Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1998-1999)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 76ème jour de séance, 197ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 23 MARS 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE 1

La séance est ouverte à vingt et une heures.


Top Of Page

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - En raison du malaise de M. Crépeau, à qui nous souhaitons de se rétablir très vite, la séance a été suspendue cet après-midi. Aux termes de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement demande que le projet de loi relatif à la présomption d'innocence vienne en discussion immédiatement.

M. le Président - La présidence en prend acte et s'associe à vos voeux pour le rétablissement de M. Crépeau.


Top Of Page

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Mme la Garde des Sceaux - Je dirai d'abord quelques mots de l'état d'avancement de la réforme de la justice.

Dans sa déclaration de politique générale de juin 1997, Lionel Jospin annonçait une réforme d'ampleur de la justice destinée à rendre la justice plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés et plus indépendante.

J'ai présenté les orientations de cette réforme au conseil des ministres du 29 octobre 1997. Elles ont été débattues devant le Parlement les 15 et 21 janvier 1998. Depuis, les textes ont été déposés sur les bureaux des assemblées. Il reste à élaborer les réformes en matière économique : celle des tribunaux de commerce, celle sur la modernisation de la loi sur les sociétés et celle sur le droit de la famille, qui fait actuellement l'objet d'un groupe de travail.

Quels sont les axes de cette réforme globale ?

D'abord, une justice plus proche des citoyens. La première loi que vous avez votée définitivement est celle du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit. Elle va permettre de renforcer la justice de proximité et de mieux adapter ce service public aux besoins de nos concitoyens. 18 maisons de la justice et du droit ont été ouvertes depuis le mois de juin 1997, dont 7 depuis le 1er janvier 1999 et 41 projets sont en cours d'examen.

Un décret réformant la procédure civile, publié le 28 décembre 1998, permettra, lui aussi, d'accélérer la justice civile, qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers. Enfin, le projet de loi sur la simplification de la procédure pénale doit apporter des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de la petite et moyenne délinquance. Il comporte des mesures de simplification propres à rendre la procédure plus efficace. Il tend par ailleurs à faciliter la coopération judiciaire internationale.

Ensuite, une justice plus respectueuse des libertés : c'est ce à quoi tendent la loi sur la délinquance sexuelle du 17 juin 1998 qui protège mieux les victimes, notamment les mineurs, et le présent projet.

Enfin, une justice plus indépendante : le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, adopté par les deux assemblées, est en attente du Congrès.

Dès que celui-ci aura adopté le projet de loi constitutionnelle, les lois organiques d'application pourront être déposées. Quant au projet de loi sur les relations entre le Parquet et la chancellerie, il sera débattu en première lecture à l'Assemblée nationale, avant l'été.

A peine plus d'un an et demi après l'annonce de la réforme, donc, les textes sont adoptés ou sur le point de l'être. Aucun retard n'a été constaté et le Gouvernement a tenu ses engagements.

Mme Odette Grzegrzulka - Il faut le dire !

Mme la Garde des Sceaux - J'en viens aux principes du présent projet.

Il s'inspire très largement des travaux qui ont été conduits au cours des dernières années, notamment de ceux de la commission, présidée par le premier président de la Cour de cassation -M. Truche-, qui a rendu son rapport en juillet 1997.

La présomption d'innocence constitue le principe cardinal de toute procédure pénale dans un Etat de droit. Il y a malheureusement loin de la théorie à la pratique. Ce constat n'est pas nouveau. Ces dernières années, de multiples modifications du droit ont été proposées. Certaines ont été adoptées par le Parlement, certaines abrogées avant même leur entrée en vigueur ou après quelques mois seulement.

C'est la raison pour laquelle il a paru indispensable de procéder à une réforme d'ampleur de notre procédure pénale. Les moyens nécessaires ont déjà été mis en place, ce qui est sans précédent.

M. Bernard Roman - C'est un grand changement ! Avant, on parlait. Maintenant, on agit.

M. Pierre Albertini - Parfois il faut réfléchir avant d'agir !

Mme la Garde des Sceaux - Première caractéristique de cette réforme : elle s'adresse à tous les justiciables, victimes ou auteurs d'infractions.

Elle veut rendre notre justice pénale plus respectueuse des libertés, plus proche des citoyens et plus humaine. Elle s'intéresse d'abord aux victimes, qui ont trop longtemps été les oubliées du procès pénal. Agir pour elles, c'est agir pour les plus démunis mais aussi pour chacun d'entre nous, car nous pouvons tous, un jour, être victimes d'une infraction pénale.

Elle concerne, ensuite, les personnes suspectées, poursuivies ou mises en cause, dans le respect des principes définis par la convention européenne des droits de l'homme. Je rappelle que 300 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, 60 000 mises en examen et 30 000 placées en détention provisoire.

Cette réforme touche tous les aspects de la procédure pénale : l'instruction, qui ne concerne que 8 % des affaires, mais les plus importantes, mais aussi la citation directe, la convocation à délai rapproché ou la comparution immédiate, procédures qui ont trait essentiellement à la petite et moyenne délinquance. La présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, le renforcement des droits de la défense, les dispositions relatives aux droits des victimes et à la communication s'appliquent à toutes les affaires pénales, quelle que soit la procédure.

La réforme maintient la procédure inquisitoire, tout en améliorant les droits de la défense. La procédure accusatoire n'est en effet pas la solution idéale, même si elle a de nombreux défenseurs, y compris ici même. Cette procédure anglo-saxonne est par nature inégalitaire et injuste. Elle avantage le fort par rapport au faible et accentue les différences sociales, en favorisant celui qui a les moyens de rémunérer des avocats.

Le système inquisitoire est plus efficace et protège mieux les libertés individuelles. Je préfère un juge indépendant, qui instruit à charge et à décharge, à des policiers qui mènent une grande partie des investigations sans contrôle judiciaire.

Les pays qui connaissent un système accusatoire classique évoluent vers des institutions proches de notre juge d'instruction. Le Canada et l'Australie ont créé récemment des "enquêteurs", magistrats chargés des affaires les plus sensibles. La Grande-Bretagne a mis en place, en 1993, une commission dont les conclusions proposaient l'institution d'un "juge enquêteur".

Par ailleurs, les expériences récentes d'adoption de la procédure accusatoire par nos partenaires européens sont jugées peu convaincantes. Ainsi l'Italie, après quelques années d'expérimentation du nouveau système, a dû adopter une législation "inquisitoire" pour permettre la poursuite des infractions mafieuses. Je ne souhaite pas que la France abandonne les armes indispensables que lui donne sa procédure pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme, la grande délinquance financière. Ce n'est certainement pas quand la criminalité se mondialise et s'organise qu'il nous faut renoncer à l'efficacité dans la répression.

A cet égard, le juge d'instruction est un atout essentiel, à la fois pour l'efficacité de l'enquête, pour la protection des libertés et pour une approche égalitaire des procédures. Le projet fait donc le choix assumé de maintenir le juge d'instruction, en renforçant ses moyens, comme le montre la création récente des pôles financiers. Les dispositions du projet qui accentuent la fonction d'arbitre du juge d'instruction, neutre entre les parties, recherchant la vérité, instruisant à charge et à décharge, vont dans le même sens. L'existence du juge d'instruction dirigeant la police judiciaire, doté de pouvoirs importants d'investigation et de prérogatives juridictionnelles, travaillant le cas échéant en équipe, est un gage d'efficacité de l'institution judiciaire et une garantie pour les libertés individuelles.

Enfin, ce projet est un texte d'équilibre. Equilibre, tout d'abord, entre les droits de l'accusé et ceux de la victime. Ce sont là des objectifs complémentaires et d'égale importance. Equilibre, ensuite, entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Les renforcements des droits de la défense, qui sont réels, ne doivent pas compromettre l'efficacité des investigations et de la répression. Equilibre, enfin, entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence. Mieux protéger la réputation des personnes mises en cause ne doit pas porter atteinte à la liberté de la presse. Le Premier ministre s'est plusieurs fois refusé, notamment lors de ses voeux à la presse pour 1999, à toute mesure conduisant à limiter la liberté d'expression. C'est pourquoi le projet ne retient pas la proposition de la commission Truche visant à interdire la publication du nom des personnes mises en cause. Le Gouvernement entend concilier le respect de l'information et la protection de la présomption d'innocence, grâce à plus de publicité contradictoire et en sanctionnant bien sûr les comportements les plus graves.

Je tenais à souligner ces questions de principe qui sont essentielles et complexes. Et je veux sans attendre rendre un hommage tout particulier au travail du rapporteur de votre commission des lois, Christine Lazerges, qui vous a permis d'approfondir les enjeux de cette réforme. Je salue aussi les nombreux parlementaires qui, sur tous les bancs ont senti dès le départ la portée de ce texte, ont accepté son économie générale et proposé des amendements pour l'enrichir. Je remercie également la présidente de votre commission, Catherine Tasca qui a largement contribué à la réflexion sur ce projet, au cours de très nombreuses réunions constructives et sérieuses. Il en résulte que de nombreux amendements adoptés par votre commission le plus souvent à l'initiative de votre rapporteur, améliorent le projet et reçoivent mon accord. Sur d'autres points, les solutions retenues par votre commission me paraissent remettre en cause certains des équilibres de la réforme ; je suis persuadée que le débat permettra de surmonter ces divergences.

Après ce rappel des principes, entrons dans le projet même qui a deux objectifs : mieux protéger la présomption d'innocence, dans son premier titre et améliorer les droits des victimes dans le second.

Au titre premier, nous avons voulu énoncer en tête du code de procédure pénale le principe de la présomption d'innocence et ses conséquences. Votre commission qui approuve cette initiative propose de récrire une partie de cet article, pour le rendre plus complet et plus précis. J'y souscris. Ensuite, le projet comporte quatre grandes séries de dispositions ; en premier lieu le renforcement des droits de la défense et du débat contradictoire. A cette fin, le texte prévoit tout d'abord l'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, sauf dans les cas de criminalité ou de délinquance organisée. Aujourd'hui, moins de 10 % des personnes placées en garde à vue peuvent s'entretenir avec un avocat, car la présence de ce dernier n'est prévue qu'à la vingtième heure et toutes les gardes à vue n'atteignent pas cette durée. Désormais toute personne à qui est reprochée une infraction de droit commun pourra, avant d'être interrogée pendant 24 ou 48 heures par la police ou la gendarmerie, recevoir dès le début les conseils d'un avocat.

Votre commission a déposé plusieurs amendements concernant la garde à vue. J'en approuve certains ; d'autres me semblent soulever des difficultés. J'approuve celui qui permet à l'avocat de revenir à la vingtième heure et non seulement au moment de la prolongation de la garde à vue, comme le prévoyait le projet.

Ce dernier étend, d'autre part, les droits des parties au cours de l'instruction : elle pourront demander au juge tous les actes qu'elles estiment nécessaires et certains, si leur avocat le juge utile, devront être effectués en sa présence. Un exemple en montrera le bien-fondé. Si un avocat est présent lors de l'audition d'un témoin clef au cours de l'instruction, il pourra peut-être, par ses questions, démontrer que l'accusation est infondée, ce qui permettra un non-lieu. Actuellement, ces questions ne peuvent être posées que lors de l'audience devant le tribunal. Et même si l'accusation s'effondre à ce stade et que le prévenu bénéficie d'une relaxe, il eût été évidemment préférable pour lui de ne pas être renvoyé devant le tribunal. Plusieurs amendements de votre commission améliorent techniquement ces dispositions et reçoivent l'accord du Gouvernement.

Le projet améliore par ailleurs la procédure du témoin assisté, qui permet à une personne accusée de bénéficier des droits de la défense sans être mise en examen. On sait quel opprobre s'attache, hélas, à la mise en examen, au mépris de la présomption d'innocence. Le texte permet au juge, dans certains cas, de ne pas mettre en examen tout en permettant à la personne accusée de se défendre. Ce point a fait l'objet d'utiles amendements de votre commission. Le but est d'inciter les magistrats à recourir le plus fréquemment possible à la procédure du témoin assisté plutôt qu'à la mise en examen.

Enfin, pour conclure cette première série de mesures renforçant les droits de la défense, le projet permet à l'avocat de poser directement des questions aux témoins lors de l'audience. Ce renforcement du contradictoire à l'audience est évidemment un progrès des droits de la défense. Il concerne tous les procès, que le tribunal ait été saisi directement par le parquet, par citation ou en comparution immédiate, ou qu'il soit saisi par un juge d'instruction. Avec l'accord du Gouvernement, votre commission souhaite étendre à la cour d'assises ces dispositions, qui ne concernaient que le tribunal correctionnel.

Une deuxième série de mesures renforce les garanties en matière de détention provisoire, afin que celle-ci soit prononcée moins souvent et moins longtemps et qu'elle devienne véritablement exceptionnelle. Dans ce but, est créé un juge de la détention provisoire. Ce magistrat expérimenté, impartial et objectif -puisqu'il s'agira du président ou d'un vice-président du tribunal- décidera des placements en détention provisoire, des prolongations de détention provisoire et statuera sur les demandes de mise en liberté. C'est une garantie fondamentale, car une détention provisoire ne pourra intervenir que si deux magistrats -le juge d'instruction et le juge de la détention provisoire- en sont d'accord. Les détentions considérées parfois comme abusives, le soupçon selon lequel la détention provisoire servirait à faire pression sur le mis en examen pour obtenir ses aveux, pourront ainsi disparaître. Je me félicite que cette partie essentielle de la réforme ait été aussi bien accueillie par votre commission. Nous reviendrons sur la question des moyens qui permettront son application.

D'autre part, le projet limite les conditions de placement en détention provisoire en matière correctionnelle, ainsi que la durée de cette détention. Il convient de distinguer la question des seuils et celle des délais.

En ce qui concerne les seuils autorisant le placement en détention provisoire, je me félicite que votre commission ait retenu les propositions du Gouvernement. Les seuils actuels, soit un an d'emprisonnement en cas de flagrance, deux ans dans les autres cas, sont à l'évidence trop bas. Le projet supprime le seuil d'un an et instaure un seuil de trois ans ; le seuil reste fixé à deux ans pour un délit contre les personnes, l'Etat, la nation ou la paix publique, ainsi que pour un délit contre les biens lorsque la personne a déjà été condamnée.

Ces nouveaux seuils sont moins élevés que ceux adoptés il y a un an par l'Assemblée nationale dans une proposition de loi de M. Alain Tourret, mais celle-ci ne prévoyait pas la création du juge de la détention.

S'agissant de la durée de la détention provisoire, le projet limite tout d'abord l'utilisation, pour prolonger une détention, du critère du trouble à l'ordre public au délit puni de dix ans d'emprisonnement. Votre commission souhaite n'autoriser cette prolongation qu'en matière criminelle : je souscris à cette avancée.

D'autre part, en matière criminelle, le projet fixe la durée maximale de la détention à deux ans lorsque la peine encourue est de 10 ou 15 ans, à trois ans lorsqu'elle est de 20 ans. Pour les peines de 30 ans et perpétuelles, le droit actuel, qui ne fixe aucun délai, est maintenu, de même que dans les cas où plusieurs crimes ont été commis par une même personne : il est important, en effet, que la détention puisse être plus longue lorsque l'instruction, en raison de la multiplicité des faits, demande des investigations complexes. Dans le cas de viols et assassinat commis en 1996 à Boulogne-sur-Mer sur quatre jeunes filles, comme dans celui des crimes commis récemment dans l'est de Paris, les faits, qu'il serait dommageable de dissocier, ne peuvent pas être correctement instruits dans les délais retenus par votre commission.

M. Patrick Devedjian - Il est inconvenant de parler d'une affaire non jugée !

Mme la Garde des Sceaux - En matière correctionnelle, la durée de la détention provisoire n'est actuellement pas limitée pour les faits punis d'une peine de 10 ans : le projet la limite à deux ans, sauf pour les infractions particulièrement graves comme le trafic de stupéfiants, le terrorisme et la délinquance organisée. Je suis favorable à la plupart des propositions de la commission relatives aux délais. Cependant j'appelle l'attention de l'Assemblée sur son souhait de supprimer les exceptions à la durée maximale de détention dans les affaires graves et pour les crimes multiples : nous ne devons pas affaiblir la répression lorsque notre sécurité est en cause.

Enfin, le projet améliore l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées, en prévoyant une réparation intégrale de tous les chefs de préjudice, à la suite d'une décision motivée prise au cours d'un débat public. Cette réforme indispensable figurait en partie dans la proposition de loi Tourret. Je m'interroge cependant sur le bien-fondé de l'amendement de la commission qui tend à mieux mettre en évidence le caractère obligatoire d'une telle indemnisation, sauf dans certaines hypothèses -dont la liste peut donner lieu à controverses.

Votre commission a adopté par ailleurs un amendement permettant aux juridictions de mettre à la charge de l'Etat une indemnisation des frais irrépétibles exposés par les personnes relaxées ou acquittées. Je remercie M. Tourret d'avoir déposé cet amendement inspiré par des considérations d'équité. J'en ai déposé un autre qui le précise et l'étend aux personnes ayant fait l'objet d'un non-lieu. Cela permettra aux justiciables poursuivis à tort d'obtenir un dédommagement des frais engagés pour leur défense, ce qui est un progrès considérable.

En troisième lieu, le projet renforce le droit à être jugé dans un délai raisonnable, en instituant un contrôle de la durée des enquêtes par le président du tribunal et des instructions par la chambre d'accusation et son président, à la demande des personnes suspectées ou mises en examen. Une personne placée en garde à vue puis libérée mais qui continue de faire l'objet d'une enquête depuis plus de huit mois pourra demander au président du tribunal un débat public sur la poursuite de celle-ci. Votre commission propose de ramener le délai à six mois : j'y suis favorable.

S'agissant de la durée de l'instruction, votre commission propose de remplacer le mécanisme proposé par le Gouvernement, c'est-à-dire l'établissement d'un calendrier prévisionnel par le juge d'instruction, par un système plus contraignant, reposant sur des délais fixes, dont l'éventuelle prolongation serait soumise à une procédure lourde devant la chambre d'accusation. Les dispositions retenues dans le projet permettent un véritable dialogue entre le juge et les parties. Elles évitent de mettre en péril l'enquête dans des affaires graves qui nécessitent une instruction longue. Je pense aux dossiers de délinquance économique et financière, à l'attentat du DC10 de la compagnie UTA, à l'affaire des "fiancés de Fontainebleau" dont l'instruction a duré plus de dix ans.

Je vous mets en garde contre des propositions qui seraient perçues comme un affaiblissement de la répression et de l'enquête, une contrainte inutile pesant sur le juge ou, pire encore, une volonté de mettre un terme à des affaires sensibles.

En quatrième lieu, le projet permet de mieux prévenir, réparer ou réprimer les atteintes à la réputation d'une personne qui résultent de sa mise en cause au cours d'une procédure judiciaire.

A cet égard, l'article 9-1 du code civil et les dispositions du code de procédure civile relatives au référé ont, par le passé, démontré leur utilité ; il convient donc de les conserver. Mais le projet institue d'autres garanties. Il crée deux nouveaux délits punis de 100 000 F d'amende : la publication de l'image d'une personne menottée ou entravée et la réalisation ou la diffusion de sondages sur la culpabilité ou la peine d'une personne poursuivie.

Par ailleurs, il consacre dans le code de procédure pénale la pratique des communiqués du procureur de la République permettant les "mises au point", à condition qu'elles présentent un caractère objectif.

Dans le même esprit, il institue de nombreuses "fenêtres de publicité" au cours de la procédure, lors du contrôle de la durée de l'enquête, du placement en détention et en cas d'audience devant la chambre d'accusation, permettant ainsi, à la demande de l'intéressé, un débat public sur les charges.

Il améliore les dispositions prévoyant que le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel doit publier un communiqué en cas de non-lieu ou de relaxe.

Il précise, enfin, que toute mesure utile doit être prise dans des conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Des précautions devront être prises par le chef d'escorte et par le procureur de la République ; les règles en la matière ne sont prévues que par voie de circulaire. Elles seront désormais inscrites dans le code de procédure pénale.

Le projet améliore les dispositions sur le droit de réponse, en allongeant les délais et en rendant possible l'intervention du procureur de la République. Parmi les nombreux amendements de votre commission, certains, de précision, recueillent mon accord, de même que celui qui vise à supprimer le droit de réponse du Parquet.

En revanche, je ne suis pas favorable aux amendements tendant à interdire au juge de refuser les "fenêtres de publicité" au cours de l'enquête ou de l'instruction, lorsque cette publicité risque d'entraver le bon déroulement des investigations. La possibilité de maintenir ces exceptions est fondamentale ; c'est d'ailleurs elle qui justifie le principe, non remis en cause, du secret de l'instruction. Ce principe doit donc être impérativement conservé. Comment assurer chance de réussite à une enquête sur un trafic de stupéfiants si la première personne arrêtée peut, par le biais du débat public, prévenir ses complices qui pourront alors fuir ou dissimuler les produits de leur trafic ?

Enfin, je suis fermement opposée aux amendements qui ont pour conséquence de porter atteinte à la liberté d'expression. Je serai particulièrement ferme sur ce sujet.

J'en viens au titre II du projet. Il améliore la situation des victimes, qui ont trop souvent été les parents pauvres du procès pénal. Certes, d'importants progrès ont été réalisés ces dernières années. Ainsi la loi du 17 juin 1998 relative à la délinquance sexuelle a reconnu des droits concrets aux victimes, notamment mineures. Par ailleurs, j'ai adressé le 12 juillet 1998 à l'ensemble des juridictions une circulaire prescrivant de façon précise les actions à mener en faveur des victimes.

Il convient d'aller plus loin : les victimes doivent être mieux entendues, mieux défendues et mieux indemnisées.

Le principe, qui ne figure actuellement dans aucun texte, selon lequel l'autorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes tout au long de la procédure sera rappelé en tête du code de procédure pénale.

Le projet consacre dans la loi le rôle joué par les associations d'aide aux victimes. Plus de 150 d'entre elles dont l'INAVEM, sont aujourd'hui des interlocuteurs privilégiés des juridictions et ont passé des conventions avec le ministère de la justice.

Par ailleurs, trois modifications éviteront aux victimes de se déplacer lors du procès. Elles pourront se constituer partie civile par lettre pour demander des dommages et intérêts, quel qu'en soit le montant, par télécopie, et dès le stade de l'enquête de police.

Le tribunal correctionnel pourra aussi, après avoir condamné le prévenu, renvoyer à une audience ultérieure l'examen des demandes de la victime, afin de lui permettre de fournir ses justificatifs et de lui éviter d'engager un second procès devant le juge civil.

Ces réformes, d'apparence technique, sont extrêmement importantes en pratique. Les victimes sont en effet trop souvent les laissées-pour-compte des "procédures rapides", notamment dans le cas des vols de voitures, des dégradations ou des agressions qui sont le quotidien de ces procédures.

Le projet permet aussi à la victime d'obtenir un dédommagement de la part du condamné en cas de pourvoi abusif de ce dernier.

Des avancées sont encore possibles. Je pense que la navette parlementaire sera l'occasion de faire des propositions. Je compte aussi sur les conclusions du rapport que Marie-Noëlle Lieneman doit remettre au Premier ministre d'ici à la fin du mois.

Il convient également de protéger la dignité des victimes. A cette fin, le texte crée deux nouveaux délits punis de 100 000 F d'amende, en cas de publication de l'image d'une victime dans des conditions portant atteinte à sa dignité, et en cas de publication de l'identité d'une victime mineure. La première infraction répond à une nécessité incontestable, que l'actualité récente a malheureusement soulignée. En effet, à la suite de la publication par un hebdomadaire de la photo d'une victime de l'attentat du RER à Saint-Michel, dans des conditions qui portaient gravement atteinte à la dignité de cette personne, des poursuites engagées sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ont été annulées par la cour d'appel de Paris.

Celle-ci a considéré que le texte répressif était trop imprécis, et par là même contraire à la convention européenne des droits de l'homme. La nouvelle infraction, mieux définie, permettra d'éviter une telle critique.

La commission a adopté plusieurs amendements renforçant, là encore, les droits des victimes. Pour la plupart, ils inscrivent dans la loi certaines pratiques judiciaires que préconisait une circulaire du 12 juillet 1998. Ils recueillent donc mon assentiment.

Enfin, cette réforme exige d'importants moyens, notamment pour la création du juge de la détention provisoire.

Ma position a été constante depuis mon arrivée à la chancellerie : je ne proposerai aucune réforme sans avoir préalablement obtenu les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - C'est cela, le sérieux.

Mme la Garde des Sceaux - C'est bien évidemment le cas de ce texte. Les budgets pour 1998 et 1999 ont permis de créer respectivement 70 et 140 postes supplémentaires de magistrats, effort unique depuis plus de dix ans. Parmi ces postes, figurent bien entendu ceux dont cette réforme rend la création nécessaire. Par une circulaire du 19 mars 1999, j'ai déjà procédé à la localisation de 60 postes budgétaires.

Je souhaite être pragmatique, pour tenir compte de la diversité des tribunaux de grande instance. Les 22 décisions de détention provisoire prises par le tribunal de grande instance de Guéret n'appellent pas la même réponse que les 2 150 de Paris ou les 209 de celui d'Avignon. Une solution unique sur l'ensemble du territoire n'est pas envisageable.

J'ai d'ores et déjà écarté l'idée de créer un emploi de juge de la détention dans les 187 tribunaux de grande instance. L'activité de l'instruction à Morlaix, Cambrai ou Lure ne requiert pas la présence d'un juge de la détention à temps plein.

Une deuxième solution consisterait à nommer des juges de la détention dans certaines juridictions et à leur donner une compétence territoriale inter-juridiction sur le modèle des juges des enfants. Cette organisation permettrait de mutualiser les moyens de plusieurs juridictions d'un même département.

On peut raisonner de la même manière au niveau des cours d'appel. Certaines d'entre elles, comme celles de Limoges ou de Bourges, comportent un nombre important de petits tribunaux de grande instance à une et deux chambres. Des magistrats placés auprès des chefs de cour pourraient, en délégation, remplir les fonctions de juge de la détention. La vingtaine de mandats de dépôt prononcés à Brive ou à Tulle pourrait être prise en charge par un juge placé auprès du premier président de la cour d'appel de Limoges.

Enfin, une disposition du projet de loi sur les alternatives aux poursuites permettra de délocaliser certaines affaires, à l'initiative des chefs de cour, quand le tribunal ne peut pas les juger.

Une troisième possibilité serait de spécialiser certaines juridictions à la fois pour le juge d'instruction et pour le juge de la détention et de leur donner une compétence inter-juridiction réelle. Votre commission a déposé un amendement en ce sens. Le regroupement des juges d'instruction et des juges de la détention en un même lieu contribuerait à la nécessaire spécialisation de ces magistrats qui seront de plus en plus confrontés à une délinquance organisée.

Enfin, à plus long terme, des aménagements pourront être apportés dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire.

J'ai demandé aux juridictions de réfléchir à toutes ces hypothèses, afin de dégager, de manière concertée, des axes de travail.

Au total, ce projet dénote un véritable changement de perspective dans l'appréhension des principes généraux de la procédure pénale. Deux idées-forces ont présidé à son élaboration. Tout d'abord, rendre les différents acteurs du procès pénal plus responsables. En second lieu, concilier de façon équilibrée dans la procédure pénale les libertés individuelles et les nécessités de la répression, la protection de la présomption d'innocence et le respect de la liberté d'expression.

La réforme que je vous propose est ambitieuse, éclairée, mais aussi nécessaire pour que la justice retrouve la confiance de l'opinion publique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois - Dans sa déclaration de politique générale de juin 1997, le Premier ministre annonçait une réforme d'ampleur de la justice : rendre celle-ci plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés et plus indépendante, c'est-à-dire renforcer l'Etat de droit.

Le projet de loi sur l'accès au droit et la résolution amiable des conflits est adopté définitivement depuis le 18 décembre 1998 ; celui relatif aux alternatives aux poursuites est sur le point de l'être.

Renforcer l'Etat de droit c'est, en particulier, renforcer la présomption d'innocence. L'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que : "Tout homme est présumé innocent, jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi".

Il est indispensable de rendre ce droit effectif. Renforcer l'Etat de droit, c'est aussi renforcer les droits des victimes, des droits dont elles doivent être informées et auxquels elles doivent avoir accès.

Pour que la France soit exemplaire, le code pénal et le code de procédure pénale doivent satisfaire aux règles fondamentales qui garantissent les droits et libertés des citoyens et notamment aux principes inscrits dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment de celles à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs de l'infraction sont nécessaires à la sauvegarde des principes et droits à valeur constitutionnelle, mais qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés garanties par la Constitution. C'est tout le sens de ce projet.

De la présomption d'innocence, inscrite actuellement à l'article 9-1 du code civil et non dans le code de procédure pénale, on veut faire un droit effectif et non une simple pétition de principe. Quant aux droits de la victime, on veut que leur reconnaissance et leur mise en oeuvre fassent reculer le sentiment d'insécurité.

La présomption d'innocence est l'état ambigu de celui qui n'est plus tout à fait un innocent mais qui n'est pas encore devenu un coupable. En deçà, il y a l'innocence. Au-delà, de nouveau l'innocence ou bien la culpabilité.

Il importe de mieux contrôler la garde à vue, de renforcer le statut du témoin assisté, de rendre la détention provisoire moins fréquente et limiter raisonnablement les délais de procédure et de détention provisoire.

Dans une procédure qui, cessant d'être rigoureusement inquisitoire, n'est plus strictement secrète, la liberté de communiquer doit être renforcée.

Nul n'ignore qu'il est difficile de garantir la présomption d'innocence : bien que celle-ci gouverne le droit de la preuve, il existe encore des présomptions de culpabilité.

Que penser de la détention provisoire qui, par ses conséquences pratiques et psychologiques, est perçue comme un pré-jugement, comme un à-valoir sur la peine ?

Une loi nouvelle, audacieuse, est nécessaire. Nous voulons, avec ce texte, que la présomption d'innocence ne soit plus mise à mal par le procès pénal, qui d'ailleurs la fait naître, et que les droits des victimes soient mieux protégés.

Depuis la fin des années 1970, une véritable politique d'aide aux victimes s'est construite, avec la loi du 8 juillet 1983 et celle du 6 juillet 1990, qui a reconnu aux victimes de la délinquance ayant subi des atteintes graves dans leurs personnes le droit d'obtenir la réparation intégrale de leur préjudice.

Liés par l'acte délictueux, auteurs et victimes ont des droits qu'il faut conjuguer. La protection de la personne poursuivie doit aller de pair avec celle de la victime.

Pour la première fois, l'article premier du projet énonce des principes fondamentaux qui devraient prendre place dans un article préliminaire du code de procédure pénale. Il est ainsi affirmé que la procédure pénale doit être juste et équitable, respecter le principe du contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles et l'autorité judiciaire doit veiller à l'information des victimes et à la garantie de leurs droits.

Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas établie. Elle a le droit d'être informée de la nature des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. Les mesures de contraintes prises à son encontre doivent l'être sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Ces mesures doivent être proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et strictement limitées aux nécessités de la procédure. Elles ne peuvent en aucun cas porter atteinte à la dignité de la personne poursuivie. Il doit être statué dans un délai raisonnable et toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

Le texte proposé s'inspire largement du rapport de la commission Delmas-Marty, qui distingue les principes garantissant la prééminence du droit de ceux qui protègent les personnes et de ceux qui garantissent la "qualité du procès".

A des fins pédagogiques, mais aussi pour renforcer la cohérence de nos codes, il me paraît utile de rappeler dans la loi les principes directeurs qui commandent la procédure pénale.

Ce projet ne vise pas à réformer définitivement, mais à réformer suffisamment, dans une perpétuelle quête d'équilibre.

Pour mieux protéger la présomption d'innocence, votre rapporteur défendra, au nom de la commission, un certain nombre d'amendements qui n'altèrent pas l'équilibre du texte.

La garde à vue doit être mieux contrôlée. L'article 41, alinéa 3, du code de procédure pénale dispose que le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. La commission suggère qu'il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par trimestre, ce qui, dans un parquet bien organisé, ne doit pas poser de problèmes pratiques. La commission estime en outre que le simple témoin, dans le cadre d'une enquête de flagrant délit ou d'une commission rogatoire, ne peut être placé en garde à vue et ne doit être retenu que le temps nécessaire à son audition.

Si la possibilité de s'entretenir avec un avocat constitue une avancée considérable, la commission estime qu'un nouvel entretien doit être autorisé à partir de la vingtième heure de garde à vue et un troisième au-delà de la trente-sixième heure. En 1997, sur 380 000 mesures de garde à vue, 15 % d'entre elles ont duré plus de vingt-quatre heures. Permettre ces entretiens ne vise évidemment pas à entraver le travail de la police et de la gendarmerie, mais à lever le soupçon qui pèse sur la garde à vue.

Notre procédure pénale doit être en tous points conforme à la convention européenne des droits de l'homme.

Se voyant reconnaître les mêmes droits que les personnes mises en examen, le témoin assisté devient partie à la procédure et peut faire appel des ordonnances du juge d'instruction, dans les conditions prévues aux articles 186 et 186-1 du code de procédure pénale. Il s'agit de retarder les mises en examen, qui entament la présomption d'innocence. La mise en examen ne devient incontournable qu'à la veille de l'ordonnance de clôture ou lorsqu'une mesure de détention provisoire ou de contrôle judiciaire est envisagée.

Les effets pervers des inculpations tardives sont supprimés, puisque le témoin assisté bénéficie de tous les droits reconnus aux personnes mises en examen.

Si vous suivez la commission, la mise en examen ne pourra plus être demandée sans indices précis.

Par ailleurs, de nombreuses dispositions du projet et plusieurs amendements visent à renforcer les droits des parties.

Poursuivant une évolution entamée par la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, le projet tend à élargir ces droits, au cours de l'instruction préparatoire, mais aussi au cours de l'audience de jugement. Ainsi, son article 5 renforce le caractère contradictoire des expertises pénales. Par amendement, nous proposons que l'intégralité du rapport d'expertise puisse être notifiée, à leur demande, aux avocats des parties.

S'agissant de la détention provisoire, l'intention du Gouvernement comme de la commission est de la rendre exceptionnelle, en prévoyant qu'elle soit décidée par un juge extérieur à l'instruction.

Depuis la loi Badinter du 10 décembre 1985, la France est à la recherche d'un autre système de placement en détention provisoire. Deux juges désormais seront nécessaires pour placer en détention provisoire : le juge d'instruction et le juge de la détention provisoire. La décision d'un seul juge suffira à autoriser la remise en liberté.

On sait à quel point la détention provisoire peut briser un individu, une famille. La commission a donc déposé des amendements visant à limiter la détention provisoire. Mieux vaut recourir au placement sous contrôle judiciaire quand on ne peut laisser un prévenu en liberté.

Sur les délais et la transparence des procédures, je reviendrai au cours des débats : là aussi le présumé innocent et la victime sont intéressés.

Pour renforcer les droits des victimes, la commission proposera plusieurs amendements qui s'inspirent largement de l'excellente circulaire du Garde des Sceaux du 13 juillet 1998 sur la politique pénale d'aide aux victimes.

Deux groupes de travail, l'un interne au ministère de la justice, l'autre interministériel, présidé par Mme Lienemann, réfléchissent au droit des victimes.

Lors des rencontres de Montpellier, on a réaffirmé la volonté de conduire une véritable politique publique d'aide aux victimes, s'appuyant sur un cercle élargi d'acteurs de la prévention.

L'information doit d'abord être celle du grand public par des documents nationaux ; elle suppose la création d'un numéro d'appel national avec renvoi sur le département concerné. Elle doit se réaliser à tous les stades de la procédure, elle impose la motivation des classements sans suite et peut-être la mise en place de délégués du procureur aux victimes.

L'accompagnement doit continuer à être une des missions premières des associations d'aide aux victimes. Quant à l'indemnisation, elle doit être repensée et simplifiée ; il faut mettre fin au maquis actuel. Tout, dans cet inventaire, ne relève pas de la loi. Cependant, le projet peut être complété en ce qui concerne l'information.

Bien entendu, il est essentiel de faciliter les constitutions de partie civile comme le propose le projet, mais il faut aussi améliorer l'indemnisation effective des victimes. C'est l'objet d'un dernier chapitre que la commission vous proposera d'ajouter au projet. La protection de la dignité de la victime, l'information et l'écoute participent à la réparation. Qu'il s'agisse des personnes suspectées ou des victimes, la commission des lois, constatant la fragilité de la présomption d'innocence et des droits des victimes, a voulu renforcer le projet pour une meilleure protection de la dignité humaine, en essayant de prévenir toutes les formes d'humiliation.

Le débat devrait permettre d'affirmer haut et fort que chaque homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable, que la victime est pleinement partie au procès pénal.

Nous souhaitons vivement que l'on ne puisse citer le doyen Carbonnier à propos de ce projet de loi et de ses amendements : "Ce qu'on appelle l'intention du législateur est dans la genèse parlementaire quelque chose de malaisément définissable : des droits confus, des opinions contradictoires, des réflexions parfois saugrenues lancées à contretemps". Notre volonté est claire, et nous saurons la traduire dans le texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. André Gerin - Je le dis d'emblée, je prends le parti des victimes. Le préambule du projet affirme que : "cette réforme est indispensable pour rétablir la confiance des citoyens". Je crains cependant qu'il n'ait un effet très limité.

C'est d'une mauvaise application du principe de la présomption d'innocence qu'il est question aujourd'hui. Chacun tient la présomption d'innocence pour son droit et la présomption de culpabilité pour le droit des autres (Quelques approbations).

Je veux d'abord rendre hommage à Mme la Garde des Sceaux pour les efforts engagés depuis deux ans. Ce projet marquera un progrès, nous le soutiendrons, même si nous pensons qu'il faut aller beaucoup plus loin. Je salue aussi le travail de Mme Lazerges, rapporteur, et de Mme la présidente de la commission.

Mais la question des moyens de la justice est devenue capitale. La durée des procédures tend peu à peu à dresser l'opinion contre la justice et à renforcer le sentiment d'abandon que peut éprouver la population.

Le projet représente un progrès pour les droits de la victime, mais on est encore loin du compte au regard de la violence urbaine et du sentiment d'insécurité.

Nous avons un devoir d'exemplarité à propos des affaires, et la décision de Roland Dumas est salutaire. Il faut renforcer la transparence publique ici comme à Bruxelles -sinon nous serons discrédités.

Rendre sa crédibilité à la justice passe par un comportement exemplaire des dirigeants politiques. Nous devons agir en profondeur pour transformer les procédures, et oeuvrer pour une justice plus proche et plus rapide, plus attentive aux victimes.

Ce texte comporte quelques points forts. Il renforce les droits de la défense dès le début des investigations et proportionne l'action de la justice à la gravité des faits et aux nécessités de l'enquête. Il met en avant la protection des citoyens contre les atteintes à leur dignité et à leur réputation. Il renforce les droits du justiciable et prend mieux en compte les victimes.

Nous approuvons ces objectifs, mais les moyens de la justice ne lui permettent pas de prendre de la hauteur. La création du juge de la détention doit s'inscrire dans la réforme de la carte judiciaire en cours. Cette année, 70 postes de magistrats ont été créés mais cela reste insuffisant. Il faut plus de moyens. Néanmoins, le projet améliore la situation existante.

Nous nous félicitons que la commission ait adopté notre amendement visant à assurer la présence de l'avocat dès la première heure. De nombreuses législations européennes prévoient déjà la présence d'un avocat lors des auditions faites pendant la garde à vue, voire en Italie l'enregistrement des propos tenus. Il apparaît utile d'appliquer ces garanties supplémentaires pour les gardes à vue de très jeunes mineurs.

Est-il judicieux d'introduire des dispositions particulières pour les trafiquants de drogue et les criminels ? Le texte veut permettre "l'égalité des armes" entre la défense et l'accusation en élargissant les droits des parties tout au long de la procédure pénale. Sauf le cas où l'avocat a déjà été désigné et convoqué régulièrement, le juge d'instruction doit avertir le mis en examen qu'il peut soit se taire, soit faire des déclarations, soit être interrogé.

La mise en examen ne devrait-elle pas faire l'objet d'une ordonnance motivée ? Aujourd'hui, elle est vécue comme une véritable présomption de culpabilité.

La principale innovation du projet est l'institution d'un juge de la détention, naguère baptisé "juge des libertés".

Mais la décision de placer en détention reste confiée à un juge unique. Or la détention proviosire ne doit être utilisée que si elle se révèle indispensable à l'établissement de la vérité, puis à la garantie de la représentation en justice.

Nous préférerions une chambre d'examen des mises en détention provisoire, présidée par un magistrat du siège avec deux assesseurs désignés par l'assemblée générale du tribunal de grande instance. Le juge unique risque d'affaiblir la procédure pénale. La collégialité est facteur de simplification, de décloisonnement et d'enrichissement. Vous partagez cette opinion mais, faute de moyens, vous prenez d'autres dispositions. C'est là que le bât blesse.

La chambre d'examen serait systématiquement saisie par le juge d'instruction. Elle rendrait sa décision après audition de l'inculpé et de son avocat, du juge et du procureur de la République et examen de la matérialité des charges. Le magistrat qui y aurait siégé pour une affaire ne pourrait participer à son jugement. Le projet limite la mise en détention aux infractions les plus graves. Nous apprécions ces avancées notables, mais nous avons déposé un amendement pour aller encore plus loin.

Le projet comporte des dispositions relatives à la communication et aux médias, pour prévenir les atteintes à la dignité et à la réputation des citoyens. Celles-ci sont en effet mal défendues en France. C'est un problème d'éducation civique, et l'exemple doit venir d'en haut. Comme l'article 4 de notre Déclaration des droits de l'homme le dit, la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

Dans les médias aujourd'hui, c'est l'ouverture aux rumeurs, la chasse au crime et au spectacle. Face à la liberté de la presse devraient se poser le respect de la personne et de la vie privée, l'inaltérabilité de la dignité, et ce problème concerne tant la police que la justice et les responsables politiques.

Nous nous opposerons à l'amendement qui entrave l'information de la presse sur les affaires en cours et qui interdirait, de fait, de parler de la Commission de Bruxelles, des affaires parisiennes ou du dossier Elf. Il faut accepter un espace public contradictoire où la déontologie et la responsabilité doivent être établies de manière conflictuelle, dans l'indépendance de la presse. Il nous faut assumer avec courage cette responsabilité morale. Finissons-en avec la fascination des sondages : c'est aussi cela, notre devoir d'exemplarité.

Votre projet veut renforcer les droits des justiciables, mais il est limité. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable reste très flou. Il dépend pour partie du nombre de magistrats et de leurs moyens. S'agissant des droits des victimes, les progrès réalisés sont décevants. Ainsi leur information devrait être obligatoire dès le début de l'enquête. Si le texte consacre le rôle essentiel des associations d'aide aux victimes, il y a encore beaucoup à faire pour les soutenir. Il faudrait envisager des dispositifs d'accompagnement et de soutien psychologique et tout faire pour leur permettre d'obtenir une réparation juste et rapide. Nous mesurons l'immensité de cette tâche, mais l'enjeu mérite qu'on s'y attelle.

Il faudra bien, au-delà de ce texte, entreprendre une vraie réforme et aller jusqu'au bout de notre vieille procédure inquisitoriale. Il faudra un véritable big bang, oser secouer le cocotier et faire reculer nos peurs.

Les Français attendent une justice de compétence, de sérénité et d'équité, qui rende ses décisions avec clarté, dans un délai raisonnable et dans un souci de pédagogie civique. Les classements sans suite, les décisions controversées, la durée parfois intolérable des procédures sont ressentis comme autant de résurgences de l'arbitraire. C'est un immense défi que le Gouvernement doit relever. Notre soutien à votre projet, c'est notre engagement à aller encore plus loin pour contribuer au renouveau démocratique et reconquérir la confiance des Français. Je souhaite que ce projet apporte un peu de la sérénité dont nous avons besoin dans le contexte actuel (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Albertini - Dans son quinzième dialogue politique, Voltaire demandait à ses concitoyens lequel de tous les Etats semblait avoir la meilleure loi et la jurisprudence la plus conforme au bien général et à celui des particuliers. Cette question, posée à une époque où le combat pour les libertés était aussi respectable qu'aujourd'hui, renvoie aux fonctions législative et juridictionnelle. Elle a gardé toute son acuité. La justice joue un rôle de régulation sociale irremplaçable et ne peut le remplir que si les justiciables lui font crédit et si l'autorité des jugements et de la loi en général est respectée. On peut douter que ces conditions soient réunies aujourd'hui. Certains parlent de crise de l'institution, d'autres de dysfonctionnement. Ce qui est sûr, c'est que les Français ont perdu confiance dans leur justice.

En lançant la grande réforme de la justice le 12 décembre 1996, le Président de la République souhaitait une justice plus rapide, plus compréhensible et plus impartiale. Il vous appartient de la mettre en oeuvre. Mais nous avons du mal à saisir le fil directeur de vos textes. Surtout, la justice civile, qui demeure celle qui concerne le plus nos concitoyens, en est la grande oubliée. L'enjeu est clair. Il s'agit de concilier deux exigences contradictoires : l'efficacité de la répression, qui renvoie à l'autorité de la loi et au sentiment de sécurité des citoyens, et les libertés fondamentales, parmi lesquelles les droits de la défense, la présomption d'innocence, la liberté de communication et d'information. Ce sont des facettes indissociables dans une société démocratique. La tendance des Français à trouver des boucs émissaires -juges, policiers, journalistes- est fâcheuse.

Notre procédure pénale a toujours été extrêmement méfiante à l'égard des droits de la défense et de la presse. N'oublions pas le contexte de l'élaboration du code d'instruction criminelle, qui n'est pas le meilleur, loin s'en faut, des codes napoléoniens. Il est marqué par la défiance à l'égard de l'accusé et par une enquête qui commençait presque systématiquement par une mise en détention. Il importe aujourd'hui de réorienter les principes de notre politique pénale, de rééquilibrer la balance, trop longtemps inclinée du côté du secret de l'instruction. C'est d'ailleurs dans cet esprit que M. Balladur a récemment publié un texte qui inspirera certains amendements. Il estime à juste titre que la priorité doit désormais être donnée à la protection des libertés, et que nous devons aller vers une procédure de plus en plus contradictoire, avec une séparation entre investigation et jugement.

Votre démarche, Madame la ministre, est encore hésitante et ne nous semble pas à la hauteur des enjeux. Elle risque ainsi d'accumuler les insatisfactions. La presse s'est déjà fait l'écho de débats au sein de la majorité plurielle, cependant que les organisations de magistrats réagissent avec une très grande prudence, voire avec une certaine forme d'hostilité, à certains points du projet.

Celui-ci comporte certes des mesures positives. C'est le renforcement des droits des victimes, qui seront mieux associées à l'instruction comme au jugement. C'est l'extension des droits de la défense, même si elle reste homéopathique. C'est encore la tentative -ce doit être environ la quinzième depuis la Libération- de limiter les cas de mise en détention provisoire et la durée de celle-ci : espoir ou réalité ? J'avoue éprouver quelques doutes. C'est, enfin, la création du juge de la détention provisoire. Elle a d'ailleurs pour effet de faire apparaître souvent le juge d'instruction comme le seul coupable des dysfonctionnements d'une procédure qui est en réalité mal conçue : c'est lui faire un procès assez injuste. Vous lui ôtez une partie de ses pouvoirs ; mais je ne suis pas sûr que le face-à-face avec le juge de la détention provisoire se révèle efficace pour la protection des libertés.

La seule addition de ces mesures, intéressantes et sympathiques, ne fait pas un grand projet. Surtout, elle ne permet pas d'agir sur les véritables causes du dysfonctionnement de la justice. J'en discerne trois. C'est, d'abord, l'engorgement des instructions. C'est, ensuite, la question du contrôle sur la police judiciaire, et j'y ajoute celle de l'efficacité de cette police judiciaire, dont le taux d'élucidation est certainement très perfectible. C'est, enfin, le poids des habitudes et l'attrait des solutions de facilité, qui conduisent souvent à utiliser une détention provisoire trop longue comme moyen de pression pour obtenir des preuves, dans des conditions discutables.

Le groupe UDF abordera ce débat guidé par deux exigences : une affirmation beaucoup plus résolue des droits et des libertés ; et la reconnaissance d'une information équitable et assumée. Nous voulons ouvrir le nécessaire débat sur le secret de l'instruction, qui nous apparaît aujourd'hui bien plutôt comme un dogme que comme une réalité ou une protection.

Premier volet, donc : les droits de la défense. Je le demande : la présence de l'avocat à tous les stades de la procédure est-elle un obstacle à la recherche de la vérité ? La réponse est évidemment non. Je poursuivrai cette interrogation en examinant trois aspects. Tout d'abord, la garde à vue. Quel en est le moment clef ? C'est l'interrogatoire. Or c'est là que la présence de l'avocat n'est pas possible. Je crains que les trente minutes d'entretien au début de la garde à vue ne soient qu'un symbole sans effet réel.

Le deuxième aspect concerne l'enregistrement des interrogatoires. Ce n'est pas une mesure de suspicion, et il ne supprime pas le procès-verbal. Mais c'est une garantie supplémentaire, et un instrument de recherche de la vérité. Un amendement adopté cet après-midi le prévoit pour les mineurs ; il serait plus convenable de l'étendre à toutes les gardes à vue.

Troisième aspect : la détention provisoire et surtout sa durée, source principale des abus constatés. L'efficacité de votre dispositif est discutable. La seule vraie garantie serait la collégialité de la décision ; inscrite dans la réforme Badinter, elle est prônée par la commission Truche et sous-tend la proposition de M. Balladur. La longueur des procédures est tout à fait inadmissible, comme l'écrit Mme le rapporteur. Le taux et la durée des mises en détention provisoire, au pays de la Déclaration des droits de l'homme, dépassent ceux de nos voisins européens, et je ne sache pas que l'efficacité de la police soit moindre chez ces derniers. Nous sommes d'ailleurs souvent condamnés à ce sujet par la Cour européenne de Strasbourg. Si la notion de délai raisonnable n'est pas mieux respectée, ces condamnations ne manqueront pas de se reproduire. Votre démarche reste hésitante parce que vous voulez conserver le caractère inquisitorial de la procédure. Vous y introduisez quelques correctifs accusatoires : il faudrait sauter le pas.

Deuxième volet : la liberté d'expression, que nous voulons voir reconnue et assumée sereinement. Est-elle un obstacle à la recherche de la vérité, à la dignité et aux droits des personnes ? La liberté de communication trouve son fondement dans l'article 11 de la Déclaration de 1789, et plus récemment dans l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme signée en 1950. Or, sur ce point, votre texte reste hésitant. Deux voies s'offrent à nous. La première est celle du secret de l'instruction. Mais comment l'assurer, vérifier qu'il sera total, et garantir l'égalité de tous au regard d'un secret de plus en plus fictif ?

La seconde voie, que nous préconisons, est la reconnaissance délibérée d'une liberté, garantie par le juge civil plutôt que par le juge répressif, et par une déontologie professionnelle. La liberté d'expression est en effet une garantie contre l'arbitraire, et contre l'oubli qui guette les victimes. Le secret de l'instruction est aujourd'hui une fiction. Vous évoquez des fenêtres de publicité, mais il s'agit au mieux de lucarnes concédées au procureur de la République ou à la défense. D'autre part, le débat public sur les charges est encore beaucoup trop verrouillé par le juge, et risque d'être bien souvent refusé par celui-ci.

Enfin, vous avez trouvé un symbole dans l'interdiction de diffuser certaines images, notamment celles de personnes menottées. Mais il y a bien d'autres images qui peuvent porter atteinte à la dignité des personnes : ainsi de présenter aux caméras un homme mal rasé, sans cravate, entre deux gendarmes. C'est l'usage excessif des menottes qui est coupable, non le fait de le montrer. Il y a un droit à l'information, par l'écrit comme par l'image. Il faut s'en tenir pour l'essentiel à la mise en oeuvre de la responsabilité civile. Les articles 9 et 9-1 du code civil permettent déjà de réprimer les abus. La jurisprudence sur ce point est riche et nuancée, plus que ne pourra jamais l'être une tentative de codifier l'usage des images.

Je reviens pour conclure à la question de Voltaire : quel pays a les meilleures lois et la jurisprudence la plus conforme à l'intérêt général et à celui des particulier ? Il répondait : mon pays, sans contredit... Mais je doute un peu de sa sincérité. Sans doute pensait-il plutôt à un pays qu'il imaginait, et où les libertés progresseraient sans cesse. C'est en effet un combat toujours recommencé, et jamais définitivement gagné. Nous avons souhaité renforcer l'indépendance du Parquet mais nous n'avons pas touché au principe de l'opportunité des poursuites ; il faut en contrepartie renforcer les droits et libertés des citoyens ainsi que la responsabilité disciplinaire des magistrats. C'est la raison pour laquelle, en l'état, le groupe UDF ne votera pas ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Alain Tourret - C'est avec une grande émotion que je parlerai en lieu et place de Michel Crépeau.

Je commencerai par évoquer deux cas précis. D'abord celui, rencontré dans ma vie professionnelle, d'une jeune fille qui vient se plaindre d'avoir été violée par son père. Celui-ci est arrêté, mis en détention. Il prétend qu'il est innocent, on le maintient en détention pour qu'il finisse par avouer mais au bout de huit mois, c'est la jeune fille qui avoue avoir menti : je n'ai jamais pu croiser le regard de cet homme que j'avais contribué à faire mettre en prison.

Deuxième cas : celui de ce grand fonctionnaire de la République, par ailleurs élu, mis en garde à vue pour une raison stupide. On lui a enlevé sa ceinture, sa cravate, on l'a mis à nu, on l'a fouillé ; cardiaque, il a dû subir un triple pontage dans les quarante-huit heures qui ont suivi. Il siégeait ici il n'y a pas longtemps.

Ces deux affaires m'ont terriblement marqué. Quand j'ai été élu, il y a deux ans, je me suis promis de tout faire pour que la dignité de l'individu soit respectée, pour que la présomption d'innocence soit renforcée.

L'an dernier j'ai déposé avec le groupe radical une proposition de loi ; elle a été votée ici, mais le Sénat l'a enterrée. Vous nous soumettez aujourd'hui, Madame la Garde des Sceaux, un projet dont l'adoption constituerait un grand progrès mais qui, néanmoins, reste trop timide sur certains points.

La France continue à être le pays d'Europe occidentale où la proportion des détenus provisoires est la plus forte. Certes, on est passé de 51 à 41 %... Cela fait encore plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont détenues dans des conditions épouvantables, sans avoir droit à une cellule individuelle.

Nous avons dû nous demander si le système inquisitoire était adapté à notre temps. Certains parent le système accusatoire de toutes les vertus ; ce n'est pas mon cas. Le système que vous nous proposez, avec ses deux juges, me paraît avoir sa cohérence ; j'aurais préféré, cependant, qu'un juge soit chargé de l'enquête et un autre du contentieux : le juge de la détention provisoire aurait ainsi eu également en charge le contrôle judiciaire. Je ne suis pas persuadé, Madame la Garde des Sceaux, que vous soyez dans la logique de l'inquisitoire.

Il reste que ce projet réalise des avancées, qu'il s'agisse de la garde à vue, de la manière dont on traite le présumé innocent, de la création du témoin assisté.

En ce qui concerne les seuils, je souhaitais 5 ans pour les atteintes aux biens, 3 ans pour les atteintes aux personnes. Vous vous en tenez à 3 et 2 ans, en arguant de la création d'un deuxième juge : je crois néanmoins qu'il faut rompre avec la culture de la détention, avec la volonté d'obtenir un aveu par tous les moyens. M. Truche lui-même le dit.

Il convient donc, à mon avis, d'interdire la détention dans un certain nombre de cas. En avril dernier, vous aviez indiqué que votre dispositif aurait permis à 7 200 personnes de ne pas être mises en détention. Avec le mien, 11 500 personnes y auraient échappé. Sans doute faut-il aussi faire une distinction entre Paris et la province. Nous reprendrons cette discussion.

En ce qui concerne l'article 8 du code de procédure pénale, faut-il maintenir la prescription de trois ans, alors que la chambre criminelle de la cour de cassation a créé une nouvelle prescription pour le délit d'abus de biens sociaux ? J'ai fait des propositions ; j'attends les vôtres. Il faut repenser de façon globale la prescription des délits économiques.

Ce projet peut être amélioré ; il reste qu'en renforçant la présomption d'innocence et en consacrant le droit des victimes, il constitue un réel progrès (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Philippe Houillon - L'exposé des motifs de ce projet rappelle dans sa première phrase que la présomption d'innocence constitue le principe cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit, les autres principes n'en étant que la conséquence.

On attendait donc beaucoup de ce texte. Mais, tel un film qui n'est pas à la hauteur de sa bande-annonce, il a beaucoup déçu : la bande-annonce explique que la présomption d'innocence est le principe, mais le reste ne suit pas...

Ce projet s'inscrit dans la longue liste des réformes de procédure pénale proposées de législature en législature. Il y a peu de temps, notre collègue Tourret avait présenté une proposition de loi portant réforme de la détention provisoire ; votée en première lecture par notre Assemblée, elle n'a pas dépassé ce stade.

Votre projet contient un certain nombre d'avancées.

Je tiens d'abord à saluer la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue ainsi que les mesures d'accompagnement prévues, utilement renforcées par la commission. Je regrette toutefois que les nouvelles dispositions ne concernent que les crimes et délits de droit commun. L'avocat continuera à n'intervenir qu'après la 36ème heure et la 72ème heure dans le cas de trafic de stupéfiants ou de criminalité organisée. Sans méconnaître le caractère particulier de ces infractions, il n'y a aucune raison objective d'instituer une présomption d'innocence à deux vitesses. Plus choquant encore, l'intervention de l'avocat dans ces affaires devrait être différée "dans un souci d'efficacité de la procédure pénale". Craint-on que l'avocat, auxiliaire de justice que je sache, puisse, en intervenant trop tôt, avoir des contacts indélicats avec l'extérieur ? Sans y paraître, ne jette-t-on pas le discrédit sur l'ensemble d'une profession ? Je souhaiterais donc, sur ce point, que la France s'aligne sur la plupart des pays européens qui ne prévoient pas d'exception pour l'intervention de l'avocat.

La plus grave atteinte à la présomption d'innocence réside dans la détention avant jugement. A cet égard, notre pays n'est pas un modèle de respect des droits de l'homme. L'aveu demeure la reine des preuves et la détention provisoire trop souvent un moyen de pression ou encore un à-valoir sur une peine hypothétique décidé par un magistrat qui n'a pas qualité pour en juger.

Malgré les tentatives de textes successifs, trop de personnes auront été placées en détention provisoire qui seront ensuite relaxées, bénéficieront d'un non-lieu ou se verront appliquer une peine avec sursis, sans compter les cas où les tribunaux croient devoir couvrir une détention provisoire là où ils n'auraient pas nécessairement prononcé de peine ferme. Le recours à la détention provisoire constitue bel et bien un mode de gestion de l'information par les magistrats instructeurs, comme le souligne le rapport.

Le coeur de la réforme proposée réside dans l'institution d'un juge de la détention. Il faut d'ailleurs souligner qu'en France, le juge se définit davantage par rapport à la détention que par rapport à la liberté.

Le projet amorce la séparation de l'instruction et du placement en détention avant jugement, reprenant l'idée de M. Badinter, à la collégialité près, ce qui est regrettable. Malheureusement, le texte reste au milieu du gué : le juge de la détention ne sera saisi par le juge d'instruction que lorsque ce dernier n'envisagera pas le maintien en liberté, si bien qu'il connaîtra, implicitement, le souhait de son collègue.

Le risque est grand, notamment dans les petits tribunaux, de voir le juge de la détention devenir, à l'instar des chambres d'accusation, un juge de la confirmation. Nous présenterons donc des amendements tendant à prévoir sa saisine par réquisitions motivées du Parquet. Il appartient à ce dernier, organe de la poursuite, plutôt qu'au juge du siège qu'est le juge d'instruction, de solliciter la détention et d'en justifier les raisons au regard de la loi.

Reste une difficulté pratique : le juge de la détention devant être un président ou un vice-président, naturellement pas un juge d'instruction et ne devant pas participer à la formation de jugement qui connaîtra de l'affaire, comment fera-t-on dans les petits tribunaux et a fortiori dans ceux à une chambre ? C'est d'ailleurs pourquoi la commission a souhaité que la carte judiciaire soit effectivement révisée d'ici à deux ans, afin notamment de mieux gérer les ressources humaines de la justice. Cela permettra peut-être, je l'espère, de confier les questions de détention à une formation collégiale, ce que nous sommes unanimes à souhaiter.

Quelques modifications positives sur la conduite de l'instruction et de l'audience permettent au rapporteur d'écrire qu'ainsi la France se "rapproche" du principe de "l'égalité des armes" défini par la convention européenne des droits de l'homme. Là est bien le problème : on en reste encore très loin et on sent comme un curieux malaise face à l'exigence d'une procédure plus contradictoire, pourtant la règle dans les autres grandes démocraties.

Malgré sa bande-annonce, ce projet n'aborde pas les vraies questions. Il ne traite pas de la surpénalisation de la société française : on est d'autant moins présumé innocent que tout comportement est susceptible de recevoir une qualification pénale.

Il ne traite pas non plus de la séparation claire des fonctions des juges et du Parquet, qui a des prérogatives supérieures à celles des autres parties, notamment celle de choisir son juge puisque c'est lui qui est maître de l'audiencement pénal. Il règne aujourd'hui une trop grande confusion dans les procédures et dans le corps des magistrats, qui entretient la confusion dans l'esprit des justiciables.

Le projet devrait également traiter de la plus grande place à accorder au caractère contradictoire de la procédure dès la garde à vue : la culture de l'aveu, de la détention, de l'inquisition, d'une accusation aux droits supérieurs à la défense ne concorde pas avec notre idée du pays des droits de l'homme.

D'autres questions sont passées sous silence comme celle, toujours reportée, du double degré de juridiction en matière criminelle, celle de la responsabilité des juges.

Quant à celle, certes fort complexe mais centrale dans un texte sur la présomption d'innocence, de la mise en cause publique de présumés innocents qui en fait souvent des coupables avant jugement, elle n'est abordée qu'à la marge. Certes, il convient de concilier d'un côté la nécessité des enquêtes, des mises en cause et des poursuites, d'un autre côté la présomption d'innocence et la liberté de la presse, alors même que l'acte judiciaire est un acte complexe que le citoyen et les médias appréhendent trop simplement, avec un souhait inadapté d'instantané.

Faut-il conserver le secret de l'article 11 du code de procédure pénale ? Faut-il le renforcer comme y tendait l'amendement de Madame Bredin, jusqu'à ce que Madame le rapporteur s'y oppose, signe d'ailleurs des divergences dans la majorité sur ces questions touchant aux libertés mais aussi, en l'occurrence, au "politiquement correct" ?

Aucune réponse n'est apportée à toutes ces questions. Dans ces conditions, eût-il peut-être mieux valu ne pas présenter de texte sur la présomption d'innocence si c'était pour éluder les vrais sujets.

L'atteinte à la présomption d'innocence résulte de la loi même puisqu'elle résulte en fait du pouvoir d'investigation et d'enquête, devoir dans un Etat de droit, qui ne s'exerce néanmoins jamais sans dégâts. Par ailleurs, l'existence même d'une infraction est souvent connue avant que la justice en soit saisie.

En outre, l'opinion souhaite, et a le droit de comprendre. Le président du Conseil constitutionnel est mis en cause dans une affaire délictueuse d'envergure : serait-il admissible que pendant deux ans ou plus, on n'en sache rien ? Il est vrai que cette transparence avant jugement oblige souvent les intéressés à en tirer des conséquences parfois dramatiques. En l'espèce, elles ont été plus mesurées puisqu'il ne s'agit que d'une sorte de congé.

Enfin, la convocation d'une personne mise en cause, sa mise en examen, son placement sous contrôle judiciaire, sa détention provisoire sont des actes publics. Il est sain qu'ils le demeurent. La transparence de l'activité judiciaire est la meilleure protection de la liberté dans une démocratie. Chacun convient que le secret de l'instruction n'est pas réaliste ; il n'est d'ailleurs pas respecté et sa violation n'est pas poursuivie. Au-delà, il ne protège pas la présomption d'innocence et ne peut de toute façon être total puisqu'il faut bien que la défense en soit affranchie. C'est pourquoi dans un souci de cohérence, de transparence, de simplicité et de modernité, je propose d'en supprimer le principe.

Mais il faut alors prévoir un contrepoids. Ce n'est pas le secret qui protège, c'est la responsabilité. Le droit d'informer doit d'abord tenir compte du droit à être informé, c'est-à-dire, pour le public, de recevoir une information objective et contradictoire. Sur le plan civil, les dommages éventuels causés par l'exercice de cette liberté doivent être réparés, de façon juste et non pas seulement symbolique dans les cas d'atteinte à la présomption d'innocence. C'est ce à quoi tend déjà la jurisprudence issue de l'application des articles 9-1 et 1382 du code civil.

Il en est de même de la fonction de juger et de mettre en détention. Comme le disent les juges d'instruction dans une lettre ouverte : "notre monde est dangereux". A mon sens, la responsabilité rend le danger plus supportable.

Le temps de la justice est malheureusement en décalage avec le temps de l'information. L'événement c'est l'arrestation, l'audition, la mise en examen. Plus le délai est long entre cette dernière et le jugement, plus les informations, bonnes ou mauvaises, circulent et plus la présomption d'innocence en pâtit, au point même qu'un jugement de relaxe ultérieur risquera de paraître suspect et ne suffira pas, souvent, à restaurer l'honneur de celui qui a été injustement mis en cause.

La mise en examen, quel que soit son nom, est perçue comme une mise en accusation alors qu'elle intervient le plus souvent à un moment où les charges ne sont pas réunies et où l'instruction n'a pu encore s'exercer à décharge. Elle est déjà comme l'antichambre de la sanction.

Il faut donc raccourcir ce délai en reculant au plus près de l'audience cette phase de mise en accusation. L'exercice des droits de la défense sert d'alibi à la mise en examen. Cependant, celle-ci occasionne de telles violations de ces droits que nous avons tout intérêt à faire évoluer notre législation sur ce point. Je soutiendrai donc l'amendement déposé à cette fin par M. Balladur.

Ne retrouvant pas dans ce projet les principes d'une justice moderne le groupe Démocratie libérale ne le votera pas (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Frédérique Bredin - Le Premier ministre s'est engagé devant les Français à réformer notre système judiciaire. Vous avez préparé, Madame la Garde des Sceaux, plusieurs textes importants qui visent à rendre la justice plus rapide, plus efficace, plus proche des citoyens et plus respectueuse des libertés. Ce projet, qui vient ici en discussion entre le texte réformant le Conseil supérieur de la magistrature et celui qui porte sur l'indépendance du Parquet, a une importance particulière en ce qu'il touche aux libertés publiques et au respect de la dignité des personnes.

La justice ne se résume pas à la dizaine d'affaires qui occupent les gazettes. Comme victimes ou comme prévenus, beaucoup de Français se heurtent un jour aux procédures pénales.

Ce texte tend à renforcer à la fois les droits des victimes et la protection de la présomption d'innocence : c'est une première, ou du moins une "seconde", après le texte relatif à la répression des infractions sexuelles sur mineurs.

Les citoyens doivent pouvoir faire confiance à la justice de leur pays, pour employer l'expression consacrée. Or ils sont sceptiques. Qu'il s'agisse des gardes à vue injustifiées, des détentions provisoires anormalement longues, du rôle du Parquet, du secret de l'instruction, de la durée des enquêtes, leurs interrogations sont multiples.

Selon une étude de la SOFRES de 1997, 66 % des Français ont une mauvaise image de la justice. A noter d'ailleurs que les femmes -cela nous ramènerait à d'autres débats- ont une image particulièrement négative de notre système judiciaire, jugé coûteux, lent et vieillot. Plus d'un Français sur deux pense que la justice ne respecte pas les droits de la personne : cela devrait nous inquiéter.

C'est en profondeur qu'il faut réformer notre justice. La grave crise qu'elle traverse a naturellement des causes profondes : l'insuffisance de ses moyens, bien sûr, mais aussi les incertitudes sur ce que doit être le rôle du juge dans notre société. La médiatisation de la justice fait fi du secret de l'instruction. L'abus de la détention provisoire bafoue la présomption d'innocence. Le rôle et le statut du Parquet sont remis en cause. L'institution judiciaire est entrée dans l'ère du soupçon, ce qui n'est pas sain pour notre démocratie.

Nous pourrions débattre de l'inefficacité de la justice pénale, de l'inflation des textes, de la multiplication des peines, du manque de moyens dont souffre le service public de la justice, dont la paupérisation est manifeste, malgré les efforts accomplis depuis dix-huit mois par Mme la Garde des Sceaux. Mais notre discussion porte sur un point précis : la présomption d'innocence, garantie par la Déclaration des droits de l'homme et la convention européenne des droits de l'homme, est-elle une réalité dans notre pays ?

La France aime se proclamer le pays des droits de l'homme. Sans doute n'y déplore-t-on pas de violations flagrantes. Mais songeons à toutes ces petites atteintes perpétrées derrière les murs, et singulièrement derrière les murs des prisons. Ces hommes et ces femmes qui vivent derrière les barreaux, combien sont-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils détenus et comment vivent-ils leur situation ?

En 1997, plus de 56 000 personnes ont été placées en détention provisoire. Les prévenus représentent aujourd'hui 40 % de la population carcérale, ce qui signifie que quatre détenus sur dix sont en prison sans avoir été jugés !

Pourtant, l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme dispose que : "tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable. S'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi".

La détention provisoire est le symbole de l'archaïsme du système judiciaire français. Elle place notre pays parmi les plus répressifs d'Europe. Malgré les affirmations de principe, le recours à la détention provisoire n'est pas du tout considéré comme une mesure exceptionnelle, mais comme un mode de gestion courant de l'instruction.

N'étant pas dans le secret du cabinet du juge d'instruction, nous n'avons pas idée du nombre des abus. Selon les avocats, 75 % des détentions préventives sont injustifiées ou trop longues. Ainsi, un Toulonnais vient de vivre un véritable cauchemar. Accusé à tort de viol, il a passé six mois en prison avant qu'une analyse d'ADN ne le disculpe. Interrogé par les médias, il a raconté devant la France entière comment la lenteur et l'incompétence de la justice avaient brisé sa vie. Chaque année, plus de mille prévenus sont acquittés, relaxés ou bénéficient d'un non-lieu. En ajoutant les condamnations avec sursis, on voit que trois mille personnes par an connaissent la prison alors qu'elles n'auraient pas dû y aller.

Selon l'article 716 du code pénal, les personnes placées en détention provisoire sont soumises au régime de l'emprisonnement individuel, de jour et de nuit. Cela semble clair. Mais l'article 716 dispose aussi qu'il peut être dérogé à ce principe en raison de la distribution intérieure des maisons d'arrêt et de leur encombrement temporaire. Or la dérogation est constante. L'Etat ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes : 80 % des maisons d'arrêt sont encombrées en permanence. L'article 716 n'a plus aucun sens et, malgré les efforts de l'administration pénitentiaire, la France, dans ce domaine, n'est pas un Etat de droit.

En quinze ans, la population carcérale est passée de 30 000 à 57 000 personnes, alors que le nombre de places n'a été porté qu'à 50 000. Il en résulte un taux moyen d'occupation de 116 %, et même de 128 % dans les maisons d'arrêt, et jusqu'à 210 % à Meaux. Six prisons sur dix sont surpeuplées. La situation est particulièrement critique dans les établissements qui reçoivent les condamnés dont le reliquat de peine à purger est inférieur à un an.

Les maisons d'arrêt sont constituées de cellules de dix mètres carrés qui accueillent de deux à quatre détenus, avec tout ce que cela signifie de promiscuité et d'atteinte à la dignité.

La détention provisoire, telle qu'elle s'organise en France, révèle une grave déresponsabilisation de l'Etat. C'est l'individu qui paie les défaillances de la justice, dans l'indifférence générale.

En vertu de l'adage selon lequel "il n'y a pas de fumée sans feu", la détention provisoire passe pour une véritable présomption de culpabilité, d'autant qu'elle frappe en général des populations fragiles, marginales et méconnues. Il a fallu que des hommes politiques et des chefs d'entreprise en soient victimes pour que nous légiférions. Notre pays a une étonnante incapacité à légiférer sur ce point. Depuis vingt-cinq ans, il y a eu dix-sept réformes, tandis que le statu quo sur la détention provisoire s'accompagnait d'une progressive dégradation des droits de l'individu et d'une surpopulation carcérale.

A huit reprises, en treize ans, la procédure pénale a fait l'objet de réformes. Mais la réforme Badinter de 1985 a été abrogée, tout comme certaines dispositions de la loi Chalandon de 1987 -avant même d'entrer en vigueur- ou la loi Vauzelle, du 4 janvier 1993, abrogée dès le 24 août de la même année. Je passe sur le texte insipide de 1996. Tout cela atteste au fond l'indifférence de notre pays qui n'est pas dénué de tendances autoritaires, admettant qu'on préjuge la culpabilité. La seule réflexion fondamentale, issue de la commission Delmas-Marty, reste un "succès de tiroir".

La présomption d'innocence n'est pas sérieusement garantie dans notre pays. D'où la nécessité de ce projet, qui comporte quelques avancées importantes pour la procédure pénale. Nous les soutiendrons, même si nous vous suggérons parfois d'aller plus loin.

La garde à vue d'abord -il y en a 350 000 par an. C'est une mesure privative de liberté, une procédure humiliante et accusatoire, contraire à la présomption d'innocence -et qui peut concerner autant les témoins que les suspects. Vous proposez que l'avocat soit présent dès la première heure : excellente mesure, qui reprend d'ailleurs ce qu'avait prévu le projet adopté par les socialistes en janvier 1993 et abrogé par la droite dès le mois d'août.

Notre rapporteur propose à juste titre de maintenir la visite de l'avocat à la 20ème heure, qui a déjà eu comme effet bénéfique de réduire les durées de nombreuses gardes à vue.

Par ailleurs, notre rapporteur propose toute une série de mesures pour renforcer la surveillance des gardes à vue par les procureurs et pour améliorer l'information des personnes gardées à vue sur leurs droits. Nous défendrons en outre plusieurs amendements pour mieux mesurer la dignité des personnes au cours de ces gardes à vue. Nous proposerons également de réserver les gardes à vue aux seuls suspects, les témoins pouvant être entendus selon une procédure moins traumatisante.

En ce qui concerne la détention provisoire, le projet de loi propose des progrès décisifs. La création d'un "juge de la détention" -dont le titre pourrait être modifié-, sera une avancée considérable en termes de libertés publiques, puisqu'il faudra la décision de deux magistrats du siège pour placer ou maintenir en détention, tandis que la décision d'un seul suffira pour laisser la personne en liberté.

Par la loi du 4 janvier 1993, la majorité de gauche de l'époque avait fait voter une disposition du même ordre, mais M. Balladur, qui a changé d'idée depuis qu'il est dans l'opposition, a immédiatement abrogé cette mesure.

M. Patrick Devedjian - Vous, c'est au gouvernement que vous changez d'avis !

Mme Frédérique Bredin - Ce projet de loi rejoint la proposition de Mme Delmas-Marty, consistant à séparer la fonction d'investigation et les fonctions juridictionnelles de placement en détention provisoire.

Le projet évoque aussi les conditions de placement en détention provisoire, leur motif et leur durée.

Il faut encadrer plus strictement le recours à la détention provisoire, en préciser de façon plus restrictive les conditions en la réservant aux infractions les plus graves. L'enjeu est d'abord de mieux garantir le "respect du principe de proportionnalité.

Il faut définir plus précisément les motifs de la détention provisoire. Le critère de "l'ordre public" est trop flou pour ne pas être subjectif et risquer de conduire à l'arbitraire. Il devrait donc être réservé aux cas les plus graves. Et une motivation sérieuse et précise du placement en détention provisoire doit être exigée.

Il faut aussi que le législateur limite la durée maximale de ces détention, avec l'institution de "délais butoirs", en matière correctionnelle et criminelle, "fixés selon la gravité des délits et la complexité des affaires". Il faut limiter sérieusement la durée des détentions notamment pour les primo-délinquants, car le milieu carcéral est criminogène.

Nous n'admettons que deux exceptions au principe général de la limitation de la durée de la détention provisoire : les délits particulièrement graves, et les délits complexes, notamment les délits financiers internationaux.

Nous approuvons la clarification du statut de témoin assisté, mais votre projet a également le mérite de consacrer un chapitre à la présomption d'innocence face non seulement à la justice mais aussi face à l'opinion publique -le volet consacré à la communication. Débat difficile semble-t-il dans notre démocratie et qui vire facilement à l'anathème ou à la caricature. Mais débat essentiel. A nous de le mener dans le calme et la sérénité sans pression d'aucune part. Et puisque le sujet prête aux faux débats et aux confusions, enfonçons d'abord cette porte ouverte : il ne s'agit pas de tenir la presse à l'écart des affaires judiciaires, de la priver du droit d'en rendre compte. La modification de l'article 9-1 que j'avais proposée visait seulement une présentation équilibrée des faits -et nous voulons un accès plus large aux informations sur les affaires en cours.

Le projet de loi contient, de ce point de vue, des avancées importantes. Il permet de sortir de l'impasse actuelle, avec ce secret de l'instruction qui est un secret de polichinelle, bafoué tous les jours par des gens qui y ont intérêt. Mieux vaut ouvrir des fenêtres à des moments clés de la procédure. Nous proposerons d'aller plus loin, en les rendant automatiques.

M. le Président - Il faudrait conclure !

Mme Frédérique Bredin - Ce qui compte, ici, c'est l'adaptation de la protection des droits de la personne à l'exercice moderne de la liberté d'informer. Ce que nous souhaitons, c'est l'affichage de règles du jeu permettant à chacun d'exercer la plénitude de ses droits. En ayant conscience, aussi, de la discordance des temps, celui de la justice et celui de la presse. A chaque métier ses contraintes. Mais au législateur de veiller à ce que, dans les conditions d'aujourd'hui, le droit des uns ne s'établisse pas au détriment du droit des autres. Chacun connaît les dérapages qui peuvent ruiner une vie, blesser une famille, casser des réputations.

M. le Président - C'est sans doute votre conclusion ?

Mme Frédérique Bredin - Elle arrive.

M. le Président - Votre temps est dépassé !

Mme Frédérique Bredin - La gauche doit se reconnaître pour mission, non seulement de proclamer les droits de l'homme, mais d'en assurer le respect.

Ce que vous proposez pour la présomption d'innocence et le droit de victimes va dans ce sens, c'est pourquoi nous le voterons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Patrick Devedjian - Le 12 décembre 1996, le Président de la République déclarait à propos du principe de la présomption d'innocence : "La situation est aujourd'hui scandaleuse... Où est la dignité de l'homme, où est la liberté de l'homme ?". Le 21 janvier suivant, il instituait la commission Truche en lui donnant mission de faire des propositions significatives. Le 14 juillet 1997, après qu'elle eût remis son rapport, il observait : "Pour la présomption d'innocence, qui est un droit républicain qui figure dans le préambule de la Constitution et dans la Déclaration des droits de l'homme, ce droit est bafoué tous les jours en France". Et il ajoutait le 9 janvier 1998, lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation : "Je suis déterminé à renforcer les garanties offertes au justiciable et à faire en sorte, en particulier, que la présomption d'innocence, valeur constitutionnelle, soit respectée".

Il approuvait les propositions du rapport Truche sur : "la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, des modalités de décision de mise en détention, de la durée des informations, des rapports avec les médias".

S'adressant au président Truche, il affirmait : "Je souhaite que le Gouvernement examine la totalité de vos suggestions et, aussi rapidement que possible, élabore les textes nécessaires pour mettre en oeuvre des idées qui bien appliquées devraient apporter des améliorations incontestables et souhaitées".

Le rappel de ces déclarations n'est pas seulement un hommage au Président de la République, ni seulement destiné à tempérer le moi hypertrophié du Garde des Sceaux qui parle à longueur de temps de sa réforme. On peut dire que la Chancellerie c'est l'enfer du "je" !

Mme la Présidente de la commission des lois - C'est la responsabilité d'un ministre !

M. Patrick Devedjian - Et d'un gouvernement ! Est-ce l'opposition qui doit rappeler les principes de solidarité ministérielle ? On n'a jamais entendu un ministre s'approprier autant un texte. C'est pourtant généralement le Parlement qui le vote !

M. Arnaud Montebourg - Le Président de la République a besoin d'un avocat, il vient d'en trouver un !

M. Patrick Devedjian - Gardez votre sang-froid, vous n'êtes pas salle des Quatre Colonnes. Je constate au moins que l'Assemblée se réveille.

L'opposition est elle-même très attachée à la présomption d'innocence et se battra pour que l'intention du Président de la République ne soit ni dénaturée ni caricaturée.

Le Gouvernement ne nous soumet qu'un texte partiel et très en deçà des propositions de la commission Truche.

Mme Odette Grzegrzulka - Paroles ! paroles ! Et vous, qu'avez-vous fait ? C'est honteux !

M. Patrick Devedjian - Mais oui, c'est honteux. Ce texte n'était visiblement pas une priorité pour le Gouvernement qui a tant tardé à le mettre à l'ordre du jour. Il a fallu toute l'insistance du Président. Les trois textes formaient un tout que Mme la Garde des Sceaux a reconnu indissociable le 15 janvier 1998 et dont elle annonçait l'examen "concomitant" pour avril de l'année dernière ! Non seulement ils ont été dissociés, mais nous attendons toujours celui portant sur les relations entre le Gouvernement et le Parquet. Etes-vous certaine, Madame, d'avoir une majorité sur ce texte qui conditionne la saisine du Congrès ?

Mme Odette Grzegrzulka - C'est vous qui n'en voulez pas !

M. Patrick Devedjian - Il est vrai que la présomption d'innocence est si peu le souci du Gouvernement que le Premier ministre ne l'a même pas évoquée dans sa déclaration de politique générale. Pourtant, la garantir est une nécessité. D'abord, la France a reçu 246 constats de violation des droits de l'homme de la Cour européenne, qui touchent tous au fonctionnement de la justice. Ensuite, chaque année, 2 000 personnes incarcérées font l'objet d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement et ne sont généralement même pas indemnisées. Enfin, 66 % des Français ont une mauvaise opinion de la justice et 73 % de ceux qui ont eu à y recourir. Et ils sont autant de droite que de gauche !

Or les raisons du dysfonctionnement ne sont pas évoquées clairement.

Le Gouvernement se trompe sur la définition même de la présomption d'innocence. C'est l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme qui la définit : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi".

La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reprend cette disposition dans son article 6-2 : "Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie".

Mais, jusqu'à maintenant, la définition de la présomption d'innocence ne figure toujours pas dans le code de procédure pénale. Cette absence n'est pas neutre : elle conduit à des glissements qui subordonnent la présomption d'innocence "aux nécessités de la procédure", comme c'est hélas prévu par l'article premier du projet.

Que sont les "nécessités de la procédure" ? C'est un concept flou, qu'aucun texte ne définit, un avatar de la raison d'Etat.

La Déclaration des droits de l'homme prend pourtant bien le soin de préciser que la présomption d'innocence ne peut trouver sa limite que dans la nécessité de s'assurer de la personne suspectée, et non pas dans les nécessités de la procédure !

Aux termes de l'article 80-1 du code de procédure pénale, la mise en examen d'une personne résulte de l'existence "d'indices". Malgré ces indices, la personne doit être traitée comme si elle était innocente jusqu'à ce qu'elle soit déclarée définitivement coupable.

On comprend que cette intention se heurte à des contradictions pratiques qui tiennent à l'obligation d'un minimum de coercition pour s'assurer des suspects. Mais il ne faut pas plus de coercition qu'il n'est strictement nécessaire, pour ne pas commettre un déni de justice.

La Déclaration des droits de l'homme dit que la procédure doit respecter la présomption d'innocence et le Gouvernement dit que la contrainte doit respecter les nécessités de la procédure. Il ignore donc la présomption d'innocence ! Et ce n'est pas seulement un débat théorique. Malgré toutes les réformes en effet, le nombre des détentions provisoires dépendant des juges d'instruction a augmenté de 66 % entre 1972 et 1997, et leur durée moyenne est passée de 2,4 mois à 4,4. C'est que la durée moyenne des procédures d'instruction augmente très vite !

Le mal vient de ce que la détention provisoire n'est pas considérée comme une peine, mais comme une mesure de sûreté. Elle n'est donc pas assortie des mêmes garanties.

Là est l'hypocrisie, car cette mesure de sûreté est accomplie dans les mêmes lieux que la plupart des peines ; elle provoque la même souffrance, le même opprobre, et est décomptée sur la peine éventuellement prononcée. On ne saurait mieux dire que la détention provisoire est de même nature que la peine. Dès lors, elle doit être assortie des mêmes garanties. Evidemment, il faut s'en donner les moyens. Or cela suppose pour chaque tribunal un nombre de magistrats que beaucoup n'ont pas. Les syndicats réclameront davantage de moyens. Vous répondrez que le Gouvernement a fait d'importants efforts et c'est vrai. Mais je vous répliquerai que le problème est moins dans l'importance des moyens que dans leur organisation, qui reste archaïque.

La carte judiciaire est le premier obstacle. Elle dilue les forces de la justice au point de les rendre inutiles et sur-représente les populations rurales bien davantage que le Sénat que vous stigmatisez. C'est ainsi que 41 % des juridictions ne possèdent qu'un seul juge d'instruction et que 42 % des tribunaux de grande instance n'ont qu'une seule chambre.

Or vous avez abandonné toute réforme de la carte des tribunaux judiciaires pour, dites-vous, vous concentrer sur les tribunaux de commerce.

M. Gérard Gouzes - Provocation !

M. Patrick Devedjian - Vous n'aimez pas que l'opposition s'oppose ! Il n'y a que vous qui avez le droit de dire du mal de la droite. C'est votre conception de la liberté (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). L'opposition entend défendre la liberté, y compris dans cet hémicycle.

La réforme des tribunaux de commerce n'a rien à voir avec la détention provisoire. Comme vos prédécesseurs, vous annoncez la réforme de la carte et instituez des commissions, mais depuis deux ans aucun tribunal n'a fermé ses portes et je pronostique que vous partirez sans avoir rien fait : il faut du courage pour faire les réformes difficiles ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Arnaud Montebourg - Quel courage, avec Toubon !

M. Patrick Devedjian - Le fait d'avoir gagné les dernières élections ne signifie pas que vous ayez raison sur tout. Il y a plus grave encore. Avec un juge de la détention provisoire saisi non par le Parquet mais par le juge d'instruction, vous instituez, comme vous le dites, deux regards sur le même dossier. Comme c'est poétique !

Mais hélas, vous réduisez ainsi à néant les conclusions du rapport Delmas-Marty qui estimait en 1991 que la condition d'impartialité du juge implique : "séparation des fonctions d'enquête et des fonctions juridictionnelles". Sur ce point, vous faites moins bien que précédemment.

Plus grave, vous trahissez la commission Truche, alors que le Président de la République vous avait donné mission de mettre en oeuvre ses recommandations : "La commission estime que le pouvoir de mettre en détention doit être séparé de celui d'enquêter et c'est à l'unanimité qu'elle souhaite l'intervention d'une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu". Vous ne faites pas de collégialité faute de moyens, c'est compréhensible, mais surtout vous n'excluez pas le juge d'instruction de la décision.

Vous compromettez ainsi l'aboutissement d'une réforme voulue par le Président de la République et qui pouvait faire l'objet d'un consensus sur les bancs de cette assemblée. C'est un beau gâchis.

Le Gouvernement, d'autre part, a renoncé à la responsabilité des magistrats.

Le 15 janvier 1998, vous déclariez, Madame la Garde des Sceaux, à propos de la responsabilité disciplinaire des magistrats : "Les poursuites disciplinaires... pourront également être transmises par des commissions placées auprès des cours d'appel, qui ne seront pas composées majoritairement de magistrats de l'ordre judiciaire et qui apprécieront les suites qu'elles devront donner aux réclamations dont elles seront saisies par les citoyens. Les audiences disciplinaires devant le Conseil supérieur de la magistrature seront publiques, conformément à la convention européenne des droits de l'homme, ce qui permettra de donner des informations sur la doctrine suivie en la matière". Vous ne faisiez d'ailleurs que confirmer la communication du conseil des ministres du 29 octobre 1997.

Mais depuis lors vous avez changé d'avis. Vous déclariez au Sénat le 23 juin 1998 : "Les magistrats de l'ordre judiciaire ne bénéficient d'aucune immunité. Rien à mes yeux n'impose la création d'une juridiction spéciale". De fait aucune disposition sur la responsabilité des magistrats n'est apparue dans le texte sur le CSM, aucune n'apparaît dans celui-ci sur la présomption d'innocence, et aucune ne sera possible, du moins pour le siège, dans le texte sur le Parquet. Quand faut-il vous croire ?

Le Gouvernement porte en outre atteinte au droit de la presse. Vous avez déclaré en commission : "Il n'est pas question de rogner la liberté de la presse". Pourtant votre texte comporte quatre nouveaux délits de presse et vous instituez un droit de réponse au profit du procureur de la république, c'est-à-dire d'une sorte de journaliste en uniforme... La majorité socialiste a d'ailleurs aggravé ces dispositions et s'est opposée à toute mesure favorisant la publicité des débats en audience publique.

Quand faut-il vous croire ? J'ajoute que confier à l'accusateur le soin de défendre l'accusé est une idée qui ne pouvait germer que dans une cervelle socialiste...

Quand on veut réduire la liberté, on invoque les pauvres, et bien sûr vous invoquez la protection des faibles et des victimes pour réduire la liberté de la presse. Nous sommes le seul pays démocratique qui utilise un tel arsenal répressif contre la presse. Partout ailleurs, les victimes sont protégées par les réparations civiles que leur accordent les tribunaux civils.

Vous allez jusqu'à protéger les victimes sans même qu'elles se plaignent, et bientôt vous les protégerez contre elles-mêmes. Il est inacceptable que le Parquet puisse poursuivre contre une bien imprécise atteinte à la dignité de la victime si celle-ci ne se plaint pas, ou a obtenu une réparation amiable.

Le monde entier pourra publier des photographies de catastrophes, y compris si elles ont eu lieu en France, mais la presse française ne le pourra pas !

Quand Ocalan est arrêté par les polices parallèles turques, dans un acte de piraterie internationale, le monde entier pourra voir ses menottes, mais pas les Français ! Si l'on passe un jour les menottes au général Pinochet, ce sera un événement international considérable. Le monde entier pourra le voir : pas les Français. Si Ocalan est pendu en public, comme les Turcs en sont capables, CNN nous le fera voir : LCI ne le pourra pas ! La France n'est pourtant pas un pays qu'il faille à ce point protéger contre lui-même. Le monde entier pourra voir les dictateurs passer les menottes à leurs opposants : les Français ne le verront pas sur leurs médias. Quand, place Tien An Men, on réprimera les combattants de la liberté, toute l'Amérique pourra le voir : la France ne le pourra pas (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Floch - Quel bel effet de tribune !

M. Patrick Devedjian - En effet, vous n'avez pas écrit dans votre projet que seules les menottes françaises ne pouvaient être photographiées, et d'ailleurs ce serait absurde, mais tel est bien le cas. Il va falloir écrire en beaucoup plus gros "made in France" sur nos menottes... Si vous ne voulez pas voir les menottes, ne les mettez pas, car elles sont inutiles dans 80 % des cas, mais si vous les mettez, au moins n'en ayez pas honte ! Alors que l'on parle de plus en plus de la nécessaire dépénalisation de la société française, vous poursuivez, de manière archaïque et jusqu'à l'étouffement, votre obsession du contrôle social.

Oui, votre projet réussit à être à la fois en retard et improvisé. C'est que vous n'avez pas su prendre un parti et vous y tenir. Votre texte est un compromis hasardeux entre de multiples corporatismes.

Le témoin assisté va remplacer le mis en examen : bientôt il sera aussi mal considéré que lui, et le véritable mis en examen paraître encore plus coupable que maintenant. Où est la présomption d'innocence dans tout cela ? C'est la gauche qui a voulu, et avec quelle morgue, rebaptiser l'inculpation mise en examen. On allait voir ce qu'on allait voir, c'était la fin de l'opprobre, enfin la présomption d'innocence triomphait ! Six ans après, il faut recommencer.

Ainsi vont souvent les réformes de la gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) ; elles visent d'abord le vocabulaire, parce qu'il véhicule une idéologie. Mais quelques années après, il n'en reste rien. La mode, c'est ce qui se démode.

En toute réforme vous recherchez un intérêt partisan, constitutif d'une image. Le fond vous importe beaucoup moins que le bénéfice politique. Vous préférez l'intérêt de votre parti à celui du pays (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). C'est ainsi que vous entreprenez beaucoup mais que vous manquez toujours. C'est ainsi que vous trompez facilement mais que vous décevez sûrement. Après votre passage, la réforme reste à faire, mais elle est devenue plus difficile parce que vous en avez compromis toutes les chances.

C'est donc le Président de la République qui a voulu cette réforme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV), à laquelle vous n'avez fait que vous résoudre, et c'est pourquoi vous l'avez dénaturée en l'édulcorant. L'opposition vous propose d'en rétablir la cohérence par une série d'amendements favorisant la liberté et les droits de la défense.

Sans illusion, nous conditionnons notre vote au maintien de l'intention du Chef de l'Etat, par une vraie affirmation de la présomption d'innocence, au lieu de cette hypocrisie hybride que vous nous présentez, en ponctuant ridiculement chaque disposition par l'affirmation prétentieuse qu'il s'agit "d'une avancée" (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Certains, dans la majorité, s'indignent que l'opposition épouse les aspirations de notre peuple, qui attend de vraies réformes dans la justice, et cela tant à droite qu'à gauche. Certains s'étonnent que nous ne soyons pas plus répressifs. Comme il est confortable de caricaturer l'opposition, tandis qu'on s'adresse tant de louanges à soi-même !

Mais le problème n'est pas la modération des peines prononcées, qui sont d'ailleurs de plus en plus lourdes. C'est l'insuffisance des incriminations et des poursuites. C'est le taux très bas d'élucidation qui est de 20 % : un auteur d'infraction sur cinq est identifié. C'est le plus grand de tous les encouragements. Davantage de moyens d'investigation pour la police et davantage de droits pour la défense : voilà ce que doit être une justice moderne.

Il va falloir vous habituer à voir l'opposition faire de la défense de la liberté sa priorité et pas seulement dans le domaine économique, selon une caricature commode.

Dans la dialectique républicaine, ce qui différencie la droite et la gauche, c'est que, lorsqu'il y a un conflit entre la liberté et l'égalité, la droite arbitre en faveur de la liberté et la gauche en faveur de l'égalité. C'est également respectable ; c'est notre manière à chacun de fabriquer la République et c'est cette opposition qui fonde notre engagement. Mais quand l'homme est privé de sa liberté, il n'y a plus ni riche, ni pauvre. Je pense à celui qui voulait que les pauvres aient les mêmes droits que les riches et qui a dû constater que les riches n'avaient pas plus de droits que les pauvres... C'est au nom de l'égalité et souvent d'une hypocrite compassion, qu'on réduit la liberté. Vous trouverez en nous, très naturellement, ses plus ardents défenseurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Huguette Bello - Je viens d'un pays qui nourrit un contentieux historique avec la justice. Sur les trois siècles de son histoire, la Réunion a connu deux cents ans d'esclavage, durant lesquels juges et serviteurs de l'Etat se sont faits les complices d'un crime contre l'humanité. A quoi s'ajoute un siècle de colonisation, de déni de justice. Pour nous, très longtemps, la justice ne fut pas un bouclier contre l'arbitraire : elle fut le bouclier de l'arbitraire.

De toutes les conquêtes démocratiques, la présomption d'innocence, inscrite à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme est l'une des plus importantes : elle est le sceau de l'Etat de droit. C'est pourquoi elle constitue, en France, le principal cardinal de la procédure pénale. Or ce principe fondamental n'est pas suffisamment respecté. L'idée prévaut trop souvent que son respect fait obstacle à l'efficacité des procédures pénales ; d'où de nombreuses dérives. Ainsi, pour les gardes à vue. Il est arrivé à la Réunion qu'un justiciable fasse état, publiquement et sans être démenti, des mauvais traitements qui lui ont été infligés. Au-delà de ces atteintes à l'intégrité physique, la médiatisation des gardes à vue et des mises en examen peut détruire la réputation de n'importe quel justiciable. Imagine-t-on quelles conséquences peuvent avoir, pour son honneur, les photos présentées par la presse, la diffusion de séquences à la télévision ou la publication intégrale -et souvent immédiate- des pièces de l'instruction ?

Nul ne conteste la nécessité de mesures efficaces contre la grande délinquance, le crime organisé, le trafic de stupéfiants. Mais on se demande quel progrès démocratique résulte du fait de voir des voleurs de mobylette, ou encore deux de nos collègues conseillers généraux -par ailleurs nos adversaires politiques- menottés les mains dans le dos, alors que ni les uns ni les autres ne faisaient peser une menace sur l'ordre public. On peut s'interroger également quand un juge demande que soient pratiquées sur un de nos collègues, élu du peuple, une expertise psychiatrique et une détermination de quotient intellectuel. Il ne s'agit pas là d'un fait remontant à un lointain passé, mais d'une affaire pendante devant la justice. Qui prétendra qu'il est de l'intérêt de la loi et de la justice d'ajouter l'humiliation à la répression ?

Ces chroniques ordinaires de la vie judiciaire peuvent être complétées par celles de la détention provisoire. Le recours à cette procédure doit être défini de manière rigoureuse. D'une part, il s'agit de la plus grave violation de la présomption d'innocence ; d'autre part, les conditions de la vie carcérale peuvent créer des dommages sévères. Nous avons déjà appelé votre attention, Madame la Garde des Sceaux, sur la situation déplorable et d'un romanesque archaïsme de l'établissement pénitentiaire de Saint-Denis, dont tout le monde, après la commission d'hygiène et de sécurité, s'accorde à demander la fermeture.

Il est indispensable de renforcer la présomption d'innocence. Encore faut-il qu'elle le soit pour tous, quelles que soient les appartenances sociales, politiques et culturelles des justiciables. Plus généralement, veiller à l'application des dispositions nouvelles sera une tâche aussi importante que celle de les promouvoir. A la qualité des textes doit correspondre la qualité de la mise en oeuvre.

Des collègues ont évoqué la question de la responsabilité des magistrats. Notre assemblée a approuvé les mesures visant à garantir l'indépendance de la justice grâce à de nouvelles relations entre la Chancellerie et le Parquet. Certains se sont élevés contre cette orientation. Je me refuse à choisir entre l'arbitraire de l'Etat et l'arbitraire d'un magistrat. Il faut combattre l'un et l'autre.

L'alternative, à la Réunion, est simple : ou bien l'institution judiciaire donne le sentiment de perpétuer les attitudes du passé, ou bien elle se montre capable de s'extraire des contingences historiques, et, partant, d'être garante de la justice (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Renaud Donnedieu de Vabres - En préalable à mon propos, je voudrais dire à celui qui lutte en ce moment l'estime et l'amitié que je lui porte, et à ses collègues qu'en ce genre de circonstances les divergences s'effacent devant les solidarités humaines.

Ce débat aurait pu susciter de ma part un témoignage, mais il aurait fallu pour cela que je puisse parler plus longtemps...

Dès qu'on parle de présomption d'innocence, l'opinion publique pense impunité. Il nous faut donc avoir beaucoup de courage pour fixer des principes clairs, dans le souci de la démocratie et du respect de la personne humaine. Dans les débats parlementaires de ces dix ou quinze dernières années, la priorité a été alternativement accordée à la sécurité et à la liberté : il faut trouver un juste équilibre entre les deux. Ce débat est nécessaire parce qu'aujourd'hui, la loi n'est pas respectée.

Je commencerai par une proposition. Une réforme supposant des moyens, il serait bon que, pour les grandes fonctions régaliennes de l'Etat, et donc pour la justice, la règle soit le vote d'une loi de programmation, concernant aussi bien les effectifs que les équipements, et l'interdiction pour le Gouvernement de procéder à des régulations budgétaires par décret : seul le Parlement devrait être autorisé à remettre en cause l'exécution prévue. Un tel système donnerait davantage de crédibilité aux réformes proposées.

Le problème qui se pose aujourd'hui ne concerne pas l'indépendance des magistrats, mais l'autorité de la décision de justice aux yeux de l'opinion. Il faut faire clairement apparaître que les procédures, certes parfois lentes, sont une garantie tant de l'efficacité de l'action publique que du respect de la personne humaine et des droits de la défense -auxquels portent atteinte les instructions parallèles et les publications partielles dans la presse.

La critique fondamentale que je formule à l'encontre de ce texte est que dès son adoption, il sera bafoué : nous n'arrivons pas, en effet, à concilier le secret de l'instruction et la liberté de l'information. Pourquoi ne supprime-t-on pas le secret de l'instruction ?

Ce texte est important pour chaque individu, quelles que soient ses responsabilités ; mais je souhaite qu'un jour, l'on prenne des dispositions susceptibles d'être réellement appliquées et couvrant la totalité du problème posé (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Louis Mermaz - Dans un Etat de droit, il ne doit pas y avoir antinomie entre la préservation des libertés individuelles et la satisfaction du besoin légitime de sécurité. Il faut à la fois confondre le coupable et protéger le suspect de l'erreur judiciaire.

Notre conception du procès pénal doit être fondée sur la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et sur la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Dans notre pays, 350 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, 20 000 prévenus sont incarcérés, 60 000 personnes sont mises en examen ; 7 à 8 000 bénéficient d'un non-lieu au bout de deux ans en moyenne. Les nuits d'un garde des sceaux doivent être parfois remplies d'étranges cauchemars... Ne fait-on pas un usage abusif de la notion d'ordre public pour placer en détention provisoire ?

La Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné des abus. Il est temps que les prévenus, les personnes mises en examen bénéficient des garanties qui sont accordées dans les autres pays européens.

Ce projet nous fera-t-il avancer sur le chemin d'une plus grande justice ? Peut-être, à condition de ne pas céder à une philosophie sécuritaire qui n'a jamais assuré la sécurité de personne. C'est de liberté individuelle qu'il s'agit ici ; ce débat concerne d'abord le justiciable ordinaire, qui n'a pas les moyens de se défendre ni d'en appeler à l'opinion.

Dans les trente dernières années, les allers-retours ont été nombreux, et les clivages politiques ont parfois été transcendés ; la loi du 17 juillet 1970 a tenté d'encadrer la détention provisoire, qui ne devait plus être le moyen d'obtenir des aveux ; elle a ouvert une première brèche dans le système inquisitorial. La loi du 10 décembre 1985 fut particulièrement audacieuse, en instituant une formation collégiale pour décider de la mise en détention provisoire ; mais avant son entrée en vigueur, elle fut abrogée par la loi du 30 décembre 1987. Qui avait alors la majorité ? Quant à la gauche, revenue au pouvoir, elle a rétabli par la loi du 6 juillet 1989 le juge d'instruction dans ses prérogatives.

La loi du 4 janvier 1993 a instauré la médiation pénale. Enfin, la loi du 30 décembre 1996 a laissé en fait en suspens le problème qui nous occupe aujourd'hui.

La proposition de loi de notre collègue Tourret, en avril dernier, fut hélas mort-née. Le projet qui nous est soumis marque d'incontestables avancées, même si les petits pas semblent l'emporter sur les grandes foulées... L'opposition, qui accusait notre collègue Tourret de laxisme, nous a heureusement surpris en commission des lois ; elle a fait quelques envieux dans la majorité, tant elle a semblé emportée par un grand souffle libertaire... Le texte a été enrichi par la commission et son rapporteur ; certains d'entre nous auraient souhaité aller encore plus loin. Mais Paris ne s'est pas construit en un jour !

Le texte prévoit d'abord de placer en tête du code de procédure pénale un article préliminaire rappelant les grands principes à respecter : les orateurs précédents les ont détaillés, je n'y reviens pas.

La garde à vue sera désormais mieux encadrée : l'avocat sera présent dès la première heure et pourra revenir ; le gardé à vue sera informé de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête et aura le droit de prévenir sa famille ainsi que son employeur. La garde à vue sera par ailleurs limitée aux seuls suspects et les témoins ne pourront être retenus que le temps nécessaire à leur audition. Le témoin assisté, dont le statut est différent de celui du mis en examen, pourra se faire assister d'un avocat. La commission a failli retenir la proposition d'enregistrement des gardes à vue de mineurs, ne la repoussant que par sept voix contre cinq, M. Jean-Pierre Michel ayant expliqué que cela constituerait un premier pas vers l'enregistrement des gardes à vue des majeurs. Le placement en détention provisoire, qui doit demeurer exceptionnel, sera confié à un juge de la détention qui aura rang de président ou de vice-président : c'est la disposition centrale du texte. Ce juge pourrait s'appeler "juge du contrôle de la détention", comme l'a suggéré Mme la ministre.

En ce qui concerne les seuils, ce texte est moins ambitieux que la proposition de loi Tourret qui visait elle aussi à lutter contre les excès de la détention provisoire. Le relèvement de ces seuils libérerait pourtant des places dans les prisons surchargées et, si les mesures d'accompagnement nécessaires à la sortie de prison étaient prises, faciliterait la réinsertion des anciens détenus.

Le texte améliore l'indemnisation des personnes ayant été placées en détention provisoire de manière injustifiée : le préjudice moral et matériel qu'elles ont subi sera réparé.

Il étend les droits des parties pendant l'instruction et à l'audience. Ainsi progressera la procédure contradictoire et sera mieux assurée "l'égalité des armes". Enfin, il renforce le droit à être jugé dans des délais raisonnables.

Au total, ce texte, amendé avec prudence et sagesse par le rapporteur et par la commission, marque des avancées certaines et montre la voie à emprunter pour que notre pays mérite pleinement le beau nom d'Etat de droit. Encore un effort, et nous y parviendrons !

Dans cette perspective, il conviendrait d'ailleurs de réformer les comparutions immédiates, cette "justice d'abattage". L'instruction est quasiment un privilège mais seules 10 % des affaires y ont droit.

S'agissant des relations avec les médias, les dispositions prises sont bonnes. S'il convient d'assurer le respect de la liberté de la presse, celle-ci se doit de respecter la dignité de chacun, en particulier des victimes.

Des mesures positives sont également prévues pour mieux prendre en compte la situation des victimes d'infractions.

Nous vivons dans une société en crise qui connaît une délinquance à multiples visages. Ainsi les violences urbaines sont le sous-produit des inégalités et de l'exclusion, même si tous les exclus ne deviennent pas, heureusement, des délinquants. La misère sociale appelle à la fois un traitement en amont et des sanctions mieux adaptées. Deux immenses chantiers s'ouvrent à nous, celui de la réparation due aux victimes, souvent issues des milieux les plus modestes, celui de la réinsertion des auteurs d'infraction. Des moyens sont pour cela nécessaires. Madame la ministre, vous avez commencé d'en attribuer à la justice beaucoup plus que vos prédécesseurs. Soyez-en félicitée. Soyez assurée de notre soutien pour poursuivre dans cette voie.

Avant de terminer, je souhaite dire mon amitié à Michel Crépeau qui est intervenu dans ce débat en commission avec force et conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Claude Goasguen - Un jour de l'été 1789, alors que l'inquisition caractérisait encore la procédure juridique, quelques hommes, parmi lesquels des avocats, des magistrats et des juristes, réunis comme nous ici aujourd'hui, ont adopté l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi". Coup de tonnerre qui allait retentir dans le monde entier et y inspirer le principe de la présomption d'innocence partout... sauf en France. En effet, hélas, la France revint bien vite à des pratiques inquisitoriales condamnées par la Révolution. Et force est de constater que celles-ci n'ont toujours pas vécu en cette fin du XXème siècle.

Votre texte, Madame la ministre, traduit des intentions louables mais il sera très insuffisant pour que l'inquisition cède la place à la contradiction, évolution pourtant inéluctable, ralentie par l'administration de la justice.

La réforme préconisée de la garde à vue est utile : elle n'en changera néanmoins pas fondamentalement la nature. C'est lors des interrogatoires que la présence des avocats serait nécessaire. L'idée de créer des juges de la détention est bonne mais les moyens sont limités, en dépit des efforts consentis. Le statut de témoin assisté, qui soit dit en passant existe déjà, révolutionnera-t-il la procédure pénale ? On peut en douter. Quant aux "fenêtres de publicité", initiative intéressante qui va dans le bon sens, trouveront-elles vraiment place dans notre tradition juridique ? Là encore, je suis sceptique. Au total, ce texte, s'il n'est pas sérieusement amendé, ne suffira pas à marquer du double sceau de la modernité et de la liberté notre procédure pénale.

Vous n'avez pas traité de la mise en examen, alors même qu'elle est au coeur du débat. Elle reste discrétionnaire, n'ayant pas à être motivée bien que portant parfois gravement atteinte à la présomption d'innocence. Je vous demande, Madame la ministre, de réfléchir à cette question. Nous avons déposé des amendements afin de transformer une procédure qui, de garante de la liberté au XIXème siècle, est devenue le germe de la suspicion. Je ne pense pas là à des hommes politiques en difficulté quelconque (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) mais à des hommes, de toutes professions, dont la réputation est à jamais entachée... dans l'attente d'un non-lieu, bien lointain. En dépit des lobbies puissants qui se manifestent, avec agressivité même depuis quelques jours, nous, ici, devons avoir le courage de dire que la mise en examen est une survivance archaïque au sein de notre droit si elle n'est motivée et susceptible d'appel.

On objecte souvent qu'une mise en examen motivée constituerait en fait un préjugement. La motivation de l'ordonnance donnerait trop de force à l'accusation. Singulier argument car le juge d'instruction doit instruire à charge et à décharge ! Il est d'ailleurs très hypocrite car aujourd'hui, la mise en examen est déjà un préjugement. En effet le caractère discrétionnaire de la décision de mise en examen renforce son impact auprès des médias comme de l'opinion publique. Si le juge ne dit rien, le journaliste peut parler... Seule la motivation des ordonnances permettrait de mettre un terme aux hypothèses que l'obscurité de la décision autorise.

Pouvons-nous défendre une procédure de mise en examen sans motivation et sans appel ? Ce serait maintenir une tradition juridique assez regrettable. Les juges d'instruction font souvent un pari en décidant de mettre une personne en examen. Parions plutôt sur la présomption d'innocence.

Demain, nous défendrons des amendements de portée générale, qui seront sans doute repoussés par cette assemblée, puisque c'est ce qu'a fait la commission.

Nous avons donc aussi déposé des amendements techniques qui, sans dénaturer votre projet, pourraient améliorer la situation (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Nicole Catala - Les controverses suscitées par ce projet montrent à quel point le sujet que nous abordons est sensible. Ce texte est au carrefour de plusieurs exigences majeures : la nécessité de laisser la police et la justice accomplir leur tâche, la garantie des libertés individuelles, la protection de la présomption d'innocence et la liberté de la presse. Votre projet a le mérite de ne pas céder aux idées à la mode. Je me réjouis que nous ne passions pas de notre système inquisitoire à un système accusatoire, dont les mérites, souvent vantés, ne sont pas supérieurs. Un tel système n'est pas plus rapide que le nôtre, comme le montre le nombre de dossiers italiens déposés devant la Cour de Strasbourg en raison de la durée excessive de l'instruction.

Le système accusatoire ne s'est pas non plus révélé plus efficace dans l'élucidation des affaires : j'en veux pour preuve l'affaire des six de Gilford, en Grande-Bretagne.

Notre système judiciaire n'a pas tous les défauts qu'on lui prête et j'estime que ce sont surtout les comportements humains qu'il faut s'attacher à modifier.

Je me réjouis que le statut de témoin assisté puisse à l'avenir faire l'objet d'une utilisation plus large, mais votre dispositif pose un problème de constitutionnalité. Le projet prévoit en effet que c'est le juge d'instruction qui décidera d'accorder ou non ce statut protecteur à la personne mise en cause, ce qui porte atteinte selon moi au principe de l'égalité devant la loi.

Vous créez par ailleurs le juge de la détention. Si la prépondérance actuelle du juge d'instruction est choquante et s'il faut en effet la tempérer, mieux vaudrait prévoir un collège de trois magistrats, comme on l'avait envisagé en 1992. Il avait fallu y renoncer, faute de moyens. Mais le manque de moyens ne va-t-il pas aussi compromettre votre réforme, très contestée par les juges d'instruction ? Faute d'un nombre suffisant de juges de la détention, les instructions risquent de prendre beaucoup de retard.

Tous les pays comparables au nôtre connaissent le secret de l'instruction, même s'il n'est pas défini dans un texte, mais il n'est jamais absolu. Je ne suis pas de ceux qui souhaitent sa suppression. Il s'agit d'une garantie importante de présomption d'innocence, qui rend par ailleurs l'enquête plus efficace. Je suis heureuse que vous n'ayez pas renoncé à ce principe. Il faut même aller plus loin et, pour protéger la dignité des personnes, interdire la publication de toute image de nature à porter atteinte à la réputation des parties, qu'il s'agisse de la victime ou de la personne mise en cause. Je ne pense pas qu'on puisse parler d'atteinte à la liberté de la presse. La convention européenne des droits de l'homme en effet, dans son article 10, établit clairement que : "l'exercice des libertés de communication et d'expression comportant des devoirs et des responsabilités, il peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui". Ces limites peuvent aussi se justifier par la nécessité d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou la volonté de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire. Ainsi donc, la presse n'a pas le droit de nuire, même si elle doit rester libre.

Je souhaite que vous alliez aussi loin que possible pour protéger la dignité des personnes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée le mercredi 24 mars, à 1 heure 10.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


© Assemblée nationale