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le 20 janvier 2000

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N° 2083

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION :

1. (n° 2037) de M. FRANÇOIS GOULARD ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux catastrophes maritimes et à la lutte contre les pollutions marines ;

2. (n° 2062) de M. JEAN-MARC AYRAULT ET LES MEMBRES DU GROUPE SOCIALISTE ET APPARENTÉS tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité en mer, le transport maritime des produits dangereux et polluants ;

3. (n° 2066) de M. JEAN DE GAULLE ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête sur le naufrage du navire Erika et ses conséquences, afin de renforcer la sécurité des transports pétroliers et d'améliorer les moyens de lutte contre les pollutions marines ;

4. (n° 2070) de M. GEORGES SARRE tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité en mer, le transport maritime et la lutte contre les pavillons de complaisance ;

5. (n° 2073) de M. ANDRÉ ASCHIERI ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes du naufrage du pétrolier Erika et sur la sécurité du transport maritime.

PAR M. RENÉ LEROUX

Député.

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Déchets, pollution et nuisances.

La commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; MM. Jean-Paul Charié, Jean-Pierre Defontaine, Pierre Ducout, Jean Proriol, vice-présidents ; MM. Léonce Deprez, Christian Jacob, Daniel Paul, Patrick Rimbert, secrétaires ; MM. Jean-Pierre Abelin, Yvon Abiven, Jean-Claude Abrioux, Stéphane Alaize, Damien Alary, André Angot, André Aschieri, François Asensi, Jean-Marie Aubron, Pierre Aubry, Jean Auclair, Jean-Pierre Balduyck, Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, MM. Christian Bataille, Jean Besson, Gilbert Biessy, Claude Billard, Claude Birraux, Jean-Pierre Blazy, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Franck Borotra, Christian Bourquin, Mme Danièle Bousquet, MM. François Brottes, Vincent Burroni, Alain Cacheux, Dominique Caillaud, André Capet, Jean-Paul Chanteguet, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Claude Chazal, Daniel Chevallier, Pierre Cohen, Alain Cousin, Yves Coussain, Jean-Michel Couve, Jean-Claude Daniel, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, MM. Jacques Desallangre, Eric Doligé, François Dosé, Jean-Pierre Dufau, Marc Dumoulin, Dominique Dupilet, Philippe Duron, Jean-Claude Etienne, Alain Fabre-Pujol, Albert Facon, Alain Ferry, Jean-Jacques Filleul, Jacques Fleury, Nicolas Forissier, Roland Francisci, Claude Gaillard, Robert Galley, Claude Gatignol, André Godin, Alain Gouriou, Michel Grégoire, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Patrick Herr, Claude Hoarau, Robert Honde, Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, MM. Aimé Kergueris, Jean Launay, Thierry Lazaro, Jean-Yves Le Déaut, Patrick Lemasle, Jean-Claude Lemoine, Jacques Le Nay, Jean-Claude Lenoir, Arnaud Lepercq, René Leroux, Roger Lestas, Alain Le Vern, Félix Leyzour, Michel Liebgott, Lionnel Luca, Jean-Michel Marchand, Daniel Marcovitch, Alain Marleix, Daniel Marsin, Philippe Martin, Jacques Masdeu-Arus, Marius Masse, Roger Meï, Roland Metzinger, Pierre Micaux, Yvon Montané, Gabriel Montcharmont, Jean-Marie Morisset, Bernard Nayral, Jean-Marc Nudant, Jean-Paul Nunzi, Patrick Ollier, Joseph Parrenin, Paul Patriarche, François Patriat, Germinal Peiro, Jacques Pélissard, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Annette Peulvast-Bergeal, MM. Serge Poignant, Bernard Pons, Jacques Rebillard, Jean-Luc Reitzer, Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, Mme Michèle Rivasi, MM. Jean Roatta, André Santini, Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, MM. François Sauvadet, Jean-Claude Thomas, Léon Vachet, Daniel Vachez, François Vannson, Michel Vaxès, Michel Vergnier, Gérard Voisin, Roland Vuillaume.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le naufrage du navire-citerne Erika, alors qu'il se trouvait à une trentaine de milles nautiques au sud de la pointe de Penmarc'h dans le Finistère le 12 décembre dernier, a remis dans l'actualité des images que l'on espérait ne plus jamais revoir. Plus de vingt et un ans après l'échouage de l'Amoco-Cadiz, de sinistre mémoire, la scène est, peu ou prou, la même : celle d'hommes et de femmes qui luttent avec leurs pelles et leurs seaux contre les nappes de pétrole qui arrivent par vagues successives sur nos côtes de la pointe de Penmarc'h à l'île de Ré. Certes, les deux pollutions ne sont pas en tous points comparables. Ainsi, le produit échappé de l'épave de l'Erika est d'une autre nature et le tonnage transporté plus faible, mais l'ampleur des côtes souillées bien plus étendue. Hélas, les dommages subis et qui menacent encore de se produire, seront à nouveau considérables : outre les dégâts écologiques proprement dits (40 000 oiseaux mazoutés, atteinte aux ressources halieutiques, dégradation massive des paysages ...), c'est toute la population des zones concernées qui souffre de ce nouveau désastre dans son environnement quotidien et ses activités économiques. L'on pense bien sûr en premier à nos concitoyens qui vivent des produits de la mer et de l'aquaculture sans oublier les craintes pour la saison touristique qui sont tout aussi légitimes.

