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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 70ème jour de séance, 181ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 9 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Raymond FORNI

vice-président

          SOMMAIRE :

ÉPARGNE (suite) 1

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.


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DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR DES REQUÊTES
EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES

M. le Président - En application de l'article L.O. 185 du code électoral, j'ai reçu du Conseil constitutionnel communication d'une décision de rejet relative à des contestations d'opérations électorales.


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ÉPARGNE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.

M. Jean Proriol - Sous l'intitulé opaque de ce projet de loi se cachent en fait deux réformes : celles des caisses d'épargne et celle visant au renforcement de la sécurité financière. M. Laffineur a dit la position du groupe DL sur le second point ; je me limiterai donc au premier en essayant de répondre à une double question : pourquoi et comment réformer les caisses d'épargne ?

Jusqu'à présent, leur statut particulier n'a pas empêché les caisses d'épargne de connaître un développement spectaculaire. Mais aujourd'hui, les difficultés s'appellent concurrence élargie, bouleversements technologiques, nouveaux métiers, euro, crise financière et il est clair que ce statut est un handicap. Il rend par exemple impossible toute tentative de croissance externe, comme l'illustrent les exemples malheureux du CIC et du CFF. Le développement des caisses va être freiné faute de sociétaires et surtout elles seront isolées, à l'heure de l'unification des marchés financiers européens. Nos voisins et même les Etats-Unis ont réformé les statuts de leurs caisses d'épargne. Les nôtres attendent depuis plus de deux ans, et il aura fallu douze versions successives pour parvenir au texte actuel ! La réforme a cependant été déclarée urgente... à moins que ce ne soit l'appât du gain qui anime les pouvoirs publics ?

Tout le monde s'accorde sur la nécessité de rapprocher les caisses d'épargne du droit commun. Nous ne remettons pas en cause le statut coopératif voisin de celui qui a fait ses preuves au Crédit agricole, mais il s'agit en fait d'une banalisation douce. Le groupe DL n'est pas contre la douceur, mais il aurait souhaité que le Gouvernement aille plus loin.

En effet, certains problèmes sont de nature à obérer la pérennité de la nouvelle organisation. Le plus évident est celui des fonds propres, déterminants pour la crédibilité d'une banque. Attention donc à ne pas trop décapitaliser la future caisse nationale des caisses d'épargne. Le projet de loi prévoit le placement de parts sociales dans le public à hauteur de 18,8 milliards de francs, ce qui semble très supérieur aux capacités estimées, de 12 à 13 milliards maximum. Prenons l'exemple de la Caisse d'épargne d'Auvergne, qui dispose de 335 millions de francs de dotation statutaire. Selon le texte actuel, 33,5 millions au maximum pourront être placés auprès des collectivités locales et autant auprès du personnel. 268 millions au minimum devront donc être placés auprès du public en quatre ans. A 100 F la part, il faudra trouver 2 680 000 clients -et l'Auvergne compte 1 314 000 habitants ! A 1 000 F la part, les chiffres sont plus cohérents. Le projet de loi ne prévoit pas qu'un sociétaire qui dispose de plusieurs parts bénéficie de droits de vote proportionnels. Il est donc peu probable qu'une même personne souscrive plus d'une part, alors que la rémunération est aléatoire... C'est en outre peu compatible avec l'esprit de la société coopérative et la volonté affichée par le Gouvernement de disposer de la base sociale la plus large possible. Il est donc indispensable soit de réduire le montant à placer dans le public, soit d'augmenter le délai, quatre ans paraissant bien courts. On pourrait aussi autoriser les caisses à porter les parts sociales, le temps de finir le placement.

Deuxième problème : les pouvoirs de la Fédération nationale des caisses d'épargne. Les moyens ne sont pas à la hauteur de ses attributions. On ne trouve pas dans le projet de loi la définition de la politique commune aux caisses d'épargne permettant de cadrer l'action de la Caisse nationale. Un amendement que j'ai cosigné avec Gilbert Gantier a été adopté par la commission des finances. J'appelle à la plus grande vigilance face aux retournements habituels à la majorité plurielle !

M. Jean-Pierre Brard - Jaloux !

M. Jean Proriol - En troisième lieu, il faut définir le rôle de la CDC. Si sa participation au capital est rassurante quant à la qualité de la signature de l'Ecureuil, elle peut aussi constituer une force de blocage, comme en témoigne l'échec du CENCEP dans le rachat du CIC. Ne faut-il pas diminuer le poids de la CDC ou le contrebalancer par l'entrée d'autres organismes européens liés par un pacte d'actionnaires ?

Les droits des sociétaires doivent aussi être précisés : droit de vote au sein des groupements locaux, selon la règle "un sociétaire, une voix", droit de retrait, pour lequel une référence à la loi de 1867 est impérative, et droit à la rémunération des parts sociales -mais à quel taux : celui du livret A ? Un taux supérieur, comme on le murmure ? Le projet de loi est muet sur ce point.

Point délicat : le statut du personnel, des 40 000 salariés imprégnés de la culture du réseau et qui ont su réussir les précédentes réformes. Ce statut est envié : pourquoi le nier ? Mais les difficultés de financement des retraites y sont les mêmes que dans les autres régimes. Une solution est proposée faisant appel aux provisions constituées et à des prélèvements sur les résultats du réseau. Puisque le Gouvernement n'a pas tranché, il faudra sans doute négocier avec les partenaires sociaux. Mais pourra-t-on dire aux jeunes qui entrent dans le réseau qu'ils auront à assurer la retraite de leurs anciens ? On ne peut qu'encourager les représentants du personnel à se montrer responsables et souhaiter du courage et du savoir-faire à la nouvelle équipe de la future Caisse nationale des caisses d'épargne.

Les caisses d'épargne se trouvent à un tournant de leur histoire : avancer et se réformer ou disparaître. Malheureusement, votre réforme ne nous paraît pas réunir les conditions de la réussite. Dans cette affaire, le Gouvernement marche sur des oeufs ! Résultat : trop de non-dits, d'imprécisions et d'hésitations. Dans son état, le groupe DL ne pourra pas voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Alain Rodet - Une institution financière dont le réseau gère quelque 30 millions de comptes ne se réforme pas sans débats ni controverses. Aussi ce projet en suscite-t-il. Et son dépôt a déjà été précédé d'une discussion au sein du réseau sur la base du rapport Douyère, discussion parfois vive où l'avenir de la CGR tenait une grande place. Le projet renvoie certes cette question à un traitement ultérieur, mais elle n'en est pas moins très présente et la sévérité de certaines appréciations peut s'analyser comme une procédure de précaution dans l'attente des négociations qui seront menées au sein du futur groupe.

Reste que ce projet prépare l'avenir et qu'il me paraît difficile de ne pas souscrire aux évolutions qu'il dessine. D'abord, il pose clairement les missions d'intérêt général du réseau. Le refus de banaliser le livret A est tout aussi clairement posé. Quant au statut coopératif, il suscite des commentaires mitigés qui peuvent s'expliquer par le fait que, dans le passé, ce statut ait parfois servi à recouvrir des opérations qui avaient peu à voir avec un fonctionnement réellement mutualiste. En l'occurrence, l'appellation se justifie et le large sociétariat sur lequel se fondera la nouvelle organisation donnera aux caisses l'assise qui leur fait défaut. Elle comporte certes des risques mais dans le domaine dont nous parlons il n'y a jamais de risque zéro. Et tout dépendra finalement de l'implication des agents et de la motivation des responsables.

La transformation du réseau en groupe est une nécessité absolue, car les caisses ont besoin d'un organe central, la dyarchie actuelle n'ayant pas toujours donné satisfaction.

De même, le partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations me paraît une nécessité absolue. On peut donc souhaiter qu'il soit plus explicitement affirmé dans la loi. La Caisse des dépôts représente le meilleur de la tradition publique française et sa signature est très estimée partout dans le monde. Son partenariat avec le groupe des caisses d'épargne donne de grandes chances de succès à un ensemble financier public -où opèrent déjà La Poste et la CNP- qui pourrait se montrer très actif et très fort. Je crois utile d'indiquer dès le début de nos débats que le Crédit foncier de France a vocation à rejoindre cet ensemble et je m'étonne d'ailleurs qu'en 1996 les caisses d'épargne ne se soient pas impliquées dans sa reprise. Il me paraît pourtant plus pertinent d'intégrer le Crédit foncier que le Crédit industriel et commercial.

Quoi qu'il en soit, nous voici à la veille de constituer un groupe qui aura bien des arguments à faire valoir. Souhaitons lui simplement d'améliorer certains ratios car actuellement le réseau ne se situe qu'au 53ème rang européen pour ce qui est des prêts à la clientèle alors qu'il est 8ème pour la collecte.

Je voudrais aussi souligner combien la réforme de 1983 a été utile et courageuse. Si on n'y avait pas procédé, la réforme d'aujourd'hui ne serait tout simplement pas possible car le réseau n'existerait plus.

Et s'agissant du passé, je ne voudrais pas que l'on brosse un tableau trop idyllique des relations entre les caisses d'épargne et le petit épargnant. En effet, de 1968 à 1983, celui-ci a perdu, avec le livret A, plus de la moitié de son épargne ! Ce n'est que depuis le début des années 80 qu'elles jouent vraiment un rôle protecteur de l'épargne populaire. Le recul de l'inflation y est pour beaucoup, mais aussi la création des LEP et des CODEVI ainsi que la réforme de 1983.

Certains insistent aussi beaucoup sur le rôle irremplaçable des caisses pour le logement social. Elles assurent là, c'est vrai, une mission essentielle, mais qui ne règle pas toutes les difficultés de son financement. Je vous renvoie à la discussion du budget pour 1999 et je prends à témoin son rapporteur, M. Dumont. En dépit des efforts du Gouvernement, la situation est difficile, du fait notamment du taux des prêts PLA.

Enfin, je ne comprends pas que l'on parle de privatisation alors que les caisses d'épargne sont des établissements de crédit de droit privé, à but non lucratif et dépourvues de propriétaire. Leur adossement à la Caisse des dépôts marque en outre clairement leur appartenance au public.

Au total, le projet constitue une avancée importante pour les caisses d'épargne, qui seront à la fois rénovées et pérennisées au sein d'un grand groupe public. Bien sûr, toute réforme comporte un risque mais, comme le dit un grand auteur : "quand la prudence est partout, le courage est nulle part" (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Deniaud - La réforme qui nous est présentée découle d'une réflexion engagée depuis longtemps. Je pense notamment au rapport Lambert, aux réflexions menées par M. Arthuis...

M. Jean-Pierre Brard - Parler des réflexions de M. Arthuis est quelque peu exagéré !

M. Yves Deniaud - Elles en valent d'autres !

La mutualisation, déjà évoquée alors, est la solution à laquelle pratiquement tout le monde s'est rallié.

Cela aurait pu nous conduire à approuver la réforme proposée. Malheureusement les conditions de sa mise en oeuvre ne nous paraissent pas acceptables.

Les désastres du récent passé bancaire français et les remous qui agitent les établissements financiers mondiaux doivent inciter à la plus extrême prudence, surtout s'agissant des caisses d'épargne, institution financière particulièrement populaire mais aussi affligée de pesanteurs qui rendent sa rentabilité faible.

La France ne peut pas se permettre de rater la mutualisation de ses caisses d'épargne. Rien ne serait pire que de les lancer dans cette nouvelle aventure, sans qu'elles aient toutes les chances de réussir et d'avoir ensuite à voler à leur secours à grand coup de milliards. Or ce qui nous est proposé recèle de graves dangers.

C'est le placement des parts sociales qui est au coeur de nos inquiétudes. Le montant exigé et le délai imparti nous paraissent en effet l'un trop élevé, l'autre trop court pour garantir la réussite d'une opération du bon déroulement de laquelle dépend entièrement l'image que donnera, aussi bien vis-à-vis du monde financier que du grand public, le nouvel établissement mutualiste. Nous savons les raisons qui ont conduit à fixer un montant de 18,8 milliards et un délai de quatre ans. Elles ne nous paraissent pas bonnes. Une somme plus raisonnable et un délai étendu à 6 ans permettraient un rythme de placement supportable permettant de susciter la confiance et l'adhésion des futurs sociétaires.

Par ailleurs, le réseau s'est exprimé clairement en faveur d'un montage plus simple pour relier les sociétaires aux caisses que celui des GLE, qui complique la perception du lien social entre le détenteur de parts et la caisse concernée. Un seul organisme détenant le capital de chaque caisse et en distribuant directement les parts, ce serait beaucoup plus simple et efficace.

Au XXIème siècle, un réseau de 31 caisses suffit pour assurer la proximité nécessaire. Pourquoi ne pas faire confiance au bon sens du réseau plutôt qu'à une construction intellectuelle compliquée, élaborée par tel de vos services ?

Quant aux 18,8 milliards espérés, qui s'ajoutent aux 5 déjà prélevés dans la loi de finances, vous entendez les affecter à un fonds de réserve des retraites du régime général, au risque de compromettre l'avenir des caisses d'épargne. Nous ne contestons pas le principe d'un prélèvement de l'Etat, nous en contestons le montant fixé a priori et le moment.

En effet, l'estimation de la somme à percevoir aurait dû suivre l'opération, et non la précéder. Il eût fallu fixer un montant raisonnable au capital social et laisser aux caisses d'épargne le temps et les moyens nécessaires de s'organiser. La situation de la caisse de retraite du personnel, en particulier, nécessiterait entre 15 et 40 milliards.

De plus, le réseau des caisses d'épargne devra inévitablement faire face aux nécessités de la diversification, du regroupement, ou de la croissance externe. Vous souhaitez, dit-on, le voir reprendre le Crédit foncier, on parle de rapprochement avec les Banques populaires. Il faudra pour cela que les caisses d'épargne disposent de solides fonds propres.

Des nuages noirs ne tarderont sans doute guère à s'amonceler du côté de Bruxelles. Une offensive contre le livret bleu est déjà lancée, qui risque, dès la mutualisation, de s'étendre au livret A pour imposer sa banalisation. Si elle réussissait, il faudrait pouvoir mobiliser des ressources suffisantes pour financer un redéploiement commercial à hauteur du préjudice. Vous justifiez que l'Etat prélève la totalité du produit de la vente des parts sociales par les privilèges qu'il a consentis, notamment pour le livret A. Il serait paradoxal de le faire payer au moment où il pourrait disparaître.

Enfin, 18,8 milliards, c'est trop pour les caisses d'épargne, ce n'est rien pour résoudre le problème du financement des retraites des 14 millions de salariés du régime général.

Cette somme pourrait tout juste suffire à consolider les retraites des 40 000 salariés des caisses d'épargne. L'an dernier, vous évaluiez vous-même à 600 milliards par an le besoin de financement supplémentaire des régimes de retraite à l'horizon 2015-2020. Réglons chaque question dans le cadre qui convient !

La réforme des caisses d'épargne doit leur laisser tous les moyens de réussir leur mutation.

Différez le prélèvement, simplifiez et clarifiez la procédure de vente des parts sociales et votre projet pourra devenir acceptable. Pour le moment, nous considérons qu'il ne l'est pas, à notre grand regret, car personne ne souhaite faire de cette institution si populaire un enjeu de polémique.

Laissez assez de noisettes à l'écureuil pour qu'il vive longtemps et en bonne santé (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Brard - Alors que le domaine bancaire et financier est entré en recomposition, nous discutons de l'avenir des caisses d'épargne, acteur singulier et indispensable de ce qui a vocation à devenir le pôle public et semi-public de la banque française. L'attachement des 26 millions de titulaires de livrets A à leur banque de proximité témoigne que la réforme de l'Ecureuil concerne une grande partie de l'épargne populaire. Une réunion organisée sur ce sujet à Montreuil m'a confirmé le caractère quasi affectif du lien unissant les épargnants à leur établissement.

Dans l'actuel maelström concurrentiel, il est essentiel que les caisses d'épargne participent à l'aménagement du territoire et renforcent leur rôle de banque de proximité au service de l'épargne populaire.

Or le projet ne préserve pas les caisses d'épargne d'une remise en cause de leurs missions d'intérêt général, puisque le dogme de la rentabilité financière fixée à 10 % après impôt ne lui est pas clairement déclaré inapplicable, contrairement à la religion de ces nouveaux croyants incapables de démontrer la rationalité de ces 10 % devant lesquels ils se prosternent avec plus de componction que devant le dogme de l'Immaculée Conception (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL).

Le dogme de l'Immaculée Conception a au moins pour lui son ancienneté. Mais ce nouveau dogme, de quelle révélation a-t-il jailli ?

M. Germain Gengenwin - Il n'y a pas de comparaison !

M. Jean-Pierre Brard - J'en conviens. Alors que le nouveau dogme est immoral, le précédent est tout à fait moral puisqu'il n'y a pas eu passage à l'acte (Sourires sur les bancs du groupe socialiste). La mise en place d'un statut coopératif issu de la loi de 1947 n'est pas dangereux en soi, à la condition que les missions d'intérêt général et que les garanties d'un fonctionnement démocratique des caisses soient inscrites dans la loi. Sur ce dernier point, il est fondamental de réaffirmer le rôle des épargnants sans exception, sans l'institution d'un cens qui fleurerait la Restauration, celui des salariés et des élus locaux. La moitié des déposants ont moins de 1 000 F sur leur livret. Comment concevoir de les exclure de la participation à la vie des caisses d'épargne ? Aussi proposons-nous d'abord de conforter les buts d'intérêt général incombant aux caisses en exprimant clairement que la banalisation du premier livret est exclue.

En outre, l'article 1er mérite d'être réécrit. Nous proposerons qu'y figurent les missions de protection de l'épargne populaire, de financement du logement social, de développement économique local, de lutte contre l'exclusion financière de tous les acteurs de la vie économique, sociale et environnementale.

En effet les collectivités locales ont d'importants besoins de crédits pour l'aménagement du territoire, ou la protection de l'environnement.

En second lieu, la coopération entre établissements bancaires de même nature doit être favorisée. Les caisses d'épargne, qui représentent un éléments central du pôle bancaire public nécessaire à l'Etat pourraient s'y engager, au plan national d'abord. A ce sujet, nous vous entendrions avec intérêt nous parler du Crédit foncier. Au plan européen, nos partenaires rencontrant les mêmes difficultés et engageant les mêmes débats de société, des solutions bancaires convergentes sont possibles.

Ces rapprochements contribueraient à créer un grand pôle public et parapublic, au service de l'intérêt général, et ne suivant pas les mêmes critères de rentabilité élevée que les banques AFB.

Salariés et épargnants doivent, il va sans dire, occuper une place de premier plan au sein des caisses d'épargne réformées. Chaque titulaire de livret A pourrait, par exemple, détenir une part sociale par tranche de 10 000 F et une part gratuite par livret, les parts ne donnant lieu à aucune rémunération. Le reste du capital serait réparti entre les salariés, les PME et les collectivités locales. Quant à la Caisse nationale, les épargnants y seraient également majoritaires, un tiers du capital étant détenu par des investisseurs européens de culture proche. La réforme des caisses d'épargne doit être ainsi mise à profit pour redéfinir le périmètre de l'intérêt général et promouvoir le partenariat entre caisses françaises, allemandes, italiennes et espagnoles. Enfin, je souhaite que le projet intègre la spécificité des DOM.

Nous ne sommes pas des partisans du "tout ou rien", et nous espérons que la discussion se déroulera dans un meilleur climat qu'en commission : entre faire droit aux critiques de la droite et tenir compte de celles de M. Rodet ou de notre groupe, il faudra choisir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Germain Gengenwin - Fervent militant de l'économie sociale, je ne peux que me réjouir de voir les caisses d'épargne rejoindre enfin le giron des banques coopératives et mutualistes, dont le régime, considéré par certains comme passéiste, est en vérité au coeur de la modernité. La nouvelle organisation choisie fait cependant problème, car elle déroge, sur certains points, à la loi de 1947.

Les groupements locaux d'épargne sont des coquilles vides, sans activité économique, qui ne peuvent être considérées comme des coopératives, faute de lien direct entre les sociétaires et la caisse ; nous proposerons donc de les transformer en groupements régionaux d'épargne et de prévoyance.

L'article 7, qui supprime le régime spécifique des caisses d'Alsace et de Moselle, est inacceptable : le maintien du libre emploi des ressources du livret A est essentiel au développement de l'économie locale et ne menace nullement la pérennité de ce produit d'épargne.

L'article 24 permet à l'Etat de profiter du passage des caisses d'épargne dans le secteur coopératif pour prélever sur leurs réserves 18,8 milliards en 4 ans, en plus des 5 milliards déjà ponctionnés par la loi de finances pour 1999. On peut légitimement se demander quel sera le prochain organisme mis à contribution pour alimenter le Fonds de réserve et de garantie des retraites. Au moins le placement des sommes versées à ce fonds devrait-il être confié aux caisses elles-mêmes, dont la compétence en la matière est avérée.

Le volet relatif à la sécurité financière soulève deux problèmes majeurs. L'article 37, qui déplafonne la rémunération des parts sociales des banques coopératives et mutualistes, remet en cause l'un des fondements mêmes du statut coopératif, à savoir l'impartageabilité des réserves. La commission a heureusement voté sa suppression, et j'espère que le Gouvernement la suivra. Quant à l'article 47, qui institue un système unique de garantie des dépôts bancaires, il ne tient pas compte du fait que le secteur coopératif et mutualiste assure déjà à ses déposants une indemnisation illimitée, et revient donc à faire payer deux fois les banques de ce secteur.

Nous entendons néanmoins aborder la discussion des articles dans un esprit constructif (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe RPR et du groupe DL).

M. Michel Inchauspé - Le projet comporte des dispositions de portée diverse, qui marquent une volonté de réforme indispensable au secteur financier français. J'exposerai la position du groupe RPR sur le volet relatif à la sécurité financière et sur la création des obligations foncières. Peut-être eût-il été souhaitable, d'ailleurs, que le vote eût lieu par division...

S'agissant de la sécurité des dépôts, M. Auberger et moi-même avions déposé une proposition de loi que le Gouvernement a reprise, en allant plus loin d'un certain point de vue et moins loin d'un autre. Le projet, tout en renforçant les pouvoirs de la Commission bancaire, ne va pas jusqu'à lui donner son indépendance ; par contre, il crée un véritable fonds de garantie qui, non content de garantir les dépôts, remplit une double mission curative et préventive, comme dans d'autres pays de l'Union européenne. Il était temps, car les banques de ces pays, à compter du 1er janvier 2000, pourront se prévaloir auprès de nos déposants d'un système de garantie très avantageux, et même quasi illimité. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la Deutsche Bank, au lieu de rechercher un partenaire français, a choisi d'installer, dans un premier temps, quinze bureaux dans les principales villes françaises.

Le financement de cette sécurité financière est prévu par un crédit d'impôt imputable sur la fameuse contribution sur les institutions financières, spécificité française unique en Europe, créée en 1982, exceptionnellement pour une année, à la faveur des taux élevés d'alors. Aujourd'hui, les taux ont décru des deux tiers. Si l'idée de cette répercussion sur la CIF est bonne, vous n'envisagez de récupérer ainsi qu'une partie de la cotisation, faisant de la sorte payer deux fois les établissements de crédit, qui supportent d'autres taxes uniquement françaises, comme la taxe sur les salaires avec des tranches à 13,60 %, alors que la TVA à taux zéro permet aux Anglais de récupérer la totalité de la taxe, sans l'appliquer à la clientèle. Il n'est pas étonnant que les emplois bancaires diminuent en France chaque année. En proposant, lors du débat de février, de supprimer ces taxes, M. Douyère a parlé d'or.

Si vous ne pouvez prévoir la récupération totale sur la contribution, le taux de 25 % est trop faible et le minimum au départ devait être de 50 % pour aboutir en 2002, avec l'arrivée de la monnaie unique et des concurrents européens, à la compensation intégrale et à la disparition de la contribution. Certains aujourd'hui rechignent à cotiser autant que les autres, oubliant que le projet veut instaurer la notion de "mission commune".

Il ne s'agit pas d'un système d'assurance, où le coût de la police correspond au risque qu'il fait courir, mais d'une solidarité de place qui doit faire la renommée de la place de Paris. Qui est à l'abri d'un sinistre ? Nous avons vu l'effondrement des caisses d'épargne aux Etats-Unis, de certains mutualistes en Italie, rachetés d'ailleurs par des réseaux français et il est inutile de reparler du Crédit lyonnais ou de Pallas-Stern. La Banque de France l'a très bien compris puisque, dans un sinistre récent, elle a anticipé sur la réforme en agissant et en participant de façon préventive.

S'agissant des fonds propres, il faudrait, Monsieur le ministre, suggérer au Comité de Bâle, qui se réunit le 9 avril pour définir un nouveau ratio Cook, de faire preuve de plus de rigueur et de ne pas autoriser les établissements de crédit à faire entrer dans leur capital des produits innovants qui alimentent de façon exagérée le "tier 2". Déjà l'utilisation abusive des titres subordonnés risque de tromper la clientèle, qui ne sera pas remboursée par le fonds de ce genre de placement, alors que ce sont des titres cotés et répandus dans le public. La proportion de 50 % de ces obligations faussement perpétuelles dans le capital devait être diminuée pour que les banques aient dans leur capital de vrais fonds propres. En 1913, le Crédit lyonnais était la première banque mondiale, avec des retours sur actifs de 15 %.

Vous proposez aussi un fonds de garantie pour les compagnies d'assurances, un sinistre récent en a montré la nécessité. La profession a accepté de le constituer bien que comme pour les banques, cela occasionne des frais supplémentaires. Là aussi, la solidarité de place doit jouer et les réseaux, privés ou mutualistes, sont prêts à accepter l'application des mêmes critères sans tirer argument des risques objectifs occasionnés par l'un ou par l'autre. Il est amusant que les assureurs fassent la leçon aux réseaux bancaires en leur signalant que ce n'est pas un problème d'assurance, mais bien de solidarité de place, comme l'a expliqué M. Baert. Seulement, Monsieur le rapporteur, vous n'allez pas au bout de votre logique en présentant un amendement contraire à l'objet du projet du Gouvernement. La presse financière ne s'y est pas trompée...

Quant aux obligations foncières, leur création était demandée depuis longtemps, devant le succès des pfanbriefe en Allemagne. Les amendements proposés par le rapporteur vont dans le bon sens. Le texte prévoyait la possibilité de financer toutes acquisitions garanties ou cautionnées ; il était nécessaire de les limiter à l'immobilier, autrement ces sociétés n'auraient de foncier que le nom. Mais pour qu'elles aient les mêmes possibilités qu'outre-Rhin, il faudrait que la quotité de garantie minimum soit portée de 60 à 80-85 %, sinon les nouvelles sociétés foncières auront une activité fort réduite et ne répondront pas au besoin de financement de l'habitat. Ainsi, elles auront l'avantage d'améliorer le ratio "tier 1" des établissements de crédit en localisant dans une autre structure les crédits hypothécaires.

Nous souhaitons que le Gouvernement accepte l'amendement de M. Delalande sur l'extension du fonds de garantie des assureurs aux sinistres survenus à la suite de la défaillance des garants des constructeurs individuels.

M. Gérard Saumade - Très bien !

M. Michel Inchauspé - C'est en fonction du sort réservé aux amendements qu'il a déposés sur tous ces points que le groupe RPR déterminera son vote (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Louis Dumont - Après 1983 et 1991, 1999 marque une nouvelle étape importante et les militants de l'économie sociale, des secteurs coopératif, mutualiste et associatif ont de nombreuses raisons d'être satisfaits par le texte qui nous est présenté aujourd'hui.

En proposant aux caisses d'épargne d'adopter le statut de banque coopérative, le Gouvernement souligne la modernité d'un statut porteur d'avenir, issu des valeurs de la loi fondatrice de 1947, mise à jour en 1992. Il le fait quelques mois après la reprise du CIC par le Crédit Mutuel, de Natexis par les Banques populaires et avant un probable rapprochement entre le Crédit agricole et Groupama.

Oui, ce statut est moderne, car la coopération place l'homme au coeur de ses préoccupations, car le projet social qui lui est lié met en valeur les principes de démocratie, de solidarité et de participation et constitue une véritable école de la citoyenneté. En matière bancaire, mais aussi dans le domaine du commerce, de la consommation, de l'agriculture ou du logement, les entreprises coopératives n'ont pas fini de montrer leur capacité à innover et à protéger leurs associés.

M. Germain Gengenwin - Très bien !

M. Jean-Louis Dumont - Pour autant, le projet ne tient qu'imparfaitement ses promesses à l'égard de l'économie sociale. Ainsi, le futur réseau des caisses d'épargne s'appuiera sur des groupements locaux d'épargne, sociétés à forme coopérative, très bien. Mais ces GLE ne sont que des coquilles vides, elles ne font que porter les souscriptions des associés et n'ont pas pour objet de conduire une activité économique. La commission des finances, dans sa grande sagesse, a abaissé le seuil minimal des sociétaires des GLE de 2 000 à 500, ce qui va dans le bon sens. Il faudrait également tenir compte des particularismes locaux de l'Alsace-Moselle où les caisses d'épargne suivent des règles un peu différentes pour l'emploi des fonds issus du livret A. Pour la seule Lorraine du nord, c'est de 3,240 milliards qu'il s'agit. Le fait que la caisse puisse intervenir librement sur son propre marché mérite donc une réflexion, voire un amendement.

Autre exemple, le plafonnement des mises en réserve des caisses d'épargne et des banques coopératives. Dominique Baert a considéré comme moi, en commission des finances, que cette mesure ne se justifiait ni sur la forme, ni sur le fond. L'impartageabilité des réserves est l'un des principes fondamentaux du statut coopératif. C'est pourquoi j'ai présenté avec de nombreux collègues un amendement de suppression de l'article 37 et un autre de suppression des deux dernières phrases de l'article 6.

La loi de 1992 a répondu aux besoins de valorisation des parts sociales, et notamment permis, bien que Bercy ne l'ait pas vu d'un très bon oeil, aux coopératives HLM de trouver de nouveaux investisseurs et de rendre service à ceux qui cherchent un logement.

Un peu de cohérence, Monsieur le ministre : il faut supprimer aussi, à l'article 6, le plafonnement des mises en réserve des caisses d'épargne. On ne peut à la fois vouloir manifester son attachement au statut coopératif et multiplier les dérogations de confort à la loi de 1947 d'autant que, le rapport de M. Douyère le montre, une des fragilités des banques françaises tient au manque de fonds propres.

J'adhère volontiers à la création d'un fonds de garantie car les sinistres récents ne doivent plus se reproduire. Déposants comme épargnants doivent trouver des garanties. Là encore les banques coopératives ont des intérêts différents de ceux des banques AFB, les premières ayant déjà institué des mécanismes de garantie.

M. Germain Gengenwin - Bien sûr.

M. Jean-Louis Dumont - Mieux aurait donc valu, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, créer deux fonds différents.

Je passe, faute de temps sur le sinistre de la banque Pallas-Stern et sur les enseignements que l'on peut en tirer.

M. Jean-Pierre Brard - Lesquels ?

M. Jean-Louis Dumont - Parce qu'ils avaient choisi les Banques populaires comme dépositaires de certaines de leurs OPCVM, certains clients ont pu récupérer leurs liquidités. Ils ont ainsi compris ce que "mutualisation" voulait dire.

Ce volontarisme au service des déposants et des petits épargnants doit être reconnu par la loi, et le dispositif doit être amélioré pour tenir compte de l'antériorité des banques coopératives et des garanties qu'elles offrent. Il faut aller plus loin, et nous comptons sur la qualité d'écoute des rapporteurs et du ministre. Ce projet de grande qualité doit être amélioré encore. Ne doutez pas de la vigilance des militants, par ailleurs parlementaires, de l'économie sociale pour que l'esprit de la coopération soit respecté, car elle est un projet politique et social porteur d'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. François Loos - Tous les huit ans, un Gouvernement réforme les caisses d'épargne... Cette périodicité souligne au moins que les caisses évoluent et savent s'adapter. On peut s'interroger sur les raisons qui vous poussent à cette nouvelle étape. A vous entendre, le projet a pour buts de réaffirmer la mission d'intérêt général des caisses, de mettre en place un statut coopératif, d'améliorer l'efficacité de leur gestion, et de développer un partenariat avec la Caisse des dépôts. La "mission d'intérêt général" consistera surtout dans le versement de 18,8 milliards à l'Etat. Si une partie abondera le fonds de réserve des retraites, les autres objectifs affichés sont des moyens non des objectifs. Le statut coopératif se mettra en place à travers une multiplicité de groupes locaux, où les employés seront faiblement représentés.

Il faut en réalité pouvoir introduire des partenaires financiers dans le capital, au niveau central aussi bien que local. Tel est l'objectif, dites-le. L'essentiel est que cela puisse se faire bientôt. Quant à l'efficacité de la gestion, elle n'est pas mesurable à travers les textes. Ce qui est clair, c'est que l'équilibre de la gestion sera entre les mains du Gouvernement et de la Caisse des dépôts : selon les règles et les taux, tout change. Cela n'est guère responsabilisant, ni efficace. Pour ce qui est enfin du partenariat avec la Caisse des dépôts, les activités de cette dernière vont être mises en cause dans certains domaines, ce qui mériterait un texte.

Même si ce projet est intéressant, on aurait dû placer ce débat dans sa véritable perspective. Je veux parler de l'avenir du livret A, attaqué à Bruxelles par l'AFB, alors que l'inflation a disparu ; de la nécessaire recherche de partenaires pour les caisses d'épargne, qui n'ont pas la dimension des grandes banques ; de l'avenir du financement du logement social et de celui des collectivités locales. Sur tous ces points nous souhaitons connaître nos perspectives. Entendez-vous faire disparaître le livret A ou ramener son taux à 2 % après les élections ? Nous ne le savons pas. Comment allez-vous financer le logement avec un marché financier hautement concurrentiel ?

Quels avantages donner, qui soient compatibles avec les textes européens et supportables pour le budget, assis sur des ressources à long terme ? Comment l'Etat peut-il apporter sa garantie à la transformation de fonds à court terme en crédits à long terme ? Nous sommes loin d'une réponse à ces questions. Ce texte organise seulement la prochaine étape et les renvoie à plus tard ; je le regrette.

Un mot sur le droit local d'Alsace-Moselle. Les résultats financiers du circuit court y ont toujours été très corrects pour les caisses et leurs clients. Vous souhaitez l'abandonner pour éviter, dit-on, les récriminations de la Commission de Bruxelles. Mais dans d'autres domaines vous n'avez pas toujours cette préoccupation. En outre, vous allez vous retrouver dans un système encore moins concurrentiel. Pour compenser les pertes qu'entraînera votre décision, en effet, il faudra un financement particulier pour les caisses d'Alsace-Moselle, puisque l'application du régime général leur occasionnerait des pertes qui mettraient en question leur survie. Il faudra donc instituer des conditions spéciales : du point de vue de Bruxelles, ce n'est sûrement pas mieux. Il faudra y revenir dans l'examen du texte.

Le droit local n'a pas à être sanctuarisé. Il peut évoluer. Mais là où il est parfaitement adapté au contexte moderne de bonne gestion, qu'on ne vienne pas nous dire qu'il faut le sacrifier sur l'autel de l'Europe. Je réfute l'argument européen. Sans vrai argument, sans accord local, sans analyse approfondie, il ne serait pas raisonnable d'imposer un tel changement au détour de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Yvon Montané - Les caisses d'épargne occupent une place à part dans le paysage bancaire français, ne serait-ce que par leur incontestable réussite. Elles sont le grand réseau de l'économie sociale, profondément enraciné dans la nation et la conscience collective des Français. Nous avons tous un jour confié un peu, ou beaucoup, de nos économies à ce petit carnet rouge appelé livret A, participant ainsi, parfois sans le savoir, au développement d'une économie au service de la collectivité, et par là au renforcement de la cohésion nationale.

Depuis 180 ans, les caisses d'épargne remplissent des missions d'intérêt général. Cette vocation historique a contribué au maintien de valeurs comme la solidarité et l'égalité dans un contexte d'économie de marché parfois peu enclin à les propager. Formidables acteurs de l'aménagement du territoire, notamment en milieu rural avec leurs 4 220 agences, leur objet social les charge d'assurer la promotion et la collecte de l'épargne ainsi que le développement de la prévoyance pour satisfaire les besoins collectifs et familiaux. Depuis leur création, elles ont certes évolué, comme en témoignent les réformes de 1983 et 1991, mais le législateur a toujours souhaité conserver ce statut de "banque autrement" en garantissant des objectifs d'intérêt général.

Cependant, les caisses d'épargne sont aujourd'hui à un tournant de leur histoire. La transformation du monde bancaire français et la nouvelle donne européenne imposent une évolution de leur statut et de leur rôle. Elles doivent relever de nouveaux défis : celui de l'élargissement du champ d'action des institutions financières, et celui de la concurrence entre établissements bancaires. Parce que leurs parts de marché sont parfois trop faibles, leur rentabilité limitée et leur organisation pas toujours efficiente, les caisses doivent évoluer.

Mais, si le projet de loi doit prendre en compte cette réalité nouvelle, la réforme des caisses d'épargne ne peut se faire que dans la fidélité à leurs traditions et dans le respect des principes qui les ont toujours définies. Elles doivent donc rester des banques sociales, généralistes et de proximité, ouvertes à tous. Elément essentiel de leur identité, leur but non lucratif doit être maintenu, d'autant qu'il n'empêche en rien la recherche de la productivité ; la rémunération des parts ne doit pas le faire oublier. Au service des besoins sociaux de la population : telle est la mission des caisses d'épargne d'hier et de demain.

Je me réjouis donc que le Gouvernement ait clairement refusé la banalisation du livret A, réaffirmant ainsi la primauté du rôle des caisses dans le financement du logement social, donc indirectement dans la prévention de l'exclusion -sans oublier le rôle éducatif de l'Ecureuil, qui inculque le sens de l'épargne avant le recours à la dépense, dans un monde où l'argent facile du crédit conduit aux affres du surendettement...

Les caisses d'épargne sont à même de conserver leur spécificité, en conciliant une activité commerciale plus intense et une approche sociale des différentes clientèles. Parce qu'elles sont également les financeurs de l'économie locale et sociale, les caisses n'ont rien à gagner à une course effrénée à la concurrence financière ou à la recherche dogmatique de la rentabilité. Une banque doit savoir prendre des risques, et pas seulement dans les placements boursiers. Le texte doit permettre aux caisses d'épargne de rester aussi au service des faibles revenus et des petites entreprises, à qui certaines grandes banques n'accordent que rarement leur confiance. Pour garantir ces objectifs, je souhaite notamment que le nombre de représentants du personnel et des collectivités locales dans les COS soit accru d'une ou deux personnes par catégorie. Si je souscris à l'objectif d'adapter les caisses pour qu'elles puissent mieux affronter la concurrence et assurer leur développement, je serai attentif au respect de leurs missions historiques d'intérêt général et de leur vocation sociale, afin notamment de ne pas exclure les plus démunis du système bancaire. Je souhaite que les caisses d'épargne se placent au coeur de la croissance solidaire tout en renforçant leur efficacité. A l'heure où les grands fusionnent ou absorbent les plus petits, préservons notre petit écureuil des appétits financiers, pour qu'il ne devienne pas une espèce en voie de disparition.

Un mot sur le volet du texte qui concerne la sécurité financière. Je veux dire, comme beaucoup ici, mon émotion face au corset asphyxiant que constituerait l'article 37 pour le secteur mutualiste et coopératif. Sur proposition de son rapporteur, Dominique Baert, que je remercie d'avoir su comprendre sur ce point les professionnels, la commission des finances a voté la suppression de cet article. Elle a mille fois raison ; je souhaite, Monsieur le ministre, que vous l'entendiez (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yves Cochet - Il y a trois semaines, nous débattions de l'avenir du secteur bancaire dans le contexte du libéralisme ultra-concurrentiel qu'orchestrent le FMI et l'organisation mondiale du commerce -qui annonce l'organisation commerciale du monde... La France venait de ratifier en confiance le cinquième protocole du GATT sur les services financiers. Dans tous ces domaines, la logique qui se dessine est claire : pour concurrencer les banques étasuniennes dans les pays dits émergents, la France aurait besoin de doper son propre système bancaire et d'aligner ses isolats bancaires semi-publics sur le reste du système AFB. Cette logique n'est pas la nôtre. Nous refusons que les derniers remparts contre la dérégulation planétaire -ces garde-fous coopératifs, ces missions d'intérêt général- sautent et que les banques entrent dans une logique de pure rentabilité.

Le projet de loi dote les caisses d'épargne d'un statut coopératif : pourquoi pas ? Mais à condition que les missions d'intérêt général soient élargies et garanties.

Je rêve d'une loi qui aurait comme préoccupation première de lutter contre l'exclusion bancaire. L'article 6 vient vite dissiper ce rêve : les missions d'intérêt général énoncées à l'article 1 ne seraient financées qu'en dernier, après les dividendes des sociétaires.

Nous proposons donc deux types d'amendements. Le premier tendra à enrichir les missions d'intérêt général en y incluant la protection de l'environnement et le développement du territoire. Le second inversera le dispositif de l'article 6, pour que les missions d'intérêt général soient abondées en priorité. Nous nous intéresserons autant à la sécurité de leur financement qu'à celle des opérations de banque, ce qui ne nous empêche pas d'approuver le deuxième volet du projet de loi, fort nécessaire en ces temps de spéculation acharnée. Dans la même optique, nous proposons d'adjoindre au conseil d'administration des membres élus par les associations agréées relevant de l'économie locale et sociale mais aussi d'autres domaines que nous proposerons par amendement.

Enfin, nous souhaitons voir conditionnés, à l'article 10, les services d'investissement à un principe de solidarité territoriale entre les caisses affiliées, selon une péréquation solidaire dont la Caisse nationale devra être garante.

Il est important de lier la rentabilité des caisses et leurs missions d'intérêt général et de développement local. Les garanties sont absentes du texte gouvernemental. Les députés verts ne le voteraient donc pas en l'état, mais nous espérons tous que la discussion des articles permettra de l'améliorer.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Les interventions ont été nombreuses et nourries. M. Douyère a d'abord rappelé les raisons du choix d'un statut coopératif, et présenté les amendements de la commission. Son intervention sur l'importance du capital social a été beaucoup reprise. Le chiffre de 18,8 milliards est basé sur les dotations actuelles. Il est le plus incontestable parce qu'il a été calculé de façon arithmétique. Il mène à un capital sur fonds propres de l'ordre de 35 %, à comparer aux 37 % des banques populaires et 41 % du Crédit mutuel, même s'il n'est que de 22 % pour le Crédit agricole. Ce chiffre est donc dans la fourchette des autres structures et il n'y a pas de raison de le changer. Le rapporteur a évoqué la forfaitisation des versements au fonds de réserve. Je peux donner dès maintenant mon accord pour cette procédure. Il a aussi abordé les groupements locaux d'épargne, les GLE qui déplaisent tant à M. Jegou -encore que ce qu'il propose ressemble à des super-GLE ! L'objectif est de créer le sociétariat et de l'arrimer le plus près possible des épargnants. Selon que l'on pense que le niveau d'intervention le plus efficace est local ou régional, on optera pour les GLE ou pour les GREP de M. Jegou. M. Baert m'a interrogé sur le Crédit foncier. Le Gouvernement a commis l'erreur de poursuivre la procédure engagée par son prédécesseur. Elle ne nous a conduits à rien. Nous nous sommes donc orientés vers une restructuration du bilan, avec l'objectif d'une présentation beaucoup plus lisible et d'un adossement qui convienne mieux à tous.

La procédure sera transparente et basée sur un cahier des charges qui imposera l'établissement d'un lien particulier entre le Crédit foncier et sa future filiale société de Crédit foncier. Une convention de gestion sera établie en ce sens.

Le rapporteur a évoqué les obligations foncières, qui seraient contradictoires avec les procédures d'utilisation. Il s'agit de deux procédures complémentaires, deux instruments que les banques utiliseront selon qu'elles veulent être hors-bilan ou non. Ces outils permettront à la place de Paris de constituer un grand marché immobilier et de faire face aux banques allemandes après la mise en place de l'euro. L'objectif est, bien sûr, la baisse des coûts de refinancement.

Sur la CIF, on sait que sa mise en place contrebalançait une réforme de la taxe professionnelle qui donnait un avantage particulier -et non voulu- au système bancaire. Cette raison première n'a pas disparu. Il n'y a donc pas de raison de faire disparaître la CIF à court terme, même s'il faudra par la suite le faire pour des raisons d'harmonisation européenne : une première étape sera franchie avec la déductibilité de la cotisation aux fonds de garantie.

S'agissant de leur cadrage financier, ces fonds doivent représenter 0,2 % des dépôts pour les banques, soit environ 10 milliards de francs, et 0,05 % des provisions pour les compagnies d'assurance, soit environ 1,6 milliard. Ce décalage vient du fait qu'il y a beaucoup plus de sinistres bancaires que d'assurance, et surtout de ce que les contraintes de liquidité sont beaucoup moins fortes en matière bancaire. Mais ces chiffres pourront évoluer.

Enfin, l'article 37 a causé beaucoup d'émoi, souvent spontané. (Sourires)

Son objectif est simple : permettre la juste rémunération du coopérateur, posée en nécessité par le colloque de l'Union coopérative internationale de 1995. Le plafond fixé à 4,6 % par la loi de 1992 parait quelque peu limitatif. Cela me parait devoir faire l'objet d'un accord. Mais peut-être l'article 37 peut-il être lu autrement. Je demanderai donc le retrait de cet article et un amendement spécifique pour assurer la rémunération des coopérateurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Intervenant avant la discussion générale, M. Gantier a reproché à ce projet de loi d'être hétéroclite. Ce n'est pas mon sentiment.

En tout cas, si l'on trouve que le projet traite de trop de sujets quand il en traite deux, il est étonnant de consacrer une large part de son intervention à un troisième, à savoir la rémunération du livret A.

Par ailleurs, M. Gantier trouve le statut coopératif "dérogatoire". Je m'inscris en faux contre un tel jugement car les coopératives bancaires détiennent en Europe 17 % du marché et, si l'on y ajoute les caisses d'épargne, on arrive à 50 % des dépôts. En choisissant ce statut, le Gouvernement opte donc pour une formule largement répandue en Europe.

Au total, M. Gantier nous reproche surtout de ne pas libéraliser assez. Il est vrai que notre objectif n'est pas de libéraliser mais de permettre aux caisses d'épargne de se développer et de s'adapter à un environnement qui change très vite. Je prends donc sa critique pour un compliment. Elle est en tout cas une preuve de plus que ce à quoi nous procédons n'est pas une privatisation. Si c'en était une, nous aurions le soutien enthousiaste du groupe DL et peut-être aussi celui du RPR, ce qui n'est pas le cas.

Quant aux 5 milliards qui servent à rembourser le prêt de 3 milliards effectué en 1983, ils sont calculés d'une manière dont on peut trouver qu'elle comporte une part d'arbitraire...

M. Jean-Jacques Jegou - On ne vous chicanera pas là-dessus.

M. le Ministre - ...mais ils ont été votés dans la loi de finances pour 1999. Ce n'est pas l'objet du présent projet. Le calcul de M. Gantier était donc un peu rapide et un peu faux.

Mme Robin-Rodrigo a mis l'accent avec raison sur la solidarité mais je ne partage pas pour autant la conclusion qu'elle en tirait, à savoir en rester pour chaque part de groupement local d'épargne à 10 %. Mais un amendement permettra d'avoir une discussion plus fine à ce sujet. L'important est que le principe de la coopération soit respecté : un homme, une voix, c'est-à-dire qu'un groupement local d'épargne de 2 000 sociétaires aura le même nombre de voix qu'un de 100 000 sociétaires.

M. Laffineur a bien voulu reconnaître que la réforme était nécessaire, je l'en remercie même s'il déplore ensuite que nous ne banalisions pas davantage.

Il voudrait d'autre part que l'on fasse disparaître toutes les impositions qui pèsent lourdement sur les banques. Mais je rappelle que la taxe sur les salaires touche bien d'autres acteurs que les banques. Le sujet n'a donc pas à être traité à l'occasion d'une réforme des caisses d'épargne. Quant à la contribution des institutions financières, elle n'est pas sortie toute armée des urnes de juin 1997 et il était loisible aux précédents gouvernements de la faire baisser. Je suis flatté que vous me demandiez d'être plus vertueux qu'eux mais il y a des limites à la vertu.

Une part de cet hémicycle, notamment le groupe DL, va sans doute voter contre cette réforme parce qu'elle ne constitue pas une libéralisation suffisante. Certains auraient ainsi voulu que l'on opte pour un statut de société anonyme. Si nous l'avions fait, cette SA fût-elle publique, nous n'aurions nullement garanti les caisses d'épargne contre une éventuelle privatisation.

M. Jean-Louis Dumont - ...ni contre un prédateur !

M. le Ministre - Or un jour peut-être, l'alternance jouera.

M. Germain Gengenwin - Sans doute pas avant le prochain millénaire ! (Rires)

M. le Ministre - Le statut coopératif que nous leur conférons aujourd'hui éloignera, grâce à la large diffusion des parts de coopérateurs, le spectre d'une privatisation tout en leur permettant de se lancer dans le grand bain de la mondialisation. Je suis donc convaincu qu'avec ce statut, nous avons trouvé un juste équilibre.

Et M. Balligand a fort bien expliqué qu'il protège aussi les caisses contre les OPA. Il a ensuite parlé des obligations foncières. De fait, l'objectif est bien celui qu'il a dit : développer sur la place de Paris un marché des titres sécurisé. Mais donner aux sociétés de crédit foncier la possibilité de racheter les titres sans les annuler pose quelques problèmes techniques. Il y a en effet des risques de manipulations de cours et de gonflage des bilans. En l'état, le projet donne la possibilité de gérer les risques de remboursements anticipés. D'autres solutions sont possibles, mais elles doivent être envisagées avec beaucoup de précaution, nous y reviendrons.

M. Cabal, avec sa verve habituelle, a qualifié l'ambiance entourant ce débat de délétère. Croyez-moi, j'en ai connu de plus durs et le terme me paraît donc un peu excessif. Peut-être songeait-il plutôt aux manifestants ; ils sont pourtant moins nombreux dans les rues que ne l'étaient en décembre 1995 les opposants aux projets concernant la SNCF.

Pour ma part, je trouve que le débat se déroule dans de bonnes conditions et constate même que nos arguments font leur chemin. Vous-même avez bien voulu considérer le statut coopératif comme "le moins inapproprié". Quant aux salariés des caisses, ils ne sont aujourd'hui que 9 % à faire grève, alors qu'ils étaient 21 % le 2 mars dernier, 33 % en décembre 1998 et 46 % en janvier de la même année. Je ne conclus pas à une démobilisation mais bien aux progrès dans les esprits des idées que nous défendons. Cette décrue tient aussi au fait que nous avons peu à peu amélioré le texte.

M. Vila a dit sa crainte que les caisses d'épargne se lancent dans une recherche systématique de la rentabilité. Mais je pense qu'il n'a rien contre la rentabilité si celle-ci sert à soutenir des projets sociaux locaux, à améliorer les réserves, à rémunérer correctement les sociétaires...

Il s'interroge sur l'affectation des capitaux dégagés par la transformation en coopératives au fonds de réserve des retraites, tandis que d'autres orateurs trouvent que 18 milliards ne représentent qu'une goutte d'eau. Sans doute, mais les verres se remplissent par gouttes d'eau successives, 18 milliards aujourd'hui, d'autres demain si nous avons des excédents sur le FNV... On peut ainsi arriver vers 2010 à un fonds qui comptera plusieurs dizaines de milliards, ce qui ne suffira pas à régler les problèmes de la retraite par répartition mais ce qui pourra contribuer à leur équilibre et éviter des hausses de cotisations.

M. Vila a évoqué la nécessité de renforcer les groupements locaux d'épargne, de rendre leur fonctionnement plus démocratique, de leur permettre de peser sur les stratégies. Je suis d'accord. On ne peut pas à la fois dire qu'il faut réformer le réseau des caisses d'épargne parce qu'elles sont plongées dans un contexte de mondialisation financière et ne pas s'interroger sur la façon de réguler cet environnement international. Le lien que vous établissez entre les deux est tout à fait pertinent. C'est pourquoi le statut coopératif est de nature à mettre à l'abri les caisses d'épargne de mouvements néfastes comme les gigantesques OPA ou les formidables regroupements dont nous avons vu bien des exemples.

Je vous remercie, Monsieur Jegou, du ton modéré de votre intervention. Si l'article premier traitait l'exclusion au sens large, vous auriez raison de dire qu'il ne s'agit pas d'un objet bancaire. Mais il s'agit ici de la lutte contre l'exclusion bancaire, c'est-à-dire du droit au compte, déjà largement mis en oeuvre par la loi sur l'exclusion. Il y a donc en plus un effet de répétition, qui n'est pas très gênant. Favoriser l'accès de chacun à un compte bancaire est tout-à-fait conforme à l'esprit de la structure coopérative.

Aux groupements locaux d'épargne, vous préférez les groupements régionaux. On peut en débattre longtemps. Ou la structure régionale que vous proposez fonctionne comme les groupements locaux, et autant alors demeurer au niveau local ; ou le groupement régional est directement branché sur la caisse d'épargne, et il est alors voué à disparaître, après avoir distribué les parts aux sociétaires, si bien qu'il n'existe plus de structure intermédiaire destinée à animer le sociétariat, ce qui serait regrettable. Les groupements locaux, avez-vous dit, n'existent nulle part ailleurs. Ce n'est pas exact : les caisses locales du Crédit agricole sont leurs correspondants exacts.

Sur le problème des versements, l'amendement de M. Douyère sur la forfaitisation vous donnera satisfaction.

Oui, le statut coopératif permettra des alliances avec des coopérateurs européens. L'agrément des dirigeants est la contrepartie de cet instrument particulier qu'est le Livret A.

Sur le droit d'alerte des fonds de garantie, nous pourrons vous donner satisfaction. Monsieur Proriol, vous avez développé un exemple auvergnat destiné à montrer qu'il faudrait plus de sociétaires qu'il n'y a d'Auvergnats. Faites-vous allusion à la réticence que pourraient éprouver les Auvergnats à dépenser un peu d'argent pour devenir sociétaires, ce qui renverrait à une longue tradition ?

Pour le reste, pourquoi n'aurait-on qu'une seule part ? Les quelques centaines de milliers de personnes que vous évoquez devraient donc suffire pour capter l'ensemble du sociétariat de la caisse d'épargne d'Auvergne.

M. Jean Proriol - L'avenir le dira !

M. le Ministre - J'ai confiance. La fédération représentera le réseau, et un amendement du rapporteur tend à en augmenter un peu le pouvoir.

Je remercie M. Rodet de son approbation générale. Il a posé le problème du financement du logement social et de la rémunération de son épargne. J'ai été surpris de constater que le désir de financer à bon compte le logement social conduit des parlementaires à prendre la responsabilité de proposer des baisses de taux du livret A.

Monsieur Deniaud, 18 milliards vous paraissent trop élevés, et 4 ans trop courts. Quel montant pensez-vous que le réseau soit capable de placer en 4 ans ?

M. Yves Deniaud - 12 milliards !

M. le Ministre - Parfait ! Les 18 milliards se décomposent en 13 milliards, à placer, et 5 milliards qui iront aux institutionnels. De 12 à 13 milliards, il n'y a guère de différence. Nous réussirons donc.

Monsieur Brard, je ne débattrai pas avec vous de l'Immaculée Conception, vous êtes beaucoup plus compétent que moi sur ce sujet !

Nous allons reparler à l'article 1er des missions d'intérêt général. Que les caisses d'épargne deviennent un élément central du pôle public à condition de conclure des partenariats nombreux, telle est bien notre intention.

S'agissant du Crédit foncier, le Gouvernement ne choisit pas comment aura lieu l'adossement. Des candidats doivent se déclarer. Les caisses d'épargne pourraient être intéressées, parait-il. Le Gouvernement ne verrait aucun inconvénient à ce que le Crédit foncier se loge en leur sein.

La question de la part gratuite est très compliquée. Vous souhaitez qu'elle ne porte pas rémunération. Elle ne serait donc pas cessible, et ne servirait ainsi qu'à procurer un droit de vote. Peut-on disposer d'un droit de vote seulement parce que l'on est déposant, alors que les caisses d'épargne appartiennent à la nation ? Il y a là un risque constitutionnel de rupture d'égalité.

M. Gengenwin a qualifié les GLE de coquilles vides ; ils ne le sont pourtant pas davantage que les caisses locales de crédit agricole ! Quant au cas d'Alsace-Moselle, il pose un double problème : celui de la liberté d'emploi et celui du rendement. Le second peut être résolu en relevant le taux de commissionnement versé par la Caisse des dépôts et en instituant des procédures de prêt à taux adapté. La liberté, en revanche, n'a pas de prix, et c'est pourquoi je ne propose pas de la compenser... (Sourires) J'appelle l'attention de chacun, en tout cas, sur le fait qu'inscrire dans la loi une particularité géographique serait ouvrir la boîte de Pandore, avec toutes les conséquences fâcheuses qui pourraient s'ensuivre.

Le fonds de garantie des retraites sera géré, ainsi que le Parlement en a décidé, par le FSV, et je ne crois donc pas qu'il y ait lieu de s'inquiéter du caractère excessivement risqué des placements que choisira cet organisme. Quant à la sécurité générale des placements, je suis convaincu, et les banques mutualistes avec moi, que la création d'une "maison commune" suppose celle d'un fonds couvrant l'ensemble, étant entendu que le "chapeau" évitera naturellement aux banques mutualistes de payer deux fois.

Je remercie M. Inchauspé d'avoir bien voulu saluer la volonté de réforme du Gouvernement et d'avoir fait des observations utiles sur les ratios prudentiels et sur les titres subordonnés. Je suis d'accord avec lui sur la nécessité de tenir compte de tous les éléments de fragilité du système. Quant aux amendements relatifs aux sinistres sur constructions individuelles, je suis prêt à les examiner favorablement, sous réserve de quelques modifications de forme.

Je tiens à rassurer M. Dumont sur l'intangibilité des réserves, qui doit demeurer l'un des principes fondamentaux de la coopération. Seule la maladresse du Gouvernement est à l'origine de l'interprétation erronée faite de l'article 37 ; nous accepterons d'en tirer les conséquences.

Je ne puis suivre M. Loos, par contre, lorsqu'il semble considérer que le fonds de garantie des retraites ne relève pas de l'intérêt général : je crois au contraire que peu de missions correspondent autant à cette définition, et certainement pas le financement du TGV, qui est évidemment d'intérêt public, mais local.

M. Montané a raison de vouloir que les caisses d'épargne demeurent des banques sociales. Je ne suis pas persuadé, en revanche, qu'il soit opportun de relever la participation des collectivités locales et celle des salariés au sein des COS, car la composition de ceux-ci est déjà fortement dérogatoire par rapport au statut normal des coopératives, dont les organes dirigeants sont exclusivement composés de sociétaires.

M. Cochet, enfin, nous a dit rêver d'une loi contre l'exclusion bancaire : lui rappellerai-je qu'il l'a votée voici un peu moins d'un an ? Il a également proposé d'inscrire le développement durable parmi les missions d'intérêt général ; si l'Assemblée en est d'accord, je ne m'y opposerai pas, bien que cela risque d'allonger quelque peu l'inventaire... Pour ce qui est de la répartition des résultats, chacun paraît d'accord pour en affecter le tiers aux réserves, et nous aurons à trouver ensemble, à l'article 6, le meilleur équilibre entre les sociétaires et les projets locaux et sociaux.

Ma conclusion générale sera la suivante : s'il s'agit de dire que le projet n'est pas satisfaisant parce qu'il ne banalise pas assez le statut des caisses d'épargne, nous ne pourrons tomber d'accord, mais s'il s'agit de reconnaître que la voie choisie est, sinon la bonne, en tout cas la moins mauvaise, le Gouvernement est disposé à examiner avec bienveillance tout amendement qui permette à la fois, comme le souhaitent la majorité et, m'a-t-il semblé, une partie de l'opposition, de faire des caisses d'épargne un des grands réseaux de financement de l'économie décentralisée tout en leur conservant leur caractère spécifique. Sur le volet relatif à la sécurité financière, les critiques, essentiellement techniques, que j'ai entendues devraient aboutir à améliorer un dispositif qui ne paraît pas soulever d'opposition majeure. J'ai bon espoir que nous parvenions à une rédaction qui nous permette de nous retrouver au moment du vote final (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 4 du Règlement, j'appelle la discussion des articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. Christian Cabal - Cet article nous confronte, d'emblée, à l'une des difficultés centrales du texte. Les missions statutaires réaffirmées ici, et qui découlent du caractère non lucratif des caisses d'épargne, seront difficiles à concilier avec une rémunération raisonnablement attractive des parts sociales. Selon un sondage effectué par le CENCEPS, il ne semble pas que les déposants soient aussi empressés de souscrire que ne l'escompte le Gouvernement.

La nécessité d'un niveau élevé de rémunération et de mener les missions d'intérêt général pèsera donc lourdement sur les caisses -et l'on ne peut que craindre des difficultés pires encore avec la proposition de M. Cochet de renverser les ratios et les rapports- qui seront obligées pour réduire les coûts de diminuer le nombre d'agents, au détriment du maillage des campagnes et des quartiers à faible densité de population qui est pourtant leur principale vocation sociale.

Nombre de nos collègues souhaitent en outre que l'engagement financier soit le plus élevé possible, le ratio plafond prévu dans le texte risque fort de devenir un plancher.

Cet article est sans doute empreint d'intentions altruistes mais à trop vouloir prouver on risque d'aboutir à l'opposé des objectifs poursuivis.

M. Jean Vila - Les caisses d'épargne, c'est 28 millions de clients, le deuxième réseau collecteur d'épargne -1 410 milliards gérés fin 1997 dont 940 milliards de dépôts-, 39 200 salariés, 4 220 agences. La réforme revêt donc un enjeu politique et économique considérable.

L'article premier du projet affirme que les caisses remplissent des missions d'intérêt général et participent à la mise en oeuvre des principes de solidarité et de lutte contre les exclusions.

Nous proposerons par nos amendements de préciser ce qu'on entend par missions d'intérêt général, mais de façon plus générale, ces missions ne sont-elles pas en contradiction avec la sortie des caisses d'épargne du secteur non lucratif ?

Comment les caisses, qui devront reverser 30 % des bénéfices nets du groupe aux sociétaires, 18 milliards au fonds de garantie, et céder 5 milliards à l'Etat, en plus de la vente pour 13 milliards de parts sociales aux sociétaires, pourront-elles assurer en outre de telles missions ?

Comment conserveront-elles, en intégrant de fait le système bancaire commercial, leurs missions spécifiques d'investissement social, notamment en faveur du logement, et d'épargne populaire ? Comment pourront-elles en même temps assurer la rémunération des livrets A à un taux attractif pour les petits épargnants, des prêts attractifs aux organismes HLM et répondre à la volonté des sociétaires de voir la rentabilité accrue ?

Nous aimerions être rassurés.

M. le Président - Je considère que vous avez défendu l'amendement 259.

M. Douyère, rapporteur de la commission des finances pour la réforme des caisses d'épargne - L'énumération proposée par nos collègues communistes n'est guère conforme à l'esprit du texte car elle limiterait les missions d'intérêt général visées à cet article tels l'affectation du produit de cession des parts sociales au fonds de solidarité retraite, le financement du logement social par la collecte des fonds de livrets A, le droit au chéquier et à l'accueil au guichet, en complément du droit au compte, pour les plus humbles.

Monsieur Cabal, nous n'inventons rien, nous nous contentons de mettre en pratique la loi de 1997 qui prévoit qu'après rémunération des sociétaires et mise en réserve, le surplus peut être attribué à d'autres coopératives ou dévolu à des services supplémentaires comme des actions d'intérêt général. Des modalités particulières comme celles prévues à l'article 6 sont également prévues par la loi de 1947.

Ne pourrions-nous, Monsieur le Président, mettre en discussion commune les amendements dont l'objet est identique mais qui portent sur les deux alinéas de l'article, ce qui me permettrait ensuite de proposer une rédaction donnant satisfaction à tous ?

M. le Président - Cela semble difficile car, sur un sujet aussi technique, ce pourrait être une source de confusion.

M. le Ministre - Afin de mettre en évidence les spécificités des caisses d'épargne, l'amendement 259 détaille un certain nombre de missions mais de façon générale. Je souhaiterais donc qu'il soit retiré au profit de l'amendement 266, également du groupe communiste, qui est plus précis et auquel je donnerai un avis favorable.

M. Jean Vila - D'accord. Je retire l'amendement 259.

M. Jean-Jacques Jegou - M. le ministre a par avance indiqué que mon amendement 131 précisait les missions d'intérêt général et la lutte contre les exclusions.

J'étais pour ma part opposé à l'amendement qui vient d'être retiré. J'ai parfois l'impression que nos collègues communistes ne vivent pas sur la même planète.

M. Jean-Pierre Brard - Que vous, c'est sûr.

M. Jean-Jacques Jegou - M. Brard, en particulier, qui joue souvent les redresseurs de tort et qui, au Conseil de surveillance de la Caisse des dépôts, tempête souvent contre l'impossibilité de construire des logements sociaux en raison de taux trop élevés, souhaite ici que les taux des livrets A servis aux sociétaires soient plus hauts... Bien sûr, les Français veulent des bas taux quand ils empruntent et des hauts taux quand ils placent, mais c'est vraiment une politique de gribouille !

Pour nous, qui avons une conception très coopérative des caisses d'épargne, elles ne sauraient surfer sur de telles contradictions.

Certains, y compris au sein du groupe socialiste, parlent de banque à but non lucratif. Ce qui est certain, c'est que les résultats des caisses sont insuffisants, qu'il faut améliorer leur gestion et que nous les dotons du statut nécessaire pour cela. Les bénéfices ainsi dégagés seront affectés pour un tiers aux réserves, pour un tiers aux sociétaires, pour un tiers à des projets d'intérêt général. Nous devons en rester là. C'est pourquoi je propose par l'amendement 131 de supprimer la deuxième phrase du premier alinéa. Mais pour vous montrer, Monsieur le ministre, que je vous ai compris, je suis prêt à le retirer si on précise la nature de l'exclusion en ajoutant l'adjectif "bancaire". En ce cas, je serais d'accord.

M. Raymond Douyère, rapporteur - Défavorable au 131.

M. le Ministre - J'ai fait référence à l'amendement 266 de MM. Brard et Vila, qui mentionne "la lutte contre l'exclusion bancaire et financière", et auquel le Gouvernement est favorable. Il donne satisfaction à M. Jegou, qui pourrait retirer le 131.

M. Jean-Jacques Jégou - Je me tourne vers mon collègue Balligand : accepte-t-il de sous-amender son amendement 283 pour mentionner les exclusions "bancaires et financières" ?

M. le Président - Nous entrons dans un cycle dangereux d'échanges de bons procédés, qui risque de rendre la discussion difficile à conduire. Pour l'instant les amendements sont ce qu'ils sont.

M. le Ministre - Je crois pouvoir proposer une solution : M. Jégou estime que l'amendement Balligand serait bon s'il disait "bancaires et financières". M. Balligand se dit satisfait par l'amendement de M. Vila ; et ce dernier mentionne les exclusions "bancaires et financières". Il me semble que des individus normalement constitués devraient venir à bout de ce problème et que vous pourriez voter le 266 qui réunit les préoccupations de tous.

M. Jean-Jacques Jégou - Je retire le 131.

M. Jean-Pierre Balligand - Je me rallie au compromis que propose le ministre, et à l'amendement de MM. Vila et Brard.

M. le Président - Lequel n'est pas un simple prolongement du vôtre, mais contient encore d'autres choses. Les approuvez-vous ? (Assentiment de M. Jean-Pierre Balligand)

Les amendements 131 et 283 sont retirés.

M. Jean-Pierre Brard - Je suis sensible à l'oecuménisme de M. le ministre, qui a conduit M. Jégou à avaler son chapeau (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Notre collègue, patelin comme il sait l'être, n'en a pas moins proposé de supprimer du texte un élément très important, mais il ne peut l'assumer (Murmures sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Notre amendement 266 est infiniment meilleur, car il va à l'encontre du sien...

M. le Président - Peut-être n'est-il pas utile de mettre en cause la bonne volonté des uns ou des autres.

M. Jean-Pierre Brard - Je défends mon amendement, qui est convergent avec celui de M. Balligand, mais va plus loin en évoquant des missions complémentaires. Par là il pourrait même permettre de répondre, dans la durée, à la question du taux, car nous n'en restons pas exclusivement au logement social : nous fixons d'autres missions, qui permettront peut-être d'imaginer une rémunération convenable pour le livret A. M. Jégou trouve qu'il est trop rémunéré, mais je ne l'ai pas entendu s'indigner sur les plus-values boursières, qui ont atteint 31,5 %...

M. Jean-Jacques Jégou - Je sens qu'il va être question de Liliane Bettencourt... (Sourires)

M. Jean-Pierre Brard - Il est frappant de voir quels démons hantent les nuits de M. Jégou, et comment il finit par évoquer ceux dont il est chargé de défendre ici les intérêts... (Murmures divers)

Notre amendement est simple, mais précis : il renvoie au développement local, à la lutte contre l'exclusion bancaire et financière, et il élargit les missions d'intérêt général jusqu'aux questions environnementales.

M. Raymond Douyère, rapporteur - Je suis personnellement favorable à la rédaction du 266, qui résume la plus grande partie des activités d'intérêt général des caisses d'épargne. Il mentionne successivement la protection de l'épargne populaire, le financement du logement social -et sur ce point j'avais proposé un amendement 15 pour écrire, non pas "au financement du logement social", mais "à la collecte des fonds destinés au financement du logement social". En effet, les caisses d'épargne ne participent pas directement au financement, mais à travers la centralisation qu'opère la Caisse des dépôts. J'ai déposé un sous-amendement 312 qui reprend cet amendement 15 en tant que sous-amendement à l'amendement 266. Pour revenir à ce dernier, il mentionne ensuite le développement local et régional, et la lutte contre l'exclusion bancaire et financière. Sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement 312, j'y suis favorable.

M. le Ministre - Favorable au sous-amendement 312.

Le sous-amendement 312, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 266 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Pierre Brard - L'amendement 267 réaffirme le maintien de la spécificité du livret A, ce qui n'est pas superflu si j'en juge par ce qu'on entend ici ou là.

M. le Président - Cet amendement tombe en raison de l'adoption du précédent.

M. Raymond Douyère, rapporteur - L'amendement 169 récrit ainsi, après le mot "projets", la fin du dernier alinéa : "contribuant à la protection de l'environnement et au développement durable du territoire et pour celui de projets d'économie locale et sociale". M. Cochet a un amendement 202 très voisin, quoique le mien soit plus complet : je lui propose d'en être cosignataire.

M. Yves Cochet - Au lien de mentionner les projets d'économie locale et sociale et la protection de l'environnement, on les mentionne dans l'ordre inverse. La copule "et" étant commutative, cela revient au même du point de vue logique. En commission M. le rapporteur avait soutenu que le concept d'économie locale et sociale incluait la protection de l'environnement et le développement durable. Je ne le crois pas : il suffit de considérer ce que les caisses d'épargne ont fait à ce jour pour l'environnement, c'est-à-dire rien... Je suis d'accord pour retirer l'amendement 202 et pour cosigner le 169.

M. le Ministre - Favorable.

L'amendement 202 est retiré.

L'amendement 169, mis aux voix, est adopté.

L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 2

M. Jean-Jacques Jegou - La structure du projet m'impose d'aborder ici le problème des GLE, et notre proposition alternative de GREP.

Le problème fondamental de cette réforme est la façon dont les caisses d'épargne vont passer au statut coopératif. Or vous avez mis en place un système qui n'était nullement indispensable : les caisses d'épargne auraient pu vendre elles-mêmes leurs parts sociales. Votre système est une usine à gaz. Les GLE, ces groupements, sortes d'excroissances des caisses régionales, n'ont pas d'existence réelle. Ils acquièrent le capital des caisses d'épargne au moyen d'un prêt sans intérêt consenti par ces caisses, et le vendent sous forme de parts de GLE, lesquelles ne sont pas des parts de caisses d'épargne. Les GLE sont les seuls sociétaires des caisses régionales, ce qui est tout à fait contraire au droit coopératif, les GLE n'ont pas vocation à courir au service de la caisse ! Vous faites donc entrer les caisses d'épargne dans le statut coopératif en détournant la loi de 1947.

La répartition des dividendes va créer une inégalité de fait entre les coopérateurs qui, clients de la même caisse régionale, ne dépendront pas du même GLE et connaîtront donc des rémunérations différentes. Les participations croisées étant interdites, rien ne viendra corriger ce défaut. La question de l'information publique parait encore plus grave : les GLE, n'ayant pas d'existence propre, ne pourront pas la délivrer. Les GREP proposés par l'UDF font disparaître le problème d'inégalité et diminuent les coûts de gestion. Le prêt sans intérêt de la caisse d'épargne sera le même que pour les GLE. La différence fondamentale est que les sociétaires seront véritablement détenteurs des parts de caisse d'épargne.

Les GREP, prestataires de services d'investissement, seront inscrits au registre du commerce et des sociétés mais ne feront pas d'opération de banque. Ils perdureront après la réforme, puisqu'ils seront chargés de gérer les entrées et les sorties et les souscriptions en cas d'augmentation du capital. Ils seront divisés en sections locales. Je pense sincèrement que les GREP, sans changer l'économie générale du projet, constituent un système plus simple, plus efficace et moins coûteux.

M. Yves Deniaud - La différence d'appellation entre les deux amendements n'a aucune importance. Vous avez parlé, Monsieur le ministre, d'une tradition de caisse locale en parlant du Crédit agricole. Mais les caisses d'épargne sont sorties de cette tradition. Il y a eu regroupement et les clients sont maintenant habitués à des caisses régionales. Il leur est donc plus simple de devenir sociétaire directement de leur caisse plutôt que d'un GLE qui en détiendra des parts, et qui délivrera des rémunérations différentes suivant les villes...

Cette demande de bon sens est celle du réseau. Quand une entreprise, quelle qu'elle soit, bâtit un projet, soit ses techniciens le conçoivent à leur façon et chargent les commerciaux de le vendre, soit c'est le réseau qui leur explique ce qu'attendent les clients. C'est toujours la deuxième solution qui réussit ! Il faut donc écouter le réseau. L'opération de placement ne sera pas facile. Nous mettons donc toutes les chances de notre côté pour la rendre la plus facile possible.

M. Raymond Douyère, rapporteur - Nous cherchons tous à ce que le statut coopératif mène à la création rapide du sociétariat et conserve la culture de proximité. Les GLE, les plus proches de la division actuelle du réseau commercial, permettront cette proximité. Ce seront des sociétés coopératives, puisqu'il est nécessaire d'avoir une personnalité morale pour détenir les parts des caisses d'épargne. Vous ne proposez pas une détention directe des parts sociales ! Vous serez bien obligés d'avoir une personnalité morale à laquelle la caisse d'épargne accordera un prêt sans intérêt, remboursé au fur et à mesure du placement des parts sociales. Les GREP assureront aussi, comme les GLE, la gestion des entrées et des sorties et ils conserveront les sections d'animation locale ! Quant à l'objection sur les rémunérations, elle ne tient pas. C'est bien l'assemblée générale de la caisse d'épargne qui déterminera la rémunération des parts sociales, qui sera la même pour l'ensemble des GLE.

Enfin, vous parlez de coquille vide... Je ne pense pas que l'animation du sociétariat soit de si peu d'importance. En outre, ainsi que l'a dit M. le ministre, la même disposition existe pour d'autres systèmes coopératifs, comme le Crédit agricole.

M. le Ministre - Je comprends la préoccupation exprimée par ces amendements. Il faut d'abord faire tomber les faux débats, comme celui sur la rémunération. Sur le réseau, il est vrai qu'il faut l'écouter. On a pu dire qu'il critiquait fortement le système local et soutenait le système régional. A vrai dire, c'était la position de l'ancienne direction, mais la nouvelle paraît se satisfaire très bien des groupements locaux, sous réserve d'amendements que nous présenterons.

La question majeure est celle de la proximité. Si je vois bien la simplification apportée par le système régional, elle se pense par une plus grande distance par rapport au sociétariat. Il me semble que c'est la proximité qui doit être privilégiée, et donc les GLE. Reste un argument imparable de M. Jegou : "GLE", ce n'est vraiment pas beau. Je propose que la discussion à venir supprime ce dernier handicap.

M. Jean-Pierre Brard - Nous sommes opposés à ces amendements pour des raisons différentes. M. Deniaud nous dit d'écouter le réseau. Ce n'est pas rassurant du tout ! Il ne fonctionne pas avec grande transparence et l'on connait des responsables de réseau qui rêvent de ressembler à un patron de banque AFB !

M. Jegou justifie son amendement par la diminution des coûts de fonctionnement. Ce n'est pas du tout notre problème. Nous nous opposons à cet amendement pour les raisons qui fondent notre soutien à ceux à l'article 3 : l'intérêt des GLE est d'être proches de la réalité et d'avoir des "sociétaires citoyens". Plus l'assise territoriale est large, plus les discussions sont formelles et les sociétaires passifs. Or, si on veut pérenniser les caisses d'épargne, il faut inscrire dans la loi les conditions de fonctionnement démocratique que votre amendement obère.

Il faut que les sociétaires puissent participer aux choix, et ce au plus près du terrain. Cette démarche citoyenne n'a rien à voir avec de l'animation commerciale.

M. Jean-Jacques Jegou - Je ne peux laisser dire que les GLE et les GREP, c'est pareil. En effet, les GREP peuvent vendre des parts sociales, quoi qu'en dise M. Douyère, tandis que les GLE ne vendent que des parts de GLE. Et je vois mal des investisseurs étrangers -caisses d'épargne allemandes, italiennes, espagnoles ou portugaises- solliciter des parts de GLE ! Il faudrait déjà pouvoir leur expliquer ce à quoi elles donnent droit. Monsieur le ministre, je vous en prie, simplifiez !

Ce que nous proposons a précisément l'avantage de la simplicité et ne présente aucun inconvénient juridique ni politique. Ne le refusez pas simplement parce que la proposition émane d'un groupe de l'opposition ! Nous cherchons simplement à améliorer la vente des parts.

M. Jean-Pierre Brard - C'est de l'épicerie, pas de la démocratisation !

L'amendement 209 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 132, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. Jean Vila - Nous sommes très attachés à la spécificité des caisses d'épargne, qui sont des établissements à but non lucratif. En les transformant en établissements coopératifs, dotés d'un capital, de parts sociales et de certificats d'investissement rémunérés, cet article les inscrit dans le système bancaire commercial.

La disparition du statut à but non lucratif et la pression des sociétaires imposeront des critères de rentabilité financière immédiate, qui ne favoriseront ni les investissements productifs ni l'emploi.

Cette évolution favorisera des alliances, voire un regroupement avec d'autres organismes financiers, alors que les caisses d'épargne pourraient avoir un rôle moteur dans la constitution d'un grand pôle public et social, qui pourrait notamment lutter contre l'exclusion bancaire.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons approuver la remise en cause du statut spécifique des caisses d'épargne. Mais nous sommes d'accord pour le moderniser, de façon à répondre mieux aux besoins des petits épargnants et à la nécessité de nouveaux investissements sociaux et productifs. Tel sera le sens des amendements que nous défendrons.

M. Jean-Pierre Brard - Il est insupportable de voir quelques grands noms du secteur mutualiste bafouer la loi de 1947 pour privilégier la rentabilité à tout prix, au mépris du statut coopératif pour lequel ils avaient naguère opté. Les exemples ne manquent pas mais je pense en particulier aux vélléités de cotation boursière d'un grand établissement de couleur verte qui a voulu lever des fonds par le truchement d'une société anonyme. Comme si la logique des banques AFB était conciliable avec le statut coopératif !

Partant de ce constat, notre amendement 252 rappelle que les établissements de crédit soumis à la loi du 10 septembre 1947 s'engagent à respecter le principe d'organisation et de fonctionnement démocratique inhérents au statut coopératif.

Quant au 253, il est destiné à parer aux manoeuvres de ces établissements qui, tels la Banque verte, ont recours à un faux nez pour recourir aux mêmes méthodes que les banques opérant dans le secteur concurrentiel.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné le 252, mais il me paraît redondant par rapport à la loi de 1947. Si celle-ci n'est pas respectée, pourquoi un amendement répétant qu'il faut s'y conformer le serait-il ? Cela étant, on peut toujours répéter les choses...

Quant au 253, il aurait pour effet d'interdire aux caisses d'épargne, qui aujourd'hui détiennent des parts de caisse centrale et qui demain détiendront des parts majoritaires de celle-ci, d'intervenir sur les marchés, opération qui se fait actuellement tous les jours. Rejet, donc.

M. le Ministre - Je comprends les motifs de l'amendement 252 et je les partage. D'ailleurs, si le Gouvernement souhaite conférer aux caisses d'épargne un statut coopératif, c'est bien pour que celui-ci soit respecté. Mais je crois que la discussion que nous avons en ce moment suffira à souligner les intentions du Gouvernement comme de l'Assemblée, à savoir que les établissements soumis au statut de 1947 se comportent réellement comme tels. Vous pouvez donc retirer votre amendement.

Je comprends aussi les motifs de l'amendement 253 et j'admets que les libertés prises par certaines structures coopératives avec leur statut posent problème. Mais voulez-vous aller jusqu'à défaire certaines prises de contrôle, je pense par exemple à celle du CIC par le Crédit mutuel ?

A cette difficulté s'en ajoute une autre : adopter l'amendement 253 rendrait impossible la reprise du Crédit foncier par les caisses d'épargne. Est-ce bien ce que nous voulons ? Ne compromettons pas l'avenir.

M. Jean-Jacques Jegou - Monsieur le ministre, vous essayez de ramener à la raison les brebis égarées de la majorité plurielle. Cet exercice va nous prendre du temps. Vous êtes comme un dompteur faisant face aux coups de boutoir de nos collègues communistes. Même pour faire plaisir à M. Brard, faut-il rappeler que la loi de 1947 est la loi de 1947 ? Pourquoi ne pas rappeler aussi toutes les dispositions de la loi de 1901 ?

Vous avez été clair dans vos interventions sur le statut coopératif. Nous gagnerions à ne pas rappeler à chaque instant au groupe communiste quel texte nous examinons.

M. Jean-Pierre Brard - J'entends le dépit de M. Jegou, qui appartenait à une majorité "pas un mot dans les rangs !". Ici, nous discutons, et nous travaillons dans la transparence. Après consultation du groupe auquel je suis apparenté, car lui aussi est pluriel, nous maintenons notre amendement 252, nous retirons le 253, et nous voulons travailler avec le Gouvernement pour trouver une solution. Notre amendement vous a donné l'occasion d'adresser un rappel à l'ordre face aux pratiques inacceptables de certains établissements mutualistes. Mais il aurait mieux valu l'inscrire dans la loi.

L'amendement 252, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 253 est retiré.

M. Yves Deniaud - Notre amendement 210 tend à rappeler le principe démocratique inscrit dans le statut coopératif. Soulignons que cette démocratie aurait été mieux exercée par des sociétaires directs.

M. Raymond Douyère, rapporteur - Rejet.

M. le Ministre - L'auteur de cet amendement encourt les mêmes critiques que celles que M. Jégou adressait à M. Brard ! C'est pourquoi je vous suggère de retirer l'amendement.

M. Yves Deniau - C'est ce que je fais.

M. le Président - Quel talent ! Il convainc à la fois à gauche et à droite !

L'amendement 210 est retiré.

L'article 3, mis aux voix, est adopté.

ART. 4

M. le Président - Les amendements 211 et 133 tombent.

M. Raymond Douyère, rapporteur - Le projet dispose que les statuts de la caisse d'épargne peut prévoir que le nombre de voix dont dispose chaque GLE peut varier en fonction du nombre de parts qu'il détient dans une limite de 10 % des voix.

Or si un GLE possède plus de 10 % des parts, mais voit le nombre de ses voix limité à 10 %, le pourcentage total de voix attribuées sera inférieur à 100 %, et il sera mathématiquement impossible que les autres GLE, devant se partager moins de 90 % des parts sociales, puissent se partager 90 % des voix.

De plus, fixer la limite du nombre maximal de voix qu'un GLE peut détenir à 10 % suppose que la caisse régionale concernée soit détenue par au moins dix GLE et qu'aucun d'entre eux ne possède plus de 10 % des parts sociales. Ce nombre minimal de GLE peut devenir problématique dans le cas d'une caisse régionale de taille moyenne qui aurait un sociétariat très dispersé.

Enfin, l'application du régime fiscal "société mère-filiale" à l'ensemble constitué par les GLE et leur filiale commune, la caisse régionale, pose des difficultés dans le cadre de la limite des 10 %. En effet, ce régime ne peut s'appliquer qu'à deux conditions alternatives : la participation détenue par le GLE doit être supérieure à 150 millions de francs ; sa participation doit être supérieure à au moins 10 % du capital de la caisse régionale. Or, compte tenu de l'estimation du capital de chaque caisse qui oscille entre 18 millions pour la caisse de Guadeloupe et 1 070 millions pour la caisse Côte d'Azur, aucun GLE ne pourra bénéficier du régime "société mère-filiale", puisque le nombre minimal de GLE par caisse est fixé à dix compte tenu de la limite de 10 % de la loi.

C'est pourquoi l'amendement 16 tend à porter le plafond de voix de 10 % à 30 % du total.

M. Jean-Jacques Jegou - Voilà qui est très simple !

M. Raymond Douyère, rapporteur - Les GREP que vous souhaitez poseraient des difficultés du même ordre, en particulier pour les personnes morales.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 16, mis aux voix, est adopté.

L'article 4 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 4

M. Jean-Jacques Jegou - Notre amendement 134 est plus simple. La commission l'a jugé redondant. A mon avis, il n'est pas toxique. L'intérêt des caisses d'épargne est que leur nouveau statut permette aux caisses d'épargne européennes de prendre des participations dans leur capital.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Rien n'interdit aux caisses d'épargne européennes de participer au capital des GLE, par exemple lorsque les caisses sont frontalières. Les caisses d'épargne peuvent également réserver une augmentation de capital qu'elles auraient décidée à un GLE personne morale-investisseur.

M. le Ministre - Je suis intéressé par l'amendement, car la solution préconisée par le rapporteur a l'inconvénient de donner à l'investisseur étranger un poids équivalent à celui d'un GLE représentant 30 000 à 40 000 sociétaires. Je propose que nous revoyions la question en seconde lecture.

M. Raymond Douyère, rapporteur - L'investisseur étranger ne sera pas seul, car il faut dix personnes morales pour constituer un GLE.

L'amendement 134 est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 10 mars, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 5.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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