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le 2 novembre 1998

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N° 1154

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 octobre 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1037) DE M. JACQUES KOSSOWSKI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à créer une commission d'enquête visant à évaluer le coût, pour les comptes sociaux et les finances publiques, de la régularisation des étrangers liée à la circulaire du ministère de l'intérieur du 24 juin 1997,

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Etrangers.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM.  Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Gilbert Roseau, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 1er juillet dernier, M. Jacques Kossowski et plusieurs de ses collègues membres du groupe du Rassemblement pour la République déposaient une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête " visant à évaluer le coût, pour les comptes sociaux et les finances publiques, de la régularisation des étrangers liée à la circulaire du ministère de l'intérieur du 24 juin 1997 ".

On notera que ce texte, déjà abondamment commenté lors des débats sur le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile, inspire continûment nos collègues de l'opposition puisque votre Commission des lois à déjà eu l'occasion de se prononcer en novembre dernier sur une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions d'application de cette même circulaire. Rappelons également qu'une commission d'enquête sénatoriale chargée " de recueillir des informations " sur les régularisations opérées en application de ce texte, présidée par M. Paul Masson et dont le rapporteur était M. José Balarello, a remis son rapport le 2 juin dernier.

Quoi qu'il en soit, en application des articles 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 de notre règlement, il convient d'examiner la recevabilité de cette nouvelle proposition de résolution avant de se prononcer sur son opportunité.

Pour être recevable, la proposition doit satisfaire cumulativement deux conditions.

Tout d'abord, elle doit déterminer avec précision les faits susceptibles de donner lieu à enquête. A cet égard, les auteurs de la proposition de résolution s'interrogent sur " l'impact exact de l'ensemble des régularisations sur les comptes sociaux, sur les finances publiques nationales et locales... " ainsi que sur " les moyens financiers prévus par l'Etat pour assurer la bonne intégration des régularisés ". De prime abord, on pourrait sans doute émettre des réserves quant au respect scrupuleux de ce critère, mais dans la mesure où votre Commission des lois en retient traditionnellement une interprétation bienveillante, on admettra néanmoins que la première condition posée par notre règlement est réputée satisfaite.

Ensuite, les faits ayant motivé la proposition de résolution ne doivent pas donner lieu à des poursuites judiciaires en cours. Cette deuxième condition est, en revanche, indiscutablement remplie, ainsi que l'atteste la lettre de la garde des sceaux adressée au président de l'Assemblée nationale le 10 août dernier, en application de l'article 141 de notre règlement.

Recevable, cette proposition est elle toutefois opportune ? Deux séries d'arguments plaident pour une réponse négative.

En premier lieu, il faut rappeler que la publication de cette circulaire répondait, en attendant l'adoption d'une législation plus juste et plus réaliste, au souci de mettre un terme à des situations humainement inacceptables dans lesquelles des ressortissant étrangers ayant des liens patents avec la France ne pouvaient plus prétendre à une admission au séjour en raison des restrictions opérées sans discernement par les lois d'août et de décembre 1993. Les implications financières éventuelles de ce geste politique fort sont donc évidemment totalement assumées par le gouvernement et la majorité qui le soutient. Même si cela peut sembler une évidence, il est nécessaire de rappeler que des étrangers dont la situation est régularisée ont, comme tout étranger en situation régulière, des droits, ainsi que des obligations.

En second lieu, force est de constater que la démarche des auteurs de la proposition de résolution participe, une fois de plus, de l'exagération et de la simplification. Ainsi, sont évoqués sans ambages l'accueil " massif " de nouveaux étrangers, les conséquences financières " importantes " pour l'Etat et les collectivités locales ou encore le " risque d'augmenter le déficit budgétaire existant et d'amplifier la fragilité de la cohésion sociale de notre société ".

Au 30 septembre 1998, 77.250 demandeurs avaient fait l'objet d'une admissions au séjour, 63.417 d'un rejet et 3.000 dossiers étaient encore en cours de traitement. 35.000 recours gracieux avaient été formés, ainsi que 30.000 recours hiérarchiques, et respectivement les deux tiers et le quart d'entre eux avaient été traités. Parmi ces derniers, environ un dossier sur six a bénéficié, en définitive, d'une décision positive, en particulier au vu des précisions apportées par les circulaires des 10 et 19 août derniers.

Une fois admises au séjour, les personnes concernées bénéficieront d'un suivi social effectué principalement par l'O.M.I. A ce stade, il convient de préciser que les cas difficiles devraient être en nombre limité puisque les critères retenus par la circulaire du 24 juin reposaient principalement sur l'insertion professionnelle et familiale des demandeurs.

En pratique, les coûts induits par ces régularisations correspondent, pour l'essentiel, au bénéfice de droits sociaux au profit de personnes qui ne pouvaient y prétendre auparavant en raison de l'irrégularité de leur séjour.

Lors de son audition devant la commission d'enquête sénatoriale le 7 mai 1998, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité avait évalué le surcoût de dépense sociale à environ 500 millions de francs, dont 190 au titre des prestations familiales (soit 0,08 % du total des prestations versées, et 0,7 % de celles versés aux seuls ressortissant étrangers) et 300 au titre des dépenses d'assurance maladie. Interrogé par votre Rapporteur, le ministère a confirmé ces chiffres, mentionnant en outre 27 millions de francs de R.M.I, versés à terme aux seuls titulaires d'une carte de résident ou justifiant de trois années de titre de séjour valant autorisation de travail.

A priori, ces chiffres peuvent apparaître significatifs, mais il faut tenir compte du fait qu'il s'agit de données brutes, desquelles devraient être défalquées les prestations actuellement versées aux personnes en situation irrégulière en détresse, principalement l'aide médicale, et surtout les cotisations sociales qu'acquitteront désormais les titulaires d'un titre de séjour. Sur ce point, il semble donc possible de partager les conclusions de la commission d'enquête du Sénat selon laquelle " Le solde final de l'opération de régularisation sera cependant inférieur à ce chiffre dans la mesure où celle-ci devrait se traduire également par une augmentation - impossible à chiffrer aujourd'hui - des recettes liées aux cotisations sociales acquittées par les étrangers régularisés occupant désormais un emploi déclaré au lieu d'effectuer, pour certains un emploi clandestin. ". On ajoutera, pour mémoire, que certaines de ces personnes devront également remplir leurs obligations fiscales, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Ces observations démontrent l'absence de véritable sujet d'investigation s'agissant des comptes sociaux et des finances publiques. Quant aux dépenses engagées par les collectivités locales pour les crèches, écoles ou autres équipements collectifs - prestations ou installations dont l'accès n'est pas nécessairement lié à la régularité du séjour des bénéficiaires ou des parents - leur évaluation est pour le moins aléatoire et ne ressort évidemment pas des compétences d'une éventuelle commission d'enquête.

*

* *

Après avoir approuvé les conclusions du rapporteur, M. Louis Mermaz, intervenant dans la discussion générale, a ajouté qu'il y aurait plutôt lieu de s'inquiéter du coût politique, moral et financier provoqué par la non régularisation de quelque 63.000 personnes. Il s'est, en outre, ému de la situation des personnes poursuivant une grève de la faim depuis plusieurs semaines et aujourd'hui accueillie dans la mairie de la commune socialiste de Limeil-Brévannes.

M. Gérard Gouzes, rappelant que l'objectif du Gouvernement et de la majorité avait été de mettre un terme à des situations humaines inacceptables, a estimé peu opportun de relancer un débat malsain sur l'immigration.

Considérant qu'une politique de l'immigration différente de celle mise en _uvre par le Gouvernement était concevable, M. Pascal Clément a souligné que l'opposition était évidemment dans son rôle en proposant la création d'une commission d'enquête sur ce sujet.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que le Parlement ne disposait pas d'un instrument adapté pour contrôler l'action de l'exécutif dans la mise en _uvre de la circulaire. Considérant que chaque membre de la Commission était en droit de connaître les conditions concrètes d'application de ce texte, il a plaidé pour l'organisation d'une journée d'auditions au cours de laquelle pourraient être entendus les acteurs de terrains de cette politique, tels que des préfets ou des responsables de bureaux des étrangers.

M. René Guédon a jugé que les conditions de travail de la Commission ne pouvaient empêcher celle-ci de travailler sur un sujet de cette importance.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a souligné que les parlementaires disposaient déjà de multiples moyens pour obtenir des informations complètes sur la mise en _uvre de cette circulaire, citant notamment les pouvoirs d'informations dont bénéficient les rapporteurs budgétaires. Jugeant qu'une commission d'enquête était une procédure totalement inadaptée en l'espèce, il a insisté sur le fait que la multiplication de demandes injustifiées pouvait conduire à altérer la crédibilité de la procédure.

Suivant les conclusions de son rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution n° 1037.

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N° 1154.- Rapport de M. Raymond Forni (au nom de la commission des lois), sur la proposition de résolution (n° 1037) de M. Jacques Kossowski et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête visant à évaluer le coût, pour les comptes sociaux et les finances publiques, de la régularisation des étrangers liée à la circulaire du ministère de l'intérieur du 24 juin 1997.