter, nous sommes tous confrontés au même problème.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions encore, et à très bientôt.

Ministère de l'Intérieur (Home Office)

Audition de Mme Lorna HARRIS
Chef du service de la coopération judiciaire

(procès-verbal de la séance du 13 juin 2001)

Présidence de M. Arnaud Montebourg, rapporteur

M. le Rapporteur : Avant que nous entrions dans notre sujet commun, je peux sans doute dire un mot des travaux de notre Mission.

Nous avons travaillé sur la Suisse et avons rendu un rapport qui n'a pas été très apprécié de nos amis helvètes, parce nous considérions que les Suisses ne remplissaient pas tout à fait les exigences du GAFI, notamment en ce qui concerne les systèmes judiciaire et bancaire.

En revanche, sur le terrain de la coopération judiciaire, nous considérons que l'appareil judiciaire helvétique fonctionne très bien. Les critiques que nous avons formulées étaient donc limitées au fonctionnement du système judiciaire et à l'absence de régulation.

Nous avons travaillé également sur Monaco, ce qui a donné lieu à des incidents entre le gouvernement français et celui du Prince, et à une remise à plat des traités unissant les deux pays.

Notre rapport sur le Liechtenstein a, avant lui, provoqué un certain nombre de remises en question.

Nous sommes en train d'enquêter sur la France, notamment sur les départements du sud de la France, qui ne sont sans poser de problèmes par rapport à l'application de la loi, notamment en matière judiciaire.

Nous sommes allés à Jersey, Gibraltar et l'île de Man. Nous avons décidé avec les parlementaires de la Mission de faire un rapport sur le Royaume-Uni et les dépendances précitées. L'essentiel de notre travail concerne les difficultés de la coopération judiciaire qui varient selon les territoires, mais se ressemblent toutes en ce que de nombreux juges, pas seulement français mais aussi belges, espagnols et d'autres nationalités, nous ont dit avoir avec le système judiciaire britannique.

Les enquêtes que nous avons menées et l'analyse que nous avons pu faire l'année dernière après vous avoir rencontrée, ce fut d'ailleurs un moment passionnant, et avoir entendu les policiers britanniques, nous ont amenés à considérer que nos systèmes juridiques étaient tellement incompatibles, parce qu'ils proviennent d'histoires complètement différentes, que nous avions du mal à les faire fonctionner ensemble, à quelques exceptions près, dont les services proches de l'attorney général, le Serious Fraud Office, qui, pour nous, Français, qui demandons une meilleure coopération judiciaire et répondons à vos demandes, nous paraît être un mécanisme à renforcer.

Nous avons pris connaissance, par ailleurs, du rapport rendu par la Performance Innovation Unit sur le service que vous dirigez, qui nous amène à poser des questions précises car, lorsque nous rédigerons notre rapport, nous voudrions pouvoir être justes et précis et ne commettre aucune indélicatesse.

Mme Lorna HARRIS : Je serai très heureuse de pouvoir vous aider.

Nous sommes conscients du fait que vous devez pouvoir disposer d'informations très précises et appropriées. Je pense qu'il est très difficile de généraliser sur ce sujet, en particulier en ce qui concerne nos relations avec les îles anglo-normandes et Gibraltar. Nous avons des structures différentes et je ne peux être tenue pour responsable des difficultés tenant à des législations différentes dans ce domaine.

Par ailleurs, j'entends ce que vous dites des difficultés supposées entre le système continental et ce que vous décrivez comme étant le système du Royaume-Uni. Or, des études d'experts ont montré que lorsque l'on examine avec soin le sujet, la critique ne peut être soutenue à l'encontre de quelque pays que ce soit. Les critiques prennent un caractère soit historique, soit anecdotique mais elles ne sont pas étayées par des arguments de fond.

Je suis donc très réticente face à la critique et pense qu'il est même dangereux de se livrer à une critique rampante du système d'un autre pays sans preuve flagrante. Nous avons ici le magistrat de liaison français et depuis Pâques dernier, un magistrat de liaison britannique est à Paris, qui sont nos baromètres de ce qui se passe entre le Royaume-Uni et la France. Ils ne peuvent être suspectés de ne pas faire leur travail avec tout le sérieux nécessaire. Au contraire, depuis l'arrivée de David Clark à Paris, les choses vont encore mieux. C'est la première fois que le Royaume-Uni a un magistrat de liaison à l'étranger et nous considérons cela comme très positif. Mais je pense qu'il est très dangereux de se livrer à des généralisations.

Si vous avez des questions spécifiques, je suis prête à y répondre, mais j'hésite beaucoup à accepter et à répondre à des critiques d'ordre général.

M. le Rapporteur : Loin de nous l'idée de ne faire de l'ensemble des dependancies et du Royaume-Uni qu'une seule et même chose. Nous avons d'ailleurs pris le soin de nous rendre dans ces endroits et de constater l'autonomie gouvernementale et administrative de ces territoires. Voilà pour écarter votre crainte.

L'autre point, c'est que nous avons des critiques générales à apporter, qui s'appuient sur des constatations que nous avons faites lors de notre dernier voyage sur des commissions rogatoires internationales qui se heurtent à des difficultés car la conception britannique du droit de la preuve n'est pas la même que la nôtre. Notre propos n'est pas de critiquer un autre système que le nôtre, mais d'aider nos magistrats à mieux vous comprendre.

Les rapports que nous rendons sont publics et très utilisés dans les tribunaux de tous les départements de France par des magistrats qui cherchent à comprendre.

Notre point d'analyse est avant tout de tenter de mesurer comment la situation évolue. J'ai rencontré votre Ambassadeur à Paris qui m'a annoncé l'arrivée de M. Clark, il y a quelques mois. C'est, en effet, un moyen de faire fonctionner des mécanismes qui ne fonctionnent pas d'eux-mêmes ensemble.

Les questions que je souhaiterais vous poser sont très précises et ne sortiront pas de cette précision.

J'ai lu le rapport du Cabinet Office auprès du Premier ministre relatif à la confiscation des produits du crime « Recovering Proceeds of Crime » de juin 2000, qui est très intéressant. Nous devrions faire la même chose dans notre pays. Au paragraphe 11.51, il est dit que : « l'Autorité centrale qui accorde l'aide judiciaire au Royaume-Uni - l'UKCA - doit faire l'objet d'une évaluation dans le cadre d'une révision plus large du dispositif de coopération judiciaire mutuelle. Il est notamment demandé au Home Office, en tant qu'élément de cet ensemble, de s'interroger sur le bon fonctionnement de l'UKCA et il est souhaité que cette autorité centrale acquière une plus grande connaissance des législations des autres pays afin de mieux les aider dans leurs demandes et qu'elle recherche tous les moyens de parvenir à un traitement plus rapide de ces requêtes ».

Ma question concerne cette évaluation. Cette évaluation spécifique du service a-t-elle été faite par le Home Office ? Quelles décisions en ont résulté, puisqu'une sorte de choix semblait devoir être fait sur l'évolution de votre service ? Quelles décisions ont-elles été prises à l'issue de cette évaluation ?

Mme Lorna HARRIS : Suite aux développements intervenus en Europe et dans d'autres pays du monde concernant les mécanismes d'entraide judiciaire, nous avons été amenés à évaluer à nouveau l'étendue et le détail de notre législation en matière d'aide judiciaire. Nous n'avons pas encore le résultat de cette analyse et, par conséquent, aucune décision n'a encore été prise.

M. le Rapporteur : Au paragraphe 11.2, il est fait état d'une évaluation sur le temps moyen de traitement d'une demande d'aide judiciaire par le Royaume-Uni. Il n'y a pas d'évaluation concernant la France. Savez-vous pour quelles raisons ?

Mme Lorna HARRIS : Nous avons répondu à votre question avant votre venue.

M. le Rapporteur : Notre problème n'est pas de connaître des statistiques. Nous avons les pourcentages des non-réponses et de non-exécution qui sont préoccupants. L'année dernière, vous aviez dit que vous contestiez les chiffres que nous vous présentions.

Mme Lorna HARRIS : Parce qu'ils n'étaient pas exacts.

M. le Rapporteur : Nous faisons les comptes à partir des demandes. Ce ne sont d'ailleurs pas nos chiffres, mais ceux du ministère de la Justice qui nous a donné le nombre de demandes non exécutées. Vous avez contesté ces chiffres et aviez d'ailleurs promis d'apporter des éléments précis. Je renouvelle ma demande. Je suis prêt à vous donner les statistiques contenues dans un document du ministère de la Justice, mais je souhaiterais que vous puissiez, comme vous nous l'aviez proposé l'année dernière, les contester le plus précisément possible puisque nous avons là un nombre d'affaires en matière financière, en matière de blanchiment et des taux de non-réponse préoccupants.

Mme Lorna HARRIS : J'ai préparé quelques chiffres que le magistrat français de liaison à Londres, M. Meslin, pourra vous transmettre.

M. le Rapporteur : Par M. Meslin, nous pourrons sans doute vous faire passer cela. Nous ne voulons mettre en difficulté personne. Notre propos est d'essayer de sensibiliser à la fois l'opinion publique britannique, mais aussi l'opinion publique française et les pouvoirs publics de nos deux pays pour améliorer entre eux la coopération judiciaire, qui reste le point noir. Pour le reste, nous considérons que nous enregistrons de bons résultats.

Le fait de ne pas parvenir à une bonne coopération est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision de faire un rapport, car nous ne faisons pas de rapport sur tous les pays dans lesquels nous nous sommes rendus. C'est précisément parce que nous ne voyons pas d'améliorations concrètes par rapport aux années passées que nous le faisons.

Je note avec satisfaction, et c'est un point très positif, la venue à Paris d'un magistrat de liaison britannique mais, pour le moment, il est très important que vous nous répondiez sur ces taux de non-réponse et que nous regardions au cas par cas. L'année dernière, j'étais venu avec une cinquantaine de commissions rogatoires de juges français, qui n'étaient pas exécutées. C'est vrai que ces derniers parlent pas mal anglais et ne connaissent pas le droit anglais, mais je n'ai pas l'impression que l'on ait réussi à améliorer significativement ce chiffre.

Je souhaiterais que vous puissiez nous répondre. S'il faut les examiner au cas par cas, nous le ferons.

Mme Lorna HARRIS : Je ne sais pas de quels cas particuliers vous souhaiter parler. Si vous aviez des exemples précis, nous serions heureux de pouvoir vous répondre.

L'an dernier, lorsque nous parlions de statistiques, vous évoquiez le chiffre de six cents cas et nous parlions de trois cents. Les deux étaient incompatibles.

Si nous examinons par trimestre, vous verrez que sur les quatre derniers trimestres, du second trimestre  au premier trimestre de cette année, nous vous avons envoyé au total 124 demandes. Si vous regardez l'autre document, nous avons reçu 707 demandes de votre part.

M. le Rapporteur : Que signifie non coercive services ?

Mme Lorna HARRIS : Ce sont des jugements de tribunaux français. Ce fort déséquilibre est dû à des exigences de procédure.

M. le Rapporteur : Mon propos n'est pas statistique...

Mme Lorna HARRIS : Depuis la nomination de David Clark, nous avons augmenté nos ressources humaines dans l'UKCA de près de 50 %. Nous l'appelons notre équipe de rattrapage. Cette équipe a commencé à travailler fin janvier et vous pouvez déjà constater que les cas français qui sont traités sont de plus en plus nombreux. Non seulement ils sont traités, mais ils sont menés à leur terme.

M. le Rapporteur : Merci beaucoup. Je vous le rappelle, mon propos n'est pas statistique. Je voudrais compléter ces comparaisons par un certain nombre de cas que j'ai apportés aujourd'hui avec moi. Il s'agit de cas très graves pour nous que je voudrais que vous examiniez. Je les transmets par l'intermédiaire de M. Meslin. Ce sont des cas récents. Nous avons notamment une affaire concernant des blanchiments d'argent provenant du trafic de drogue, dirigée par le juge Boizette, qui a cherché par tous les moyens à faire avancer son dossier. Je souhaiterais que vous accordiez une attention toute particulière sur ce dossier, pour que nous en sortions.

J'ai là également un rapport du chef de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, l'équivalent du SFO.

Mme Lorna HARRIS : Quand cette commission nous a-t-elle été envoyée ?

M. le Rapporteur : C'est une vieille affaire dont s'occupe Mme Boizette. Elle commence en 1994 et concerne la Barclays Bank à Londres. Je vous donne le rapport établi en 1999 par le chef de l'Office central de la répression de la grande délinquance financière, policier de haut niveau, qui, dit-il, « rencontre des difficultés d'exécution aux commissions rogatoires pour lesquelles les autorités judiciaires du Royaume-Uni ont été sollicitées ». Il conclut en disant que « cette situation obère gravement l'issue de cette affaire dans la mesure où les poursuites diligentées en France ne pouvaient aboutir sous l'angle du blanchiment dans la mesure où cette qualification était subordonnée au retour des commissions rogatoires. »

Cela nous a fait donc tomber l'affaire. Je voudrais que vous regardiez cela.

Mme Lorna HARRIS : Volontiers, mais cela aurait été plus facile si vous nous l'aviez demandé avant.

M. le Rapporteur : Je vous l'apporte personnellement.

J'en ai ici une autre, plus ancienne, qui a fait l'objet de nombreuses correspondances et de demandes complémentaires de la part de votre service. C'est une information judiciaire contre un Français qui aurait commis, paraît-il, des abus de biens sociaux et des escroqueries. Je vous les laisse. Vous pourrez voir tout ce que nous avons fait, tout que tous ces magistrats ont fait.

J'ai également une affaire concernant le blanchiment de fonds provenant de trafics d'armes, qui nous pose problème.

Mme Lorna HARRIS : Pourriez-vous me les donner ?

M. le Rapporteur : Je n'ai pas de copie, mais peut-être pourrons-nous vous les transmettre par l'intermédiaire de M. Meslin.

Mme Lorna HARRIS : Oui, mais j'ai vu en feuilletant la dernière qu'il y a des réponses de notre part.

M. le Rapporteur : Oui, deux de 1999, trois de 1998 et une de 1997, première année.

C'est très bureaucratique, très formaliste. Voilà le sentiment qu'ont les Français.

Mme Lorna HARRIS : Si l'on prend la dernière lettre, pouvez-vous traduire ce qui est répondu ?

M. MESLIN : « Je me réfère à mes correspondances du 11 août 1999 et du 18 février 1999 à propos de la demande ci-dessus référencée, pour dire que nous sommes incapables de procéder avec cette demande jusqu'à ce que nous ayons reçu l'information demandée par la lettre du 11 août. Si vous n'avez pas besoin de notre aide, pourriez-vous nous le notifier le plus vite possible. »

Mme Lorna HARRIS : Si j'en juge d'après le dossier, c'est nous qui attendons des informations de votre part.

M. le Rapporteur : Je saisis bien ce que vous dites mais, vous savez, Mme Harris, à force de demander des informations complémentaires... Vous savez, je vais vous dire, il y a deux personnes en Europe qui sont très connues pour passer leur temps à demander des informations complémentaires à tous les juges à des fins dilatoires. Dans ce dossier, nous en avons cinq.

Mme Lorna HARRIS : Nous vous les demandons parce que nous en avons besoin. Sinon, nous ne le ferions pas.

M. le Rapporteur : Il y a donc deux personnes : M. Marxer, chef du service juridique de la principauté du Liechtenstein, et votre service. Vous êtes les deux services qui, en Europe, posez problème à tous les juges d'instruction. Je ne comprends pas.

Mme Lorna HARRIS : Si nous avons besoin d'informations pour notre système de loi, il nous faut les demander, même si cela ne vous paraît pas nécessaire.

M. le Rapporteur : Ce que nous avons compris, Mme Harris, c'est qu'il existe un service très efficace, qui s'appelle le SFO, qui peut donner l'information sans avoir à passer par l'autorisation des tribunaux.

Je ne comprends pas pourquoi il existe deux systèmes.

Mme Lorna HARRIS : Il n'existe qu'un seul système.

M. le Rapporteur : Pour nous, il y en a deux : le SFO, qui fonctionne d'une façon plus libérale, et votre système qui est très bureaucratique. Pouvez-vous nous expliquer ?

Mme Lorna HARRIS : Il y a seulement un système, centralisé, qui offre de nombreux types d'assistance et j'attire votre attention sur le fait que les exigences et les procédures sont identiques, y compris lorsque les demandes d'assistance sont envoyées directement au SFO.

Si nous vous demandons des informations complémentaires, c'est parce que les informations fournies ne sont pas suffisantes pour notre loi. Nous avons un système, une loi, mais un grand nombre de moyens d'obtenir les informations. Si vous me fournissez un cas dans lequel il me manque des informations, je ne peux le traiter avant que vous n'ayez vous-même complété ces informations.

M. le Rapporteur : Je comprends que vous appliquiez votre loi. La question qui se pose est celle de sa transformation. On ne peut éternellement continuer de cette façon. Pensez-vous qu'à terme, le dialogue direct sera possible entre agents opérationnels en Angleterre et les magistrats français ?

Mme Lorna HARRIS : Il existe une tradition européenne.

M. le Rapporteur : Je vais peut-être préciser ce que j'entends par dialogue.

Mme Lorna HARRIS : Puis-je aller au bout de ma réponse ?

M. le Rapporteur : Oui, bien sûr.

Mme Lorna HARRIS : Je pense que vous vous trompez lorsque vous pensez que c'est à nous de changer ; c'est la connaissance du système qui vous manque.

M. le Rapporteur : Tout le monde doit changer à un moment, vous savez, Mme Harris.

Mme Lorna HARRIS : Absolument, mais nous sommes à la meilleure place pour diagnostiquer nos éventuelles déficiences. Nous ne songeons pas à proposer à la France de modifier sa loi nationale.

M. le Rapporteur : Je vous remercie de ces précisions.

Quand je parlais de dialogue direct, je ne voulais pas parler des conversations qui sont toujours possibles, comme nous en avons aujourd'hui, entre personnes de bonne volonté, mais je faisais allusion à l'assouplissement des modalités de coopération telles que prévues dans la Convention d'entraide judiciaire qui a été signée le 29 mai 2000, qui tend à assouplir les modalités de coopération de la Convention du 20 avril 1959, en permettant les demandes d'entraide directes sans passer par les services centraux - ce que nous avons réalisé en France.

Mme Lorna HARRIS : Ce n'est pas le cas chez nous. Cela existe déjà chez vous.

M. le Rapporteur : Nous l'avons codifié dans nos lois et nous le faisons fonctionner avec tous les magistrats et juges de l'Europe continentale, qu'ils soient italiens, espagnols, belges, néerlandais, danois ou allemands. Pensez-vous qu'il sera un jour possible en Grande-Bretagne de s'adresser directement au service enquêteur, et non une unité centrale, ce que vous représentez, parce qu'il y a du temps qui s'écoulera pendant cette demande de consultation, et que ce service sera chargé de faire appliquer la loi, la même ?

Mme Lorna HARRIS : Cela fait partie de l'étude actuellement en cours qui traite justement de la manière dont il faudra appliquer une nouvelle législation dans le cadre des nouveaux instruments internationaux. Je vous ai déjà dit que nous sommes amenés à faire cette réévaluation en raison des évolutions qui ont eu lieu en Europe et ailleurs, notamment celle de la Convention du 29 mai 2000.

Vous avez évoqué la transmission directe de demandes. Cela fait justement partie des possibilités que nous envisageons. Mais nous pensons que cette transmission de requêtes peut être aussi source de retards parce qu'en cas d'erreur, cela créera des difficultés supplémentaires importantes.

C'est un point que nous sommes en train d'étudier car nous pensons qu'il y a peut-être possibilité d'erreur s'il y a transmission directe parce que le Royaume-Uni ne possède pas une juridiction uniformisée qui couvre tout le territoire.

M. le Rapporteur : Je le sais.

Mme Lorna HARRIS : Nous avons un statut juridique très spécifique. Il est extrêmement tentant pour un magistrat belge, français ou grec d'envoyer un dossier ici. Mais s'il ne satisfait pas aux critères, nous ne pouvons le traiter.

Puis-je vous demander quand vous comptez rendre votre rapport ?

M. le Rapporteur : Début juillet.

Mme Lorna HARRIS : Si je puis me permettre une dernière remarque, il semble particulièrement important de poursuivre dans un esprit aussi coopératif que possible. Il faut énormément de bonne volonté. Nous sommes conscients des différences nationales. Il faut beaucoup d'échanges, d'expérience et d'énergie dépensée pour y parvenir. L'un des dangers potentiels est la critique des autres systèmes. Chacun doit analyser son propre système, l'améliorer.

M. le Rapporteur : Nous sommes conscients de tout ce que vous dites. Nous sommes, représentants du Parlement français, un pouvoir indépendant de l'autorité judiciaire et du gouvernement français. Nous nous sommes emparés de cette question, qui est gravissime dans notre pays. Elle ne l'est pas dans tous les pays européens. Les Italiens ont la mafia ; les Allemands ont eu le terrorisme pendant longtemps ; les Espagnols ont le terrorisme ; vous avez le terrorisme.

Nous avons la corruption qui n'est pas mafieuse, mais qui est devenue un problème politique. L'Assemblée nationale française a donc créé cette Mission d'information qui tient, en fait, un langage international et reprend la parole des juges de toute l'Europe. Elle s'inscrit dans le prolongement de l'Appel de Genève. Nous avons d'ailleurs déploré qu'aucun magistrat ou policier britannique n'ait pris en considération cet appel. Il y avait pourtant des signatures très prestigieuses, y compris issues de pays non membres de l'Union européenne, comme la Suisse.

Nous avons à être le plus juste possible et le plus infaillible possible - qui peut le dire ? Personne n'est parfait. Mais nous avons aussi à ne pas masquer la réalité. Si celle-ci est défaillante, il est de notre devoir de le dire pour chercher les voies de l'amélioration.

Je note que la bonne volonté existe, c'est vrai. Il est bien certain que cela sera mis en valeur, mais nous avons à résoudre des problèmes considérables et n'avons la sensation d'être entendus ailleurs. Au Royaume-Uni, ces problèmes demeurent, nous n'avançons pas. Nos juges sont extrêmement crispés. Ils nous disent qu'aujourd'hui, ils ont abandonné l'idée d'envoyer des commissions rogatoires à Londres parce qu'ils savent qu'elles ne reviennent pas. En tout cas, cela ne marche pas et ils ne savent pas comment faire.

C'est ce que nous disent sur procès verbal des procureurs de très haut niveau, du parquet de Paris, chargés de la lutte contre la délinquance financière, de sorte que nous avons l'impression que la place financière en matière financière mais en matière de terrorisme également, nous avons les mêmes constatations, nos juges nous « engueulent », nous, politiques, et font campagne contre nous. Nous avons à agir par la voie diplomatique ou la voie parlementaire. C'est l'objet de notre travail.

La bonne foi est évidente de part et d'autre. J'ai précisé en introduction que nous avons des systèmes si incompatibles qu'il était fort difficile de les faire marcher ensemble.

Mais au-delà, il nous faut avancer. Or nous n'avançons pas. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes donné du temps pour examiner ces sujets. Je suis heureux de tout ce que vous nous annoncez sur les évolutions de votre service et de l'augmentation des fonctionnaires qui y travaillent. Tout cela est positif.

Mme Lorna HARRIS : Vous nous avez dit que votre rapport comporterait le Royaume-Uni et les territoires. Le diviserez-vous en sections ?

M. le Rapporteur : C'est sûr. Nous avons lu le rapport Edwards, nous connaissons tous ces problèmes qui sont distincts selon les territoires.

Nous vous remercions.

Mme Lorna HARRIS : Pourrons-nous avoir la retranscription de l'audition ?

M. le Rapporteur : Bien sûr, c'est l'usage.

1 Ce compte rendu a fait l'objet de réserves de la part des personnes rencontrées, celles-ci ayant estimé qu'il ne leur était pas possible de valider, avec plusieurs mois de retard, la totalité des propos tenus, au surplus, dans le cadre de ce qu'elles ont considéré être des entretiens informels et non des auditions donnant lieu à procès-verbal.

2 Ce compte rendu a fait l'objet de réserves de la part des personnes rencontrées, celles-ci ayant estimé qu'il ne leur était pas possible de valider, avec plusieurs mois de retard, la totalité des propos tenus, au surplus, dans le cadre de ce qu'elles ont considéré être des entretiens informels et non des auditions donnant lieu à procès-verbal.

3 Ce compte rendu a fait l'objet de réserves de la part des personnes rencontrées, celles-ci ayant estimé qu'il ne leur était pas possible de valider, avec plusieurs mois de retard, la totalité des propos tenus, au surplus, dans le cadre de ce qu'elles ont considéré être des entretiens informels et non des auditions donnant lieu à procès-verbal.