Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2001-2002)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 19

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 12 décembre 2001
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Jean-Bernard Raimond, Vice-président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de Mme Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France

3

Audition de Mme Leïla Shahid

M. Jean-Bernard Raimond, Président, s'est félicité d'accueillir Mme Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, dont il a déclaré apprécier beaucoup les propos empreints de grande sagesse et de clarté.

Cette réunion survient à un moment où Israéliens et Palestiniens se trouvent dans un cycle de violence d'une extrême gravité. M. Anthony Zinni, l'envoyé spécial des Américains, exerce des pressions et le Conseil des Ministres de l'Union européenne, dans une récente déclaration, demande aux Palestiniens de démanteler les réseaux du Djihad islamique et du Hamas, et aux Israéliens de se retirer des Territoires autonomes.

Il a indiqué qu'Israël aurait exprimé à M. Zinni sa satisfaction devant les efforts de l'Autorité palestinienne qui commence à lutter sérieusement contre le terrorisme, ce qui a permis la tenue d'une réunion sécuritaire israélo-palestinienne.

Mme Leïla Shahid a remercié de son invitation la Commission des Affaires étrangères, qui se montre très active dans une période où le monde change. Elle a expliqué qu'à Bruxelles, les Quinze avaient dû inviter séparément MM. Nabil Shaath, Ministre de la coopération internationale, et Shimon Pérès, Ministre des Affaires étrangères qui ne se sont même pas rencontrés car M. Ariel Sharon ne le souhaitait pas. La déclaration de l'Union européenne a suscité des discussions dans les Territoires autonomes et le monde arabe à cause du ton nouveau perçu.

Mme Leïla Shahid a souhaité évoquer trois questions. Est-il encore possible de faire la paix ? Quelles sont les difficultés ? Peut-on les surmonter ?

Selon elle, il est encore possible de faire la paix, car l'alternative est un désastre pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Dans le monde d'aujourd'hui, il n'y a pas de solution militaire permettant d'assurer la sécurité des personnes. Israéliens et Palestiniens sont des « frères siamois » qui pour l'instant s'entretuent, mais qui devront faire la paix un jour.

Les conditions de reprise des négociations sont difficiles et dépendent de la communauté internationale des Etats-Unis, de l'Union européenne et, en son sein, particulièrement de la France. Les difficultés sont énormes. La première tient au Gouvernement israélien qui est présidé par un Premier ministre qui n'a pas voulu reprendre les négociations depuis son arrivée au pouvoir. M. Ariel Sharon appartient à une génération de dirigeants militaires qui estiment que l'on peut imposer une solution militaire sans équité en droit ; selon eux, Israël est un Etat qui ne ressemble à aucun autre, ce qui lui confère une certaine impunité. M. Ariel Sharon ne s'est jamais déjugé ; il a voté contre les accords d'Oslo, contre l'accord avec la Jordanie et même contre l'accord de paix avec l'Egypte à Camp David. Il a d'ailleurs déclaré récemment au journal Haaretz que la guerre de 1948 n'était pas terminée et que 1948 n'en ayant été que le premier chapitre, cette guerre d'indépendance continuait. Il maintient cette position avec une certaine candeur, sans comprendre pourquoi elle ne suscite pas le même enthousiasme parmi les Israéliens.

M. Shimon Pérès est resté au Gouvernement, espérant influer sur les positions de M. Ariel Sharon. Il n'y est pas parvenu, suscitant un débat profond et responsable au sein du parti travailliste. Toutefois, M. Ariel Sharon dispose du soutien d'une majorité d'Israéliens en plein désarroi. Il mène une guerre unilatérale contre le peuple palestinien. En effet, il ne s'agit pas d'une guerre de part et d'autre, car il n'y a pas deux armées face à face mais la quatrième armée du monde face à une population civile palestinienne.

La reprise des négociations se heurte à une deuxième difficulté, liée à un contexte mondial complètement chamboulé, notamment en ce qui concerne les anciennes alliances stratégiques ; une nouvelle conception de la sécurité émerge. Avec la disparition de Yalta comme référence, on est entré dans une ère nouvelle de profonds bouleversements après le 11 septembre.

Les Palestiniens, derrière les Afghans mais avant les Irakiens, les Soudanais, les Somaliens, sont-ils devenus des terroristes qu'il faudra abattre ? Les Etats-Unis partagent-ils cette conception, ce qui est inquiétant pour les Palestiniens et l'ensemble du monde arabe ? Cette conception inquiète aussi nombre de pays qui vivent des crises politiques profondes, générant non seulement des forces démocratiques mais aussi des forces terroristes. Celles-ci utilisent l'attaque contre les civils par des moyens inadmissibles dans plusieurs pays. A cet égard, Mme Leïla Shahid a rappelé qu'elle avait largement condamné de telles attaques et s'est demandé si le meilleur moyen de combattre le terrorisme était de mener une guerre unilatérale comme celle que mène actuellement M. Ariel Sharon ou les Etats-Unis.

La troisième difficulté tient à ce que la conception américaine de la guerre contre le terrorisme semble primer ; y a-t-il une conception européenne quant à cette guerre imposée ou est-ce la copie conforme de la conception américaine ? La guerre conduite depuis le 11 septembre est à ce jour une victoire contre les Taliban, et il faut s'en féliciter, mais nous n'assistons pas aujourd'hui à la victoire contre le terrorisme, parce qu'on n'a pas touché à ses raisons politiques.

On a connu une période de grâce entre le 11 septembre et la fin de la guerre d'Afghanistan : les Américains se sont montrés ouverts à une réflexion partagée avec l'Europe et le monde arabe pour organiser une lutte au plan mondial contre les actes terroristes, de la même façon que l'Autorité palestinienne lutte contre les actes terroristes à sa toute petite échelle. Cette période de grâce semble terminée, si l'on considère le changement total de ton des Etats-Unis depuis l'entretien Sharon-Bush tenu après les attentats terroristes de Haïfa. La disponibilité des Américains semble avoir disparu, et l'on constate qu'ils ont donné un quasi feu vert à M. Sharon pour pratiquer « l'autodéfense » et relancer la guerre unilatérale.

Depuis, des actions de guerre sont conduites chaque jour contre toutes les formes d'expression de la vie palestinienne ; ont été visés aussi bien l'Autorité palestinienne à travers ses institutions que les maisons, les écoles, les routes, les hôpitaux et l'aéroport. Tout cela se fait sous l'appellation « autodéfense » ou lutte contre « le terrorisme ». La préparation du Sommet de Laeken est plutôt inquiétante, car l'Europe semble revenir à une ère de suivisme par rapport aux Etats-Unis. Le monde arabe est concerné par les méthodes de la lutte contre le terrorisme, parce qu'il est la cible d'un terrorisme d'Etat que les Etats-Unis tolèrent.

On peut douter que l'actuelle administration américaine soit prête à s'investir autant que l'ancienne administration Clinton. Il serait pourtant facile de susciter la reprise du dialogue en mettant en _uvre les accords d'Oslo I et II, puis de Charm-El-Cheikh I et II, et enfin les recommandations de la Commission Mitchell, que l'Etat israélien a entérinés.

Regrettant l'amère réalité qui veut que l'Europe soit une puissance financière au Proche-Orient mais pas une puissance diplomatique, M. François Léotard a demandé à Mme Leïla Shahid à quoi elle attribuait ce rôle secondaire, derrière les Etats-Unis. Est-ce en particulier dû à la diversité des analyses des chancelleries européennes ?

Se référant au mot de la diplomatie française selon lequel la viabilité du territoire palestinien suppose le démantèlement de certaines colonies, il a posé la question de savoir si celui-ci devait être total ou s'il pouvait y avoir des arrangements territoriaux.

Puis il a souhaité savoir comment Mme Leïla Shahid considérait l'évolution de la position palestinienne sur le statut de Jérusalem.

M. Pierre Brana a souhaité obtenir plus d'informations sur l'état actuel des forces politiques du côté palestinien dans la mesure où le Hamas serait autant soutenu que l'Autorité palestinienne, notamment grâce à des dons provenant de pays arabes par le biais d'organisations caritatives.

Par ailleurs, il s'est dit surpris que les pays arabes, à quelques rares exceptions, s'expriment très peu sur le conflit en cours. Comment Mme Leïla Shahid explique-t-elle ce silence ?

Ayant constaté que la traditionnelle modération de Mme Leïla Shahid avait fait place à un positionnement plus passionné, M. Charles Ehrmann a estimé que le Hamas paraissait être aux yeux de nombre de personnes un très grand obstacle à la paix.

S'agissant de la violence, du sectarisme et du maximalisme évoqués à propos de M. Ariel Sharon, M. René Rouquet s'est demandé si celui-ci n'était pas arrivé au pouvoir en Israël parce que l'Autorité palestinienne l'avait par le passé beaucoup aidé à y accéder.

Se disant un inconditionnel de la cause palestinienne, M. Georges Hage a posé la question fondamentale à ses yeux de savoir d'où venait la violence première. Nul n'ignore que les origines de la colonisation sioniste en Palestine remontent au XIXème siècle. Depuis, les Israéliens se sont emparés des terres et ont contraint à l'exode des millions de Palestiniens.

Mme Leïla Shahid a fait observer qu'il n'existait pas d'autres dirigeants palestiniens que M. Yasser Arafat pour proposer la paix à Israël et offrir les deux tiers de la terre palestinienne à l'ennemi. Une telle proposition devrait être considérée comme un des miracles de la Terre sainte. Le Président Yasser Arafat est le seul Palestinien à pouvoir, comme Kohl et Mitterrand, défendre un compromis historique. Ceux qui lui succéderont reviendront à une vision maximaliste et refuseront la coexistence de deux Etats.

Mme Leïla Shahid a estimé qu'elle n'était pas aujourd'hui moins modérée que naguère, mais plus désespérée. Depuis le début de son mandat en France, qui coïncide avec Oslo, elle entend promettre au peuple palestinien dignité et indépendance, et depuis neuf ans, celui-ci continue de mourir de faim et de servir de chair à canon aux Israéliens. C'est la réalité qui n'est pas modérée, et non son langage.

Il serait souhaitable que l'Europe joue un rôle plus important dans la résolution de ce conflit. L'Europe continue de percevoir Israël comme un Etat qui représente les descendants des victimes du génocide, et qui à ce titre doit être considéré comme un Etat à part. Les Palestiniens ont reconnu ce crime contre l'humanité, et c'est la raison pour laquelle ils ont accepté de partager leur terre. Mais ce passé ne justifie pas qu'Israël se comporte comme un Etat au-dessus du droit ; une telle attitude est de nature à renforcer l'antisémitisme et non à le combattre. L'Europe devrait profiter du moment actuel et de la réorganisation des alliances pour renforcer sa position au Proche-Orient et _uvrer pour la paix pour le peuple israélien et palestinien.

M. Javier Solana a joué un rôle très important ces derniers temps. En tant que « Monsieur PESC », il était présent à Charm-el-Cheikh avec le même statut que les autres participants. M. Hubert Védrine pour sa part a tenu des propos toujours empreints d'une profonde intelligence, condamnant les excès. La tâche de M. Javier Solana est compliquée par la difficulté des Quinze à se mettre d'accord entre eux ; mais cela ne devrait pas les empêcher d'avancer.

Les solutions défendues par les deux camps ne sont pas très éloignées de celles qui pourraient constituer un accord final. Les Palestiniens ont déjà fait des concessions et donnent souvent des preuves de pragmatisme. Ils ont par exemple accepté d'échanger différentes terres pour permettre aux Israéliens de conserver quelques colonies, mais ce qui manque, c'est une volonté politique israélienne aujourd'hui.

Prétendre que ce sont les Palestiniens qui ont poussé M. Ariel Sharon au pouvoir est faux. D'une part, les Israéliens ne sont pas des enfants ; d'autre part, le parti travailliste porte une responsabilité évidente dans sa défaite.

Mme Leïla Shahid a expliqué que le Hamas se renforçait à mesure que l'Autorité palestinienne était affaiblie par Israël. L'objectif de M. Ariel Sharon depuis qu'il est arrivé au pouvoir est de détruire M. Yasser Arafat et son autorité, pourtant seule force laïque en Palestine, qui ne pourrait être remplacée que par le Hamas. L'Autorité palestinienne n'est peut-être pas un modèle démocratique, mais elle est sûrement mieux que le Hamas. Or, la politique américaine a pris un tournant dangereux : jusque là en effet, la destruction de M. Yasser Arafat et de son autorité était considérée comme une ligne rouge à ne pas franchir. Or, cette ligne rouge n'existe plus. Sous prétexte de lutte anti-terroriste, il n'y a plus de limite fixée. Ainsi, actuellement M. Ariel Sharon détruit la force politique que constitue le courant que représente M. Yasser Arafat, ce qui est pire que de l'assassiner.

Certes, il y a encore, dans la société israélienne, des forces qui croient à la paix. Des députés de la Knesset franchissent la ligne de démarcation pour rencontrer des ministres palestiniens. En effet, la fin de l'Autorité palestinienne signifierait aussi la fin du rêve israélien d'arriver à la paix. Actuellement, cette opinion n'est pas majoritaire en Israël, de même que les Français n'étaient pas favorables à l'indépendance de l'Algérie quand de Gaulle est revenu au pouvoir en 1958. Il faut que des hommes d'Etat fassent prévaloir leur vision. Or M. Ehud Barak est largement responsable de la situation actuelle de l'opinion israélienne car il n'a pas voulu admettre que l'échec des négociations était d'abord son échec personnel et il a annoncé au peuple israélien qu'il n'avait pas de partenaire de paix palestinien.

Les Palestiniens ont aujourd'hui l'impression d'avoir fait leur part : ils ont reconnu Israël, ils ont accepté de bâtir leur Etat sur seulement 22 % de la Palestine. Si après cela, il y a un constat d'échec, le risque existe d'une résonance dans l'ensemble des sociétés arabes, donnant ainsi raison aux analyses de Ben Laden, alors que ce dernier devrait être considéré comme un imposteur. La politique de Sharon fait le jeu de Ben Laden et du Hamas.

M. Dominique Strauss-Kahn a tout d'abord souhaité faire une remarque. Certes, en refusant de discuter avec M. Yasser Arafat, M. Ariel Sharon a fait le lit du Hamas, mais il faudrait alors rappeler que Yasser Arafat, en refusant les propositions d'Ehud Barak, a aussi a fait le lit du Hamas.

Puis il a demandé si le changement d'attitude de la diplomatie américaine était lié à une évolution dans le degré de confiance des Etats-Unis vis-à-vis de M. Yasser Arafat, suite aux révélations sur ses promesses non tenues concernant l'arrestation de représentants du Hamas.

Mme Leïla Shahid a estimé que l'échec d'une négociation ne pouvait pas être attribué à une seule des parties, en l'occurrence le Président Yasser Arafat. Il n'est pas non plus possible de l'expliquer uniquement par la personnalité des dirigeants. Utiliser uniquement la force militaire pour combattre les forces terroristes est particulièrement dangereux de la part d'Israël car en fait cela ne fait que légitimer les actions terroristes dans la population palestinienne.

Pour mettre fin à la violence, la seule solution qui a donné satisfaction a été le partenariat entre Israéliens et Palestiniens à Oslo, y compris la coopération policière entre Israéliens et Palestiniens, que la population palestinienne avait acceptée, parce qu'il y avait au bout la promesse d'un Etat. Pendant les 22 mois de cette coopération, sous Rabin et au début du mandat de M. Ehud Barak, il n'y avait pas eu d'attentat. A l'inverse, les opérations militaires ne mènent à rien qu'à d'autres attentats et l'on peut noter que les pires attentats ont succédé à des assassinats extrajudiciaires de personnalités palestiniennes par l'armée israélienne. La diplomatie française a raison de dire que de telles opérations sont irresponsables car elles sont toujours suivies de vengeances et l'engrenage continue.

_______

Palestine

Proche-Orient


© Assemblée nationale