ASSEMBLÉE NATIONALE COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES COMPTE RENDU N° 8 (Application de l'article 46 du Règlement) Mardi 23 octobre 2001
(Séance de 16 heures 15) Présidence de M. François Loncle, Président SOMMAIRE
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- Audition de M. François Léotard, représentant de l'Union européenne en Macédoine
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3 | Audition de M. François Léotard, représentant de l'Union européenne en Macédoine Le Président François Loncle s'est fait l'interprète de tous ses collègues pour féliciter M. François Léotard du travail remarquable réalisé au cours de la difficile mission qui lui a été confiée il y a quatre mois en Macédoine. L'Union européenne a démontré qu'elle était capable d'assurer, sur son territoire, la totalité de la gestion d'une crise, sur les plans politique, économique et militaire. Il a ensuite retracé l'historique de la crise en Macédoine. En février, des groupes armés albanais issus d'une nouvelle UCK, en provenance du Kosovo, ont pénétré en Macédoine et déclenché une guérilla contre les forces gouvernementales. Des accrochages se sont multipliés autour de Tetovo et de Kumanovo. L'engrenage de la violence a entraîné une radicalisation des communautés slave et albanaise. Afin que la crise ne dégénère pas en guerre, la communauté internationale, et surtout l'Union européenne de concert avec les Etats-Unis, a exercé de fortes pressions pour aboutir le 13 août 2001 à l'accord d'Horid dont M. François Léotard a été le principal artisan. Par cet accord, les Slaves s'engagent à modifier la constitution pour accroître les droits de la minorité albanophone, et l'UCK s'engage à désarmer. C'est une force de l'OTAN, dans le cadre de l'opération « Moisson essentielle », qui a collecté en un mois près de 4 000 armes détenues par l'UCK. De son côté, le Parlement macédonien examine les modifications constitutionnelles prévues par l'accord d'Horid, mais ce processus n'est toujours pas achevé. M. François Léotard a d'abord précisé que le moment de son audition était particulièrement intéressant puisque son successeur, M. Alain Leroy, doit arriver très prochainement à Skopje avec un mandat différent du sien car plus centré sur l'application de l'accord. Il s'est réjoui que ce soit un Français qui ait été choisi pour lui succéder. Il a rappelé que les combats s'étaient déroulés à huit kilomètres de Skopje. Aussi le Gouvernement macédonien avait-il dû lancer divers appels pour résoudre la crise, et tout particulièrement auprès de M. Robert Badinter pour qu'il propose un système juridique adapté réintégrant la société albanophone, l'autre au Secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson, pour demander l'aide de l'Alliance. Ces deux lettres ont servi de support à l'intervention étrangère et à celle de l'Union européenne. Cette crise a été marquée par des déplacements fréquents de M. Javier Solana sur le terrain, qui ont permis sur le moment un apaisement de la situation mais la guérilla, après une accalmie, a repris avec des affrontements qui devenaient dangereux. C'est pourquoi le Conseil européen a pris la décision d'envoyer un représentant permanent de l'Union européenne, résidant à Skopje afin, selon son mandat, d'entretenir des relations constantes avec des membres du Gouvernement macédonien et avec les quatre principaux partis politiques pour examiner les conditions d'un retour à la paix civile. Dès le mois de juin, M. François Léotard a effectué les rencontres nécessaires avec M. James Pardew, émissaire des Etats-Unis, représentant le Président Bush. Des discussions ont alors été engagées avec les autorités pour imaginer et traduire les solutions juridiques suggérées par le travail préalable de M. Badinter. Celui-ci avait proposé un système de sortie de crise. Ont alors commencé des discussions très difficiles qui ont duré deux semaines dans la résidence d'été du Président de la République à Horid. Chaque jour était remis en cause ce qui avait été accepté la veille. A la fin des discussions, deux thèmes essentiels ont émergé, l'usage de la langue albanaise pour la minorité albanophone et la question de la police : devait-elle rester sous l'autorité du Ministre de l'Intérieur ou passer sous l'autorité des maires, les Macédoniens s'opposant à ce dernier cas de figure ? Pour eux cela risquait de créer une UCK bis. L'émissaire américain et M. François Léotard ont estimé que la langue albanaise devait être reconnue et utilisée à l'Assemblée nationale et dans les communications entre l'autorité centrale et les autorités locales albanaises, ce qui fut difficile à obtenir côté macédonien. En revanche, la police demeurait sous l'autorité du Gouvernement central car il était peu opportun de créer une police décentralisée dans un petit pays. Les albanophones revendiquaient un état binational, un vice-président issu de leur minorité et une forte décentralisation de la police. L'accord était donc un compromis. Une fois l'accord signé, les opérations de collecte passive des armes ont commencé, avec la volonté « des guérilleros » de les remettre dans des centres de collecte. Cette opération fut chapeautée par l'OTAN avec un contingent à 95 % européen. Cette collecte a eu une signification plus politique que militaire car il est aisé de se procurer des armes dans la région. Elle a été une réussite car 3 500 à 4 000 armes ont été remises. Les réformes prévues par l'accord d'Horid devaient être adoptées dans les 45 jours suivant l'accord du Parlement macédonien ; cela n'a pas encore été fait mais M. François Léotard a déclaré espérer une adoption dans les semaines qui viennent. Depuis hier, des patrouilles de police mixtes ont été constituées et sont entrées dans un certain nombre de villages avec l'accord de l'Union européenne, des Etats-Unis, de l'OTAN et de l'OSCE. Leur présence devrait pouvoir sécuriser ces villages et permettre le retour des réfugiés. L'Union européenne a été capable par la nature même de l'accord d'Horid d'apporter du droit face à la violence dans la région. Cet accord contient une réforme constitutionnelle fondée sur le respect de l'intégrité territoriale de l'Etat, l'engagement de renoncer à la violence et le caractère multiethnique de l'Etat. Plusieurs amendements ont été proposés, ils figurent dans une première annexe et doivent être votés à la majorité qualifiée. Une deuxième annexe contient d'une part toute une série de réformes législatives qui portent sur les finances locales, la police, les limites communales, le règlement de l'Assemblée, etc. et d'autre part des mesures de confiance sur la réhabilitation du pays, la formation de la police. Ces textes ont été signés par les quatre partis principaux et devraient en principe être adoptés par le Parlement avant les élections sauf si les partis politiques souhaitent se radicaliser pour gagner des voix, ce qui n'est pas exclu. M. François Léotard a tiré cinq conclusions de son mandat. Il a estimé que sur les questions internationales, il fallait davantage avoir recours au statut de parlementaire en mission qui constitue une excellente formule. Il a cité l'exemple de l'administration américaine qui use souvent de cette procédure et a encore récemment envoyé un parlementaire au Soudan. Le recours à un parlementaire a l'avantage de permettre une meilleure compréhension et un dialogue d'égal à égal avec des interlocuteurs politiques. Deuxième conclusion : l'Union européenne a agi de manière satisfaisante dans la crise macédonienne. La formule qui consiste à n'avoir, sous l'autorité du Conseil des Ministres, qu'un seul interlocuteur responsable a fait ses preuves. On pourrait développer davantage l'idée d'une task force diplomatique agissant en amont. Si l'on croit en l'Union européenne on doit souhaiter le développement de sa diplomatie. Troisième conclusion : l'Union européenne a eu dans cette crise la direction de la négociation politique, le financement économique et la gestion militaire, mais si ce leadership a été reconnu par les Américains et les autres institutions (OTAN, OSCE), il n'a pas été très visible pour les populations. Quatrième conclusion : cette paix ou cette stabilisation peut-elle être définitive ? A l'évidence, l'entité culturelle albanophone dépasse les frontières actuelles mais il n'est pas pour autant question de les modifier. Le défi à relever est davantage de trouver les moyens de vivre ensemble. Cinquième conclusion : dans une crise de cette nature, le renseignement joue un rôle décisif. M. François Léotard n'a pas caché en la matière l'admiration que lui inspirait le fonctionnement des services anglais qui jouent d'une grande souplesse entre les différentes fonctions. Il lui a semblé que la France avait des leçons à tirer de ce fonctionnement. Le Président François Loncle a demandé à M. François Léotard en quoi la mission de son successeur en Macédoine serait différente de la sienne et comment s'était passée la cohabitation avec l'envoyé des Etats-Unis, M. James Pardew. Rappelant que beaucoup de gens avaient quitté la Macédoine à la suite des attaques de l'UCK - on parle de 44 000 déplacés et de 25 000 réfugiés -, la question se pose maintenant de savoir comment les faire revenir en vue de maintenir une certaine stabilité démographique en Macédoine. Enfin, ayant le sentiment que le destin de la Macédoine était lié à l'avenir du Kosovo et aux ambitions des Albanais qui visent à une « grande Albanie », il a souhaité savoir comment M. François Léotard envisageait la construction délicate du puzzle politique dans cette partie Sud de l'ex-Yougoslavie. A cet égard, il a rappelé qu'auraient lieu prochainement des élections législatives au Kosovo, région susceptible d'obtenir une autonomie substantielle, et que des élections étaient prévues en janvier dans l'Etat de la Macédoine. Le Président François Loncle a déclaré avoir apprécié les cinq enseignements tirés par M. François Léotard de sa mission en Macédoine, et notamment le premier. La pratique consistant à envoyer des parlementaires en mission a trait en général à des dossiers économiques et sociaux, c'est la première fois qu'elle s'opérait sur des questions de politique étrangère et il faut l'encourager. M. François Léotard a répondu que si la mission qui lui avait été confiée était politique, celle qu'assumera M. Leroy sera plus administrative puisqu'elle porte essentiellement sur les modalités de reconstruction des villages, le retour des réfugiés, les relations avec les principales organisations internationales intéressées, notamment le FMI. Le choix d'un haut fonctionnaire est donc légitime. En ce qui concerne les relations avec l'envoyé américain, M. François Léotard a veillé à ce qu'il n'y ait pas de possibilité de manipulation de l'un contre l'autre. Le département d'Etat avait au demeurant envoyé des instructions selon lesquelles il convenait de laisser faire les Européens. Il est vrai que les Américains avaient quelques difficultés à comprendre une histoire et des sensibilités qui font de la bataille du Champ des merles en 1349 une date fondatrice. Les Européens ont une perception plus naturelle de ces événements, ce qui renforçait leur crédibilité et leur légitimité. Afin de faire revenir les réfugiés, il a été décidé de créer des patrouilles de police ethniquement mixtes, ce qui devrait être de nature à rassurer. L'objectif est de faire appliquer en matière de police les normes européennes. Il est certain que les albanophones considèrent les frontières actuelles comme artificielles. L'ancien régime yougoslave avait beaucoup de respect pour ce qu'il appelait les nationalités et celles-ci ont pris l'habitude de vivre refermées sur elles-mêmes, de manière autiste. Les mariages mixtes sont très peu nombreux en Macédoine. L'enjeu là encore est pour les Européens de faire partager les valeurs qui sont les leurs, notamment sur l'enrichissement potentiel à attendre des contacts entre les communautés. M. Charles Ehrmann a fait part de son admiration pour la mission de M. François Léotard en Macédoine, qui correspond d'ailleurs à celle d'un homme d'idéal. Il a cependant regretté que les problèmes des Balkans, qui touchent aux questions de minorités et de police soient récurrents, notamment au Conseil de l'Europe, et finalement jamais résolus, occultant ainsi des problèmes plus graves qui mériteraient grandement qu'on s'y attache, tels que l'islamisme au Maroc, en Tunisie ou en Algérie, ou encore les trafics de drogue. M. Roland Blum a totalement approuvé l'une des conclusions tirées par M. François Léotard selon laquelle, sur le dossier macédonien, l'Union européenne devait être prioritaire et même exercer un leadership. Pourquoi est-il si peu visible ? Est-ce une question de forme dans le sens où l'Union européenne communique moins bien que les Etats-Unis ou est-ce une question de fond dans la mesure où elle arrive difficilement à dégager une politique commune claire en matière de politique étrangère ? A ce sujet, y a-t-il des contradictions entre les différents membres de l'Union européenne ? M. Pierre Brana a également souhaité encourager l'envoi de parlementaires en mission sur des questions de politique étrangère. Concernant la frontière entre la Macédoine et l'ex-Yougoslavie, elle existe bel et bien juridiquement mais pas dans la tête des Albanophones puisque, par le passé, toutes les élites kosovares allaient étudier à Skopje. Estimant que l'accord d'Horid avait été ressenti comme dicté sous la pression de l'extérieur, il a souhaité savoir comment l'opinion publique macédonienne le ressentait ? Comme un consensus entre les différentes forces ou comme imposé de l'extérieur ? L'opération « Moisson essentielle » a permis la collecte de 4 000 armes. Quelle était la qualité de ces armes, étaient-elles obsolètes ou modernes ? Enfin, il semblerait que des influences d'idéologues albanais aient été ressenties en Macédoine, voire même que des mercenaires aient été présents. Dispose-t-on d'informations sur ces points ? M. François Léotard a précisé que le Conseil de l'Europe avait envoyé sur place un expert constitutionnel qui a apporté une aide précieuse. En ce qui concerne le statut des minorités, il a rappelé que ce fut l'une des premières préoccupations de la France, et notamment du Président François Mitterrand, à l'annonce des indépendances, au début des années 90. Cette question traverse l'histoire européenne qui avait pris l'habitude de la régler par le fer et le feu. Il faut aujourd'hui trouver des moyens différents. Toute politique fondée sur la différenciation ethnique ne peut déboucher que sur des impasses. L'avenir appartient aux sociétés multi-ethniques et aux principes qui les sous-tendent, notamment le principe de laïcité. L'Union européenne qui assure l'essentiel des efforts de la communauté internationale en Macédoine ne sait pas faire reconnaître son action. Pourtant, sont en jeu des centaines de millions d'euros et une présence humaine sur le terrain. La raison en est peut-être institutionnelle, notamment une présidence tournante tous les six mois, qui ne facilite pas la continuité. Il est d'autant plus important d'insister sur le rôle permanent du Conseil des Ministres et de son représentant, M. Javier Solana. M. François Léotard a estimé qu'il était essentiel, pour un bon fonctionnement démocratique, que le Parlement français soit à l'avenir davantage associé au règlement des crises. Par exemple, au moment de l'intervention au Kosovo, des parlementaires français auraient pu être envoyés dans les capitales étrangères pour expliquer la position française. Bien sûr, la pression internationale a été particulièrement importante pour la signature d'un accord, en raison des risques de dégradation du conflit. Il faut plutôt s'en réjouir que le déplorer. Le doyen Mario Bettati a coutume d'illustrer la nécessité du droit d'ingérence en rappelant que le représentant de l'Allemagne à la SDN en 1933, Joseph Goebbels, refusait toute discussion sur le sort réservé aux Juifs allemands au motif qu'il s'agissait d'une affaire intérieure. Une telle position n'est plus acceptable aujourd'hui. Les armes ramassées dans le cadre de l'opération « Moisson essentielle » étaient de toutes natures, anciennes comme nouvelles. C'était un geste d'abord politique car le trafic d'armes est relativement important dans la région. Quant à la présence de mercenaires, on en trouve des deux côtés. M. Pierre Lequiller a félicité M. François Léotard pour son travail et les résultats positifs auxquels il était parvenu. Il a souhaité savoir comment allait pouvoir être appliquée concrètement la partie de l'accord concernant l'utilisation de la langue et plus précisément les questions d'enseignement dans les deux langues (albanais et macédonien) afin d'arriver à un brassage entre les deux communautés, alors même que M. François Léotard venait d'expliquer que celles-ci vivaient comme des autistes. M. François Rochebloine a demandé s'il y aurait, après cette mission, un contrôle de l'application des accords obtenus, si les ONG étaient encore présentes en Macédoine et s'il y avait encore beaucoup de mines antipersonnel. Le Président François Loncle a interrogé M. François Léotard sur le devenir de l'UCK dont on dit qu'elle est nouvelle. Cette organisation politique et militaire va-t-elle opérer ailleurs ? M. François Léotard a expliqué les craintes des Macédoniens sur les questions linguistiques car les Albanais citaient en exemple certaines constitutions européennes, ce qui posait problème, aussi a-t-on limité l'usage de la langue albanaise à l'Assemblée nationale et à la communication d'une autorité centrale macédonienne à une autorité locale. En fait la langue albanaise est reconnue comme une sorte de langue officielle de fait, dans les zones où 20 % de la population parlent une autre langue que le macédonien. La langue est pour les Albanais un sujet très émotionnel. C'est la référence culturelle. Depuis la signature de l'accord d'Horid on assiste à un renouveau de l'enseignement des deux langues, ce qui est nouveau. L'université Vanderstug qui enseigne dans les deux langues vient de rouvrir ses portes. L'existence de cette université est très importante pour attirer les élites qui se sont exilées. En effet, il n'y a pas vraiment de société civile en Macédoine, ce qui fait que tout le débat est centré sur les questions ethniques. L'application de l'accord d'Horid incombera à son successeur, M. Alain Leroy. Il faudra des années pour stabiliser la situation et plusieurs problèmes restent en suspens : la corruption, le rôle du TPI sur les crimes de guerre, problème que les ONG présentes sur place évoquent. Il y a encore des mines antipersonnel et deux observateurs européens en ont été victimes. L'UCK s'est en principe auto-dissoute, les accords ont concrétisé les demandes de la communauté albanophone mais le système est difficile à pénétrer, il est difficile de savoir si le retour à la vie civile est réel quand il y a 30 % de chômeurs. Tout dépendra de la volonté politique. Si les dirigeants politiques ont la sagesse de comprendre qu'il faut laisser se développer un terreau démocratique, le problème sera résolu, la balle est dans le camp macédonien. Il reste que la Macédoine est le seul exemple dans les Balkans de la résolution d'un conflit avant qu'il ne dégénère en guerre. Le Président François Loncle a remercié M. François Léotard pour cette mission réussie, soulignant qu'il avait essayé d'initier fort brillamment la mise en _uvre de la notion de prévention des conflits et ainsi valorisé quelque peu la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. _______ ● Macédoine
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