Pierre, Louis Manuel

- 1793

Informations générales
  • Décédé le 14 novembre 1793 à Paris (Département de Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Révolution
Législature
Convention nationale
Mandat
Du 7 septembre 1792 au 19 janvier 1793
Département
Seine
Groupe
Gauche

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Membre de la Convention, né en 1751 à Montargis (Généralité d'Orléans), mort à Paris (Département de Paris) le 17 novembre 1793, fils du portier du collège des Doctrinaires à Montargis, il reçut une bonne éducation dans cet établissement qu'il quitta pour se rendre à Paris, où le banquier Tourton le prit comme précepteur de son fils.

Un pamphlet, qu'il publia quelque temps après, lui valut une détention de trois mois à la Bastille ; aussi Manuel figura-t-il, au début, parmi les plus ardents ennemis de l'ancien régime, et parmi les orateurs les plus véhéments de la société des Amis de la Constitution; bientôt les électeurs parisiens le nommèrent (1791) procureur de la Commune. En 1792, il écrivit à Louis XVI une lettre qui commençait par ces mots : « Sire, je n'aime pas les rois, etc. » Au 20 juin, il eut, ainsi que Pétion, un rôle actif dans les événements, et fut, comme lui, suspendu de ses fonctions par l'administration départementale: mais l'Assemblée les lui rendit le 13 juillet. Il se fit de nouveau remarquer, le 10 août, par son activité et son ardeur, et présida à la formation de la commune qui prit le nom de cette fameuse journée. Il conserva, en conséquence, le poste de procureur-syndic. Le 12, il demanda la translation de la famille royale au Temple, et, sa proposition ayant été adoptée, il fut chargé lui-même de veiller à son exécution. Il avait déjà réclamé, dans la société des Jacobins, l'emprisonnement de la reine au Val de grâce jusqu'à la cessation des hostilités. Le 30 août, il s'exprima ainsi à la barre de l'Assemblée législative, pour justifier les mesures que la municipalité avait prises à la suite de la journée du 10 : « Le peuple a dit aux représentants de la Commune: Allez en mon nom, agissez, et j'approuve tout ce que vous avez fait. Le peuple a sanctionné notre mission; le peuple nous a dit: Vous avez sauvé la patrie. » Le 21 août, il ordonna à Levasseur de faire enlever les statues de bronze qui étaient sur les places publiques pour en faire des canons. Sa conduite pendant les massacres de septembre fut purement négative : il se borna à suivre Pétion et Robespierre auprès de Danton pour obtenir de lui des explications et réclamer des mesures d'ordre; mais leur démarche resta sans résultat. Toujours est-il que Manuel usa de son influence pour sauver Beaumarchais, son ennemi personnel. On prétend qu'il avait reçu de l'argent pour sauver la princesse de Lamballe ; mais il n'osa ou ne put tenir ses engagements. Le 3 novembre, il déclara à la tribune des Jacobins que « les massacres de septembre avaient été la Saint-Barthélemy du peuple, qui s'était montré aussi méchant qu'un roi, et que tout Paris était coupable pour avoir souffert ces assassinats. »

Le 7 septembre 1792, il avait été élu membre de la Convention par le département de Paris, le 4e sur 24, avec 626 voix (653 votants). Dès la première séance, il proposa de loger le président de l'Assemblée dans le palais des Tuileries et de l'environner de toute la pompe convenable à sa dignité: « Représentants du peuple souverain, s'écria-t-il, la mission dont vous êtes chargés exigerait et la puissance et la sagesse des dieux. Lorsque Cinéas entra dans le Sénat de Rome, il crut voir une assemblée de rois : une pareille comparaison serait pour vous une injure; il faut voir ici une assemblée de philosophes occupés à préparer le bonheur du monde; il faut que tout ici respire un caractère de dignité et de grandeur qui en impose à l'univers. Je demande que le président de la France soit logé dans le palais des Tuileries, que toujours il soit précédé du signe de la loi et de la force publique, et que partout il porte le respect. Je demande que toutes les fois qu'il ouvrira la séance, les citoyens se lèvent par respect..., etc. » Cette motion, combattue par Chabot et Tallien, comme indigne des représentants du peuple, qui ne devaient pas se préoccuper d'un vain cérémonial, fut rejetée a une grande majorité. Son auteur reparut à la tribune dans la même séance pour engager vivement ses collègues à aborder avant tout la question de la royauté; « parce qu'il est impossible, dit-il, que vous commenciez une Constitution en présence d'un roi. » Cette seconde proposition eut plus de succès que la première. Couverte d'applaudissements, elle aboutit à l'établissement de la République. Quelques jours après, Manuel, rendant compte au conseil général de la Commune d'une visite qu'il avait faite au Temple, appela Louis XVI « Louis de la Tour » Le 5 décembre suivant, le nom de Mirabeau s'étant trouvé compromis dans le dépouillement des pièces trouvées dans l'armoire de fer, Manuel, admirateur constant du célèbre orateur, et qui avait été l'éditeur de ses Lettres à Sophie, entreprit de le défendre: « Citoyens, fit-il, Mirabeau a dit lui-même à cette tribune qu'il n'y avait pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne: mais quand il l'a dit, il ne parlait que des vivants ; il ne pensait pas qu'un jour on proposerait de faire descendre le bourreau dans les tombes pour y flétrir les cendres des morts. » Il demanda qu'un comité fût spécialement chargé de l'examen de sa vie. La Convention en décida ainsi, et, en attendant, elle fit voiler les bustes ou effigies de Mirabeau qui se trouvaient dans la salle des séances.

Manuel commença par professer, à l'égard du jugement de Louis XVI, les opinions les moins favorables à l'accusé: « II fut roi, disait-il, il est donc coupable; car ce sont les rois qui ont détrôné les peuples. Sans ces Mandrins couronnés, il y a longtemps que la raison et la justice domineraient la terre. Un roi mort n'est pas un homme de moins. » Le 11 décembre, il interrompit vivement les débats qui s'étaient élevés à l'occasion de l'acte énonciatif des griefs imputés au roi, et s'écria qu'il fallait en finir avec des discussions oiseuses. Mais, brusquement, un changement s'opéra dans ses actes et dans ses opinions: le 27 décembre, il demanda que la défense du roi et les pièces du procès fussent imprimées, que la discussion fût ajournée, etc. Toutes ces motions furent, d'ailleurs écartées par la question préalable. Lors du vote, Manuel opina pour l'appel au peuple et pour la détention, en s'exprimant ainsi: au 2e appel nominal : « Citoyens, je reconnais ici des législateurs, je n'y ai jamais vu de juges; car des juges sont froids comme la loi, des juges ne murmurent pas, des juges ne s'injurient pas, ne se calomnient pas ; jamais la Convention n'a ressemblé à un tribunal; si elle l'eût été, certes elle n'aurait pas vu le plus proche parent du coupable n'avoir pas, sinon la conscience, du moins la pudeur de se récuser. (On murmure. - Le président: Il ne doit pas y avoir de personnalité; Manuel, je vous rappelle à l'ordre.) C'est autant par délicatesse que par courage, autant pour honorer que pour sauver le peuple que je demande sa sanction; je dis oui. » Au 3e appel nominal:

« Législateurs, je ne suis pas juge. La preuve dernière de la dégradation morale d'un peuple serait de feindre des sentiments qu'il n'a pas, parce qu'il les croit des vertus. Nous sommes Français, et des Français doivent, avec leurs lumières, être plus que des Romains. Bons, quand nous étions esclaves, nous ne devons pas être moins bons, parce que nous sommes libres. Des lois de sang ne sont pas plus dans les mœurs que dans les principes d'une République. La peine de mort était à supprimer le jour même ou une autre puissance que la loi l'a fait subir dans les prisons. Le droit de mort n'appartient qu'à la nature. Le despotisme le lui avait pris ; la liberté le lui rendra. Si Louis, comme je le voulais, avait été jugé par les tribunaux, il aurait porté cette peine qu'infligent encore les tribunaux, parce que vous n'avez pas encore eu le temps de changer le code de la justice. Mais Louis s'est jeté lui-même devant les fondateurs d'une République, dont le plus digne moyen, pour se venger de la monarchie, est de la faire oublier. Louis est un tyran; mais ce tyran est couché par terre. Il est trop facile à tuer pour que je le frappe. Qu'il se relève et alors nous nous disputerons l'honneur de lui ôter la vie. Je jure que j'ai le poignard de Brutus, si jamais un César se présente dans le Sénat. Mais, en homme d'Etat qui consulte la morale et la politique, je demande, comme mesure de sûreté générale dans les circonstances où se trouve ma patrie, que le dernier des rois soit conduit avec sa famille prisonnière, d'ici à vingt-quatre heures, dans un de ces forts où les despotes gardaient eux-mêmes leurs victimes, jusqu'à ce qu'il ne manque plus au bonheur public que la déportation d'un tyran, qui alors pourra chercher une terre où les hommes n'aient pas de remords. »

Dès que la condamnation à mort fut prononcée, Manuel donna sa démission par une lettre ainsi conçue: « Il est impossible à la Convention, telle qu'elle est composée, de sauver la France, et l'homme de bien n'a plus qu'à s'envelopper de son manteau. » Il retourna ensuite dans son pays natal, et fut grièvement blessé dans une émeute à Montargis, pour avoir voté en faveur de Louis XVI. Accusé, après le 31 mai, d'avoir pactisé avec le roi et ses partisans, et d'avoir abusé du pouvoir que lui donnaient ses fonctions, il fut arrêté et traduit devant le tribunal révolutionnaire, en vertu d'un mandat d'arrêt lancé le 22 brumaire an II par Fouquier-Tinville. On lui reprocha d'avoir traité de « cannibales » ceux qui votaient la mort du roi, et on lui nomma d'office un défenseur. Il reconnut qu'il aurait préféré que «Louis fût exilé en Amérique plutôt qu'envoyé à l'échafaud; » puis il rappela sa carrière révolutionnaire et termina en disant: « Non, le procureur de la Commune du Dix-août n'est pas un traître! je demande qu'on grave sur ma tombe que c'est moi qui fis cette journée! » Condamné à mort, Manuel fut exécuté le 17 novembre 1793.

On a de lui : Essais historiques, critiques littéraires, philosophiques (1783); Coup d’œil philosophique sur le règne de saint Louis (1786); Lettre à un censeur royal sur la liberté de la presse (1789); La Bastille dévoilée; Voyages de l'opinion dans les quatre parties du monde (1790); la Police de Paris dévoilée (1791). S'étant emparé du manuscrit des Lettres de Mirabeau à Sophie Ruffey, marquise de Monnier, lors de la prise de la Bastille, il les avait publiées en 1792, malgré la famille, qui dirigea vainement des poursuites contre lui.