- - Rapport sur l'aval du cycle nucléaire Chapitre I (fin de la partie II) II. La contribution positive de lélectronucleaire a la compétitivite globale de léconomie française E. La contribution positive du nucléaire à léconomie française - lanalyse issue des modèles macroéconomiques 1 1. Une contribution positive, selon le modèle économétrique Micro-Mélodie la simulation rétrospective « La France sans nucléaire » 1 2. « La France avec un programme nucléaire interrompu en 1985 » Etude rétrospective avec un modèle déquilibre général calculable 10 E. La contribution positive du nucléaire à léconomie française - lanalyse issue des modèles macroéconomiques Le nucléaire, on la vu, apporte une contribution à léconomie française qui comporte plusieurs dimensions. Sur le plan du solde extérieur, le nucléaire permet non seulement une économie dimportations mais aussi génère des exportations délectricité et de fournitures et de prestations de service concernant lensemble du cycle du combustible. Mais lévaluation de la contribution du nucléaire à léconomie française doit aussi prendre en compte limpact favorable du faible niveau relatif du prix de lélectricité fournie en France aux industriels. Une telle appréciation ne suffit pas non plus. En raison dun contenu élevé en emplois nationaux, le nucléaire a aussi généré une activité supérieure à ce quaurait entraîné le choix dune autre filière à fort contenu en importations. Ces différentes approches sectorielles qui ont été retracées plus haut, ont un intérêt statistique certain. Mais il leur manque une mise en cohérence. Pour avoir une approche globale, il faut recourir à des modèles de léconomie française et internationale qui seuls offrent la possibilité de procéder à une évaluation globale cohérente de lensemble des impacts positifs ou négatifs dune mesure sur léconomie en loccurrence, le choix de la filière électronucléaire pour assurer près de 80 % de la production délectricité française. Lévaluation rétrospective de la contribution du nucléaire à la compétitivité de léconomie française a fait lobjet de deux études avec des modèles macro-économiques. La première étude a été faite en 1991, avec le modèle économétrique néo-keynésien intitulé Micro-Mélodie développé au CEA. La deuxième a été réalisée en 1996 avec le modèle déquilibre général calculable GEMINI E3/96, développe par le CEA et le ministère de léquipement. On trouvera ci-après les résultats du premier exercice relatif à un scénario intitulé « La France sans nucléaire ».1 1. Une contribution positive, selon le modèle économétrique Micro-Mélodie la simulation rétrospective « La France sans nucléaire » Pour évaluer en 1991 la contribution du nucléaire, les auteurs de létude intitulée « la France sans le nucléaire »2 bâtissent un scénario dans lequel la croissance de la production délectricité est assurée non pas par le nucléaire mais par des centrales thermiques au charbon. Limpact de ce choix est simulé rétrospectivement à laide du modèle économétrique Micro-Mélodie. · Et si la France, à la place du nucléaire, avait choisi le charbon ? Pour mesurer la contribution du nucléaire, les auteurs de létude bâtissent un scénario dans lequel la croissance de la production délectricité est assurée non pas par le nucléaire mais par des centrales thermiques au charbon. Laugmentation de la production électrique étant assurée par la construction de centrales thermiques au charbon, le scénario prévoit un accroissement dune part de 5 millions de tonnes de la production de charbon en Lorraine et dautre part une augmentation des importations en provenance dAustralie et des Etats-Unis en particulier. Afin de limiter les coûts de transport du charbon, les centrales thermiques classiques sont bâties à proximité du carreau des mines 4 unités de 600 MW chacune en Lorraine , en façade maritime ou le long des voies deau navigables. Figure : Evolution du coût de référence du kWh thermique en France pour une production en base 3 Le scénario retient la solution technique des centrales de 600 puis de 900 MWe, équipées de foyer à grille, avec équipements de désulfuration par lavage des fumées dont lefficacité atteint 90 %, à lexception des centrales lorraines. Un recours progressif à la technologie du lit fluidisé intervient ensuite entre 2000 et 2005. Lhypothèse de durée de vie de ces centrales est de 40 ans. Les exportations de centrales thermiques au charbon sont supposées passer à 3 par an4. Dans le scénario la France sans nucléaire, les centrales UNGG continuent leur activité jusquà la fin de leur durée de vie. Dans ces conditions, la France est véritablement sans nucléaire à partir de 1994, date de larrêt de la dernière centrale construite, Bugey 1. En réalité, dans ce scénario, les parts des différentes sources dénergie primaire dans le scénario étudié sont proches de celle du Royaume Uni, ainsi que le montre le tableau suivant. Tableau : Comparaison des structures de la production délectricité du scénario « la France sans nucléaire avec celles des autres pays
· Des investissements moins importants quavec le nucléaire Le tableau suivant résume les principales hypothèses du scénario. Lélément le plus important au plan macroéconomique est que les investissements sont plus faibles que dans le scénario de référence. Tableau : Principales hypothèses du scénario de référence - nucléaire actuel - et du scénario étudié la France sans nucléaire -
· La première conclusion : un écart du prix de lélectricité défavorable de 20 % au tout charbon Les auteurs de létude « la France sans le nucléaire » analysent non seulement la variation du coût de production de lélectricité mais également celle du prix facturé aux ménages ou à lindustrie. Ils se fondent sur le mode de tarification dEDF, fondé sur le coût marginal de développement où le consommateur paie une prime fixe correspondant à la puissance souscrite et une redevance variable proportionnelle à lénergie utilisée. Constatant que les variations des coûts dexploitation exercent linfluence principale sur la moyenne des tarifs, lhypothèse est faite dune tarification moyenne à endettement constant dEDF. La principale conclusion en est que les prix moyens7 de lélectricité connaissent dans le scénario « la France sans nucléaire » des variations non négligeables et contrastées suivant la période considérée par rapport à la situation réelle. Durant la fin des années 1970 et le début des années 1980, le prix de lélectricité est inférieur au prix historique. La principale explication avancée par les auteurs est que linvestissement en capital dans les centrales à charbon étant inférieur à celui du nucléaire, la charge financière pesant sur le prix du kWh est inférieure. Cet avantage disparaît vers 1985 et en 1986 le prix dépasse le prix de référence. En 1990 et au delà, le prix du kWh du scénario « la France sans le nucléaire » est supérieur denviron 15 % aux niveaux observés, avec une sensibilité très forte aux fluctuations du prix du charbon sur le marché international. Ainsi, en 2000, avec un prix de 40 dollars par tonne, lécart de prix de lélectricité par rapport à la situation prévue avec le nucléaire, serait de 16 %. Avec un prix de 56 dollars par tonne soit une variation de 40 % , lécart de prix de lélectricité serait de 30 %. Le système électrique à base de charbon, dans la situation française dimportations massives, encaisse de plein fouet les variations des cours internationaux (voir tableau suivant). Tableau : Ecart de prix de lélectricité en lan 2000 dans le scénario « La France sans nucléaire » par rapport à la situation de référence
Comme on peut sy attendre compte tenu de la structure des prix dEDF, plus favorable à lindustrie quaux ménages, le prix de lélectricité vendue aux industriels est dans le scénario « la France sans nucléaire » moins favorable que dans la situation actuelle. En réalité, le prix simulé pour 1990 est de lordre de grandeur de celui pratiqué par le Royaume Uni, avec un écart de 20 % par rapport au prix historique français. · Une consommation délectricité en baisse de 13,7 % en 1989 et un solde exportateur délectricité ramené à 0 Laugmentation du prix du kWh dans le scénario « la France sans nucléaire » provoque un écart négatif de la consommation par rapport au scénario de référence et des substitutions en faveur dautres formes dénergie. La branche énergie voit son intra-consommation revue à la baisse. Les pertes en lignes8 sur le réseau sont réduites de 11,5 % en 1989. La non-existence dans le scénario de lusine Eurodif se traduit par une baisse de 20 TWh de la consommation de la branche énergie. Lécart négatif de la consommation délectricité de lindustrie sélève à 5,4 % en 1989. Lavantage compétitif de prix de lélectricité produite par EDF étant annulé, les exportations sont réduites à zéro. La réduction de la consommation délectricité dans le scénario « la France sans nucléaire » conduit à une baisse de la production de 23 % en 1989. Pour autant, lécart à la baisse de la consommation finale dénergie nest pas aussi fort. Des effets de substitution viennent en effet renforcer la part du fioul dans lindustrie et du gaz dans le secteur résidentiel. La consommation dénergie fossile est supérieure de 55 Mtep en 1990 à sa valeur historique. Le taux dindépendance énergétique diminue dans le scénario tout charbon jusquà 20 % en 1990, contre 48 % dans la réalité. Figure : Le taux dindépendance énergétique dans le scénario « France sans nucléaire »9 La contrainte extérieure continue de peser avec la même force sur toute la période. Au total la situation de la France, en 1988, est voisine, en termes dindépendance énergétique, de celle de lItalie. Figure : un taux dindépendance énergétique voisin de celui de lItalie en 1988 dans le scénario tout charbon · Une autre conclusion fondamentale : le ralentissement de la croissance économique Compte tenu de limportance de la production délectricité dans léconomie nationale, le scénario « la France sans nucléaire » met en évidence des écarts importants par rapport à la situation de référence, sur le plan macroéconomique. Lanalyse de limpact macroéconomique a posteriori dune absence de programme des réacteurs à eau pressurisée est conduite par les auteurs de létude, avec un modèle économétrique néo-keynésien intitulé Micro-Mélodie, dont les caractéristiques sont retracées dans le tableau ci-après. MICRO-MELODIE spécificités : modèle de long terme avec prise en compte de lénergie sous tous ses aspects. représentation fine de la production délectricité champ : France périodicité : annuelle période de fonctionnement : 1970-2010 mode dutilisation : simulation dynamique, soit en prévision, soit en variante nombre de branches : 5 branches dont lélectricité et le combustible nucléaire nombre dagents économiques : 4, soit les entreprises, les ménages, les administrations et létranger nombre déquations : 150 principales variables calculées (endogènes) : PIB, emploi, chômage, inflation, consommation et importation dénergie, balance commerciale, déficit budgétaire, bilan énergétique, comptes dEDF, émissions de polluants atmosphériques (CO2, NOx, SO2) principales variables de commande (exogènes) : démographie, environnement économique international, politique économique, variables techniques utilisations : la France sans nucléaire, impact dune taxe sur les énergies fossiles, impact du programme électronucléaire REP de 900 MWe Le tableau ci-après résume les différents écarts macroéconomiques par rapport à la situation de référence, du scénario « la France sans nucléaire ». Tableau : Ecart du scénario « la France sans nucléaire » par rapport au scénario de référence10
Un écart négatif caractérise le scénario tout charbon, à la fois pour linvestissement (-1,6 %), la consommation (-1,2 %), et au final le PIB (-1,3%). La hausse des prix est quant à elle plus forte de 0,7 point en 2000. Logiquement, lemploi total est inférieur de 90 000 postes au chiffre du scénario de base. Quant à la facture énergétique, elle est supérieure de 54 milliards de dollars en 2000. Le déficit supplémentaire cumulé atteint sur la période 1981-1990 100 milliards de francs. En réalité, tout se passe comme si le recours au charbon à la place du nucléaire constituait un autre choc pétrolier avec une augmentation du prix du baril de 50 %. · Le choc environnemental correspondant au tout charbon Le modèle Micro-Mélodie permet aussi une analyse des émissions polluantes correspondant au scénario « la France sans nucléaire ». En 2000, le niveau des émissions de SO2 est dans ce scénario, supérieur de 220 à 250 000 tonnes par an à celui de référence. Elles sont limitées par lhypothèse faite dune désulfuration quasi intégrale des centrales au charbon construites. En 1990, les émissions doxydes dazote sont de 510 000 tonnes par an , soit en augmentation de 29 %. Les émissions de CO2 sont en hausse de 60 % en 1990. Tableau : Comparaison des émissions de CO2 correspondant au scénario « la France sans nucléaire » avec les émissions de référence Le scénario tout charbon se traduit par un passage de 530 millions de tonnes de CO2 émises par la France en 1973 à 620 millions de tonnes en 1990. La réalité est que le niveau était de 387 millions de tonnes de CO2 émises en 1990. Le nucléaire non seulement a permis de limiter la croissance des émissions mais en fait de les réduire de plus de 27 % par rapport à 1973. Figure : Comparaison des émissions de CO2 du scénario « la France sans nucléaire » en 1986 avec les émissions des autres pays. · Le scénario du recours au charbon est-il plausible ? Létude « la France sans nucléaire » a le mérite de quantifier limpact macroéconomique du choix du tout charbon au lieu du nucléaire. La première limite de létude est précisément le choix dun scénario tout charbon. Il est probable que lacceptation de la contrainte extérieure aurait été contrebalancée par une diversification des sources dénergie primaire, par souci de minimiser les risques mais aussi par volonté de tirer parti des évolutions à la baisse des cours du pétrole et du gaz intervenues dans la fin des années 1980. Le deuxième type de limites provient de la nature même du modèle. En tant que modèle économétrique, Micro-Mélodie comprend des équations retraçant les comportements des agents en fonction des situations passées. Lhypothèse implicite de stabilité des comportements est sans doute la plus fragile alors que les auteurs de létude soulignent le fait que le choix du charbon aurait été léquivalent dun choc pétrolier. Or précisément, les comportements des agents économiques ont été modifiés en profondeur par le choc pétrolier de 1973, en vertu de la perception quils ont eue de lébranlement des économies occidentales et en raison des mesures prises par les pouvoirs publics pour encourager les changements de comportement. A ce titre, on peut penser que les hypothèses de substituabilité entre les énergies sont assez fragiles. Le troisième type de limitation correspond au caractère simplifié du modèle et à la limitation de son champ danalyse que retrace le nombre relativement important de variables exogènes. Il nen demeure pas moins que létude « la France sans nucléaire » permet une prise de conscience de limpact macroéconomique du programme électronucléaire français. Les effets de la construction des réacteurs nucléaires dEDF ne se sont pas limités au secteur de lénergie. Bien au contraire, ce programme a apporté une contribution non négligeable à la croissance économique et à lemploi. 2. « La France avec un programme nucléaire interrompu en 1985 » Etude rétrospective avec un modèle déquilibre général calculable Les modèles macroéconomiques sont traditionnellement classés en deux catégories : les modèles économétriques et les modèles déquilibre général. La tradition française en matière de modélisation macroéconomique a accordé une grande place aux modèles économétriques. LINSEE et la Direction de la Prévision ont, dans les années 1970, développé toute une série doutils utilisés dans les travaux de planification, comme DMS ou Métric. Ces modèles ont dune part été progressivement perfectionnés, les uns pour la prévision à long terme et les autres pour le court terme et dautre part et surtout ont été élargis de manière à prendre en compte louverture des économies nationales. Aujourdhui, les modèles économétriques ont largement diffusé et sont portés par les administrations mais aussi par des organismes de recherche publique comme lOFCE, universitaire comme le GAMA ou privée comme le COE de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Paris. Les modèles économétriques néo-keynésiens sont les plus courants. Ils mettent en uvre une analyse keynésienne de léquilibre économique dans le cadre de la comptabilité nationale et reposent sur des estimations économétriques des comportements des agents économiques, en matière de consommation, dépargne et dinvestissement. Depuis le début des années 90 se développent en France les modèles déquilibre général calculables. Encore peu nombreux dans notre pays, ils sont les plus largement répandus à létranger. Ce sont des institutions internationales comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International qui ont soutenu le développement des modèles néo-classiques, pour des raisons théoriques (le déclin apparent des politiques keynésiennes, la montée des idées libérales et louverture croissante des économies nationales) et pour des raisons pratiques (les modèles déquilibre nécessitent des bases statistiques moins détaillées). Au demeurant, lintérêt fondamental des modèles déquilibre général calculable est dêtre pertinents à long terme, alors que les modèles macro économétriques ne sont guère utilisables au delà des dix ans. Le modèle GEMINI-E3/96 appartient à la catégorie des modèles macroéconomiques déquilibre général calculable. Une de ses caractéristiques est de comporter une description détaillée du secteur énergétique. Ce modèle a été utilisé pour réaliser un exercice de simulation rétrospective consistant à évaluer limpact sur léconomie française quaurait eu « larrêt en 1985 du programme électronucléaire française suivi dune sortie totale du nucléaire en 201511 ». Pour produire lélectricité nécessaire au fonctionnement de léconomie, ce scénario prévoit la construction de centrales thermiques au charbon jusquen 1995 et de centrales thermiques au gaz de 1995 à 2015. · Le modèle GEMINI-E3/96 : un modèle déquilibre général calculable Les modèles déquilibre général calculable, développés depuis une quinzaine dannées permettent dévaluer, selon une approche coût - bénéfice, des mesure de politique économique dans les pays développés, par exemple dans les domaines de la fiscalité, des échanges internationaux, de la finance, de la planification économique ou plus récemment de lenvironnement. Ces modèles sont fondés sur la théorie microéconomique de léquilibre général qui décrit, pour chaque facteur de production et chaque produit, léquilibre de loffre et de la demande obtenu grâce au système de prix. Une fois réglés sur une situation de départ, ils permettent de mettre en évidence limpact sur léquilibre économique général de variations de paramètres exogènes comme les ressources rares, le système fiscal ou toute mesure influant sur le système de prix. Tableau 1 : Fiche signalétique du modèle GEMINI-E3/96 utilisé pour létude du programme nucléaire réduit GEMINI (General Equilibrium Model of International-National Interaction) E3 (for Economy-Energy-Environment) période de fonctionnement : 1985-2015, avec pas annuel représentation géographique : France, autres Pays dEurope (11 pays membres de la Communauté européenne en 1992, avant son élargissement), Reste du monde secteurs institutionnels : ménages (y compris administrations privées), entreprises, pouvoirs publics produits et branches : 11 branches dont 4 pour lénergie (charbon, gaz, pétrole et produits raffinés, électricité) fonctions de production : module technologique pour lénergie ; fonctions putty-putty pour les autres secteurs : les facteurs de production sont substituables ex ante et ex post en fonction des prix relatifs fonctions de demande des ménages : dépenses linéaires par rapport au revenu pour une seule catégorie de ménages fonctions dimportations : cohérentes avec lhypothèse dArmington, selon laquelle les biens nationaux et les biens étrangers ne sont pas complètement substituables ; équilibre des échanges extérieurs réalisé par les taux de change, en supposant pour tous les pays des balances commerciales équilibrées représentation de la fiscalité indirecte et des cotisations sociales : en tout, 242 taxes différentes (taxes sur la production et limportation, cotisations sociales et subventions, taxes sur les consommations intermédiaires, taxe sur la consommation finale, taxe sur les investissements) couplage avec modèles nationaux ou régionaux : soit par lintermédiaire de taux de change exogènes, soit par lintermédiaire de taux de change endogènes résultant de contraintes de balances de paiement ou de différentiels de taux dintérêt Une des plus importantes spécificités du modèle GEMINI-E3/96 est de prendre en compte les échanges commerciaux avec lUnion européenne et le reste du monde. · Un modèle plurinational Lévaluation de la politique énergétique française pourrait certes être conduite avec un modèle strictement national en considérant comme variables exogènes les prix internationaux et la demande étrangère. Différents résultats montrent que la validité des résultats dun modèle déquilibre général calculable est alors fortement altérée. Les auteurs de GEMINI-E3/96 ont pris lheureux parti de modéliser les autres pays et les liens entre les économies correspondantes, de manière à pouvoir décrire valablement les termes de léchange et leurs modifications. Le modèle distingue donc trois aires géographiques : la France, les 11 partenaires européens de la France dans lEurope des 12 et le reste du monde. Les liens entre ces trois régions sont dune part les flux du commerce extérieur et dautre part les taux de changes. Cest par ces canaux que se résorbent des déficits ou des surplus ex ante. Il est bien connu que les modèles déquilibre général sont, au regard des structures de consommation dénergie, très sensibles aux élasticités de la demande. Il est moins tenu pour admis que ces mêmes modèles soient sensibles aux élasticités dimportation qui commandent les termes de léchange12. En réalité dans un modèle déquilibre général calculable, comme GEMINI-E3/96, seules sont prises en compte les élasticités dimportation, dans la mesure où il ny a pas de fonction dexportation : les exportations égalent la demande extérieure. · Les fonctions de production Les quatre facteurs de production sélectionnés dans le modèle sont le travail, le capital, les matériaux et lénergie. Lélasticité de substitution entre ces 4 facteurs est de 0,6. Les facteurs agrégés que sont lénergie et les matériaux sont éclatés pour déterminer la demande de consommation intermédiaire en chacun des produits élémentaires. Les fonctions de production reposent sur deux hypothèse fondamentales : des rendements déchelle constants et la séparabilité des facteurs. Lhypothèse du rendement déchelle constant signifie que les coûts de production ne varient pas avec le coût unitaire de production ? La figure suivante présente larborescence de la fonction de production. Figure 1 : Larborescence de la fonction de production (cas de la France) Les canaux par lesquels agissent les prix sont les élasticités prix directes et les relations de complémentarité ou de substituabilité entre facteurs de production. · les fonctions de consommation La demande de travail et le comportement dépargne sont supposés inélastiques. Le taux dépargne et la demande demploi sont exogènes. La fonction de demande des ménages répond à un modèle de dépenses linéaire par rapport au revenu et découle dune fonction dutilité. Le gain et la perte économique sont exprimés sous forme de surplus du consommateur. · La modélisation de lénergie La demande dénergie provient dune part des ménages sous 4 produits : charbon, produits raffinés, gaz, électricité. Elle provient dautre part de lindustrie. Celle-ci est modélisée en 7 secteurs : agriculture, produits à fort contenu énergétique, biens déquipement, biens de consommation, transports, services marchands, services non marchands. Les prix de lénergie utilisés dans le modèle sont ceux observés pour la période 1985-1997. Pour la période 1998-2015, ce sont les prix utilisés par la Digec pour lédition 1997 de son exercice « coûts de référence » de la production électrique13, le scénario sélectionné pour lévolution du prix du gaz étant le scénario médian. · Le module de production de lélectricité Le modèle GEMINI-E3/96 différencie la production délectricité en France selon les technologies disponibles. Lhydroélectricité est considérée comme exogène, du fait que la quasi-totalité des sites économiquement viables sont déjà équipés. Les turbines à gaz, correspondant à la production en pointe, sont également considérées comme un moyen de production exogène. La représentation de la demande délectricité distingue les demandes en base, en semi-base et en pointe, selon la figure ci-après, en excluant lhydroélectricité et les turbines à gaz. Figure 2 : La courbe de charge pour la production délectricité dans GEMINI-E3/96 Trois types de centrales sont prises en compte pour modéliser loffre délectricité : les centrales thermiques à charbon, les centrales thermiques classiques à gaz et les centrales nucléaires. Bien entendu, la courbe de charge est satisfaite en optimisant la contribution des différents types de centrale en fonction de leur ration coûts fixes / coûts variables. Dune manière générale, la production en base est assurée avec les moyens de production requérant les investissements les plus lourds en capital. Pour des décisions à court terme concernant lutilisation dun parc existant, les centrales se caractérisant par les coûts variables les plus faibles sont utilisées en priorité pour la production en base. Sagissant de décisions dinvestissement, le principe consiste à faire converger la structure du parc vers la structure optimale à long terme, compte tenu de la structure des coûts des différentes filières. · Le scénario de référence : la part du nucléaire égale à 72 % de lélectricité produite à lhorizon 2015 Lévaluation rétrospective dune politique commence par la définition dun scénario de référence. En loccurrence, il sagit de reconstituer la réalité historique jusquà la date de létude, soit 1996, et dimaginer lévolution la plus probable de cette date jusquà la fin de la période considérée. Les caractéristiques du scénario de référence qui sert de base à la simulation rétrospective sont indiquées dans le tableau ci-après. Tableau : Caractéristiques principales du scénario de référence
Le scénario de référence se caractérise en particulier par une capacité installée de production de 98 GW en 2015, le nucléaire représentant 72 % du total. Les prix de départ des combustibles fossiles sont ceux de la Digec 9715. Le prix de départ du charbon est de 10,3 cF95/kWh, correspondant à 40 dollars par tonne . Le prix du gaz est de 16,1 cF/kWh, correspondant à 3,3 dollars par Mbtu. Le prix de luranium est supposé égal à 4,49 cF95/kWh. Pour la période 1995-2015, les prix sont supposés rester constants en francs constants. · Les conséquences dun programme électronucléaire interrompu en 1985 et de la construction de centrales de remplacement au charbon de 1985 à 1995 et au gaz de 1995 à 2015 Le scénario étudié est celui dun arrêt de léquipement de la France en réacteurs nucléaires à compter de lannée 1985 . Pour assurer lapprovisionnement de léconomie française en électricité, sont construites de 1985 à 1995 des centrales thermiques au charbon et de 1995 à 2015 des centrales à cycle combiné à gaz. En outre, le démantèlement des centrales nucléaires est effectué tout au long de la période 1985 2015, de sorte que la France se trouve à la fin de cette période débarrassée de lensemble de ses réacteurs nucléaires, le dernier démantèlement étant effectué en 2015. On suppose par ailleurs, que les exportations délectricité sont progressivement réduites, les exportations ne faisant quéquilibrer exactement les importations. Tableau : Impact de linterruption en 1985 du programme électronucléaire sur le secteur de lélectricité
La première conséquence de larrêt du programme déquipement est quen fin de période, le prix de lélectricité est supérieur de 8 % au prix du scénario de référence. En conséquence, la consommation délectricité baisse de 6,3 % par rapport à la référence. Les capacités installées de production délectricité sont inférieures de 17,6 % à celles du scénario de base. Concernant la part de chaque filière, conformément aux spécifications du scénario, le cycle combiné détient en 2015 une place prédominante dans la production délectricité, avec 68 % du total, le charbon assurant quant à lui 18 % du total. En conséquence, la consommation nationale de charbon augmente de 21 millions de Tep et celle de gaz de 43 millions de Tep en 2015, par rapport au scénario de référence. Les conséquences de cette situation sexpriment, comme dans tous les modèles déquilibre général, par les prix, internes ou externes. Sagissant des prix internes, linterruption en 1985 du programme électronucléaire et son remplacement par des investissements moins capitalistiques provoquent une baisse des taux dintérêt. Par ailleurs, par construction, le modèle utilisé suppose que la balance commerciale est équilibrée à chaque période. Lajustement seffectue donc par la dépréciation du franc par rapport au scénario de référence. Deux mécanismes sont à loeuvre : laugmentation du coût de production de lélectricité et la détérioration des termes de léchange du fait de laugmentation des importations de charbon et de gaz naturel. Le tableau suivant résume les évolutions entraînées par linterruption prématurée du programme nucléaire en 1985, sur les taux dintérêt et les taux de change. Tableau : Impact sur les taux dintérêt et la parité du franc de linterruption en 1985 du programme électronucléaire
Linterruption prématurée du programme électronucléaire entraîne une baisse du franc par rapport à lEcu et par rapport au dollar. A contrario, le modèle confirme limpact positif de lindépendance énergétique sur le taux de change du franc. Tableau : Impact sur le Pib, la consommation et linvestissement français dune interruption en 1985 du programme électronucléaire
Les variations sur les exportations mettent en évidence la nature du modèle. Léquilibre extérieur étant réalisé chaque année, les exportations doivent croître en volume pour équilibrer laugmentation des importations de combustibles fossiles charbon et gaz et pour compenser la détérioration du taux de change. Au total, léconomie française doit dégager un surplus extérieur plus important, au détriment de linvestissement et de la consommation, pour payer ses importations accrues dénergie. Un indicateur de bien-être matériel, qui nintègre pas les externalités, a été défini par les auteurs du modèle en utilisant la notion de surplus économique. On voit dans le tableau que le verdict dun arrêt en 1985 des investissements dans le nucléaire est négatif en termes de surplus économique (voir tableau ci-après). Tableau : Impact sur le surplus économique de linterruption du programme électronucléaire en 1985
Un effet négatif de larrêt du programme est ainsi détecté par le modèle sur la richesse entendue comme un surplus de revenu des ménages français. Les partenaires de la France ne bénéficient pas pour autant dun transfert à due concurrence. Il y a bien un surplus pour les consommateurs étrangers en Europe. Mais lEurope toute entière est perdante car lun de ses membres, dans le cadre danalyse du modèle, a renoncé à utiliser la technique de production délectricité la plus efficace. Le modèle GEMINI-E3/96 utilisé pour cette étude, fournit enfin des indications intéressantes sur les variations des émissions de CO2 qui auraient résulté dun arrêt des investissements dans le nucléaire en 1985. Le tableau suivant montre bien lampleur des menaces supplémentaires introduites par le scénario étudié. Tableau : Impact sur les émissions de CO2 de linterruption du programme électronucléaire en 1985
Comme on peut sy attendre, linterruption prématurée du programme électronucléaire se traduit par une augmentation de 45 % en 2015 des émissions de CO2. La principale explication vient de laugmentation de lutilisation de combustibles fossiles pour produire de lélectricité. Cet effet massif est modulé à la marge par la diminution de la consommation totale et de la consommation dénergie en particulier, déjà mis en évidence. Une augmentation des émissions de CO2 est aussi observée dans les autres pays de lEurope des 12, puisque ceux-ci réduisent leurs importations délectricité en provenance de la France et les compensent par une production thermique classique accrue. Les résultats pour les autres polluants majeurs que sont le SO2 et le NOx sont comparables. Il nen demeure pas moins que le modèle GEMINI-E3/96, comme tous les modèles macroéconomiques, souffre dimperfections quil est nécessaire danalyser pour mieux apprécier la portée des résultats quil délivre. · Les limites du modèle GEMINI-E3/96 Le premier type de limites du modèle GEMINI-E3/96 tient à sa nature de modèle déquilibre général calculable. Les hypothèses de léquilibre général walraso-parétien sont bien connues. Elles correspondent rarement à léconomie réelle. Comme tous les modèles de ce type, GEMINI-E3/96 suppose une représentation fiable des facteurs de production et des biens et services échangés, ainsi que de loffre et de la demande. Il suppose aussi que les mécanismes de la formation des prix répondent à la seule confrontation de loffre et de la demande sur les marchés. Le modèle suppose aussi que les prix sajustent de façon à réaliser léquilibre. Cette hypothèse est sans doute la plus éloignée de la réalité. La conséquence de ce choix théorique est que, par exemple, le modèle ne délivre aucun enseignement en ce qui concerne le chômage, puisque ce dernier ne peut exister en vertu du fait que les salaires sont supposés sajuster à la baisse en cas de chômage pour diminuer le coût du travail pour les entreprises et favoriser lembauche. Une autre conséquence des hypothèses de construction du modèle est que ses résultats ne sont à prendre en considération que pour la fin de la période. Autrement dit, les indications intermédiaires données pour les années 1995 et 2005 sont à considérer avec prudence. Il sagit là dun trait commun à tous les modèles déquilibre général calculable. Lautre limite de GEMINI-E3/96, commune à tous les modèles macroéconomiques, est dêtre une maquettee autres limites de GEMINI-E3 tiennent aux simplifications de la réalité, auxquelles il recourt comme tout modèle économique. · Limportance du choix de la technique la plus efficace Avec les limites méthodologiques décrites plus haut, lexercice réalisé par A. Bernard et M. Vielle avec le modèle GEMINI-E3/96 met toutefois en évidence un enseignement majeur en termes de politique énergétique. Le programme électronucléaire français apparaît bien comme le choix pertinent de la technique de production délectricité la plus efficace. Larrêt prématuré du programme aurait été, en réalité, un renoncement coûteux à la technique la plus efficace. Cette conclusion des simulations rétrospectives réalisées avec GEMINI-E3/96 confirme un intuition de bon sens. Le choix des technologies les plus avancées et les plus efficaces économiquement est toujours payant dans tous les domaines, que ce soit pour la croissance, pour lévolution du revenu des ménages, et pour la compétitivité internationale. Cliquer ici pour accéder à la partie III du chapitre I: Cliquer ici pour retourner au sommaire général: 1 Les résultats de la deuxième étude, relatifs à un scénario « La France avec un programme nucléaire interrompu en 1985 » sont présentés dans la sous-partie suivante. 2 A. Charmant, JG Devezeaux, N. Ladoux et M. Vielle, La France sans nucléaire, Revue de lénergie, n0 434, octobre 1991. 3 Source : Commission PEON jusquen 1979, DIGEC à partir de 1981, cité par A. Charmant et al. , op. cit. 4 En contrepartie, les exportations des 6 ilôts nucléaires de Framatome sur la période 1973-1990 sont annulées. 5 Non prise en compte dans le scénario la France sans le nucléaire 6 Les 2 Mwe de différence entre la puissance installée réelle et celle du scénario représentent les 3 tranches de Tricastin approvisionnant Eurodif. 7 Moyenne des prix de vente de lélectricité aux ménages et à lindustrie 8 Les pertes en ligne réelles ont atteint 26 TWh en 1989, soit 6,7 % de la production. 9 A ; Charmant et al., op.cit. 10 Résultats pour lhypothèse basse concernant lévolution du prix du charbon 11 Le programme électronucléaire français : une évaluation avec un modèle déquilibre général, A. BERNARD et M. VIELLE, Congrès de lAssociation Internationale des Economistes de lEnergie, San Francisco, 1997. 12 en cas de réévaluation, les termes de léchange saméliorent, en cas de dévaluation, ils se détériorent 13 Les « coûts de référence » 1997 de la production électrique, DIGEC-DGEMP, Ministère de lEconomie, des Finances et de lIndustrie, Secrétariat dEtat à lIndustrie, Paris, mai 1997. 14 Durée de vie de référence des réacteurs nucléaires : 30 ans 15 Les coûts de référence de la production électrique, Digec, Secrétariat dEtat à lIndustrie, Paris, 1997.
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