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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 46ème jour de séance, 119ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 15 DÉCEMBRE 1998 PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS SOMMAIRE : QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1 VIOLENCES COMMISES À TOULOUSE 1 REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX 2 MENACES SUR L'EMPLOI DANS LES USINES SEB DU RHÔNE 3 SCOUTS D'EUROPE 3 LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE 4 BUVETTES DES CLUBS SPORTIFS 4 TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR L'AUDIOVISUEL 5 PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX SUR LES REVENUS DE PLACEMENTS 6 INTERNET 6 NIR 7 CAISSES D'EPARGNE 7 ARPE 8 INSTITUT D'ÉMISSION DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER 8 FRANC CFP 9 COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES SECTES 10 ARTICLE UNIQUE 18 ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES 19 EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 29 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Mme Hélène Mignon - Le quartier du Mirail à Toulouse connaît depuis dimanche dernier une situation intolérable. Intolérable la mise à sac de tout un quartier par des jeunes. Fussent-ils mus par un sentiment d'injustice, intolérable la prise en otage de ses habitants par une minorité qui a pour seul moyen d'expression la violence, intolérable la mort d'un jeune homme, fût-il un voleur de voiture, sous les balles d'un policier hors légitime défense. En ce moment même, des élèves du lycée que fréquentait le jeune Habib organisent une marche silencieuse, manifestant ainsi leur chagrin et l'inquiétude de tous. Toute la lumière doit être faite le plus rapidement possible sur les circonstances de ce drame. Si un policier a commis une faute, je ne doute pas que vous prendrez les mesures qui s'imposent. Monsieur le ministre de l'intérieur, où en est la recherche de la vérité, première condition du retour à la paix civile dans ce quartier de Toulouse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe communiste) M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - C'est la mort d'un jeune homme au cours d'une intervention policière pour maîtriser des délinquants en train de forcer des véhicules qui est à l'origine des incidents que connaît la ville de Toulouse, depuis deux jours. Le ministère de l'intérieur a immédiatement demandé à l'inspection générale de la police nationale d'élucider sur place les circonstances du drame. Le rapport que m'a remis l'IGPN m'a conduit hier à suspendre le brigadier responsable de l'intervention. Il apparaît en effet que les prescriptions indispensables n'ont pas été respectées. Parallèlement, le procureur de la République a été saisi, une information judiciaire ouverte et une autopsie pratiquée. La justice va donc suivre cette douloureuse affaire. La mort d'un jeune homme est toujours un drame. Et les forces de police, dont la tâche est particulièrement difficile en milieu urbain, doivent intervenir dans le strict respect des règles prévues. Quant aux actes de violence commis depuis deux jours, ils ne sont pas admissibles : l'ordre doit être restauré. Le sous-préfet à la ville a rencontré ce matin la famille du jeune homme qui a pris l'initiative d'un communiqué appelant à l'apaisement et au recueillement. Les auteurs des violences doivent comprendre que leurs actes finissent par se retourner contre leur quartier même. Quant aux forces de police engagées dans le maintien de l'ordre public, elles doivent agir dans le respect des règles républicaines, et doivent savoir que les éventuelles défaillances seront examinées par la justice. Pour l'heure, j'en appelle au calme, à la dignité, à l'apaisement. La violence ne résout rien. C'est la justice qui fera la lumière sur cette affaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) REVALORISATION DES MINIMA SOCIAUX Mme Conchita Lacuey - Avec la loi contre les exclusions adoptée en juillet dernier, notre pays a franchi un grand pas en direction des plus démunis de nos concitoyens, d'autant que ses dispositions s'ajoutent à celles des lois sur les emplois jeunes ou les 35 heures. Cet ensemble cohérent constitue le traitement de fond de l'exclusion. Il convient toutefois de répondre également aux situations d'urgence. Pour ce faire, des commissions d'action sociale d'urgence ont été mises en place qui ont d'ores et déjà mobilisé cinq milliards. Au-delà, le Premier ministre a annoncé ce matin une revalorisation rétroactive des minima sociaux. Ce geste fort en direction de nos concitoyens en détresse était particulièrement attendu en cette période de fin d'année. Quels seront les bénéficiaires de cette mesure ? Quel montant percevront-ils et dans quel délai ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe communiste) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous avez raison, notre réponse au problème du chômage est globale. Après que la priorité donnée par le Gouvernement à l'emploi nous a permis de faire régresser le nombre de chômeurs de 150 000 cette année et de 12 % parmi les jeunes, entre maintenant en application la loi sur l'exclusion. Mais au-delà de ces mesures structurelles, il nous faut répondre aux situations d'urgence que connaissent ceux de nos concitoyens les plus démunis. Toutes les commissions d'aide sociale d'urgence sont en place, même si seulement la moitié d'entre elles ont distribué les aides. Plus de cinq milliards sont aujourd'hui disponibles, en provenance des institutions, des collectivités et de l'Etat. Dès l'année dernière, nous avions revalorisé de 10 % l'ASS... qui ne l'avait pas été depuis 1994 ("Très bien" ! sur les bancs du groupe socialiste). Nous avions de même augmenté de 29 % l'allocation d'insertion et revalorisé l'allocation veuvage. Par ailleurs, depuis le vote de la loi contre les exclusions, le RMI peut se cumuler, entre autres, avec l'allocation jeune enfant tandis que le pouvoir d'achat de l'ASS et de l'allocation d'insertion est dorénavant garanti par la loi. Enfin, depuis le 1er décembre, les minima sociaux peuvent être cumulés avec un revenu intégralement pendant trois mois et à 50 % pendant les neuf mois suivants. Nous avons souhaité aller plus loin et le Premier ministre a annoncé ce matin une revalorisation de 3 % du RMI, de l'ASS et de l'allocation d'insertion au 1er janvier 1999 avec effet rétroactif au 1er janvier 1998. Ce rattrapage s'élèvera à 875 F pour un RMiste seul, à 1 837 F pour un couple de RMistes avec deux enfants et à 2 500 F avec quatre enfants. La somme sera versée avant Noël aux RMistes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe communiste) et dès le 26 ou le 27 décembre aux autres bénéficiaires. Et toutes les personnes entrant dans l'un de ces dispositifs courant décembre percevront également ce rattrapage. Il n'y a aucune raison que les fruits de la croissance ne profitent pas aussi aux plus démunis de nos concitoyens. Voilà ce que nous avons voulu marquer avec cet effort de solidarité supplémentaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe communiste). MENACES SUR L'EMPLOI DANS LES USINES SEB DU RHÔNE Mme Martine David - C'est avec consternation que nous avons appris les difficultés de Calor dans le Rhône à Villefranche-su-Rhône et à Saint-Priest où 400 emplois seraient menacés. Les élus locaux et nationaux se sont largement mobilisés aux côtés des syndicats. Le groupe Seb doit absolument, en concertation avec les personnels, étudier toutes les solutions pour poursuivre l'activité et éviter le recours massif à des licenciements. Que compte faire le Gouvernement auprès de la direction du groupe ? Comment entend-il accompagner l'action de tous sur le terrain ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Le groupe Seb, l'un des leaders mondiaux de l'électroménager domestique, procède à des restructurations, notamment dans le Rhône où les usines de Villefranche-sur-Saône et Saint-Priest pourraient fermer. 247 et 197 emplois seraient ainsi menacés. Sachant que vous me poseriez cette question ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), j'ai pris contact avec la direction de Seb. Elle m'a indiqué que le groupe, qui réalise désormais 47 % de son chiffre d'affaires hors d'Europe, en particulier en Asie, en Russie, aux Etats-Unis et en Amérique latine, connaît actuellement des difficultés aiguës en raison de la crise qui affecte depuis plusieurs mois ces marchés. Elle souhaite donc spécialiser davantage certains établissements et se recentrer sur ces métiers fondamentaux. A Saint-Priest, site spécialisé dans les petits appareils électroménagers en plastique, le groupe cherche un repreneur. Il a par ailleurs décidé de délocaliser dans l'Isère une partie de cette production. Il s'est ensuite engagé, à la demande du Gouvernement, à proposer un reclassement dans le groupe à tous les salariés du site. 160 propositions précises ont d'ores et déjà été faites. Enfin, l'entreprise s'engage -Mme Aubry et moi-même y serons extrêmement vigilants- à ne procéder à aucun licenciement. Tous nos efforts doivent porter sur la réindustrialisation du site afin de faire repartir l'économie locale. Je vous propose de vous recevoir avec les élus concernés et la direction de Seb pour faire le point et nous engager dans cette voie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme Odette Casanova - Ma question s'adresse à Mme la ministre de la jeunesse et des sports. La branche française des scouts d'Europe, fondée en 1958, a reçu en 1970 de votre ministère un agrément provisoire, formule qu'aucun texte ne reconnaît. Elle revendique en France 30 000 adhérents. Depuis plus d'un an, les scouts d'Europe sont impliqués dans une affaire qui empoisonne la vie d'une famille varoise qui, désireuse de donner à ses enfants une bonne éducation religieuse, les avait confiés à cette association. Premier incident : cette famille et d'autres ont attendu tout une nuit le retour d'un car d'enfants -ceux-ci avaient été déposés au bout d'une route sans que personne ne soit prévenu. Plus récemment, ces enfants ont reçu des publications du Front national et de groupuscules royalistes et racistes telle la SERP et les Légionnaires du Christ. Le responsable des scouts d'Europe de Fréjus avoue avoir donné ses fichiers informatiques. Enfin les scouts d'Europe sont tenus pour responsables de l'insolation de 72 enfants lors d'une messe l'été dernier. Quelles mesures ont été prises et le seront envers les responsables de l'association et l'association elle-même ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste) M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - En l'absence de Mme Buffet, actuellement au Québec, voici quelques éléments de réponse. Le scoutisme compte de nombreuses composantes dont la plupart ne sont pas en cause. Mais sous cette appellation certaines organisations ont développé des activités parfois répréhensibles et dangereuses. Chacun se souvient du terrible accident de Perros-Guirec. S'agissant des scouts d'Europe, un jeune varois de quinze ans qui y était inscrit a reçu de la documentation du Front national et des Légionnaires du Christ. Le père de famille a saisi la CNIL et le ministre de la Jeunesse pour connaître les raisons de cet envoi. Mme la ministre de la Jeunesse a convoqué pour le 23 décembre le président national des Scouts d'Europe pour lui demander des explications. Il lui sera signifié qu'une inspection générale de son association va avoir lieu. D'ailleurs lors de la dernière assemblée générale de l'association, on a tenu des propos très inquiétants s'en prenant au fonctionnement démocratique de nos institutions. De même la CNIL va mener une enquête. Toute association qui bénéficie de l'agrément "jeunesse et éducation populaire" doit se montrer capable de préserver son autonomie sur le plan politique et sur le plan financier. Après l'inspection, il conviendra éventuellement de saisir la commission nationale d'agrément pour entendre les parties. Il faut faire toute la lumière sur le détournement grave que vous signalez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-Claude Mignon - Votre réponse sur l'insécurité ne nous satisfait pas. Pourquoi refusez-vous de publier les chiffres de la délinquance ? Sont-ils si mauvais ? Malgré tout ce qui est fait localement, la situation dans certains quartiers continue à se dégrader. Les raisons en sont multiples. En tous cas, arrêtons de présenter les responsables -c'est encore ce que vous avez fait tout à l'heure- comme des victimes de la société. Ce sont, pour reprendre un terme que le Premier ministre apprécie, des marginaux. Il faut les traiter comme tels. Mettez-vous à la place des milliers de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) qui vivent au quotidien des situations épouvantables. Même les transports en commun sont dangereux. Récemment, aux Mureaux, un train entier a été dévalisé et les voyageurs molestés. Qu'avez-vous l'intention de faire ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Certains crient plus qu'ils n'agissent (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR), Monsieur Mexandeau, au Gouvernement vous avez brillé par votre incompétence. Vous essayez de faire signer des contrats locaux de sécurité. Pensez-vous que cela règlera le problème de fond ? Pour la prévention, tout a été fait. Une bonne politique de prévention doit pouvoir être sanctionnée. M. Didier Boulaud - Pyromane ! M. Jean-Claude Mignon - Ce n'est pas d'adjoints de sécurité que nous avons besoin mais de véritables professionnels (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Avez-vous l'intention de prendre les dispositions que les Français attendent de vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim - Les chiffres de la délinquance pour le premier semestre ont été publiés dans le rapport de M. Mermaz sur le budget du ministère. Ils sont connus de tous et nous en avons débattu. Plusieurs députés socialistes - Il n'était pas là ! M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim- Pour l'année 1998, les chiffres seront connus début 1999. Il n'y a aucune raison de les dissimuler. Le Gouvernement est déterminé à lutter contre tout ce qui crée l'insécurité et empêche nos concitoyens de vivre tranquillement. Je signais hier le 150ème contrat local de sécurité. Des élus de toutes tendances se sont engagés dans cette voie. La police nationale joue son rôle. Mais il faut mener une politique qui aille de la prévention à la dissuasion, de la sanction à la réparation. Plutôt que d'exploiter la situation, ce qui nourrit l'extrémisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR), c'est sur ce plan qu'on peut se placer pour lutter efficacement contre l'insécurité et le Gouvernement le fait (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Jean Auclair - Ma question s'adresse à Mme le ministre de la jeunesse et des sports. Le Conseil d'Etat a annulé le décret autorisant les associations sportives à ouvrir dix fois par an une buvette de vente d'alcool... Plusieurs députés socialistes - La buvette, la buvette ! M. Jean Auclair - ...à l'occasion des compétitions. Guy Drut avait su répondre à la demande des petits clubs sportifs dans le respect des impératifs de santé et de sécurité publique. Les petits clubs ont des difficultés financières et il faut leur permettre de se procurer un minimum de recettes. Par exemple la consommation, modérée évidemment, de vin chaud les aidait bien (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Au moment où le Gouvernement parle de dépénaliser les drogues douces ou même d'en autoriser la vente, les dirigeants de club ne comprennent plus. J'ai également saisi M. le secrétaire d'Etat à la santé à propos des rumeurs sur l'interdiction des buvettes lors des manifestations agricoles. Je n'ai reçu aucune réponse. Les clubs s'inquiètent de la façon dont seront compensées leurs pertes financières. Quelles mesures entendez-vous prendre pour les aider ? La réponse que le Gouvernement a faite au Sénat ne nous convient pas. Ce ne sont pas de vagues promesses dont les clubs ont besoin. Ils attendent des mesures concrètes et rapides (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe UDF). M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Je vous réponds à la place de Mme Buffet. Permettez-moi d'abord à propos de l'intérêt que vous manifestez pour le vin chaud, de dire que le Gouvernement n'a déposé aucun projet de dépénalisation de quoi que ce soit. L'annulation du décret qui autorisait l'ouverture de buvettes en contradiction avec la loi Evin a été prononcée par le Conseil d'Etat. Il nous faut bien en tenir compte. Sans doute a-t-il été aboli aussi sous la pression de la fédération hôtelière (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Jean Auclair - Non ! M. le Secrétaire d'Etat - Je vous trouve bien affirmatif. Je pense qu'il y a eu une pression de la concurrence. Mme la ministre a déjà répondu que des crédits régionaux du fonds national de développement du sport ont été débloqués en 1998. Cet effort sera poursuivi. La loi sur le sport, qui est en préparation, veillera à prendre en compte les petits clubs et les associations tout en décourageant la consommation d'alcool par notre jeunesse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR L'AUDIOVISUEL M. Olivier de Chazeaux - Monsieur le Premier ministre, je voudrais revenir sur l'échec personnel que représente votre décision de reporter le projet de loi sur l'audiovisuel, échec politique et échec méthodologique aussi : votre méthode, c'est d'abord le flou, puis le cafouillage, enfin le bricolage ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Vous avez réussi le tour de force de semer le désarroi dans le secteur audiovisuel public et de nous ridiculiser face à l'Union européenne en oubliant la date butoir du 31 décembre 1998 pour la transposition de la directive européenne sur l'audiovisuel, pourtant prise à l'initiative de la France ! Vous allez être obligé de procéder à cette transposition dans la précipitation et au détriment du débat public et des intérêts français. La loi sur l'audiovisuel français sera désormais proposée par le ministre des affaires étrangères, le ministre de la communication en perdant la maîtrise. Le mythe d'Icare vous a rattrapés ! Quand allez-vous cesser de faire du bricolage juridique sur le dos de la France et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Vous allez bien vite en besogne et Icare n'est peut-être pas celui que vous pensez ! La loi sur l'audiovisuel n'est pas repoussée sine die mais simplement reportée (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le projet adopté par le Conseil des ministres prévoit trois dispositions concernant la protection des mineurs, les critères de compétences et les obligations réglementaires des chaînes étrangères. Il ne manque, pour répondre complètement à la Commission européenne, que les textes relatifs au dispositif satellitaire. Je rappelle que quand j'ai pris mes fonctions, M. Douste-Blazy n'avait presque rien prévu (Vives protestations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). La France se mettra le plus tôt possible en concordance avec la directive européenne. Les batailles qu'elle a menées à plusieurs reprises pour protéger la production européenne a été gagnée. Quant au recours de la Commission, la décision de le déposer est antérieure au report de la loi. Les deux choses sont donc indépendantes. C'est la première fois que le Gouvernement prend des décisions qui renforcent le service public audiovisuel en garantissant un financement compensant la baisse de la publicité et préparant la croissance des moyens de l'audiovisuel public. Nous sommes donc loin des projets d'affaiblissement et de privatisation larvée que vous aviez préparés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX SUR LES REVENUS DE PLACEMENTS M. Jean-Jacques Weber - Des centaines de milliers de Français modestes viennent de recevoir un avis d'imposition les obligeant à verser 10 % de prélèvements sociaux sur les revenus de leur patrimoine et de leur épargne. Nous avons tous reçu des lettres de personnes souvent âgées n'ayant que 3 à 4 000 F de revenus par mois, revenus générés par un petit patrimoine de prévoyance durement constitué. Ce sont d'anciens ouvriers, artisans, commerçants, agriculteurs retraités qui ne comprennent pas qu'on les traite comme des riches. Au total 22 milliards de taxes supplémentaires vont frapper les épargnants du fait de votre loi de financement de la Sécurité sociale. Les bénéficiaires de minima sociaux sont exonérés de CSG, alors que les personnes prévoyantes paient un prélèvement de 10 % même quand leurs revenus sont inférieurs à ces minima ! L'an dernier, le groupe UDF vous avait solennellement averti des dangers de cette mesure et proposé d'exonérer de prélèvements sociaux les revenus des placements des ménages quand leur total serait inférieur au minimum vieillesse. Le groupe UDF a déposé un amendement identique dans le projet de loi de finances pour 1999. Le Gouvernement est-il favorable à cette mesure qui concerne les plus modestes et les plus prévoyants de nos concitoyens ? Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - La CSG est un impôt à large assiette, qui touche tous les revenus sauf les produits d'épargne populaire. Je suis étonnée que vous défendiez l'exonération de la CSG sur le patrimoine, alors que les salariés, eux, la paient dès le premier franc, y compris les vendeuses à temps partiel qui ne touchent que 2 000 F par mois ! Est-il anormal que chacun contribue à financer la protection sociale ? Je m'étonne de vos propos alors que vous êtes tellement favorables à la baisse des charges sociales sur les salaires ! Vous savez très bien que dans notre pays on peut être non imposable et disposer néanmoins de revenus élevés, par exemple si on a une faible retraite et un patrimoine important (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Renaud Dutreil - Dimanche dernier a eu lieu une grève significative de milliers d'utilisateurs d'Internet, qui protestaient ainsi contre les tarifs prohibitifs de France Télécom. Ils demandent l'instauration d'un forfait mensuel avec un nombre illimité de connexions. M. Dominique Strauss-Kahn leur a fait une réponse évasive qui ne peut les satisfaire. La France a un retard important par rapport à l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Suède en matière d'utilisation d'Internet. Or ces tarifs trop élevés ont un caractère discriminatoire et dissuasif. Sans doute notre position est-elle différente de la vôtre : nous croyons à la modernisation, à la liberté d'expression, à l'égalité d'accès à ce service. Aussi nous vous demandons de modifier rapidement la législation en ce sens. M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Je vous fais remarquer que c'est ce gouvernement qui a commencé à rattraper le retard pris par la France en matière d'équipement et de fréquentation du réseau Internet (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Dès l'été 1997, le Premier ministre avait annoncé un programme pluriannuel qui a obtenu des résultats remarquables. Nous nous situons à la moyenne des prix pratiqués en Europe pour les abonnements avec consommation de 6 heures par mois : 144 F en France contre 172 F en Allemagne, 212 F au Royaume-Uni, mais 100 F en Italie et 116 F aux Etats-Unis. Le jeu des options tarifaires est favorable aux internautes car alors les prix se situent dans la partie basse de la fourchette. Depuis 1998, les opérateurs du réseau câblé ouvrent progressivement leur réseau aux internautes. L'abonnement moyen se situe autour de 280 F par mois. Par ailleurs, un accès forfaitaire à haut débit sur la ligne téléphonique via la technologie ADLS sera proposé dès le début de 1999. Enfin, Dominique Strauss-Kahn et moi avons demandé il y a quelques jours à l'autorité de régulation des télécommunications de chercher en concertation avec l'ensemble des opérateurs, dont France Télécom, une solution qui soit à la fois respectueuse de la concurrence et plus favorable aux internautes. Nous travaillons donc dans la direction qu'ils souhaitent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. François d'Aubert - Au nom du groupe Démocratie libérale, je vous demande solennellement, Monsieur le Premier ministre, de renoncer à l'article du projet de loi de finances qui, suite à un amendement communiste, tend à constituer un monstrueux fichier informatique grâce auquel l'administration fiscale pourrait, par recoupements avec le fichier de la sécurité sociale, retracer la vie privée, professionnelle et financière de tout un chacun. Cette disposition d'essence totalitaire est contraire à l'idée que nous faisons du nécessaire respect des libertés individuelles et publiques (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). Certes l'intention est louable puisqu'il s'agit de lutter contre la fraude fiscale. Mais derrière se profilent "Big Brother" et ses possibilités d'inquisition... Disant cela, je ne fais pas de la politique politicienne (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) mais me fais l'interprète de tous ceux qui sont attachés aux libertés individuelles et au respect de la vie privée. Je vous le demande donc instamment, Monsieur le Premier ministre, renoncez à ce projet, retirez-le ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'exagération de vos propos n'est pas très convenable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe DL). L'utilisation d'un numéro unique simplifiera les choses à la fois pour l'usager, dans ses relations avec le fisc ou la sécurité sociale, et pour l'administration, qui sera ainsi mieux à même de lutter contre la fraude. Peut-on parler d'atteinte aux libertés publiques ? ("Oui !" sur les bancs du groupe DL) Non, car l'administration ne transmettra à personne ce numéro. D'ailleurs, des pays au moins aussi soucieux que nous des libertés publiques et individuelles -Etats-Unis, Belgique, Pays-Bas, Italie- utilisent déjà un tel numéro. Si bien que l'OCDE vient de recommander à tous les pays d'y avoir recours. J'ajoute que l'idée vient de loin puisqu'elle était déjà contenue dans le rapport que MM. de Courson et Léonard ont consacré en 1996 à la lutte contre la fraude ("Ah !" et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Je remercie M. de Courson, que je vois opiner, d'avoir l'élégance de reconnaître que je dis juste. Si cette idée était aussi néfaste que vous le dites, Monsieur d'Aubert, l'amendement de M. Brard n'aurait pas été voté à l'unanimité par l'Assemblée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Il ne constitue pas une atteinte aux libertés publiques car la fraude fiscale ne fait pas partie de celles-ci (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Jean Vila - A l'appel de leurs organisations syndicales, les salariés des caisses d'épargne sont aujourd'hui en grève car ils s'inquiètent des conséquences de la réforme prévue sur leur statut, leur retraite, leur emploi. Ils craignent qu'elle fragilise le réseau et remette en cause leur mission d'intérêt général. Certains pensent que le passage au statut d'établissement coopératif constitue une première étape vers la privatisation. En tout état de cause, la réforme marque la poursuite de la banalisation du secteur et son alignement sur les exigences du marché financier. Une autre modernisation des caisses, qui renforcerait leur rôle au service des collectivités locales, de l'emploi et du logement, est pourtant possible. Le débat que le Gouvernement s'est engagé à organiser dès le début de l'année prochaine sur l'avenir du système financier doit être l'occasion d'examiner toutes les solutions possibles. En attendant, quelles garanties le Gouvernement peut-il offrir au personnel des caisses d'épargne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je vous remercie de me donner l'occasion de préciser le contenu du projet. Les caisses d'épargne occupent dans notre pays une place spécifique et très précieuse mais elles sont à un tournant de leur histoire car elles sont trop spécialisées dans leur activité et trop isolées dans leur statut, n'étant ni des coopératives, ni des mutuelles, encore moins des sociétés. Le projet vise donc à leur donner un statut coopératif, afin notamment de leur permettre de nouer des liens avec d'autres structures et d'assurer ainsi leur développement. Il a été précédé d'une large concertation menée par M. Douyère. Vous me dites que les salariés sont très attachés à leurs missions d'intérêt général. Nous aussi ! C'est justement pourquoi elles sont, pour la première fois, définies dans la loi. Dans le même esprit, le Gouvernement refuse la banalisation du livret A et prévoit que le produit de la cession des parts à des coopérateurs -des Français comme vous et moi- ira abonder le fonds de retraite dont nous avons besoin pour aider notre système par répartition à passer le cap des difficultés démographiques. Il n'y a rien dans le projet qui concerne la retraite des salariés des caisses d'épargne. Celle-ci continuera à exister comme avant et évoluera en fonction des négociations sociales internes du réseau. De même le projet n'a-t-il pas de conséquence sur leur emploi, sinon positives dans la mesure où le projet permettra aux caisses de développer leur activité. Quant au rôle joué par les caisses auprès des collectivités locales et des entreprises, il est appelé à se développer, car l'objectif du projet est bien que les caisses puissent mieux affronter la concurrence. Le débat que nous allons avoir permettra de lever toutes les ambiguïtés, de même que celui qui aura lieu en janvier sur l'ensemble du système financier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean Pontier - L'allocation de remplacement pour l'emploi permet à des salariés âgés de moins de 60 ans de cesser leur activité si leur employeur les remplace et si, nés en 1938, 1939 ou 1940, ils justifient de 160 trimestres validés par le régime général. S'ils justifient de 172 trimestres d'assurance vieillesse, le bénéfice de l'ARPE leur est accordé quel que soit leur âge. Le Gouvernement envisage-t-il d'étendre ce dispositif fort pertinent aux commerçants et artisans contraints d'arrêter leur activité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - L'ARPE a été mise en place par les partenaires sociaux et la négociation à son sujet redémarre demain. Nous devons tous souhaiter que le système soit non seulement maintenu mais approfondi, en particulier afin que ceux qui ont commencé à travailler très tôt puissent en bénéficier, quel que soit leur âge. Les commerçants et les artisans qui ont cotisé pendant 40 ans, cessé leur activité et qui touchent l'ASS ou le RMI peuvent désormais, suite à un vote unanime du Parlement, bénéficier d'une allocation spécifique d'attente de 1 750 F, laquelle peut se cumuler avec les allocations de solidarité. 25 000 personnes ont déjà déposé un dossier et 21 000 ont reçu un avis favorable. Nous ferons dans quelques semaines le bilan de ce dispositif et je pourrai alors vous dire combien de commerçants et d'artisans en ont bénéficié (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) INSTITUT D'ÉMISSION DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER M. Alfred Marie-Jeanne - A partir du 1er janvier 1999, l'Institut d'émission des départements d'Outre-mer deviendra une filiale de la Banque de France. Cette décision a été justifiée par la mise en place de l'UEM. Elle a suscité l'inquiétude du personnel, qui n'a pas été consulté, et des PME et des PMI. En effet, l'Institut jouait le rôle d'une banque centrale pour les DOM et l'une de ses filiales, la SOFODOM, société de gestion de fonds de garantie, très importante pour l'économie locale, risque maintenant de disparaître. En Martinique, 90 % des entreprises ont moins de 10 salariés et 85 % de ces petites entreprises ont même moins de 5 salariés. Comment peut-on assurer le développement des DOM si les mécanismes de crédit, de réescompte et de garantie sont remis en cause sans qu'un dispositif au moins aussi performant soit institué ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'IEDOM exerce dans les DOM les missions dévolues en métropole à la Banque de France. Or celles-ci relèveront à partir du 1er janvier 1999 du système européen de banques centrales avec lequel l'IEDOM n'avait aucun lien. Nous avons donc décidé de faire de l'IEDOM une filiale de la Banque de France afin d'assurer son rattachement au SEBC. Bien entendu, la Banque de France continuera de déléguer les mêmes missions à l'IEDOM c'est-à-dire la mise en circulation des billets, la tenue des comptes des établissements de crédit et la cotation des entreprises. L'IEDOM continuera en outre à exercer les missions spécifiques telle la réalisation d'études de conjoncture sur les DOM. La représentation des élus des collectivités territoriales à son conseil sera conservée. Il n'y a donc rien de changé. L'emploi et l'activité de l'institut ne subiront aucune conséquence du rattachement juridique à la Banque de France. La SOFODOM, dont le rôle est essentiel, sera également préservée. En outre, le rattachement permettra à l'IEDOM de bénéficier des refinancements du SEBC et donc des taux faibles que nous connaissons aujourd'hui. Je comprends les inquiétudes du personnel. L'intersyndicale sera reçue au ministère des finances demain. Toutes les précisions lui seront apportées mais sachez que ni les missions, ni le personnel de l'IEDOM ne seront affectés par le rattachement juridique permettant de faire participer les DOM à la grande ouverture européenne qui s'ouvre à nous à partir du 1er janvier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Emile Vernaudon - Ma question s'adresse au ministre des finances. En 2002, le franc cessera d'exister au profit de l'euro. Seuls les territoires d'outre-mer du Pacifique, c'est-à-dire la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, continueront d'utiliser le franc, mais le franc CFP, c'est-à-dire "Colonies françaises du Pacifique", dit aussi franc pacifique. Certes, la France a reçu la compétence de fixer la parité du franc pacifique avec le franc français puis avec l'euro mais pourquoi maintenir ce franc colonial ? Pourquoi ne pas constituer l'euro dans les TOM ce qui constituerait un gage de stabilité monétaire si nécessaire au développement économique de nos territoires ? Pourquoi ces territoires, déjà associés à l'Europe et dont les citoyens portent un passeport européen, ne pourraient-ils pas bénéficier eux aussi de l'euro ? Cela signifie-t-il que l'Etat et les autorités de Bruxelles considèrent les TOM comme des territoires pré-indépendants devant faire partie d'une zone franc à l'instar d'Etats africains ? Le Gouvernement doit expliquer clairement sa position sur ce sujet capital (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je suis heureux, Monsieur le député, que votre question vienne après celle de votre collègue Marie-Jeanne car cela permet de mettre en évidence les différences de situation. Dans les DOM, l'euro circulera ce qui nécessite une adaptation juridique de l'IEDOM. S'agissant des territoires du Pacifique, la situation sera différente comme elle l'est d'ores et déjà puisqu'y circule un franc particulier, le franc Pacifique, que, je suppose, vous n'auriez pas mis en cause si le franc était resté la monnaie en métropole. Nous avons veillé à ce que le passage à l'euro ne change rien pour les territoires du Pacifique. Le rattachement mécanique du franc Pacifique au franc se transformera simplement en un rattachement mécanique du franc Pacifique à l'euro. Il n'y aura pas de modification pour les utilisateurs ni de risque en termes de parité. Peut-on envisager de faire circuler l'euro dans les territoires du Pacifique ? C'est une question que l'on peut se poser tout comme on pouvait auparavant se demander s'il fallait faire circuler là-bas le franc métropolitain. Les raisons qui, depuis de nombreuses décennies, justifient l'existence d'une monnaie spécifique, le franc Pacifique, restent valables. Le passage à l'euro ne change rien mais je suis prêt à réfléchir sur cette question avec vous. M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Michel Pericard. PRÉSIDENCE DE M. Michel PERICARD vice-président L'ordre du jour appelle la discussion des propositions de résolution de M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues, tendant à créer une commission d'enquête relative aux exigences pécuniaires, aux relations financières internationales, à la situation patrimoniale et fiscale des sectes et de M. Jacques Guyard et plusieurs de ses collègues, tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques, qui ont fait l'objet d'un rapport commun. M. Jacques Floch, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Forni, qu'un deuil cruel vient de frapper et qui m'a demandé de le remplacer. En ce mois de célébration du cinquantenaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, notre assemblée est saisie une nouvelle fois du douloureux problème des agissements des sectes. Sans doute faut-il légiférer avec prudence dans ce domaine, tant s'impose le principe, énoncé à l'article 10 de la déclaration de 1789, selon lequel "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi". Député d'une circonscription qui a élu celui qui devait rapporter le texte sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, Aristide Briand, je sais combien l'équilibre entre la liberté de conscience et le respect de l'ordre public est délicat. Je souscris donc pleinement à la démarche de MM. Jean-Pierre Brard et Jacques Guyard, dont les propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête relative aux aspects économiques et financiers du phénomène sectaire ont été déposées le 31 mars et le 18 mai 1998 dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête sur les sectes remis en janvier 1996. Celui-ci contenait une série de propositions, dont la création d'un observatoire interministériel sur les sectes rattaché au Premier ministre. L'observatoire a été remplacé par une mission interministérielle de lutte contre les sectes, instituée par un décret du 7 octobre 1998, dont la présidence a été confiée à M. Alain Vivien, spécialiste reconnu de ces questions. La création d'une nouvelle commission d'enquête aurait pour but de compléter le travail entrepris, en le centrant sur les aspects économiques et financiers. Saisie des deux propositions de résolution le 2 juillet 1998, la commission des lois a suivi son rapporteur, M. Raymond Forni, en les jugeant à la fois recevables et opportunes. La première condition de recevabilité, énoncée à l'article 140 du Règlement est l'existence de faits précis motivant la création d'une commission d'enquête. Certains faits récents de fraude fiscale et l'infiltration de milieux économiques, notamment par l'intermédiaire de sociétés écrans, ont conduit la commission des lois à admettre la précision des faits mis en avant par les auteurs de propositions de résolution. La seconde condition, énoncée à l'article 141 du Règlement, est que des poursuites judiciaires ne soient pas en cours sur les faits considérés. Interrogée par le Président de l'Assemblée, Mme la Garde des Sceaux a considéré que les procédures qui étaient en cours ne faisaient pas obstacle à l'adoption des propositions de résolution, les services de la chancellerie se tenant, le cas échéant, à la disposition de la commission d'enquête pour lui préciser si tel fait précis est l'objet ou non de poursuites judiciaires. Quant à l'opportunité de la constitution d'une commission d'enquête, elle semble manifeste, étant donné l'ampleur du phénomène et la spécificité des questions financières relatives aux sectes. L'insuffisance de l'arsenal juridique existant, ou son insuffisante application, les résistances opposées par les sectes à l'administration fiscale, la nécessité de porter à la connaissance de l'opinion l'existence de réseaux d'influence transnationaux agissant sous couvert de sociétés écrans, plaident pour la création de cette commission d'enquête. Celle-ci pourra informer les citoyens des dangers et proposer, le cas échéant, des mesures législatives propres à contrer le développement et l'enrichissement des organisations sectaires. Si les deux propositions de résolution soumises à la commission touchent au même sujet, elles n'en ont pas moins un objet différent. Aussi la commission a-t-elle retenu une rédaction de synthèse couvrant le champ des deux propositions initiales. Votre rapporteur vous propose un amendement portant à quinze le nombre de membres de la commission, afin qu'elle puisse travailler efficacement. Compte tenu de ces observations, je vous demande d'adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste) M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Le Gouvernement se félicite des deux propositions de résolution déposées l'une par M. Guyard et des membres du groupe socialiste, l'autre par M. Brard et des membres du groupe communiste, tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques et leur situation patrimoniale. Il partage la préoccupation, déjà exprimée à plusieurs reprises, par la représentation nationale de lutter contre les sectes. La mission interministérielle de lutte contre les sectes, créée par décret du 7 octobre dernier, et dont les membres ont été nommés le 23 novembre, ne sera pas un simple observatoire. Elle a vocation opérationnelle, ayant reçu des pouvoirs effectifs de coordination, d'incitation et de dénonciation à la justice des faits répréhensibles sur le plan pénal. L'un des problèmes est qu'il n'existe aucune définition juridique des sectes. Il convient par ailleurs, tout en combattant résolument les agissements des sectes, de préserver les libertés fondamentales de conscience, de culte et d'expression. La représentation nationale a montré jeudi dernier qu'il était possible de lutter contre les dérives sectaires, en adoptant une proposition de loi relative à l'obligation scolaire et à son contrôle effectif par l'Etat. L'argent est le nerf de la guerre contre les sectes. C'est pourquoi la présente proposition de résolution est particulièrement opportune. Certains mouvements sectaires s'appuient sur de puissants soutiens économiques et financiers qu'il convient d'identifier. Leurs méthodes relèvent souvent de l'escroquerie. Le ministère des finances est en première ligne de ce combat : des contrôles fiscaux ont d'ores et déjà été engagés, d'autres sont en passe de l'être, et des redressements substantiels ont été notifiés. Il convient d'approfondir l'investigation, de mettre en lumière les réseaux de pouvoirs que certaines organisations tentent de tisser et de dévoiler la véritable stratégie de conquête de certaines sectes sur le marché de la formation professionnelle ou d'autres marchés sensibles. La constitution d'une commission d'enquête y aidera. Le Gouvernement approuve donc sans réserve cette initiative et prêtera son entier concours à cette commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Jean-Pierre Brard - Permettez-moi un rapide retour en arrière afin de mesurer le chemin parcouru depuis trois ans. La commission d'enquête constituée en 1995 a déjà accompli un important travail et le rapport qu'elle a remis en décembre 1995 fait aujourd'hui référence. Il a été suivi en février 1996 d'une circulaire du Garde des Sceaux afin de renforcer l'efficacité des juridictions face aux agissements délictueux des sectes. Le Gouvernement a créé en mai 1996, comme le proposait la commission, un observatoire interministériel des sectes rattaché au Premier ministre. Le ministre de la jeunesse et des sports a engagé parallèlement une campagne d'information et de prévention en direction des jeunes, suivie d'une circulaire d'avril 1997 organisant une structure de concertation destinée à prévenir le sectarisme et à lutter contre lui. Le gouvernement suivant a poursuivi et amplifié en 1997 cette action. Une circulaire du ministre de l'intérieur de novembre 1997 a renforcé la mobilisation de l'administration. Le remplacement en 1998 de l'observatoire interministériel des sectes par une mission interministérielle de lutte contre les sectes, dotée d'une structure administrative pluridisciplinaire et d'un conseil d'orientation constitue une avancée très importante. Une circulaire récente de Mme la ministre de la justice organise d'une part un échange d'informations entre l'autorité judiciaire et les associations de lutte contre le phénomène sectaire, institue d'autre part un "correspondant sectes" au Parquet. Elle prévoit également des réunions de coordination entre administrations. Il faut souligner la complémentarité des initiatives du Sénat et de l'Assemblée. Ainsi avons-nous définitivement adopté jeudi dernier une proposition de loi relative à l'obligation scolaire qui améliorera substantiellement la protection des 6 000 enfants tombés sous la coupe des sectes. Inscrite dans chaque assemblée à l'initiative d'un groupe parlementaire lors d'une séance réservée à cet usage, adoptée dans les deux enceintes à l'unanimité, avec le soutien du Gouvernement, cette proposition de loi démontre que des avancées législatives sont possibles. Il faut se féliciter de l'annonce par Madame la ministre de la justice d'un texte permettant aux associations de protection des victimes des sectes de se constituer partie civile. Le travail accompli est important mais il reste encore beaucoup à faire. La présente proposition de loi est essentielle car elle a trait à l'argent des sectes. Gourous et dirigeants de mouvements sectaires sont en effet aujourd'hui les adorateurs les plus acharnés du veau d'or. Certaines organisations font fructifier les sommes soutirées à leurs adeptes. D'autres créent des entreprises dans lesquelles elles appliquent des méthodes de management inspirées de leur pseudo-doctrine dans un unique but de prosélytisme. Le système de financement des Témoins de Jéhovah s'organise à partir d'offrandes "volontaires" adressées à la maison-mère américaine, de dons d'argent ou de mise à disposition de la secte des comptes bancaires des adeptes. La vente du bimensuel La Tour de garde rapporterait 14 millions de francs par mois et celui de Réveillez-vous, tiré à 12 millions d'exemplaires, 50 millions. Présents dans 900 sites appelés salles du royaume, les Témoins de Jéhovah ont fait l'objet d'un redressement fiscal de 300 millions. Ils gèrent une imprimerie à Louviers où travaillent trois cents adeptes, trois cents esclaves devrions-nous dire puisque le droit du travail n'y est pas respecté. Ils possèdent dans l'Aisne de nombreuses propriétés agricoles dont la valeur atteindrait 13 millions. Récemment, cette secte a mené une offensive juridique afin d'obtenir le statut d'association culturelle leur assurant le droit à des exonérations de taxes foncières. Que certaines juridictions, notamment des tribunaux administratifs s'écartant des positions du Conseil d'Etat, aient rendu des jugements favorables aux Témoins de Jéhovah posent problème. Qu'elles se soient permis de décider ce qui est et ce qui n'est pas une religion remet en cause le principe de séparation de l'Etat et de l'Eglise depuis 1905. Quant à l'Eglise de scientologie, elle facture certains cours plus de 70 000 F. La commission d'enquête de 1995 avait montré que nombre de ses adeptes avaient dû s'endetter fortement. Un adepte de longue date peut donner à la Scientologie de 500 000 à 1 500 000 F. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie avait d'ailleurs proclamé "si l'on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion". Selon le fisc américain, au début des années 1990, l'église gagnait quelque 300 millions de dollars par an grâce aux honoraires d'auditions et à la vente de littérature scientologique. La Soka Gakkaï a réalisé des investissements immobiliers faramineux. En 1990, elle aurait acquis le domaine des Forges dans les Bouches-du-Rhône -soit 42 hectares- pour 16 millions. En 1989, elle aurait acquis le château des Roches dans l'Essonne pour 49 millions. Mais l'opacité de leurs comptes et leur implantation internationale n'a pas permis à la précédente commission d'enquête de connaître précisément l'état de leurs ressources ni l'ampleur de leur activité économique. L'insuffisance de l'arsenal juridique existant, les résistances des sectes à l'administration fiscale, la nécessité d'informer le grand public sur l'existence de réseaux internationaux, de sociétés écrans dans les domaines de l'éducation, de la santé, plaident pour la création d'une nouvelle commission. Le groupe des députés, communistes et apparentés y est très favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Rudy Salles - En 1995, ce fut l'honneur de cette Assemblée de créer la commission d'enquête sur les sectes présidée par Alain Gest. Le phénomène était alors assez méconnu. Puis le rapport de Jacques Guyard coïncida avec le drame de l'Ordre du Temple solaire. L'opinion s'émut de ce fléau. Rappelons que près de 300 000 personnes sont membres ou sympathisantes de sectes. Entre le rapport Gest-Guyard et le rapport Vivien 10 ans auparavant, le phénomène sectaire a évolué, les mentalités également. En 1985, les députés avaient fait preuve d'une grande détermination mais faisaient davantage confiance aux pouvoirs publics pour agir. Ceux de 1995 et d'aujourd'hui entendent, notamment par leur travail au sein du groupe d'étude, trouver des solutions concrètes. A l'Assemblée nationale même, la commission d'enquête de 1995, siégeait à huis clos ; or, le secret de ses travaux et de ses auditions fut violé. De même la porte-parole d'une secte très signalée dans le rapport fut installée dans cet hémicycle au premier rang de la loge du Premier ministre ! Même un député a du mal à obtenir ce type d'avantage pour ses invités personnels... Le rapport Gest-Guyard a eu le mérite d'évaluer le phénomène sectaire dans notre pays, d'essayer de définir ce qu'est une secte, de faire l'inventaire des dispositions existantes pour lutter contre les sectes et de leurs faiblesses, et de tracer les pistes pour renforcer l'efficacité de la lutte contre ce phénomène. Sur le nombre d'adhérents, qu'on retienne simplement qu'il est équivalent à la population de Strasbourg. Il est plus difficile de définir les sectes. La question fut au centre des réflexions de la commission d'enquête en 1995. Peut-on modifier la loi sur les associations de 1901 pour faire une loi définissant les sectes ? C'est pratiquement impossible sans mettre en cause la liberté de conscience. D'ailleurs en général rien dans les statuts des associations caractérisées comme sectes ne présente une quelconque entorse à la loi. Il nous a donc paru préférable de définir les comportements suspects des associations qui peuvent laisser penser que nous avons affaire à une secte. La commission d'enquête a donc défini 10 déviances sectaires : la déstabilisation mentale ; le caractère exorbitant des exigences financières ; la rupture provoquée avec l'environnement d'origine ; les atteintes à l'intégrité physique ; l'embrigadement des enfants ; le discours plus ou moins anti-social ; les troubles à l'ordre public ; l'importance des démêlés judiciaires ; l'éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ; les tentatives d'infiltration des pouvoirs publics. Nous aurons certainement l'occasion, dans l'avenir, de nous intéresser à chacun de ces chapitres qui méritent une étude très approfondie. On nous propose de créer une nouvelle commission d'enquête sur les activités économiques et financières des sectes. La puissance financière de grand nombre d'entre elles est incontestable. Ron Hubbard disait : "Si l'on veut vraiment devenir millionnaire en dollars, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion." Sur ces questions, les dirigeants des sectes sont très évasifs et leur discours diffère totalement de celui des anciens adeptes. Pour les dirigeants, l'essentiel des ressources provient des cotisations volontaires des adeptes et de dons ; leurs comptes sont approuvés par des cabinets d'experts comptables, ils sont en règle avec l'administration fiscale. Certaines sectes reconnaissent avoir des liens avec des entreprises, mais fondées sur le volontariat ou en contrepartie de services. Les anciens adeptes de façon unanime, estiment que le montant des contributions excède largement les services supposés. Ils contestent le caractère volontaire de ces contributions, altéré par l'état de dépendance des donateurs. Ils soulignent le train de vie des dirigeants. La jurisprudence du Conseil d'Etat interdit à certaines associations de recevoir des dons et legs. Certaines sectes contournent cette difficulté en séparant juridiquement les activités cultuelles et les activités commerciales. La fraude fiscale est fréquente. Sous l'apparence d'associations, nombre de sectes cachent des activités commerciales éminemment lucratives, et pratiquent des acquisitions mobilières ou immobilières occultes, sujet sur lequel il me parait très intéressant d'enquêter. Ajoutons les très nombreux cas d'escroquerie, de tromperie ou d'abus de confiance, les violations du droit du travail ou de droit de la Sécurité sociale. La jurisprudence compte de très nombreuses condamnations sur la base de faits matériels incontestables. Selon les Renseignements généraux, près de 51 organismes sectaires se sont distingués dans le détournement des circuits économiques et le travail clandestin. Enfin certaines sectes infiltrent l'administration. L'administration judiciaire, l'Assemblée nationale même ne semblent pas à l'abri. Comment lutter contre ces pratiques ? La loi prévoit des sanctions contre le vol, l'escroquerie, l'abus de confiance, la publicité trompeuse, les quêtes sur la voie publique, l'exploitation financière directe et indirecte manifeste. Les détournements des circuits économiques, peuvent être sanctionnés par la direction générale des impôts et la direction générale des douanes, par l'inspection du travail, par les différents services de Sécurité sociale. Ceci dit, les contrôles sont trop peu nombreux par manque de moyens et par manque de formation. La commission d'enquête de 1995 a préconisé la formation des personnels. Jusqu'à présent elle a assez peu progressé. La commission a également proposé que les associations ayant un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 F soient systématiquement contrôlées par les services préfectoraux. Ceci est resté un voeu pieux. Par ailleurs trop peu d'affaires sont portées devant les juridictions : les adaptes des sectes sont majeurs et on ne peut ester à leur place ; ils n'en ont pas toujours la force. La commission d'enquête a préconisé d'autoriser les associations dont l'objet est la défense des intérêts des familles et la lutte contre les sectes à se substituer aux victimes pour ester devant les tribunaux. Ceci n'est pas encore opérationnel. Le groupe UDF -le groupe d'étude en est d'accord à l'unanimité-, déposera une proposition de loi allant dans ce sens. Par ailleurs, par une circulaire de 1996 le Garde des Sceaux, M. Jacques Toubon, invitait les procureur à s'auto-saisir sur des affaires sensibles pouvant cacher des actions sectaires. La commission d'enquête de 1995 a mis en lumière un monde opaque et ouvert un certain nombre de pistes d'investigation à suivre pour renforcer l'efficacité de la lutte contre les sectes. Aujourd'hui, les résolutions qui nous sont proposées et qui nous invitent à créer une nouvelle commission d'enquête sur les mécanismes économiques et financiers des sectes vont dans le bon sens. Le groupe UDF votera pour. (Applaudissements sur divers bancs) M. Jean Pontier - La proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'influence des sectes dans les milieux économiques ne peut que recueillir un assentiment très majoritaire de notre assemblée. Elle étudiera les exigences pécuniaires, les relations financières, y compris internationales et, surtout, la situation aussi bien patrimoniale que fiscale des sectes. Mais qu'est-ce qu'une secte ? A défaut d'une définition, chacun d'entre nous s'est interrogé sur la signification de ce vocable passé dans le langage commun. S'il ne s'agit pas de porter des jugements sur les croyances, il faut poser des critères concernant les comportements qui portent atteinte à la dignité et à la liberté de la personne humaine. Autrement dit, une secte est un groupe dans lequel est pratiquée une manipulation mentale -endoctrinement, contrôle de la pensée, viol psychique- entraînant une destruction de la personne sur les plans physique, psychique, intellectuel et social, et une destruction de la famille, voire une déstructuration de la société, sur base d'escroquerie intellectuelle, morale et financière. Le champ de notre interrogation est donc bel et bien celui des droits de l'homme et des libertés publiques. Pour savoir si l'on est vraiment en face d'un groupe sectaire, il suffit de poser certaines questions : quel temps personnel est laissé par le groupe ? Quelle part de nourriture, de sommeil ? L'individu peut-il recevoir des messages, des lettres, des visites ? Quelles renonciations personnelles au niveau de la pensée sont-elles suggérées ? Quels mensonges sont-ils imposés dans l'intérêt du groupe ? Quelles déviances sont-elles tolérées dans le groupe au profit notamment du chef ou des autres responsables ? Les règles pour les chefs et les adhérents sont-elles identiques ? Quelles sont les attitudes du groupe, particulièrement vis-à-vis des femmes ? Parallèlement peuvent être observés une modification du comportement, de la tenue vestimentaire, du vocabulaire et des centres d'intérêt, des citations itératives, un désinvestissement de la vie familiale, affective, scolaire, professionnelle, multiplication des réunions, déplacements, appels téléphoniques, courriers, en même temps que s'installent médiation, régime alimentaire, repli sur soi, et surtout d'importantes dépenses financières auprès de la famille, des amis et des banques. Tout ceci vise à renforcer le sentiment d'appartenance au groupe et à favoriser les ruptures pour remplir la mission rédemptrice, sous la conduite du Maître salvateur. Dès lors, il n'y a plus de possibilité de retour, plus de revenus ni de couverture sociale, plus de liens familiaux ni amicaux. L'adepte est soumis à de multiples déplacements et à une discipline rigoureuse, où punition et délation se conjuguent avec dettes et représailles, la souffrance étant l'étape vers la prochaine réussite dans l'atteinte de l'ultime étape de la béatitude. Le caractère fusionnel du groupe se confond alors avec la confusion mentale et se traduit par une réelle infantilisation. L'adepte est alors aux ordres du Maître et susceptible de se transformer en redoutable fanatique. L'arsenal juridique existant trouve ses limites dans la faculté d'adaptation des sectes. En effet, de très nombreuses sectes sont constituées en associations selon la loi de 1901, exploitant toutes les subtilités du régime des associations culturelles, fondé par la loi du 9 décembre 1905. Elles bénéficient ainsi d'exonérations de taxes pour le foncier. Sachant s'autodissoudre et se reconstituer sous une autre appellation, sachant également créer des sociétés sous les régimes les plus divers, les sectes rusent avec la loi et se présentent sous d'autres masques. Elles se parent de l'honorabilité de la formation scolaire et professionnel, du culturel et religieux, de l'éthique, voire du médical ou du scientifique. C'est pourquoi, la proposition de création de cette commission d'enquête me paraît de nature à mieux aborder les nébuleuses destructurantes de notre société, dont l'objet est de faire de l'argent, ici et ailleurs, sur la crédulité humaine. Il ne faudra point oublier les ramifications internationales et peut-être porter un regard moins amène à l'égard du dispositif législatif de 1901. A côté de la nouvelle institution qui vient de voir le jour, suite à la récente décision gouvernementale, la commission proposée doit permettre de progresser dans l'offensive contre l'envahissement sectaire. Comme d'habitude, le noeud de cette problématique sera financier. Il faut résolument y souscrire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Bernard Perrut - Quel important sujet ! Nous sommes en effet souvent confrontés au désarroi des familles des membres des sectes. Nous ne pouvons accepter que certains de nos concitoyens soient privés de leur liberté sans même le savoir. Au-delà du problème humain, l'influence des sectes dans le secteur économique et leurs exigences financières sont aujourd'hui au coeur de nos préoccupations. Deux ans après la publication du rapport de la commission d'enquête sur les sectes en France, présidée par notre ancien collègue Alain Gest, l'Assemblée est saisie d'une nouvelle proposition de création d'une commission d'enquête dans ce domaine, avec cette fois un objet plus limité, puisqu'il vise à faire la lumière sur les aspects économiques du phénomène sectaire. Le rapport de la précédente commission d'enquête sur les sectes, adopté à l'unanimité a été une étape majeure dans la connaissance du phénomène sectaire en France. Il a permis de donner des contours à la notion de secte difficile à définir dans un pays où l'Etat respecte la liberté de croyance. Cette définition repose sur un faisceau d'indices, touchant des associations réunissant, le plus souvent autour d'un chef spirituel, des personnes partageant la même croyance et sur lesquelles ont pu peser le soupçon d'une activité contraire à l'ordre public ou aux libertés individuelles. Ce rapport a estimé le nombre des sectes à 172, regroupant 160 000 adeptes en France. Il a surtout permis d'expliquer les facteurs d'expansion du phénomène sectaire dans notre société : besoin intense de spiritualité dans une société parfois trop matérialiste, échec, chômage. Mais nous pouvons surtout lutter contre les moyens financiers puissants et les techniques de recrutement "psychologique" très élaborées. Le rapport de 1995 a démontré que les sectes représentaient un danger pour la société comme pour l'individu : illégalités nombreuses et troubles à l'ordre public, extorsions de fonds, embrigadement des mineurs, toutes actions que l'Etat se doit de combattre. Le rapport estimait inopportun de créer un régime spécifique aux sectes : il valait mieux améliorer la connaissance du phénomène et sanctionner les actes contraires à la loi. Il proposait la création d'un observatoire interministériel des sectes, chargé d'étudier le phénomène et de faire des propositions. Cet observatoire a été créé et installé en 1996 et, par la publication de ses rapports annuels, a exercé une fonction essentielle d'information des pouvoirs publics. Dernièrement, le Gouvernement a choisi de le supprimer et de le remplacer par une mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui devrait être plus opérationnelle. Elle aurait ainsi la capacité de signaler au parquet et aux administrations concernées les agissements contraires à la loi. Nous nous félicitons de la volonté du Gouvernement de combattre les sectes, mais nous espérons surtout que ce changement de nom sera suivi dans les faits et s'accompagnera de moyens supplémentaires. Nous ne pouvons qu'approuver les décisions du Garde des Sceaux, de prévoir un magistrat spécialisé dans chaque cour d'appel et de donner la possibilité aux victimes des sectes de se constituer partie civile. Nous nous interrogeons toutefois sur la capacité de la justice à financer ces mesures et à répondre au surcroît de contentieux qui en résultera. La circulaire de Mme la Garde des Sceaux du 1er décembre dernier vise à donner une nouvelle impulsion à l'action de l'autorité judiciaire. C'est nécessaire car le phénomène sectaire progresse. Le nombre d'adeptes s'accroît, tandis que de nouvelles mouvances apparaissent ou se confortent. De plus, les sectes sont entrées dans une quête de respectabilité qui les amène à multiplier les campagnes de séduction et les procédures judiciaires. La façon dont les Témoins de Jehovah ont protesté contre le refus de l'administration fiscale d'exonérer les offrandes des adeptes et les conditions troubles dans lesquelles plusieurs tomes d'un dossier d'instruction visant l'église de scientologie ont disparu démontrent la force et l'influence de ces organisations. Cette influence repose sur une puissance économique et financière dont le rapport publié en 1996 avait déjà mis en évidence l'importance. L'extorsion de fonds et la fraude fiscale alimentent souvent le magot des sectes. Mais celles-ci se tournent de plus en plus vers les milieux économiques et développent des techniques de management propres à attirer de nouveaux adeptes. Elles ont fortement investi le domaine de la formation professionnelle et de l'informatique. La raison d'être des sectes étant le plus souvent de faire des affaires, les auteurs des propositions de résolution que nous examinons veulent démanteler leur pouvoir économique. Le groupe Démocratie Libérale soutient cette initiative tout en s'interrogeant sur les moyens d'investigation dont disposera la commission. Avec ses sections spécialisées dans les affaires financières, la justice ne serait-elle pas mieux armée pour enquêter sur les relations financières internationales des sectes ? Face à des organisations aussi puissantes, une politique européenne commune s'impose. Nous devons être conscients que les sectes veulent inflitrer tous les centres de décision. Le groupe DL votera pour la création d'une commission d'enquête en espérant qu'au-delà de celle-ci, de vrais moyens seront dégagés pour lutter contre les sectes. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) M. Jacques Guyard - Je me félicite de l'unanimité qui s'exprime ici, comme en 1995, et qui témoigne de notre attachement absolu, toutes tendances confondues, à la défense de la dignité humaine. On a souvent glosé sur d'éventuelles relations entre les sectes et le milieu politique, mais l'histoire n'en offre guère d'exemple, à l'exception notable de M. Ceyrac qui était à la fois, on s'en souvient, député européen du Front national et dirigeant officiel de la secte Moon en France. Il ne nous appartient pas de juger des croyances de nos concitoyens, celles-ci font partie de la sphère des libertés individuelles, mais nous sommes par contre fondés à faire intervenir la loi chaque fois qu'il y a escroquerie ou détournement de fonds, menace pour la santé ou pour l'intégrité sexuelle d'un individu. La situation a évolué depuis 1995 ; le rapport que nous avons publié, puis la découverte des cadavres du Temple solaire, ont accéléré la prise de conscience. La preuve en est que 170 affaires concernant des dérives sectaires sont aujourd'hui portées devant les tribunaux alors qu'en 1995 le ministère de la justice nous avait dit que les tribunaux n'avaient eu à en traiter, en dix ans, que 60. La même prise de conscience s'est produite dans toute l'Union européenne de sorte que les circuits internationaux utilisés par les sectes sont désormais mieux connus. Ils s'apparentent d'ailleurs à ceux utilisés pour le blanchiment de l'argent de la drogue. Nous savons que les sectes contrôlent des écoles -nous en avons parlé la semaine dernière. Nous avons l'exemple de cette secte allemande qui a créé une école en Lorraine parce que la législation française lui semblait offrir plus de facilités. Quelques milliers d'élèves sont concernés. Les sectes contrôlent aussi beaucoup d'organismes de formation professionnelle continue, dont certains décrochent parfois des marchés publics. Il existe aussi de plus en plus de groupes affirmant délivrer des soins paramédicaux, voire guérir n'importe quelle maladie par l'imposition des mains. Ces groupes détenus par des sectes et qui hélas entraînent souvent des médecins dans leur sillage manient eux aussi des centaines de milliers de francs et, en général, accélèrent le décès de qui s'adresse à eux. Les sectes contrôlent aussi des sociétés de services informatiques, ce qui leur donne accès à quantité de fichiers et de réseaux. Elles possèdent des imprimeries et des agences de voyages. Et elles comptent massivement sur les dons et legs, ce qui les amènent bien sûr à revendiquer fortement le statut d'association cultuelle de la loi de 1905 -en vertu duquel les dons et legs ne subissent pas de prélèvement fiscal. Les scientologues et les témoins de Jehovah adressent à cet effet des sollicitations incessantes au ministère de l'intérieur. Les sectes s'appuient également beaucoup sur le travail non rémunéré de leurs adeptes et, souvent, dirigent vers l'exportation les produits qu'ils fabriquent afin de mieux contourner les circuits de contrôle. L'objectif de la commission d'enquête sera de repérer tous les réseaux sur lesquels s'appuient les sectes, au niveau national, européen ou mondial, et de bien distinguer l'activité des associations de celle des entreprises. Nous aurons ensuite la responsabilité de dire la vérité et d'informer nos concitoyens. Nous l'avons déjà fait en 1995 avec un rapport qui est devenu le "best-seller" des rapports parlementaires. En publiant la liste des mouvements sectaires, nous prenions le risque de poursuites judiciaires : nous l'avons assumé. Je souhaite que nous poursuivions en 1999 ce travail d'information qui est à l'honneur du Parlement. C'est pourquoi le groupe socialiste votera pour la création de la commission d'enquête. Et je sais que le Parlement sera unanime sur ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Thierry Mariani - Cette proposition de résolution vise à créer une commission d'enquête chargée de réunir des informations précises sur les aspects économiques et financiers du phénomène sectaire, qui se développe de manière inquiétante. Nous soutenons cette initiative et nous voterons cette proposition ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). La prolifération des sectes et leurs agissements répréhensibles relevant souvent du droit pénal préoccupent nos concitoyens dont l'inquiétude a été avivée par des événements récents. Du point de vue économique, le poids des sectes est mal connu car elles se développent dans une semi-clandestinité propice à la fraude fiscale, en entretenant le flou sur leurs statuts. De nombreuses sectes semblent pourtant disposer d'un patrimoine important. Mais l'évaluation est difficile, car les sectes, constituées pour la plupart en association loi de 1901, déposent rarement leurs déclarations fiscales et demeurent de ce fait inconnues de l'administration. En outre, elles changent fréquemment d'adresse, de dénomination et de dirigeant déclaré pour brouiller les pistes, ou encore elles utilisent des sociétés civiles immobilières, contrôlées par le gourou ou par un groupe d'initiés, pour gérer leur patrimoine. A ces difficultés s'ajoute bien souvent la défaillance fiscale des dirigeants qui hypothèque gravement, le cas échéant, le recouvrement des dettes. Enfin, de nombreuses sectes exercent des multiples activités lucratives, plus ou moins occultes, souvent par l'intermédiaire de circuits commerciaux complexes. Une caractéristique semble générale : leur organisation sous la forme d'une association loi de 1901. Ce statut particulier permet à ces organisations de bénéficier de certains avantages, tandis que sa principale obligation, le but non lucratif, est quotidiennement bafouée. Ron Hubbard, fondateur de la scientologie, l'a proclamé clairement : "Si l'on veut vraiment devenir millionnaire, le meilleur moyen consiste à fonder sa propre religion". Car tel est l'objectif ultime des dirigeants des sectes : faire fortune sur le dos de malheureux abusés. Ainsi, pour la "Méditation transcendantale", certains estiment que le droit à l'initiation est fixé au quart du salaire et que le prix d'un cours de "sidhi" s'élève à 40 000 F. Pour le "Mouvement raëlien", une cotisation de 3 % des revenus annuels est demandée pour l'admission au mouvement français. Elle est portée à 7 % pour l'adhésion au mouvement international et à 10 % pour faire partie du "gouvernement mondial géniocrate". Il n'est donc pas rare de voir des adeptes s'endetter dans des proportions parfois imaginables pour satisfaire aux exigences de leur gourou. Des familles entières peuvent ainsi se retrouver dans des difficultés financières inextricables, renforçant encore leur dépendance à l'égard de la secte. Il s'agit là d'un véritable cercle vicieux, où se mêlent dépendances psychologique et financière. En outre, de nombreuses sectes ont constitué des structures commerciales sous forme de SA ou de SARL qui, tout en étant juridiquement indépendantes de la secte elle-même restent sous le contrôle des principaux dirigeants de l'organisation. De nombreux mouvements ont ainsi développé des activités lucratives, dont les bénéfices servent essentiellement à assurer le train de vie des responsables de la secte. Les bénéfices de ces "sociétés" sont d'autant plus importants qu'ils reposent bien souvent sur le travail sous-payé, voire bénévole, d'adeptes une fois de plus exploités. Dans certaines sectes, on peut même parler d'esclavage. Les marchandises destinées aux particuliers sont souvent payées en numéraire. Les recettes ainsi collectées ne sont pas mentionnées dans la comptabilité des sociétés filiales de la secte, ce qui permet de les soustraire aux impôts et taxes. Ce phénomène de fraude est encore accentué dans le cas des sectes ayant des ramifications internationales et des sociétés commerciales multiples, cas de plus en plus fréquent. Il est donc indispensable que la représentation nationale puisse disposer d'informations précises afin de mener les réformes nécessaires pour endiguer ce phénomène. L'angle financier et fiscal, choisi pour la commission d'enquête que nous allons créer est approprié : c'est à ce niveau que nous parviendrons à déstabiliser les mouvements sectaires. Trop de nos concitoyens sont abusés par des dirigeants de sectes qui profitent de leur faiblesse pour s'enrichir sans vergogne. L'impact public d'un rapport parlementaire permettra d'alerter nos concitoyens. Le groupe RPR votera donc cette proposition de résolution qui lui paraît particulièrement opportune (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF, du groupe DL et quelques bancs du groupe socialiste). M. Jacques Floch, suppléant M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Par l'amendement 1, M. Raymond Forni propose de réduire le nombre de membres de la commission d'enquête de 30 à 15 afin de ne pas alourdir son fonctionnement. La commission a adopté cet amendement sage. M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Une telle décision concernant l'organisation interne des travaux de l'Assemblée, le Gouvernement s'en remet à sa sagesse. M. Thierry Mariani - Si l'on estime utile de diminuer l'effectif de cette commission, pourquoi ne pas faire de même pour toutes ? Nous restons attachés au nombre de 30 membres qui permet à davantage de collègues de faire profiter la commission de leur expérience. Mme Martine David - Le groupe socialiste soutient cet amendement, tenant compte de l'expérience de la commission d'enquête de 1995. Un effectif plus réduit nous paraît de nature à mieux garantir la confidentialité des travaux. M. Jean-Pierre Brard - Un effectif de 15 commissaires est suffisant pour permettre la représentation proportionnelle des groupes. Et l'on ne peut être insensible à la préoccupation exprimée par Mme David. Un effectif réduit garantira mieux la confidentialité des travaux de la commission si celle-ci choisit le secret et renforcera donc la protection des personnes auditionnées. On sait que les méthodes des sectes ne sont pas trop délicates et par exemple que la Scientologie dispose de son propre service secret. Je rappelle que Mme Gounord s'était introduite dans nos tribunes. En outre, lorsque l'Assemblée a fait appel à des avocats pour la défendre, il s'est révélé que leur cabinet avait été au service de la Scientologie à Lyon. Le Président a alors pris les mesures nécessaires afin de leur éviter une situation déontologique curieuse... L'amendement 1, mis aux voix, est adopté. M. le Président - Avant de mettre aux voix l'article unique, j'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé : "Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, ainsi que sur leurs activité économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers." La proposition de résolution, modifiée, mise aux voix, est adoptée à l'unanimité (Applaudissements sur tous les bancs). M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le 17 décembre à 18 heures, le nom des candidats qu'ils proposent. La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel. La séance, suspendue à 17 heures 40, est reprise à 17 heures 50. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. M. le Président - Pour l'instant, et en tout cas au banc du Gouvernement, les femmes sont nettement en majorité... Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - C'est avec une grande émotion que j'ouvre ce débat car je vous parle d'abord comme femme, comme "femme en politique", qui a le grand honneur d'être la première femme Garde des sceaux. Je ne puis m'empêcher de penser à toutes celles qui se sont battues, parfois en donnant leur vie, pour que les femmes se voient reconnaître leurs droits. Je pense d'abord à Olympe de Gouges, qui rédigea en 1791 la déclaration des droits des femmes, proclamant dans son article 10 "la femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune", et qui fut guillotinée le 3 novembre 1793, cinq jours avant Manon Roland. Je pense à ces citoyennes qui ont fait la Révolution française, à ces républicaines de Beaumont qui exigèrent de ratifier par leur vote la Constitution de 1793, en déclarant : "Quand des millions de citoyens acceptent la Constitution, quand la France entière célèbre par des transports de joie le retour de sa félicité, quand leurs pères, leurs époux, leurs enfants, leurs frères ont prodigué leur sang pour cette liberté précieuse, les citoyennes n'ont-elles pas aussi le droit de ratifier un acte auquel elles ont si efficacement coopéré ?" Je pense à ces hommes qui ont épousé le combat pour l'égalité : à Condorcet, qui se demandait si les législateurs n'avaient pas "violé le principe de l'égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité", au député girondin Guyomar, qui affirmait que si l'on dénie à la moitié de la population les droits politiques qui sont donnés aux hommes, alors il faut changer l'article premier de la Déclaration de 1789 et écrire : "Les femmes naissent et meurent esclaves et inégales en droit. Si les deux sexes ne sont pas égaux, l'immortelle Déclaration des droits contient une mortelle exclusion". Je pense à Louise Michel, figure ardente de la Commune de Paris, aux Saint-simoniennes, à Eugénie Niboyet, à Hubertine Auclert, à Maria Deraisme, à Madeleine Pelletier, à Louise Weiss, militantes déterminées et si souvent raillées du droit de vote. Je pense aux héroïnes de la Résistance : Lucie Aubrac, Bertie Albrecht, Marie-Madeleine Fourcade, Danièle Casanova, Germaine Tillion ; aux déportées : Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Simone Veil, à toutes les femmes, connues ou anonymes dans leur héroïsme, à qui nous devons le droit de vote. Je voudrais saluer tout particulièrement Simone Veil, qui a toujours été à la pointe du combat pour les droits des femmes, qu'il s'agisse du droit de disposer de son corps ou des droits politiques. Je salue également Françoise Giroud, première secrétaire d'Etat à la condition féminine, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Véronique Neiertz, Michèle André. Je rends hommage à celles qui ont contribué à définir le concept de parité -Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, Régine Saint-Cricq qui a créé une association "Parité", Antoinette Fouque qui a tant fait pour les éditions des Femmes. M. Robert Pandraud - Vous allez en oublier ! Mme la Garde des Sceaux - Je voudrais saluer aussi Gisèle Halimi et Roselyne Bachelot, dont les travaux au sein de l'Observatoire de la parité débouchent sur cette révision constitutionnelle ; enfin, toutes celles qui, comme Catherine Tasca, votre rapporteur, ont fait avancer nos lois et qui, sans relâche, se sont battues sous les sarcasmes et les sourires narquois contre la bêtise épaisse du machisme (Applaudissements de Mmes les députées du groupe socialiste). Je suis fière d'avoir l'honneur de vous proposer de modifier le titre le plus noble de notre Constitution, le titre 1er, intitulé "De la souveraineté", pour inscrire, à l'article 3, qu'il appartient à la loi de déterminer les conditions de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions. Ce faisant, nous allons prendre une décision d'une portée symbolique considérable : la nation souveraine ne sera plus une entité abstraite, mais elle sera incarnée par des hommes et des femmes vivant dans leur siècle. Ce projet de loi constitutionnelle donne suite à un engagement du Premier ministre. Dans sa déclaration de politique générale, le 17 juin 1997, il avait déclaré : "La modernisation de notre démocratie ne suppose pas seulement des réformes institutionnelles ; elle nécessite de profonds changements culturels. Il faut d'abord permettre aux Françaises de s'engager sans entraves dans la vie publique. En ce domaine, le progrès passe d'abord par l'évolution des mentalités et le changement des comportements, mais il faut aller plus loin. Une révision de la Constitution, afin d'y inscrire l'objectif de la parité entre les femmes et les hommes, sera proposée". Cet engagement a été confirmé par le Premier ministre lors de la journée internationale des femmes, le 8 mars 1998, et il a été accepté par le Président de la République. Certes, comme l'a rappelé le Premier ministre devant l'Assemblée nationale le 9 décembre dernier, le mot "parité" n'est pas prononcé, "égalité" lui a été préféré mais dans le domaine des droits politiques, l'égalité entre les femmes et les hommes passe par l'objectif de parité. Je sais aussi, pour y avoir moi-même participé, que le débat sur la parité a suscité une intense controverse. C'est pourquoi je partirai du constat qui a imposé l'objectif de parité. Le constat est triste : les femmes sont très peu présentes dans les fonctions et mandats électifs. Personne n'ose aujourd'hui contester l'idée qu'elles devraient l'être davantage ; mais trop nombreux sont encore nos concitoyens qui ne savent pas que la France est, avec la Grèce, la lanterne rouge des pays européens en ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement. Alors que les pays scandinaves comptent 40 % de femmes parmi leurs députés, les Pays-Bas 36 %, l'Autriche, l'Allemagne et l'Espagne 25 %, nous n'avons que 10,9 % de femmes à l'Assemblée nationale et 5 % au Sénat ! Encore faut-il souligner que si aujourd'hui, sur 577 députés, il y a 60 femmes, c'est largement en raison de la décision prise par la gauche de présenter au moins un tiers de femmes aux dernières élections législatives (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et communiste). Avant, il n'y avait ici que 6 % de femmes, ce qui mettait notre pays au soixante-douzième rang derrière des pays comme le Rwanda ou la Syrie. Au plan local, la situation n'est pas meilleure. Dans 23 conseils généraux, il n'y a aucune femme. Au sein des conseils municipaux, elles sont 21 %, mais elles ne représentent que 7 % des maires. Sur 226 communes de plus de 30 000 habitants, il n'y a que 7 femmes maires ; une femme seulement est présidente d'un conseil général, une seule est présidente d'un conseil régional. Les listes paritaires présentées par la gauche plurielle aux dernières élections aux conseil régionaux ont augmenté le nombre de femmes, mais leur part n'est que de 25,75 % dans les assemblées régionales. Il existe donc un écart choquant -c'est le terme même employé par le Conseil d'Etat- entre la part des femmes dans la population et leur représentation dans les assemblées politiques. Une telle sous-représentation, discriminatoire, constitue un grave danger pour l'équilibre de notre démocratie. Une démocratie vivante doit en effet d'abord refléter la société. Comment s'étonner que la politique paraisse si souvent éloignée des préoccupations quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, quand les femmes, soit la moitié de la population, ont si peu accès aux mandats et aux fonctions politiques. Comment 200 ans après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui proclame que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits", comment 52 ans après le Préambule de la Constitution de 1946 qui proclame que "la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux des hommes", un tel décalage peut-il exister entre les droits abstraits reconnus aux femmes et la réalité ? Un tel écart entre les proclamations solennelles et les droits concrets est d'abord ce que l'on reproche à la politique. Plus qu'un archaïsme insupportable, la mise à l'écart des femmes de la sphère politique serait, si elle devait durer, un vice au coeur même de notre système de représentation politique. Comment peut-on en être là alors que les femmes ont obtenu le droit de vote depuis 1944 ? Elles l'ont obtenu du général de Gaulle pour qui ce droit s'imposait comme une évidence, note-t-il dans ses Mémoires de guerre. Elles l'ont obtenu du Conseil national de la Résistance, c'est-à-dire du parti communiste, du parti socialiste et du MRP... M. Robert Pandraud - Il y avait aussi des indépendants ! Mme la Garde des Sceaux - Les femmes ont pris une large part à la Résistance et lui ont payé un lourd tribut. Ce droit de vote a consacré le rôle qu'elles ont joué, non seulement dans la Résistance, mais aussi au cours de la première guerre mondiale, de la commune de Paris, de la Révolution où leur courage avait égalé celui des hommes. Cinquante-quatre ans après la conquête du droit de vote, il est temps enfin, que les femmes aient concrètement accès aux mandats et aux fonctions électives. Certains, inspirés par Montesquieu sans doute, font plus confiance aux moeurs qu'à la loi pour changer un état de fait. Mais le principe d'égalité existe depuis longtemps dans notre droit et la réalité pourtant n'a pas changé. S'il convient aujourd'hui de réviser notre Constitution, c'est bien que le principe d'égalité est resté lettre morte en politique. Nous devons nous fixer l'objectif de la parité afin que s'accomplisse enfin l'idée d'égalité. Avant d'être un concept majeur de la pensée politique contemporaine, la parité a d'abord été un mode de fonctionnement adopté par les militants écologistes et féministes. Les Verts ont, les premiers, et je leur rends hommage... M. Robert Pandraud - Tiens, ils ne sont pas là aujourd'hui ! Mme la Garde des Sceaux - ...inscrit dans leurs statuts le principe d'un partage paritaire des responsabilités et des candidatures, promesse tenue lors des élections européennes de 1989. Cette idée a été relayée par le Conseil de l'Europe qui a organisé un colloque sur la démocratie paritaire. Toutes ces réflexions ont abouti à la déclaration d'Athènes du 3 novembre 1992, selon laquelle "la démocratie impose la parité dans la représentation et l'administration des nations". En France, plusieurs initiatives ont été prises pour inscrire la parité dans la Constitution. En 1993, 289 femmes et 288 hommes signaient le manifeste des 577 en faveur de la parité aux élections législatives, ce qui montre d'ailleurs que le combat de la parité n'est pas seulement, heureusement, le combat des femmes. Nous le savions d'ailleurs depuis Condorcet et Guyomar... En 1995 était créé un observatoire de la parité dont Roselyne Bachelot et Gisèle Halimi ont remis les conclusions au Premier ministre en janvier 1997. Elles soulignent la nécessité d'une juste mixité dans la représentation. Enfin, en 1996, dix femmes politiques, de droite et de gauche, ayant exercé des responsabilités importantes, ont signé un manifeste pour la parité. L'observatoire de la parité a précisé le contenu de l'idée de parité. Elle implique en premier lieu que la répartition des hommes et des femmes dans les instances politiques reflète leur répartition dans la population. Elle doit donc être égale ou équilibrée. L'égalité visée par la parité est donc incontestablement une égalité de situation. La parité politique exige en deuxième lieu d'atteindre cette répartition équilibrée dans le champ politique, notamment dans le rapport entre l'électorat et la représentation nationale. Enfin, le terme de parité, au sens où l'a employé le Premier ministre, signifie non un état que l'on veut atteindre mais un objectif que l'on cherche à réaliser. L'idée de parité va donc bien au-delà d'une égalité en droits pour viser une égalité concrète de situation. Comme l'a très bien dit Geneviève Fraisse, la parité est "moins un nouveau principe à inscrire dans la Constitution... qu'un habit de l'égalité ou un instrument pour faire de l'égalité". En réalité, il n'y a pas d'autres principes que celui de l'égalité des sexes. La parité est un moyen pour traiter l'ensemble de la question des rapports hommes-femmes dans la société, non seulement dans le champ politique mais aussi social et professionnel. Instrument de l'égalité, la parité est aussi un objectif dont il convient de se rapprocher soit en obligeant, soit en incitant. Le texte du Gouvernement cherche à promouvoir un mouvement dont la justification est l'objectif de parité. En tout état de cause, l'habilitation constitutionnelle donnée à la loi peut permettre soit l'obligation soit l'incitation. Au législateur d'en décider et certainement pas au juge constitutionnel. Mme Yvette Roudy et Mme Nicole Bricq - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Revenons quelques instants sur les objections qu'a soulevées la parité. Le débat sur l'universalisme du droit est particulièrement vif en France et de grands noms de notre vie intellectuelle et politique se sont affrontés. Pour les uns, voire les unes, l'idée de parité remettrait en cause l'idée traditionnelle d'égalité entre citoyens, conçue abstraitement sans considération de race, de religion, d'opinion ou de catégorie. Avec la parité, nous introduisons dans notre Constitution l'idée de discrimination positive pour certains groupes ; nous reconnaîtrions l'existence de minorités, ce qui pourrait conduire à une dérive communautariste. Après les femmes, les minorités ethniques, géographiques, linguistiques pourraient être tentées de s'engouffrer dans la brèche. Introduire la parité serait remettre en cause l'unité de la nation et l'indivisibilité de la République. Enfin, cela signifierait que le biologique fait la loi en politique et que les solidarités sexuelles l'emportent sur les solidarités d'opinion. Cette position est défendue avec talent par des personnes que je respecte infiniment, notamment par Elisabeth Badinter. Mais je ne suis pas d'accord, et mes collègues Martine Aubry, Nicole Péry, Ségolène Royal non plus, qui sont aujourd'hui à mes côtés pour défendre une autre conception de la parité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). En effet, à force de défendre un universalisme abstrait, on finit par gommer l'histoire et la réalité. Si les femmes ont longtemps été exclues de la citoyenneté, c'est bien parce qu'elles étaient des femmes. D'ailleurs, comme le souligne Geneviève Fraisse, les femmes n'ont jamais été pensées en tant que telles mais toujours englobées dans des catégories politiques inférieures. Mme Yvette Roudy - Tout à fait ! Mme la Garde des Sceaux - Le neutre a servi la domination masculine. C'est pourquoi, la féminisation du langage, des titres et des fonctions a une telle importance. Pourquoi accepte-t-on facilement de dire la secrétaire ou la professeur, mots invariables et dont la féminisation ne s'exprime que par l'article qui le précède, et pourquoi répugne-t-ton à dire la ministre ? M. Robert Pandraud - Par souci de la dignité de l'homme public. Mme la Garde des Sceaux - Tout d'abord, parce que les professions de secrétaire et de professeur sont très féminisées et que le langage, heureusement, suit la réalité. Mais si l'on ne veut pas dire "la ministre", c'est que l'on refuse de reconnaître la féminisation d'une fonction de pouvoir, et de celui qui reste dans notre pays le plus rétif à la féminisation : le pouvoir politique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Comme le dit excellemment la linguiste Josette Rey-Debove, "on ne peut laisser subsister une langue archaïque dans une société moderne", parce que le langage a une fonction sociale structurante. Si l'on veut que les fonctions politiques et les fonctions de direction en général s'ouvrent aux femmes, il faut accepter de féminiser le langage. A ceux qui craignent une dérive communautariste, je dirai que les femmes ne constituent ni un groupe, ni une communauté, ni une catégorie, ni une minorité. Elles sont tout simplement la moitié de l'humanité. Ainsi que le dit la philosophe Sylviane Agacinski "il faut faire la critique de l'universalisme et montrer que toutes les fois qu'on efface absolument la différence sexuelle, on identifie en réalité le genre humain à un seul sexe, celui de "l'homme". Je cite encore "L'humanité est universellement sexuée, elle est universellement mixte. C'est seulement ainsi que l'on échappe à la logique d'un universalisme d'exclusion, celui qui reconnaissant seulement "le citoyen", couvre un sexisme de droit, comme en 1789, ou un un sexisme de fait, comme aujourd'hui". Nous ne cherchons pas à renverser l'oeuvre de la Révolution, mais à l'accomplir ! 1789 a marqué solennellement la disparition des distinctions entre les hommes. Mais il a fallu d'autres batailles, pour que le code noir soit aboli, sous la seconde République, le 27 avril 1848. Aujourd'hui, il s'agit simplement de mettre fin à l'exclusion, implicite et silencieuse des femmes de la représentation politique, instituée par la Révolution française et inscrite par Napoléon dans le code civil. Abolir ainsi les obstacles à l'égalité entre les hommes et les femmes s'agissant des mandats et fonctions électives passe par une réforme de la Constitution. En effet la loi n'y suffit pas. A la fin des années 70, Mme Pelletier voulut limiter dans le cadre des élections municipales et pour les communes de plus de 30 000 habitants, à 80 % le nombre de candidats du même sexe sur les listes, c'est le projet de loi de réforme des élections municipales qui a introduit en 1982 un quota de 75 % de personnes du même sexe sur les listes, à l'initiative de Mme Halimi. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision du 18 novembre 1982, a censuré cette disposition en se référant à l'article 3 de la Constitution et 6 de la déclaration de 1789, c'est-à-dire au principe général selon lequel l'accès au droit de vote et à l'éligibilité des citoyens n'a pour limites que l'âge, la nationalité et la capacité. J'ai donné notre opinion sur une telle décision. Qu'on la critique ou qu'on l'a loue, elle existe. Dans sa démonstration, le Conseil constitutionnel ne s'est pas appuyé sur le Préambule de la Constitution de 1946, qui garantit l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. Il a privilégié une conception universaliste et égalitaire du concept de citoyenneté, et fermé la voie législative vers la parité. Or c'est un principe fondamental du gouvernement républicain que le peuple a le droit de changer la Constitution lorsqu'il la croit contraire à son bonheur. Mme Yvette Roudy - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Si notre Constitution telle qu'elle est interprétée par le Conseil constitutionnel empêche de concevoir que l'humanité est sexuée, alors il nous faut modifier notre Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Comme l'a dit le Premier ministre le 8 décembre 1998 à l'UNESCO, l'égale et pleine participation des femmes à la vie politique, civile, économique, sociale et culturelle, doit être un objectif prioritaire. Pour cela je vous invite à modifier la Constitution. Le conseil des ministres avait retenu la formulation selon laquelle "la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions". Il ne s'agit pas de rappeler le principe énoncé par le Préambule de la Constitution de 1946, mais de permettre au législateur de l'appliquer. La parité a évidemment vocation à s'inscrire dans les faits aux élections aux scrutins de liste. C'est le cas pour les élections régionales, européennes et pour une partie des élections municipales et sénatoriales. Il conviendra que le législateur décide s'il veut l'imposer comme l'a voulu l'Assemblée nationale pour les élections régionales. S'agissant des élections au scrutin uninominal, comme l'a rappelé le Premier ministre le 9 décembre 1998 en réponse à M. Rossi, cette révision constitutionnelle n'est en aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte, dans l'avenir, à une modification des modes de scrutin et tout particulièrement du mode de scrutin législatif. Le Premier ministre l'a exprimé avec netteté, "le Gouvernement à cet égard n'a pas de projet". M. Richard Cazenave - Très bien ! Mme la Garde des Sceaux - Nous n'utiliserons pas la parité pour élargir le champ des scrutins proportionnels. En revanche, pour les scrutins uninominaux, le législateur pourra inciter à la parité par la modulation du financement public des partis politiques, tel qu'il découle de la loi du 11 mars 1988 modifiée par la loi du 15 janvier 1990. On pourrait imaginer que les partis qui ne tendraient pas à la parité soient pénalisés. Mais une telle pénalisation devrait être proportionnée pour ne pas conduire "à méconnaître l'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions qui constitue le fondement de la démocratie" comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 janvier 1990. Votre commission des lois a préféré faire apparaître plus clairement que c'est au Parlement qu'il appartiendra de mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de la parité. Vous vous êtes ralliés à la formulation proposée par la présidente de votre commission des lois : "La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions", de peur que la formule proposée par le Gouvernement n'incite le juge constitutionnel à déterminer lui-même le contenu concret de la parité. Enfin, la commission des lois a partagé le choix du Gouvernement de circonscrire le champ de la révision au domaine politique. Cette limitation n'exclut évidemment pas la mise en oeuvre de la parité au sein d'organismes qui ne sont pas l'expression de la souveraineté. En effet, la censure par le Conseil constitutionnel en 1982 était fondée sur l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté politique. En revanche, la Haute juridiction a, à plusieurs reprises, admis qu'en matière économique ou fiscale, le législateur mette en place des mécanismes pour compenser certains handicaps. Par exemple par décision du 26 janvier 1995, il admet que le fait de mettre en place, dans certaines zones seulement, une procédure d'agrément administratif "loin de méconnaître le principe d'égalité, constitue le moyen d'en assurer la mise en oeuvre". Dans sa décision du 21 janvier 1997, il a jugé que le législateur était habilité à prendre des mesures appropriées pour prévenir des ruptures caractérisées du principe d'égalité. Ainsi, la parité pourrait parfaitement s'appliquer aux élections sociales, dans les organismes consulaires et pour les élections étudiantes. A cet égard, une étude sera confiée à l'observatoire de la parité. Mme Péry dira dans quelles conditions. La mise en oeuvre du principe de parité au sein de la fonction publique relève plus de la volonté politique, exprimée au travers des nominations à la discrétion du Gouvernement que de dispositions législatives. S'il n'est pas question de prévoir le rétablissement des concours par sexe, un de nos objectifs principaux devrait être d'assurer une plus grande mixité des jurys de concours. Enfin, la France a souscrit de nombreux engagements internationaux destinés à assurer l'égalité des hommes et des femmes en matière d'emploi et de rémunérations. Surtout l'ancien article 119 du traité instituant la Communauté européenne, modifié par le traité d'Amsterdam, dispose qu'il faut abolir toute forme de discrimination entre les sexes. L'Europe a connu le même processus que celui que nous vivons. Un arrêt Kalawke de la Cour de justice européenne du 17 octobre 1995 interdisant les mesures positives en faveur des femmes. La réplique du politique fut de modifier la norme suprême, c'est-à-dire le traité, comme nous vous proposons de modifier la Constitution. L'article 141 du Traité issu d'Amsterdam que j'ai quelque raison de connaître puisque nous l'avions proposé au nom du Parlement européen permet aux Etats "de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle". Beaucoup reste à faire. Dans mon propre ministère, la parité est presque réalisée avec 48 % de magistrates. Mais aux niveaux élevés, la parité reste imparfaite : deux femmes seulement occupent les fonctions de premières présidentes sur 35 ; 26 femmes seulement sont présidentes de tribunaux de grande instance et 21 procureur de la république sur 181. C'est vrai que la féminisation, si elle est forte, est récente et que peu de femmes ont atteint l'ancienneté nécessaire pour être promues. Mais ne nous décourageons pas, car il existe bien d'autres prétextes pour refuser la promotion des femmes. Nicole Péry, secrétaire d'Etat chargée des droits des femmes et de la formation professionnelle, vous parlera plus longuement des mesures concrètes qui permettront de favoriser la parité dans la sphère sociale et professionnelle et des actions que le Gouvernement entend entreprendre à la suite de la révision constitutionnelle. Je vous propose aujourd'hui de jeter les bases d'une vie politique et démocratique renouvelée. Le débat d'aujourd'hui est le point d'aboutissement du long combat des femmes pour l'égalité, mais aussi un point de départ pour la mise en oeuvre d'une véritable démocratie paritaire dans sa dimension politique, sociale et professionnelle. Il appartiendra au Parlement de se saisir pleinement de la responsabilité que la réforme constitutionnelle lui confère pour donner un contenu concret à la parité. Votre commission des lois vous y invite et je souhaite rendre un hommage particulier au travail qu'elle a accompli et notamment à sa présidente, Mme Tasca, qui en acceptant d'être la rapporteure du texte, a, une fois encore, démontré la force de son engagement. Ce projet de réforme constitutionnelle constitue une étape essentielle de la modernisation de notre vie politique, un signal politique fort pour encourager les femmes à prendre la place qui leur revient dans l'action politique, une décision d'une grande portée symbolique car elle incarne dans les deux sexes la souveraineté et donne ainsi une vitalité nouvelle à notre démocratie et tout son sens à notre devise républicaine : "Liberté, égalité, fraternité". (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV et plusieurs bancs du groupe du RPR) Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle - J'ai conscience, comme Elisabeth Guigou, comme vous, de vivre un moment important pour notre démocratie et la rénovation de notre société. Les femmes ont aujourd'hui rendez-vous avec leur histoire. Ce débat sur l'égalité effective entre hommes et femmes, nous le devons d'abord à la persévérance des mouvements féministes et à l'engagement déterminé de certaines associations, de syndicats et partis politiques. Quand je militais pour les droits des femmes et réclamais un timide quota de 20 % dans les instances de mon parti, je n'imaginais pas que, 20 ans plus tard, nous débattrions de la parité dans les assemblées politiques, et qu'au surplus, il me reviendrait l'honneur et le plaisir de porter, avec la ministre de la justice, ce texte devant la représentation nationale. Cette évolution, on la doit aussi aux grandes figures qu'Elisabeth Guigou a rappelées il y a quelques instants et qui symbolisent le plus souvent l'audace intellectuelle et le courage politique. La Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 proclame que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits". Cependant, en cette même année 1789, lors des débats préparatoires à la formation des assemblées, le principe du droit de vote aux femmes n'est même pas évoqué. En 1791, Olympe de Gouges rédige une déclaration des droits de la femme dont l'article 1er proclame : "La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits". Pourtant, les femmes devront attendre plus d'un siècle et demi pour se voir reconnaître l'égalité civique avec les hommes, à la Libération, avec l'ordonnance du 21 avril 1944 : "Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes". La question de l'égalité dans la représentation ne se pose pas alors. Il me serait facile de vous citer de nombreux morceaux choisis, exprimant une vision archaïque de la place des femmes dans notre société, voire une misogynie vulgaire. Chacun connaît les difficultés qui ont toujours entravé l'accès des femmes à la vie politique et plus largement à la vie publique et au pouvoir. On a dit qu'une femme qui exerçait son intelligence devenait folle, laide et guenon. On a dit pire encore ! Chacun sait bien que la capacité des femmes pour exercer des responsabilités n'est pas en cause. Parce que les femmes représentent la moitié de notre population et sont riches d'autant de talents et d'intelligence que les hommes, parce que la sous-représentation des femmes à la prise de décision ne permet pas l'expression de valeurs et d'idées différentes, parce que l'égalité effective entre les femmes et les hommes constitue un droit fondamental de l'être humain, le Premier ministre a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un des piliers de la rénovation de notre vie publique et de la modernisation de notre société. Elisabeth Guigou nous a brillamment exposé les fondements de la réforme et ses possibles prolongements par exemple, l'instauration de la parité pour les élections régionales ou européennes par de nouveaux textes de loi. S'agissant de l'Assemblée nationale, nous nous heurtons, vous le savez, à de plus grandes difficultés. Comme l'a rappelé le Premier ministre au président Rossi, notre démarche a sa justification en elle-même. Elle n'est pas un prétexte à une modification des modes de scrutin et plus particulièrement du mode de scrutin législatif. Notre discussion sur la parité doit se faire sans arrière-pensée. Mais nous poursuivons actuellement notre réflexion afin d'atteindre, là aussi, l'égal accès des femmes et des hommes, dans la représentation. L'une des pistes déjà évoquée par Lionel Jospin lors des présidentielles de 1995 concerne l'aménagement des règles de financement des partis politiques. Quoi qu'il en soit, la présence beaucoup plus nombreuse de femmes élues dans la vie politique, municipale, régionale, européenne, produira un effet d'entraînement pour les autres élections. Pour nourrir réflexion et propositions, je souhaite largement m'appuyer sur l'Observatoire de la parité. Cette instance, créée le 18 octobre 1995 sera, dans les jours qui viennent, renouvelée. Ses membres seront un peu plus nombreux et choisis, certes parmi les élus mais aussi parmi des spécialistes de l'emploi, des sociologues, des journalistes, des historiens. Nous proposons au Président de la République Mme Dominique Gillot, députée, aux fonctions de rapporteure. Sa compétence en matière sociale n'est plus à démontrer, ni son intérêt pour les droits des femmes. Elle succédera à Roselyne Bachelot, dont je tiens ici à saluer la qualité du travail. Dans le champ politique, il nous faudra déterminer les élections visées, les échéances et les modalités pratiques pour parvenir à l'égalité effective de participation des femmes à la vie politique. Je souhaite que les conclusions me parviennent avant la fin du premier semestre 1999. En matière professionnelle et sociale, une vaste concertation doit s'ouvrir, notamment avec les partenaires sociaux. Comment établir la parité dans les instances, les commissions, les organismes publics, les organisations professionnelles et syndicales ? Comment inciter à la parité dans les échelons de direction et d'encadrement dans l'entreprise et les instances sociales ? Avant toute décision, il est indispensable que l'Observatoire recense et vérifie l'ensemble des données en notre possession. Le projet de loi constitutionnelle initial proposait une formulation dépassant le seul domaine politique : "La loi organique peut fixer des règles favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales..." Mais le Conseil d'Etat a estimé qu'une révision constitutionnelle n'était utile que pour habiliter le Parlement à prendre, par voie législative, des dispositions dérogeant aux principes de l'indivisibilité, de la souveraineté et de l'universalité du suffrage, tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel. En matière professionnelle, économique ou sociale, le Conseil d'Etat considère que d'ores et déjà le législateur peut, sans encourir la censure constitutionnelle, prendre toute mesure tendant à assurer aux femmes une part équilibrée dans les fonctions de responsabilité, en s'appuyant notamment sur le préambule de la Constitution, "la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme." Rappelons également que par la loi du 1er juillet 1983, la France a ratifié la convention de New York sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes. Or l'article 4 de cette convention précise que l'adoption de mesures temporaires visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les femmes et les hommes n'est pas considérée comme un ace de discrimination. Le Conseil d'Etat a également constaté que le traité d'Amsterdam contenait une disposition qu'Elisabeth Guigou a déjà citée. C'est l'ensemble de cette construction juridique qui a conduit le Gouvernement à suivre l'avis du Conseil d'Etat et donc à limiter la révision constitutionnelle au domaine politique. Mais, le Gouvernement garde néanmoins la volonté d'assurer aux femmes une plus large place dans les responsabilités professionnelles, économiques et sociales. Car la véritable parité, c'est celle que les femmes vivent au quotidien, dans leur travail, leurs activités sociales ou syndicales, et bien sûr familiales. Je souhaite donc, pour ma part, brosser à larges traits, ce que le concept de parité peut signifier lorsqu'il vise la fonction publique ou la vie professionnelle et sociale. La fonction publique, tout d'abord. 56 % des agents civils de l'Etat sont des femmes et la poussée est forte dans certains secteurs comme la magistrature. Mais la situation est bien différente lorsque l'on examine les emplois supérieurs de l'Etat. En effet, au 1er juin 1996, les femmes ne représentaient que 7 % des directeurs d'administration centrale, 6 % des ambassadeurs, 3 % des préfets et 18 % des inspecteurs généraux... Il y a pourtant un nombre suffisant de candidates possédant les compétences et l'expérience requise pour occuper ces postes, ne serait-ce qu'en puisant dans le vivier constant que constitue l'ENA, où, en 1997, 35 % des reçus étaient des femmes. Afin d'assurer l'égalité des chances entre les femmes et les hommes dans les processus de décision ou de désignation, le ministre de la fonction publique a invité l'ensemble des ministres à veiller à l'équilibre entre les sexes lors des désignations des membres de jurys de concours et des représentants de l'administration siégeant dans les commissions et conseils. Par ailleurs, le rapport qui dresse tous les deux ans, en application de la loi du 11 janvier 1984 portant statut des fonctionnaires, le bilan des mesures prises pour garantir l'égalité dans la fonction publique devra désormais être complété par des informations sur les discriminations subies par les femmes au cours du déroulement de leur carrière. Et M. Zuccarelli a chargé Mme Anne-Marie Colmou, conseillère d'Etat, d'une mission d'investigation sur les obstacles qui empêchent les femmes d'accéder aux responsabilités dans la fonction publique. J'ai bon espoir que son rapport contiendra des propositions de nature à changer la situation. La parité professionnelle, ensuite. Les femmes sont aujourd'hui 11,5 millions à travailler, soit deux fois plus qu'en 1960. Entre 25 et 49 ans, 80 % d'entre elles ont une activité professionnelle. Le premier et même le second enfant ne les écartent plus du marché du travail puisque près des trois quarts des femmes mariées mères de deux enfants sont actives. Mais les femmes restent surtout majoritaires dans les emplois peu qualifiés : 60 % d'entre elles sont ouvrières et employées. Pourtant 120 filles accèdent à l'enseignement supérieur pour 100 garçons. Où sont-elles ? Je crois bien qu'aucune ne se trouve à la tête d'une des 200 plus grandes entreprises françaises. Les inégalités concernent aussi les salaires. En effet, les hommes gagnent aujourd'hui, en moyenne, 27 % de plus que les femmes. L'écart est de 12 % pour un même emploi, malgré la loi Roudy du 13 juillet 1983. Dans ce domaine, la négociation collective n'est pas très dense. La situation économique des entreprises et les problèmes de l'emploi ont certainement conduit les négociateurs à investir d'autres champs. Depuis 1983 seulement, 32 plans d'égalité, et depuis 1987, seulement, 1 200 contrats pour la mixité des emplois ont été signés. Ces "outils" de l'égalité professionnelle sont donc peu utilisés. Peut-être sont-ils trop lourds. La persistance des inégalités nous a conduites, Martine Aubry et moi-même à demander au Premier ministre de charger votre collègue Mme Genisson d'une mission d'analyse et de réflexion sur ce sujet. Elle devra faire le bilan des inégalités existantes, évaluer l'efficacité de dispositions juridiques actuelles et proposer de nouvelles mesures, afin notamment de rendre plus effective la loi du 13 juillet 1983. Nous souhaitons disposer de l'ensemble de ses réflexions en avril 1999. Le Gouvernement veut améliorer la place des femmes sur le marché du travail, accroître leur présence dans tous les lieux de pouvoir et assurer à toutes le respect de leurs droits propres, le droit à la dignité. La volonté politique est nécessaire en ce domaine car laisser faire les choses avec la progression naturelle constatée, c'est, par exemple, attendre l'an 2082 pour atteindre la parité dans les conseils généraux ! La volonté politique a déjà permis de réelles avancées puisque vous êtes 63 femmes députées dans cet hémicycle -plus nombreuses à ma gauche indéniablement. Mais il faut aller de l'avant. Tel est bien le pari que fait le Gouvernement, ouvrir un chantier ambitieux où la parité entre les femmes et les hommes fonderait un nouveau fonctionnement de notre démocratie, souhaité par 80 % des Français. Nous avons des objectifs à tenir ensemble, des actions à mener en commun. Nous devons dépasser nos clivages traditionnels et nous retrouver pour soutenir ce projet de loi constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - "En vain prétend-on que l'égalité civile accordée à la femme a pour corollaire nécessaire son émancipation politique. C'est méconnaître absolument le rôle de la femme dans l'humanité. Destinée à la maternité, faite pour la vie de famille, la dignité de sa situation sera d'autant plus grande qu'elle n'ira point la compromettre dans les luttes de forum et dans les hasards de la vie publique. Elle oublierait fatalement ses devoirs de mère et d'épouse, si elle abandonnait le foyer pour courir à la tribune. On a donc parfaitement raison d'exclure de la vie politique les femmes et les personnes qui, par leur peu de maturité d'esprit, ne peuvent prendre une part intelligente à la conduite des affaires publiques". (Sourires sur divers bancs). Voilà, mes chers collègues, par quels arguments, à la fin du siècle dernier, en France, M. Emile Morlot, un député parmi d'autres, justifiait que l'on tienne les femmes éloignées de la citoyenneté. Si j'ai tenu à débuter mon intervention par cette citation d'un autre âge, c'est pour rappeler à quel mur de mauvaise foi les femmes ont été pendant trop longtemps confrontées dans leur légitime aspiration à l'égalité politique. Tout cela peut nous paraître lointain car nous sommes aujourd'hui à la fin d'un siècle qui aura vu les femmes s'affranchir peu à peu de la domination masculine. Que de chemin parcouru depuis les débats du Sénat de novembre 1922 où l'on rejeta le droit de vote des femmes au prétexte que leur reconnaître ce droit était les vouer à la perdition politique. Il fallait les sauver malgré elles... Il aura fallu attendre 1944 et leurs faits éclatants dans la Résistance pour que les femmes gagnent enfin le droit de vote et celui d'être élues, elles qu'on avait jusqu'alors exclues de tout droit de cité. Mme Nicole Catala - Vive de Gaulle ! Mme la Présidente de la commission des lois - Depuis, les femmes s'efforcent, pied à pied, de conquérir leur indépendance. Si elles ont pu entrer à l'université, accéder à l'éducation, à la culture, il y a moins de trente ans qu'elles ont commencé à se libérer du carcan juridique du code civil napoléonien. Elles peuvent désormais disposer légalement du fruit de leur travail et décider librement de leur vie. Mais il reste beaucoup à faire pour qu'elles aient, dans le monde du travail, une juste place, je pense aux salaires mais aussi à leur représentation très insuffisante dans les emplois de direction. Malgré des avancées depuis cinquante ans, le chemin à parcourir reste long pour que les femmes investissent réellement l'ensemble du champ social. Cette évolution ne pourra pleinement se réaliser aussi longtemps que demeurera dans notre pays un bastion inexpugnable : la vie politique. Je ne reviendrai pas en détail sur les chiffres qui montrent à quel point la représentation politique reste en France le quasi monopole des hommes, mais le fait que le Parlement soit composé à 90 % d'hommes est proprement extravagant, surtout si on compare la situation française à celle de nos voisins européens. Et, pour ne pas accabler notre République, je m'abstiendrai d'évoquer le cas de nombreux pays en voie de développement où les femmes sont mieux représentées dans les assemblées que chez nous. La France, patrie des droits de l'homme, serait-elle le pays du droit des seuls hommes ? L'exception française en la matière est devenue intolérable. Elle est le signe d'un archaïsme que les citoyens n'acceptent plus. Les femmes entendent porter leur part du projet républicain. Notre société politique peut-elle continuer à se priver de la moitié de ses citoyens ? Peut-elle laisser tant de talents en jachère ? Comme l'écrivait Stendhal, "l'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain". Mais les obstacles qui s'opposent à cette évolution sont nombreux. Ils sont évidemment historiques et culturels. Notre République n'a pas su se libérer totalement de l'emprise de la loi salique, demeurée, bien après la chute de la monarchie, une règle non écrite de notre vie politique. La candidature est aujourd'hui encore réservée pour l'essentiel aux hommes. Les partis politiques ont certes accompli des efforts. Certains, à l'évidence, plus que d'autres. Si le nombre de femmes a significativement augmenté ici depuis les dernières élections législatives, on le doit principalement à la décision de Lionel Jospin de réserver un tiers des circonscriptions à des candidatures féminines. Mais les mentalités évoluent lentement. Comme trop souvent dans notre pays, il faut recourir à la loi pour accélérer une évolution trop timide. Les obstacles à l'égalité réelle des femmes et des hommes sont aussi juridiques. Je ne reviendrait pas sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982 évoquée par Mme la Garde des Sceaux. Ce projet nous permet de surmonter cet obstacle. En inscrivant dans l'article 3 de la Constitution le principe de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, il autorisera le législateur à prendre les mesures nécessaires à une réelle égalité des sexes. Le Premier ministre tient ainsi l'engagement pris dans sa déclaration de politique générale. Le commission des lois a souhaité donner au texte proposé une plus grande force, en indiquant que l'égal accès ne devait pas être "favorisé" par la loi mais "organisé" par elle. Il ne s'agit évidemment pas d'octroyer des faveurs aux femmes, mais de définir des règles qui fassent de l'égalité une réalité tangible. Votre commission a également souhaité qu'il revienne clairement au législateur de déterminer, au cas par cas, les dispositifs les plus appropriés pour atteindre cet objectif constitutionnel. Ainsi le Conseil constitutionnel n'aura pas besoin de se substituer au Parlement pour juger si les mécanismes choisis sont les plus adaptés. La rédaction que la commission a adopté à la quasi-unanimité me semble très claire sur ce point. Il ne s'agit pas de décréter une impossible égalité mathématique, ni de créer une sorte d'apartheid entre les hommes et les femmes. Il s'agit de faire disparaître un double verrou, symbolique et juridique, pour que toutes les femmes puissent désormais dire "nous avons décidé" et non plus "ils ont décidé". Le chemin sera sans doute long mais je suis certaine qu'offrir aux femmes la possibilité d'accéder pleinement à la représentation politique aura un effet d'entraînement considérable dans tous les autres domaines de la vie sociale car, en France, le politique prime. Il nous appartiendra ensuite, en tant que législateur, de concrétiser le principe de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Je suis persuadée que les majorités, quelles qu'elles soient, seront aussi jugées par nos concitoyens sur leur capacité à donner à cette égalité juridique une réalité sociale. En définitive, ce texte est un défi lancé à la classe politique masculine et une occasion qui lui est donnée de montrer qu'elle accepte de se remettre en cause fondamentalement. Car, soyons clairs : une place de plus pour une femme, c'est une place de moins pour un homme. Il n'est jamais facile d'assumer un tel choix. Mais il ne s'agit pas seulement des femmes. C'est la fonction de représentation et le rapport des Français à la politique qui est en jeu. Combler le fossé qui s'est creusé entre les élites et la population passe aussi par une présence accrue des femmes en politique et dans les postes de responsabilités administratifs, sociaux ou économiques. La représentation n'est pas seulement un mandat juridique et politique ; elle a aussi une fonction symbolique. Or, aujourd'hui, elle renvoie à une image essentiellement masculine qui ne correspond plus à l'état de la société. Il est temps pour les responsables politiques d'entendre la société sous peine que celle-ci ne les écoute plus. Aujourd'hui, toutes celles, nombreuses sur ces bancs comme dans nos tribunes, qui ont fait avancer la cause des femmes attendent que nous lui donnions une impulsion décisive. C'est pourquoi votre commission vous demande d'adopter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. le Président - J'ai reçu de M. Didier Julia une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91-4 de notre Règlement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). M. Didier Julia - Madame la ministre, puisque vous avez souhaité entamer votre discours par des développements apologétiques, vous me permettrez de compléter votre panégyrique. Vous avez évoqué la Résistance. C'est son chef, le général de Gaulle, qui a fait reconnaître le droit de vote et d'éligibilité des femmes. Vous n'avez pas cité Michel Debré (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui a créé les premières écoles mixtes pour le recrutement des hauts fonctionnaires. Je vous rappelle que c'est le gouvernement de Georges Pompidou qui a fait en sorte que le mari ne puisse plus s'opposer à l'exercice d'une activité professionnelle par son épouse. C'est celui de Jacques Chaban-Delmas qui a fait voter le principe à travail égal, salaire égal (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez salué Françoise Giroud. Je vous rappelle que c'est Jacques Chirac, Premier ministre, qui a créé le premier secrétariat d'Etat à la condition féminine. M. Michel Crépeau - et les "juppettes" ? M. Didier Julia - Le divorce par consentement mutuel a été institué en 1975. L'interdiction de toute différence de traitement entre les hommes et les femmes a été votée, mais pas par vous, la même année. La première femme a être nommé général d'armée l'a été en 1976. L'interdiction de licencier une femme enceinte a été édictée par le gouvernement de Raymond Barre et c'est à Edouard Balladur que nous devons le vote des lois sur l'éthique biomédicale. C'est dire qu'il fallait compléter votre panégyrique ! Il est vrai que les femmes sont moins nombreuses que les hommes parmi nos élus. Le Président de la République a donc eu raison d'appeler le Gouvernement à renforcer l'égalité entre les hommes et les femmes. Mais ce projet que vous avez vous-même appelé "Agacinski-Jospin" n'apporte pas de solution novatrice, contrairement à ce que le Premier ministre annonce à son de trompe. Non seulement il ne va pas assurer la promotion des femmes, mais il est même contreproductif et insultant pour elles. (Mme Christine Boutin applaudit) Vous légiférez pour la galerie mais votre projet ne pourra produire dans la réalité aucun résultat favorable aux hommes... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ...aux femmes comme je vais vous le démontrer. M. le Président - Mes chers collègues, je vous appelle au calme. M. Didier Julia - Que signifie ce projet ? Une déclaration d'intention sympathique en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ? Comme si celle-ci n'existait pas déjà dans la Constitution ! Le Préambule de la Constitution de 1946 proclame pourtant que "la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme". En droit l'égalité est donc totale sans restriction ni réserve. Il est donc absurde de prétendre que ce projet introduit cette égalité dans nos textes fondamentaux. Mais, en réalité, la réforme qui nous est présentée ne veut pas ajouter un droit, elle veut corriger un fait. Ce n'est pas l'égalité des chances ou des droits mais la parité dans le résultat qui est visée. Vous prévoyez donc d'imposer des quotas de femmes -on ne sait d'ailleurs pas si ce sera parmi les candidates ou parmi les élues- mais pour faire que ce soit parmi les élues, Mme la Présidente de la commission des lois a indiqué en commission la voie : le projet actuel ne serait qu'un premier pas vers la généralisation du système proportionnel pour les élections législatives et viserait à donner un fondement constitutionnel à ce mode de scrutin. Cela nuirait pourtant à la nécessaire stabilité de l'exécutif. Votre proposition est archaïque. Plusieurs députés socialistes - C'est vous qui l'êtes. M. Didier Julia - Notre Constitution dispose que la souveraineté ne peut procéder que de l'égalité de tous les citoyens devant la loi et la déclaration des droits de l'homme, dans son article 6, que "Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". Il nous est aujourd'hui demandé d'ajouter un autre critère que les capacités, les qualités et le talent, qui ne permettaient pas, selon les rédacteurs du projet, l'accès à parité des femmes, mandats et fonctions, un nouveau critère qui ne figurait pas jusqu'à présent dans la liste des vertus républicaines : celui du caractère sexuel féminin. Voter une disposition constitutionnelle rendant possible une forme de favoritisme fondée sur une différence physique, nous ramènerait à des temps très anciens. Et cela nuirait aux femmes elles-mêmes. L'expérience des Etats-Unis qui ont institué des quotas au début des années 80 le montre. Il s'agissait, comme ici, de répondre à une préoccupation d'égalité et de faire droit aux exigences légitimes de reconnaissance sociale et culturelle des minorités sociales, ethniques et sexuelles. Afin de favoriser l'égal accès à l'université, il a été décidé de recruter des noirs parce qu'ils étaient des noirs, des femmes parce qu'elles étaient des femmes, des personnes démunies parce qu'elles étaient démunies. Certains dans les universités ont même voulu changer les noms des salles de travail qu'on appelait "seminarium", pour les appeler "ovarium", afin de respecter l'égalité entre les symboles masculins et féminins. Ce mouvement de réforme s'est appelé l'"affirmative-action" car il visait à créer des discriminations positives compensant les inégalités constatées. Cette organisation de la promotion sociale par l'appartenance à une catégorie a connu un échec retentissant. Il s'est révélé un redoutable instrument d'exclusion et de racisme. Il existait dans les universités, comme chez nous dans la vie politique, des femmes de grande valeur, des représentants des minorités ayant conquis par leurs mérites propres la place qu'ils ou elles occupaient. A partir du moment où des femmes ont été recrutées parce qu'elles étaient des femmes, ou des noirs parce qu'ils étaient des noirs, les entreprises n'ont plus voulu embaucher ni de femmes, ni de noirs, ni aucun bénéficiaire du système, pensant qu'ils ou elles n'avaient obtenu leurs diplômes qu'en raison de leur spécificité ethnique ou sexuelle. A l'université, s'est développé un racisme anti-femmes et anti-minorités ethniques comme on n'en avait jamais vu aux Etats-Unis. L'expérience a fait long feu et c'est cela que, vingt ans après, vous nous proposez d'introduire dans notre loi fondamentale ! La promotion de la femme dans notre société est passée par la suppression des discriminations positives et des recrutements spécifiques. Maintenant, une femme préfet, ingénieur, diplomate, professeur, fonctionnaire, chef d'entreprise peut se flatter d'avoir passé les mêmes concours que les hommes. Le 14 juillet 1973, on a pu voir défiler une jeune femme, Anne Chopinet, à la tête de la compagnie des polytechniciens, parce qu'elle a été reçue première à un concours ouvert pour la première fois aux femmes ; quel honneur y aurait-il eu à exhiber une femme, qui aurait été prélevée sur un contingent spécial ? Toutes les femmes considèrent que la suppression des listes spéciales aux concours a marqué un progrès de la démocratie. Si on veut, par la loi, faire élire des femmes parce qu'elles sont des femmes, alors le discrédit sera jeté sur toutes les femmes élues. La démagogie se sera révélée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la couverture du mépris. Rien pour les femmes, n'est plus digne d'être défendu que l'égalité républicaine. Il y a plus : notre République s'est construite laborieusement par la suppression des quotas. Depuis le Moyen-âge, il en existait dans toutes les institutions représentatives pour les artisans, les commerçants, les représentants de l'Eglise, les étudiants... Il y a eu ensuite des quotas pour le Tiers-état, puis le régime censitaire, donnant aux riches des droits supplémentaires. L'une des plus grandes conquêtes de la République depuis la Révolution est, comme l'a dit le philosophe Alain Renaut, que le sujet du droit "n'est ni homme, ni femme, ni juif, ni noir, ni blanc, ni jeune, ni vieux, ni propriétaire, ni non-propriétaire, ni nanti, ni démuni : c'est l'humain en tant que tel". Mme Christine Boutin - Eh oui ! M. Didier Julia - De plus, les élus représentent la Nation, et non un groupe particulier. Ce serait défigurer la fonction parlementaire de donner à la femme député le mandat impératif de représenter les intérêts des femmes en considérant que le député homme ne pourrait, par définition, parler qu'au nom des intérêts masculins. Ce serait une atteinte à l'article 27 de la Constitution, selon lequel "le droit de vote des membres du Parlement est personnel". C'est une erreur de croire qu'il peut y avoir une politique féminine et une politique masculine, une culture féminine et une culture masculine. La culture atteste précisément la capacité des êtres humains à s'ouvrir à ce qui leur est commun, au-delà des différences, notamment sexuelles. Créer des "conditions de faveur" pour l'accès des femmes aux mandats et fonctions revient à institutionnaliser ces différences. Or c'est dans l'espace public commun à tous, hommes et femmes, blancs et noirs, démunis ou non, que se joue la cause de la démocratie. Pour citer encore Alain Renaut, "toute représentation proportionnelle de la diversité, tout principe de parité ou toute politique des quotas reconduisent à une perspective qui évoque davantage les lois de Nuremberg que l'idée démocratique". Ce n'est pas un hasard si le Parlement européen a demandé à la France de se fonder sur l'article 4 de la Constitution pour réaliser la parité. C'est aux partis politiques de s'organiser librement. Le nouvel article 190 du traité d'Amsterdam, au sujet de la désignation des membres du Parlement européen, envisage à défaut de procédure uniforme, que le Parlement européen élabore un projet tendant à l'organisation d'élections "conformément à des principes communs". A cet égard, selon la résolution qu'il a adoptée le 15 juillet 1998, il "estime que l'établissement des listes pour les élections européennes doit tenir compte de l'objectif de la parité entre hommes et femmes et qu'il appartient en premier lieu aux partis politiques de concrétiser directement cet objectif". Modifier les institutions de notre pays pour donner un privilège aux femmes c'est dire que les partis ne veulent pas assurer librement la parité. Chacun de ceux qui aura voté pour cette procédure de favoritisme fera semblant d'en découvrir les effets négatifs et même catastrophiques... A ceux qui parlent de "petite loi" destinée à faire progresser les choses, je redis qu'il n'y a jamais de modification constitutionnelle mineure et que d'une modification de la loi fondamentale ne peut découler une petite loi marginale. Promouvoir le rôle des femmes dans la vie politique est une chose ; mettre en cause l'égalité républicaine en est une autre et entraînerait des conséquences en chaîne : il faudra fixer des quotas pour limiter le nombre d'élus issus de la fonction publique, des quotas pour les plus démunis, pour les musulmans, pour les juifs, pour les habitants des quartiers difficiles. Ceux qui ne les voteront pas seront désignés à la vindicte publique comme anti-sociaux ou antisémites ! Jacques Attali dans l'Express vient d'ailleurs de déclarer que la société française est désormais une juxtaposition de communautés. J'approuve les efforts du Président de la République pour moderniser la vie politique française. Mais le gouvernement socialiste s'emploie, par démagogie, à défigurer les meilleurs projets. La suppression de fait du lien armée-nation n'était nullement requise par la professionnalisation des forces armées ; le problème des cumuls concernant les ministres est renvoyé à un projet de loi virtuel ; on régularise massivement des populations étrangères entrées clandestinement, mais on refuse aussi massivement des visas aux étudiants étrangers ; on prétend régler les problèmes douloureux liés au développement du sida chez les homosexuels avec le ridicule projet de Pacs... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Nous avons tous vu et entendu des personnalités très éminentes de cette Assemblée, le sourire protecteur, déclarer aux femmes qu'on allait se pousser un petit peu, qu'on irait jusqu'à ne plus demander aux femmes de prouver leurs capacités (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). En votant cette exception d'irrecevabilité, vous pourriez mettre un terme à un malentendu. Nous sommes tous favorables à la promotion des femmes mais, en politique comme dans tous les autres domaines, elle passe par l'égalité des chances et des conditions d'accès. Les présidents de groupe se sont demandés si les journalistes n'allaient pas simplifier et défigurer le débat, en disant qu'il s'agissait d'instituer dans notre Constitution le principe de l'égalité. Mme Muguette Jacquaint - J'applaudis Mme Bachelot-Narquin qui quitte l'hémicycle ! M. Didier Julia - Ils ont craint que tout opposant à ce projet apparaisse comme ringard et machiste. En réalité, la ringardise et le machisme consistent à dire que les femmes ont besoin d'être favorisées pour être égales aux hommes ! Comment aller contre l'hypocrisie, contre l'apparence trompeuse de ce texte ? "La démagogie et la flatterie sont le contraire du respect", a écrit Platon dans La République. A partir du moment où ce texte aura été voté, toutes les nominations de femmes dans la haute fonction publique se trouveront dévalorisées. Pour ce qui me concerne, je suis de ceux, peu nombreux, qui ont pu faire accepter, non sans mal, dans leur département une co-direction homme-femme pour conduire une liste aux élections régionales ; la représentation féminine y était plus importante que dans toutes les autres listes. Il est plus facile de promouvoir les femmes aux élections législatives quand on est dans l'opposition, parce qu'on a moins de sortants ; vous verrez que les présidents Séguin et Bayrou sauront davantage que M. Jospin manifester leur volonté d'assurer la parité ! Quant à la proposition de Mme la Garde des Sceaux de proportionner l'aide publique accordée aux partis au nombre de femmes qu'ils présenteront sur leurs listes, elle est proprement scandaleuse. Mesure-t-on même ce qu'elle a d'inconvenant et d'archaïque ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Mme Yvette Benayoun-Nakache - Arrêtez ! Nous en avons assez entendu ! M. Maurice Adevah-Poeuf - Laissez M. Julia s'exprimer ! M. Didier Julia - Si l'on veut vraiment que les femmes soient présentes dans la vie publique, il faut que cette présence soit naturelle, joyeuse, de bon coeur, "good face" comme disent les Américains, et non ressentie comme une contrainte résultant de mécanismes autoritaires. Je souscris totalement à la déclaration du Président de la République sur la nécessaire évolution des mentalités et la mise en oeuvre pratique de l'égalité entre les femmes et les hommes. Celle-ci relève essentiellement des partis politiques et certainement pas d'une révision de la Constitution. En vous demandant de voter cette exception d'irrecevabilité, je vous demande de voter pour le respect des fonctions et des mandats exercés par les femmes en France et, à travers lui pour le respect de la République. Mon geste est assurément symbolique... Mme Yvette Benayoun-Nakache - Il est de trop quand même ! M. Didier Julia - On s'apercevra à l'usage que la défense sérieuse de la cause des femmes dans notre pays ne passe absolument pas par votre projet de révision de la Constitution (Mme Boutin applaudit ; "Hou ! Hou" sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Nous allons maintenant interrompre nos travaux. Les explications de vote et le vote sur l'exception d'irrecevabilité auront lieu à la reprise de la séance, à 21 heures. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures. La séance est levée à 19 heures 35. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |