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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 37ème jour de séance, 97ème séance 3ème SÉANCE DU MARDI 24 NOVEMBRE 1998 PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT vice-président SOMMAIRE : RÉVISION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION (suite) 1 La séance est ouverte à vingt et une heures trente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution. M. le Président - En application de l'article 91-4 de notre Règlement, M. Alain Bocquet et les membres du groupe communiste opposent la question préalable. M. Alain Bocquet - L'Union européenne est à la croisée des chemins. Elle peut enfin rompre avec l'ultralibéralisme et devenir une Europe sociale et démocratique. Nous, communistes, sommes pour l'Europe. Nous regrettons donc que nous ne discutions que tardivement et de manière biaisée du traité d'Amsterdam qui ne rompt justement pas avec cette logique ultra-libérale dépassée. Les incantations sur l'euro, havre de paix au milieu de la tourmente mondiale, sont en effet déjà contestées. En outre, le sommet européen de Pörtschach a montré que l'orthodoxie maastrichienne n'était pas compatible avec l'attente profonde des peuples. Or il faut que la politique domine l'économie et la finance. Il est urgent de mettre en place un ordre international plus juste et une Europe plus solidaire reposant sur la coopération sans domination. Il faut également remplacer les politiques "ultra-restrictives" de modération salariale et de déréglementation par une politique volontariste en faveur de l'emploi. Comme celui de Maastricht, le traité d'Amsterdam symbolise un pouvoir fermé aux préoccupations populaires. Les cheminots l'ont dit hier dans leur euro-grève pour la défense du service public des transports. Les peuples européens doivent coopérer davantage pour relever les défis de notre époque. Or ce n'est pas ainsi que se construit aujourd'hui l'Europe. Au contraire, au nom de la "libre concurrence", la Commission met en cause les missions essentielles des services publics sacrifiées à la rentabilité financière, au nom d'une concurrence qui détruit les emplois et d'une logique de guerre économique dépassée. Les Français en ont assez de la fausse alternative opposant l'alignement sans condition sur le pacte de stabilité et la déréglementation à outrance au rejet pur et simple de l'édifice européen. Comme s'il n'y avait qu'en Europe qu'on ne pouvait changer les lois ! Les tabous ultra-libéraux traduisent le refus de prendre en compte l'expérience. Il faut aujourd'hui réfléchir ensemble pour ouvrir des perspectives neuves permettant la réorientation progressiste de la construction européenne pour laquelle nous agissons. L'absence d'enthousiasme pour Amsterdam est perceptible sur tous les bancs. Personne n'ose en vanter les mérites et l'on préfère évoquer l'après-Amsterdam. L'ultralibéralisme, le pacte de stabilité et les critères de convergence qui ne sont que des critères d'austérité ont fait la preuve de leur incapacité à répondre aux aspirations des peuples pour ce qui est de l'emploi, de la croissance, de la justice sociale. Celles-ci peuvent-elles être satisfaites par une concurrence exacerbée à coup de délocalisations et par une course sans fin au dumping social ? Quand donc les salariés, les exploitants agricoles, les dirigeants de PME-PMI trouveront-ils des responsables européens à l'écoute de leurs problèmes ? Les institutions européennes leur restent inaccessibles et la France officielle ne prodigue le plus souvent que des condoléances anticipées. Voilà la réalité, une souveraineté confisquée et une démocratie introuvable. Ce carcan n'a rien à voir avec l'aspiration généreuse, refusant l'égoïsme des Etats que l'Europe devrait incarner. Quel rapport y a-t-il entre les Etats-Unis d'Europe fraternels pour lesquels militait Victor Hugo et la zone de libre-échange dominée par la finance où tout est marchandise, que nous connaissons ? Quelle distance entre l'aspiration à changer l'Europe pour enrayer la spirale de la précarité et une pensée unique, monolithique qui ressasse les appels au sacrifice ! Là où devrait s'approfondir la coopération, la supranationalité détruit les solidarités et met les hommes, les communes et les régions en concurrence. L'obsession du fédéralisme devient même compulsive quand elle dispute ses chasses traditionnelles au principe de subsidiarité. Les institutions européennes ne sont pas véritablement responsables de leurs actes. Dans la guerre économique, les nations, espaces de solidarité qui permettent de rassembler des citoyens au lieu de les livrer anonymes aux exigences du profit, sont dérangeantes. L'Europe ce n'est pas un consortium de banquiers. L'Europe, ce n'est ni Amsterdam, ni l'euro. Pour nous, la priorité, c'est de lutter contre la spéculation et de faire servir l'argent de l'Europe à la croissance. La France doit prendre des initiatives pour taxer les mouvements de capitaux au niveau européen, lancer avec ses partenaires de la Communauté des projets créateurs d'emplois. Dans la déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste, le 29 avril 1997, nous affirmions ceci : "Avec toutes celles et tous ceux qui dénoncent les dogmes actuels de l'ultralibéralisme et qui, dans le même temps, considèrent non seulement que le repli nationaliste n'est pas la solution, mais que la France peut et doit affronter avec ses partenaires européens la mondialisation et les défis du monde tel qu'il est aujourd'hui, avec celles et ceux qui refusent de sacrifier la nation et sa souveraineté à la construction européenne, nous disons non à l'Europe libérale, à l'Europe de l'argent-roi et de la soumission aux marchés financiers. Nous sommes convaincus que l'Europe a un modèle de civilisation à affirmer. Nous estimons que la France doit proposer à ses partenaires européens d'engager des discussions, avec la volonté de faire l'Europe et de réorienter la construction européenne vers une Europe sociale, de progrès, de paix et de sécurité". Dans cet esprit, n'est-il pas temps d'harmoniser par le haut les législations sociales, sur les 35 heures, l'interdiction du travail des enfants, l'assurance maladie ? N'est-il pas temps, comme Robert Hue l'a proposé au Premier ministre, de renégocier le pacte de stabilité ainsi que le statut et les missions de la Banque centrale européenne ? Sur le plan juridique, nous sommes dans la même situation qu'en 1992, avant la ratification du traité de Maastricht : la révision de la Constitution est le préalable nécessaire à la ratification de celui d'Amsterdam. A force de construction européenne fédéraliste, que restera-t-il de notre Constitution ? C'est à juste titre que le Conseil constitutionnel a jugé que le texte d'Amsterdam mettait en cause la souveraineté nationale. En effet, cinq ans après l'entrée en vigueur du traité, les décisions concernant les visas, le droit d'asile, la politique d'immigration seront prises à la majorité qualifiée. Cela signifie que la France n'aura plus le pouvoir de dire non. Les pays de l'Union ont pourtant des traditions différentes : les uns sont progressistes, les autres moins ; certains, comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Irlande, ont été longtemps des pays d'émigration, ce n'est pas le cas de la France ; les pratiques sont différentes. On peut donc sans aucun doute s'attendre à des dispositions plus restrictives, notamment en matière de droit d'asile et pour les sans-papiers dont les interlocuteurs ne seront plus à Paris ou dans les préfectures, mais à Bruxelles ! Le débat d'aujourd'hui, pour préalable qu'il soit, n'est pas second : mettre la Constitution en conformité avec le traité, c'est bien inscrire déjà le traité dans la Constitution. Quels que soient les additifs à l'article 88-4 concernant le contrôle du Parlement, il reste qu'une résolution exprimant l'opposition -même unanime- des députés et des sénateurs français à un projet d'acte communautaire n'empêcherait pas son adoption par le conseil des ministres européens ! Les résolutions adoptées par le Parlement ne lient pas le gouvernement français. Dès lors, comment comprendre que certains fassent de la modification de l'article 88-4 la condition de leur vote du traité d'Amsterdam ? Cela traduit, à tout le moins, un certain embarras. La droite voudrait sans doute faire oublier que c'est elle qui a négocié le traité et le Président de la République qui l'a signé ; faire oublier aussi combien elle a, sous la Vème République, abaissé le rôle du Parlement. L'article 88-4 permet certes au Parlement d'alerter, de suggérer, mais il ne lui permet pas de participer à la décision, de s'opposer ou d'améliorer : il faudra avoir cela à l'esprit pour mesurer l'efficacité des amendements à cet article, portés par des majorités à géométrie variable. Les communistes ont à coeur de mener une politique authentique de gauche, c'est-à-dire favorable à l'homme. Ils n'ont aucune frilosité devant des transferts de compétences effectués dans l'intérêt de peuples indépendants ; les traités internationaux en opèrent par définition, et notre identité nationale doit s'enrichir sans cesse au contact du monde extérieur. En revanche, ils considèrent que les transferts de souveraineté ne peuvent pas se décider dans le dos des peuples. Si donc il est un amendement que notre assemblée doit voter, c'est bien celui exigeant que tout traité comportant un transfert de souveraineté soit soumis à référendum. La souveraineté nationale appartient au peuple et à lui seul. Le sort qui sera réservé à cet amendement conditionne le vote des députés communistes sur ce projet, car la souveraineté est affaire trop sérieuse pour prétendre en décider à la place des citoyens. Ceux qui refusent l'organisation d'un référendum craignent peut-être que le "non" l'emporte, mais il ne faut pas avoir peur de la démocratie. Si l'on savait en Europe qu'en France les traités seraient désormais soumis à référendum, les négociations se passeraient différemment. Tout le monde reconnaît que l'Union européenne souffre d'un immense déficit démocratique ; commençons donc à le résorber, sinon c'est l'idée européenne elle-même qui se disloquera. Il ne faudrait pas que plus on parle d'Etat de droit et d'Europe des libertés, moins les Français aient la maîtrise des choix majeurs les concernant. Il faut plus de démocratie en France, et plus de démocratie en Europe : chacun droit être citoyen sur son lieu de travail, dans sa commune et son pays, pour devenir acteur d'une coopération européenne audacieuse. Le Parlement français doit avoir la primauté au sein des institutions nationales. Cela appelle des réformes concernant l'extension du domaine de la loi, le nombre des commissions permanentes, le contrôle de l'exécutif. Il faudrait aussi que la commission compétente définisse un mandat précis de négociations avant les conseils des ministres européens ; si l'Assemblée est plus forte, le Gouvernement le sera aussi pour négocier. Par souci de cohérence, ces questions essentielles devraient trouver leur place dans une prochaine révision de la Constitution. L'Union européenne est à la croisée des chemins. Il est urgent de créer l'Europe des peuples, association de nations libres. La gauche ne doit pas laisser passer cette chance de construire une Europe de la paix, de l'emploi et de la justice sociale. Je vous demande donc de voter la question préalable, tant il est vrai que le préalable à toute ratification du traité d'Amsterdam est de permettre au peuple français de se prononcer par voie de référendum (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - J'aurais plaisir à relever les convergences qui existent entre nous, plutôt que de m'attarder sur ce qui peut encore nous séparer. Vous dites que les communistes sont pour l'Europe, ils sont "euro-constructifs" : c'est le cas de la majorité et, je crois, de beaucoup de monde sur tous les bancs. Vous souhaitez que la politique domine l'économique et le financier : c'est, en effet, la vocation de l'Europe dans le monde que de faire comprendre la nécessité d'avoir d'autres lois que celle du plus fort et celle de l'argent. Vous souhaitez que l'Europe des citoyens soit renforcée : je pense depuis bien longtemps que l'Europe ne se construira pas à coup de traités, de directives et de règlements, mais avec les citoyens. Evitons le manichéisme : il ne s'agit pas soit de refuser l'Europe, soit d'accepter un libéralisme qui nivelle tout par le bas. C'est le devoir de l'Europe de montrer qu'il existe une autre voie que l'égoïsme et la soumission à la loi du marché et de l'argent. Comment répondre aux aspirations des citoyens ? C'est une question fondamentale. Vous avez cité Victor Hugo. Je ne reprends pas cette idée des Etats-Unis d'Europe, car les Etats-Unis d'Amérique se sont bâtis sur un territoire où n'existait avant eux aucune nation, alors que l'Europe doit se construire selon un schéma original. M. Alain Barrau - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Il nous faut inventer ensemble une voie nouvelle vers nos objectifs communs. Comme vous, en effet, nous récusons les recettes traditionnelles du libéralisme, qui demande toujours les mêmes sacrifices aux mêmes catégories de la population. Nous avons le devoir de construire une Europe qui place au premier rang la croissance et l'emploi, et de gérer l'euro en conséquence. Les traités le permettent si la volonté politique existe. Voilà moins de deux ans, nous nous sommes prononcés ensemble contre le repli nationaliste, contre l'argent-roi, pour un modèle de civilisation. Je ne renie absolument rien de ces conceptions, qu'il nous faut répéter devant les Français. Si nous sommes d'accord sur les objectifs, nous pouvons diverger sur les chemins à emprunter pour les atteindre. Mais jamais jusqu'aujourd'hui, je le souligne, le vote à la majorité n'a été préjudiciable à la France, précisément parce que la France se trouve au coeur de l'Europe. C'est particulièrement vrai dans le domaine agricole. Vous souhaitez que le traité soit soumis à un référendum. J'aurais mauvaise grâce à ne pas vous entendre, puisqu'en 1992 je fus le seul membre du Gouvernement à conseiller au Président Mitterrand de recourir à cette voie, dont nous avions mesuré les risques, mais qui permettait de rendre l'Union européenne plus proche des citoyens. Aujourd'hui, une procédure de révision constitutionnelle est engagée en application de l'article 89 de la Constitution. Les deux assemblées doivent adopter dans les mêmes termes un projet qui sera ensuite soumis soit au référendum, soit au congrès. Nous n'en sommes qu'à la première étape, et la question ne se pose donc pas pour le moment. Au reste, le choix entre les deux voies relève exclusivement du Président de la République. Ni le Parlement ni le Gouvernement ne possèdent un pouvoir d'appréciation. M. Jean-Claude Lefort - On peut changer cela ! Mme la Garde des Sceaux - Le traité d'Amsterdam, pensons-nous, comporte des avancées, mais n'est pas de même portée que les traités précédents. C'est pourquoi, malgré la convergence de nos objectifs, le Gouvernement souhaite que la question préalable ne soit pas adoptée. M. Didier Quentin - Le groupe RPR ne votera pas la question préalable, car il estime qu'il y a bien lieu de débattre, et de réviser la Constitution. Le traité d'Amsterdam a essuyé ici de nombreux sarcasmes. Sans doute comporte-t-il des insuffisances et des imperfections, en particulier de rédaction. Cependant il permet à la construction européenne de franchir une étape nécessaire. La sécurité des citoyens sera mieux assurée, grâce à une coordination policière et judiciaire renforcée. La politique sociale et de l'emploi pourra progresser, et c'est là l'apport essentiel du traité, qui désormais inclut le protocole social, et met fin ainsi à l'exception britannique. Le traité d'Amsterdam a également le mérite de renforcer le rôle des parlements nationaux, et nos amendements tendent à aller plus loin encore dans ce sens. Le traité reconnaît la spécificité de nos DOM-TOM, ainsi que celle des services publics. Il confirme Strasbourg comme siège du Parlement européen. De plus, les Etats qui souhaitent aller de l'avant pourront le faire, à condition qu'ils soient huit, sans attendre les autres. A ceux qui, y compris dans nos rangs, s'inquiètent d'une dérive supranationale, rappelons que la compétence nationale demeure pour l'essentiel (Murmures sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe du RPR). L'unanimité est requise dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, dans celui de la défense. La politique d'immigration et d'asile requiert elle aussi l'unanimité durant cinq ans, après quoi il faut que les Etats membres se prononcent à l'unanimité pour lui appliquer la règle de la majorité. Pour le maintien de l'ordre public, la compétence des Etats est réservée, et chaque Etat pourra invoquer ses intérêts nationaux essentiels pour opposer son veto à une décision prise à la majorité qualifiée. Comme l'a dit le Président de la République devant nos ambassadeurs, l'Union européenne n'est pas les Etats-Unis d'Europe, mais l'Europe unie des Etats. Réviser la Constitution est donc indispensable pour que la France continue à peser sur la construction européenne. Au contraire, refuser de ratifier le traité d'Amsterdam ouvrirait en Europe une crise majeure. Adopter la question préalable conduirait à un blocage et nous éloignerait de l'une de nos priorités, la réforme des institutions européennes, destinée en particulier à renforcer le pouvoir d'expression populaire et préalable absolu à tout élargissement. Voilà pourquoi le groupe RPR votera contre la question préalable. M. Gérard Fuchs - C'est vrai, Monsieur Bocquet, l'Europe est à la croisée des chemins, et une alternance est possible. La question qui se pose à la majorité plurielle est de savoir comment faire passer le rejet de l'ultralibéralisme dans onze pays au niveau de la construction européenne. Oui, il faut réorienter cette construction, au profit d'une Europe où les peuples passent avant les banquiers ! Mais pour nous, le traité d'Amsterdam n'implique pas la supranationalité. Comment combattre la spéculation, comme nous le souhaitons avec vous, sinon au niveau européen ? Pour parvenir à une harmonisation sociale par le haut, il faut élaborer des règles communautaires faisant obstacle au dumping social. La meilleure réponse à l'euro-grève, ce sont des euro-règles. La question du référendum nous sépare. Dans le traité de Maastricht, il y avait un point dur, qui pouvait donner lieu à une question simple : la monnaie unique. Mais, aujourd'hui, je ne vois pas à quelle question simple on pourrait bien résumer le traité d'Amsterdam ce qui n'exclut pas que la question du référendum puisse être à nouveau posée demain, si d'autres évolutions devaient intervenir. Mais il y a les textes et il y a les rapports de forces. Vous avez dit rejoindre l'optimisme de Victor Hugo, et être vous-même "euro-constructif". Or il y a ici matière à optimisme et la discussion mérite d'être engagée. Après avoir entendu M. Bocquet, je pense que nous allons nous retrouver au cours de ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Michel Suchod - Ce n'est pas la première fois que nous avons à réformer la Constitution pour l'application d'un traité européen : je me souviens de longues soirées de juin 1992 en votre compagnie, Madame la Garde des Sceaux, qui étiez alors en charge des affaires européennes. A vrai dire, le Mouvement des citoyens regrette que, de toilettage en réformette, on prenne désormais chaque année le chemin de Versailles. Mais aujourd'hui, l'enjeu est grave. Le traité d'Amsterdam conduit à une impasse. Le mandat de Turin, en 1996, était pourtant clair : faire des propositions relatives à l'élargissement et réformer les institutions en prévision de celui-ci. Mais dix-huit mois de négociations n'ont procuré au gouvernement Juppé que de piètres résultats : on a choisi la fuite en avant et le traité d'Amsterdam, pour citer le rapport Nallet, n'est qu'un "foisonnement technocratique reflétant de laborieux compromis". Du point de vue politique, c'est une fin de partie, la fin de la partie commencée avec Maastricht : pour être cohérent, nous voterons la question préalable. Mais nous pensons aussi à la suite : il faudra appliquer les quatre conditions énoncées par Lionel Jospin et s'efforcer, avec toute la gauche européenne, de créer un gouvernement économique, de réformer le statut de la Banque centrale européenne, de mettre l'accent sur la croissance, et non pas seulement sur la mobilité, de trouver enfin une parité entre l'euro et le dollar qui ne nuise pas à nos exportations. Tel sera le combat des années à venir, et ce combat-là, je crois que nous pourrons le mener avec le Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste). M. Pierre Lequiller - Le groupe DL ne votera pas la question préalable. D'abord, parce qu'il y a bien lieu à délibérer, il faut modifier la Constitution puisque le Conseil constitutionnel en a jugé ainsi : nous avons en effet le devoir de ratifier le traité d'Amsterdam, et nous n'avons que trop tardé à le faire, ainsi que le Président de la République l'a suggéré. Quant au fond, M. Bocquet a donné une caricature de l'Europe en parlant de concurrence exacerbée et d'ultralibéralisme. Ouvrez les yeux : nous avons à faire face à la mondialisation, et vouloir étendre les 35 heures à tous les pays de l'Union européenne, c'est un leurre, comme de prétendre revenir sur le statut de la BCE. Ce que révèle cette question préalable, c'est la division profonde de la gauche sur le thème européen. Nous ne voterons pas la question préalable, car le traité d'Amsterdam constitue un progrès pour l'Europe, et il y a lieu, bien sûr, d'en délibérer. M. François Sauvadet - L'exposé de M. Bocquet ne nous a pas convaincus. Mais je ne peux accepter ce qu'il a dit de l'affaiblissement du rôle du Parlement depuis les débuts de la Vème République. Avez-vous donc oublié les initiatives prises par l'ancienne majorité pour renforcer, précisément, le rôle du Parlement ? Que n'êtes-vous pas plus exigeant à l'égard d'un Gouvernement qui multiplie les textes qui nous sont soumis ? En tout cas, on ne peut appeler à renforcer le rôle du Parlement et lui dénier le droit de débattre de notre avenir. Le peuple s'est déjà prononcé sur l'essentiel à propos de Maastricht. Le présent débat va nous permettre d'afficher clairement la vision que nous avons de l'avenir de l'Europe et de la France. A cet égard, je suis un peu surpris de la tonalité que vous donnez à ce débat, Madame la ministre, en opposant les catégories entre elles, en dénonçant le libéralisme échevelé. Cette vision tirée de la lutte des classes me paraît dater un peu. La France et l'Europe ont besoin d'entreprises autant que de solidarité : pourquoi les opposer ? Bien sûr, il y a des carences dans l'organisation européenne : mais elles ne doivent pas nous faire oublier les objectifs, renforcer l'initiative et la solidarité, renforcer la place de notre pays en Europe et dans le monde. Il n'y a pas lieu d'opposer les intérêts de la France et ceux de l'Europe, nous sommes solidaires. C'est pourquoi je vous appelle à repousser la question préalable. La question préalable, mise au voix, n'est pas adoptée. M. Georges Hage - Je me réjouis que Mme Boutin ait voté la question préalable ! M. René André - "J'ai toujours préconisé l'union de l'Europe. Je veux dire l'union des Etats européens. Lisez ce que j'en dis depuis un quart de siècle. Je n'ai pas varié. Je souhaite l'Europe, mais l'Europe des réalités !" C'est ainsi que le général de Gaulle s'exprimait en janvier 1960. Cet héritage, nous en sommes fiers -même si on nous a parfois reproché de manquer de lyrisme. Manquer de lyrisme, ce n'est pas manquer de foi, et le pragmatisme a produit des résultats. S'appuyant sur la réconciliation franco-allemande, il a su nous conduire du marché agricole commun à la monnaie unique. Le général de Gaulle, Georges Pompidou et aujourd'hui le Président Jacques Chirac ont au moins tout autant que d'autres agi pour que l'Europe existe à la face du monde. Riche de cet héritage, notre vision de l'avenir de la construction européenne est généreuse, ouverte et enracinée dans le fait national. Oui, nous aimons l'Europe et nous voulons que la France soit à la tête de ses progrès et de ses adaptations. L'Europe doit être l'ambition française. La France doit entraîner les autres peuples européens, ceux qui sont déjà dans l'Union et ceux qui la rejoindront. Nous voulons renforcer l'Europe de la paix et de la sécurité, organiser une Europe vraiment démocratique, une Europe de la prospérité et du progrès social. Oui, cette Europe-là est possible, à la portée du siècle prochain. Aujourd'hui, notre assemblée a encore un important rendez-vous avec l'histoire de la construction européenne. Cette nouvelle étape mérite notre attention et exige de nous un vrai courage. Saurons-nous saisir la chance de cette révision constitutionnelle pour renforcer les liens entre l'Europe et les Français ? Le groupe RPR le souhaite ardemment. Il a conduit depuis des mois, à l'initiative de Philippe Séguin, une réflexion de fond sur ces questions et souhaite faire des propositions à la mesure des problèmes que soulève cette nouvelle étape de la construction européenne. Seul l'intérêt national doit nous guider. La France veut l'union des nations européennes, de toutes les nations. Ce ne sont pas les Etats-Unis d'Europe que nous voulons construire, mais l'Europe unie des Etats. Certes, le traité d'Amsterdam n'est pas une panacée -pas plus que ne le fut aucun traité européen- mais, grâce à la diplomatie française, il contient de bonnes décisions. Lors du débat que nous aurons au début de l'année 1999 sur la ratification du traité, nous aurons l'occasion de l'examiner plus en détail et de souligner les perspectives qu'il ouvre pour la décennie qui vient. Il permet d'aller de l'avant, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité commune -PESC. Et comme la France l'a souhaité, un poste de "haut représentant" pour la PESC est créé. La réforme du deuxième pilier permettra l'établissement progressif d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Le nouveau titre sur l'emploi, ainsi que le protocole social intégré au traité, sont un premier pas vers une Europe capable de mieux conjuguer l'économie et le social. La possibilité offerte aux pays qui le souhaitent de nouer des négociations renforcées est également positive. Enfin, le traité d'Amsterdam loin de se désintéresser de la démocratisation de la construction européenne, conforte le rôle et les pouvoirs du Parlement européen et reconnaît, à la demande obstinée de la France, le rôle collectif des parlements nationaux. Je forme des voeux pour que notre Parlement, saisissant les opportunités, contribue à la prise de décision européenne. Malheureusement, le gouvernement français semble peu désireux d'associer pleinement le Parlement à la construction de l'Europe. La diplomatie française a obtenu de bons résultats grâce à l'action du Président de la République et d'Alain Juppé alors Premier ministre. Le groupe RPR salue leur action (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR ; sourires sur les bancs du groupe socialiste). Ces aspects positifs ne peuvent toutefois masquer notre déception dans le domaine des institutions. L'élargissement de l'Europe que nous souhaitons depuis si longtemps, ne sera conforme aux attentes des différents Etats que si la réforme des institutions est menée à son terme avant l'entrée dans l'Union des nouveaux membres. Le moment venu, nous proposerons un article additionnel à la loi de ratification du traité d'Amsterdam afin que l'Europe se dote d'une nouvelle charte institutionnelle, laquelle devra concilier de nombreuses exigences ; elle doit être démocratique, respecter les droits souverains des nations et, bien sûr, être efficace. Le débat institutionnel européen est le grand défi auquel nous sommes confrontés. C'est parce que nous voulons ratifier le traité d'Amsterdam en dépit de ses imperfections, que nous mettons tant de passion dans ce débat constitutionnel préalable. Quand s'installe l'euro, quand notre drapeau côtoie de plus en plus souvent celui de l'Union européenne, nul n'a le droit de mépriser ou d'ignorer les craintes de tant de nos compatriotes. Nous devons les aider à mieux vivre ces changements et surtout leur expliquer pourquoi ils sont bénéfiques, même s'ils sont parfois difficiles à vivre. Nous n'y parviendrons que si la nation est replacée au coeur de notre engagement européen. Sans les nations enracinées dans l'histoire, vivifiées par des solidarités multiples, protectrices des plus faibles -pas de démocratie en Europe ! Et sans démocratie, sans le soutien des peuples, la construction européenne serait sans lendemain et même sans objet. Si, par malheur, les gouvernements et les bureaucraties bridaient les sentiments nationaux, tôt ou tard ceux-ci resurgiraient démultipliés, sans doute aigris et peut-être pervertis. C'est tout l'enjeu de la réforme, mais celle qui nous est proposée est très insuffisante. Le projet ne comporte pas une ligne sur le rôle et les pouvoirs du Parlement dans cette nouvelle étape européenne. Etrange conception que celle d'une construction européenne qui n'aurait pas besoin de s'appuyer sur les Assemblées et, en premier lieu, sur la nôtre. Une fois de plus, les socialistes font bien la différence entre ce qu'ils disent du déficit démocratique, et ce qu'ils font lorsqu'ils sont au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Le présent projet ne fait que retranscrire dans la Constitution la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997. Cette approche minimaliste traduit une vision politique bien pauvre. L'amendement timoré de notre rapporteur ne parvient pas à masquer ce vide. Il étend le champ d'application de l'article 88-4 aux projets d'actes relevant des deuxième et troisième piliers : c'est bien le moins ! Pour les projets ou propositions d'actes qui ne relèvent pas du domaine législatif au sens de l'article 34 de notre Constitution, le Parlement n'a aucun droit ; il dépend du bon vouloir du Gouvernement. Est-ce là la conception socialiste de la revalorisation du Parlement ? (Nombreux applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Que proposons-nous pour renforcer les pouvoirs du Parlement ? A l'issue du Conseil des ministres du 29 juillet dernier, le Président de la République a déclaré qu'il serait ouvert à toute initiative en ce sens. Les trois amendements que le groupe RPR défendra n'ont d'autre objectif que de donner un poids véritable au Parlement qui ne doit pas abandonner au seul exécutif tous les pouvoirs en matière européenne (Mêmes mouvements). Tout d'abord, nous voulons renforcer le contrôle parlementaire sur les actes européens. M. Alain Barrau - C'est l'objet de l'amendement Nallet. M. René André - En cette fin du XXème siècle, la démocratie parlementaire doit développer les fonctions de contrôle des assemblées, en priorité dans le domaine européen. Seul le contrôle systématique du Parlement évitera les excès de règles jugées souvent trop tatillonnes et bureaucratiques. Et seule la vive conscience que les Français auront de notre capacité à exercer un vrai contrôle donnera à ces règles et à ces normes une légitimité suffisante, condition pour que nos concitoyens y adhèrent. Or le contrôle issu de l'article 88-4 de notre Constitution n'est pas suffisant. Trop de textes ne sont soumis à la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée qu'à la dernière minute Le groupe RPR ne comprend pas qu'il nous soit seulement proposé par le rapporteur d'étendre la pratique actuelle de l'article 88-4. Pour notre part, nous proposons la refonte de celui-ci. Il faut permettre au Parlement de choisir sur quel projet d'acte ou sur quel document, il souhaite émettre un avis, sans attendre le bon vouloir du Gouvernement. Les Assemblées éclairées par les avis du Conseil d'Etat opéreront seules le choix nécessaire et selon leurs propres critères. Et il n'est pas sérieux de prétendre que le vote d'une simple résolution porterait atteinte aux équilibres constitutionnels. Notre amendement tend aussi sur les sujets particulièrement importants, à ce que l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en commission mixte paritaire adoptent une résolution commune et adressent un message commun au Gouvernement. Enfin, nous proposons d'inscrire dans notre Constitution la notion de réserve d'examen parlementaire qui n'est prévue que par une circulaire de M. Edouard Balladur, lorsqu'il était Premier ministre. A la suite d'incidents répétés -adoption définitive de textes communautaires sans que les assemblées aient eu le temps nécessaire pour se prononcer ou même pour les examiner-, cette circulaire accorde un délai minimal d'un mois aux assemblées pour manifester par le dépôt d'une proposition de résolution leur intention de prendre position sur un projet d'acte communautaire. Pendant ce délai, le Gouvernement s'est engagé à invoquer une "réserve d'examen parlementaire" au sein du Conseil pour empêcher l'adoption du texte en cause. Bien que cette circulaire ait considérablement amélioré le fonctionnement de l'article 88-4, la pratique de l'examen d'urgence par les délégations parlementaires, à la demande du Gouvernement, de propositions d'actes communautaires demeure trop fréquente. Notre rapporteur lui-même s'en est récemment ému au sein de la délégation pour l'Union européenne. Nous proposons donc un délai de six semaines, reprenant ainsi le délai prévu par le protocole sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité d'Amsterdam. Bien sûr, ce dispositif doit être souple, des mesures commerciales pourraient justifier que le Gouvernement demande l'urgence, et l'amendement le prévoit. Le droit communautaire ne distinguant pas entre le domaine de la loi et celui du règlement au sens de la Constitution française, il n'y a pas de justification à la maintenir ici. Elle n'a en effet de sens que lorsque notre assemblée est délibérative et non consultative. En adoptant cet amendement, sans porter atteinte aux grands équilibres institutionnels, notre assemblée pourra s'enorgueillir d'avoir enfin rapproché le Parlement de la construction européenne. Avec notre deuxième amendement, nous abordons un problème de plus en plus aigu : comment organiser le contrôle de constitutionnalité du droit européen dérivé, c'est-à-dire des normes à valeur législative édictées par les instances communautaires ? Si les traités s'imposent à notre droit national selon l'article 55 de notre Constitution, et peuvent faire, avant ratification, l'objet d'un contrôle de constitutionnalité selon l'article 54, en revanche, le droit dérivé échappe aujourd'hui à tout contrôle de constitutionnalité. Or ce droit dérivé se développe avec une telle rapidité que notre ancien collègue Pierre Mazeaud a parlé de prolifération. Le risque de violation de notre droit constitutionnel national par le droit européen ne peut donc plus être négligé. Et s'il est possible d'admettre la supériorité du droit communautaire sur les normes nationales lorsqu'elles relèvent de la loi ou du règlement, le problème est tout différent lorsqu'il s'agit des normes constitutionnelles. Dans quelques années la France, après avoir été mise en minorité au sein du Conseil, pourrait être mise en demeure de réviser sa Constitution pour l'adapter à un texte qu'elle n'aurait pas approuvé. Ce n'est pas une hypothèse d'école, dans des domaines qui relèvent du troisième pilier, la sécurité et les affaires intérieures, nombre de dossiers touchent directement aux libertés publiques et pourraient donc se trouver en contradiction avec notre Constitution. Le moment est venu de poser ces questions. Notre Constitution ne doit pas devenir pour Bruxelles un chiffon de papier ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR). En nous inspirant d'une proposition déposée en 1989 par Pierre Mazeaud, Nicole Catala et Robert Pandraud, nous proposons la possibilité d'une saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'une ou l'autre assemblée, avant l'adoption d'un projet d'acte communautaire susceptible d'être contraire à la Constitution. Notre troisième amendement a suscité de nombreux commentaires et des malentendus, que je souhaite dissiper. Le traité d'Amsterdam ouvre une simple faculté de vote à la majorité qualifiée sur certaines des matières qu'il traite, au terme d'une période de cinq ans et à condition bien entendu que tous les pays en soient d'accord le moment venu. Chaque pays prendra sa décision librement et conformément à ses règles constitutionnelles. Il s'agit donc d'une affaire strictement intérieure. Le passage à la majorité qualifiée est une simple faculté ouverte aux Etats. Les signataires du traité d'Amsterdam ont délibérément instauré un processus pragmatique par étape. Il convient de respecter l'esprit de cette clause essentielle. Le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée sera, le moment venu, une étape de première importance dans la construction européenne. Notre amendement prévoit, lors du passage de l'unanimité à la majorité qualifiée, le vote d'une loi. Simple loi, loi organique, loi référendaire, le choix ne nous appartient pas : il sera, comme il se doit sous la Vème République, du ressort du pouvoir exécutif. Cet amendement n'est donc en rien une condition mise à l'application du traité. Il ne préjuge nullement du choix des Etats. Je conclus. A l'occasion de cette réforme constitutionnelle, nous voulons permettre au Parlement français d'exercer un contrôle sur l'élaboration des normes européennes. Il ne s'agit pas d'entraver l'action de l'exécutif, encore moins de le contraindre par je ne sais quel mandat impératif. Tous ici, nous voulons combler le déficit démocratique de l'Europe, accroître le pouvoir de contrôle du Parlement. C'est le moment ou jamais, chers collègues de la majorité, de mettre vos actes en adéquation avec vos paroles. Le RPR vous propose trois amendements qui, tout en sauvegardant les grands équilibres institutionnels doivent nous permettre de mieux contrôler la construction européenne, et l'action du Gouvernement. Si vous croyez réellement en ce que vous dites, vous les voterez (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). M. François Huwart - Ce débat me permet d'exprimer une fois de plus les convictions européennes des radicaux de gauche. Depuis les débuts de la construction européenne, nous avons toujours été des euros convaincus, jamais des euros sceptiques. Notre conviction initiale, jamais démentie nous aura épargné la démarche inconfortable des euros convertis. Nous sommes toutefois pleinement satisfaits que la construction européenne ait rallié, fut-ce par réalisme ou pragmatisme, nombre de ceux qui ont manifesté tant de réticences. Nous sommes aussi heureux que ces conversions aient souvent coïncidé avec l'accession à des responsabilités présidentielles ou gouvernementales... Ce n'est en effet pas la moindre des victoires de l'idée européenne ce fait qu'en accédant aux responsabilités suprêmes, les hommes politiques aient si vite acquis une claire conscience de l'intérêt des peuples. En raison de leur volonté de créer en Europe les conditions d'une paix durable, de leur conception profondément républicaine et ouverte de la citoyenneté, les radicaux ont pris leurs responsabilités chaque fois qu'il s'agissait d'aller plus loin dans la construction d'une Europe plus intégrée et plus citoyenne. Depuis Maurice Faure, nous n'avons cessé de considérer que le génie de la France, loin de se diluer dans l'ensemble européen, y trouverait au contraire le moyen de mieux s'exprimer. C'est dans la déclaration des droits de l'Homme, dans son universalisme que nous avons trouvé les meilleures raisons d'être des militants de l'Europe. Avons-nous été pour autant des euros béats ? N'avons-nous pas au contraire éprouvé constamment le besoin d'être aussi des euros vigilants, n'avons-nous pas été inquiets de voir se dessiner la double silhouette d'un géant économique et d'un nain politique ? Comment ne nous en serions-nous pas inquiétés, nous qui avons toujours été convaincus que le progrès économique n'a de sens pour la vie quotidienne des peuples, ou pour leur bonheur, que s'il n'est maîtrisé, organisé par le politique, seule expression de la démocratie ? Chaque fois qu'un traité -Rome, l'Acte unique, Maastricht, Amsterdam aujourd'hui-, resserrait les liens au sein de l'Europe, nous l'avons soutenu, même si nous étions conscients que, dans le domaine social, dans celui du contrôle démocratique, l'Europe choisissait des chemins trop lents ou trop détournés. Nous l'avons fait sans résignation, même lorsque nous avions conscience que s'organisait l'Europe d'un libéralisme excessif et triomphant. Nous savions en effet que le chemin était long. Nous savions que, pour parvenir à un contenu plus conforme à l'intérêt de nos concitoyens, il fallait d'abord créer le cadre des solidarités futures. Nous continuons à vouloir que soit comblé le retard de l'Europe sociale et le déficit démocratique. Sous l'impulsion du Premier ministre, Lionel Jospin, et en meilleur accord avec la plupart des gouvernements européens, une vraie prise en compte de la question de l'emploi s'ébauche. Nous souhaitons ardemment que soit remise en cause une conception de la croissance économique, du fonctionnement des marchés et de l'orthodoxie financière qui sacrifie manifestement l'emploi. En avançant de façon significative sur des questions aussi fondamentales que les libertés, la sécurité, la justice, les droits du citoyen, les politiques étrangère et de sécurité commune, le traité d'Amsterdam, pour insuffisant qu'il demeure, marque à nos yeux un incontestable progrès par rapport aux traités antérieurs. C'est sur ces questions décisives que nous sommes aujourd'hui euro-vigilants, notamment quant à notre conception du service public comme puissant moyen de réduire les inégalités ; quant à une déréglementation qui remet en cause l'exercice de droits sociaux chèrement acquis ; quant aux nouvelles réglementations européennes, qui devraient parvenir à un meilleur équilibre entre ce qui relève de la compétence européenne et ce qui demeure de la compétence des Etats. Nous ne voulons pas d'une Europe insuffisante pour ce qui est essentiel et trop présente pour ce qui est contingent. Nous sommes donc particulièrement attentifs à l'application du principe de subsidiarité qui limite les décisions européennes au champ où elles sont les plus aptes à intervenir à la place des Etats. C'est là le débat sur la souveraineté qui, pour certains, est au coeur de la réforme constitutionnelle dont nous discutons aujourd'hui. La souveraineté ne saurait être un vain mot, sans efficacité réelle. Aussi si la réalité de la libre circulation rend inefficace et inopportun l'exercice solitaire de la souveraineté nationale, la délégation de souveraineté est la seule solution. On oppose à tort en l'occurrence la souveraineté nationale et la souveraineté européenne. Créer un espace nouveau de liberté et, en même temps, le rendre plus sûr exigent au contraire de rendre complémentaire ces deux souverainetés. D'ailleurs, c'est bien la manifestation de la souveraineté que d'organiser la façon dont elle est déléguée en précisant les conditions du contrôle de cette délégation par le Parlement. Il est d'ailleurs paradoxal d'opposer comme certains la souveraineté exprimée par le Parlement, et celle qui résulte du référendum. Il ne nous paraît en outre pas légitime de faire écho au référendum sur Maastricht par un référendum sur Amsterdam, car il faut préserver l'adéquation entre le niveau de réponse et l'importance des traités soumis à ratification. Nous, radicaux, considérons, la démocratie représentative comme la règle et la démocratie directe comme l'exception, réservée à l'adoption de textes fondamentaux comme le traité de Maastricht. Elle n'est pas nécessaire pour ratifier un traité important, mais plus technique comme l'est celui d'Amsterdam. Les radicaux de gauche disent donc bien sûr oui à cette révision constitutionnelle nécessaire et opportune ; oui, au choix de la voie parlementaire et oui, enfin, à une délégation de souveraineté consentie par le Parlement dont nous souhaitons que les pouvoirs de contrôle sur les textes européens de nature législative soient renforcés. Aussi, voterons-nous sans réserve votre projet, Madame la ministre, et serons-nous attentifs aux propositions tendant à renforcer le rôle du Parlement dans le cadre de l'article 88-4. M. Alain Madelin - Nous avons voulu construire une Europe sans frontières intérieures, celle de la libre circulation des personnes. Mais, pour cela, il nous faut contrôler en commun les frontières extérieures de l'Europe. Ce contrôle doit, en effet, s'exercer partout de la même façon. Il faut donc harmoniser les procédures d'entrée et de séjour des étrangers, la liste des pays soumis à visa, et les règles en matière de droit d'asile. Pour cela, le traité d'Amsterdam propose de mettre en oeuvre une nouvelle politique commune. Pour rendre possible, le moment venu, l'application de ces dispositions sur ce point, et sur ce point seulement, le Président de la République et le Premier ministre nous invitent à modifier notre Constitution. A la fois par conviction et par fidélité à nos choix européens, nous dirons oui à cette modification constitutionnelle, comme nous dirons oui, le moment venu, au traité d'Amsterdam, sans ambiguïté et sans condition. Cependant notre "oui" mérite d'être éclairé par quelques remarques sur le traité d'Amsterdam lui-même et sur la poursuite de la construction européenne. Pour certains sur tous ces bancs, disait M. Bocquet, cette modification constitutionnelle soulève l'inquiétude. Ne sommes-nous pas engagés, malgré nous, dans un processus inexorable, qui transférerait progressivement à des institutions européennes lointaines des pans entiers de notre souveraineté ? Pour beaucoup d'autres et en particulier pour nous, libéraux, le traité d'Amsterdam constitue une déception. Après la chute du mur de Berlin et devant l'exaltante perspective de la réunification de l'Europe, on espérait qu'Amsterdam consacrerait les avancées institutionnelles d'une nouvelle Europe élargie et aux pouvoirs clairement délimités et limités. On espérait aussi, après la honte de l'impuissance européenne à Sarajevo, davantage d'ambition en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Sans doute placions-nous trop d'espoir dans le sommet d'Amsterdam. En cette fin de siècle où deux générations se croisent en Europe, celle de l'après-guerre et celle de l'après-mur de Berlin, celle des pères fondateurs de l'Europe de la réconciliation franco-allemande et celle qui aura à construire la grande Europe réconciliée avec elle-même. Peut-être l'Europe a-t-elle inconsciemment souhaité une pause avant de dessiner son nouveau visage. Mais dans le flou qui entoure ces contours futurs, prisonniers de nos vieilles habitudes de pensée qui nous poussent à imaginer l'Europe de demain en projetant le modèle de nos Etats-Nations d'hier, nous risquons de ressusciter le vieux débat opposant ceux qui n'imaginent l'Europe que comme un cartel d'Etats-Nations, et ceux qui la rêve comme futur Etat-Nation agrandi, avec son super-Gouvernement, son Parlement, son administration, ses lois, ses impôts. Il faut dépasser ce vieux clivage pour imaginer l'Europe autrement. En juin dernier, à quelques jours du Conseil européen de Cardiff, le Président de la République Jacques Chirac et le Chancelier allemand Helmut Kohl rappelaient que "l'objectif de la politique européenne n'a jamais été et ne peut être d'édifier un Etat central européen". Fort bien. Mais ce qui compte ce n'est pas ce que l'on dit vouloir faire des institutions, mais ce que les institutions vous donnent le pouvoir de faire. Or les risques de dérive existent et c'est justement parce que nous sommes attachés à la construction européenne que nous devons nous donner les moyens institutionnels d'éviter qu'ils se concrétisent. Ainsi, le traité d'Amsterdam confère au Parlement un pouvoir d'"approbation" de la désignation du Président de la Commission européenne, et confère à celui-ci des pouvoirs nouveaux quant à la composition et au fonctionnement de la Commission. Son autorité politique est donc renforcée par le traité d'Amsterdam. Or un tel renforcement, que n'accompagne pas un renforcement parallèle du Conseil, s'inscrit pour certains dans la perspective de voir la Commission devenir, un jour, le gouvernement de l'Europe. C'est en ce sens que Jacques Delors et 22 personnalités européennes... M. Henri Nallet, rapporteur de la commission des lois - ...dont M. Bayrou ! M. Alain Madelin - ...ont proposé récemment que les partis en lice lors des prochaines élections européennes fassent campagne non seulement sur leur programme, mais aussi pour un candidat à la présidence de la commission. "On se trouverait alors -dit-il- dans une situation proche de celle des Etats-Unis, où les citoyens de chaque Etat désignent de grands électeurs qui élisent ensuite le Président". Proposer cela, c'est vouloir faire de la France la Louisiane de futurs Etats-Unis d'Europe. Cela nous n'en voulons pas (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR). D'autre part, le traité de Maastricht a fort heureusement introduit le principe de subsidiarité comme principe organisateur de l'Union européenne. Affirmer la subsidiarité, c'est affirmer la supériorité des droits de la personne sur toute autorité publique. Ce principe est donc le garde-fou nécessaire pour prévenir les risques de dérive vers un super-Etat européen centralisateur. Encore faut-il le traduire dans les faits et les institutions. C'est ce que nous attendions du traité d'Amsterdam, grâce à une meilleure délimitation des compétences confiées à l'Europe et à la mise en place de contrepoids institutionnels pour prévenir tout débordement. M. Gérard Gouzes - Qu'ont fait Alain Juppé et Jacques Chirac ? M. Alain Madelin - Il n'en a, hélas, rien été. Au contraire, si dans le protocole annexé au traité, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une affirmation solennelle, son application est laissée à la discrétion de ceux-là mêmes dont il est censé encadrer le pouvoir. L'"acquis communautaire" se voit consolidé. Autrement dit, "tout ce qui est à la Commission est à la Commission et tout ce qui est aux Etats se discute". De cette interprétation extensive de la subsidiarité, nous ne voulons pas davantage (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). La construction européenne nous a apporté les bienfaits des libertés économiques et de la concurrence et a fait reculer le dirigisme en France. Le traité de Maastricht, pour lequel nous avons fait campagne, a limité la capacité des gouvernements de s'endetter et de recourir aux facilités de l'inflation, en instituant une Banque centrale européenne indépendante. Mais voici que naît l'idée de dresser face à cette Banque centrale un gouvernement économique européen, avec sans doute pour les uns la nostalgie d'un pouvoir politique perdu sur la monnaie, et pour d'autres l'ambition de créer le super-Etat européen dont ils rêvent. S'il s'agit de coordonner les différentes politiques conduites en les comparant pour savoir quelle est la plus efficace, je n'y vois pas d'inconvénient. Mais le risque existe de voir un tel gouvernement économique constituer non pas un contre-pouvoir face à la Banque centrale, mais un super-pouvoir au-dessus des gouvernements nationaux. Cela, nous n'en voulons toujours pas. Nous avons voulu l'euro qui peut être un formidable atout pour la prospérité et pour l'emploi, à condition que l'on introduise toujours plus de souplesse au sein de nos économies, grâce aux réformes de structures nécessaires, à la réduction du poids de la fiscalité, à la privatisation, à la déréglementation. Mais nous savons aussi que l'euro pourrait se traduire par davantage de chômage si nos rigidités économiques et sociales se maintiennent ou s'aggravent. Puisque l'on supprime l'ajustement par les taux de change, si l'on veut éviter que le chômage devienne la seule variable d'ajustement, il faut permettre l'ajustement par des différences de coût, de charges et d'impôts. C'est dire que toutes les politiques qui se proposent, au nom de l'harmonisation fiscale ou sociale, de gommer les différences nécessaires, doivent être regardées avec beaucoup de méfiance. Notre vieux continent est un ensemble hétérogène qu'on ne peut comparer ni à l'Allemagne ni aux Etats-Unis. Ne pas tenir compte des langues, du fait national, des traditions régionales, de la diversité des structures familiales conduirait à créer des tendances centrifuges destructrices. M. Jaques Myard - Très bien ! M. Alain Madelin - L'Europe doit s'enrichir de ses diversités ; elle doit chercher, non pas à raboter ses différences, mais à les harmoniser pour en tirer le meilleur parti, dans une société de liberté et d'échanges. Ce serait rendre un mauvais service à l'Europe que de lui donner des institutions qui, par dérives successives, aboutiraient à un super-Etat unitaire et centralisateur. Ne cédons pas au syndrome du pont de la rivière Kwaï qui a conduit le colonel Nicholson et ses prisonniers, emportés par le goût du travail bien fait, à édifier pour les Japonais un pont d'une importance capitale. M. Jacques Myard - Bravo ! M. Alain Madelin - Face à ces risques de dérive, nous devons saisir l'occasion de cette modification constitutionnelle pour améliorer encore notre dispositif de contrôle des projets de règlements et de directives communautaires. Notre groupe présentera à cette fin des propositions d'amendement visant à modifier l'article 88-4 de notre Constitution. Dans le même esprit, nous pensons que le moment est venu d'une nouvelle approche de l'Europe. Il ne s'agit pas seulement d'être pour l'Europe, d'être fidèle aux choix européens qui ont toujours été ceux des libéraux, mais de dire quelle Europe nous voulons. Nous voulons une vraie politique étrangère et de sécurité commune. Nous voulons l'Europe de tous les Européens. L'élargissement de l'Europe à l'Est ne peut se faire sans modification de nos institutions, mais les pays candidats à l'élargissement n'ont pas à faire les frais de notre impuissance à engager les révisions nécessaires ("Très bien !" sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Nous voulons, enfin, dépasser la seule dimension économique du projet européen, penser l'Europe autrement qu'à travers des logiques traditionnelles de souveraineté ou de puissance, pour lui ajouter une dimension philosophique, morale, culturelle et politique. L'Europe n'est pas une addition d'Etats mais une idée, un point de vue sur l'humanité et le monde. Au moment où les pays de l'Est rejoignent le camp de la liberté, l'union de l'Europe ne peut avoir de sens autrement que dans l'ancrage commun à des valeurs. Comme l'a dit Vaclav Havel : "L'une des grandes traditions européennes, que l'Europe semblait oublier de plus en plus profondément pendant la première moitié du XXème siècle, met en avant le citoyen libre, source de pouvoir. Et même si, dans ses débuts, l'intégration européenne était avant tout une intégration économique, son point de départ ainsi que ses objectifs étaient clairs. Il s'agissait d'une grande renaissance du citoyen". Avec la réunification de l'Europe, ce n'est pas seulement leur espace géographique naturel que les Européens vont retrouver, mais aussi les fondements mêmes de l'Europe. L'inscription du principe de subsidiarité dans le traité de Maastricht et celle de l'"Etat de droit" dans le traité d'Amsterdam constituent une rupture avec notre héritage jacobin, un retour aux sources de la civilisation européenne. La marque du génie européen, c'est la proclamation que l'homme a des droits fondamentaux supérieurs à tout pouvoir, que ce soit celui d'un tyran, ou d'une assemblée parlementaire. L'autorité publique ne fait pas le droit, elle est soumise au droit. La construction européenne porte ainsi en germe le dépassement de notre conception traditionnelle de la souveraineté, liée à la fois à un Etat-nation-territoire et à l'identification de la volonté souveraine de la nation avec la volonté toute puissante du peuple, exprimée démocratiquement selon la règle de la majorité. Ce dépassement ne constitue pas un risque mais une chance. Le principe fédérateur, pour l'Europe de demain, est avant tout un principe éthique, à la source de l'humanisme européen, et affirmant l'antériorité et la supériorité des droits de la personne. Cette nouvelle Europe sera donc d'abord celle de la culture, de la connaissance et du savoir, celle des libertés universitaires à la recherche du vrai, le socle à partir duquel s'organise la hiérarchie des valeurs (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DL et du groupe UDF). Ce sera aussi l'Europe de la justice, comme puissance autonome qui borne le pouvoir et la loi. Mme Christine Boutin - Ce n'est pas celle d'Amsterdam... M. Alain Madelin - Ce sera une Europe d'inspiration fédérale, au sens que l'on prêtait à ce mot au siècle dernier, lorsque Victor Hugo parlait des Etats-Unis d'Europe. L'Europe n'a plus pour mission de régner sur le monde. Cependant elle peut encore lui offrir un modèle, un exemple, celui d'un espace de liberté, de responsabilité et de droit où peuvent coexister pacifiquement des hommes différents, hors d'une contrainte politique forte, et sans qu'on soumette les minorités aux caprices de la majorité, dans une civilisation qui remet l'homme au coeur de la société. Permettez-moi, dans l'oeuvre aujourd'hui en cours, de ne retenir que cette promesse (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Gérard Gouzes - La question qui nous est posée aujourd'hui serait très simple si certains voulaient bien cesser de biaiser avec leurs convictions. Mme Nicole Bricq - Très bien ! M. Gérard Gouzes - Y a-t-il une objection véritable à ce que certaines règles de droit international soient supérieures à notre Constitution ? L'article 55 de celle-ci ne précise-t-il pas que les traités ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve de réciprocité ? Nous avons connu déjà une révision constitutionnelle pour permettre la ratification du traité de Maastricht ; c'est la même procédure qui nous est proposée aujourd'hui. L'article 88-1, voté en 1992, a déjà consacré l'appartenance de la France à l'Europe. Tous ceux qui se lamentent d'une perte de souveraineté se trompent donc d'époque et de combat ! La France a la compétence de sa compétence, la souveraineté de sa souveraineté ; elle a déjà affiné ce principe par référendum. Le Conseil constitutionnel a jugé que l'exercice de notre souveraineté pourrait être affecté dans cinq ans, lorsque le Conseil déciderait d'appliquer à certaines matières la majorité qualifiée. Y a-t-il là perte de puissance, d'efficacité, voire d'influence ? Cette question a déjà été posée en 1992 ; j'entends encore notre collègue Séguin s'indigner et déclarer perfidement qu'il eût mieux valu que des voix plus fortes que la sienne engagent le combat... Est-il si loin le temps où l'on clamait qu'on enterrait la souveraineté nationale et les grands principes de la Révolution ? Pourtant, selon le doyen Vedel, il n'y a aucune raison de reconnaître à la souveraineté nationale une valeur supraconstitutionnelle ; elle est l'une des normes de valeur constitutionnelle et peut être modifiée par une révision de la Constitution. Si certains souhaitent doter la souveraineté nationale d'un statut de supraconstitutionnalité, ils doivent savoir qu'ils ne pourraient plus parler de supraconstitutionnalité internationale, puisqu'elle se heurterait à la souveraineté nationale. Quel isolement ce serait pour la France ! Quel rétrécissement de notre influence dans le monde ! En outre, qui pourrait nier l'existence de règles éthiques ou politiques de portée internationale ? Ceux qui souhaitent le jugement de Pinochet devraient méditer les conséquences d'une souveraineté nationale érigée en dogme. Le traité de Maastricht prônait, dans ses annexes, "une plus grande participation des parlements nationaux aux activités de l'Union européenne". Aujourd'hui, les gouvernements sont invités "à ce que les parlements nationaux puissent disposer des propositions législatives de la Commission, en temps utile, pour leur information ou pour un éventuel examen". Sans remettre en cause nos institutions, le traité d'Amsterdam nous invite à étendre le champ du contrôle parlementaire aux actes des deuxième et troisième piliers de l'Union européenne. J'approuve donc la volonté du rapporteur d'étendre en conséquence le champ des résolutions que nous pourrons adopter. Faut-il rappeler que lors de la révision constitutionnelle de 1995, M. Jacques Toubon, alors Garde des Sceaux, s'était opposé à un amendement de M. Pandraud tendant à étendre le champ de l'article 88-4 aux projets relevant du titre V et VI du traité sur l'Union européenne. Je suis heureux de voir que les positions changent. Il faut que les esprits continuent à évoluer. Pourquoi notre assemblée ne pourrait-elle pas être informée des questions relatives à la PESC ou la coopération policière et judiciaire ? Il ne s'agit pas de donner à notre assemblée un rôle d'autorisation a priori. Cela remettrait en cause la Constitution de 1958 en ses articles 34 et 37, car l'intervention du Parlement sur des matières réglementaires constituerait une atteinte à la séparation des pouvoirs. Que ceux qui veulent déposer des amendements tendant à tout autoriser aillent jusqu'au bout de leur logique en changeant de Constitution. Car, comme le souligne notre rapporteur, "introduire des éléments de régime d'assemblée dans une Constitution fondée sur le parlementarisme rationalisé menacerait rapidement tout l'équilibre de nos institutions". Cruel dilemme, dès lors, pour ceux qui se veulent les gardiens de la pensée gaulliste : retourner aux délices de la IVème République ou bien admettre une fois pour toutes que la souveraineté nationale n'est pas de nature supraconstitutionnelle, et que l'Europe politique se construit en intégrant des coordinations indispensables en matière d'immigration, de justice et de police. Ce ne sera pas le moindre mérite de cette révision constitutionnelle indispensable à notre objectif social européen. Voilà pourquoi, avec la majorité progressiste de cette assemblée, je voterai la révision constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Hervé de Charette - Trois questions essentielles nous sont posées. D'abord, l'opportunité de la révision constitutionnelle, c'est-à-dire le bien-fondé ou non de la ratification du traité d'Amsterdam ; ensuite, le passage au système de la majorité qualifiée, dans un délai de cinq ans, pour les décisions relatives à la circulation des personnes ; enfin, comment élargir les prérogatives du Parlement à propos de l'élaboration des textes et des décisions européens. Le groupe UDF votera le traité d'Amsterdam manifestant ainsi la constance et la netteté de notre engagement européen. Toutefois, cette ratification sera, pour nous, résolue mais sans enthousiasme. Dans la négociation ouverte en 1995, le gouvernement français avait fixé cinq objectifs : réformer les institutions européennes, menacées de paralysie par les élargissements successifs ; permettre aux pays qui veulent aller plus loin et plus vite de le faire dans des conditions acceptables par tous ; traiter à quinze des flux migratoires et de la libre circulation ; conforter la dimension sociale de l'Union européenne ; enfin, favoriser l'émergence d'une politique extérieure et de sécurité communes. En bref, passer autant que possible de l'Europe économique à l'Europe sociale et politique. Au terme d'une négociation assez laborieuse, les résultats sont plutôt positifs et équilibrés pour quatre objectifs sur cinq. Voilà pourquoi notre vote sera résolu. Mais la réforme institutionnelle n'a pas pu aboutir parce que une majorité d'Etats membres n'y était pas disposée et parce que l'Allemagne nous a fait défaut. Or la Commission fonctionne mal parce qu'elle devient pléthorique, et surtout la France ne peut accepter qu'au fil des élargissements, son poids dans les mécanismes de décision soit réduit au détriment de nos grands intérêts. C'est pourquoi notre vote de ratification sera dépourvu d'enthousiasme et assorti d'une condition précise concernant l'aboutissement de la réforme institutionnelle. Au total, le traité d'Amsterdam fait accomplir à la construction européenne des progrès réels, en ouvrant la voie à la création d'un espace européen de libre circulation, de contrôle de l'immigration et de lutte contre la criminalité organisée et la drogue. Ainsi, il y a lieu de ratifier le traité, donc de souscrire à la révision constitutionnelle. Reste que désormais tout progrès européen, tout nouveau traité exigeront une révision constitutionnelle, le contrôle de constitutionnalité s'étant développé à l'extrême dans notre droit public. Or, dans le même temps, nous n'avons pas pris en considération le développement de l'Union européenne dans notre vie quotidienne et donc dans notre droit. Nous continuons à traiter des progrès de la construction européenne par la voie diplomatique traditionnelle, alors qu'il s'agit d'une démarche nouvelle, qui n'appartient ni tout à fait à l'ordre juridique international, ni tout à fait à l'ordre juridique interne. Voilà pourquoi je souhaite l'introduction, dans la Constitution, d'une "clause d'intégration" qui nous éviterait ces révisions constitutionnelles à répétition,... M. Pierre Lellouche - Sûrement pas ! M. Hervé de Charette - ...et reconnaîtrait notre engagement durable dans la voie de l'Europe. Sur l'importante question du passage à la majorité qualifiée, au bout de cinq ans, pour les questions concernant la libre circulation, il a été suggéré que la décision du gouvernement français pourrait être soumise à une autorisation du Parlement. L'UDF ne saurait souscrire à cette proposition. M. Pierre Lellouche - C'est bien dommage ! M. Hervé de Charette - Celle-ci n'a de sens que si on voit dans le vote à la majorité qualifiée un inconvénient, voire un danger pour la France. Or il n'en est rien. Pour maîtriser l'immigration, pour lutter contre le crime organisé et contre le trafic de drogue, une action étroitement concertée entre les Etats membres est indispensable. Songeons à l'afflux de réfugiés de l'ex-Yougoslavie en Allemagne, à l'exode des Albanais et aux arrivées massives de Kosovars en Italie. Sur le continent européen, l'idée qu'on peut faire face à ces situations en jouant le "chacun pour soi" est totalement obsolète. Mais pour travailler en commun sur ces sujets difficiles, la règle de l'unanimité constitue un obstacle sérieux. Ainsi la drogue afflue aux Pays-Bas, parce que ce pays a choisi une politique laxiste. A l'unanimité, nous ne pourrons pas faire changer d'avis les Hollandais. Avec la majorité qualifiée, ils devront se plier à une discipline collective. M. Philippe de Villiers - Ce sera plutôt l'inverse ! M. Hervé de Charette - Dans ces domaines essentiels pour la sécurité, l'action doit être collective. La règle de l'unanimité s'y oppose. Celle de la majorité qualifiée jouera en faveur de ceux qui veulent plus de rigueur parce qu'il y a désormais une majorité de pays, autour de la France, de l'Espagne, de l'Italie pour l'exiger. Il serait donc contradictoire que l'UDF privilégie la sécurité intérieure et veuille s'opposer au passage à la majorité qualifiée pour les décisions européennes qui s'y rapportent (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Le dispositif que certains proposent reviendrait à une ratification en deux temps. C'est en quelque sorte, la double chance pour les adversaires de la ratification, comme au tac-0-tac : une chance au tirage, et dans cinq ans, une nouvelle chance au grattage ! M. Pierre Lellouche - Quelle caricature ! M. Hervé de Charette - Je passe sur l'idée d'exiger une loi organique, voire une loi organique assortie de l'accord exprès du Sénat, ce qui aurait la conséquence ahurissante d'étendre le champ des lois organiques en dehors du domaine relevant de l'organisation des pouvoirs publics, et d'imposer dans cinq ans, une contrainte plus forte que ne l'exige la Constitution en matière de ratification des traités. On rêve ! Nous ne saurions souscrire un bouleversement profond de l'ordre constitutionnel français. La vérité est beaucoup plus simple. Le traité prévoit le passage à la majorité qualifiée. La règle de l'unanimité durant la période initiale fait figure d'exception. Dès lors, ratifier aujourd'hui, c'est accepter par avance que, dans cinq ans, le système passera à la majorité qualifiée. C'est donc bien maintenant que le Parlement doit refuser ou accepter ce système. La ratification aura lieu en 1999, pas en 2004 ! Pour autant, lorsque le Gouvernement devra prendre sa décision, rien n'empêchera notre assemblée de voter une résolution à ce sujet. D'autre part, le Gouvernement serait bien avisé de nous assurer qu'il organisera, au moment opportun, un débat devant notre assemblée. C'est exactement ce qui s'est passé lors de la décision du passage à l'euro et personne n'y a trouvé à redire. Enfin, il est naturel que le Parlement désire améliorer son information et son contrôle à l'occasion de l'élaboration des textes européens de nature législative. Nous y sommes très favorables. Sans doute, certains ont pour objectif inavoué de mettre le maximum d'obstacles sur la route européenne. Tel n'est évidemment pas notre cas. Pendant la négociation, la France a cherché la meilleure manière de renforcer le rôle des parlements nationaux, en dépit des réticences de nos partenaires. C'est sur notre proposition qu'a été rédigé le protocole annexé au traité d'Amsterdam, qui a la même valeur juridique que lui. Ainsi a été institutionnalisée la COSAC qui, créée à Paris en 1989 sur l'initiative du Président Fabius, réunit deux fois par an les représentants des parlements nationaux et du Parlement européen. Le traité lui donne compétence pour examiner toutes propositions d'actes législatifs concernant l'espace européen en matière de libertés individuelles. De même, le protocole encourage à une meilleure information des parlements nationaux. C'est dans cette direction que notre commission des lois a travaillé, et le groupe UDF souscrit au résultat de ces travaux. Aussi approuvons-nous l'extension de l'article 88-4 de la Constitution, qui oblige le Gouvernement à saisir le Parlement des projets de textes européens ayant un caractère législatif. Cette obligation ne concernerait plus seulement les actes relevant du premier pilier -affaires économiques- mais aussi du second pilier -politique étrangère et de sécurité communes- et du troisième pilier -sécurité intérieure. De même, nous approuvons la faculté donnée au Gouvernement de soumettre aux deux assemblées tous autres actes et documents, offrant ainsi au Parlement la possibilité, pour ceux de ces actes ayant une réelle importance politique, de se prononcer par le vote de résolutions. Enfin, il nous paraît concevable que les deux assemblées puissent se concerter pour élaborer et adopter une résolution commune. Cela ne manquerait pas de renforcer la valeur politique d'une telle résolution, et pourrait conforter l'autorité du Parlement tout en secondant le Gouvernement dans ses négociations européennes. Avec la ratification du traité d'Amsterdam, on ne va pas manquer de ressortir de la naphtaline les débats les plus éculés sur la souveraineté nationale. Avant que la politique politicienne prenne le dessus, laissez-moi vous dire ce qu'a été mon expérience à ce sujet et ce que sont mes convictions. L'Europe ne nous affaiblit pas. Elle n'enterre pas notre souveraineté. Elle est au contraire un extraordinaire amplificateur de puissance pour les nations européennes. Il est assez difficile de comprendre ce que recouvrent exactement les discussions bien françaises sur la souveraineté. Ce qui me paraît plus conforme à l'expérience des hommes et des femmes de notre temps, c'est "l'éveil de la conscience européenne", mouvement profond qui met en jeu mille ans de notre histoire. Tout cela prendra du temps, les nations sont résistantes. Il n'est ni inutile ni souhaitable d'accélérer le mouvement, mais il faut le comprendre et l'organiser : c'est cela le combat des Européens. Mais plutôt que de parler sans cesse, et sans grande conséquence pratique, d'une souveraineté dont chaque citoyen sait bien qu'elle est désormais partagée avec d'autres peuples, nous ferions mieux de nous passionner pour un autre sujet : l'heure vient où l'Europe aura besoin d'une constitution, et le plus tôt sera le mieux. Cette constitution lui donnera des institutions démocratiques, elle fondera un nouveau pacte entre les nations et les peuples. Elle exigera que soient fixées dans le marbre d'un texte fondateur les compétences européennes et les compétences nationales, selon le principe de subsidiarité, ce principe dont chacun parle, mais que personne n'organise. Je vois bien que ce n'est pas le jour d'ouvrir ce chantier, mais j'espère qu'il y aura bientôt en France une majorité pour cela (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Permettez-moi de conclure en reprenant ici le propos tenu par le Président de la République au sommet franco-espagnol de La Rochelle : l'Europe n'est ni de gauche ni de droite. Mais entre les Anciens et les Modernes, l'Europe est du côté des Modernes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Georges Hage - La révision constitutionnelle est le préalable du traité d'Amsterdam, qui est visé explicitement dans la nouvelle rédaction de l'article 88-2 : réviser la Constitution, c'est installer Amsterdam dans la loi suprême de la République. Le Conseil constitutionnel a eu raison de relever que ce traité dérogeait à la souveraineté nationale sur les questions essentielles que sont les visas, la politique d'immigration, mais aussi le droit d'asile, dès lors que cinq ans après la ratification, une majorité qualifiée suffira contre la France pour réécrire l'ordonnance de 1945 sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Il s'agit bien d'un transfert de souveraineté majeur. Mais quoi que l'on pense par ailleurs du traité dont plusieurs des objectifs ne sont pas sans intérêt, une question préjudicielle se pose : peut-on éluder, pour des problèmes de cette importance, la voie référendaire ? Elle avait été utilisée en 1972 pour un premier élargissement de la Communauté, puis en 1992 pour le traité de Maastricht. Elle devrait l'être de manière évidente quand un traité européen prévoit des transferts de compétences. Nous ne sommes pas hostiles à des transferts de compétences européens, dès lors que c'est le choix d'un pays souverain. Mais on ne peut pas le faire à la sauvette. L'actuelle révision constitutionnelle a le mérite de la clarté : il s'agit bien d'un nouvel abandon de la souveraineté nationale. C'est sans doute pour masquer cette dimension essentielle du débat qu'une inflation d'amendements sur l'article 88-4 tente de détourner l'attention sur la question du contrôle du Parlement. La lisibilité des intentions des uns et des autres aurait été plus claire si cette modification faisait l'objet d'une autre réforme constitutionnelle : cette brusque fièvre pour amender l'article 88-4 ne cache-t-elle pas une tentative de noyer le poisson ? Il y a un décalage entre le peu d'enthousiasme pour le traité d'Amsterdam, et le soudain intérêt pour les droits du Parlement, alors même que la supériorité du traité sur la loi réduit par avance la portée de ce que nous voterons. L'article 88-4, introduit à l'occasion de Maastricht, donne à l'Assemblée et au Sénat, le droit d'exprimer son avis sur les projets d'actes communautaires. La belle affaire ! Peut-on parler de "contrôle" alors que, sur 17 résolutions votées en séance publique par notre assemblée, aucune n'a été suivie d'effet ? La procédure reste largement formelle. Il s'agit plus d'un billet d'humeur, d'une "Catharsis" parlementaire, que d'une vraie concertation. Le processus de décision échappe au Parlement au profit d'instances supranationales. Les communistes sont attachés à de vraies réformes. Il est important de dépasser l'opposition entre souveraineté nationale et Europe pour que chaque Parlement contribue à une meilleure coopération européenne. Il faut instaurer la primauté du Parlement dans le processus de décision, car les ministres ne sont pas responsables des décisions qu'ils prennent dans les instances supra-éthiques. L'élargissement au second et troisième piliers ne suffit pas. Les ministres concernés devraient venir, avant chaque conseil des ministres européens important, présenter à la commission compétente de l'Assemblée la politique qu'ils entendent conduire dans les négociations. Et la commission doit pouvoir sur ces dossiers, comme sur tout sujet ne faisant pas l'objet d'un acte communautaire, voter une résolution à l'initiative d'un de ses membres -par exemple, pour que la France invoque une clause de sauvegarde ou qu'elle demande une initiative européenne. Cette résolution, valant mandat de négociation, pourrait comme au Danemark fixer le cadre que le ministre devra respecter, et les points dont l'acceptation ou le refus seront déterminants pour le vote de la France. A la suite du Conseil européen, le ministre viendrait rendre compte des négociations devant la même commission. D'autres questions se posent, comme le droit de lever l'impôt : actuellement un article de notre loi de finances fixe le montant de la contribution de la France au budget communautaire de l'année suivante -95 milliards en 1999- sans que nous ayons été associés à la préparation du budget européen : c'est un véritable chèque en blanc. Les commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat devraient être associées en amont à la définition du montant de la contribution française. Plus généralement, on pourrait, à côté du Parlement européen élu au suffrage universel direct, instituer un conseil européen où siégeraient de droit les députés membres des délégations à l'Union européenne des différents pays. Ce conseil examinerait en particulier les questions économiques et sociales et pourrait exercer un contrôle plus précis sur la Commission. Le Parlement européen pourrait décider de consulter les parlements nationaux sur tel ou tel problème précis. Enfin, s'agissant de la souveraineté, inaliénable, imprescriptible, indivisible, elle implique pour nous la valeur pérenne du compromis de Luxembourg et le droit pour tout pays de modifier souverainement ses choix antérieurs. Au niveau du Parlement, cela signifie que la loi postérieure à un traité doit être réputée conforme à ce traité, afin de permettre à la loi nationale d'introduire une exception à l'application du traité. Mais cette réforme comme le renforcement des droits du Parlement pour rééquilibrer ses pouvoirs face à l'exécutif, devrait faire l'objet d'une révision ultérieure globale. C'est pourquoi les députés communistes ne participeront pas au vote sur les nombreux amendements des différents groupes. Si les pouvoirs du Parlement méritent d'être sérieusement renforcés et imposent une vraie réforme constitutionnelle, faire entrer aujourd'hui des éléments incertains n'est pas à la hauteur des enjeux. Il n'y a qu'un amendement décisif sur le projet d'aujourd'hui, c'est celui affirmant que tout traité européen impliquant transfert de compétences sera soumis à référendum. Il conditionne le vote des députés communistes, qui voteraient le projet s'il était accepté. M. Jacques Myard - Très bien ! M. Georges Hage - Je voudrais, enfin, m'adresser à M. Vauzelle. En commission des affaires sociales, j'ai fait preuve d'une ironie un peu facile en demandant s'il n'y avait pas d'abandon de souveraineté lorsqu'il y avait transfert, délégation ou partage. On m'a opposé un arrêt de 1923 de la Cour de justice internationale où l'on peut lire : "Sans doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre, apporte une restriction à l'exercice des droits souverains de l'Etat, en ce sens qu'elle imprime à cet exercice une direction déterminée. Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat". On peut donc souverainement décider des abandons de souveraineté et n'en être pas moins souverain ! Je vois là un sophisme que Gribouille n'eût sans doute pas dénoncé ou encore un consentement subtilement délibéré qui ouvre une voie juridique privilégiée au fédéralisme. Certes il y a la subsidiarité, mais elle serait plus fiable si son objet était défini au niveau national. M. Vauzelle a dressé un panégyrique de la souveraineté nationale. Sa sincérité m'a touché sans me convaincre, car j'ai l'intime conviction du contraire. Enfin, j'entends dire ici ou là dans la majorité plurielle que raisonner comme je le fais, en étant sensible à la force de certains engagements gaulliens ou autres... M. Jacques Myard - Vous avez raison ! M. Georges Hage - ...serait une collusion avec la droite. M. Hervé de Charette - Quelle horreur ! M. Georges Hage - J'invite très fraternellement mes camarades de la gauche à méditer la parabole de la paille et de la poutre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) M. Jacques Myard - Bravo, compagnon ! M. Maurice Ligot - L'un des grands problèmes que pose aujourd'hui l'Europe, c'est le sentiment de moindre attachement pour ne pas dire de suspicion de l'opinion publique. On se souvient du résultat, tout juste positif, du référendum sur le traité de Maastricht, en 1992. Qu'en serait-il aujourd'hui, si on interrogeait le peuple par référendum ? Nous devons donc nous préoccuper sérieusement de la relation entre nos concitoyens et l'Europe que nous construisons. Le Parlement européen est lointain ; nos députés européens sont sans attache territoriale ; le Gouvernement négocie avec la Commission et au sein du conseil des ministres et du Conseil européen dans la discrétion, sinon le secret. Le Parlement français se sent peu concerné par les questions européennes : les délégations examinent beaucoup de textes, mais avec une efficacité presque nulle ; les résolutions que nous pouvons voter en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, outre qu'elles sont limitées aux seuls textes à caractère législatif, n'ont qu'une valeur d'avis. Quant aux traités européens, le Parlement ne peut que les ratifier sans changement. Bref, le Parlement n'a qu'un pouvoir très limité. Est-ce bien raisonnable, face à l'attente ou au scepticisme de l'opinion publique ? Il existe un véritable "déficit démocratique" de nos assemblées sur les questions européennes. Or je pense que plus le Parlement et notamment l'Assemblée nationale seront amenés à dire leur mot sur les affaires européennes, plus l'idée européenne sera favorablement accueillie. Il ne faut donc pas limiter la compétence administrative aux seuls textes à caractère législatif. De nombreux textes, documents ou rapports d'origine communautaire sont d'une grande importance politique, sans avoir un caractère législatif. La représentation nationale peut-elle les ignorer ? Peut-on continuer à lui interdire de les connaître ? On nous répond que l'assemblée peut être compétente, sur attribution du Gouvernement, donc de l'exécutif. N'est-ce pas reconnaître que, sur les affaires européennes, le législatif dépend de l'exécutif ? N'est-ce pas aussi le risque que l'exécutif ne veut pas être gêné, dans la conduite des affaires européennes, par les appréciations des parlementaires ? Est-ce acceptable ? Juridiquement peut-être ; mais politiquement, c'est dangereux, car cela éloigne encore l'opinion publique de l'Europe, faute de débats publics, là où ils doivent avoir lieu et non dans des cénacles non représentatifs, ou dans la rue. Bref, l'article 88-4 de la Constitution doit être étendu, pour permettre à l'Assemblée et au Sénat, de se prononcer librement, par résolution, sur tous les textes d'origine communautaire, sur proposition des délégations pour l'Union européenne. Deux éléments d'ordre juridique fondent cette proposition : d'abord, ce pouvoir parlementaire n'est que consultatif. Cet avis donné au Gouvernement est une indication pour la négociation mais peut être aussi un instrument de force dans les rapports entre Etats membres. M. Henri Plagnol - Très juste ! M. Maurice Ligot - Ensuite, le traité d'Amsterdam, dans les déclarations 13 et 14 annexées et dans le protocole 13 sur le rôle des parlements nationaux qui ont, grâce à la demande insistante de la France, une valeur juridique égale à une stipulation du traité, permet à la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires -COSAC- d'appeler l'attention des institutions de l'Union européenne sur un certain nombre de questions. On imagine mal que les questions, que les parlements nationaux pourront ainsi traiter en commun, ne puissent l'être directement par notre Parlement ! Avec ma proposition, les populations que nous représentons auront enfin le sentiment que nous, parlementaires, sommes associés au processus de prises de décisions européennes, à un moment où celles-ci concernent de plus en plus leur vie quotidienne. A trop vouloir brider le pouvoir d'action des assemblées sur les affaires européennes, on risque de renforcer l'incompréhension et le sentiment d'un "ras-le-bol" européen. En conclusion, la prérogative de l'exécutif en matière de négociation des traités est-elle encore justifiée, s'agissant des traités européens ? La politique communautaire peut-elle être encore considérée comme partie intégrante de la politique étrangère, alors qu'elle modifie profondément les règles internes françaises qui relèvent, en dernier ressort, de la compétence du législatif ? Peut-on admettre que le pouvoir du Parlement se limite à une ratification alors que la source de l'Europe réside dans les traités, lesquels relèvent de la compétence parlementaire ? On voit donc bien qu'il faudra savoir évoluer, pour ne pas se laisser déborder par deux mouvements, aussi dangereux l'un que l'autre : antiparlementaire et antieuropéen (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Guy Hascoet - Les Verts, mouvement auquel j'appartiens, sont profondément convaincus de la nécessité de construire l'Europe. M. Jacques Myard - Nous aussi. M. Guy Hascoet - Je l'espère bien. Pour expliquer notre position sur le présent projet, je voudrais revenir sur le débat auquel a donné lieu le traité de Maastricht. Après avoir entendu le Président de la Commission européenne de l'époque, M. Delors, notre mouvement a procédé à un vote interne dont le résultat fut exactement 50-50. Autrement dit, alors que nous sommes tous favorables à la construction européenne, nous nous sommes divisés sur l'attitude à tenir sur ce traité. Certains craignaient que son acceptation, dans sa dimension strictement monétaire et financière, n'entrave la construction qualitative de l'Europe dans la durée. D'autres, dont j'étais, pensaient que, malgré tout, une mauvaise copie était tout de même un acte politique susceptible d'accélérer les étapes suivantes. Les années ont passé. Nous avons toujours cette envie d'Europe et nous espérions que les étapes ultérieures contrediraient l'opinion des plus sceptiques d'entre nous. Or le traité d'Amsterdam ne répond pas à cette attente. Entre temps, nous avons voté sur l'euro et mes six collègues présents ici ont voté oui. De même, parce que nous sommes des Européens convaincus, nous ne voterons pas contre l'adaptation de notre Constitution au principe du transfert de souveraineté, et nous ne voterons pas la ratification du traité d'Amsterdam. Pour ce qui est du rythme de la construction européenne, il est lent et compliqué. Je crois profondément que les citoyens sont aujourd'hui saisis d'un doute sur la nature de cette construction politique ou plutôt des pouvoirs qui la dirigent. Le temps est venu d'une initiative politique forte posant la question de la légitimité de ces pouvoirs. Bien sûr, quand l'Europe propose une directive sur la protection des oiseaux migrateurs, l'opinion y est favorable à 86 %. Mais quand on signe la directive sur le rail parce qu'il faut bien avancer et que l'on s'aperçoit ensuite que cela pourrait être l'arrêt de mort du service public voyageur, n'est-il pas légitime de se demander où l'on va et qui décide vraiment ? Le calendrier semble propice à des débats de qualité, afin de définir l'Europe que nous voulons. Il faudra alors dire si l'on est prêt à prendre le risque de transferts de souveraineté vers un pouvoir qui manque de légitimité populaire ou qui est prêt à remettre en cause des acquis. Je comprends mal ce que M. Madelin veut dire quand il parle d'affirmation de l'individu. Pour moi, il doit y avoir une société politique organisée, capable de faire jouer des solidarités et de bâtir une politique. Or, faute des outils nécessaires, nous risquons de mettre en péril la plus belle construction politique de notre époque. On ne peut à la fois se plaindre du déficit démocratique de l'Europe et vouloir freiner la construction européenne au motif qu'elle affaiblirait le pouvoir des nations. Il faut en finir avec cette attitude schizophrène afin de montrer aux citoyens que nous avançons en maîtrisant les choses (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV). Mme Nicole Ameline - Même si le traité reporte son principal objet -la réforme des institutions européennes- à une date ultérieure, il n'en marquera pas moins une importante étape de la construction européenne. Pour fragmentaires qu'elles soient, ses dispositions essentielles prévoient, en effet, un renforcement des mécanismes institutionnels par le biais notamment de processus de décision nouveaux. On peut toutefois se demander si ce qui fonctionne mal à 15, fonctionnera mieux à 20 ou à 25... Quelle sera donc l'architecture de cette Europe de demain ? Avant d'intervenir sur les procédures et les compétences, mieux aurait valu s'interroger, comme l'a fait Alain Madelin, sur notre vision de l'Europe du XXIème siècle qui seule doit en déterminer l'organisation et le fonctionnement. Sera-ce l'Europe du monolithisme ou celle de la décentralisation ? Celle des marchés ou celle des peuples ? Celle de la technocratie ou celle de l'innovation, de la responsabilité, des libertés ? Ce qui est en train, c'est qu'on ne peut rêver d'une Europe forte dotée d'institutions faibles. Dès lors qu'elle n'a pas de structures fédérales, reposant sur une définition très stricte des compétences, le principe de subsidiarité doit jouer pleinement. Je regrette que cette question ne soit qu'évoquée dans ce texte. Par ailleurs, les progrès de l'Europe sont indissociables d'un renforcement de la démocratie. L'Europe doit commencer à Paris. Certes la base juridique relative au rôle des parlements nationaux existe, mais sa portée est trop faible. Quant à nous, nous n'avons pas encore intégré la dimension européenne dans notre ordre institutionnel. Je comprends donc mal pourquoi, alors que vous acceptez le principe d'une réforme, Madame la Garde des Sceaux, vous ne jugez pas le moment opportun. En 1992, c'est bien la discussion parlementaire qui avait permis d'enrichir le texte et débouché sur l'article 88-4. Cette fois, l'augmentation des pouvoirs du Parlement ne compromettrait pas les grands équilibres institutionnels. Comment renforcer l'idée européenne dans l'opinion si les représentants de la nation ne peuvent s'impliquer davantage dans toutes les matières communautaires. Certaines, tel l'Agenda 2000, ne lui étant même pas soumises pour avis ? Un Parlement moderne s'adapte aux évolutions des moeurs. Nous avons rendez-vous avec un siècle nouveau, une Europe élargie. Comment nous accrocherions-nous à une vision passéiste de nos institutions ? Pourquoi un tel immobilisme de la part du Gouvernement socialiste ? Pourquoi aurions-nous peur d'une banalisation des questions européennes dans notre assemblée ? L'usage de l'article 88-4 n'a-t-il pas été utile jusqu'ici au Gouvernement ? Alors que d'autres pays sont bien plus audacieux, le rôle de notre Parlement demeure consultatif. L'élargissement de son rôle est autant une condition d'une plus grande adhésion des parlementaires et des citoyens à la construction de l'Europe que la garantie de disposer d'un poids accru dans la définition et la défense de nos intérêts nationaux en Europe. Que l'on ne s'y trompe pas : sur les questions de sécurité-défense, la future saisine du Parlement, pour importante qu'elle soit, sera probablement fort rare. Dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, les questions essentielles -asile, immigration, franchissement des frontières, visas- seront immédiatement intégrées au premier pilier et obéiront de ce fait, dès la ratification du traité, aux procédures actuelles. C'est donc une extension a minima qui nous est proposée, qui ne répond pas aux défis actuels surtout au moment où se pose, chez nous, la question de la revalorisation du rôle du Parlement. M. Jacques Myard - Ce n'est pas demain la veille... M. Nicole Ameline - Je défendrai un amendement visant à élargir au profit du Parlement la possibilité de voter des résolutions sur l'ensemble des actes émanant des institutions européennes. L'Europe se construira sur la démocratie. Si le traité d'Amsterdam est une négociation inachevée, il en va de même de notre réflexion sur l'intégration et l'enjeu européen dans notre vie parlementaire et démocratique. Or les deux sont indissociables et si la conduite de la politique européenne reste de la compétence naturelle de l'exécutif, rien ne saurait remplacer une vision partagée entre le Gouvernement et la représentation nationale et constructive sur les grands choix européens (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Alain Barrau - Est-il raisonnable à ce stade, comme se l'est demandé M. Hage, de se concentrer uniquement sur l'article 88-2 ou bien faut-il, comme le suggèrent certains collègues débattre aussi des pouvoirs du Parlement dans le cadre de l'article 88-4 ? M. Jacques Myard - Oui ! M. Alain Barrau - L'important est pour moi que nous respections certaines étapes : d'abord la révision constitutionnelle, ensuite la ratification du traité. M. de Charette a fort bien montré sur le plan juridique combien l'amendement du RPR sur la double détente à cinq ans était en contradiction avec la ratification. Un traité sera soumis à ratification. Il a été signé par le Gouvernement et par le Président de la République, il prévoit un dispositif à deux temps. Si l'on n'est pas d'accord, il faut voter en son temps contre la ratification. Et si l'on pense qu'il peut y avoir une modification importante en raison du passage à la majorité qualifiée, il faudra le dire aussi au moment de la ratification. Pouvons-nous aujourd'hui étendre les pouvoirs des parlements nationaux ? On a reproché au Gouvernement de prétendre vouloir renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement et de ne pas proposer de réforme de l'article 88-4. Mais il appartient au Parlement de manifester lui-même sa volonté de se prononcer comme il le fait déjà dans le cadre de la délégation à l'Union européenne, dont le président a déposé un amendement dont la portée a, semble-t-il, échappé à M. André qui aussi sous-estime le travail accompli au sein de la délégation. La discussion nous donne l'occasion de montrer que si l'Europe n'est pas à un tournant en matière de contrôle démocratique, l'évolution n'en est pas moins importante. Or un des aspects positifs du traité d'Amsterdam est justement l'accroissement des pouvoirs du Parlement européen, point sur lequel nous insisterons tous dans quelques mois pour mobiliser les citoyens à l'occasion des élections européennes. Nous pouvons parallèlement renforcer les pouvoirs de notre Parlement. Cela démontrera que les deux institutions ne sont pas concurrentes et qu'elles peuvent même travailler en commun de manière efficace comme l'illustre d'ailleurs la COSAC. Doit-on considérer comme M. de Villiers que cela n'a aucune importance ? Je ne le crois pas. M. Ligot et moi-même étions hier à la COSAC de Vienne où j'ai présenté le texte que nous avons adopté pour recommander une réorientation de la politique européenne en matière d'emploi. Le président du Conseil en exercice avait auparavant indiqué comment la présidence autrichienne entendait conduire le prochain sommet en ce sens. Ce n'est tout de même pas négligeable. La question est aujourd'hui de savoir quelle Europe nous voulons. M. Jacques Myard - Pas celle-là ! M. Alain Barrau - Nous ne voulons pas, et voilà déjà un point qui nous rassemble, d'une simple zone de libre-échange généralisé. Il existe un modèle social et culturel européen et un génie européen composé des génies nationaux complémentaires qu'il nous faut préserver. Après Amsterdam, nous avons commencé à réorienter la construction européenne. L'Europe ne doit plus être seulement un marché unique appuyé sur une monnaie unique. Elle doit constituer un instrument décisif pour promouvoir la croissance et lutter contre le chômage. Il faut également qu'elle comporte une dimension culturelle et environnementale. Cela implique que les opinions publiques soient davantage prises en compte ce que permet le traité d'Amsterdam. L'équilibre entre un article 88-2 précisé et un article 88-4 renforcé me semble donc un pas important dans la construction européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Pierre Lellouche - Je veux vous dire, Madame la ministre, ma déception quant à l'attitude du Gouvernement vis-à-vis de nos amendements. Vous souhaitez avancer en direction d'une Europe économique, politique et sociale. Nous approuvons cette démarche. Vous avez signé le traité d'Amsterdam négocié par le Président de la République. Nous nous en sommes réjouis. Vous réclamez une Europe plus démocratique. Nous partageons cette préoccupation. Alors pourquoi aujourd'hui tant de frilosité ? Pourquoi ne pas profiter de cette révision constitutionnelle pour, au-delà de la "technique minimaliste" que vous avez évoquée, associer davantage le peuple français à la construction européenne ? L'Europe ne doit pas être une affaire idéologique, l'enjeu d'un affrontement droite-gauche. Ce qui importe, et c'est l'objet de nos amendements, c'est de faire en sorte qu'en construisant l'Europe, nous ne perdions pas le peuple français. C'est pourquoi j'espérais de votre part quelques pas dans notre direction. Le premier de nos amendements propose d'élargir la saisine des délégations à l'ensemble des actes communautaires. Il est, en effet, anormal qu'elles puissent discuter de sujets anodins comme l'importation des fleurs coupées et non de l'Agenda 2000 et de l'avenir des fonds structurels. Cela résulte de la distinction issue, dans notre droit interne, des articles 34 et 37 de la Constitution. Celle-ci est toutefois inopérante en droit européen. J'ajoute que nous évoquons une compétence parlementaire consultative et non normative. Nous voulons donc simplement que le Parlement puisse débattre des grandes questions concernant la construction européenne. J'avoue ne pas comprendre en quoi cela gênerait l'exécutif ou modifierait les grands équilibres de notre Constitution... Je comprends d'autant moins votre position qu'un tel dispositif permettrait davantage de transparence et renforcerait votre position dans les négociations avec nos partenaires. En ce qui concerne la veille constitutionnelle, il est évident que l'Europe se développant dans le domaine des libertés publiques, les milliers de textes de droit dérivé qu'elle produit vont inévitablement toucher les principes fondamentaux de notre droit. Allons-nous attendre de saisir la Cour de justice ? Nous proposons plutôt, à l'occasion de la saisine des délégations, un système fort modeste de saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre et les Présidents des assemblées. Il s'agit là d'une précaution juridique élémentaire. Là encore, je ne comprends pas que vous ne nous suiviez pas. Enfin, nous avons un vrai désaccord sur l'affaire des cinq ans. Vous nous dites, comme M. de Charette -qui est tellement sur votre ligne que j'ai envie de l'appeler "super-Guigou"-, que la ratification se fait maintenant et qu'elle s'étend, au-delà du seul traité, au deuxième temps que constitue le passage à la communautarisation de la gestion de l'immigration. Je constate d'ailleurs que Mme Guigou et M. de Charette d'un côté, M. de Villiers et les communistes de l'autre, partagent la même analyse juridique sur ce point en en tirant des conséquences opposées. Nous pensons que cette analyse est infondée. Le traité d'Amsterdam n'est pas celui de Maastricht qui conduisait de manière automatique à travers les phases successives à la monnaie unique. Il nous propose au contraire un mécanisme qui est véritablement en deux temps, sans aucune automaticité. Le passage à la communautarisation n'est en effet qu'éventuel et repose sur un accord politique dont nous ne connaissons aujourd'hui ni le contenu ni même les partenaires puisqu'il sera peut-être réalisé à vingt. Comment alors refuser la consultation du peuple ? Comment prétendre que l'exécutif serait seul détenteur de la souveraineté nationale et que l'intervention du Parlement par le vote d'une loi serait contraire à la Constitution ? Comment, enfin, considérer que la révision constitutionnelle votée aujourd'hui pourrait constituer un chèque en blanc à l'exécutif pour la négociation d'un accord dont nous ignorons tout ? La décision de passage à la communautarisation ne relève pas du droit dérivé. C'est une décision politique sur laquelle le Gouvernement ne peut pas ne pas consulter le Parlement. C'est la logique même. Il lui faudra d'ailleurs bien venir devant le Parlement pour modifier les lois existantes, telle la loi Chevènement, devenues incompatibles avec les nouvelles directives européennes. Notre position ne conduit nullement à réécrire le traité qui n'interdit pas de consulter les parlements nationaux lors du passage à la seconde phase. Nous ne demandons pas non plus une seconde ratification ultérieure, contrairement à ce que nous ont dit d'un même élan Mme Guigou et M. de Charette. Il s'agit tout simplement de satisfaire aux exigences de la démocratie et même du simple bon sens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). M. Claude Billard - Ce projet de loi vise à inscrire dans notre Constitution la possibilité de concéder des parts de notre souveraineté afin de la rendre compatible avec le traité d'Amsterdam. Signé en juillet 1997, celui-ci doit être ratifié par les parlements nationaux pour entrer en vigueur. Cette ratification doit être précédée d'une révision de la Constitution puisque le Conseil constitutionnel a relevé que le traité conférait des compétences nouvelles à la Communauté européenne en matière de "visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes". Pendant un délai de cinq ans, c'est à l'unanimité des Etats membres que des décisions concernant ces domaines seraient prises. Le Conseil européen pourrait ensuite décider le passage à une procédure de codécision et de majorité qualifiée. Accepter cela, c'est accepter que notre pays ne puisse pas dire "non" à des décisions contraires à ses intérêts. En mettant en conformité notre Constitution avec les dispositions du traité d'Amsterdam, le texte qui nous est soumis revient en fait à inscrire le traité dans la Constitution. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons l'accepter. Nous ne sommes pas opposés par principe à tout partage de souveraineté, mais nous considérons qu'on ne saurait y procéder sans référendum. De nombreuses voix se sont élevées, dans la majorité pour déplorer que le traité d'Amsterdam soit imprégné de l'idéologie libérale qui régnait sans partage en Europe il y a quelques mois. Pourquoi ne pas saisir l'opportunité de la nouvelle donne politique, qui s'est clairement manifestée lors du conseil européen de Pörtschach ? Le nouveau contexte issu des récentes élections en Allemagne devrait conduire à des initiatives franco-allemandes pour réorienter la construction européenne dans un sens progressiste, oeuvrer en faveur d'une renégociation du traité d'Amsterdam permettant de réelles avancées vers une Europe plus respectueuse des droits des citoyens et de la démocratie. Ce sont ces exigences que viennent d'exprimer les récentes luttes des cheminots dans différents pays européens. En prenant appui sur les aspirations des peuples, on peut faire l'Europe sans défaire la France. Il est possible de conjuguer construction européenne et progrès social. Nous voulons une Europe qui contribue efficacement à relever les défis du chômage et de l'exclusion, une Europe qui, dans un monde marqué par la guerre économique, fasse prévaloir des rapports de solidarité et de codéveloppement. Une Europe sociale suppose un contrepoids politique à la Banque centrale, une taxation des capitaux financiers, une harmonisation vers le haut des législations sociales, la défense et la promotion des services publics. Nous voulons aussi une Europe démocratique, reconnaissant des droits nouveaux aux citoyens. Enfin, nous voulons une Europe solidaire, notamment avec ses partenaires de l'Europe centrale et orientale ; une Europe de paix, substituant à la logique militaire de l'OTAN une nouvelle organisation de la sécurité en Europe ; une Europe définissant avec le Sud d'autres relations que celle de la guerre économique. On reproche souvent à la construction européenne de se faire loin des citoyens et en dehors d'eux. Or il n'y aura pas véritable construction européenne si les citoyens n'en sont pas véritablement acteurs. Pour nous, la notion de souveraineté nationale est indissociable de celle de souveraineté populaire. C'est la raison pour laquelle nous considérons que tout traité supposant un transfert ou un abandon de souveraineté doit être soumis au peuple par référendum (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). M. Georges Sarre - Nous sommes conviés à nouveau à modifier notre loi fondamentale, sous la pression de la construction communautaire. A force d'adapter ce texte à toutes les circonstances, le risque est grand qu'il ne devienne un texte de circonstance, un assemblage hétéroclite de dispositions. J'attends avec intérêt la prochaine proposition de modification de la Constitution, préconisée par M. de Charette. "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum". Mais à force de transférer à Bruxelles des pouvoirs de décision, quelle souveraineté va-t-on laisser au peuple ? De quels choix politiques peut-il réellement décider ? Le Conseil constitutionnel, jusqu'à une décision de 1986, distinguait entre limitation de souveraineté -possible- et transfert de souveraineté -impossible. Mais depuis, il a abandonné cette distinction. Depuis l'Acte unique, le nec plus ultra de la construction européenne est la "communautarisation" des décisions : le monopole de l'initiative est laissé à la Commission, et l'on prévoit un vote du Conseil à la majorité qualifiée. Le Conseil constitutionnel, dans son avis du 31 décembre dernier, a jugé que la "communautarisation" de la politique de l'immigration, des visas et de l'asile portait atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. N'est-il pas paradoxal d'adapter notre Constitution à un traité, quand le bon sens aurait voulu que ce fût l'inverse ? De deux choses l'une : soit cette réforme autorise des transferts de souveraineté à un organe souverain, et alors nous sommes dans un processus fédéral, ce que nous refusons ; soit elle autorise des transferts réversibles de compétences, et alors le peuple ou ses représentants peuvent toujours revenir dessus. Tel est le sens d'un amendement déposé par les députés du Mouvement des citoyens. Quelques mots, pour conclure, sur la procédure de révision. L'esprit comme la lettre de l'article 89 de la Constitution exigent que la révision soit soumise au détenteur du pouvoir constituant, le peuple. La décision appartient certes au Président de la République ; mais les enjeux justifient un vaste débat dans le pays. Celui-ci n'a pas eu lieu, car personne n'a lu le traité, personne n'en parle. M. Philippe de Villiers - Très bien ! M. Georges Sarre - D'aucuns affirment que le traité d'Amsterdam ne mérite pas un référendum parce qu'il n'apporterait aucun changement important. Or il entérine le transfert de notre politique d'immigration, d'asile, la négociation d'accords internationaux dans le domaine des services et de la propriété intellectuelle. Excusez du peu ! Enfin, la réforme constitutionnelle entérine la subordination de notre ordre constitutionnel à un ordre juridique étranger : c'est une première ! Le protocole d'Amsterdam sur la subsidiarité consacre, en effet, totalement la suprématie des décisions de la Cour de justice de Luxembourg vis-à-vis de nos règlements, de nos lois et même, là est la nouveauté, de notre Constitution. Les députés du Mouvement des citoyens n'acceptent pas une telle limitation de notre référence constitutionnelle. La nation française existe depuis longtemps, et ce n'est certes pas un mauvais traité qui pourra la faire disparaître. Il n'empêche : on ne joue pas impunément avec les valeurs inscrites dans notre Constitution. Nous sommes favorables à une Europe des peuples, à une Europe de nations souveraines associées dans des projets communs. Voilà le sens que nous souhaitons donner à la réorientation de la construction européenne, la seule que les Français peuvent comprendre et accepter. A ceux qui en doutent, je dis : chiche ! En attendant nous voterons contre la réforme de la Constitution. MM. François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Lionnel Luca, Jacques Myard, Philippe de Villiers, Claude Billard - Très bien ! Mme Nicole Bricq - Le paradoxe veut que le traité d'Amsterdam, négocié par l'ancienne majorité, donne aujourd'hui l'occasion à la nouvelle opposition, ou du moins au RPR, de déposer trois amendements pour limiter l'application de ce traité. Je ne mets pas en cause la sincérité de nos collègues, mais ces amendements ne doivent pas servir de camouflage à ceux qui veulent défendre leur idée de l'Europe sans assumer leur position anti-européenne, ou se livrer à une opération tactique en vue des prochaines élections européennes. Depuis la ratification du traité de Maastricht, les europhobes se sont transformés en euros-sceptiques, car le sentiment pro-européen n'a cessé de grandir. En votant en avril dernier la résolution sur l'euro, nous avons accompli un acte politique majeur : 290 millions d'Européens ont décidé d'unir leur destin monétaire pour mieux exercer leur souveraineté. Aujourd'hui existe l'espoir de faire de l'Europe, espace de paix et de liberté, un espace de prospérité économique et de progrès social, et pour finir une véritable puissance politique. La première grève européenne témoigne de cette dimension nouvelle. De plus, le sondage réalisé par le ministère des affaires européennes montre que ce sont les catégories les plus réticentes à la construction européenne qui basculent dans la confiance : femmes, employés, salariés du privé. Aussi les parlementaires ne peuvent-ils se réfugier dans une bulle coupée de la réalité. Le traité d'Amsterdam est une modeste étape sur le chemin de la construction politique de l'Europe. Sans doute manque-t-il d'ambition et ne fait-il pas progresser la réforme des institutions européennes. Cependant il renforce les pouvoirs du Parlement européen, dont la critique est mal venue de la part de ceux qui ont refusé naguère une réforme de son mode d'élection destinée à rapprocher les électeurs des élus. M. Alain Barrau - Très bien ! Mme Nicole Bricq - Le traité, dit-on, porterait atteinte à notre souveraineté nationale sur la libre circulation des personnes. Or nous savons bien que les frontières seront poreuses tant que l'Europe constituera un hâvre de paix et un rêve économique et social pour des populations moins favorisées. Il y a beaucoup de mauvaise foi à prétendre que les transferts de compétences signeraient la fin des nations. Ces transferts obligent les Etats à reconsidérer leur rôle, mais l'Etat n'est pas la nation. L'Etat peut renoncer souverainement à certaines de ses prérogatives. Sans doute peut-on poser des conditions aux transferts, mais prenez garde de ne pas vous payer de mots en multipliant des dispositions de contrôle au profit du Parlement national sous prétexte de rééquilibrer son pouvoir face à l'exécutif. M. Hervé de Charette - Vous avez raison ! Mme Nicole Bricq - Il existe chez nous d'autres occasions de rééquilibrage et de mobilisation de la vie politique que vous ne voulez pas saisir. M. Hervé de Charette - Ne mélangez pas les sujets. Mme Nicole Bricq - Nous préférons nous battre pour que l'Europe progresse économiquement, socialement et politiquement, plutôt que de mener des combats illusoires et d'arrière-garde, même si cela comporte une part de risque. C'est pourquoi nous voterons le projet sans complexe ni état d'âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce mercredi 25 novembre, à 15 heures. La séance est levée à 1 heure 5. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |