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Assemblée nationale COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL Session ordinaire de 1998-1999 - 75ème jour de séance, 192ème séance 1ère SÉANCE DU JEUDI 18 MARS 1999 PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER vice-président SOMMAIRE : DROITS DES USAGERS 1 La séance est ouverte à neuf heures. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Dominique Bussereau et plusieurs de ses collègues visant à protéger les droits des usagers, à améliorer le dialogue social et à assurer la continuité dans les services publics. M. François Goulard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Les grèves dans le service public, notamment celui des transports, rendent la vie difficile aux habitants des grandes villes surtout en région parisienne. La représentation nationale a donc le devoir de s'y intéresser. Le Président de la République nous y incitait, en déclarant devant le conseil régional de Bretagne en décembre 1998 : "...Il n'est pas acceptable, dans une démocratie moderne, que les services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France tout entière. C'est le symptôme des défaillances de notre dialogue social. C'est aussi, bien souvent, l'aveu d'une démission de l'Etat. La grève est un droit, mais il est essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur les procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'un service minimum. A défaut d'entente, des règles communes à tous les services publics devraient pouvoir s'appliquer". C'est ce à quoi s'attache cette proposition. Certes le législateur doit respecter scrupuleusement le droit de grève qui a valeur constitutionnelle. Mais dans sa décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel rappelle également que ce principe a des limites et que les constituants "ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte". La proposition s'inscrit bien dans cette perspective. Une discussion approfondie aurait sans doute permis de l'améliorer. Mais la commission, dans sa séance du 10 mars, a décidé de suspendre l'examen de la proposition et de ne pas présenter de conclusions. Les chances d'aboutir sont donc peu favorables. Je présenterai cependant les grandes lignes de la proposition. L'article premier rappelle le cadre tracé par l'article L. 521-2 du code du travail qui définit les personnels soumis à l'obligation du dépôt d'un préavis de grève parce que participant au service public. Ceci vise les personnels de l'Etat et des collectivités territoriales à l'exception des communes de moins de 10 000 habitants et les personnels des entreprises, des organismes et établissements publics ou privés lorsqu'ils gèrent un service public. L'article 2 tend, à la lumière des expériences déjà menées dans certains services publics, notamment la RATP, à donner une impulsion nouvelle aux procédures propres à améliorer le dialogue social. Bien entendu, l'obligation de négocier ne vise que les organismes de droit privé chargés d'un service public et des établissements publics industriels et commerciaux, et ne concerne pas les agents sous statut. L'article 3 fait obligation aux dirigeants et aux salariés de négocier des conventions et d'y faire figurer une "procédure d'anticipation des conflits" à laquelle il serait obligatoire de recourir avant le déclenchement d'un arrêt de travail. Aux partenaires sociaux de définir les modalités les mieux appropriées. Mais cette procédure d'anticipation est plus contraignante qu'une simple négociation pendant la période de préavis. Elle oblige à formuler un accord ou un désaccord à l'issue de cette négociation et sous-entend qu'on procédera à une réflexion plus globale sur l'organisation de l'entreprise. L'accord à la RATP est, à ce titre, exemplaire. Néanmoins, il serait souhaitable de limiter la durée de cette procédure d'anticipation. En cas de carence de la négociation collective à l'issue d'un délai d'un an, le recours à une procédure de conciliation pourra être imposée aux partenaires. L'article 4, en l'absence d'accord prévoyant une procédure conventionnelle d'anticipation des conflits, rend obligatoire la comparution des parties devant les commissions de conciliation prévues par le code du travail. C'est évidemment une puissante incitation à négocier. Pour le cas où la cessation de travail apparaît inévitable, la proposition institue des règles qui préservent les droits des personnels et des usagers. L'article 5 rend obligatoire la consultation des salariés par vote au scrutin secret sur le déclenchement ou la poursuite de la grève. Pour ma part, je préfère la solution adoptée par le Sénat qui ne mentionne pas la décision à la majorité mais simplement, par souci de transparence, le vote au scrutin secret. Enfin, la proposition instaure un service minimum en cas de conflit. Mais cette solution palliative se limite à un secteur où la grève est extrêmement pénalisante pour l'usager, celui des transports publics, et aux heures de grande affluence. Les articles 6 et 7 disposent que ce service minimum doit d'abord être mis en place de façon contractuelle. Si ce n'est pas le cas un an après la promulgation de la loi, il sera établi par décret après consultation des partenaires sociaux. Il s'agit d'une proposition raisonnable et équilibrée qui répond à un problème évident. On peut refuser d'examiner le texte, mais pas nier l'existence de ce problème extrêmement sensible (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Personne ne nie l'importance de ce problème que confirment les enquêtes d'opinion. La question est difficile : il faut en même temps respecter le droit de grève inscrit dans la Constitution et acquis d'un siècle de luttes ouvrières, et assurer la continuité du service public. Peut-on trouver la réponse par une intervention législative ? Je vais tenter de prouver que non. Dès lors ne faut-il pas le faire par la voie contractuelle ? Intervenir par la loi me paraît dangereux, techniquement inapplicable et contraire à la recherche d'une vraie solution. Si toutes les propositions de loi ayant le même objet que celle-ci -11 depuis 1988- ont échoué, ce n'est pas un hasard. C'est que le point d'équilibre est difficile à atteindre. Vous-même avez bien senti la difficulté, Monsieur le rapporteur, puisque vous avez eu la tentation de complètement réécrire le texte de M. Bussereau. Quant au Sénat, il a fait un travail de fond très intéressant mais qui aboutit plus à des déclarations d'intentions qu'à des réponses proprement dites. Il faut dire qu'il est techniquement difficile de résumer en un seul texte législatif toute la diversité des situations. S'agissant des transports urbains, par exemple, on ne peut raisonner de la même manière pour la région parisienne, pour les grandes villes de province et pour le reste du territoire. D'ailleurs, le sénateur Chérioux a bien reconnu, tout RPR qu'il soit, que le service minimum est difficile à mettre en oeuvre, compte tenu des contraintes techniques. Il est par exemple évident qu'en région parisienne, le service minimum est en réalité un service maximum aux heures de pointe. Quant à l'exigence de sécurité, elle ne saurait se relâcher. J'ajoute qu'une solution de type législatif risque plutôt de crisper les intéressés dans une situation conflictuelle, ce qui serait contraire à l'objectif recherché. Je n'en reconnais pas moins la nécessité de traiter ce problème. Cette nécessité est évidemment perçue par les usagers -qui sont cependant partagés entre le refus d'une gêne parfois insupportable pour eux et le respect du droit de grève. Mais elle l'est aussi par les agents du service public. Le président de la SNCF, M. Louis Gallois, trouvait anormal qu'avec moins de 1 % de la population, l'entreprise représente 20 à 30 % de jours de conflit en France. Rien selon lui ne justifiait une telle situation. On pourrait cependant invoquer pour l'expliquer les diminutions d'effectifs, les pressions sur le personnel... Y remédier implique en tout cas une réflexion sur le modèle social de la SNCF. Le directeur des relations humaines parlait à son propos de modèle "militaro-hiérarchique". De fait, toute grève traduit, comme cela est fort bien dit dans le protocole d'accord de la RATP, l'échec du dialogue social. Et allonger la durée du préavis n'y changerait rien si l'on continue pendant celui-ci à ne pas se parler ni s'écouter. Il convient plutôt de tabler sur une sorte de contagion de la négociation. L'accord passé à la RATP a fait passer le nombre de préavis de grève de 800 à 200, en moyenne par an. M. Gayssot a donc raison de souhaiter la généralisation du principe de "l'alarme sociale" ou encore de la "prévenance sociale". Et je crois savoir qu'un travail de négociation est en cours sur ce thème à la SNCF. Il lui faudra en tout cas remettre en cause son modèle pyramidal -"militaro-hiérarchique"-, réfléchir à une transformation des rapports sociaux et à une déconcentration des espaces de négociation. Service public, service du public... Pour mettre pleinement ce principe en application, elle peut s'appuyer sur l'extraordinaire amour que portent les agents à leur métier. Je suis convaincu que la réflexion sur ces thèmes aboutira à des réponses positives tant pour les agents du service public que pour les usagers. Mais je maintiens qu'une approche purement législative de ces questions ne règle rien et peut même se révéler dangereuse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Des voix s'élèvent régulièrement, venant toujours de la droite de cet hémicycle, de préférence quand elle est dans l'opposition, pour proposer, chaque fois que des grèves touchent le secteur public, d'instituer un service minimum. Je vous épargne la liste des dix propositions sur ce sujet qui n'ont pas abouti ainsi que les déclarations beaucoup plus modérées faites sur ce thème par l'opposition lorsqu'elle se trouve aux responsabilités. Mme Michèle Alliot-Marie - Je préférais le ton du président de la commission ! M. le Ministre - Un texte de loi, plus habile que celui qui nous est soumis aujourd'hui mais répondant aux mêmes préoccupations, a été adopté par la majorité sénatoriale il y a un mois contre l'avis du Gouvernement. M. Zuccarelli, ministre de la fonction publique, avait alors justement dénoncé son caractère démagogique (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Le présent projet rejoint cette série de propositions. Il me paraît lui aussi dangereux et contradictoire (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). La grève, une des grandes conquêtes du mouvement syndical, est un droit reconnu par la Constitution. La réponse aux difficultés que peut susciter l'usage de ce droit dans le service public ne réside pas dans une solution législative univoque et contraignante. L'opposition elle-même se rangeait à cette analyse lorsqu'elle était au pouvoir et c'est aussi ce qu'a constaté le Sénat lors des auditions auxquelles il a procédé. Quel est l'objet de cette proposition : encourager l'institution de mécanismes de prévention des conflits ? Ou faire peser la menace d'une intervention unilatérale du pouvoir réglementaire en cas d'échec des solutions négociées ? Ceux qui la soutiennent veulent-ils une politique contractuelle confiante ou préfèrent-ils les effets d'annonce ? La réponse me semble évidente. C'est pourquoi je ne peux que m'opposer, au nom du Gouvernement, à une initiative qui repose sur une approche simpliste et imprudente de l'exercice du droit de grève dans les services publics. L'objectif essentiel des auteurs de cette proposition de loi est en effet de restreindre le droit de grève des agents publics. Leur texte m'apparaît juridiquement très fragile, pratiquement inapplicable et, enfin, tout simplement, superflu. Reposant sur une méconnaissance assez forte des mécanismes du dialogue social plaçant la négociation de mécanismes de prévention des conflits sous la contrainte d'un cadre normatif rigide et inadapté, il ne pourrait que paralyser l'évolution en cours dans la plupart des entreprises publiques. Certes, il est souhaitable d'encourager des systèmes de "prévention" des conflits, tels que les systèmes d'alerte institués à la RATP il y a deux ans, ou à Air France l'an dernier, systèmes qui permettent de traiter les ligiges en amont grâce à la concertation. La direction de la SNCF et les organisations syndicales semblent prêtes à en débattre. Mais si les dispositifs existants fonctionnent bien, c'est parce qu'ils sont le fruit d'une négociation contractuelle et parce qu'ils reposent sur le sens des responsabilités des partenaires sociaux. Ils fonctionnent bien parce qu'ils ne restreignent pas unilatéralement les droits légitimes des agents et qu'ils ont été consentis dans un climat de transparence et de confiance. L'article 2, qui institue une simple invitation à négocier pourrait paraître raisonnable. Mais l'article 3 l'est déjà nettement moins, dès lors qu'il fixe une échéance impérative qui méconnaît les spécificités du dialogue social propres à chaque établissement ou entreprise. Il révèle également une méconnaissance certaine des relations sociales. Il est évident que rallonger de fait la durée du préavis et imposer un constat écrit des désaccords est de nature à attiser les conflits et à susciter la surenchère. En outre, l'interdiction faite aux syndicats de déposer un préavis durant la période préconflictuelle est une atteinte majeure à l'exercice du droit de grève, encourant l'inconstitutionnalité. Enfin, l'intervention unilatérale du pouvoir réglementaire prévue à l'article 4 en cas de carence des partenaires sociaux est particulièrement contestable : la contrainte ne saurait se substituer à des mécanismes qui font l'objet d'un consensus. L'article 5 traduit une défiance très marquée à l'égard des organisations syndicales, considérées comme sources de tous les maux. Outre le caractère très probablement inconstitutionnel du dispositif proposé, dans la mesure où il constitue une atteinte manifeste au droit de grève qui, je le rappelle, est avant tout un droit individuel même s'il s'exerce collectivement, je ne peux que souligner ses contractions : on souhaite recourir à la négociation collective -en la plaçant toutefois sous contrainte de manière à ce qu'elle ne puisse qu'échouer- mais on conteste la représentativité des organisations, en imposant un vote majoritaire préalable au dépôt du préavis. Cela relève de la démagogie et de la diabolisation des syndicats (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Les articles 6 et 7 traduisent clairement l'intention réelle des auteurs de la proposition : il s'agit bel et bien de préparer le terrain à une intervention du pouvoir réglementaire sur le service minimum. Le Gouvernement ne peut évidemment être d'accord : le droit de grève, constitutionnel, qui ne peut être remis en cause. Le service minimum est un pis-aller qui ne saurait constituer une réponse adaptée aux besoins des usagers, l'opinion l'a parfaitement compris. Son institution soulèverait des difficultés pratiques insurmontables, notamment dans les services de transport en commun. En toute hypothèse, le législateur ne saurait déléguer sa compétence au pouvoir réglementaire : il lui revient de déterminer la nature des garanties nécessaires à la sauvegarde d'un droit constitutionnellement protégé, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel en 1985. L'opposition, lorsqu'elle était aux affaires, s'est d'ailleurs toujours bien gardée de légiférer sur le service minimum. Le Gouvernement ne peut souscrire à l'idée que les services publics seraient incapables de tenir compte des besoins de l'usager, contrairement au secteur privé, paré de toutes les vertus, et que les agents ne s'attacheraient qu'à la seule défense de leurs intérêts catégoriels. Ces procès d'intention sont inacceptables. Il n'en faut pas moins prendre au sérieux les reproches qui peuvent être formulés à l'encontre de nos services publics. Le Gouvernement s'attache à y répondre grâce à la politique de modernisation qu'il a engagée. La décentralisation, la déconcentration, l'évaluation des politiques publiques, enterrée par le gouvernement de M. Juppé, que le Gouvernement vient de relancer et d'ouvrir aux collectivités locales sont des initiatives fortes prises par des majorités de gauche. Il convient d'obtenir l'adhésion des hommes et des femmes qui font le service public à une réforme dont l'objectif premier est de mieux satisfaire les besoins de l'usager. Je ne puis accepter une approche idéologique ou démagogique ; il faut laisser aux partenaires sociaux le soin de définir les régimes pratiques de prévention des conflits. C'est pourquoi il invite l'Assemblée à repousser cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Alain Néri - Ce sera fait ! M. Dominique Bussereau - Je voudrais d'abord remercier le rapporteur d'avoir présenté cette proposition de loi de manière très objective et précise et dire au président Le Garrec que, quelles que soient nos divergences, j'ai apprécié le caractère ouvert de son argumentation. J'ai moins apprécié votre propos, Monsieur le ministre... Sans remettre en cause votre légitimité à représenter le Gouvernement, je m'étonne d'ailleurs que le ministre des transports ne se soit pas dérangé. Quant au ministre de la fonction publique, il n'a pas dû entendre les observations du Premier ministre sur le non-cumul : sans doute est-il en Corse... Le travail de l'intergroupe de l'opposition s'est inspiré des réflexions du Président de la République et s'est, Monsieur le ministre, appuyé sur des auditions : nous avons rencontré les organisations patronales et syndicales, comme l'avaient fait nos collègues du Sénat. Je ne reviens pas sur le constat de ce que le président Gallois a un jour appelé la "gréviculture à la française" ; le déficit du dialogue social dans notre pays est incontestable, et toutes les procédures légales de prévention des conflits prévues par le code du travail sont tombées en désuétude : aucun conflit n'a été soumis à la commission nationale de conciliation depuis 1984, les commissions régionales sont au chômage technique... En outre, comme nous l'avions constaté à la commission d'enquête sur la SNCF, le dialogue social est souvent un faux-semblant : on passe beaucoup de temps en comités Théodule, sans grand résultat... La RATP nous donne l'exemple de ce qu'il faut faire : le nombre de préavis annuel est tombé de 800 à 200 ; l'an passé, sur une centaine d'alarmes sociales, seulement 6 ou 7 ont donné lieu à préavis. Notre proposition de loi poursuit plusieurs objectifs. Il s'agit tout d'abord de protéger les droits des usagers, en particulier les plus dépendants : celui qui souffre d'une grève des transports en commun, c'est celui qui n'a pas d'autre possibilité que de les emprunter pour aller travailler. Il s'agit, ensuite, de défendre nos entreprises, dont l'activité et l'image sont fortement atteintes par les grèves de transport. Il s'agit aussi d'assurer l'avenir de nos entreprises de transports, soumises à la concurrence. On ne saurait prétendre développer le transport combiné en acceptant que la circulation ferroviaire soit bloquée... Enfin, il s'agit de donner corps à l'idée du Gouvernement de "repenser la ville". Si l'on n'assure pas le bon fonctionnement des transports collectifs, personne ne voudra abandonner sa voiture individuelle. Ajoutons à tout cela la nécessité d'améliorer la démocratie sociale. Après les objectifs, considérons les moyens. C'est, tout d'abord, l'amélioration du dialogue social. Ne caricaturez pas notre texte : là est bien son objet essentiel et non dans l'établissement d'un service minimum. Inspirés par l'exemple de la RATP, nous proposons une procédure d'alerte sociale et d'anticipation des conflits par voie contractuelle dans l'entreprise. Ce n'est qu'en cas d'échec que l'Etat devra prendre ses responsabilités. Vous avez moqué notre souci d'un exercice démocratique du droit de grève. Mais si, pour vous, la démocratie ce n'est pas le vote à bulletin secret, ce n'est pas dans cette assemblée qu'il faut siéger ! La reconduction de la grève votée près des braseros, sous les caméras de France 2, par des gens qui se sentent obligés de la voter, ce n'est pas notre conception de la démocratie (Murmures sur les bancs du groupe communiste). Je comprends qu'on pense autrement dans certaines formations politiques peu habituées à la démocratie, même si elles changent la couleur et le logo de leur journal... Mais pour l'opposition, la démocratie, c'est le vote à bulletin secret. Nous souhaitons que le service minimum fasse l'objet d'une convention négociée dans l'entreprise, qu'elle soit publique ou privée mais en charge d'un service public, comme c'est fréquent dans les transports. Mais si au bout d'un an cela ne marche pas, l'Etat devra prendre ses responsabilités. Sur ce point notre texte peut toutefois évoluer et entend surtout ouvrir le débat. On peut, par exemple après un an pour la négociation sociale, se donner une autre année pour l'institution d'un service minimum. Celui-ci n'est que le dernier recours. Il faut bien voir son contenu : il ne porte que sur les déplacements essentiels, c'est-à-dire les trajets domicile-travail du soir et du matin, auxquels on peut ajouter quelques grands départs en vacances. Vous affirmez, sans preuve, que c'est techniquement impossible : c'est faux. Nous ne sommes pas plus stupides en France que chez nos voisins où, lors de la grande grève européenne des transports en décembre, le service minimum a bien fonctionné, notamment en Espagne. Il ne s'agit pas d'un sous-transport : il implique la quasi-totalité de l'offre de transport aux heures de pointe du matin et du soir. Les problèmes techniques sont solubles, et nos entreprises en résolvent tous les jours de plus difficiles. Notez d'ailleurs que le service minimum existe dans notre pays. Celui des contrôleurs aériens permet de maintenir un certain niveau de trafic même en cas de grève. On pourrait évoquer aussi celui de l'audiovisuel public, même s'il a perdu de son importance avec l'abondance nouvelle de l'offre. Je rappelle, enfin, alors que vous vous préparez à repousser notre texte, que 82 % des Français, interrogés il y a quelques mois par le Journal du Dimanche, approuvent la notion de service minimum. Je comprends bien que vous ne vouliez pas légiférer dans ce domaine ; M. Le Garrec l'a dit de manière ouverte, et M. le ministre d'un façon plus dure (Sourires). Vous préférez les minorités syndicales à l'ensemble des Français : nous en prenons acte, et eux aussi. Vous ne voulez pas braquer les syndicats -ou plutôt certains syndicats. Ce faisant, vous condamnez les clients, portez atteinte à l'avenir des entreprises de transport et de leur personnel, et privilégiez la voiture individuelle : c'est une attitude démagogique et irresponsable. Ces 82 % de Français, vous ne les entendez pas aujourd'hui parce qu'il n'y a pas de conflits dans les transports. Mais il y en aura d'autres, et nous saurons vous rappeler que vous avez refusé d'intervenir en la matière. A moins, Monsieur le ministre, que vous n'évoluiez, comme sur les privatisations. Vous finirez peut-être par privatiser Air France avant même que nous retrouvions la majorité dans cette Assemblée... Et peut-être voterez-vous le service minimum ; avec vous tout est possible. Mais en attendant ne dénaturez pas notre démarche. Elle n'est pas antisyndicale, mais au service des travailleurs et des usagers. Elle ne fait pas du service minimum une fin en soi, mais un dernier recours quand le processus d'alerte sociale a échoué. Si cette loi n'est pas votée, nous la retravaillerons -en tenant compte des propositions de M. Goulard en commission, et du travail du Sénat- et nous la mettrons en débat dans le pays à l'occasion des prochaines échéances électorales : nous verrons ce qu'en pense l'opinion. Sur ce point l'opposition ne relâchera pas sa pression, d'autant moins qu'elle est soutenue par une large majorité de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Jean Rouger - Légiférer sur le droit de grève et l'instauration d'un service minimum dans les services publics est une vieille lune des parlementaires de droite, à l'Assemblée comme au Sénat. Cette demande récurrente est plus incisive lorsque vous êtes dans l'opposition. Mais la réponse à la grève dans le service public doit-elle être inscrite dans un cadre législatif et standardisé ? L'instauration contrainte d'un service minimum, remplaçant à l'identique l'offre publique, en supprimant l'expression du droit de grève, améliore-t-elle le dialogue dans l'entreprise ? Si la grève était sans effets perceptibles, quelle serait sa capacité d'alerte ? Quel recours resterait à la conflictualité ? Cette proposition de loi prolonge le texte qui a été adopté par le Sénat le 11 février. Sa justification se veut subtile. En vous appuyant sur les réelles difficultés du dialogue social, vous dites défendre le droit des usagers, et tentez de vous engouffrer entre deux principes constitutionnels solidement établis : le droit de grève et la continuité des services publics. Le groupe socialiste ne peut accepter une telle vision du dialogue social. Faut-il renvoyer dos à dos, comme le fait ce texte, les droits des usagers et le principe de continuité des services publics ? Faut-il diaboliser les désagréments qu'entraîne parfois l'exercice de la grève dans les transports publics ? En réalité les droits des usagers citoyens sont compatibles avec les obligations des salariés des entreprises publiques ; mieux, ils en sont complémentaires et solidaires. Le dialogue social au sein des services publics n'a pas à être encadré, ni réglementé ; il doit pouvoir au contraire s'exprimer pleinement, car son rôle est essentiel pour le bon fonctionnement de notre communauté de travail. J'en veux pour preuve l'accord du 29 octobre 1998 à Air France, qui s'oppose point par point à votre exposé des motifs. Cette entreprise a connu l'an dernier une contestation sociale importante. Celle-ci a débouché, à l'issue de dialogues au sein de l'entreprise, sur un accord global pluriannuel assorti d'un pacte de respect mutuel afin de moderniser les rapports sociaux. Une commission permanente de suivi des accords a été créée. En échange, les employés se sont engagés à accorder un prévis de trois mois à la direction afin de traiter, ensemble, les sujets conflictuels et de désamorcer les grèves éventuelles. Les auditions qui ont été menées le montrent : que ce soit du côté patronal ou syndical, nul ne demande une quelconque modification de la loi. La présente proposition témoigne donc d'une vision quelque peu paternaliste des services publics où tout doit être encadré réglementairement, où dialogue social rime nécessairement avec conflits, où l'exercice du droit de grève doit être édulcoré, et où la mise en place de systèmes de remplacements "émascule" le concept et la réalité de la grève. Le titre I de ce texte avance comme objectif "l'amélioration du dialogue social". Une lecture attentive montre qu'il s'agit plutôt de contraindre ce dialogue par une formalité supplémentaire. La "procédure d'anticipation des conflits" devient de facto une obligation préalable de négociation. Antérieure au dépôt du préavis de grève -qui comporte en lui-même une obligation de négociation- cette nouvelle astreinte conditionne la grève et va manifestement à l'encontre de son objectif. Véritable provocation, cette surenchère législative, loin d'améliorer le dialogue social, tente de l'effacer, en rendant la procédure tortueuse et inefficace. Imposer par la loi ce type de négociation avec une obligation de résultat casse la force de la grève et sa spontanéité ; c'est vouloir en nier le sens. Du reste les démarche que préconise ce titre I se mettent en place dans les grandes entreprises publiques ou détentrices de missions de service public. Considérons par exemple la RATP. Depuis 1996, cette entreprise s'est engagée sur la voie de la concertation interne en signant un protocole d'organisation du dialogue social et de prévention des conflits. Cette procédure d'alarme sociale a permis de concilier la qualité et la continuité du service, l'effectivité du dialogue social et le développement de la négociation collective. Le protocole assure, en bref, un service public de qualité grâce à une procédure de prévention des conflits. Le nombre des préavis de grève a ainsi pu être fortement réduit. Mais cela a supposé un long et patient travail entre les partenaires sociaux et les directions : il y a fallu plus de six ans -ce qui permet d'évoluer et de prendre en compte toutes les données. Comment voulez-vous parvenir à ce résultat en légiférant de façon abrupte et directive ? Le titre II vise à proposer un encadrement spécifique du droit de grève. La présentation peut paraître démocratique, mais la réalité déçoit... Alors que la grève était réprimée comme un délit pénal jusqu'à la loi des 25 et 27 mai 1864, le Préambule de la Constitution de 1946 la reconnaît désormais comme un droit individuel. Peut-on prétendre qu'on respecte ce droit lorsqu'on veut le contraindre, en obligeant à passer au préalable par un dédale réglementaire et à obtenir un vote à la majorité des salariés ? Le droit de grève est un droit inaliénable, fruit du combat de ceux qui ont été et restent les moteurs de la société. C'est un appel, une alarme destinée à rappeler la collectivité à son devoir d'écoute. Comme tel, il est le garant de la qualité de notre démocratie et de la cohérence de notre société. Enfin, le titre II tend à instaurer un "service minimum dans les transports publics" et, notamment, à assurer "l'ensemble des moyens de transport pendant les périodes de grande affluence". Il ne s'agit donc, ni plus ni moins, que de garantir la globalité du service. Quelle gageure quand on sait ce qu'il en est les jours ordinaires ! Il y a donc là abus de langage et, une nouvelle fois, remise en cause du droit de grève. Le service minimum est une fausse bonne idée et mieux vaut s'en rapporter ici au sens de la responsabilité et à la compétence des agents qui ont jusqu'à aujourd'hui suffi à assurer de façon satisfaisante les prestations du service public en cas de conflits sociaux. J'observe d'ailleurs que la loi et la jurisprudence ne sont intervenues sur ce point qu'à la marge ou pour confirmer les acquis d'un dialogue social. Le service minimum imposé par la loi serait un piètre substitut car on peut difficilement faire l'économie du dialogue social. Au surplus, le rapport Huriet nous rappelle qu'en cas de rejet massif du dispositif, des sanctions seraient bien difficiles à prendre. D'autre part, ce service minimum soulève bien des problèmes pratiques, étant donné la saturation d'un service public qui travaille quasi à flux tendu. Il entraînerait immanquablement une augmentation des risques pour les usagers. Et, s'il n'était pas au maximum, il mécontenterait tout le monde car, à la continuité et à la sécurité, il faut ajouter l'égalité d'accès au nombre des critères du service public... Souvenons-nous de ce qu'il en fut lors des grèves de décembre 1995. Ce n'est pas en contraignant les conflits sociaux par la loi que nous les résoudrons. L'entreprise ne peut vivre dans l'équilibre que par l'échange entre ses partenaires : les exemples des accords conclus à la RATP et à Air France démontrent que seule une longue négociation peut apporter à chaque situation une réponse spécifique. Mais à la SNCF, qui semble particulièrement courtisée ici, et dont les grèves font référence aussi bien en matière de conflits que de progrès social, on s'interroge et on se prépare à l'expérimentation sur ce point : tous s'y attellent à organiser le dialogue dans quatre des 23 régions. Le groupe socialiste entend laisser l'initiative aux partenaires dans les services publics : c'est à eux qu'il appartient de négocier des améliorations. C'est pourquoi nous ne pouvons approuver la vision partielle du dialogue social ni la conception réduite de celui-ci et du droit de grève qui inspirent cette proposition. Pour nous, il est inutile de débattre de ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV) M. le Président - Merci de votre concision ! (Sourires) Mme Michèle Alliot-Marie - Il est bon qu'on ait avancé au jeudi matin les discussions organisées dans le cadre de la "niche" parlementaire. Nous pourrons ainsi y participer plus nombreux quand l'habitude sera prise, et cela ne peut que contribuer à desserrer le carcan de l'ordre du jour prioritaire et, surtout, donner à l'opposition les moyens de prendre une part active à l'élaboration de la loi. N'était-ce pas d'ailleurs le sens de l'initiative prise par l'ancienne majorité ? Cependant, lorsque j'entends le ministre, que je le vois adopter une attitude de parti pris et de critique systématique, je doute que telle soit la conception du Gouvernement actuel. Le président de la commission me semble bien plus respectueux de l'initiative parlementaire. Pour autant, je ne puis partager toute son analyse. Ce texte serait, à l'en croire, inutile et dangereux : outre qu'il ne nous resterait guère de grain à moudre si nous devions éliminer de notre ordre du jour tous les textes inutiles ou dangereux, je crois au contraire que le débat était utile, ne serait-ce qu'à titre pédagogique, et que l'initiative, pour être apparemment condamnée, était nécessaire. Elle va en effet montrer quelles sont notre attitude à l'égard des Français, notre conception des grands principes constitutionnels et notre vision de la modernité. Notre attitude à l'égard des Français : nous avons tous un devoir d'écoute et, de ce point de vue, si nos compatriotes sont très rarement opposés aux grévistes et à la grève, ils nous reprochent les inconvénients qu'ils ont à en subir. De fait, combien de fois avons-nous vu de nos collaborateurs dans l'impossibilité de rentrer chez eux le soir, en raison d'une grève impromptue ? Ce fut le cas il y a quelques semaines seulement encore. Il y a trois jours, ce furent les enfants qui ne purent être accueillis dans les écoles. Est-ce admissible ? L'inconvénient de la grève n'est ni pour l'Etat ni même pour les dirigeants du service public, mais pour les usagers. Cette proposition répond à la demande d'écoute des Français, qui veulent que nous comprenions leurs difficultés quotidiennes. En ce sens, elle contribue à éviter que ne s'accusent encore la fracture politique, l'éloignement des Français pour la politique, au bénéfice de partis extrémistes ou folkloriques quand il ne se traduit pas par l'abstention. Ne les confortons pas dans la conviction que nous n'aurions qu'indifférence pour leurs difficultés quotidiennes ! M. Dominique Bussereau - Très bien ! Mme Michèle Alliot-Marie - Cette discussion était nécessaire également pour réaffirmer quelques grands principes dont on tend à faire l'économie depuis quelque temps. Elle permet de confirmer, en même temps que le droit de grève, le sens à donner à cette grève : son objet est de faire pression sur ceux qui détiennent le pouvoir de décision et, en leur imposant une perte économique, d'obtenir satisfaction. Il ne s'agit pas de prendre en otage des usagers qui n'ont aucun pouvoir de décision ! Or c'est la dérive que nous constatons depuis plusieurs années. La grève perd son sens premier. Le deuxième principe essentiel est celui de la continuité du service public. L'usager y a droit, en contrepartie des efforts qu'il fait fiscalement, et surtout alors qu'il n'est pour rien dans le conflit. Pour ma part, j'aurais été plus loin que la proposition : je pense que le responsable de l'organisation du service public devrait avoir l'obligation par tous les moyens d'en garantir la continuité. L'usager n'a pas à connaître le conflit. Enfin, cette initiative était nécessaire pour favoriser une conception plus moderne de notre économie. Un seul exemple : on réfléchit beaucoup aujourd'hui au transport multimodal et au ferroutage. Mais le problème mis en avant par les entreprises de transport, qui hésitent à recourir au chemin de fer, est davantage celui de la garantie des délais que des tarifs ! C'est pour cela qu'elles continuent à envoyer leurs camions par route plutôt que par le train, ce qui serait de beaucoup préférable pour l'environnement. Ce débat constitue aussi une démarche pédagogique, qui repose sur deux idées fondamentales. D'une part, la liberté des uns s'arrête lorsque celle des autres est menacée. C'est un vieux principe qu'on oublie trop souvent. Le texte garantit bien la liberté de la grève : il ne prévoit ni interdiction de la grève, ni procédure strictement obligatoire. Ce n'est qu'après l'échec du dialogue et des conventions que les procédures sont mises en place. Il prend à cet égard en compte les expériences qui ont lieu en Allemagne, en Italie ou en Espagne, ou même dans d'autres services publics. Une voix à gauche - En Grande-Bretagne ! Mme Michèle Alliot-Marie - C'est vous qui la citez ? Moi non. Deuxième idée : les Français doivent apprendre à vivre ensemble, c'est-à-dire à anticiper les conflits et à introduire à tous les niveaux une vraie démocratie -c'est pourquoi on prévoit la consultation des salariés. N'est-il pas étonnant que l'on demande aux Français de se prononcer sur des sujets qui ne les passionnent pas vraiment et qu'on ne les consulte pas sur ce qui concerne leur vie quotidienne ? Curieuse conception de la démocratie ! Il n'est ni juste ni digne de limiter cette proposition à une démarche démagogique. Elle pose un problème de fond, qui intéresse tous les Français et l'avenir de tout le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Jean-Michel Marchand - Cette proposition a été cosignée par les trois présidents de groupe de l'opposition. La droite se retrouve ainsi unie pour restreindre les droits d'expression des fonctionnaires et des salariés des entreprises publiques et pour limiter le droit de grève constitutionnel. Bien entendu, elle porte ce mauvais coup alors qu'elle est dans l'opposition ! Nous comprenons mal cette position unanime. Les gaullistes oublient que c'est le général de Gaulle qui a étendu le secteur public. C'est la loi de 1963, rien de moins, qu'ils proposent de modifier ! Quant à l'UDF, elle n'a pas souhaité se distinguer de la droite la plus conservatrice. Aurait-elle perdu son sens du juste milieu ? Le texte, rédigé dans l'empressement à désigner les fonctionnaires à la vindicte générale, est flou et imprécis. Ainsi, alors qu'il prévoit de s'appliquer à tous les agents du secteur public, il n'évoque, à propos du service minimum, que les "moyens de transport aux heures de forte affluence". Cette proposition remet en cause la démocratie et le droit d'expression des salariés. Il est vrai que la droite n'en est pas à son coup d'essai. L'amendement Lamassoure a restreint le droit de grève dans le secteur public entre 1986 et 1988, époque de ce que M. Reagan et Mme Thatcher appelaient la "révolution conservatrice". Maintenant que le droit de grève est reconnu en France, la droite voudrait le supprimer pour revenir à l'ordre ancien. Mme Michèle Alliot-Marie - Pour l'instant, le discours ancien, c'est le vôtre. M. Jean-Michel Marchand - Sous couvert d'améliorer le dialogue social ou la démocratie, vous scandez : "aucun préavis de grève ne peut être déposé sans la mise en oeuvre de la procédure d'anticipation des conflits". Croyez-vous vraiment qu'il soit possible de décréter l'anticipation des conflits ? Nous croyons au dialogue social, mais il faut être au moins deux pour cela. Tout régime républicain, quel que soit son gouvernement, se doit de garantir le droit de grève, et surtout pour les salariés du secteur public, qui dépendent plus ou moins directement de lui. Cependant, je ne veux pas éluder la question de la gêne causée aux usagers -je préfère ce mot à celui de clients- par les arrêts de travail dans le secteur public. Les désagréments subis par eux et les nuisances environnementales sont réels, mais rappelons que les salariés ne font jamais grève de gaieté de coeur, d'abord, parce qu'ils ont une haute opinion du service public et, ensuite, parce que la grève leur coûte cher. Il est particulièrement choquant que cette proposition de loi s'applique au secteur public, instaurant un statut moins protecteur pour ses salariés que pour ceux du privé. On voit bien l'idée qui la sous-tend : les fonctionnaires seraient des privilégiés. Nous refusons de liguer une partie du pays contre une autre. Nous recherchons l'intérêt général et la cohésion nationale. Nous ne méconnaissons pas les difficultés des salariés du secteur privé : incertitude de l'emploi, précarisation, pressions patronales pour les heures supplémentaires, baisse des rémunérations... Mais ce n'est pas en s'en prenant aux fonctionnaires que vous améliorerez leur sort. L'opposition dit souvent que les syndicats sont trop forts, notamment dans le secteur public. Nous pensons, au contraire, qu'ils sont trop faibles et que ce n'est pas bien pour le pays. Cette proposition est d'autant plus inadmissible que les principaux syndicats défendent aujourd'hui l'idée d'un syndicalisme de proposition et de négociation. Le déclenchement d'une grève résulte de désaccords profonds et d'un mauvais dialogue social. Mais l'idée inavouée du texte ne serait-elle pas de limiter la grève, après le secteur public, dans le secteur privé ? Procès d'intention ? (A droite : "oui !") Non, légitime inquiétude. Mme Martine David - Vous êtes seulement réaliste. M. Jean-Michel Marchand - Oui, les grèves dans les services publics peuvent excéder nos concitoyens, mais la solution n'est pas celle que vous préconisez. Dans notre pays, la grève précède trop souvent la négociation ; mais elle permet aussi de la déclencher. La solution réside dans le dialogue social, dont vous ne ferez pas croire aux Français, après les grèves de décembre 1995, que vous êtes les champions. M. Didier Boulaud - Seule la grève des médecins trouve grâce à vos yeux ! M. Jean-Michel Marchand - Malgré ce que certains veulent faire croire, il existe toujours dans ce pays une gauche et une droite, une gauche progressiste et une droite conservatrice. Pour toutes ces raisons, les Verts voteront contre cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). Mme Anne-Marie Idrac - Et si nous cessions de caricaturer, pour parler sérieusement des vrais problèmes des gens ? (Rires sur les bancs du groupe socialiste) Après les exposés du rapporteur, de M. Bussereau et du président de la commission, je veux revenir sur l'inspiration et la logique de cette proposition. Elle s'inscrit dans une logique de réconciliation et, d'abord, entre deux principes juridiques : le droit de grève, d'une part, qui fait partie du bloc de constitutionnalité et du modèle français et européen de société. Il est trop facile de dire que la droite voudrait le supprimer. Mme Martine David - Mais c'est la vérité. Mme Anne-Marie Idrac - D'autre part, la continuité du service public, principe tout aussi constitutionnel et que mentionne le traité d'Amsterdam. Il s'agit aussi de réconcilier des catégories de Français. Le risque est grave d'une fracture entre le secteur protégé et le secteur privé soumis à plus de contraintes en ce qui concerne le statut, les retraites et les salaires, par exemple, et qui le vivent comme une injustice. Il faut renouer des liens de confiance. Nous voulons réconcilier le service public et l'usager. Mme Martine David - C'est une grande moralisatrice. Mme Anne-Marie Idrac - L'opposition a d'ailleurs beaucoup apprécié la manière dont M. Le Garrec a abordé le sujet. M. le Président de la commission - Ne le dites pas trop, vous allez me mettre en difficulté (Sourires). Mme Anne-Marie Idrac - Une solidarité réciproque existe entre acteur et usager du service public. Au moment du Mondial, nous étions fiers d'être Français en raison de la victoire de notre équipe mais aussi de l'efficacité des transports publics. De même, tous les usagers sont solidaires des agents lorsqu'ils sont agressés et l'opposition est favorable au renforcement du dispositif législatif prévu sur ce point. La proposition s'inscrit aussi dans la logique de négociation et de responsabilité. On a beaucoup fait référence à l'accord conclu à la RATP en 1996, lorsque j'avais quelque responsabilité. Il a permis une chute spectaculaire du nombre de préavis de grève et un meilleur dialogue social. Je pense que les syndicats patronaux et syndicaux devraient jouer un rôle plus important et je me réjouis que des responsables syndicaux aient reconnu ce qui a été fait à la RATP. Il faudrait prendre en compte également certaines dispositions proposées par le sénateur Huriet comme le bilan annuel des grèves et des négociations. Certains nous disent que tout cela est très bien, mais qu'il ne faudrait pas de loi. Le Parlement ne devrait pas intervenir dans les négociations. Mais les lois Auroux en 1983 n'avaient pas soulevé une levée de bouclier à gauche. La loi Aubry sur les 35 heures dispose qu'il faut négocier, avec un filet de sécurité législatif. Et cela ne serait pas bon dans le service public ? Mais, nous dit-on aussi, il ne faut pas légiférer sur des problèmes de société. Pour la parité, problème sur lequel je me suis engagée personnellement, comme pour le service public, j'aurais préféré qu'on puisse se passer de la loi et que l'évolution des mentalités permette d'avancer... M. Didier Boulaud - Et le Sénat ! Mme Anne-Marie Idrac - ...Ce n'est pas le cas. Il y a des situations ou la loi doit montrer le chemin. Mme Martine David - Sur les 35 heures. Mme Anne-Marie Idrac - Sur les 35 heures justement, vous avez légiféré ! On essaie de façon polémique et caricaturale, de nous enfermer dans l'idéologie. Il ne s'agit pas d'idéologie, mais des vrais problèmes des gens. Si les politiques ne s'en occupent pas, les citoyens peuvent effectivement se demander à quoi ils servent et éprouver un sentiment de révolt. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). M. le Président - La parole est à Mme Jacquaint. M. Georges Hage - La voix du prolo ! Mme Muguette Jacquaint - On nous répète qu'il faut le dialogue social, la négociation. Bien sûr ! Les syndicats et le groupe communiste y sont favorables. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit avec cette proposition de loi. Une fois de plus la droite veut porter atteinte aux droits des salariés. M. Michel Bouvard - La droite réactionnaire... (Sourires sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Mme Muguette Jacquaint - C'est la onzième proposition pour remettre en cause le droit de grève dans les services publics. Une telle opiniâtreté prouve bien qu'il ne s'agit pas d'un simple aménagement, mais d'une remise en cause profonde du droit de grève. Elle a échoué en commission et je m'en félicite. De tout temps, la droite a souhaité limiter les droits des salariés, dénoncés comme un frein à la libre entreprise. Mais les salariés des services publics sont aussi des usagers. C'est à ce double titre qu'ils défendent les services publics, non pour des intérêts catégoriels. Conditions de travail et qualité du service public sont indissociables. En Angleterre, le droit de grève a été limité. Les usagers sont-ils mieux servis ? Certainement pas. Nous pouvons être fiers des services publics français que nous voulons maintenir en les modernisant, en grande partie grâce à la qualité des personnels. Lors des grèves de 1995, les usagers ont d'ailleurs manifesté leur sympathie aux grévistes, alors qu'une propagande considérable parlait d'otages et de victimes. Ce sont la déréglementation, la dégradation de la qualité des services, les atteintes aux droits sociaux des salariés et les méthodes autoritaires ou technocratiques de nombreuses directions qui sont à la fois à l'origine des conflits et parfois de leur aggravation. Faut-il le rappeler, les mouvements sociaux qui ont débouché sur les plus grands acquis sociaux furent souvent ceux qu'on avait interdit ou qui s'opposaient à la législation de l'époque. Les grèves sont un élément essentiel du progrès social. Cette proposition instaure un service minimum dans les transports aux heures de pointe. Mais qu'est-ce d'autre alors qu'un service normal ? L'objectif est donc bien d'interdire la grève aux heures de pointes dans les transports. Il s'agit aussi d'inciter les partenaires sociaux à réglementer eux-mêmes le droit de grève, qui serait soumis à une autorisation préalable, à un calendrier et à une organisation dont les syndicats seraient les auteurs, les contrôleurs et bien entendu les responsables. Or le préambule de la Constitution de 1946, expressément visé par la Constitution de 1958 au même titre que la Déclaration des droits de l'homme de 1789, proclame que "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent". Ces lois existent. Ainsi, la loi de 1963 a instauré le préavis de 5 jours dans les services publics et celle du 19 octobre 1982 fait obligation d'ouvrir les négociations en cas de préavis de grève. Ce sont le plus souvent le refus de négocier et les mesures antigrèves -telles que les sanctions, les fausses réquisitions, le remplacement illégal des grévistes- qui prolongent inutilement les mouvements. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas besoin de réglementer davantage le droit de grève mais bien plutôt d'améliorer les conditions de travail, d'embauches, de statuts, de développer les missions de service public. Outre sa valeur constitutionnelle, le droit de grève est protégé par la charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et ratifié par la France en 1974. L'exercice du droit de grève est une liberté publique. C'est bien pourquoi la jurisprudence rejette, en invoquant l'ordre public social, les clauses conventionnelles qui le restreignent. Bien qu'exercé collectivement, ce droit de grève est un droit individuel qui appartient à chaque salarié. Le Conseil économique et social s'est montré constructif dans son rapport sur la prévention et la résolution des conflits du travail : il recommande en effet de favoriser l'expression des salariés et d'améliorer les relations sociales plutôt que de réglementer à nouveau l'exercice de la grève dans le secteur privé comme dans les secteurs publics. Limiter le droit de grève, c'est refuser la démocratie. Nous notons une fois de plus que ceux-là mêmes qui parlent parfois de manque de dialogue social sont ceux qui réclament toujours moins de droits et plus de restrictions pour les salariés ! M. Dominique Bussereau - Ils ont aussi des devoirs. Mme Muguette Jacquaint - Les députés communistes sont, quant à eux, fermement opposés à cette proposition de loi et veilleront toujours au respect du droit de grève, liberté fondamentale, essentiel à toute société démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Georges Hage - Et les prolos savent toujours terminer une grève ! (Sourires) Mme Claudine Ledoux - Cette proposition de loi, malgré les bonnes intentions dont elle se pare et le parrainage prestigieux dont elle se prévaut, me paraît symptomatique du mauvais procès que nos collègues de droite ne peuvent s'empêcher d'intenter à ce droit fondamental qu'est le droit de grève. Ce qui l'imprègne en effet, c'est une hostilité, tantôt sourde, tantôt explicite, à ce principe républicain reconnu par la Constitution. Invoquant la "triste gréviculture française", ses auteurs considèrent le recours à la grève comme une exception culturelle caractéristique de l'archaïsme français. Pourtant, l'usage de la grève par nos voisins européens, allemands ou italiens, est loin d'être rare. Et quand bien même la tradition française en cette matière serait une exception, cela ne prouverait pas que les Français aient tort, au contraire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le titre I se fixe pour objectif "d'améliorer le dialogue social". L'intention est louable car la grève ne doit pas être la première réponse aux situations conflictuelles survenant au sein d'un service. M. Dominique Bussereau - Très bien ! Mme Claudine Ledoux - Il est bien sûr préférable de la réserver aux situations où le dialogue a échoué. M. Dominique Bussereau - Très bien ! Mme Claudine Ledoux - Mais imposer le recours systématique à une lourde procédure destinée à éviter l'arrêt du travail prive manifestement les salariés de la possibilité d'utiliser le droit de grève, alors même que celle-ci serait la seule réponse adaptée à la situation. L'obligation d'appliquer une "procédure d'anticipation des conflits" avant tout dépôt de préavis serait des plus rigides, ce qui nous surprend de la part de collègues qui nous ont plutôt habitués à dénoncer les rigidités abusives du droit du travail ! M. Didier Boulaud - Ce sont eux, les dirigistes ! Mme Claudine Ledoux - Si la bonne qualité du climat social au sein d'une entreprise est toujours souhaitable, elle ne se décrète malheureusement pas. A l'article 6, l'exigence du service minimum est formulée de façon tellement générale qu'elle aboutit à vider le droit de grève de toute substance. En effet, à quoi pourrait-il encore servir de faire grève, dès lors qu'il est stipulé que la grève ne doit pas gêner les usagers ? Mme Michèle Alliot-Marie - Quel aveu. Mme Claudine Ledoux - Nul ne souhaite évidemment multiplier à l'envie les grèves paralysant l'ensemble du pays. Mais quel est le sens d'une grève qui n'exerce aucune pression réelle sur ceux à qui s'adressent les revendications ? Par ailleurs, est-il bien pertinent d'opposer ainsi usagers et salariés du secteur public ? Ce pseudo-clivage repose sur une vision caricaturale de la société, celle que l'on retrouve encore dans la prétendue opposition entre secteur protégé et secteur privé. Le grand mouvement de décembre 1995 a montré les limites des tentatives visant à dresser les salariés les uns contre les autres. Le soutien de l'opinion aux grévistes du secteur public a même suggéré à certains commentateurs l'idée d'une grève par procuration. De fait, le secteur public est souvent à l'avant-garde des combats pour l'amélioration des conditions de travail de l'ensemble des salariés. Le présent texte a pour objectif affiché de garantir la continuité du service public. Mais cette continuité est déjà garantie grâce aux effets conjugués de la loi et de la jurisprudence. Ainsi, la loi du 31 juillet 1963 impose le dépôt de préavis. Et le service minimum s'applique déjà aux agents publics des services investis d'une mission ayant trait à la sécurité des personnes ou à la souveraineté. Faut-il rappeler aussi que certains corps de fonctionnaires sont exclus de l'exercice du droit de grève ou que la loi de 1963 interdit certains types de grèves -tournantes, sauvages, perlées ? Mais les juges administratifs et constitutionnels ont aussi rappelé à plusieurs reprises que le service minimum ne saurait être le service normal sous peine de vider le droit de grève de sa substance. Et, d'une manière générale, ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour concilier ces deux principes de valeur constitutionnelle que sont le droit de grève et la continuité du service public. On aperçoit dans ce texte une intention scélérate (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) qui vise à jeter l'opprobre sur les personnels des services publics et à rogner un droit essentiel et reconnu comme tel, Messieurs de la droite, par une partie de vos amis en 1946. Pour toutes ces raisons, aux côtés des agents ainsi menacés, je ne peux que condamner fermement l'esprit et les dispositions de cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Jacques Pélissard - Dans l'intimité de cette séance, nous pensions, je crois, sortir du registre de la caricature, de l'invective et des faux procès. Toute société recèle des risques de conflits, mais il appartient à une société démocratique de poser des règles pour y apporter des solutions conformes à l'intérêt général. Les grèves qui se produisent dans les services publics illustrent un double affrontement : entre deux principes tous deux à valeur constitutionnelle, le droit de grève et la continuité du service public ; entre des droits individuels, celui qu'a chaque agent de faire grève et celui qu'a chacun de nos concitoyens de se déplacer. Cette liberté de déplacement ne doit évidemment pas être que formelle. Et c'est bien la possibilité de bénéficier des services publics de transport qui lui donne un sens. Comme l'a dit le Président de la République, il n'est pas acceptable "que les services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération. Il est essentiel, poursuivait-il, que les entreprises de service public s'accordent avec leurs personnels sur des procédures efficaces de prévention des grèves". Lorsqu'un service public est interrompu par un grève, cela traduit l'échec du dialogue social dans l'entreprise mais aussi le fait que la liberté des grévistes l'emporte sur celle des usagers. Il appartient au législateur d'organiser mieux l'articulation entre ces deux libertés. C'est ce que fait la présente proposition de loi qui, tout en privilégiant le dialogue social et l'anticipation des conflits, prévoit en cas d'échec des négociations l'instauration d'un service minimum. Ces solutions sont humainement, socialement et économiquement nécessaires. Il ne faut pas oublier, en outre, la dimension environnementale : nous ne pouvons nous plaindre de la pollution automobile et rester passifs quand l'échec du dialogue social dans les entreprises publiques en situation de monopole jette sur les routes des centaines de milliers de voitures. Nous ne pouvons plaider pour l'intermodalité et le transport combiné si le service public ferroviaire n'est pas correctement assuré. Les transports de voyageurs devraient continuer à augmenter de 1 à 2 % par an dans les dix prochaines années ; pour les transports de marchandises, on table sur une augmentation de 65 % entre 1990 et 2010. Si la route absorbe 90 % de la progression totale, comme c'est le cas aujourd'hui, nous allons assister à un doublement du transport routier, et donc des émissions polluantes. Voulons-nous de ce scénario ? Voulons-nous, parce que les grèves à répétition, sans service minimum, cassent la dynamique du transport ferroviaire, continuer à faire la part trop belle au trafic routier ? Imaginons plutôt, pour gérer les conflits au sein des services publics, des procédures qui contribuent à une politique des transports respectueuse des usagers d'aujourd'hui et de demain (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Jean-Jacques Filleul - Ce texte vise moins à assurer la continuité dans les services publics qu'à remettre en cause le droit de grève. L'opposition revient là sur un thème quelque peu usé... Pourtant, la loi du 31 juillet 1963 se suffit à elle-même. Cette proposition de loi allonge encore les délais de la négociation par la mise en place d'une procédure obligatoire d'anticipation des conflits avant le dépôt d'un préavis de grève. On ne ferait ainsi que compliquer le dialogue social. Le dépôt de ce texte est purement démagogique. Dans le journal La Croix du 16 mars dernier, Dominique Bussereau expliquait avec quelque impudence, que le principe d'un service minimum dans les transports publics fait l'objet d'un consensus dans l'opinion, ajoutant que les syndicats acceptent d'en discuter sans trop de réticence. Puis il pointait du doigt la gauche, qui ne se convertit pas ! Ainsi donc, même si le texte est rejeté, l'opposition aura fait son tour de piste... M. Alain Néri - Qui n'est pas un tour d'honneur ! M. Jean-Jacques Filleul - N'opposons pas les agents du service public aux usagers, en laissant entendre qu'ils ne feraient que défendre des intérêts corporatistes. Les motifs essentiels des grèves, notamment à la SNCF, sont l'emploi et la sécurité. Tous les responsables mettent en avant les difficultés techniques que poserait la mise en place d'un service minimum. La SNCF ne peut faire circuler des trains avec des effectifs réduits : à la RATP, il n'est pas possible d'assurer un tiers du trafic aux heures d'affluence, car la sécurité des voyageurs serait remise en cause. En outre, un service minimum supposerait de faire des choix entre les catégories d'usagers, ce qui serait contraire au principe d'égalité, fondateur du service public : il est techniquement plus facile de faire rouler des TGV que des trains régionaux ou de banlieue. Par ailleurs, chaque entreprise a sa culture et son organisation propres. La forte décentralisation de la RATP a contribué à l'efficacité de son système "d'alerte sociale" ; celui-ci ne serait pas forcément applicable à la SNCF, qui se caractérise par une structure centrale forte. Evidemment, nul ne peut rester insensible aux difficultés des usagers en cas de grève. Il faut donc développer la négociation collective, pour que la grève ne soit que l'ultime recours. Seuls les partenaires sociaux peuvent, dans chaque entreprise, se donner les instruments du dialogue. Ce n'est pas en légiférant et en contraignant que l'on progressera dans la gestion des conflits. Enfin, il est dangereux de fonder la légitimité d'une proposition de loi sur son approbation supposée par l'opinion publique (Murmures sur les bancs du groupe UDF) : nous sommes ici pour faire valoir l'intérêt général. Il nous revient de protéger le droit de grève, liberté fondamentale reconnue par la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Pierre Carassus - Cette proposition de loi est loin de la démarche républicaine qui devrait tous nous réunir pour moderniser nos services publics. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut remédier à leurs dysfonctionnements ; les actions menées par les cheminots, les enseignants, les personnels des hôpitaux, de La Poste et d'EDF montre que ce souci est très largement partagé par ceux qui vivent au quotidien la dégradation de ces services, liée notamment au manque de moyens. Au-delà de la défense de leurs propres intérêts, ils sont souvent les premiers à demander qu'un véritable débat s'engage, pour faire en sorte d'améliorer le service rendu, d'aménager de façon cohérente notre territoire et de développer l'emploi. Ce n'est pas en interdisant ni en limitant le droit de grève que nous y parviendrons. Quant aux usagers, dans leur grande majorité, ils ne souhaitent pas participer à la campagne qui tend à discréditer l'organisation administrative de la France. En revanche, ils aspirent à ce que leurs démarches soient plus simples et plus efficaces et souhaitent que l'administration soit plus transparente. Ils veulent aussi que les services publics aient les moyens de fonctionner au mieux. Les députés du Mouvement des Citoyens attendent que le Gouvernement, comme s'y est engagé M. Zuccarelli, organise sur ces sujets un très large débat associant syndicats de fonctionnaires, usagers, collectivités locales et élus. Les auteurs de la proposition de loi se font l'écho des archaïques qui veulent remettre en cause le rôle de l'Etat dans l'économie, pour le restreindre aux seules fonctions régaliennes. Ce sont les adeptes d'un libéralisme dogmatique. M. Dominique Bussereau - Moderne ! M. Pierre Carassus - Assortissant leur cynisme d'un zeste de populisme, ils tendent à dresser les Français qui travaillent dans le secteur privé contre ceux qui travaillent dans le public et à jeter les fonctionnaires en proie à la vindicte populaire. En réalité, ce qui paralyse notre société, c'est la trop grande financiarisation de l'économie, qui met l'Etat sous la coupe des marchés. Ainsi le budget de la France s'élevait à 1 585 milliards en 1998, quand la capitalisation boursière atteignant quelque 5 700 milliards. Les profits se sont encore envolés. Les écarts de richesse et les inégalités sociales se creusent. Le patrimoine professionnel des trente familles les plus riches excède 425 milliards. Ces privilèges, la droite n'en parle jamais ! (Exclamations sur les bancs du groupe DL) Cessez donc de taper sur les fonctionnaires : ce ne sont pas eux les privilégiés. Vous proposez un service minimum. Les députés du Mouvement des Citoyens revendiquent au contraire un "service maximum" pour le bien-être de tous ! Votre méfiance, voire votre mépris pour les salariés du service public (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et leurs syndicats vous aveuglent. Ce n'est jamais par plaisir qu'ils font la grève, qui entraîne d'ailleurs pour eux des pertes de rémunérations souvent dramatiques. Votre discours sur l'amélioration du dialogue social sonne faux quand on le confronte à votre thème favori du "moins d'Etat". C'est parce que les députés du Mouvement des Citoyens ont réellement à coeur de protéger les droits des usagers, d'améliorer le dialogue social et d'assurer la continuité dans les services publics, tout en récusant la restriction du droit de grève, qu'ils voteront contre cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Alain Néri - A première vue -à courte vue- ce texte peut paraître intéressant, voire séduisant. Il est sûrement très important pour l'opposition, puisqu'il est cosigné par ses trois présidents de groupes, pour une fois unis. On peut cependant douter de cette importance, si j'en juge par la présence clairsemée de l'opposition sur ces bancs... Je me disais, en écoutant M. Bussereau, que le non-dit est parfois le plus important, et que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. C'est pourquoi nous aussi considérons ce texte comme très important. En effet, même si le rapporteur a déployé des efforts méritoires pour le soutenir, le rendre plus respectable, et pour nous charmer (Sourires), ce n'en est pas moins un texte démagogique et dangereux. Ce texte est démagogique. Qui peut être contre la mise en place de structures de concertation, et un bon fonctionnement du dialogue social ? Oui, mais voilà : cela ne se décrète pas, ni ne s'impose. La contrainte est par essence contraire à l'ouverture du dialogue. Elle est provocatrice. Le dialogue social n'existe que si on a créé un bon climat social, par le respect de la dignité et des droits des salariés. Ce texte est dangereux et provocateur. Feignant de respecter le droit de grève, il vise insidieusement à le remettre en question. Or c'est là un droit inscrit dans la Constitution, et le fruit de luttes sociales longues, douloureuses, parfois dramatiques. Les travailleurs ne font jamais grève par plaisir, mais quand ils y sont contraints et que tout le reste a échoué. La grève impose de lourds sacrifices à leurs familles et à eux-mêmes ; ils doivent parfois prendre jusqu'à leur dernier sou pour assurer leur droit à la dignité. M. François d'Aubert - La plupart du temps c'est payé ! M. Pierre Carassus - C'est faux. M. Alain Néri - Le droit de grève est par ailleurs un espace de liberté des salariés. Une fois de plus, la droite avance masquée derrière une pseudo volonté de concertation, pour porter atteinte à une liberté fondamentale des travailleurs. On a connu cela en Grande-Bretagne, avec Mme Thatcher et ses lois scélérates ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C'est avec détermination, Messieurs de l'opposition, que nous nous opposerons toujours à de telles mesures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. le Président - La commission n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, aliéna 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi. Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée. L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles de la proposition de loi. M. le Président - En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée. MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - J'indique à l'Assemblée que sera repris ce soir à 21 heures l'examen du texte de la CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur les polices municipales. L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié. Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures. La séance est levée à 11 heures 25. Le Directeur du service © Assemblée nationale © Assemblée nationale |