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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 37ème jour de séance, 96ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 24 NOVEMBRE 1998

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    ATELIERS ET CHANTIERS DU HAVRE 1

    BARRAGE DE CHAMBONCHARD 2

    SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS 3

    GRÈVES DANS LES TRANSPORTS 4

    IMMIGRATION 5

    URGENCE SOCIALE 5

    GRÈVE DANS LES TRANSPORTS 6

    LEVÉE DE L'EMBARGO SUR LA VIANDE BRITANNIQUE 7

    ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS EN FRANCE 7

    PROJET DE LOI SUR L'AUDIOVISUEL 8

    LEVÉE DE L'EMBARGO SUR LA VIANDE BOVINE BRITANNIQUE 9

    URGENCE SOCIALE 9

    VICTIMES DE L'AMIANTE 10

RÉVISION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION 10

    EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 21

    EXPLICATIONS DE VOTE 34

La séance est ouverte à quinze heures.


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SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE NOUVELLE DÉPUTÉE

M. le Président - Je tiens à vous rappeler que notre assemblée compte une nouvelle députée, Mme Chantal Robin-Rodrigo, en remplacement de M. Jean Glavany nommé membre du Gouvernement.

Je suis heureux de lui souhaiter, en votre nom, la bienvenue (Applaudissements).


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

ATELIERS ET CHANTIERS DU HAVRE

M. Jean-Yves Besselat - Je pense que vous mesurez, Monsieur Strauss-Kahn, l'importance des chantiers navals du Havre et la gravité de leur situation. Ce dossier est stratégique pour Le Havre, pour toute la région, pour notre pays dans une Europe en évolution.

La construction navale havraise, blessée par un accident industriel, a un savoir-faire et un potentiel de commandes tels que l'avenir lui est ouvert, si on le veut. Il faut l'aider à surmonter ses difficultés.

La construction navale, contrairement à ce que pense votre entourage, peut devenir un pôle d'excellence d'industriel. L'ensemble des élus de Haute et Basse Normandie, toutes tendances confondues, l'ensemble des cadres, ingénieurs et ouvriers des chantiers du Havre et de Cherbourg estiment qu'un pôle normand de construction navale civile et militaire répond à une vraie stratégie industrielle. Tous savent qu'une vraie proposition est en préparation, mais elle ne saurait voir le jour si le Gouvernement ne fait pas cesser immédiatement les ultimatums dont font l'objet les différents acteurs de ce dossier. A cette condition, une offre crédible pourra être présentée.

Vous opposez le coût de l'opération, mais pouvons-nous oublier que vous avez avancé à la Corée, via le FMI, 7 milliards qui ont financé sa construction navale ? Que les Allemands -Helmut Kohl et bientôt Gerhard Schröder- savent aider fortement leurs chantiers -50 en Allemagne, 6 en France ? Que vous avez su recapitaliser, avant sa privatisation, le Crédit lyonnais, dont les déficits colossaux ont des causes connues de tous ? J'ajoute que si l'on sait ce que coûterait la pérennisation de l'activité des ACH, nul ne sait ce que coûterait une hypothétique reconversion.

Ce chantier veut vivre. Nous avons de vraies raisons de croire en son avenir. Un pôle normand de construction est parfaitement envisageable. De grâce, faites cesser les manoeuvres dilatoires. Acceptez de reconnaître que vous vous êtes trompé. Laissez-nous préparer une offre en toute sérénité, en refusant le couperet voulu par vos conseillers. Avec toute la Normandie, je vous demande de changer d'avis, y êtes-vous prêt aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - L'échec des ACH est douloureux pour vous, pour tous les élus et pour le Gouvernement. Il ne signifie en aucun cas un désintérêt du Gouvernement pour la filière maritime et pour la construction navale. D'ailleurs à Saint-Nazaire, à Lorient, à Concarneau, à Cherbourg sont actuellement lancés d'importants programmes destinés à renforcer la compétitivité de ces chantiers face à la rude concurrence internationale.

Ce n'est pas le Gouvernement qui ferme les ACH ! Leur échec est le résultat d'une décision prise en 1995 que vous-même, les autres élus locaux, moi-même, avions jugée catastrophique. Il est aussi le résultat d'une incapacité totale de l'entreprise à maîtriser la construction des navires qui lui sont demandés. Aucun des plans de redressement présentés par la direction n'a pu être conduit avec succès. Les retards s'accumulent et les pertes se montent aujourd'hui à 1,87 milliard. Si aucun repreneur ne s'est présenté c'est parce qu'aucun industriel ne croit possible de sauver les ACH. A ce jour, le pôle normand que vous appeliez de vos voeux n'est porté par aucun industriel. J'ai personnellement contacté plusieurs repreneurs potentiels, mais aucun n'a répondu favorablement. L'ampleur des efforts consentis par le Gouvernement pour tenter de sauver le chantier est sans précédent en matière de construction navale.

Il ne faut pas bercer d'illusions les salariés des ACH. La seule attitude responsable consiste à préparer l'avenir industriel du Havre et de la Basse-Seine. Je souhaite que la mobilisation exceptionnelle qui existe aujourd'hui nous permette de travailler ensemble, au-delà des divergences, à un programme de redynamisation économique qui permette d'assurer un véritable avenir au Havre et à son port. Il est urgent d'y travailler (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Lucien Degauchy - Baratin !

BARRAGE DE CHAMBONCHARD

M. Eric Doligé - Monsieur le Premier ministre, M. Vergnier, député PS de la Creuse, M. Martin-Lalande, député RPR du Loir-et-Cher, M. Lajoinie, député PC de l'Allier, M. Filleul, député PS d'Indre-et-Loire, M. Fromion, député RPR du Cher, M. Yann Galut, député PS du Cher, M. Goldberg, député PC de l'Allier, M. Auclair, député RPR de la Creuse, M. Maurice Leroy, député UDF du Loir-et-Cher, tous ont demandé audience le 16 juillet dernier à propos de la construction de la retenue d'eau de Chambonchard. Vaine démarche. Serait-il naïf de penser qu'un Premier ministre est disponible pour des élus de la nation ?

Ils souhaitaient vous exprimer l'inquiétude de toute une population face à son approvisionnement en eau, au maintien de sa qualité, à la protection de la faune et de la flore, au développement économique local. Sur un dossier d'une telle importance, plus de 6 millions d'habitants de 17 départements auraient aimé être entendus.

Peut-être n'êtes-vous pas informé des enjeux qu'au travers de prismes déformants, ceux d'un ministère de l'environnement qui ne vous dit pas que 99 % des élus sont favorables à la réalisation de ce projet, que le financement est prévu, que 100 millions ont déjà été dépensés en travaux préparatoires -je n'ose croire en pure perte-, que l'Etat ne respecte pas pour le moment sa signature. Si la loi sur l'eau s'impose à tous les citoyens, le Gouvernement doit également la respecter !

Nous, élus, sommes victimes d'un ministre, Mme Voynet qui utilise tous les artifices pour bloquer un dossier, par pure idéologie (Exclamations sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). D'un dossier technique, elle a fait avec votre bienveillance peut-être involontaire, un dossier politique.

Le 7 novembre dernier, nous étions, à Montluçon, 150 élus, toutes tendances confondues, pour rappeler à l'Etat ses engagements et pour vous rappeler notre demande de rendez-vous.

Puisque vous n'avez même pas eu la courtoisie d'accuser réception de nos demandes, je suis obligé, au nom de mes collègues socialistes, communistes et RPR-UDF, de prendre à témoin la représentation nationale afin de vous demander un entretien avant le CIADT, prévu le 16 décembre prochain.

Allez-vous enfin vous saisir de ce dossier et nous recevoir dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Le plan décennal Loire grandeur nature a été adopté le 4 janvier 1994 à l'issue de plusieurs années de conflits et de discussions. Ce projet de barrage de Chambonchard en est un des éléments. Il a semblé normal au Gouvernement de réévaluer l'efficacité et l'intérêt de ce qui a déjà été réalisé, à mi-course de ce plan : frein à la construction en zone inondable, rénovation du système d'annonce des crues, restauration du lit de la Loire et renforcement des levées entre la Haute-Loire et Nantes pour un montant de 160 millions, financement total par l'Etat, à hauteur de 321 millions, de la protection de Brives-Charensac, investissement dans un important programme d'études sur le fonctionnement de la Loire, réalisation du barrage de Naussac II, restauration du milieu naturel. La deuxième phase du plan Loire devra permettre de mieux inscrire ce plan dans la stratégie française du développement durable, de privilégier la gestion rationnelle des milieux par rapport aux grands travaux.

M. Eric Doligé - Ce n'est pas la question ! Nous voulons un rendez-vous.

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - C'est dans ce contexte que nous procédons à la réévaluation de l'intérêt du barrage de Chambonchard. Je me suis rendue sur le site le 2 juillet dernier. J'y ai entendu les arguments de tous les élus,...

M. Eric Doligé - Ce n'est pas vrai !

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - ...des associations, des partenaires de la vie sociale et économique. J'ai noté que quatre objectifs étaient assignés à ce barrage : l'objectif d'irrigation agricole, aujourd'hui fortement remis en cause, un soutien d'étiage estival -j'ai constaté en effet qu'il y avait bien peu d'eau dans le lit du Cher en juillet-, le projet de développement touristique -difficile à imaginer en raison du marnage- et l'épuration des eaux du Cher, pour laquelle la dilution n'apparaît pas comme la meilleure solution...

M. Eric Doligé - Ce n'est pas la question !

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - L'expertise en cours de l'intérêt de cet ouvrage et de ses capacités éventuelles doit s'achever dans les semaines à venir puisque le Gouvernement entend annoncer la deuxième phase du plan Loire lors du prochain CIADT à la mi-décembre (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Eric Doligé - Vous n'avez pas répondu à la question !

SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS

M. Christian Estrosi - Certes, le droit de grève est un formidable acquis de notre démocratie (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), certes nous sommes tous attachés au service public à la française (Mêmes mouvements), mais celui-ci remplit-il encore ses missions ?

Récemment nous avons eu en Ile-de-France des grèves des transports qui ont paralysé l'ensemble de la région. Ce fut encore le tour de la région PACA. C'était hier la totalité du territoire national et il en sera sans doute de même vendredi prochain. Alors que la plupart des pays de l'Union européenne disposent d'accords syndicaux ou de dispositions législatives permettant de réguler le droit de grève, assurant ainsi la pérennité des entreprises et évitant de prendre en otage l'ensemble des usagers, la France reste arc-boutée sur des pratiques archaïques.

Allons-nous continuer à assister à la détresse de millions de nos concitoyens ? A accepter des effets sur l'emploi, sur la santé, sur les études, sur la formation, voire sur l'environnement avec l'aggravation des rejets de dioxyde d'azote liée au recours inhabituel aux véhicules individuels (Exclamations sur les bancs du groupe RCV), sans adapter notre droit de grève ? Il est actuellement porté atteinte au principe même du service public qui, faut-il le rappeler, est financé par les contribuables.

Il semble que l'on assiste sous votre gouvernement, Monsieur le Premier ministre, à une recrudescence des grèves ; il semble que vous assurez la culture de la grève.

Il y a quelque temps, la direction du RPR, par la voix de Nicolas Sarkozy, proposait qu'un service minimum soit assuré en cas de grève dans le service public.

Monsieur le Premier ministre, il n'est plus admissible que quelques-uns prennent ainsi en otage des millions d'honnêtes travailleurs (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Etes-vous, oui ou non, pour ce service minimum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler combien il y eut de jours de grève entre 1993 et 1997 ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe communiste et du groupe socialiste) Certaines de ces grèves furent même très longues et vous savez quelles conséquences elles eurent sur la popularité du précédent gouvernement.

La grève d'hier, l' "euro-grève" comme certains l'ont appelée, traduit une forte inquiétude et une défiance envers les tentatives faites par les chantres de l'ultralibéralisme pour introduire la concurrence intramodale dans le chemin de fer ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste) Car c'est bien de ce côté qu'il faut chercher les responsables !

Contrairement à ce que vous dites -sans l'avoir jamais fait-, ce n'est pas par des mesures administratives autoritaires qu'on mettra fin aux conflits sociaux. Il y faut bien plutôt le dialogue et convainquez-vous que le Gouvernement préfère mettre de l'huile dans les rouages plutôt que sur le feu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

GRÈVES DANS LES TRANSPORTS

M. Francis Delattre - Monsieur le ministre des transports, le contentement qu'on affiche en permanence sur certains bancs lorsqu'on évoque votre personne et votre action, est complètement justifié : depuis dix-huit mois, rien de ce qui roule, vole ou glisse n'a été épargné par les conflits, par les grèves à répétition, par les mouvements revendicatifs à cadence infernale -en bref, par la désorganisation ! Contrairement à ce que vous dites, vous avez battu en la matière un record absolu depuis trente ans ! Si M. Jospin vous a nommé en prenant en considération votre proximité avec certains syndicats, il doit être comblé aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Depuis la rentrée, en Ile-de-France, il ne s'est pas passé une semaine que le trafic ne soit interrompu, soit dans le RER, soit dans le métro ou la SNCF-banlieue. Hier, c'était le tour des grandes lignes, paralysées au motif que la Commission européenne voudrait "casser" le rail. Pourtant, ne vous êtes-vous pas fait le zélateur de l'Europe du rail ?

Après-demain, viendra un débrayage des conducteurs, sans oublier le énième conflit à Air France.

Certaines revendications sont légitimes, comme celles qui ont trait à la sécurité des chauffeurs, mais d'autres apparaissent plus discutables à nos compatriotes, qui ont un besoin vital des transports. A tout le moins, ces actions exigeraient un débat préalable. Ce sont aujourd'hui la fiabilité et, souvent, le redressement des entreprises de ce secteur qui sont menacés. Aussi vous poserai-je deux questions, précises pour éviter toute digression sur les méfaits du précédent gouvernement ou de l'ultralibéralisme : pensez-vous comme M. Gallois que les grèves à répétition entravent le redressement de la SNCF, en lui coûtant 100 millions par jour ? Comptez-vous engager sérieusement avec toutes les entreprises concernées une discussion en vue de faire respecter un autre principe de notre droit public : la continuité du service public ? Ceux qui se sentent quotidiennement pris en otage vous remercient par avance de votre réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Sachez que, depuis un an et demi, le trafic SNCF et RATP n'a cessé de croître ! La tendance des dernières décennies a donc été renversée.

Faut-il interdire les grèves ou instaurer un service minimum ? Je le répète, ce n'est pas avec des méthodes administratives ou autoritaires qu'on réglera des problèmes sociaux ou des problèmes d'insécurité ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Evitons les faux-fuyants et menons un travail de fond !

Je suis de ceux qui considèrent que la grève ne doit être qu'une arme ultime, mais il faudrait aussi s'interroger sur les raisons du mouvement actuel ! Nous n'arriverons à rien si nous ne cherchons à défendre le service public, à reconquérir pour le chemin de fer des parts de trafic et à nouer le dialogue social. En rabâchant la vieille antienne de la courroie de transmission, vous avez fait, vous, la démonstration que vous viviez dans le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

IMMIGRATION

M. Roland Carraz - Sur la question de l'immigration s'opposent clairement deux camps : celui des démagogues (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et celui des gens qui ont fait le choix d'une attitude responsable (Mêmes mouvements). Dans le premier, je rangerai l'extrême-gauche, qui souhaiterait régulariser sans précaution tous les clandestins, et l'extrême-droite qui, de façon tout aussi irréaliste et irresponsable, considère que la France devrait se refermer sur elle-même en tournant le dos au reste de l'humanité. Dans le second se situe le Gouvernement, qui a adopté une position équilibrée, approuvée par la majorité des Français (Mêmes mouvements).

Cette position repose sur deux principes simples : une régularisation en fonction de critères précis, et non à l'italienne ; une action en faveur de la réinsertion dans le pays d'origine, dans une perspective de codéveloppement.

Le 4 novembre, le Gouvernement a rendu public son projet pour cette insertion. Madame le ministre de l'emploi et de la solidarité, comment comptez-vous le populariser auprès des intéressés ? Quelles sont les réactions des associations et des organisations d'immigrés ? Enfin, des accords ont-ils été signés avec les pays d'origine ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le contrat de retour annoncé le 4 novembre vise à aider les personnes qui ne satisfont pas aux critères de régularisation à rentrer dans leur pays dans des conditions respectueuses des droits de l'homme, mais également aussi dignes que possible. Il faut que celles qui le souhaitent bénéficient d'une formation, pendant une période d'au plus trois mois pendant laquelle elles seront rémunérées et verront leur situation régularisée : elles pourront ainsi préparer une autre formation, dispensée cette fois dans leur pays d'origine avec l'aide d'associations.

Des accords ont été conclus avec le Mali et le Sénégal, un autre est en cours de discussion avec le Maroc. Il s'agit de déterminer les projets à soutenir de façon à favoriser le développement de ces pays tout en permettant à ces gens de repartir de France la tête haute.

L'OMI et les associations s'emploient à faire connaître le dispositif aux personnes concernées. Certaines associations ont réagi négativement, peut-être parce qu'elles souhaitent une régularisation générale, mais d'autres travaillent avec nous, soit pour assurer un accompagnement social bien nécessaire, soit pour relayer l'information. Le dispositif se met en place ces jours-ci : 40 demandes ont déjà été présentées et je suis convaincue que ce contrat sera un élément important pour un codéveloppement, absolument indispensable si l'on veut maîtriser les flux migratoires. Je suis persuadée aussi qu'un grand nombre d'entreprises, d'associations et de collectivités apporteront leur aide (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

URGENCE SOCIALE

M. Germinal Peiro - Une nouvelle fois, la rigueur de l'hiver vient de nous rappeler à quel point l'exclusion et la misère sont dramatiques. En moins d'une semaine, une vague de froid a tué à huit reprises. A Paris, à Cambrai, à Toulouse et ailleurs, des hommes et des femmes sont morts sous une dérisoire toile de tente ou sous un porche, entre deux cartons.

Ces drames nous révoltent. Nous ne pouvons accepter que dans notre pays, qui est parmi les plus riches du monde, des hommes et des femmes meurent de faim ou de froid. Hier, Madame la ministre, vous avez déclaré que les Français devaient ouvrir les yeux sur la misère. Elle nous concerne : la solidarité est un devoir de tous les citoyens, à côté des pouvoirs publics et des associations humanitaires.

Au mois de juillet, nous avons voté la loi contre les exclusions, qui comporte 43 mesures notamment relatives à l'emploi, à la santé, à la culture pour construire une société de progrès et de justice sociale.

Mais aujourd'hui, dans l'urgence, quelles solutions proposez-vous pour celles et ceux qui, sans abri, n'ont même plus le strict minimum pour vivre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - En effet, il est intolérable, dans un pays comme le nôtre, que des personnes meurent de froid. Ce n'est pas le moment de chercher des responsables, alors que, depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics ont amélioré les structures d'hébergement. Le nombre de lits disponibles est globalement suffisant : 315 restaient libres la nuit dernière. Je rappelle aussi le numéro de téléphone 115 que chaque Français peut utiliser pour secourir une personne dans la rue. En outre, des équipes mobiles parcourent les rues pour aider les personnes en difficulté. Des structures d'accueil, comptant 65 000 lits, fonctionnent jour et nuit. La nuit, j'ai demandé à la RATP d'ouvrir la station Bonne-Nouvelle.

Alors, pourquoi ces morts ? D'abord, parce que la qualité des lieux d'accueil n'est pas toujours suffisante pour préserver la dignité de ceux qui y entrent. Il faut donc l'améliorer. Pour 1998 et 1999, le Gouvernement a décidé de créer 1 000 places supplémentaires d'hébergement et de réinsertion sociale. Ensuite, parce que l'information reste insuffisante. Et c'est le devoir de tous les Français que d'ouvrir les yeux sur ceux qui n'ont pas lieu où dormir au chaud. Hier soir, un couple d'agriculteurs a accueilli à son domicile un couple avec un chien : voilà un geste de solidarité qui devrait servir d'exemple.

Cela dit, la loi contre les exclusions apportera des solutions de fond. Nous y ajouterons la couverture maladie universelle. Mais c'est à chacun d'entre nous que j'adresse le cri de ceux qui sont dans la rue. La mort de froid d'un SDF est la forme la plus scandaleuse de la détresse et de la misère qui existent dans notre pays. Sachons nous mobiliser tous pour tendre la main à ceux qui en ont besoin. C'est peut-être cela que nous rappellent ces huit morts, cent quatre-vingts en Europe dans les pays qui sont parmi les plus riches du monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

GRÈVE DANS LES TRANSPORTS

M. Jacques Fleury - A la veille de la réunion du conseil des ministres européens des transports, les syndicats de cheminots ont manifesté leur opposition à la libéralisation du trafic ferroviaire. Dans une Europe où treize pays ont des gouvernements à coloration socialiste ou social-démocrate, peut-on espérer qu'ils seront entendus ?

En effet, la libre concurrence pénalisera les usagers, menaçant certaines régions d'isolement, faute de rentabilité. Dans ces conditions, vouloir développer les transports deviendrait illusoire.

Saisirez-vous cette occasion, Monsieur le ministre, pour organiser un véritable service public européen du rail ? Quelle position le gouvernement français défendra-t-il au conseil des ministres européens ? Peut-on espérer qu'un frein sera mis à la dérive ultra-libérale de la Commission ? ("Très bien !" sur quelques bancs du groupe UDF) Sera-t-il possible de vérifier demain qu'on peut être européen et de gauche sans courir le risque de faire un grand écart ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Selon un journal du soir, l'"euro-grève" dont vous avez parlé préfigurerait une volonté d'aller enfin vers une construction sociale de l'Europe. Des actions ont été menées dans onze pays contre la volonté de la Commission européenne de libéraliser le transport ferroviaire, c'est-à-dire d'organiser la concurrence à l'intérieur même du chemin de fer. Les cheminots et les usagers s'y opposent, mais aussi le gouvernement français, ainsi que la Belgique, le Luxembourg, l'Espagne et l'Italie, ce qui représente une minorité de blocage suffisante pour empêcher cette libéralisation, cette déréglementation.

Je peux vous assurer de la fermeté de la position française : je l'exprimerai avec la même détermination lundi et mardi prochains à Bruxelles.

Ce qui est nécessaire, c'est non pas l'ultralibéralisme -les Anglais s'en rendent compte aujourd'hui !- mais un véritable réseau européen respectueux des statuts et des prérogatives nationaux, et favorisant l'interopérabilité, bref, une forme de service public ferroviaire européen. Je veux croire que les évolutions politiques qui ont eu lieu dans plusieurs pays européens faciliteront cette démarche. Telle est la volonté du gouvernement français. Il ne cédera pas sur cette position, dans l'intérêt des cheminots SNCF mais aussi d'une construction européenne où le social l'emporterait sur le libéralisme et sur le dumping ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

LEVÉE DE L'EMBARGO SUR LA VIANDE BRITANNIQUE

M. Christian Paul -  L'Union européenne va lever l'embargo sur la viande de boeuf britannique : deux ans et demi après la crise de la vache folle, cette décision inquiète les consommateurs et les éleveurs français.

Quelles garanties avez-vous obtenues quant à la qualité sanitaire de la viande qui sera exportée, alors qu'on recense encore chaque mois une centaine de cas de vache folle en Grande-Bretagne ? Quels seront les contrôles exercés à l'intérieur des exploitations britanniques ? Quelles garanties avons-nous quant à un éventuel système de traçabilité ? Sur un dossier majeur pour la santé publique, il importe de réunir les conditions maximales de sécurité.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - La Commission européenne a effectivement proposé hier soir au conseil de l'agriculture la décision que vous venez d'évoquer.

Le dispositif préconisé repose sur plusieurs points très précis : la constitution d'un fichier d'identification des services britanniques ; l'institution d'une sorte de passeport permettant de repérer l'origine de chaque animal ; l'obligation d'abattre les bêtes exportées dans des abattoirs spécialisés ; l'exportation ne concernera que des animaux nés après le 1er août 1996, soit après l'interdiction des farines animales dans les aliments du bétail ; enfin, on ne pourra exporter que de la viande désossée et dénervée.

Face à ce dispositif, le gouvernement français a demandé des garanties supplémentaires quant aux contrôles qui seront exercés. En particulier, nous voulons être informés en temps réel des contrôles que la Commission mettra en place et sur lesquels nous voulons pouvoir donner notre avis au sein du conseil de l'agriculture. Nous demandons également que la décision de lever l'embargo puisse être suspendue si des éléments nouveaux intervenaient.

La Commission ayant décidé de donner suite à nos demandes, nous avons choisi de nous abstenir dans l'attente de la mise en place des contrôles.

M. François Goulard - C'est courageux !

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Plus que vous ne le croyez.

De toute façon, l'embargo aurait été levé car une large majorité y était favorable au sein du conseil de l'agriculture. La France, le Luxembourg, l'Autriche et l'Espagne se sont abstenus. Mais c'est grâce à l'abstention de la France qu'une majorité qualifiée n'a pu être réunie. A défaut, la décision revient à la Commission. C'est précisément ce que vous aviez demandé lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Florence en 1996. Vous vouliez que la décision relève de la responsabilité de la Commission, sous le contrôle du conseil de l'agriculture. C'est ce que nous avons obtenu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS EN FRANCE

M. Gérard Bapt - Nombreux sont les parlementaires militants de la francophonie qui regrettent que les écoles et universités françaises n'accueillent pas un plus grand nombre d'étudiants étrangers. Cette situation tient à de nombreuses causes, comme les difficultés d'obtention des visas ou des bourses ainsi qu'à l'existence de quotas dans certaines de nos écoles.

La francophonie, mais plus globalement la place de la France dans le monde sont en jeu. Les Etats-Unis, quant à eux, accueillent 550 000 étudiants étrangers dans leurs universités, pour les former au moule américain.

Laisser perdurer la situation actuelle serait attenter aux intérêts supérieurs de la nation. Que comptez-vous faire et dans quels délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Aujourd'hui même est parue au Journal officiel la création de l'agence Edufrance, qui aura pour mission de susciter la venue d'étudiants étrangers dans notre pays, d'assurer leur accueil et de répondre aux appels d'offres d'éducation des grandes organismes internationaux.

La première exposition d'Edufrance, au Mexique, a été inaugurée par le Président de la République. Le succès dépasse nos espérances, puisque 80 000 étudiants mexicains se sont inscrits pour visiter cette exposition, qui rassemble une centaine de nos établissements d'enseignement supérieur.

La semaine prochaine, Mmes Ségolène Royal et Nicole Péry iront en Inde pour inaugurer la deuxième exposition d'Edufrance.

Nous avons simplifié la procédure d'octroi des visas pour les étudiants étrangers et nous discutons avec l'ensemble des grandes écoles et des universités pour augmenter le nombre d'étudiants étrangers et améliorer leur accueil. Ainsi, chaque université aura un vice-président chargé des relations internationales et de l'accueil de ces étudiants.

Dans la grande compétition éducative mondiale, la France doit faire entendre sa voix et, plutôt que de s'en remettre au marché, promouvoir le service public qui, en matière d'éducation, s'est révélé supérieur à n'importe quelle espèce de système privé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

PROJET DE LOI SUR L'AUDIOVISUEL

M. Maurice Leroy - Avec votre projet sur l'audiovisuel, qui va nous être soumis avec tant de retard, vous vous trompez de siècle. Vous allez réglementer la télévision des années 60 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Votre projet, en outre, ne prévoit aucune aide pour la création et la production françaises.

Vous ne répondez pas à la seule question qui se pose vraiment : comment réglementer les nouvelles télévisions numériques ou par satellite ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Il semble que vous ayez demandé à Mme Bredin de remédier aux carences du projet initial... (Sourires sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) Aussi les principales dispositions dont nous débattrons n'auront été examinées ni par le CSA, ni par le Conseil d'Etat, ni par le conseil des ministres !

Ne vaudrait-il pas mieux prendre le temps de la concertation ? Et Mme Bredin serait-elle le Premier ministre virtuel de la Vème République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Vous pouvez toujours nous railler, mais j'aperçois à côté de vous M. Douste-Blazy qui, dans sa loi, n'a pas pensé à donner à notre audiovisuel public les moyens d'affronter la révolution numérique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Notre audiovisuel évolue dans un monde concurrentiel.

Pour nous, les trois heures que passent chaque jour les Français devant leur poste ont une fonction culturelle et de citoyenneté. C'est pourquoi notre service public doit être conforté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Les Français souhaitent qu'on en revienne à un vrai service public, en supprimant sa dépendance à l'égard des recettes commerciales (Mêmes mouvements), 68 % de nos concitoyens souhaitent la réduction des séquences publicitaires.

Le Premier ministre s'est par ailleurs engagé -et c'est une première- à ce que la baisse des recettes soit compensée par le budget de l'Etat (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Un peu de silence !

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Vous affirmez qu'aucune mesure n'a été prise en faveur de la production. Si vous aviez écouté mes déclarations et celles du Premier ministre, vous sauriez que les ressources tirées de l'écrêtement de l'effet d'aubaine seront reversées à l'industrie des programmes.

Cette réforme sera donc utile à la fois aux Français, à l'audiovisuel public et à la production.

Pour qu'il soit à la hauteur de la BBC et des chaînes allemandes, notre groupe audiovisuel doit être doté d'une structure forte, avoir les moyens d'intervenir dans les négociations de droits et être capable de développer de nouvelles technologies.

La semaine dernière, les ministres européens de la culture et de la communication, à l'initiative de la France, ont voté à l'unanimité une résolution indiquant que le service public audiovisuel constituait une nécessité. La France sera le premier pays à se doter d'un groupe de télévision publique à la hauteur des enjeux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

LEVÉE DE L'EMBARGO SUR LA VIANDE BOVINE BRITANNIQUE

M. François Sauvadet - Mme Trautmann ne nous a pas répondu sur le rôle de Mme Bredin... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

Monsieur le ministre de l'agriculture, on a senti tout à l'heure que vous tentiez de justifier l'injustifiable.

Je ne comprends pas la position du Gouvernement. Comment s'abstenir sur une telle question ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - M. Sauvadet seul a la parole.

M. François Sauvadet - L'Allemagne a voté contre. Les responsables professionnels jugent prématurée la levée de l'embargo et l'union française des consommateurs a fait part de ses inquiétudes.

Or des incertitudes subsistent et il fallait voter contre la levée de l'embargo, ou il n'y a pas de risques et il fallait voter pour. Une grande puissance agricole ne peut se contenter d'une abstention, qui jette le trouble dans les esprits.

En outre, Monsieur le ministre, il s'agissait de votre premier rendez-vous européen... Je m'inquiète pour la suite des négociations (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Je répète que la position du gouvernement français est parfaitement conforme aux engagements pris lors du sommet de Florence de 1996. C'est un Gouvernement que vous souteniez qui a fixé les conditions de la levée de l'embargo, dont il avait confié la responsabilité à la Commission européenne.

Vous indiquez que l'Allemagne a voté contre. Je vous ferai parvenir le compte rendu des déclarations faites par le ministre allemand qui, après avoir rendu hommage aux efforts accomplis par les Britanniques, a indiqué qu'il n'émettait qu'à contre-coeur un vote négatif, étant tenu par une sorte de mandat impératif.

Un large consensus s'est dégagé. Pensez-vous que le gouvernement français ou nos différents partenaires prendraient le moindre risque sur ce dossier ?

Nous avons obtenu d'être associés aux contrôles et nous attendons leur mise en place pour pouvoir juger sur pièces. Si nous nous sommes abstenus, c'est pour que la question reste de la responsabilité de la Commission européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

URGENCE SOCIALE

Mme Muguette Jacquaint - Madame la ministre de la solidarité, dans notre pays, des hommes et des femmes viennent d'être victimes du froid, c'est-à-dire victimes de la misère. Ces personnes manquaient de soins, d'un logement et de nourriture. Il est nécessaire de rendre effectives rapidement les dispositions de la loi contre l'exclusion et de prendre des mesures d'urgence. Il faut ainsi réformer le 115 et donner des moyens supplémentaires aux organisations caritatives.

Ne peut-on accorder plus de moyens aux hôpitaux, aujourd'hui débordés, pour donner les premiers soins et accueillir les familles les plus défavorisées ? L'argent existe. La solidarité exige qu'il serve à répondre aux urgences ! C'est une responsabilité nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - S'appuyant sur le travail et les propositions d'associations, la majorité a voté une loi relative à la lutte contre les exclusions, dont presque tous les textes d'application sont sortis -d'autres vont paraître avant la fin de la semaine. Les jeunes les plus éloignés de l'emploi sont ainsi rentrés depuis début octobre dans le programme TRACE ; plus de 35 000 chômeurs de longue durée Rmistes ont été reçus par l'ANPE en vue de bénéficier d'un accompagnement visant un retour à l'emploi ; les crédits d'Etat consacrés à l'urgence sociale ont augmenté de 60 % pour 1998-1999. Actuellement, Bernard Kouchner et moi travaillons aussi à renforcer la capacité des hôpitaux à faire face à l'urgence sociale. Des commissions d'urgence se mettent en place dans les départements, mais malheureusement certains présidents de conseils généraux n'ont pas encore accepté de se réunir autour d'une table avec le préfet, les représentants de l'UNEDIC et des collectivités locales afin de coordonner l'ensemble des réponses à l'urgence sociale : trouver un logement, payer un loyer, éviter une coupure d'eau, de gaz ou d'électricité -il n'y en aura plus cette année grâce à la loi sur l'exclusion-, aider ceux qui ne peuvent pas payer la cantine scolaire... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Nous devons absolument avancer dans les jours qui viennent car un tel refus est inacceptable, comme il est inacceptable que des gens meurent dans la rue et que des dizaines de milliers d'autres y vivent misérablement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

VICTIMES DE L'AMIANTE

M. Alain Tourret - De nombreux travailleurs sont tombés malades pour avoir respiré dans leur entreprise des poussières d'amiante. C'est tout l'honneur de ce gouvernement, et le vôtre en particulier, Madame la ministre, que d'avoir décidé, le 29 juillet et le 19 novembre 1998, d'une part, de prévenir les expositions de nature à provoquer de nouveaux drames, d'autre part, de réparer les préjudices causés par ce fléau qu'est l'amiante. Ainsi, les travailleurs âgés de cinquante ans et atteints de maladies liées à l'amiante pourront partir en préretraite, chaque année passée au contact de l'amiante bénéficiant dans ce cas d'une bonification de 33 %. Et un fonds spécial d'indemnisation a été créé. Ces mesures ont été accueillies comme la réparation d'une douloureuse injustice. Reste une question : à partir de quelle date ces travailleurs pourront-ils partir en préretraite, compte tenu des formalités à remplir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - C'est un sujet que vous connaissez bien puisque beaucoup de salariés de l'amiante travaillent à Condé-sur-Noireau, dans votre circonscription, et sur lequel vous avez maintes fois appelé l'attention du Gouvernement, comme l'a fait aussi M. Le Déaut, auteur d'un rapport sur les effets de l'amiante. Bernard Kouchner et moi avons aussi demandé un rapport au professeur Got et pris beaucoup de mesures depuis un an, que ce soit pour prévenir ou pour réparer. Début janvier sortiront des décrets tendant à ce que toutes les précautions soient prises pendant les opérations de démolition et à répertorier toute présence d'amiante dans des bâtiments. Dans la loi de financement de la Sécurité sociale, nous avons décidé de réouvrir l'ensemble des dossiers constitués pour faire reconnaître une maladie professionnelle liée à l'amiante. Nous avons décidé ainsi d'améliorer la réparation prévue dans ce cas, mesure qui s'imposera aux caisses de sécurité sociale et qui accroîtra les rentes versées à ces salariés. Nous avons, enfin, pris une mesure sans précédent : permettre aux salariés qui ont déclenché une maladie liée à l'amiante ou qui ont travaillé au coeur de la transformation de l'amiante de partir en préretraite. Je déposerai un amendement au PLFSS visant à ce que l'Etat et la Sécurité sociale financent le coût -600 millions- de ces quelque 4 000 départs en préretraite. Dès que ce texte sera voté, c'est-à-dire avant la fin de l'année, les personnes concernées pourront partir en préretraite. La nation leur doit bien cela, qui est peu au regard de leur souffrance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. le Président - Nous en avons fini avec les questions au Gouvernement.


