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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 22ème jour de séance, 57ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 3 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président

          SOMMAIRE :

PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite) 1

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite) 1

    EXPLICATIONS DE VOTE 31

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

M. le Président - Conformément à la décision de la Conférence des présidents ce matin, je lèverai la séance à une heure.

M. le Président - L'Assemblée a commencé cet après-midi d'entendre Mme Boutin défendre l'exception d'irrecevabilité.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (suite)

Mme Christine Boutin - Je résumerai à grands traits mon propos d'avant-dîner (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Permettez-moi de resituer ma motion dans son contexte. J'ai dit que la politique est affaire de conviction et que le débat sur le Pacs donnait l'occasion de confronter deux conceptions de la société. Né dans les milieux homosexuels, le Pacs a fait l'objet d'un débat que le Gouvernement et la majorité ont tenté de camoufler.

L'intention de plagier le mariage ou de créer une sous-catégorie de mariage est d'ailleurs attestée par des déclarations quasi officielles...

M. Alain Barrau - Quasi !

Mme Christine Boutin - "Il y aura trois niveaux de mode de vie", disait Mme Guigou un dimanche soir sur France 3 : "le mariage, le Pacs et le concubinage".

M. Jérôme Lambert - Et le célibat ?

Mme Christine Boutin - Or il n'y a que deux états possibles pour deux personnes qui vivent ensemble : le mariage, depuis longtemps codifié par nos textes, ou l'union libre, qui par définition ne doit être codifiée en rien. Toute troisième possibilité est trompeuse, pour ceux qui l'utilisent comme pour l'ensemble du corps social (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). On ne peut être à moitié dans le mariage ou à moitié dans l'union libre. Certes, on peut construire n'importe quoi sur le plan intellectuel. Et c'est bien ce que vous avez fait.

Pour prouver que le Pacs n'était pas un mariage, et sous la pression du collectif des maires, les auteurs de la proposition de loi ont abandonné l'idée de la faire signer à la mairie. Ils ont envisagé un temps le tribunal puis la préfecture -dans le texte qui nous est soumis- avant de revenir au tribunal par le biais d'un amendement. Mais le changement de lieu ne change rien à la nature du Pacs, qui, pour être conclu, devra être enregistré dans les mêmes conditions et les mêmes formes que le mariage, au lieu de résidence et de naissance des personnes. Non, toutes ces contorsions ne peuvent pas masquer la vérité : il s'agit d'installer le mariage des homosexuels en France, mais il ne faut surtout pas le dire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Quelle incroyable lâcheté de la gauche plurielle que de ne pas le reconnaître et l'assumer ! Une question de cette importance méritait pour le moins un large débat, et surtout de la clarté.

Parallèlement à cette opération camouflant la réalité du Pacs, celle d'un mariage bis, on a voulu masquer la réalité homosexuelle du projet. Les personnes hétérosexuelles sont arrivées comme par enchantement...

Pour tenter de ratisser large dans les milieux politiques, les promoteurs du Pacs se sont efforcés de le faire apparaître comme une initiative de portée universelle.

M. Félix Leyzour - Arrêtez ! De toute façon, ce texte passera.

Mme Christine Boutin - Ne parlez pas trop vite, d'autant qu'il y a le Conseil constitutionnel.

Les promoteurs du Pacs ont constamment cherché à rattacher leur combat à un mouvement de fond, à de prétendues aspirations de la société française et à jeter dans le sillage du Pacs toutes les détresses de notre pays.

A lui seul, Gérard Bach-Ignasse, dans Le contrat d'union sociale en perspective, réussit le tour de force d'amalgamer chômeurs, SDF, RMistes, concubins confrontés aux difficultés juridiques propres à leur situation, veuves solitaires et homosexuels en panne de reconnaissance, pour instiller dans l'esprit du lecteur l'idée que le Pacs viendrait combler les aspirations de ces "exclus" et résoudre leurs difficultés.

Cette stratégie à prétention universaliste vise à éviter un écueil redoutable : l'attribution d'un statut particulier au seul couple homosexuel qui, aux yeux de l'état-major du collectif pour le Pacs, perpétuerait l' "exclusion" des homosexuels et consacrerait un droit à la différence dont la communauté homosexuelle serait la première victime. En élargissant leur revendication à la société tout entière, les promoteurs du Pacs ont trouvé "la solution médiatiquement idéale", celle qui fait "avancer la cause homosexuelle sans le dire", c'est-à-dire qui permet d'éviter ou de limiter la réaction de rejet du corps social (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jérôme Lambert - Vous n'avez rien à dire. Alors vous citez les autres !

Mme Christine Boutin - Ils n'ont reculé devant rien, pas même la désinformation. Ainsi ont-ils souvent fait référence à la situation de deux religieuses partageant une communauté de vie et qui pourraient appeler de leurs voeux l'avènement du Pacs. Or les religieux, qui font en général voeu de pauvreté, n'ont aucune vocation à partager des biens mobiliers ou immobiliers, ni à hériter les uns des autres. Ils n'ont pas non plus vocation à limiter leur communauté de vie à deux personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

De même la référence constante aux personnes âgées, que rapprochent la peur de la solitude et la crainte de la maladie, même si le problème est réel, ne sert ici qu'à apitoyer le public : rien n'empêche qu'une loi règle ces situations, et favorise les emplois de proximité et les nouvelles solidarités qui viendraient alléger le poids des ans. Pourquoi n'avoir pas créé cette possibilité dans le plan emplois-jeunes ?

On peut aussi se demander ce qui, dans le Pacs, pourrait tenter des concubins hétérosexuels. Un homme et une femme vivent en union libre précisément parce qu'ils souhaitent conserver la plus grande liberté et organiser leur vie de façon informelle. L'émission "Arrêt sur image" du 18 octobre sur la Cinquième a d'ailleurs montré les difficultés des médias pour trouver un couple hétérosexuel non marié intéressé par le Pacs. Mlle Schneck, la reportrice, a fini par en trouver un : le même qui était passé sur les autres chaînes, ainsi que dans Le Parisien... Et il s'agit d'un couple de militants de la seule association familiale qui ait soutenu le Pacs !

Les concubins ne sont pas intéressés : ils veulent l'union libre, et non un sous-contrat. Il va de soi que le Pacs n'attirera pas non plus les couples mariés. Seuls les couples homosexuels auraient une raison d'adopter ce statut, faute de pouvoir accéder au mariage.

Pour dissiper ces doutes sur la réalité du Pacs, on a tenté une ultime manoeuvre : celle des fratries. Un amendement à ce sujet fut allègrement repris par le groupe socialiste. On est allé ainsi au sommet de l'incongruité. On prend le mot fratrie, qui sonne bien et qui enlève au Pacs sa dimension sexuelle. On y ajoute une pincée de solitude et de détresse, celles de ces pauvres ruraux perdus au fond de leur campagne -avec un zeste de mépris mal dissimulé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) et l'affaire est faite : le Pacs n'est plus le mariage, et il ne s'agit plus des personnes homosexuelles.

Le problème est que, dans l'ivresse de la création juridique, on a oublié que "fratrie" peut aussi désigner deux, cinq, dix frères et soeurs ! Là, tout se complique. On ne peut en effet créer des inégalités entre les frères et soeurs pactisés et ceux qui ne le sont pas. Qu'à cela ne tienne : on leur ôtera les avantages du Pacs concernant impôts et successions.

Mme Laurence Dumont - C'est un amendement de la droite !

Mme Christine Boutin - Que vous avez repris dans l'enthousiasme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) Mais un autre obstacle apparut : on ne peut être à la fois pactisé et marié. L'affaire était grave, car on ne pouvait interdire le mariage à tout ce petit monde. Et si le Pacs est rendu compatible avec le mariage, il devient une sorte de GAEC ou de société civile, et soixante millions de Français auront intérêt à se pactiser pour payer moins d'impôts... Mais si l'on maintient l'interdiction, la fratrie ne gomme pas la dimension sexuelle du Pacs, et l'on revient à la case départ.

Aujourd'hui la confusion est à son comble : si les fratries sont présentes dans le texte, les frères et soeurs qui vivent ensemble ne peuvent conclure de Pacs, mais ils peuvent bénéficier de certains de ses avantages. Ce n'est même plus un sous-mariage : c'est un "rien" juridique, qui néanmoins ouvre des droits !

Tous ces paravents le montrent bien : le Pacs est en fait un mariage bis pour les homosexuels. On ne peut jouer indéfiniment avec la vérité sans se prendre les pieds dans le tapis. Comme l'a dit le professeur Jean Hauser, "tout cela sent l'amateurisme" -ce qui ne manque pas de piquant, venant de l'auteur du PIC...

On en vient alors à se demander s'il est vraiment insultant à l'égard des homosexuels de dire quelles sont leurs intentions, et à demander à la gauche plurielle pourquoi elle a déployé tant de talent pour ne pas assumer au grand jour les vrais enjeux de cette proposition. Je veux toutefois saluer ici un de nos collègues, avec qui je me suis beaucoup entretenu ces derniers temps (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), et pour qui, au-delà de nos désaccords, j'ai le respect qu'on doit à ceux qui combattent pour leurs convictions et ne craignent pas d'affronter l'opinion. Jean-Pierre Michel, puisqu'il s'agit de lui, a été le seul à dire et à répéter que ce texte était destiné aux personnes homosexuelles, et qu'il constituait une étape conduisant à leur droit à la filiation et à l'adoption. M. Michel est l'inspirateur et le porteur de ce texte depuis l'origine : il sait de quoi il parle, et il a eu le courage de ne pas se renier. Je me permets de l'en féliciter (Applaudissements sur divers bancs). La démocratie mérite le débat et la vérité des enjeux. Je rejoins ici la remarque de Mme le ministre Buffet...

Plusieurs députés socialistes et communistes- "La" !

Mme Christine Boutin - Vous avez décidément des obsessions... Elle déclarait : "à travers la question du CUCS, c'est toute la question de la place de l'individu, de ses aspirations, de ses modes de vie qui est posée" C'est de cela qu'il aurait fallu débattre !

Mais avant tout, évacuons une idée à la mode selon laquelle tout opposant à ce texte serait par définition homophobe. Pour des raisons tant spirituelles que républicaines, comme député du pays des droits de l'homme, j'affirme sans restriction la dignité et le droit au respect des personnes vivant des relations homosexuelles. Pour beaucoup d'entre elles, le désir de relations stables et d'accueil de la vie est certainement authentique. Ces désirs ne sont-ils pas au coeur de la nature humaine ? Mais j'affirme également que c'est leur manquer de respect que leur proposer de vivre une caricature de la famille. On leur donne une illusion. Le voile dont on recouvre ainsi leur souffrance n'est pas un pansement guérisseur. On prépare leur désillusion et celle de la société tout entière.

Je sais que la souffrance de beaucoup de personnes homosexuelles est profonde. Dans les débats et rencontres à propos du CUCS, j'ai parfois croisé la haine et la mauvaise foi. Mais j'ai découvert aussi de vraies détresses...

Mme Muguette Jacquaint - Forcément, puisqu'ils vous ont rencontrée ! (Rires sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

M. le Président - J'ai cru comprendre, mais peut-être me trompais-je, que le Gouvernement avait souhaité que le débat se déroulât dans la sérénité et que des dispositions avaient été prises ce matin pour que l'orateur fût respecté et écouté dans le calme nécessaire à la compréhension de son propos... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL)

Mme Christine Boutin - Des personnes qui ont soigné jusqu'à sa mort leur proche atteint du sida et se trouvent, à son décès, dans une situation matérielle pénible, voire inextricable, méritent compréhension et respect. Des personnes qu'un formalisme moral imbécile a enfermées dans le silence au point de les priver de relations avec leur famille ont besoin d'être accueillies, écoutées, aidées. Nous le pouvons et le devons, mais faut-il le faire à n'importe quel prix ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Ces situations posent, une fois de plus, la responsabilité du politique à l'égard de la souffrance (Mêmes mouvements). Face à elle, notre responsabilité est d'abord de songer à l'intérêt général, d'éviter d'engendrer un mal encore plus grand.

En tant que comportement privé, le comportement homosexuel relève de la conscience personnelle et n'a pas à entraîner de discriminations, mais de là à considérer ce comportement comme anodin et à le mettre sur le même plan, socialement, que la relation entre un homme et une femme, il y a un pas que le responsable politique ne peut pas franchir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Il n'est pas en notre pouvoir de modifier une réalité qui existe depuis l'origine du monde : le fait que c'est la relation naturelle entre l'homme et la femme qui fonde la société et la fait vivre, et les sociétés se sont toujours attachées à protéger cette relation vitale, d'où le refus du prosélytisme homosexuel et la réprobation, plus ou moins forte, que l'on rencontre dans toutes les civilisations (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La société ne peut faire autrement que d'être cohérente avec ce qui la fait vivre. Quand on parle, il faut préciser que ce n'est pas l'homosexualité en elle-même qui a droit au respect, mais la personne humaine, au-delà de ses choix personnels ou de son mode de vie.

Mme Frédérique Bredin - Quelle hypocrisie !

Mme Christine Boutin - L'homosexualité, en outre, ne s'inscrit pas dans le cadre des lois non écrites qui fondent la vie des sociétés (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Inféconde par nature, elle ne répond pas aux critères démographiques et éducatifs qui fondent les devoirs de l'Etat à l'égard du couple. Dès lors, se mettre à considérer comme des conjoints deux personnes homosexuelles et leur permettre d'adopter et d'élever des enfants serait, pour la société, une conduite absurde et suicidaire, ainsi que l'a reconnu Mme Guigou (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Elle serait, par rapport aux enfants, criminelle. Elle serait, enfin, une illusion pour les homosexuels eux-mêmes.

Il va de soi que les homosexuels doivent être respectés, d'autant qu'à l'origine de leur situation affective se trouve souvent une souffrance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). La loi interdit d'ailleurs qu'ils soient soumis à des discriminations. De l'aveu même des associations homosexuelles, la liberté de vivre son homosexualité est particulièrement étendue en France, et c'est heureux.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Pas grâce à vous et à vos amis !

Mme Christine Boutin - Mais la revendication d'une minorité d'homosexuels ne s'arrête pas à la simple promotion de l'égalité, que la société ne leur conteste d'ailleurs pas : elle exige la "discrimination positive" sur le modèle des Etats-Unis, qui a pourtant fait la preuve de son échec, et n'a eu pour effet que de ghettoïser la société américaine.

M. Guy Hascoët - Elle est bien antérieure !

Mme Christine Boutin - Ne confondons pas deux choses : le couple et l'individu. Qu'une personne soit pénalisée en raison de sa tendance sexuelle relève de la discrimination, mais qu'une relation entre deux individus homosexuels soit source des mêmes droits qu'un couple hétérosexuel, voilà ce qu'il est impossible d'admettre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Mes chers collègues, laissez parler Mme Boutin ! Vous donnez un spectacle déplorable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Refuser de consacrer la relation homosexuelle en lui conférant les mêmes droits qu'à la relation naturelle sans laquelle il n'est pas de société ne constitue nullement une discrimination, ni un obstacle à l'acceptation pleine et entière des individus. Il ne faut pas confondre discrimination et distinction.

Mme Yvette Roudy - Quelle subtilité !

Mme Christine Boutin - Reportez-vous au Larousse, et même au Dalloz !

Le Pacs confond dans une même revendication la non-discrimination, qui s'applique aux personnes, et la reconnaissance sociale, qui repose sur le statut. Ce raisonnement, qui détourne la détresse individuelle pour en faire le moyen de promotion d'un enjeu social, est un douloureux exemple de malhonnêteté intellectuelle et de désinformation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Ce qui me gêne le plus dans cette affaire, c'est que l'on a menti sciemment à l'opinion pour lui faire admettre un projet sur lequel elle est plus que partagée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL), et à laquelle elle retire progressivement son adhésion : il y a six mois, 70 % des Français se disaient favorables au Pacs, ils n'étaient plus que 60 % il y a trois mois et 49 % à la veille du débat du 9 octobre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Le Pacs est "un monstre juridique" selon le sociologue Guy Coq, "une construction juridique boiteuse, un ersatz de statut, une chimère législative" selon Claude Weill, "un drôle de bidule en forme d'inventaire à la Prévert" selon le Centre gai et lesbien. Oui, le Pacs est une chimère, un monstre qui prétend s'adresser aux personnes, mais qui joue avec les principes fondateurs de la société. Je ne mets pas en doute le désir réel de ses promoteurs, et notamment de notre rapporteur, de venir en aide à des personnes qui souffrent... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme Odile Saugues - Ce n'est plus un discours, c'est un chemin de croix ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Christine Boutin - Mais ouvrons les yeux : le Pacs a contre lui la vérité de l'être humain et les exigences élémentaires de la société, et il n'est pas exclu qu'il ait contre lui à brève échéance, s'il était adopté, les homosexuels eux-mêmes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jacques Myard - Elle a raison ! (Mêmes mouvements)

Mme Christine Boutin - Je suis intimement persuadée qu'ils seront les principales victimes de la société éclatée et conflictuelle que le Pacs viendrait promouvoir et focaliseront sur eux-mêmes les multiples problèmes que leur liaison institutionnalisée ne manquerait pas de susciter.

L'homosexualité ne peut pas être érigée en norme légale pour la simple raison qu'elle conduit à l'exclusion dans sa forme la plus accomplie. Car qu'est-ce que l'homosexualité,... ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) Vous êtes grotesques ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Pas de provocation, s'il vous plaît (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Christine Boutin - Qu'est-ce donc que l'homosexualité, sinon l'impossibilité à atteindre l'autre dans sa différence sexuelle ? (Rires et bruit sur les bancs du groupe socialiste) Et qu'est-ce que l'impossibilité d'accepter la différence, sinon l'expression de l'exclusion ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

L'homosexualité érigée en norme sociale favoriserait l'établissement de l'exclusion comme règle sociale. C'est pourquoi aucune civilisation avancée ne l'a érigée comme règle de vie.

Mme Catherine Picard - Vous êtes encore au Moyen Age !

Mme Christine Boutin - Le groupe "Paroles", dans une tribune dans Le Monde du 8 septembre déclarait : "s'agit-il de démontrer l'équivalence ou l'absence de différence entre une union homosexuelle et une union hétérosexuelle ? Nous serions en total désaccord sur le plan anthropologique. L'homosexualité constitue une limite objective, une difficulté à vivre pleinement la dimension sexuelle de l'altérité".

Mme Odette Grzegrzulka - Comment le savez-vous ?

Mme Christine Boutin - "Une société qui mettrait sur le même plan l'homosexualité et l'hétérosexualité travaillerait à sa propre disparition et pourrait compromettre gravement l'éducation des enfants. Mettre sur le même plan ces deux conduites, c'est reconnaître le choix de l'individu comme un absolu qui n'est soumis à aucune norme objective morale ou sociale".

Mme Yvette Roudy - C'est l'horreur !

Mme Christine Boutin - La Fédération protestante de France affirmait dès juin 1994 : "il va de soi que la société, sous peine de perdre toute consistance structurée et de ne plus se comprendre comme fondamentalement traversée par l'altérité, ne peut accepter de considérer comme légale une union homosexuelle".

C'est également la raison pour laquelle toutes les civilisations qui l'ont reconnue comme un mode de vie normal ont connu la décadence.

Mme Yvette Roudy - Sodome et Gomorrhe !

Mme Christine Boutin - Il est également très troublant de constater que la gauche qui se targue de corriger les inégalités sociales soit à l'origine d'un tel texte (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Il est incroyable que la France ait pu porter jusqu'à l'Assemblée un texte chimérique qui consacre l'exclusion.

Mme Yvette Roudy - Nazie !

Mme Christine Boutin - Le pacte civil de solidarité est un monstre juridique. Les juristes ont tous dénoncé la piètre qualité juridique de ce texte qui insulte la grande tradition juridique française et discrédite notre pays.

M. Jean-Pierre Blazy - Et vous, l'Assemblée !

Mme Yvette Roudy - Y a-t-il des Républicains en face ?

Mme Christine Boutin - Je suis républicaine et fière de l'être !

Le Pacs mérite bien le surnom de mauvais plagiat du mariage : il veut organiser une communauté de vie en reprenant des bribes du dispositif relatif au mariage.

Le Pacs est une chimère avec laquelle on prétend répondre aux problèmes d'exclusion, au mépris des fondements de notre droit.

Ce fut il est vrai le cadet des soucis des promoteurs du projet. Le processus qui est en train d'aboutir à l'union civile s'est joué du droit.

Mme Odette Grzegrzulka - Vous n'êtes pas Pierre Mazeaud pour nous donner des leçons de droit...

Mme Christine Boutin - Outre la rédaction approximative et insatisfaisante des articles et le caractère totalement irrationnel de certaines solutions, je suis frappée par le mépris à peine voilé dans lequel sont tenus les juristes, opposés dans leur grande majorité au Pacs.

M. Jacques Myard - Eh oui !

Mme Christine Boutin - Au cours du congrès du collectif pour le CUCS en 1998 au Sénat, Gérard Bach-Ignasse, pourtant lui-même juriste, considérait que la loi n'est rien d'autre que l'expression d'un "rapport de forces à un moment donné".

Ce mépris de la loi et du droit doit nous inquiéter : toutes les idéologies oppressives ont, au cours de ce siècle, appuyé leurs entreprises sur la manipulation du droit.

Le Pacs, ce sera aussi le tonneau des Danaïdes. Dans la mythologie grecque, les cinquante filles de Danaos, par suite de leurs errements, ont été condamnées à remplir un vase sans fond. Quand on songe à la façon dont l'Etat devrait faire face aux multiples bénéficiaires potentiels du Pacs, on se dit que des pans entiers de la société pourraient s'engouffrer, pêle-mêle, dans ce puits sans fond, aux frais de l'Etat.

Il n'est pas évident de savoir à qui le Pacs sera destiné. Le texte proposé par le rapporteur s'adressait clairement à deux personnes ayant une relation sexuelle...

M. le Rapporteur pour avis - Pas du tout !

Mme Christine Boutin - ...et Mme Tasca avait beaucoup insisté sur cet aspect lorsqu'elle a présenté le Pacs.

Je cite le rapport de Jean-Pierre Michel : "l'impossibilité de conclure un Pacs peut tenir à des liens familiaux étroits. Sont ainsi exclus les pactes entre parents et enfants, entre beaux-parents et parents par alliance, entre frères et soeurs, entre oncles et neveux. Sans que cela soit un aspect de l'équilibre du texte, les prohibitions familiales ont été étendues dans le souci que le Pacs ne puisse en aucun cas apparaître comme une remise en cause du tabou de l'inceste". L'inclusion des parties de fratrie dans la deuxième version du texte ne change rien, à part pour deux frères et soeurs. Mais que feront les autres ?

On ne cesse de nous dire que le Pacs servirait de cadre au projet commun de vie de couples aussi variés que deux homosexuels, deux religieuses, deux personnes âgées célibataires, un frère et une soeur. L'amendement de la commission des affaires sociales visant à étendre le Pacs aux fratries étant adopté, on ne sait plus que penser de la dimension sexuelle de ce Pacs...

Avec l'ironie qui le caractérise, Le Canard enchaîné du 7 octobre dernier propose, sous le titre "Le Pacs expliqué à ma fille", une réflexion significative : "Pour certains, le Pacs ne serait pas sexuel. A en croire le président du collectif pro-Pacs, deux lesbiennes qui vivent ensemble n'entretiennent pas forcément de relation sexuelle (sic). Ah bon ! Tu n'y comprends rien ? Moi non plus. J'avais cru comprendre qu'à l'origine il s'agissait d'un mariage homo. Je ne vois qu'une solution : faire venir le procureur Starr pour qu'il nous explique ce qui est sexuel et ce qui ne l'est pas"... (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

L'extension du Pacs aux frères et soeurs reviendrait-elle à légitimer l'inceste ? Oui, car cela lui donnerait un cadre juridique. Mais après tout, si on institutionnalise les relations sexuelles entre deux hommes, je ne vois vraiment pas au nom de quel ordre moral on ne l'autoriserait pas entre frères et soeurs !

Pourquoi exclure du droit de conclure un contrat entre les ascendants et descendants en ligne directe ? A une époque où nos "anciens" souffrent cruellement de la solitude et de l'isolement, n'aurait-il pas été opportun et utile à la société d'autoriser un petit-fils qui aide son grand-père dans l'exploitation de l'entreprise agricole familiale à être avec son ascendant, cocontractant d'un Pacs ? Je suis sûre que M. Jacob sera d'accord avec cette idée !

M. Christian Jacob - Tout à fait ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR)

Mme Christine Boutin - Le projet exclut d'office de telles situations parce qu'elles ne servent pas son véritable dessein, habilement dissimulé derrière les prétextes universalistes. Ainsi s'effrite peu à peu le masque de respectabilité de l'union sociale. Comme elles apparaissent artificielles et convenues, les références aux vieilles dames et aux bonnes soeurs... A l'évidence, le projet n'est pas fait pour elles.

On atteint donc le paroxysme de la confusion. On élaborerait un cadre juridique où se côtoieraient en toute sociabilité l'amour, l'amitié, la fraternité, l'entraide, la sexualité permise, la sexualité prohibée.

Mmes Catherine Picard et Odette Grzegrzulka - Laquelle ?

Mme Christine Boutin - L'inceste. Manifestement, vous ne suivez pas... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Monsieur le Président, puis-je avoir un peu de silence ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. le Président - Vous allez essayer de poursuivre, nos collègues vont essayer de cesser la récréation ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Sinon, ils allongeront d'autant le débat...

M. Christine Boutin - Il est difficile de parler dans un brouhaha permanent (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Mes chers collègues, je voudrais que vous compreniez que j'essaie d'exprimer une conviction profonde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) Je n'ai pas de leçons à recevoir de ceux qui étaient absents le 9 octobre ! (Mêmes mouvements ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

On est effaré devant la perversité de cet immense mélange que le Pacs prétend introduire dans la société. Plus aucune relation humaine ne sera claire. Progressivement, tous les liens sociaux seront dénaturés par l'occultation de la différence sexuelle et de la spécificité naturelle et sociale des liens de parenté (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Jean-Louis Debré - Je suis scandalisé (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste) par les attaques personnelles dont Mme Boutin fait l'objet. J'ai même entendu contester son adhésion aux valeurs républicaines. Pour que ce débat retrouve la sérénité, je vous demande, Monsieur le Président, d'accepter une suspension de séance d'un quart d'heure.

M. le Président - Pendant la défense d'une exception d'irrecevabilité, il n'y a ni rappel au Règlement ni suspension de séance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mais si le silence ne revient pas, je prendrai la responsabilité de suspendre la séance.

Mme Christine Boutin - Pour limiter les immenses possibilités de fraude, il a été proposé que les droits ne soient ouverts que progressivement : l'imposition commune au bout de trois ans, les droits de succession au bout de deux ans, la prise en compte du Pacs pour l'assimilation d'un étranger à la communauté française au bout d'un an... Cette progressivité ne fait qu'ajouter à la confusion. Irène Théry l'a souligné, en parlant de "ce drôle de contrat, dont les effets sont soumis à des délais de carence, une incongruité juridique, et qui peut être unilatéralement rompu, ce qui instaure une étrange morale de la responsabilité".

Le Pacs sera considéré comme une "raison personnelle" pour obtenir un titre de séjour : cela revient à ouvrir complètement les frontières à l'immigration.

Par ailleurs, le Pacs offrira des possibilités de fraude et d'évasion fiscales : on imagine déjà le célibataire âgé prendre un étudiant à sa charge pour pouvoir bénéficier d'une part supplémentaire dans sa déclaration de revenus... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Vous savez bien que c'est vrai ! Le plus légalement du monde, deux personnes, quelle que soit la nature de leur lien, pourront contracter un Pacs pour bénéficier d'un avantage.

Or la proposition de loi n'est pas financée : le gage qui nous est proposé est ridicule, et même scandaleux. Et alors que le Gouvernement a réduit l'effet du quotient familial et diminué son aide à la famille, voilà qu'il va trouver 6 milliards de francs ! Encore n'est-ce là que le chiffre annoncé ; on peut penser que le Pacs sera beaucoup plus coûteux. Je n'arrive pas à comprendre une telle audace !

Enfin, le Pacs ne manquera pas de faire exploser le nombre des contentieux : il risque de contribuer lourdement à la surcharge des tribunaux.

M. Jacques Myard - Et d'engraisser les avocats !

Mme Christine Boutin - Certains dénonceront des Pacs blancs, d'autres réclameront des droits de succession... La jurisprudence va être fournie !

Les tribunaux auront surtout à se prononcer sur les effets de la rupture. Rappelons que le Pacs prend fin par un consentement mutuel, par une déclaration unilatérale, par le mariage ou par le décès ; à défaut d'accord entre les parties, la rupture est automatiquement prononcée par le juge, dont le rôle se limite à en "régler les conséquences".

L'un des attraits du Pacs serait donc la facilité avec laquelle on peut en sortir ; mais la volonté unilatérale n'aura pas à être justifiée et la rupture pourra créer des situations dramatiques.

Le fait que des personnes étrangères aux familles entrent dans les règlements successoraux ne manquera pas de rendre les successions plus difficiles. Prenons l'exemple d'un père divorcé qui contracte un Pacs avec son compagnon qui décède : ses enfants qui devront régler la succession avec un homme qui n'est pas leur père se trouveront placés dans une situation insupportable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL).

Le Pacs aboutirait probablement à l'affrontement de plusieurs réglementations concurrentes ; par exemple, les dispositions concernant le sort du bail en cas de rupture du Pacs pourraient entrer en collision avec les droits de la propriété privée et les droits du loueur.

Enfin, parmi les nombreuses lacunes, on peut remarquer qu'aucune référence n'est faite aux juridictions compétentes, en premier ressort ou en appel, ni aux procédures applicables en cas de conflit. Rien n'est prévu en droit international : pourra-t-on se prévaloir d'un Pacs à l'étranger ? Un Suédois pourra-t-il se prévaloir de son contrat d'union en France ?

On ouvrirait donc avec l'adoption de ce texte une véritable boîte de Pandore. C'est toute la cohérence du droit et l'équilibre des finances de l'Etat qui seraient compromis.

Le délai d'information de trois mois ne pourrait apporter que des contentieux supplémentaires.

Le Pacs conduit inévitablement à la filiation et à l'adoption. Comment les concubins hétérosexuels se verraient-ils refuser le droit d'adopter accordé aux gens mariés ? S'ils l'obtiennent, les personnes homosexuelles le réclameront à leur tour : on ne pourra pas créer de discriminations entre pactisés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Depuis 1966, l'adoption est ouverte aussi bien aux couples mariés qu'à la personne seule âgée de plus de 28 ans. L'adoption d'un enfant par un couple homosexuel, si elle n'est pas interdite par la loi, est limitée par un arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 1996 qui refuse de "donner le droit à l'adoption à un homosexuel" -même s'il est toujours possible aux futurs adoptants de ne pas révéler leur éventuelle homosexualité. Enfin, l'Assemblée nationale a refusé en 1996 d'entériner les amendements visant à donner aux homosexuels la possibilité d'adopter.

Depuis les lois de 1994 sur la bioéthique, le bénéfice de l'insémination artificielle ou d'une PMA est accordé exclusivement aux couples mariés ou aux concubins qui vivent ensemble depuis deux ans. Quant au recours à une mère porteuse, elle est évidemment interdite par la loi.

Officiellement, les promoteurs du Pacs se refusent à lui donner toute possibilité d'influer sur l'état des personnes et renvoient ces enjeux à des lois futures sur l'adoption et sur la bioéthique. De même, le Pacs ne donnera pas la présomption de paternité. De fait, reconnaît Irène Théry, "on ne peut demander au droit de dire qu'un enfant peut avoir deux pères ou deux mères". De nombreux homosexuels ressentent d'ailleurs l'inanité d'une filiation unisexuée.

Pourtant, la perspective de l'adoption d'enfants par les homosexuels est bel et bien à l'horizon du Pacs. L'exclusion des questions de filiation, de "parentalité" et d'adoption apparaît comme une simple technique de la part des défenseurs du projet. Le but est évidemment de limiter l'impact psychologique de la réforme et d'en accélérer l'aboutissement.

Plusieurs mouvements homosexuels ont introduit avec force, dans le débat lancé autour du CUCS, le thème de la filiation, d'autant qu'un certain nombre d'homosexuels ont déjà des enfants (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). N'êtes-vous pas intéressés par ce débat ? La France va vous juger ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR ; vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste) La filiation n'intéresse pas la gauche plurielle.

M. Jacques Myard - La France les a condamnés !

M. le Président - Laissez parler Mme Boutin ! Sinon, je vais suspendre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Crépeau - C'est grotesque !

Mme Christine Boutin - Je disais donc que le thème de la filiation avait été abordé par les mouvements homosexuels. Selon le Centre gai et lesbien, "le mariage doit permettre à deux personnes, sans distinction de sexes, de fonder une famille et d'élever des enfants, dans un cadre juridique sécurisant et reconnu". Le journal L'Humanité... (Exclamations sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste) Je ne suis pas sectaire, moi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La démocratie, c'est le débat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Vous tournez le débat en dérision, mais cela vous reviendra comme un boomerang ! Puis-je, enfin, citer L'Humanité ? Ce journal mentionnait le 22 juin dernier, dans son compte rendu de la Gay Pride que "le Centre gai et lesbien prend acte des engagements du Gouvernement, tout en continuant à revendiquer, pour les couples homosexuels, une stricte égalité des droits qui passerait par le mariage et l'adoption".

Lors d'une conférence de presse sur le Pacs en juin dernier, Mme Tasca avait présenté les dispositions du Pacs et expliqué que celui-ci était fondé sur un lien sexuel entre deux personnes.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Pas seulement !

Mme Christine Boutin - Au cours de sa présentation, alors qu'elle annonçait que l'adoption n'était pas prévue par le Pacs, un journaliste homosexuel s'est exclamé furieux : "Alors on va être obligé de faire l'amour mais on nous interdit d'avoir des enfants !" Toute la contradiction du Pacs se trouve résumée dans cette réaction.

La reconnaissance de l'union civile représente donc clairement, dans l'esprit des militants, le cheval de Troie par lequel pourra être ensuite revendiqué, pour deux homosexuels, le droit à l'adoption et à la filiation.

La possibilité d'adoption nierait les rôles respectifs de la mère et du père. Le mythe de l'enfant rayonnant au milieu de ses deux "mères" doit être rejeté dans les placards de la désinformation et de la malhonnêteté intellectuelle.

M. Jacques Myard - Elle a raison.

Mme Christine Boutin - Bien au contraire, perdu entre trois ou quatre visages d'adultes, l'enfant grandira sans trop savoir qui est qui, en violation de la convention de New York du 20 novembre 1989 sur les droits de l'enfant qui rappelle que c'est un droit fondamental pour l'enfant d'être élevé par ses deux parents.

Par ailleurs, le Pacs n'assure pas la protection de l'enfant en cas de rupture de l'association, contrairement à la procédure du divorce, qui pourtant n'évite pas toute conséquence négative sur l'enfant. La grande facilité de rupture du Pacs serait un handicap supplémentaire pour les enfants, décidément les principales victimes de cet invraisemblable réforme.

Au total, le Pacs contribuerait inévitablement à la "chosification" de l'enfant, soumis au bon plaisir des adultes, à une époque où notre société tente vainement d'endiguer les atteintes à la dignité des plus jeunes. La convention sur les droits de l'enfant, "grande cause nationale", la commission d'enquête sur l'état des droits de l'enfant en France instituée par l'Assemblée nationale et présidée par Laurent Fabius, les efforts déployés pour le démantèlement des réseaux de pédophilie en sont témoins. D'où le cri d'alarme lancé par Mgr Billé, président de la conférence des évêques de France : "On ne peut pas d'un côté avoir pitié de l'enfance meurtrie par la dérive des moeurs et, de l'autre, briser les images de la paternité et de la maternité".

Insémination artificielle des lesbiennes, partenaire masculin utilisé comme "étalon", homosexuel désirant être père s'associant avec une lesbienne désirant être mère au terme de curieux "projets de parentalité", mère "donneuse" ou "porteuse", notion de "parenté sociale" toutes ces acrobaties biologiques et sociales pour permettre ou justifier l'accession d'un couple homosexuel à la paternité ou à la maternité semblent relever d'un "fantasme narcissique d'auto-engendrement". En tout cas, on ne voit pas au nom de quoi l'Etat, garant du bien commun, devrait entrer dans cet engrenage d'irresponsabilité. Et je demande ici au Garde des Sceaux de bien vouloir nous faire part de la position qui sera la sienne lors de la discussion des lois de bioéthique sur l'accès des couples homosexuels à la procréation artificielle. L'enfant, dans sa liberté, sa dignité et sa fragilité serait le grand perdant de ce bouleversement (Applaudissements sur bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Cela fait des années que notre rapporteur travaille sur ce sujet. Il sait ce dont il parle. Qui mieux que lui est au courant des revendications des personnes concernées par le Pacs ? Ni les paroles rassurantes des diverses personnalités du Gouvernement ni même les propos du Premier ministre, le 8 octobre, sur France 2, n'y changeront rien.

Oui, le Premier ministre a menti aux Français le soir du 8 octobre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Il y aura bien demain filiation et adoption d'enfants par les couples homosexuels si le Pacs est voté. On ne voit pas du reste au nom de quel principe cela pourrait être refusé.

Oui, l'enjeu du Pacs est d'amener la France à autoriser l'adoption et la PMA aux personnes homosexuelles. Cette hypocrisie discrédite l'ensemble de l'action du Premier ministre et celle de son Gouvernement. Le Premier ministre nous a habitués, c'est vrai, à des propos inacceptables qui l'ont amené à présenter des excuses dans cet hémicycle. Après la prestation télévisée du 8 octobre, nous avons la confirmation que le discours gouvernemental n'est pas toujours illuminé de la clarté et de la vérité que l'on voudrait nous faire croire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Si nous adoptons aujourd'hui ce sous-mariage, l'institution républicaine du mariage en sortira bouleversée ou réduite à néant. Certes, les nombreuses difficultés observées dans la vie des foyers, la multiplication des familles "recomposées" ou "nouvelles familles", des familles monoparentales, des divorces et des naissances hors mariage, sont un argument facile contre l'institution du mariage civil (M. Alfred Recours s'exclame). Trop facile, car il n'est pas juste de ne regarder que les failles et les échecs et beaucoup de ces enfants, nés hors mariage, voient justement souvent leurs parents s'engager publiquement devant le maire pour eux !

M. Jacques Myard - C'est vrai !

Mme Christine Boutin - Il reste que beaucoup pensent aujourd'hui "qu'on ne peut pas résumer l'union entre deux personnes à la seule institution du mariage", comme le déclarait Mme la Garde des Sceaux au Monde en juin dernier. Il conviendrait au moins, sur la base de ce constat, de s'interroger sur les avantages que la société est en mesure de retirer de ce modèle familial et sur les raisons qui peuvent la pousser à le perpétuer.

Par ailleurs, l'existence du Pacs léserait les époux par rapport aux concubins. Prenons l'exemple d'un couple marié accueillant sous son toit un membre éloigné de sa famille. L'un ou l'autre des conjoints pourrait vouloir signer un Pacs avec ce parent, afin de mettre en commun avec lui des moyens matériels, selon l'objectif même assigné à la nouvelle institution (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Attendez la suite de ma démonstration. Dans ce cas, il sera impossible à l'un ou l'autre des conjoints de signer un Pacs, puisqu'il est marié. En revanche, l'un des membres d'un couple de concubins pourra sans problème conclure un Pacs avec un tiers. Il y aura donc bien discrimination entre concubins et couples mariés (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Sous-mariage, le Pacs se déliera par un sous-divorce. En autorisant une rupture unilatérale, le PACS consacre l'institutionnalisation d'un sous-mariage dissoluble par répudiation, une idée qui nous fait pourtant horreur.

Le Pacs inscrira la loi du plus fort dans la loi républicaine car dans ce vide juridique, ce sont les plus faibles qui seront pénalisés. Je le dis à l'intention de M. Bloche, le professeur Malaurie rappelait que "les plus faibles, ce sont en général la femme et les enfants, car toutes les communautés de vie précaires, entre personnes de sexe différent, sont par essence antiféministes". C'est la conjointe qui, toujours, subit les conséquences de la dissolution.

Songeons de même à un contractant qui, gravement malade, pourra néanmoins être répudié par son cocontractant (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; mouvements divers).

L'Etat prêterait ainsi son concours à la création de situations injustes qui, certes, existent dans le concubinage mais qui, du moins, n'ont pas reçu la caution d'un représentant de l'Etat.

Un moyen de tourner la difficulté serait de transposer au Pacs les effets du divorce, beaucoup plus protecteurs. Il est dit en effet que "les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que la rupture du pacte entraîne à leur égard. A défaut d'accord, celles-ci sont réglées par le juge". S'agira-t-il du versement d'une pension alimentaire, du droit pour le répudié de se maintenir dans le logement, quand bien même il appartiendrait en propre au répudiant, voire du refus du juge de prononcer la répudiation si par exemple la rupture a des conséquences aggravantes sur la maladie du répudié ?

De fil en aiguille, c'est tout le droit du divorce qu'on réintroduirait dans le PACS, tant il est vrai qu'il n'y a pas à côté ou au-dessous du mariage de place pour une autre institution qui organise, d'une manière juste et digne de la République, les rapports de l'homme et de la femme désireux d'unir leur vie, commente en substance le professeur Leveneur.

Le divorce comporte toujours lui-même sa part d'injustice, et rien ne permet de penser que les garanties qu'il offre seraient aisément transposables au Pacs. Un divorce ne s'improvise pas : un bon divorce, si l'on peut employer cet adjectif, veut qu'au préalable on ait réglé les questions de garde d'enfant, de lieu d'habitation, de droit de visite, de vacances, de budget. A qui revient le plan d'épargne-logement ? Les traites ? De toute évidence, ce n'est pas dans le texte du Pacs que l'on trouvera la réponse.

Le Pacs ne répondra aux besoins de personne, ni des hétérosexuels, ni des homosexuels.

Les revendications des homosexuels sont si variées, parce qu'ils recherchent avant tout reconnaissance et respect, que le Pacs ne leur apportera aucune satisfaction. Pas de reconnaissance sociale à la mairie, pas de filiation, pas de solution des problèmes liés à la précarité. Et surtout, pas de changement de regard car ce n'est pas en légiférant qu'on change le regard des gens.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Si !

Mme Christine Boutin - Le Pacs ne répond pas non plus à la revendication des couples hétérosexuels pour lesquels ils constituera une régression Le Pacs doit combler un vide juridique en conférant un statut légal aux concubins, nous dit-on. Ce qui fait dire à Maître Vatier, ancien bâtonnier du barreau de Paris, qu'on ne peut prétendre "s'emparer d'un texte pour travestir une précarité voulue dans l'étoffe d'une stabilité organisée et responsable". La juriste Marianne Schulz note, quant à elle, que "le contrat ne résout pas la situation des concubins hétérosexuels qui ne veulent pas du formalisme rigoureux que requiert le Pacs".

Les concubins eux aussi auront été pris en otage par la gauche plurielle.

M. Alain Calmat - Le Pacs n'est pas obligatoire !

Mme Christine Boutin - On ne crée pas facilement une institution parallèle au mariage. C'est ainsi que le Pacs aboutit à des résultats rigoureusement contraires à ceux qui étaient recherchés. Cette mésaventure arrive de temps à autre à quelques textes législatifs, surtout lorsqu'ils n'ont pas été convenablement préparés ("Tout à fait !" sur les bancs du groupe du RPR).

Le mot de solidarité est admirable. J'ai entendu tout à l'heure que l'on s'en réclamait de ce côté de l'hémicycle, mais c'est l'ensemble de l'Assemblée nationale qui s'en réclame. Il exprime l'entraide que nous nous devons les uns les autres, comme y invite la fraternité de notre devise républicaine. Mais dans la langue du droit civil, la solidarité indiquée à l'article premier de la proposition de loi a un sens précis : elle contraint chaque partenaire à rembourser les dettes éventuellement contractées par l'autre en cas de défaillance de sa part. Le Pacs, écrit Maître Vatier, "règle par définition une situation de fait avec une liberté qui peut exclure la durabilité. Cette liberté engendre intrinsèquement des situations précaires".

La Cour de cassation a refusé légitimement d'étendre aux concubins la solidarité légalement imposée aux époux par l'article 220 du code civil. C'était là traduire la psychologie des concubins. Monsieur n'entend pas du tout être tenu des dépenses de Madame, et réciproquement.

Au contraire, le Pacs n'a pas écarté les emprunts ou les achats à tempérament. Il risque de coûter très cher aux concubins, sans compter les contentieux. Chaque partenaire sera tenu d'acquitter l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation, l'impôt sur la fortune comme les époux. Les partenaires du Pacs ne savent pas ce qui leur tombe dessus.

La solidarité est profondément contraire à l'esprit de l'union libre, où règnent la liberté, l'indépendance et le chacun pour soi. La solidarité, dans le Pacs, est une imitation maladroite du mariage, une énorme régression.

M. François Liberti - Mais cette page a déjà été lue !

Mme Christine Boutin - Oui, j'ai été élue. Merci pour mes électeurs... (Rires et bruits divers)

M. François Liberti - En plus, elle est sourde.

Mme Christine Boutin - Merci pour mes électeurs (Brouhaha ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Au risque de vous déplaire, oui, je suis fière de représenter depuis douze ans les électeurs et tous les habitants de la dixième circonscription des Yvelines (Mêmes mouvements).

Mme Yvette Benayoun-Nakache - C'est minable.

Mme Christine Boutin - Ces propos sont inacceptables (Bruits sur tous les bancs).

M. le Président - Ce débat important exige le calme. Pour l'instant, aucun d'entre vous ne veut entendre l'autre, même si l'on a pu comprendre que les uns soutiennent Mme Boutin, les autres non. Afin de vous permettre de retrouver un peu de calme, je suspends la séance pour un quart d'heure.

La séance, suspendue à 22 heures 45, est reprise à 23 heures.

Mme Christine Boutin - A l'heure où l'on ne semble plus comprendre les raisons de l'intervention de l'Etat en matière familiale, il est important de rappeler, comme l'a d'ailleurs fait le Premier ministre, que l'Etat a toujours reconnu la famille, réalité naturelle, comme première éducatrice de l'enfant. L'Etat admet qu'il a besoin de la famille, laquelle lui préexiste, pour que le pays soit constitué de citoyens debout, libres et responsables. Mais encore faut-il que ceux-ci aient été mis au monde, et c'est pourquoi l'autre raison du soutien financier et moral de l'Etat aux familles tient à la reconnaissance du service démographique qu'elles rendent à la société : ce sont elles qui permettent au pays de renouveler et d'accroître sa population.

Or quelle institution fait le lien entre la société et la vie privée des couples ? C'est l'engagement des époux dans le mariage, qui constitue une sorte de "promesse de service", par laquelle l'Etat a connaissance de leurs intentions de procréation et d'éducation qui justifieront son soutien. Du fait de ce mariage, si l'un des deux époux est dans le besoin, la responsabilité de lui venir en aide reviendra en premier lieu à son conjoint et non à l'Etat. Le texte que l'on nous propose est dangereux, car il attaque directement l'acte fondateur de l'engagement des époux.

Certes, un père, une mère et des enfants sont une réalité naturelle, à la fois biologique et spirituelle, qui n'a pas besoin d'institution pour exister, mais force est de constater que toutes les sociétés, quel que soit leur degré d'évolution, ont connu ou connaissent le mariage. La première raison en est que la sexualité est une force puissante et moralement complexe, qui engendre le don, mais aussi la convoitise, et doit donc être régulée, canalisée, pour que les plus faibles ne soient pas la proie des plus forts.

La seconde raison est que le mariage fournit à la société le modèle fondamental qui lui permet de se constituer et de durer. Il n'y a pas de société possible sans engagement des personnes les unes envers les autres, sans contrainte acceptée et solidarité voulue, sans confiance a priori et espérance en l'avenir, sans dépassement de soi-même et acceptation d'une fécondité partagée. Mais ces choses ne vont pas de soi, car la tendance naturelle de l'être humain va davantage à la satisfaction immédiate de ses volontés, fût-ce au détriment d'autrui, qu'au respect et au service des autres. Il faut donc un modèle, universel, qui fasse la preuve, par son existence même, que la vie sociale est possible. Le mariage est ce modèle, et toutes les civilisations le reconnaissent, car l'amour d'un homme et d'une femme, le désir d'enfant qu'il engendre en eux et la volonté de l'élever ensemble sont des sentiments assez forts et universels pour susciter le souhait d'une institution qui les protège. En échange, les sociétés savent que leur avenir dépend de la solidité de leur cellule de base, et cela leur crée des devoirs envers elle, qui ne sont que la conséquence logique de leur propre instinct de conservation.

Je m'étonne de l'insistance avec laquelle on parle des échecs du mariage. Il est vrai que le nombre des divorces a beaucoup augmenté depuis vingt ans, et les difficultés, les souffrances, les désarrois de notre société n'y sont certainement pas pour rien, mais malgré cela deux mariages sur trois tiennent bon ! Que déduire de cette solidité dans la tempête, sinon que l'institution du mariage garde, à travers les siècles, une force d'attraction puissante ? En ces temps de chômage, de précarité et de perte de sens, la famille apparaît comme un rempart, comme un formidable amortisseur de crise, comme l'a souligné Evelyne Sullerot : "aucun Etat ne saurait remplacer le tissu des solidarités familiales pour éviter l'exclusion" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

Le premier devoir de l'Etat est de rendre à la famille déboussolée la conscience de son rôle, de réhabiliter le mariage civil, d'aider les familles à sortir de la précarité matérielle pour assumer toutes leurs fonctions éducatives et affirmer, face aux enfants, les repères d'identité et les repères moraux indispensables à leur équilibre comme à celui de la société. Or comment imaginer, demande maître Vatier, que le Pacs puisse ne pas porter atteinte à l'institution même du mariage ? Comme l'écrit, dans la revue Horizons politiques, notre collègue Guy Teissier (Applaudissements sur les bancs du groupe DL), il est de la responsabilité de l'Etat d'encourager et de valoriser la famille et le mariage et non de concurrencer cette réalité biologique et culturelle par des formes juridiques nouvelles qui confondent choix personnel et intérêt collectif". On ne saurait mieux dire (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

Le mariage doit être revalorisé pour redonner confiance à la France. Depuis des années, il est de bon ton de souligner le nombre de divorces et d'unions libres et de "ringardiser" le mariage. Les modernes seraient les concubins, les conservateurs ceux qui se marient, les réalistes ceux qui ne se marient pas, les rêveurs ceux qui se marient. Eh bien non ! L'Etat, les responsables politiques que nous sommes, doivent donner ses lettres de noblesse au mariage civil. Féliciter et encourager ceux qui prennent le pari de s'engager pour la durée, malgré les difficultés et les aléas de la vie.

S'engager dans le mariage, c'est faire le pari de l'avenir. Ce n'est pas utopique, et ce n'est pas condamner ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s'engager ; c'est affirmer que le mariage est là pour protéger le plus faible au moment des difficultés et que c'est le prix à payer par l'Etat de l'engagement libre de cet homme et de cette femme qui se marient civilement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). "Ce dispositif culturel, note le sociologue Guy Coq, est probablement un des fondements de la civilisation. En cédant à la démagogie individualiste, on affaiblit les principes qui rendent possible une certaine civilisation". Il ajoute que le Pacs va dans le sens de la déconstruction de la société civile.

Dire qu'un amour pur, un amour vrai, dépouillé, n'a pas besoin "d'un sceau au bas d'un parchemin" est peut-être beau, mais loin de la réalité. Parce qu'il peut y avoir rupture, l'amour a besoin de s'appuyer sur les règles de la vie en société. C'est aussi ce qui justifie le mariage civil.

Cela nous amène à évoquer le rôle de l'Etat par rapport à l'évolution des moeurs.

M. Jean-Louis Debré - Bonne question.

Mme Christine Boutin - Dans cette opposition de la famille et du mariage, d'un côté, du Pacs, de l'autre, on semble avoir choisi son camp. On nous propose une contrefaçon du mariage, au motif que le droit doit s'adapter aux moeurs. Quelle triste conception du droit, rabaissé à un simple enregistrement des faits de société. Pourtant, notre droit est enraciné dans notre histoire, notre culture et notre tradition. Il est le reflet de notre conception de la dignité de la personne et des relations sociales. Certes, la société évolue et le droit aussi. Mais le droit garde un rôle régulateur. Le droit est fait pour mettre de la clarté dans les faits, et de la hiérarchie entre les valeurs, disait la sociologue protestante France Quéré (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Le droit a donc vocation à régir la société. Si l'on adapte le code civil à l'évolution des moeurs, on devra bientôt adapter les fondements de notre ordre juridique à l'assassinat des hauts fonctionnaires en Corse. "Le développement de la délinquance ne justifie pas la disparition du droit pénal", disait le conseiller Jean-Luc Aubert.

Certains modes de vie ne sont nullement bénéfiques pour le corps social et le droit ne doit jamais s'y conformer. Certaines évolutions, sont positives, mais toutes n'ont pas vocation à être consacrées par le droit.

L'Etat ne peut reconnaître que deux réalités constitutives de la société, les individus et les familles, ces dernières étant fondées sur l'engagement d'un homme et d'une femme, qui passe naturellement par le mariage civil. Certes l'Etat reconnaît aussi le concubinage et il y a là une contradiction. Mais en reconnaissant des droits spécifiques aux concubins, l'Etat a sans doute atteint les limites de ce qu'il peut faire sans saborder ses fondements.

Mais à tout le moins le concubinage entre un homme et une femme reste-t-il dans l'ordre de la nature, qui préexiste à toute société. Et l'attitude de l'Etat peut se donner pour justification la non-discrimination à l'égard des enfants issus de ces unions.

M. Jacques Myard - Très bien !

Mme Christine Boutin - C'est aussi ce que disait Adeline Hazan, secrétaire nationale du parti socialiste, en réaffirmant son opposition à l'attribution d'un statut au compagnon homosexuel : "On ne va pas interdire aux gens de vivre comme ils le veulent. Pour autant, est-ce que la loi doit le légaliser ? C'est autre chose".

Le rôle de l'Etat, répétons-le, est d'apporter un cadre légal aux liens interpersonnels qui assurent le renouvellement des générations et garantissent l'avenir de la société. "Cette reconnaissance d'un droit particulier destiné à un groupe précis est une entorse supplémentaire à la loi commune. De plus en plus, le communautarisme impose à la collectivité ses droits à la différence. L'esprit initial de la loi républicaine -s'appliquer indifféremment à tous- n'est plus aujourd'hui respecté. L'individu triomphant porte en lui le risque de l'éclatement social" disait récemment Ivan Rioufol.

Le devoir de l'Etat est donc de favoriser les projets familiaux qui se construisent dans la durée et favorisent le renouvellement des générations et l'éducation des enfants et, par là même, les conditions de la stabilité sociale, par rapport aux projets stériles et éphémères.

On trouve normal que l'Etat favorise, dans l'ordre économique, des projets qui créent des emplois durables par rapport à certains comportements d'épargne ou de profit immédiat, a fortiori il doit soutenir le projet des familles, qui conditionne bien davantage l'avenir de la société (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Sous couvert de l'évolution des moeurs et des modes de vie, l'Etat et le droit devraient se faire les symboles de la neutralité morale : "Quant au sujet qui nous intéresse, le droit ne doit pas imposer de valeurs. Il doit se contenter de réglementer les choix opérés par la société" a dit le président du collectif du CUCS.

Après les replis stratégiques opérés pour ne pas inquiéter l'opinion, le Premier ministre lui-même a évoqué il y a peu la neutralité de l'Etat à l'égard des comportements privés pour expliquer que, décidément, il était déraisonnable de ne pas voter le Pacs. C'est une utopie juridique : l'Etat n'est jamais neutre. Chargé d'assurer la sécurité et la pérennité du corps social, il est tenu de faire des choix qui reposent forcément sur une vision particulière du monde et sur une conception particulière de l'homme et qui ont des conséquences sur la vie quotidienne des gens. Et ces conséquences ne sont pas neutres. On ne peut prétendre que l'Etat est neutre.

Des institutions autorisent ou réglementent les comportements utiles à la prospérité d'un pays. C'est pour cette raison que l'Etat a toujours, depuis l'instauration du mariage républicain en 1792, favorisé l'institution matrimoniale, et à peu près toujours ignoré les personnes qui ne voulaient pas vivre dans ce cadre.

Par ailleurs bien des situations délicates dans lesquelles se trouvent les individus ou les familles découlent de choix individuels. Ainsi, l'Etat, verse l'allocation de parent isolé, sans tenir compte des raisons de l'isolement. Ainsi vient-il en aide à des personnes qui, victimes de la faiblesse de leur volonté, sombrent dans la toxicomanie. Ainsi rembourse-t-il les procréations médicalement assistées, dont la décision est personnelle.

Au nom de la neutralité de l'Etat, faudra-t-il revenir sur des aides sociales légitimes dont l'origine se trouve dans des comportements personnels ? Le Premier ministre est-il prêt à remodeler complètement les aides sociales au nom du principe de neutralité de l'Etat ? J'aimerais vous entendre sur ce point, Madame la ministre.

Le débat sur le Pacs prendrait alors des formes inattendues : le Premier ministre en soutenant ce texte n'est pas neutre. Ce texte prend position vis-à-vis du mariage, du concubinage, des homosexuels, des frères et soeurs. Il n'est donc pas neutre. "Le Pacs est la preuve de la mentalité de l'Etat à l'égard de comportement privé" a dit M. Jospin, mais c'est au mieux une utopie, au pire un mensonge.

En soutenant le Pacs, l'Etat va à l'encontre de sa mission et détourne le droit de son but, qui est d'organiser la société en vue de sa pérennité. Ce texte ferait d'un comportement une réforme, car, "ce qui est légal devient moral". En reconnaissant l'homosexualité on va amplifier le phénomène et faire disparaître toute idée de normalité dans le comportement sexuel et les moeurs. C'est d'ailleurs l'objectif avoué des partisans du CUCS. Il n'y a rien de neutre dans tout cela (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

L'Etat prive la vie affective de normes sociales. La multiplication de droits subjectifs individuels désocialise progressivement les individus. En mettant sur le même plan le mariage et le non-mariage, l'union entre l'homme et la femme et l'homosexualité, le Pacs est source de désordre. Les souffrances profondes de notre société ne trouveront certainement pas leur remède dans le démantèlement des principes de base qui la fondent.

Il y a une grande hypocrisie de la part des promoteurs du Pacs à vouloir graver leur texte dans le marbre de la République, tout en insistant sur le fait que l'Etat ne doit favoriser aucun modèle familial particulier. C'est oublier que l'Etat et la République n'ont jamais été neutres au regard du mariage et de la famille ; en quelque domaine que ce soit, la neutralité de l'Etat est une utopie.

Dans cette logique de déstructuration du tissu social, qui substitue l'individualisme et le relativisme éthique à l'intérêt général et à la nécessaire référence aux principes fondateurs de la société, comment le Premier ministre empêchera-t-il que d'autres modes d'union légale ne voient le jour ? Qui empêchera des communautés culturelles en marge de la République de réclamer un contrat spécial à leur usage qui rendrait licites des usages et coutumes que la tradition française réprouve ? En clair, est-ce qu'au nom de cette fameuse neutralité, M. Jospin est prêt à accepter la polygamie en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Plusieurs députés socialistes - Caricature !

Mme Christine Boutin - Ces différents éléments présentent chacun un ou plusieurs motifs d'inconstitutionnalité, que je voudrais maintenant exposer en détail. Je vous préviens qu'il y a douze motifs d'inconstitutionnalité.

D'abord, on ne peut pas camoufler ses véritables intentions à l'opinion publique tout en clamant que ce texte est fondateur, révolutionnaire, décisif pour notre société : si l'on considérait que le peuple français n'est pas adulte et souverain, on ne s'y prendrait pas autrement. Je vous concède que cette première critique relève plus de l'esprit de la Constitution que de sa lettre ; je vous concède également que la souveraineté populaire ne peut pas s'exprimer directement sur chaque texte. Néanmoins, le Gouvernement aurait pu clarifier les termes du débat, au lieu de masquer les enjeux, de peur que l'opinion ne manifeste alors son opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Dans le même ordre d'idées, plusieurs collègues se sont étonnés du peu de travail effectué en commission. Notre assemblée est habituée à d'autres pratiques, s'agissant de textes considérés comme importants : on nomme une commission spéciale, on élabore un programme d'auditions équilibré... Rien de tout cela n'a été fait, parce que vous avez pris la décision de présenter à nouveau ce texte en dépit du rejet prononcé par notre assemblée le 9 octobre (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Ma deuxième observation concerne l'organisation des débats.

Il est fort dommage que le Conseil d'Etat n'ait pas été sollicité ; comme notre collègue Donnedieu de Vabres l'a souligné en commission, l'avis éclairé d'une institution déchargée de contraintes politiciennes aurait été nécessaire sur ce texte aux imperfections juridiques nombreuses. Certes, rien n'obligeait le Gouvernement à le demander ; mais le Premier ministre peut saisir le Conseil d'Etat en toutes circonstances et sur tout texte de son choix.

De même, la saisine du Conseil économique et social, prévue aux articles 69 et 70 de notre Constitution, eût été opportune. Certes, elle n'était pas obligatoire ; mais l'article 70 précise que le Conseil est compétent pour "tous types de sujets à caractère économique ou social".

Le Pacs en est évidemment un, étant donné ses impacts sur la famille et la politique familiale, dossiers sur lesquels le Conseil économique et social se prononce régulièrement.

Tout cela aurait pu se faire si vous aviez respecté le délai d'un an que votre Règlement oblige à respecter avant de représenter une proposition de loi qui a été repoussée (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Vous avez préféré la précipitation, sans motif d'urgence, sauf peut-être politicien (Mêmes mouvements).

Le 9 octobre dernier, la proposition de loi portant création du Pacs a été rejetée pour irrecevabilité, sur proposition de notre collègue Jean-François Mattei (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). J'ai lu des commentaires étonnants sur cette décision de notre assemblée : dans le rapport du 14 octobre de la commission des lois, on présente l'adoption de l'exception d'irrecevabilité comme un "détournement de procédure" (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) ; on ajoute que la démonstration de l'inconstitutionnalité du Pacs n'occupait que "quelques lignes dans l'intervention de notre collègue Mattei" ("Oh !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) ou encore que "cette motion de procédure doit son adoption à un rapport numérique momentanément favorable à l'opposition plutôt qu'à la démonstration du caractère inconstitutionnel du texte issu des travaux en commission". (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président - Essayez de retrouver un peu de calme !

Mme Christine Boutin - Ces raisons n'ont qu'une justification : elles sont alléguées pour légitimer la reproduction du texte sur le Pacs devant notre assemblée. Mais elles sont bien insuffisantes. Premièrement, aucun des textes qui régissent le déroulement de nos débats ne fait état d'une quelconque quantité minimale de mots, d'une espèce de "plancher quantitatif" qu'il conviendrait de respecter pour assurer le poids d'une démonstration d'inconstitutionnalité (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Cette démonstration d'inconstitutionnalité tiendrait-elle en une phrase dans un long discours, que rien ne serait pour autant ôté à sa pertinence. Il s'agit ici de conformité de dispositions législatives avec un ou des principes, et les principes ont rarement à voir avec la quantité.

Deuxièmement, la notion de "rapport numérique momentanément favorable", n'est-ce pas, Monsieur Ayrault, n'a qu'un poids réglementaire faible.

M. le Président - N'interpellez pas vos collègues !

Mme Christine Boutin - La gauche est gênée ! Cette notion, disais-je, prêterait à rire si elle ne cachait pas des intentions presque inavouables. En effet, aucun de nos textes ne fait obligation aux parlementaires de l'opposition d'être en nombre moins élevé que leurs collègues de la majorité lors des séances de notre assemblée ! Aucun texte constitutionnel, organique, réglementaire ne mentionne l'existence de seuils à partir desquels les dispositions prises par notre assemblée seraient valides ou invalides. La seule réalité de notre règlement, c'est que l'exception d'irrecevabilité est "mise en discussion et aux voix" -et le seul compte qui fasse loi est celui que notre Règlement fixe en son article 68-1 : "sous réserve de l'application de l'article 49 de la Constitution, les questions mises aux voix ne sont déclarées adoptées que si elles ont obtenu la majorité des suffrages exprimés" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Et la notion de quorum n'a pas cours ici. L'article 61 indique que "l'Assemblée est toujours en nombre pour délibérer et régler son ordre du jour", et que "les votes sont valables, quel que soit le nombre de présents".

Le résultat du vote du 9 octobre est donc parfaitement conforme au droit. Il est plus qu'étonnant de voir invoquer de prétendus "détournements de procédure" ou je ne sais quel "rapport numérique momentanément favorable" pour faire paraître illégitime le vote du 9 octobre. Ce vote est pleinement légitime, et respectueux en tous points de la pratique de notre assemblée.

Dès lors, deux questions peuvent se poser. Avait-on le droit de reproduire cette proposition de loi avant le délai d'un an ? ("Non !" sur de nombreux bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Qu'est-ce qui détermine qu'une proposition de loi présentée avant l'écoulement de ce délai est la même que la proposition précédente ? On pourrait débattre sans fin sur le point de savoir si la nouvelle proposition de loi est la même ou non que la précédente. Quelques indices existent cependant. D'abord, le nom qui reste le même, puis la même volonté de légiférer : il s'agirait de réduire les inégalités et de remédier à la précarité. Les dispositions sont les mêmes, tant contractuelles que fiscales et sociales. Les arguments n'ont pas changé. Dans l'esprit, nous discutons bien du même texte. Faudrait-il alors considérer que deux dispositions nouvelles font différer ce texte de sa version précédente ? L'incorporation des fratries et le fait que seule la préfecture soit désormais le lieu prévu pour l'enregistrement du Pacs modifient-ils radicalement le contenu de la proposition ? ("Non !" sur de nombreux bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL)

Quelques mots seuls ont changé, au nom desquels on a cru légitime de réinscrire ce texte à l'ordre du jour.

Si "détournement de procédure" il y a, ce n'est certainement pas de la part des députés de l'opposition qui ont, le 9 octobre, pris part au débat, subi les artifices du "contre la montre" gouvernemental. C'est le fait de la majorité qui, engoncée dans des problèmes internes et externes, désireuse de se refaire une image dans l'opinion, dénature le droit parlementaire pour s'en servir à son profit (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL).

La missive du président Fabius aux commissaires aux lois de l'opposition devrait renverser son argument : il faut réinscrire la proposition de loi sur le Pacs, disait le président, sauf à limiter gravement l'initiative parlementaire telle que décrite à l'article 39 de la Constitution. Il me semble au contraire que l'initiative parlementaire ne peut être garantie que si les décisions du Parlement sont respectées, du moment que la manière dont elles sont prises sont conformes à son règlement. Comment pourrait-il en être autrement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Je l'ai dit, et le répète : la seule manière de garantir l'initiative parlementaire est de respecter la décision du Parlement, qu'elle plaise ou non. Celle du 9 octobre ne vous a pas plu : c'est possible. Et vous avez regretté l'absence des députés ce jour-là : je le conçois. Mais, lorsque l'on est forcé de signer de sa propre main une proposition que l'on y adhère ou non, comment manifester son désaccord autrement que par son absence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL) Les propos de notre collègue Desallangre, parus dans l'Union de Reims le 31 octobre dernier sont instructifs. "Je n'étais pas à l'Assemblée nationale le 9 octobre, car j'avais décidé que je ne voterais pas en faveur du projet de loi du Pacs". Et il ajoute qu'il n'a pas changé d'avis depuis (Mêmes mouvements). L'exercice normal de la démocratie n'a pas à payer les désaccords internes de la majorité. Le Pacs est irrecevable, un point c'est tout (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Bien loin d'arranger les choses, les nouvelles dispositions que vous y avez inscrites dans l'urgence ne font que renforcer son caractère inconstitutionnel : je le montrerai tout à l'heure.

M. Jacques Myard - Au petit déjeuner !

Mme Christine Boutin - Reste l'article 91-4, qui dispose que l'adoption de l'irrecevabilité d'un texte entraîne son rejet pur et simple dès que l'Assemblée considère que une ou plusieurs de ses dispositions sont contraires aux textes qui composent notre bloc de constitutionnalité.

Le moment est venu de nous interroger sur la nature de l'irrecevabilité, sur ses conséquences, et sur l'application de ces conséquences dans notre débat.

La recevabilité est présente dans l'ensemble de notre droit, elle est inhérente à tout mécanisme de débat codifié, puisqu'elle a pour fin de constituer la possibilité de débattre au fond, de telle sorte que la détermination de la recevabilité aboutit à la permission ou à l'interdiction de ce débat. C'est pourquoi elle se retrouve dans tous les types de procédure, qu'elle soit civile, pénale, administrative ou parlementaire.

Il serait fastidieux d'énumérer toutes les manières dont la notion de recevabilité se décline dans nos différents codes de procédure ("Ah ! ça oui !" sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Ne vous inquiétez pas, j'ai de la matière et je suis loin d'avoir terminé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Il n'est en tout cas pas douteux que la notion de recevabilité précède toute forme d'interrogation tant sur la forme que sur le fond, comme l'indique le professeur Cornu dans son Vocabulaire juridique. Est recevable, selon cet auteur, "ce qui mérite d'être pris en considération pour un examen au fond- en l'absence de toute fin de non-recevoir s'opposant à cet examen (Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Je vous conseille, Messieurs, de lire dans le détail mon texte une fois que j'aurai terminé (Rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Vous attendiez un texte de remplissage. Je traite des questions de fond, celle que vous avez cachées depuis le début (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'adjectif recevable se dit "de la demande en justice dont le juge est tenu d'examiner les mérites au fond, mais à laquelle il ne fera droit que si par ailleurs cette demande est également "régulière" -en la forme- et bien fondée -au fond (Tumulte sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Continuez, Messieurs ! La France vous regarde. La France saura comment vous vous comportez (Tumulte persistant sur tous les bancs ; des députés socialistes quittent l'hémicycle).

M. Jacques Myard - Ils désertent !

M. Arnaud Montebourg - Monsieur le Président, présidez !

Mme Christine Boutin - Continuez, Messieurs ! ("Suspension ! suspension !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Arnaud Montebourg - C'est honteux.

M. Michel Françaix - Vous êtes une honte.

M. le Président - Si vous voulez une suspension, vous l'aurez ! ("Oui, oui !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Je suspens la séance.

La séance, suspendue le mercredi 4 novembre à 0 heure 5, est reprise à 0 heure 25.

M. le Président - Avant de rendre la parole à Mme Boutin, je tiens à vous dire certaines choses. Tout d'abord, j'ai suspendu la séance parce que j'estimais que l'image que nous donnions de notre assemblée n'était pas digne (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Ensuite, en descendant de la tribune, j'ai bien entendu un certain nombre d'invectives et de termes peu flatteurs sur la façon dont je dirigeais la séance. Je suis prêt à tout entendre, quand c'est justifié. Mais je ne suis pas prêt à recevoir des injures ! (Mêmes mouvements) Je demanderai au Président Fabius, lors d'une prochaine Conférence des présidents, de mettre les choses au point avec les présidents de groupes. Cela étant, il est normal que l'Assemblée continue ses travaux, si possible dans le calme. Nul n'a intérêt à retarder ce débat. Si vous pensez que la présidence est mal assurée, c'est votre droit ; mais tant que j'occupe ce siège, je l'exerce en fonction des pouvoirs que me confère le règlement, et aucun de vous n'a le droit de venir m'injurier (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Philippe Douste-Blazy - Je demande la parole.

M. le Président - Il n'y a pas de rappel au Règlement pendant la défense d'une motion ; je l'ai refusé tout à l'heure à M. Debré.

J'apprends que le Président Fabius me demande de suspendre la séance pour me rencontrer. Vous comprendrez que j'accède à sa demande (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Arnaud Lepercq - Nous ne sommes pas sous tutelle !

M. Michel Meylan - C'est des pourris !

La séance, suspendue à 0 heure 30, est reprise à 0 heure 45 sous la présidence de M. Fabius.


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PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le Président - S'il y a eu des incidents nombreux et déplorables, la tradition veut que l'on ne mette pas la Présidence en cause, et je tiens à réaffirmer cette tradition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). L'atmosphère est devenue électrique, des propos excessifs ont été échangés, mais il faut aussi mesurer que la durée de l'intervention de l'oratrice n'a pas été tout à fait conforme à ce qui était prévu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Rudy Salles - Elle a été interrompue !

M. le Président - Mon intention est donc de réunir brièvement la Conférence des présidents et de lui proposer de décider, d'une part, que Mme Boutin poursuive et achève son propos, puis que plusieurs orateurs lui répondent et que nous passions au vote, et, d'autre part, que l'examen du budget du logement, prévu demain matin, soit reporté. Quant aux divers propos auxquels j'ai fait allusion au début de mon propos, ce n'est pas la Conférence des présidents qui est compétente, mais le Bureau, que je compte réunir dans la journée de demain.

M. Jean-Luc Warsmann - Nous voulons des excuses de M. Ayrault !

M. Philippe Douste-Blazy - Je rappelle qu'il est de jurisprudence constante que la durée des motions de procédure n'est qu'indicative. Je rappelle également que certains députés socialistes, après la seconde suspension décidée par le président Arthur Paecht, s'en sont pris à lui en termes intolérables, allant jusqu'à exercer sur lui des pressions physiques ("C'est vrai !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL ; dénégations sur les bancs du groupe socialiste). Afin que de tels agissements ne soient pas laissés sans suites, nous avons demandé la réunion immédiate de la Conférence des présidents, et nous vous remercions, Monsieur le Président, de nous l'avoir accordée, mais si la sérénité ne devait pas revenir, nous demanderions, cette fois, la réunion du Bureau et le report de la suite de la discussion à une date ultérieure (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

M. le Président - Vous avez tout à fait raison de rappeler que la durée des motions de procédure n'est pas limitée et que les indications données par les groupes en Conférence des présidents ne sont qu'approximatives. On pouvait savoir au reste, compte tenu de la délicatesse du sujet, à quoi s'attendre, mais il semble que le dépassement ait été net.

M. Arnaud Lepercq - Il y a eu des interruptions.

M. le Président - Certes, il faut en tenir compte, mais j'appelle votre attention à tous sur le fait que notre Règlement est conçu de façon libérale, mais qu'un usage trop libéral du Règlement peut se retourner contre lui-même. En tout état de cause, les pressions exercées sur la présidence sont inadmissibles, et je tiens à dire que j'ai la plus grande estime pour le président Paecht (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Pour l'heure, je souhaite que la sérénité revienne et que nous allions jusqu'au bout de la discussion de l'exception d'irrecevabilité.

La séance, suspendue à 0 heure 55, est reprise à 1 heure 15.

M. le Président - La Conférence des présidents, après un échange de vues, a pris les décisions que j'avais indiquées avant la suspension de séance.

Mme Boutin va donc poursuivre et, nous l'espérons, achever son intervention, puis nous entendrons cinq ou six orateurs et nous voterons dans la foulée.

Pour être complet, je vous informe que Mme Boutin, inscrite pour 4 heures, a jusqu'ici parlé, selon le service de la séance toujours très précis, 3 heures 49...

M. Jean-Luc Warsmann - Il y a eu des arrêts de jeu !

M. le Président - ...Elle va donc terminer. La parole est à Mme Boutin (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Christine Boutin - Nous en étions,...

M. Eric Doligé - Faites donc un résumé pour nous remettre dans le bain...

Mme Christine Boutin - ...à la définition de la recevabilité, qui est présente dans tout notre droit, dans toute notre procédure.

Le Professeur Cornu, dans son vocabulaire juridique, écrit qu'est recevable ce qui "mérite d'être pris en considération pour un examen au fond, en l'absence de toute fin de non recevoir s'opposant à celui-ci".

L'article 40 de notre Constitution définit la recevabilité financière des propositions et amendements du Parlement. L'article 41 donne au Gouvernement la possibilité d'opposer l'irrecevabilité à tout moment de la discussion d'un texte ; le professeur Drago précise qu'il s'agit alors de questions d'ordre procédural, mais qu'en revanche, "les irrecevabilités soulevées par les parlementaires ont en général une autre cause qui est une inconstitutionnalité de fond".

C'est régulièrement que l'Assemblée nationale a prononcé l'irrecevabilité du Pacs pour inconstitutionnalité le 9 octobre dernier. Il n'est donc pas douteux que nous sommes placés devant ce que François Mitterrand aurait certainement appelé un "coup d'Etat parlementaire" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). On m'objectera peut-être que le Règlement de l'Assemblée ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité ; je ne peux mieux faire que m'effacer devant Michel Debré, qui déclarait que "tout ce qui intéresse la procédure législative constitue des dispositions qui dépassent le caractère réglementaire au sens strict. Elles sont d'inspiration constitutionnelle, elles touchent au mécanisme des institutions" (Mêmes mouvements).

On nous soumet à nouveau un texte qui a été déclaré inconstitutionnel, au mépris du Règlement de l'Assemblée, lui-même d'ordre constitutionnel : c'est une grave atteinte à nos règles fondamentales.

Le Pacs est contraire à nos textes constitutionnels pour plusieurs raisons : méconnaissance de l'article 40 de la Constitution, méconnaissance du principe d'égalité entre les personnes, non-respect de la propriété privée, non-respect de la vie privée, méconnaissance des obligations envers la famille et envers l'enfant, méconnaissance de l'article 34 de la Constitution.

La commission des finances et le Gouvernement ont affirmé tout à l'heure que l'article 40 n'était pas applicable à ce texte ; pourtant il l'est.

"Les propositions formulées par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.", dit l'article 40. Or la proposition relative au Pacs sera de toute évidence à l'origine d'une perte importante de recettes. M. Strauss-Kahn annonçait que le Pacs, dans sa première version, coûterait au moins six milliards. Dans sa deuxième version, on n'attribue plus aux contactants les droits accordés aux époux en matière de sécurité sociale, mais on étend aux frères et aux soeurs le bénéfice de certains dispositions. Nous sommes en droit de penser que le Pacs coûtera toujours au moins six milliards, et vraisemblablement bien davantage.

Les articles 2 et 3 de la proposition de loi sont respectivement relatifs à l'imposition commune des revenus et à la baisse du tarif des droits applicables en cas de succession ou de donation ainsi qu'à la création d'un abattement de 250 000 F pour les droits de mutation à titre gratuit : ils entraîneront une diminution des ressources publiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Certes, le Pacs est gagé sur le tabac. Mais ce gage est-il en réelle adéquation avec le coût du Pacs ? ("Non !" sur les bancs du groupe UDF)

Dans son rapport de 1994, notre collègue Jacques Barrot indiquait que les droits sur les tabacs rapportent près de trente milliards à l'Etat ; une augmentation de six milliards de taxes tabagiques reviendrait ainsi à augmenter le prix du tabac d'environ vingt pour cent.

Par ailleurs, le Pacs créerait ou aggraverait une charge publique puisque l'administration devrait recueillir les déclarations et enregistrer les Pacs.

Ainsi que le note Guy Carcassonne, en faisant référence au rapport de Jacques Barrot, "la notion de charge est d'autant plus rigoureuse qu'elle n'est pas seulement entendue dans son acception budgétaire, mais aussi juridique : ainsi tombe sous le coup de l'article 40 le fait de confier des missions nouvelles à un organisme public". MM. Favoreu et Philip écrivent que "la notion de charge publique doit être entendue dans un sens très large : elle englobe non seulement toutes les dépenses de l'Etat figurant dans les lois de finances, mais également celles des autres personnes publiques (collectivités et établissements publics) et même celles des divers régimes d'assistance et de sécurité sociale".

La proposition de loi inscrite à notre ordre du jour semble être bien contraire à l'article 40. Or le Conseil constitutionnel a déjà déclaré non conformes des propositions de loi diminuant des ressources publiques, créant ou aggravant une charge publique de façon manifeste ; on peut citer la décision du 18 janvier 1978 portant sur une proposition de loi relative aux rapports entre l'Etat et l'enseignement agricole privé.

Dans une décision du 14 juin 1978 portant sur une résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat, le Conseil a affirmé que l'article 40 établit une "irrecevabilité à caractère absolu". Cette irrecevabilité faisait alors obstacle à ce que la procédure législative s'engageât sur une proposition formulée par des sénateurs.

Dans cette même décision, le Conseil rappelle que le respect de l'article 40 de la Constitution exige qu'on procède à un examen systématique de la recevabilité des propositions de loi antérieurement à l'annonce par le Président de leur dépôt.

Le Conseil rappelle aussi que l'irrecevabilité des propositions qui auraient, à tort, été déclarées recevables, doit pouvoir être constatée au cours de la procédure législative.

Par ailleurs, dans une décision du 23 juillet 1975 sur la loi supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle, le Conseil a considéré qu'il était de sa mission de "statuer sur le point de savoir si, au cours de l'élaboration de la loi, il a été fait de l'article 40 de la Constitution une application conforme à sa lettre et à son esprit". Il a précisé que cet article a pour but d'éviter que des dispositions particulières ayant une incidence financière directe puissent être votées sans qu'il soit tenu compte des conséquences qui pourraient en résulter pour les finances publiques. Or la commission des finances n'a été saisie que quelques secondes de cette proposition de loi, ce qui montre qu'une partie au moins de cette assemblée fait peu de cas des incidences financières du Pacs (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

La non-conformité du Pacs à l'article 40 de la Constitution est flagrante. Elle justifie à elle seule l'irrecevabilité de cette proposition de loi.

Le Pacs contrevient aussi au principe d'égalité, principe fondateur de notre République, au point qu'il ouvre la Déclaration des droits de l'homme. Certes, la jurisprudence constitutionnelle considère que l'égalité de tous les citoyens entre eux ne signifie pas nécessairement une égalité de traitement.

M. le Président - L'oratrice dépasse désormais son temps de parole (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) et je constate que son texte est encore long.

Mme Christine Boutin - Ainsi que l'a justement rappelé notre collègue Mattei le 9 octobre, "le juge constitutionnel a souvent affirmé que le principe d'égalité ne s'opposait ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. A contrario, des situations totalement différentes, comme le sont celles des couples hétérosexuels et homosexuels, n'ont pas à être traitées de la même manière".

Les experts constitutionnalistes notent par ailleurs que l'intérêt général ne permet pas toutes les dérogations au principe d'égalité, qui doivent être fondées selon Favoreu et Philip, sur un "lien nécessaire, un rapport logique entre la règle discriminatoire et l'intérêt général précisément poursuivi par l'objet de la loi", même si le Conseil fait prévaloir une conception large de la notion d'intérêt général.

Il faudra donc, pour établir que le Pacs va à l'encontre des exigences du principe d'égalité, montrer que, soit il est contraire à ce principe du fait qu'il instaure des discriminations de principe, soit que les objectifs qui fondent ces discriminations sont eux-mêmes contraires à la Constitution, et donc que le législateur n'a pas le droit de les poursuivre. Nous trouvons ces deux caractères dans le Pacs (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce texte que de constater les risques potentiels indignes qu'il fait courir aux personnes homosexuelles. L'existence d'un registre rassemblant des informations sur les signataires des Pacs fait entrer l'Etat dans des relations qu'il n'a pas à connaître, et qu'il connaîtra de fait à propos d'un petit nombre de nos concitoyens, tout en n'ayant aucun moyen de les connaître pour d'autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Cette différence de traitement entre les personnes est évidemment dérogatoire au principe d'égalité.

Par ailleurs, l'article 10 énonce que "les dispositions des articles 2, 4 à 9 relatives aux signataires d'un Pacs sont applicables à deux frères, deux soeurs, ou un frère et une soeur qui vivent ensemble". Cet alinéa est contraire au principe d'égalité.

Premièrement, il méconnaît que certaines fratries peuvent être composées de plus de deux personnes. Que fera-t-on dans le cas de familles de trois, quatre enfants ou davantage ? Dans le cas d'une fratrie composée de trois personnes, dont deux ont manifesté leur souhait de bénéficier des avantages du Pacs, que pourra faire la troisième ? Puisqu'il fait résidence commune avec ses deux frères ou soeurs, pourquoi lui serait-il retiré le droit de la déclaration fiscale commune ? Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi les frères et soeurs n'estimeraient pas avoir besoin, d'une manière ou d'une autre, de profiter des dispositions de l'article premier de la proposition de loi.

Deuxièmement, le fait de limiter certains avantages du Pacs à une seule catégorie de parents constitue également une grave atteinte à l'égalité. Au nom de quoi deux cousins célibataires n'auraient-ils pas le droit de contracter ou de bénéficier des effets du Pacs ?

M. Thierry Mariani - Très bien !

Mme Christine Boutin - Et un parent divorcé ou veuf vivant seul, en compagnie d'un de ses enfants lui-même célibataire, divorcé ou veuf ? Le rapporteur est-il prêt à expliquer à notre assemblée que ces personnes n'ont jamais besoin de bénéficier des facilités de mutation professionnelle promise aux contractants du Pacs ? N'ont-elles pas le droit de fixer elles aussi par le Pacs les modalités de leur aide mutuelle ? N'y a-t-il pas nécessité à fixer par contrat la liste des biens considérés comme compris dans l'indivision ?

Rien ne permet de justifier une telle discrimination. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Troisièmement, le deuxième alinéa de l'article 10 de la proposition de loi dispose que "les délais prévus le cas échéant par les articles 2, 4 à 9 pour l'ouverture des droits commencent à courir, pour les frères et soeurs, à compter de la justification par eux apportée de leur résidence commune". Or l'article 2 propose d'insérer dans le Code général des impôts l'article suivant : "Les partenaires liés par un Pacs défini à l'article 515-1 du code civil font l'objet, pour les revenus visés au premier alinéa, d'une imposition commune à compter de l'imposition des revenus de l'année du troisième anniversaire de l'enregistrement du pacte". L'article 10 rompt donc l'égalité entre les citoyens devant l'impôt. Non pas que l'inégalité devant l'impôt soit contraire à la Constitution. En plusieurs arrêts, le Conseil constitutionnel a justifié une inégalité fiscale par la nécessité de lutter contre la fraude fiscale, ou encore par l'existence d'activités professionnelles différentes entre les contribuables, ou encore par le fait qu'une limitation d'avantage fiscal ne pouvant profiter qu'à deux entreprises reposait sur des critères objectifs.

Mais dans sa décision du 16 janvier 1986, le Conseil constitutionnel a fait connaître la juste interprétation de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme : "Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". La décision du Conseil précisait ceci : "Si ce principe d'égalité devant l'impôt n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories sociologiques professionnelles déterminées une certaine aide à une ou plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Or un système d'impôts plus favorable à une catégorie de personnes, les frères et soeurs, qu'à une autre, les contractants d'un Pacs, constitue évidemment une rupture de l'égalité.

Le juge constitutionnel, disais-je, peut accepter la rupture de l'égalité pourvu que cela corresponde aux intentions du législateur. Est-ce le cas ici ? Certainement pas. Si l'on veut bien admettre que l'exposé des motifs exprime clairement l'intention du législateur, si l'on veut bien reconnaître également que nous sommes aujourd'hui chargés de débattre d'une proposition de loi dont les motifs sont les mêmes que ceux de sa première version, alors reportons-nous à l'exposé des motifs du Pacs, première mouture. On y lit ceci : "Plus de deux millions de couples, appartenant à tous les milieux sociaux ont ainsi fait le choix de construire leur projet commun de vie en dehors des liens du mariage, auxquels s'ajoutent des personnes qui n'ont pas accès à cette institution". Et plus loin : "Aux couples sexués s'ajoutent les personnes qui vivent à deux sans commerce sexuel mais se sentant solidaires l'une de l'autre et sont unies par ce sentiment qui pousse les hommes à s'accorder une aide mutuelle".

C'est bien à toutes ces personnes que le Pacs est destiné, sans aucune différence particulière d'état. Il s'agit de permettre à ces couples de personnes d'organiser leur vie en commun, et de matérialiser cette vie commune par le biais de l'impôt. A tout cela s'ajoutent, dans les nombreuses propositions de lois antérieures, la référence à la lutte contre la précarité, dont on ne peut pas douter qu'elle constitue une intention affichée par le législateur. Qu'il s'agisse donc du souci de donner aux couples un statut, ou de lutter contre la précarité, on ne voit pas que la facilité faite aux frères et soeurs en termes de réduction d'impôts soit explicable par l'intention du législateur. Pour cette raison, le deuxième alinéa de l'article 10 est tout aussi inconstitutionnel que le premier (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Troisième motif. Une des évolutions récentes de la proposition de loi consiste dans l'instauration d'un préavis de trois mois en cas de rupture unilatérale du Pacs, afin d'assurer la protection des contractants, notamment de celui des deux qui n'a pas souhaité la rupture. Cette disposition ne modifiera rien au fait que le Pacs demeure une légalisation de la répudiation, mais cela est une autre affaire. Je vous en rappelle le contenu : "Lorsque l'un des partenaires décide de mettre fin au Pacs, il notifie à l'autre sa décision. Il informe également de sa décision, ainsi que de la notification à laquelle il a procédé au moins trois mois auparavant, les services de la préfecture qui ont reçu le pacte pour qu'il en soit porté mention sur celui-ci, en marge du registre sur lequel cet acte a été inscrit... En cas de mariage, il adresse également une copie de son acte de naissance sur lequel est porté mention du mariage".

Cette période de préavis pose un problème, notamment lorsque celui des deux contractants qui souhaite mettre fin au Pacs se marie, étant entendu que, selon la proposition de loi, l'état marital est un cas de nullité du Pacs.

Voyons les choses d'un peu plus près. La dernière phrase de l'alinéa dont je viens de donner lecture semble indiquer que le mariage de celui qui rompt le Pacs peut avoir lieu pendant le délai de trois mois qui suit la notification de rupture, laquelle semble délier les contractants des obligations et empêchements liés au Pacs ("Très bien !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

S'il devait en être autrement, la proposition de loi serait inconstitutionnelle pour un motif supplémentaire, puisqu'elle porterait alors atteinte à la liberté de se marier.

M. Yves Fromieu - Ce texte est liberticide.

Mme Christine Boutin - Or la liberté de se marier est reconnue comme une liberté individuelle et protégée par la Constitution à ce titre. Une décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 indique que "le principe de la liberté du mariage est méconnu dès lors que la célébration du mariage est subordonnée à des conditions préalables" (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Plaçons-nous dans l'hypothèse où l'un des deux contractants souhaite se marier. Il le peut dès lors qu'il notifie à son "pactisant" son intention de rompre le contrat. Commence alors à courir un délai de trois mois.

Déroulons le cours des événements. Le jour même où le futur marié notifie à son "pactisant" sa volonté de rompre, il se rend à la mairie en vue d'accomplir toutes les formalités nécessaires au mariage. Il pourra être marié à peine un mois plus tard. Toutes les obligations liées au Pacs s'effondrent alors, et avec elles la communauté de toit, la solidarité matérielle, les dettes.

Celui des deux contractants qui n'a pas rompu se trouve dans une situation d'inégalité au regard de la loi, puisqu'il ne peut pas bénéficier des délais régulièrement prévus par le texte, contrairement aux personnes dont le Pacs aura été rompu de manière unilatérale par une autre cause que le mariage.

Le pouvoir de résiliation unilatérale existe seulement en droit administratif et se justifie par la défense de l'intérêt général par la personne publique. En revanche, en droit civil, le contrat unit toujours deux personnes dans le cadre d'une stricte égalité.

Ce cas d'inégalité constitue un motif supplémentaire d'inconstitutionnalité, qui ne pourrait être levée que si le délai de trois mois avait pour objet de maintenir en l'état toutes les obligations et interdictions, en même temps que tous les droits attachés au Pacs pendant cette période. Mais alors, c'est la liberté de mariage qui serait atteinte, ce qui est tout aussi inconstitutionnel.

La résiliation unilatérale du Pacs introduit le fait du prince dans le droit civil sans motif légal et sans consentement mutuel (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

L'instauration de la répudiation rompt également avec le principe d'égalité. A cet égard, la proposition de loi constitue une régression considérable.

D'une part, le droit du mariage républicain soumet la rupture du mariage à une procédure judiciaire qui empêche la répudiation. Il admet une certaine forme de répudiation unilatérale dans le cas du divorce pour rupture de vie commune, telle qu'envisagée par les articles 237 à 241 du code civil. Mais ce divorce est soumis à des conditions de délai et de procédure. Surtout, il oblige le demandeur à supporter toutes les charges du divorce, notamment le devoir de secours.

D'autre part, l'union libre peut être librement et unilatéralement rompue, c'est l'essence même du concubinage. Mais notre droit permet l'attribution de dommages et intérêts quand la rupture est fautive, ce qui permet d'atténuer quelque peu les situations de détresse.

Rien de tel dans le Pacs, même s'il s'agit d'un "pacte". Lorsqu'elle est unilatérale, la rupture doit être "notifiée" au partenaire. La répudiation unilatérale est donc un droit pour chaque partenaire et ne peut plus être fautive. Le juge ne peut pas accorder de dommages et intérêts, sa mission se limitant à régler la répartition des biens matériels dont le Pacs est l'objet.

Un député RPR - C'est la loi de la jungle !

Mme Christine Boutin - Or, dans une décision du 22 octobre 1982, relative au droit de grève, le Conseil constitutionnel a jugé que l'on ne pouvait priver de droits la victime d'un dommage causé par la faute d'autrui. Ce serait porter atteinte à un principe reconnu par le République qui donne à tous "accès égal devant la justice ou, plus largement, à une procédure légale".

Comme le remarque le doyen Carbonnier : "s'il y a quelque chose de constitutionnel dans l'article 1382 c'est la réparation du dommage, et non la sanction de la faute".

Ces autre motifs rendent le Pacs inconstitutionnel, puisqu'il méconnaît l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel "tous les hommes naissent libres et égaux en droit" (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Dans le cadre du Pacs, les biens seront soumis à l'indivision. Or prenons le cas d'une personne divorcée dont la communauté de biens n'est pas encore liquidée. Son mariage étant bien rompu, c'est de plein droit qu'elle peut contracter un PACS, bien que ses obligations d'ancien époux ou d'ancienne épouse ne soient pas encore organisées et que les biens de la communauté n'aient pas encore été dévolus. Or les biens non encore liquidés au moment de la signature du Pacs tomberont dans l'indivision de ce dernier, au mépris des droits du tiers divorcé qui peut légitimement prétendre exercer un droit de propriété sur une partie de ces biens. Or l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Dans le cas qui nous intéresse, aucune de ces conditions n'est remplie. Le Pacs contrevient donc également aux dispositions de l'article 17 de la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

On dira que le texte se promet d'aménager les circonstances dans lesquelles ces cas d'espèce doivent être réglés. Or je n'y vois rien de tel. Et à tout le moins, ces nouvelles "circonstances" modifieraient radicalement la totale liberté défendue par le rapporteur et la commission. En tout état de cause, si l'on entendait régler ainsi la question de la propriété privée ultérieurement, cela reviendrait à reconnaître que le législateur n'a pas fait son travail jusqu'au bout. C'est un autre motif d'inconstitutionnalité, au regard de l'article 34 cette fois-ci, par lequel j'achèverai ma démonstration.

Mais je souhaiterais auparavant évoquer les difficultés liées au respect de la vie privée.

La décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 1977, relative à la fouille des véhicules, consacre le droit à la protection de la vie privée, définie comme "la sphère de l'existence soustraite à la curiosité des tiers".

Si cette décision ne reconnaît qu'implicitement la vie privée comme partie intégrante de la liberté individuelle, le Conseil déclare dans un arrêt du 18 janvier 1995 que "la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle".

Dans une décision du 22 avril 1997 concernant le séjour des étrangers, il indique de "de manière générale, s'agissant de la vie privée, les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter gravement atteinte à leur liberté individuelle". Il poursuit, à propos de la question du renouvellement des cartes de séjour, qu'une simple menace à l'ordre public ne saurait justifier leur non-renouvellement, ce qui constituerait une grave atteinte au respect de la vie familiale et de la vie privée.

Or il ne fait aucun doute que notre Constitution garantit la protection de la liberté individuelle. L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme indique que "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression". L'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 indique, quant à lui, que "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne". Notre Constitution elle-même, dans son article 66, déclare que "l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi".

Toute atteinte au respect de la vie privée sera donc nécessairement déclarée inconstitutionnelle. Or le Pacs y porte bien atteinte.

Cette raison touche au caractère sexuel du Pacs et à ses modalités de déclaration et d'enregistrement. La proposition dispose que "le Pacs fait l'objet d'une déclaration écrite conjointe des partenaires, remise par eux à la préfecture du département dans lequel ils établissent leur résidence". Certains représentants de la communauté homosexuelle se sont donc inquiétés, à bon droit, de voir ressurgir des dispositions contraires à la loi Defferre de 1984, qui avait supprimé avec raison les fichiers d'homosexuels (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. Meyssan, président du Réseau Voltaire, lors d'un débat télévisé qui nous avait réunis, en compagnie notamment de Mme la présidente Tasca, déclarait, s'adressant à cette dernière : "les mauvais coups nous viennent encore des socialistes. On nous a embarqués dans un texte, le Pacs, qui, excusez-moi, n'a ni queue ni tête... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. le Président - J'avais repéré ce passage : je ne suis pas déçu par votre réaction...

Mme Christine Boutin - ...Un texte -je cite toujours M. Meyssan, "réactionnaire, discriminatoire et attentatoire aux libertés individuelles. Mais on pensait que dans l'amendement de ce texte il serait possible de revenir à la raison et de résoudre des problèmes concrets. Et finalement, tout cela a été tellement incohérent que les socialistes ne se sont même pas déplacés. En 1984, nous nous sommes battus pour supprimer les fichiers des homosexuels dans les commissariats de police et vous nous demandez de nous inscrire spontanément en préfecture" (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Mme Evelyne Sullerot, dans un entretien récent avec Mme Guigou, a donné l'argument central : "si l'on interdit à des cousins de se lier par le Pacs, c'est parce que l'on admet que la raison première de ce pacte est la relation sexuelle entre deux personnes. Or la relation sexuelle n'a jamais été jusqu'à présent un objet juridique".

On m'objectera que la signature d'un Pacs par deux personnes de même sexe ne vaut pas déclaration d'homosexualité. C'est possible. Mais la présence des contrats de Pacs dans les archives préfectorales crée le risque que ce "caractère de l'existence qui ne doit pas être soumis à la curiosité des tiers" ne soit plus couvert. Admettons que les signataires d'un Pacs ne soient pas nécessairement des personnes homosexuelles. La probabilité en est assez forte tout de même. Et nous avons le devoir de protéger les personnes contre toute possibilité indue d'intrusion dans leur vie privée, et pas seulement contre la possibilité matérielle de cette intrusion. On objectera peut-être que deux frères qui souhaiteraient bénéficier des avantages du Pacs font tomber cette argumentation. Erreur : d'après la proposition, les frères et soeurs ne sont pas censés déposer une déclaration en préfecture, puisqu'ils ne contractent pas de Pacs mais ne font que bénéficier de certains de ses avantages.

La garantie de respect de la vie privée doit pourtant être complétée par la possibilité pour l'Etat de maintenir l'ordre autant que nécessaire, ainsi que le rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 1977. Il est donc clair que la volonté de faire signer le Pacs en préfecture constitue une atteinte au respect de la vie privée, et donc un motif d'inconstitutionnalité.

Le Pacs porte, d'autre part, gravement atteinte au Préambule de la Constitution de 1946 qui fait partie du bloc de constitutionnalité, et ce pour trois raisons. Tout d'abord, il est proposé d'inscrire dans le code civil un article 515-7, qui prévoit les causes de rupture du Pacs. Le rapport de la commission des lois l'explique ainsi : "le Pacs prend fin dans trois hypothèses : le décès de l'un des partenaires, le mariage des partenaires ou de l'un d'eux, puisqu'il s'agit là d'un empêchement à la conclusion d'un Pacs, ou la volonté conjointe ou unilatérale des personnes". Le problème ici posé est celui de la protection des droits des personnes à la suite de cette rupture. Le texte prévoit bien, en cas de désaccord, que les parties tentent de trouver un arrangement, et de définir elles-mêmes les conséquences de la rupture du pacte. Mais, comme l'a bien dit M. Mattei le 9 octobre, qu'il s'agisse d'une rupture sentimentale ou de celle d'un contrat de travail, rien n'est plus difficile que d'obtenir un accord entre les parties déchirées. Et en l'absence d'un tiers, c'est le plus fort des deux qui détermine les conditions. Le texte, me dira-t-on, précise qu'à défaut d'accord, les conséquences de la rupture du Pacs sont réglées par le juge. Mais il ne dit rien sur le juge compétent, ni sur l'étendue de sa compétence. Le Pacs ne prévoyant rien en termes de dommages et intérêts ou de pension alimentaire le cas échéant, le juge ne pourra guère se prononcer que sur la répartition des biens matériels.

En réalité, le manque de contraintes liées à la rupture du Pacs plonge le moins bien doté des deux contractants au plan économique et social dans une situation de précarité insupportable, tout en lui donnant une illusion de protection. (Les parlementaires RPR, UDF, DL protestent contre la présence de personnes dans la tribune située au-dessus de l'entrée gauche de l'hémicycle. Exclamations et claquement de pupitres sur ces bancs).

M. le Président - Concentrons-nous sur le débat. Mme Boutin a seule la parole.

Mme Christine Boutin - Le Pacs serait une première en droit français : ce serait le premier et le seul contrat à durée indéterminée dont on pourrait sortir unilatéralement sans devoir alléguer aucune raison, ni verser à l'autre contractant des dommages réparateurs de la rupture. Quant au fameux délai de trois mois, est-ce un délai préfix, pendant lequel les droits continuent de courir, en même temps que les obligations ? Est-ce un simple délai informatif permettant seulement à celui des deux pactisants qui ne veut pas rompre d'organiser sa future vie solitaire ?

Tout cela est plus que flou, et ferait du Pacs un contrat moins protecteur que n'importe quel contrat de travail du libéralisme sauvage, système philosophique et économique dans lequel prime le droit du plus fort. Or l'instauration d'un droit du plus fort est contraire à l'esprit comme à la lettre du préambule de la Constitution, aux termes duquel la nation "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs", ainsi qu'à la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 25, en particulier, dispose que "toute personne a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté". J'ajoute que la répudiation est contraire au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par les Nations Unies en 1966.

M. Yves Fromion - Très bien !

Mme Christine Boutin - Le troisième alinéa du préambule de ce Pacte dit ceci : "L'idéal de l'être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que de ses droits civils et politiques, sont créés". Je préfère de loin ce pacte-ci à celui qui nous est proposé ! Il est patent que le Pacs, faute de prévoir des modalités de réparation satisfaisantes pour les pactisants qui subissent la rupture, est contraire aux trois textes que j'ai cités.

Mme Nicole Bricq - Et au traité franco-allemand de 1963 ?

Mme Christine Boutin - Deuxième motif d'inconstitutionnalité : la concurrence faite par le Pacs au mariage méconnaît le droit de la famille à être protégée. L'article premier de la proposition comporte un certain nombre d'empêchements à la signature d'un Pacs, qui reprennent presque exactement les empêchements faits au mariage par le code civil, à ceci près que le Pacs peut être contracté par deux personnes de même sexe. M'objectera-t-on que l'amendement dit "des fratries" fait tomber cette identité ? L'objection ne tient pas, car l'article 10 dispose que les dispositions du Pacs "sont applicables" aux frères et soeurs, ce qui signifie que ces derniers ne peuvent signer un Pacs mais peuvent bénéficier de certains droits ouverts par ce contrat.

Par ailleurs, le Pacs ouvre aux contractants tous les droits du mariage, sans les obliger à ses devoirs, tels qu'énumérés par le code civil : les époux s'engagent à entretenir les enfants, se doivent secours, fidélité et assistance, contribuent aux charges de la famille et s'obligent à une communauté de vie ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe UDF). Le Pacs livre ainsi une concurrence déloyale à l'institution du mariage, dont les droits, fiscaux et autres, ne sont que la contrepartie, donnée par l'Etat, du fait que chaque époux s'engage mutuellement à prendre en charge celui des deux qui n'aurait pas de ressources. On admettra facilement que, de deux situations procurant les mêmes avantages, celle qui demande le moins d'obligations sera la plus couramment choisie. C'est une attaque frontale contre l'institution familiale, que le préambule de la Constitution fait obligation à notre République de protéger, en même temps qu'une rupture flagrante du principe d'égalité ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Troisième motif d'inconstitutionnalité : l'instauration du Pacs ignore la nécessité de protéger l'enfant. On a souvent dit que le Pacs ne concernait pas l'enfant, et que certaines craintes exprimées par nombre d'entre nous étaient infondées. Il n'en est rien. Les propositions de loi relatives au CUCS déposées par MM. Ayrault et Michel en 1997 étendaient aux contractants "tous les droits ouverts aux couples mariés ou vivant maritalement et aux concubins", ce qui incluait, naturellement, le droit à l'adoption et à la procréation médicalement assistée dans les limites de la loi.

En outre, certaines déclarations plus récentes dont il a été question prouvent que l'intention de permettre l'adoption d'enfants par des couples homosexuels est toujours d'actualité. Mme la Garde des Sceaux a tenté de rassurer l'opinion en proclamant qu'il ne saurait en être question. Je ne doute donc pas qu'elle aura à coeur de soutenir au moins deux des amendements de l'opposition : le premier proscrit l'adoption par une personne unie par le Pacs à une personne de même sexe, le second interdit à une personne ayant garde d'enfant de conclure un Pacs avec une personne de même sexe. Nous verrons bien quelle est la volonté du Gouvernement, eu égard aux propos tenus par le Premier ministre à la télévision le 8 octobre.

A part cela, l'enfant est absent de la proposition de loi, ou plutôt il n'est pas mentionné quand il devrait l'être et il ne l'est pas quand il le devrait.

Dans un récent échange avec Mme Guigou, Mme Sullerot a fait cette remarque : "les concubins ne demandaient rien. Ils bénéficient des droits sociaux des couples mariés, et ils n'ont pas plus envie de se rendre chez le préfet que chez le maire ! En revanche, ces mêmes concubins hétérosexuels rencontrent des problèmes réels liés à la présence d'enfants, et j'aimerais savoir ce que leur offre le PACS". La réponse fut "rien" ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Sullerot continue : "en l'état actuel du projet, un homme qui a signé un PACS avec une femme peut, si celle-ci se trouve enceinte, rompre le Pacs sans autre forme de procès ; une femme enceinte peut rompre un Pacs avec un premier homme pour en contracter un autre avec un second, durant sa grossesse. Vous allez créer des situations révoltantes qui ne peuvent que donner lieu à une énorme jurisprudence et des procès sans fin ! Je ne vois pas d'intérêt pour les hétérosexuels de cette chimère qu'est le Pacs. En revanche, il semble évident que ce projet s'attaque à la symbolique du mariage, en lui suscitant un faux-semblant" (Mêmes mouvements). On voit combien l'enfant peut être fragilisé dans le cadre du Pacs. Avec l'instauration de la répudiation et faute d'une protection de la famille, il sera frappé par la précarité.

Le Pacs est en outre contraire à tous nos engagements internationaux en ce qui concerne les droits de l'enfant. La Convention internationale des droits de l'enfant stipule, dans son article 4, que "les Etats parties s'engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente convention". "Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". L'article 12 stipule lui qu'"on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant".

Même si certains de ses articles sont considérés par le Conseil d'Etat comme directement applicables en droit français, la Convention n'a pas de valeur constitutionnelle. Toutefois, son rattachement aux différentes déclarations des Nations Unies et à la déclaration des droits de l'homme de 1948 ne fait aucun doute, son préambule rappelant que "la maternité et l'enfance ont droit à une aide et une assistance spéciales. Tous les enfants, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors du mariage, jouissent de la même protection sociale".

Or lorsqu'il s'agira de rompre le Pacs unilatéralement, l'enfant ne bénéficiera pas de la même protection qu'en cas de divorce.

Voilà bien un autre motif d'inconstitutionnalité. "Si théoriquement la loi ne peut intervenir que dans ses domaines de compétence, elle doit en revanche les exercer complètement, déclare Guy Carcassonne. Rien que sa compétence, poursuit-il, mais toute sa compétence, puisque le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est interdit au Parlement de s'en remettre à d'autres autorités pour prendre des décisions qui ne ressortissent que de lui. C'est ce qu'on dénomme l'incompétence négative, qui se rencontre chaque fois que le Parlement ne va pas lui-même au bout de son pouvoir, omet les garanties légales qu'il revient à lui seul de prévoir".

Cette jurisprudence du Conseil est attestée notamment par l'arrêt du 20 janvier 1984 sur l'enseignement universitaire privé et les libertés universitaires. Le Conseil avait alors estimé que le législateur avait méconnu sa compétence en laissant au pouvoir réglementaire le soin d'établir les dérogations aux règles constitutives des établissements publics universitaires.

Or par son silence total sur l'âge des contractants, sur les motifs de résiliation unilatérale, sur les cas de rupture abusive, sur la rupture impossible pour cause d'exceptionnelle gravité, pour la non-précision des compensations pécuniaires des prestations compensatoires, et du sort des enfants, la proposition méconnaît la compétence du Parlement au regard de l'article 34 de la Constitution. Le Pacs est donc également inconstitutionnel pour ce motif (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL).

Nous sommes ici pour discuter d'un enjeu fondamental pour notre société et non de quelques aménagements anodins de notre droit. Sur quels fondements voulons-nous construire notre société ? L'altérité homme-femme est-elle fondatrice de l'organisation sociale ? Doit-on reconnaître un statut aux partenaires homosexuels ? Telles sont les questions posées. Notre choix aura des conséquences à très long terme sur notre société, pourtant, le Gouvernement n'a même pas eu le courage de présenter lui-même ce texte pour ne pas en porter la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL).

Nous n'avons discuté de cette proposition que par voie de presse, encore faut-il remercier cette dernière d'avoir enfin informé l'opinion publique (Mêmes mouvements).

Les communautés religieuses sont inquiètes. Le président de la Conférence épiscopale, Monseigneur Billié a jugé que ce texte est inutile et dangereux. Le recteur Boubakeur, le grand rabbin Sitruk et les responsables de la Fédération protestante ont pris des positions identiques, voire plus fermes.

Loin d'améliorer la vie des personnes qui ne veulent ou ne peuvent pas se marier, le Pacs les fragilisera. Il fera des victimes : la famille, le mariage républicain, l'enfant, l'Etat lui-même.

Tout cela aurait mérité un très large débat, tout comme l'atteinte portée au mariage républicain.

Selon le doyen Carbonnier, "les propositions de lois poursuivaient le même objectif, une réforme du mariage, la plus considérable dont on ait pu rêver : la création d'un second type d'union... Préalablement enregistrées par déclaration conjointe en mairie -peut-être au tribunal- ces unions produiraient les mêmes effets de droit que le mariage et l'on pourrait en sortir unilatéralement par déclaration en même forme... L'intention cachée se découvrait : il s'agissait d'autoriser le mariage des homosexuels. Il eut mieux valu l'afficher : c'est un tout autre dossier, lourd à porter".

Les promoteurs du Pacs ne voient plus dans le mariage la forme privilégiée de l'apprentissage social. Le Gouvernement commet une grave faute : on ne remet pas impunément en cause l'institution matrimoniale.

Les motifs d'inconstitutionnalité retenus le 9 octobre sont donc toujours présents, et d'autres s'y sont même ajoutés. Dès lors, en inscrivant ce texte à l'ordre du jour, le Gouvernement a gravement méconnu l'article 91-4 de notre Règlement. Poussé par la volonté de se refaire une image (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste), il a oublié que l'Assemblée était parfaitement impuissante à débattre de ce texte, sauf à modifier la Constitution, ou du moins la proposition.

Or l'Assemblée est respectueuse du droit. Elle commettrait un acte inouï en commençant à débattre d'un texte dont l'inconstitutionnalité a été établie et dont les motifs d'inconstitutionnalité demeurent et se trouvent élargis et renforcés. Etre démocrate, c'est respecter la Constitution. Comme le rappelle souvent le juge constitutionnel, "la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution".

Que, matériellement, la deuxième version du texte soit conforme aux dispositions de l'article 84-3 de notre Règlement ne change rien à l'affaire. C'est du statut même de l'irrecevabilité qu'il s'agit ici, et de l'esprit dans lequel notre assemblée doit accomplir son travail législatif. Si nous sommes à ce point ignorants de l'esprit des lois, quelle légitimité aurons-nous à créer des obligations à l'égard d'autrui, et à définir des sanctions ?

M. Pierre Lequiller - Très bien !

Mme Christine Boutin - A ce stade, et après avoir établi pas moins de neufs motifs d'inconstitutionnalité, se posent encore toutes les questions qui relèvent de l'opportunité.

On a tenté de démontrer que le Pacs trouve sa raison d'être dans la volonté de rétablir une égalité. Mais où est l'égalité contrariée ? Et puis, est-il moralement et politiquement acceptable, en ces temps de difficultés budgétaires où l'on a déjà tant de mal à subvenir aux besoins des chômeurs et des pauvres, de dépenser des milliards ainsi ? Est-il économiquement acceptable de créer des impôts nouveaux ou d'augmenter des prélèvements existants pour répondre à des enjeux aussi privés ? Bien sûr que non (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Le vieux principe napoléonien selon lequel la loi ignore ceux qui l'ignorent doit s'appliquer : il est le seul qui permette de respecter pleinement la vie privée. Qu'on en vienne à tenir des registres des personnes qui ont choisi un mode de vie particulier n'est pas acceptable.

En gommant cette donnée fondatrice pour l'ensemble des corps sociaux qu'est la différence sexuelle entre l'homme et la femme, tout aussi fondamentale pour les repères politiques que pour la construction psychologique des personnes, nous prendrions un risque dont on ne peut exactement mesurer les conséquences.

Aucune étude n'a démontré que les enfants avaient absolument besoin de vivre auprès d'un père et d'une mère, me dit-on. Mais, d'une part, la science n'est pas la seule à pouvoir énoncer des vérités fondamentales ; on se rend compte même que ce qu'elle tient un jour pour certain peut ne plus l'être le lendemain : je citerai l'exemple du renouvellement des cellules nerveuses, que tout le monde considérait jusqu'à présent comme impossible. D'autre part, le débat sur le besoin de l'enfant est loin d'être clos ; cela doit nous conduire à ne pas prendre de risque, d'autant plus que le bon sens suffit à décider.

L'obligation constitutionnelle qui nous est faite de donner à chaque enfant un père et une mère doit nous interdire de voter le Pacs. Toute autre décision n'aurait pour conséquence que l'affaiblissement des repères et des fondements sociaux.

En instaurant la répudiation, nous introduisons dans le code civil le droit du plus fort, que les systèmes juridiques ont mis près de trente siècles à évacuer. Notre Assemblée s'honorerait à ne pas remettre en cause ce que la civilisation a conquis sur la barbarie (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), c'est-à-dire tous les instruments juridiques de protection de celui qui pourrait être soumis au vouloir arbitraire d'un de ses semblables (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

De telles régressions sont en contradiction avec nos textes fondamentaux.

J'ai dit combien les enjeux présentés par les promoteurs du projet étaient contraires à l'esprit de notre loi fondamentale, et comment le Gouvernement avait omis d'utiliser les moyens constitutionnels de saisine des organismes qui auraient pu utilement émettre des avis.

J'aurais également pu mentionner que le Pacs ne manquera pas de faire éclater les lois communautaires sur le regroupement familial, ce qui dépasse d'assez loin la compétence de notre seule assemblée.

Oui, le Pacs est irrecevable au regard de l'article 40 de notre Constitution.

Oui, le Pacs constitue une quadruple atteinte au principe d'égalité : parce qu'il est discriminatoire à l'égard des personnes homosexuelles, discriminatoires à l'égard des frères et soeurs, discriminatoire à l'égard des signataires du Pacs à qui il n'offre pas les mêmes protections, parce qu'il prive les répudiés de leurs droits d'accès aux procédures légales.

Oui, le Pacs est contraire au droit de propriété.

Oui, le Pacs est contraire au respect de la vie privé.

Oui, le Pacs est contraire au Préambule de la Constitution de 1946, parce qu'il instaure la répudiation, parce qu'il ignore l'obligation qui nous est faite de protéger la famille, parce qu'il ignore la nécessité de protéger l'enfant.

Oui, le Pacs est contraire à l'article 34 de la Constitution, en ce qu'il ne légifère pas de manière suffisamment précise.

Pour l'ensemble de ces motifs, je vous demande d'adopter l'exception d'irrecevabilité que j'ai eu l'honneur de défendre devant vous (Les députés UDF, DL et RPR se lèvent et applaudissent longuement ; "Ouh, ouh" sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois - Mme Boutin vient de défendre une exception d'irrecevabilité pendant cinq heures.

Plusieurs députés socialistes - Six !

M. le Rapporteur - Son but aurait dû être de démontrer que ce texte était contraire à la Constitution.

Plusieurs députés UDF, DL, RPR - Elle l'a fait !

M. le Rapporteur - Comme je crois à la nécessité de respecter strictement le Règlement, je m'en tiendrai aux motifs d'inconstitutionnalité qu'elle a soulevés, sans répondre à ses considérations générales.

Le Pacs serait selon elle une attaque contre le mariage, la famille, la protection des enfants : je n'y reviens pas, car Mme la ministre, Patrick Bloche et moi-même avons déjà répondu.

Ensuite, Mme Boutin a émis certains regrets ; mais les regrets ne sont pas par eux-mêmes des moyens d'inconstitutionnalité...

Le débat parlementaire permet l'information des citoyens ; le travail en commission a eu lieu ; la réunion d'une commission spéciale n'aurait fait que décharger les commissions permanentes, celles des lois et celle des affaires sociales, de leur travail, et je ne sache pas que cette assemblée soit particulièrement favorable aux commissions spéciales ; des auditions ont eu lieu, nombreuses, par les rapporteurs, comme c'est la règle (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Le Conseil d'Etat n'a pas été saisi, bien sûr, car il s'agit d'une proposition de loi. Peut-être Mme Boutin ne veut-elle pas qu'on privilège le travail parlementaire... (Exclamations sur les bancs du groupe UDF) Quant à la saisine du Conseil économique et social, ce n'est qu'une possibilité.

Ce n'est pas du tout la même proposition de loi que la dernière fois dont nous débattons aujourd'hui ; en outre, et fort heureusement, le Règlement de l'Assemblée, même s'il est vérifié par le Conseil constitutionnel, ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité. Je pense que personne ici ne souhaiterait que tel soit le cas, car alors le Conseil constitutionnel pourrait intervenir directement dans notre procédure parlementaire.

Mme Boutin a invoqué l'article 40. A cet égard, j'ai été très surpris d'entendre mettre ainsi en cause le Bureau de notre commission des finances. Il a été saisi par moi-même de la proposition de loi et de 90 amendements ; il n'a opposé l'article 40 qu'à un seul article de la précédente proposition de loi, qui étendait au partenaire les droits dérivés de l'assurance maladie ; cet article ne figure pas dans le texte qui nous est aujourd'hui soumis.

Le principe d'égalité ne s'oppose absolument pas à ce que des situations différentes soient traitées de la même manière ; M. Alain Madelin en est convenu dans un récent article, dans lequel il disait qu'à trois situations différentes ne répondait pas une même solution.

En ce qui concerne l'égalité devant l'impôt, il faut rappeler que l'établissement d'une déclaration fiscale commune n'entraîne pas forcément une réduction d'impôts. Je ne vois pas en quoi le fait de permettre aux frères et soeurs une déclaration conjointe serait contraire à l'égalité.

Quant au délai de trois mois, vous avez soulevé un vrai problème, mais l'Assemblée pourra revenir sur cette proposition de la commission.

En ce qui concerne la rupture du Pacs, je vous dénie le droit de parler de répudiation -celle-ci ne s'entend que dans le cadre du mariage par rapport à l'adultère (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), et il faut que le lien conjugal ait été attaqué par des atteintes renouvelées. Ici, il s'agit d'un contrat, qui peut être rompu si l'un des deux se retire. Mais il va de soi que la jurisprudence s'appliquera et que, si la rupture est jugée abusive, des dommages et intérêts pourront être alloués.

S'agissant des biens tombant dans l'indivision, je rappelle que des personnes ayant divorcé peuvent se remarier sans que la communauté de biens du premier mariage ait été liquidée. Toutes les précautions ont été prises, puisque ne tombent dans l'indivision que les biens acquis postérieurement à la conclusion du Pacs.

Quant aux registres, ils ne renseignent pas sur la vie sexuelle (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR), puisque les contractants d'un Pacs n'entretiennent pas forcément de lien sexuel. Le décret d'application sera de toute façon soumis à la CNIL et les registres seront tenus par l'autorité judiciaire.

Il est absolument inexact que l'article 34 ait été méconnu. La proposition de loi s'intégrera dans le Livre premier du code civil, dont toutes les dispositions seront donc applicables, et notamment celles qui concernent les mineurs incapables (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Ainsi, le long exposé de Mme Boutin n'ayant fait apparaître aucun motif sérieux d'inconstitutionnalité, je vous demande, au nom de la commission des lois, de repousser l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Les plaidoiries les plus longues ne sont pas forcément les plus convaincantes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UDF). Je crois avoir répondu par avance à la plupart de vos arguments. Le Pacs n'est dangereux ni pour l'individu, ni pour la société et l'examen des articles montrera qu'il apporte plus de solidarité. Sans contredire en rien la Constitution ni les principes de notre droit, il apporte la réponse adaptée aux besoins de nos concitoyens. Voilà pourquoi je vous demande de rejeter l'exception d'irrecevabilité (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

EXPLICATIONS DE VOTE

M. René Dosière - Il y avait, dans la déclaration de Mme Boutin, au moins deux impostures (Vives exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Elle s'est exprimée avec le drapeau du catholicisme (Interruptions sur les bancs du groupe UDF), qui n'appartient pourtant à aucun responsable politique (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La Révolution française a mis fin à la société religieuse et institué en société sécularisée, le droit civil est autonome par rapport au droit canon. Mais fort heureusement, vos convictions, Madame, ne sont pas partagées par la majorité des catholiques français, qui refusent l'intolérance (Mme Boutin se lève et proteste vivement ; les députés socialistes applaudissent l'orateur, les députés UDF, DL et RPR font claquer leurs pupitres pendant que l'orateur poursuit dans le brouhaha). Les homosexuels n'ont pas besoin de votre charité, ils veulent seulement la justice. En reconnaissant l'existence de couples homosexuels, le texte mettra fin à des discriminations fondées sur la sexualité. Ceux qui le refusent aujourd'hui sont dans la ligne de ceux qui, hier, refusaient la contraception et l'IVG (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mais, chaque fois, heureusement, il s'est trouvé une majorité progressiste, plus nombreuse à gauche qu'à droite, pour reconnaître qu'une évolution était nécessaire. Une nouvelle fois, ce sera le cas. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre l'exception (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Didier Quentin - Le groupe RPR votera l'exception (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cette proposition est contraire à plusieurs dispositions du bloc de constitutionnalité. Le Gouvernement viole l'article 84, 3ème alinéa, du Règlement qui interdit de représenter avant un an un texte repoussé par l'Assemblée. Il viole aussi le préambule de la Constitution de 1946 en ce qui concerne la famille. Il viole le principe d'égalité entre les couples homosexuels et hétérosexuels, il crée un fichier permanent des homosexuels. Au total, Mme Boutin a relevé et analysé excellemment douze motifs d'inconstitutionnalité. Le Pacs a été élaboré de façon chaotique et cacophonique. C'est un monstre juridique, de surcroît inutile, car il y avait d'autres moyens pour régler le problème posé. Il est injuste, car il ne protège pas les plus faibles -à la différence du mariage-, instituant une quasi-répudiation. Il n'offre aucune garantie pour le développement des enfants, il crée des droits, mais pas de devoirs. Il défavorise les couples ayant choisi le mariage. Il est discriminatoire pour les sept milliards de personnes seules, mais il apporte un avantage fiscal considérable, de l'ordre de six à sept millions, alors que le Gouvernement retire les mêmes sommes aux parents mariés élevant des enfants. On va créer une concurrence déloyale par rapport au mariage, d'autant plus que la signature au tribunal d'instance risque d'accorder au Pacs un statut symbolique supérieur -et cela dans un contexte démographique défavorable.

Ce texte nous est soumis alors que le Gouvernement a entrepris depuis un an et demi de démanteler la politique familiale. Il risque de déboussoler encore davantage des jeunes qui, déjà, manquent de repères et de faire le lit des extrémismes.

Il introduit une confusion entre les couples homosexuels et hétérosexuels. Or, si notre société est tolérante, elle n'en a pas moins des valeurs à défendre. Le parti socialiste prône l'indifférenciation : "Tous beaux !", le fait crée le droit ! Or le rôle du politique est d'indiquer des valeurs fortes.

Enfin, le Pacs est inquiétant. Non content de légitimer certaines dérives de la société, il risque de les amplifier et de poser des problèmes éthiques. Il accentuera la diminution du nombre des mariages laïcs et républicains, et déstabilisera donc encore davantage la cellule familiale. Il constitue un premier pas vers la reconnaissance du droit à l'adoption et même à la procréation médicalement assistée des couples homosexuels. Il ouvre une nouvelle porte à une immigration non contrôlée alors que la gauche en a déjà ouvert d'autres avec la loi sur le séjour des étrangers (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Les Pacs blancs et de complaisance risquent de se multiplier, devenant des instruments de fraude fiscale. Les homosexuels eux-mêmes vont se retrouver fichés sur des registres accessibles à tous. N'y a-t-il pas là une évolution dangereuse lorsqu'on sait les persécutions dont ils ont été les victimes ?

Ce texte a été mal conçu, mal préparé, dans l'improvisation et la confusion des valeurs. On en perçoit tous les effets pervers. L'enfer juridique et fiscal est pavé de bonnes intentions morales. Pour complaire à une clientèle et à une partie de la gauche plurielle -je suis sûr que nombre d'entre vous se demandent pourquoi le Gouvernement a lancé cette machine infernale. La gauche a l'air d'épouser l'époque mais cela ne préjuge-t-il pas une nouvelle trahison des clercs ? Le rôle du législateur n'est pas de se mettre à la remorque des moeurs, surtout lorsque celles-ci sont volatiles et changeantes.

C'est pourquoi le groupe RPR, hostile à ce texte mal conçu, malvenu et surtout de mauvais augure pour la société de dignité, de responsabilité et de solidarité que nous appelons de nos voeux, votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Georges Hage - Madame Boutin, vous avez fait preuve durant près de six heures d'une force de conviction de nature à déplacer les montagnes. "Si vous avez la foi grande comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne de se déplacer d'ici à là, et elle se déplacera" Evangile selon Saint-Mathieu. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Madame Boutin, l'atmosphère qui s'est créée pendant votre discours n'a rien de ce transport divin qu'on nomme l'enthousiasme (Rires sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). Vous avez brandi un autre bréviaire et énuméré douze raisons d'inconstitutionnalité. Diable ! Comment vais-je pouvoir me tirer de ce mauvais pas ?

Les motions de procédure ne sont pas des formalités mais des temps importants de la démocratie parlementaire. Les votes qui en découlent doivent être respectés (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les députés communistes ont une trop solide culture d'opposition pour en minimiser la valeur.

L'article 84 du Règlement stipule que les propositions repoussées ne peuvent être soumises de nouveau avant le délai d'un an ("Alors !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mais en l'espèce, le terme de proposition désigne-t-il le texte présenté par les députés ou celui adopté par la commission, seul examiné en séance publique ? Pour le reste, il ne fait pas de doute que le texte qui nous est soumis diffère du précédent. Enfin, mes chers collègues, le vote d'une motion de procédure sur le projet de loi relatif à la Sécurité sociale interdirait-il de légiférer pendant un an sur la Sécurité sociale ? Non, bien sûr.

Je souhaite que tous les élus s'engagent dans cet important débat de société. Songeons aux lois de 1970 sur l'autorité parentale, de 1972 sur la filiation, de 1974 sur l'IVG ou de 1981 sur l'abolition de la peine de mort qui ont en partie transcendé les clivages politiques -ainsi l'actuel Président de la République et plusieurs responsables du RPR ont-ils voté la loi de 1981. Mes chers collègues, notre seul souci doit être de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens dans leur diversité et d'assurer à chacun le respect auquel il a droit.

La répétition ne plaît pas, en dépit de l'adage. Aussi ne reprendrai-je pas l'argumentation que j'avais développée devant M. Mattei, encore que je ne la renie pas. Je remontais aux sources de notre culture comme pour mettre en lumière les contradictions de l'opposition. Si j'ai parlé de Cambacérès, c'est simplement pour dire qu'il eût voté le Pacs.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Georges Hage - J'ai cité l'Ecclésiaste mais j'aurais tout aussi bien pu choisir du Coran cette phrase : "Un voyageur solitaire est un diable" ou des textes bouddhiques celle-là : "L'homme qui reste seul, bien qu'ayant résolu d'obéir à la vérité, peut être faible et retomber dans ses anciens errements. C'est pourquoi demeurez ensemble." Enfin, du Cantique des cantiques ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je vous aurais volontiers lu un verset, mais j'ai pensé que vous étiez trop éloignés de cette culture-là par oubli ou par pudibonderie. Ces beaux vers auraient pu sonner à vos oreilles comme pornographie ou gaudriole. Aussi ne les lirai-je pas.

Pour conclure, je citerai l'Ecclésiaste : "Il y a un temps pour chaque chose", un temps pour jouer la montre, Madame Boutin, et laisser filer le temps, et un temps pour voter sans retard contre cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Guy Teissier - Depuis plusieurs années, des associations revendiquaient la reconnaissance et la protection par la loi de la relation homosexuelle au même titre que la relation hétérosexuelle. Toujours prompte à répondre aux exigences de certains lobbies, les députés de la majorité ont déposé une puis plusieurs propositions de loi visant à définir un statut original pour le couple non marié. Le Gouvernement a compris le bénéfice électoral qu'il pouvait en escompter. Comment interpréter autrement son acharnement à vouloir faire adopter, coûte que coûte, ce texte, malgré le revers cinglant du 9 octobre dernier, ô combien révélateur, des réticences, sinon du désarroi, des députés ce soir requis à la gauche de l'hémicycle ?

Il s'apprête aujourd'hui à donner satisfaction à la communauté gay, après des positions officielles plus hésitantes. Mme Tasca défilait fièrement à la Gay Pride, Mme Aubry restait en retrait tandis que Mme Guigou insistait sur la nécessité de prendre le temps nécessaire et de ne pas toucher à la symbolique -pour donner des gages à votre majorité ?

En nous soumettant de nouveau ce texte sur le Pacs, on nous expliquera qu'il convient de trouver des solutions nouvelles pour répondre aux évolutions sociologiques de notre temps. On y ajoutera quelques arguments économiques comme le développement de la précarité, la montée du chômage, les difficultés d'accès au logement. On invoquera même le sida qui a provoqué l'exclusion de nombreuses personnes. Pourquoi cette hypocrisie ? Pourquoi ne pas dire haut et fort que le Pacs s'adresse avant tout aux couples homosexuels ?

Mme Boutin a posé les vraies questions et mis en lumière les fausses solutions apportées. Le statut juridique nouveau créé par le Pacs prendre place entre le mariage et le concubinage, attestant d'ailleurs du peu de considération que vous accordez à la famille.

Certes, on ne peut nier les unions de fait ni méconnaître les couples homosexuels. Mais votre projet risque de bouleverser nos valeurs. Les libéraux que nous sommes considèrent que tout être humain a droit au respect de sa vie privée et de la vie sexuelle qu'il a choisie. Nous estimons de même normal que deux personnes ayant un projet de vie commun puissent bénéficier de certains droits, notamment en matière de succession. Mais le Pacs est une fausse bonne idée car il mêle les deux logiques du mariage et du concubinage, s'adressant à ceux qui ne veulent pas du mariage et en définitive pas à ceux dont le mariage ne veut pas. Vous proposez en fait un "mariage bis" tel que le définit Irène Théry, sociologue pourtant ni de droite, ni catholique, ou une "sous-marque du mariage" comme le définit le doyen Carbonnier.

Est-cela que la société attend de nous ? Le Pacs peut être rompu sans aucune formalité : la répudiation sera la règle. Quel paradoxe de voir la première femme Garde des Sceaux de notre République organiser cette régression ! A moins que vous n'ayez fait vôtre la maxime de Beaumarchais : "de toutes les choses sérieuses, le mariage est la plus bouffonne". On comprendrait mieux votre insistance à vouloir dévaloriser cette noble institution. Le groupe DL votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Cochet - Depuis longtemps dans notre pays, l'union libre concerne des millions de personnes et des centaines de milliers d'homosexuels vivent en couple. C'est pourquoi nous estimons que le Pacs est conforme à la Constitution (Rires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) et à la Déclaration de 1948. On ne peut pas priver de droits des personnes en raison de leur orientation sexuelle. Les députés RCV voteront donc contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. le Président - Les groupes socialiste et UDF demandent un scrutin public.

M. Henri Plagnol - La violence des réactions de la majorité au discours de Christine Boutin et le caractère sommaire des réponses aux motifs d'inconstitutionnalité qu'elle a soulevés montrent que ce discours touche juste, c'est-à-dire là où ça fait mal. Elle a dévoilé les impostures de la présentation de ce projet par le Gouvernement. Je le précise en réponse aux propos provocateurs de M. Dosière : non, Mme Boutin n'a pas parlé en ayant dans sa poche un autre bréviaire que la Constitution ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Et c'est ce qui vous dérange.

Je n'indiquerai que quelques-uns des mensonges sur lesquels repose la présentation de ce projet. Premier mensonge : il est évident que vous redéposez la même proposition que nous avons rejetée, et qu'elle est donc irrecevable. Deuxième imposture : vous prétendez créer de nouveaux droits, et vous dotez du même statut juridique et fiscal des couples dont les situations sont totalement différentes, ce qui est une violation du principe d'égalité constamment réaffirmé par la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel. Troisième imposture : vous prétendez qu'on peut légiférer sur les couples sans poser le problème des conséquences de cette législation sur les familles et les enfants. Qui peut penser sérieusement que vous le croyez ? Le Préambule de 1946 fait un devoir à la nation de garantir le développement de l'individu et de la famille. Dans un texte qui concerne potentiellement des millions de couples, pas un mot sur les conséquences pour les enfants et les familles ! Contrairement à ce que dit Mme la Garde des Sceaux, on ne peut toucher à l'un sans prendre l'autre en compte.

Enfin, et c'est peut-être le plus grave, vous n'avez pas pris le temps du minimum de concertation. Comment pouvez-vous prétendre que vous défendez la démocratie et la République alors que, pour la première fois dans l'histoire de la Vème République, nous légiférons sur un texte de cette importance sans avoir entendu aucune des familles spirituelles de notre pays, aucune des associations qui connaissent le sujet, aucun des experts qui étudient l'évolution de la famille ? Pas une seule audition contradictoire en commission des lois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL)

Puisque M. Hage, dont j'apprécie l'érudition et l'humour, a cité l'Ecclésiaste, je dirai à mon tour : vanité des vanités, le Pacs n'est que vanité... Il passera, et la Constitution restera (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, et du groupe DL).

A la majorité de 299 voix contre 233, sur 532 votants et 532 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Prochaine séance ce matin, à 11 heures 45.

La séance est levée à 3 heures 40.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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