La mobilisation de toutes les énergies est indispensable pour lutter contre cette nouvelle marée noire. Le plan Polmar a été déclenché sans délai, des opérations de pompage en mer ont eu lieu, il est vrai sans grand succès, d'importants moyens en hommes et en matériel ont été et continuent d'être mis en _uvre. Cependant, au-delà de la réparation du dommage et des moyens qu'elle requiert, il est urgent de réunir les conditions pour éviter la répétition de catastrophes de ce type. Il faut donc s'interroger sur la réglementation du transport maritime des produits polluants et sur son contrôle, car seule une politique de prévention plus efficace permettra d'espérer que l'on ne subira « plus jamais çà ».

Tel est bien l'objet des cinq propositions de résolution déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale en vue de créer une commission d'enquête à la suite du naufrage de l'Erika. L'application des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale conduit à en examiner la recevabilité avant de se prononcer sur leur opportunité.

La recevabilité des propositions peut être admise sans trop de difficultés. Les faits susceptibles de donner lieu à enquête sont déterminés avec une précision suffisante. Le principal obstacle pourrait se trouver dans l'existence de poursuites judiciaires en cours. En effet, une information est ouverte au tribunal de grande instance de Paris et la compagnie TOTALFINA a introduit un recours contre l'armateur de l'Erika auprès du tribunal de commerce de Dunkerque. Cependant, ces actions judiciaires ne devraient pas empêcher la création d'une commission d'enquête parlementaire dont l'objet n'est pas d'examiner les causes particulières du naufrage de l'Erika et encore moins de rechercher les responsables directs de l'accident. Comme on le verra plus loin, son champ d'investigation portera sur les enseignements généraux qu'il faut tirer de ce triste événement.

Quant à l'opportunité de créer une commission d'enquête, elle ne fait aucun doute. Le fait que cinq propositions aient été présentées par des députés de différents groupes politiques composant notre assemblée en est un premier signe. Même si les textes sont rédigés en termes différents, ils dénotent tous la volonté de mener une réflexion approfondie et de présenter des propositions de nature à renforcer la sécurité du transport maritime. Les conséquences dramatiques de la pollution causée par l'avarie de l'Erika, aggravées par les deux tempêtes de la fin du mois de décembre, ont ainsi créé un consensus au sein de la représentation nationale pour dégager des perspectives d'avenir moins sombre.

La proposition de résolution (n° 2037) présentée par M. François Goulard et plusieurs de ses collègues suggère d'étudier les modalités de renforcement des règles de sécurité pour le transport en mer d'hydrocarbures, d'établir la chaîne des responsabilités lorsqu'un accident se produit mais aussi d'enquêter « sur les moyens de réaction des autorités françaises face à un tel accident », en d'autres termes d'évaluer les moyens de gestion en cas de crise.

Si votre rapporteur partage pour l'essentiel les préoccupations exprimées, il vous suggère cependant de ne pas retenir cette proposition de résolution, la proposition de résolution (n° 2062) présentée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés ayant un objet plus large. Celle-ci vise, en effet, non seulement les hydrocarbures mais le transport maritime des produits dangereux et polluants. Cette rédaction plus générale permettrait d'enquêter sur les règles applicables aux produits non pétroliers, dont le caractère nocif n'est pas moindre, notamment les produits chimiques. En outre, la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault met l'accent sur le « contrôle des normes internationales des navires et des cargaisons » soulevant ainsi très clairement la question des pavillons de complaisance ainsi que celle des sociétés de classification et de certification. Il s'agit d'un problème essentiel, comme le confirment les conclusions de l'enquête technique et administrative remises à M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, le 13 janvier dernier. A la suite du naufrage de l'Erika, le bureau enquêtes-accidents-mer constate une opacité préoccupante quant à la propriété réelle du navire, exploité par des ressortissants italiens, conduit par un capitaine et un équipage indiens et battant pavillon maltais. Il regrette cette absence de « traçabilité » patrimoniale « qui ne permet pas de remonter jusqu'aux véritables décideurs, ce qui est inacceptable (...) bien que ce soit une pratique courante dans les milieux de la navigation ». Quant à la société de classification et de certification italienne RINA, il semble que les travaux qu'elle avait ordonnés de réaliser en novembre 1999 n'aient jamais été faits ! Il est également permis de s'interroger sur le contrôle de la réparation de navires vétustes circulant au détriment de la sécurité des hommes et de l'environnement. Là encore, le cas de l'Erika, sommairement réparé dans un chantier naval monténégrin peu avant son avarie, laisse perplexe.

La proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault met également l'accent sur « les conséquences juridiques, économiques et sociales des pollutions volontaires et accidentelles ». Elle suggère ainsi que la future commission d'enquête s'intéresse au régime de responsabilité non seulement en cas d'avarie, mais aussi lors d'opérations intentionnelles de « dégazage » dont les effets, pour être moins visibles, n'en portent pas moins des atteintes répétées à l'environnement. Il convient en effet - et l'opinion publique le demande - d'étudier les mesures de nature à responsabiliser davantage les chargeurs et les affréteurs, la recherche d'un transport au moindre coût étant bien souvent leur seul objectif, quelles qu'en soient les conséquences environnementales et sociales.

En outre, d'autres moyens de lutte contre les pollutions pourraient être développés, notamment pour améliorer le pompage des soutes ou la récupération des nappes en flottaison avant qu'elles n'atteignent les zones littorales.

La proposition de résolution (n° 2066) présentée par M. Jean de Gaulle et plusieurs de ses collègues met, quant à elle, l'accent sur les événements qui ont conduit au naufrage de l'Erika afin d'en tirer toute proposition utile au renforcement de la sécurité des transports pétroliers en mer et à l'amélioration de la lutte contre les pollutions marines.

Pour les raisons déjà évoquées, notamment la restriction du champ d'enquête au seul transport de produits pétroliers, votre rapporteur suggère de ne pas retenir cette proposition de résolution.

La proposition de résolution (n° 2070) de M. Georges Sarre a, au contraire, un objet très large, plus large que la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault. Elle porte en effet sur le transport maritime en général et la lutte contre les pavillons de complaisance, quel que soit le produit transporté et sans faire mention particulière de la prévention ou de la lutte contre les pollutions marines. Son objet apparaît trop étendu aux yeux de votre rapporteur qui estime préférable, pour des raisons d'efficacité, de délimiter de façon plus précise le champ d'investigation de la commission d'enquête.

La proposition de résolution (n° 2073) présentée par M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues est, elle aussi, rédigée en termes très généraux puisqu'elle suggère d'enquêter sur les causes du naufrage de l'Erika et sur la sécurité du transport maritime, sans autre précision. Là encore, il semble peu opportun de retenir un texte qui ouvrirait un champ trop large à la commission d'enquête.

Votre rapporteur observe que les cinq propositions de résolution mentionnent la sécurité du transport maritime. Deux d'entre elles, celles de M. François Goulard et de M. Jean de Gaulle, ont un objet circonscrit au transport de produits pétroliers ; deux autres, celles de M. Georges Sarre et de M. André Aschieri, ont au contraire un objet très large puisqu'elles portent sur le transport maritime en général ; celle de M. Jean-Marc Ayrault présente l'avantage de répondre aux préoccupations communes des auteurs des différents textes soumis à notre examen tout en délimitant de façon suffisamment précise l'objet de la commission d'enquête que nous souhaitons créer.

Aussi, votre rapporteur propose-t-il d'adopter la proposition de résolution (n° 2062) sous réserve d'une précision quant au nombre de membres de la commission d'enquête, qu'il suggère de fixer à trente, et de quelques modifications rédactionnelles. Il apparaît, en effet, plus judicieux de rechercher les moyens d'améliorer la lutte contre les pollutions que de se borner à évaluer leurs « conséquences juridiques, économiques et sociales ». Si la prévention doit être la priorité, on ne peut exclure qu'un nouvel accident se produise. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, le « risque zéro » n'existe pas. Il faut donc aussi disposer de tous les outils de « gestion de crise ». A titre d'exemple, la question du stockage et du traitement des déchets mérite une attention particulière.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 19 janvier 2000, la commission a examiné les cinq propositions de résolution dont elle était saisie.

M. René Leroux, rapporteur, a déclaré en préambule qu'il eût préféré que la commission ne soit pas amenée à se prononcer sur la création d'une commission d'enquête, plus de vingt et un ans après l'échouage de l'Amoco-Cadiz, tant il est vrai que le naufrage du pétrolier Erika, le 12 décembre dernier, au large du Sud du Finistère a fait revivre des moments que l'on espérait ne plus connaître. Une nouvelle fois, nos côtes ont été souillées, une nouvelle fois des hommes et des femmes luttent courageusement contre les nappes successives de pétrole qui polluent près de 500 kilomètres du littoral. Les dommages sont déjà considérables sur le plan écologique tout d'abord : 40 000 oiseaux mazoutés ont été recueillis, les ressources halieutiques sont partiellement touchées, on assiste à une dégradation massive des paysages et des écosystèmes. En fait, c'est toute la population des zones touchées qui souffre. L'on pense bien sûr aux professionnels de la mer, les pêcheurs, les paludiers, les conchyliculteurs qui subissent les conséquences de cette catastrophe, mais aussi aux professionnels du tourisme qui expriment des craintes pour la saison à venir.

Sur le terrain, toutes les énergies se sont mobilisées, les professionnels du plan Polmar, les bénévoles, les élus. D'importants moyens en matériel et en hommes sont encore aujourd'hui à l'_uvre. Cependant au-delà de la réparation du dommage et des moyens qu'elle requiert, il est urgent de réunir les conditions pour éviter la répétition de catastrophes de ce type. Il faut s'interroger sur la réglementation du transport maritime des produits polluants et sur son contrôle, car seule une politique de prévention plus efficace permettra d'espérer que l'on ne subira « plus jamais ça ».

A la suite du naufrage de l'Erika, cinq propositions de résolution ont été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale en vue de créer une commission d'enquête. Il convient d'en examiner la recevabilité avant de se prononcer sur leur opportunité.

Le rapporteur a estimé que la recevabilité des propositions pouvait être admise sans trop de difficultés. Le principal obstacle pourrait se trouver dans l'existence de poursuites judiciaires en cours ; cependant, elles ne devraient pas empêcher la création d'une commission d'enquête parlementaire dont l'objet n'est pas d'examiner les causes particulières du naufrage et encore moins de rechercher les responsables directs de l'accident. Il faut donc veiller à ce que son champ d'investigation porte sur les enseignements généraux qu'il faut tirer de ce triste événement.

Le fait que cinq propositions de résolution aient été présentées par des députés de différents groupes politiques composant notre assemblée montre, s'il en était besoin, qu'il existe un consensus pour créer une commission d'enquête, même si les textes sont rédigés en termes différents.

Après avoir présenté les cinq propositions de résolution, le rapporteur a observé que leurs auteurs mettaient tous l'accent sur la sécurité du transport maritime. Deux d'entre elles, celles de M. François Goulard (n° 2037) et de M. Jean de Gaulle (n° 2066) ont un objet circonscrit au transport de produits pétroliers ; deux autres, celles de M. Georges Sarre (n° 2070) et de M. André Aschieri (n° 2073) ont, au contraire, un objet très large puisqu'elles portent sur le transport maritime en général ; celle de M. Jean-Marc Ayrault (n° 2062) présente l'avantage de répondre aux préoccupations communes des auteurs des différents textes soumis à l'examen de la commission, tout en délimitant de façon suffisamment précise l'objet de la commission d'enquête.

En effet, la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault ne vise pas seulement les hydrocarbures mais le transport maritime des produits dangereux et polluants. Elle permettrait donc d'enquêter sur les règles applicables aux produits non pétroliers, dont le caractère nocif n'est pas moindre, notamment aux produits chimiques. En outre, elle vise à la fois les pollutions volontaires et les pollutions accidentelles, suggérant ainsi que la future commission d'enquête s'intéresse au régime de responsabilité, non seulement en cas d'avarie, mais aussi lors d'opérations de « dégazage » dont les effets, pour être moins visibles, n'en portent pas moins des atteintes répétées à l'environnement. Enfin, elle permet, comme les autres propositions de résolution, d'aborder la question des pavillons de complaisance et le problème du contrôle des sociétés de classification et de certification.

Le rapporteur a donc proposé à la commission d'adopter la proposition de résolution (n° 2062) de M. Jean-Marc Ayrault, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles et d'une précision quant au nombre de membres de la commission d'enquête qu'il a suggéré de fixer à trente.

Défendant la proposition de résolution présentée par M. Jean de Gaulle dont il est cosignataire, M. Serge Poignant a jugé important de débuter la réflexion à partir du naufrage du pétrolier Erika, pour l'élargir ensuite à la sécurité de l'ensemble du transport maritime des produits pétroliers. Il a donc déploré que la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault ne fasse pas mention du naufrage de l'Erika et souligné que la proposition de résolution de M. Jean de Gaulle précisait que la commission d'enquête comprendrait trente membres. Il a enfin estimé que le champ d'enquête que celle-ci proposait était loin d'être limité puisqu'elle mentionne à la fois le renforcement de la sécurité des transports pétroliers et l'amélioration de la lutte contre les pollutions marines.

M. Daniel Paul a déclaré qu'au-delà de l'émotion suscitée par le naufrage du pétrolier Erika et de ses conséquences sur les côtes françaises, du sud de la Bretagne à l'estuaire de la Gironde, il était temps de tirer les conséquences de vingt ans de déréglementation du transport maritime. Il a noté que le trafic serait amené à progresser fortement du fait de la dissémination croissante des zones de production, de raffinage et de consommation des produits pétroliers. Il a également estimé qu'il ne fallait pas limiter les travaux de la commission d'enquête aux produits pétroliers, s'appuyant sur l'exemple du trafic maritime en Manche pour préciser que, parmi les 12 millions de conteneurs qui circulent chaque année, un certain nombre s'échoue lors de tempêtes sur les côtes françaises. Aussi a-t-il jugé qu'élargir la réflexion à la sécurité du transport maritime des produits dangereux constituait une nécessité absolue.

Puis, M. Daniel Paul a insisté sur la nécessité de traiter le problème des pavillons de complaisance. Sur ce point, il a indiqué que la presse se faisait l'écho de la grève déclenchée au port de Rouen du fait de la présence d'une drague sous pavillon luxembourgeois. Prenant ensuite l'exemple de Malte, qui occupe le troisième rang mondial en termes de flotte, il a déploré qu'un tel pays ne dispose pas d'une véritable administration du transport maritime et de moyens de contrôle corrects. Aussi a-t-il souhaité que la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'année, permette d'introduire parmi les critères d'entrée des pays candidats, comme Malte, l'Estonie ou la Turquie, celui d'une administration des transports maritimes efficace et qui contrôle les navires de manière plus rigoureuse.

Considérant qu'un champ d'investigation important s'offrait aux parlementaires grâce à la proposition de résolution présentée par M. Jean-Marc Ayrault, il a estimé que la commission d'enquête devrait constituer le moyen de reprendre certaines conclusions élaborées en la matière, par exemple celles contenues dans le rapport réalisé en juin 1994 par une mission d'information sur la sécurité du transport maritime et la pollution du littoral du Sénat, tout en essayant d'aller plus loin, compte tenu de la gravité des risques. Il a enfin jugé que la commission était condamnée à réussir, les fuites émanant de l'Erika devant se poursuivre dans les mois à venir, ce qui entretiendra l'émotion bien légitime ressentie par la population.

Exprimant sa préférence pour la proposition de résolution présentée par M. François Goulard, M. Jean Proriol a estimé que le rapporteur soutenait la proposition de M. Jean-Marc Ayrault, non pour ses qualités intrinsèques, mais parce qu'elle émanait du groupe politique majoritaire.

Il a considéré que la proposition de M. François Goulard allait au contraire plus au fond des problèmes, puisqu'elle suggérait d'étudier les modalités de renforcement des règles de la sécurité maritime internationale et d'établir la chaîne des responsabilités lors d'un accident, comme celui de l'Erika. Ainsi, il serait utile que la commission d'enquête, dont il convient de décider la création, examine si tous les moyens ont été mis en _uvre pour tenter de remorquer à temps le navire pétrolier naufragé, avant qu'il ne sombre et déverse sa cargaison.

M. Patrick Rimbert a estimé, pour sa part, que la réussite des travaux de la commission d'enquête exigeait de ne pas se disperser, au risque de ne pas pouvoir élaborer de propositions concrètes et de se contenter d'énoncer des généralités. Il a souligné que si la proposition de résolution présentée par M. Jean-Marc Ayrault ne faisait pas référence au naufrage de l'Erika, celui-ci est explicitement visé dans l'exposé des motifs et qu'il ne fallait pas limiter le champ d'investigation de la commission d'enquête à cette seule catastrophe.

Puis, il a mis l'accent sur les qualités de la proposition précitée, qui permettra à la commission d'enquête de se pencher sur le problème du déversement en mer de l'ensemble des produits dangereux et polluants ; d'autres matières que les hydrocarbures, pour être moins visibles que ceux-ci, ont des effets particulièrement dévastateurs sur la faune et la flore marines. En outre, la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault vise expressément les pollutions volontaires ou accidentelles, telles que les « dégazages » effectués illégalement en mer par certains équipages indélicats pour nettoyer le contenu de leurs cuves ; or, les effets cumulatifs de ces petites dégradations sont particulièrement graves.

M. Lionnel Luca a regretté la vision monolithique et réductrice d'une formation politique qui veut s'arroger le monopole de l'expression sur un sujet aussi grave que la catastrophe maritime qui s'est produite le mois dernier. Il a déploré que la proposition de résolution déposée par M. Georges Sarre, qui seule pose les problèmes de fond en suggérant d'enquêter sur la question essentielle de la lutte contre les pavillons de complaisance, n'ait pas été retenue par le rapporteur. Il a estimé que la démarche du groupe majoritaire conduira malheureusement la commission d'enquête à n'être qu'une structure d'observation, qui n'examinera pas les problèmes liés à la mondialisation.

Usant de la faculté offerte par l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale, M. Louis Guédon a déploré que le texte proposé par le rapporteur ne mentionne pas le fait que l'affréteur du navire Erika est un groupe pétrolier français. Il a souligné qu'au-delà de l'émotion soulevée par le naufrage, les populations touchées, confrontées à un drame majeur, ont témoigné d'une grande dignité dans l'adversité. Il a souhaité que la commission d'enquête se penche sur les conditions dans lesquelles le naufrage est intervenu et, plus généralement, sur l'absence d'une véritable politique maritime nationale, de sorte que l'ensemble des maillons de la chaîne soit analysé et fasse l'objet de propositions.

M. Léonce Deprez a souligné la véritable solidarité nationale qui s'est manifestée face aux événements. Il s'est félicité de ce qu'aucun clivage d'ordre social ou politique ne se soit exprimé sur ce sujet et qu'au contraire tous les acteurs aient su se mobiliser.

Il n'en a que plus fortement regretté la dispersion des commissaires dans des débats assez vains et a affirmé la nécessité de parvenir à un texte de consensus. Il importe que la commission d'enquête concentre ses travaux sur les conditions dans lesquelles l'accident est intervenu, dénonce l'inconscience et l'irresponsabilité du groupe pétrolier français et sache identifier les responsabilités de chacun, sans se perdre dans un traitement trop général de la question du fret maritime.

M. Jean-Pierre Dufau a, au contraire, insisté sur le fait que l'accident du pétrolier Erika ne constituait qu'un élément déclencheur et souhaité que les travaux de la commission d'enquête ne s'y limitent pas. Il a donc exprimé son soutien à la proposition de M. Jean-Marc Ayrault qui présente l'avantage d'aborder les problèmes au fond et de façon exhaustive. De la sorte, on peut espérer une réponse et des propositions unanimes au terme des travaux de cette commission d'enquête.

M. Serge Poignant a estimé que l'accident, si dramatique soit-il, ne constitue que le point de départ d'une réflexion vouée à s'élargir par la suite. Il a rappelé son souci de voir les commissaires oublier leurs étiquettes partisanes et se regrouper autour d'un texte consensuel.

M. Patrick Rimbert a souligné que les travaux de la commission d'enquête seront utiles pour alimenter la réflexion et faire des propositions avant que la France n'assure la présidence semestrielle de l'Union européenne. Il s'est déclaré favorable au texte proposé par le rapporteur tout en suggérant d'y apporter une amélioration rédactionnelle.

M. Roland Vuillaume a souligné que, face à une cause d'ampleur nationale, il est nécessaire que la commission sache exprimer une voix unanime, gage d'un esprit de responsabilité traversant l'ensemble des formations politiques. Il a donc regretté la présentation concomitante de cinq propositions de résolution différentes, pouvant donner l'impression d'une dispersion des parlementaires vis-à-vis des préoccupations de l'ensemble de leurs concitoyens.

En réponse aux intervenants, M. René Leroux, rapporteur, a apporté les précisions suivantes :

- il est vrai que la représentation nationale est condamnée à réussir ; c'est pourquoi, loin de ne retenir qu'une proposition de résolution au détriment des autres, le texte soumis à la commission cherche à répondre aux préoccupations de l'ensemble des sensibilités exprimées ;

- il va de soi que les membres qui composeront la commission d'enquête pourront orienter les débats dans le sens qu'ils estimeront le meilleur pour obtenir l'expression de la vérité. Ainsi, même si la proposition de résolution retenue ne mentionne pas explicitement la question des pavillons de complaisance, à la différence de celle présentée par M. Georges Sarre, cela ne signifie pas pour autant que la commission d'enquête devra s'en désintéresser, pas plus que du problème de la chaîne de responsabilités entre chargeur, affréteur, fréteur et Etat ;

- la proposition de résolution présentée par M. Jean-Marc Ayrault ouvre un champ d'investigation très vaste. L'absence de toute référence au naufrage de l'Erika dans le texte de la proposition de résolution exprime la volonté de ne pas cantonner les travaux de la commission d'enquête à l'examen des causes et conséquences de cette seule catastrophe, si grave soit-elle. Il faut, en effet, éviter toute interférence avec les procédures judiciaires et présenter des propositions pour éviter que de telles catastrophes puissent se reproduire. Les risques sont d'autant plus grands que le nombre de navires aux abords des côtes françaises s'est singulièrement accru en vingt ans, transportant des hydrocarbures, des produits polluants, toxiques ou dangereux, soit dans les vraquiers, soit dans des conteneurs. Il ne faut pas perdre de vue que la plupart des produits chimiques transportés présentent des risques beaucoup plus graves pour la préservation de la faune et de la flore marines que le pétrole ;

- s'agissant de la flotte de commerce française, M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, a souligné lors de sa récente visite à Lorient, à la suite de la catastrophe de l'Erika, la nécessité de son renouvellement, compte tenu de son état de vétusté qui accroît les risques d'accidents ;

- le fait que l'affréteur de l'Erika soit une société française devrait normalement permettre à la procédure judiciaire d'aboutir bien plus rapidement que ce ne fut le cas pour l'Amoco-Cadiz devant les juridictions américaines. De surcroît, les préfets conseillent aux collectivités locales victimes de la marée noire de l'Erika de rechercher autant que possible des solutions amiables ;

- il est évidemment souhaitable que les conclusions de la commission d'enquête permettent d'établir des propositions pour tendre vers une véritable politique maritime ;

- les conclusions proposées à la commission n'ont pas pour objet d'écarter qui que ce soit. Au contraire, la convergence de vues qui se dessine au-delà des clivages politiques montre que tous ceux qui sont ici présents ont la même volonté d'aboutir dans les meilleures conditions possibles. Il importe en effet que l'Assemblée nationale réponde rapidement aux préoccupations des citoyens et des élus locaux qui agissent pour effacer les traces de la marée noire et veulent que tout soit mis en _uvre pour que de telles catastrophes ne se reproduisent plus.

Puis, le rapporteur a proposé à la commission d'adopter la proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault compte tenu des modifications qu'il suggérait ; celles-ci visent à préciser le dispositif et notamment à mentionner les moyens d'améliorer la lutte contre les pollutions plutôt que de se borner à évaluer leurs conséquences juridiques, économiques et sociales. Il s'est, en outre, déclaré favorable à la modification rédactionnelle suggérée par M. Patrick Rimbert.

M. Serge Poignant, tout en considérant que le plus important était bien de créer une commission d'enquête sur la sécurité du transport maritime, a regretté que les propositions du rapporteur conduisent à manquer l'occasion de l'expression d'une solidarité qui transcende les désaccords politiques. C'est pourquoi il a déclaré qu'il s'abstiendrait.

La commission a adopté la proposition de résolution (n° 2062) de M. Jean-Marc Ayrault ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement, une commission parlementaire de trente membres chargée d'enquêter sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants, le contrôle des normes internationales des navires et des cargaisons ainsi que les moyens d'améliorer la lutte contre les pollutions volontaires ou accidentelles.