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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 44ème jour de séance, 114ème séance 2ème SÉANCE DU MERCREDI 9 DÉCEMBRE 1998 PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT vice-président SOMMAIRE : COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE "DÉPARTEMENT PROTECTION SÉCURITÉ" 1 COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE "DÉPARTEMENT PROTECTION SÉCURITÉ" (suite) 3 COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES PRATIQUES DES GROUPES INDUSTRIELS 15 ANIMAUX DANGEREUX -nouvelle lecture- (procédure d'examen simplifiée) 23 ARTICLE PREMIER 25 ART. 2 25 APRÈS L'ART. 2 25 ART. 7 25 ART. 8 bis 26 ART. 10 26 ART. 13 26 ART. 15 26 ART. 19 bis 26 La séance est ouverte à vingt et une heures. MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - L'examen du projet de loi relatif à l'emploi des fonds de la participation des employeurs à l'effort de construction est reporté à demain à quinze heures afin que la séance de ce soir soit levée assez tôt pour que celle de demain matin, séance mensuelle réservée à un ordre du jour décidé par l'Assemblée, puisse se tenir à neuf heures. L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.
L'ordre du jour appelle la discussion de deux propositions de loi tendant à la créer une commission d'enquête sur le groupement dit "Département Protection Sécurité". Ces deux propositions ont fait l'objet d'un rapport commun. M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Nous étions jusqu'à peu coutumiers des dérapages verbaux des dirigeants du Front national, le plus souvent, heureusement, sanctionnés par la justice. Mais depuis deux ans ce mouvement nous montre une autre facette de leur triste talent : de Montceau-les-Mines à Mantes-la-Jolie en passant par Strasbourg, son service d'ordre, mieux connu sous ses peu avenantes initiales DPS multiplie des agissements qui vont de l'usurpation de fonctions d'autorité à la voie de fait. En dehors de nos murs, beaucoup réclament l'application de la loi afin de mettre un terme à ces débordements. De son côté, notre Assemblée est saisie de deux propositions de résolution ayant un objet comparable. La première, déposée le 6 mars 1998 par M. Aschieri et plusieurs membres du groupe RCV tend à créer une commission d'enquête "pour faire toute la lumière sur les agissements et objet du groupement de fait dit Département protection sécurité" ; la seconde, déposée le 7 mai 1998 par M. Gaïa et plusieurs membres du groupe socialiste, demande la création d'une commission d'enquête "afin de faire le point sur l'organisation, le fonctionnement, les objectifs, les soutiens et les agissements du groupement dit Département protection sécurité". L'objet de ces propositions est clair : réunir des informations précises et incontestables sur les agissements d'une organisation qui pour le moins cultive l'opacité. Selon l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et les articles 140 et 141 de notre Règlement, la commission des lois devait d'abord se prononcer sur la recevabilité de ces propositions de résolution, puis en examiner l'opportunité. La première condition de recevabilité, posée par l'article 140, suppose que la proposition détermine avec précision les faits qui donnent lieu à enquête. Sans se prononcer sur la qualification des faits en cause, il est peu contestable que ces assertions reposent sur des faits précis, avérés. Comme en outre la commission adopte traditionnellement une interprétation souple, ce constat conduit à admettre comme satisfaite cette première condition de recevabilité. La seconde consiste à s'assurer que les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne font pas l'objet de poursuites judiciaires en cours. Interrogée, Mme la Garde des Sceaux a confirmé que cette condition était satisfaite. Recevables, ces propositions de résolution sont-elles opportunes ? A l'évidence, les comportements du DPS, ainsi que ses activités douteuses, si elles sont avérées, sont graves : utilisation de cartes de police, usurpation de fonctions d'autorité, port d'armes, voies de fait, violences... Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux recourir à l'arsenal juridique, notamment les dispositions relatives aux mouvements dissous ? La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées autorise la dissolution, par décret en conseil des ministres, des associations considérées comme portant atteinte à l'ordre public et à la démocratie. En complément de cette sanction administrative, les articles 431-15, 431-17 et 431-18 du code pénal sanctionnent la participation au maintien ou à la reconstitution d'un mouvement dissous en application de cette loi. Le nouveau code pénal a également créé une incrimination spécifique pour une catégorie particulière de mouvement mentionnée par la loi de 1936. Le seul fait d'organiser un "groupe de combat" ou d'y participer est pénalement sanctionné, même si ce mouvement n'a pas été dissous au préalable. Pour être qualifié de groupe de combat, un mouvement doit satisfaire quatre conditions : constituer un groupement, détenir des armes ou y avoir accès, être organisé de façon hiérarchique -le responsable du DPS se faisait appeler "colonel", ce qui est bien l'aveu d'une hiérarchie au sein du mouvement- et représenter une menace pour l'ordre public, étant entendu que ce faisceau de critères doit aussi être apprécié à l'aune de la jurisprudence. Je ne me livrerai pas ici à une exégèse de ces dispositions, dont le maniement est délicat. Si le DPS possède a priori certaines de ces caractéristiques, il ne les réunit peut-être pas toutes. En outre, il faut préciser qu'au vu des travaux préparatoires du nouveau code pénal, les sanctions pénales n'ont pas pour but de "pénaliser le service d'ordre d'un parti politique". Reste que des faits inacceptables dans une démocratie ont été commis. Il serait utile de mener des investigations pour savoir si la nature et les missions du DPS le différencient fondamentalement d'un service d'ordre licite, pour le rapprocher d'un groupement interdit par la loi. La commission a donc jugé utile la création d'une commission d'enquête parlementaire. Sa composition pluraliste et ses méthodes de travail qui privilégient les auditions devraient assurer une approche fiable et impartiale. En outre, la publicité de ses conclusions permettrait à tous nos concitoyens de disposer d'une information complète. Les propositions de résolution initiales étaient perfectibles. La commission a préféré retenir une rédaction de synthèse qui définit clairement l'objet de la commission d'enquête. Compte tenu de ces observations, elle vous demande donc d'adopter cette proposition de résolution. Personnellement, je me demande si dans le contexte actuel, c'est toujours opportun. Il vous appartiendra de vous prononcer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - Le groupement de fait, appelé Département protection sécurité, a été créé en 1985 comme service d'ordre du Front national. Mais des faits graves lui sont reprochés qui ont donné lieu à condamnations. Ainsi, la cour d'appel de Colmar a, au mois d'avril 1998, confirmé la condamnation de deux responsables régionaux du DPS pour "arrestation, séquestration ou détention arbitraire (et) immixtion dans une fonction publique". Ils avaient, en arguant faussement de la qualité de policier, contrôlé l'identité de deux manifestants à Strasbourg. En outre, des auteurs de faits graves ont pu en être des collaborateurs occasionnels, voire réguliers. Racisme et xénophobie y sont souvent présents. Chaque fois que de tels faits se sont produits, des informations judiciaires ont été ouvertes. Le Gouvernement suivra avec intérêt les travaux de la commission et lui apportera les contributions qu'elle sollicitera. Comme les auteurs des deux propositions de résolution, je veux éviter de graves dérives, contraires à l'Etat de droit. Les personnes qui, dans le cadre du DPS ou dans le prolongement de leur appartenance à ce groupement, se livreraient à des actes délictueux, continueront d'être poursuivies sans faiblesse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). RAPPEL AU RÈGLEMENT M. Christian Estrosi - Rappel au Règlement fondé sur l'article 58. Je m'élève contre la modification constante de l'ordre du jour. La discussion de cette proposition de résolution a été avancée à ce soir, le texte sur l'effort de construction des employeurs reporté à demain. Les parlementaires sur tous les bancs s'organisent pour travailler à la fois dans leur circonscription et à l'Assemblée. Ils ont besoin d'un ordre du jour fixe d'une semaine sur l'autre et sont pris au dépourvu par cette mauvaise organisation des travaux. Je demande instamment qu'un certain ordre soit rétabli dans nos travaux afin que nous puissions nous organiser (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. le Président - J'en prends acte. L'une des raisons de cette décision du Gouvernement est de permettre que la séance de demain matin, réservée à la "niche" parlementaire, puisse se tenir à 9 heures. L'ordre du jour de ce soir étant chargé, il a paru raisonnable d'en reporter une partie à demain en début d'après-midi. En principe, le jeudi est un jour ouvrable de la vie parlementaire... Mais je conçois que ce changement puisse gêner ceux qui étaient inscrits dans la discussion générale.
M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable, déposée en application de l'article 91-4 du Règlement. Mme Nicole Catala - Le groupe socialiste espérait-il faire passer en catimini sa résolution tendant à créer une commission d'enquête sur le département protection sécurité ? On pourrait le croire, puisqu'il fait avancer de dix jours l'examen de cette proposition. Etrange Gouvernement en vérité, qui explique qu'il ne peut faire examiner par l'Assemblée les projets de réforme de la justice mais trouve un créneau pour nous soumettre une résolution dont le but inavoué était et reste malgré le contexte nouveau d'agiter l'épouvantail du Front national, pour faire oublier peut-être les échecs et les faux-pas de M. Jospin et de ses ministres. Pour un peu, cette résolution aurait pu être adoptée à la sauvette et donner du parti socialiste l'image vertueuse d'une formation attachée à la lutte contre l'extrémisme et à son expression la plus brutale, celle du DPS. Mais le parti socialiste n'est pas un parti vertueux. Certains de ses dirigeants ont manqué et manquent encore de vertu républicaine. M. Christian Estrosi - Oui ! Mme Nicole Catala - Au demeurant, s'il y a eu des faits inacceptables, des violences répréhensibles, pourquoi proposer une commission d'enquête ? Les faits délictueux relèvent de la police et de la justice. Pourquoi Mme le Garde des Sceaux ne donne-t-elle pas l'instruction de les poursuivre ? M. José Rossi - Complicité ! Mme Nicole Catala - Ces questions restent sans réponse. Mais on ne peut pas ne pas estimer, même aujourd'hui, que cette proposition de résolution a le mérite de ressouder les troupes de la formation extrémiste que nous n'avons pas cessé de dénoncer. Face à cette manoeuvre, on serait tenté de défendre une exception d'irrecevabilité non point d'ordre constitutionnel, mais d'ordre politique et moral : "Nemo auditur propriam turpitudinem allegans". Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Les socialistes auraient dû méditer cette maxime que citait souvent Jean Foyer. M. Alain Tourret - Usque tandem abutere patientia nostra, Madame.... Catala ? (Sourires) Mme Nicole Catala - Car cette question préalable est l'occasion de dénoncer avec force la compromission ancienne et constante de certains dirigeants socialistes avec l'extrême-droite, de dénoncer ces "liaisons dangereuses" nouées du temps de François Mitterrand (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). La montée en puissance du Front national depuis les années 80, en effet, n'est pas exclusivement due à la force d'entraînement de son chef, conjuguée au désarroi de nombreux Français. Elle a aussi son origine dans le soutien, dissimulé mais efficace, de François Mitterrand (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). En vérité, tendre le bras aux communistes pour mieux les étouffer, affaiblir la droite républicaine en détournant une partie de son électorat vers l'extrême-droite : tels ont été les objectifs politiques constants de François Mitterrand. Il les a atteints, de façon temporaire sans doute, mais incontestable : de tous les pays de l'Union européenne, la France est celui qui est le plus affecté par la montée de l'extrémisme. Par des manoeuvres blessant la morale républicaine, le chef de l'Etat a, durant deux septennats, renforcé un courant politique porteur de haine et de rejet de l'autre. Les moyens employés à cette fin sont toujours les mêmes : d'abord attiser les craintes engendrées par une immigration excessive, jouer sur la réprobation d'une régularisation à tout-va des immigrés clandestins et sur la désapprobation de leur accès au droit de vote, aiguiser la peur de voir l'identité nationale se dissoudre. Ensuite mettre en oeuvre le mode de scrutin le plus favorable à l'extrême droite. Enfin utiliser les médias pour populariser les thèses du Front national et la personne de son chef, tout en le diabolisant. Depuis le départ de François Mitterrand, ses héritiers n'ont pas véritablement répudié cette politique : bien au contraire, depuis avril 1997, M. Jospin en est le continuateur. Ainsi, il a reporté le nécessaire débat sur l'exclusion, en cours au moment de la dissolution,... M. Alain Tourret - Qui a dissous ? Mme Nicole Catala - ...pour faire voter d'abord par le Parlement la réforme de notre droit de la nationalité et des règles applicables à l'entrée et au séjour des étrangers, sachant bien que sur ces sujets l'opinion est prompte à s'émouvoir. Il a aussi différé la réforme du scrutin régional, alors qu'il disposait de la majorité nécessaire pour l'adopter avant les régionales si tumultueuses. Maintenant, il impose par la force une réforme scélérate ! Les procédés sont toujours les mêmes, notre vie politique des seize dernières années le montre. François Mitterrand a planté le décor avec une habileté diabolique. Il a suffi à Lionel Jospin de poursuivre la pièce, sans inventaire sur ce sujet... Le premier acte date du début des années 80. Aux élections présidentielles de 1974, Jean-Marie Le Pen n'a obtenu que 0,7 % des suffrages. En 1981, il ne se présente pas, faute, semble-t-il, d'un nombre suffisant de parrainages. Mais, dès le début de son septennat, François Mitterrand fait régulariser 150 000 clandestins, élargit les conditions d'accès et de séjour des étrangers, propose d'étendre le droit de vote aux étrangers... Ces mesures, qui heurtent et inquiètent la population, ont rapidement des conséquences électorales : lors de cantonales partielles en 1982, deux candidats du Front national obtiennent l'un 10,5 % des voix dans l'Isère, l'autre 12,7 % à Dreux. Les scores de l'extrême droite ne sont plus marginaux... Simultanément, François Mitterrand veille à ce que Jean-Marie Le Pen diffuse largement ses idées. Ainsi, à la suite d'une rencontre entre M. Le Pen et l'un des conseillers du chef de l'Etat, ce dernier donne l'ordre à TF1 d'inviter le leader du Front national au journal télévisé de 20 heures. Ce sera fait le 29 juin 1982 et dès lors, Jean-Marie Le Pen sera régulièrement convié à s'exprimer sur les ondes. A l'époque pourtant, le Gouvernement n'était pas démuni des moyens de freiner la médiatisation des thèmes du Front national et de son leader. Or non seulement ils ne sont pas mis en oeuvre, mais aucune réprobation des idées lepénistes n'est formulée : François Mitterrand ne combat pas Jean-Marie Le Pen, il s'en sert. Plusieurs interlocuteurs de François Mitterrand le confirment, tel Jean Daniel : "François Mitterrand pensait que la droite française avait vocation à rejoindre l'extrême-droite..." M. le Rapporteur - Il avait raison ! Mme Nicole Catala - Nombreux étaient alors à droite, notamment parmi les gaullistes, ceux qui critiquaient l'extrême droite. M. le Rapporteur - Pas Pasqua ! Mme Nicole Catala - Toujours selon Jean Daniel, François Mitterrand "s'accommodait de cette fatalité au point de la précipiter avec un sadisme réjoui". Cité dans La main droite de Dieu, Paul Quilès indique avoir évoqué la question de l'extrême-droite avec l'ancien Président : "Mes réflexions avec lui ont été nombreuses sur ce sujet. Elles étaient plus stratégiques que politiques. François Mitterrand est assez factieux pour savoir qu'il peut diviser l'adversaire". Jouissant de la complicité inavouée du chef de l'Etat, le Front national réalise aux élections européennes le score le plus important obtenu par un parti d'extrême droite depuis la deuxième guerre mondiale : 11 % des suffrages. La poussée se confirme aux élections cantonales de 1985, où plus de 1 500 candidats se présentent sous l'étiquette du FN et obtiennent 10,44 % des voix. Le Front est installé dans notre vie politique et il ne reste plus à François Mitterrand qu'à le faire entrer au Parlement. C'est ce qu'il fait en imposant la représentation proportionnelle pour les législatives de 1986. Les listes du Front attirent 2,7 millions de voix, soit 9,7 % des suffrages, et 35 députés du Front font leur entrée à l'Assemblée. La manoeuvre, qui tendait à empêcher la droite républicaine de reconquérir la majorité en divisant son électorat, échoue mais de peu : la droite républicaine ne l'emporte que de trois sièges ! Le scrutin majoritaire sera très vite rétabli par le gouvernement de Jacques Chirac, pour la plus grande fureur de M. Le Pen, qui déclare en septembre 1986 : "En privant mes 2,7 millions d'électeurs de représentation à l'Assemblée nationale, M. Pasqua ouvre la voie à la tentation de la violence". On le voit, M. Pasqua, lui aussi, a su combattre le Front national. La violence des attaques contre Jacques Chirac et Charles Pasqua contraste avec la retenue de M. Le Pen à l'égard de M. Mitterrand, qu'il n'attaque jamais ouvertement. Revenue au pouvoir en 1988, la gauche reprend ses pratiques. Dès 1989, à l'initiative de Pierre Joxe, les textes sur l'immigration font l'objet de modifications laxistes, ce qui avive les tentations xénophobes de la fraction de la population la plus directement affectée par la non-intégration de certains étrangers, d'autant que l'insécurité croissante pousse également au vote extrémiste. M. Le Pen n'a plus besoin de l'aide de M. Mitterrand pour passer à la télévision : il est devenu une vedette médiatique, que condamnent en vain les dirigeants de la droite républicaine. Toutefois, le scrutin majoritaire uninominal a été conservé, ce qui empêchera le piège de se refermer. Certes, aux législatives de 1993, le Front national recueille 3 150 000 voix, soit 12,5 % des suffrages et devient la 3ème force politique française... Mais la barre des 12,5 % de voix au premier tour n'est franchie que par un petit nombre de ses candidats et aucun n'entrera à l'Assemblée. M. Le Pen n'en poursuit pas moins sa route : après avoir violemment attaqué Jacques Chirac, qui le condamne avec force, il obtient 15 % des voix à l'élection présidentielle de 1995, soit près d'un tiers de l'électorat habituel de la droite. Le deuxième acte de la pièce dont notre pays demeure le théâtre s'est joué au printemps 1997. Le Front national est devenu en 15 ans une force décisive, capable de faire basculer la majorité. Lorsque s'ouvre la brève campagne électorale d'avril-mai 1997, il apparaît vite que M. Le Pen a choisi son camp : celui de la gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il le dit d'ailleurs clairement le 13 mai 1997, sur Europe 1 : "Je préférerais une assemblée de gauche à une assemblée de droite, car je pense que cela paralyserait M. Chirac dans le projet qu'il a de dissoudre la France dans l'Europe de Maastricht". "Il serait préférable pour la France que celle-ci ait une cohabitation avec une majorité de gauche parce que cela stopperait la dérive mortelle du pays vers l'euro-mondialisme de Maastricht", ajoute-t-il sur RTL le 15 mai. Et, le même jour, "Le projet de Jacques Chirac est le plus dangereux. Celui de Lionel Jospin me semble moins affirmé". Durant toute cette campagne, Jean-Marie Le Pen ne cessera de proférer des condamnations violentes et haineuses à l'encontre des dirigeants de la droite modérée, qui sans relâche ont dénoncé son extrémisme, ses propos injurieux et racistes, sa xénophobie. Ces traits honteux qui le stigmatisent, M. Le Pen vient d'ailleurs de les reconnaître lui-même, dans son différend actuel avec M. Megret, en déclarant que ce dernier s'appuie sur une "minorité extrémiste et même raciste" ! Tel maître, tel élève... M. Alain Tourret - L'élève était au RPR... Mme Nicole Catala - La haine de M. Le Pen pour la droite modérée le conduit à condamner à mort politiquement une douzaine de députés RPR et UDF dont MM. Juppé, Mazeaud, Bayrou, Wiltzer et bien d'autres, que les électeurs du FN sont invités à faire battre. M. Gaëtan Gorce - C'est ridicule ! Ils ont été réélus ! Mme Nicole Catala - Tout au long de la campagne, il est clair que les candidats de la droite républicaine se battent sur deux fronts, que les leaders du FN ont décidé de peser en faveur de la gauche, qu'à aucun moment les chefs de celle-ci n'expriment leur rejet de l'extrême droite. Ayant obtenu près de 15 % des suffrages, le FN est en mesure de maintenir ses candidats dans 132 circonscriptions. Cette situation sera fatale à la majorité sortante : en cas de triangulaire, le maintien du FN prive ses candidats de l'appoint de voix indispensable, même lorsqu'ils sont arrivés en tête, faute de consigne de retrait du candidat de gauche, qui est ainsi parfois élu. 41 députés de gauche, dont 32 socialistes sont élus du fait des triangulaires décidés par le Front national, donc grâce à lui. M. Le Pen a choisi de faire gagner la gauche, qui, il est vrai, ne l'a que mollement combattu durant la campagne... Le 3ème acte se déroule entre juin 1997 et mars 1998. Peu après son arrivée à Matignon, M. Jospin chausse les bottes de M. Mitterrand : au lieu de soumettre à l'Assemblée le projet sur l'exclusion, ou de lui proposer une réforme du scrutin proportionnel applicable aux élections régionales, il se borne à faire voter la mesurette de l'article "49-3" régional. En revanche il fait préparer une réforme de notre code de la nationalité et fait annoncer par le ministre de l'intérieur que les étrangers en situation irrégulière seront régularisés. Immédiatement, 140 000 clandestins se manifestent, un véritable lobbying immigrationniste se met en mouvement. L'examen d'une nouvelle loi réformant les règles d'accès et de séjour sur notre territoire se déroule ainsi : sous la pression des associations et de la rue, M. Jospin, qui a voulu jouer avec l'immigration pour gonfler l'électorat de M. Le Pen, se retrouve pris au piège d'une surenchère dont il n'est toujours pas sorti ! Mais les Français, eux, s'inquiètent de ce surcroît d'immigration. Aussi, les bonnes vieilles méthodes produisant les mêmes effets, la gauche en récolte les fruits vénéneux lors des élections cantonales et régionales du 15 mars. Le maintien de la proportionnelle conduit à ce qu'une majorité de régions ne disposent d'aucune majorité claire, et que dans près d'une moitié d'entre elles les élus du Front national deviennent les arbitres de la situation. Les anathèmes et les violences entourent, dans plusieurs conseils régionaux, l'élection du président, et la gauche conquiert une douzaine de régions. Mais sa victoire doit avoir un goût amer, d'abord parce qu'elle découle en partie de manoeuvres perverses, ensuite parce que dans plusieurs conseils régionaux, c'est la gauche elle-même qui est victime de l'absence de majorité. Le 4ème acte de cette mauvaise pièce est en train de s'écrire : il s'agit de la réforme du scrutin des élections régionales. Si les auteurs de cette réforme étaient mus par un esprit républicain, ils chercheraient à instaurer un mode de scrutin qui conduise à des majorités claires et à écarter toute modalité de vote qui favorise le Front national. Or c'est le contraire : en instituant un scrutin à deux tours, le texte permet toutes les combinaisons : les listes de la gauche composite fusionneront, cependant qu'à droite toute fusion sera interdite entre droite républicaine et FN. M. Bernard Grasset - Vous le regrettez ? Mme Nicole Catala - C'est l'institutionnalisation des triangulaires, c'est la promotion du Front national comme arbitre de la vie politique française. Au moment où ce parti se déchire, vous lui offrez l'assurance qu'il pèsera quand même dans les scrutins régionaux à venir. Cette réforme est scélérate, car elle tend hypocritement à perpétuer l'influence d'une formation extrémiste que, du haut des tribunes, on prétend combattre. Mais a-t-on entendu un seul des beaux esprits de la gauche s'élever contre ce projet ? Silence, on tourne le même scénario depuis 1981. Est-il besoin d'argumenter davantage la question préalable ? La preuve est établie que ceux-là mêmes qui prétendent aujourd'hui enquêter sur le service d'ordre du Front national sont ceux ou les héritiers de ceux qui ont favorisé son essor, grossi son électorat, tout en utilisant les médias pour diaboliser ses chefs et aussi ses électeurs. Ce sont les pyromanes qui crient : au feu ! Ce n'est pas seulement une question préalable que l'on a envie de poser, c'est celle d'un juge : reconnaissez-vous les faits ? Plaidez-vous coupables ? (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. le Rapporteur - Si j'avais eu l'honneur d'être le professeur de Mme Catala, j'aurais noté : hors sujet, car son exposé n'a strictement rien à voir avec ce qui nous occupe ce soir. J'ai l'impression que depuis quelque temps l'habitude est venue de parler de sujets totalement extérieurs à notre ordre du jour. La commission des lois propose ce soir la création d'une commission d'enquête sur le comportement d'une milice nommée DPS et annexe du Front national. Contestez-vous l'existence de ce groupe, contestez-vous des faits avérés et pour certains condamnés par la justice ? Si c'est le cas, cela signifie que vous voulez couvrir d'un manteau d'une blanche pureté les agissements du FN (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Comme je sais que votre intention n'était pas de concurrencer Mme Boutin dans la défense d'une question préalable, vos arguments m'ont surpris. A la commission d'enquête que nous proposons de créer, l'opposition participera. Vous pourrez suggérer des auditions, faire des propositions, dans le sens de la réécriture de l'histoire que vous venez de développer. Créer cette commission devrait recueillir ici le suffrage de tous les républicains (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. José Rossi - Le groupe DL votera la question préalable. Je m'étonne de la position que vient d'exprimer le rapporteur. J'avais cru comprendre, à la fin de son intervention précédente, qu'il avait le sentiment que l'opportunité de la proposition de résolution pouvait faire question. Nous sommes conduits à nous demander s'il s'agit réellement de lutter contre certaines pratiques que nous condamnons tous. Si des actes délictueux ont été commis, que le ministre de l'intérieur fasse jouer l'arsenal répressif et que des procédures judiciaires soient engagées dès aujourd'hui ! Mais en vérité, il s'agit plutôt d'organiser une sorte de spectacle. D'ailleurs cette proposition de résolution dormait depuis six mois dans les tiroirs de la commission des lois : vous l'en avez tirée à la dernière minute, avant que le délai réglementaire n'expire. M. le Rapporteur - Il n'y a pas de délai. M. José Rossi - Quoi qu'il en soit, la police et la justice ont les moyens d'investigation et de sanction nécessaires. Constituer une commission d'enquête ne se justifie donc pas. C'est pourquoi le groupe DL votera la question préalable. M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le groupe UDF salue le superbe exposé de Mme Catala qui a fort bien rappelé l'histoire du développement du Front national dans ce pays et situé clairement les responsabilités. Sans doute la gauche espérait-elle un débat limité à l'issue duquel aurait été prise, dans l'indifférence générale, une décision permettant ensuite au Front national de se poser en victime. Stratégie scélérate... Nous, nous avons choisi une voie plus courageuse : expliquer à nos concitoyens qu'ils font une erreur en votant Front national, leur dire que la haine, le racisme, l'antisémitisme et la désignation de boucs émissaires ne régleront pas leurs problèmes quotidiens. Si des faits délictueux ont été commis, que la justice soit saisie et que la Garde des Sceaux donne, le cas échéant, les instruction nécessaires, comme elle en a fort heureusement encore le pouvoir ! Et si les faits sont graves et les liens entre le service de sécurité et le Front national avérés, que le Gouvernement prenne une décision d'interdiction. Pour le moment, vous ne pouvez pas nous empêcher de penser qu'une étape de plus est franchie dans la spirale de complicité objective dénoncée par Mme Catala. Le groupe UDF votera la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Gaëtan Gorce - Le Gouvernement essaie de gouverner sereinement mais l'opposition s'oppose systématiquement et outrancièrement. Vous prétendez condamner l'extrême-droite, Madame Catala, mais l'adoption de votre question préalable aboutirait à protéger le DPS, émanation du Front national, des investigations d'une commission d'enquête. Vos outrances et vos attaques indécentes contre François Mitterrand n'ont d'autre cause que l'incapacité de la droite à assumer le problème que lui pose l'extrême-droite et sa tentation de passer alliance avec celle-ci, comme elle l'a fait dans quatre régions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Je ne peux expliquer autrement vos outrances que par le fait que rester à l'écart du pouvoir vous est insupportable. Mais permettez-moi de vous dire que le Front national restera comme un coin dans le coeur de la droite, comme une plaie purulente (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), tant que la droite n'assumera pas ses responsabilités vis-à-vis de celui-ci et s'en tiendra à la thèse selon laquelle le Front national serait le produit d'une stratégie machiavélique de François Mitterrand et de la gauche au pouvoir ! Figurez-vous qu'il existe une extrême-droite dans ce pays, ainsi que du racisme et de la xénophobie, et tant que vous n'accepterez pas de regarder en face les causes profondes de ce mal, vous n'en aurez pas fini avec le Front national ! La démocratie non plus, malheureusement. On pouvait aborder ce débat d'une autre façon et éviter les procès d'intention. La question est en effet la suivante : les agissements reprochés sont-ils le produit d'une organisation programmée ou une série d'éléments que des coïncidences auraient rapprochés ? Beaucoup d'indices donnent à penser que ces agissements obéissent à un plan. Usurpation de fonction publique, menaces, écoutes illégales... M. Gilbert Meyer - Les écoutes illégales, parlons-en ! M. Gaëtan Gorce - ...armement, entraînement de forces armées, tout cela mérite quand même une enquête. Et il est normal que la République veuille se protéger et s'informer. En tant qu'élu de la Nièvre et ancien collaborateur de François Mitterrand, vous me permettrez de m'élever contre les attaques personnelles que vous avez lancées à son encontre. Libre à vous de dresser un bilan de son action politique, mais ne vous en prenez pas ainsi à l'homme, surtout quand il ne peut pas vous répondre ! Un député RPR - Rocard ! M. Gaëtan Gorce - La manoeuvre est évidente : vous cherchez à jeter l'opprobre sur la gauche et à la rendre responsable de vos propres défaillances. Qui aide l'extrême-droite à se poser en victime sinon ceux qui opposent cette question préalable ? C'est pourquoi il faut rejeter celle-ci d'un revers de main et laisser l'Assemblée se prononcer sans délai sur une commission d'enquête destinée à aider la République à se protéger (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Jacques Limouzy - Vous avez dit, Monsieur le rapporteur, que Mme Catala était hors sujet, mais on est toujours un peu hors sujet quand on domine celui-ci et qu'on élève la discussion. Le groupe RPR votera la question préalable pour toutes les raisons précédemment exposées et aussi parce que c'est Mme Catala qui l'a défendue. Plusieurs députés socialistes - En voilà une raison ! M. Jacques Limouzy - Je ne veux pas tomber dans la casuistique de l'orateur précédent. Mais permettez-moi de conclure par un voeu : si par hasard -je n'y crois guère- le Front national s'effondrait, je souhaite qu'il ne manque pas trop à la gauche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. M. Alain Tourret - Cette commission d'enquête aurait pu concerner le Front national lui-même tant il est vrai que ce parti qui se met délibérément en marge de la démocratie, utilise l'intimidation, manie l'injure, le racisme et la xénophobie, collectionne les condamnations tant en raison de sa négation des chambres à gaz que de l'égalité des races, n'est pas un parti comme les autres. Mais notre démocratie -c'est sa force, comme ce fut sa faiblesse- a admis l'existence du Front national, et lui donne même le droit de percevoir de l'argent public. Pour autant, le fait que nous ne voulons pas invoquer contre le Front national les textes relatifs aux mouvements dissous et aux groupes de combat, en raison de leur complexité, ne doit pas nous conduire à relâcher notre vigilance. Or le DPS, bras armé du Front national, est organisé de façon paramilitaire et ne s'en cache pas. Pour l'instant, il ne se comporte que comme une cohorte prétorienne, protégeant son chef et organisant des milices musclées. Mais les divisions internes du Front national vont créer des tensions. Le pouvoir des porte-flingues s'annonce. Les purges ordonnées par le "führer" ne se feront pas sans mal. Comme dans les mafias, les éliminations se feront brutalement. Rappelons à ce sujet la disparition inexpliquée de François Duprat, alors opposant à M. Le Pen. Cette commission d'enquête s'impose donc. Elle permettra de connaître les soutiens du Front national, son origine, le rôle joué par le mouvement Occident, dont de nombreux membres sont aujourd'hui au RPR comme dans les autres partis de droite. MM. Chirac, Balladur, Juppé ont confié les postes les plus éminents à d'anciens membres d'Occident. M. Mégret a appartenu au RPR. Le maire de Nice, aujourd'hui membre éminent du RPR, était il y a peu de temps au Front national. Les passerelles existent entre le RPR et le Front national, et inversement, comme avec les autres partis de droite. Telle est la réalité, et nul ne peut le contester. Qui a dit, Madame Catala, qu'il y avait des idéaux communs entre le FN et le RPR, sinon M. Pasqua ? Nous, nous n'en avons pas. M. Patrick Devedjian - Nous, nous ne fréquentions pas les pourvoyeurs de chambres à gaz ! Nous ne fréquentions pas M. Bousquet ! M. Alain Tourret - Avec qui sont alliés M. Millon, M. Soisson, M. Blanc ? Je ne sais si la commission d'enquête le dira, mais je sais combien il est indispensable d'informer la Représentation nationale sur les manoeuvres des fascistes. Nous voterons donc la résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. José Rossi - Ce que vient de dire M. Tourret témoigne de l'intention profonde des auteurs de la proposition de résolution : il s'agit d'une opération politique, destinée à dénoncer des alliances supposées avec le Front national... M. Jean-Pierre Blazy - Pas "supposées" ! M. José Rossi - En somme M. Tourret a entièrement confirmé le propos de Mme Catala. S'agissant des propositions de M. Aschieri et de M. Gaïa tendant à constituer une commission d'enquête sur les agissements du DPS, nous sommes fondés à nous interroger sur vos motivations. Quoi qu'il en soit, elles ne sont pas fondées. Vous avez aujourd'hui tous les moyens de lutter contre les actes délictueux qui peuvent être commis, comme il est effectivement arrivé. Je le souligne, nous sommes tous attachés aux principes de la démocratie, aux droits de l'homme et aux lois de la République. Nous considérons la sûreté comme un droit inaliénable et imprescriptible. Nous pensons qu'il incombe à l'Etat d'assurer la liberté et la sécurité de chacun. Nous condamnons tous les actes de violence d'où qu'ils viennent. Et par conséquent -ce qui, chose étonnante, ne semble pas être votre cas, Monsieur le ministre- nous faisons confiance à la police et à la justice pour punir les contrevenants. En la matière, la justice a d'ailleurs bien fait son travail, et condamné ceux qui s'étaient rendus coupables des actes que vise la présente proposition, arrestation illégale et usurpation des fonctions de police judiciaire. Elle s'est déjà prononcée également sur les actes de violence commis contre des personnes à l'occasion de manifestations publiques. Il nous semble donc que, lorsque des procédures sont mises en route, elles sont opérantes et vont à leur terme. Mais voyons la chose sous un autre angle. Considérons les commissions d'enquête qui, ces dernières années, ont travaillé dans de bonnes conditions, et dont les conclusions ont connu un certain rayonnement. Pour l'essentiel, ce sont celles qui avaient été présentées comme des instruments indispensables pour contrôler l'action du Gouvernement. Référons-nous d'ailleurs à l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, ainsi qu'aux articles 140 et suivants de notre Règlement. Il en ressort que ces commissions ont pour objet de recueillir des informations sur des faits déterminés, ou sur la gestion des services publics et des entreprises nationales. La proposition de résolution doit déterminer avec précision soit les faits visés, soit les services ou entreprises publics dont la commission est appelée à examiner la gestion. Dans la pratique, ces dernières années, les commissions d'enquête ont été créées le plus souvent pour informer la Représentation nationale sur les carences de l'Etat. Ainsi la commission Novelli sur les aides à l'emploi a souligné les incohérences de la politique de l'emploi. La commission d'enquête sur le Crédit Lyonnais, qu'a dirigée notre président de séance, a montré la grande légèreté qui avait caractérisé le contrôle de l'Etat. La commission d'enquête sur la MNEF qu'a proposée M. Goasguen a visé à faire la lumière -et vous l'avez accepté- sur l'origine de fonds qui auraient pu être détournés, dans un organisme qui remplit une véritable fonction de service public pour les étudiants. Les commissions d'enquête qui ont acquis rayonnement et autorité sont celles qui ont eu pour objet d'éclairer le Parlement sur les dysfonctionnements de l'action étatique. Jamais elles n'ont eu pour but de se substituer à la police ou à la justice. La preuve en est qu'elles ne peuvent se saisir de faits qui donnent lieu à des poursuites judiciaires. Sommes-nous donc dans un cadre qui justifierait une commission d'enquête ? Le groupe DL ne le pense pas. Le DPS n'est ni un service public ni une entreprise nationale, mais un organisme de droit privé, et il ne touche pas de fonds publics, contrairement au parti auquel il est lié. Les faits que vise la proposition de résolution ne font l'objet d'aucune précision réelle. Certes vous citez les événements de Monceau-les-Mines et de Mantes-la-Jolie, mais il me semble qu'ils ont fait l'objet de procédures judiciaires qui sont parvenues à leur terme. Quel surcroît de lumière peut-on attendre d'une commission d'enquête, sauf à dénigrer le travail de la justice ? En réalité, et Mme Catala l'a bien montré, cette proposition ressemble à une manoeuvre destinée à alimenter les polémiques et à polariser une fois de plus tout le débat politique autour du Front national. Par une curieuse coïncidence, ce projet arrive alors que votre gouvernement doit faire face à de réelles difficultés. Quel meilleur atout alors que d'agiter à nouveau ce chiffon rouge qui vous a rendu tant de services ? Dans le rapport, on nous accuse un peu de ne pas prendre nos responsabilités face à ce mouvement qui porte atteinte à la démocratie... Nous ne voulons pas cautionner un tel montage politique, alors que tous les moyens existent pour préserver la République. Notre position est claire. Nous n'avons aucune complaisance envers des mouvements qui se livrent à des actes délictueux. Comme vous, nous souhaitons que ces actes soient punis. Si le groupe en question agit illégalement, le Gouvernement a les moyens de censurer ses actes. La loi du 10 janvier 1936 autorise la dissolution des associations qui portent atteinte à l'ordre public et à la démocratie, et notamment à celles qui présentent le caractère de groupes de combat ou de milices privées. Dans une réponse à une question écrite du 5 février 1998, M. le ministre de l'intérieur indiquait que les actions des membres du DPS ne conféraient pas à celui-ci les caractères d'un groupe de combat ou d'une milice privée. Il excluait ainsi la voie de la dissolution administrative, s'en remettant aux poursuites judiciaires que de tels actes pourraient appeler. Le nouveau code pénal comporte d'ailleurs une incrimination spécifique pour les groupes de combat. Le ministre de l'intérieur concluait que l'organisme en question devait faire l'objet d'une attention particulière. Nous nous en remettons donc à vous, Monsieur le ministre. Si une répression est nécessaire, elle incombe à vous-même et à la justice, non au Parlement. Et si rien ne justifie des sanctions, à quoi bon une commission d'enquête ? Nous dénonçons l'ambiguïté de la démarche. Vous êtes la majorité et le gouvernement de la France : vous avez la police et le ministère public. Qu'attendez-vous pour agir, au lieu de vous défausser sur une commission d'enquête-alibi ? Le groupe Démocratie Libérale, qui désapprouve votre méthode même, ne prendra pas part au vote sur la création de cette commission d'enquête. Il participera en revanche à ses travaux comme en ont le devoir les députés de l'opposition. Il serait cocasse que cette commission soit contrainte de conclure à la défaillance de la police et de la justice elles-mêmes. Nous ne pensons pas que tel soit le cas puisque, chaque fois que nécessaire, des poursuites ont été engagées et des condamnations prononcées. A quoi servira donc cette commission d'enquête si ce n'est à entretenir le spectacle ? Point n'était pourtant besoin d'en rajouter en ce moment. Que le Parlement se concentre plutôt sur les sujets qui intéressent les Français au quotidien. Ne détournez pas nos concitoyens des problèmes concrets qui aujourd'hui les angoissent et sont autrement plus graves que celui dont nous débattons ce soir... pour autant que police et justice assument pleinement leurs responsabilités. Et, fort heureusement, il existe dans notre pays les moyens de faire respecter la loi... si on le veut (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Mme Geneviève Perrin-Gaillard - C'est avec courage et détermination que nous devrons nous prononcer sur la création d'une commission d'enquête sur le Département protection sécurité, organisation chargée de l'ordre et de la sécurité lors des manifestations du Front national. Je ne rappellerai pas l'histoire de notre mobilisation contre ce parti : elle aurait été à coup sûr plus noble que celle qui vient de nous être livrée sans conviction. Comment des agissements comme ceux constatés à Strasbourg, Mantes-la-Jolie, Montceau-les-Mines et plus généralement chaque fois que des manifestations de protestation contre le Front national sont organisées, ont-ils été possibles ? Sont-ils le fait d'un groupement susceptible de tomber sous le coup de la loi de 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées ? Ce groupement a-t-il une organisation structurée et hiérarchisée ? C'est à ces questions que la commission se propose de répondre. Son souci, qui répond à une exigence démocratique, aurait pu être largement partagé dans cet hémicycle, au-delà de toute considération politicienne. Il est grand temps de s'interroger sur le DPS, d'évaluer ses moyens et ses soutiens. S'il porte atteinte à l'ordre public et contrevient à la loi de 1936, il convient de prendre les mesures qui s'imposent. Si tel n'est pas le cas, notre vigilance ne devra pas pour autant se relâcher. Dans les deux cas, le Parlement aura rempli son devoir. Il serait criminel de se défausser sur un sujet qui comporte de tels enjeux, surtout au moment où certains regrettent que les parlementaires voient leurs pouvoirs réduits. En proposant de créer cette commission d'enquête, l'Assemblée nationale ne fait que son travail, quoi qu'en pensent ceux qui recherchent en permanence la polémique et souhaitent, à cette occasion, jeter l'opprobre sur les parlementaires de gauche en particulier. J'ai, pour ma part, conscience, avec mes collègues socialistes, de remplir mon devoir, en proposant de mener ces investigations nécessaires pour éclairer nos concitoyens. Le sujet est grave. S'il n'était pas abordé en toute transparence et en toute impartialité, c'est-à-dire si les faits n'étaient pas jugés sur pièces, notre pays pourrait voir les principes républicains eux-mêmes menacés. C'est pourquoi je soutiendrai la proposition de création d'une commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Patrick Devedjian - Quel est l'objet de cette commission d'enquête ? Ce n'est pas de trouver les moyens de dissoudre le Front national. Vous n'auriez pas autrement mis en cause le seul DPS, indissoluble du parti. Pourquoi vous être centrés sur lui seulement ? Cette commission peut-elle aboutir à quelque chose ? Soit elle découvrira des infractions avérées susceptibles de justifier l'application de 1936. Soit elle n'en découvrira pas. Quel aura alors été son intérêt ? Toute la question est là : le Gouvernement peut-il appliquer la loi de 1936, c'est-à-dire prononcer par décret en Conseil des ministres la dissolution du Front national, ou à tout le moins de son service d'ordre, le DPS ? Il est prouvé que ce parti s'appuie sur des milices et que celles-ci ont commis des infractions. Des jugements ont d'ailleurs déjà été rendus sur le sujet. Le Gouvernement peut donc parfaitement et d'ores et déjà dissoudre le Front national. La présente commission d'enquête n'a donc pas pour objet de conduire à l'application de la loi de janvier 1936. Dans ces conditions, vous vous moquez de nous en inscrivant ces propositions de résolution à l'ordre du jour au moment précis où le Front national traverse de graves turbulences au point que les véritables démocrates peuvent espérer qu'il se scindera au moins en deux. C'est l'espoir sincère de tous ceux qui n'ont pas été élus grâce à lui dans une triangulaire, Monsieur Queyranne. Que cherchez-vous ? A créer une union sacrée entre les deux protagonistes dont nous espérons qu'ils en viendront à des positions extrêmes mais que vous invitez à se réconcilier, en agitant cette menace, fallacieuse au demeurant. Si la division du Front national vous gêne tant, Monsieur Queyranne, offrez vos bons offices afin que Le Pen et Mégret se serrent de nouveau la main. Mais ne nous demandez pas de cautionner cette pantalonnade, de surcroît en nous faisant la morale. 41 députés de gauche ont été élus dans une triangulaire avec le Front national, dont vous-même, Monsieur Queyranne. Vous avez trop intérêt à ce que le Front national soit puissant pour vouloir sincèrement sa disparition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Les conditions d'application de la loi de 1936 sont d'ores et déjà réunies. Si vous voulez interdire le Front national et le DPS faites-le de suite. Vous en avez les moyens. Quant à nous, nous ne prendrons pas part au vote sur la création de cette commission d'enquête. Mme Catherine Picard - Quel courage ! M. Guy Hermier - Je vois M. Estrosi protester. Monsieur Estrosi, dois-je rappeler que vous étiez le plus chaud partisan d'une alliance de la droite avec le Front national en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Vous devriez donc vous taire. Le groupe communiste votera la création de cette commission d'enquête. Mme Catala nous a présenté le RPR comme le fer de lance du combat contre le Front national. Elle nous a demandé de ne pas nous inquiéter et a refusé que l'Assemblée nationale se dote des moyens d'investigation pour savoir si le DPS constituait une milice paramilitaire, susceptible de menacer notre démocratie. Madame Catala, si vous êtes à ce point prête à lutter contre le Front national, faites que la représentation nationale puisse jouer son rôle. La commission a examiné les deux propositions de résolution le 14 mai dernier et celles-ci étaient inscrites à l'ordre du jour bien avant que le Front national ne tombe sous les feux de l'actualité depuis dimanche dernier. Le 10 décembre 1997, Georges Hage adressait une question écrite au ministre de l'intérieur pour lui demander une enquête sur l'organisation et les agissements du DPS, alors présenté comme un simple service d'ordre. En effet des faits délictueux, des témoignages, des reportages avaient ému l'opinion et fait craindre la constitution d'une milice qui menacerait la démocratie. Notre groupe est profondément attaché à l'indépendance des organisations, condition première de la démocratie pluraliste. Ces organisations assurent normalement le service d'ordre de leurs manifestations. Mais il n'est pas permanent, et est composé de bénévoles. Or d'après les informations dont on dispose, le DPS serait organisé sur un mode paramilitaire, disposerait d'armements non autorisés et dispenserait une formation de combat. Il ferait appel à 3 000 volontaires dont 1 700 régulièrement, avec port d'uniformes et d'insignes distinctifs. Il serait organisé en six zones dirigés par des coordonateurs qui contrôleraient 22 responsables régionaux et 95 responsables départementaux. Il semble enfin avoir recours à des équipes spécialisées pour les interventions musclées. On l'a vu à Montceau-les-Mines le 25 octobre 1996. En mars 1997 lors du congrès du Front national à Strasbourg, des membres du DPS se sont même fait passer pour des policiers. Selon la centrale unitaire de la police, le DPS disposerait d'un fichier de personnes anti-Front national. Enfin, il encourage la discrimination, la violence et la haine parmi ses membres. On les a vu à l'oeuvre à Mantes-la-Jolie. Aussi beaucoup d'élus ont-ils demandé qu'on applique les lois actuellement en vigueur, comme celle du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, ainsi que les articles du code pénal sur la participation à un mouvement dissous, et ceux du nouveau code pénal de 1992 relatif à la participation à un groupe de combat. Le 14 mai la commission des lois a estimé que des investigations approfondies étaient nécessaires pour déterminer si la nature et les missions du DPS le rapprochent d'un groupement interdit par la loi. Pour cela elle a proposé la création d'une commission d'enquête pluraliste et assurant une approche fiable et impartiale du dossier. Notre groupe y est favorable et participera activement à ses travaux dans un souci d'impartialité et de vigilance républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV) M. Renaud Donnedieu de Vabres - Enquêter, contrôler sont des objectifs a atteindre pour revitaliser le Parlement, et lorsqu'on est nouveau parlementaire, on s'étonne de ne pas le faire davantage. Donc, si l'on nous propose de renforcer le rôle de contrôle du Parlement, pourquoi pas ? Mais nous nous heurtons à deux objections. D'abord, lorsque l'opposition vous l'a demandé, vous l'avez refusé. Nous souhaitions une commission d'enquête ou une mission d'information sur la régularisation des sans-papiers afin de voir comment les choses se passaient département par département et aussi -cela vous aurait été utile- ce qu'il advenait de ceux qui n'étaient pas régularisés. C'eût été normal. Mais c'était l'opposition qui le proposait. Vous l'avez refusé. Aujourd'hui, il s'agit du Front national et du DPS, et cela légitime tout. L'argument serait recevable si vous n'aviez pas adopté il y a quelques jours une loi totalement indigne de la démocratie, qui institutionnalise les triangulaires dans les élections régionales et menace l'unité de la République en permettant que des listes départementales s'opposent avant de fusionner. Nous ne pouvons accepter les leçons de vertu républicaine que vous voulez donner aujourd'hui après avoir, il y a quinze jours placé le Front national au centre de la vie politique. Pourtant certains sujets devraient pouvoir nous rassembler. C'est le cas de la loi électorale. C'aurait pu l'être d'une commission d'enquête sur le DPS, dont l'attitude est contraire aux lois de la République. Mais le cynisme de la gauche ces dernières années et il y a quinze jours encore ne le permet pas. Au lieu de faire reculer les motifs d'exaspération qui conduisent nos concitoyens à l'extrémisme, vous adoptez des mesures de provocation. Y avait-il une urgence sociale à revenir sur le code de la nationalité,... Mme Nicole Catala - Très bien ! M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...ce qui n'améliorera en rien la cohabitation dans les quartiers ? Vous provoquez... M. Jean-Pierre Blazy - C'est vous qui êtes provoquant ! M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...puis vous tendez le filet électoral pour ramasser les voix. Mme Nicole Catala - Très juste. M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le courage aujourd'hui, c'est de dire que prêcher la haine et l'exclusion, désigner des boucs émissaires ne sont pas des remèdes pour notre société. Le courage, c'est de dire que certains accords n'auraient pas eu les mêmes effets électoraux s'ils avait été non pas souterrains mais officiels. M. Bernard Grasset - En Picardie ? M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le courage, c'est de dire à notre électorat que l'accord, l'alliance avec le Front national ne fait pas le jeu de la droite, il fait le jeu de la gauche. M. Bernard Grasset - Et Millon ? M. Renaud Donnedieu de Vabres - Ce genre de propos n'est pas facile à tenir. Dans nos circonscriptions, on nous rend responsables d'avoir livré des régions à la gauche en ne faisant pas d'accord avec le Front national. Il nous faut, en réponse, éclairer le jeu que la gauche a souvent pratiqué avec lui. Il consiste d'abord à se livrer à des provocations qui heurtent le bon sens ; ensuite à ne pas traiter les problèmes concrets. Il faut faire un tri dans ce que disent les électeurs, y compris ceux du Front national, entre les sujets qui devraient être traités davantage et les idées qu'il faut avoir le courage de combattre. A la création d'une commission d'enquête nous préférons la solution beaucoup plus efficace qui consiste à faire confiance dans la justice, la police, la gendarmerie pour combattre les délits, surtout si les informations dont disposent le ministre de l'intérieur et le garde des Sceaux leur sont transmises. A chacun son rôle : nous, élus, devons nous battre sur le terrain des idées, convaincre nos concitoyens qu'ils sont dans l'erreur, être une force de proposition, d'action, de persuasion, de novation. Ne nous réjouissons pas trop des divisions actuelles au sein du FN, elles peuvent entraîner des frustrations et éloigner ainsi certains des valeurs de cohésion et de solidarité qui sont les nôtres. Bien sûr, nous pourrions aujourd'hui nous réjouir de voir le Parlement jouer son rôle, mais la loi adoptée dans l'urgence sur le mode de scrutin pour les régionales discrédite totalement la majorité. Il lui reste une chance en deuxième lecture, en favorisant au deuxième tour, comme nous le proposons, un duel projet contre projet, républicains de droite contre républicains de gauche, de faire oublier ses responsabilités passées car, avant 1981, le Front national ne paralysait pas notre vie politique. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF, qui assume toutes ses responsabilités dans le combat politique contre l'extrémisme, ne participera pas au vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. le Rapporteur - Courage, fuyons... Mme Marie-Hélène Aubert - Je me réjouis que cette commission d'enquête voie enfin le jour, d'autant que les députés Verts et plusieurs RCV ont déposé une proposition de résolution en ce sens dès le 6 mars dernier. En effet, si la République garantit à chacun, individuellement comme collectivement, le droit de s'exprimer et de contester, celui-ci doit respecter les principes de souveraineté nationale et de démocratie et l'on ne saurait tolérer, sous couvert d'une formation politique légale -on peut aussi s'interroger sur la légalité du FN, mais c'est un autre débat- la formation d'organisations paramilitaires. Je ne reviendrai pas sur les faits incriminés, qui méritent à l'évidence une investigation. Il faut donc faire la lumière sur les agissements du groupe de fait dit DPS, établir s'il tombe sous le coup de la loi du 10 juillet 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées, voir comment son activité délétère a été possible. La loi de 1936, votée à la suite des événements de février 1934, s'est appliquée aux ligues, par exemple aux Camelots du roi ou aux Croix de feu et, plus récemment, au FANE accusé, en 1985, de "propager une idéologie antisémite, raciste et pronazie" et au HVE, qui présentait en 1993 "les caractères d'un groupe de combat". En tant qu'écologistes, nous sommes certes héritiers d'une certaine tradition contestataire, mais tout autant des principes de la non-violence. Particulièrement réfractaires à toute idée de censure des idées ou des manifestations, nous pensons que c'est la force de la démocratie que d'accepter leurs différentes expressions, même lorsqu'elles nous heurtent profondément, à condition toutefois qu'elles ne mettent pas en cause la sécurité et n'incitent pas à la violence. Ce qui est intolérable, c'est que ce type de groupements fasse peur à nos concitoyens. Lorsque certains jeunes à la peau mate hésitent à passer leurs vacances dans certaines villes de France ou à assister à un match de football de leur équipe parisienne préférée, où est la sécurité que tout habitant de ce pays est en droit d'attendre de l'Etat ? N'est-ce pas sa fonction régalienne essentielle ? M. François Goulard - Que fait la police ? Mme Marie-Hélène Aubert - Pour toutes ces raisons, nous approuvons la création de cette commission d'enquête et souhaitons qu'elle mène son difficile travail à bien. C'est une oeuvre de salubrité publique et le cynisme, Monsieur Donnedieu de Vabres, serait de ne rien faire. Cependant, une telle commission, si elle est nécessaire, ne suffira pas à faire reculer le Front national. C'est la force et la clarté de nos convictions, la rénovation de la démocratie et, surtout, l'efficacité des politiques publiques dans le respect de nos engagements qui le renverront à la marginalité d'où il n'aurait jamais dû sortir. M. François Goulard - Merci Mitterrand... M. Bernard Grasset - J'ai vu dans le propos remarquable de Mme Catala plus une comédie en quatre actes qu'une tragédie classique. Le nom de François Mitterrand y revenait comme une litanie, comme si elle le jugeait encore plus grand mort que vivant. Enfin, dans une conclusion digne de Molière, elle nous a dit, en fait, voilà pourquoi votre fille est muette... Dans un stade, une réunion publique ou une manifestation autorisée sur la voie publique, toute association, tout syndicat, tout mouvement politique utilise, pour la bonne marche de son organisation, des adhérents ou des militants chargés d'y maintenir l'ordre et la sécurité sans se substituer en aucun à la force publique. Mais dès lors, qu'un mouvement utilise un groupe d'individus organisés sous le nom de Département Protection Sécurité, organisés militairement, revêtus d'un semblant d'uniforme et utilisant souvent des armes par destination, il est permis de se demander si l'on ne passe pas insensiblement du service d'ordre à une protection musclée et provocatrice émanant d'un parti politique qui prétend par ailleurs participer à la vie démocratique de notre pays. Nous avons connu, il y a quelques années, le service d'action civique et ses dérives meurtrières. De nombreux incidents ont émaillé les actions de ce service d'ordre du Front national, allant de l'usurpation de fonction d'autorité à des voies de fait caractérisées. Même si les dispositions relatives aux mouvements dissous ou à la participation à un groupe de combat permettent au moins de sanctionner de tels méfaits, il est utile pour tous que nous sachions exactement à quoi nous en tenir sur l'activité de ce DPS, sur ses comportements, sur ses activités. Il ne s'agit pas de pénaliser le service d'ordre d'un mouvement politique qui accomplit sans violence ni provocation la mission qui lui est impartie mais de collationner et de vérifier les informations relatives aux débordements du DPS, en faisant le point sur son organisation, sur ses objectifs, sur ses soutiens, sur ses agissements. Nous ne pourrions que nous réjouir que l'enquête ne montre pas de faits répréhensibles. Mais si, à la lumière de graves incidents répétés, nous constatons que ce service d'ordre, véritable police privée au service d'une formation politique agit hors du cadre légal, dans un but de déstabilisation, il sera alors justifié d'appliquer les lois et règlements qui répriment de tels agissements. L'histoire bégaie et Mme Catala nous en fait la démonstration. Déjà, en 1936, la droite, sur les mêmes bancs, accusait Léon Blum de faire le jeu des ligues. Aujourd'hui, pour lutter contre le Front national, il ne faudrait surtout pas enquêter sur le DPS... M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nous n'avons jamais dit ça. M. Bernard Grasset - ...mais agiter les mêmes fantasmes sécuritaires, anti-immigré -qui a parlé des odeurs ?- et homophobes, faire comprendre à ses électeurs que l'on fait aussi bien mais en plus chic. M. Peyrat, qui est des vôtres et qui fut des leurs, l'a bien compris. Plus convaincu encore après les patenôtres mielleuses des orateurs de droite, je voterai pour la création de cette commission d'enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. le Président - Conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé : "Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit "Département protection sécurité" et les soutiens dont il bénéficierait." L'article unique de la proposition, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 15 décembre, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent. La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel. La séance, suspendue à 23 heures 15, est reprise à 23 heures 25. M. le Président - Il nous reste deux textes à examiner ce soir. J'invite chaque orateur à s'en tenir strictement à son temps de parole.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. André Lajoinie et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur certaines pratiques des groupes industriels, de services et financiers, relatives à l'emploi et à l'aménagement du territoire. M. Philippe Duron, rapporteur de la commission de la production - Le 1er juillet dernier, la commission de la production a examiné la proposition de résolution déposée par le président André Lajoinie et ses collègues. L'objet de la commission d'enquête dont la création nous est proposée est d'étudier les pratiques de certains grands groupes, comme les délocalisations, l'externalisation croissante des activités, des transferts financiers peu transparents ou encore une modernisation des appareils de production et une reconversion des sites volontairement trop hésitantes. L'examen de cette proposition sous l'angle de sa recevabilité formelle, conformément à l'application de l'article 141 du Règlement, montra que la condition relative à l'absence de poursuites judiciaires était en principe remplie. En effet, Mme la Garde des Sceaux a informé le président de l'Assemblée le 28 mai qu'elle ne pouvait pas lui faire savoir si des poursuites étaient en cours sur les faits ayant motivé cette proposition en raison de la formulation trop générale de cette dernière. C'est donc uniquement au regard de l'opportunité de la création de cette commission d'enquête que la proposition a été examinée. Jusqu'au début des années 80, les grandes entreprises françaises se caractérisaient par un niveau d'investissements à l'étranger relativement faible, mais cette situation a changé dans la deuxième moitié de la décennie précédente, qui a vu une forte croissance de ces investissements. Sur la période 1992-1996, les pays développés ont accueilli 85 % de ceux-ci, dont environ 50 % pour les seuls pays de l'Union européenne tandis que les investissements à destination des pays en développement restaient stables. La croissance des investissements des grands groupes français à l'étranger ne traduit donc pas toujours un mouvement massif de délocalisation au profit de pays à faible coût de main-d'oeuvre. Elle obéit aussi à des stratégies de développement et de conquête de marchés. Parallèlement, les grands groupes étrangers apportent une contribution importante à l'activité industrielle en France. Notre pays s'intègre donc dans la stratégie de mondialisation des grands groupes industriels multinationaux. Pour la localisation des unités de production, le critère des coûts de production, notamment des coûts salariaux, est loin d'être le seul pris en compte. Plusieurs facteurs, comme la nécessité de prendre mieux en compte les besoins des clients, jouent en faveur d'une implantation à proximité des consommateurs. Quant aux fermetures de sites, elles s'inscrivent le plus souvent dans une logique d'optimisation des conditions de production. On se souvient de la fermeture par le groupe américain Hoover, il y a cinq ans, de son usine à Longvie en Bourgogne et de l'implantation d'une nouvelle usine en Ecosse, manoeuvre qui avait entraîné la suppression de près de 680 emplois dans notre pays. Rappelons aussi la fermeture par le japonais JVC de son établissement lorrain de Villers-la-Montagne, entraînant la suppression de 243 emplois. Ces cas de fermetures de sites suivis d'une relocalisation de la même activité dans un pays différent, sont certes douloureux, mais ils restent relativement rares. La véritable concurrence entre territoires joue plutôt au moment du choix de l'implantation de nouveaux investissements. Dans ce domaine, la France ne manque pas d'atouts, puisqu'elle se situait en 1996 au troisième rang mondial après les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Nous devons cependant rester vigilants, d'une part afin d'éviter les distorsions de concurrence, notamment entre les pays de l'Union européenne, d'autre part afin que les aides publiques dont bénéficient les investisseurs ne soient pas détournées de leur objet, à savoir l'emploi et le développement équilibré et durable de notre territoire. Compte tenu de la discussion prochaine du projet de loi de Mme Voynet sur l'aménagement et le développement durable du territoire, de la négociation de la nouvelle génération des contrats de plan Etat-régions et de la révision des dispositions relatives aux fonds structurels communautaires, j'insiste particulièrement sur ce dernier point. Traduisant notre souci d'une meilleure implication des entreprises dans le développement durable de nos régions et dans la lutte pour résorber le chômage, la proposition de création d'une commission d'enquête sur le thème proposé paraît donc opportune. Elle constituerait un bon moyen d'examiner l'utilisation qui est faite par les entreprises, françaises ou multinationales, des aides publiques dont elles bénéficient. Elle pourrait également proposer de nouveaux moyens de contrôle aux pouvoirs publics et aux salariés, le but n'étant pas de stigmatiser les entreprises, mais d'étudier certaines pratiques aux limites du droit, voire vraiment déviantes. La commission d'enquête pourra également examiner les conséquences de l'évolution du contexte légal, des régimes d'aides à l'emploi, des conditions de travail au sein des entreprises. Elle pourra aussi se pencher sur le problème des distorsions de concurrence induites par la différence de niveau des aides communautaires entre les Etats de l'Union européenne et faire des propositions pour y remédier. Pour toutes ces raisons, la commission de la production a, suivant l'avis de son rapporteur, adopté la proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. André Lajoinie, président de la commission de la production - La persistance d'un chômage massif et l'accroissement de la précarité sont à l'origine de milliers de drames humains et d'un énorme gâchis pour la société française, gâchis qui a un coût social grandissant. Cette réalité nous interpelle tous et la présente proposition, dont j'ai eu l'honneur d'être le premier signataire, se veut un moyen de chercher à y répondre. Le Premier ministre déclarait récemment que "si la précarité est systématique dans les entreprises, il ne faut pas s'étonner qu'un jour elle se vive dans la rue". Il poursuivait en disant que "c'est à une conception de la société n'opposant pas l'économique et le social qu'il faut travailler". La commission d'enquête qu'il vous est proposé de créer s'inscrit dans cette perspective. Elle a en effet pour objectif de faire des propositions conciliant le devenir économique des grandes entreprises avec l'avenir de la société dans son ensemble. Il ne s'agira pas de diaboliser les entreprises mais de voir comment elles assument ou non leur responsabilité sociale et comment leurs actions favorisent ou non l'emploi. Dans cet esprit, certaines pratiques, parfois à la limite de la légalité ou profitant de vides juridiques, devront être examinées du point de vue de leur impact sur l'emploi stable, la croissance réelle et le développement équilibré du territoire. Je pense en particulier aux délocalisations et à l'externalisation, qui mettent en concurrence des hommes, des territoires mais aussi les PME sous-traitantes. La commission d'enquête pourra également s'intéresser aux relations financières à l'intérieur des groupes et au retard, parfois volontaire, de la modernisation de certaines filiales. Il est légitime que la représentation nationale se saisisse de ces problèmes, étant entendu que les grands groupes représentent à eux seuls plus du quart de la main-d'oeuvre et la moitié des capitaux fixes et des profits bruts du système productif français. Le droit des pouvoirs publics de les questionner sur leur stratégie est renforcé par la masse d'argent public dont ils bénéficient. Ces entreprises profitent en effet, largement, des politiques de soutien à l'emploi, à la recherche, à l'investissement et à l'aménagement du territoire. Il est juste, par conséquent, que l'on puisse faire un bilan des effets et de l'utilisation de ces aides. De plus, toute politique économique et sociale qui se donne pour but de réduire le chômage et la précarité doit chercher à faire participer les groupes à l'effort national en ce sens. La commission d'enquête pourrait donc réfléchir aux outils dont dispose l'Etat à cet effet. La gravité de la crise financière met en évidence le besoin qu'a l'économie d'une régulation. Le marché ne suffit pas. Mais les dispositifs actuels d'intervention publique montrent également leurs limites. Donner des pouvoirs nouveaux à la société, aux élus et aux salariés est l'une des solutions que pourrait proposer la commission d'enquête afin d'empêcher que les pratiques des groupes s'opposent aux visées macro-économiques de la nation. Cela permettrait aussi aux pouvoirs publics d'anticiper les problèmes des entreprises au lieu d'intervenir dans l'urgence pour assumer le coût social de décisions antérieures. Pour toutes ces raisons, la commission de la production et des échanges vous demande d'approuver la création de cette commission d'enquête parlementaire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). M. Alain Fabre-Pujol - La France est à la fois l'un des premiers investisseurs à l'étranger et l'un des premiers bénéficiaires d'investissements directs effectués par des entreprises étrangères. Mais des dysfonctionnements graves sont parfois constatés : la commission d'enquête qu'il nous est proposé de créer devra les mettre en lumière et proposer diverses dispositions tendant à les corriger. Quel sera son champ d'investigation ? Sans doute ne sera-t-il pas possible d'étudier tous les secteurs. La commission aura donc probablement à coeur de choisir les plus pertinents, par exemple l'agro-alimentaire et la distribution, en veillant à ce que les groupes questionnés soient répartis sur tout le territoire. Elle devra s'interroger sur l'influence des firmes sur l'emploi, étant entendu que les groupes n'ont pas que des droits mais aussi des devoirs, ce que semblent oublier certains de leurs dirigeants. Dans certains secteurs, les délocalisations sont fréquentes et touchent cruellement diverses régions. La décision prise par Hoover il y a cinq ans a déjà été évoquée. Je prendrai aussi l'exemple de la fermeture par Caec Fulmen de son site nîmois, après son rachat par un groupe américain. Pourtant le site était particulièrement performant. Mais bien sûr le coût de la main-d'oeuvre y était plus élevé qu'en Turquie ou qu'en Europe de l'Est. La commission devra également s'interroger sur le rapport des entreprises à l'aménagement du territoire. Dans un ouvrage récent, M. Heurteux nous dit que "l'aménagement du territoire doit être au service de l'entreprise pour que l'entreprise soit à son service." Les rapports entre entreprise et aménagement du territoire sont faits d'interaction et de réciprocité. Les infrastructures sont essentielles pour susciter l'implantation des firmes, mais inversement les capitaux nécessaires à leur développement ne seront disponibles que si de nombreuses entreprises sont implantées. Il semble donc nécessaire d'essayer d'influer sur le choix des entreprises par l'octroi d'aides spécifiques. Le problème est que les subventions allouées à l'entreprise ne donnent pas forcément en retour un avantage comparable à la région où elle s'est installée. Si nous ne voulons pas que les collectivités territoriales continuent à se comporter en courtisanes flétries, nous devons nous poser la question de l'efficacité des aides publiques. Il n'est pas acceptable que des entreprises qui ont reçu des aides importantes ne se comportent pas en entreprises citoyennes. Ainsi le groupe Usinor, qui affiche de bons résultats grâce à diverses participations publiques depuis vingt ans, a annoncé son intention de se retirer d'une partie de sa production. Nous devons pouvoir exiger que le repreneur des quatre filiales à vendre ait un objectif industriel et de préservation de l'emploi. Il ne faudrait pas que ces systèmes parfois opaques conduisent à la conclusion que la capacité d'action publique est nulle. La mission d'information projetée sur les paradis fiscaux et bancaires le montrera. Nous ne voudrions pas non plus que la mondialisation nous fasse conclure à l'effacement du politique. Le Gouvernement a su montrer sa vigilance ces derniers mois, notamment à propos d'Orangina. L'Assemblée, en créant cette commission d'enquête, veut montrer la même vigilance. Vous le savez, il n'y a pour l'instant pas de règles internationales. L'une des missions de notre commission d'enquête sera d'y réfléchir. L'actualité économique récente nous y invite. Les groupes américains Exxon et Mobil ont réalisé la plus grosse fusion de l'histoire. L'Europe n'est pas à l'écart de ces grands mouvements économiques : Rhône Poulenc et Hoechst ont également donné naissance à une filiale commune, affirmant leur volonté de créer "une entreprise nouvelle, de culture européenne et d'ambition mondiale". Il ne s'agit pas de condamner en bloc ces mouvements mais d'être vigilants et de protéger nos concitoyens. A cela se rattache la protection des marques et leur rattachement à une origine géographique. Ce serait là une piste pour la marque Perrier et le site de Vergèze. Cette commission d'enquête que demande le président André Lajoinie, paraît donc, sur fond de retrait français des négociations de l'AMI, particulièrement opportune au groupe socialiste, qui votera pour sa création. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Jean Besson - A travers la présente proposition, c'est un nouveau rapport sur les délocalisations que l'on nous prépare. Je rappelle que M. Borotra a présidé en 1993 une commission d'enquête sur ce sujet avec M. Chavannes, et que M. Arthuis a fait de même au Sénat. Tout ou presque est déjà connu sur le sujet. Pourquoi refaire ce travail aujourd'hui ? Parallèlement à l'analyse des délocalisations d'activités, la commission semble s'orienter vers celle des suppressions d'emplois, et des plans de restructuration. S'agit-il de prolonger certains discours à la mode pour tenter de justifier l'idée d'une restriction de la liberté des entreprises face à ces décisions ? Jusqu'à quel point, Monsieur le rapporteur, l'entreprise est-elle réellement responsable -je vous entends presque dire coupable- de ces restructurations et suppressions d'emplois ? N'est-elle pas plutôt le reflet d'un contexte économique général ? Sans prétendre qu'elle n'anticipe pas quelquefois sur certaines difficultés n'est-elle pas le reflet des contraintes créées par son environnement économique ? Par une fiscalité confiscatoire provoquant des distorsions de concurrence ? Par des prélèvements sociaux plus accablants que partout ailleurs ? Pour nous, l'entreprise n'est pas cette "entreprise citoyenne" que célèbrent certaines idéologies éloignées des réalités. Elle n'a qu'une seule responsabilité : assurer sa pérennité -donc par voie de conséquence préserver l'emploi existant et se développer suffisamment pour pouvoir, malgré les gains de productivité, augmenter l'emploi sans nuire à son indispensable compétitivité. Et aujourd'hui, elle assure sa pérennité comme elle le peut, dans la tourmente de la mondialisation, et dans un contexte où le risque économique n'est plus comparable à ce qu'il était il y a quelques années. Notre position s'appuie sur deux considérations majeures. Tout d'abord, l'investigation proposée a déjà plusieurs fois été faite, et il ne s'est produit aucun événement majeur de nature à la modifier. Ensuite que la mise en cause de l'entreprise sur laquelle vous serez tentés de déboucher est désuète et sans fondement. La suspicion que vous cherchez à introduire dans les esprits -les termes mêmes de l'intitulé de votre proposition sont l'aveu de vos a priori : "certaines pratiques" -dont on imagine la perfidie- "des entreprises", c'est à dire de toutes ! C'est là l'exact contraire de l'élan et du soutien dont l'économie française a besoin pour se développer et créer de vrais emplois. Le groupe RPR votera donc contre votre proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Daniel Paul - En quelques années, le paysage des entreprises s'est profondément modifié, avec une augmentation importante du nombre de PME, voire de très petites entreprises, et une diminution significative du nombre de grandes entreprises. S'y ajoutent une augmentation du nombre de groupes, et leur extension sur un nombre de plus en plus important de PME. C'est encore une forte externalisation de services, avec création de filiales par les grandes entreprises. C'est la dépendance croissante des PME à l'égard des groupes et des établissements financiers. Le nombre d'emplois augmente certes dans les PME, mais diminue fortement dans les grandes entreprises, et le chômage se maintient à un niveau élevé. Notons aussi la récente explosion du temps partiel, le plus souvent contraint, des contrats à courte durée, des missions d'intérim, le tout menant à un société éclatée où la précarité se développe. On observe parallèlement une délocalisation d'activités à travers la France et l'Europe, quand ce n'est pas vers des pays tiers. De méga-groupes se forment sur des bases non industrielles mais essentiellement financières, conduisant à des réductions du nombre de site et du nombre d'emplois. On assiste enfin à un mise en concurrence des bassins d'emplois, des régions, des Etats afin de déterminer les lieux d'implantation, l'objectif étant de profiter au mieux, et avec le minimum de contraintes, des moyens mis à disposition sous forme d'aides publiques directes, d'exonérations de charges, de personnels qualifiés... Chacun de nous peut faire ce constat de pratiques qui mettent à mal les emplois et les équilibres dans nos communes ou nos départements. Un arsenal conséquent de mesures d'aides à l'économie a été mis en place progressivement. Toutes contribuent, sous des formes diverses, à mettre à la disposition des entreprises, des moyens publics, souvent financiers, dégagés par les collectivités locales, l'Etat, les fonds structurels européens. Mais des exemples récents incitent l'opinion à s'interroger sur l'impact de ces aides à moyen et à long terme. Qu'il s'agisse d'entreprises françaises ou de groupes étrangers, il est sain que l'examen en soit fait, et la proposition d'André Lajoinie et du groupe communiste devrait contribuer à éclairer la situation. C'est d'autant plus nécessaire que chômage et précarité sont toujours aussi massifs. L'évolution récente de l'emploi, quoique encourageante, reste fragile, et surtout les stratégies des entreprises ne s'inscrivent pas dans un renversement de la nature des emplois. Au moment où les fonds publics sont mis ainsi à contribution, les suppressions massives d'emplois demeurent ; les hommes restent aux yeux de beaucoup de dirigeants économiques la meilleure variable d'ajustement. La presse spécialisée a pu écrire que jamais les grands groupes, qui pilotent largement notre économie, n'ont eu à leur disposition des réserves financières aussi importantes. Les opérations d'acquisition, les OPA tentées ou réalisées le montrent bien. Ainsi, le groupe Bolloré met fin à sa tentative de prise en main de Bouygues, mais en un an, il aura "gagné" 1 milliard et demi, sans avoir créé aucune richesse ni un seul emploi. Ces masses financières accumulées posent problème et il est bon que la représentation nationale s'y intéresse. D'autant que les plus grands groupes français, ceux qui se sont constitué les réserves financières les plus importantes, ont réduit en même temps leurs emplois et leurs investissements dans notre pays. En externalisant et en filialisant leurs secteurs les moins performants, ils obtiennent des aides publiques conséquentes pour ces secteurs "PMIsés", les domaines les plus profitables restant toujours au coeur des groupes. Ainsi les aides publiques contribuent souvent à assurer une rentabilité supérieure des capitaux privés, sans pour cela assurer l'emploi, les qualifications, le développement de la recherche, un équilibre harmonieux des territoires. Les conséquences de telles pratiques sur les bassins d'emplois sont visibles pour chacun d'entre nous. Notre objectif est le plein emploi. Croire que laisser jouer les marchés résoudra le problème du chômage, c'est donner libre cours aux remises en cause des statuts et conventions collectives, accentuer la précarité, aspirer le maximum de fonds publics non pour un développement sain, mais pour une aggravation des difficultés. En proposant cette commission d'enquête, il ne s'agit pas de culpabiliser le monde des entreprises. Il s'agit d'examiner diverses pratiques entre les entreprises, ou entre elles et les banques ; d'évaluer sur des cas concrets l'efficacité des aides publiques, non pour les supprimer, mais pour savoir quand et sous quelles conditions elles sont utiles. Doivent-elles par exemple s'adresser aussi à des entreprises ou des groupes florissants, ou seulement à des secteurs en difficulté ? Doivent-elles se faire sous le contrôle, et si oui, lequel ? Avec quels engagements de la part des entreprises ou des groupes concernés, au regard de l'emploi, de l'aménagement du territoire, de l'équilibre des collectivités locales. Il est clair que le monde actuel exige des entreprises une capacité de mouvement et l'on ne saurait remettre cela en cause. Mais l'entreprise ne peut se réduire à un lieu d'accumulation financière, régie par la concurrence, la loi unique du marché. Si l'investissement à l'étranger peut faire partie d'une stratégie industrielle bien comprise, cela ne saurait se faire au détriment du territoire national, de son équilibre, de ses emplois. Et cela ne peut être compensé par des implantations aléatoires et à prix élevé d'entreprises étrangères, selon une balance dont les hommes et les territoires feraient les frais et qui mettraient à contribution permanente les fonds publics. Les aides, françaises ou européennes, doivent être attribuées afin de favoriser l'emploi et non de réduire les capacités. Il est temps également de créer des structures de suivi, d'aide et de contrôle, non pour entraver les entreprises mais bien pour les rendre plus efficaces. Le crédit doit aussi servir davantage le développement, l'emploi et la recherche. Les communistes ne peuvent admettre la pensée unique au nom de laquelle, au prétexte de la mondialisation de l'économie, le patronat est absous des licenciements qu'il provoque et n'a aucun compte à rendre des fonds publics qu'il utilise. Tirer des enseignements à partir de l'observation, après avoir entendu les acteurs socio-économiques, proposer des modifications aux systèmes d'aide existants nous paraît positif pour les entreprises, pour leurs personnels et donc pour notre pays. C'est pourquoi nous approuvons la proposition de création de cette commission d'enquête à laquelle nous participerons activement (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Claude Gaillard - Ce qui me frappe, c'est tout d'abord le regard négatif, toujours plein de suspicion, que vous continuez de porter sur l'entreprise. Vous avez cité le cas de JVC en Lorraine mais force est de constater que nous serions plus fondés à nous plaindre du comportement des entreprises publiques dans cette région. Souvenons-nous des reconversions dans la sidérurgie ou de Thomson qui n'a pas hésité à se délocaliser pour des raisons économiques, après avoir empoché des aides substantielles pour s'implanter ! Sous prétexte de certaines difficultés, apparues d'ailleurs à la marge, vous souhaiteriez aujourd'hui laisser accroire que le système économique est dans son ensemble malsain. Ce qui me frappe ensuite, c'est que vous mêlez divers problèmes. L'équilibre de l'aménagement du territoire relève de la responsabilité publique. Nous aurons prochainement un débat sur ce sujet, un autre sur les interventions économiques des collectivités locales, un autre enfin sur les aides européennes, qui nous donneront l'occasion de revenir sur ces problèmes. On ne peut pas demander aux entreprises d'endosser cette responsabilité qui n'est pas la leur. Elles ont assez d'assurer leur pérennité... sachant qu'elles ne peuvent pas compter sur l'aide de l'Etat si d'aventure elles rencontrent des difficultés. Laisser croire qu'elles n'assument pas cette responsabilité économique est pernicieux. M. François Goulard - Très bien ! M. Claude Gaillard - On a vraiment l'impression que votre foi en l'économie dirigée est restée inébranlable. Votre volonté d'ingérence dans la vie des entreprises n'est pas tolérable. J'en veux pour preuve votre diatribe contre l'externalisation. Pourquoi les entreprises qui souhaitent se recentrer sur leur coeur de métier ne pourraient-elles pas externaliser certaines de leurs fonctions ? Quelle aberration économique que d'aller mettre ainsi votre nez dans le fonctionnement des entreprises, d'autant que la sous-traitance donne du travail à de nombreuses petites entreprises ! Prenez garde donc de n'aller pas à l'encontre de ce que vous souhaitez ! Pour toutes les raisons que j'ai indiquées, cette commission d'enquête me paraît inopportune et dangereuse. Le groupe UDF votera contre cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). M. Jean-Michel Marchand - Cette proposition de résolution arrive à point nommé après la décision du Gouvernement de suspendre sa participation aux négociations de l'AMI. En effet, cet accord avait pour seul objet de renforcer le pouvoir des grands groupes et de leur garantir des aides publiques sans aucune contrepartie. Il n'est pas question de nier la mondialisation non plus que la nécessité d'adapter notre appareil productif à l'internationalisation de l'économie. Quel est toutefois le prix de ces mutations pour la collectivité ? Quelles en sont les incidences sur l'emploi et l'équilibre territorial ? Les grandes entreprise ne peuvent pas d'un côté engranger les subventions et laisser le soin à la collectivité nationale de régler la facture sociale. L'Etat est en droit d'attendre, en contrepartie de son aide, une attitude plus citoyenne des groupes implantés sur son territoire. Beaucoup de PME-PMI dépendent aujourd'hui directement de groupes industriels ; certaines se trouvent face à un donneur d'ordre unique ; d'autres sont issues directement de l'externalisation de la production des groupes. Elles en subissent des contraintes financières à la limite du supportable, d'autant qu'elles sont souvent modestement capitalisées. C'est le cas de la plupart des équipementiers automobiles, soumis à des cahiers des charges draconiens, qui sont ainsi amenés à développer des formes de plus en plus précaires du travail. A cette relation de dominants à dominés devrait se substituer une véritable relation de coopération entre les grands groupes industriels et les PME-PMI. L'Etat et les collectivités territoriales allouent chaque année des milliards aux entreprises industrielles sans que l'effet de ces aides soit évalué. Il serait pourtant intéressant de mesurer l'utilité de ces aides en matière d'aménagement du territoire. Les grands groupes mettent en effet souvent en concurrence les territoires, si bien que les collectivités sont obligées de se livrer à une surenchère pour attirer des entreprises sur leur territoire. D'autres règles ne seraient-elles pas nécessaires pour contribuer à un développement équilibré, durable et équitable du territoire national ? Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons la proposition présentée par nos collègues du groupe communiste. La place des grands groupes dans l'économie de notre pays, leur rôle dans le rayonnement économique international de la France méritent que la représentation nationale puisse enquêter sur leurs pratiques afin d'apporter des réponses aux questions que se pose le corps social. (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste) M. François Goulard - Permettez-moi quelques commentaires sur le texte même de l'exposé des motifs de cette proposition de résolution. J'y vois une figure contournée du dernier avatar de la vulgate marxiste. Attachons-nous à la sémantique : elle illustre assez bien la décrépitude de certaine théorie politique ! On parle ici de grands groupes industriels et de responsabilités sociales mal assumées là où on parlait autrefois de grand capital et d'exploitation d'homme par l'homme... M. Pierre Carassus - Cela reste vrai. M. François Goulard - A la platitude de ce vocabulaire qui s'est plié aux exigences du politiquement correct, se conjugue l'affadissement de la pensée. On reproche aux entreprises de ne pas assez investir, de ne pas assez créer d'emplois, d'être trop dures avec leurs sous-traitants, bref de n'être pas assez citoyennes- qualificatif qui a fait florès. En d'autres temps, on eût fustigé les mécanismes par lesquels l'enrichissement des capitalistes conduisait à la misère du prolétariat et conclu à la nécessité d'une appropriation collective des moyens de production. Voilà le parti communiste devenu bien timide... M. Félix Leyzour - Timide mais gênant ! M. François Goulard - ...bien timoré dans ses reproches. Pourquoi ? Tout simplement parce que son modèle historique s'est effondré avec l'Union soviétique. Dès lors que l'on ne croit plus à la possibilité d'organiser avec succès une société et une économie collectivistes, il faut bien volens nolens admettre les principes de l'économie de marché et leurs conséquences. Non, mes chers collègues, celle-ci ne fonctionne pas comme une économie dirigiste et planifiée. Elle obéit à ses règles propres. Elle supprime des emplois et en crée, désinvestit mais investit. Elle crée des richesses, et finalement son bilan est globalement positif. M. Félix Leyzour - Avec trois millions de chômeurs ! M. François Goulard - Face à cette économie ouverte, votre texte est absurde. Cette proposition aurait dû, dans un pays normalement évolué, être classée sans suite. Mais c'est ne pas compter avec les impératifs de la majorité plurielle. Faire risette au parti communiste est une figure obligée pour le Gouvernement. Le parti socialiste s'y prête. Le rapporteur reconnaît la réalité économique mais conclut à l'utilité d'examiner l'utilisation des aides publiques. Bonne manière à ses alliés communistes, donc, concession aussi à des députés socialistes et RCV qui n'ont admis qu'à regret la conversion de leurs dirigeants à l'économie de marché. Ce jeu politique, cet hommage posthume à une idéologie défunte n'empêchent pas les principaux ministres du gouvernement d'entretenir des relations de connivence avec les grands patrons après avoir été pour certains leurs obligés ou leurs salariés. La réalité, c'est bien que sur les trois dernières années les cinquante plus grands groupes français ont réduit leurs investissements en France de 17 % et accru leurs investissements à l'étranger de 62 %. C'est que notre pays souffre du poids de la dépense publique et des impôts, d'une conversion incomplète aux nécessités d'une économie moderne. Voir le Parlement saisi de textes traduisant une telle arriération dans la conception de l'économie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) ne peut qu'entacher notre image extérieure et desservir nos intérêts économiques. Espérons que l'heure tardive leur assurera le maximum de discrétion (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Pierre Carassus - Chaque jour livre son lot de restructurations, de fermetures, qui mettent en péril l'économie de nos régions et plongent des familles dans la précarité. Les citoyens doutent de la capacité et de la volonté de l'Etat d'intervenir. En fait la marche de l'économie leur apparaît confisquée par quelques dirigeants de groupes industriels et surtout financiers. Ils déplorent l'abdication du politique devant l'économique. Cette commission d'enquête vient à point nommé pour mieux appréhender la stratégie de ces grands groupes. Les députés du MDC se rallient à la proposition de leurs collègues communistes, sans leur faire risette. Cette commission facilitera une réflexion sur les aides accordées à certains industriels qui continuent à laminer l'emploi. Selon la Chambre régionale des comptes de Picardie, 51 % des aides régionales à la création d'emplois ont été accordées pour des opérations qui n'ont pas eu d'effet, quand elles n'ont pas eu l'effet contraire. En 1995 on estime que ces aides, sur le plan national, s'élevaient à 170 milliards. Il n'a jamais été fait de bilan objectif de leurs effets. Les grands plans sociaux ne sont que des plans de licenciement pris en charge par l'Etat et par les ASSEDIC. Désormais pour les milieux financiers, un licenciement équivaut à une perte de 200 000 F mais c'est un investissement des plus rentables, puisque le retour est sur un an ! Des chefs d'entreprise eux-mêmes s'en inquiètent. La commission d'enquête devrait pouvoir montrer que le licenciement systématique n'obéit qu'à un objectif, celui de la rentabilité financière. L'entreprise elle-même devient une marchandise comme les autres, qu'on dépèce et qu'on revend. Pendant la récession les profits boursiers ont progressé de 20 % par an. Cette commission d'enquête ne sera efficace que si elle se donne les moyens d'analyser les effets du pouvoir financier sur notre économie. Ce sera aussi l'occasion de s'interroger sur la véritable efficacité des mesures fiscales dont certains ne sont que des miroirs aux alouettes. Ainsi l'impôt sur les sociétés est inférieur de 10 % à ce qu'il était en 1986. Ces mesures favorisent-elles vraiment l'investissement industriel ? M. le Président - Veuillez conclure. M. Pierre Carassus - Pour conclure, cette commission d'enquête doit permettre de mieux appréhender la crise actuelle et de mieux s'armer contre l'emprise des marchés financiers au profit de l'homme, du citoyen, de l'intérêt général qui, seuls, devraient prévaloir dans un Etat républicain (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Christian Pierret, retenu par un deuil familial, vous prie de l'excuser. Il s'engage à venir s'exprimer devant la commission sur ce sujet. Le Gouvernement, qui fait de la lutte pour l'emploi une priorité, ne peut être opposé à cette commission d'enquête qui cherchera à mieux comprendre le mécanisme des délocalisations. Il en attend avec intérêt, avec impatience même, les conclusions. M. le Président - J'appelle, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission. J'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition est ainsi rédigé : "Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur certaines pratiques des groupes nationaux et multinationaux industriels, de services et financiers et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire". L'article unique, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 15 décembre, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent. La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.
M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant que la commission mixte paritaire n'ayant pu parvenir à l'adoption d'un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, le Gouvernement demande à l'Assemblée de procéder, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, à une nouvelle lecture de ce texte. En conséquence, l'ordre du jour appelle l'examen de ce texte en nouvelle lecture. M. le Président - Je rappelle qu'il fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée. M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Quelle qu'ait été ma place dans cet hémicycle, j'ai toujours déploré que les ministres, de droite comme de gauche, fassent encore de grands discours en troisième lecture. Je n'ai pas changé d'avis. Le présent texte ayant déjà fait l'objet de deux examens attentifs par votre assemblée, il n'est pas nécessaire d'y revenir, d'autant que le Gouvernement souhaite qu'il soit adopté dès ce soir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Georges Sarre, rapporteur de la commission de la production - Comme le ministre, j'estime que tout a déjà été dit et je propose que nous avancions dès maintenant dans la discussion générale. J'invite mes collègues à faire plus court que moi (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Léonce Deprez - Je confirme le soutien du groupe UDF à cette proposition, tout en insistant sur la nécessité de prendre en compte, dans les décrets d'application, les remarques de bon sens du Sénat. Tout propriétaire de chien doit maîtriser son animal et d'autres chiens que les pitbulls sont dangereux. Toutefois il importe de prendre des mesures d'urgence à leur propos en raison du climat de crainte qui règne dans les grands ensembles. M. Jean-Pierre Blazy - Ce texte est très attendu par de nombreux élus locaux et une partie de nos concitoyens pour ce qui concerne le premier chapitre et la mise en oeuvre de nouveaux moyens adaptés au phénomène des animaux dangereux et errants. Il intéresse également l'ensemble du tissu associatif et professionnel en relation avec l'animal de compagnie, notamment par son chapitre 2 lié à la moralisation du commerce et la structuration des activités. Je n'y insisterai pas, de nombreux articles ayant été votés conformes. En fait, les divergences essentielles entre les deux assemblées ont trait au chapitre des chiens potentiellement dangereux. Des mesures très fermes sont prévues à l'encontre des maîtres de chiens pouvant être utilisés à des fins délictuelles ou condamnables, mais dans un contexte souple grâce à la création de deux catégories de chiens. En préconisant la fusion en une seule catégorie, le Sénat va donc à l'encontre de la philosophie générale du projet. En effet, la distinction rétablie par notre commission permet de graduer les mesures de prévention contre l'utilisation des chiens et les sanctions contre leurs maîtres. Il faut des réponses adaptées selon les types de chiens, leur dangerosité et les problèmes de sécurité qu'ils posent. Il faut aussi des réponses rapides, ce qui justifie de laisser à un texte réglementaire le soin d'établir la liste des types. Un groupe de travail à ce propos réunira représentants du ministère de l'intérieur, organisations cynophiles, représentants des vétérinaires, associations de protection animale. Il est indispensable que l'arrêté soit pris dès la promulgation de la loi. Afin de maintenir l'esprit du projet, le groupe socialiste souhaite le rétablissement de l'essentiel du texte adopté en seconde lecture par notre assemblée. Afin d'améliorer encore l'efficacité du texte, la commission propose d'ouvrir la possibilité d'interdire dans les appartements locatifs la possession ou la détention d'un ou plusieurs chiens d'attaque. Cet amendement du rapporteur complète et clarifie la formulation initiale et actualise la législation en créant une exception à la loi du 9 juillet 1970 qui affirme que toute stipulation "tendant à interdire la détention d'un animal familier dans un local d'habitation" est réputée non écrite, cette détention étant toutefois subordonnée au fait que l'animal ne cause aucun trouble de jouissance aux occupants de l'immeuble. Un grand nombre d'élus locaux et d'organismes HLM sont favorables à cette disposition, compte tenu des nuisances et des troubles de jouissance causés par les chiens d'attaque dans les grands ensembles sociaux. Nous adopterons ainsi ce soir un texte équilibré qui protège simultanément l'homme et l'animal. M. François Goulard - Nous nous accordons tous sur la nécessité de régler le problème des chiens dangereux. Le trop connu problème des pitbulls, devenu préoccupant dans certains quartiers, est à l'origine de ce projet. Nous ne sommes toutefois pas d'accord avec l'idée selon laquelle les chiens sont dangereux en eux-mêmes. Pour le groupe Démocratie libérale, les maîtres sont responsables du comportement agressif des animaux. C'est le mauvais propriétaire qui fait le mauvais chien et non l'inverse. L'essentiel est là et non dans la distinction entre les deux catégories de chiens qui est inapplicable, car comment faire la différence entre un chien d'attaque et un chien de défense ? On peut en outre se demander selon quels critères sera arrêtée la liste des chiens potentiellement dangereux et comment seront classés les chiens issus de croisements. Par ailleurs, les délinquants en puissance ne changeront-ils pas systématiquement de races ? Quant aux contraintes administratives, notamment la stérilisation, elles risquent de peser d'abord sur les personnes qui respectent la loi et dont les animaux ne posent pas de problèmes. Les pouvoirs publics pourront-ils résister à la pression de l'opinion publique quand un accident se produira avec un chien, hors liste que l'on voudra y faire entrer ? Enfin, des pitbulls bien dressés peuvent se comporter parfaitement normalement. Pour toutes ces raisons, mieux vaudrait constituer une seule catégorie de chiens potentiellement dangereux. Nous sommes aussi réservés quant à la solution retenue pour l'identification. Le tatouage nous paraît meilleur que le collier. Nous jugeons contestable l'amendement du rapporteur créant un article 211-5 bis nouveau du code rural qui prévoit que les règlements de copropriété et les contrats de location pourront prescrire l'interdiction de posséder ou de détenir un chien appartenant à la première catégorie. Cette disposition n'ayant pas été examinée par nos collègues sénateurs, elle semble inconstitutionnelle. Malgré ces réserves, nous voterons ce texte imparfait. Un mot enfin de la validation législative prévue à l'article 19. Si l'administration supportait vraiment les conséquences de ses actes, sans se voir offrir de telles facilités quand elle viole le droit, elle se montrerait sans doute plus attentive et plus responsable. M. Jacques Rebillard - Le groupe RCV est tout à fait favorable à ce texte présenté par notre excellent collègue Georges Sarre. A propos de l'article 19, comment ne pas s'étonner, au regard de l'équité, que certains candidats aux concours vétérinaires aient été recalés avec des notes supérieures aux derniers admis ? Une sortie honorable devrait pouvoir être trouvée, d'autant que les écoles comme la profession sont en mesure d'accueillir les élèves supplémentaires. Le groupe RCV est favorable à l'amendement 19 de MMe Perrin-Gaillard. M. Nicolas Dupont-Aignan - Je soutiens totalement ce texte, d'autant que j'avais déposé une proposition en ce sens et qu'il est hélas d'actualité, une petite fille ayant été déchiquetée par un pitbull dans mon département la semaine dernière. Il est donc urgent d'agir et la définition de deux catégories sera très utile car elle offre la souplesse nécessaire, dès lors bien sûr que les associations seront consultées pour l'établissement de la liste. Ce texte met d'abord l'accent sur les pitbulls, chiens vraiment dangereux, que les trafiquants de stupéfiants utilisent à des fins d'intimidation. Je soutiens aussi l'amendement relatif aux chiens dans les appartements, qui permettra aux organismes HLM d'intervenir. L'application de cette loi dépendra aussi des moyens dévolus à la police qui, dans mon département, ne dispose ni d'armes pour endormir les chiens, ni d'instruments pour les capturer, ni d'une fourrière. Je vous demande donc, Monsieur le ministre, comme je l'ai demandé à votre prédécesseur, de veiller personnellement à ce que cette loi soit appliquée. A défaut, nos concitoyens qui attendent une solution concrète seraient déçus. Quant au concours vétérinaire, j'avais moi-même alerté le Gouvernement. Une validation législative est acceptable, pour autant qu'elle n'ajoute pas une injustice à une autre injustice. C'est pourquoi nous nous réjouissons que le Gouvernement ait repris notre amendement destiné à rattraper les candidats qui ont obtenu des notes supérieures à celles du dernier admis. Nous voterons donc le projet. M. Daniel Paul - Nous regrettons que le Sénat ait adopté un amendement concernant l'admission aux concours d'entrée dans les écoles vétérinaires, et dont l'objet n'a aucun rapport avec le texte en discussion. Il est temps d'arrêter ce procédé consistant à faire régulariser à l'improviste par le Parlement des problèmes épineux que l'administration devrait résoudre. Voilà pour un cavalier bien cavalier, tant il fait bon marché des jeunes ayant passé ce concours. La réforme de Philippe Vasseur limitait la présentation au concours à deux fois de suite dans les deux ans suivant le bac. Elle a instauré temporairement des quotas de places entre élèves issus de la 1ere année de prépas et les redoublants ayant échoué une fois ou deux fois, ce qui a abouti à pénaliser des candidats qui n'ont pas été reçus, tout en ayant obtenu des notes supérieures à celles des candidats admis. Des centaines de candidats ainsi lésés ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat. Or l'article 19 bis du projet tend à valider ce concours avec toutes ses anomalies, et à empêcher le Conseil d'Etat de se prononcer. Si cette disposition devait être maintenue, les candidats concernés ne manqueront pas de saisir la Cour européenne des droits de l'homme. D'ailleurs, la nocivité de cette mesure est aujourd'hui reconnue par le propre auteur de l'amendement. L'école vétérinaire française, naguère parmi les meilleures du monde, a depuis perdu beaucoup de son prestige, et a besoin d'une réforme profonde et mûrement réfléchie. La profession vétérinaire mériterait à soi seule un texte particulier et non pas une disposition partielle introduite en catimini entre deux articles traitant des pitbulls. C'est pourquoi, au nom de l'équité, nous demandons la remise en cause de l'article 19 bis et la création d'un comité de réflexion sur la réforme de la médecine vétérinaire, afin de trouver une solution rapide au problème actuel. M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9 du Règlement, j'appelle, dans le texte du Sénat, les articles du projet pour lesquels les deux assemblées ne sont pas parvenues à un texte identique et faisant l'objet d'amendements. M. le Rapporteur - L'amendement 1 tend à rétablir le texte adopté précédemment par l'Assemblée. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 1, mis aux voix, est adopté. L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 2 est également de rétablissement, ainsi que les amendements 3 à 7. Les amendements 2, 3, 4, 5, 6 et 7, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés. M. le Rapporteur - Je retire l'amendement 8 au profit du suivant. L'article 2 modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - Dans un premier temps, la commission avait décidé que les chiens d'attaque ne pourraient pas être admis dans les parties communes. Puis nous avons pensé qu'il fallait montrer davantage de rigueur, et la commission unanime a ainsi adopté l'amendement 20 rectifié, tendant à autoriser les organismes HLM à interdire aux locataires de détenir un chien de 1ère catégorie. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 20 rectifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 9 tend à rétablir le texte adopté par l'Assemblée. L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 10 est lui aussi de rétablissement. M. le Ministre - Avis favorable. M. André Angot - Comme je l'ai déjà souligné, il est imprudent de ne conserver que huit jours en fourrière un chien dont on ne connaît pas l'origine. Il faut savoir que la salive d'un chien enragé demeure active pendant quinze jours avant que l'animal meure de la rage. Il faut donc conserver le délai de quinze jours de garde, sous peine de grand risque pour la santé publique. Le rapporteur m'opposera le coût de garde de 20 F par jour. C'est négligeable quand la santé humaine est en jeu. L'amendement 10, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 11 est de rétablissement. M. le Ministre - Avis favorable. M. François Goulard - Je m'étonne que ni le rapporteur ni le ministre n'aient répondu aux arguments produits par M. Angot. M. le Rapporteur - Nous avons déjà répondu cinquante fois ! L'amendement 11, mis aux voix, est adopté. L'article 7 modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 16 est de rétablissement. L'amendement 16, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 8 bis, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 12 est également de rétablissement. L'amendement 12, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 10 modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 13 est de rétablissement. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 13, mis aux voix, est adopté. L'article 13 modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 14 est de coordination et de retour au texte, précédemment adopté. L'amendement 14, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 15 modifié, mis aux voix, est adopté. Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Cet article, rajouté par le Sénat, ne nous convenait pas. En effet il entérinait une situation telle que des candidats aux écoles vétérinaires n'avaient pas été admis malgré des notes supérieures à celles de certains candidats reçus. Cette iniquité a conduit ces élèves à déposer des recours. Ils avaient en effet travaillé pour exercer un métier qui leur plaît. Nous avons donc jugé important de rétablir une situation plus normale. L'amendement 19 ne nous satisfait pas complètement, mais il ouvre la voie à une solution plus juste. Car vous souhaitez sortir par le haut, Monsieur le ministre, d'une situation ubuesque : cela vous honore et, au nom de tous les étudiants concernés, je vous remercie de l'effort considérable que vous faites via les sous-amendements que vous allez présenter. C'est la première fois au cours de ma brève carrière parlementaire que je vois se dégager ainsi une solution qui va apporter tant de joie à de nombreuses familles. Le groupe socialiste y a travaillé avec coeur et pugnacité, mais je salue aussi la contribution des membres de la gauche plurielle, ainsi que de nombreux députés de l'opposition. M. le Rapporteur - La façon scandaleuse dont l'administration a organisé le concours d'entrée aux écoles nationales vétérinaires en 1998 nous oblige aujourd'hui à trancher. Tous les membres de la commission de la production ont jugé indispensable de ne pas faire subir aux candidats admis les conséquences des irrégularités commises. En conséquence, ils ont souhaité valider les résultats publiés dans l'arrêté ministériel du 13 août 1998. Suite à la validation législative, introduite par un amendement voté au Sénat en seconde lecture, les parlementaires ont été invités à rétablir dans leurs droits les candidats qui ont été recalés alors qu'ils avaient obtenu une note moyenne supérieure à la note du dernier candidat admis. Hélas, il n'était pas en notre pouvoir de répondre à ces sollicitations. En effet, la tradition républicaine d'indépendance des jurys des concours et le respect du domaine réglementaire limitent nos initiatives. Il ne serait par exemple pas acceptable que le Parlement fixe un seuil d'admission à un concours ou un nombre de candidats admis. De plus, L'article 40 de la Constitution interdit les amendements des parlementaires entraînant la création d'une charge publique, ce qui serait le cas si un député proposait de déclarer admis les 199 candidats recalés ayant obtenu une note égale ou supérieure à celle du dernier candidat des concours A déclaré admis. En effet, la promotion 1998 des écoles vétérinaires est de 438 élèves ; en ajouter 199 excéderait largement le simple accroissement des charges de gestion. C'est pourquoi Mme Perrin-Gaillard, de nombreux députés socialistes et moi-même avions déposé deux amendements limitant la mesure d'équité complémentaire à la validation du concours à une autorisation pour ces 199 candidats de subir une nouvelle fois les épreuves du concours vétérinaire. Mais, à la demande pressante des députés, le Gouvernement a déposé un sous-amendement tendant à intégrer dans les écoles vétérinaires les 199 candidats injustement recalés. Je souhaite que le ministre puisse nous rassurer sur les conditions dans lesquelles se dérouleront à l'avenir les concours vétérinaires et sur les conditions dans lesquelles le ministère procédera à l'intégration de ces 199 candidats. M. le Ministre - Je rassure M. Sarre : les prochains concours ne comporteront pas de quotas. Ceux-ci ont été introduits à la suite de la réforme décidée par M. Vasseur en 1996. Il fallait en effet gérer une sorte de numerus clausus assorti d'une entrée en sifflet étalée sur trois ans. Pour ce faire, l'administration a fait comme elle a pu, avec le souci de ne pas défavoriser les candidats se présentant pour la première fois. Je tiens à la défendre car l'administration fait ce qu'elle peut quand les réformes sont mal ficelées ! M. François Goulard - C'est un peu facile ! M. le Ministre - Non, l'administration fait ce que les ministres lui disent de faire et pour ma part je couvrirai toujours ce que les fonctionnaires font sous mon autorité. Afin de préserver l'égalité entre les candidats, l'administration a donc inventé un système de quotas, beaucoup moins astucieux, je le reconnais, que celui des quotas laitiers. Mais le résultat du concours de 1998 a été contesté devant le Conseil d'Etat par diverses associations d'étudiants, certaines trouvant qu'il y avait trop d'étudiants de telle catégorie, d'autres pas assez. Je pensais qu'il fallait attendre la décision du Conseil d'Etat mais le secrétariat général du Gouvernement m'a expliqué que si celle-ci "cassait" les résultats, nous allions nous retrouver face à un vide juridique. Nous avons donc décidé de les valider par voie législative, solution qui n'est jamais glorieuse mais qui parfois s'impose. Le Gouvernement a donc accepté l'amendement sénatorial en ce sens mais aussitôt de nombreux parlementaires m'ont fait valoir que c'était injuste pour tous les étudiants ayant obtenu une moyenne supérieure à celle du dernier admis. Le Gouvernement a entendu leur demande et par conséquent décidé d'intégrer les 199 candidats recalés malgré une note supérieure ou égale à celle du dernier admis. Cette intégration se fera sur trois ans, en trois tiers, par ordre de mérite. Nous rendrons ainsi justice aux étudiants concernés tout en tenant compte des capacités d'accueil de l'école. L'intégration se fera à compter de la rentrée universitaire 1999. Tel est l'objet des sous-amendements 23 et 24 à l'amendement 19. M. le Rapporteur - La commission les a adoptés à l'unanimité. M. Léonce Deprez - M. le rapporteur a souligné à juste titre que tous les membres de la commission souhaitaient que les étudiants ne subissent pas les conséquences des erreurs commises. Les députés UDF sont intervenus en ce sens et ont demandé au Gouvernement de faire oeuvre de justice. La solution proposée par M. Glavany aboutit au but que nous visions, j'en prends acte. J'en profite pour préciser que les sénateurs avaient été mal informés et que leurs amendements ne correspondaient pas à leur volonté. M. André Angot - Nous pouvons tous nous féliciter, pour être tous intervenus sur ce problème. Nous ne pouvions accepter l'article 19 bis adopté par le Sénat. Nous avons le devoir de réparer la cacophonie administrative qui a marqué ce concours. C'est une question de justice que de déclarer reçus les candidats recalés qui avaient obtenu de meilleures notes que d'autres déclarés reçus. Il y a toutefois un point obscur. Le sous-amendement 23 prévoit de les intégrer par tiers à partir de la rentrée 1999. J'ai pourtant cru vous entendre dire que vous pouviez en intégrer certains dès cette année, à partir de janvier. C'est important, car certains de ceux qui ont passé le concours en 1998 ne seront intégrés qu'en 2001 : ils auront perdu presque quatre ans. M. le Ministre - Je me suis un peu exposé en parlant d'intégrer des élèves dès cette année. J'ai dit là ce que je souhaitais. Mais j'ai consulté mes services et les directeurs des écoles vétérinaires. Ils m'ont dit que ces écoles avaient déjà fait un effort cette année, en intégrant quarante élèves supplémentaires. Ce que je souhaitais n'est donc pas possible, et il faut s'en tenir à ce que prévoit le sous-amendement : une intégration sur trois ans à compter de la rentrée 1999. M. André Angot - Il serait dangereux d'inscrire ce délai dans la loi : c'est s'interdire de trouver d'autres solutions. Mieux vaudrait disposer qu'ils seront intégrés au plus tôt : c'est une formule plus souple, qui laisserait ouverte la possibilité de rechercher d'autres solutions avec les écoles. Quand on a passé le concours en 1998, attendre 2001 pour commencer des études qui elles-mêmes dureront cinq ans, ce n'est pas raisonnable. M. le Ministre - Je suis au regret de ne pouvoir accepter. Force m'est de tenir compte des capacités de formation des écoles. Mieux faut fixer par la loi une mesure claire, pour sortir ces jeunes gens de l'incertitude. Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Nous devons adopter ce soir une solution de sagesse. Intégrer 199 élèves dans les conditions où nous le faisons est déjà une mesure qui mérite d'être soulignée et je crois que ces élèves nous en seront reconnaissants. Mais il ne serait pas sage d'aller plus loin. Les écoles ont déjà accueilli cette année des élèves en surnombre. Et je crois, Monsieur Angot, que les jeunes bénéficiaires de notre décision, s'ils ont certes perdu deux ans, sont motivés et ont des capacités formidables. S'ils ont envie d'intégrer l'école, ils le feront, je leur fais confiance. Certains feront peut-être des études entre temps, et elles leur apporteront aussi quelque chose car la vie, c'est quelque chose qui dure. Il faut savoir se battre pour des causes justes, mais il faut aussi savoir s'arrêter : c'est le sens même de notre action politique. M. Léonce Deprez - Je ne suis pas d'accord avec mon collègue Angot pour parler d'une intégration "le plus tôt possible" : une telle formule est sans valeur juridique et ne met pas fin à l'incertitude. Avec le sous-amendement 23, les étudiants auront une perspective précise. M. François Goulard - On va faire attendre pendant de longues années des étudiants qui, aux termes de ce que nous allons voter, ont réussi un concours : c'est une situation très désagréable pour eux. Vous dites, Monsieur le ministre, que les écoles ont déjà fait un effort. Non ! Vos écoles n'y mettent pas de bonne volonté, comme souvent les administrations quand il s'agit de s'adapter à une situation nouvelle. Avec un peu de bonne volonté, un peu d'imagination, quelques heures supplémentaires des enseignants, je suis persuadé qu'elles pourraient faire face. Mais comme ce n'est pas leur intérêt direct de faire cet effort, elles ne le font pas... Vous avez mis en valeur l'autorité souveraine du ministre qui couvre ses fonctionnaires : il vous appartient parfois de leur dire qu'il y a des efforts à faire. Les sous-amendements 24 et 23, successivement mis aux voix, sont adoptés. Les amendements 19 et 21 ainsi modifié, mis aux voix, sont adoptés. L'article 19 bis est ainsi rédigé. L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté. Prochaine séance ce matin, jeudi 10 décembre, à 9 heures 30. La séance est levée à 1 heure 25. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |