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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 108ème jour de séance, 275ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 16 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

          SOMMAIRE :

CHEMINS DE FER COMMUNAUTAIRES 1

    ARTICLE UNIQUE 14

    EXPLICATION DE VOTE 15

La séance est ouverte à dix heures trente.


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CHEMINS DE FER COMMUNAUTAIRES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Boulaud sur les propositions de directives relatives aux chemins de fer communautaires.

M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur de la commission de la production - Quelle est l'Europe des transports que nous propose la Commission européenne depuis quelques années ? Au mépris du Traité de Rome, l'Europe s'est longtemps désintéressée de ce secteur fondamental.

Le transport maritime a été la première victime, abandonné face à la concurrence asiatique. L'Europe n'a pas su rester la force maritime qu'elle devait être.

Puis la facilité a caractérisé la politique des Etats membres : la pratique des flux tendus a abouti à favoriser et libéraliser totalement le transport routier dans les années 80. On en voit le résultat aujourd'hui : des conditions de travail inacceptables, des entreprises corvéables à merci, des atteintes à la sécurité dramatiques sur les routes, la montée de la pollution et des nuisances sonores, la dégradation des paysages, la saturation des axes routiers, des villes et des villages. Triste bilan !

Or c'est avant tout la concurrence déloyale du transport routier qui rend non compétitif le transport ferroviaire de marchandises, et non l'absence de concurrence intramodale, comme le prône la Commission européenne.

Il est toujours plus difficile de guérir que d'empêcher la propagation d'une maladie. Ainsi, la Commission européenne peine à harmoniser les règles sociales en matière de transport routier parce qu'il n'y a plus de règles depuis trop longtemps. De même, elle a du mal à imposer que le transport routier paie les coûts réels qu'il génère et que la collectivité supporte, avec les conséquences que l'on sait sur la qualité de vie et l'environnement.

Cette situation du transport routier, à laquelle on pourrait ajouter celle du transport aérien et la désorganisation patente du transport ferroviaire en Grande-Bretagne, devrait suffire à montrer les limites du laisser-faire et de la concurrence pure et à se méfier d'un postulat idéologique qui méconnaît les réalités économiques, sociales et environnementales.

Le "paquet infrastructure" que doit examiner le conseil des ministres européen le 17 juin est composé de trois propositions de directives qui concernent exclusivement l'organisation du transport ferroviaire. Ces textes, élaborés dans la précipitation, ne prévoient aucune véritable politique des transports à moyen terme, ne proposent aucune initiative pour développer l'intermodalité rail-route, mais veulent introduire la désorganisation dans le dernier mode de transport qui restait encore organisé, en calquant le modèle de la déréglementation déjà appliqué ailleurs.

Ainsi, au lieu de moderniser le ferroviaire pour lui donner les moyens de l'ambition que nous lui portons, elle lui impose une révolution dont il aura du mal à se relever.

M. Dominique Bussereau - Vous êtes en retard d'une guerre.

M. le Rapporteur - Un premier exemple : le transport ferroviaire est un système intégré. On ne peut faire rouler des trains ailleurs que sur des rails... (Sourires) La création, en France, du Conseil supérieur du service public ferroviaire illustre d'ailleurs le besoin d'unicité du service du rail.

La séparation institutionnelle en deux entités de ce service crée des obligations nouvelles, augmente les sources de conflits et les coûts de transactions. C'est pourquoi je me félicite que le Gouvernement ait pris conscience des risques que cela pouvait entraîner et ait engagé les moyens nécessaires pour que l'infrastructure et l'exploitation soient bien coordonnées.

Or, dans le but avoué de casser les opérateurs ferroviaires nationaux, la Commission européenne nous demande d'imposer un éclatement en différents services du transport ferroviaire. En plus du gestionnaire d'infrastructure et de l'exploitant ferroviaire, il faudrait créer des organismes indépendants pour la gestion de la sécurité et pour la régulation. Qui plus est, il faudrait permettre à des candidats autorisés, toutes les entreprises ferroviaires européennes mais aussi des entreprises non ferroviaires et des collectivités locales, de réserver des sillons et d'y concurrencer l'opérateur national.

Si ces conditions étaient validées par notre Assemblée, les entreprises ferroviaires européennes ne pourront plus que faire circuler des trains réservés par d'autres, dans des conditions de sécurité déterminées par d'autres, à des prix et des horaires décidés par d'autres et sur un réseau dessiné par d'autres, et ce en se livrant une guerre des prix sans merci.

Cela veut dire : moins de service public, alors que le droit de se déplacer est un droit fondamental, moins d'aménagement du territoire, moins de garantie de sécurité, alors que le chemin de fer est actuellement le mode de transport le plus sûr, et surtout moins de développement de la part du rail en Europe car les candidats autorisés ne s'intéresseront qu'aux trafics les plus rentables, entraînant un simple effet d'écrémage sans création de trafic nouveau.

Et cela au moment où les Etats membres ont à peine ingurgité la directive 91-440, où les entreprises ferroviaires sont en plein processus d'assainissement financier difficile. Plutôt que de bouleverser l'organisation d'entreprises en phase de mutation, il est urgent de les conforter. Plutôt que d'imposer aux Etats un nouveau cadre réglementaire, alors que certains d'entre eux n'ont pas encore achevé la transposition des précédentes directives, il est nécessaire de prendre le temps du bilan et de tirer profit des expériences en cours. C'est ce que vous propose la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui.

Deuxième exemple : le fret ferroviaire.

La Commission européenne exige une séparation comptable des activités fret et voyageurs pour éviter tout financement public du transport de marchandises. Or le transport combiné ne pourra exister que grâce aux subventions publiques tant que les prix du transport routier seront si bas.

Le fret ferroviaire est un service d'intérêt général pour des raisons évidentes de protection de l'environnement, de sécurité routière et de rééquilibrage face au transport routier.

La Commission affirme que "le rail devrait être le moyen de transport particulièrement intéressant pour déplacer de grandes quantités de marchandises sur de longues distances". Pourquoi n'a-t-elle pas alors commencé par édicter la directive que le Livre Vert de 95 préconisait sur une tarification de tous les transports, intégrant les coûts externes avant toute nouvelle déréglementation du transport ferroviaire ? La commission de la production a adopté un amendement dans ce sens.

Face à l'attitude de la Commission européenne qui applique un régime uniforme de libéralisation à un secteur très spécifique, il est nécessaire de proposer des solutions alternatives qui prennent en compte toutes les dimensions de la politique des transports en Europe. Cette proposition de résolution ne permet pas seulement de s'opposer aux propositions de la Commission, elle a aussi le mérite de dégager les grandes lignes d'une alternative réaliste. Elle invite donc la Commission européenne à reconsidérer sa démarche dans le sens d'une vraie politique commune et intermodale des transports. A la concurrence, elle préfère la coopération et le développement des réseaux ferrés, grâce à une politique volontariste d'investissements européens.

Le transport ferroviaire est par essence un service public. J'adhère donc totalement au voeu formulé par l'excellent rapport de la délégation européenne... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) de la création d'un service public ferroviaire européen.

C'est pourquoi aussi je ne peux que soutenir la position du gouvernement français qui, demain en conseil des ministres européens, s'opposera à l'adoption de ces directives (Murmures sur les bancs du groupe DL).

L'adoption unanime de cette proposition de résolution par la délégation pour l'Union européenne, puis par la commission de la production et le dépôt au Sénat, je le souligne, d'une proposition de résolution contre ce paquet de directives, exprimeront le soutien fort des parlementaires au Gouvernement français qui sera, il faut l'avouer, quelque peu isolé, dans le contexte actuel.

C'est pourquoi, sous la réserve de l'examen de quatre amendements, je vous propose d'adopter ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Didier, Boulaud, au nom de la délégation pour l'Union européenne - L'idée de service public est-elle ringarde et politiquement incorrecte ? C'est la question que les partisans résolus du libéralisme et de la pensée unique ne manqueront pas de se poser à la lecture de mon rapport d'information.

Je me réjouis que l'Assemblée nationale, au travers du débat organisé aujourd'hui, prenne conscience que la question des transports ne revêt pas seulement une dimension technique. Elle met en jeu des choix éminemment politiques, comme le montre avec éclat "le paquet infrastructures".

Le postulat sur lequel repose la réforme présentée par la Commission est de nature idéologique. Elle se borne, en effet, à affirmer de manière péremptoire que seule l'instauration de la concurrence intramodale permettra le transfert vers le rail d'une part significative du fret transporté actuellement par la route.

Or qui pourra croire une telle affirmation alors que les prévisions montrent que, dans les vingt-cinq années à venir, le transport routier demeurera dominant, évolution que l'élargissement de l'Union risque de renforcer ?

En vérité, le paquet infrastructures vise essentiellement à permettre aux chargeurs de faire face au risque de saturation des infrastructures routières, qui pourrait provoquer le développement de manifestations analogues à celles qui existent depuis longtemps dans la vallée de Chamonix. La Commission propose donc de consacrer la notion de candidat autorisé et d'encadrer les entreprises ferroviaires par plusieurs entités indépendantes.

Cependant, là encore, on peut douter de l'efficacité d'une fragmentation des réseaux nationaux. Force est de constater qu'en Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste, mécontent à la fois du comportement de Railtrack, qui se préoccupait davantage de ses actionnaires que de la modernisation du réseau, et des performances médiocres des compagnies ferroviaires, en particulier sur le plan de la ponctualité, a décidé de substituer, à titre expérimental, la SRA -autorité stratégique du rail- au Rail Regulator.

Enfin, il est surprenant que la Commission veuille imposer un cadre commun à des réseaux de qualité inégale -comme on peut le vérifier en empruntant l'Eurostar- et qui ne sont pas tous dans la même situation géographique, les uns se situant dans des pays de transit, les autres dans des pays périphériques. Il est tout aussi surprenant que la Commission invoque des expériences de libéralisation intervenues dans certains pays membres, puisqu'il ne s'agit que d'un libéralisme de façade.

Pour toutes ces raisons, il m'a paru nécessaire de proposer d'autres orientations, propres à éviter que l'avenir du rail ne s'aligne sur celui du transport routier.

A l'échelle de l'Europe, il importe que l'Union et les Etats membres s'attachent sans délai à développer et à moderniser les réseaux.

Cependant l'idée d'emprunt communautaire n'aura de sens que si les entreprises ferroviaires veillent à résoudre les problèmes d'interopérabilité et à harmoniser vers le haut leurs normes de sécurité et les conditions de travail. Il n'est pas acceptable, par exemple que les conducteurs britanniques d'Eurostar continuent de travailler au-delà de sept heures. Par ailleurs, il est essentiel que les objectifs d'aménagement du territoire et de service public ne soient pas négligés -ce qui interdit de fermer des lignes au nom de la rentabilité.

En ce qui concerne la France, j'ai appelé de mes voeux la modernisation de la SNCF qui, pour peu quelle sache valoriser ses atouts techniques et mobiliser les cheminots, dont la passion pour leur métier demeure très grande, peut être aussi performante qu'EDF ou France Télécom. N'est-il pas étonnant de devoir plaider en faveur du service public ? Le traité d'Amsterdam n'a-t-il pas consacré cette notion qui fait partie des valeurs européennes, lesquelles distinguent nos sociétés de la société américaine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Ce débat revêt une grande importance puisque le Conseil des ministres des transports doit statuer demain sur l'organisation du transport ferroviaire. Nous souhaitons que celui-ci tienne un premier débat sur les trois propositions de directive élaborées par la Commission européenne, lesquelles, selon nous, ne peuvent être adoptées en l'état.

Il est inhabituel que la délégation, à l'unanimité des groupes, conclue au rejet total d'une réforme présentée par la Commission européenne ; elle préfère suggérer au Gouvernement des inflexions ou des amendements. Dans le cas qui nous occupe, elle ne peut que demander au Gouvernement d'obtenir que la Commission présente de nouvelles propositions. En effet, tout en partageant l'objectif de "revitalisation" du transport ferroviaire, elle considère que l'Union européenne ne saurait se limiter au seul objectif de concurrence intramodale et faire abstraction d'une approche intermodale.

La Commission européenne n'a pas apporté la preuve que l'extension au transport ferroviaire de la déréglementation intervenue dans les autres secteurs du transport et dans les télécommunications est la voie unique de revitalisation et de rééquilibrage du fret en faveur du fer.

On sait le coût très élevé, sur les plans économique, social et environnemental, de la libéralisation sans harmonisation du transport routier.

L'expérience britannique de privatisation illustre les dérives inhérentes à une concurrence mal maîtrisée ; dans les autres Etats membres qui ont choisi d'aller au-delà de la directive 91-440, la déréglementation n'a pas produit les effets escomptés, car l'ouverture y a été limitée aux lignes de proximité, les opérateurs historiques conservant une position dominante sur les grandes lignes et pour le fret.

Il est d'autant plus surprenant que la Commission préconise la concurrence intramodale, alors que les distorsions de concurrence entre le rail et la route persistent et qu'elle ne fait aucune proposition en faveur du transport combiné.

En outre, la délégation conteste qu'une réforme aussi vaste intervienne en l'absence de tout bilan approfondi de la transposition de la directive 91-440, et à un moment où presque toutes les entreprises ferroviaires sont dans une situation financière fragile.

Enfin, la logique de la Commission nous apparaît irrecevable parce qu'elle fait abstraction des obligations de service public, notion reconnue par le traité d'Amsterdam.

Loin de se borner à cette attitude de refus, la délégation a formulé des propositions constructives.

D'une part, elle a marqué son souci de promouvoir une réelle politique européenne de transports, en reprenant l'idée de Jacques Delors d'émettre un emprunt communautaire pour financer les réseaux transeuropéens de transports de voyageurs et de marchandises. Pourraient, enfin, en bénéficier, pour prendre deux exemples qui me sont particulièrement chers, le TGV Méditerranée entre Montpellier et Perpignan et la ligne Béziers - Neussargues - Clermont-Ferrand, qui dessert les hauts cantons du Languedoc, favorise le désenclavement du Massif central, redynamise l'atelier d'entretien de Béziers et évite de coûteux investissements dans le couloir rhodanien.

M. Dominique Bussereau - La ligne Barrau-Gayssot... (Sourires)

M. le Président de la délégation - La délégation insiste parallèlement sur la nécessité de valoriser l'interopérabilité des réseaux ferroviaires et de valoriser le potentiel technique et humain de la SNCF et de RFF dans le cadre des réseaux transeuropéens de transports de voyageurs et de marchandises.

Je me félicite que la commission de la production et des échanges partage pour l'essentiel la position de la délégation. Cela confirme qu'un travail approfondi porte ses fruits et permet aux parlements nationaux de participer de manière efficace au contrôle de la construction européenne.

Ce contrôle est plus que jamais une exigence démocratique, la Commission pouvant susciter des réactions sceptiques par des projets technocratiques et le traité d'Amsterdam ayant élargi la procédure de codécision à de nombreuses matières. Il peut amener, comme c'est le cas aujourd'hui, à s'opposer clairement aux orientations de la Commission, décidément trop libérales (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Gilbert Biessy - La Commission européenne cherche à créer les conditions favorables au développement d'un système ferroviaire dynamique et compétitif. Personne ne peut nier, il est vrai, la tendance au déclin du rail. A l'échelle de l'Union, on constate une stagnation des trafics de voyageurs au cours des dix dernières années, et une diminution du fret ferroviaire entre 1990 et 1997. La France, même si elle demeure le pays où la part du rail est la plus importante, n'est pas épargnée par le mouvement : selon le rapport du Haut Conseil du secteur public, le chemin de fer n'assure plus que 7,7 % du trafic voyageur, contre 10,3 % en 1985, et 21,4 % du fret, contre 32,4 % en 1985. Cette érosion a profité essentiellement au transport routier. Nous ne pouvons donc que souscrire aux intentions affichées par la Commission.

En revanche, nous constatons que ses propositions s'inscrivent dans une démarche de libéralisation accrue.

Actuellement, la directive actuelle 91/440 vise à ouvrir les réseaux nationaux à certains trafics. Son article 10 reconnaît des droits d'accès et de transit aux regroupements d'entreprises ferroviaires effectuant des services de transports internationaux ou exploitant des services de transport combiné internationaux de marchandises. En voulant pousser plus avant le processus, la Commission met en danger le service public. Le 22 octobre dernier, la majorité des 25 sociétés membres de la Communauté des chemins de fer européens a émis les plus grandes réserves sur ce "paquet infrastructures" estimant qu'il s'agissait d'une restructuration artificielle du marché du rail dont les effets économiques n'ont pas été évalués par la Commission.

Faut-il également rappeler l'ampleur de l'"Eurogrève", organisée pour protester contre la démarche proposée par les instances communautaires ?

Les trois propositions de directives tendent à éclater les réseaux actuels, à créer de la concurrence entre les différentes lignes et à accorder des autorisations d'exploitation à des entreprises n'ayant pas de moyens ferroviaires propres.

Avant de s'engager dans la déréglementation, il conviendrait de faire le bilan de l'application de la directive 91-440, dont on constate qu'elle n'empêche pas certains d'aller au-delà des termes des recommandations, tout comme elle n'empêche pas la concurrence de nouveaux entrants.

En vertu du principe de subsidiarité, les Etats doivent pouvoir s'engager sur des objectifs convergents de développement du rail en utilisant des formes et des moyens différents. C'est ce que permet la directive. Ce n'est pas, en revanche, la démarche de la Commission qui outrepasse ses prérogatives.

De plus, ces trois nouvelles propositions partent d'un postulat invérifiable : la Commission considère que la libéralisation aurait, par essence, des effets positifs. Or l'exemple britannique d'une privatisation effrénée devrait inciter à la prudence.

La proposition de résolution précise que l'objectif de Bruxelles répond au souci unanime d'établir un meilleur équilibre entre les transports routiers et ferroviaires, mais que les moyens employés ne sont pas les bons. Le groupe communiste y est par conséquent favorable.

Néanmoins, nous envisageons de l'améliorer sur trois points, grâce à des amendements adoptés par la commission de la production.

Tout d'abord, il nous paraît indispensable d'insister sur le respect du principe de subsidiarité. En second lieu, comme "le paquet infrastructures" traite peu et mal de sécurité, nous proposons de souligner les risques que pourrait poser la création de l'organisme indépendant préconisé par la Commission européenne.

Enfin, notre dernier amendement tend à harmoniser la tarification des différents modes de transport, afin de parvenir à une vérité des coûts. Les coûts externes engendrés par les activités de transport ne sont pas directement supportés par les acteurs du secteurs. Ces coûts pour l'environnement et la société ont été évalués à près de 400 milliards d'écus par an en Europe de l'Ouest. Or 92 % de ces dommages sont générés par le trafic routier contre 1,7 % par le trafic ferroviaire. Il semble donc nécessaire de mettre en oeuvre un mécanisme de choix des investissements d'infrastructures et de tarification d'usage encourageant le recours aux modes les moins nuisibles. Un tel mécanisme permettrait une relance du secteur ferroviaire tout en incitant à améliorer les conditions du transport par camion et bus. Ainsi, nous contribuerions à prévenir des drames tels que celui du tunnel du Mont-Blanc ou celui qui a endeuillé l'Autriche.

Chacun s'accorde sur la nécessité de définir un nouvel équilibre entre la route et le rail. Le Gouvernement a affiché son intention de doubler le trafic ferroviaire en dix ans. Toutefois, dans le même temps, il apparaît que le trafic par poids-lourds évoluera dans les mêmes proportions. Afin de mettre un frein à cet engrenage, la volonté politique doit se traduire par des actes. Les députés communistes souhaitent donc que le vote de cette proposition ne reste pas sans suites (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Dominique Bussereau - Je remercie le rapporteur de la façon dont il a procédé, en organisant un débat contradictoire entre tenants de positions différentes.

Dans l'Europe qui se construit, le chemin de fer est appelé à un grand avenir.

Face au "paquet" présenté par la Commission européenne, je vais à présent déroger à la pensée unique qui vient de s'exprimer : à mes yeux, ces directives sont globalement positives, même si certains points sont discutables.

Mme Odile Saugues - Vous êtes bien seul !

M. Dominique Bussereau - Je ressens profondément cette solitude... (Sourires) Mais je crois beaucoup aux vertus de la liberté dans le domaine des transports. Les gouvernements socialistes se sont naguère opposés à la directive 91-440. Ils ont naturellement perdu, comme vous allez perdre de nouveau. Pourtant cette directive a permis de faire évoluer la SNCF, avec la création de Réseau ferré de France.

Il est de bon ton de critiquer la libéralisation des chemins de fer en Grande-Bretagne. Mais cette privatisation s'explique par l'état d'abandon total dans lequel les gouvernements travaillistes avaient laissé le chemin de fer britannique. Sans la solution chirurgicale de la privatisation, il n'y aurait tout simplement plus de chemin de fer en Grande-Bretagne. De plus, actuellement, les plus grosses commandes de matériels ferroviaires en Europe proviennent du réseau anglais.

M. le Président de la délégation - Les trains n'arrivent jamais à l'heure !

M. Dominique Bussereau - Sans la privatisation, les trains n'arriveraient même pas, parce qu'il n'y en aurait plus.

Dire que la libéralisation du transport aérien n'a apporté aucun progrès est une contrevérité. Sans elle, un très grand nombre de Français n'aurait pas encore accès démocratiquement au ciel. Si nos compatriotes d'outre-mer ont vu le prix du transport aérien pour aller chez eux baisser de moitié, c'est bien grâce à la libéralisation. Si Air France essaie, malgré la tutelle pesante de l'Etat, de redresser la tête, c'est que la libéralisation lui offre l'opportunité de conquérir des marchés. Mieux vaut des prix en baisse pour les consommateurs que d'affirmer la notion de service public.

En sens inverse, les gouvernements socialistes qui ont accepté la libéralisation du transport routier en ont complètement négligé l'aspect social. Il est facile aujourd'hui de crier haro sur le transport routier ! Les communistes ne sont pas en cause, car à l'époque ils n'étaient pas aux affaires.

Aujourd'hui, vous campez sur une position d'arrière-garde, et vous serez mis en minorité. En vous opposant si farouchement à la directive, vous ne rendez pas service au développement du chemin de fer en France.

M. Filleul, au moment de la réforme de la SNCF, avait dit qu'en cas de changement politique elle serait abrogée. Vous ne l'avez pas fait. Mais vous créez un Conseil, une grosse usine à gaz, composé exclusivement de syndicalistes, comme si le chemin de fer était au service des syndicats de la SNCF, et pas des Français qui pourtant le financent par l'impôt (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Ce Conseil, certes présidé par une personnalité éminente, est un comité d'entreprise des cheminots payés par les Français.

Tout ce qui peut dépoussiérer l'organisation du chemin de fer en France permettra de développer la part du ferroviaire dans nos modes de transport, et c'est ce que nous souhaitons. M. Raffarin et moi nous vous rencontrerons bientôt, Monsieur le ministre, pour parler de la RN 10. Quand je vois les milliers de camions qui l'empruntent, je me dis qu'ils seraient mieux sur le rail.

Il faut donc permettre à la SNCF de se développer. L'entreprise est techniquement excellente, et, dans un univers de concurrence, elle pourra conquérir des marchés à l'extérieur, à l'exemple de la CGEA qui exploite des chemins de fer régionaux dans certains Länder allemands. Mais si vous bridez la SNCF dans un corset étatique, et dans une notion de service public dépassée, le rail ne se développera pas (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Le service public ferroviaire existe dans les banlieues, où il est en situation de monopole. Mais sur les grandes lignes il n'a plus aucun sens, et pour le fret il est devenu une notion désuète.

M. le Président de la délégation - Et l'article 16 du traité d'Amsterdam ?

M. Dominique Bussereau - C'était pour faire plaisir au Premier ministre français !

Plutôt que de mener ce combat d'arrière-garde, pour des raisons politiques évidentes, vous devriez travailler à faire progresser le rail. Le Gouvernement s'est opposé à une proposition de loi de l'opposition tendant à améliorer le dialogue social à la SNCF et à instaurer le service minimum comme ultime recours.

Lors de la dernière grève des agents de conduite de la SNCF, plus de 1 100 trains ont été bloqués, sans que les affréteurs puissent savoir à aucun moment où se trouvaient leurs wagons. Comment dans ces conditions développer le ferroutage, lequel est pourtant la solution d'avenir ? Aussi dans la proposition de loi que nous déposerons de nouveau, demanderons-nous qu'un service minimum soit également prévu, pour le réseau banlieue, les transports scolaires, et aussi pour le transport combiné de fret.

Quant à l'accord sur les 35 heures, dont je me réjouis pour la qualité de vie des cheminots, il nuira à la productivité de l'entreprise. Certes, vous achetez ainsi la paix sociale -ce peut être une méthode de gouvernement- mais vous sollicitez également le contribuable, alors que les patrons de PME, eux, devront financer eux-mêmes le passage aux 35 heures.

Si je n'approuve pas toute la directive, je n'approuve pas non plus le combat que vous menez pour retarder les évolutions. Vous pensez sauver la SNCF, en réalité vous allez détruire le chemin de fer. Pour toutes ces raisons, je ne peux suivre le rapport de Didier Boulaud.

M. Jean Rigal - Sous une apparence purement technique, ces trois propositions de directives se révèlent d'inspiration ultralibérale. Si ce n'est pas une surprise, c'est pour nous un sérieux motif d'inquiétude.

Selon la Commission de Bruxelles, les entreprises de chemins de fer doivent être gérées de manière indépendante, avoir des comptes équilibrés et être progressivement soumises aux lois du marché. Autant d'objectifs qui, à l'exception du second, sont inacceptables pour les députés radicaux de gauche.

En outre, le Conseil des ministres européens des transports doit débattre d'une libéralisation globale du secteur ferroviaire, actuellement limitée au transport international. Ce serait signer la fin du service public ferroviaire, qui participe à l'aménagement du territoire. Je pense au rôle d'une ligne comme Béziers-Neussargues.

Pour toutes ces raisons, la propositions de résolution qui nous est soumise est tout à fait opportune. S'il faut redynamiser le rail et rééquilibrer les transports routiers et ferroviaires, les moyens proposés par Bruxelles sont inappropriés. Car ils remettent profondément en question l'organisation actuelle des entreprises ferroviaires européennes. Ils sont également dangereux. La Commission préconise en effet la déréglementation totale du secteur ferroviaire alors même que la directive du 29 juillet 1991 n'a fait l'objet d'aucun bilan d'application. Au prétexte de conforter le chemin de fer, on risque de le tuer.

Par ailleurs, la Commission ne propose aucune véritable politique harmonieuse et cohérente des transports à moyen terme, sinon celle édictée par le marché.

Enfin, le principe de subsidiarité est mis à mal par le niveau de détail de ces propositions de directives.

J'évoquerai,, enfin, le contexte politique européen dans lequel s'inscrit ce dossier. La France pourrait sembler relativement isolée mais les tenants de la libéralisation, aussi acharnés soient-ils, sont loin d'être unanimes. Il existe donc pour la France une marge de manoeuvre au sein de l'Union pour obtenir de nouvelles propositions de la Commission et plaider la création d'un service public ferroviaire européen.

Les députés radicaux de gauche, très attachés au service public, voteront la proposition de résolution et vous apportent leur soutien, Monsieur le ministre, dans les négociations à venir.

M. Léonce Deprez - 90 % du transport de fret inter-européen est assuré par la route. On mesure à ce seul chiffre l'urgence pour la SNCF de sortir de ces difficultés et de nouer des alliances durables avec des partenaires européens.

Chacun s'accorde sur la nécessité de rééquilibrer les modes de transport et de développer le rail afin d'en finir avec le "tout routier". Ce rééquilibrage exige une politique volontariste d'aménagement du territoire. Celle-ci devrait s'appuyer sur un schéma national d'aménagement du territoire. Tel ne sera pas le cas puisque la loi d'orientation de Mme Voynet prévoit à la place des schémas de services collectifs. Ceux-ci devront donner la priorité à l'établissement d'un plan national de liaisons ferroviaires, routières et autoroutières modernes.

Il conviendrait également que la SNCF puisse sans tarder conclure des partenariats avec d'autres entreprises européennes. Il est urgent de sortir de l'immobilisme sur ce point. L'objectif est de développer des réseaux transeuropéens de transport de voyageurs et de marchandises. Comme je l'ai souligné en commission, le principe de subsidiarité devrait être précisé à cet égard : une Constitution européenne devrait définir clairement la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres. Chaque Etat devrait, en tout état de cause, avoir la responsabilité de l'organisation de ses réseaux de transport.

D'une manière plus générale, il faut aussi prendre en considération les politiques menées depuis la directive 91-440 de la Commission, laquelle date déjà de neuf ans. Certes, la France ne l'a appliquée qu'avec retard, ce qu'on peut regretter. La réforme Pons-Idrac a eu le mérite de séparer la gestion de l'exploitation des infrastructures -M. Bosson avait précédemment fixé le cap. Je me félicite que l'on ait enfin reconnu la nécessité de cette séparation. Il serait d'ailleurs intéressant de se reporter au Journal officiel des débats lors de la création de RFF en 1997. Vous défendiez alors, Monsieur le ministre, un point de vue opposé au nôtre mais vous avez eu depuis l'occasion d'évoluer. La création de RFF a permis à la SNCF de se libérer d'une dette qui l'aurait asphyxiée et de s'engager, sous l'impulsion du président Gallois, auquel je tiens à rendre hommage, sur la voie d'une modernisation indispensable à la fois pour renforcer sa compétitivité et mieux répondre aux besoins de ses clients.

Sans pour autant approuver les propositions de directives, on peut comprendre l'objectif qui les inspire. Il s'agit d'autoriser la concurrence afin de stimuler le transport ferroviaire de marchandises en Europe. La concurrence est en soi saine : à notre service public de s'adapter pour n'avoir pas à la redouter.

Puisque la Commission semble prendre un nouveau départ sur le sujet, elle devrait commencer par soumettre aux parlements nationaux un état de la situation du transport ferroviaire dans chaque pays. Il faudrait comparer dans les différents pays les moyens mis en oeuvre et les coûts.

M. le Rapporteur et M. le Président de la délégation pour l'Union européenne - Tout à fait.

M. Léonce Deprez - Il faudrait aussi tenir compte de la ponctualité et de la sécurité. La France n'a certainement pas de leçons à recevoir en la matière  ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste). Cependant, la France ne peut faire abstraction de la compétition internationale.

Le sursis de cinq ans est justifié par l'impréparation des réseaux ferroviaires européens. Il faut le mettre à profit pour renforcer la compétitivité de la SNCF et pour accroître les chances d'un rééquilibrage entre le rail et la route. Mais l'exigence première, en Europe, doit être celle de la sécurité, comme nous l'ont rappelé des événements récents et douloureux. Cette sécurité exige des investissements et suppose l'application de normes identiques dans toute l'Union. Il faut demander à la Commission de revoir ses propositions en ce sens. Elle doit aussi s'appuyer davantage sur l'expérience d'un certain nombre d'Etats membres.

Nous sommes assez fiers du fonctionnement de notre SNCF et les interruptions dues aux grèves sont souvent une occasion pour nos concitoyens de constater la qualité globale, l'exactitude et la qualité du service assuré par les 172 000 travailleurs et cadres de cette entreprise.

M. le Président de la délégation - Quel écart avec ce que dit M. Madelin !

M. Léonce Deprez - La Commission doit aussi faire des propositions pour développer l'intermodalité et poursuivre les coopérations déjà engagées conformément à la directive 91-440. Il faut lui demander de mettre à profit le délai de cinq ans pour planifier de véritables réseaux transeuropéens tout en préservant la possibilité de garder aux transports ferroviaires nationaux un caractère de service public. Le problème de l'interopérabilité doit également être résolu, tandis que les investissements dans la multimodalité doivent être encouragés. Enfin, la France doit obtenir de la SNCF et de RFF une intensification de leurs efforts de modernisation, ainsi qu'une valorisation de leur potentiel technique et humain.

Nos conclusions rejoignent donc celles du rapporteur. Le constatant, je crois cependant être fidèle à la ligne suivie par vos prédécesseurs, Monsieur le ministre : je veux parler de M. Bosson, de M. Pons et de Mme Idrac. Et le groupe UDF estime donc nécessaire d'exiger de la Commission qu'elle revoie sa copie. Il s'associera donc à la proposition de résolution, tout en pressant de Gouvernement de stimuler la modernisation de la SNCF et, plus généralement, celle de toutes nos liaisons (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président de la délégation - M. Madelin est isolé !

Mme Odile Saugues - Chacun en convient : la construction de l'Europe ferroviaire est une nécessité qui mérite mieux que ces propositions de directives. Elle mériterait même un vrai débat, qui porterait aussi sur notre définition du service public -tout sauf désuète-, sur les impératifs d'aménagement du territoire, sur les contraintes de sécurité, sur les coûts réels du transport ferroviaire.

Comme les rapporteurs et le président de la délégation l'ont montré, c'est une logique libérale qui prévaut dans ces propositions de la Commission. Les entreprises ferroviaires devraient assumer les risques essentiels, liés à la mise en place des moyens de traction, tandis que les "demandeurs autorisés" se borneraient à prendre un risque commercial, sans avoir à consentir le moindre investissement ! Ils pourraient alors s'intéresser aux trafics les plus rémunérateurs...

Le calendrier proposé par la Commission n'est guère plus acceptable que cette orientation libérale : selon l'article 36, les Etats membres devraient appliquer les nouvelles dispositions législatives, réglementaires et administratives avant le 1er janvier prochain !

Toute la réflexion de la Commission repose sur le principe d'un éclatement institutionnel. Les entreprises ferroviaires devraient se limiter au seul secteur de la traction, dissocié de celui des sillons. En fait, depuis la directive du 29 janvier 1991, la Commission ne tend qu'à casser les monopoles des opérateurs nationaux et à accélérer l'ouverture du transport ferroviaire de marchandises à la concurrence. Au moment où le Gouvernement entreprend de conforter le transport combiné, comment ne pas voir dans ces propositions de directives une source de conflits d'intérêts, d'incohérence et d'incompatibilités ?

Pour nous vendre ce "paquet d'infrastructures", la Commission semble dire : ça marche ailleurs ! Mais où ? En Grande-Bretagne, où l'on a privatisé le service de messagerie de British Rail, puis le matériel roulant et, enfin, les 25 lignes de passagers ? Chacun constate aujourd'hui la piètre qualité de cette privatisation des franchises ! La Suède serait-elle alors le modèle ? Mais, entre la première réforme de 1988, qui a instauré la concurrence sur certaines lignes régionales ou de fret, et 1994, le nombre d'ateliers d'entretien est tombé de 35 à 13, celui des gares de triage de 35 à 6, et les effectifs ont été réduits de moitié, les cadres dirigeants étant tous limogés ! Pourtant, la purge ne devait sans doute pas suffire puisque la Suède a instauré, depuis le 1er janvier 1995, la concurrence totale sur l'ensemble de son réseau.

Mais la Commission puise peut-être ses références plus loin encore, au Japon par exemple. Je suggérerai alors de joindre en annexe à la proposition de résolution le rapport d'information no 527 de la délégation pour l'Union européenne qui rappelle que, le Japon étant une île, son réseau est à l'abri de la concurrence et que la réforme y repose sur la création de quasi-monopoles régionaux, non sur une large concurrence intramodale. Surtout, cet exemple nous montre que le chemin de fer ne peut se passer de l'intervention de la puissance publique !

Monsieur le ministre, vous participerez demain à la réunion des ministres européens qui se prononcera sur ces propositions de directives. Plusieurs Etats membres soutiennent celles-ci, mais ce sont surtout des Etats périphériques qui ne verraient pas d'un mauvais oeil la possibilité d'utiliser à leur guise les réseaux des pays de transit !

Si ces directives visaient vraiment à la construction de l'Europe ferroviaire, on nous parlerait de coopération entre Etats, d'emprunt européen, d'aménagement du territoire et de service public. Or toutes ces notions sont absentes du discours de la Commission.

Quant au prétendu isolement français, il suffit de se souvenir de l'euro-grève de novembre dernier : à côté des cheminots français, ce sont ceux de Grèce, d'Espagne, du Portugal, du Luxembourg, de Belgique et d'Italie qui ont exprimé leur inquiétude devant les menaces de privatisation et devant ces propositions de directives.

Monsieur le ministre, vous pourrez également vous appuyer sur nos concitoyens qui, dimanche, ont sanctionné fermement ceux qui portaient les couleurs du libéralisme. Ils ont rappelé leur attachement au service public, à la défense des acquis sociaux, à un aménagement du territoire équilibré.

M. Dominique Bussereau - Et à la chasse !

Mme Odile Saugues - Quand on perd de vue ces principes, on perd la confiance des électeurs !

Oui, la France doit faire entendre sa voix pour défendre l'idée d'un service public ferroviaire européen.

Ce sont en fait deux conceptions qui s'affrontent. Déjà, pour répondre à la réforme Pons-Idrac qui organisait la désintégration de la SNCF (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), le Gouvernement a dû instituer, il y a tout juste un an, le Conseil supérieur du service public ferroviaire chargé de renforcer l'unicité du système, son efficacité et sa synergie. Quant au budget pour 1999, il a confirmé notre volonté de conforter le transport ferroviaire, avec une dotation de 13 milliards pour Réseau ferré de France et une augmentation de plus de 15 % des investissements.

Enfin, alors que, de façon récurrente, certains dans l'opposition remettent en cause le droit de grève dans le service public, nous considérons, nous, que notre service public peut et doit se moderniser grâce à une nouvelle culture de la négociation et qu'on ne peut régler des conflits sociaux ou faire taire les inquiétudes par des mesures autoritaires et administratives.

Pour conclure, je formulerai un regret et un souhait.

Mon regret, c'est que le Sénat n'ait pas encore examiné la proposition de résolution no 389, qui avec des nuances rejette aussi ces directives en l'état. Son adoption aurait montré que le Parlement savait se rassembler lorsque le service public est attaqué brutalement.

Mon souhait, ce serait que l'Assemblée adopte unanimement la proposition de résolution, comme l'a fait la commission de la production, afin de vous soutenir, Monsieur le ministre, et de vous inciter à une extrême vigilance dans une mission qui va au-delà de la seule défense de notre service public et de la recherche d'une minorité de blocage : nous vous demandons en effet de plaider pour une réorientation de la construction européenne, en faisant prévaloir les exigences de sécurité, de fiabilité, de qualité sur la quête du profit maximum, sur les intérêts particuliers et sur le dumping économique et social (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Michel Bouvard - J'ai déjà rappelé à plusieurs reprises l'attachement du groupe RPR pour le transport ferroviaire, quelles que soient les difficultés passées et actuelles de la SNCF. Comme Louis Armand, nous avons en effet la conviction que le chemin de fer sera le mode de transport du siècle prochain. Il a en effet l'avantage de résoudre le problème de la saturation du réseau routier et il est économe d'espace -un train de marchandises n'équivaut-il pas à cinquante camions ? La route a un coût de plus en plus élevé pour la collectivité et un rééquilibrage s'impose donc. Nous avons tenté de l'engager entre 1993 et 1997 en assainissant la situation financière de la SNCF et en la réformant pour lui donner de bonnes chances d'entrer comme il convient dans le XXIème siècle.

C'est la loi Pasqua de 1996 qui a institué le FITTVN, outil de redistribution financière au bénéfice du rail qui a permis d'apporter des crédits supplémentaires pour des infrastructures. Puis la réforme Pons-Idrac a régionalisé les services voyageurs et séparé l'exploitation de l'infrastructure allégeant fortement la dette de la SNCF.

Celle-ci était en effet alors dans une situation critique, sa dette étant passé en 15 ans de 40 à 200 milliards ; de 1988 à 1994, le trafic voyageurs avait reculé de 13 % et le fret de 10 % tandis que le matériel vieillissait.

La réforme correspondait donc à un besoin interne, tout en satisfaisant aux exigences de la directive 91-440. Mais j'affirmais aussi à cette tribune, le 4 février 1997, que la directive 91-440 constituait un maximum et que la libéralisation engagée dans le transport aérien ne pouvait être appliquée au ferroviaire. Pas plus qu'hier, notre groupe ne considère que les propositions de la Commission tendant à déréglementer le transport ferroviaire soient une solution d'avenir. Notre préférence va à des accords de réseau à réseau.

Le 17 juin, le Conseil européen du transport devra se prononcer à propos de ce "paquet" de trois directives sur lequel le Parlement est consulté bien tard. Est-ce parce qu'il n'était pas opportun de débattre en pleine campagne électorale ?

La première directive modifie la 91-440 sur trois points : extension de la séparation comptable entre gestion des infrastructures ferroviaires et gestion des services de transport aux comptes de bilan -et plus seulement aux comptes d'exploitation ; séparation comptable entre le transport de voyageurs et celui de marchandises ; transfert des responsabilités relatives aux règles de sécurité à des entités indépendantes.

La deuxième directive étend le champ des licences des entreprises ferroviaires. La troisième s'applique à la tarification de l'utilisation des infrastructures ferroviaires et à la certification en matière de sécurité.

Avant de s'engager dans une architecture aussi compliquée, il aurait été souhaitable d'évaluer les effets des directives en vigueur dans la durée. On peut craindre que l'Union n'entre dans une zone d'instabilité législative et réglementaire.

La séparation des activités fret et voyageurs, telle que la conçoit la Commission, avec un secteur voyageurs subventionné, de service public, et un secteur fret concurrentiel, ne peut nous satisfaire. Une partie importante du réseau voyageurs peut dégager des excédents. Il est d'ailleurs dans un système concurrentiel avec l'avion ou la voiture. Mais le fret joue par certains côtés un rôle de service au public, lorsqu'il rééquilibre la route dans un souci environnemental ou lorsqu'il maintient des services dans des zones d'accès difficile par la route. La logique de la Commission aboutirait à interdire tout apport financier au transport combiné.

Je dénonce aussi l'interprétation que fait la Commission du principe de subsidiarité, considérant que la directive établit les grands principes et que les Etats membres ont seulement à définir des règles détaillées et à administrer le régime de licences. Cela dénature profondément la notion de subsidiarité qui doit rester le choix du niveau le plus pertinent pour la prise de décision. Une telle dérive doit être vivement condamnée.

Enfin, l'atomisation des lieux de décision et de gestion du système entre la traction, l'exploitation commerciale des sillons, la répartition des sillons et de la tarification, et les instances indépendantes en charge de la sécurité et de l'application des règles d'attribution des sillons, me paraît très dangereuse. Ce serait une source de complexité et de contentieux, mais aussi une faiblesse par rapport à une gestion optimale des infrastructures, qui suppose que l'on puisse agir au sein d'un même organisme sur les investissements de développement, la tarification et la répartition des capacités.

S'agissant plus précisément de la politique d'attribution des sillons et de la tarification de la redevance d'usage, je veux dénoncer la lourdeur des règles de répartition. La durée des accords-cadre doit aussi permettre une visibilité compatible avec les investissements lourds des entreprises ferroviaires. La règle de restitution des sillons non consommés paraît peu conforme à la nature des marchés du fret, dès lors que l'on fixe l'obligation de restitution à une utilisation inférieure à 75 % -article 30.

L'obligation faite au gestionnaire d'infrastructure de déclarer la cogestion d'un secteur dès lors qu'un sillon ne peut être accordé, avec obligation immédiate d'investissement sous peine de perdre un droit à redevance, apparaît tout aussi peu réaliste.

Il est donc nécessaire que ces directives soient rejetées. Nous ferons cependant des propositions visant à dynamiser le transport ferroviaire en Europe. D'abord, l'interopérabilité des réseaux ferroviaires européens conditionne le développement du transport ferroviaire sur longue distance. Il importe que la Commission s'intéresse à l'harmonisation des règles de sécurité, qui doivent rester du domaine des opérateurs. L'Union doit accompagner les investissements nécessaires à cette interopérabilité. Celle-ci aura des conséquences sur l'emploi dans certaines gares frontières, et il faut prévoir des mesures de compensation, par exemple à Modane ou à Cerbère.

Le soutien aux investissements est une nécessité, et j'approuve l'idée d'emprunts communautaires en faveur des projets prioritaires approuvés le 10 décembre 1994 à Essen. Notre collègue Boulaud, dans son rapport d'information, indique que pour les marchandises, on a retenu l'axe du Brenner. Le projet de la ligne nouvelle Lyon-Turin est un projet mixte : voyageurs et marchandises.

Il faut affirmer la priorité à la réalisation d'autoroutes ferroviaires pour franchir les Alpes et les Pyrénées -la catastrophe du Mont-Blanc montre combien c'est nécessaire. Je souhaite aussi que la résolution demande et que le Gouvernement soutienne l'élaboration rapide du protocole transport de la convention alpine, le seul qui n'ait pas encore été ratifié.

Le Conseil des ministres du 17 juin envisagera une libéralisation plus générale des transports ferroviaires. La Commission avait déjà effectué une tentative dans ce sens en 1995, en envisageant d'étendre l'accès des réseaux ferroviaires nationaux à toute entreprise offrant des services internationaux de fret ou de transport de voyageurs. Mais Bernard Pons avait exprimé l'opposition catégorique du gouvernement français sur ce point.

Il y a dix-huit mois, la Commission s'appuyant sur un avis du Parlement européen prévoyait une libéralisation du marché de 5 à 25 % en dix ans.

Nous serons attentifs, très attentifs à la position du parti socialiste à ce sujet, à Paris comme à Strasbourg, ou Bruxelles -car il faut être cohérents, chers collègues !

M. le Président de la délégation - Je sens que vous n'allez pas adhérer au PPE !

M. Michel Bouvard - La coopération entre réseaux et opérateurs ferroviaires nous paraît en effet, compte tenu des traditions de chaque Etat, du coût des infrastructures ferroviaires, de la nécessité d'une péréquation des ressources compatible avec l'aménagement du territoire, la meilleurs solution possible. Cela suppose qu'aux efforts de la Nation, à la confiance apportée au système ferroviaire public, correspondent aussi une mobilisation des cheminots sur la qualité de l'offre, singulièrement dans le secteur du fret, trop longtemps considéré comme un sous-produit du voyageur. En effet les donneurs d'ordre et les chargeurs ne pourront retrouver confiance en la SNCF que si cette entreprise leur assure le service qu'ils rémunèrent.

Voilà le sentiment du groupe RPR sur ce débat. Etant opposés à l'esprit de la directive, nous soutiendrons la proposition de résolution, non pour vous donner un chèque en blanc, mais pour vous apporter le soutien le plus large de la représentation nationale en vue d'obtenir la modification de ces directives.

M. le Président de la délégation - L'isolement de M. Madelin se confirme.

M. Guy Hascoët - Nous voterons la résolution et nous aurions même pu cosigner les amendements.

Je voudrais souligner la contradiction où nous nous trouvons en cette fin de campagne européenne devant la double impasse que constituent la ligne libérale et la ligne souverainiste. La ligne libérale ne répond pas à la question essentielle de l'intégration de la dimension sociale et environnementale dans une politique des transports et elle triche sur la question des coûts puisque les routes sont payées par les automobilistes, par les contribuables et par les entreprises de transports routiers.

La ligne souverainiste est également une impasse car depuis trente ans l'économie a largement débordé les frontières ; or elle est incapable de définir le nouvel espace public dont nous avons besoin et les infrastructures qui y correspondent.

Je voudrais revenir sur ce que nous maîtrisons au niveau national. Quand j'entends dire que le trafic routier a explosé au détriment du rail, je voudrais vous demander combien d'investissements ont été faits dans les 40 dernières années : quelque 1 000 milliards pour la route, 50 pour le rail ! Comment s'étonner du résultat ? Comment se fait-il qu'on ait pas eu plus tôt un schéma national multimodal incluant les ports ? Pour notre part, nous n'avons pas attendu les dernières catastrophes pour le demander !

Les négociations pour les contrats de plan vont s'ouvrir et quand je regarde les travaux préparatoires, je suis inquiet : tous les élus n'auront de cesse d'obtenir au moins 20 % pour la route, qui est pourtant une compétence nationale, et 80 % pour tous les autres modes. Les mêmes qui ici se plaignent de la Commission européenne vont contribuer au recul du rail...

Je vous appelle donc à la cohérence qu'implique l'exigence de reconquête du rail. Dans le Pas-de-Calais, il y a déjà concurrence entre les sillons voyageurs et les sillons fret !

Pour sortir à la fois du libéralisme et du souverainisme, l'Europe, qui n'est pas endettée, doit lancer des emprunts pour financer les points de passage transnationaux très difficiles -je pense aux tunnels alpins et pyrénéens- et contribuer à l'intégration territoriale.

Il faut tenir compte également des pays de l'Est, où, pour le moment, le rail domine la route : il faut y mener une grande stratégie d'infrastructures ferroviaires de longue distance pour éviter de se retrouver dans 20 ans avec le même problème à l'Est qu'à l'Ouest.

J'ai été effaré en apprenant que la privatisation des chemins de fer belges était à l'ordre du jour. On ne pourra pas réaliser notre ambition pour le rail sans décrire ce que sera un grand opérateur public européen. L'heure est venue de poser ce débat ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - J'ai apprécié le fait que cette discussion se tienne juste avant la réunion du Conseil des ministres des transports et je félicite M. Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne, de cette initiative, ainsi que M. Filleul et M. Boulaud pour leur travail.

Cet appui du Parlement me sera précieux pendant la réunion des ministres. Je vous remercie pour la qualité de vos interventions ; MM. Biessy, Deprez, Rigal, Mme Sauges ont soulevé des aspects intéressants. Si le Sénat n'a pas eu de discussion publique, M. Haenel a exprimé une opinion largement partagée au Sénat.

Ce Conseil des ministres des transports européens sera très important. Vous avez évoqué "le paquet d'infrastructures", qui comporte des aspects inacceptables, notamment l'ouvertures des sillons à la concurrence, mais aussi quelques points positifs, comme l'harmonisation des règles de transport.

Mais il n'y a pas que cela au programme ! On veut aussi faire passer en force un projet de déclaration faisant de la libéralisation le principe général pour tous les systèmes ferroviaires, marchandises comprises. Ce serait un véritable coup de force. Votre soutien me conforte pour lutter contre cette tentative.

Certes, M. Bussereau a fait entendre une autre musique. Mais son éloge caricatural de la démarche ultra-libérale nous a montré ce qu'il ne faut pas faire !Il est allé jusqu'à soutenir que la notion même de service public serait dépassée ! Je n'insisterai pas, puisqu'il n'est plus là, mais je me réjouis qu'il ait été le seul à s'exprimer ainsi.

La Commission et plusieurs pays européens considèrent que pour développer le transport ferroviaire, la meilleure méthode est d'instaurer une concurrence intramodale. Au-delà de l'exemple britannique, qui est loin de le démontrer, on constate que ce n'est pas du tout ce qui se fait aux Etats-Unis ou au Japon par exemple. Force est de constater aussi que, dans les pays qui ont opté pour une libéralisation, les corridors de fret ne fonctionnent pas, alors qu'ils fonctionnent bien ailleurs. Le dogmatisme et l'archaïque sont bien de ce côté-là !

M. le Président de la délégation - Exactement.

M. le Ministre - Je ne dis pas qu'en France, rien n'a été fait avant 1997. Cependant, on voit bien que depuis, l'entreprise ferroviaire progresse, y compris sur le plan de l'emploi et sur celui de l'équilibre financier. Monsieur Bouvard, l'année 1994 fut celle du déficit le plus élevé des deux dernières décennies...

M. Michel Bouvard - Oui ; c'était la conséquence du TGV-Nord.

M. le Ministre - Il me paraît possible d'arriver bientôt à l'équilibre, avec une augmentation du trafic ainsi que des effectifs. Nous avons pris un certain nombre d'initiatives, sans nous limiter au désendettement de la SNCF. Monsieur Hascoët, l'Etat double sa participation au transport ferroviaire pour les prochains contrats de plan : de 8 milliards en faveur de RFF quand nous sommes arrivés, ce qui aurait fait 24 milliards en trois ans, nous sommes passés à 37 milliards.

Le doublement du trafic ferroviaire dans les dix ans est indispensable, ne serait-ce que pour se maintenir, mais cet objectif n'est qu'une étape, Monsieur Biessy ; et dans les zones sensibles, il faut aller au-delà, avec tout ce que cela implique en termes de feroutage et de transport combiné.

Le Conseil supérieur du service public ferroviaire servira notamment à renforcer l'unicité du système ferroviaire français. M. Bussereau a l'air effrayé à l'idée que douze représentants des salariés y siégeront... Des parlementaires y siégeront aussi, ainsi que des personnalités. Tous auront pour mission de faire converger l'intérêt général et les intérêts des acteurs, parmi lesquels il serait quand même difficile de ne pas compter les cheminots.

Notre opposition à la libéralisation qui mettrait à mal le service public, n'est nullement synonyme d'immobilisme.

Comme je l'avais dit avec Mme Voynet il y a plus d'un an lors d'une réunion informelle des ministres européens des transports et de l'environnement en Angleterre, nous sommes pour la mise en place d'un véritable réseau ferré de fret européen, mais sur la base de la coopération. Il y a fort à faire car d'un pays à l'autre, les voltages, les gabarits, les systèmes de signalisation, l'écartement des voies sont différents. De même, les plates-formes multimodales doivent être pensées à l'échelle de l'Europe.

On a cité la ligne Béziers-Neussargues-Clermont-Paris ; d'autres lignes peuvent également jouer un rôle très important au niveau européen. Des progrès ont déjà été réalisés ; c'est ainsi que nous avons mis en place le corridor Nord, avec pour objectif de passer de 13,5 km/h en moyenne à 55-60 km/h -engagement d'ores et déjà tenu. Nous avons fait des propositions analogues pour les corridors Ouest et Est.

Je propose que l'Europe n'impose pas une libéralisation aux pays qui ne la souhaitent pas. Que ceux qui veulent libéraliser le fassent ! L'objectif est de transporter davantage de marchandises par le rail.

Je propose également de mettre en place un observatoire pour comparer les performances du rail et de la route ainsi que celles de la libéralisation et de la coopération. Pour l'instant, la Commission refuse cette proposition de bon sens.

M. le Premier ministre a écrit au Président de l'Union, M. Schröder. Nous avons appris la volonté d'arriver à une conclusion il y a seulement quelques jours. Je n'ai reçu le texte que ce matin, ce qui est un procédé inacceptable. Le retrait de cette proposition s'impose.

Sommes-nous isolés ? Sans doute les pays favorables à la libéralisation sont-ils les plus nombreux et la bataille s'annonce-t-elle difficile. Mais les Belges, les Luxembourgeois, les Italiens et aussi les Portugais partagent nos positions. Le comité des chemins de fer européens a émis de sévères réserves sur la perspective de libéralisation. On a rappelé aussi la détermination des syndicats exprimée par l'Eurogrève. Les entreprises directement concernées partagent cette inquiétude, et l'Assemblée vient de s'exprimer. Je la remercie du soutien qu'elle m'apporte pour le Conseil des ministres des transports européens de demain. J'espère que la position la plus sage, c'est-à-dire la vôtre, prévaudra (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

M. le Président - En application de l'article 91-9 du Règlement, j'appelle l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

ARTICLE UNIQUE

M. Jean-Claude Daniel - Le 22 juillet 1998, la Commission européenne a adopté les trois projets de directives relatives au transport ferroviaire dont nous venons de traiter.

Si nous pouvons souscrire à l'intention de la Commission de développer la part du rail en Europe, la démarche consistant à soumettre l'organisation des chemins de fer aux forces du marché nous paraît inappropriée. La Commission européenne n'en est pas à sa première tentative : qu'on se souvienne des directives Télécommunications ou Gaz et électricité.

Le transport ferroviaire représente l'une des facettes de la politique globale des transports menée par chaque pays de l'Union. Vous proposez de rééquilibrer en France le rail et la route, en favorisant l'intermodalité. Nous voterons aussi cet après-midi le projet d'aménagement du territoire, qui va dans le même sens.

Le projet de directive porte atteinte au principe de subsidiarité. L'apport du transport ferroviaire présente un intérêt socio-économique qui dépasse sa seule contribution à la protection de l'environnement, comme l'a montré M. Filleul dans ses amendements à la loi sur l'aménagement et le développement du territoire. Son efficacité énergétique est le double ou le triple de celle du transport routier. Le train est aussi le moyen le plus adapté de transport en zones sensibles. De plus, l'investissement induit par le chemin de fer crée ou maintient environ trois emplois par an et par million de francs investi. Ce sont là de vraies missions de service public auxquelles nous sommes tous, ou presque, attachés.

Rien ne prouve qu'une libéralisation aurait en soi des effets bénéfiques. Il est prudent d'attendre le bilan d'application de la directive 91-440. C'est le souhait que vous venez d'exprimer en demandant que la présidence allemande retire son projet de libéralisation du fret ferroviaire. Sinon, il s'agirait d'un mauvais coup pour l'Europe, les nouveaux opérateurs privés ne songeant qu'à écrémer les sillons les plus rentables. Cela n'exclut pas que la SNCF renforce sa coopération avec les réseaux européens.

Même si le paquet comporte quelques dispositions utiles, notre Assemblée doit émettre un avis défavorable sur un projet qui aboutirait à bouleverser complètement l'organisation du système de transports français.

C'est pourquoi j'appelle à voter l'article unique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Gilbert Biessy - Notre amendement 1 rectifié tend à constater que les propositions de la Commission vont à l'encontre du principe de subsidiarité, pourtant posé par l'article 3 B du traité de l'Union européenne. Les Etats peuvent s'engager sur des objectifs communs de développement du rail en recourant aux moyens les mieux adaptés à leurs situations respectives.

M. le Rapporteur - Avis favorable. La subsidiarité est une notion essentielle.

M. le Ministre - Ce principe est en effet trop souvent perdu de vue. Mais son application n'empêche nullement l'harmonisation entre les différents systèmes, bien au contraire.

L'amendement 1 rectifié, mis aux voix, est adopté à l'unanimité. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Je constate l'unanimité des présents.

M. Michel Bouvard - Mon amendement 2 tend à insérer une référence à la protection de l'environnement. La discussion de ce matin montre que cette dimension va de soi, mais mieux vaut la faire figurer dans le texte. Je pense en particulier aux zones de montagne.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné l'amendement, auquel je suis personnellement favorable, car il rejoint les objectifs de la loi sur l'aménagement du territoire, dont j'espère que M. Bouvard la votera cet après-midi.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 2, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

M. Michel Bouvard - Mon amendement 3, dont je modifie la rédaction sur deux points de forme, tend à rappeler que les emprunts communautaires doivent être affectés en priorité aux opérations identifiées par le Conseil d'Essen du 10 décembre 1994. Il s'agit donc de compléter le point 4 par les mots : "et prioritairement de ceux identifiés par l'Union européenne dans la liste arrêtée au Conseil d'Essen le 10 décembre 1994".

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement. A titre personnel, j'y suis favorable même si je l'estime quelque peu restrictif.

M. le Ministre - Avis favorable.

L'amendement 3 rectifié, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

M. Michel Bouvard - L'amendement 4 tend à insérer l'alinéa suivant après le 5 : "5 bis. demande au Gouvernement français et à la Commission européenne que soit élaboré dans les meilleurs délais le protocole transport de la convention alpine".

Ce protocole est en effet le seul des nombreux que comportait la convention alpine sur la protection des Alpes à n'avoir pas été élaboré.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement. J'y suis personnellement favorable.

M. le Ministre - Le Gouvernement travaille activement à l'adoption de ce texte. Avis favorable.

L'amendement 4, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

EXPLICATION DE VOTE

M. Jean Proriol - M. Bussereau a exposé tout à l'heure la position du groupe DL, je n'y reviens pas. Les directives européennes vont dans le bon sens, nous l'avons vu encore dans le domaine du transport aérien. Il faut en effet donner à la SNCF et à la RFF les moyens d'être particulièrement compétitifs.

M. le Président de la délégation - C'est M. Madelin qui parle, mais il est bien seul.

M. Jean Proriol - Nous ne voterons donc pas la proposition de résolution qui va à l'encontre des propositions de directive.

L'article unique de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

M. le Président de la délégation - Isolement définitif de M. Madelin !

Prochaine séance, aujourd'hui à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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