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N° 942

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mai 1998.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1) , SUR LES PROJETS DE LOI autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Pologne (n° 912), de la République de Hongrie (n° 913) et de la République Tchèque (n° 922),

PAR M. Arthur PAECHT,

Député.

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 384, 385, 386 et 430 (1997-1998).

Assemblée nationale : 912, 913, 922 et 935.

Défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :

M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier, vice-présidents ; MM. Robert Gaïa, Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Eric Besson, Bernard Birsinger, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Yves Bur, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Hervé de Charette, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Roger Franzoni, Yann Galut, Germain Gengenwin, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, François Hollande, François Huwart, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Pierrre-Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Marius Masse, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Jacques Peyrat, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 5

I. —  LES MODALITÉS DE L’ÉLARGISSEMENT : UN PROCESSUS

PROGRESSIF D’ASSOCIATION POLITIQUE ET MILITAIRE 9

A. —  LA PROCÉDURE JURIDIQUE 9

1. — Le rappel des principales étapes 9

2. — Le mécanisme juridique 10

B. —  L’INTÉGRATION PROGRESSIVE DANS L’ALLIANCE ATLANTIQUE 11

1. — L’association croissante aux instances de décision pendant

la période intermédiaire 11

2. — La participation opérationnelle des forces armées 11

3. — Les réformes engagées dans les forces armées 12

a —  Les budgets de la Défense 12

b —  La réduction des effectifs 13

c —  La réorganisation des structures 13

d —  Le renouvellement et la modernisation des équipements 14

II. —  LES INTERROGATIONS SUSCITÉES PAR L’ÉLARGISSEMENT 15

A. —  LA POURSUITE DE L’ÉLARGISSEMENT : UNE COHÉRENCE À

DÉTERMINER 15

1. — Les divergences entre partenaires : des visions parfois

antinomiques 15

a —  Le rythme de l’élargissement a toujours fait l’objet de

débats 15

b —  Le cas particulier des pays baltes 17

2. — Les instruments de partenariat mis en place 18

a —  La participation accrue au Partenariat pour la paix 18

b —  Le Conseil de partenariat euro-atlantique 19

B. —  LE RENFORCEMENT DES RELATIONS ENTRE L’OTAN ET LA RUSSIE

OU L’UKRAINE : DES INITIATIVES À PROLONGER 20

1. — L’Acte fondateur OTAN-Russie 20

2. — La Charte de partenariat OTAN-Ukraine 22

C. —  LE COÛT DE L’ÉLARGISSEMENT : UNE ÉVALUATION À CONFIRMER22

1. — Le partage des coûts 23

2. — Les conséquences financières de l’élargissement 25

a —  Des estimations divergentes 25

b —  Des différences d’approche 27

D. —  LA RÉFORME DE L’OTAN ET LA DÉFINITION D’UN NOUVEAU

CONCEPT STRATÉGIQUE 28

1. — La nécessaire révision du concept stratégique 28

2. — L’évolution des structures militaires 29

EXAMEN EN COMMISSION 31

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale est saisie de trois projets de loi, adoptés par le Sénat, autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque.

Depuis sa création en 1949, l’Alliance s’est élargie à la Grèce et à la Turquie en 1952, à la RFA en 1955 et à l’Espagne en 1982. Alors que, depuis la fin de la confrontation Est-Ouest, douze pays ont présenté leur candidature, la démarche actuelle d’élargissement est graduelle et a été limitée à trois pays pour quatre raisons.

·  De manière générale, pour l’ensemble des membres de l’Alliance atlantique, l’élargissement a pour objet de renforcer la stabilité et la sécurité en Europe, ne serait-ce qu’en créant davantage de sécurité pour les pays candidats eux-mêmes. L’élargissement est conçu comme une réponse “ naturelle ” à l’évolution de la situation stratégique en Europe après la fin de la guerre froide et la dissolution du Pacte de Varsovie. Non seulement il doit permettre aux Etats d’Europe centrale et orientale de “ prendre leur place dans la communauté euro-atlantique ”. Mais il vise à étendre les principes historiques qui fondent la défense collective de l’Europe occidentale et garantissent l’équilibre stratégique du continent européen grâce au lien transatlantique, forgeant ainsi une véritable communauté entre alliés.

Il est également important de rappeler que, pour l’ensemble des membres européens sauf notre pays et dans une moindre mesure l’Espagne, l’OTAN constitue le cadre de référence essentiel de leurs politiques de défense, leurs forces armées faisant partie des structures militaires intégrées.

L’une des principales critiques à l’adhésion de nouveaux membres se fondait sur les risques liés aux litiges frontaliers ou ethniques. Or les litiges de cette nature impliquant les trois pays candidats ne constitueront pas des menaces pour la sécurité et la paix en Europe. En effet, la participation à l’OTAN contribue à une certaine retenue des membres dans leurs relations bilatérales et les force à résoudre leurs différends par des moyens pacifiques. A cet égard, faut-il souligner les inconvénients de la présence simultanée de la Grèce et de la Turquie qui oblige l’Alliance à traiter fréquemment des litiges opposant ces deux pays, ou s’interroger sur ce qui aurait pu advenir s’ils n’étaient pas membres de l’Alliance.

De plus, l’adhésion modère les antagonismes d’un allié avec un pays non-membre en raison de l’obligation de défense collective face à une agression externe (c’est le mécanisme de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord). Les pays candidats ont d’ailleurs fait la preuve de leurs capacités à résoudre leurs anciens différends frontaliers avec leurs voisins.

·  Certains membres actuels de l’Alliance atlantique ont des approches spécifiques de l’élargissement. L’Allemagne estime ainsi que l’élargissement de l’Alliance vers l’Est lui permettra de ne plus se situer aux frontières orientales de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique.

Pour les Etats-Unis, l’objectif est également de consolider l’OTAN après la disparition du Pacte de Varsovie et d’étendre ses missions en dehors des cas prévus à l’article 5 et hors zone : il s’agit de promouvoir une vocation mondialiste d’intervention de l’OTAN dans toutes les situations possibles. Cette conception “ maximaliste ” risque de renforcer la vocation politique au détriment de l’alliance militaire et de mettre directement en concurrence l’OTAN avec d’autres instances comme l’ONU ou l’OSCE.

·  Les trois premiers Etats rejoignant l’Alliance peuvent se prévaloir de progrès démontrant qu’ils sont en mesure d’apporter une véritable contribution à l’Alliance, ce qui ne paraît pas encore le cas des autres candidats, même de la Slovénie ou de la Roumanie. L’élargissement est apparu impossible à refuser à des Etats qui tiennent leurs promesses et répondent aux critères qui ont été fixés en matière d’ouverture à l’économie de marché, de démocratie et de droits de l’Homme. Par là même, il contribue à renforcer ces processus et à rapprocher ces pays de l’Europe occidentale.

·  Enfin, leur adhésion a fait l’objet d’un consensus entre les membres de l’Alliance atlantique. Un grand nombre d’adhésions aurait présenté davantage de difficultés, même s’il est légitime de s’interroger sur l’appréciation politique et militaire des pays ainsi qualifiés ou recalés ainsi que sur l’impossibilité pour l’OTAN d’accueillir davantage de membres en même temps.

*

L’élargissement de l’Alliance atlantique est un processus complexe qui obéit à des modalités juridiques précises et induit une implication croissante des candidats dans les structures de l’organisation.

Il soulève également des interrogations qui ne remettent pas en cause la démarche mais méritent de trouver une réponse.

I. —  LES MODALITÉS DE L’ÉLARGISSEMENT : UN PROCESSUS PROGRESSIF D’ASSOCIATION POLITIQUE ET MILITAIRE

Les différentes étapes du processus juridique d’élargissement s’accompagnent d’une implication croissante des pays candidats dans les structures politiques et militaires de l’organisation.

A. —  LA PROCÉDURE JURIDIQUE

L’élargissement repose sur le fondement juridique de l’article 10 du traité de l’Atlantique Nord.

Il a été préparé par plusieurs étapes car l’adhésion à l’Alliance atlantique répond à un mécanisme juridique complexe.

TRAITÉ DE L’ATLANTIQUE NORD

(Washington, 4 avril 1949)

Article 10 : Les parties peuvent, par accord unanime, inviter à accéder au Traité tout autre Etat européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord. Tout Etat ainsi invité peut devenir partie au Traité en déposant son instrument d’accession auprès du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique. Celui-ci informera chacune des parties du dépôt de chaque instrument d’accession.

1. — Le rappel des principales étapes

Le Conseil atlantique, réuni en session ministérielle le 1er décembre 1994, avait décidé “ d’engager un processus d’examen (...) afin de déterminer le processus d’élargissement de l’OTAN ”. La session ministérielle du 30 mai 1995 a confirmé le calendrier et les principes du processus ainsi que ses implications. L’Etude sur l’élargissement adoptée en septembre 1995 proposait des directives politico-militaires notamment sur le contrôle démocratique et la résolution pacifique des conflits entre pays limitrophes. Les Etats-Unis ont fait de l’élargissement le thème principal, sinon unique, de l’avenir de l’Alliance atlantique. La plupart des pays ont accepté cette conception.

La République tchèque répondit dès le 14 mars 1996 à l’Etude sur l’élargissement. Les négociations entre le Secrétariat général et les pays candidats se sont poursuivies durant les années 1996 et 1997.

Le Sommet de Madrid à l’été 1997 a engagé véritablement l’élargissement en invitant trois pays à entamer les négociations en vue d’une signature de l’acte d’adhésion lors de la session ministérielle de décembre 1997.

2. — Le mécanisme juridique

L’étape initiale de l’élargissement s’est ainsi concrétisée par la signature le 16 décembre dernier des protocoles d’adhésion au Traité de l’Atlantique Nord de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque. Cette étape a ouvert la voie à un processus de ratification parlementaire.

Comme l’indique l’article 3 de chacun des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord, les parties à ce traité doivent notifier leur approbation au Gouvernement des Etats Unis d’Amérique. La réception de chacune de ces approbations permettra aux trois protocoles d’entrer en vigueur. Le Secrétaire général de l’Organisation enverra alors aux Gouvernements des pays candidats une invitation à adhérer au Traité de l’Atlantique Nord. Les Etats deviendront parties au Traité “ à la date du dépôt de [leur] instrument d’accession auprès du Gouvernement des Etats Unis d’Amérique ”.

L’adhésion prendra juridiquement effet lors du sommet du cinquantième anniversaire de la création de l’Alliance atlantique, en avril 1999, à Washington.

Jusqu’à présent, six parlements des Etats membres ont ratifié les protocoles d’adhésion : l’Allemagne, le Canada, le Danemark, l’Espagne, la Norvège et les Etats Unis. Par ailleurs, les sénats italien et français ont procédé à la ratification et transmis les protocoles à l’autre chambre du Parlement. Votre Rapporteur tient à souligner que les parlements hongrois et tchèque ont également procédé à la ratification, mais que les autorités polonaises ont annoncé qu’elles attendraient la ratification des seize Etats membres avant de se prononcer.

Le Sénat américain a assorti son vote de considérations sur l’élargissement et de recommandations au Gouvernement des Etats-Unis. Celles-ci portent essentiellement sur la réduction des budgets militaires consacrés à l’élargissement et sur l’évolution de la doctrine de l’Alliance atlantique.

B. —  L’INTÉGRATION PROGRESSIVE DANS L’ALLIANCE ATLANTIQUE

1. — L’association croissante aux instances de décision pendant la période intermédiaire

Deux phases différentes ont été distinguées.

·  Pendant la période qui sépare la signature des protocoles d’adhésion par les candidats, en décembre 1997, du dépôt des instruments de ratification par les Etats membres, le principe retenu est l’implication des trois futurs membres dans les travaux de l’Alliance atlantique sans participation au processus de décision et sous réserve de certaines exceptions, en raison, par exemple, de la sensibilité du sujet : c’est ainsi que les alliés actuels peuvent demander le huis clos des réunions et que les Etats candidats ne sont pas associés aux structures ad hoc (Conseil permanent OTAN-Russie, etc.).

La présence aux comités techniques militaires a été considérée comme souhaitable afin de préparer et de favoriser l’interopérabilité des forces armées. De même, les Etats candidats sont associés à la planification de défense à l’occasion des réunions du comité des plans de défense.

·  A compter de la ratification générale des instruments d’adhésion par les membres actuels, les trois Etats participeront à l’ensemble des activités de l’Alliance et adhéreront aux structures militaires intégrées dans la mesure où ils en ont exprimé l’intention.

2. — La participation opérationnelle des forces armées

Les trois premiers pays candidats ont d’ores et déjà participé à des missions collectives des membres de l’Alliance atlantique et à des unités multinationales. Les forces hongroises et polonaises ont déployé des soldats en Yougoslavie dans le cadre de l’IFOR puis de la SFOR. Elles ont également fourni des policiers au groupe international de police (IPTF).

EXEMPLES DE PARTICIPATION DES PAYS CANDIDATS :

EFFECTIFS PRÉSENTS DANS L’EX-YOUGOSLAVIE

 

IFOR (96)

SFOR (97)

IPTF

Hongrie

entre 240 et 390

281

36

Pologne

540

416

42

Plusieurs projets d’unités multinationales associant des pays de l’ex-Pacte de Varsovie entre eux ou avec des membres de l’Alliance ont été lancés en 1997. Le corps germano-danois-polonais devrait comprendre une division par pays et son état-major sera basé à Szczecin. Le bataillon polono-ukrainien a comme objectif de rapprocher l’Ukraine de l’Europe de l’Ouest. La Hongrie et la Roumanie envisagent la mise sur pied d’un bataillon mixte qui favoriserait le règlement des contentieux liés à la minorité hongroise de Transylvanie et permettrait de rapprocher la Roumanie de l’Alliance atlantique.

La constitution d’unités communes pour le maintien de la paix entre la Pologne, l’Ukraine et la Lituanie témoigne également de la capacité de ces pays à régler au préalable, par des voies spécifiques, les litiges de frontières et de minorités.

3. — Les réformes engagées dans les forces armées

L’intégration de contingents dans les divisions de l’IFOR ou de la SFOR, et leur contribution à des unités multinationales ont imposé aux forces des pays candidats de s’adapter peu à peu aux standards de l’OTAN, notamment en matière de commandement et de communications.

Quatre critères permettent d’apprécier l’évolution et la situation actuelle des forces armées dans les trois pays candidats.

a) Les budgets de la Défense

Depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, la chute continue des moyens consacrés à la défense par les pays candidats s’est ralentie. Ils ont dû s’engager à mener des efforts de modernisation de leurs forces armées, démontrant ainsi leur volonté d’intégration.

Les crédits militaires représentent respectivement de 6 % du budget de l’Etat pour la Hongrie à 8 % pour la Pologne, selon l’Institut d’études stratégiques de Londres, leur part dans le PIB est estimée pour 1998 à 3 % pour la Hongrie, 2 % pour la Pologne et 2,3 % pour la République tchèque. La répartition entre crédits de fonctionnement (80 %) et d’investissement (20 %) est identique dans les trois pays : elle reflète l’importance des effectifs militaires et l’interruption de la politique d’acquisition des matériels. Mais une évolution se manifeste depuis deux ans. Les crédits de fonctionnement régressent légèrement grâce aux économies réalisées par la réduction des effectifs tandis que les dotations en capital progressent pour permettre la modernisation des équipements.

b) La réduction des effectifs

Sur les dix dernières années (1989-1998), d’importantes réductions d’effectifs ont eu lieu.

Elles se sont accompagnées de la suppression d’un grand nombre d’unités et, dans le cas particulier de la Pologne, du redéploiement des forces sur l’ensemble du territoire.

En Pologne, les effectifs militaires actuels restent légèrement supérieurs aux plafonds fixés par le Traité FCE mais les déflations devraient se poursuivre. Elles concerneront aussi bien les personnels civils que les personnels militaires.

Par contre, les effectifs sont inférieurs aux plafonds fixés par le Traité FCE de 40 % en République tchèque et de 50 % en Hongrie ; ils devraient encore se réduire compte tenu des projets de redimensionnement et de professionnalisation des forces armées.

Le rééquilibrage des pyramides des grades est nécessaire. Il entraîne une véritable “ hémorragie ” des meilleurs officiers vers le secteur civil qui est particulièrement sensible en République tchèque.

L’évolution des armées dans ces trois pays a des conséquences importantes sur le moral des personnels et sur l’efficacité opérationnelle des troupes. C’est pourquoi, toutes les précautions doivent être prises dans la mise en oeuvre de la réforme des forces.

c) La réorganisation des structures

Deux objectifs soutiennent les efforts de réorganisation des structures de commandement : l’abandon des modèles du Pacte de Varsovie, le rapprochement avec les normes de l’OTAN.

