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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 2ème jour de séance, 3ème séance 2ème SÉANCE DU LUNDI 5 OCTOBRE 1998 PRÉSIDENCE DE M. Jean GLAVANY vice-président SOMMAIRE : LOI D'ORIENTATION AGRICOLE (suite) 1 QUESTION PRÉALABLE 1 DÉSIGNATION DE CANDIDATS À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE 30 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation agricole. M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie Libérale et Indépendants une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Philippe Vasseur - Le 14 mars 1996, le Président de la République a demandé au Gouvernement de l'époque de préparer un projet de loi pour aider l'agriculture française à relever les grands défis du XXIème siècle : la concurrence mondiale, l'occupation et la valorisation du territoire, la situation des personnes, la préservation de l'environnement, la qualité des produits alimentaires... Une telle loi d'orientation devait donner de bons arguments à la France au moment de la réforme de la politique agricole commune ainsi que devant l'Organisation mondiale du commerce. C'est dans cette perspective qu'à l'issue d'une large concertation a été élaboré et adopté en Conseil des ministres un projet de loi d'orientation qui aurait dû être présenté à l'Assemblée nationale en juin 1997. Entre temps, la majorité a changé... Plusieurs députés socialistes - Eh oui ! M. Philippe Vasseur - C'est donc avec un an et demi de retard que nous est présenté un nouveau projet, dans un nouveau contexte. Il s'agit de fixer de grandes orientations pour notre agriculture et de prévoir des mesures concrètes, des mesures nouvelles. Or j'ai bien cherché, et je ne trouve qu'une seule innovation : les contrats territoriaux d'exploitation. D'après l'exposé des motifs, on souhaite faire dépendre une partie des aides publiques de l'acceptation d'un cahier des charges touchant à "tous les aspects de la vie de l'exploitation", c'est-à-dire à la production, mais aussi aux conditions dans lesquelles elle s'effectue et aux services qui lui sont liés. L'intention n'est pas mauvaise. Elle n'est pas tout à fait neuve non plus, ce dispositif s'inspirant des plans de développement durable. Ce sont les modalités d'application qui sont nouvelles : leur caractère bureaucratique risque d'aboutir à une sur-administration de notre agriculture, même si vous vous en défendez, Monsieur le ministre. Nulle part dans ce projet il n'est répondu à la question fondamentale du financement des CTE. En moyenne, les signataires de ces contrats percevront 30 000 F par an. Les agriculteurs pourront considérer que cet argent est bon à prendre, en paiement des services rendus à la collectivité. Mais à qui le prendront-ils ? Va-t-on allouer des crédits supplémentaires à l'agriculture ? Non : les CTE seront financés par le principe des vases communicants, c'est-à-dire par le redéploiement des crédits nationaux. Il faudrait alors indiquer clairement quels budgets seront amputés et mesurer les conséquences de ces décisions. Si on réduit le budget des offices, on affaiblit nos capacités d'intervention, dans l'organisation des filières ou en cas de crise. C'est un choix qu'il faut faire clairement. Les CTE seront également financés par des transferts de crédits européens en modulant, c'est-à-dire en plafonnant les aides européennes. Ce serait simple et, à première vue, intéressant. Encore faut-il que nos partenaires soient d'accord. Et je ne suis pas certain que l'Allemagne acceptera de payer pour les CTE français. Notre agriculture risque en outre de tomber dans un piège redoutable : la renationalisation de la PAC. La France y perdrait beaucoup. Si la modulation des aides européennes donne à chaque Etat membre des marges de manoeuvre, des stratégies concurrentes vont se développer au sein même de l'Union. La France financera les CTE, l'Espagne encouragera la production de fruits et légumes, les Pays-Bas, celle du lait... Nos producteurs auront alors beaucoup de soucis à se faire... On déstabilise la PAC au moment où la France devrait se battre pour préserver les principes et les acquis, comme vient de le souligner avec force le Président de la République, à Aurillac. Défaitiste, le Gouvernement accepte le démantèlement de la PAC. Pire : il l'anticipe. Tel est bien son état d'esprit. "Chacun perçoit avec netteté en Europe notre situation de seul grand pays de l'Union à ne pas être contributeur net dans des proportions significatives" : tenir de tels propos, c'est faire le jeu des adversaires de la PAC. Ils ont été tenus le 15 septembre 1998, devant le groupe socialiste, par M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes... Et il a conclu : "Le paquet Santer marquera la fin d'une singularité française : l'aide d'une Europe des années 60, quand personne ne trouvait anormal que la Communauté finance la modernisation de l'agriculture française". Il faut donc s'attendre à une réduction des crédits alloués à l'agriculture. Je trouve cependant paradoxal d'affirmer que l'Europe ne veut plus financer la modernisation de notre agriculture tout en lui demandant de financer les CTE... Cette contradiction ferait sourire si la question n'était pas si grave. Vous donnez le sentiment de capituler avant d'avoir livré bataille. La France devrait au contraire proposer une révision du traité de Rome, afin de redéfinir les objectifs et les moyens de la PAC. N'oublions pas le rôle qu'a joué celle-ci dans la construction européenne. Elle pourrait encore nous être d'une grande utilité pour renforcer une Europe agrandie à l'Est et associée au pays du sud de la Méditerranée, pour promouvoir une agriculture à la fois productive et respectueuse des ressources naturelles. Une Europe rendue capable de mieux gérer la dépense publique agricole grâce à de nouveaux mécanismes de protection du revenu. Une Europe respectée comme une grande puissance, qui ferait prévaloir le principe d'une juste préférence communautaire à l'intérieur de ses frontières et saurait occuper la place qui lui revient sur les marchés extérieurs. Ces impérieuses nécessités sont complètement oubliées dans votre projet. En 35 ans, les échanges mondiaux de produits agricoles et agroalimentaires sont passés de 80 à 2 500 milliards de francs, et la part de l'Europe a progressé tandis que celle des Etats-Unis reculait. L'Europe doit conforter ce succès et défendre sa vocation exportatrice. Or le projet traite cette dernière en épiphénomène puisque son exposé des motifs dit : "L'Europe a été amenée à jouer un rôle sur les marchés mondiaux de façon fortuite pour gérer les excédents". M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche - Mais c'est vrai ! M. François Patriat, rapporteur de la commission de la production - Oui. M. Philippe Vasseur - Merci de confirmer votre point de vue, mais nous partons, nous, d'une logique différente. De son côté, le Gouvernement renonce à toute une partie des exploitations agricoles pour s'en tenir, je cite encore l'exposé des motifs, "aux produits à haute valeur ajoutée susceptibles d'être commercialisés en Europe et dans le monde parce qu'ils peuvent faire valoir d'autres arguments que la seule compétitivité des prix". Bien sûr qu'il faut valoriser la production, mais enfin, exporter les produits à haute valeur ajoutée n'implique pas d'abandonner les autres ! C'est pourtant ce que veut faire le Gouvernement et vous avez vendu la mèche, Monsieur le ministre, en déclarant le 31 mars dernier à Bruxelles : "Je ne considère pas que la compétitivité européenne réside dans sa capacité à vendre des matières premières à bas prix sur le marché mondial". Là encore, je proteste car il faut savoir vendre de tout, des produits "haut de gamme" comme de base. M. le Rapporteur - A quel prix ? M. Philippe Vasseur - La France exporte 230 milliards -en francs- de produits agricoles et alimentaires, ce qui correspond à 300 000 emplois. Ce n'est pas de la gestion d'excédents mais bien l'expression d'une vocation. L'agriculture française ne doit pas se retirer du monde mais au contraire le conquérir car c'est sur le marché mondial que se développe la demande alimentaire. Comme l'a très bien dit le Président de la République vendredi dernier,... M. Joseph Parrenin - C'est lui qui vous a fait votre discours ? M. Philippe Vasseur - ...être moins présent sur le marché mondial serait priver l'agriculture d'une partie de ses débouchés et accepter la régression. A ces considérations économiques s'en ajoutent d'autres, d'ordre humanitaire : on compte en effet sur notre planète 800 millions d'êtres humains en état permanent de malnutrition et 10 à 12 millions d'enfants meurent chaque année de la faim. Un pays comme le nôtre a le devoir apporter une aide alimentaire à ces populations. Si l'agriculture française se repliait sur elle-même, elle commettrait non seulement une faute économique et morale, mais aussi stratégique car nous laisserions alors les Etats-Unis contrôler sans partage le marché mondial et devenir le gendarme alimentaire de la planète. C'est donc avec un esprit offensif que nous devons aborder les négociations internationales, que ce soit en Europe ou dans le cadre de l'OMC, étant entendu que nous ne saurions accepter les thèses américaines de déréglementation sauvage et qu'un libéralisme équilibré -tel que nous le concevons- suppose des règles saines et loyales. Pas d'abdication devant un libéralisme hégémonique et débridé ! Il y a 40 ans, la France était en situation de dépendance alimentaire, elle était obligée d'importer pour nourrir sa population. Elle est aujourd'hui un des tout premiers exportateurs du monde, grâce au travail formidable de nos agriculteurs, à leurs efforts d'organisation et à l'élévation de leur niveau de formation. Ils ont considérablement accru leur productivité, amélioré la qualité des produits -avec notamment les appellations d'origine contrôlées et les labels- et participé à l'action collective en faveur de la sécurité des aliments. Mais ils n'ont pas été payés en retour autant qu'ils auraient dû l'être. En effet, alors qu'en 25 ans les prix des aliments ont été multipliés par cinq pour les consommateurs -dont la part de budget consacrée aux dépenses alimentaires passait de 42 à 15 %-, les prix payés aux producteurs ne l'ont été que de deux fois et demie. C'est dire que la valeur ajoutée n'a pas été répartie équitablement entre les différents maillons de la chaîne alimentaire et que les agriculteurs ont été les grands perdants du partage -sans d'ailleurs que les consommateurs en soient les principaux bénéficiaires, ce qui constitue une anomalie. Ce déséquilibre a poussé les agriculteurs à rechercher une productivité de plus en plus forte, avec les risques que cela comporte pour l'environnement et les conséquences que l'on sait sur le nombre d'exploitations. En quarante ans, celui-ci a en effet été divisé par trois, ce qui a entraîné la désertification de maintes régions. Cette tendance doit être enrayée. La charte d'installation signée le 6 novembre 1995 s'y emploie et ses premiers résultats sont encourageants, mais je crois que, si l'on veut que l'agriculture occupe et valorise le territoire, il faut avant tout conforter son dynamisme économique. Or le projet de loi néglige cet impératif. La preuve en est qu'il y manque un volet fiscal. Le Gouvernement renvoie à plus tard mais pourquoi remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même ? Plusieurs députés socialistes - Et vous, qu'avez-vous fait ? M. Philippe Vasseur - A quoi bon un projet de loi d'orientation si la question fiscale n'est pas abordée ? Certes je connais les réticences du ministère des finances en la matière et je me souviens qu'il avait fallu l'intervention personnelle du Président de la République pour les surmonter et ajouter un volet fiscal dans le précédent projet. M. le Rapporteur - Oui. Entre les deux tours ! M. Philippe Vasseur - Il est regrettable que le Président de la République ne soit pas autant écouté par ce Gouvernement (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Pourtant des innovations fiscales sont bel et bien nécessaires pour améliorer les performances économiques de notre agriculture. Ainsi, le revenu théorique du capital investi dans l'exploitation ne devrait plus être fiscalement et socialement taxé comme un revenu du travail. Autre exemple : il faudrait inciter les agriculteurs à investir en aval, c'est-à-dire dans la transformation et la commercialisation des produits. La création d'un plan d'épargne agricole, défiscalisé, pourrait accélérer le mouvement. Ce projet souffre d'autres carences. Concernant par exemple l'organisation économique : il faudrait la renforcer afin de développer la solidarité entre agriculteurs et constituer des filières efficaces concernant aussi la situation des personnes : aucune perspective claire ne se dégage pour les retraites agricoles (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Je ne dis pas que vous n'avez rien fait. Simplement, beaucoup reste à faire. M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Et vous, qu'avez-vous fait ? M. Philippe Vasseur - Beaucoup ! Nous avions engagé le mouvement. Plusieurs députés socialistes - Les agriculteurs ne s'en souviennent pas ! M. Philippe Vasseur - Cette loi d'orientation était l'occasion de régler ce problème de fond. Autre carence : l'enseignement et la formation. Certes vous affirmez la primauté de la formation aux métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire par rapport aux activités de service et d'aménagement -ce qui est paradoxal puisque votre projet de loi sous-estime le rôle d'acteur économique de l'agriculteur. Plus grave, il affaiblit l'originalité et l'autonomie de l'enseignement agricole. Ceux-ci font pourtant son succès que reflète le taux de placement des élèves sur le marché du travail et ses rapports forts et constants avec les professionnels. Or si tout cela est possible, c'est grâce à la liberté de manoeuvre de cet enseignement, à sa capacité de mettre en oeuvre des idées nouvelles. Votre devoir était de préserver cette faculté d'innovation. Vous auriez pu, par exemple, reprendre l'initiative en proposant la fusion des deux statuts de lycée agricole, les lycées d'enseignement général et technologique et les lycées professionnels. Dans l'enseignement supérieur, vous auriez pu valoriser l'autonomie des filières qui avait favorisé la création de réseaux d'établissements et l'adaptation rapide aux besoins de la société et des jeunes. Vous allez au contraire perdre tout cela en perdant votre autonomie puisque vous partagerez la tutelle des grandes écoles agricoles avec l'Éducation nationale. Vous mettez le doigt dans un engrenage auquel nous avions résisté et cela me rend inquiet pour l'avenir. Je ne citerai qu'un dernier exemple des nombreuses carences de ce projet, l'insuffisance des réponses apportées aux attentes des consommateurs. Ceux-ci, s'ils veulent toujours disposer de denrées alimentaires abondantes et bon marché, ont des exigences de plus en plus grandes sur la qualité et la sécurité des produits. Ils veulent être mieux informés ainsi que l'illustre le débat sur les organismes génétiquement modifiés. La loi d'orientation devrait renforcer les dispositifs existants notamment en réformant la politique relative à la qualité. Une réforme de fond des sigles de qualité était en particulier nécessaire car alors qu'ils devraient constituer un atout majeur pour notre agriculture, leur multiplicité provoque la perplexité des consommateurs. Or au lieu de simplifier le système autour des deux sigles reconnus par tous, l'AOC et le label, on le complique encore en en ajoutant un nouveau, l'indication géographique protégée. L'IGP est déjà un sigle européen de sorte que là où nous ne devrions avoir qu'une protection juridique européenne de nos sigles nationaux ne se substituant en aucun cas à eux, nous cédons une fois de plus à la pression de l'Europe. Désormais il y aura donc confusion de deux démarches qui devraient rester distinctes, la protection juridique au niveau européen et la définition et l'attribution des sigles de qualité au niveau national. Voilà une nouvelle illustration de votre façon d'aborder la politique agricole commune : en marchant à reculons. Ce n'est pas la grande ambition économique dont a besoin l'agriculture française. Il ne faut pas inverser la logique qui légitime les soutiens publics. Les contraintes territoriales et environnementales doivent être prises en compte comme contrainte de production à intégrer et non comme des services. Il faut cesser de laisser dire que les agriculteurs sont les plus gros pollueurs de la nation. Il y a bien sûr des abus à réprimer, mais les agriculteurs ont déjà fait beaucoup en matière d'environnement. Les avancées technologiques permettront de nouveaux progrès. Le projet de CTE participe donc dans son principe d'une bonne intention, mais ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Prenons garde à ne pas transformer une bonne intention en mauvaise politique et une petite idée en grande illusion puis en grande désillusion. Il ne faut pas tromper les gens en faisant miroiter des crédits dont le financement n'est pas assuré. Il ne faut pas non plus imaginer qu'un soutien de ce genre suffirait à garantir l'avenir de l'agriculture française. Comme l'a dit le Président de la République, on ne peut pas laisser croire aux jeunes agriculteurs que leur avenir c'est d'être des jardiniers. L'agriculteur doit d'abord être un producteur et si les deux métiers d'agriculteur et de jardinier sont également respectables, il ne faut pas les confondre. Vous aurez à rendre compte de cette logique. Aujourd'hui, nous avons juridiquement tort parce que nous sommes politiquement minoritaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Nous prenons néanmoins date aujourd'hui et nous verrons dans un an ou deux ce qu'il adviendra quand la France devra rendre compte à ses agriculteurs des résultats des négociations du paquet Santer. Vous verrez alors l'erreur profonde que vous avez commise et qui mérite mieux que des petits sourires sur les bancs de l'hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). La noblesse du métier d'agriculteur, c'est d'abord de produire pour nourrir les hommes et les femmes en Europe et dans le monde. Cette vocation économique doit être affirmée dans le respect de la diversité. Il faut combattre la pensée unique en matière agricole car l'agriculture est plurielle et doit le rester. Elle l'est dans la taille des exploitations. Il faut que demeurent les exploitations familiales. Pour autant il ne faut pas combattre les grandes structures sociétaires qui ont aussi leur place. Il faut simplement éviter que certains soient fiscalement et juridiquement pénalisés et que le pot de terre lutte contre le pot de fer. L'agriculture est aussi plurielle dans ses productions. Certaines filières ont vocation à s'intégrer dans le marché mondial dans des conditions de concurrence. Pour celles-ci, les baisses de charges salariales et le lissage des revenus sont nécessaires. Pour d'autres, les conditions de production ne leur permettent pas d'être compétitives en termes de prix. Elles ont pourtant une utilité économique justifiée par l'occupation de l'espace ou l'emploi. Pour ces filières, des formes de soutien découplées du revenu sont envisageables. Cette diversité a conduit le Président à vouloir une loi d'orientation ayant une double vocation économique et sociale. Le projet de loi ne répond pas à cette double ambition. Il affaiblit même la position de la France alors que s'engagent des négociations capitales pour son avenir. En posant la question préalable sur l'opportunité de cette loi, nous entendons donc soulever un problème de fond et prendre date. La loi d'orientation ne donne pas à l'agriculture française les principes dont elle a besoin ; on s'en apercevra bien vite. La France ne peut être réduite à un compte d'exploitation comme elle ne peut s'abstraire des réalités économiques. La France, c'est un peuple, un territoire, une histoire, c'est aussi la quatrième puissance économique du monde et l'affirmation de principes qui ont un rayonnement universel. C'est au nom de tout cela que notre agriculture mérite une grande ambition. Il nous faut une volonté politique forte, que l'on ne trouve pas dans votre projet, pour que la France continue de jouer un rôle mondial majeur en matière agricole. C'est une occasion perdue. Nous espérons que nous en retrouverons bientôt pour donner à notre agriculture un avenir digne de son rang (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). M. le Rapporteur - Comme la politique est facile quand on est dans l'opposition ! Un député RPR - Vous êtes bien placé pour le savoir. M. le Rapporteur - Pas du tout : j'ai passé les 9 dixièmes de mon temps ici dans la majorité. Vous nous avez parlé, Monsieur Vasseur, du Président et surtout de votre projet. Mais enfin il y a dix-huit mois vous aviez une majorité pléthorique. Que s'est-il passé depuis ? Vingt-cinq mois ont passé pour une réforme mort-née. Aujourd'hui, il y a une majorité réelle, un texte réel et efficace, un rapporteur bien réel ! En vous écoutant, Monsieur Vasseur, je me disais que vous n'aimiez pas les territoires : ce sont les lobbies que vous avez défendus. M. Philippe Vasseur - Mon argumentation était plus sérieuse ! M. le Rapporteur - Vous avez été brillant sur la forme, mais vos arguments ne tenaient pas quant au fond. Quelle différence faites-vous entre le libéralisme "débridé" et le libéralisme "équilibré" ? Derrière cette argutie de prétoire, le libéralisme, c'est le libéralisme. M. Philippe Vasseur - Puis-je répondre ? M. le Rapporteur - Vous dites que le CTE signifie la bureaucratisation de l'agriculture. Mais la différence entre les libéraux et nous, c'est que nous faisons confiance à la concertation et au contrat. Or le CTE, c'est un contrat, plébiscité par les agriculteurs. 63 départements le demandent (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). M. Christian Jacob - Vous les avez désignés ! M. le Rapporteur - Je n'ai interrompu personne ! Vous aurez le loisir de répondre tout à l'heure. Quand M. Vasseur parle de la capacité d'exportation de la France, imagine-t-il faire croire au député de Bourgogne que les 300 000 emplois créés par l'agriculture ne le sont pas par des produits qualifiés, transformés, accrochés aux territoires, grâce aux AOC ? Ce n'est certes pas le blé vendu à bas prix sur le marché mondial qui crée ces emplois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Christian Jacob - La France ne se réduit pas à la Bourgogne ! M. le Rapporteur - Vous dites qu'il y a des carences fiscales dans ce projet. Mais dans le vôtre, les seules mesures fiscales avaient été introduites en pleine campagne électorale, entre le 18 avril et le 23 mai ! L'important, en politique, ce n'est pas de flatter, c'est d'être courageux. Vous voulez "prendre date", avez-vous dit ! Chiche ! Ceux qui n'avaient vu venir naguère que des échéances virtuelles feront confiance à cette majorité qui a le courage d'agir. Vous dites, enfin, qu'il ne faut pas renationaliser la PAC. Personne ne le veut ! Pourtant, en acceptant le paquet Santer, avec des exportations à bas prix, vous faites fausse route. M. le Ministre - En écoutant M. Vasseur, j'étais tenté d'invoquer le principe de droit selon lequel nul ne peut se réclamer de ses propres turpitudes. Car enfin, en matière fiscale, vous n'aviez fait aucune proposition. J'ai travaillé sur cette question avec les professionnels : mais force est de constater que les choses doivent encore mûrir. Il faut traiter en priorité la fiscalité des petites entreprises, mais nous avancerons sur ce sujet qui mérite mieux que d'être traité à la va-vite entre deux tours d'élections. Quant au financement du CTE, il se fera, je le répète, par redéploiement. Je suis un peu surpris d'entendre ceux-là même qui ne cessent de réclamer que l'Etat intervienne moins réclamer d'autre part qu'on accroisse les dépenses nationales et européennes pour l'agriculture. Il ne s'agit pas de continuer comme avant en ajoutant un CTE gadget : le CTE doit accompagner une réorientation des aides publiques. Vous avez parlé encore d'un risque de renationalisation. Mais à qui s'adresse cette mise en garde ? Si on vise les enveloppes d'aides directes aux éleveurs que la Commission souhaite confier aux Etats membres, j'ai moi-même invoqué le risque d'une distorsion de concurrence. Si on vise les propositions de cofinancement des aides européennes, je rappelle que j'en ai dénoncé les effets potentiellement dévastateurs pour la construction européenne. Si on vise les modulations des aides directes, on fait un procès d'intention. Je suis un Européen convaincu, et on me trouvera toujours opposé à la renationalisation qui relève d'une mauvaise conception de la subsidiarité. Mais la PAC, selon M. Vasseur, ce serait interdire le marché européen aux pays tiers, tout en réclamant pour l'Europe le droit de subventionner ses exportations ! Mais alors, pourquoi le Gouvernement dont M. Guillaume était membre a-t-il accepté en 1986, à la conférence de Punta del Este, que l'agriculture soit soumise à la discipline du GATT ? M. Balladur, Premier ministre, s'est ensuite engagé à réduire la préférence communautaire, et à négocier dès 2000, à Marrakech, de nouvelles mesures de libéralisation. Moi, je prends un parti, je défends la PAC et je veux des prix rémunérateurs pour les agriculteurs : mais on ne peut prétendre ériger une muraille autour de l'Europe et demander pour nos productions de nouveaux droits d'accès ! Mais nous aurons l'occasion de revenir sur ces thèmes. Je suis heureux, enfin, que vous ne comptiez pas l'aide humanitaire dans les exportations (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Christian Jacob - Quelques mots pour apporter mon soutien à M. Vasseur... M. Gérard Saumade - Il en a bien besoin ! M. Christian Jacob - J'ai été choqué par le ton de la réponse de M. Patriat, qui est d'ordinaire plus modéré. Quel mépris pour les gens qui exportent ! Nous avons besoin d'exportations dans tous les secteurs, et pas seulement pour des produits transformés. Des milliers d'emplois sont en jeu, et il ne faut pas banaliser les exportations comme l'a fait M. Moscovici devant le groupe socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Selon lui, le paquet Santer permettra d'arrêter de soutenir l'agriculture. Devant de tels propos, je m'inquiète de l'attitude du Gouvernement. De même, on nous dit monts et merveilles du budget de l'agriculture. Il baisse de 6 % et c'est le seul à être traité de cette façon. M. le Ministre - C'est faux. M. Christian Jacob - Monsieur le ministre, il fallait nous en parler, nous serions venus vous soutenir. Et vous nous annoncez des redéploiements. Ce n'est pas raisonnable. Le groupe RPR soutient Philippe Vasseur et Démocratie Libérale. Nous voterons la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). M. le Ministre - Ce matin déjà, M. Jacob disait que le budget de l'agriculture baisse de 6 %. J'ai déjà dit non, mais pour être plus précis, le budget de l'agriculture stricto sensu augmente de 3 % et celui du BAPSA de 1,1 % (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Marc Laffineur - Selon le ministre, nous sommes contre l'intervention de l'Etat dans l'agriculture. La politique menée depuis des dizaines d'années a montré que nous sommes pour cette intervention afin de conserver une agriculture forte, nécessaire au monde rural. Les Etats-Unis d'ailleurs interviennent massivement. Le groupe UDF votera la question préalable, car cette loi d'orientation manque d'une grande ambition, elle ne finance les CTE que par redéploiement, et on y trouve l'amorce d'une fonctionnarisation de l'agriculture (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe RPR). M. François Sauvadet - Je suis un peu surpris, Monsieur le ministre. A chaque nouvelle question, vous semblez gêné et vous bottez en touche. Devant la volonté exportatrice, vous répondez prix bas et libéralisme. Mais ce n'est pas le débat. Cette loi doit être un acte fondateur pour notre agriculture. Il s'agit donc de savoir quelle attitude vous allez avoir dans les négociations de l'OMC et du paquet Santer. Vous ne répondez pas. D'ordinaire vous répondez mieux. Serait-ce que cette loi d'orientation ne vous semble pas correspondre aux préoccupations du pays ? François Patriat a parlé de loi virtuelle. Mais vous êtes aux affaires. Dans votre projet, la fiscalité, le financement des CTE, l'organisation économique sont purement virtuels. J'espère que dans ces prochains jours nous sortirons du virtuel pour entrer dans le vif du sujet, pour que les pays et les agriculteurs obtiennent les réponses qu'ils attendent. Ce grand rendez-vous nous impose de donner de vraies réponses aux vraies questions. Le groupe DL votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Félix Leyzour - Nous aurons l'occasion de développer nos arguments dans la discussion. Le groupe communiste demande le rejet de la question préalable. M. Michel Grégoire - Je suis surpris que Philippe Vasseur présente cette motion. Débattre de la question préalable, c'est se demander s'il est utile de délibérer. Les retraites agricoles, l'installation des jeunes, l'aménagement du territoire, la qualité des produits, en débattre une semaine, ce n'est pas bon. L'avenir du monde rural passe par une nouvelle orientation de la politique agricole. Elle doit prendre en compte les besoins et les acquis pour ce qui est de la production, et permettre une reconquête du territoire par les agriculteurs. Le monde agricole a forgé notre identité. Il est aussi porteur de modernité et notre pays est la deuxième nation agricole au monde. Il a mené le combat pour la promotion sociale, défendu l'installation des jeunes et la retraite de ses anciens. Nous devons en être solidaires et la loi d'orientation va dans ce sens. Il faut mieux répartir les aides pour rééquilibrer les territoires, car des régions agricoles crèvent à petit feu. Sans maintien du tissu social, il n'y a pas d'avenir pour le monde rural. Pour cela, il faut que les exploitations produisent réellement -c'est leur vocation-, mais il faut aussi se dégager du productivisme et produire mieux avec le souci de qualité qui est gage de valeur ajoutée. Cette qualité doit être garantie aux consommateurs. On ne peut plus tolérer que des filières comme les fruits et légumes ou le porc connaissent des crises régulières. Il n'est plus admissible que des abricots payés 2 F le kilo au producteur soient vendus 20 ou 30 dans la grande distribution. C'est là le fruit d'un libéralisme effréné qui a créé des alliances et conduit aujourd'hui de nombreuses exploitations à leur perte. L'agriculteur est d'abord producteur. Mais il a aussi une vocation d'aménageur de territoire. Or pendant trente ans, les tâches non marchandes ont été délaissées. Le monde rural est un ensemble. Terre d'accueil, de dynamisme, ouverte sur le monde, c'est un lieu de stimulation de l'emploi, et de maintien du service public et des activités marchandes. On sait ce qu'il rapporte à notre économie. Les négociations sur la réforme de la PAC seront difficiles. Nous refusons tous, en l'état, les propositions actuelles du paquet Santer. Grâce à cette loi, le ministre pourra peser sur les discussions et présenter un projet agricole pour l'Europe. Il est surprenant que l'opposition, qui attaque le paquet Santer, fasse de même contre une loi qui vise justement à freiner l'ultralibéralisme qui mettrait en péril notre modèle agricole. Cette loi nous permet d'agir pour sauver et développer notre agriculture. Le groupe socialiste votera contre la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. M. Ollier remplace M. Glavany au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER vice-président M. le Président - Nous commençons la discussion générale. M. Joseph Parrenin - C'est un honneur pour l'agriculture que cette session s'ouvre par la discussion d'un projet de loi d'orientation agricole. Faisons d'abord un peu d'histoire. Au lendemain de la guerre, les Français subissaient le rationnement des denrées alimentaires. Avec les engrais, la mécanisation, le rendement augmenta. Au début des années 1960, la loi d'orientation permit modernisation et restructuration. Le revenu agricole connut dès lors une amélioration sensible. Dans le milieu des années 1970, les excédents firent leur apparition, d'abord sur le marché du lait. Et commencent alors les artifices comme la prime de reconversion lait-viande qui n'était, avec d'autres, qu'une mesure à court terme. Les budgets national et communautaire augmentent alors de façon considérable pour soutenir les exportations. En 1984, sont institués les quotas laitiers. Mais qui était alors ministre de l'agriculture et qu'a-t-on dit dans vos rangs, Monsieur Vasseur ? Que les quotas laitiers devaient signer la faillite de l'agriculture et M. Guillaume fustigeait l'abandon de l'agriculture par les socialistes. Or, aujourd'hui, les agriculteurs nous demandent le maintien de ces quotas. Preuve que seule la gauche, dans l'histoire de l'agriculture, a su prendre des décisions courageuses (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Je pourrais multiplier les exemples. Qui est à l'origine du statut du fermage ? Je poursuis l'historique. 1992 marque un tournant avec la réforme de la PAC. Certes, le revenu des agriculteurs s'est depuis sensiblement amélioré. Hélas, d'importantes disparités subsistent selon les régions et les productions et les résultats positifs obtenus dans certaines productions tiennent aussi à la disparition d'un très grand nombre d'agriculteurs depuis 1992. Monsieur Jacob, il y a bien deux types d'agriculture, celle que l'on pratique en Seine-et-Marne où moins de dix agriculteurs se sont installés en 1996 et celle que l'on pratique dans le Doubs, terre pourtant beaucoup moins fertile, où l'on a dénombré 114 installations. On voit bien où mène certaine politique... Fondé sur les CTE, le contrôle des structures et l'amélioration de la qualité, ce projet de loi vise au contraire à maintenir des agriculteurs en nombre sur l'ensemble du territoire. Ce projet, que le groupe socialiste et la majorité plurielle approuvent et à l'élaboration duquel ont participé avec un esprit critique constructif l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, vise à promouvoir une agriculture avec des agriculteurs. Nous refusons, pour notre part, l'agriculture sans agriculteurs dont d'aucuns sur ces bancs rêvent, sans oser l'avouer (Protestations sur les bancs du groupe du RPR du groupe UDF et du groupe DL). Mme Lambert a bien senti le danger, qui souhaite "des voisins plutôt que des hectares". M. Vasseur nous a parlé de modernisation. Mais la vraie modernisation passe précisément par des CTE qui prennent en compte les réalités locales et favorisent les produits à forte valeur ajoutée. Qui oserait prétendre que les viticulteurs de certaines régions en particulier, travailleraient encore leurs vignes et exporteraient comme ils font aujourd'hui, s'ils n'avaient considérablement amélioré la qualité de leur production ? Le solde de la balance commerciale agricole est beaucoup plus favorable depuis quelques années pour les produits transformés que pour les matières premières. Proposer aux agriculteurs de signer un contrat avec l'Etat, ce n'est pas administrer l'agriculture, c'est tout simplement réconcilier les paysans avec le reste de la société. Les CTE lieront la politique agricole aux territoires. Comment sans cet outil maintenir des agriculteurs sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les régions les plus défavorisées, où nul ne souhaite voir disparaître toute agriculture ? Ce sont en effet ces régions qui peuvent produire des produits de qualité et possèdent ces paysages uniques qui constituent notre patrimoine. Il n'est pas honteux pour les agriculteurs d'être des jardiniers de l'espace. Si d'ailleurs nous avons aujourd'hui de si beaux paysages, c'est qu'ils l'ont été par le passé (Une voix sur les bancs du groupe du RPR : "On leur lancera des cacahuètes !"). Les CTE, ce sont des contrats territoriaux mais aussi des contrats d'exploitation conçus pour produire. La commission a d'ailleurs réservé une large place, au travers de ses amendements, à cet aspect, en particulier à la qualité des productions. J'apporte donc, au nom du groupe socialiste, mon total soutien à ce projet de loi. Ce dernier porte une attention particulière à la politique des structures, qu'il conviendra de renforcer pour favoriser les installations. Des amendements préciseront ce point. Je conclurai par une note personnelle. J'ai été agriculteur dans une région de montagne. A 14 ans, je travaillais sur l'exploitation familiale ; à 23 ans, j'en ai repris une à mon compte que j'ai dû céder l'an dernier, à cause de la dissolution (Des voix sur les bancs du groupe socialiste : "Grâce à la dissolution !"). Nous avons, avec ma femme, élevé quatre enfants sur cette exploitation que nous avons transmise en 1997 sans que la structure en ait été modifiée depuis 1964. M. Christian Jacob - Et vous croyez être une exception ? M. Joseph Parrenin - Par rapport à ce qui se passe en Seine-et-Marne, pour sûr ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Je parle surtout pour ceux qui seront agriculteurs demain. Je l'ai dit lors d'une réunion avec l'ensemble des responsables agricoles de ma région, en présence du directeur de cabinet du ministre : je referai aujourd'hui le même choix que celui qui fut le mien à l'âge de 24 ans, surtout avec un tel projet de loi d'orientation agricole qui donne en effet sa chance à une agriculture de terroir sur l'ensemble du territoire. Les agriculteurs d'ailleurs l'ont bien compris et il est dommage qu'il n'en ait pas été de même d'un côté de cet hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Christian Jacob - A écouter M. Parrenin, j'ai cru rêver... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Vous avez de façon tout à fait démagogique comparé certains chiffres entre deux départements. Sachez que chaque année, 2 500 hectares de terres agricoles disparaissent sous le bitume et le béton en Seine-et-Marne. Cela y explique le faible nombre d'installations. Si celles-ci ont augmenté dans le Doubs, vous le devez à la charte sur l'installation élaborée par M. Vasseur qui a permis une diminution de 25 % des charges (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Une mise au point maintenant sur le budget de l'agriculture. J'ai entre les mains un document émanant du ministère de l'économie et des finances qui indique que ce budget passera de 35,6 milliards en 1998 à 33,5 milliards en 1999, soit une diminution de 6 %. Les orateurs précédents ont énuméré les principaux défis que devait relever notre agriculture française. Le premier d'entre eux, c'est la hausse de la demande alimentaire. Philippe Vasseur a insisté avec raison sur l'importance de ce phénomène, qu'il s'agisse de l'agriculture ou des emplois induits. Aujourd'hui, en France, un emploi sur cinq est lié à l'agroalimentaire. Deuxième objectif : répondre à la demande de qualité des consommateurs, qui souhaitent des produit plus clairement identifiés. C'est tout le débat de la "traçabilité". Or votre texte crée la confusion en prévoyant un cinquième signe de qualité, les IGP, ce qui va rendre plus difficile l'identification des produits et banaliser les efforts consentis par les producteurs. Il faut encore que l'agriculture continue de remplir sa mission d'aménagement du territoire. Nous sommes tous d'accord sur cet objectif. Mais peut-on l'atteindre autrement qu'en préservant l'activité productive ? Vous n'y parviendrez pas en donnant 20 000 F pour cela aux paysans des zones de montagne ! Il faut que des agriculteurs puissent vivre de leur exploitation. Dernier objectif : assurer le renouvellement des générations par des mesures favorisant la transmission. Comment atteindre ces objectifs ? Il faut d'abord restaurer la compétitivité des entreprises agricoles, quelles que soient la région et la production. Or il suffit de consulter un compte d'exploitation pour voir qu'au-delà des dix premières années, ce sont les charges sociales et la fiscalité qui pèsent le plus sur les agriculteurs. Sur ce point, on ne prévoit rien, si ce n'est un nouveau rapport. La faible rotation du capital dans les entreprises agricoles appelle une fiscalité adaptée. Mais on ne nous propose rien sur ce point. Pas un mot non plus sur le financement des installations, lesquelles n'ont augmenté que grâce aux mesures prises par votre prédécesseur. Vous ne nous proposez pas davantage des systèmes incitatifs. Seuls vous intéressent les contrôles en tous genres. A ce propos, j'ai cru rêver quand j'ai découvert votre dispositif de contrôle des structures. Même la gauche de 1981 ne l'avait pas osé. Vous instaurez un régime d'autorisations provisoires à l'installation. Je ne connais aucun agriculteur qui finance une installation de deux ans. Peut-être M. Parrenin en connaît-il ? Mais il est parti, une fois terminée son intervention (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Prenons le cas d'un jeune agriculteur en société avec son père. Quand il voudra reprendre l'installation, vous ne lui donnerez qu'une autorisation pour deux ans, le temps de voir si quelqu'un d'autre n'a pas priorité pour reprendre l'exploitation. C'est méconnaître complètement la réalité du monde agricole ! Quant aux CTE, vous prenez, pour les financer, des fonds aux OGAF, aux fonds d'installation, au FGER et aux offices. Ces fonds sont pourtant répartis harmonieusement sur l'ensemble du territoire. Ceux des OGAF et du FGER profitent en priorité aux régions en difficulté. Vous allez les utiliser pour monter une mécanique infernale qui obligera l'agriculteur à signer un contrat avec le préfet, à qui il devra demander l'autorisation chaque fois qu'il voudra modifier son exploitation (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je suis surpris par l'exposé des motifs, Monsieur le ministre. Vous qui passez pour un pragmatique, un homme de terrain, auriez-vous laissé faire quelques ayatollahs de votre entourage, dont la connaissance de nos terroirs s'arrête au périphérique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Marcel Rogemont - Le ministre est du Finistère ! M. Christian Jacob - Je ne parle pas de lui. Il est sans doute mal entouré (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Félix Leyzour - Les dernières lois d'orientation agricoles datent des années 60. Centrées sur l'évolution des structures et le développement de la production, elles poussaient à produire plus et à agrandir les exploitations, ce qui s'est traduit par des départs massifs. En 1997 en effet, la France ne comptait plus que 680 000 exploitations. Ce phénomène s'est accompagné d'une augmentation de la productivité et des activités de transformation, mais il a aussi été la cause d'injustices et d'inégalités, d'atteintes à l'environnement et de problèmes sanitaires. Aussi avons-nous d'importants défis à relever, même si la droite, pour des raisons politiques, fait mine de le nier. On observera d'ailleurs que les organisations professionnelles sont beaucoup plus nuancées. C'est d'une nouvelle orientation que l'agriculture a besoin. A cet égard, votre projet ne peut être apprécié seul : il faut aussi prendre en compte le contexte. On sait à quel point le secteur agricole est lié à la politique européenne. L'Europe s'est construite autour de la PAC. Tout ce qui bouge, en Europe et dans les relations entre l'Europe et le reste du monde, se répercute sur l'agriculture. Ainsi, notre débat intervient au moment où se prépare la réforme de la PAC qui, à la différence de celle intervenue en 1982, se double d'une réforme des fonds structurels. La PAC recevant 44 % du budget communautaire et les fonds structurels 37 %, on perçoit les enjeux. Pourquoi cette volonté de réforme ? Il s'agit de revoir la politique de l'Union en vue de deux échéances capitales : l'élargissement à dix ou onze pays et l'ouverture de nouvelles négociations avec l'OMC. Ce qui est clair, c'est la volonté de baisser les prix à la production pour les aligner sur les prix mondiaux, qui n'ont pourtant pas de signification économique, afin de faire face à ces deux échéances de la manière préconisée par les Américains et tous les partisans de l'ultralibéralisme. La baisse des prix à la production, c'est la baisse du revenu des agriculteurs. Sans doute est-il envisagé, dans la réforme de la PAC, de compenser cette perte par des primes, au moins provisoirement. Mais les réformes de la PAC et des fonds structurels devant se faire à coût constant, puisque les ressources du budget européen resteront plafonnés à 1,27 % du PIB, qui paiera le coût de l'élargissement ? Pour partie, l'agriculture, d'autant que les fonds structurels profitent largement au monde rural. La France est donc particulièrement concernée. C'est dans ce contexte, dont on ne peut faire abstraction, que nous est présenté ce projet. Certains Etats membres considèrent non seulement que le budget ne doit pas augmenter, mais encore que leur contribution doit diminuer. Les négociations seront rudes et certaines échéances devront être retardées. Que pouvons-nous attendre de la nouvelle loi d'orientation ? Malgré les compensations, la baisse des prix et des revenus risque de se traduire par la recherche d'une productivité accrue, d'une concentration plus forte, de rendements plus polluants, c'est-à-dire des résultats contraires aux objectifs. Ils ne serait pas bon d'occulter ce risque. La nouvelle loi doit nous servir de point d'appui pour que, dans les importantes négociations à venir, la France agisse en vue de réorienter les politiques européennes. Les décisions que vous avez prises ces derniers mois pour lutter contre les pollutions, dégager certains marchés, rechercher une meilleure maîtrise des productions ou défendre l'agriculture française montrent que la volonté politique peut faire bouger les choses. Nous souhaitons qu'il en soit ainsi avec la nouvelle loi. Le projet repose sur la reconnaissance de la "multifonctionnalité" de l'agriculture. L'objectif étant un mode de développement plus durable, une production orientée non seulement vers la quantité mais aussi la qualité. Au centre du dispositif se trouve le contrat territorial d'exploitation, qui a un caractère incitatif puisque les aides sont attribuées en ne tenant pas seulement compte du volume de production mais aussi d'autres données comme le respect de l'environnement ou le maintien de l'emploi sur l'exploitation. Nous pensons qu'il ne faut pas pour autant minimiser l'acte même de produire car, si les agriculteurs sont bien les "jardiniers de l'espace", ils jouent ce rôle en travaillant la nature et en la valorisant, donc en produisant et non en se contentant d'entretenir les terres (Applaudissements sur divers bancs). Mais quand nous disons "production", nous n'entendons pas productivisme à tout crin. Nous voulons en effet une production respectueuse de l'environnement et capable de fournir des denrées saines et de qualité. L'aménagement du territoire ne dépend certes que de l'agriculture, mais il est clair qu'il n'y a pas d'aménagement du territoire sans production agricole servant de base aux activités de transformation. Ce projet prévoit une meilleure répartition des aides européennes et nationales. Il s'agit de mettre un terme aux pratiques de ces dernières années qui faisait que plus on était un gros producteur, plus on recevait d'aides, dérive que nous combattons depuis longtemps. On nous reprochait alors de n'être pas modernes, comme si le modernisme devait être synonyme d'injustice et d'inégalité. Nous pensons au contraire que les temps nouveaux appellent transparence, démocratie, justice sociale. Le projet a pour autre objectif -le nôtre depuis des années- de lutter contre les concentrations excessives en contrôlant mieux les structures. Il faudra pour cela que les organes consultés reflètent bien la diversité des acteurs et partenaires dans un monde agricole. Le contrôle de l'attribution des terres favorisera l'installation des jeunes, mais pour accélérer le mouvement, il faudrait aussi renforcer le fonds d'installation des jeunes et étendre le rôle des SAFER en les autorisant à faire de la location-vente afin d'alléger le poids du foncier dans les premières années de l'installation. M. Gérard Saumade - Très bien ! M. Félix Leyzour - Dans le volet social du projet, je salue la création d'un statut du conjoint mais je souhaiterais, s'agissant des retraites, que l'objectif visé -atteindre le niveau de retraite des autres catégories, à savoir 75 % du SMIC- soit atteint au plus vite. Des mesures ont été prises, l'an dernier, concernant les retraites les plus faibles et un nouveau train de mesures est prévu dans le projet de loi de finances pour 1999 -qui sera la première année d'application du présent texte. Nous en discuterons le moment venu, mais il nous paraît d'ores et déjà nécessaire de consentir, dès le début de l'échéancier, des efforts plus conséquents. S'agissant des salariés agricoles, nous voulons éviter une précarisation plus grande de l'emploi et nous souhaitons la création d'instances où ils puissent s'exprimer et faire valoir leurs droits. Au total, ce projet présente bien des aspects positifs. Dans le jeu normal du débat parlementaire, nous allons essayer de l'améliorer mais tout dépendra ensuite de l'usage que l'on en fera. De toute façon, la loi ne saurait tout régler et il ne faut pas penser qu'elle suffira à nous protéger des effets dévastateurs de la réforme de la PAC, telle que celle-ci est prévue. Mais, sans baisser la garde, nous pourrons prendre appui sur elle pour mener le combat en faveur d'une politique européenne qui ne doit pas s'aligner sur la voie américaine du libéralisme sans rivages. L'opposition dit vouloir défendre l'agriculture française et européenne face aux prétentions américaines, mais je ne crois pas que ce soit possible en se situant sur leur terrain et en courant après eux. Il faut au contraire leur offrir une résistance. C'est ce que nous ferons par nos propositions destinées à conforter un projet qui dessine une nouvelle orientation pour l'agriculture de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). M. Germain Gengenwin - Il nous est demandé aujourd'hui de nous prononcer sur une réforme censée fixer les contours de l'agriculture française des prochaines décennies. Vous voulez une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Nous aussi. Mais nous, nous ne remettons pas pour autant en cause, comme vous le faites, la fonction de production et par la même occasion la capacité exportatrice de notre agriculture. Nous souhaitons donc voir remanié l'article premier, qui fixe les objectifs de la politique agricole. Les travaux de la commission l'ont déjà sensiblement amélioré ; j'espère que le Gouvernement se ralliera à la rédaction proposée par celle-ci. Et j'en profite pour saluer l'esprit d'ouverture du rapporteur face à certains amendements de l'opposition. Nous sommes à la veille d'échéances internationales majeures telles que la réforme de la PAC et les négociations relatives à l'Organisation mondiale du commerce. La question qui se pose à nous aujourd'hui n'est pas : "Faut-il une loi d'orientation agricole ?", mais "est-ce le moment opportun pour faire voter une loi d'orientation ?" et "le projet qui nous est présenté prend-il en compte les nouvelles orientations européennes du paquet Santer ?" La réponse est non. En effet, à l'article premier, il n'y a aucune référence à la politique agricole commune, alors qu'il est inconcevable de fixer les contours de l'agriculture de demain sans tenir compte du contexte européen et international ! Faute d'un minimum de cohérence entre la politique française et la PAC, le présent texte serait obsolète avant même d'être voté ! La commission a là aussi amélioré les choses. Ce projet est réducteur car, dès son exposé des motifs, il nie la vocation économique de l'agriculture et du même coup la vocation exportatrice de la France, alors que l'agriculture contribue à hauteur de 70 milliards à l'excédent de la balance commerciale française et que la France est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles. N'oublions pas non plus la mission qui peut être la sienne dans l'approvisionnement alimentaire mondial ! A moins bien sûr que nous ayons fait le choix d'abandonner cette mission aux Etats-Unis, qui deviendraient ainsi les seuls maîtres de l'arme alimentaire... Présenté comme l'innovation majeure de la loi d'orientation, le CTE a pour objectif d'inscrire l'exploitation agricole dans une démarche contractuelle et de rétribuer d'autres fonctions que la production, force est de constater qu'il ne suscite guère d'enthousiasme dans nos régions. Notons aussi que le financement du dispositif n'est pas à la hauteur des ambitions affichées. 12 000 contrats crédités de 300 millions pour 1999, c'est bien modeste. D'autant qu'il ne s'agit pas de financements nouveaux mais d'un redéploiement des moyens, qui suppose la réduction d'autres lignes budgétaires. La faiblesse des moyens que vous consacrez au CTE montre que vous doutez d'entrée de jeu de l'efficacité du dispositif. Bien sûr, il n'y a aucune obligation à contracter un CTE, mais puisque cela deviendra un passage obligé pour l'obtention des aides, les demandes afflueront. Il faudra donc trouver de nouvelles sources de financement. Allez-vous transférer cette charge sur les régions et les départements, comme les exploitants s'y attendent ? Certes les collectivités participent déjà au financement de la politique agricole mais de grâce, laissez-leur la responsabilité d'engager leurs fonds conformément à la diversité de leurs situations ! Vous déclariez devant la commission que le fonds de financement avait vocation à recevoir une partie des aides européennes. Celles-ci sont pourtant versées dans le cadre des organisations communes de marché. Il serait aberrant qu'elles contribuent à financer un dispositif duquel sont exclues les productions régies par les organisations communes de marché. Des explications sur le financement du CTE s'imposent donc. La mise en place des CTE est confiée au préfet après avis de la commission départementale d'orientation agricole. Celle-ci sera désormais ouverte aux représentants des écologistes et des consommateurs. L'Etat va-t-il être l'arbitre dans cette instance et que restera-t-il alors du pouvoir décisionnel des agriculteurs ? J'espère que vos réponses permettront de préciser les contours de ce CTE qui peut devenir la meilleure ou la pire des choses. Mais que reste-t-il à décider au Parlement alors que chacun sait que vous avez déjà chargé les préfets de négocier les modalités du CTE ? Quant à l'article qui définit l'activité agricole en y incluant des activités accessoires sans limite, il constitue une maladresse de vos services à l'origine d'une levée de boucliers de la part de l'artisanat. Avec mes collègues du groupe UDF nous avons fait adopter par la commission, grâce au rapporteur que je remercie, une solution équilibrée. Notre amendement 89, en précisant que le caractère accessoire des travaux réalisés avec le matériel de l'exploitation et des activités d'hébergement est apprécié au sens de l'article 75 du code général des impôts, permet en effet de clore le contentieux que vous avez suscité. L'article 39 du titre IV érige l'IGP comme cinquième sigle de qualité. Cela revient à brader la qualité et à créer la confusion dans l'esprit des consommateurs. Nous y sommes donc opposés et avons déposé à ce sujet un amendement à l'article 39. Notre groupe a d'autres inquiétudes notamment en ce qui concerne l'organisation économique des productions. Elles sont partagées par votre majorité qui a soutenu nos propositions d'amendement, ce dont je remercie M. le rapporteur. S'agissant du contrôle des structures, votre projet introduit des simplifications, mais nous sommes opposés à l'amendement de la commission qui l'a durci. M. le Président - Il faut conclure. M. Germain Gengenwin - Ce contrôle risque de devenir inutile compte tenu de la déprise croissante des terres agricoles dans certaines régions. Le volet fiscal constitue une lacune majeure de ce projet. Une loi d'orientation sans mesures fiscales assurant à l'agriculture la compétitivité nécessaire pour relever les défis à venir ne mérite pas son nom. Je crois savoir que votre majorité demande l'extension de la dotation pour investissement aux parts de coopératives. Le groupe UDF proposera des amendements dans ce sens. Il faudrait également assurer la compétitivité de nos exportations par un allégement des charges sociales. On pourrait pour cela extraire le revenu du capital de leur assiette. C'est en fonction de vos réponses à nos interrogations et à nos questions que le groupe UDF déterminera sa position (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Michel Suchod - A un an de l'ouverture des négociations de l'OMC sur l'agriculture, le Gouvernement prend à bon escient l'initiative de réorienter notre politique agricole afin de stopper le mouvement de concentration qui risque de faire disparaître des milliers d'exploitations. Je m'étonne dans ces conditions que M. Vasseur considère, puisqu'il pose la question préalable, qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Si l'on songe aux grandes lois de 1960, 1980 ou 1995 et au fait que l'agriculture contribuait l'an dernier pour 65 milliards de francs à l'excédent de notre balance commerciale et employait 680 000 chefs d'exploitation, 300 000 aides-familiaux et 140 000 salariés permanents, on voit l'utilité d'une loi d'orientation. Une telle loi était nécessaire pour répondre à quatre défis : celui du nombre d'agriculteurs et du type d'agriculture que nous souhaitons ; celui du pouvoir économique des agriculteurs dans les filières face au secteur si concentré de la commercialisation ; celui de la localisation des bassins de production et, enfin, celui de la préservation des ressources naturelles et du paysage. Face à ces marchés agricoles de plus en plus concurrentiels et à des exigences de plus en plus fortes de la société à propos de l'environnement comme de la santé publique, les députés du Mouvement des citoyens se félicitent du volontarisme de votre projet de loi. Sa principale innovation est de contractualiser des subventions jusqu'alors versées proportionnellement aux volumes produits, donc à la taille des exploitations, de sorte que le revenu moyen d'un agriculteur de la Creuse est près de vingt fois inférieur à celui d'un agriculteur de l'Aube. Les CTE favorisent un développement plus harmonieux du territoire ; ils privilégient la multifonctionnalité des agriculteurs et une agriculture de qualité. Mais le budget qui leur est alloué, soit 450 millions de francs la première année, paraît bien modeste, même s'il ne s'agit pas d'un effort financier en année pleine, en regard des 70 milliards de subventions directes. D'autre part, ne doit-on pas craindre, avec le Président de la République, que ce projet ne prélude à une renationalisation partielle de la PAC et ne distende une solidarité dont nous sommes bénéficiaires ? C'est pourquoi il est souhaitable que des crédits communautaires contribuent au financement du CTE. Les coopératives et les mutualités, notamment dans le domaine vinicole, manifestent également leur intérêt pour une contractualisation. Pour le contrôle des structures, nous prenons bonne note de vos idées et partageons votre souci d'un contrôle accru, nécessaire pour revitaliser le tissu rural et favoriser l'installation des jeunes. Mais le dispositif doit être amélioré afin que les agriculteurs les mieux informés ne maintiennent pas fictivement des structures. La traçabilité et la lisibilité de la qualité des produits sont nécessaires, mais la multiplication des règles ne risque-t-elle pas d'ôter tout crédit à cette politique ? La nouvelle définition de l'activité agricole que vous proposez a le mérite d'être large, mais elle risque d'entraîner des distorsions au détriment des artisans. Il faudrait définir plus strictement la notion d'activité accessoire. Avec mon collègue Desallangre, nous avons déposé des amendements visant à plafonner les avantages fiscaux. Il y a aussi la question des retraites agricoles, à propos desquelles la commission de la production a eu raison de préciser l'objectif de la loi. Un effort important a déjà été consenti dans le budget 1998 et le MDC souhaiterait qu'on arrive d'ici la fin de la législature à 55 % du SMIC : objectif modeste, au regard des 75 % réclamés par M. Mitterrand puis par M. Chirac. Il faudrait, pour y parvenir, consentir dès cette année un petit effort supplémentaire, afin par exemple de porter les retraites les plus faibles au niveau du minimum vieillesse. La réflexion que vous conduisez sera très utile pour l'agriculture, mais elle resterait vaine si on ne conduit pas une double bataille : la première pour la PAC, qui était à l'origine, ne l'oublions pas, la contrepartie de l'acceptation par la France de la baisse des droits sur les produits industriels ; la seconde au niveau de l'OMC, afin de défendre les spécificités agricoles des grandes régions du monde. Nous savons que vous êtes engagé personnellement dans ces combats difficiles, c'est l'une des raisons pour lesquelles nous tenons tant à ce que vous restiez à la tête de votre ministère (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Jean Proriol - Votre projet ne répond pas à son titre, ce n'est pas une vraie loi d'orientation. Orienter, c'est en effet "donner une direction déterminée", et la loi d'orientation, est celle qui "fixe la politique à réaliser dans un domaine en un temps plus ou moins long". S'agissant d'agriculture, votre premier article aurait dû dire que la production est l'objectif essentiel de l'utilisation de l'espace agricole. M. Jean Michel - C'est un pléonasme ! M. Jean Proriol - Votre texte ne hiérarchise pas les trois fonctions que vous assignez à l'agriculture. Nous ne mettons pas en cause votre bonne volonté, ni celle du président et du rapporteur de la commission. Mais pourquoi s'est-on autant éloigné du sujet ? Vous aviez pourtant l'exemple de la loi Debatisse... M. Jean Michel - Parlons-en ! M. Christian Jacob - Un peu de respect ! M. Jean Proriol - Et l'exemple d'Edgar Pisani qui avait négocié la PAC en 1961. Vous disposiez aussi du projet Vasseur et des contributions fournies par les agriculteurs. Malgré tout, vous avez manqué le rendez-vous, ce sont les professionnels qui le disent. Plusieurs députés socialistes - Non ! M. Jean Proriol - Nous n'avons pas dû rencontrer les mêmes. Luc Guyau, président de la FNSEA, s'inquiète du manque de cohérence de la loi. Jean-François Hervieu, président de l'APCA, estime que "le projet reste à rééquilibrer"; quant à Paul Coste, il relève "qu'un bon concept ne suffit pas à faire une bonne loi". M. Jean Michel - Il est de la Haute-Loire ! M. Jean Proriol - Ce qui n'enlève rien à son mérite ! (Sourires) Dans ce projet, nous constatons d'abord des lacunes préoccupantes que nous avons cherché à combler en commission, mais sans grand succès. A propos de la fiscalité, c'est un silence assourdissant. Or la modernisation de la fiscalité des entreprises agricoles est un chantier majeur, qui ne doit pas être laissé en marge d'une loi d'orientation. Il n'y a presque rien sur la transmission des entreprises, alors que les jeunes agriculteurs représentent l'avenir, rien non plus sur l'harmonisation communautaire ou les obligations du commerce international, que la France s'est engagée à respecter en signant les accords de Marrakech. Notre agriculture ne sortira pas grandie si l'on oppose préservation des territoires et présence sur les marchés, et un minimum de cohérence est indispensable. Il n'y a rien sur deux grandes dames de notre agriculture, la forêt et la montagne. La forêt fait pourtant partie intégrante de l'agriculture -voyez l'article L. 311-1 du code rural. Quant à la montagne, c'est un territoire sensible, surtout herbager, et "le paysan de montagne est l'espèce la plus menacée". Les indemnités compensatrices de handicaps naturels seront-elles soumises un jour à la signature d'un CTE ? Il n'y a rien non plus sur les retraites. Les gouvernements Balladur et Juppé ont débloqué près de 5 milliards pour ce dossier entre 1993 et 1997. Vous proposez 1,2 milliard de francs pour les petites retraites agricoles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais au-delà, quelles perspectives ? Le 8 octobre, à Bourg-en-Bresse, vous entendrez la clameur des retraités de l'agriculture ! Autant de sujets sur lesquels une loi d'orientation n'aurait jamais dû faire l'impasse. Mais venons-en à votre texte : il nous paraît ambigu et déséquilibré. Ambigu, d'abord, le CTE : s'il devait être une mesure d'accompagnement à la restructuration agricole, pourquoi pas ? Mais il sera géré de façon statique et administrative et financé par divers redéploiements -et ce ne sont pas 12 000 CTE à 20 000 F qui feront une politique agricole. Comme le disait Luc Guyau dès janvier, on ne va tout de même pas payer des gens pour rester là, en leur demandant de produire le moins possible ! Et le fait d'aller chez le préfet n'y changera rien. M. Jean Michel - Vous confondez avec le PACS ! (Rires) M. Jean Proriol - La comparaison vient en effet à l'esprit. Autre grande trouvaille, "l'indication géographique protégée", qui inquiète fort les professionnels. Pourquoi créer un cinquième signe de qualité après les AOC et autres labels, qui ne sont pas si faciles à obtenir. La succulente lentille du Puy a mis soixante ans pour obtenir ce titre de noblesse. M. Jean Michel - Et de qualité ! M. Jean Proriol - Le nouveau système va introduire la confusion et je crains que l'Europe élimine nos AOC à court ou moyen terme. Vous-même l'avez reconnu le 2 octobre à Besse-en-Chandesse : la Commission européenne est bien muette sera l'avenir des AOP laitières. Comme le disait M. Baylet avec verve, "qu'on nous laisse manger nos fromages fermentés en paix et qu'on ne soit plus à la botte des technocrates de Bruxelles !" D'autre part, ce texte ne précise pas les rapports avec l'artisanat et le commerce. Mais le rapporteur a accepté des amendements à ce sujet, nous y reviendrons. Ce texte est également déséquilibré, en ce qui concerne par exemple le statut des personnes et des entreprises. Vous réussissez le tour de force de ne pas définir les activités agricoles, de ne pas parler d'entreprise agricole, de ne pas préciser la notion d'exploitant agricole sauf à la suite d'amendement. Or, pour nous, les agriculteurs sont d'abord des entrepreneurs. La partie relative à l'organisation économique des producteurs est insuffisante. Comme le martèle la FNSEA, seul un pouvoir économique fort leur permettra de maîtriser l'accès aux marchés et de rééquilibrer les relations au sein des filières. Je cherche toujours dans ce texte ce qui permettra de se battre avec une grande distribution, toujours plus concentrée et une industrie agroalimentaire toujours plus internationalisée. Je cherche aussi en vain de nouvelles orientations pour l'enseignement et la formation. Le futur paysan, à la tête d'une entreprise complexe, devra maîtriser toutes les techniques. "Autant vaut l'homme, autant vaut la terre". C'est donc une loi d'un vert bien pâle que vous proposez. La France est un pays de référence pour l'agriculture. Ses positions sont attendues. Mais vous adoptez une attitude défensive. Cela posera des problèmes d'harmonisation entre cette loi et les projets communautaires, et risque de faire naître une agriculture à deux vitesses. Pour le groupe Démocratie Libérale et Indépendants, une loi d'orientation agricole devrait avoir comme ambition de : consolider une agriculture conquérante, exportatrice ; créer et développer des exploitations performantes et durables ; anticiper, diversifier et innover ; promouvoir les démarches de qualité ; prendre en compte l'agriculture des zones de montagne avec des productions à l'herbe et à prix différenciés ; préserver terres et paysages ; participer à l'animation du territoire. Certains de nos amendements ont été retenus. D'autres ne l'ont pas été. Le groupe Démocratie Libérale ne peut donc en l'état approuver ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mme Béatrice Marre - Ce projet est pertinent, on l'a dit. Pour ma part, j'insisterai sur son articulation avec la réforme de la PAC et les négociations de l'OMC à partir du 1er janvier 2000. S'agissant de la PAC, si plusieurs des objectifs affichés par la Commission européenne pour justifier cette réforme correspondent à des analyses auxquelles nous pouvons souscrire, ses propositions sont, à nos yeux, largement contestables et, de fait, contestées. A l'inverse, l'innovation centrale de cette loi, le CTE, constitue une réponse pertinente aux défis qu'affronte l'agriculture. Que l'on cesse donc d'affirmer que la loi d'orientation préparerait l'agriculture française à accepter avec résignation des propositions de la Commission. C'est confondre anticipation intelligente et capitulation sans condition. Prenons quatre des objectifs affichés par la Commission. On constate à quel point le CTE y répond. Il s'agit d'abord de conforter la production agricole dans sa fonction première d'activité économique, source d'un revenu agricole stable et également réparti. Pour cela, les propositions de réforme des organisations communes de marché constituent une solution contestable. La production reste le coeur de l'activité agricole. Mais la vocation exportatrice de la France ne repose pas sur une baisse généralisée des prix. Elle passe aussi par la production de produits à forte valeur ajoutée, ce qui est précisément un des objectifs majeurs du CTE. En second lieu, la commission innove en faisant du développement rural un "second pilier" prenant en compte la totalité de l'espace rural. Pourtant le poids de l'agriculture dans la richesse nationale a diminué. Parallèlement, les besoins des autres catégories se font davantage sentir -qu'on pense aux 18 millions de chômeurs que compte l'Europe- et les contraintes budgétaires obligent à peser chaque dépense. Or la PAC "pèse" 55 % du budget communautaire en 1997. Cela ne peut que susciter la réflexion. Aussi faut-il que l'aide publique à l'agriculture soit légitime aux yeux de tous les citoyens. Il est donc nécessaire de mieux maîtriser les dépenses et de s'interroger sur leur efficacité économique globale. Ainsi donc, pour éviter que la PAC, qui est irremplaçable ne devienne une variable d'ajustement du budget communautaire, nous devons renforcer sa légitimité en faisant valoir ses autres missions au sein de l'espace rural. La fameuse formule "nous sommes fiers d'être aussi les jardiniers de la France", c'est M. Debatisse qui l'a prononcée, dès 1960. Le CTE répond à cette préoccupation et en constituera le cadre le plus adapté. La troisième orientation porte sur l'emploi. L'agriculture doit prendre en compte cette grande avancée du si décrié traité d'Amsterdam. Chaque Etat pourra déterminer un seuil au-dessous duquel il sera possible de réduire le versement des aides directes. Compte tenu de l'importance du chômage et de la dangereuse diminution de l'emploi en agriculture, chacun mesure l'importance de cette ouverture. La quatrième orientation concerne l'environnement. Les citoyens aspirent à la préservation des ressources naturelles et à la sécurité alimentaire. Cela doit se traduire par des mesures concrètes. Introduire comme critère de modulation des aides l' "éco-conditionnalité", c'est reconnaître que la PAC a contribué trop souvent au développement de pratiques agricoles néfastes pour l'environnement et la préservation des ressources naturelles. Avec le CTE, la France utilise, la première les possibilités que donne la subsidiarité dans ce domaine. On peut s'en féliciter. Si elles sont contractualisées, les aides publiques à l'agriculture -légitimes, répétons-le- acquerront plus de transparence et par conséquent de légitimité. Le CTE, d'abord destiné à conforter la production, mettra aussi en évidence la place que tiennent les agriculteurs dans la gestion de l'espace rural. En second lieu, la loi -et le CTE- nous mettent en position favorable pour les négociations commerciales internationales. Le futur cycle de négociations qui commencera en janvier 2000 aura pour objectif une libéralisation accrue des échanges, donc une réduction de l'intervention publique. On y demandera un durcissement des critères d'exclusion des aides directes dans le cadre de la "mesure globale de soutien à l'agriculture", autrement dit un découplage des aides publiques et de la production. Le CTE repose sur des aides déjà en grande partie découplées. Elles entrent donc dans la "boîte verte" des aides qui n'ont pas d'effet sur le niveau de production, et non dans les "boîtes" bleue et orange, pour lesquelles se concertera la négociation. Mais l'Union européenne ne devra pas accepter que cette négociation se limite au soutien à l'agriculture. Elle devra se battre pour qu'elle porte sur la fixation des mesures sanitaires et alimentaires de haut niveau. On ne saurait en effet brader notre modèle européen pour libéraliser encore les échanges. En vue de ces négociations internationales, l'importance accordée par la loi ainsi que dans le budget 1998 à la sécurité alimentaire et à la qualité nous permettra aussi de peser dans la bataille des normes. Cette loi d'orientation constitue une refondation de l'agriculture française, en ce qu'elle conforte le rôle économique de l'agriculture, en incitant les agriculteurs à accroître la valeur ajoutée de leurs produits, qu'elle conduit à des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement, à la prise en compte de la nécessaire création d'emplois en agriculture, et enfin, rend aux agriculteurs un rôle central dans le milieu rural et dans l'équilibre de ses territoires. Ce projet de loi d'orientation offre également avec le CTE une bonne alternative aux propositions peu acceptables de la Commission européenne. Il servira également à la France de point d'appui solide lors des négociations du prochain cycle de l'OMC. Restera à convaincre nos partenaires. Ce ne sera pas le plus facile (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Arnaud Lepercq - Une loi d'orientation agricole était-elle utile ? Oui, comme l'avait solennellement déclaré, il y a deux ans, le Président de la République à l'assemblée générale de la FNSEA. Ce texte est-il vraiment une loi d'orientation ? Non, le CTE ne sera qu'un carcan de plus imposé à nos agriculteurs tandis que les moyens financiers prévus risquent d'aboutir à un marché de dupes. Les agriculteurs devront accepter des contraintes supplémentaires sans que l'Etat leur apporte une contrepartie satisfaisante. Je ne mets pas en doute votre bonne volonté, Monsieur le ministre, et je partage le constat que vous avez dressé ce matin. Mais où sont les moyens qui permettraient à plus de jeunes de s'installer, ce qui est plus indispensable que jamais ? Où sont les mesures qui permettraient de corriger les disparités de revenus entre éleveurs et céréaliers ou producteurs d'oléo-protéagineux ? Celles qui permettraient aux régions intermédiaires où les agriculteurs ne peuvent pas modifier leurs productions pour bénéficier des aides nationales et européennes, de surmonter leurs handicaps ? Comment allez-vous encourager l'installation des jeunes agriculteurs par la voie du fermage alors que vous excluez, pour des raisons strictement idéologiques, les bailleurs des commissions départementales d'orientation de l'agriculture ? En fait, vous allez alourdir les charges financières des candidats à l'installation ou pousser les propriétaires à vendre leurs terres en fin de bail, ce qui favorisera les agriculteurs installés qui agrandiront leurs exploitations. Beaucoup d'agriculteurs et d'éleveurs, notamment les moins jeunes, ne pourront pas s'adapter aux contrats proposés. Songez que dans ma région, 40 % d'entre eux sont encore au forfait ! Ils se trouveront encore un peu plus marginalisés alors même qu'on ne leur propose plus de préretraite. Non, cette loi n'apporte pas la réponse que souhaitaient à la fois le Président de la République et le monde agricole. Très réservés, nous attendons que vous apaisiez toutes ces inquiétudes et pour l'heure, considérons ce rendez-vous comme celui des occasions manquées (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR du groupe UDF et du groupe DL). M. Jacques Le Nay - Comment préparer l'agriculture française à entrer dans le XXIème siècle ? Son avenir est étroitement lié aux décisions européennes et à la réforme de la PAC. Or ce projet de loi est, sur bien des points, aux antipodes des mesures proposées par la Commission européenne. Nous attendons, Monsieur le ministre, que vous nous expliquiez comment dépasser ces incohérences. Nous avons besoin de réponses claires et de garanties sérieuses. Il faut en effet assurer à notre pays une agriculture durable, à taille humaine, capable de résister au démantèlement des interventions européennes, à la fin de la préférence communautaire et à la rude concurrence des marchés mondiaux, où certains pays qui n'ont que faire des contraintes environnementales et sociales tirent les prix vers le bas. Les CTE placent le territoire au coeur des préoccupations. L'idée d'une contractualisation est bonne en elle-même mais, tel que présentés, ces contrats présentent bien des lacunes, et surtout ils pâtiront d'un manque de moyens qui peut être source d'inégalités. Avec le budget alloué en 1999, seules 12 000 exploitations sur 400 000 pourront y prétendre. A ce rythme, il faudra trente ans à l'Etat pour honorer la totalité des contrats. Enfin, il faudra se garder de toute dérive bureaucratique tatillonne. Evitons la sur-administration ! Qu'on affirme la multifonctionnalité de l'agriculture et la nécessité de sa diversification pour apporter plus de valeur ajoutée, j'en suis d'accord. Mais que l'on veuille faire de nos agriculteurs des fonctionnaires de l'espace rural et les jardiniers de l'Etat, je ne peux l'accepter. J'aborderai maintenant la question des retraites agricoles. Je vous ai, à plusieurs reprises, interrogé sur l'injustice criante dont sont victimes les anciens agriculteurs et leurs conjoints. Comment peut-encore verser, à trimestre échu, des pensions de misère à des personnes qui ont travaillé toute leur vie dans des conditions particulièrement difficiles ? La question vaut d'ailleurs pour d'autres professions aussi mal loties comme les artisans ou les petits commerçants. Il faut enfin accorder aux retraités agricoles, qui le réclament depuis longtemps, 75 % du SMIC, comme le leur ont d'ailleurs successivement promis MM. Mitterrand et Chirac. Il s'impose, enfin, de mensualiser les pensions. L'effort à consentir n'est pas insurmontable : mettons à profit la croissance pour procéder aux ajustements nécessaires. J'en viens au délicat problème de l'installation des jeunes qui a toujours été une priorité des lois agricoles depuis 1962 et qui n'a pourtant jamais été résolu. Pour le jeune qui a trouvé une opportunité pour s'installer, le plus dur reste à faire. Comment sans autofinancement, sans aide parentale, trouver les concours bancaires nécessaires pour acquérir un minimum de matériel, de terres, de moyens de production ? L'installation devient rapidement une opération hasardeuse, avec les sommes à engager. La charge foncière est telle que le jeune, qui a franchi l'obstacle de l'acquisition, risque de passer le reste de sa vie à rembourser l'achat de ses terres, ce qui l'entravera pour moderniser son outil de travail. Pourquoi donc ne pas s'inspirer des incitations financières prévues pour les bailleurs en matière de logement locatif et favoriser les acquisitions foncières et immobilières destinées à être louées à long terme à de jeunes agriculteurs ? Notre préoccupation à tous est de maintenir en France une agriculture durable s'appuyant sur un tissu de petites et moyennes exploitations, aujourd'hui les plus vulnérables face aux enjeux futurs qui consisteront à proposer des produits d'excellente qualité et sains dans un cadre environnemental préservé, face à une concurrence internationale impitoyable. Il existe aujourd'hui deux visions du marché diamétralement opposées. Il faudra que l'Etat ait la ferme volonté de mener une politique agricole offensive, en restant présent sur tous les marchés, pour les rapprocher. Malheureusement, les moyens financiers de ce projet de loi ne sont pas à la hauteur des ambitions légitimes de l'agriculture française (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. François Goulard - Les parlementaires de l'opposition abordent ce débat dans un esprit constructif, sans vous faire, Monsieur le ministre, aucun procès d'intention. Vous êtes sans doute un défenseur sincère des intérêts de l'agriculture, même si nous ne partageons pas toutes vos conceptions et n'approuvons pas, tant s'en faut, toute votre action. Vous n'avez d'ailleurs pas la partie facile dans un Gouvernement dont les principaux membres n'ont pas d'attaches rurales et qui comprend même des adversaires de l'agriculture que nous souhaitons, comme le ministre de l'environnement qui la verrait bien retourner au Moyen Âge (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les députés du groupe DL apprécient que des discussions aient été engagées avec les organisations agricoles, qui ont un grand sens de leurs responsabilités, et que nombre des amendements qu'elles ont suggérés aient été adoptés. Pour autant, en tant que député du Morbihan, où l'agriculture est un secteur particulièrement important et dynamique, je partage les inquiétudes exprimées la semaine dernière par le Président de la République. Deux voies divergentes s'offrent à nous. Nous craignons que l'on s'engage dans celle qui conduirait au déclin de notre agriculture. La voie que nous refusons totalement, dont l'esquisse se dessine dans certaines parties de votre projet, consisterait à fonctionnariser progressivement nos agriculteurs, à abandonner l'ambition de figurer dans la compétition internationale, à se résigner à la disparition progressive de la PAC. Renonçant à voir dans l'agriculture un secteur à part entière de notre économie, on proposerait aux agriculteurs de devenir des cantonniers du territoire. M. le Rapporteur - Caricature ! M. François Goulard - Le CTE me semble pernicieux, car il modifie totalement la logique de l'intervention publique, risque d'être financé au détriment des autres politiques agricoles et d'introduire encore plus de bureaucratie dans un secteur qui ne l'accepte pas. La formidable mutation de notre agriculture a transformé les paysans d'antan en chefs d'entreprise conscients de leurs responsabilités. Obtenir des produits de qualité, capables de s'imposer sur les marchés mondiaux, incorporant de plus en plus de valeur ajoutée et présentant les meilleures garanties sanitaires : tel est l'objectif que nous devons assigner à notre agriculture. N'oublions pas que nos entreprises agroalimentaires dépendent de productions locales répondant à ces exigences. Voilà pour la perspective d'ensemble, décrite avant moi par de nombreux collègues, dont Philippe Vasseur et Jean Proriol. Je voudrais, pour ma part, évoquer deux points particuliers. On connaît l'importance de l'enseignement agricole, qui comporte, comme l'ensemble de notre système éducatif, un secteur public et un secteur privé, très développé. Or l'enseignement agricole privé ne semble pas faire l'objet de toute la sollicitude du Gouvernement. Ainsi, dans l'enseignement supérieur privé, très mal servi cette année, la dotation par élève sera de 30 000 F, trois fois moins que dans le public. J'apprécierais beaucoup, Monsieur le ministre, que vous vous exprimiez sur ce point, même très brièvement. M. le Président - Veuillez conclure. M. François Goulard - Autre sujet de préoccupation, les retraites agricoles. M. Le Nay en a parlé. Nous connaissons tous la situation et ses causes. Je crois indispensable que le Gouvernement consente un important effort de rattrapage en faveur des anciens exploitants, de leurs conjoints et des veuves. C'est une question de justice sociale. Aussi déterminant que ce texte sera l'esprit dans lequel il sera appliqué. Aussi significative que ses dispositions sera sa traduction budgétaire. Plus lourde de conséquence que la loi d'orientation sera la façon dont on défendra notre agriculture à Bruxelles. Vous nous trouverez sur ce point particulièrement vigilants, notre vigilance étant à la mesure de nos inquiétudes (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mme Marie-Hélène Aubert - Que de chemin parcouru depuis la réforme de la PAC en 1992 et les accords du GATT, combattus par les Verts à l'époque pour les raisons qui vous opposent maintenant, Monsieur le ministre, au paquet Santer. C'est avec plaisir que nous entendons aujourd'hui un discours "écologiquement correct" sur presque tous les bancs de cette assemblée. Nous avons au moins gagné la bataille des mots. Voilà un projet qui tombe à point nommé, au moment où se négocie la réforme de la PAC et où se profilent les discussions de l'OMC. Quel modèle agricole voulons-nous promouvoir ? Celui qui se donne une vocation exportatrice, avec pour mission de nourrir le monde ? Celui qui s'approprie le vivant en créant des organismes génétiquement modifiés dont personne n'a vraiment besoin ? Celui qui tolère la viande aux hormones du moment qu'elle est étiquetée ? Tel est le modèle que nous propose la Commission européenne, sous la pression des puissances américaine et australienne ainsi que des multinationales de l'agroalimentaire et de la phytopharmacie. De ce modèle, nous ne voulons pas. Opaque et complexe, il est synonyme de gabegie des fonds publics, de concentration, de suppressions d'emploi et de dégradation des ressources naturelles. Si la lutte contre le dopage s'appliquait aussi aux exportations agricoles, il n'y aurait plus grand monde en piste. Faut-il rappeler ce que coûte au budget européen le soutien à l'exportation ? Dans la course aux marchés, tous les pays trichent un peu. Les chantres du libéralisme sont les plus virulents à demander l'aide de la collectivité quand les cours s'effondrent, en cas de surproduction. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. De 1988 à 1997, nous sommes passés de 1 017 000 à 679 800 exploitations. Des milliers d'emplois induits ont disparu. Et que dire de la dégradation des sols et des eaux ? Il est désolant qu'on propose à nos enfants des produits à l'origine et au goût indéfinissables, bourrés de graisse, d'additifs et de conservateurs. La PAC devient folle. C'est peu de dire qu'une remise à plat s'impose, et vous le savez. Qu'une partie des aides soit ou non prise en charge par les Etats, nous ne pouvons nous dispenser de nous interroger sur leur finalité et sur leur impact. C'est pourquoi une loi d'orientation agricole est plus que jamais nécessaire : une loi qui parie davantage sur l'innovation et la créativité que sur la propension de chacun à oublier ses responsabilités. C'est tout le sens du CTE, qui ne doit pas être dévoyé. Il faudra rendre plus démocratiques, pluralistes et transparentes certaines structures, favorables au seul productivisme. Ce contrat devra être souple et pratique, mais aussi clair et exigeant. Il faudra aussi éviter de mettre en place un système trop bureaucratique, comme l'est déjà la PAC. Articulé avec les projets de pays et cohérent avec les démarches globales, ce contrat devra être motivant et financé de manière conséquente. Il faudra prévoir un plafond, afin que l'argent n'aille pas, une nouvelle fois, aux plus riches. Par ailleurs, l'amélioration du statut des conjointes, le contrôle des structures, l'organisation et le développement des labels de qualité, la reconnaissance de l'agriculture biologique, le souci de la préservation des ressources naturelles et de gestion de l'espace rural, les efforts en faveur d'un enseignement agricole mieux adapté, tout cela va dans le bon sens, même si le projet doit être complété ou précisé. C'est le but des amendements que nous avons déposés. En définitive, nous devons choisir entre deux types d'agriculture : l'une tournée vers les rendements et les retours financiers, considérée à tort comme la seule réalité économique, et l'autre, multifonctionnelle, qui concilie rentabilité et qualité, préserve l'emploi et les ressources naturelles, équilibre enfin les rapports Nord-Sud... Ces deux agricultures ne peuvent coexister durablement. Dans un contexte néo-libéral, la première marginaliserait la seconde, dont les produits seraient réservés à une clientèle de gourmets aisés. Nous comptons sur votre détermination, Monsieur le ministre, pour parler haut et fort, à Paris comme à Bruxelles. Quelques mots de chauvinisme pour conclure : il est de bon ton de fustiger mon département, l'Eure-et-Loir, et son productivisme acharné. C'est la caricature du Beauceron âpre au gain et indifférent à la nature qui l'entoure. S'il n'y a en effet que peu de choses à attendre d'un certain lobby, on trouve dans la Beauce et dans le Perche bon nombre d'agriculteurs qui placent beaucoup d'espoir dans cette loi d'orientation. Ne les décevons pas. Comme en Bretagne, Monsieur le ministre, nous voulons en finir avec le gigantisme, avec un système aberrant qui ne profite qu'à quelques-uns et fait payer les dégâts à la collectivité. Ça suffit ! Il y a place en France et en Europe pour une agriculture de qualité, rémunérant les producteurs au juste prix et fournissant une alimentation saine. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour réaliser cette grande ambition. Vous pouvez compter sur nous si vous nous démontrez clairement qu'elle est vôtre. Mais nous n'en doutons pas (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. le Président - Je prie les orateurs de respecter leur temps de parole. M. Germinal Peiro - J'aurais aimé intervenir sur les grands axes de ce projet : l'installation des jeunes agriculteurs, l'organisation économique, le volet social ou la gestion de l'espace agricole et forestier. Comme vous, je crois nécessaire de réorienter une politique agricole qui, depuis le début des années 60, a certes fait de la France le deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires, mais qui a aussi concentré 80 % des aides publiques sur 20 % des agriculteurs et fait disparaître des centaines de milliers d'exploitations. Le temps m'étant compté, je concentrerai mon propos sur le problème des retraites des non-salariés agricoles. Il concerne deux millions de nos concitoyens. Vous savez que les retraites agricoles sont les plus basses de notre système de protection sociale. Bon nombre de nos aînés vivent en deçà du minimum vieillesse, malgré l'intervention de la solidarité nationale grâce à laquelle, via le budget annexe des prestations sociales agricoles, sont financés 85 % des pensions versées. La première cause de cette situation est bien sûr l'érosion démographique de la profession, qui compte un actif pour trois retraités. Ainsi, les retraités agricoles sont directement victimes d'une politique qui a vidé les campagnes de notre pays. La deuxième cause tient à la faiblesse des contributions versées au titre de l'assurance vieillesse. Le régime d'assurance vieillesse agricole n'a été rendu obligatoire qu'en 1952 et les contributions, calculées sur le revenu cadastral, étaient très faibles pour les petites exploitations familiales. De plus, il n'existait pas -et il n'existe toujours pas- de régime complémentaire obligatoire. La responsabilité de cette situation n'incombe pas aux retraités agricoles. Replaçons-nous un instant dans le contexte de l'après-guerre : en Bretagne, en Alsace, dans le Périgord et dans toute la moitié sud de la France, les petites exploitations agricoles étaient gérées en famille, sur une surface ne dépassant guère une dizaine d'hectares, et vivaient en quasi autarcie. Dans la formidable mutation qui a suivi, la société tout entière avait intérêt au maintien de prix agricoles aussi bas que possible, ce qui excluait d'accroître les charges des agriculteurs. Personne n'a alors pensé au confort de leurs vieux jours. Il appartient aujourd'hui aux jeunes générations de se montrer solidaires, sachant que la plupart des retraités vivent seuls et ne peuvent plus faire face aux dépenses de la vie courante, sachant aussi que la plupart d'entre eux ont vu la valeur foncière et locative de leurs biens chuter et ne peuvent plus compter sur des revenus annexes pour compléter leur modeste pension. Depuis quinze mois, le Gouvernement s'est engagé dans un plan pluriannuel de revalorisation des retraites. L'effort pour 1998 et 1999 atteint 2,6 milliards, ce qui est sans précédent. M. Christian Jacob - Si ! M. Germinal Peiro - Je salue votre action en ce domaine, Monsieur le ministre, et je souhaite la poursuite de cet effort, mais je crois par ailleurs indispensable de prévoir des aménagements du fonds social vieillesse. Il convient tout d'abord d'abaisser de 65 à 60 ans l'âge requis pour y accéder, car entre 60 et 65 ans, des situations de détresse sont à craindre, les personnes concernées n'ayant plus droit au RMI et pas encore au FSV. Il convient ensuite de relever le plafond du recours sur succession pour les bénéficiaires du FSV. Actuellement fixé à 250 000 F, il n'a en effet pas été relevé depuis 1982 et de nombreux petits retraités ne sollicitent pas le FSV de peur de grever leur modeste actif successoral. Enfin, il faudrait relever le montant du minimum vieillesse : 3 470 F par mois ne permettent pas de vivre décemment. L'ensemble de l'Assemblée se prononcera, je n'en doute pas, en faveur de l'inscription dans la loi d'orientation du principe de revalorisation des retraites agricoles. C'est pour nous un devoir allant dans le sens de la justice sociale. Il y va de la dignité de nos aînés et de l'honneur de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). M. Jean-Marie Morisset - L'agriculture doit être appréhendée dans sa globalité, sous l'angle à la fois économique, territorial, social et environnemental. Ce n'est pas ce que fait le projet. Il marque certes une orientation nouvelle par le biais du CTE, mais il souffre d'un certain déséquilibre. En effet, il aborde plus l'agriculture sous l'angle du statut que du métier ; il réduit trop l'agriculture à une activité patrimoniale ; il la positionne mal face aux enjeux du XXIème siècle que sont l'internationalisation du commerce, les biotechnologies, la sécurité alimentaire. Dire comme le fait son préambule que l'agriculture a pour seul objectif "d'être en mesure de vendre sur le marché mondial des matières premières au même prix que ses concurrents mondiaux les plus compétitifs", c'est ignorer que l'agriculture française est la première exportatrice mondiale de valeur ajoutée grâce à la qualité de son industrie agroalimentaire ; c'est ignorer qu'elle a été capable de satisfaire les marchés les plus divers, que l'agroalimentaire français représente 10 % du marché mondial, emploie 400 000 personnes et génère 60 milliards d'excédents. Maintenir l'acte de production sur l'ensemble du territoire doit être l'objectif à partir duquel articuler et hiérarchiser les différents outils de la politique agricole nationale et communautaire -prix, aides, organisation structurelle. Le CTE veut être l'un de ces outils, mais son contenu est mal défini et ses moyens incertains. Nous pensons quant à nous qu'il doit être adossé à un projet économique et cohérent avec les instruments de la PAC, faute de quoi on aboutirait à deux modes d'organisation agricole, celui régi par la PAC qui serait ouvert sur les marchés mondiaux, celui défini par la loi d'orientation qui serait, lui, centré sur le territoire. Le CTE ne doit pas être un mode de relation entre l'agriculteur et l'Etat, mais doit consacrer l'agriculteur comme chef d'entreprise. Tout individuels qu'ils soient, les CTE doivent être compatibles avec le projet agricole départemental. Il ne faudrait toutefois pas qu'ils constituent un préalable à l'attribution des aides à l'installation. Au total, ce projet nous paraît manquer d'ambition et de moyens, il ne reconnaît pas assez l'entreprise agricole en tant que telle, notamment en ce qui concerne les conditions de sa transmission, il définit mal l'organisation collective de producteurs, structure pourtant essentielle, et n'en précise pas les missions, il ne met pas suffisamment l'accent sur la politique de qualité et d'origine. Chacun sait que si cette loi est votée à Paris, son application dépendra essentiellement des décisions de Bruxelles. Nous comptons donc sur votre action, Monsieur le ministre, pour défendre des schémas économiquement viables et concrètement applicables (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Aloyse Warhouver - Votre projet, Monsieur le ministre, arrive au bon moment car la poursuite de la politique actuelle aurait été fatale à notre territoire, sans parler du paquet Santer. Pourquoi sommes-nous arrivés aux limites du supportable ? D'abord à cause du système de répartition des aides, ensuite en raison des investissements de plus en plus lourds effectués par les agriculteurs. La conséquence de six années d'une telle politique est que de l'Alsace à la Bretagne, en passant par la Champagne, vous voyez les mêmes paysages : d'immenses territoires labourés, sans arbres, sans haies, avec de temps à autre un village qui se dépeuple et partout un problème d'eau majeur. M. Christian Jacob - Ce qu'il ne faut pas entendre ! M. Aloyse Warhouver - Certes, on peut considérer que les agriculteurs ont la maîtrise foncière des sols et peuvent en faire ce que bon leur semble. Mais on peut aussi estimer que les paysages appartiennent à la communauté nationale, voire européenne, et doivent être protégés. Il conviendra en premier lieu de corriger les effets négatifs que la PAC de 1992 a eu sur eux. Conseillés par leurs syndicats, les agriculteurs ont vu la "faille" de celle-ci et classé l'essentiel de leurs herbages en "temporaires", ce qui leur permet, selon les aides accordées, de retourner à ces espaces pour produire du colza ou du maïs et percevoir les primes ad hoc. Conséquence sur l'environnement : la disparition des dernières zones humides et la pollution des eaux d'infiltration. Des villages entiers n'ont plus d'eau conforme aux normes. Avec l'arrivée massive des composts et boues urbaines, auxquels s'ajoutent des retombées industrielles de plus en plus néfastes -dioxine, métaux lourds, radioactivité-, ce phénomène va s'accentuer. Les agriculteurs en sont conscients et demandent à leurs élus de mettre en place des politiques de production qui leur permettent de durer sans se remettre en question à chaque réforme. Ils savent que des mesures de protection de l'environnement et des paysages sont nécessaires. Mais ils veulent aussi être compétitifs, créateurs d'emplois, de vrais chefs d'entreprise. A ce propos, Monsieur le ministre, s'il est vrai que le mot "entreprise" est absent de votre projet, comblez cette lacune ! Une réforme des aides s'impose, d'abord afin de garantir un revenu décent à chaque personne travaillant sur l'exploitation. Il convient ensuite de prendre en compte la surface de l'exploitation mais en fixant des plafonds pour mettre un terme à la constitution de latifundia. Il conviendra, enfin, de valoriser les spécialités de chaque région. Au total, la loi d'orientation va dans le bon sens. Reste à rendre la PAC compatible avec nos orientations, plutôt que l'inverse. Je souscris à ce qui a été dit sur la nécessaire revalorisation des retraites et terminerai par une remarque : il est demandé aux agriculteurs de s'installer hors agglomération, pour respecter les distances imposées par les règlements sanitaires, mais à peine ont-ils fait les travaux de viabilité que des maisons individuelles viennent se greffer sur les réseaux. Un peu plus de réciprocité serait souhaitable. En conclusion, Monsieur le ministre, je vous félicite pour cette importante loi d'orientation (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. Marc Laffineur - Le monde agricole a besoin de repères et d'orientations claires pour son avenir. On peut donc se féliciter du principe d'une loi d'orientation. L'agriculture n'est pas une simple profession. Elle joue un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et le développement du monde rural passe par une agriculture forte et par une politique d'installation de jeunes agriculteurs. La France a fait de longue date ce choix qui a été au principe des grandes politiques agricoles animées notamment par les ministres Jacques Chirac et Philippe Vasseur. Une loi d'orientation était nécessaire pour réaffirmer ce choix. Le Président de la République la souhaitait. Votre projet de loi n'est toutefois pas à la hauteur des enjeux. Il manque d'ambition et ne prépare pas l'agriculture au XXIème siècle. Votre projet est porteur d'un risque de fonctionnarisation. Or l'agriculture n'est pas et ne peut pas être un service public. Même si les agriculteurs ont un rôle important d'entretien de l'espace rural, ils sont avant tout des producteurs et des créateurs de richesses dont le métier est de nourrir leurs concitoyens. Les agriculteurs n'ont pas attendu votre texte pour se soucier des problèmes d'environnement. Ils sont depuis bien longtemps les premiers écologistes de France. Le financement de votre projet présente également d'importantes lacunes. Alors que le CTE est fondé sur une idée intéressante, il semble n'être que de la poudre aux yeux puisqu'il ne s'accompagne d'aucun crédit nouveau. Ce contrat sera en fait financé par redéploiement, c'est-à-dire qu'on prend ici pour donner là, sans savoir de combien l'on disposera. De même, le problème des retraites n'est absolument pas réglé. Le Gouvernement ne prend donc pas à mon sens assez en considération la réalité entrepreneuriale du monde agricole et ne garantit ni le financement des CTE ni la revalorisation des retraites. Dans ces conditions, je voterai contre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe DL). Mme Martine Lignières-Cassou - Ce projet présente la vision novatrice d'une agriculture ancrée dans le territoire. Cette loi est donc aussi une loi d'aménagement du territoire. Elle promet également une agriculture de qualité maîtrisant la production et soucieuse de contracter avec la société. Elle répond à une demande réelle puisque plus de 73 départements ont sollicité la possibilité d'expérimenter les contrats territoriaux d'exploitation. M. Christian Jacob - C'est faux. Mme Martine Lignières-Cassou - Le volet social de cette loi comporte une avancée significative, le nouveau statut du conjoint collaborateur. C'est un aspect qui a été peu souligné par les organisations professionnelles, notamment lors des auditions organisées par la commission. Ce statut institue pourtant la parité avec les autres catégories sociales pour les conjointes d'agriculteurs, notamment par la prise en charge intégrale des frais de remplacement en cas de congé maternité et par la création d'une créance de salaire différée lors du décès du chef d'exploitation. Cette loi répare également une injustice criante en donnant aux conjointes d'agriculteurs la possibilité de cotiser pour la retraite proportionnelle ou de racheter des points. Comme ce statut est optionnel, il est nécessaire qu'une grande campagne d'information accompagne sa mise en place car il ne semble pas constituer l'une des priorités des organisations professionnelles. L'article 6 a également retenu mon attention. Il porte sur la diversification des activités agricoles, activités souvent exercées par des femmes et fédérées sous l'enseigne "Bienvenue à la ferme". Il est important non seulement de poser le cadre de ces activités mais aussi de les conforter car elles constituent autant de richesses pour les agriculteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Thierry Mariani - Après une longue attente, voilà enfin le projet de loi d'orientation agricole. Il est vrai qu'il ne faisait pas partie de vos priorités absolues et que vous avez préféré vous occuper des sans-papiers et des 35 heures (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). L'ordre chronologique est parfois révélateur : les agriculteurs sont passés après. On peut dès lors s'interroger sur sa pertinence alors que les négociations sur l'OMC et sur la PAC sont si proches. Pensez-vous peser sur leur déroulement avec une loi d'orientation tout juste votée ? Certes non. Votre projet est de plus incomplet et dénature la fonction de l'agriculture. Il est tout de même inquiétant de devoir rappeler que la fonction première de l'agriculteur est de produire pour nourrir les hommes. Ce rappel est pourtant nécessaire tant votre texte est léger en la matière. Si les fonctions sociales et territoriales des agriculteurs sont largement envisagées au nom d'un développement durable qui a le vent en poupe et du souci légitime de protéger l'environnement, il est grand temps de rappeler que nos agriculteurs ne sont ni des jardiniers ni des "super-cantonniers". Ils ont vocation à produire et non à devenir les "agents d'ambiance" de nos campagnes. A trop considérer nos agriculteurs de la sorte, ce projet de loi frise par moments l'indécence (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Il ne faut pas que la gestion et l'aménagement de l'espace occultent la fonction économique de l'agriculture. A moins qu'il ne s'agisse de masquer ainsi votre incapacité à apporter des réponses économiques aux difficultés du monde agricole. Cette incapacité résulte de votre manque flagrant de moyens. Ainsi, votre mesure phare, le CTE, ne reçoit aucun crédit nouveau et doit être financé par des redéploiements. Ce sont quelque 300 millions de francs que vous allez transférer du FGER, du FIA, des offices et de divers fonds à vocation environnementale, donc d'actions existantes en faveur de l'agriculture. Lesquelles allez-vous sacrifier alors que votre budget ne vous accorde pas de grandes marges de manoeuvre ? Vous voulez dynamiser l'agriculture et pourtant vous amputez de 15,6 % le financement des préretraites, qui est l'un des pendants de la politique d'installation, et de 9,4 % le fonds pour l'installation en agriculture, soit au total 116 millions de francs supprimés. Je m'interroge également sur votre politique d'aide aux régions en difficulté, qui est pourtant une véritable locomotive pour l'emploi. Ainsi l'agriculture occupe 31,2 % de la population active du Vaucluse et génère 82 000 emplois directs et 98 500 emplois indirects en PACA. Pourtant cette région qui subit de plein fouet depuis de nombreuses années la crise des fruits et légumes figure parmi les moins aidées de France. De même, les mesures économiques pourtant indispensables sont réduites à la portion congrue ; incitations fiscales, allégements des charges, soutien à l'investissement, encouragement à l'exportation notamment pour la viticulture, autant d'aspects vitaux que votre texte passe sous silence. Les organisations économiques et les filières, qui faute de moyens et d'un statut cohérent n'ont pas toujours l'efficacité souhaitée, ne trouvent pas non plus dans votre projet de loi les encouragements nécessaires. Pourtant ce n'est qu'en se regroupant que les agriculteurs pourront acquérir le pouvoir économique fort leur permettant d'accéder aux marchés mondiaux, d'adapter leur offre aux attentes des consommateurs et d'exiger des relations loyales avec la distribution. Il ne faut donc pas agiter, comme nos collègues roses, verts, rouges l'épouvantail du Grand Capital à l'encontre du regroupement d'agriculteurs plus solidaire, condition de leur compétitivité sur le marché mondial. Toutes ces lacunes, toutes ces craintes sont le triste résultat d'une vision dirigiste et encadrée de l'agriculture française. A l'heure de la mondialisation, vous n'avez rien trouvé de mieux que le dirigisme économique ! Dans mon département, les vendanges s'achèvent, et ce sera un grand cru pour les Côtes-du-Rhône. Je crains qu'il n'en aille pas de même pour cette loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Pierre Hériaud - Depuis la loi d'orientation de 1960, beaucoup de choses ont changé ; il a fallu et il faut encore s'adapter. Ce projet veut concilier pour l'agriculture française, aménagement du territoire et environnement, capacité exportatrice, qualité des produits alimentaires. Nous ne pensons pas que l'agriculture pèsera demain s'il n'y a plus d'agriculteurs et vous avez raison, Monsieur le ministre, de souhaiter une réorientation de la politique agricole, dans le nouveau contexte mondial. Je voudrais insister sur l'organisation économique et le rôle des structures coopératives, pour la production, la transformation, l'exportation -si importante ! Il faut continuer à organiser les filières de production, de transformation et de commercialisation, avec les opérateurs économiques en place, mais l'on peut craindre que dans certaines régions la matière à transformer fasse défaut. L'expérience a montré cependant que l'existence d'outils industriels et commerciaux pérennise les bassins de production agricole. Il est donc essentiel que, dans la durée, les producteurs aient un droit de regard sur les outils qui transforment et commercialisent leur production. C'est une des raisons d'être de l'entreprise coopérative agricole, doublement liée au territoire par ses sociétaires et l'origine de ses capitaux, d'une part, par la nature de ses activités et la provenance de sa matière première, d'autre part. Or il existe aujourd'hui certaines difficultés, en raison de l'importance des besoins financiers. Il faudrait donc que la loi d'orientation complète les moyens dont disposent les agriculteurs pour exercer leur maîtrise sur les outils économiques. La loi devrait davantage inciter les agriculteurs à mobiliser des capitaux dans les outils d'aval, et en priorité dans ceux qu'ils contrôlent. De tels investissements productifs doivent pouvoir bénéficier d'avantages fiscaux. Nous souhaitons une incitation qui pourrait prendre la forme d'une extension de la DPI aux parts sociales de la coopérative, lorsque celles-ci constituent la contrepartie d'un capital finançant les investissements nouveaux -ce serait d'ailleurs une simple mesure d'équité pour les producteurs qui ont fait le choix de l'investissement collectif. Développer les outils industriels et commerciaux liés au territoire est le plus sûr moyen de contribuer à la fois à la maîtrise de l'économie agricole et rurale et de réaliser un aménagement durable du territoire au sein de nos pays et "bassins de vie" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL). M. Jacques Rebillard - M. Mariani a été excessif, à son habitude : en réalité, la concertation s'est prolongée pendant un an. On me permettra de citer d'abord Bernard Palissy : "Il n'est nul art au monde auquel soit requis une plus grande philosophie qu'à l'agriculture". Notre débat est aussi un débat d'idées sur l'avenir de l'agriculture. Aujourd'hui, on se borne à des équations simples : plus d'engrais, plus de production, moins d'exploitations ou réduction des prix, augmentation de la surface des exploitations, accroissement de la surproduction. Mais la politique doit être inspirée par une vision philosophique de la société, et ce n'est pas le libéralisme qui nous donnera la solution. Il faut une véritable volonté politique pour réorienter notre agriculture d'une logique de silos et de frigos à une logique d'entreprise qui prenne en compte les désirs du consommateur et de la société. Or les consommateurs en ont assez de manger des produits agricoles insipides et des viandes cannibalisées. Ils en ont assez de payer l'eau plus cher et de traverser de mornes plaines : avec le bocage, ce sont nos racines et notre identité qui disparaissent. Maintenant que notre autosuffisance est acquise, une autre étape doit être franchie : les agriculteurs doivent se réapproprier leur métier. Sinon les fonctions qu'ils remplissent leur seront confisquées, la production par l'agroindustrie, l'environnement par les écologistes et l'occupation du territoire par d'autres catégories socioprofessionnelles -voyez l'évolution de la composition des conseils municipaux ruraux. Il y a toujours eu comme un malentendu entre le monde agricole et la gauche, il est temps de prouver que notre analyse de la crise agricole est pertinente et nos solutions opportunes. La principale disposition de la loi concerne le contrat territorial d'exploitation, qui consacre les trois fonctions de l'agriculteur -la production, la préservation du milieu, l'aménagement du territoire et l'emploi- et repose sur une conception moderne des relations de l'Etat avec les citoyens, fondé sur la confiance. Pour être pérennes et conserver leur justification, les primes doivent devenir la juste rémunération d'un service rendu à la société et clairement établi aux yeux de tous. Dans son titre 2, le projet de loi définit le statut de l'exploitation agricole. Il faut se préserver de certaines évolutions néfastes, en particulier dans le secteur céréalier, avec la reprise d'une exploitation par son propriétaire qui la fait mettre en valeur par des entreprises dans le seul but de toucher les primes européennes, l'entreprise se rémunérant avec la récolte. Les artisans craignent d'ailleurs une concurrence déloyale, dans l'entretien de l'environnement en particulier : à nous d'en limiter les excès. Mais l'objectif premier reste de faire de l'agriculture une activité dynamique, dont le développement profitera aux artisans ruraux. Le statut de collaborateur d'exploitation constitue une avancée certaine, réclamée depuis longtemps par les agricultrices. Le contrôle des structures, tant décrié par le Président de la République, ne fait que reprendre largement les propositions de la profession, en particulier des jeunes agriculteurs. En matière d'emploi salarié, la loi innove avec le TESA -qui pourrait d'ailleurs être étendu à d'autres secteurs professionnels comme l'artisanat. Le titre 3 traite de l'organisation professionnelle : l'avenir de la profession passe par une meilleure maîtrise de ses outils de transformation et de commercialisation. M. le Président - Votre temps de parole est épuisé. M. Jacques Rebillard - Une minute encore. Faire face au secteur de la distribution, qui se renforce, nécessite une organisation solide de la profession. Il ne s'agit pas d'évincer le secteur privé mais de permettre une concurrence équitable et un partage de la valeur ajoutée, afin d'éviter les crises de surproduction. Le titre 5 est peu développé, c'est dommage. Des zones importantes de notre territoire sont couvertes de forêts ou d'espaces agricoles dignes d'être préservés de l'urbanisation. Elles ont une mission d'équilibre et l'on peut regretter que le rôle des SAFER n'ait pas été redéfini. Cela fera l'objet d'un amendement. Le titre 6... M. le Président - Je vous demande vivement de conclure. M. Jacques Rebillard - Encore une minute ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) L'enseignement agricole connaît un succès grandissant et ne concerne plus seulement les fils et filles d'agriculteurs. Si nous ne voulons pas décevoir ses élèves,... M. le Président - Je vais devoir vous couper la parole. M. Jacques Rebillard - Eh bien, vous me la couperez. Il faut faire de l'agriculture un secteur de pointe, créer des emplois et l'enseignement agricole, d'abord essentiellement technique, doit faire appréhender aux élèves les questions d'environnement et les aspects commerciaux. M. le Président - C'est terminé. Vous avez parlé huit minutes ! M. Jean-Claude Lenoir - Je vous sais gré, Monsieur le ministre, de votre compétence et de votre ouverture d'esprit. Nous savons que vous êtes un défenseur sincère de l'agriculture française (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Cela dit, les intentions ne suffisent pas. Tous, nous avons pratiqué une large concertation. Il s'en dégageait un sentiment de grande déception. M. le Rapporteur - Nous n'avons pas vu les mêmes ! M. Jean-Claude Lenoir - Beaucoup s'attendaient à ce que ce texte soit un accompagnement de l'évolution du métier d'agriculteur. Beaucoup formulaient ainsi depuis longtemps l'ambition d'avoir une grande loi d'orientation. Plusieurs députés socialistes - On l'a. M. Jean-Claude Lenoir - A cet égard, on peut se demander si l'agriculture française pourra, avec les moyens que vous lui donnez, rester compétitive en Europe et hors d'Europe. Sur un point, ce projet serait singulièrement muet si l'initiative de M. Proriol n'y avait remédié. Il s'agit du statut de l'exploitant. Mais il y a une différence entre le rôle que les agriculteurs prétendent jouer et celui que vous voudriez leur faire jouer. Pour eux et pour nous, l'agriculteur est un chef d'entreprise qui prend un risque économique ; vous le considérez comme un fournisseur ou un prestataire de service public. Sur le plan fiscal, il faut prendre rapidement des dispositions d'envergure pour faciliter les transmissions et l'installation des jeunes. Vous avez renvoyé à fin 1999 un rapport sur cette question. Davantage d'imagination aurait permis de créer des emplois plus rapidement. Quant au CTE, sans caricaturer, ses modalités sont très floues. Pour 1999, les mesures à hauteur de 450 millions seront financées partiellement par les OGAF. Et ensuite ? Comptez-vous sur un transfert de crédits qui ne sont pas acquis puisqu'ils sont de nature communautaire ? Sur ce point, vous n'avez aucun engagement de nos partenaires... Le CTE présente aussi un risque de "sur-administration". Les préfets vont devenir des super-notaires. Finalement, vous souhaitez nous engager sur un texte qui organisera l'agriculture française sans savoir ce qui résultera des négociations sur la PAC, puis de celles de l'OMC. Nous serons très vigilants sur les dispositions relatives à l'installation des jeunes agriculteurs, le rôle de l'agriculteur comme élément dynamique de l'économie, car il ne saurait être un jardinier appointé par l'Etat ou le cantonnier du XXIème siècle. Nous verrons si les agriculteurs se reconnaissent dans le rôle que vous voulez leur faire jouer (Applaudissements sur les bancs du groupe DL du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Kofi Yamgnane - Ce texte a pour objectif d'adapter notre agriculture au XXIème siècle, et pour stratégie de permettre à une agriculture forte d'affronter la réforme de la PAC et les négociations de l'OMC. Mais les lois d'orientation sont rares -elles sont l'apanage des grands ministres. Aussi ce texte prend-il la dimension singulière d'un engagement de modifier en profondeur l'environnement de nos campagnes. Notre modèle agricole s'est structuré à la fin des années 1960 sur un schéma productiviste. Les structures mises en place notamment dans l'Union européenne ont permis de répondre aux défis. Aujourd'hui, les limites sont atteintes. Ce qui fut un modèle de réussite est ressenti, par exemple en Bretagne, comme un conglomérat de mesures coûteuses, peu efficaces et susceptibles de mettre en danger l'avenir de la profession. Les agriculteurs se reconnaissent de moins en moins dans ce système qui les a forcés à produire et investir plus, a fait augmenter le prix du foncier et isolé le producteur du distributeur. Sur l'influence du marché, des quotas, le modèle de la petite exploitation familiale est en voie de disparition. L'exode s'est amplifié. Le consommateur ne se retrouve pas non plus dans ce système. Les goûts ont changé : le souci de l'environnement progresse, l'aménagement du territoire est devenu une priorité. La vache folle, la peste porcine, la tremblante du mouton ont renforcé le besoin de sécurité alimentaire. Les 60 articles de cette loi tentent d'apporter une réponse, autour d'une innovation majeure, le CTE. Celui-ci doit contribuer à sécuriser consommateurs et producteurs, à lutter contre la répartition inégalitaire des aides, à remettre en cause la concentration des terres, à favoriser l'adaptation à la mondialisation des cours. Ce nouveau lien entre la société et son agriculture doit dissiper l'opacité qui entoure les soutiens publics, mais aussi à rendre les agriculteurs plus responsables et, en tendant vers plus de justice, à freiner l'exode rural. La multifonctionnalité est une nécessité dans le contexte économique et social, notamment avec la réduction probable des soutiens communautaires. Elle constitue une réponse aux limites du système puisque l'augmentation de la production n'a pas compensé la baisse régulière des prix agricoles depuis deux décennies. Désormais c'est la qualité qui assure la valeur ajoutée et permet d'éviter les crises de surproduction. L'agriculteur qui la pratiquera prendra un risque. En contrepartie, il bénéficiera d'un accompagnement financier et d'une formation adéquate. Il ne peut s'agir d'avoir quelques gîtes ruraux, de transformer l'exploitant en charcutier ou de lui faire exécuter des travaux occasionnels. Mais l'apport des nouvelles technologies sera considérable. Une fois sur le Web, les lieux les plus reculés seront aussi proches que La Défense. Il n'y a pas de crise du porc ou de crise des légumes ou de l'aviculture. Il y a une crise structurelle du système agricole que seule une action collective peut résoudre. Tel est l'enjeu de cette loi, qui jette les fondations d'une réconciliation de la ruralité et de la modernité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Anicet Turinay - Outre la fonction de production, ce texte prend en compte le rôle social de l'agriculture, son importance pour l'environnement et l'aménagement du territoire. Mais même si son orientation est différente de celle des textes précédents, elle comporte trop de lacunes et d'ambiguïtés pour être une véritable loi d'orientation. Ce texte ne répond pas assez aux attentes des agriculteurs, en particulier dans le domaine social, fiscal et économique. Le développement des formes sociétaires d'exploitation et la diversification même de l'agriculture exigeraient d'en clarifier le statut des personnes, notamment de définir ce qu'est un exploitant. Les agriculteurs ont également besoin d'une réglementation fiscale et sociale évolutive, adaptée aux efforts d'investissement que requiert leur constante adaptation aux marchés. Le cadre juridique doit reconnaître l'autonomie et la pérennité de leurs entreprises. Seule une organisation collective permettra aux agriculteurs de préserver leur accès aux marchés, de mieux répartir la valeur ajoutée au sein des filières et d'éviter la déresponsabilisation des chefs d'exploitation. Il conviendra d'abaisser les charges des exploitations et de leur permettre de renforcer leurs fonds propres afin qu'elles produisent à des coûts plus compétitifs. Il faudra aussi garantir aux agriculteurs retraités des pensions comparables à celles des autres catégories socioprofessionnelles. En Martinique et dans les autres départements d'outre-mer, la création d'une association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (ADASEA) permettra à la profession agricole d'être associée à la mise en oeuvre de cette politique, prévue par la loi de 1962. Je profite maintenant de l'examen de ce projet de loi pour vous alerter, Monsieur le ministre, sur la situation de l'agriculture outre-mer, dans mon département en particulier. Le poids de l'agriculture dans l'économie martiniquaise ne cesse d'y régresser. Le marché de la banane, principale source de recettes à l'exportation, doit faire face aux attaques incessantes de l'OMC qui fragilise l'OCM de cette production, alors même qu'elle représente 30 000 emplois directs et indirects aux Antilles. Par ailleurs, l'ouragan Georges, bien qu'il ait épargné nos îles, a tout de même endommagé 80 % de la production bananière de la Guadeloupe. Depuis trente ans, les surfaces plantées en canne à sucre, deuxième production agricole de la Martinique, ont considérablement régressé. La récolte, supérieure à un million de tonnes dans les années 60, est tombée à 210 000 tonnes en 1995 et 1996, puis 185 000 tonnes en 1997. La production de sucre de la seule usine sucrière de l'île a diminué de 13,8 % en 1997 par rapport à 1996. La concurrence des importations de sucre blanc limite la production de sucre roux, dont les excédents ne peuvent être exportés que sur les marchés extérieurs à des prix proches des prix d'intervention communautaires. Dans ce contexte, le projet intéressant d'une unité pilote de production de sucre blanchi ne devrait pas être mené à bien, cet équipement étant à la fois trop coûteux et insuffisamment rentable. Les productions vivrières, fruitières et florales ont diminué de 15 % entre 1996 et 1997. Les exportations de fruits, légumes et fleurs ont, quant à elles, régressé de 7 % en raison de la concurrence des pays européens, méditerranéens et ACP. Enfin, l'île manque aujourd'hui de terres agricoles, grignotées par la construction de logements. La SAFER n'a d'ailleurs pas les ressources suffisantes pour fonctionner normalement. La Martinique et les autres départements d'outre-mer ont besoin d'un véritable plan de restructuration de leur agriculture. Il faut notamment y renforcer l'organisation économique des agriculteurs par secteur de production. La loi d'orientation agricole doit s'y attacher. En conclusion, les moyens prévus ne me paraissent pas à la hauteur des enjeux d'un secteur agricole qui doit faire face à la libéralisation des échanges mondiaux et répondre à de nouvelles exigences des consommateurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Yves Coussain - Ce projet de loi est attendu par le monde agricole. Il a été voulu par le Président de la République et votre prédécesseur, M. Vasseur, était prêt à nous le proposer il y a un an et demi. Il est aujourd'hui présenté à un moment stratégique des calendriers national, européen et mondial. Je me limiterai à trois sujets. Tout d'abord, les CTE. J'en approuve le principe. S'il est sain de lier l'octroi des aides publiques à la contractualisation de certains objectifs, les CTE doivent d'abord viser à accroître la valeur ajoutée, créée par les exploitations. Or le projet de loi inverse l'ordre de ces deux priorités. En outre, les moyens financiers prévus sont insuffisants. Une bonne idée risque de s'en trouver sapée. Les CTE devraient également permettre de rééquilibrer les soutiens à l'agriculture et de réduire les disparités de revenus entre agriculteurs. Il est contradictoire de vouloir, d'un côté au nom de la compétitivité, s'aligner sur les prix mondiaux et, d'un autre côté, refuser la modulation des aides européennes et leur rééquilibrage par le biais des CTE. Sans ces aides, les CTE resteront pourtant des contrats vides. Deuxième point : l'installation des jeunes agriculteurs, préoccupation majeure de votre loi. A cet égard, il conviendrait de supprimer l'obligation, absurde, pour un jeune qui s'installe en GAEC de fournir des surfaces supplémentaires. Des amendements ont été déposés à ce sujet. Il faudrait également revaloriser les retraites, ce qui ne serait que réparation d'une criante injustice, et réactiver les préretraites afin de libérer des terres au profit des jeunes. Troisième point : les signes de qualité et de provenance comme les AOC. Pour qu'ils soient source de valeur ajoutée, les producteurs devront pouvoir s'organiser en groupements afin de maîtriser les quantités produites et de fixer les niveaux de rémunération. Les ordonnances de 1986 l'interdisent pour l'instant. La commission a amélioré le texte sur ce point : il conviendra de le renforcer encore. Je conclurai mon propos en vous mettant en garde, Monsieur le ministre, contre les dérives et les abus en matière de réglementation et de contrôle. Certains justifieront leur zèle tatillon, parfois vexatoire, en arguant du fait que votre administration distribue la moitié des revenus. Raisonnement dangereux ! Nos paysans sont des producteurs responsables, non des gamins qu'on punit financièrement pour une virgule oubliée dans une déclaration, ni des fraudeurs en puissance mais en activité surveillée ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Ce projet de loi était attendu. Il marque des avancées et contient des innovations. Il manque néanmoins d'ambition pour le monde agricole et rural (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Jean-Claude Daniel - Pour le monde agricole, une loi d'orientation est toujours un événement important. Celle-ci intervient à un moment où la société tout entière reconnaît la multiplicité des missions que remplit l'agriculture, produisant des richesses pour les marchés national, européen et mondial mais fournissant aussi des biens immatériels et créant des emplois. Elle répondra aux enjeux en proposant un cadre fiable et souple pour réguler les marchés et en conquérir de nouveaux, plus segmentés et plus complexes. Elle doit proposer des mesures novatrices pour favoriser l'initiative économique des agriculteurs, déclarait en substance l'un des représentants émérites de la profession, propos auquel je souscris. Il prouve que votre projet a été compris et que la large consultation que vous avez engagée a permis de faire avancer votre texte. Il est urgent de refonder le pacte social entre notre société et ses agriculteurs sur d'autres objectifs que ceux qui ont guidé la politique agricole depuis la fin des années 50. De nouveaux enjeux de société se sont fait jour : préservation de l'espace rural, qualité des produits, maintien de l'emploi et réduction des inégalités. Face à ces enjeux, la représentation agricole fait preuve d'une cohérence qu'il faut encourager. Je souscris à ce qu'ont dit les orateurs précédents sur la meilleure répartition des aides publiques ; la concentration des exploitations ; la reconnaissance des bassins de production et leurs spécificités dont les CTE seront le vecteur ; la nécessité de clarifier la politique de qualité et de prendre en compte les attentes des consommateurs ; celle de préserver les ressources naturelles comme l'eau dont les agriculteurs doivent toujours garder présent à l'esprit qu'ils la partagent avec d'autres ; celle, enfin, de s'attacher au développement de l'ensemble du monde rural dont les artisans, par exemple, sont un acteur essentiel. L'agriculture française a-t-elle vocation à produire pour exporter ? Aujourd'hui, la production agricole mondiale augmente plus vite que la population mondiale. Plusieurs députés UDF, Dl et RPR - C'est faux ! M. Jean-Claude Daniel - C'est dans la revue des chambres d'agriculture. En outre, la diminution de la population agricole dans les pays industrialisés a été constante. Ainsi, les pays de l'Union européenne ont perdu vingt millions d'emplois agricoles au cours des quarante dernières années, contre quatre millions pour les Etats-Unis. Ces deux chiffres me paraissent éloquents. Limitation de l'offre ou baisse des prix ? C'est la question de l'oeuf et de la poule. Il faut sortir de ce débat. A un ajustement aveugle par le marché, je préfère la gestion de l'offre. Faut-il exporter ? M. le Président - Veuillez conclure. M. Jean-Claude Daniel - Monsieur le Président, les orateurs qui m'ont précédé ont plutôt eu huit minutes que cinq pour s'exprimer... Vous n'entendez que le productivisme... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) S'installer directement ou progressivement, être reconnu comme un acteur de la ruralité, élever ses enfants dans de bonnes conditions, voir reconnaître les droits de son conjoint, transmettre son savoir-faire et ses biens, veiller à la qualité des produits -pour qu'ils soient fins, très fins, se mangent sans faim-, c'est tout cela qui est proposé aux agriculteurs dans ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance. DÉSIGNATION DE CANDIDATS M. le Président - M. le Président a reçu de M. le Premier ministre une demande de désignation des quatre membres de l'Assemblée nationale au sein de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Conformément à l'alinéa 2 de l'article 26 du Règlement, M. le Président a confié à la commission des affaires culturelles et à la commission de la production le soin de présenter chacune deux candidats. Les candidatures devront être remises à la Présidence avant le vendredi 30 octobre 1998, à 18 heures. Prochaine séance, ce soir, à 21 heures. La séance est levée à 19 heures 35. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |