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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 44ème jour de séance, 113ème séance 1ère SÉANCE DU MERCREDI 9 DÉCEMBRE 1998 PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS SOMMAIRE : QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT (suite) 3 PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 3 FUSIONS DANS L'AÉRONAUTIQUE 5 PROGRAMME TRIENNAL DE STABILITÉ 6 ZONES D'ÉDUCATION PRIORITAIRE 6 ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS RADIOACTIFS 7 COUR PÉNALE INTERNATIONALE 8 LUTTE CONTRE LES DÉRIVES DES SECTES 8 INTERVENTION DE MAGISTRATS FRANÇAIS AU GABON 9 APPLICATION DE LA LOI CONTRE LES EXCLUSIONS 9 PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ (suite) 10 ACCÈS AU DROIT -deuxième lecture- (procédure d'examen simplifiée) 17 CONVENTION FISCALE FRANCE-RUSSIE ; ACCORD SUR LES INVESTISSEMENTS FRANCE-TUNISIE ; ACCORD DE COOPÉRATION FRANCE-NAMIBIE ; CONVENTION FISCALE FRANCE-NAMIBIE (procédure d'examen simplifié) 25 VALIDATION LÉGISLATIVE DES ACTES DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (procédure d'examen simplifiée) 26 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. Jean-Pierre Michel - Monsieur le ministre des transports, ma question concerne la modernisation de la RN 19 qui traverse, notamment, le département de la Haute-Saône... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. le Président - Laissez M. Jean-Pierre Michel poser cette question d'intérêt... national (Sourires). M. Jean-Pierre Michel - Sans revenir sur les promesses du gouvernement précédent (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), je voudrais rappeler que le but était d'achever la mise en voie expresse de l'axe Nantes-Mulhouse, de désenclaver la Haute-Saône, de compenser la suppression des régiments de Lure et de Montbéliard et surtout d'améliorer la sécurité des usagers de cette route où l'on ne compte plus les accidents mortels. Le Gouvernement doit maintenant disposer des conclusions des études auxquelles il a fait procéder et vous devez donc être en mesure, Monsieur le ministre, d'apprécier les coûts comparés d'une autoroute ou d'une mise à deux fois deux voies entre Langres et Belfort. Cette deuxième solution est appuyée par un certain nombre d'élus de la région mais il semblerait que le prochain contrat de plan entre l'Etat et la région Franche-Comté ne permette pas de réunir les financements nécessaires à cette transformation. Le Gouvernement est-il prêt à un engagement budgétaire exceptionnel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV) M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Si M. le Président de l'Assemblée a marqué l'intérêt national de cette question, la liaison entre Langres et Belfort n'est pas inscrite au schéma directeur national. La solution consistant à la réaliser sous forme d'autoroute concédée, annoncée un peu hâtivement par la majorité précédente, fait d'ores et déjà apparaître, dans le nouveau contexte européen, une subvention d'équilibre très élevée à la charge des collectivités territoriales et de l'Etat. Des études approfondies ont été engagées sur les différentes solutions. Elles devraient être achevées à la fin de l'année. Il semblerait qu'un aménagement de l'itinéraire existant soit la solution la plus adaptée au désenclavement de cette région. Le premier semestre 1999, au cours duquel seront discutés les schémas de service, permettra de trancher définitivement la question. En même temps se déroulera la négociation des contrats de plan, ce qui assurera une vue globale de la programmation des opérations routières en Franche-Comté (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste). M. Guy Hermier - Madame la ministre de l'emploi, les chômeurs se font à nouveau entendre. Ils étaient 20 000 la semaine dernière dans les rues de Marseille. Demain, ils manifesteront nombreux à Paris, à l'appel des organisations de chômeurs. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est du travail. C'est pourquoi nous avons soutenu les mesures du Gouvernement qui ont permis un premier reflux du chômage ainsi que la loi contre l'exclusion. Mais force est de constater que des centaines de milliers de chômeurs, de Rmistes et de sans-droits continuent de vivre dans des conditions insupportables. Nombre d'entre eux et leurs organisations ont choisi de refuser l'intolérable plutôt que de s'y résigner. Nous partageons ce choix. Surtout, Madame la ministre, que le Gouvernement ne joue pas la montre et n'espère pas étouffer le mouvement des chômeurs par un recours à la force et des violences policières comme celles de lundi dernier à Marseille ! Ce serait une faute politique grave. Les chômeurs ne comprennent pas pourquoi les allocations exceptionnelles qui ont pu être accordées l'an dernier ne pourraient l'être cette année. Nous vous demandons donc de répondre sans attendre à leur légitime attente, comme nous continuons à demander un relèvement significatif des minima sociaux. Quand les "sans" -sans emploi, sans logement, sans papiers, sans droits- frappent à la porte de notre société, c'est un devoir pour la gauche de les entendre et de répondre à leur appel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Croyez bien que le Gouvernement entend et comprend les chômeurs, même quand ils s'expriment rudement. Il est conscient que beaucoup d'entre eux sont au bord de l'exclusion, cumulent des difficultés financières, familiales et de santé, ont le sentiment d'avoir perdu leur dignité. Le Gouvernement a donc fait de la lutte contre le chômage la priorité numéro 1. La relance et la croissance, les emplois-jeunes et la réduction de la durée du travail commencent à porter leurs fruits (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) mais même si le chômage baisse, il reste des gens au bord de la route. Depuis le vote de la loi contre les exclusions, tout a été mis en place pour que la voix des chômeurs soit entendue. Nous recevons les organisations syndicales et les associations de chômeurs, lesquelles sont représentées dans les comités de liaison de l'ANPE. La quasi-totalité des textes d'application de la loi contre les exclusions est parue. Déjà 10 000 jeunes s'inscrivent dans le programme TRACE ; 60 000 chômeurs de longue durée ont été reçus pour un nouveau départ vers l'emploi et la qualification, ils seront 800 000 l'an prochain. Nous travaillons actuellement sur trois dossiers majeurs. La précarité, d'abord : je négocie cette semaine avec les organisations syndicales et patronales en vue d'augmenter l'indemnisation des chômeurs. Les mesures d'urgence, ensuite : presque toutes les commissions d'action sociale d'urgence sont installées et il y a de l'argent, dans les Bouches-du-Rhône comme ailleurs. Enfin, je travaille avec le Premier ministre sur la revalorisation des minima sociaux qui doit avoir lieu en fin d'année. Le Gouvernement a pris ses responsabilités. Il convient maintenant que les collectivités locales (Murmures sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) -conseils régionaux, généraux et communes- nous aident à faire appliquer la loi contre les exclusions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). POSTES D'INFIRMIÈRES À L'EDUCATION NATIONALE M. Bernard Birsinger - En faisant de l'enfant un individu à part entière, la Convention internationale des droits de l'enfant est venue compléter la Déclaration universelle des droits de l'homme dont nous célébrons le cinquantenaire. Promouvoir les droits des enfants, c'est aussi encourager leur participation à la vie publique. Le 19 novembre dernier, nous avons discuté de deux propositions de loi allant dans ce sens, l'une qui tend à instituer un médiateur pour les enfants, l'autre à interdire les achats de matériel scolaire fabriqué par des enfants. Cette dernière avait été choisie par le Parlement des enfants de cette année. L'adoption de ces textes prouve que l'Assemblée nationale prend au sérieux la parole des enfants. Mais nous n'avons pas encore discuté de la proposition de loi retenue par le Parlement des enfants en 1997 qui tend à ce que chaque groupe scolaire dispose d'une infirmière. Il y a pourtant urgence tant ce secteur de la santé à l'école est sinistré. Mme Royal a elle-même reconnu que le nombre de postes était insuffisant. D'où mes questions : quand la proposition de loi retenue par les enfants sera-t-elle examinée ? Et profiterons-nous de l'examen en deuxième lecture du projet de loi de finances pour créer plus de postes d'infirmières dans les écoles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire - Le rôle des infirmières dans les établissements scolaires est essentiel et le Parlement des enfants ne s'y est pas trompé, en retenant une proposition de loi tendant à ce qu'il y en ait une dans chaque établissement. Conscient de ce rôle, le Gouvernement a entamé un effort de rattrapage, avec 600 créations de postes médico-sociaux au budget de 1998 et 400 autres au budget de 1999, soit autant en deux ans que pendant les cinq années précédentes. Cet effort s'inscrit dans celui, plus global, en faveur de la santé scolaire : renforcement de l'éducation à la santé, mise en place de comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, création d'un fonds social pour les cantines, ou encore augmentation des fonds sociaux collégiens et lycéens. Le Gouvernement vous rejoint en effet pour considérer le droit à la santé comme un droit fondamental de l'enfant et de l'adolescent et une condition première de réussite scolaire. Il veillera donc, en relation avec les groupes parlementaires et la Présidence de l'Assemblée, à ce que les propositions du Parlement des enfants soient inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE ÉTRANGÈRE M. le Président - Je suis heureux de souhaiter, en votre nom, la bienvenue à une délégation parlementaire de l'Assemblée nationale de la République socialiste du Vietnam, conduite par M. Do Quoc Sam (Mmes et MM. les parlementaires et membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent). PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE RELATIF À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES M. José Rossi - La semaine prochaine, Monsieur le Premier ministre, l'Assemblée sera appelée à examiner un projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. La femme... la France, veux-je dire (Rires et applaudissements), connaît en effet un grave retard pour ce qui est de la participation des femmes à la vie politique, et plus généralement à la vie publique. Cette situation, pour vous comme pour nous, n'est pas acceptable. Elle nuit à l'image et à la qualité de notre démocratie. Le groupe Démocratie Libérale ne peut que souscrire à la volonté de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques, et d'assurer une juste représentation des femmes dans tous les domaines de la vie civique et sociale. Nous accompagnerons donc évidemment ce mouvement, bien que nous ayons des réserves juridiques à exprimer sur la voie que vous avez choisie. Ces réserves sont d'ailleurs partagées hors de l'Assemblée, notamment par les juristes les plus éminents, et je pense à la récente intervention dans la presse du doyen Vedel. Toutefois, avant de prendre position sur votre projet de loi, nous souhaitons qu'au préalable vous leviez toute incertitude sur vos objectifs réels. En effet des rumeurs font état d'une volonté du Gouvernement de changer, ou de poursuivre le changement des modes de scrutin, notamment pour les élections législatives. Après l'adoption éventuelle d'un projet de loi constitutionnelle sur la parité, la nouvelle exigence constitutionnelle apparaîtra plus facile à mettre en oeuvre dans le cadre du scrutin de liste, et plus difficilement compatible avec le scrutin majoritaire. Or, de même que le Président de la République a récemment souligné qu'un mode de scrutin devait exclure toute manoeuvre et toute arrière-pensée politicienne (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), de même nous souhaitons que le Gouvernement ne fasse pas de ce projet l'antichambre d'un mode de scrutin destiné à ne favoriser qu'une partie de cette assemblée. Nous avons déjà interrogé sur ce point le Gouvernement, en particulier le ministre de l'intérieur, et vous-même, Monsieur le Premier ministre, mais vous avez choisi à ce jour de ne pas répondre. Nous demandons donc à nouveau, solennellement, qu'on nous éclaire sur les conséquences concrètes qu'entend tirer le Gouvernement de ce nouveau principe d'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives, sur lequel nous avons une position ouverte et favorable, mais en souhaitant des informations plus précises pour pouvoir nous déterminer les yeux ouverts (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). M. Lionel Jospin, Premier ministre - Le lapsus par lequel vous avez commencé votre propos me paraît de bon augure pour l'ouverture de ce débat (Sourires). Identifier la France aux femmes est un point jusqu'où le Gouvernement ne veut pas aller : il se contenterait de faire en sorte qu'elles aient leur juste place (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Dans cette affaire le Gouvernement a un objectif, une pensée : il n'a pas d'arrière-pensée. Au coeur de la démarche de modernisation de la vie publique que nous avons engagée, figure la volonté d'avancer vers l'objectif de la parité. Bien sûr la volonté des partis politiques peut y conduire. Ainsi, aux élections législatives, la formation à laquelle j'appartiens a réservé 30 % des circonscriptions à des femmes. Et si le nombre des femmes présentes à l'Assemblée, encore très insuffisant, a connu une forte augmentation, c'est pour beaucoup grâce aux formations politiques de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Cependant, si cette volonté des formations politiques est défaillante, nous n'avancerons pas assez vite, surtout si le texte constitutionnel semble y faire obstacle. C'est pourquoi, dès ma déclaration de politique générale, j'ai annoncé une révision de la Constitution pour y inscrire cet objectif de parité entre hommes et femmes. Cet engagement, que j'ai confirmé le 8 mars lors de la journée internationale des femmes, a été accepté par le Président de la République, même s'il a préféré parler d'égalité plutôt que de parité -formule plus claire et plus novatrice. (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Nous nous sommes entendus sur un texte, adopté par le Conseil des ministres du 17 juin. Ce texte, dans la rédaction aujourd'hui retenue par votre commission des lois, tend à modifier l'article 3 de la Constitution par cette affirmation : la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions. C'est donc une réforme essentielle de notre vie démocratique, cinquante ans après le droit de vote des femmes... M. Jacques Myard - De Gaulle ! M. le Premier ministre - De Gaulle, oui, et les formations de gauche réunies dans l'esprit du Conseil national de la Résistance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Plusieurs députés RPR - De Gaulle ! M. le Premier ministre - De Gaulle, oui, et le Parti socialiste, le Parti communiste, le MRP, issu des combats de la Résistance : c'est la réalité historique. Les femmes constituent aujourd'hui 53 % de la population. Nous ne pouvons accepter qu'elles représentent à peine 11 % des députés, 6 % des sénateurs, que moins de dix femmes soient maires de villes de plus de cinquante mille habitants, aucune présidente de conseil général, une seule présidente de conseil régional (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). La mise en oeuvre de la parité dans la vie politique devra d'autre part s'accompagner d'une action résolue en faveur d'une plus grande égalité dans tous les aspects de la vie publique, professionnelle et sociale. Notre secrétaire d'Etat, Nicole Péry, aura à y travailler et à vous faire des propositions dans les semaines et les mois qui viennent. Quoi qu'il en soit, cette démarche a sa justification en elle-même et n'obéit à aucune autre motivation. M. le président Rossi évoque les modes de scrutin. Il est vrai que le scrutin de liste permettrait aisément la réalisation de la parité. Nous, socialistes avons pris des engagements en ce sens, et je crois savoir que les formations de la majorité ont proposé un amendement pour que ce soit posé en principe dans la réforme du mode de scrutin régional. Mais cette révision constitutionnelle n'est nullement conçue comme un moyen ou un prétexte pour modifier des modes de scrutin, en particulier celui des élections législatives. Discutons donc de la parité et de l'égalité sans arrière-pensée. Si nous devions avoir un débat sur les modes de scrutin, il serait d'une autre nature ; et le Gouvernement, dans ce domaine, n'a pas de projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe RCV). M. Dominique Baudis - L'an prochain, Monsieur le Premier ministre, doit voir naître la société européenne Airbus. C'est bien, car Airbus a besoin de passer du stade du GIE à celui d'une véritable société pour pouvoir concurrencer Boeing. Mais l'année 1999 peut aussi être pour l'aéronautique française et pour Aérospatiale l'année de tous les dangers. En effet, au sein du processus de création de la société Airbus, on observe un rapprochement accéléré, qui pourrait aller jusqu'à la fusion, entre British Aerospace et l'avionneur allemand DASA. Si cette fusion s'opérait sans l'Aérospatiale, l'industrie aéronautique française pourrait se retrouver dans un isolement confinant à la marginalisation. Ce serait particulièrement préjudiciable alors que va se décider le partage des charges de travail entre les différents sites pour la construction de l'A3XX, rival du Jumbo de Boeing. Comment l'Etat, actionnaire majoritaire de l'Aérospatiale, entend-il agir pour conjurer ce péril ? Avez-vous une stratégie et un calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La France est forte dans le secteur aéronautique, tant civil que militaire, et cela largement grâce à la commande publique, et à la façon dont l'Etat a su organiser le financement et la création d'un GIE comme Airbus. Dans ce secteur l'effet de taille est devenu essentiel. C'est clair aux Etats-Unis, et cette réalité s'impose également à l'Europe. Le Gouvernement est donc favorable à un regroupement de nos forces aéronautiques en un seul ensemble. Toutefois il ne lui semble pas inutile de commencer par regrouper les forces françaises. Sur le plan militaire, il le fait en apportant à l'Aérospatiale les parts de Dassault : ce projet sera mené à bien à la fin du mois. En second lieu, le rapprochement entre Aérospatiale et Matra progresse. Ce matin même un accord a été signé entre le Gouvernement et Thomson-Alcatel d'une part, Aérospatiale et Matra d'autre part sur les missiles et les satellites. Le paysage est donc dégagé. Nos partenaires allemands et anglais travaillent depuis plusieurs mois à un rapprochement, c'est vrai, mais je ne suis pas aussi certain que vous que le processus se soit accéléré. D'autre part, ce rapprochement n'était pas dans l'esprit de la déclaration faite par les chefs d'Etat et de gouvernement, il y a tout juste un an : le 9 décembre 1997, en effet, le Président de la République et le Premier ministre français, le Premier ministre britannique et le Chancelier allemand avaient souhaité que le regroupement se fasse en une seule fois entre les trois entreprises. Cependant, si BAE et DASA, entreprises privées, ont souhaité aller plus vite, ce n'est ni un avantage ni un inconvénient pour l'aéronautique française, trop "incontournable" en Europe pour risquer d'être marginalisée. Si cet accord germano-britannique se fait, eh bien, nous discuterons à deux au lieu de le faire à trois. Mais croyez bien que, dans ce cas, le poids sera égal des deux côtés. S'agissant de l'A3XX, le Gouvernement entend que l'essentiel de ce grand projet soit réalisé à Toulouse. Le GIE Airbus a été constitué entre trois partenaires égaux mais, s'il ne devait plus y en avoir que deux, soyez convaincu que, là aussi, il y aura égalité entre le partenaire français et le partenaire anglo-allemand ! (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) PROGRAMME TRIENNAL DE STABILITÉ M. Philippe Auberger - Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement devrait adresser avant le 31 décembre à Bruxelles, en vue de la mise en place de l'euro, un programme triennal de stabilité brossant les perspectives en matière de finances publiques. Le ministre de l'économie et des finances aurait déjà transmis un projet de rapport à Matignon : qu'attendez-vous pour imiter les cinq pays qui ont envoyé ce programme sans attendre la date limite ? Ne pensez-vous pas que le sujet vaudrait d'être débattu au Parlement, alors que nous nous apprêtons à voter définitivement le projet de loi de finances ? Seriez-vous gêné d'afficher vos objectifs vis-à-vis de la gauche plurielle, et d'anticiper ainsi les débats qui ne manqueront pas de surgir d'ici à la prochaine élection présidentielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je ne comprends pas bien le sens de votre question. Nous nous sommes engagés à déposer avant le 31 décembre cette projection triennale et nous le ferons. mais, comme nous voulons le faire en accord avec notre partenaire allemand et que celui-ci a été retardé par des élections, nous avons besoin d'un peu de temps encore. Nous respecterons malgré tout le délai et d'ailleurs, comme vous l'avez noté, cinq pays seulement sur quinze ont transmis cette projection au jour d'aujourd'hui. Il y aura bien sûr discussion au Parlement sur le sujet : les deux commissions des finances seront dûment informées de ce document. Mais si votre inquiétude porte sur l'entente au sein de la majorité plurielle, je vous renvoie au vote sur la loi de finances, parfaitement clair : la gauche a voté ce budget de gauche, contré par la droite. Je ne doute pas qu'il en aille de même pour la projection triennale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Georges Tron - La définition des zones d'éducation prioritaire importe à la fois pour la politique de l'éducation et pour la politique de la ville. Or nous avons le sentiment qu'il y a quelques zones d'ombre dans ce domaine. Dans sa circulaire d'octobre 1997, Mme la ministre déléguée avait annoncé que la nouvelle définition ferait l'objet d'une large concertation avec l'ensemble des élus locaux. Or, c'est par la presse et par les syndicats que les élus concernés ont appris l'ampleur des mesures envisagées et le nom des établissements susceptibles d'être exclus des ZEP ! Les critères utilisés posent pour le moins problème. On aurait pu penser que vous souhaiteriez aider les établissements les plus en difficulté. Or, en Essonne, dans la seule commune dont tous les établissements étaient classés en ZEP, Epinay-sous-Sénart, dont le potentiel fiscal est inférieur de 10 % à la moyenne départementale, où la part de la population défavorisée et le nombre des élèves en difficulté dépassent de 10 % la moyenne départementale, que pensez-vous qu'il est arrivé ? Selon nos informations, tous ses établissements seraient exclus des ZEP ! Il est d'autre part pour le moins surprenant qu'un gouvernement qui favorise l'entrée des étrangers mette au rang des éléments de difficulté la proportion de la population étrangère ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Enfin, du fait de la création des réseaux d'éducation prioritaire, les personnels qui travaillent dans les conditions les plus difficiles se trouveront les seuls, dans la fonction publique, à être pénalisés dans leur salaire et dans leur carrière ! (Mêmes mouvements) La semaine dernière, vous étiez à nos côtés pour manifester contre ce texte. Ecoutez au moins la question, Mesdames et Messieurs de la majorité ! Monsieur le Premier ministre, ne jugez-vous pas opportun de faire ici ce que vous avez fait la semaine dernière pour l'académie de Versailles : suspendre votre décision et renouer la concertation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire - La politique des zones d'éducation prioritaire, lancée par Alain Savary et relancée par Lionel Jospin lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), a permis de donner plus à ceux qui ont le moins, contribuant à combler les handicaps économiques, sociaux et culturels. Le Gouvernement a décidé d'y consacrer des moyens nouveaux, complétés par des procédures nouvelles. Plus de 600 collèges et écoles supplémentaires entreront dans les réseaux et zones d'éducation prioritaire ; plus de 15 000 enseignants et agents de l'Education nationale bénéficieront à ce titre d'une indemnité spécifique. J'ai engagé la concertation la plus transparente et les réactions sont d'ailleurs le signe que la discussion a bien été ouverte (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les critères sont toujours contestables mais, sans critères, on tombe inévitablement dans l'arbitraire ! La consultation large à laquelle j'ai tenu permettra de tenir compte des réalités et du vécu de chacun. La concertation a d'ores et déjà mis en lumière la nécessité de faire sortir certains établissements des ZEP : c'est ce qui consacre la réussite scolaire dont ces zones sont conçues pour être l'instrument. En revanche, chaque fois que les équipes pédagogiques la ressentiront comme une remise en cause de leur travail ou comme une pénalisation, cette mesure sera rapportée. Vous savez d'ailleurs très bien qu'aucune ne concernera les établissements de l'académie de Versailles : au contraire, de nouveaux collèges entreront dans des ZEP. Ces entrées doivent s'accompagner de l'élaboration d'un contrat de réussite, élément essentiel de l'ambition que nous avons pour les enseignants comme pour les élèves. Mais je me réjouis de vous voir soutenir avec véhémence notre politique d'éducation, après avoir soutenu un gouvernement qui a laissé pendant quatre ans à l'abandon ces zones d'éducation prioritaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS RADIOACTIFS M. Arnaud Lepercq - Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, vous avez été l'artisan de la loi du 30 décembre 1991, relative à la gestion des déchets radioactifs et qui a été votée à une large majorité. Je tiens d'ailleurs à rendre à ce propos un hommage sincère à notre collègue Christian Bataille, pour son remarquable travail de rapporteur et pour sa probité intellectuelle (Applaudissements sur plusieurs bancs). Grâce à ce texte, le premier du genre sur le nucléaire, le Gouvernement a aujourd'hui tous les éléments en main pour prendre une décision quant à l'implantation de laboratoires souterrains. Dans le département de la Vienne, dans ma circonscription, le site granitique de La Chapelle-Bâton a fait l'objet d'un avis favorable au terme des études préliminaires et de l'instruction technique confiée au groupe permanent placé auprès de la Direction de la sûreté des installations nucléaires : ce serait le plus propice aux recherches sur la réversibilité. D'autre part, lors de l'enquête publique, le Conseil général de la Vienne a donné, à la quasi-unanimité -19 communes sur 22- un avis favorable à la réalisation de cet équipement de recherche. Aujourd'hui certaines informations de presse laissent penser qu'un seul site serait retenu, ce qui remettrait en cause l'architecture de cette loi et la confiance accordée aux représentants de la population au sein des commissions locales d'information. Quelles sont les orientations prises par le Gouvernement au sujet du site granitique de la Vienne, qui avait été préconisé par l'Office parlementaire en raison de sa diversité géologique, sachant que dans les autres pays la majeure partie des laboratoires souterrains se trouvent en milieu granitique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu à Christian Bataille. Que faire des déchets nucléaires ? C'est un problème important car ceux qui sont hostiles au nucléaire cherchent, en rendant impossible l'évacuation des déchets, à le faire dépérir par une sorte d'occlusion intestinale (Exclamations sur divers bancs). Nous explorons trois voies de recherche : la séparation des produits à vie longue, le stockage dans les couches profondes et l'entreposage en surface. Votre question concerne la seconde voie : un rapport doit être déposé en 2006 sur les travaux effectués depuis 1991, pour qu'alors le Gouvernement propose des orientations à l'Assemblée nationale. Il faut qu'auparavant des laboratoires aient effectué leurs recherches et tests de stockage et la décision sur le site de ces laboratoires doit donc être prise rapidement par le Gouvernement. Elle sera fondée sur des critères techniques et sur la consultation des populations. Le site de la Vienne sera-t-il retenu ? Je ne peux pas vous répondre car la décision n'a pas encore été prise, mais elle le sera très prochainement. Ainsi nous serons prêts en 2006 pour décider ce que la nation veut faire des déchets de l'énergie nucléaire, qui constitue sa principale source d'électricité (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Yves Dauge - Nous sommes nombreux à avoir parrainé des défenseurs des droits de l'homme, qui tiennent actuellement leurs états généraux au palais de Chaillot. Deux questions nous sont souvent posées : comment la France peut-elle contribuer à faire ratifier le traité créant la Cour pénale internationale ? Peut-elle jouer un rôle pour que les crimes de guerre soient inclus dans le champ de ce tribunal, actuellement limité aux génocides et crimes contre l'humanité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste) M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je peux vous rassurer, il n'y a aucun blocage concernant la Cour pénale internationale, dont le principe a été décidé à Rome par 120 pays. Le traité a été signé par 60 Etats ; il n'a été encore ratifié par aucun car la procédure pour mettre au point un texte faisant foi dans les différentes langues n'est pas encore terminée. C'est seulement quand nous aurons le texte définitif en français que nous pourrons entamer la procédure de révision de la Constitution ("Encore !" sur les bancs du groupe UDF). D'ailleurs, avant-hier, le Premier ministre a annoncé à l'UNESCO qu'il saisirait, conjointement avec le Président de la République, le Conseil constitutionnel à ce sujet. Les autorités françaises feront tout ce qui est en leur pouvoir pour hâter le processus de ratification (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). LUTTE CONTRE LES DÉRIVES DES SECTES Mme Yvette Benayoun-Nakache - Madame la Garde des Sceaux, vous avez annoncé il y a trois semaines la nomination d'Alain Vivien à la tête de la mission interministérielle sur les sectes, et je m'en réjouis. Nous venons de célébrer la semaine des droits de l'enfant et, à l'initiative du Président Fabius (Rires et applaudissements sur divers bancs), nous avons voté le 19 novembre la mise en place d'un médiateur pour enfants. La mission interministérielle devrait s'appuyer sur lui pour lutter contre les dérives sectaires qui portent atteinte aux droits des enfants. Les activités des sectes sont en effet à l'origine de phénomènes de déscolarisation, d'atteintes à la santé physique et mentale, d'éloignement forcé de la famille. Aujourd'hui 6 000 enfants de 6 à 16 ans sont instruits dans des écoles hors contrat, dans leur famille ou dans des communautés sectaires. Vous avez annoncé, il y a un mois, que vous réfléchissiez à l'éventuelle habilitation des associations de défense des victimes des sectes à exercer l'action civile en cas de dérives sectaires. Cette collaboration est indispensable. Quels moyens de protection comptez-vous mettre en place pour endiguer la pandémie sectaire qui gangrène nos institutions et menace l'intégrité physique et mentale de milliers d'enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Votre question me touche car les dérives sectaires sont particulièrement odieuses quand elles concernent des enfants. Le 10 novembre, j'ai rappelé ici les mesures prises par mon ministère : création d'une cellule spécialisée à la direction des affaires criminelles, d'un magistrat spécialisé par cour d'appel, collaboration avec les associations. Mme Royal défend devant le Parlement un projet de loi sur l'obligation scolaire. Que faire quand des enfants sont victimes de sectes ? Quand ce sont les parents qui abandonnent toute responsabilité au profit d'un gourou, les risques sont très graves -déscolarisation, absence de vaccinations : des poursuites peuvent être engagées car la sécurité et la santé des enfants sont en danger. Quand l'un des parents n'est pas d'accord, il peut demander une modification de l'autorité parentale ou de l'hébergement. Si c'est un autre membre de la famille qui se rend compte que l'enfant est en danger, le cas est plus difficile, mais il doit le signaler au parquet et au juge des enfants. Pour que toutes les personnes au contact des enfants puissent exercer leur vigilance, j'ai envoyé une circulaire aux parquets leur demandant de travailler avec les associations de lutte contre les sectes et d'organiser des réunions des services concernés -police, gendarmerie, direction du travail et de l'action sanitaire et sociale, académie, protection judiciaire de la jeunesse, conseils généraux. Si nous parvenons à coordonner et intensifier les actions de tous ces acteurs, nous serons plus efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) INTERVENTION DE MAGISTRATS FRANÇAIS AU GABON Mme Monique Collange - Madame la Garde des Sceaux, plusieurs magistrats français, militants d'une association en voie d'auto-dissolution du fait des agissements scandaleux d'un de ses membres, se sont rendus au Gabon pour les élections présidentielles du 6 décembre. Ils ont, semble-t-il été invités à y vérifier les opérations électorales. Quel a été leur rôle exact ? Ont-ils été rémunérés et par qui ? Avez-vous été informée de leur engagement dans cette élection ? Ces questions touchent à la dignité de la fonction de magistrat. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Mme la Garde des Sceaux - Six magistrats français sont allés au Gabon au nom de l'association internationale pour la démocratie, sur l'invitation officielle du premier ministre du Gabon. Cette association, dont les statuts ont été déposés le 6 octobre dernier, est présidée par le président de l'association professionnelle des magistrats et plusieurs des magistrats concernés font partie de ses membres fondateurs. Il s'agissait d'une mission de cinq jours visant à observer la régularité des élections présidentielles, sous contrôle, ce qui est un peu curieux, de la commission électorale gabonaise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Aucun des six magistrats n'a demandé un ordre de mission de la Chancellerie (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Deux d'entre eux ont demandé un congé pour convenance personnelle et les quatre autres n'ont pas informé leur chef de juridiction. (Vives interruptions sur les bancs du groupe socialiste) La prise en charge des frais de voyage, d'hébergement et de la rémunération -1 500 F, semble-t-il- a été assurée par l'Etat gabonais. ("ah !" sur les bancs du groupe socialiste) La question se pose de savoir si les conditions de cette mission ne portent pas atteinte à la dignité des magistrats concernés, telle qu'elle est mentionnée dans les articles 8 et 43 du statut de la magistrature. Dès lundi, j'ai demandé des rapports écrits aux chefs de cour concernés et aux intéressés. Sans attendre, j'ai demandé au directeur des services judiciaires de rappeler aux chefs de cour les conditions dans lesquelles les magistrats peuvent exercer des missions à l'étranger (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). APPLICATION DE LA LOI CONTRE LES EXCLUSIONS M. Jean Le Garrec - Très symboliquement, le groupe socialiste a choisi de poser la dernière question d'actualité sur le même sujet que celle de nos camarades communistes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le mouvement des chômeurs n'est-il pas d'actualité ? Le 9 juillet nous avons adopté en 159 articles une grande loi tentant de répondre à tous les problèmes de l'exclusion, de l'emploi à la santé, du logement au surendettement. Nous avons fait ce travail avec le fort appui des deux rapporteurs, M. Cacheux et Mme Neiertz. Nous entrons dans la phase d'application, suivie de très près par la commission des affaires sociales et Mme Hélène Mignon. Aujourd'hui les chômeurs nous font part de leur légitime inquiétude et de leur souci de recevoir rapidement des réponses. Ils nous disent leur mal à vivre, et nous les écoutons. Avec la mise en place des premiers dispositifs, des commissions sociales d'urgence, avec la réflexion engagée par le Gouvernement sur les minima sociaux, pouvons-nous dire tous ensemble que non seulement nous écoutons, mais que nous répondons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - J'ai déjà précisé à M. Hermier que la quasi totalité des dispositions de la loi contre les exclusions étaient déjà en place. Voici quelques indications supplémentaires. Parmi les jeunes les plus éloignés de l'emploi, 10 000 seront engagés dans le programme TRACE avant la fin de l'année. Un député RPR - Il était temps ! Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Oui, car vous aviez supprimé le programme PAC que nous avions mis en place en 1993 pour ces jeunes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) 60 000 chômeurs de longue durée et Rmistes ont déjà été reçus et seront accompagnés cette année vers l'emploi par l'ANPE. Ils seront 850 000 l'an prochain. Les contrats de qualification pour adultes, si critiqués par l'opposition, sont déjà en place. Mme Péry en a négocié les modalités, en particulier avec la Fédération du bâtiment. Les trois premiers adultes à en bénéficier sont une femme Rmiste avec trois enfants, un chômeur de longue durée et une femme isolée. M. Besson a déjà publié la plupart des textes relatifs au logement, comme sont parus ou vont paraître ceux qui concernent le surendettement et la santé. Les commissions d'urgence sont en place, sauf dans deux départements dont les présidents du conseil général n'ont pas voulu s'y associer. Il existe désormais dans chaque département un fonds d'urgence. Le Gouvernement travaille sur la précarité et les minima sociaux. Je compte sur les associations et sur tous les élus pour que cette loi entre pleinement en application dès le début de l'année prochaine, car c'est ce qu'attendent les chômeurs et les exclus (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition relative au Pacs. Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - La proposition relative au Pacs franchit aujourd'hui une étape décisive. Je remercie le président du groupe socialiste d'avoir permis à cette discussion de s'engager dans le cadre d'une séance réservée. Je remercie aussi le Premier ministre, la garde des Sceaux, le ministre des relations avec le Parlement, d'avoir encouragé et accompagné l'initiative parlementaire. Je rends hommage au travail de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles, et en particulier de leurs rapporteurs, Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche. Ce travail, parfois injustement décrié, a été sérieux, approfondi et à l'écoute de tous. Il a permis que les groupes communiste, RCV et socialiste se réunissent sur un même projet. Je pense aussi au travail accompli depuis des années par les associations militantes, notamment homosexuelles, qui n'ont pas voulu que les couples homosexuels soient enfermés dans une solution communautariste. C'est beaucoup grâce à elles que s'offre enfin une solution juridique à tous les couples qui ne veulent ou ne peuvent entrer dans l'institution du mariage. Mme Christine Boutin - Il est bien temps de les saluer ! Mme la Présidente de la commission - Des textes avaient été déposés depuis plus de six ans. Au cours de cette législature, il a fallu un an de travaux préparatoires pour parvenir à un texte très sensiblement enrichi. Il a fallu aussi 70 heures de débat à l'Assemblée. Cela a pu paraître très long, trop long. Pourtant tout ce temps aura permis à chacun d'élucider les enjeux, de formuler les objectifs et de fortifier les positions pour ou contre. Sans doute a-t-il aussi levé certaines interrogations, apaisé certaines peurs. Ce débat a eu un large prolongement dans le pays parce que ses initiateurs ont mené d'innombrables rencontres publiques et parce que les médias ont donné un large écho à ce sujet. S'il a fallu tant de persévérance c'est que nous sommes un vieux pays, qui a beaucoup de mal à sortir de ses catégories de pensée et de ses modèles historiquement installés. Mais ce qu'une société moderne attend de ses législateurs, c'est qu'ils prennent en compte ses besoins nouveaux. Ce texte n'est pas une révolution. Il est une juste évolution du droit pour résoudre d'injustes situations. Nul n'y perdra. Beaucoup y gagneront en dignité et en sécurité. Notre société tout entière y gagnera en solidarité. Cette première lecture a clarifié et renforcé la proposition et je remercie tous les parlementaires qui y ont contribué. Le texte va continuer son chemin. Je souhaite que les prochaines étapes permettent, dans un délai raisonnable, l'adoption définitive d'une bonne loi, attendue par un grand nombre de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Au terme de ce long débat, je tiens en premier lieu à remercier chaleureusement les rapporteurs, Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel. Les convictions qui les animaient étaient totalement sincères. La commission des lois, présidée par Mme Tasca, a enrichi la réflexion et perfectionné le texte. C'est par leur persévérance et leur courage depuis plusieurs années qu'un travail mûrement réfléchi a pu être présenté à votre Assemblée. Le Gouvernement a, dès l'origine de l'initiative parlementaire, manifesté très clairement son soutien, et j'ai été constamment aux côtés de ceux qui voulaient voir aboutir le texte. Le résultat est là, et je remercie tous les parlementaires qui y ont concouru. Le débat fut long, avec des hésitations, parfois des différences d'appréciation. Quelquefois les oppositions furent violentes. Mais n'est-il pas normal que sur un tel sujet chacun fasse valoir son opinion ? Malgré les vicissitudes, les exagérations, les excès même, les points importants ont été débattus. De ces soixante-dix heures de débat, au cours desquelles j'ai écouté attentivement tous les arguments qui méritaient de l'être et répondu aux interrogations légitimes des uns et des autres, j'ai retenu quelques thèmes majeurs. Nous voulions donner des droits à des personnes vivant une relation stable mais ne voulant ou ne pouvant se marier. Deux voies nous étaient ouvertes : constater cette relation ou bien la faire reconnaître par un contrat. Nous avons choisi la seconde, plus adaptée pour faire valoir les droits des personnes, sans discrimination mais sans non plus nier la différence des sexes. Au fil de cette discussion, nous avons bien mis en évidence les différences existantes entre le Pacs et l'institution du mariage... ("Non !" sur différents bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) ...qui reflètent celles qui séparent les liens de solidarité unissant deux personnes, c'est-à-dire le couple, et la famille. Elles portent sur des questions aussi essentielles que la filiation, l'autorité parentale, la procréation médicalement assistée ou l'adoption à l'égard desquelles ce texte ne change rien à l'état du droit. Je souhaite que vous légifériez sur ces thèmes mais dans le cadre d'une réforme du droit de la famille que prépare un groupe de travail qui me rendra ses conclusions à la fin du premier semestre de l'année prochaine. La discussion nous a également permis d'évoquer la question sensible du respect de la vie privée des personnes pacsées. J'ai ainsi précisé hier soir les conditions de publicité du Pacs et celles de l'intervention protectrice de la CNIL. De même, le débat sur la question des fratries s'est révélée utile et a permis de mûrir la réflexion. J'ai souligné hier les enjeux et les difficultés liés à cette disposition. Vous vous êtes déterminés en première lecture. Je suis certaine que nous parviendrons à trouver une solution satisfaisante d'ici à la seconde lecture. Enfin, ce projet aura eu le mérite de faire comprendre que nos textes les plus vénérables, tel le code civil, devaient également être des textes vivants. Comme d'autres l'avaient fait avant nous dans les années 1970, avec les réformes du divorce et de l'autorité parentale notamment, loin de mettre en danger le code civil, nous avons pris nos responsabilités pour le faire évoluer, à l'unisson de la société. Aussi peut-on contester nos choix, mais pas la pertinence de notre démarche. Ce texte va combler le vide juridique dans lequel étaient laissés les millions de personnes vivant ensemble sans être mariées. Sans porter atteinte à l'institution du mariage, ni remettre en cause en quoi que ce soit le droit de la famille, le pacte civil de solidarité leur apporte des réponses concrètes à des problèmes quotidiens de logement, de couverture sociale, fiscaux ou de rapprochement professionnel. Parce qu'il encourage la stabilité, parce qu'il crée de nouvelles solidarités et parce qu'il répond à l'attente de millions de gens, ce texte est utile et juste et notre réforme est résolument moderne. N'est-ce pas la meilleure fonction du droit, et la mieux comprise par nos concitoyens, que d'encadrer les faits pour instituer des repères ? Le droit doit reconnaître que 5 millions de personnes vivent ensemble, qu'il s'agisse de couples homosexuels ou hétérosexuels ou que ces personnes soient seulement liées par l'amitié ou la solidarité. Le pacte civil de solidarité fait donc progresser l'harmonie entre les pratiques sociales d'une part et le droit d'autre part. Et telle est la fonction symbolique du droit. Aussi est-ce avec joie (Sourires sur divers bancs du groupe UDF et du groupe DL) que je vous demande de voter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Bernard Birsinger - Les députés communistes voteront ce texte car il ouvre pour des millions d'individus des droits nouveaux : imposition commune, droits en matière de succession, obtentions de la qualité d'ayant droit d'assuré social pour le partenaire lié par un Pacs qui ne peut pas y prétendre à un autre titre, dispositions nouvelles inscrites dans le code du travail et dans les statuts des fonctions publiques, droit à reprendre le bail du partenaire décédé. En outre, le pacte civil de solidarité offre un cadre juridique et une reconnaissance sociale aux couples qui ne veulent ou ne peuvent pas se marier. Il prend ainsi en compte l'évolution de la société et des moeurs. Ce que l'histoire retiendra, ce ne sont pas les heures d'obstruction de la droite, tentant désespérément de ramer à contre-courant du progrès (Rires sur plusieurs bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) mais l'engagement de la gauche plurielle en faveur d'une avancée de société à laquelle nous, communistes, avons participé. Depuis le début de cette discussion, notre position, constante et constructive, a visé à améliorer le texte initial. C'est ainsi, par exemple, que nous avons proposé que le Pacs soit signé en mairie, pour nous l'endroit le plus approprié. Nous avons aussi tenté de supprimer tous les délais retardant l'accès aux nouveaux droits. Nous avons également proposé que le Pacs aille plus loin en faveur des étrangers, en leur ouvrant très clairement le droit au séjour. Le texte que nous allons adopter laisse, au contraire, une large place à l'appréciation des préfets et donc à des différences de traitement. Enfin, nous pensons qu'il aurait été bon d'être plus ambitieux dans les modes d'attribution et de calcul de diverses prestations sociales, et notamment d'ouvrir le droit à la pension de réversion au partenaire survivant. Il conviendra de poursuivre la mise à jour de nos dispositions fiscales et sociales. Notre attitude a permis d'enrichir le texte initial. Ainsi, un de nos amendements a précisé que le Pacs était ouvert à deux personnes de "sexe différent ou de sexe identique" ce qui constitue une reconnaissance inédite du couple homosexuel par le législateur. L'ouverture de la qualité d'ayant droit d'assuré social au partenaire pacsé qui ne peut y prétendre à un autre titre, le relèvement de l'abattement sur les droits de succession -qui reste toutefois insuffisant- et la suppression du délai prévu avant de pouvoir bénéficier de la reprise du bail constituent d'autres avancées significatives. Néanmoins, je regrette que la disposition prévoyant l'ouverture de certaines dispositions du Pacs aux fratries n'ait pas été supprimée. Le problème que rencontrent certains frères et soeurs est réel, mais il devra être réglé ultérieurement ainsi que Madame la ministre en a d'ailleurs fait la proposition. L'objet du Pacs est le couple, et lui ajouter la question des fratries altère sa nature. Nous espérons être entendus sur ce point lors de la seconde lecture. Nous voterons donc le Pacs. Nous le voterons pour sa portée symbolique et historique. Nous le voterons parce qu'il reconnaît l'évolution de la structure familiale et parce qu'il constitue un pas supplémentaire vers l'égalité des droits entre les couples. En ouvrant des droits nouveaux et en apportant des améliorations concrètes dans la vie de tous les jours, le Pacs est une contribution vivante au cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Il est un nouvel espace de liberté. Nous le voterons également parce qu'il s'inscrit dans la logique de la proposition de loi que nous avions déposée sous la précédente législature et parce qu'il constitue une reconnaissance sociale et juridique du couple homosexuel. Nous le voterons enfin parce qu'il résulte des luttes des homosexuels et de leurs associations, dont nous avons été les relais dans cet hémicycle tout au long de la discussion. Ces citoyens, ces militants ont su exprimer, structurer, et faire grandir des revendications qui vont aujourd'hui bénéficier à toute la société. Je sais que, demain, ils resteront mobilisés pour veiller à la bonne application de ce texte. Ces deux derniers mois, le débat a été rude et l'opposition a montré sa détermination à s'opposer à la volonté transformatrice de la majorité plurielle et à l'attente de millions de nos concitoyens. Nous ne nous faisons pas d'illusion : les manoeuvres d'obstruction ne cesseront pas avec le vote d'aujourd'hui. Pourtant les citoyens ne veulent pas ni ne peuvent pas attendre. Aussi, demandons-nous au Gouvernement d'examiner la possibilité, que lui ouvre l'article 45.2 de notre Constitution, de déclarer l'urgence afin que le Pacs puisse être mis en oeuvre dans les meilleurs délais. Avec ce projet, notre pays fait un grand pas en avant dans la lutte contre les discriminations notamment celles liées à la sexualité des individus. Vous pouvez, Madame la garde des Sceaux, compter sur les députés communistes pour poursuivre le combat pour l'égalité des droits et pour le droit à la différence. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV) M. Henri Plagnol - Je ne suis pas surpris d'entendre aujourd'hui le groupe communiste demander au Gouvernement de déclarer l'urgence afin de tenter, une fois de plus, d'escamoter ce débat qui dérange tellement votre majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Car, soyons honnêtes (Exclamations sur les bancs du groupe communiste), qui aurait pu imaginer au début de nos discussions que le Pacs donnerait lieu à un tel débat de société, qui apparaîtra rétrospectivement comme un vrai tournant dans la législature (Protestations sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV) et qui a donné lieu à des discussions longues, passionnées et passionnantes ? En tout cas pas le Premier ministre qui, la veille du rejet historique, pour inconstitutionnalité, de ce texte que vous ne vouliez pas voter (Mêmes mouvements), avait tout fait pour minimiser sa responsabilité dans ce texte en s'abritant derrière l'initiative parlementaire. Récemment encore, il nous disait que seule une poignée de marginaux extrémistes à laquelle je revendique l'honneur d'appartenir ferraillait contre une modernisation inéluctable de notre droit (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). En réalité, notre débat a pris une grande ampleur du fait de votre peu d'enthousiasme à voter ce projet (Mêmes mouvements) et surtout parce que ce texte repose sur une imposture. Il y a d'abord un décalage total entre les motifs invoqués et la réalité de ce texte. Vous évoquez la nécessité d'apporter des réponses concrètes à des revendications légitimes des couples non mariés, en matière de droits sociaux, d'occupation du logement ou éventuellement fiscaux. Aucune de ces revendications ne justifiait le Pacs. Il aurait suffit de quelques amendements modestes au code civil et au code fiscal qui aurait été votés par une très large majorité, au-delà des clivages gauche-droite... Plusieurs députés socialistes - Menteur ! M. Henri Plagnol - Au lieu de cela, la majorité crée, avec le Pacs, un statut sans précédent qui n'existera qu'en France et qui donne à tous les couples, quelle que soit la réalité de leur engagement, les mêmes droits juridiques et fiscaux. Le Pacs bouleverse le code civil et constitue une alternative au mariage. La distorsion entre les motifs avancés et la réalité du texte explique que notre débat ait été si long et si passionné, ce qui est d'ailleurs tout à l'honneur de notre Assemblée car notre rôle est bien d'expliquer aux Français les enjeux. Les Français ont donc commencé à douter du bien-fondé du Pacs puis sont devenus hostiles non à l'idée de tenir compte de l'évolution de la société mais à celle de bouleverser pour ce faire le code civil et le fondement de la famille. Quand on prétend moderniser le droit de la famille, Madame la Garde des Sceaux -puisque vous avez dit que cette réforme serait votre grande oeuvre-, on ne le fait pas en passant en force, sans la moindre concertation avec les différentes familles spirituelles et politiques ! On ne le fait pas sans prévoir quelques auditions en commission des lois... Un député socialiste - Vous auriez voulu entendre le pape ? M. Henri Plagnol - Cette absence totale de concertation est une première dans l'histoire de la République et explique bien des déboires. J'en viens aux raisons de fond pour lesquelles le groupe UDF s'oppose de toutes ses forces au Pacs. C'est d'abord parce que ce dernier n'est qu'un contrat du bon plaisir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), loin du beau mot de solidarité dont vous nous rebattez les oreilles. Le Pacs permet à deux adultes qui décident de vivre ensemble de bénéficier des mêmes droits fiscaux et sociaux que les gens mariés. Est-ce juste ? Est-ce conforme au principe de responsabilité ? Non, et le Pacs risque d'aggraver la précarisation des couples et la décomposition des familles dont nous voyons toutes les conséquences dans nos permanences. C'est ensuite parce que le Pacs obéit à la loi du plus fort. On pourra en effet y mettre fin par une simple lettre et un préavis de trois mois. Le Pacs n'offre pas, contrairement au mariage, la moindre garantie au plus faible du couple. Curieusement, la gauche plurielle se montre en ce domaine ultralibérale ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Elle crée un supermarché de la famille. C'est enfin parce que ce texte ne contient pas un mot sur l'enfant. Vous répétez que l'on peut légiférer sur le couple sans légiférer sur la famille mais une telle position n'est pas tenable et relève de l'imposture. Avec cette proposition de loi, vous avez pris le risque de diviser les Français sur un sujet qui les rassemblait : la famille. Le moment venu, nous ferons des propositions ambitieuses pour reconstruire la famille autour de l'enfant. En attendant, l'UDF continuera de se battre contre le Pacs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) M. Alain Tourret - Au cours de ces deux mois de discussion sur une réforme essentielle attendue depuis plus de dix ans et à laquelle plusieurs d'entre nous avaient beaucoup travaillé, la volonté d'obstruction l'a souvent emporté sur le désir de clarification. Comment aurait-il pu en être autrement ? Les conservateurs, épuisés par leurs contradictions internes, ont évidemment saisi l'occasion de donner des repères à leur électorat, quitte pour cela à dévoyer le débat parlementaire. Leur stratégie aura en tout cas montré les limites du Règlement de notre Assemblée car, prenons-y garde, seul l'antiparlementarisme gagnera à ce jeu dangereux. Mais les débats ont parfois été de qualité. La fureur de l'opposition ne s'appuyait pas que sur du vide. Qu'il me soit permis aussi de souligner la force de conviction des deux rapporteurs et de Mme la présidente de la commission des lois, ainsi que la pertinence des observations du Gouvernement, notamment à propos des fratries. Nous avons enrichi le texte et nous pourrons encore le faire concernant par exemple l'indivision et le statut des frères et soeurs. Par ce texte fondamental, nous avons répondu à une attente parfois désespérée, celle des couples qui n'ont pas voulu ou pas pu choisir le mariage, celle de couples homosexuels encore victimes d'une homophobie aussi lâche que scandaleuse rappelant parfois cette période de honte et de haine que fut le vichysme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous leur avons donné des droits nouveaux très importants : droit au bail, droit à la Sécurité sociale, droit de se rapprocher du lieu de travail de son partenaire, droit de lui succéder, droit de s'intégrer à la nation française. Nous en sommes fiers, comme nous sommes fiers d'avoir créé un nouvel espace de liberté et d'avoir démontré que toute la gauche savait se retrouver sur les réformes de société. D'autres grandes réformes de société nous attendent car la France de l'an 2000 n'est pas celle du XIXème siècle. Le groupe RCV et les Radicaux sauront accompagner les évolutions nécessaires et être les humanistes de notre temps. Ils voteront ce texte de liberté qui renforce le pacte républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Claude Goasguen - Nous voici arrivés à la fin provisoire de la discussion de cette proposition de loi et à l'épreuve du vote, où la majorité va pouvoir exercer ses prérogatives, deux mois exactement après ce vendredi noir -pour elle !- où elle était devenue minoritaire. Le Pacs sera aujourd'hui adopté en première lecture et cela devrait être d'autant moins difficile que les députés de la majorité ont été priés de taire leurs états d'âme pour apposer leur signature sur le texte et venir en force suivre les débats en reniant ce qui fait leur charge de représentants de la nation, c'est-à-dire sans jamais prendre la parole ni présenter aucun amendement. Après vous avoir forcés à repousser par deux fois ce vote et après avoir largement démontré les incohérences de ce texte, nous allons devoir -très provisoirement- nous incliner. Mais l'adoption du Pacs n'est que le début des difficultés pour le Gouvernement. Mois après mois, l'opinion découvrira le mauvais coup porté au droit des personnes, de la famille et de l'enfant. Le Gouvernement a manqué de courage politique. Le fait que beaucoup de personnes non mariées soient confrontées à des difficultés est un vrai problème de société qui aurait pu faire l'objet d'un texte de loi consensuel après une large concertation. Vous avez préféré la combinaison électorale et cette proposition de loi, loin de la solidarité, est en réalité un texte de convenance politicienne. Le Gouvernement et la majorité n'ont cessé de nous le répéter : le Pacs n'est pas la famille. Mais ils se trompent. Et l'enfant, grand oublié du débat, rendra caduque toute votre construction idéologique. L'enfant vous demandera des comptes ! Est-il imaginable de légiférer sur le droit des personnes sans avoir le souci obsessionnel de l'enfant ? Sans se préoccuper de ce que devient l'autorité parentale dans cette affaire et sans répondre clairement à la question de l'adoption par les couples homosexuels. Le Gouvernement n'a pas eu non plus le courage d'aborder la question des homosexuels. Ce débat était pourtant nécessaire et l'Assemblée tout entière était prête à l'avoir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). En l'esquivant, vous contribuez à marginaliser un peu plus une communauté homosexuelle dont les difficultés sont réelles... Plusieurs députés socialistes et communistes - Tartufe ! M. Claude Goasguen - ...et qui se serait bien passée de cet excès de sollicitude et de ce texte si mal agencé (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Mais comme vous ne perdez jamais une occasion de régler vos petites affaires électorales, vous avez aussi profité de ce texte pour faire passer, de façon scandaleuse, un article totalement inacceptable qui peut remettre en cause toute la législation sur l'immigration. La signature d'un Pacs permettra d'obtenir une carte de séjour au titre des "liens privés et familiaux" prévus par l'article 5 de la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France du 11 mai 1998 et ensuite un permis de travail. Cette disposition, dont nous avons montré la nocivité, est une bombe jetée sur un terrain déjà miné. Elle souligne la duplicité de votre discours sur l'immigration : vous essayez de faire croire que vous avez choisi la voie de la rigueur, tout en ne cessant de jouer par des promesses avec une partie, qui vous est nécessaire, de votre électorat. Votre texte est donc inacceptable et il ne sera pas accepté par les Français. Vous vous enfoncerez dans le marécage (Exclamations sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV) de la bataille parlementaire, qui sera longue et difficile pour vous. Souvenez-vous qu'en 1984, un texte inique avait voulu frapper la liberté de l'école et que les Français vous avaient imposé son retrait. Nous sommes nombreux dans cette assemblée, devant votre entêtement, à souhaiter qu'il en soit de même dans les mois qui viennent, afin de protéger les libertés de la famille et de l'enfant (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Patrick Bloche - Deux mois pour faire bouger deux siècles de Code civil : avec le recul, le temps que nous aurons consacré à cette première lecture se relativisera. Deux mois qui n'auront pas été forcément inutiles : notre débat a permis de porter une pédagogie du pacte civil de solidarité qui a pénétré notre pays en profondeur (Rires et interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je souhaitais en porter témoignage pour l'avoir constaté à Lille comme à Angers, à Bordeaux, à Saint-Etienne ou à Cergy. Le Pacs intéresse désormais toute la société et le débat parlementaire y aura contribué, grâce notamment aux apports essentiels de Catherine Tasca, de Jean-Pierre Michel et de Jean-Marc Ayrault. Deux mois qui auront permis à la majorité d'affirmer avec force sa volonté de prendre en compte les évolutions de nos modes de vie, en passant de la tolérance à la reconnaissance. En nous engageant à nouveau avec détermination dans ce combat jamais achevé pour l'égalité des droits, nous remplissons le mandat que nous ont donné nos concitoyens au printemps de 1997. Deux mois qui auront vu une opposition incapable de choisir entre ses pulsions archaïques et ses tentations néo-libérales. A ceux qui, déposant des centaines d'amendements, ont voulu nous dire qu'entre l'individu et la famille, il n'y a rien, je rappelle que cinq millions de nos concitoyens vivant en couple hors mariage, ce n'est pas rien ! Certains parlementaires de l'opposition ont tenu des propos, rarement relayés hors de cet hémicycle, qui justifiaient notre volonté de faire disparaître des discriminations intolérables en cette fin de siècle, ce qui ne saurait se passer d'un certain formalisme. Ces soixante-dix heures d'échanges ont montré qu'un cadre juridique nouveau, entre le mariage et l'union libre, était indispensable pour ne pas accorder des droits sans contrôle, sans poser en contrepartie des devoirs, et sans que soit posé clairement l'accord préalable de deux volontés humaines. La base contractuelle, qui est aussi celle d'une solidarité active entre deux personnes, était d'autant plus nécessaire que le Pacte civil de solidarité a une charge symbolique, celle de la reconnaissance juridique tant attendue des couples de même sexe. En attendant ce stade supérieur de civilisation que sera un jour l'indifférence absolue à l'égard de choix de vie qui appartiennent à la sphère privée, il était de notre responsabilité de faire reculer l'homophobie par le vote d'une loi globale, et non par l'adoption aussi discrète qu'incertaine d'amendements à des textes de portée générale. Avec l'appui du Gouvernement, qu'Elisabeth Guigou a porté ici même de façon si éclatante, (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) la majorité de notre Assemblée a fait le choix d'une initiative d'origine parlementaire. Tout au long de cette première lecture, l'opposition n'a cessé, lorsqu'elle était à court d'arguments, de contester l'usage de l'article 39 de notre Constitution. Elle a ainsi, avec beaucoup d'imprudence, relayé au sein même du Parlement, la contestation de la légitimité que nous donne le suffrage universel à faire la loi, validant ainsi l'idée que, pour les sujets dits de société, seul le gouvernement des juges et des experts serait habilité à modifier le droit. Même imprudence dans certains propos tenus hier soir, envisageant l'abrogation future du Pacs. Je mets solennellement au défi l'actuelle minorité de l'Assemblée de faire de cette perspective l'un des engagements de ses prochaines campagnes électorales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Que retiendra-t-on de ce débat, sinon qu'une majorité a voulu faire pour la première fois du couple -qu'il soit de sexe différent ou de même sexe- un sujet de droit ? On constatera également que le Pacs a posé les bases d'un lien social moderne, offrant aux plus faibles de nos concitoyens des moyens juridiques nouveaux pour faire face, à deux, à des situations de précarité nées de la perte d'un emploi ou d'un logement, ou de l'irruption de la maladie. Le Pacs, c'est aussi cela, même si cet aspect a été trop peu évoqué dans notre discussion. Le pacte de solidarité a été mis au débat public par les associations homosexuelles il y a maintenant sept ans. La première proposition de loi créant un cadre juridique global pour ceux qui ne veulent ou ne peuvent se marier, date de 1992. Les opinions les plus diverses -de nature philosophique, spirituelle ou juridique- se sont pleinement exprimées tout au long de ces années. Il est donc urgent de ne plus attendre et d'assumer notre fonction de législateur, contribuant ainsi au renforcement du pacte républicain. C'est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition avec toute la force de ses convictions et sa foi en l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Patrick Devedjian - Vous avez raison, Monsieur Bloche : deux mois, ce n'était pas trop pour débattre de ce projet. Il n'y a qu'un malheur : c'est que vous aviez prévu quatre heures ... Ce qui est arrivé illustre la méthode socialiste, qui respecte quatre principes : s'emparer d'un vrai problème, auquel l'ensemble de la société est sensible ; proclamer à tous vents combien l'on est vertueux et moderne ; proposer une solution dont le contenu idéologique soit fort, et prête à une appropriation partisane ; ne pas se préoccuper des aspects techniques et des conséquences sur la vie quotidienne des intéressés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Tant il est vrai que le bénéfice politique ou électoral est immédiat et global, alors que les difficultés sont ultérieures et diluées. M. Le Premier ministre pratique la politique comme les dévots de Molière : l'essentiel est d'avoir l'air -et effectivement vous avez l'air. Le Pacs illustre les résultats de cette méthode. Faisons un petit bilan. Les homosexuels qui ne veulent pas se déclarer publiquement continueront à subir les discriminations pourtant justement dénoncées. Les couples qui vivent en union libre et se refusent à un engagement écrit devront désormais le souscrire s'ils veulent conserver les droits que les tribunaux leur reconnaissaient déjà ! L'Etat va enfin pouvoir entrer dans leur vie privée ! Les quelques malheureux qui auraient la faiblesse de croire à vos proclamations se trouveront dans une situation pire, quant à leurs biens à cause de l'indivision, et quand à leur vie de couple à cause de la répudiation, que vous instituez pour la première fois en droit français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Pendant ce temps pour les familles -mariées ou non- les crédits ont été réduits ; la situation du conjoint survivant demeure profondément injuste, les droits de succession restent archaïques et confiscatoires. Toutes vos incohérences conduiront certainement à une censure du Conseil constitutionnel. Nous n'aurons pas besoin, Monsieur Bloche, de proclamer dans nos campagnes électorales que nous mettrons fin à cette loi, car il n'en restera pas grand-chose quand le Conseil aura statué (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Et quand nous reviendrons aux responsabilités, et que les Français auront compris ce qu'il y a derrière vos belles paroles, nous rendrons ce qui restera du Pacs totalement inutile grâce à une modernisation du droit de la famille ! (Mêmes mouvements) C'est surtout votre méthode législative qu'il faut condamner. Pas d'auditions publiques, pourtant si nécessaires sur les grandes questions de société. Pas d'audition par la commission, qui a examiné le texte en vingt-sept minutes -record absolu dans l'histoire parlementaire ! Ce que vous appelez l'obstruction de la droite trouve là sa totale légitimité. Vos insuffisances expliquent que nous ayons fait durer le débat, pour que les Français comprennent de quoi on parlait (Mêmes mouvements). Ils ont ainsi pu se faire vraiment une opinion, et évoluer, car ils ont vu qu'au-delà des bonnes intentions proclamées il y avait peu de réalités. Aucune audition d'experts : ceux qu'a nommés le Gouvernement ont fait savoir dans la presse qu'ils étaient défavorables au projet. Aucune audition des autorités religieuses (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), alors qu'on les avait consultées... sur le service militaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) La commission des affaires sociales n'a entendu aucune des associations familiales. Enfin, vous avez absolument refusé d'engager le dialogue avec l'opposition (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) parce que, de façon toute politicienne, vous teniez à vous approprier tous les dividendes de ce débat. Ignorez-vous qu'on ne peut légiférer ainsi en matière de moeurs ? Une loi sociale, pour être assurée de la durée, ne doit pas être asservie de la sorte aux clivages partisans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Mais le comble a été mis à l'incohérence hier soir lorsque le Gouvernement, après avoir lui-même dénoncé le caractère inconstitutionnel de la disposition sur les fratries, a encouragé le groupe socialiste à la voter tout de même (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), en dépit de l'opposition des députés communistes et verts, raisonnables en cette occurrence. Et, pour apaiser nos inquiétudes, on nous a expliqué dans les couloirs qu'on ne recherchait qu'un effet d'affichage mais que l'article disparaîtrait en deuxième lecture, lorsque la presse s'intéresserait beaucoup moins à l'affaire ! On ne peut être plus cynique, Madame le garde des Sceaux. Ce n'est pas ainsi qu'on fait la loi et le groupe RPR votera donc contre cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). A la majorité de 316 voix contre 249 sur 568 votants et 565 suffrages exprimés, l'ensemble de la proposition de loi est adopté. La séance, suspendue à 17 heures, est reprise à 17 heures 20 sous la présidence de M. Ollier. PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER vice-président REQUÊTE EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES M. le Président - En application de l'article L.O. 181 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication d'une requête en contestation d'opérations électorales. Conformément à l'article 3 du Règlement, cette communication est affichée et sera publiée à la suite du compte rendu intégral de la présente séance. RÉUNION D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE M. le Président - J'ai reçu du Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 1999.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La demande de nos concitoyens à l'égard de la justice est immense et prend les formes les plus diverses. C'est un signe de l'évolution des mentalités. Le droit est désormais reconnu dans nos sociétés comme un instrument de régulation sociale. Toutefois, l'accès au droit, notamment pour les plus démunis, ne s'exerce pas dans des conditions satisfaisantes. La réforme de la justice, que j'ai engagée au nom du Gouvernement, s'articule autour de trois axes : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés et une justice plus indépendante et impartiale. Le présent texte est la clé de voûte de la réforme de la justice au service des citoyens. Le droit au droit est un principe essentiel du pacte démocratique. Permettre aux exclus, comme le relève Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, de faire valoir leurs droits, de se défendre, c'est leur rendre leur dignité. Le projet marque ma volonté d'instaurer une véritable politique publique de régulation sociale par le droit. Son premier objectif est de mettre à la disposition des citoyens un lieu, dans chaque département, où ils puissent disposer d'une information générale sur leurs droits et obligations. Cette mission sera impartie aux conseils départementaux de l'accès au droit. De même, les maisons de justice et du droit doivent être institutionnalisées. Elles concourent, en effet, à la prévention de la délinquance et aux politiques d'aide aux victimes et d'accès au droit. Le second objectif du projet est d'offrir à chaque citoyen des réponses diversifiées pour le règlement des conflits, sans devoir s'adresser systématiquement aux tribunaux. J'ai, en effet, acquis la conviction, en écoutant les femmes et les hommes de terrain, que les solutions négociées peuvent apporter une réponse plus adaptée à de nombreux litiges. La négociation doit constituer non seulement une alternative au jugement, mais surtout une alternative au procès lui-même. Il faut cesser de confondre l'accès au droit et l'accès à la justice. "Une transaction vaut mieux qu'un mauvais procès". Les plus modestes doivent avoir le droit d'accéder à la transaction. L'égalité impose en effet que toute personne, quelles que soient ses ressources, puisse faire valoir ses droits, avec le concours d'un avocat, sans obligatoirement assigner son adversaire devant le tribunal. C'est une grande innovation de ce texte et une avancée importante que de permettre le financement par l'aide juridictionnelle du concours de l'avocat dans le cadre de la médiation. Les deux assemblées ont adhéré à l'économie générale du projet et émis un vote conforme sur l'essentiel des dispositions de la réforme. Seules, certaines dispositions relatives aux conseils départementaux de l'accès au droit ont été amendées par le Sénat. Je relèverai d'abord les nombreux points d'accord. En ce qui concerne l'accès au droit, la loi de 1991, due à la volonté réformatrice de Henri Nallet, avait franchi un premier pas en permettant aux personnes dépourvues de moyens financiers d'accéder aux consultations juridiques. Mais l'accès au droit doit aller plus loin, offrir aux femmes et aux hommes les plus en difficulté une assistance et un accompagnement personnalisé dans les démarches administratives les plus élémentaires et les orienter vers les organismes chargés de la mise en oeuvre de droits dont bien souvent ils sont ignorants. Il est de notre responsabilité de leur donner les moyens de briser la spirale de l'exclusion. La politique d'accès au droit doit également inclure une diversification des modes de règlement des conflits. Le fait que la demande de justice de nos concitoyens ne cesse d'augmenter est le signe d'une démocratie forte, où la loi du plus fort ne saurait s'imposer au plus faible. Mais évitons d'instaurer, pour répondre à cette demande, le seul processus du recours au "tout judiciaire". Le recours au mode négocié du règlement des différends doit constituer une alternative. Certains ont exprimé la crainte de voir s'instaurer une justice à double vitesse, au détriment de nos concitoyens les plus démunis. Cette crainte me paraît vaine. Chacune des parties pourra en effet se faire assister par un avocat. L'aide juridictionnelle étant élargie en conséquence, le principe de l'égalité des armes dans la conduite de la négociation sera instauré. C'est une avancée considérable. L'Etat apportera un concours significatif aux modes de régulation des litiges en dehors de l'enceinte judiciaire, puisque le budget pour 1999 comporte 1 443 millions au titre de l'aide juridictionnelle, soit une progression de 17,5 % en un an. L'aide juridictionnelle a été étendue aux instances devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires et à l'intervention de l'avocat dans le cadre de l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Les dispositions relatives à la médiation pénale et aux maisons de justice et du droit ont également été votées par les deux assemblées. Les médiations pénales sont passées de 11 000 en 1992 à 60 000 fin 1997. Ainsi, dans le ressort du tribunal de grande instance de Lyon, les formations correctionnelles jugent dans l'année 8 000 affaires, alors que 4 000 affaires font l'objet d'une médiation pénale au sein d'une maison de justice et du droit. Pour assurer l'effectivité du concours de l'avocat et donc garantir les droits des parties, un régime de financement spécifique sera mis en place. La médiation pénale a pris son essor avec l'implantation de nouvelles maisons de justice et du droit qui, par ailleurs, développent de nombreuses initiatives en direction des mineurs et pour favoriser l'accès au droit. J'ai pu Monsieur le rapporteur Brunhes, apprécier très concrètement de telles initiatives à l'occasion de ma visite, lundi dernier, de la structure mise en place dans votre commune de Gennevilliers. Soyez-en remercié. Les maisons de justice et du droit répondent bien à un besoin. Leur reconnaissance juridique devrait favoriser leur intégration dans la politique judiciaire que j'entends mener au service des citoyens. Cependant, le Sénat a apporté diverses modifications aux dispositions relatives au conseil départemental de l'accès au droit. J'avais d'abord proposé, pour bien exprimer la politique que je conduis, la dénomination de "conseil départemental de l'accès au droit et de la résolution amiable des conflits". C'était un peu long, je le reconnais. Le Sénat a raccourci cette appellation dans un souci de commodité, comme l'avait suggéré, en première lecture, votre commission. En revanche, je réaffirme avec force que le conseil départemental aura aussi pour mission, en dehors de celles dévolues à l'actuel conseil départemental de l'aide juridique de favoriser le règlement amiable des litiges, d'adapter les modalités de l'aide à l'accès au droit aux besoins des personnes en grande précarité, de mener des campagnes de sensibilisation et de formation auprès des personnes pouvant être chargées de mettre cette aide en oeuvre. Ce rappel solennel s'impose dès lors que le Sénat qui n'était pas en opposition, sur le fond, a adopté des amendements de suppression relatifs aux missions que je viens d'énumérer, estimant que ces dispositions n'avaient pas leur place dans un texte législatif. Votre commission, en proposant un vote conforme, adhère à cette analyse. J'en prends acte. Je demanderai aux conseils de veiller à conduire ces actions, essentielles pour que la politique d'accès au droit entre dans les faits. Je regrette aussi que le Sénat ait modifié la composition des conseils départementaux de l'accès au droit. Mes nombreuses rencontres avec les acteurs du terrain m'avaient convaincue de l'utilité de resserrer le nombre des membres fondateurs. Il ne s'agissait nullement d'écarter certains professionnels du droit, dont nous connaissons le rôle majeur, mais la pratique a révélé que la création d'un conseil départemental était parfois freinée par un trop grand nombre d'acteurs. C'est pourquoi nous avions réduit à 5 le nombre des membres fondateurs, mais le Sénat l'a élargi aux associations départementales des maires, aux notaires, aux huissiers de justice et aux avoués près les cours d'appel. Votre commission vous propose d'entériner ce nouveau dispositif. Dans ces conditions, je veux bien donner une chance à une organisation élargie, et je verrai dans un an s'il faut revenir sur ce dispositif. Il nous appartient à tous de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés par la création des conseils. En effet, sept ans après l'entrée en vigueur de la loi de 1991, 27 conseils départementaux seulement ont été créés, dont sept cette année, et quatre sont en cours de constitution. Je dégagerai les moyens propres à amplifier cette dynamique. Ainsi, 5 millions de crédits d'intervention et 6 millions de crédits de fonctionnement supplémentaires sont inscrits dans le budget pour 1999. Je fixe pour objectif la création, en 1999, de 27 conseils départementaux. Mon administration saura y concourir. L'enjeu est d'importance : développer une véritable politique d'accès au droit sur l'ensemble du territoire, dans un délai rapide, car tout citoyen où qu'il réside, a le droit de connaître ses droits. Cette réforme a pour objectif de conforter la référence au droit et de restaurer l'image d'une justice au service des citoyens. Je vous remercie d'avoir, par une collaboration exemplaire entre l'Assemblée et le Sénat, accompagné et soutenu ma démarche. Les débats ont été sereins et de qualité. Nous avons su nous écouter les uns les autres. C'est ainsi qu'on fabrique de bonnes lois. Vous allez adopter un texte examiné en Conseil des ministres en mai dernier. Seulement sept mois ont été nécessaires pour conduire à son terme une réforme fondamentale pour la justice au service des citoyens. De cela aussi, je vous remercie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Jacques Brunhes, rapporteur de la commission des lois - Déposé sur le bureau de l'Assemblée le 3 juin, examiné en première lecture le 29 juin et le 4 novembre par le Sénat, ce projet revient en seconde lecture. En apparence, le Sénat a sensiblement modifié le projet : sur vingt-cinq articles, onze ont été modifiés, un a été supprimé et quatre ont été ajoutés. En réalité, il s'agit soit de changements rédactionnels, soit de la suppression de dispositions de nature réglementaire, soit du changement de dénomination du conseil départemental. Pour l'essentiel, les deux assemblées ont approuvé les orientations et les principes sous-tendant du projet du Gouvernement. Dans le chapitre premier relatif à l'aide juridictionnelle, les articles 2, 4, 5, 6 et 7 ont été adoptés conformes. Outre des changements purement rédactionnels, le Sénat a apporté deux modifications que nous pouvons accepter : la réduction d'un an à six mois du délai pendant lequel l'avocat doit justifier des diligences accomplies pour bénéficier de la rétribution, qui lui est due lorsque l'aide a été accordée en vue de parvenir, avant l'introduction de l'instance, à une transaction qui n'a pu être conclue. Il a en outre ouvert le bénéfice de l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources, aux personnes formulant une demande devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires. La plupart des modifications introduites par la Haute assemblée dans le chapitre II sont rédactionnelles et notamment liées au choix de la dénomination de "conseil départemental de l'accès au droit" pour l'organisme institué par le projet. Par ailleurs, le Sénat a supprimé deux alinéas de l'article 8 explicitant les buts de la politique d'aide à l'accès au droit, car il a estimé que ces dispositions, n'étant pas de nature législative, n'avaient pas à figurer dans la loi, mais dans l'exposé des motifs du projet ou dans une circulaire d'interprétation. A l'article 9, il a supprimé une disposition qu'il jugeait de nature réglementaire et qui avait été introduite par notre assemblée pour préciser que le conseil départemental de l'accès au droit mène des campagnes de sensibilisation et de formation. Enfin, les divergences subsistent quant à la composition du conseil départemental, l'Assemblée souhaitant que les chambres départementales des huissiers et des notaires y siègent en qualité de membre associé et le Sénat qu'elles conservent leur statut de membre de droit. Par ailleurs, les sénateurs ont ajouté, au titre des membres de droit, la chambre de discipline des avoués et l'association départementale des maires, alors même que des communes ou groupements de communes du département peuvent être appelés par le président à siéger avec voix consultative. Vous avez évoqué cette question, Madame la ministre, car le nombre des membres de cette institution a été considéré, lors de la première lecture, comme une source de difficultés. Le Sénat n'a toutefois pas suivi la volonté du Gouvernement de le réduire. Je comprends donc vos regrets, Madame la Garde des Sceaux, mais je crois que c'est la conviction des magistrats qui est le facteur essentiel pour permettre la constitution des conseils départementaux. C'est pourquoi il vous appartient, par exemple par le biais de circulaires, de relayer auprès des présidents des tribunaux de grande instance la volonté ferme et unanime de la représentation nationale de voir se constituer dans les meilleurs délais l'ensemble des conseils départementaux de l'accès au droit. L'idée d'un bilan annuel que vous avez avancée est excellente car il n'est pas acceptable que des disparités existent entre les départements. S'agissant de l'aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale, le Sénat a adopté sans modification les articles 12 et 13. Fort opportunément, il a complété l'article 14 afin d'étendre ce dispositif à l'intervention de l'avocat dans le cadre des mesures prévues par l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, article qui permet au procureur de la République de proposer au mineur une mesure de réparation ou une activité d'aide. Le Sénat a adopté sans modification l'article 15 procédant à diverses abrogations, a supprimé l'article 15 bis de portée rédactionnelle et a limité à cinq ans les dispositions transitoires relatives aux conseils départementaux de l'aide juridique déjà constitués lors de l'entrée en vigueur de la présente loi. Par ailleurs, les sénateurs ont adopté deux articles additionnels, prolongeant le recrutement complémentaire de magistrats administratifs et validant certaines décisions prises pour la détermination de l'ancienneté des fonctionnaires du Sénat au moment de leur titularisation. Sous réserve de modifications rédactionnelles mineures aux articles 17 A et 17, le Sénat a souscrit à l'institutionnalisation des maisons de justice et du droit, estimant très positives les expériences en cours. En première lecture, cet article 17 avait été voté sous réserve d'informations précises ultérieures sur le contenu du décret d'application alors en cours d'élaboration. Pouvez-vous, Madame la ministre, nous donner ces précisions ? Enfin, le Sénat a modifié dans un souci de coordination les articles 18 et 19 relatifs à l'aide juridique à Mayotte et dans les TOM. La Sénat, sa commission des lois et le rapporteur de celle-ci ont donc effectué un travail remarquable tout comme votre commission et notre assemblée en première lecture. Cela m'a permis de proposer à votre commission, qui l'a accepté, qu'il soit mis fin à la navette. Six mois seulement après le dépôt du projet sur le bureau de notre assemblée, la première des quatre lois ordinaires concourant à la réforme de la justice va donc pouvoir être promulguée. Il n'est pas indifférent qu'il s'agisse de celle qui ouvre à tous l'accès au droit, qui souhaite acclimater en France une culture du compromis et qui aura de grandes conséquences sur le fonctionnement de la justice comme sur la vie de nos concitoyens. On ne peut que regretter le manque d'intérêt des médias pour un texte si important que votre commission des lois vous invite à adopter définitivement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). M. Jean-Antoine Léonetti - Le 21 janvier 1997, le Président de la République déclarait avoir demandé au Gouvernement de mettre en place une justice plus efficace et plus proche des justiciables notamment en améliorant son organisation, en allégeant les procédures et en développant la conciliation et la médiation. C'est à cette ambition, évidemment partagée par l'opposition, que participe le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Il concerne tout d'abord l'aide juridictionnelle dont l'utilité est démontrée par le triplement de son budget et le doublement du nombre de ses bénéficiaires en huit ans. Votre volonté est d'étendre cette aide au règlement amiable des conflits avant la saisine d'un tribunal dans le but de limiter le recours au procès et de désengorger les tribunaux. Mais il y a un danger à laisser penser à nos concitoyens que c'est faute de temps ou de moyens que la négociation remplace le jugement et la transaction, la sanction, car c'est alors le plus faible qui en subirait les conséquences. Vous avez donc souhaité distinguer l'accès au droit et l'accès à la justice. Pour les usagers, et en particulier les plus démunis, ces subtiles distinctions n'auront d'intérêt que s'ils ont le sentiment que le droit est respecté. Si cela n'était pas le cas, à la négociation succédera le procès. C'est pourquoi il conviendrait de prévoir un rapport d'étape évaluant l'efficacité de cette mesure. Car une bonne transaction vaut mieux qu'un mauvais procès surtout quand on est riche... Le Sénat a par ailleurs étendu cette mesure aux mineurs délinquants ce qui permettra sans doute de mieux traiter les infractions mineures commises par les jeunes. Certains regretteront, non sans arguments, la suppression de la "justice de paix" qui, grâce aux juges de paix suppléants, avocats pour la plupart, assurait à peu de frais ce travail de conciliation. Il est vrai qu'il est parfois difficile dans notre pays de privilégier les solutions simples... Second volet du projet : l'aide à l'accès au droit justifiée par le principe républicain d'égalité des citoyens, devant la loi. Certains sont exclus de la justice car ils n'ont même pas connaissance de leur droit. Ces dispositions d'amélioration "du droit au droit" ne constituent, là aussi, qu'une série d'ajustements de la loi de 1991. Seulement vingt-huit conseils départementaux avaient été mis en place et ils se limitaient souvent à un rôle d'information. Vous avez pensé, à tort, que le nombre de personnes qui les composaient gênaient leur fonctionnement. Fort opportunément, un amendement sénatorial a réintégré les professionnels du droit et surtout les maires, garants de l'efficacité de ces conseils. Ils doivent en effet siéger au moins au même titre que des associations qui ne sont pas à l'abri de partialité et qui sont en outre dénués de toute légitimité populaire. Depuis longtemps en effet, ce sont eux, en particulier dans les villages, qui règlent les litiges portant notamment sur les problèmes de voisinage. Le dernier volet concerne les "maisons de justice et du droit" qui existent déjà en dehors du cadre législatif et qui ont certainement rendu beaucoup de services dans les quartiers difficiles. Certes les maisons de justice paraissent moins solennelles que les palais du même nom mais les mots suffisent-ils à rendre la justice plus proche, plus humaine ou plus efficace ? En première lecture nous vous avions exprimé nos inquiétudes quant à leur fonctionnement. Le Sénat vous a également dit sa crainte, d'une justice au rabais. Nous vous demandons de nous rassurer et de préciser vos intentions. Dans l'immédiat, nous ne pouvons que regretter que l'on fasse appel aux collectivités territoriales dans le domaine régalien de la justice. Au total, la portée de ce texte dépendra surtout de la volonté du Gouvernement de dégager ou non les moyens budgétaires adéquats. Compte tenu du manque d'ambition de ce projet et de l'incertitude qui entoure les dits moyens, le groupe UDF s'abstiendra. M. Georges Hage - En permettant aux plus démunis de faire valoir leurs droits en justice, ce projet prolonge la loi contre l'exclusion, conforte l'exercice de la citoyenneté et complète l'aide juridictionnelle. Les maisons de justice et les conseils départementaux d'aide juridique devraient contribuer à corriger les effets de la précarité, notamment dans les litiges qui en sont directement la conséquence : saisies, expulsions, dettes liées au chômage... Mais il faudra veiller à ce que ces maisons de justice soient équitablement réparties sur le territoire, sans quoi il y aurait inégalité des individus dans l'accès au droit. Il est clair aussi que les collectivités locales ne sauraient assurer en totalité une charge qui relève d'abord du budget de l'Etat, puisque la justice, comme la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, sont des attributs directs de la souveraineté. S'agissant de l'aide juridictionnelle, j'ai déjà eu l'occasion de dire l'inconvénient des plafonds de ressource trop faibles. Ces remarques faites, le groupe communiste votera le projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste) M. Thierry Mariani - Si nous souscrivons aux motivations qui fondent ce projet, nous regrettons qu'il soit discuté en dehors d'une réflexion globale sur la réforme de la justice, comme le souhaitait le Président de la République. Il traite d'une part de l'accès au droit, d'autre part de la résolution amiable des conflits, deux questions essentielles car notre société, à l'instar des sociétés anglo-saxonnes, appréhende de plus en plus les rapports humains sous un angle juridique. Et dans ce contexte, trop nombreux sont nos concitoyens qui ne parviennent pas à faire valoir leurs droits, faute de moyens ou faute d'information. Se profile ainsi le danger d'une justice à deux vitesses. Malheureusement, malgré les bonnes intentions qu'il affiche -rendre le droit accessible à tous, développer d'autres modes de résolution des conflits-, ce projet pèche par des lacunes flagrantes. S'agissant de l'aide juridictionnelle, il élude en effet le problème essentiel, à savoir le fait que la faiblesse des plafonds de revenus -4 901 F pour l'aide juridictionnelle totale et 7 353 F pour l'aide juridictionnelle partielle- écarte du bénéfice de ce dispositif la grande majorité de nos concitoyens, ces classes moyennes modestes qui, au prix d'innombrables efforts et malgré les ponctions fiscales à outrance dont elles sont les principales victimes, parviennent à vivre correctement mais ne peuvent pas pour autant s'offrir une assistance juridique. S'agissant de l'information des citoyens, le projet ne tient pas davantage ses promesses, alors que les myriades de textes et le labyrinthe des procédures découragent tous ceux qui n'ont pas les atouts nécessaires -bagage intellectuel ou situation sociale aisée- pour maîtriser ce parcours du combattant. Le projet se contente en effet de simplifier les modalités de création des conseils départementaux de l'aide juridique, créés en 1991 et de définir de nouveaux partenaires obligatoires ou complémentaires. Ce texte manque cruellement de propositions quant aux mesures susceptibles de promouvoir une justice plus proche de nos concitoyens. Deuxième volet du projet : le règlement amiable des conflits. Face à l'inflation des affaires et à l'engorgement des tribunaux, le développement des modes alternatifs de résolution amiable des conflits doit être largement encouragé. A ce titre, j'ai noté avec intérêt le débat que vous avez eu, Madame la ministre, au Sénat à propos de l'élargissement de la clause compromissoire en matière civile. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me préciser votre position à cet égard. Nos concitoyens doivent avoir l'assurance qu'ils bénéficient ainsi d'un dispositif approprié à leur situation. En aucun cas, ils ne doivent ressentir ce mode de règlement des litiges comme une justice au rabais pour ceux qui n'auraient pas les moyens de s'engager dans un procès. Le développement de la médiation doit par conséquent être accompagné des moyens nécessaires à son efficacité et à sa lisibilité. Or sur ce point, votre texte ne garantit rien. De plus, le principe de sécurité juridique est insuffisamment pris en compte par votre texte. Nous devons dès à présent nous interroger sur l'articulation des missions confiées d'une part aux Conseils départementaux de l'accès au droit, d'autre part à des organismes comme les maisons de la justice et du droit. Sans un effort de clarté de votre part, votre texte risque d'accroître la confusion des justiciables. Ainsi que je l'avais proposé en première lecture, il serait opportun de bien délimiter le champ d'application des maisons de la justice et du droit. Pour cela, il doit être clairement précisé que leur but est bien de développer la médiation pénale, en aucun cas d'exercer des compétences plus générales qui empiéteraient sur les prérogatives d'autres instances. Nos concitoyens doivent pouvoir disposer de tous les éléments d'information nécessaires pour déterminer les cas qui relèvent d'un juge professionnel et ceux qui peuvent être soumis à l'appréciation d'autres formes de justice, comme la médiation. L'incohérence de votre méthode et les incertitudes qui entourent les modalités concrètes d'application et de financement des mesures font que le groupe RPR s'abstiendra. M. André Vallini - Rapprocher la justice des citoyens, tel est l'objectif du présent projet qui prend en compte l'évolution de notre société, où la régulation se fait de plus en plus par le droit. Le but est aussi que les justiciables puissent faire valoir leurs droits, quelles que soient leurs ressources financières. Cela passe par une réorganisation et le développement des conseils départementaux de l'aide juridique, par celui de la médiation pénale, par celui des maisons de la justice et du droit. Parmi les modifications apportées par le Sénat, certaines sont à nos yeux judicieuses. Ainsi en est-il de la réduction à six mois du délai imparti à l'avocat pour justifier de ses diligences et bénéficier d'une rémunération en cas d'échec de la tentative de transaction. D'autres le sont moins. Nous regrettons ainsi que le Sénat ait décidé de supprimer des phrases qui éclairaient l'esprit du texte, par exemple : "les actions d'aide à l'accès au droit sont conduites de manière à favoriser le règlement amiable des conflits" ou : "les modalités d'aide à l'accès au droit sont adaptées aux besoins des personnes en situation de grande précarité". Nous regrettons aussi que le Sénat ait supprimé, dans la dénomination des conseils départementaux, la référence à la résolution amiable des conflits. J'y vois la marque du conservatisme de la Haute assemblée. Mais ce qui compte maintenant, c'est l'application qui sera faite du projet, en particulier dans la pratique quotidienne desdits conseils. Or le Sénat a ajouté à leur composition l'association des maires, la chambre départementale des huissiers et celle des notaires, ce qui risque d'alourdir leur fonctionnement. Malgré ces modifications regrettables, nous allons voter ce texte, très attendu par les Français car il s'agit de rendre la justice plus simple, plus rapide, plus souple et plus accessible à tous. Il s'inscrit dans une réforme plus globale dont vous avez maintes fois rappelé les piliers : une justice impartiale -c'est l'objet du projet sur le CSM et du projet sur les rapports entre chancellerie et parquet-, une justice plus respectueuse des libertés -c'est l'objet du projet sur la présomption d'innocence-, une justice accessible à tous -c'est l'objet du présent projet. Adopté dans un délai record, il marque une étape très importante dans cette réforme globale voulue par le Gouvernement et soutenue par le groupe socialiste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Claude Goasguen - De tous les projets qui constituent votre programme de réforme de la justice, Madame le garde des Sceaux, c'est avec celui-ci que vous avez pris le moins de risques. Le principe qui guide ce texte -garantir l'accès de tous au droit- ne peut être que consensuel. Nous approuvons l'extension du champ d'application de l'aide juridique au règlement amiable des conflits avant la saisine d'une juridiction, qui évitera aux justiciables les plus démunis d'avoir à engager de longues procédures quand leur litige peut faire l'objet d'une transaction amiable. C'est d'ailleurs parce que cet objectif est partagé que le texte a été adopté à l'unanimité par le Sénat, dont les modifications à leur tour sont maintenues par notre commission des lois. Elles ne changent pas substantiellement votre projet, et certaines les complètent utilement. C'est le cas de l'extension de l'aide juridictionnelle, sans condition de ressources, aux personnes formulant une demande en matière de pensions militaires, ou encore de l'extension de l'aide à l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale à la mise en oeuvre par le Parquet de la procédure de réparation spécifique aux mineurs. Nous souhaitions par ailleurs, dès la première lecture, conserver aux huissiers et notaires la qualité de membres de droit des conseils départementaux de l'aide juridique, et simplifier la dénomination de ces conseils. Devant cette unanimité, et tenant compte des améliorations dues au Sénat, le groupe Démocratie libérale, qui n'avait pas voté pour ce projet en première lecture, s'abstiendra en deuxième lecture. Nous ne pouvons en effet nous prononcer favorablement, car votre texte reste à certains égards décevant. Je l'ai dit en première lecture, il ne vise qu'à améliorer des mécanismes et des procédures existants et apparaît peu ambitieux et peu novateur. Il se contente de modifier la composition des centres départementaux d'aide juridique et de définir une mission générale de recensement des dispositifs existants pour en assurer la promotion. Les dispositifs de rémunération des avocats ne sont pas assez incitatifs. Les maisons de la justice trouvent une reconnaissance juridique, mais leur création n'est pas obligatoire. Nous regrettons surtout l'absence de précisions sur le financement à long terme de l'aide juridique. Cette année encore, sa dotation budgétaire augmente ; elle a triplé entre 1991 et 1999, passant de 401 à 1 228,5 millions. La progression de 17,5 % prévue pour 1999 est certes nécessaire, mais règle-t-elle le problème de fond ? Notre société tend à "judiciariser" tous les rapports sociaux ; et la crise économique ravive le besoin de justice de nos concitoyens. L'Etat aura-t-il les moyens d'assurer la prise en charge totale de l'aide juridique ? Un débat est nécessaire sur cette question ; il devra prendre en compte notre proposition d'instituer un système supplémentaire d'assurance de protection juridique. Nous regrettons que votre projet soit encore une occasion de ne pas tenir ce débat essentiel. M. Alain Tourret - Pour l'essentiel, ce projet modifie la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique et institutionnalise les maisons de la justice et du droit. Il permet de renforcer la protection juridique en introduisant la présence des conseils lors de la rédaction et de la conclusion des actes juridiques. Ainsi sera renforcé l'accès au droit et la prévention des litiges. Initiative heureuse et saluée par les professionnels du droit. Dans une société chaque jour plus complexe, la sédimentation législative et les incertitudes juridiques rendent nécessaire la présence de professionnels du droit. Or tout a un coût et les plus démunis ne pouvaient avoir recours aux avocats pour la rédaction des contrats ou les tentatives de médiation. Prévention et médiation seront donc renforcées. Le contrôle de l'importance et du sérieux des diligences de l'avocat permettra d'éviter tout dévoiement, nous l'espérons. Toutefois, il faut peut-être y réfléchir. De nombreux magistrats souhaitent éviter la multiplication des incidents devant les cours d'appel et celle de procédures souvent inutiles, qui compliquent les procès, mais qui permettent d'obtenir une indemnisation au titre de l'aide judiciaire. Or la paupérisation de la profession d'avocat est une réalité. L'aide judiciaire devient donc une tente à oxygène ; par ce biais l'avocat devient dépendant de l'Etat. Par ailleurs, le caractère forfaitaire de l'aide ne permet pas de contrôler l'opportunité de l'action des conseillers, ni l'importance de leurs efforts. Il y a là un risque important de dévoiement. M. Jean-Antoine Léonetti - Très bien ! M. Alain Tourret - Il serait donc judicieux qu'un rapport nous éclaire sur les incidences de l'aide juridique, sans quoi nous ne pourrons remédier à l'allongement des procédures et à leur inutilité. Reste que ces observations sont secondaires, par rapport à l'excellence des objectifs du projet : nous le voterons sans hésitation. M. André Vallini - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Je veux remercier tous les orateurs. Je remercie bien sûr ceux de la majorité pour leur soutien sans réserve, même si j'ai pris bonne note des questions de M. Tourret et si je vais répondre à celle de M. le rapporteur, je remercie aussi les orateurs de l'opposition, car il est important que sur tous les bancs se manifeste le souci d'améliorer la justice au quotidien. Je remercie particulièrement M. Vallini, qui a remplacé Gérard Gouzes au pied levé : son excellente connaissance de nos projets de réformes lui a permis de le faire brillamment. Un mot de réponse à M. Brunhes sur le contenu du décret. Il est envisagé qu'il comporte les modalités de création et de fonctionnement des maisons de la justice et du droit ; la convention constitutive ; les types de partenariat avec les municipalités ; l'organisation d'une structure de permanence ; les modalités d'interventions des différents acteurs. Je remercie à nouveau la représentation nationale, car, après les vote unanime du Sénat, l'Assemblée s'apprête à adopter le projet à une très forte majorité. Je ferai en sorte que les textes d'application sortent le plus rapidement possible (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). La discussion générale est close. L'ensemble du projet de loi, mis aux voix dans le texte du Sénat, est adopté.
L'ordre du jour appelle la discussion de quatre projets de loi, adoptés par le Sénat, autorisant la ratification de conventions et d'accord internationaux. M. le Président - Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que ces textes seraient examinés selon la procédure d'examen simplifiée. Conformément à l'article 107 du Règlement, je mettrai directement aux voix l'article unique de chaque projet de loi. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, ensemble un protocole. L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, ensemble un échange de lettres. L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Namibie sur la coopération culturelle, scientifique et technique. L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Je mets aux voix l'article unique du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Namibie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune. L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la validation législative d'actes pris après avis du comité technique paritaire du ministère des affaires étrangères. M. le Président - Je rappelle que ce texte fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée. M. François Loncle, rapporteur de la commission des affaires étrangères - Votre commission vous propose d'adopter une proposition de loi ayant pour objet de valider préventivement des actes d'une importance capitale pour le ministère des affaires étrangères. En effet, par une décision du 29 juillet 1998, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêté du 14 octobre 1994 qui déterminait les organisations syndicales aptes à désigner les représentants du personnel au comité technique paritaire du ministère et répartissait les sièges entre elles. De ce fait, tous les textes pris après avis de ce comité sont entachés d'illégalité. Parmi eux figurent des textes relatifs aux rémunérations, aux prestations familiales, au statut des chiffreurs, à l'organisation de l'administration centrale et, en particulier, le projet de décret réformant l'organisation de la Coopération. Le comité technique paritaire doit être consulté sur toutes les questions et sur tous les projets de textes intéressant l'ensemble des services du ministère, à la seule exception des établissements culturels. Le ministre établit la liste des organisations syndicales aptes à désigner des représentants et fixe le nombre de sièges attribués à chacune en fonction de leur représentativité. Jusqu'ici, les ministres successifs ont toujours apprécié cette dernière en se fondant sur les seules élections aux commissions administratives paritaires, mais le Conseil d'Etat a estimé qu'il convenait également de tenir compte de l'audience des organisations syndicales auprès des agents non titulaires. Or ceux-ci, pour la plupart, ne participent pas à l'élection des commissions administratives. C'est notamment le cas des recrutés locaux, qui forment près de la moitié des effectifs du ministère. Au vu de cette situation, le Conseil a annulé l'arrêté du 14 octobre 1994, considérant que le ministre devait procéder à une consultation de l'ensemble des agents, titulaires comme non titulaires. La présente proposition vise exclusivement à remédier aux effets de cette décision. La validation par la loi, solution exceptionnelle, n'a été acceptée par le Conseil constitutionnel qu'à quatre conditions. En premier lieu, elle doit respecter l'autorité de la chose jugée. C'est pourquoi la présente proposition n'a pas pour effet de valider l'arrêté annulé, mais seulement les actes pris après avis du comité technique paritaire et seulement dans la mesure où ils n'ont pas été eux-mêmes annulés pour un autre motif. En deuxième lieu, la validation est justifiée lorsque l'insécurité juridique a réellement des conséquences contraires à l'intérêt général. En l'occurrence, il suffit pour se convaincre que tel est le cas d'examiner la liste des 31 textes soumis au comité technique paritaire du 20 décembre 1994 au 23 juin 1998. Attendre la formation d'un nouveau comité technique pour prendre de nouveaux actes reviendrait à prolonger jusqu'au mois de mai au moins la période pendant laquelle les actes concernés pourraient être attaqués et, en particulier, à repousser de plusieurs mois la mise en oeuvre de la réforme de la coopération. En troisième lieu, la validation doit être "ciblée" sur le seul moyen qui a justifié l'annulation. Aussi la proposition précise-t-elle que les actes sont validés "en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré du défaut de consultation de l'ensemble des agents titulaires et non titulaires...". En d'autres termes, ils pourront éventuellement être annulés s'ils sont attaqués sur le fondement d'autres moyens. Enfin, la validation ne vaut que pour les actes publiés avant la promulgation de la loi de validation. Par exemple, le projet de décret réformant la coopération, soumis au comité technique paritaire du 23 juin 1998 mais qui n'a pas encore été publié, n'entrera dans le champ de la validation que dans la mesure où cette publication interviendrait avant la promulgation de la loi. D'après mes informations, elle devrait avoir lieu dans la quinzaine en cours. Il est prévu de consulter désormais, en vue d'établir la représentativité des organisations syndicales, l'ensemble des personnels, titulaires et non titulaires, soit environ 14 000 agents, dont 10 500 à l'étranger. Cette consultation concernera en particulier les recrutés locaux de nationalité étrangère, particulièrement nombreux : plus de 5 000 sur un effectif de 13 681 agents. Leur participation se heurte cependant à plusieurs difficultés. La première est d'ordre pratique : la communication, dans certains cas, devra se faire dans la langue locale. Des difficultés juridiques et diplomatiques pourront également surgir : les droits syndicaux des recrutés locaux découlent d'un contrat de travail de droit local et leur participation à une consultation limitée aux organisations syndicales françaises pourrait être en contravention avec leur affiliation syndicale locale -ou avec le droit local même si celui-ci ne reconnaît pas le droit syndical ou s'il impose l'affiliation à un syndicat unique. Le recours exclusif au vote par correspondance devrait permettre de lever l'obstacle. Cette validation est aussi l'occasion de souligner les inconvénients du recours massif au recrutement local qui a marqué la politique des affaires étrangères depuis 1991. Certes, le personnel recruté localement est infiniment moins coûteux que le personnel expatrié et il peut être indispensable pour pourvoir certains postes en contact direct avec le public, mais un tel recrutement présente aussi des inconvénients. Le statut juridique des recrutés locaux n'est pas satisfaisant et l'on ne peut aller au-delà du niveau actuel sans en venir à attribuer à des étrangers des fonctions qui relèvent de la souveraineté -l'instruction des demandes de visas par exemple. Par ailleurs, la situation de certains de ces recrutés locaux est très précaire en raison de l'absence ou de la quasi-absence de régimes de protection sociale dans certains pays. La politique de recrutement local est en cours de redéfinition : le ministre a installé une mission de réflexion afin de proposer des modalités de gestion nouvelles. Compte tenu de ces observations, la commission vous demande d'adopter cette proposition de loi. M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je remercie l'Assemblée d'avoir bien voulu débattre cet après-midi de la présente proposition et j'exprime tout particulièrement ma gratitude à M. Loncle, principal auteur de ce texte. Son exposé me permettra d'être bref. Comme il l'a dit, le Conseil d'Etat a annulé à la fin de juillet un arrêté ministériel d'octobre 1994 fixant la composition du comité technique paritaire des affaires étrangères. En raison de cette décision, tous les actes pris après avis de cette instance pouvaient être contestés par la voie de l'exception d'illégalité, ce qui pouvait affecter des réformes importantes, arrêtées au cours des quatre dernières années par mes prédécesseurs ou par moi-même. D'une façon générale, toute la vie administrative et juridique du ministère se trouvait ainsi frappée d'insécurité. On ne pouvait accepter de fragiliser ainsi notre outil diplomatique et il fallait donc trouver le moyen de conforter les actes du ministère : d'où cette procédure de validation. Nous aurions bien sûr tous aimé éviter de recourir à une procédure exceptionnelle, mais la situation, elle-même exceptionnelle, l'imposait. Compte tenu de l'urgence et, en particulier, de la très prochaine publication du décret réformant l'organigramme, l'Assemblée a accepté de prendre l'initiative de cette validation, ce dont je lui sais gré. Le Gouvernement ne peut donc que vous inviter à suivre la recommandation de votre commission. M. Georges Hage - Même si la validation législative est parfois la seule solution pour sortir d'un imbroglio juridique, nous sommes très réservés sur une pratique qui revient, quoi qu'on dise, à faire quelque entorse à l'état de droit. Nous mesurons bien toutes les conséquences de la décision du Conseil d'Etat en date du 28 juillet 1998 : elle risque de frapper d'illégalité plusieurs textes pris par le ministère des affaires étrangères depuis l'automne de 1994, ainsi que tous ceux pris après avis du comité technique paritaire depuis juin 1997. Mais l'administration et le ministre auraient pu l'éviter s'ils avaient pris plus au sérieux les observations des organisations syndicales qui, faute d'être entendues, ont dû recourir au Conseil d'Etat. Ces organisations demandent depuis plusieurs semaines l'annulation des arrêtés illégaux et l'organisation rapide d'élections et elles se plaignent de la réaction tardive de l'administration. Quelles dispositions ont été prises, dès la décision du Conseil d'Etat, afin de réduire ces délais ? Si nous pouvons comprendre les arguments avancés pour justifier cette proposition, il faut au moins que l'administration sorte le plus vite possible de l'illégalité dans laquelle elle s'est elle-même placée. Sans cette proposition, la réforme de la coopération prendrait un retard de plusieurs mois. Mais si cette réforme est si attendue, n'est-ce pas en raison de l'opacité qui a longtemps prévalu, sous prétexte de domaine réservé ? Ce doit être un motif de plus pour que la réforme soit menée dans la plus grande transparence et que l'on prenne le temps de la plus large concertation. Inventer une nouvelle politique de coopération suppose de manifester une ambition nouvelle, pour rompre avec le passé et avec la logique libérale. Intégrer la coopération au sein du ministère des affaires étrangères, c'est aussi courir le risque, dénoncé par un certain nombre de salariés de l'ancien ministère, de perdre une partie du potentiel de celui-ci et d'affaiblir ainsi l'action de la France. Nous avions pour notre part proposé de créer un ministère du développement de plein exercice, qui aurait pu disposer de tous les crédits actuellement dévolus aux actions participant de la coopération entre la France et les pays du sud. En tout état de cause, le Parlement ne doit pas seulement être informé de cette politique : il faut qu'il soit associé à sa mise en oeuvre. Réitérant l'expression de notre réserve sur le principe même de cette validation et demandant encore à être convaincus que tout a bien été fait pour l'éviter, nous insistons sur la nécessité d'une consultation rapide et dans les formes de tout le personnel du ministère : c'est une condition de la réussite. Le groupe communiste votera la proposition de loi. M. Pierre Lequiller - Comme je l'ai dit lorsque nous avons examiné le budget des affaires étrangères et de la coopération, le groupe Démocratie libérale approuve pleinement la rationalisation des services de notre action extérieure. La fusion des moyens de ces deux départements mérite cependant mieux qu'un tel débat, organisé dans l'urgence pour des raisons purement juridiques -mais je crois que tous les groupes en sont d'accord. Ce qui nous occupe en effet, c'est une proposition de loi d'origine gouvernementale et vous avez bien fait, Monsieur le ministre, de remercier chaleureusement notre rapporteur, qui a bien voulu se dévouer pour la déposer. L'avenir de la coopération aurait, je le répète, mérité un vrai débat parlementaire. On sait que la France a toujours accordé une place particulière à ce domaine. La fusion actuelle aboutit à la suppression sur trois ans de mille postes d'agents. L'aide au développement baisse de 4 %. Le comité interministériel chargé de redéfinir l'action de la France à l'étranger ne s'est toujours pas réuni. Autrement dit, le Parlement en adoptant la loi de finances pour 1999 a voté les crédits d'un ministère qui n'existera plus au 1er janvier, les compétences et moyens correspondants étant transférés à une agence de développement qui n'est pas encore créée. Je m'interroge donc sur la volonté réelle du Gouvernement de maintenir la politique de coopération et d'aide au développement. Vous avez fait prévaloir la forme sur le fond. Si nous sommes d'accord sur le principe de la rationalisation de l'action publique, encore faut-il en avoir déterminé clairement les objectifs. Cette question n'étant pas résolue, le groupe Démocratie libérale s'abstiendra. M. François Loncle - Personne ne s'étonnera qu'intervenant maintenant en temps que porte-parole du groupe socialiste, je sois d'accord avec l'auteur et rapporteur de la proposition de loi ! (Sourires) Monsieur Lequiller, en tant que membre de la commission des affaires étrangères, vous savez qu'un large débat sur la politique de coopération a lieu au moment de l'examen du budget. La discussion de poursuivra. C'est pour des raisons d'urgence qu'il faut adopter cette proposition de loi. M. Thierry Mariani - Cette question ne soulève pas de difficulté particulière pour le groupe RPR, qui votera la proposition de loi. Comme l'a rappelé notre rapporteur, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 28 juillet 1998, a annulé l'arrêté du 14 octobre 1994 qui déterminait les organisations syndicales aptes à désigner les représentants du personnel au comité technique paritaire du ministère des affaires étrangères et fixait la répartition des sièges entre elles. C'est ainsi que tous les textes pris après avis de ce comité sont entachés d'illégalité, notamment ceux qui concernent les droits sociaux, les prestations familiales et les rémunérations. De ce fait les fonctionnaires du ministère se retrouvent dans une insécurité juridique complète. La proposition de loi vise donc à valider les actes pris après avis du comité technique paritaire. Cette procédure de validation est admise par le Conseil constitutionnel à certaines conditions : elle doit respecter l'autorité de la chose jugée, être justifiée par une réelle situation d'insécurité juridique, et "ciblée" sur le seul moyen qui a justifié l'annulation. Le rapport démontre que ces conditions sont respectées en l'occurrence. Je m'étonne simplement que l'initiative d'une telle disposition émane du Parlement. Il m'aurait semblé plus logique que le Gouvernement présente un projet de loi. Mise à part cette réserve, et compte tenu des implications de l'annulation par le Conseil d'Etat de l'arrêté du 14 octobre 1994, le groupe RPR votera cette proposition de loi. L'ensemble de la proposition de loi, mise aux voix, est adoptée. Prochaine séance ce soir, à 21 heures. La séance est levée à 18 heures 50. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |