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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 novembre 2001
(Séance de 10 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Shimon Pérès, Ministre des Affaires étrangères de l'Etat d'Israël

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Audition de M. Shimon Pérès, Ministre des Affaires étrangères de l'Etat d'Israël

Le Président François Loncle a remercié M. Shimon Pérès d'avoir accepté l'invitation de la Commission des affaires étrangères. M. Shimon Pérès est de nouveau, depuis mars dernier, ministre des Affaires étrangères d'Israël ; il demeure l'homme politique israélien le plus populaire en France et en Europe.

Le Président François Loncle a en outre estimé que la dégradation de la situation au Proche-Orient n'avait aucun lien avec les attentats du 11 septembre, même si certains, comme Ben Laden, veulent l'exploiter à leur profit.

M. Shimon Pérès a fait part de son plaisir et de son honneur d'être reçu par la Commission des affaires étrangères.

Il a indiqué qu'encore une fois le processus de paix israélo-palestinien devait être relancé, sur la base du plan euro-américain, issu de la commission Mitchell. Ce plan est d'abord fondé sur le retour de la confiance, indispensable avant de relancer les négociations politiques, mais il n'est pas sans contenu politique : il proclame la nécessité d'un Etat palestinien et de l'arrêt des implantations juives dans les territoires occupés. Or le Gouvernement israélien de coalition à majorité de droite l'a accepté.

La priorité actuelle est le cessez-le-feu, même s'il prend du temps à se mettre en place. Dès la fin de la semaine, l'armée israélienne aura achevé son retrait de la zone A, où c'est l'Autorité palestinienne qui sera chargée de la sécurité. Pour l'instant, cela fonctionne, la sécurisation est en cours dans de nombreuses villes de Cisjordanie. Lorsqu'il a rencontré M. Yasser Arafat il y a deux jours, M. Shimon Pérès lui a dit qu'il fallait qu'il en soit de même dans la bande de Gaza.

En effet, si la violence cesse, les négociations pourront reprendre. Il n'est pas possible d'arriver à la paix par un plan imposé ou unilatéral. Un accord est absolument indispensable, même si c'est après un processus long et difficile : Israéliens et Palestiniens savent qu'il n'y a pas d'alternative.

Concernant le rôle de la communauté internationale, M. Shimon Pérès a estimé que les positions des Etats-Unis et de l'Europe étaient aujourd'hui très proches et que la Russie avait également un rôle à jouer. Ces positions sont également proches de celles d'Israël. Le problème actuel avec M. Yasser Arafat ne tient d'ailleurs pas tant aux positions qu'il prend qu'à son incapacité à les appliquer, c'est un problème de crédibilité. Pour autant, M. Yasser Arafat est le Président élu des Palestiniens. Or ce sont eux qui décident de leurs dirigeants, non les Israéliens. Ainsi en dépit des nombreuses critiques qui peuvent lui être adressées, M. Arafat est considéré comme l'interlocuteur d'Israël.

Le Président François Loncle a considéré que l'on ne retrouvait plus la volonté de jouer la carte de la paix dans les paroles de M. Ariel Sharon. Il a évoqué l'action de M. Yitzhak Rabin en citant l'un de ses propos: « Je poursuis le processus de paix même si le terrorisme continue et je lutterai contre le terrorisme même si le processus de paix est en cours ». Qu'en pense M. Shimon Pérès ?

M. Shimon Pérès a déclaré partager les vues de Yitzhak Rabin mais son parti politique a perdu les élections et on doit respecter les idées de la majorité. M. Ariel Sharon a choisi une autre politique, cependant il a accepté le plan de paix . La position actuelle du gouvernement israélien est d'accepter de négocier pour arrêter la violence mais de ne pas négocier sous la contrainte du feu.

Soulignant le silence qui a témoigné de la qualité de l'écoute des commissaires lors de l'exposé de M. Shimon Pérès, M. Jean-Pierre Brard a déclaré que celui-ci figurait parmi les hommes qui ont marqué le XXème siècle, à l'instar de Yasser Arafat, Mikhaïl Gorbatchev ou Nelson Mandela. Ayant eu l'occasion de constater par lui-même la situation de désespoir des Palestiniens dans les Territoires occupés, il a estimé que cette désespérance ne pouvait que nourrir l'extrémisme et regretté que le discours de M. Shimon Pérès prônant la discussion avec M. Yasser Arafat ne soit pas aussi celui du Premier ministre Ariel Sharon. Occuper les villes palestiniennes et bloquer le dialogue au prétexte que des violences se produisent, n'est-ce pas compromettre le processus de paix en déstabilisant et éliminant politiquement M. Yasser Arafat ? Par ailleurs, il faut prendre conscience du fait que dans les banlieues françaises, certains instrumentalisent la religion et utilisent la situation au Proche-Orient. Ainsi la capacité de cette région à trouver une solution juste dépasse son cadre géographique et concerne la France dans sa volonté de préserver l'Etat laïque.

M. Shimon Pérès a rappelé que Yitzhak Rabin et lui-même avaient été à Oslo sans pression internationale ou militaire mais par choix moral car selon eux il était contraire à l'éthique juive d'occuper des territoires. Il a reconnu que les Palestiniens étaient désespérés, mais il a fait valoir que de leur côté les Israéliens ne comprenaient pas le rejet par l'Autorité palestinienne des propositions de MM. Bill Clinton et Ehud Barak qui leur offraient la restitution de toutes les terres. Le camp de la paix en Israël a été accablé par le rejet de ces propositions. Les terres peuvent être l'objet d'échanges, mais la paix a un caractère spirituel. Israël n'a pas agi sous la pression terroriste pour trouver des solutions puisqu'il a pu faire la paix avec l'Egypte et avec la Jordanie. Israël a offert la même chose aux Palestiniens qui ont rétorqué que les propositions de M. Ehud Barak n'étaient pas complètes. Or les divergences étaient vraiment réduites et le terrorisme inutile. Maintenant la situation politique israélienne est différente. Toutefois, M. Ariel Sharon a fait quelques progrès, il s'est prononcé en faveur d'un Etat palestinien, il convient de donner une chance à ces progrès, les pressions morales ou idéologiques ne sont donc pas nécessaires.

Rappelant que M. Shimon Pérès était une grande figure intellectuelle, M. Pierre Lellouche a souligné que, dans le débat français actuel, beaucoup considèrent que les événements du 11 septembre sont imputables à la faute de la victime et notamment au soutien apporté par les Américains à Israël. Quels sont les commentaires de M. Shimon Pérès sur cette causalité où le terrorisme de masse s'explique par la politique américaine, et israélienne, au Proche-Orient ? Quel est son avis sur la stratégie à mener face à ce terrorisme de masse ? Comment évalue-t-il la politique américaine dans ce conflit, et celle de l'Union européenne ?

Le Président François Loncle a précisé que le Manifeste des 113 était une imposture et avait été dénoncé par la majeure partie des hommes politiques français et des intellectuels dignes de ce nom.

M. Shimon Pérès a fait valoir qu'au début Oussama Ben Laden n'a pas évoqué la question palestinienne mais les Croisades. Il a dit mener une guerre contre les Chrétiens, ce sont donc eux qui détiennent la réponse. Israël s'est retiré des Territoires bien avant qu'Oussama Ben Laden ne commette des attentats. Il y a une différence entre les prophètes autoproclamés qui tuent sans discrimination et les hommes politiques qui eux cherchent à rester vivants dans un monde de divergences et de conflits. Il est obligatoire de sauver la vie.

Observant que selon un sondage, 77 % des Français soutiennent les Etats-Unis, M. Shimon Pérès a estimé qu'il fallait reconnaître aux Américains leur mérite et leur générosité. Ils ont perdu nombre de vies lors des deux guerres mondiales, ont proposé le plan Marshall et ont libéré des territoires qu'ils ont restitués. C'est la première fois qu'un acte de guerre est commis sur le territoire même des Etats-Unis. Pour eux, c'est une question de vie ou de mort car il est impossible de vivre sous la menace terroriste.

Les attentats du 11 septembre ont mis fin à la division entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud. Désormais les divisions s'opéreront entre les Etats qui soutiennent le terrorisme et les autres. On voit se dessiner de nouvelles relations. La coalition antiterroriste est très large puisqu'elle inclut la Russie et la Chine. M. Shimon Pérès s'est déclaré surpris par l'harmonie nouvelle des relations entre la Chine et les Etats-Unis. Le monde a changé. Pourtant il ne s'agit pas d'un choc entre les civilisations car l'affrontement a lieu à l'intérieur même de ces civilisations. Ce qui s'est produit pour le Christianisme a été le fait des Chrétiens eux-mêmes. Il en ira de même pour l'Islam et c'est aux Musulmans de se poser les questions.

La guerre menée par Oussama Ben Laden est sans aucun compromis ni pardon. Elle menace l'existence de tous. Les paroles du général de Gaulle sur « le monde interdépendant » sont plus actuelles que jamais. Le niveau d'interdépendance est devenu extraordinaire.

Le Président François Loncle a souligné que le soutien exprimé par 77 % de la population concerne les deux objectifs que constituent l'éradication des réseaux terroristes Ben Laden et la cassure du régime des Taliban.

Déclarant partager l'analyse de M. Jean-Pierre Brard sur le grand désespoir des populations palestiniennes face à la « cantonisation » des colonisations juives à travers la Palestine, M. René Mangin a insisté sur l'incompréhension pour la population de la poursuite de cette politique néfaste. Si la grande force d'Israël est de représenter une goutte de démocratie dans une région non démocratique, il faut justement rappeler qu'un Etat démocratique ne peut conduire certaines actions qui l'assimileraient aux terroristes. Comment peut-on analyser la politique de l'armée israélienne qui semble parfois forcer la main de son Gouvernement ?

Le Président François Loncle a fait observer qu'il convenait de faire la différence entre démocratie et Etat de droit et que certains pays dans la région sont des Etats de droit.

M. Shimon Pérès a remarqué que chaque démocratie devait bien reposer sur des organisations non démocratiques pour se défendre : l'armée en fait partie. Les implantations ont été réalisées à une époque complètement différente pendant laquelle leur rôle était de défendre le pays. Actuellement, leurs raisons d'être initiales ont disparu, il existe des plans de paix et nous devons néanmoins gérer les conséquences de cette situation révolue.

La France a connu le terrorisme, mais elle n'a pas connu les attentats-suicides, qui sont un phénomène nouveau. Dans cette situation, les forces de police ou militaires n'ont pas le temps d'intervenir pour prévenir l'attaque, pas plus que les Américains n'ont eu le temps d'intervenir pour protéger les deux tours attaquées. L'Etat d'Israël craint en ce moment les « tickings bombs », c'est à dire les bombes sur le point d'exploser. Face à ces menaces, le droit international permet l'autodéfense.

Ayant gardé un souvenir ému de la venue de M. Yitzhak Rabin il y a quelques années devant la Commission des Affaires étrangères, M. Valéry Giscard d'Estaing a rappelé que M. Shimon Pérès était aussi un historien. Or ce qui frappera les historiens dans les prochaines années concernant le Proche-Orient, ce sont les très petites différences qui existent entre la position du Gouvernement israélien et celle de l'Autorité palestinienne. A partir du moment où on est arrivé à un quasi accord à Camp David et à un accord sur la prise en compte du plan Mitchell. Il ne reste plus que deux points sur lesquels aucun accord n'est possible à court terme, le statut final de Jérusalem et la décision forte concernant le retour des réfugiés palestiniens. Dans ces conditions, quel est le facteur déclenchant qui manque pour arriver à s'entendre ? Peut-être est-ce simplement le temps ? Aujourd'hui notre crainte à tous, ce ne sont pas ces petites différences mais le chantage du terrorisme qui menace de prolonger indéfiniment les délais, chaque nouvel événement sanglant rendant tout accord plus difficile. A cet égard il a demandé à M. Shimon Pérès son avis sur le rôle à donner dans le processus de paix à la reconnaissance par Israël de l'Etat palestinien. Cette reconnaissance ne pourrait-elle pas être le facteur déclenchant ?

M. Shimon Pérès a précisé que parmi les Palestiniens, il existe quatre groupes armés qui poursuivent leurs propres buts. Leur contrôle par M. Yasser Arafat constituerait déjà une solution. Il existe, certes, en Israël, plusieurs avis, mais il n'y a qu'un seul fusil. Chez les Palestiniens, il y a peut être une idée, mais plusieurs fusils. Le Président Arafat dispose d'une force de police de 60 000 hommes qui devrait lui permettre de contrôler la situation.

M. Ehud Barak va effectivement trop loin quand, pour obtenir de M. Yasser Arafat la fin du conflit, il introduit dans les négociations des problèmes sans solution tel le statut de Jérusalem ou le retour des réfugiés. Au sujet de la ville de Jérusalem, on peut constater que la mosquée Al-Aqsa et le Mont des Temples sont sous le contrôle palestinien, qu'il existe un quartier arabe, un quartier arménien et un quartier israélien où la vie continue même si tout n'est pas parfait. Le sujet du statut oppose et opposera toujours l'homme politique - qui recherche le compromis - et l'homme religieux - qui refuse tout compromis. Les divergences entre les mouvements religieux juifs perdurent parfois depuis des siècles, et l'on ne peut penser qu'elles vont disparaître rapidement.

Il existait autrefois au Proche-Orient 24 pays : 22 pays arabes, un pays chrétien, le Liban, un pays juif, Israël. Ces qualificatifs étaient donnés en fonction de la majorité de la population. Le Liban n'est plus un pays chrétien aujourd'hui et Israël n'a pas envie de suivre cet exemple. Reconnaître purement et simplement le droit au retour demandé par les Palestiniens équivaudrait à un suicide pour Israël, qui ne serait plus un Etat juif mais deviendrait un Etat arabe.

M. Shimon Pérès a cité le président Moubarak conseillant la patience à M. Arafat pour la question des réfugiés. Il a rappelé que des intellectuels palestiniens estimaient qu'il fallait renoncer à ce droit au retour. Il faut donc rechercher un plan de paix qui survole cette question.

Ayant pris bonne note de la déclaration de M. Ariel Sharon sur l'Autorité palestinienne, M. Pierre Brana a cependant rappelé que celui-ci avait qualifié les accords d'Oslo de « tragiques » et M. Yasser Arafat de « terroriste assimilable à Ben Laden ». Toutes ces déclarations font-elle progresser vers la paix ? L'Etat d'Israël n'a-t-il pas tendance à pousser M. Yasser Arafat à la faute pour le faire désavouer par la rue alors qu'il semble plutôt être de son intérêt de le maintenir comme interlocuteur ? S'il n'était pas là, qui serait l'interlocuteur d'Israël ?

Puisque toutes les questions tournent autour de l'Autorité palestinienne, M. Jacques Myard s'est demandé si le facteur déclenchant pour la paix n'était pas de lui donner un Etat ? Israël aurait ainsi un partenaire responsable qui « ferait le ménage » chez lui.

Sans vouloir être offensant, M. Georges Hage a souhaité faire quelques observations. D'où vient la violence première ? C'est une question qu'il faut toujours se poser. Elle vient de 1948 où, d'après les statistiques, 870 000 personnes furent expulsées de Palestine, où les Palestiniens sont devenus minoritaires dans leur propre pays, où 94 % de leurs terres ont été militairement prises en charge par l'Etat d'Israël, où plus de 400 villages palestiniens ont été détruits et remplacés par des kibboutzim. Si Israël a la plus forte armée du monde ou presque, que fait-elle de la parole de l'Evangile qui dit : « Remets ton épée dans ton fourreau, Simon Pierre. Celui qui règne par l'épée périra par l'épée. » ?

Revenant sur la question d'un nouvel interlocuteur pour Israël à la place de M. Yasser Arafat, le Président François Loncle s'est dit surpris par la réponse énigmatique qui avait été faite par le prédécesseur de M. Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France, selon laquelle « Israël ne craint pas les successeurs ».

M. Shimon Pérès a souligné que M. Sharon avait cessé de comparer Arafat et Ben Laden. Une reconnaissance unilatérale d'un Etat palestinien par Israël n'aurait pas de sens si elle ne comprenait pas une reconnaissance des frontières. Qu'est-ce un Etat sans frontières déterminées ?

Si on retient une approche historique, il faut respecter la chronologie. Les Etats arabes n'ont pas reconnu le plan de partage des Nations unies de 1947, accepté par Ben Gourion. Ils ont voulu par la guerre rayer Israël de la carte. Cette première guerre a opposé 600 000 Juifs et 70 millions d'Arabes. Peu de gens à l'époque croyaient en la victoire d'Israël et M. Shimon Pérès a remercié la France pour le soutien qui avait été le sien.

M. François Loncle a remercié M. Shimon Pérès et l'a félicité pour sa recherche constante de la paix.

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● Israël

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