ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE
COMPTE RENDU N° 1 Mercredi 3 octobre 2001
(Séance de 9 heures) Présidence de M. Philippe Duron, président SOMMAIRE
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- Audition de M. Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon, et de M. Bernard Chaffange, directeur de l'aéroport Lyon-Saint-Exupéry, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale |
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délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a entendu M. Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon, et M. Bernard Chaffange, directeur de l'aéroport Lyon-Saint-Exupéry, sur la création d'un nouvel aéroport à vocation internationale
M. le Président : Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
La délégation à l'aménagement du territoire, née avec la loi d'orientation et de l'aménagement durable du territoire et qui a son équivalent au Sénat (présidée par M. Jean-Pierre Raffarin), a souhaité mener un certain nombre d'auditions sur la création d'un nouvel aéroport.
Nous nous étions mis d'accord avec M. Pierre Zémor, en charge de la Démarche d'utilité concertée pour un site aéroportuaire international (DUSAI), de ne pas interférer dans le débat de cette instance. C'est donc à la fin du débat engagé par la DUCSAI que nous-mêmes commençons ces auditions. Nous n'avons pas la prétention de dire s'il faut ou pas créer un aéroport, ou encore choisir tel au lieu de tel autre.
Notre démarche se situe dans le droit fil de ce qui est notre vocation, c'est-à-dire l'aménagement du territoire. Pour nous, la question est de savoir s'il faut ou pas un aéroport, dans quel type de site l'implanter et déterminer quels seraient ses effets sur les populations et le développement économique régional, voire national.
Si nous avons souhaité que le maire de Lyon puisse venir défendre sa candidature, c'est parce nous considérons que le deuxième objectif stratégique de la loi d'aménagement du territoire doit faire de Lyon une capitale européenne, au même titre que Francfort, Manchester ou Milan. Pour accéder à ce rang, Lyon a besoin d'un certain nombre de services évolués, qui sont présents dans toutes les grandes villes européennes, et notamment de liaisons aériennes avec les grandes plates-formes européennes et mondiales.
En effet, dans le cadre de la mondialisation, un aéroport est un outil et un atout décisifs pour tenir son rang et faire en sorte que l'on puisse conduire un développement tout à fait exemplaire. Tel est, en quelques mots, l'objet de cette invitation.
M. Gérard Collomb : Je vous remercie, monsieur le Président, de votre invitation, d'autant que nous avions décidé de nous immiscer dans un débat dans lequel nous n'étions pas partie prenante au départ. Cette audition correspond, pour nous, à un moment où nous avons décidé de poser la candidature de Lyon, non pas comme troisième aéroport parisien -ce qui n'aurait aucun sens- mais comme deuxième porte d'entrée en France.
A cet égard, nous avons fait passer aujourd'hui des pages de publicité dans les journaux, de manière à montrer qu'il ne fallait pas raisonner uniquement en termes parisiens et en ordonnancement des transports autour de Paris, mais que Lyon-Saint-Exupéry pouvait être un instrument qui remplisse deux finalités. La première est de permettre un fonctionnement et un développement harmonieux des modes de transport. La deuxième permettrait d'aboutir à un aménagement équilibré du territoire.
Si on observe les tendances actuelles, on constate le développement de la "banane bleue", c'est-à-dire ce grand axe de densité qui passe par Londres, l'Allemagne, la Suisse, le nord de l'Italie et qui ensuite continue sur l'Europe centrale. Si nous n'arrivons pas à tirer ces flux démographiques et ces liaisons commerciales économiques sur notre territoire, le résultat sera qu'il n'y aura en France que Paris et sa région qui seront développés, mais qu'au-delà ce sera le grand désert français.
Il est tout à fait évident que si on développe un troisième aéroport autour de la région parisienne, avec les liens qui se nouent actuellement entre Air France et Alitalia, l'aéroport du sud de l'Europe sera Milan. De ce fait, Lyon, coincé entre Paris et Milan, verra son développement économique hypothéqué.
Par conséquent, toute notre action consiste à essayer de tirer un certain nombre de flux économiques vers la France. Nous considérons qu'au départ de Lyon, c'est toute la moitié sud de la France que nous irriguerons, en essayant de créer une synergie avec Barcelone et Milan, afin de mettre en oeuvre un développement du sud européen qui fasse contrepoids à l'Europe anglo-saxonne et, demain, à l'Europe centrale.
Nous constatons qu'en France il n'existe un seul aéroport, celui de la capitale, dominant tout. L'Allemagne a Francfort avec 49 millions de passagers, mais aussi Munich avec 23 millions. L'Italie a Rome avec 27 millions de passagers, mais aussi Milan avec 20 millions. L'Espagne a Madrid avec 33 millions de passagers, mais aussi Barcelone avec 20 millions. Même les Anglais qui, jusqu'à présent, avaient une vision centralisée des communications aériennes développent l'aéroport de Manchester.
Le déséquilibre actuel entre Paris - 74 millions de passagers par an - et Lyon - 6 millions - est flagrant. Pourtant, je voudrais souligner que d'ores et déjà, l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry se trouve dans une situation qui devrait amener sa prise en compte. Nous sommes reliés à 112 villes par liaison aérienne, à treize villes directement par TGV, et nous sommes le seul aéroport, en dehors de Paris, où la part du trafic international est plus importante que la part du trafic national.
De plus, nous avons toutes les possibilités de nous développer, car notre réserve foncière est de 2 000 hectares, à comparer à celle de Milan 1 500, Genève - complètement saturé - 250, Nice 450, Marseille 600.
Aujourd'hui, l'aéroport tel qu'il est constitué pourrait accueillir 15 millions de passagers. Nous avons en projet de réaliser un doublet de pistes supplémentaires qui peuvent nous permettre d'accueillir 30 millions de passagers et de disposer de la même infrastructure que Roissy . Je vous rappelle que nous en sommes aujourd'hui à 6 millions, ce qui montre l'importance de nos capacités d'extension. Par ailleurs, contrairement à la situation que l'on retrouve dans la région parisienne et le nord de la France avec un ciel Londres-Bruxelles-Paris extrêmement embouteillé, nous avons un espace aérien disponible, ce qui peut nous permettre d'organiser un développement harmonieux du transport aérien.
Nous avons mis en place, depuis trois ans, une démarche globale qui nous permet de limiter le développement de l'habitat aux alentours de l'aéroport et d'assurer la cohérence des grands projets d'infrastructure, ceci dans le cadre d'une large concertation avec les élus locaux, les associations et la population riveraine. Nous nous sommes dotés d'un projet d'intérêt général qui limite la capacité des plans d'occupation des sols (POS) dans les dix-huit communes voisines de l'aéroport et d'un plan d'exposition aux bruits particulièrement rigoureux. Enfin, nous avons en cours une directive territoriale d'aménagement qui nous permet d'assurer la cohérence à moyen et long terme des projets d'infrastructures.
Ces éléments font que nous nous inscrivons, dès aujourd'hui, dans une logique de développement durable prenant en compte la problématique du développement économique, en mettant l'accent sur la possibilité des entreprises lyonnaises à être reliées de manière parfaite au plan aéroportuaire.
Ce projet d'aéroport représente, pour nous, un enjeu majeur. Lyon a perdu, au cours des quinze ou vingt dernières années, un grand nombre de sièges sociaux car les firmes s'étant internationalisées, les dirigeants des sociétés doivent passer par Zurich ou Francfort pour prendre des vols intercontinentaux, voire par Paris, mais avec les problèmes d'embouteillage du ciel et les retards importants que cela implique.
Cet aéroport est donc indispensable pour développer l'économie lyonnaise, tant au niveau de nos entreprises qu'au niveau du tourisme. Lyon a été classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco et reçoit de plus en plus de touristes internationaux - japonais et américains en particulier.
Nous sommes confrontés à une problématique de développement économique, mais aussi sociale. Je crois que peu d'aéroports ont fait ce que Lyon a fait. Nous avons créé, depuis 1996, un système qui s'appelle "Satoemplois" grâce auquel les emplois disponibles sur l'aéroport ou la zone immédiate de l'aéroport sont offerts en premier lieu aux riverains de l'aéroport. Ceci fait qu'aujourd'hui 40 % des emplois bénéficient à des demandeurs d'emploi riverains.
Nous venons de signer une convention avec l'ANPE pour améliorer l'insertion des demandeurs d'emploi dans l'aéroport, c'est-à-dire que nous utilisons l'aéroport comme un instrument d'insertion, en particulier des jeunes, dans l'agglomération lyonnaise.
Enfin, le développement de l'aéroport constitue pour nous un instrument majeur pour reconquérir la première couronne de l'Est lyonnais qui comprend toutes les cités en difficulté (Vénissieux, Vaux-en-Velin, une partie de Bron, etc...). Je reprendrai plus en détail cet élément tout à l'heure.
Le dernier volet de cette logique de développement durable comprend les initiatives en matière d'environnement. Lyon-Saint-Exupéry a été le premier aéroport de province à mettre en place, en 1998, un médiateur auprès des riverains. Ce médiateur est chargé de traiter les plaintes liées aux nuisances sonores, ainsi que les demandes d'information sur les zones de survol et de nuisances potentielles autour de l'aéroport.
Vous trouverez, dans le dossier que nous vous avons remis, une documentation sur les publications éditées par l'aéroport à l'intention des riverains. Vous y noterez la liberté de ton. Peu d'aéroports pratiquent un dialogue aussi fort avec les riverains. Nous avons mis en place des systèmes de surveillance du bruit et des trajectoires des avions, de manière à détecter toute infraction aux règles de navigation. Dans ces documents, vous constaterez la façon dont nous traitons les plaintes des riverains.
Nous disposons de stations permanentes de mesure de la qualité de l'air et de l'eau, et avons mis en place un système de management environnemental en vue d'une certification ISO 1401. Aujourd'hui, seuls vingt aéroports européens sont certifiés ou en cours de certification.
Chaque année, nous publions un rapport sur l'environnement ainsi qu'un rapport du médiateur, et nous diffusons une publication bimestrielle aux habitants des quarante communes avoisinantes.
Nous mettons en place actuellement un système qui va permettre de faire de Lyon-Saint-Exupéry un instrument majeur du développement de l'agglomération lyonnaise. Il s'agit du projet "Lyon, porte de l'Europe", qui consiste à lier, avec une ligne de tramway rapide installée sur un site de chemin de fer anciennement désaffecté, Saint-Exupéry à La Part-Dieu, le grand quartier d'affaires de Lyon, et à la Cité internationale, notre deuxième pôle de développement, où un palais des congrès de trois mille places sera bientôt ouvert. Certes, Lyon bénéficiait déjà d'une structure de mille places, mais nous en construisons une seconde à côté de trois mille places, laquelle comptera en plus cinq ou six mille places en espaces d'exposition.
Nous examinons également la relocalisation de notre parc d'exposition qui, aujourd'hui, couvre 90 000 mètres carrés : nous souhaitons le porter à plus de 120 000 mètres carrés, et l'installer près de l'aéroport de Saint Exupéry. En procédant ainsi, nous aurions un parc d'exposition de niveau international, un quartier d'affaires avec trois tours en projet de construction, et le développement de la cité internationale construite par Renzo Piano, qui compte déjà un hôtel Hilton et qui accueillera l'année prochaine un hôtel Marriott, soit un équipement hôtelier de haut niveau.
La liaison entre Saint-Exupéry et La Part-Dieu constituera un élément majeur de revitalisation sociale d'un certain nombre de communes, car c'est dans l'Est lyonnais que se trouvent les communes en difficulté. La ligne passera d'abord par Meyzieu, ensuite par Décines et enfin par Villeurbanne. Tout au long du parcours de cette liaison, qui aura des liaisons express mais aussi des liaisons de dessertes fines (un RER à la lyonnaise), nous en profiterons pour requalifier l'ensemble de ces villes, de manière à redonner une autre dimension à un Est lyonnais qui aujourd'hui, sur la première couronne, voit sa population diminuer.
Nous mettons l'accent sur les liaisons avec l'agglomération, mais aussi sur les liaisons existantes ou en cours avec l'ensemble des grandes villes de la région Rhône-Alpes. Aux autoroutes existantes s'ajoutent celles qui seront réalisées dans les cinq ou six ans à venir. Cela signifie que Lyon-Saint-Exupéry n'est pas au milieu d'un désert, mais se trouve bien au coeur d'un bassin démographique auquel nous sommes liés par un réseau autoroutier majeur.
Quelle région peut aujourd'hui dire qu'elle dessert des villes comme Saint-Etienne, Valence, Grenoble, Chambéry, Annecy, Genève, Bourg-en-Bresse, Mâcon, Roanne ? Nous sommes réellement au coeur d'un bassin d'emplois tout à fait exceptionnel, avec un maillage autoroutier très puissant, mais aussi un maillage TGV. Il existe une gare ferroviaire dans l'aéroport et qui constitue un véritable n_ud intermodal.
Ainsi, un voyageur, qui descend d'un vol intercontinental, a le TGV à trois minutes de la salle de réception des bagages et peut d'ores et déjà aller en direction de Paris ou de Roissy en moins de deux heures, et en une heure quinze à Marseille avec l'ouverture du nouveau TGV.
Les décisions ont été prises de faire le TGV Lyon-Turin. Demain, avec cette liaison, Lyon sera à trente minutes de Chambéry et une heure quinze de Turin. Le TGV Lyon-Barcelone est également en projet, et le trajet se fera en trois heures. Là encore, Lyon sera au centre d'un réseau TGV tout à fait exceptionnel.
Cela signifie que, dès aujourd'hui, que ce soit par route ou par train, on se trouve avec un bassin d'habitants hors Paris de 10 millions de personnes et qu'en 2015, dans un espace de temps de deux heures, 21 millions d'habitants hors Paris seront dans la proximité de Lyon.
Pour nous, la conclusion s'impose d'elle-même : on cherche un aéroport, nous répondons "pourquoi aller chercher plus loin ?"
M. le Président : Je vous remercie pour cette présentation très claire, efficace et convaincante. Nous connaissons tous la place de Lyon dans l'espace français et européen. Nous sommes convaincus qu'il faut développer un certain nombre de grandes villes de taille européenne en France, dont Lyon est la première. Nous avons mesuré la mise en réseau de Lyon dans sa propre région Rhône-Alpes, mais aussi avec l'axe majeur de développement européen que l'on appelle familièrement la "banane bleue".
Tous ces éléments sont des atouts qui plaident en faveur de Lyon. Les questions que l'on peut se poser relèvent, d'une part, de la capacité à relever le défi d'une augmentation très importante évoquée par le schéma de services collectifs en matière de transport aérien. En effet, les hypothèses internationales sont de 4 % par an, encore qu'avec la conjoncture actuelle, il puisse y avoir des creux dans cette évolution. La perspective, évoquée par les schémas de services collectifs, est de 150 millions de passagers pour l'entrée en France, dans les vingt à vingt-cinq ans qui viennent.
Lyon, à lui seul, n'est peut-être pas en mesure d'accueillir cette croissance de trafic. C'est une des limites que l'on peut voir à sa candidature. L'autre limite, sur laquelle j'aimerais vous interroger, concerne la saturation des infrastructures routières. N'est-ce pas un handicap, en termes de multifonctionnalité des transports, d'avoir un couloir rhodanien qui, parfois, est frappé de saturation ?
M. Gérard Collomb : Sur le premier problème, j'ai indiqué quelles sont nos capacités. Nous pouvons aller dès aujourd'hui, sans aucun aménagement, jusqu'à 15 millions de passagers, et doubler notre capacité en allant à 30 millions de passagers.
L'ensemble des plans pour monter à 30 millions de passagers sont aujourd'hui réalisés. Nous pouvons effectivement, si Lyon était choisi, passer à cette étape et réaliser le deuxième doublet. Cela signifie néanmoins que, sur le seul espace Lyon-Saint-Exupéry, nous disposons d'une marge de progression entre 6 et 30 millions tout à fait respectable.
Concernant les liaisons autoroutières, deux contournements de Lyon sont inscrits dans les projets : le grand contournement de Lyon se fera à l'ouest. Sachant les problèmes de saturation que connaît Lyon, nous souhaitons détourner la circulation liée à l'Espagne. Pour ce faire, deux barreaux permettant de détourner la circulation sont en cours de construction : l'un sur l'ouest et l'autre, au-delà de l'aéroport, jouxtant l'aéroport sur l'est.
Toutefois, à partir de Clermont-Ferrand, a été ouverte maintenant, l'autoroute qui empruntera le viaduc de Millau et doit pouvoir demain détourner les véhicules venant de Paris directement vers l'Espagne, c'est-à-dire qu'ils n'auront plus besoin de prendre la vallée du Rhône, puis de bifurquer à hauteur de Montpellier. Je milite d'ailleurs pour un axe Mâcon-Roanne qui rejoindrait l'autoroute de Clermont-Ferrand, pour permettre aux véhicules venant d'Alsace, de Suisse, de Belgique et qui descendent vers l'Espagne, de couper tout droit sans prendre la vallée du Rhône. Toutes ces infrastructures devraient permettre de résoudre les problèmes de saturation de trafic de Lyon, et plus généralement dans la vallée du Rhône.
Je vous rappelle que la mise en place du TGV Lyon-Marseille, qui met Marseille à une heure quinze de Saint-Exupéry et à une heure et demie de Lyon, constitue un bouleversement considérable. En effet, aujourd'hui, les deux tiers des personnes qui se rendent à Marseille n'utilisent plus leur véhicule. Nous allons assister à une modification profonde des habitudes : les Lyonnais iront passer la journée à Marseille et les Marseillais vont, de plus en plus fréquemment, considérer Lyon comme leur ville d'affaires leur proposant un certain nombre de liaisons internationales.
Nous jouons d'ailleurs les cartes complémentaires avec Marseille de telle sorte que, de notre côté, nous mettons l'accent sur le développement de notre aéroport et que, par ailleurs, nous l'aidions à mettre l'accent sur le développement de son port. Nous avons également des liaisons fluvio-maritimes jusqu'à Lyon, de manière à devenir le port avancé de Marseille.
M. Bernard Chaffange : Quand vous évoquez le chiffre de 30 millions, il est parfaitement correct et crédible dans la configuration de trafic actuel, c'est-à-dire avec une majorité d'avions de petite à moyenne capacité. Mais si l'on imagine, à plus long terme, l'introduction d'avions long courrier qui sont des avions gros porteurs, on peut très certainement imaginer que c'est une capacité minimum. Sur deux doublets de pistes, nous pouvons aller jusqu'à 30 millions - dans les configurations actuelles d'avions de petite à moyenne capacité - et au-delà avec de plus gros avions.
M. le Président : Vous évoquiez la concurrence possible avec Milan et Turin pour l'Europe du Sud. Quelles sont vos relations avec vos voisins ? S'agissant de Genève, vous indiquiez que la capacité foncière genevoise était limitée.
M. Gérard Collomb : S'agissant de Genève, nous avons commencé à nouer des contacts importants. Toutefois, d'un point de vue institutionnel, ce n'est pas toujours facile car, du fait que les maires changent tous les ans, le partenariat est difficile à constituer dans le temps. Dès que l'on s'habitue à un partenaire, il change. Comme nous avons conscience du potentiel intellectuel que représente Genève, nous essayons d'induire un mouvement, notamment entre nos universités et notre recherche, et les universités et la recherche genevoises.
Quant à Turin, cela fait partie d'une de mes prochaines destinations pour renforcer des relations entre Lyon et Turin, qui sont déjà existantes. En effet, historiquement, les relations entre Lyon, Turin et Milan remontent au XVIe siècle. Ce sont les banquiers italiens du nord qui ont créé le Lyon historique, le vieux quartier. Tous les hôtels ont été bâtis par des banquiers italiens. Il y a donc traditionnellement, entre les PME lyonnaises et celles de Milan et Turin, des relations fortes.
De plus, Turin et Lyon ont la même structure d'entreprises. Le tissu lyonnais ne comporte pas de "monstres" comme, par exemple Toulouse avec l'industrie aéronautique, mais un tissu très fourni de moyennes et grandes entreprises, ce qui correspond aussi à la structure turinoise.
M. Serge Poignant : Il est certain qu'au plan national, l'existence d'une alternative à Paris est importante. A cet égard, le positionnement de Lyon, comme vous l'avez démontré, semble tout à fait opportun en termes européens.
Ma question portera sur l'équilibre général des aéroports sur le plan national. Les 30 millions de passagers, voire plus que vous prévoyez, sont-ils des passagers espérés d'une croissance ou une alternative à un nombre moindre de passagers sur d'autres aéroports, Paris éventuellement ? Auquel cas, quel serait le devenir des autres aéroports dans la zone que vous considérez, c'est-à-dire Nice, Marseille ? Pensez-vous qu'il puisse avoir de l'influence sur d'autres aéroports qui ne sont pas situés dans cette zone, comme Toulouse mais aussi Nantes avec le projet d'aéroport du Grand-Ouest ?
M. Gérard Collomb : Pour ma part, j'estime que les intérêts des aéroports de province sont liés. Si le choix est fait du développement d'un troisième aéroport parisien, cela va assécher notre réseau aux uns et aux autres.
Si des hubs sont envisagés, nous serons certainement dans le périmètre du hub de Clermont-Ferrand, c'est-à-dire que l'on nous mettra de petits avions pour nous desservir à partir du troisième aéroport parisien. Cela implique que nos villes n'auront plus de développement propre des transports aériens, mais seront simplement des greffons sur le troisième aéroport parisien.
Je pense qu'un certain nombre d'aéroports, notamment Nantes, doivent jouer un rôle. J'en ai parlé à M. Jean-Marc Ayrault lors des journées parlementaires à Nantes. Nous devons rédiger une lettre commune à M. Lionel Jospin soulignant que les aéroports de province, en particulier ceux de Lyon et le futur aéroport de Nantes, Notre-Dame-des-Landes, doivent être pris en compte. La décision en faveur d'un troisième aéroport parisien nous porterait un grave préjudice.
Je suis d'autant plus conscient de cela que je vois bien comment les choses peuvent aller dans un sens ou un autre. Il y a peu de temps, lorsque nous avons reçu M. Louis Gallois à Lyon, nous lui avons fait visiter la gare située à l'intérieur de l'aéroport Saint-Exupéry. C'était au moment où le vol Lyon-New York a été supprimé. M. Gallois nous a indiqué que si les vols n'étaient pas suffisamment nombreux, il supprimerait des trains.
Cela montre que les décisions qui seront prises seront cumulatives, c'est-à-dire que si nous avons plus d'avions, nous aurons plus de trains, donc plus de communications et plus d'entreprises qui viendront s'implanter. Dans le sens contraire, si nous n'avons pas suffisamment de vols, le nombre de trains sera réduit. Ceux de nos industriels qui produisent une grande partie de leur chiffre d'affaires aux Etats-Unis perdront beaucoup de temps pour aller prendre l'avion à Paris et préféreront dès lors déplacer leur entreprise. Ce sont de vrais problèmes d'aménagement du territoire. Si le choix penche pour un Paris qui s'étende jusqu'à la quatrième couronne et qui couvre le quart de la France, au-delà nous ne serons plus que de charmantes villes de province.
Je dis souvent que si on souhaite que Lyon ressemble à Vichy, charmante et sympathique ville, c'est tout à fait possible. Lyon est une belle ville, avec des fleuves, des collines, elle n'aura plus d'industrie, ni d'activités économiques. Certes ce sera une ville agréable, mais qui ne comptera plus dans le concert européen.
M. Félix Leyzour : Si j'ai bien compris, votre propos est "pourquoi aller chercher ailleurs ce qui existe déjà ?". Toutefois, si on peut déjà en termes de capacité répondre aux besoins, pourquoi l'évolution que vous souhaitez ne se fait-elle pas ?
M. Gérard Collomb : Parce que la logique d'Air France est une logique de développement d'entreprise et non pas d'aménagement du territoire.
M. Félix Leyzour : Mais, comme il y a saturation dans la région parisienne, quels sont les obstacles qui empêchent Lyon de se développer ?
M. Gérard Collomb : Des décisions. Lorsqu'il sera décidé de créer un véritable hub international, Lyon se développera. Lorsque les Anglais ont décidé qu'il fallait aller à Manchester, Manchester est parti de zéro et a commencé à monter en puissance. En matière de transport aérien, les Etats, au travers de leurs compagnies nationales, jouent un rôle majeur. La décision politique est importante. Sinon je ne serais pas aujourd'hui devant vous à l'Assemblée nationale, mais devant le conseil d'administration de compagnies américaines. Car nous sommes néanmoins dans un domaine où la décision politique compte.
M. Félix Leyzour : De quelles régions du monde attend-on la croissance du trafic ? Sera-t-il transatlantique ou viendra-t-il de l'Est européen ? Dans le prolongement de cette question, ne pensez-vous pas que l'on pourrait également vous opposer, en termes d'aménagement du territoire, le fait que la partie ouest est totalement déséquilibrée ? En effet, si le trafic en croissance est appelé à venir d'outre-Atlantique, on peut considérer d'autres schémas possibles.
M. Gérard Collomb : Avec Nantes, nous ne sommes pas concurrents dans la mesure où nous sommes la porte nord d'entrée du sud. Nous ne sommes pas sur les mêmes segments. Notre devenir, c'est la ligne entre Barcelone et Milan. Nantes a organisé le secteur du Cotentin jusqu'à Lille. Toulouse et les Pyrénées sont déjà sur notre axe.
Si nous n'avons pas fait figurer Lille, c'est que cette ville se situe déjà dans la "banane bleue". Si Lille est appelée à devenir demain une grande agglomération européenne, c'est grâce à une décision régalienne extrêmement importante : lorsque M. Pierre Mauroy a fait passer le TGV à Lille, il remettait Lille au c_ur du triangle Paris-Londres-Bruxelles. De ce fait, cette ville a pris un nouveau départ de manière extraordinaire.
Si on décide de créer un troisième aéroport parisien, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Lyon, toutes les villes qui peuvent faire équilibre, vont souffrir et s'assécher au profit d'une agglomération hypertrophiée. On connaît déjà les problèmes de l'Ile-de-France, mais ils se trouveront multipliés à la puissance quatre. On va de nouveau créer une couronne et y investir 40 ou 50 milliards de francs, alors que nos infrastructures existent déjà presque toutes.
Dans le chiffrage que nous avons établi à l'attention de M. Lionel Jospin, nous arrivons, en tenant compte l'investissement en matière de transport pour assurer de meilleures liaisons, à 11,8 milliards dont 4 que nous solliciterions de l'Etat. Ce ne sont donc pas les sommes qui sont actuellement en jeu pour l'aménagement du troisième aéroport parisien. Certes, si on injecte de nouveau 30 à 40 milliards dans cette zone, cela induit du développement, mais qui, par ailleurs, ne se fera pas dans les autres régions.
M. Pierre Cohen : Même s'il convient d'avoir un regard local, il est indispensable de mener un débat sur l'intérêt national. Vos propos sont convaincants quant à l'intérêt de Lyon, mais Nantes, Toulouse ou Lille peuvent toutefois craindre d'être asséchés autant par Lyon que par un troisième aéroport parisien.
Mon interrogation est la suivante. Si l'on considère les 30 millions de passagers que Lyon peut accueillir par rapport aux 150 millions prévus, le risque est que l'on considère que vos infrastructures ne répondront pas aux besoins des trente ou quarante prochaines années. Votre propos est d'équilibrer le pôle hyper concentré autour de Paris. Pourrait-on compléter votre démonstration avec toutes les réflexions qui se mènent actuellement dans les différentes régions ?
M. Gérard Collomb : Supposons que l'on atteigne à Lyon 30 millions de passagers et, avec des longs courriers, 50 millions, cela signifie qu'il reste du trafic pour les autres aéroports. C'est un choix de mode de développement. Au lieu de tout concentrer sur un aéroport, on a ainsi plusieurs aéroports qui peuvent se développer. On peut donc le considérer comme un vrai projet d'aménagement du territoire.
M. Pierre Cohen : Vous avez mentionné votre prochaine visite à Turin. Avez-vous l'intention de faire le tour de France, dans la période où cette décision doit être prise, et de vous arrêter à Toulouse pour déterminer si un aéroport multimodal pourrait se constituer et être une véritable alternative ?
En effet, je crains, pour en avoir discuté hier avec d'autres parlementaires, que l'on ne réponde favorablement à votre proposition en estimant qu'elle serait appropriée pour passer la période des vingt ou trente prochaines années, mais que, quoi qu'il arrive, il faudra néanmoins une nouvelle plateforme internationale dans trente ans. Par conséquent, on prendra peut-être un peu plus de temps, mais l'aéroport parisien se fera quand même.
La question qui se pose est de savoir si nous sommes capables de construire, dès maintenant, une alternative à partir de ce qui existe. A Toulouse, se pose la question d'un deuxième aéroport. Pour ma part, a priori je suis plutôt défavorable à un deuxième aéroport, je préférerais un TGV à deux heures et demie de Paris. Cela étant, cette décision n'étant pas encore prise, nous pouvons décider de créer un deuxième aéroport en complément de votre proposition. Avez-vous l'intention de faire le tour de France, puisque vous êtes le premier à avoir avancé cette proposition, et mettre en avant un contre-projet ?
M. Gérard Collomb : J'ai commencé à le faire. J'ai rencontré M. Jean-Marc Ayrault, puis appelé M. Pierre Mauroy pour faire un bilan de la situation à Lille. Cela ne semble pas être encore tout-à-fait dans sa logique. Bruxelles étant proche de Lille, ce problème est peut-être relativement secondaire. Quant à Marseille, je ne pense pas que ce soit la préoccupation des Marseillais, leur intérêt étant de développer la liaison et que Lyon soit un grand aéroport. Restent Nice, Toulouse, Bordeaux et Nantes qui constituent, aujourd'hui, avec Lyon, la grande alternative.
M. le Président : Je voudrais connaître votre point de vue sur l'évolution de la stratégie des compagnies, notamment cette tendance à l'organisation du transport aérien en hubs, qui concentre le trafic sur une seule plate-forme ou un réseau de plates-formes proches.
Le voeu d'Air France serait qu'il y ait une troisième plate-forme, la plus proche possible de Roissy, de manière à organiser les connexions. Y a-t-il des capacités à développer un autre hub, par exemple autour de Lyon, avec Air France ou une autre compagnie ? Pensez-vous, à moyen ou à long terme, que ce type d'organisation du transport aérien est encore pertinent pour les vingt ou trente ans à venir ? Avez-vous une stratégie de relations avec les compagnies aériennes ?
M. Bernard Chaffange : Il est exact que la stratégie des compagnies aériennes a été extrêmement fluctuante dans le temps. Les phénomènes de hub sont apparus aux Etats-Unis, de manière quasiment caricaturale d'ailleurs, puisque les Américains ont construit des plates-formes qui n'étaient que des plates-formes de correspondance. Mais cela ne fonctionnait pas.
Aujourd'hui, en termes d'évolution dans les stratégies des compagnies, on dénote une tendance très forte à des alliances mondiales ou européennes, qu'il s'agisse de Stars Alliance, d'Onworld, de Qualiflyer qui est morte avec Swissair et, la dernière en date, Sky Team, autour d'Air France et de Delta Airlines, plus les Coréens et les Mexicains. Nous allons vers des réseaux de compagnies aériennes et donc des réseaux d'aéroports. De ce point de vue, je partage complètement l'inquiétude de M. Gérard Collomb sur ce que peut être la stratégie d'Air France demain, dans le cadre d'une alliance avec Alitalia et donc avec Milan.
Je partage également complètement son point de vue sur le fait qu'Air France a aujourd'hui une stratégie de transporteur avant d'avoir une stratégie de marché.
De mon point de vue personnel et technique, Air France spécialise à outrance ses moyens, en fonction des aéroports et des sites. A Paris, les gros avions, les longs courriers. A Clermont-Ferrand, les petits avions. Quant aux moyens courriers, pour faire juste mesure, c'est à Lyon qui se trouve entre les deux. C'est une stratégie qui est beaucoup plus tournée vers les besoins des transporteurs que les besoins des clients.
Il me semble qu'à terme, cela ne pourra pas perdurer, cela devra évoluer. Il a été question de Genève tout à l'heure. Des alliances entre les aéroports de Lyon et de Genève, quelle que soit la volonté des collectivités locales, sont aujourd'hui quasiment impossibles en raison de ces phénomènes d'antagonisme entre alliances. Air France et Swissair étaient dans une situation conflictuelle.
Comme l'ont fait les Britanniques à Manchester, si les capacités politiques ou techniques des aéroports parisiens sont atteintes, il sera nécessaire, par décision politique, d'ouvrir le ciel de certains aéroports français.
M. le Président : Par une politique tarifaire ?
M. Bernard Chaffange : Même pas. Quand les Britanniques ont considéré que les aéroports de Londres arrivaient à saturation, ils ont informé les compagnies américaines que si elles voulaient continuer à desservir la Grande-Bretagne, Londres étant saturé, elles devraient utiliser l'aéroport de Manchester. Actuellement, sept compagnies américaines passent par Manchester.
Aujourd'hui, soixante-dix vols quotidiens transatlantiques sont au départ de Paris, un seul autre au départ de Nice. Vous constatez le déséquilibre. L'évolution vers laquelle nous nous dirigeons est une compagnie nationale tout d'abord plus tournée vers son marché national, car elle doit être forte sur ce point et aujourd'hui elle ne l'est pas suffisamment, et très présente sur les aéroports régionaux (Lyon, Nantes, Toulouse), mais pas omnipotente comme elle l'est à Paris aujourd'hui.
M. le Président : C'est la raison pour laquelle, dans ma question, il y avait cette arrière-pensée que des compagnies étrangères pourraient avoir intérêt à s'installer sur une plate-forme qui serait l'alternative à Paris.
M. Gérard Collomb : Certes, mais il faut le "feu vert" du ministère des transports. Nous retombons dans le problème précédent. Si une compagnie américaine, par exemple, souhaite établir son hub sur tel ou tel aéroport, nous risquons un refus d'Air France qui veut préserver son pré carré. C'est pourquoi on sent bien que la décision est très politique.
M. le Président : Je vous remercie d'être venus jusqu'à nous pour nous éclairer sur le ciel lyonnais. Nous formons des voeux pour que l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry trouve sa place et soit un atout pour le développement de votre ville et de sa région.
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