Ces efforts concernent l’ensemble des échelons de commandement : ministère de la défense, état-major de l’ensemble des armées, états-majors, unités.

Des plans de modernisation ont été mis en place, par exemple en Pologne pour la période 1998-2012.

Mais les restructurations sont engagées dans des contextes budgétaires défavorables qui retardent le processus de modernisation et affectent le moral des personnels.

d) Le renouvellement et la modernisation des équipements

Les parcs de matériels ont été réduits de plus de la moitié en Pologne, en Hongrie ou en République tchèque ; ils correspondent, dans la plupart des cas, aux plafonds fixés par le traité FCE.

Les matériels les plus anciens ont été éliminés mais la majeure partie des équipements restants ne sont pas interopérables avec ceux des membres de l’Alliance atlantique. De plus, l’obsolescence des équipements et la difficulté de les maintenir en condition supposent un effort de renouvellement et de modernisation, surtout pour les systèmes de communication, le contrôle et la défense de l’espace aérien qui constituent les priorités opérationnelles de l’OTAN.

En fait toutes les analyses ne concordent pas sur la valeur opérationnelle de ces équipements. Le secrétariat général de l’OTAN considère que la majorité des matériels des nouveaux membres sera obsolète en 2004-2007, ce qui ouvre d’importantes perspectives de ventes d’armements. L’Institut international d’études stratégiques de Londres est plus nuancé car il considère que les stocks existants ne sont pas plus anciens ou moins efficaces sur le plan technique que ceux d’autres membres de l’OTAN. Il convient de ne pas oublier que la Russie a livré ces dernières années des équipements modernes en remboursement de sa dette (MIG 29, véhicules blindés à roues, missiles antichars).

 

Pologne

Hongrie

République tchèque

Part du budget de la défense dans le PIB

(source : ISS - Londres)

1989

6,8 %

6,3 %

8 %

1995

2,8 %

1,4 %

2,5 %

1998

2,2 %

1,3 %

2,3 %

Effectifs des forces armées

(source : OTAN - Bruxelles)

1989

350 000

155 700

105 000

1998

242 770

43 826

63 340

Budget 1998 (en milliards de francs)

20,5

3,7

7

Répartition fonctionnement/équipement en %

80/20

82/18

81/19

*

L’élargissement a soulevé un certain nombre d’interrogations mais y ont en grande partie répondu les décisions prises et les instruments de participation mis en oeuvre.

II. —  LES INTERROGATIONS SUSCITÉES PAR L’ÉLARGISSEMENT

Depuis l’ouverture des négociations avec les pays candidats, de nombreuses interrogations se sont manifestées sur les conséquences de l’élargissement. Les premières questions, dont la pertinence demeure, correspondent à la trilogie longuement débattue : “ qui ? ”, “ quand ? ” et “ comment ? ”.

La Commission de la Défense souhaite ajouter une quatrième question essentielle : “ pourquoi ? ”, c’est-à-dire “ dans le cadre de quelle OTAN et avec quels objectifs ? ”. Elle estime ainsi indispensable d’apporter des réponses à quatre thèmes qui ont fait l’objet de débats approfondis  :

— les différentes étapes de l’élargissement ;

— les relations entre l’OTAN et la Russie, d’une part, l’Ukraine, d’autre part ;

— le coût de l’élargissement ;

— la réforme de l’OTAN et la définition d’un nouveau concept stratégique.

Certaines questions soulevées par l’élargissement n’ont pas encore reçu de réponse satisfaisante et les structures spécifiques de coopération, favorisant le partenariat avec l’Alliance atlantique, restent symboliques.

A. —  LA POURSUITE DE L’ÉLARGISSEMENT : UNE COHÉRENCE À DÉTERMINER

1. — Les divergences entre partenaires : des visions parfois antinomiques

a) Le rythme de l’élargissement a toujours fait l’objet de débats

Lors des discussions préparatoires avec l’Alliance atlantique, les candidats qui pressentaient qu’ils ne seraient pas retenus pour la première étape ont fait ressortir que le choix de trois pays seulement pourrait créer un déficit de sécurité en Europe et ont exprimé la crainte que le premier élargissement ne soit le dernier et n’accroisse leur vulnérabilité. En effet, ils ont le sentiment qu’ils seront plus vulnérables à d’éventuelles menaces, en raison d’une obsolescence croissante de leurs systèmes de défense et d’un désintérêt des Etats membres à leur égard. De même, ils ont souligné le risque que les premiers Etats admis ne s’opposent à de nouvelles adhésions. Pourtant, les négociations sur l’élargissement de l’OTAN ont fait obligation aux futurs membres de ne pas s’opposer à de nouvelles adhésions et, au contraire, de les favoriser.

C’est pourquoi il a été jugé d’autant plus nécessaire de prévoir des mesures d’accompagnement pour les pays qui n’ont pas vocation à adhérer de manière immédiate. Celles-ci permettraient de renforcer leur relation avec l’OTAN dans les domaines de la coopération militaire et du dialogue politique.

La prochaine échéance du sommet de l’OTAN en avril 1999 sera décisive et il est certain qu’une négociation difficile aura lieu entre Alliés, tant leurs positions actuelles divergent.

Si l’invitation faite à la République tchèque, à la Hongrie et à la Pologne d’adhérer à l’OTAN a fait l’objet d’un large consensus à Madrid, plusieurs alliés, notamment la France, ont souhaité que le premier élargissement comprenne la Roumanie et la Slovénie. Les premiers débats avaient même inclus la Slovaquie, dont l’adhésion aurait été d’autant plus souhaitable qu’elle dispose d’une frontière commune avec l’Ukraine.

Plusieurs raisons motivent cette prise de position : il convient d’éviter de recréer une fracture entre pays européens ; au contraire il est nécessaire d’encourager les réformes démocratiques et économiques dans les pays candidats ; il apparaît également souhaitable de rééquilibrer géographiquement le processus d’élargissement.

En l’absence d’accord, un compromis a été élaboré. Plusieurs lectures du communiqué de Madrid sont possibles :

— au sens strict, au-delà de l’affirmation claire du principe général de la porte ouverte à tous les candidats européens, il est simplement prévu que la question de l’élargissement sera réexaminée au Sommet de Washington, en avril 1999.

A de nombreuses reprises, le Secrétaire général de l’OTAN, M. Javier Solana, a évoqué la “ politique de la porte ouverte ” et a précisé que celle-ci constituait la seule politique de l’Alliance atlantique ;

— la déclaration de Madrid ne cite expressément que la Roumanie et la Slovénie. La France reste favorable à une adhésion d’autres candidats et souhaite qu’une nouvelle série d’invitations à adhérer soit lancée dans un an. Cependant il y a un risque que les pays d’Europe centrale et orientale soient en fait différenciés en trois groupes, celui des Etats adhérant immédiatement (Hongrie, Pologne et République tchèque) ; celui des candidats éventuels à moyen terme (Roumanie, Slovénie et pays baltes notamment) ; celui des pays écartés jusqu’à nouvel ordre.

Si de nombreux gouvernements européens considèrent qu’il s’agit d’une première vague ou d’un point de départ et que d’autres suivront, les déclarations des responsables américains, britanniques ou allemands témoignent d’une réticence à prendre des engagements précis.

Les Etats-Unis ne souhaitent pas renouveler dès 1999 une procédure d’élargissement avec des pays qu’ils ne sentent pas prêts ou dont l’adhésion soulèverait encore plus de difficultés dans les relations avec la Russie. C’est pourquoi ils préconisent l’élaboration d’une stratégie d’attente fondée sur la coopération bilatérale. Vis-à-vis de la Roumanie, les Etats-Unis ont ainsi proposé un “ partenariat stratégique ” dont les termes restent à définir. De manière parallèle, ils souhaitent approfondir la “ Charte baltique ” et relancer “ l’initiative sur la coopération dans le sud-est de l’Europe (SECI) ”, instance multilatérale économique aux activités modestes.

A terme, les pays membres de l’Union européenne, même actuellement neutres comme l’Autriche, ont vocation à adhérer à l’Alliance, ne serait-ce que parce que les zones de défense collective et de solidarité en matière de sécurité intérieure ne pouvaient être durablement dissociées.

b) Le cas particulier des pays baltes

La stratégie de l’OTAN à l’égard des trois pays baltes se partage entre le souci de répondre à leurs besoins de sécurité et la volonté de ne pas mécontenter la Russie sur une question qui concerne directement la situation de ses frontières.

Le renforcement de la coordination militaire repose sur un engagement fort des pays nordiques et des Etats-Unis avec les pays baltes. Le dialogue de l’OTAN passe par des réunions dites “ 5 + 3 ” (cinq pays nordiques et trois pays baltes), par la mise en place du groupe d’assistance aux Etats baltes BALTSEA et par la Charte baltique signée en 1997 entre les Etats-Unis et les Etats baltes au cours du dialogue dit “ 3 + 1 ” (trois pays baltes et les Etats-Unis).

Mais il n’existe pas d’instance de dialogue associant l’ensemble des Etats de la région, y compris la Russie, afin de promouvoir la stabilité en mer baltique.

A la demande de notre pays, la déclaration de Madrid a dissocié la situation, d’une part de la Roumanie et de la Slovénie, d’autre part des Etats baltes, la normalisation entre la Russie et l’Alliance atlantique apparaissant comme un préalable dans la seconde hypothèse.

Les pays baltes ont, de leur côté, adopté une ligne très pragmatique en inscrivant leur démarche à la fois dans la perspective d’adhésion aux institutions et organisations européennes et dans l’amélioration de leurs relations avec la Russie.

2. — Les instruments de partenariat mis en place

L’OTAN s’est engagé à intensifier le dialogue avec les partenaires éventuels. Si les réunions organisées au niveau ministériel permettent d’informer les pays candidats sur les moyens d’améliorer leurs chances, la coopération et le partenariat s’appuient de manière essentielle sur le partenariat pour la paix et le Conseil de partenariat euro-atlantique.

a) La participation accrue au Partenariat pour la paix

Le Partenariat pour la paix (PPP) a été créé dès janvier 1994 dans un quadruple but :

— améliorer l’échange d’informations en matière de planification et de budget de la défense ;

— promouvoir un contrôle démocratique sur les forces armées ;

— renforcer leur participation à des missions humanitaires ou de maintien de la paix ;

— identifier des objectifs concrets d’interopérabilité (dans le cadre du processus de planification et d’examen associé PARP).

Si le Partenariat pour la paix a été conçu comme un substitut à l’élargissement de l’OTAN et n’a jamais satisfait les candidats éventuels, il a été vite compris comme une étape vers l’intégration. Aussi, dès la fin de 1995, vingt-sept Etats avaient ratifié l’accord et quinze participaient au PARP.

Si des pays candidats considèrent les exercices communs dans le cadre du Partenariat pour la paix comme peu réalistes et de faible niveau, certaines manoeuvres ont constitué des exercices complexes, préludant à une véritable coopération opérationnelle, par exemple dans le cadre de l’IFOR puis de la SFOR en ex-Yougoslavie. De plus, le système de planification et d’exécution des activités s’ouvre progressivement aux partenaires et on estime que, d’ici à 1999, des éléments d’état-major seront constitués dans les deux commandements stratégiques et dans les cinq commandements régionaux de l’OTAN.

Les Etats-Unis ont proposé la création d’un “ Groupe des amis de la Roumanie ” pour répondre aux préoccupations spécifiques de ce pays. Les objectifs d’une telle structure sont encore imprécis et n’ont pas fait l’objet de réelles discussions.

b) Le Conseil de partenariat euro-atlantique

Lors de la session ministérielle de mai 1997, une nouvelle structure, le Conseil du partenariat euro-atlantique (CPEA), a été créée pour :

— fusionner le Conseil de coopération nord-atlantique (COCONA) et le Partenariat pour la paix ;

— approfondir le dialogue politique et rendre le Partenariat pour la paix plus opérationnel.

Le champ du Partenariat pour la paix s’est ainsi élargi au dialogue politique et à la participation opérationnelle des partenaires.

Le CPEA apparaît ainsi comme une instance consultative de dialogue et un cadre institutionnel, au champ de responsabilité plus large mais aux compétences imprécises. Il est prévu que le CPEA se réunisse en séances plénières, en format limité ou en structure “ 16 + 1 ”. Les réunions ont lieu deux fois par an au niveau des ministres et tous les mois à celui des ambassadeurs.

Il est difficile de comprendre l’intérêt du CPEA par rapport au COCONA. Au contraire existe, pour ce nouveau forum de quarante-quatre Etats, un double risque de concurrence avec l’OSCE et d’inadaptation par rapport aux demandes des pays candidats. Les Etat Unis semblent ainsi avoir la tentation de confier au CPEA une capacité décisionnelle, par exemple dans le cadre de la prévention des conflits ou de la formation au maintien de la paix.

B. —  LE RENFORCEMENT DES RELATIONS ENTRE L’OTAN ET LA RUSSIE OU L’UKRAINE : DES INITIATIVES À PROLONGER

1. — L’Acte fondateur OTAN-Russie

Bien que le dialogue entre l’OTAN et la Russie dépasse le seul cadre de l’élargissement, les relations entre l’Alliance atlantique et ce pays ont été fortement marquées par le rapprochement progressif avec les pays d’Europe centrale et orientale et les implications concrètes de leur participation à l’OTAN.

La France a toujours souhaité qu’il soit répondu aux inquiétudes russes de façon équilibrée, les premières difficultés concernant le risque de conférer un droit de regard ou de “ veto ” de la Russie sur le processus d’élargissement ou de durcir ses positions. En effet, si l’OTAN a fait des efforts pour rassurer la Russie et renforcer son partenariat avec ce pays, l’échec des initiatives diplomatiques russes en direction des Etats baltes peut renforcer son hostilité récurrente et crisper son attitude, surtout après la signature de la “ Charte baltique ”.

·  “ L’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles, signé le 27 mai 1997 à Paris, relance la coopération entre l’OTAN et la Russie :

— il comporte une déclaration solennelle de l’Alliance atlantique et de la Russie qui ne se considèrent plus comme des adversaires ;

— il donne des réponses aux préoccupations russes sur la question du stationnement d’armes nucléaires, de la présence de forces militaires de l’Alliance et d’infrastructures sur le territoire des nouveaux membres ;

— il complète les précédents liens de partenariat établis dans le cadre du PPP ou du CPEA en instituant un Conseil permanent conjoint.

·  Le dialogue dans le cadre du Conseil permanent conjoint (CPC) vise à aborder l’ensemble des questions de sécurité d’intérêt commun. Il aura lieu au niveau des Chefs d’Etat, des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, et des ambassadeurs.

Les premières consultations au sein du Conseil permanent conjoint se sont déroulées de façon satisfaisante et ont permis, d’une part de restaurer un climat de confiance, d’autre part de définir un programme de travail pour 1998. Selon les diplomates, une identité de vue s’est manifestée sur le point fondamental du maintien de la paix.

·  Toutefois, on peut se demander si ne subsiste pas une certaine ambiguïté à l’égard de ces structures. Face au risque de laisser croire à la Russie qu’elle dispose d’un droit de veto, l’Acte fondateur représente une concession de la part des Etats-Unis pour atténuer son hostilité initiale puisqu’il limite les conséquences militaires de l’élargissement, notamment en ce qui concerne l’extension à l’Est de l’appareil militaire de l’OTAN et des forces américaines.

La Russie n’a pas accepté la première vague d’élargissement qui lui apparaît comme une mesure unilatérale. Les déclarations du Président Boris Eltsine devant la Douma mettent l’accent sur le caractère inacceptable aux yeux de la Russie de l’expansion de l’Alliance. Le concept russe de sécurité nationale ne fait pas mention d’une coopération avec l’OTAN. De plus, lors des récents débats de l’Assemblée parlementaire de l’Alliance atlantique, à Barcelone en mai 1998, la délégation russe a indiqué que la Douma ne ratifierait pas l’Acte fondateur et qu’elle considérait seulement ce document comme une décision de l’Exécutif.

C’est pourquoi il n’est pas impossible que la Russie souhaite utiliser le Conseil permanent conjoint comme un moyen de contrôle de l’évolution de l’OTAN.

Les initiatives de coopération sont intéressantes si elles préparent effectivement de nouvelles adhésions et si tous les partenaires sont associés à la démarche. Or le contenu et la portée exacts des exercices restent incertains et incomplets. C’est pourquoi, il est nécessaire de “ donner corps ” à l’Acte fondateur pour éviter, soit de remettre en cause la capacité de décision des alliés actuels, soit de laisser croire que le Conseil conjoint manque de consistance et constitue une chambre d’enregistrement des décisions des alliés.

Il serait ainsi souhaitable de prolonger la démarche actuelle et de donner une portée concrète au programme de travail en raison de l’importance pour la sécurité européenne des thèmes qu’il inclut : maîtrise des armements, conversion des industries militaires, participation de la Russie à de futures opérations conjointes et en premier lieu à la force qui succédera à la SFOR en Bosnie-Herzégovine...

2. — La Charte de partenariat OTAN-Ukraine

La “ Charte sur un partenariat spécifique entre l’OTAN et l’Ukraine ”, signée en juillet 1997 lors du sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de Madrid, a institué une Commission OTAN-Ukraine. Celle-ci est conçue comme un lieu de dialogue politique régulier destiné à développer la compréhension commune des questions de sécurité et à conforter les autorités ukrainiennes dans la voie des réformes politiques, économiques et militaires.

Depuis sa session inaugurale en octobre 1997, la Commission s’est réunie régulièrement, dont une fois au niveau ministériel en décembre 1997. Les Ukrainiens souhaitent calquer les activités de la Commission sur le modèle du CPC OTAN-Russie. Les travaux ont comporté deux aspects : échanges sur la situation en Bosnie-Herzégovine, compte tenu notamment de la participation d’un contingent ukrainien à la SFOR ; élaboration et mise en oeuvre du programme de travail. Parallèlement des réunions en format “ 16 + 1 ” ont été organisées avec les comités techniques concernés ainsi qu’avec le Comité militaire.

La coopération pratique s’est déjà traduite par l’organisation de séminaires sur la sécurité économique et sur la restructuration des industries de défense, le second semestre 1998 devant voir la mise au point d’un atelier sur la reconversion du personnel militaire dégagé des cadres. Dans le domaine des plans civils d’urgence, l’OTAN et l’Ukraine ont, par ailleurs, signé le 16 décembre 1997 un mémorandum sur leur coopération mutuelle. Enfin, dans le cadre du programme individuel de partenariat de l’Ukraine, a été créé un groupe de travail conjoint sur la réforme de la défense qui devrait axer ses travaux sur le contrôle civil des forces armées, l’interopérabilité et la planification des ressources.

C. —  LE COÛT DE L’ÉLARGISSEMENT : UNE ÉVALUATION À CONFIRMER

L’impact financier de l’élargissement fait l’objet de divergences d’appréciation entre Américains et Européens. Les Etats-Unis ont évoqué le “ partage du fardeau (burden sharing) ”, estimant que le processus allait entraîner de nouvelles dépenses et que les Européens devraient en supporter la plus grande part. Les Etats européens ont privilégié la recherche d’économies et le redéploiement des crédits dans le cadre des budgets actuels de l’Alliance atlantique.

Mais c’est au niveau des estimations chiffrées que les analyses se sont révélées les plus contradictoires.

1. — Le partage des coûts

Les nouvelles adhésions impliquent une révision du partage des coûts entre les membres de l’OTAN.

Les dépenses de l’OTAN ont toujours été calculées selon deux méthodes de quotes-parts, l’une établissant des quotes-parts égales entre membres à l’intérieur de groupes de pays, l’autre faisant référence aux capacités contributives de chaque pays. Le partage des coûts a été modifié à plusieurs reprises, notamment en 1955, lorsque la RFA est entrée dans l’Alliance, et en 1982. La pondération actuelle qui fait appel à des critères complexes fixe les contributions de chaque pays de manière différente selon qu’il s’agit du budget militaire, du budget civil ou du budget d’investissement.

Pour le budget militaire, les quotes-parts ont été fixées à 2,48 % pour la Pologne, 0,9 % pour la République tchèque et 0,65 % pour la Hongrie. Cette fixation entraînera une réduction des parts des seize membres mais les comités budgétaires n’ont pas encore entamé les négociations en ce sens.

A titre d’information, on peut indiquer que le budget militaire au sens strict a été fixé à 4,123 milliards de francs pour 1998 par le Conseil de l’Atlantique Nord. Sur cette base, les contributions respectives des trois nouveaux membres s’élèveraient à 102 millions de francs pour la Pologne, 37 millions de francs pour la République tchèque et 27 millions de francs pour la Hongrie.

CONTRIBUTIONS NATIONALES AUX BUDGETS CIVILS ET MILITAIRES INTERNATIONAUX EN 1998

 

Budget civil

Budget militaire

Allemagne

15,54 %

21,03 %

Belgique

2,76 %

3,3 %

Canada

5,6 %

7,35 %

Danemark

1,59 %

1,95 %

Espagne

3,50 %

0,74 %

Etats-Unis

23,35 %

31,84 %

France

16,50 %

4,58 %

Grèce

0,38 %

0,49 %

Islande

0,05 %

0,04 %

Italie

5,75 %

6,93 %

Luxembourg

0,08 %

0,1 %

Norvège

1,11 %

1,37 %

Pays-Bas

2,75 %

3,41 %

Portugal

0,63 %

0,71 %

Royaume Uni

18,81 %

14,39 %

Turquie

1,59 %

1,77 %

Pour atteindre l’objectif d’une reconduction stricte des ressources, deux axes prioritaires d’économies ont été retenus :

— la réforme de l’OTAN, adoptée au mois de décembre dernier, devrait permettre de réduire le budget militaire international qui recouvre essentiellement des dépenses de fonctionnement ;

— le budget d’investissement, fixé à 3,407 milliards de francs pour 1998, a fait l’objet d’un réexamen qui a conduit à l’étalement, voire à la suppression, de certains programmes, au report en fin de période 1999-2003 des nouveaux projets et à des mesures de redéploiement.

2. — Les conséquences financières de l’élargissement

a) Des estimations divergentes

La principale explication des différences constatées provient des hypothèses retenues sur le niveau des menaces et les obligations à remplir par les membres de l’Alliance atlantique.

(1) Les études américaines

·  Le Bureau du Budget du Congrès américain (BBC) a publié en mars 1996 la première étude sur l’élargissement de l’OTAN. Sur la base de cinq options militaires liées à des niveaux différents de menaces et d’intervention de l’OTAN, cette étude a évalué les coûts de l’élargissement entre 61 et 125 milliards de dollars. L’importance des travaux d’infrastructures civilo-militaires à réaliser et le projet de prépositionner dans certains cas des équipements voire des forces militaires explique le niveau très élevé de ces premières estimations.

·  Les travaux menés à l’automne 1996 par la Rand Corporation constituent une première réaction à l’annonce de ces chiffres élevés. Selon les dispositifs adoptés par les alliés, l’étude a différencié plusieurs concepts dont les coûts ont été évalués de 10 à 20 milliards de dollars pour les premières dépenses, de 55 à 110 milliards de dollars dans le cas d’un déploiement de forces alliées sur le territoire des nouveaux adhérents.

Ces deux estimations ont fait l’objet de nombreuses critiques tant sur les hypothèses retenues que sur les évaluations financières. L’Association euro-atlantique polonaise a réalisé une troisième étude au début de 1997 qui a mis l’accent sur la contribution des futurs membres. L’effort pour la Pologne a été estimé à 1,5 milliard de dollars sur une période de quinze ans, soit 4 % du budget polonais de la défense pour 1995.

·  Un rapport du Département américain de la Défense (DoD) s’est fondé sur une analyse plus mesurée des menaces en Europe et des capacités actuelles des différents Etats, membres de l’Alliance ou candidats. Il chiffre les coûts directs de l’élargissement de 9 à 12 milliards de dollars sur une période de treize ans et estime que 40 % de ces coûts seront financés au niveau national et 60 % au niveau commun. Par ailleurs, sur la même période, la restructuration des forces des nouveaux membres coûterait 8 à 13 milliards de dollars, le renforcement des capacités des membres actuels de 8 à 10 milliards de dollars. Ainsi l’ensemble des charges liées à l’élargissement pourrait atteindre entre 27 et 35 milliards de dollars sur douze ans. Mais cette estimation inclut des dépenses qui seraient de toute façon intervenues même en l’absence d’élargissement.

(2) L’estimation de l’OTAN

Au dernier trimestre 1997, deux études successives de l’OTAN ont estimé les coûts directs de l’élargissement entre 1,3 et 1,5 milliard de dollars sur dix ans pour les trois budgets à financement commun (civil, militaire, infrastructures). Cette estimation tient compte, d’une part, des réajustements des structures civiles et militaires, d’autre part, des aménagements d’infrastructures ou d’équipements militaires à mettre en oeuvre chez les futurs membres.

Le tableau suivant fournit des perspectives de dépenses nouvelles sur les dix prochaines années.

Pour le Secrétariat général de l’OTAN, les dépenses de fonctionnement augmenteront faiblement car les augmentations d’effectifs nécessaires ont déjà été réalisées et le budget civil contient des marges de manoeuvre. Par contre, la construction de nouveaux locaux au siège de l’OTAN et la rénovation des installations actuelles nécessitent des dépenses supplémentaires d’investissement. Il est prévu que les nouveaux membres prendront à leur charge la création des locaux qui accueilleront leurs missions dans l’enceinte du quartier général.

(en millions de francs)

 

Equipement

(Sur la période)

Fonctionnement

(Coût annuel)

Elément I :

Commandement et contrôle

— avant l’adhésion

— après l’adhésion

85

215

7

48

Elément II :

Système intégré de défense aérienne

— ajustements

— incorporation dans l’ACCS

147

3 127

4

25

Elément III :

Installations terrestres, maritimes et aériennes

3 149

5

Elément IV :

Entraînement, exercices, autres besoins

34

20

Total

6 757

109

b) Des différences d’approche

Le niveau exagéré des chiffres avancés par les études américaines s’explique par les hypothèses formulées, en particulier un éventuel déploiement de forces des membres actuels sur le territoire des nouveaux membres (ce que les gouvernements des Etats membres de l’Alliance ont exclu) et une remise en état des infrastructures des candidats que ne justifient ni l’état actuel de celles-ci ni les besoins liés aux menaces stratégiques. Ces études incluent par ailleurs des dépenses qui auraient dû être effectuées même en l’absence d’élargissement, et seraient donc apparues, soit dans les budgets nationaux des candidats, soit dans les budgets communs de l’OTAN.

Les coûts associés à l’élargissement relèvent en fait de trois catégories :

— les dépenses du budget civil de l’OTAN liées à la construction de quartiers généraux pour les nouveaux membres. Elles seront prises en charge par ceux-ci ;

— les dépenses induites par l’amélioration de l’interopérabilité et de l’équipement des forces. Elles pourraient être supportées par le fonds d’infrastructure de l’OTAN ainsi que par les budgets militaires des nouveaux membres ;

— les coûts spécifiques imputés aux membres actuels pour équiper et entraîner leurs forces dans le cadre des engagements souscrits envers les nouveaux membres. Ils sont déjà programmés et figurent dans les budgets nationaux.

L’étude du Bureau principal des ressources du Secrétariat général de l’OTAN a été approuvée par les Ministres de la Défense au cours de leur réunion du 2 décembre dernier. Les responsables américains ont reconnu récemment qu’ils avaient surestimé les coûts dans leurs premières analyses.

Mais le coût final de l’adhésion des trois nouveaux membres sera fonction du degré d’interopérabilité réalisé entre les forces de l’OTAN et de la rapidité avec laquelle les objectifs sont atteints.

D. —  LA RÉFORME DE L’OTAN ET LA DÉFINITION D’UN NOUVEAU CONCEPT STRATÉGIQUE

Les Etats-Unis, en accord avec la majorité des Etats membres, ont fait de l’élargissement de l’OTAN un thème prioritaire qui a relégué au second plan les débats relatifs à l’adaptation des structures de commandement et des procédures, la mise en oeuvre d’une identité européenne de sécurité et de défense (IESD) et la rénovation du concept stratégique.

La France a toujours souhaité :

— une démarche d’intégration synchronisée à l’Union européenne, à l’UEO et à l’OTAN sans pour autant établir de liens rigides entre les différents processus ;

— une meilleure participation de tous les alliés à l’OTAN.

1. — La nécessaire révision du concept stratégique

Il est à regretter qu’aucun débat approfondi n’ait été consacré à l’élargissement de l’OTAN ; ce qui aurait conduit à s’interroger sur les raisons d’être de l’Alliance.

Les structures successives de coopération et de dialogue lancées par l’OTAN à partir de 1991 (Conseil de coopération nord-atlantique, Partenariat pour la paix, Conseil de partenariat euro-atlantique) ont renforcé le caractère politique de l’Alliance atlantique. Par ailleurs, dès le sommet de Rome de novembre 1991, les missions et les moyens de l’Alliance ont été adaptés à l’évolution du contexte stratégique.

C’est ainsi que :

— une nouvelle approche stratégique a été définie, privilégiant les risques d’instabilité et la notion de crises régionales mettant en cause la stabilité en Europe ;

— la planification des forces armées a conduit à augmenter les délais d’intervention et à réduire les forces prépositionnées. Les forces américaines stationnées en Allemagne ont été réduites des deux tiers. Parallèlement, les pays membres de l’Alliance ont diminué, depuis huit ans, leurs effectifs militaires d’un quart et leurs dépenses militaires d’un cinquième environ.

Le nouveau concept stratégique doit rester centré sur les missions de l’article 5. Mais il devient de plus en plus nécessaire de les compléter par des missions de gestion des crises, mieux adaptées aux nouveaux risques, dites “ en dehors de l’article 5 ”. La question de l’instance d’élaboration du mandat de ces missions de gestion de crise est posée : il n’est pas envisageable que l’OTAN agisse sans mandat, c’est-à-dire de sa propre initiative et les nouvelles interventions ne pourront avoir lieu que sous mandat de l’ONU, voire de l’OSCE.

La pratique a d’ailleurs devancé les textes puisque le déploiement des forces en ex-Yougoslavie, dans le cadre de l’IFOR puis de la SFOR, correspond à ce nouveau schéma.

Parallèlement, ce nouveau concept n’exclut pas une intervention conduite sous l’égide de l’UEO, dans le cadre de l’identité européenne de défense et de sécurité avec les moyens de l’OTAN. En effet, il n’est pas concevable pour les Etats européens de financer une nouvelle organisation de défense collective à côté de celle qui existe déjà.

2. — L’évolution des structures militaires

Les objectifs de la réforme des structures militaires, décidée au sommet de décembre 1997, visent leur allégement et leur aménagement.

·  Le redimensionnement de la structure intégrée s’appuie sur la réduction de 65 à 20 du nombre de quartiers généraux de l’OTAN. Deux commandements stratégiques sont maintenus, à Norfolk pour le théâtre atlantique, à Mons pour l’Europe : ils restent tous deux sous commandement américain. Au commandement Atlantique sont subordonnés trois commandements régionaux (CR) et deux quartiers généraux de forces maritimes. Au commandement Europe sont subordonnés deux commandements régionaux, un CR Nord à Brunssum aux Pays-Bas et un CR Sud à Naples. Du CR Nord relèvent cinq autres commandements, du CR Sud six autres commandements.

·  La plus grande innovation conceptuelle réside cependant dans la création des GFIM, groupements de forces interarmées multinationales. Les GFIM seront organisés autour de “ noyaux ” (éléments d’état-major et moyens de commandement prédésignés) et de “ modules ” (troupes et matériels) pour des opérations conjointes dans le cadre de coalitions de forces formées en fonction des circonstances. Les GFIM doivent en particulier permettre aux pays européens de mener des opérations éventuellement sans participation américaine mais en s’appuyant sur les moyens collectifs de l’OTAN.

*

L’élargissement n’est qu’un des éléments de la sécurité européenne : le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA), le Partenariat pour la paix (PPP), le nouveau Conseil permanent euro-atlantique (CPEA), l’Acte fondateur OTAN-Russie, la Charte OTAN-Ukraine contribuent également à la préservation de la paix. sur le continent. Ils constituent les étapes préparatoires à la poursuite des processus de rapprochement.

De même l’élargissement pourrait être lié à l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale aux institutions européennes, notamment à l’Union européenne. L’objectif à terme doit être la constitution d’un ensemble cohérent et homogène sur les plans bien évidemment géographique et économique, mais surtout stratégique et de sécurité, incluant également l’espace Schengen.

En 1982, la Commission de la Défense ne s’était pas saisie pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole sur l’accession de l’Espagne. Le fait d’avoir voulu se prononcer aujourd’hui sur l’accession des trois nouveaux membres montre tout l’intérêt porté à l’évolution de l’OTAN en vue de la création d’une identité européenne de défense et de sécurité.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission de la Défense s’est réunie le mercredi 27 mai 1998 pour examiner les projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République tchèque, sur le rapport pour avis de M. Arthur Paecht.

Après avoir constaté que l’élargissement de l’OTAN suscitait de nombreux débats à l’étranger, M. Arthur Paecht a tout d’abord regretté la relative indifférence des médias et de l’opinion publique en France à l’égard de cette question.

Il a relevé que l’article 10 du traité de Washington donnait la possibilité à l’Alliance atlantique d’accueillir en son sein d’autres pays mais que le processus juridique d’élargissement était complexe, les trois protocoles d’adhésion, un par candidat, devant être ratifiés dans les mêmes termes par les seize Etats-membres. Il a rappelé que, depuis sa création, l’Alliance s’était élargie à la Grèce et à la Turquie en 1952, à l’Allemagne en 1955 et à l’Espagne en 1982. A cet égard, il a souligné les inconvénients de la présence simultanée de la Grèce et de la Turquie qui oblige l’Alliance à traiter fréquemment des litiges opposant ces deux pays, mais s’est interrogé sur ce qui aurait pu advenir s’ils n’étaient pas tous deux membres de l’Alliance.

Le rapporteur pour avis a alors indiqué que, pour l’ensemble des membres de l’Alliance, l’élargissement avait pour finalité de renforcer la stabilité et la sécurité en Europe. Il a souligné que les pays candidats avaient en vue le renforcement de leur sécurité mais que, parallèlement, l’Alliance s’était efforcée de rassurer la Russie pour éviter de lui donner le sentiment qu’un glacis se constituait à ses frontières. Il a également précisé que les trois pays candidats avaient satisfait aux critères de démocratie, de respect des droits de l’Homme et d’ouverture à l’économie de marché qui avaient été fixés pour leur adhésion.

Présentant le processus d’association politique et militaire des pays candidats, M. Arthur Paecht a indiqué que ceux-ci étaient progressivement intégrés dans les instances de décision de l’OTAN. Il a également rappelé que les forces armées de la Pologne et de la Hongrie avaient participé aux missions de l’IFOR puis de la SFOR, et avaient fourni des policiers au groupe international de police (IPTF). Il a fait valoir que la création de forces multinationales associant les pays de l’ex-Pacte de Varsovie entre eux ou avec des membres de l’Alliance démontrait leur capacité à contribuer à la stabilité de l’Europe et à régler leurs différends par des voies pacifiques.

Le rapporteur pour avis a alors souligné l’importance des réformes engagées dans les forces armées des trois pays candidats, qui portent principalement sur l’évolution des budgets de défense, la réduction des effectifs des armées, la réorganisation des structures de commandement et le renouvellement des équipements. A cet égard, il a précisé que les stocks de matériels avaient été réduits de moitié dans les trois pays conformément au traité sur les forces conventionnelles en Europe et que l’obsolescence d’une grande partie de leurs équipements, par exemple dans le domaine des communications et des systèmes de défense aérienne, nécessitait leur modernisation, notamment dans un souci d’interopérabilité avec les matériels en service dans l’OTAN.

Abordant les questions soulevées par l’élargissement de l’OTAN et pour lesquelles aucune réponse satisfaisante n’avait encore été apportée, M. Arthur Paecht a insisté sur la nécessité de redéfinir le rôle et les missions de cette organisation. Il a indiqué que les Etats-Unis préconisaient actuellement d’étendre largement les missions de l’OTAN en dehors des cas prévus à l’article 5 du Traité de Washington et envisageaient de transposer sur des théâtres éloignés l’expérience des interventions de rétablissement et de maintien de la paix menées en ex-Yougoslavie. Il a jugé que cette conception mondialiste, qui rendait l’Alliance atlantique plus politique que militaire, posait la question du rôle de l’OSCE ou de l’ONU, dès lors que l’on considérait, comme la France, que l’OTAN ne devait pas intervenir sans un mandat de ces organisations. Soulevant la question de la cohérence entre la construction de l’Union européenne et l’élargissement de l’Alliance atlantique, M. Arthur Paecht a indiqué que les membres européens de l’OTAN, tout en restant favorables au maintien du lien transatlantique, tendaient à privilégier la construction d’une identité européenne de sécurité et de défense pouvant utiliser les moyens de l’OTAN. Il a fait remarquer que le rythme de l’élargissement faisait également l’objet de débats, rappelant qu’un consensus s’était établi lors du sommet de Madrid pour l’adhésion rapide, dans une première étape, de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque, alors que douze pays s’étaient portés candidats et que la France avait souhaité l’inclusion de la Roumanie et de la Slovénie parmi les premiers pays invités à participer à l’Alliance.

Après avoir estimé que les nouveaux contours de l’OTAN étaient militairement peu cohérents en raison des discontinuités territoriales qu’ils faisaient apparaître, le rapporteur pour avis a considéré qu’à terme, les pays membres de l’Union européenne, même actuellement neutres comme l’Autriche, avaient vocation à adhérer à l’Alliance, ne serait-ce que parce que les zones de défense collective et de solidarité en matière de sécurité intérieure ne pouvaient être durablement dissociées.

Il a relevé que les Etats-Unis ne souhaitaient pas renouveler dès 1999 la procédure d’élargissement pour permettre l’adhésion de pays dont ils considèrent qu’ils ne sont pas prêts et a déclaré partager une certaine réserve sur une seconde vague d’adhésions tant que le nouveau concept stratégique n’aura pas été précisé. Il a cité, à ce propos, les exemples de l’Acte fondateur, signé entre l’OTAN et la Russie en mai 1997, ou de la Charte sur un partenariat spécifique entre l’OTAN et l’Ukraine, signée en juillet 1997, qui renforcent la démarche de coopération avec ces pays et permettent de concevoir une étape intermédiaire de partenariat renforcé avec des pays non membres.

Abordant la question du coût de l’élargissement, M. Arthur Paecht a fait observer que les premières études américaines l’avaient évalué à un montant situé entre 60 et 120 milliards de dollars mais que ces évaluations avaient été, par la suite, revues à la baisse, notamment par le secrétariat général de l’OTAN. Il a souligné, à ce propos, qu’il ne fallait pas inclure dans le coût de l’élargissement les dépenses civiles, militaires ou d’infrastructures qui auraient, de toute façon, été effectuées par les Etats membres ou les candidats, même en l’absence d’adhésion nouvelle.

Il a regretté qu’en traitant de manière prioritaire la question de l’élargissement, les Etats-Unis, en accord avec la majorité des Etats membres, aient relégué au second plan les débats relatifs au concept stratégique, à l’institution d’une identité européenne de sécurité et de défense, ou à l’adaptation des structures de commandement et des procédures. Soulignant que les réflexions stratégiques privilégiaient les risques d’instabilité et de crises régionales mettant en cause la stabilité en Europe, il a, par ailleurs, constaté que la planification des forces armées avait conduit à augmenter les délais d’intervention et à réduire les forces prépositionnées, les forces américaines stationnées en Allemagne ayant, par exemple, été réduites des deux tiers.

Souhaitant que le nouveau concept stratégique reste centré sur les missions de l’article 5, il a estimé que l’OTAN devait également assumer des tâches de gestion des crises, dites “ non article 5 ”, pour faire face aux nouveaux risques. Il a toutefois souligné que la question de l’instance d’élaboration du mandat de ces missions de gestion de crise restait posée et qu’il paraissait peu envisageable que l’OTAN puisse agir sans mandat de l’ONU ou de l’OSCE. Il a observé qu’à cet égard, la pratique avait devancé les textes puisque le déploiement des forces en ex-Yougoslavie, dans le cadre de l’IFOR puis de la SFOR, correspondait à ce nouveau schéma d’intervention de l’OTAN en dehors des cas prévus par l’article 5. Il a, par ailleurs, estimé que le nouveau concept stratégique ne devait pas exclure une intervention dans le cadre de l’identité européenne de défense et de sécurité, conduite sous l’égide de l’UEO, avec les moyens de l’OTAN, remarquant à ce propos qu’il ne pouvait être question pour les Etats européens de financer une “ OTAN bis ” à côté de celle qui existait déjà.

En conclusion, le rapporteur pour avis a souligné que l’élargissement n’était qu’un des éléments de la sécurité européenne puisque le Partenariat pour la paix, le nouveau Conseil permanent euro-atlantique, l’Acte fondateur OTAN-Russie et la Charte OTAN-Ukraine contribuaient également à la préservation de la paix sur le continent et constituaient des étapes préparatoires à des rapprochements ultérieurs. Il a fait valoir que l’élargissement devait être lié à l’adhésion à l’Union européenne, l’objectif à terme étant la constitution d’un pilier européen de l’Alliance cohérent et homogène.

Après avoir indiqué qu’en 1982, la Commission de la Défense ne s’était pas saisie pour avis du projet de loi autorisant la ratification du protocole sur l’accession de l’Espagne, il a souligné qu’en décidant de se prononcer sur l’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque, elle marquait l’intérêt que présente l’évolution actuelle de l’OTAN pour la sécurité de la France.

Il a enfin proposé à la Commission d’émettre un avis favorable aux trois projets de loi, regrettant toutefois que la Pologne ait, au contraire des deux autres pays candidats, décidé de ne ratifier le protocole d’adhésion la concernant qu’après tous les membres de l’Alliance.

Faisant écho aux propos de M. Arthur Paecht, le Président Paul Quilès a regretté l’absence de débat de fond, tant au Parlement que dans l’opinion publique, sur un sujet qui revêtait pourtant une grande importance pour l’Europe. Il a déploré que la question de l’élargissement ait été abordée avant la réflexion sur le concept stratégique, dont il a fait observer qu’elle ne manquerait pas de faire apparaître des problèmes de fond non négligeables, comme l’indiquent certaines déclarations de responsables américains. A cet égard, il a fait état des propos tenus, le 18 avril dernier, par l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OTAN, estimant qu’ils laissaient présager une évolution de cette organisation qui conduirait à en modifier profondément la nature. Il a précisé que l’ambassadeur américain y envisageait la possibilité d’une intervention militaire de l’OTAN sans accord préalable de l’ONU, soit qu’un consensus se soit dégagé parmi les Etats membres, soit qu’un pays-tiers en ait fait la demande directement. Il a également indiqué que, dans le même discours, l’ambassadeur avait expliqué que, si l’OTAN avait disposé d’une force de projection multinationale rattachée à son commandement Sud, cette force aurait pu contribuer au règlement de crises africaines comme celle du Rwanda.

Après avoir jugé cette prise de position préoccupante, le Président Paul Quilès a observé qu’en participant à des évolutions marquées, non seulement par l’élargissement mais aussi par l’élaboration d’un nouveau concept stratégique, la France s’était engagée dans un processus qu’elle ne maîtrisait pas et souligné qu’il était nécessaire qu’un débat approfondi, au niveau national, ait lieu sur ce sujet.

M. René Galy-Dejean a estimé que, s’agissant de l’évolution de l’Alliance atlantique, la difficulté tenait à la méthode divergente suivie par la France et les Etats-Unis, l’esprit cartésien des Français les amenant à faire de la définition du concept stratégique un préalable à toute avancée ultérieure tandis que les Etats-Unis, dans une démarche toute pragmatique, montraient le mouvement en marchant, jusqu’à faire du concept stratégique un état de fait.

Sur ce point, M. René Galy-Dejean a cité la question de l’élargissement qui conduira à créer, de facto, d’étape en étape, une sorte de glacis encerclant la Russie, l’OTAN ayant pris pied dans tous les pays d’Europe centrale.

M. René Galy-Dejean est ensuite revenu sur l’attitude de la Pologne, soulignant qu’elle s’expliquait par la situation géographique de ce pays et son expérience historique : s’il existe un consensus des Occidentaux sur l’élargissement, la Pologne estimera qu’elle ne peut que renforcer sa sécurité en entrant dans l’OTAN ; mais si, d’aventure, le traité d’élargissement n’était pas ratifié par tous, la Pologne ne souhaiterait pas se trouver dans une situation qui gênerait la Russie sans pour autant accroître sa sécurité à l’Ouest.

M. René Galy-Dejean a, par ailleurs, estimé que l’élargissement, lorsqu’il sera arrivé à son terme, aura permis aux Etats-Unis d’atteindre un de leurs objectifs, qui est de sécuriser les territoires situés à l’ouest de la Russie afin de compenser l’incertitude qui pèse sur les conditions de sécurité de leur façade pacifique. Il a également jugé que, sous couvert de construction de la sécurité européenne et d’interopérabilité, l’élargissement répondait aux intérêts économiques des Etats-Unis, les pays de l’Est de l’Europe représentant, du fait du délabrement de leur équipement militaire, un marché potentiel intéressant pour les industries de défense américaines. Il a conclu en soulignant la nécessité, pour la France, d’être vigilante, la ratification des traités d’adhésion, à laquelle il s’est déclaré favorable, n’excluant pas la clairvoyance.

Revenant sur la question du coût financier de l’élargissement, il a indiqué qu’existait à cet égard une étude très intéressante, élaborée par le Commissariat général au plan, qui en évaluait l’ampleur tant pour les nouveaux membres que pour la France.

Enfin, il a souhaité connaître la position de la France sur une éventuelle demande d’adhésion de l’Autriche, eu égard à son statut de neutralité actuel.

M. Arthur Paecht a estimé que les propos du Président Paul Quilès renforçaient sa propre analyse concernant certaines visions de l’évolution de l’OTAN vers un statut d’organisation dotée d’un pouvoir d’intervention à l’échelle mondiale, sans mandat préalable de l’ONU.

S’agissant de l’opposition supposée entre le cartésianisme français et le pragmatisme américain, M. Arthur Paecht a fait observer que les Etats-Unis se montraient sans doute plus cartésiens qu’on ne l’admettait généralement, dans la mesure où leur action apparaissait strictement conforme à leurs objectifs.

Evoquant la question des intérêts économiques en cause dans l’élargissement, il a jugé qu’il ne pouvait être reproché aux Etats-Unis de vouloir être la première puissance mondiale mais qu’en revanche, les Européens se devaient de réagir rapidement, sous peine d’une disparition de l’industrie européenne et que c’est à elle-même que la France devait s’en prendre pour son incapacité à dépasser les débats internes sur les restructurations.

Quant à la constitution d’un glacis sur les frontières occidentales de la Russie, il a rappelé que celle-ci, qui n’avait pas renoncé à son rôle de puissance internationale, en ressentait en effet la crainte. Dans le cas de la Pologne, il a estimé que si le raisonnement proposé par M. René Galy-Dejean correspondait effectivement à l’analyse des dirigeants polonais, on pouvait se demander pourquoi, dans ces conditions, elle avait demandé à faire partie de la première vague d’élargissement.

M. Arthur Paecht est revenu ensuite sur la question du coût financier de l’élargissement, rappelant que la répartition des contributions pour les futurs membres avait été faite selon une méthode proportionnelle -2,48 % pour la Pologne, 0,9 % pour la République tchèque et 0,65 % pour la Hongrie- sans que la base de calcul choisie soit claire. Il a fait observer que les coûts n’avaient pas été décomposés et qu’il n’existait pas d’analyse spécifique des charges nouvelles liées à l’élargissement. S’agissant plus particulièrement de l’évaluation menée par le Commissariat général au plan qu’avait mentionnée M. René Galy-Dejean, il a indiqué qu’elle concluait à une estimation inférieure aux chiffres avancés aux Etats-Unis.

Le Président Paul Quilès a alors souligné, à ce propos, la multiplicité et le caractère évolutif des estimations en ce domaine, les plus récentes apparaissant sensiblement minorées par rapport aux précédentes.

M. Arthur Paecht a fait valoir que les discussions sur le coût de l’élargissement ne devaient pas occulter le fait que la constitution d’une alliance efficace avait un prix.

M. Arthur Paecht a ensuite abordé la question de la neutralité de l’Autriche. Il a rappelé qu’en assurant sa neutralité, le traité d’Etat de 1955 avait permis à ce pays de recouvrer pleinement son indépendance, de mettre un terme à l’occupation soviétique d’une partie de son territoire, et de consacrer des ressources budgétaires plus importantes à sa modernisation économique. Il a fait observer qu’aujourd’hui, toutefois, alors que le traité d’Etat paraissait caduc, l’Autriche souhaitait suivre sa propre voie et, même, affirmer son identité propre, ce qui l’avait conduite à adhérer à l’Union européenne et l’amènerait sans doute, dans le contexte géopolitique nouveau de l’Europe centrale, à réexaminer sa neutralité pour s’orienter vers l’adhésion à l’OTAN.

M. Arthur Paecht a, par ailleurs, estimé qu’au regard de sa position géographique et de la longueur de ses frontières, l’Autriche se devait de prendre une décision sur ce sujet dans un avenir proche.

La Commission a alors donné un avis favorable aux projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Hongrie, de la République de Pologne et de la République tchèque.

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N° 942.– Avis de M. Arthur Paecht (au nom de la commission de la défense), sur les projets de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Pologne (n° 912), de la République de Hongrie (n° 913) et de la République Tchèque (n° 922).