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RÉVISION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le Gouvernement souhaite que le Parlement ratifie le traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997 qui, certes, n'apporte pas toutes les réponses, notamment sur la réforme des institutions, mais qui constitue cependant une nouvelle avancée significative de l'Union.

Moscovici vous parlera plus en détail de son contenu, mais je voudrais ici souligner les progrès réels qu'il va permettre à l'Union européenne : intégration dans le traité de la charte sociale européenne, d'un chapitre "emploi", de l'acquis de Schengen. Dans le domaine de la justice et de la sécurité, il permet, après que l'accord de Schengen de 1985 et le traité de Maastricht de 1992 ont ouvert la voie, d'avancer vers un véritable "espace de liberté, de sécurité et de justice".

La libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union demande que les Etats membres de l'Union se dotent de règles communes relatives au franchissement de ses frontières extérieures. Le renforcement constant de la coopération policière et pénale, s'agissant de terrorisme, de lutte contre la drogue et de blanchiment d'argent ou encore de simplification des procédures d'extradition, est donc indispensable. De même que devient nécessaire une politique commune de maîtrise des mouvements migratoires.

Cette coopération a d'abord été intergouvernementale grâce à la convention de Schengen. Mais la coopération intergouvernementale est trop lente et insuffisamment efficace. On le voit à l'heure actuelle, notamment avec l'Italie qui a beaucoup de mal à faire face à l'afflux de réfugiés kurdes. Aucun pays de l'Union ne peut prétendre être efficace dans ces domaines si les pratiques ne sont pas harmonisées.

C'est un objectif politique majeur et une nécessité pratique. Grâce au traité d'Amsterdam, il sera possible d'utiliser les procédures communautaires, plus efficaces, pour une partie du troisième pilier, en particulier pour les visas, l'asile, l'immigration et les autres politiques liées à la libre circulation des personnes. Les citoyens de l'Union ont besoin d'avancées plus marquées encore dans leur vie quotidienne, familiale, commerciale, civile en général : songeons, par exemple, au cas des couples mixtes. Il convient de simplifier et d'harmoniser les procédures, et le traité d'Amsterdam avance dans cette voie. Je n'oublie pas, enfin, que le socle de ces nouveaux progrès est constitué par l'affirmation des libertés et droits fondamentaux, et il est essentiel que le traité d'Amsterdam se réfère explicitement à la convention européenne des droits de l'homme et renforce le rôle de la Cour de justice de Luxembourg.

L'ensemble de ces avancées n'ont pas fait l'objet de remarques de la part du Conseil constitutionnel, non plus que le très important protocole sur le droit d'asile, qui comporte une clause de sauvegarde. Si nous sommes amenés à réviser la Constitution aujourd'hui, c'est en raison d'une partie du traité, importante mais réduite quant à son champ. C'est aussi la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose une révision modeste, pour ne pas dire minimale, de la Constitution.

Comme il l'avait été du traité de Maastricht en 1992, le Conseil constitutionnel a été saisi du traité d'Amsterdam, le 4 décembre 1997, conjointement par le Premier ministre et le Président de la République, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution. Cette saisine est d'ailleurs devenue une étape normale de la ratification des traités européens... Le Conseil a jugé que le traité était globalement conforme à la Constitution, sauf sur un point, relatif "aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes".

Cette décision est dans la droite ligne de celle du 9 avril 1992, relative au traité de Maastricht. Elle se fonde sur un faisceau d'indices pour déterminer si les stipulations du traité portent atteinte aux "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale". Le premier critère est celui du caractère régalien du domaine concerné par le transfert de compétence. Le deuxième celui de l'ampleur dudit transfert : abandon ou partage ? Le troisième, enfin, est celui des modalités d'exercice de la compétence transférée au Conseil : maintien de l'unanimité ou passage à la majorité qualifiée et à la codécision ?

Le Conseil constitutionnel a jugé, au regard de ces trois critères, que constituait un transfert de compétences l'application éventuelle, dans cinq ans, de la procédure de codécision au profit du Parlement européen et de la majorité qualifiée au sein du Conseil dans les domaines suivants : le franchissement des frontières intérieures, les modalités du contrôle des personnes aux frontières extérieures, les politiques d'asile et d'immigration. De même, il a considéré que le passage automatique à la règle de la majorité qualifiée et à la procédure de codécision pour les conditions de délivrance des visas de court séjour et pour la procédure uniformisée de délivrance des autres visas constituait une modalité nouvelle de transfert de compétence, allant plus loin que l'article 100 C du traité de Maastricht.

Il faut donc, si l'on veut ratifier le traité d'Amsterdam, modifier la Constitution pour la rendre compatible avec le traité. Le projet qui vous est soumis vise donc à modifier et à compléter l'article 88-2 de la Constitution. Cet article, actuellement, ne concerne que la détermination des règles relatives aux franchissement des frontières extérieures, c'est-à-dire de la délivrance des visas aux ressortissants des pays tiers. La nouvelle rédaction qui vous est proposée étend son champ à "la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés", expression qui renvoie directement à l'intitulé du titre II A du traité d'Amsterdam.

Cette rédaction a suscité de légitimes débats. Certains ont demandé que le peuple se prononce à nouveau, par référendum ou par ses représentants, lorsque le Gouvernement sera amené, dans cinq ans, à arrêter ses options. D'autres souhaitent même que la passage à la procédure de codécision soit autorisé par une loi organique votée en termes identiques par les deux assemblées. Mais si nous subordonnions aujourd'hui à une nouvelle décision du Parlement ce que fera le Gouvernement dans cinq ans, nous rendrions complètement inutile et inopérante la présente révision constitutionnelle.

M. Hervé de Charette - C'est évident !

Mme la Garde des Sceaux - Si nous révisons la Constitution aujourd'hui, c'est bien parce que le Conseil constitutionnel a souligné que le passage à la majorité qualifiée et à la codécision ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, mais seulement une décision du Conseil, qui ne pourra faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61. Le traité comporte des stipulations dont l'effet sera différé, mais il nous appartient de le ratifier aujourd'hui, ne serait-ce que parce que d'autres stipulations prendront effet, elles, dès ratification, et que nous ne serons pas, loin de là, parmi les premiers à déposer les instruments de ratification...

M. Hervé de Charette - Nous sommes même parmi les derniers, hélas !

Mme la Garde des Sceaux - Au reste, le Parlement pourra toujours, dans cinq ans, voter une résolution par laquelle il fera connaître son avis au Gouvernement.

M. Pierre Lellouche - Nous sommes sauvés !

Mme la garde des Sceaux - Le Gouvernement juge normal que les parlementaires exercent le droit d'amendement que leur confère la Constitution et que le Parlement souhaite exercer un droit de regard sur les textes européens, qui influencent de plus en plus la vie nationale.

M. Pierre Lellouche - C'est trop de bonté !

Mme la Garde des Sceaux - Mais il est non moins normal que le Gouvernement veille, de son côté, à ce que nos équilibres institutionnels soient respectés.

M. Hervé de Charette - Absolument !

Mme la Garde des Sceaux - On peut trouver nécessaire d'accroître le rôle du Parlement, et il est légitime qu'un tel débat ait lieu, mais non pas de façon annexe et subreptice, à l'occasion d'une révision constitutionnelle dont l'objet est tout autre.

M. Pierre Lellouche - Quand, alors ?

Mme la Garde des Sceaux - J'en viens à l'unique amendement retenu par la commission des lois.

Présenté par M. Nallet, il propose de modifier l'article 88-4 afin de permettre au Parlement de se prononcer sur les projets ou propositions d'actes des Communautés et de l'Union européenne. En clair, le Parlement pourrait adopter des résolutions portant sur l'ensemble de la construction européenne, c'est-à-dire du premier comme du deuxième et du troisième pilier.

Le Gouvernement n'est pas défavorable à un tel amendement, mais il considère, comme d'ailleurs l'explique très bien votre rapporteur, qu'il convient de conserver le critère de la nature législative des propositions d'actes, de façon à respecter le champ de compétence législative déterminé par l'article 34 de la Constitution.

A cet égard, il convient de bien faire la distinction entre les documents transmis pour information et les propositions d'actes de nature législative sur lesquels le Parlement vote des propositions de résolution.

Il va de soi, mais c'est un problème différent, que le Parlement est entièrement informé de tous les documents émanant de la Commission, tels les livres blanc et vert et les documents d'orientation. Cela résulte de la loi du 10 mai 1990, adoptée à l'initiative de M. Josselin alors président de la délégation aux affaires européennes.

Faut-il d'autres modifications constitutionnelles ? Un amendement suggère de permettre au Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité des actes communautaires dérivés.

M. Pierre Lellouche - Est-ce un crime ?

Mme la Garde des Sceaux - Des propositions en ce sens avaient été déposées par le passé. Cette proposition n'est pas conforme à l'esprit de nos engagements communautaires.

M. Pierre Lellouche - Curieuse analyse....

Mme Nicole Catala - Elle ne tient pas !

Mme la Garde des Sceaux - D'une part, l'institution de la Communauté européenne implique un système de droit autonome. Que serait en effet une Union dans laquelle chaque pays opposerait son système de droit interne aux actes qui découlent nécessairement des traités que les gouvernements ont signés et ratifiés et qui font l'objet d'un contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel ? En effet, le système de droit institué par la Communauté permet aux Etats d'attaquer devant la Cour de justice de Luxembourg les actes de droit dérivé qui ne seraient pas conformes au traité.

Mme Nicole Catala - Vous bafouez notre Constitution !

Mme la Garde des Sceaux - D'autre part, l'Union européenne, notamment dans le traité d'Amsterdam, s'est engagée à respecter les droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés dans la convention européenne des droits de l'homme. Par conséquent, les actes de droit dérivé ne peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux et aux principes généraux résultant des traditions communes aux Etats membres. Si, par extraordinaire, tel était le cas, la Cour de justice ne manquerait pas de les sanctionner.

Ce projet de loi constitutionnelle tire strictement les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997.

Le Gouvernement n'est pas opposé à ce que, au-delà de la modification de l'article 88-2 de la Constitution, on permette au Parlement de se prononcer sur l'ensemble des trois piliers de la construction communautaire à condition que le critère de la nature législative des textes qui y concourent soit respecté.

Enfin, il faut se garder de toute modification constitutionnelle qui, sans être rigoureusement exigée pour ratifier le traité d'Amsterdam, mettrait en cause les équilibres institutionnels définis par la Constitution de 1958 et qui concernent au premier chef les pouvoirs du chef de l'Etat, du Gouvernement et du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Pericard remplace M. Fabius au fauteuil présidentiel

PRÉSIDENCE DE M. Michel PERICARD

vice-président

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Nous engageons aujourd'hui le débat en vue de réviser l'article 88-2 de notre Constitution. C'est un rendez-vous important, car il n'est jamais anodin de modifier notre loi fondamentale, même si cette révision doit être replacée dans son contexte : elle n'est que le préalable à la ratification du traité d'Amsterdam.

Ne nous trompons, ni d'objectif, ni de débat : le Président de la République et le Premier ministre se sont engagés côte à côte à Amsterdam à ce que la France ratifie ce traité. La révision constitutionnelle découle donc directement du traité d'Amsterdam, dont la négociation était, pour l'essentiel, achevée lorsque le gouvernement de Lionel Jospin s'est mis en place.

Ce traité est très imparfait. Il a fait l'objet de nombreuses critiques, souvent fondées, parfois excessives. S'il semble surtout mal connu, il comporte toutefois une lacune majeure, vous le savez, Monsieur de Charette, l'absence de réforme institutionnelle.

M. Hervé de Charette - En effet !

M. le Ministre délégué - Mais je veux être franc, le traité d'Amsterdam n'est pas si mauvais. Il comporte des avancées utiles et pèche davantage par ce qui lui manque que par ce qu'il contient.

Il est tout d'abord un complément et une correction au traité de Maastricht.

Il en contrebalance d'abord la dimension fortement monétaire -certains diraient monétariste. A Maastricht, l'avancée majeure était la monnaie unique et la définition des conditions pour y parvenir. Le processus de la construction européenne était ainsi centré sur la dimension financière, avec les critères de convergence.

Il ne faut pas confondre le traité d'Amsterdam avec le pacte de stabilité, formellement adopté lui aussi lors du Conseil européen d'Amsterdam, mais qui avait été négocié à Dublin en décembre 1996, et qui n'était pas renégociable. Nous n'avons donc pu que faire adopter un texte complémentaire, de valeur identique, rétablissant l'équilibre, la résolution sur la croissance et l'emploi. Cette initiative a été à l'origine d'une prise de conscience de ce que l'Europe peut faire pour l'emploi et la cohésion sociale et a conduit à la tenue, en novembre 1997, sur proposition de la France, d'un sommet extraordinaire consacré à l'emploi.

Cette démarche est en parfaite cohérence avec le traité, qui comporte un chapitre entièrement consacré à l'emploi, à la coordination et au suivi des politiques nationales dans ce domaine, ainsi qu'au développement d'une stratégie commune européenne. L'union monétaire est ainsi clairement rééquilibrée, la stabilité économique et la lutte pour l'emploi étant mises sur le même plan.

Ce rééquilibrage, le gouvernement de Lionel Jospin n'a eu de cesse de le promouvoir. Nous avons pesé pour que l'euro se fasse dans des conditions conformes à ce que nous avions proposé aux Français pendant la campagne des élections législatives, et il se fera le 1er janvier prochain. L'euro sera un euro large, incluant onze Etats. Aux côtés de la Banque centrale indépendante, une instance politique, le conseil de l'euro, coordonnera étroitement les politiques économiques, afin de soutenir la croissance et l'emploi. J'ai rappelé ce que nous avions obtenu à Amsterdam et à Luxembourg. Avec une nouvelle configuration politique en Europe, nous avons l'espoir de porter plus loin ces efforts : au Conseil informel de Pörtschach s'est ainsi clairement manifesté un nouvel esprit, qui place le soutien à la croissance économique et la lutte contre le chômage au centre de la construction européenne.

Le traité d'Amsterdam comporte d'autres avancées, tel son chapitre social, ce protocole que nous avions défendu à Maastricht et qui n'avait pu être intégré au traité, à cause du refus de Mme Tatcher. Le gouvernement de Tony Blair, lui, l'a accepté. Il fait donc partie intégrante du nouveau traité et ses dispositions sur le rapprochement des législations et le dialogue social s'appliqueront à tous. Il est, en outre, complété par de nouvelles dispositions permettant au Conseil d'adopter, à la majorité qualifiée, des mesures de lutte contre l'exclusion sociale, d'autres visant à l'égalité des chances et à l'égalité de traitement.

Toujours dans le champ des droits civiques et sociaux, les dispositions relatives à la santé et à l'environnement sont plus contraignantes pour les Etats donc plus protectrices pour les citoyens. L'affirmation de la spécificité des services publics et la reconnaissance de leur rôle dans la cohésion sociale et territoriale de l'Union sont pour nous essentielle. L'actualité montre combien elles répondent à une forte nécessité. Notons encore le renforcement des dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, le renforcement de la clause de non-discrimination, du principe d'égalité entre hommes et femmes, des droits sociaux fondamentaux.

Le traité d'Amsterdam enregistre aussi quelques progrès -encore trop limités- dans un secteur où on n'avait pas pu suffisamment avancer à Maastricht : la politique étrangère et de sécurité commune, l'Union se dotant de moyens qui renforceront sa capacité d'agir sur la scène internationale. Elle aura un visage et une voix, grâce à un haut représentant qui devra être un véritable responsable politique. Nous pouvons aussi nous féliciter de l'amélioration des procédures grâce à la création, à notre initiative, d'un nouvel instrument, la stratégie commune, dont les dispositions d'application pourront être adoptées à la majorité qualifiée et qui permettra de définir, de façon globale, les relations de l'Union avec de grands partenaires comme la Russie, l'Ukraine ou les pays de la Méditerranée.

La capacité d'action de l'Union s'en trouvera renforcée dans le champ humanitaire et dans le champ de maintien de la paix. Enfin, le Conseil pourra s'appuyer, pour cette politique étrangère et de sécurité commune, sur une structure d'analyse et de prévision.

Mais c'est en ce qui concerne le troisième pilier -la justice et les affaires intérieures- que le traité d'Amsterdam apporte les compléments les plus importants au traité de Maastricht. Je les rappelle brièvement pour couper court aux commentaires excessifs, nés d'une mauvaise interprétation de ces dispositions.

Le traité d'Amsterdam vise à communautariser, c'est-à-dire à transférer dans la sphère de compétence communautaire, certaines matières de ce troisième pilier : les politiques liées à la circulation des personnes -asile, visas, immigration.

Il s'agissait là d'une proposition du Chancelier Kohl, à laquelle le Président de la République avait, dans une lettre commune, donné son accord avant l'ouverture de la conférence intergouvernementale. Tout le travail a consisté ensuite à organiser cette communautarisation, de manière progressive et cohérente, comme l'exige l'objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Soyons réalistes : l'évolution des phénomènes migratoires appelle non seulement des réponses coordonnées, mais aussi des orientations politiques communes et des mécanismes adaptés. Qui peut croire qu'il est aujourd'hui possible de maîtriser ces phénomènes en nous repliant derrière nos frontières nationales ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR)

Les dispositifs actuels sont de toute évidence insuffisants. Schengen fonctionne plutôt bien, mais ne couvre pas tous les Etats membres. En outre, les actions communes sont trop peu contraignantes pour les Etats membres et les conventions trop difficiles à négocier et trop longues à mettre en oeuvre.

Ces matières seront donc communautarisées, mais le passage au vote à la majorité ne se fera que dans cinq ans, et à condition que le Conseil en décide ainsi à l'unanimité. Il s'agit donc d'une éventualité. Et, comme vous l'a dit Elisabeth Guigou, c'est dans cette perspective que nous devons aujourd'hui modifier la Constitution.

Sur le fond, il faut se garder de diaboliser cette communautarisation, du seul fait qu'elle touche les politiques d'immigration. Nous ne partons pas de rien : l'intégration de Schengen dans le traité permettra de bénéficier des bienfaits, mais aussi de corriger les lacunes d'un dispositif qui a fait ses preuves. Ensuite, le passage à la majorité qualifiée est le seul moyen de progresser dans la construction européenne. Puisque nous le demandons quand il s'agit de réformer les institutions européennes, pourquoi ne ferions-nous pas de même ici ? Représentant la France au comité exécutif Schengen, je me suis convaincu qu'il était de notre intérêt d'harmoniser nos politiques dès à présent, sur la base de critères qui, ensuite, s'imposeront aux futurs Etats membres.

Pour le reste, toujours en ce qui concerne le troisième pilier, le traité d'Amsterdam favorise une approche globale, garantissant l'équilibre entre les mesures destinées à permettre la liberté de circuler et celles propres à assurer la sécurité des citoyens. Ainsi, la sécurité sera renforcée, grâce au développement de la coopération policière et judiciaire et à l'accent mis sur la lutte contre trois fléaux : la criminalité organisée, la drogue et le terrorisme.

La coopération judiciaire civile sera également communautarisée, dans la mesure où elle est liée à la libre circulation.

Le traité comporte toutefois, je l'ai dit, une lacune essentielle, et qu'il faudra vite combler : il ne comporte rien sur la réforme institutionnelle, qui était pourtant l'objectif premier de la conférence intergouvernementale. Aujourd'hui, cette nécessité, évoquée dès Maastricht, est devenue une urgence. Travailler dans les conditions actuelles mène, dans l'Europe des quinze, à des blocages et à l'inefficacité. Dans une Europe élargie, ce serait la paralysie et la dilution assurées.

Nous avons donc, avec nos partenaires belges et italiens, signé une déclaration annexée au traité, appelant à avancer dans cette réforme avant la conclusion des premières négociations d'adhésion. Nos partenaires se sont peu à peu ralliés à notre position ! Leur accord, acquis dès le Conseil européen de Luxembourg, a été confirmé à Cardiff. Il reste à passer aux actes.

Je le dis avec force : le Parlement devra avoir la possibilité, lors de la ratification du traité, de s'associer solennellement -et s'il le souhaite, par adjonction d'un article 2 à la loi de ratification- à l'exigence posée par les autorités françaises, belges et italiennes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mais comment progresser maintenant, vers cette réforme politique indispensable ? Nous devons prendre en compte les réticences de nos partenaires : il était difficile, au sortir de la conférence intergouvernementale, d'appeler à un nouvel exercice du même type, et cela avant même que le traité ait été ratifié par les quinze Etats membres. Nous avons donc suggéré de procéder en deux étapes : nous pourrions commencer par les réformes qui ne demandent aucune modification des traités, pour passer ensuite seulement à celles qui nécessiteront des procédures plus lourdes.

Les améliorations immédiatement possibles concernent le fonctionnement du conseil des ministres des affaires étrangères, le Conseil européen, dont la fonction d'impulsion et d'orientation doit être confortée, et la Commission, qui doit impérativement recouvrer une vraie collégialité afin d'éviter les dérives auxquelles ont donné lieu les initiatives intempestives de tel ou tel commissaire.

Quant aux réformes de fond, elles consisteront d'abord à revoir le format de la Commission, afin qu'elle reste ce qu'elle était au départ : un organe collégial et efficace. Nous voulons, ensuite, voir quasiment systématisé le vote à la majorité qualifiée : à notre sens, cette règle doit prévaloir aussi dans des domaines comme l'environnement, l'industrie, la fiscalité, la culture. Enfin, une meilleure pondération des voix au Conseil doit viser à refléter plus fidèlement l'importance respective des Etats membres.

Sur tous ces aspects, nous avons commencé à travailler, en premier lieu avec le nouveau gouvernement allemand. Mais cette réflexion ne pourra prendre un tour formel qu'une fois le traité ratifié par tous les Etats membres.

Malgré cette lacune considérable, le traité d'Amsterdam apporte d'autres améliorations non négligeables. Il permettra de mener des "coopérations renforcées" entre les Etats membres qui souhaiteront aller plus avant dans la construction européenne. Ce qui se fait aujourd'hui avec la monnaie unique, pourrait se faire, demain, pour la culture, la recherche, ou l'éducation. Grâce au traité aussi, le Président de la Commission gagnera en poids politique et en autorité sur le collège, puisque sa nomination devra être approuvée par le Parlement européen. Mais, des trois grandes institutions de l'Union, c'est le Parlement européen qui tire le plus grand bénéfice du traité, grâce à la simplification des procédures et à l'extension du champ de la codécision avec le Conseil. C'est une contribution à la réduction du déficit démocratique, si souvent dénoncé.

Dans le même temps, les Parlements nationaux seront plus étroitement associés aux travaux de l'Union. Le traité contient à cet effet un protocole à l'adoption duquel la France a beaucoup contribué, et qui tend, d'abord, à améliorer les délais de transmission et de consultation, afin de garantir que nos assemblées auront véritablement le temps de procéder aux examens nécessaires. Il vise, ensuite, à renforcer le rôle de la COSAC -la conférence des organes des Parlements spécialisés dans les affaires européennes- et je pense que s'ouvrent là des possibilités complémentaires de celles qu'offre la procédure de l'article 88-4, introduite en 1992.

Elisabeth Guigou a parfaitement exprimé la position du Gouvernement sur les aspects constitutionnels de notre débat : le projet est calé sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le traité d'Amsterdam et ne porte donc que sur l'article 88-2 ; nous ne sommes pas là pour débattre au fond de la Constitution de 1958 et encore moins pour modifier l'équilibre des pouvoirs, à l'occasion d'une révision qui doit tout aux circonstances. Le Gouvernement est toutefois prêt à des progrès sur l'article 88-4. C'est d'ailleurs, à notre sens, dans le cadre de cette procédure que devrait être transmis aux deux assemblées le projet de décision que pourrait prendre le Conseil, dans cinq ans, pour introduire le vote à la majorité qualifiée dans les matières de l'immigration et de l'asile. Il s'agira là d'une décision du Conseil prise à l'unanimité, et non d'un acte intergouvernemental, soumis à ratification. Prévoir une procédure législative à cette occasion serait donc à la fois contraire au traité, redondant par rapport à la présente révision et contradictoire avec la demande d'améliorer la procédure du 88-4 (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

La portée du vote qu'émettra l'Assemblée apparaît clairement : nous révisons la Constitution pour pouvoir ratifier le traité d'Amsterdam et celui-ci, malgré une lacune majeure, ne contient rien qui justifierait qu'on ne le ratifie pas. Il n'est pas, j'en conviens, le traité fondateur de l'Europe politique et sociale, mais, pour parcellaires et insuffisantes qu'elles soient, les avancées qu'il comporte ne doivent pas être rejetées. Il confortera l'action de ceux qui militent pour un véritable modèle social européen, fondé sur la démocratie et la solidarité.

Evitons donc les discours réducteurs et les attitudes frileuses. Il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs de la souveraineté nationale et, de l'autre, ceux qui la dilapideraient. Reconnaissons, au contraire, qu'un partage de souveraineté librement consenti peut être profitable à tous.

J'appelle chacun à la responsabilité et à la cohérence. Dois-je rappeler que le traité d'Amsterdam a été négocié par l'ancienne majorité et sous la conduite du Président de la République ? Un refus de sa part de réviser la Constitution reviendrait à faire obstacle à l'entrée en vigueur de ce traité.

Or la non-ratification par la France du traité d'Amsterdam ouvrirait une crise grave avec nos partenaires, sans pour autant garantir un rebond vers l'Europe que nous appelons de nos voeux.

Mme Michèle Alliot-Marie - Adressez-vous à votre majorité !

M. le Ministre délégué - Je l'ai déjà fait.

Bien au contraire, la France risquerait de se mettre en marge du jeu européen, au moment même où elle commence à reprendre la main et à avancer avec ses partenaires.

Parce que je ne souhaite ni un recul de l'Europe, ni un recul de la France, je vous appelle donc à ratifier ce traité et pour cela, à procéder à la révision constitutionnelle qui vous est soumise (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Henri Nallet, rapporteur de la commission des lois - Le traité d'Amsterdam, qui a été négocié pour l'essentiel par le gouvernement d'Alain Juppé, puis conclu par le Président de la République, Jacques Chirac, est notoirement insuffisant, notamment pour préparer l'élargissement de l'Union. Est-il cependant nouveau ou surprenant au point qu'il justifierait une consultation directe du peuple ? Est-il dangereux au point de devoir le rejeter ? Non, il ne comporte aucune disposition qui intègre davantage notre pays à la construction commune, que ne le faisaient déjà le traité de Rome, l'Acte unique ou le traité de Maastricht. En revanche, il contient, en matière sociale et pour la protection des droits des individus, des mesures que nombre d'entre nous ont appelées de leurs voeux. Comme tous ceux qui pensent que la construction de l'Europe est, pour la France, un gage de paix et la condition de sa présence au monde, je voterai la ratification du traité, en tant qu'il est une étape. Mais, pour cela, il nous faut d'abord réviser la Constitution. Le 4 décembre 1997, le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre -fait sans précédent sous la Vème République- de la question de savoir "si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam" doit être précédée d'une révision de la Constitution.

Les juges constitutionnels ont conclu que certaines dispositions au titre III A nouveau étaient contraires à la Constitution. Cette décision, qui accentue l'ancrage de la France à la construction européenne, précise aussi les normes de référence à la lumière desquelles se prononce le Conseil et consolide une jurisprudence longtemps incertaine.

De 1970 à 1992, la définition des critères d'appréciation de la constitutionnalité d'un traité restait incertaine. Le Conseil constitutionnel a mis un certain temps à donner une consistance stable à la notion de conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

En l'espèce, deux principes s'opposent. D'un côté, celui de la souveraineté nationale, fondement du pacte constitutionnel. De l'autre, la France confirme son insertion dans l'ordre juridique international par le préambule de la Constitution de 1946 qui admet que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et la défense de la paix". Quant à la Constitution de 1958, elle permet de conclure des traités ou accord relatif à l'organisation internationale, sous réserve qu'ils soient ratifiés ou approuvés en vertu d'une loi, tout en subordonnant cette ratification ou approbation à une révision constitutionnelle si l'engagement comporte des clauses contraires à la Constitution.

Le Conseil a longtemps hésité avant de trouver une solution stable conciliant les deux blocs de principes. C'est en fait avec la décision du 9 avril 1992, dite "Maastricht I", qu'il a jeté les bases d'une jurisprudence lui permettant de procéder au "test" de constitutionnalité dans des conditions plus rigoureuses et plus constantes.

Rappelant les normes de référence concernant la souveraineté nationale et la participation aux engagements internationaux, il en dégage un principe général de conciliation, en affirmant que "le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création et au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par la France". Autrement dit, le Conseil admet explicitement que tout transfert de compétences n'est pas, en lui-même, contraire à la Constitution.

Puis, il fixe les limites de la compatibilité entre la norme constitutionnelle et le traité : une révision constitutionnelle devient nécessaire, soit lorsqu'une des clauses du traité est directement contraire à la Constitution, soit lorsqu'elle porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

La décision de 1992 fournit des indications sur la manière dont le Conseil entend appliquer, au cas par cas, cette construction jurisprudentielle. En l'occurrence, un transfert de compétences résultant d'une clause d'un traité doit être examiné non seulement en fonction du domaine dans lequel il intervient mais aussi du point de vue des modalités selon lesquelles il s'opère.

Sur ces deux points, la décision du 31 décembre 1997 s'inscrit dans le droit fil de celle de 1992. Mais le Conseil apporte quelques précisions complémentaires.

Rappelons qu'il intervenait dans un environnement juridique différent, puisque, entre temps, la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 avait introduit dans la Constitution le titre XV "Des Communautés européennes et de l'Union européenne", dont l'article 88-1 constitutionnalise l'appartenance de la France à l'Union européenne, entité composée d'Etats qui ont choisi d'exercer en commun certaines de leurs compétences. Par ailleurs, l'article 88-2 dispose que la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures de l'Union. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a repris les normes de référence fixées dans la décision de 1992, complétées toutefois de l'article 88-1, puis a réaffirmé la conclusion de principe qu'il en avait alors tiré.

Confrontant ensuite les dispositions du traité d'Amsterdam à ces normes de référence, le Conseil en déduit qu'appellent une révision de la Constitution, les clauses du traité qui opèrent des transferts de compétences mettant en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que celui de l'union économique et monétaire ou que le franchissement des frontières extérieures communes, soit que ces clauses fixent d'autres modalités que celles prévues par le traité de l'Union européenne.

Sans revenir en détail sur la décision du Conseil constitutionnel, un point mérite d'être souligné : le passage à la majorité qualifiée est une simple faculté, subordonnée à une décision unanime du Conseil de l'Union. Les juges constitutionnels ont estimé que cette caractéristique n'est pas déterminante, dès lors que cette décision de l'Union ne sera soumise ni à approbation, notamment du Parlement, ni à contrôle de constitutionnalité, ce qui est peu contestable s'agissant d'un acte de droit communautaire dérivé.

Importante par ses considérations expresses, la décision de 1997 l'est aussi par ses déclarations implicites de constitutionnalité. Ne nous méprenons pas sur sa portée. L'invalidation prononcée par le Conseil ne concerne que quelques clauses d'un traité qui en comporte de très nombreuses. Ce faisant, il a consolidé la portée de l'article 88-1 et entériné la vocation européenne de la République française.

Ainsi, le Conseil a notamment admis la constitutionnalité : de la procédure de sanction en cas de violation grave et persistante par un Etat membre des droits fondamentaux ; de l'élargissement de la procédure de la majorité qualifiée au sein du conseil des ministres s'agissant de certaines décisions dans le domaine de la PESC ; des décisions-cadre prises pour la coopération policière et judiciaire en matière pénale ; du protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne.

Ainsi, dans la mesure où la renégociation des clauses litigieuses est évidemment inimaginable, le présent projet de loi constitutionnelle tend à modifier la Constitution pour la rendre compatible avec le traité d'Amsterdam.

Bien sûr, la révision qui nous est proposée est moins ambitieuse que la précédente, ne serait-ce que parce que l'appartenance de la France à l'Europe est déjà constitutionnalisée par l'article 88-1. D'autre part, l'ampleur des mesures déclarées contraires à la Constitution est bien moindre, de sorte qu'un ajustement de l'article 88-2 suffit pour répondre aux observations du Conseil constitutionnel.

Cela étant, si le dispositif du projet de loi est satisfaisant, l'occasion est ainsi donnée de rendre plus effective l'implication du Parlement dans la vie communautaire en améliorant les dispositions de l'article 88-4 qui restent perfectibles.

En ce qui concerne l'article 88-2, il s'agit d'étendre le champ de l'habilitation constitutionnelle afin de valider les transferts de compétences pouvant survenir en application du titre II A nouveau du traité de l'Union européenne.

Le texte qui nous est soumis évoque "la même réserve" et "les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne" : il s'agit de la réserve de réciprocité et du principe selon lequel les clauses d'un futur traité prévoyant de nouvelles procédures de décision pour des matières transférées en application du traité d'Amsterdam ne pourraient être couvertes par l'habilitation constitutionnelle.

En outre, contrairement à la rédaction du premier alinéa de l'article 88-2 qui dispose expressément que la France "consent" les transferts de compétences, celle du deuxième emprunte une formulation passive selon laquelle "ils peuvent être consentis". Cette expression ne peut être interprétée comme l'ouverture d'une "fenêtre constitutionnelle" autorisant la mise en place d'une procédure préalable à l'abandon de la règle de l'unanimité, de l'avis même du Conseil constitutionnel.

Certains militent pour l'insertion d'un dispositif conditionnant le passage à la majorité qualifiée à une nouvelle autorisation parlementaire, estimant que les Etats ne peuvent se borner à accepter la procédure prévue dans le traité. Mais le passage à la majorité qualifiée ne pouvant résulter que d'une décision unanime, chaque Etat a donc la faculté de s'y opposer, pour des raisons et selon des modalités qui lui sont propres. Ainsi donc, nous disent certains, rien n'empêche un gouvernement d'exciper d'un défaut d'autorisation préalable...

Un tel raisonnement est cependant contraire à l'argumentation du Conseil constitutionnel, pour qui la révision constitutionnelle à cette phase de la procédure se justifie par le fait que l'abandon de la règle de l'unanimité constitue un acte de droit dérivé qui ne donnera lieu ni à autorisation préalable, ni à aucun contrôle de constitutionnalité. Inversement, le Conseil constitutionnel a validé des dispositions prévoyant un passage à la majorité qualifiée moyennant une décision prise conformément aux règles constitutionnelles propres à chaque Etat membre. Les partisans de cette option cherchent donc à retourner à leur profit le raisonnement des juges constitutionnels.

M. Pierre Lellouche - Ils le font au profit de la démocratie !

M. le Rapporteur - Une telle option serait par ailleurs contraire à l'esprit de la Vème République, ce qui surprend dans la mesure où ses promoteurs se présentent souvent comme les garants de l'héritage institutionnel. Si la décision de passer à la majorité qualifiée sera bien un acte de droit dérivé, elle procédera aussi de la négociation entre Etats membres, puisque l'unanimité sera requise. Conditionner l'action du Gouvernement à une autorisation préalable du Parlement, ce serait encadrer les compétences traditionnelles de l'exécutif, en violation de l'article 52 de notre Constitution.

Il nous faut dépasser cette simple révision de la loi fondamentale pour accroître le rôle du Parlement national dans la construction européenne. En tant que rapporteur, j'ai donc proposé qu'on élargisse la procédure de l'article 88-4 pour permettre au Parlement d'examiner les projets d'actes communautaires à portée législative concernant le premier, le deuxième et le troisième pilier. En outre, la commission des lois a adopté un amendement visant à autoriser le Gouvernement à nous soumettre différents types de textes communautaires, y compris des rapports ou des livres blancs, afin de renforcer le contrôle parlementaire et la participation de ceux que nous représentons à la construction européenne. Je suis satisfait que le Gouvernement se soit prononcé favorablement sur ces amendements adoptés par la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères - La commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle rendu nécessaire pour la ratification du traité d'Amsterdam, tout en souhaitant une réforme des institutions européennes. C'est une condition essentielle pour que le Parlement accepte de nouveaux transferts de compétences. Sans une réforme profonde, l'élargissement de l'Union risquerait de sombrer dans l'incohérence et de se solder par l'anéantissement de nos espoirs. De ce point de vue, Monsieur le ministre, vous venez de nous rassurer.

Il faut aussi renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement national en matière de politique extérieure. Les propositions du président Nallet vont, de ce point de vue, dans le bon sens.

Notre assemblée, formée des représentants de la nation, détient directement du peuple, tout comme le Président de la République, le droit et le devoir d'exercer la souveraineté nationale, selon l'article 3 de la Constitution.

Il est indispensable que les décisions d'ordre législatif ou les décisions qui, sans être de nature législative, peuvent avoir des conséquences essentielles pour la vie de la nation, n'échappent pas au contrôle du Parlement. C'est ici, dans cette enceinte, et non ailleurs, tant que la France n'aura pas abandonné sa souveraineté que doit se décider le sort des Français.

C'est pourquoi il est souhaitable que le Gouvernement de la République soumette au Parlement tout texte important d'origine "européenne", qu'il soit ou non de nature législative.

Il faudrait même étudier comment le Parlement, sans jamais gêner le Gouvernement dans ses négociations, pourrait mieux exprimer, de son propre mouvement, son sentiment sur la politique étrangère.

Bien entendu, il faut veiller à ne pas rompre l'équilibre d'une Constitution qui a fait ses preuves depuis quarante ans. A titre personnel, j'estime que le général de Gaulle a mis au point des institutions qui conviennent à notre caractère national et aux nécessités d'un gouvernement moderne.

Les parlementaires nationaux ont bien souvent une tout autre vision des choses et des êtres que les parlementaires européens. Ceux-ci donnent parfois l'impression d'être allés directement du coeur d'un état-major parisien à Strasbourg. Certains semblent n'avoir jamais rencontré des paysans, ou des ouvriers, des pêcheurs ou des chasseurs, des anciens combattants ou des lycéens, des cheminots ou des chômeurs, bref, toutes ces catégories d'électeurs qui sont nos interlocuteurs au quotidien, pour nous députés nationaux.

M. Franck Borotra - Ce ne sont pas des interlocuteurs, mais des citoyens !

M. le Rapporteur pour avis - Lors d'un rassemblement à Rome, en novembre 1990, de représentants du Parlement européen et des Parlements nationaux, les élus nationaux s'étaient découverts une culture commune de gens de terrain. Je me souviens que nos collègues et moi-même nous avions trouvé beaucoup d'intérêt à échanger nos points de vue sur les grandeurs et les servitudes de la représentation nationale. Il y avait de grandes similitudes dans notre façon de concevoir la construction européenne, non pas en dépit des nations, mais avec elles et pour les conforter. Las ! La grande machine de communication du Parlement européen étouffa la voix des parlements nationaux. Une telle réunion n'a plus jamais eu lieu, sans doute parce qu'elle était jugée trop dangereuse pour certains parlementaires européens.

Il semble donc utile de relancer l'idée d'une seconde chambre européenne : un sénat de l'Union pourrait représenter à Strasbourg les Parlements nationaux. Ce serait une manière de consolider l'institution législative de l'Union.

Les membres de la commission des affaires étrangères se sont interrogés sur la question de la souveraineté, telle qu'elle est définie dans l'article 3 de notre Constitution. L'article 4 y fait aussi allusion, de manière intéressante. La souveraineté est au coeur du dispositif que la représentation nationale a le devoir sacré de défendre. On comprend donc aisément qu'à chaque fois que la France prend la décision de partager avec ses partenaires des compétences relevant de l'exercice de la souveraineté, les députés se montrent particulièrement vigilants. C'est bien leur devoir.

Le débat, pourtant, me semble reposer sur un malentendu entre le principe de souveraineté et les compétences qui relèvent de la souveraineté. En 1992, lors de la révision de la Constitution rendue nécessaire par la ratification du traité de Maastricht, j'avais répété ici même, en tant que garde des Sceaux, la définition de la souveraineté : "La souveraineté de la nation est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible".

Le peuple est souverain. Il peut donc à sa guise, directement par référendum ou par ses représentants, déléguer ou partager des compétences relevant de sa souveraineté. Ces décisions sont prises, en toute souveraineté, par le souverain lui-même.

Dans le cas de l'Union européenne, le peuple français n'abandonne rien. Il délégue des compétences qu'il va du reste exercer en commun et en accord avec ses partenaires. C'est pour les exercer mieux qu'il les délégue.

Ainsi, nous défendrons mieux notre liberté avec une monnaie européenne qu'avec quinze monnaies face au dollar et au yen. Dans ce cas, il n'y a pas abandon, mais exercice en commun des compétences.

Il n'a jamais été question pour la France d'abandonner sa souveraineté, car cela reviendrait à renier son passé multiséculaire et, pour l'avenir, à se priver de l'instrument institutionnel indispensable pour protéger et sauvegarder l'identité culturelle de la nation -notre langue, nos valeurs républicaines, l'éthique et l'esthétique de tout un peuple, son art de vivre, sa philosophie de la vie, ses choix en matière d'éducation et de culture...

Depuis la Révolution, le message de la France est un message de liberté. Aucun Etat, aucune fédération ou confédération d'Etats ne sera jamais supérieure aux droits de l'homme et aux droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cela va de soi quand ces constructions s'appuient sur la force des dictatures : elles s'effondrent avec l'avènement de la démocratie, on l'a vue pour l'ex-Union soviétique, l'ex-Yougoslavie ou l'ex-Tchécoslovaquie. Mais la quête de liberté apparaît aussi dans des démocraties telles que le Canada ou la Belgique. Chaque peuple pourra donc toujours, comme le rappelle le préambule de la Constitution, disposer de lui-même.

La liberté est un beau principe. Mais il ne suffit pas de le dire. Il faut le vivre dans un élan de libération jamais achevé. Or il n'y a pas de liberté pour les peuples et pour les citoyens s'il n'y a pas de liberté de choix. Et il n'y a aucun choix possible dans le monde de demain sans le maintien de modèles culturels différents.

A l'époque de la mondialisation, les nouveaux moyens de communication et d'information sont porteurs de possibilités de libération mais aussi d'asservissement. Le devoir sacré de défendre la liberté est plus que jamais actuel et nécessite d'autant plus d'attention et d'énergie que les techniques d'asservissement des esprits et des coeurs sont aujourd'hui plus sournoises et plus sophistiquées. Autrefois, pour asservir un peuple, il fallait envoyer une armée et occuper le pays. Aujourd'hui, cela n'est plus nécessaire. Face aux menaces que font peser sur nous des puissances qui n'ont pas forcément de mauvaises intentions mais qui ont des dimensions et des comportements attentatoires à nos espaces légitimes de liberté, nous devons être vigilants et imaginatifs, tout en restant diplomates.

Il importe, pour nous mais aussi pour les autres, que le modèle culturel français, très particulier, très ancien, reste vivant. Pour cela, il faut que la France conserve sa souveraineté. Mais la construction européenne aide la France à défendre la liberté en instaurant autour d'elle un espace protecteur fondé sur des valeurs démocratiques et sociales communes. C'est pourquoi cette construction doit être poursuivie.

C'est parce que nous avons cette idée d'une France souveraine dans une Union européenne toujours plus cohérente et puissante au service de nos idéaux que je vous invite à voter le projet du Gouvernement. Demain, ce sera la ratification du traité d'Amsterdam, puis, je l'espère, d'autres traités qui renforceront encore nos capacités nationales de résistance aux formes nouvelles et subtiles de l'oppression, et donc de libération (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Philippe de Villiers - Le texte qui nous est soumis n'a qu'un seul objet : permettre la ratification du traité d'Amsterdam. La question n'est donc pas de savoir si ce traité est contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à ce sujet, mais de savoir s'il ne l'écorche que sur un ou deux points mineurs, comme on voudrait nous le faire croire, ou si, comme je me propose de le démontrer, il en sape les fondements. Dans le premier cas, le traité s'accommoderait d'une réforme limitée de notre Constitution. Dans le second, il n'exige rien moins que l'abandon complet de celle-ci, ce qui le rend absolument irrecevable.

La réponse est à chercher dans le texte même du traité. C'est lui qu'il faut interroger. Or, voyez comme c'est curieux, plus on est favorable à ce traité, moins on souhaite l'examiner !

Ceux-là mêmes qui l'ont négocié se gardent d'en vanter les mérites. On a beau solliciter les plus hautes autorités, leur demander de dévoiler aux Français les contours de cet objet furtif, on n'entend pas grand monde se risquer à nous expliquer les immenses avantages qu'il apporterait à notre pays. Et beaucoup de parlementaires se disposent à voter la révision constitutionnelle pour des raisons totalement étrangères au texte même du traité.

Derrière les uns et les autres, on aperçoit l'ombre des signataires, soucieux de ne pas encombrer le peuple de cette affaire compliquée concernant le gouvernement du peuple, pour le peuple mais pas par le peuple. Pour beaucoup de parlementaires, il s'agit moins d'approuver un grand document que de se débarrasser d'une formalité à laquelle on ne croit pas pouvoir se soustraire.

Mme Nicole Bricq - Pas du tout !

M. Philippe de Villiers - Muets sur les mérites du traité, ses partisans sont plus muets encore sur son contenu. Voici plus d'un an qu'il est conclu et près d'un an que le Conseil constitutionnel a rendu son avis. On ne peut pas dire que le Gouvernement ait marqué beaucoup d'empressement à le soumettre à notre examen. On ne peut pas dire non plus qu'il ait mis ce délai à profit pour en faire connaître la substance. Tout se passe au contraire comme si on avait jalousement veillé à le soustraire à l'attention du public.

Nos ministres et chefs de parti sont intarissables quand il s'agit de l'Europe, aucune campagne de publicité ne leur paraît trop chère pour célébrer l'avènement de l'euro. Mais sur le traité d'Amsterdam, rien, pas un mot, pas une ligne, pas une émission. Silence radio.

Mme Nicole Bricq - Vous ne lisez pas les journaux ?

M. Philippe de Villiers - Cette vaste conspiration du silence n'est sans doute pas l'effet du hasard. Elle traduit un embarras et répond à un mot d'ordre. En haut lieu, on est évidemment arrivé à la conclusion que moins on en parle, plus rapide sera l'adoption. Et comme on ne risque guère de parler de ce qu'on ignore, beaucoup ont poussé le scrupule jusqu'à s'abstenir de lire le traité ! Cela leur était d'autant plus facile qu'il est pratiquement illisible, je le sais pour en avoir fait la rude expérience. Rédigé dans un obscur euro-galimatias, c'est un labyrinthe de clauses qui se corrigent, se contredisent ou se renvoient sans fin l'une à l'autre. A côté, le traité de Maastricht passerait pour un chef-d'oeuvre de clarté et de poésie...

Et puis, il semble bien que l'exemple soit venu de haut. Comment expliquer autrement qu'il ait fallu attendre l'avis du Conseil constitutionnel pour que les signataires du traité découvrent ce qu'apparemment ils n'avaient pas soupçonné une seconde, à savoir qu'ils étaient en train de violer la Constitution. Comme l'un d'entre eux est le garant de la Constitution et que l'autre en est le principal gérant, on n'ose penser qu'ils aient agi en connaissance de cause et, commis sciemment ce qu'en d'autres temps on aurait appelé une forfaiture (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Il faut donc croire qu'ils l'on fait à leur insu, soit qu'ils n'aient pas lu ce qu'ils signaient, soit que, l'ayant lu, ils ne l'aient pas compris. En somme, ils ont introduit dans notre droit public une catégorie nouvelle : la forfaiture par inadvertance.

Et puis, il y a ceux qui feignent de charger le traité pour en diminuer l'impact. Ils sont prêts à reconnaître qu'il est mal conçu, mal ficelé, mais en parlent comme d'un modeste post-scriptum au traité de Maastricht pour le compléter ou le perfectionner sur quelques points mineurs. Ce traité, nous disent-ils, est bien trop médiocre pour être vraiment malfaisant. Mais si nous le regardons d'un peu plus près, nous verrons qu'il est en réalité infiniment plus malfaisant que médiocre et que sa médiocrité n'est là que pour dissimuler sa malfaisance ! Car ce traité s'attaque à la racine même de notre ordre constitutionnel, il en ruine l'unique fondement qui est la souveraineté de la nation et étouffe les manifestations les plus essentielles de notre existence nationale !

Avec Maastricht, nous avons transféré notre souveraineté monétaire. Avec Amsterdam, nous allons transférer notre souveraineté législative.

C'est le dernier élément qui manquait à la construction d'un Etat européen : après Amsterdam, il n'y aura plus véritablement de Constitution française. Un super-Etat européen se mettra en place, avec tous les attributs et pouvoirs régaliens : un Etat établi sur un territoire, qui bat monnaie à Francfort, qui fait la loi à Bruxelles et qui rend la justice à Luxembourg.

Après Amsterdam, le peuple français aura perdu la maîtrise de son destin, c'est-à-dire la maîtrise de son territoire, de sa Constitution et de ses lois.

Alors, le choix est clair : ou bien nous considérons que notre Constitution est caduque, ou bien que le traité est irrecevable. Or nous avons une Constitution qui est bonne et, sous les yeux, un traité qui est mauvais. Le bon sens commanderait de garder la Constitution et de changer le traité. Eh bien, on nous demande de garder le traité et de changer la Constitution !

Dans sa décision du 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel avait estimé que la communautarisation des règles relatives à la circulation des personnes pouvait affecter les conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale, et donc déclaré cette ablation de souveraineté contraire à la Constitution. Le Gouvernement aurait alors pu demander que soit renégociée cette partie du traité afin d'obtenir, à l'instar du Royaume-Uni, une dérogation pour la France, mais il a préféré pousser jusqu'au bout la logique fusionniste et nous demander d'inscrire cet abandon de souveraineté dans la Constitution elle-même.

A l'heure où l'Europe connaît d'énormes problèmes d'immigration et de sécurité, l'ambition de Bruxelles est aussi claire qu'extravagante : faire de l'Europe un territoire d'un seul tenant et le gérer d'en haut, d'une seule main. Après la monnaie unique, voici le territoire unique ! Premier temps : abolition immédiate de toutes les frontières nationales à l'intérieur de l'Europe - je dis bien immédiate et non pas dans cinq ans, il n'est que de lire ou de relire le traité. Deuxième temps : gestion du territoire européen unifié par la Commission, qui obtient automatiquement, je dis bien automatiquement, le monopole de proposition et d'initiative à partir de 2003. Troisième temps : décision de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée à partir de 2003.

On a un peu parlé, tout à l'heure, du troisième temps, mais pas du tout des deux premiers. On n'a pas souligné qu'il s'agissait d'un calendrier automatique : en 1999, les frontières sont abolies ; en 2003, les commissaires de Bruxelles sont à la manoeuvre.

M. le Rapporteur - Mais non ! C'est le Conseil !

M. Philippe de Villiers - Aucun Etat ne pourra plus rien proposer : ce sont les commissaires qui prendront en main nos problèmes de sans-papiers, sans qu'il y ait de débat sur ces questions à notre ordre du jour. L'article 250 du traité d'Amsterdam, comme l'article 189 du traité de Maastricht, stipule en effet que le Conseil ne peut revenir sur une proposition de la Commission qu'à l'unanimité, et nous avons vu hier, à propos de la levée de l'embargo sur la viande de boeuf britannique, toutes les implications de cette disposition.

M. Pierre Lellouche - La décision appartient au Conseil, pas à la Commission !

M. Philippe de Villiers - Le peuple français aura perdu la maîtrise de son territoire, et le Parlement se sera dessaisi, d'un coeur léger, de tout ce qui concerne les contours géographiques de la nation, l'idée même de population, de citoyenneté et de nationalité, et jusqu'au concept de libertés publiques. Sur tous ces sujets, la loi ne s'écrira plus à Paris, mais à Bruxelles, sous le contrôle vétilleux des juges de la Cour de Luxembourg.

Dans le projet de révision, la définition des politiques régaliennes concernées par les transferts de compétences est très vaste, et touche à l'essence même de la nation. La France aura ainsi abandonné le droit de décider souverainement qui elle peut recevoir et à qui elle peut refuser l'entrée sur son territoire. Avec le traité d'Amsterdam, nous ne transférons pas seulement à la Communauté l'ensemble de nos politiques de visas, d'asile, de réfugiés, d'immigration et de franchissement des frontières extérieures, mais encore la définition des règles qui gouvernent la circulation et le séjour des personnes, y compris les ressortissants des pays tiers, sur notre territoire national. Quoi que l'on pense par ailleurs sur ces sujets, il s'agit là d'une dépossession gigantesque, indéfinie, illimitée, car nous ne savons même pas, à la lecture du texte du Gouvernement, quelle est l'étendue des domaines abandonnés.

La circulation et le séjour des personnes englobent déjà un ensemble vaste et imprécis, mais si l'on y adjoint "les domaines qui leur sont liés", expression vague entre toutes, l'interprétation de la Cour de justice de Luxembourg risque de ne plus connaître de limite. C'est la négation même du principe de "compétence d'attribution", qui régissait jusqu'à présent nos relations avec la Communauté. Ce n'est plus un abandon de souveraineté, c'est la déroute. Quant au transfert de compétences, il recouvre à la fois l'instauration de la majorité qualifiée, celle de la codécision avec le Parlement européen, la juridiction de la Cour de justice et le monopole d'initiative de la Commission. Celle-ci sera automatiquement, Monsieur Lellouche, seule détentrice, dans cinq ans, du droit de déposer des propositions sur la table du Conseil, les gouvernements et Parlements nationaux pouvant tout au plus présenter des demandes à la Commission, laquelle appréciera à sa discrétion s'il convient de les transmettre au Conseil. En d'autres termes, des gouvernements nationaux responsables, des Parlements démocratiquement élus, devront soumettre d'humiliante façon leurs suppliques à un collège de fonctionnaires.

Certains de nos collègues pourraient être tentés de penser que notre souveraineté est protégée par le mécanisme à double détente pour le passage à la majorité qualifiée. Certes, l'article 67-2 stipule que l'unanimité restera la règle pendant cinq ans après l'entrée en vigueur du traité. L'Europe, dans sa mansuétude, nous accorde un sursis avant que ne tombe le couperet : "Encore un instant, monsieur le commissaire"... Hélas, rien ne pourra plus arrêter la machine, une fois celle-ci mise en mouvement : ainsi que l'avaient souhaité les Allemands, la rédaction de l'article 67 ne laisse pas d'autre choix que de passer à la majorité au bout de cinq ans, et l'indicatif a valeur d'impératif.

En outre, le traité engage un triple transfert automatique de tous les pouvoirs nationaux relatifs à la circulation des personnes. Dès 1999, la Cour de justice sera compétente pour toutes ces questions. Dès 1999 aussi, tous les contrôles de personnes seront abolis. A partir de 2003, la Commission aura le monopole d'initiative. Il n'y a pas d'échappatoire : c'est une nasse qui se met en place. Ne nous laissons pas prendre au piège : si nous acceptions de ratifier Amsterdam en croyant disposer d'une seconde chance, nous nous ferions de grandes illusions !

Le Conseil constitutionnel lui-même l'a entendu ainsi, puisqu'il a demandé une révision de la Constitution avant la ratification du traité, et non dans cinq ans.

Avec Amsterdam, tout bascule dans l'irréversible. Il n'y a plus ni réciprocité, ni clause de sauvegarde qui tienne. Rien ne pourra plus arrêter la marche forcée : marché unique, monnaie unique, territoire unique, jusqu'à l'Etat unique.

D'autres nations pourront sans doute y survivre. Pas la France, qui n'est ni une nation insulaire, définie par la mer, comme l'Angleterre, ni une nation ethnique, comme l'Allemagne ou la Pologne,...

M. Alain Barrau - Oh, la, la !

M. Philippe de Villiers - ...qui ne peut survivre que sur un territoire et à partir de son principe d'unité qui est l'Etat. Si le territoire disparaît, si l'Etat perd ses pouvoirs, son autorité, si demain il se trouve démuni des attributs de la souveraineté, l'attelage merveilleux Etat-Nation qui a fait la France se dissociera et notre pays éclatera en ethnies provinciales et communautaires.

Amsterdam, c'est un aller Paris-Bruxelles mais il n'y a pas de billet retour... On nous dit parfois qu'Amsterdam ne fait que reprendre les accords de Schengen. C'est un mensonge. D'abord, parce que les accords de Schengen étaient intergouvernementaux, alors qu'on nous propose ici un cadre de décision communautaire. Ensuite, parce qu'ils n'établissaient pas juridiquement un droit de libre circulation pour les ressortissants de pays tiers, alors qu'ici ce droit est établi, notamment aux articles 62 et 63. Enfin, parce qu'ils contenaient une clause de sauvegarde nationale d'usage discrétionnaire : "Si l'ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la Partie contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres Parties contractantes".

Cette clause, dont le Président de la République a fait un usage judicieux et immédiat pour notre frontière du Nord à cause du trafic de drogue en provenance des Pays-Bas, ne figure pas dans le traité d'Amsterdam. On ne peut prétendre qu'elle y serait insérée automatiquement du fait de l'intégration de Schengen, car, précisément, le protocole sur Schengen annexé au traité d'Amsterdam mentionne explicitement que les dispositions de l'acquis de Schengen sont applicables uniquement si elles sont compatibles avec le droit de l'Union européenne et de la Communauté. Cette clause est donc passée aux oubliettes.

Les partisans d'Amsterdam invoquent parfois l'existence d'autres protections, qui ne sont que des trompe-l'oeil. Le traité prévoit qu'en cas "d'afflux soudain de ressortissants de pays tiers", le Conseil statuant à la majorité qualifiée, et sur proposition de la Commission, pourrait décider, au profit de l'Etat victime, des mesures provisoires n'excédant pas six mois. En cas de problème dans notre pays, notre gouvernement devra donc supplier la Commission de proposer au Conseil de prendre une décision instituant une clause de sauvegarde au profit de la France... Or une clause de sauvegarde que nous ne pouvons pas utiliser à discrétion, en cas d'urgence et de légitime défense, mais qui repose sur la bonne volonté de nos voisins et de la Commission ne vaut absolument rien.

Tout cela apparaît incompatible avec nos principes fondamentaux. L'article 5 de notre Constitution fait du maintien de l'intégrité du territoire une mission essentielle du Président de la République. L'article 16 lui donne, même pour remplir cette mission, le droit de prendre des mesures exceptionnelles, sans contreseing et sans avoir à demander l'autorisation d'aucune autre autorité nationale. Imagine-t-on qu'il devrait aller demander cette autorisation à une autorité étrangère ? Et que vaut l'impératif du maintien de l'intégrité du territoire, si les frontières sont ouvertes, sans aucune clause de sauvegarde nationale ? Imagine-t-on qu'en application des nouvelles politiques, les autorités bruxelloises pourraient imposer aux Français la présence sur leur sol de ressortissants de pays tiers dont nous ne voudrions pas ? Un pilier majeur de la souveraineté nationale disparaîtra ainsi. Les seules internationales qui ont vocation à prospérer dans cette Europe sans nations, sans contrôles, sans frontières, ce sont les internationales des milieux interlopes, celles qui ne vont jamais sur la place publique, celles qui creusent, sous nos pas, leurs galeries souterraines, l'internationale du crime, l'internationale du terrorisme, l'internationale des filières clandestines et de l'argent sale et, naturellement, l'internationale bancaire.

Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas soulevé précisément la question de l'abolition systématique des contrôles de personnes aux frontières sans clause de sauvegarde. Il était sans doute trop pressé de rendre son poulet le 31 décembre, entre la dinde et les marrons glacés dans la torpeur médiatique et les cotillons insouciants du 31 décembre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui dispose du pouvoir constituant, mais le peuple français, que nous représentons à ce stade de la procédure. M. Moscovici a évoqué la COSAC, au nom curieux. Il nous resterait le droit de protester... à la COSAC ! (Rires sur divers bancs)

Si nous acceptions ce projet de révision constitutionnelle, le peuple français perdrait la maîtrise de son territoire et nous n'aurions plus aucun pouvoir de décision, de contrôle, ou même de proposition quant aux règles de circulation nationale ou internationale qui s'imposeraient aux Français.

Qu'obtiendrons-nous en échange ? Un droit explicitement prévu au détour du protocole sur les Parlements nationaux, celui de protester, de soumettre sur ces questions des "contributions", dont on nous promet aimablement que les institutions de l'Union seront "informées"...

Nous serons dans la situation de M. Strauss-Kahn ou de M. Jospin suppliant les banquiers centraux de baisser les taux d'intérêt. En vain, hélas. Voilà l'état d'abaissement où le projet d'Amsterdam voudrait nous réduire, nous, représentation nationale. Nous ne pouvons accepter cette mise à mort.

En effet, si le Parlement a le droit d'exercer la souveraineté, il n'a pas le droit de l'aliéner. Dans le traité d'Amsterdam, l'abandon de la souveraineté française sur le territoire national est indissociablement lié à d'autres abandons. Ce n'est pas seulement l'éboulement d'un pan de mur, c'est l'affaissement de toute la maison, c'est-à-dire de tous les principes de notre vie en commun.

On ruine la souveraineté au nom d'un projet européen radicalement contraire à nos principes fondamentaux et qui n'a pas été présenté clairement aux citoyens français.

Avec Amsterdam, le peuple français perd la maîtrise de son territoire, mais aussi de sa Constitution et de ses lois. En effet, il s'agit de subordonner, dans une logique fédérale dans tous les domaines, la volonté du peuple français à des mécanismes supranationaux qui lui échappent.

S'il est vrai, comme le disait Metternich du traité de Vienne, que, dans le texte des traités de grande conséquence -mais ici de petite facture et d'écriture illisible-, "le diable se loge toujours dans les détails", alors il y a, dans le traité d'Amsterdam, deux détails diaboliques, deux articulets falots, inaperçus mais explosifs comme deux grades de radium, deux dispositions redoutables, qui font que ce ne sont plus les nations qui contrôlent Bruxelles, mais Bruxelles qui contrôlera les nations.

Le premier articulet est au coeur d'une proclamation de principe solennelle : désormais l'Europe, dans sa sagesse, appliquera le principe de subsidiarité, en bas, tout ce qui est possible, tout en haut seulement ce qui est nécessaire.

Et puis, chemin faisant, ce protocole sur le principe de subsidiarité, égrenant les bonnes intentions, prend soin de mentionner au détour d'un engagement en peau de tambour, que la subsidiarité : "ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire". Cette phrase consacre, pour la première fois au niveau d'un traité, la référence à une jurisprudence de la Cour sur laquelle les peuples n'ont jamais eu l'occasion de se prononcer : la supériorité de toute forme de droit communautaire, même dérivé, sur toute forme de droit national, même constitutionnel.

Voilà une innovation majeure -on peut être pour, on peut être contre, mais on ne peut la cacher aux citoyens- qui corrobore l'idée principale du traité : la subordination totale des volontés nationales, prises séparément, aux règles communautaires. On voit bien l'intérêt pour la stratégie fédéraliste de réaffirmer solennellement cette idée, à ce moment et à cet endroit : il serait difficile de gérer demain un territoire européen unifié, dépourvu de toute frontière interne, si les décisions centrales ne l'emportaient pas clairement sur les volontés nationales. Tout cela est d'une logique implacable !

Dorénavant, nos votes, nos lois, notre Constitution ne vaudront plus rien face aux décisions de Bruxelles. Même violant notre Constitution, celles-ci s'imposeront à nous et quand les députés et les sénateurs, d'accord avec le Gouvernement, adopteront une loi contraire à un règlement communautaire, cette loi sera sans effet, même si les Français la confirment par un référendum.

Il y a plus fort encore : c'est le droit, pour Bruxelles, de prononcer la déchéance d'un Etat. On aurait du mal à le croire si on n'avait sous les yeux le fameux article 7, d'une nouveauté si inouïe qu'on n'ose trop en parler. Il dispose qu'un Etat, dont ses pairs estiment qu'il a manqué à ses devoirs, peut être suspendu de tous ses droits sans pour autant être relevé de ses obligations.

La décision, bien entendu, sera prise sans lui, de sorte que, pour le juger, il faudra l'avoir déjà condamné.

Que signifie cette disposition répressive, sinon que l'Europe a changé de nature ? Depuis le "pacte de stabilité", on pouvait mettre un Etat à l'amende. Demain, avec le traité d'Amsterdam, on pourra le mettre en résidence surveillée. A quand la camisole de force ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Aussi longtemps que la Communauté européenne a été un club d'Etats associés, il était tout juste imaginable qu'on en fût exclu ou qu'on s'en retirât de soi-même. Pour que l'Union se dote aujourd'hui d'un régime disciplinaire et pénal, ne faut-il pas qu'elle soit en train de devenir une prison, ou un asile ? Et on appelle cela, la "souveraineté partagée" ?

En fait de "souveraineté partagée", il s'agit bien de "souveraineté limitée" au sens des démocraties populaires : la France devient un pays frère de Bruxelles. Demain, notre pays peut être déchu de ses droits de vote, et le peuple français être mis sous tutelle internationale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Cette hypothèse est-elle inconcevable, comme le laissent entendre les bruits divers que vous venez d'émettre ? D'abord, il va de soi que les articles d'un traité sont faits pour servir. Ensuite et surtout, il est facile d'imaginer de nombreux cas où cet article pourrait nous être appliqué. Je n'en évoquerai qu'un : le traité, à la demande de l'Allemagne, donne aux institutions communautaires le droit de décider des "mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées, et supporter les conséquences de cet accueil". Autrement dit, pour parler clairement, elles auront le droit, en cas d'afflux de réfugiés, de décider de les accueillir, puis de répartir la charge de leur entretien entre les différents pays membres, et finalement aussi de les répartir eux-mêmes entre les différents territoires.

Imaginons que des troubles ravageant quelque région du monde amènent 500 000 réfugiés aux portes de l'Italie : ce pays, naturellement, les laisse entrer. Le Conseil des ministres décide alors qu'il faut les répartir équitablement, conformément à l'article 63-2, entre les différents pays d'Europe, et, considérant les vastes espaces ruraux déserts et les nombreux villages abandonnés en France, nous en affecte 250 000, tout en garantissant que le coût de leur entretien sera équitablement partagé par l'ensemble des Etats au prorata de leur PNB.

La France refuse cette décision ? Comme tous ses partenaires considèrent que l'idée était excellente, notre pays est mis en minorité, et le Conseil lui impose l'accueil des 250 000 réfugiés.

La France persiste et rétablit unilatéralement ses contrôles aux frontières, comme l'a fait le Président de la République en 1995, en appliquant la clause de sauvegarde de Schengen ? Il s'agit alors d'une violation flagrante de la sacro-sainte "liberté de circulation des personnes" et nous voilà alors justiciables de l'article 7, c'est-à-dire que, même si le Parlement français soutient unanimement son gouvernement, les droits de vote de la France au Conseil peuvent être suspendus sans que nos obligations financières en soient allégées.

On pourrait imaginer d'autres exemples, tout aussi effrayants, de l'application de cet article 7, motivés par un rétablissement unilatéral de contrôles aux frontières pour lutter contre des importations américaines de viande aux hormones, par la reprise des essais nucléaires, par un refus de briser l'unité linguistique du pays... Même le refus d'autoriser l'adoption d'enfants par des couples homosexuels pourrait être considéré comme une discrimination en fonction de "l'orientation sexuelle", pratique tout à fait condamnable selon le nouvel article 13.

A travers quelques exemples, on voit jusqu'où peut mener concrètement le projet d'Amsterdam : il peut aller à subordonner les droits nationaux, à abaisser les Parlements, à soumettre les peuples.

Cet article 7 détruit tous les équilibres autrefois savamment négociés de traité en traité sous le regard vigilant du général de Gaulle : car à quoi sert d'inscrire dans un traité que telle ou telle décision devra être prise à l'unanimité, s'il est prévu par ailleurs que les droits d'un Etat peuvent être suspendus par les autres, et que des mesures, même essentielles, peuvent être prises sans son consentement ?

Que deviendrait alors le compromis de Luxembourg ?

Je sais bien que M. Dumas a dit un jour, ici, qu'il était caduc et que la vision défendue par M. Mitterrand était celle d'une Europe de plus en plus fédéraliste, mais permettez-moi de verser une larme sur cet acquis majeur de la politique gaullienne, symbole même du droit d'un Etat à choisir pour lui une règle différente de celle qui s'appliquera aux autres ou à faire obstacle à une règle qui léserait ses intérêts vitaux.

Il était inévitable que la contradiction apparaisse à un moment ou à un autre. Elle apparaît ici à l'article 7, et elle est balayée de manière ô combien expéditive ! L'indépendance et la souveraineté de la France s'y trouvent anéanties sans que le peuple français ait eu son mot à dire.

Je pourrais poursuivre longuement l'énumération des points sur lesquels le traité d'Amsterdam viole nos principes fondamentaux : le groupe Europe des nations du Parlement européen et son président Georges Berthu -dont je recommande le livre sur le traité d'Amsterdam- en ont d'ailleurs dressé des listes exhaustives.

Mais restons-en aux principes : la ratification du traité d'Amsterdam implique d'abord d'aliéner la souveraineté française.

Or celle-ci est inaliénable.

La souveraineté nationale, sur laquelle a conclu M. Vauzelle par une sorte de lapsus, est le droit pour le peuple français de choisir lui-même ses lois et de dessiner les voies de son destin. Elle est le pilier, le pivot des institutions de la Vème République. Sur elle, tout repose. Tout se construit à partir d'elle. Et sans elle, tout s'effondre et se délite. On peut choisir d'être seulement européen si l'on cesse de croire en elle, mais on ne peut en même temps prétendre la protéger et vouloir la transférer à d'autres instances. On ne peut chercher à mettre sur pied un nouveau gouvernement tricéphale -monnaie, lois, justice- et soutenir qu'on maintient le principe même de cette souveraineté. La Constitution, en son article 3, proclame qu'elle n'appartient qu'au peuple. Cela n'exclut nullement la coopération avec d'autres peuples à laquelle nous sommes tous attachés. Une association d'Etats partenaires, oui, mais la fusion, c'est-à-dire la confusion, non. L'Europe d'Airbus, d'Ariane, oui. L'Europe de la Commission, non !

Le partenariat permet de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire, alors que la subordination les compromet, et ne peut finir que dans le malheur. Tout le reste n'est que duperie sémantique.

D'ailleurs, dans les périodes d'affaissement civique, les mots qui reviennent sont toujours les mêmes, porteurs des mêmes séductions et des mêmes mensonges. Savent-ils, les prophètes de l'euro-béatitude qu'en soufflant à l'oreille des peuples d'Europe que le temps des nations est derrière nous, ils répètent la formule qu'ils ne savent pas du Drieu La Rochelle de 1942 : "Le temps des patries est fini" ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Quant à la trouvaille de la "souveraineté partagée", on la croit de M. Delors, mais elle est de M. Benoist-Méchin, secrétaire d'Etat à Vichy en 1942 (Mêmes mouvements). Or, aujourd'hui comme en 1940, on n'est pas "à moitié souverain". On l'est ou on ne l'est pas.

La "souveraineté partagée", cela veut dire concrètement qu'on transfère les pouvoirs de décision du peuple français à des institutions où la France ne pèse plus que 12 % des droits de vote et sans doute 7 à 8 % après l'élargissement...

M. Gérard Fuchs - Cela vaut mieux que zéro !

M. Philippe de Villiers - ...et tout cela sans droit de veto ni clause de sauvegarde !

Il est clair que, si ces institutions se trouvent dominées demain par des intérêts opposés aux nôtres, nous nous trouverons dans une situation de subordination.

Le bon sens comme la Constitution interdisent toute aliénation de souveraineté. En effet, si cette souveraineté "appartient au peuple", cela signifie qu'elle n'appartient qu'à lui : l'indicatif a ici la valeur d'un impératif.

D'ailleurs, on n'a pas assez remarqué que la Constitution donne une indication encore plus précise à un autre endroit : à l'article 89, il est dit que "la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision".

Le Conseil constitutionnel l'avait du reste souligné dans sa décision du 2 septembre 1992. Mais que signifie la "forme républicaine du gouvernement" ? Selon l'article 2, c'est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple", donc l'expression de la souveraineté nationale. La boucle est bouclée. Bref, la combinaison des articles 2 et 89 montre que la souveraineté nationale ne peut pas faire l'objet d'une révision.

Comment peut-on parler, comme l'a fait Mme le Garde des Sceaux tout à l'heure, de "transferts de compétences" alors que le projet gouvernemental et le traité d'Amsterdam proposent d'aliéner la souveraineté ? On ne pourrait parler de simples "transferts de compétences" que si les pouvoirs délégués à la Communauté européenne restaient contrôlables, maîtrisables et réversibles. Mais l'analyse du traité montre bien que tel n'est pas le cas. Ces transferts sont conçus pour ne pas être réversibles. Le traité l'affirme à plusieurs reprises, et on n'y trouve du reste ni droit de soustraction de l'acquis communautaire, ni droit de sécession.

Ces transferts ne seront pas davantage maîtrisables, car on ne maîtrise rien quand on ne représente que 12 % des droits de vote, et qu'on ne possède ni droit de veto, ni clause de sauvegarde, ni droit de rétablir unilatéralement des contrôles.

Donc, il s'agit, non pas de transferts de compétences, mais bien d'aliénations de souveraineté.

Or la Constitution nous interdit absolument d'y consentir, et c'est la raison majeure de cette exception d'irrecevabilité.

Face à cet enjeu, la notion même "d'amendement" est dérisoire. Les parlementaires seraient invités à voter de la main gauche des amendements pour sauver leurs droits alors que de la main droite ils adopteraient un texte qui les anéantit. Amender ce texte, c'est en quelque sorte réclamer le droit d'être consulté au petit matin de la guillotine (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Que sont juridiquement les résolutions du Parlement, sinon de simples avis tardifs que le Gouvernement a le bon goût de soutenir dans la plupart des cas, mais qui n'obligent en rien les institutions européennes, surtout en cas de vote à la majorité qualifiée, lorsque la France se trouve dans la minorité ?

A un torrent de directives, on nous propose d'opposer des voeux pieux pour arrêter le grand déferlement des normes de Bruxelles ! Quelle dérision !

C'est l'image d'un enfant qui s'armerait d'une pelle de plage pour stopper la masse d'eau d'un barrage en rupture ! Ce n'est pas avec des "résolutions" qu'on endiguera ce torrent furieux qui se déverse sur nous chaque jour. La preuve en est que, mille fois saisis, le Sénat et l'Assemblée nationale n'ont rendu que 150 avis.

Chacun sait bien ce qu'il en est des résolutions et de leur destination : terminer tout en haut d'une étagère, à Bruxelles.

Toutes les résolutions votées depuis 1992, sont restées sans effet. Dois-je vous rappeler ce qu'il est advenu de la fameuse résolution du 22 avril dernier, inspirée par M. Giscard d'Estaing, sur la monnaie unique ? L'Assemblée y demandait la constitution d'un "comité interparlementaire" de l'euro, ainsi que la comparution périodique du président de la Banque centrale européenne devant les organes compétents de notre assemblée. Le Premier ministre avait déclaré à cette tribune qu'il s'associait à ce voeu. Or cette résolution a été jetée au panier à Bruxelles, et le Parlement européen a même adopté un rapport humiliant, dans lequel il rappelle : "qu'en tant que seule institution de l'Union européenne élue au suffrage universel, le Parlement européen a un rôle formel à jouer en tant qu'interlocuteur unique de la Banque centrale européenne". Et quand notre délégation pour l'Union européenne s'est contentée d'inviter récemment un vice-président de la Banque centrale européenne, on lui a envoyé le gouverneur de la Banque de France !

Voilà bien la place réservée au Parlement français dans le nouveau système qu'on vous demande d'entériner : une assemblée locale soumise aux ordres de Bruxelles, exactement comme la Banque de France est devenue une filiale de la Banque centrale. Avec ces "amendements" sur l'article 88-4, on vous propose d'échanger les pouvoirs que vous a confiés le peuple français, contre le droit de donner des avis aux institutions européennes. Cet échange inégal nous conduira tout droit à l'abdication de nos libertés.

Depuis l'Acte unique, la construction du super-Etat européen s'est accompagnée d'une marginalisation des Parlements nationaux, d'un déficit démocratique croissant, d'une absence à peu près totale de participation des citoyens, et d'un sentiment d'impuissance à la fois des Etats et de l'Union.

Devant un tel constat, on aurait pu imaginer que les négociateurs d'Amsterdam se donnent pour objectif prioritaire de renouer le fil démocratique rompu.

Il n'en a rien été. Le traité poursuit exactement dans la même direction qu'auparavant. Personne ne se demande comment sera exercé demain le contrôle démocratique dont la responsabilité va être soustraite au Parlement français.

L'analyse du traité d'Amsterdam et des institutions européennes montre que, dans le domaine de la circulation internationale des personnes, le contrôle démocratique sera considérablement affaibli.

Avant même le passage à la codécision avec le Parlement européen, soit de 1999 à 2003, le Parlement français ne pourra plus prendre de décisions en ce domaine. Elles seront prises par le Conseil des ministres européens à l'unanimité, après avis du Parlement européen.

Donc, dans ces matières où le Parlement national veillait jusqu'ici au respect des libertés publiques, vous ne disposerez plus que du contrôle indirect que vous exercerez sur le gouvernement français siégeant au Conseil.

A partir de 2004, le Parlement national n'exercera plus guère qu'une magistrature d'influence. Il aura perdu tout pouvoir de contrôle ; en revanche, le Parlement européen bénéficiera d'un pouvoir de codécision avec le Conseil, mais il n'est pas une assemblée démocratique ordinaire. Tout d'abord, les pays n'y sont pas représentés proportionnellement à leurs populations. Et surtout, le Parlement européen ne s'appuie ni sur un peuple européen, ni sur une opinion publique européenne, qui n'existent pas ; privé de soutien populaire, il ne jouit pas de la crédibilité qui serait nécessaire, ce qui aboutit trop souvent à des prises de positions fantasques.

Au terme de la présente réforme, c'est pourtant le Parlement européen qui exercera les pouvoirs enlevés à notre Parlement national dans le domaine de la circulation des personnes et de l'immigration.

Cette réserve de principe peut, du reste, être étendue à l'ensemble du traité d'Amsterdam. En effet, l'adoption du projet de révision constitutionnelle serait interprétée comme un feu vert politique pour la ratification du traité.

Or celui-ci étend le champ communautaire, concernant la circulation des personnes, mais aussi les droits des citoyens et de nombreuses questions économiques et sociales. Ces extensions sont assorties d'une multiplication des cas de décision à la majorité qualifiée au Conseil, ou des cas de codécision avec le Parlement européen, qui s'accompagnent dans tous les cas d'une régression, sinon d'un anéantissement, des pouvoirs des Parlements nationaux qui n'auront plus d'autre droit que de donner des avis.

Mais cette meule abrasive qui mutile les droits des Parlements ne produira que du vide et du désenchantement.

C'est une mécanique absurde, incapable de mener la moindre politique européenne, mais très capable de broyer les politiques nationales.

On nous dit parfois : l'efficacité est à ce prix. Avec un sous-entendu : moins de démocratie pour plus d'efficacité.

C'est ainsi qu'on nous vante les mérites d'une future "police unique". Fort bien s'il s'agit de faire coopérer les polices entre elles. Mais s'il s'agit effectivement d'une police unique, d'une sorte de FBI européen, qui le contrôlera ?

Quelle assemblée démocratique garantira les libertés publiques face à cette police a-territoriale ? L'expérience nous enseigne qu'il n'y a pas d'efficacité sans démocratie. Toutes les institutions mal contrôlées par leurs mandants dérivent.

Or le traité d'Amsterdam aura pour conséquence de subordonner les démocraties nationales à une démocratie européenne prétendument supérieure. Mais, comme cette dernière n'est qu'une illusion, les démocraties nationales seront en réalité subordonnées à des systèmes complexes de procédures artificielles, maîtrisées aujourd'hui par des fonctionnaires, demain peut-être par un Etat plus puissant ou plus habile que les autres.

On a souvent constaté qu'en l'absence de tout contrôle, les fonctionnaires européens parvenaient à substituer leurs objectifs à ceux des nations. L'uniformisation à outrance des modes de vie a réduit les libertés nationales. L'ouverture systématique des frontières a dégradé notre sécurité. Des accords internationaux nous ont imposé une conception absurde du libre-échange, qui ne tient pas compte des coûts non répercutés dans les prix, qu'il s'agisse des coûts sociaux, culturels, environnementaux ou sanitaires.

La situation va s'aggraver si nous transférons à Bruxelles le pouvoir de fixer les règles régissant la circulation des personnes en Europe.

Pourquoi délibérer sur les questions d'immigration à la majorité plutôt qu'à l'unanimité ? Le système de la majorité ne vise qu'à forcer la minorité à faire ce qu'elle ne veut pas faire.

M. Gérard Gouzes - C'est ce que nous allons faire avec vous !

M. Philippe de Villiers - Qui veut-on forcer ? Si on veut forcer la France à accepter une politique de l'immigration dont elle ne veut pas, il faut le refuser !

M. Pierre Lellouche - Tenez-vous tant que cela à la loi Chevènement, Monsieur de Villiers ?

M. Philippe de Villiers - Je comprends que mes propos sonnent comme des reproches pour le gaulliste que vous êtes. Mais je vous demande de m'écouter, considérant que votre présence ici confirme une marque de courtoisie, à laquelle je suis sensible.

Je ne veux pas qu'on force la France, pas plus qu'elle ne doit forcer ses voisins, qui ont le droit de faire librement leurs choix. Si toutefois l'un d'eux devenait outrageusement laxiste, je demande que notre pays ait le droit de contrôler ses propres frontières pour arrêter le flux.

Ceux qui nous proposent d'aliéner notre souveraineté poursuivent d'autres objectifs que l'efficacité ou la démocratie : personne n'ose le dire, mais il s'agit pour eux de construire un super-Etat européen dont je n'ai que faire ! Celui-ci ne tarderait pas à se retourner contre nous. Il briserait les volontés nationales. Il serait mal contrôlé. Il serait sourd aux demandes des citoyens et des nations. Il n'obéirait qu'à des fonctionnaires, des experts et des juges. Il s'éloignerait vite des besoins réels des peuples.

A Bruxelles, le pouvoir de la Commission grandit au détriment de celui du Conseil. A Francfort, la Banque centrale sera contrôlée par un Néerlandais. A Luxembourg, le pouvoir de la Cour de justice augmente considérablement, et comme celle-ci ne se contente pas d'arbitrer mais entend oeuvrer à l'évolution "téléologique" -je cite- vers la fédération, il faut s'inquiéter de tout.

Dans cet étrange système, il y a un grand absent : le peuple, c'est-à-dire la démocratie et le suffrage universel.

Il y a beaucoup de vraies réformes à faire au niveau européen, pour priver la Commission de ses pouvoirs exorbitants et pour prévoir un droit d'appel devant les peuples aux décisions de la Cour de justice. Afin de rétablir un contrôle démocratique sur l'Union européenne, il faudrait officialiser le compromis de Luxembourg et faire jouer aux Parlements nationaux un rôle direct dans les affaires européennes, en leur donnant un véritable pouvoir de codécision.

Mes chers collègues, j'en arrive au terme de mon propos.

Plusieurs députés socialistes - Ah !

M. Philippe de Villiers - Nous avons rendez-vous avec l'histoire. C'est elle qui nous départagera. Nous ne pouvons échapper à notre responsabilité historique.

De grignotage en grignotage -et déjà on nous annonce un nouveau traité-, nous risquons d'ôter tout contenu à la notion de souveraineté nationale. Notre jeunesse a déjà du mal à la définir...

M. Alain Barrau - Quel mépris pour les jeunes !

M. Philippe de Villiers - J'ai du mépris pour ceux qui leur ont menti depuis des années et qui ont dénaturé le traité de Rome !

Dans tous les domaines, le traité d'Amsterdam organise systématiquement l'abaissement des Etats, comme si une Europe forte pouvait surgir de l'affaissement des démocraties nationales qui la composent. Chacun doit mesurer l'étendue de nos abandons de souveraineté, si le traité d'Amsterdam était ratifié.

M. Alain Barrau - C'est la prochaine étape. Ne confondons pas.

M. Philippe de Villiers - C'est bien pour le ratifier qu'on nous demande de changer de Constitution. La France en sortirait en lambeaux.

C'est maintenant qu'il faut trancher. Pas d'amendements, pas de subterfuges : assumons nos responsabilités. Le vote auquel nous allons procéder est sans appel.

On peut vouloir une Europe fédérale, ou s'y être rendu... Mais le dessein doit en être clairement affiché, pour que les peuples et leurs représentants puissent se prononcer en toute connaissance de cause. Ce qui est inadmissible, c'est ce double langage employé pour tromper les peuples.

Les dispositions du traité d'Amsterdam sont tellement ésotériques qu'il faut se livrer à un vrai travail de décodage pour en découvrir toute la portée. Croit-on qu'en procédant de la sorte, on fera adhérer les peuples au projet européen ? Quel crédit peut avoir une Europe fondée sur l'abus de confiance ?

On prétend maintenir le caractère intergouvernemental de la politique extérieure. C'est un mensonge, puisque son financement deviendra communautaire. Demain, seules les stratégies seront fixées à l'unanimité, les actions communes devant être décidées à la majorité.

On consacre aux Parlements nationaux un protocole spécifique, mais le traité d'Amsterdam anéantit leurs pouvoirs.

On exalte la subsidiarité, mais c'est pour en faire un instrument destiné à enlever leurs compétences aux Etats.

En refusant la révision constitutionnelle, nous refuserions d'avaliser cette méthode de l'abus de confiance qui traduit un profond mépris à l'endroit des peuples, qui déshonore l'idée d'Europe.

Amsterdam poursuit dans la voie du contresens historique. Le traité de Maastricht ignorait les bouleversements intervenus sur notre continent à partir de 1989. Celui d'Amsterdam repousse à une échéance lointaine la réalisation, pourtant si nécessaire, de la grande Europe.

Certains veulent nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre Europe possible que celle du super-Etat. C'est le contraire.

Mes chers collègues, nous avons à choisir entre la Constitution de la Vème République, fondée sur le respect de la souveraineté, et le traité d'Amsterdam qui réduirait la démocratie à des procédures virtuelles.

Le Gouvernement nous dit : c'est le traité qui est bon, et la Constitution qu'il faut changer.

Pour moi, c'est la Constitution qui est bonne, et le traité qui est mauvais.

La révision constitutionnelle qui nous est proposée suppose notre consentement préalable à l'abandon de la souveraineté nationale. Or celle-ci est inaliénable, et la Constitution elle-même nous interdit de consentir à la moindre révision sur ce point. En outre, simples représentants du peuple, nous n'avons aucun pouvoir en ce sens.

Les citoyens français nous ont mandatés pour exercer la souveraineté nationale, non pour l'abandonner. Si nous acceptions la révision qui nous est proposée, nous manquerions gravement à nos devoirs les plus sacrés. Cette affaire n'est pas de notre ressort et il serait inconcevable que, dans la suite de la procédure, le Congrès fut préféré au référendum. Inconcevable parce que contraire à la Constitution. Vous pouvez bien sûr considérer que notre Constitution est un chiffon de papier. Mais ce n'est pas à vous de la jeter à la poubelle. C'est au peuple de se prononcer par référendum. Seule la voie du référendum correspond à l'esprit de nos institutions. On nous dit pourtant que la voie du Congrès est déjà choisie. Nous ne voulons pas le croire. On nous dit même que la date est choisie : ce serait le 18 janvier prochain. Nous n'osons pas le croire. Le 18 janvier ? A Versailles ? On aurait pu quand même choisir un autre jour que la date anniversaire de la proclamation de l'Empire allemand dans la Galerie des Glaces à Versailles ! (Exclamations sur divers bancs) Non, ce n'est sans doute pas le bon jour pour enterrer la Vème République, pour abolir la souveraineté populaire, pour en finir avec les droits du Parlement, pour remettre les pleins pouvoirs à un gouvernement des juges, des commissaires et des banquiers !

Et ne dites pas, mes chers collègues, comme M. Nallet dans le regard de qui je lis maintenant le doute (Rires sur les bancs du groupe socialiste) qu'il y aura d'autres occasions de rattraper tout cela, ne le dites pas, car cette Europe-là tourne toute seule et bientôt sans vous. Elle ressemble à une pendule dont on a enlevé la grande aiguille, mais dont les heures tournent inexorablement. Et quand on se réveille, il fait déjà nuit ! Alors, pendant qu'il fait encore jour en Europe, il est temps d'arrêter la pendule et d'en changer le mécanisme, il est temps de dire "non".

Nous sommes un certain nombre à penser que l'enjeu, aujourd'hui comme hier, au-delà des partis et des querelles les plus anciennes, n'est rien de moins que notre communauté de destin. Et comme le disait, de sa voix de stentor, l'un de nos collègues à cette tribune, dans une sorte de serment solennel, le 5 mai 1992 : "Il est des moments où ce qui est en cause est tellement important que tout doit s'effacer".

Plusieurs députés socialistes - Le nom !

M. Philippe de Villiers - Plus la France donne à cette Europe, moins elle en reçoit en retour ; plus on lui demande, moins on l'écoute ; plus la France est européenne, moins l'Europe est française. Nous sommes un certain nombre à le déplorer.

M. Hervé de Charette - C'est trop long.

M. Philippe de Villiers - Nous sommes un certain nombre à refuser de ployer le genou, Monsieur de Charette, devant le parti des Empires qui, aujourd'hui comme hier, nous demande de sa voix paisible et rassurante d'abdiquer la souveraineté de la nation française.

Nous sommes un certain nombre à penser que le temps est à l'unité, pas à la confusion, et qu'il faut unir nos vieilles nations, pas les confondre. Au moment où elles sont rejointes par les jeunes nations sorties du froid soviétique et de l'empire de la peur, le temps est venu de comprendre que les nations sont faites de l'étoffe des songes, tissés par des femmes et des hommes pétris de souvenirs et qui croient à la destinée et à la liberté.

Tout Européen a besoin de l'Europe. Tout homme a besoin d'un pays. Les Français ont besoin de la France (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jacques Myard - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Tout à l'heure, j'ai dit les mérites du traité d'Amsterdam, puis M. Moscovici les a détaillés. Mais ni lui ni moi ne fermons pour autant les yeux sur ses insuffisances. Conscients des avancées qu'il permet comme de ses manques, nous portons sur lui un regard lucide. Sans le vanter, nous voulons le voter ; sans nous illusionner à son sujet, nous souhaitons qu'il soit ratifié. Et nous comptons bien l'utiliser pour une meilleure capacité de la France au sein de l'Union. Nulle frilosité, donc, de la part du Gouvernement.

C'est vous, Monsieur de Villiers, qui avez une conception frileuse de la souveraineté nationale. Car qu'est-ce qu'une souveraineté nationale quand les mafias défient les Etats et font la loi ? Je ne veux pas d'un système qui crée des paradis fiscaux où prospère l'argent du crime, je ne veux pas d'un système qui permet à 4 % du budget communautaire de s'envoler de la poche du citoyen ! Je préfère de loin une souveraineté réelle forte, par exemple, de la capacité de tous les Etats à lutter ensemble contre les trafics de drogue et d'êtres humains. Je préfère que les criminels soient mieux poursuivis et réprimés, ainsi que le permettra le traité d'Amsterdam. Je préfère un cadre juridique qui favorise l'émergence d'un espace judiciaire européen à un immobilisme institutionnel particulièrement inadapté à une époque où non seulement l'économie et les finances, mais aussi la communication, la délinquance et bien d'autres domaines se jouent des frontières. Je préfère, quand cela permet de mieux agir, que les Etats renoncent à une parcelle de souveraineté pour parvenir, dans le cadre européen, à une souveraineté moins théorique et plus efficace, exercée en commun pour faire face ensemble aux défis transnationaux.

Les députés sont saisis aujourd'hui en qualité de constituants. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 septembre 1992, le pouvoir constituant est souverain. Il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter toute disposition constitutionnelle. Le constituant, Monsieur de Villiers, peut tout faire sauf restaurer la monarchie... ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Philippe de Villiers - De telles attaques ne sont pas de mise !

Mme la Garde des Sceaux - Hors les périodes au cours desquelles aucune révision constitutionnelle ne peut être engagée, le constituant peut tout faire dès lors qu'il respecte la forme républicaine du gouvernement. Aucune règle de valeur constitutionnelle ne peut lui être opposée. Le Gouvernement peut donc parfaitement vous proposer de modifier la Constitution afin de rendre possible la ratification du traité d'Amsterdam.

Le présent projet étend, c'est vrai, les transferts de compétences visés à l'article 88, alinéa 2, de la Constitution. Mais je rejette toute analyse présentant ces transferts comme des abandons de souveraineté.

La souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible, mais cela n'interdit en rien à notre pays de participer à la création d'organisations internationales investies de pouvoirs de décision du fait de transferts de compétences consentis par les Etats membres. D'ailleurs, le quinzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dispose : "Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".

De tels transferts de compétences ne constituent en rien des abandons de souveraineté. Ils sont au contraire une pleine manifestation de la souveraineté nationale.

M. Jacques Baumel - N'exagérez pas !

Mme la Garde des Sceaux - Il n'y aura pas dessaisissement de l'Etat, mais modification des conditions d'exercice de cette souveraineté. Car le travail en commun n'est pas une démission, mais une ambition.

D'ores et déjà, notre souveraineté est souvent beaucoup plus effective dans le cadre de politiques communes que dans un cadre exclusivement national. La gestion des flux migratoires en fournit un exemple éclairant.

Le Gouvernement a fait le choix de limiter la révision constitutionnelle aux seuls transferts de compétences exigés pour ratifier le traité d'Amsterdam. Il ne vous est pas proposé -comme cela s'est fait en Belgique, en Espagne, au Portugal ou en Allemagne- une clause générale autorisant tous les transferts de compétences exigés par les futurs développements de la construction communautaire. En prévoyant l'intervention du pouvoir constituant pour tout nouveau transfert de compétences, le Gouvernement a fait à la fois un choix juridique et politique.

M. de Villiers a procédé aussi par intimidation, n'hésitant pas à travestir la réalité. Il a ainsi prétendu que les transferts de compétences se font ici au profit des commissaires européens. C'est faux. Ils se font au profit du Conseil européen, où les gouvernants sont représentés.

J'ai cru en vous écoutant, Monsieur de Villiers, être reportée six ans en arrière...

M. Guy Hascoët - Six siècles, plutôt !

Mme la Garde des Sceaux - Mêmes arguments, même outrance, mêmes imprécations (Exclamation sur quelques bancs du groupe du RPR).

Vous avez même vanté le traité de Maastricht pour mieux dénigrer celui d'Amsterdam. Peut-être le vanterez-vous dans six ans ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe du RPR)

M. Philippe de Villiers - C'est malhonnête !

Mme la Garde des Sceaux - Serez-vous donc toujours en retard d'un train ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Adopterez-vous toujours ce langage de fin du monde, qui est destiné à faire peur, mais n'est que dérisoire ? Je crains que nous ne devions nous résigner à vous entendre exciter les peurs en agitant des fantasmes (Protestations sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Nous préférons, pour notre part, faire confiance à la maturité politique de notre peuple, qui comprend que les valeurs de notre République pourront, à travers l'Union européenne, continuer de rayonner dans le monde entier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. le Ministre délégué - M. de Villiers a fait preuve, non seulement de son talent habituel si particulier, mais de quelque malveillance, au début de son propos, envers le Président de la République et le Premier ministre, allant même jusqu'à parler de "forfaiture par inadvertance" ! Que s'est-il passé en vérité ? Un traité a été négocié, conclu, comme il est fréquent, au petit matin, après quoi le Président de la République et le Premier ministre ont décidé conjointement, ce qui est moins fréquent, d'en saisir le Conseil constitutionnel. Celui-ci a dit le droit et conclu à la nécessité de réviser la Constitution. C'est, me semble-t-il, ce que nous sommes en train, fort démocratiquement, de faire, et je ne vois là nulle forfaiture. L'expression me paraît à la fois impropre et irrespectueuse à l'égard du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Le discours de M. de Villiers illustre bien la maxime qu'il a lui-même citée : "Le diable gît dans les détails". Il y a six ans, dans son exception d'irrecevabilité sur la monnaie unique, les mêmes obsessions étaient déjà présentes : à l'entendre, la France était menacée de destruction, la Constitution était caduque, tout ce qui était européen était funeste et nous étions en passe de perdre notre souveraineté. La vérité est que toute la construction européenne est faite, depuis quarante ans, de partages de souveraineté, et que ceux-ci nous rendent plus forts. Il en va de même avec l'euro, qui ne nous a pas fait perdre de notre pouvoir monétaire, mais nous en a fait gagner collectivement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Il n'est pas vrai non plus que l'on parle d'autant moins du traité que l'on y est plus favorable. Aucune conspiration du silence n'est à l'oeuvre, et surtout pas ici : depuis juin 1997, j'ai parlé plusieurs dizaines de fois du traité, aussi bien en séance publique que devant la commission ou la délégation. Quant à la popularisation du traité, on nous aurait vivement reproché de l'avoir entreprise avant que le Parlement soit saisi de sa ratification ! Lorsqu'il en sera ainsi, nous nous livrerons à cet exercice, qui ne sera pas de propagande, mais de pédagogie... (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du RPR)

Quant au monopole de proposition de la Commission, il est la règle depuis le traité de Rome et ne signifie nullement que les commissaires soient aux commandes : sir Leon Brittan en a fait récemment l'expérience à ses dépens... De même, l'article 250 ne fait que reprendre une disposition introduite en 1986 par l'Acte unique européen, dont le gouvernemen t de l'époque, auquel M. de Villiers appartenait, avait demandé la ratification.

La levée des contrôles aux frontières se fera selon les règles de Schengen, c'est-à-dire sans automatisme, mais après constatation de l'exécution de toutes les mesures compensatoires par l'Etat membre concerné, la clause de sauvegarde restant bien entendu en vigueur.

M. de Villiers a conclu en agitant une série de fantasmes effrayants, relevant presque de la science-fiction. L'article 7-F 1 dans l'ancienne numérotation - n'aurait pas eu de sens dans une Communauté restreinte à des Etats de vieille tradition démocratique, et son introduction dans le traité d'Amsterdam permettra tout simplement, dans la perspective d'une Union élargie, à sanctionner d'éventuelles violations des droits de l'homme et de la démocratie dans un Etat membre. Quant à l'afflux massif d'immigrés, qui touche aujourd'hui l'Italie mais pourrait aussi bien, demain, gagner la France (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR), c'est une illusion que de croire qu'il suffira, pour y répondre, de fermer nos frontières : la solution ne peut être que communautaire et préventive, comme le prouve le traitement concerté, efficace et humain à la fois, du cas des réfugiés vietnamiens.

C'est également faire preuve de méconnaissance des mécanismes communautaires que de dire que la majorité qualifiée permet de nier les minorités. La vérité est que l'exigence de l'unanimité nous condamne à l'immobilisme, alors que la majorité qualifiée incite chacun à contribuer à un compromis dynamique : elle s'applique d'ailleurs avec succès, depuis l'Acte unique, dans le domaine économique et commercial. Naturellement, le compromis de Luxembourg demeure (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) dans les cas extrêmes où un Etat risquerait d'être mis en minorité de façon injuste, mais faire l'Europe, si c'est parfois dire non, c'est le plus souvent dire oui.

M. de Villiers a évoqué un amendement inspiré par M. Giscard d'Estaing. J'ai dit, en présence du Président Giscard d'Estaing lui-même, que le Gouvernement y était favorable, mais que l'exigence d'une initiative commune des Parlements n'était pas sans faire quelque difficulté...

A entendre, enfin, tant de critiques envers le Parlement européen, je serais tenté de me demander pourquoi tant de personnalités de l'opposition sont attirées par lui ! (Protestations sur de nombreux bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Pierre Lellouche - Vous y recasez tous vos battus !

M. le Ministre délégué - Je vous invite, en conclusion, à rejeter l'exception d'irrecevabilité, car le traité qui n'est ni malfaisant ni médiocre, mais plutôt positif quoique insuffisant. Ce n'est pas faire preuve d'euro-béatitude que de dire qu'il continuera à faire jour en Europe après sa ratification ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Pierre Lellouche - Philippe de Villiers vient, non sans talent, en tout cas avec beaucoup de conviction et, je le crois, d'honnêteté personnelle, d'exprimer quelque chose qui mérite mieux qu'une réaction d'humeur ou de dérision : une inquiétude profonde, que l'on retrouve sur l'ensemble des bancs de cette assemblée. A droite comme à gauche, en France comme dans les autres pays, il y a ceux que l'on appelle les euro-sceptiques et des citoyens qui ne comprennent pas ce qui se passe, qui ont le sentiment d'être dessaisis de leur destin. Les élus ont la responsabilité de répondre à leurs craintes et non de s'en moquer.

Nous, au groupe RPR, comme le général de Gaulle et tous ceux issus de notre mouvement qui lui ont succédé, nous pensons que l'Europe est une nécessité pour la France et qu'elle apporte paix et prospérité sur le continent. Ce dont il s'agit, c'est d'exercer en commun des compétences, dans le cadre d'une souveraineté que nous n'abandonnons pas, parce qu'elle est par définition inaliénable, sous le contrôle démocratique des Parlements, et pour être plus forts ensemble.

Pour d'autres, comme Philippe de Villiers, tout exercice en commun de compétences se traduit par la destruction de la souveraineté et de l'Etat. Je crois cette thèse très excessive. Même si Philippe de Villiers a cité les articles 16, 2, 3, 89 de la Constitution, il existe aussi un article 88-1, qui explique très simplement pourquoi la République participe à la construction européenne selon des modalités -c'est l'objet des amendements- qui relèvent du contrôle démocratique de nos assemblées.

Certaines de ses approximations m'ont par ailleurs gêné. A propos de l'article 13, il a tenté d'expliquer que la Commission devra forcer la France à accepter l'adoption des couples homosexuels. Non ! Cela sera soumis à un vote à l'unanimité du Conseil. Il a aussi dit que la PESC deviendra une politique intégrée. C'est très exagéré. L'inexistence d'une PESC est précisément un reproche que je fais au traité d'Amsterdam.

Philippe de Villiers a aussi eu quelques expressions un peu fortes telles que "forfaiture", "déchéance de la France", "après Amsterdam, il n'y aura plus de Constitution de la France". C'est aller trop loin, surtout au regard de ce traité-là...

M. Moscovici s'est gargarisé de la charte sociale, des dispositifs pour l'emploi qui sont en réalité peu de choses. On est bien loin aussi de la volonté initiale de doter l'Europe de nouvelles institutions en vue de l'élargissement comme, je l'ai dit, d'une véritable PESC. Cela ne tient pas seulement à une mauvaise diplomatie de la France mais à l'existence alors d'une coalition qui refusait d'avancer.

J'ai été frappé que les analyses juridiques de Mme Guigou et de M. de Villiers se rejoignent quand ils affirment que la communautarisation du troisième pilier interviendra dès le lendemain de la ratification. Je pense le contraire : le traité ouvre simplement la possibilité, à partir d'un vote unanime du Conseil, d'une mise en commun des compétences en matière d'immigration, mais la communautarisation ne sera en aucun cas automatique.

M. Thierry Mariani - Dans cinq ans.

M. Pierre Lellouche - Et après un vote unanime du Conseil. Je regrette que M. de Villiers se soit montré aussi excessif (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Alain Barrau - M. de Villiers a utilisé l'exception d'irrecevabilité pour traiter à la fois de la modification de la Constitution et de la ratification du traité. Mais si nous sommes aujourd'hui réunis, c'est parce que le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République et par le Premier ministre, a estimé nécessaire de modifier un article de la Constitution. Où est la forfaiture ? Quel est donc ce poulet qui aurait été lancé entre deux dindes par le Conseil constitutionnel au 31 décembre ? Le traité d'Amsterdam est-il une camisole de force ? Non, bien sûr !

On peut être opposé à la construction européenne dans son ensemble comme à toute inflexion sociale, mais ce qui me choque le plus, c'est la défiance de M. de Villiers envers la capacité de notre pays à convaincre, à aller de l'avant avec ses partenaires. Après Amsterdam, le Gouvernement a tenté d'infléchir la construction européenne vers la lutte contre le chômage. C'est très important pour notre pays, mais nous ne pouvons le faire seuls, il faut une articulation entre politiques nationale et européenne. On pourrait multiplier les exemples.

J'ai senti dans l'intervention de M. Lellouche certains points communs entre ceux qui veulent que la construction européenne progresse. Nous, socialistes, n'avons pas une vision fédéraliste de l'Europe. Nous croyons au génie de la France, nous sommes les premiers à défendre la souveraineté, les valeurs, et nous pensons que l'Europe peut lui donner plus de force encore.

C'est pourquoi je demande à l'Assemblée de rejeter cette motion de défiance vis-à-vis des capacités de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Hervé de Charette - Le groupe UDF ne votera pas cette exception d'irrecevabilité.

Je comprends que Philippe de Villiers ait dit tout le mal qu'il pense du traité d'Amsterdam, après ses combats passés contre les autres progrès de l'Europe. Mais lui-même a montré en fait que ce débat était obligatoire : dès lors que le traité existe et qu'il faudra se prononcer sur sa ratification il nous faut, d'abord, réviser notre Constitution.

J'ai par ailleurs trouvé ses propos souvent excessifs. Je suis même profondément choqué par l'emploi du mot de forfaitaire, que je lui avais déjà entendu prononcer dans la cour de l'Elysée, après que le Président de la République l'avait longuement reçu. Quels que soient les liens d'amitié et la proximité politique, on ne peut accepter que l'on utilise le mot de forfaitaire un jour à propos du Président de la République, le lendemain à propos du Gouvernement, le surlendemain, qui sait, à propos de nous-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe socialiste).

Entre la conception de la construction européenne de Philippe de Villiers et celle de l'UDF depuis vingt ans, il y a un monde. Nous ne parlons pas des mêmes choses. Il a une conception extrêmement rigide de la souveraineté nationale -je doute d'ailleurs qu'elle ait jamais été dans notre histoire un cristal si pur.

Depuis 50 ans, la France chemine pour construire l'Europe de nos enfants, qui n'est ni l'Europe des Etats, ni celle des Etats-Unis d'Europe construite en vertu d'un fédéralisme tombé d'en haut. Si nous avons tant de mal, si nous sommes traversés de tant de doutes, c'est précisément parce que nous n'avons pas de modèle. Nous voulons élaborer jour après jour l'Europe du XXIème siècle, modèle offert à l'univers des peuples. Les excès, les lenteurs, les erreurs et les imperfections sont indéniables et il est trop aisé de les dénoncer avec des effets de manche. Mais moi, je veux continuer à cheminer sur cette voie et je sais que c'est aussi l'intention du groupe UDF. C'est pourquoi nous vous demandons de ne pas voter cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Lefort - Nous ne voterons pas cette motion pour deux raisons. La première, pour être toute simple, est essentielle : si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est parce que le Conseil constitutionnel a jugé que le traité d'Amsterdam remettait en cause, au moins sur un point majeur, la souveraineté nationale et notre Constitution, qu'il fallait dès lors réviser. L'exception d'irrecevabilité n'a par conséquent pas d'objet. En son principe, elle n'est pas recevable. Pour le contenu du projet ou pour la voie qu'on nous propose de suivre en vue de la ratifier, c'est une autre affaire...

Notre seconde objection est majeure : nous sommes pour l'Europe. Or, chacun l'a bien compris ou ressenti, le discours tenu par M. de Villiers ne va pas exactement dans ce sens. Pourtant, qu'on ne sourie pas trop du propos : réfléchissons plutôt à ce qui, dans la construction actuelle de l'Europe, peut favoriser ce genre de raisonnement frileux et ce repli suicidaire pour la France ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Moins de nation, c'est à coup sûr plus de nationalisme et la conception de l'Europe qui prévaut aujourd'hui finit par se retourner contre l'idée même d'Europe. C'est pourquoi il faut entendre ce qui s'exprime à travers ce que clame M. de Villiers. Nous qui voulons une autre Europe, nous ne pouvons certes nous retrouver dans sa démarche étroitement nationale, sinon nationaliste, mais le tropisme américain fait partout des ravages, y compris sur notre continent. Or la France et les autres nations européennes ne sont pas les Etats-Unis. Nous avons derrière nous plus de deux siècles d'histoire et nos pays ne sont pas nés d'emblée avec la même langue et la même monnaie. A trop pousser les feux du fédéralisme, on ruinerait l'Europe et la France.

Ni Europe fédérale, ni France isolée ; l'Union, mais non la fusion ! Voilà ce que nous voulons et voilà pourquoi nous sommes contre la motion de M. de Villiers ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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