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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

1. Loi de finances pour 1999 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 7313).

OUTRE-MER (suite)

MM. Michel Tamaya, Mme Huguette Bello,

MM. Ernest Moutoussamy, Gérard Grignon, Pierre Petit, Léo Andy, André Thien Ah Koon, Claude Hoarau, Philippe Chaulet, Daniel Marsin.

Suspension et reprise de la séance (p. 7335)

M. Emile Vernaudon.

Rappel au règlement (p. 7337)

M. Jean-Louis Debré.

Suspension et reprise de la séance (p. 7337)

Reprise de la discussion (p. 7337)

MM. Elie Hoarau, Anicet Turinay, Camille Darsières, Michel Buillard, Mme Christiane Taubira-Delannon,

MM. Pierre Frogier, Léon Bertrand, Victor Brial.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Etat B

Titres III et IV. Adoption (p. 7354)

Etat C

Titres V et VI. Adoption (p. 7354)

Renvoi de la suite de la discussion à une prochaine séance.

2. Dépôt d'un rapport d'information (p. 7354).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 7355).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999 (DEUXIÈME PARTIE) Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

OUTRE-MER (suite)

M. le président.

Nous poursuivons l'examen des crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

La parole est à M. Michel Tamaya.

M. Michel Tamaya.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, mesdames, messieurs, nous avions exprimé l'an dernier de façon unanime notre volonté de voir consacrer un temps suffisant et significatif à l'examen du projet de budget de l'outre-mer. Je suis, comme mes collègues, satisfait aujourd'hui de constater que le Gouvernement et l'Assemblée ont répondu favorablement à cette demande.

Le temps qui nous est imparti cette année nous permet donc, au-delà du seul projet de loi de finances, de nous consacrer plus longuement à la situation de l'outre-mer.

Cela tranche singulièrement avec ce qui avait cours dans un passé tout à fait récent, où le débat s'organisait nuitamment, presque en catimini, comme si on se sentait coupable de parler de l'outre-mer. Merci à ceux qui sont à l'origine de cette journée.

S'il fallait trouver des raisons à cette décision exceptionnelle, unique dans l'histoire de la Ve République, j'en citerais trois.

Premièrement, l'acuité des problèmes : si le taux de chômage en métropole est sur une courbe décroissante, en outre-mer, il continue sa progression ; il touchait 42,8 % de la population active en 1997 à la Réunion.

Deuxièmement, la complexité des situations en outremer : s'il existe une entité juridique des DOM, les réalités réunionnaise, martiniquaise, guyanaise et guadeloupéenne sont différentes.

Troisièmement et enfin, l'outre-mer pose une problématique qui dépasse les seuls enjeux locaux pour interpeller l'ensemble de la nation et, donc, l'ensemble de la représentation nationale. Mais j'y reviendrai.

Ces mêmes raisons font qu'à la Réunion, au fur et à mesure que se rapprochait cette date du 23 octobre, toutes les composantes de notre société - syndicats, entreprises, associations, chômeurs - ont exprimé leurs attentes voire leurs inquiétudes, non pas de façon abstraite ou métaphysique, mais de façon concrète, face à la préoccupation majeure que représente l'emploi.

Cette préoccupation majeure, chers collègues, les cinq députés de la Réunion, unanimes, dépassant leur appartenance politique l'ont exprimé dans une déclaration commune, analysant l'enjeu réunionnais et proposant des orientations générales. Ce faisant, ils ne renient rien de leurs choix idéologiques ni de leur liberté d'expression et de proposition. Mais il font solennellement acte de responsabilité devant l'ensemble des Réunionnais.

L'évolution de la Réunion a été marquée dans les années 80 par la décentralisation et dans les années 90 par la poursuite du processus de l'égalité sociale, en même temps qu'une place particulière lui était reconnue au sein de l'Union européenne et de la commission de l'océan Indien.

Dans ce contexte, un effort de rattrapage important a été réalisé en matière d'infrastructures, d'éducation et de formation. Parallèlement, les secteurs agricole et industriel se diversifiaient, notamment dans le créneau de l'import substitution, et les secteurs des services et du tourisme décollaient véritablement.

Cette croissance économique - supérieure à celle de la métropole, comme le disait ce matin M. le secrétaire d'Etat - n'en reste pas moins largement artificielle, car liée à l'augmentation des transferts financiers ; insuffisante à faire face à l'aggravation du chômage, du fait notamment de la vague démographique qui ne se ralentira qu'après 2005 ; et incapable de corriger les inégalités structurelles de la société réunionnaise, malgré les différents mécanismes de solidarité mis en oeuvre.

Un seul argument suffit à souligner, à tendance constante, la situation très difficile des prochaines années.

La création annuelle de 4 000 emplois, c'est-à-dire plus qu'aujourd'hui, n'empêcherait pas la Réunion de 2005 de compter 130 000 chômeurs au lieu de 100 000 aujourd'hui. Le taux de chômage des jeunes dépasserait alors les 50 %. Dans ce contexte, l'enjeu premier est bien sûr l'emploi et, au-delà, la satisfaction des besoins d'une population qui, dans vingt-cinq ans, comptera probablement un million d'habitants au lieu de 700 000 aujourd'hui.

Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, je peux témoigner que le Gouvernement de Lionel Jospin n'a pas pour autant attendu le débat d'aujourd'hui pour agir. Nous avons tout naturellement à l'esprit le dossier calédonien, que vous évoquiez ce matin. Pour l'outremer, comme pour la métropole et je cite le Premier ministre : « le Gouvernement, ce gouvernement est animé d'une volonté de réforme claire, annoncée et assumée, un cap a été fixé devant les Français, nous gardons ce cap. »

Ainsi, les DOM, comme l'ensemble de la France, ont bénéficié des grandes réformes entreprises par ce gouvernement. Dans le domaine de l'emploi et de la solidarité,


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notamment, la politique menée depuis juin 1997 a permis de faire bénéficier sans délai les DOM des dispositions législatives prises en métropole.

C'est ainsi que de grands textes ont trouvé leur application outre-mer. Citons la loi sur les 35 heures ou la loi portant réforme du service national, qui prévoit le maintien du service militaire adapté comme forme militaire du service national. Citons surtout la loi contre les exclusions, dont certains articles ont été adaptés aux situations des DOM. Je pense à la réforme des ADI, transformés en établissements publics locaux, mais aussi aux articles permettant de mieux tenir compte du rôle des SEM, constructeurs de logements sociaux dans les DOM - et, bien sûr, à la Réunion.

Une réponse rapide et forte a été apportée au problème grave et urgent que constitue l'emploi des jeunes. La loi sur les emplois-jeunes prévoit l'inscription pour les DOM de crédits particuliers ; c'est ainsi, comme l'indiquaient ce matin plusieurs interlocuteurs, que 4 296 emplois-jeunes ont été créés dans les DOM, dont 2 527 aides-éducateurs et 89 adjoints de sécurité. A la Réunion, plus précisément, au 31 juillet 1998, 1 260 jeunes avaient effectivement retrouvé une emploi, c'est-à-dire une activité leur ouvrant de nouvelles perspectives pour l'avenir.

Soulignons enfin le renforcement des mesures en faveur des emplois du secteur marchand : CAE, prime à la création d'emploi en faveur des entreprises exportatrices et maintien de l'essentiel du dispositif de défiscalisation.

Le budget de 1998 traduisait d'ailleurs ces orientations essentielles. Il se voulait d'abord volontariste. A hauteur de 5,2 milliards, il se donnait surtout les moyens de ses ambitions. Son exécution, associée à une gestion rigoureuse, a permis de mettre en oeuvre les engagements pris il y a un an.

Mais vous avez aussi clairement démontré, monsieur le secrétaire d'Etat, en ouvrant le débat ce matin, que le Gouvernement convenait de la nécessité d'une nouvelle étape et d'une nouvelle dynamique dans son action pour faire face à l'enjeu que j'évoquais tout à l'heure. Très concrètement, cette impulsion trouve sa traduction dans le projet de loi de finances que vous nous présentez aujourd'hui.

L'emploi, au coeur de nos préoccupations, est au coeur de ce budget, puisque les crédits affectés à l'emploi et à l'insertion représentent 2,15 milliards de francs, soit 36,44 % du total de ce budget, ce qui correspond à une augmentation de 5,6 %.

S'agissant de l'emploi des jeunes, l'augmentation atteint presque 50 %, passant de 300 à 445 millions de francs.

Autre défi, intimement lié à celui de l'emploi et de l'insertion : celui de la formation. Il s'agit aujourd'hui, j'en suis convaincu, de faire le pari de l'intelligence, le pari de l'homme. 28 millions de francs seront consacrés à cet objectif. Un tel effort mérite d'être souligné. Il permettra, par exemple, d'encourager les constructions scolaires dans les DOM ; nous ne pouvons que nous en réjouir.

Par ailleurs, l'investissement est orienté vers l'emploi et le développement des infrastructures : le dispositif d'aides fiscales en faveur de l'investissement productif est maintenu et le FIDOM, qui servira notamment à financer les contrats de plan, s'élève à 205 millions de francs en autorisations de programme.

Il convient de relever un dernier domaine d'intervention où un effort particulier a été consenti : celui du logement. Mais je n'y reviendrai pas, mon collègue Claude Hoarau en a abondamment parlé ce matin.

Au-delà de l'aspect budgétaire, vous avez exprimé la volonté du Premier ministre et du Gouvernement de mettre en place une méthode et un calendrier susceptibles de répondre aux différents défis qui attendent la Réunion à l'aube de ce troisième millénaire.

Je me réjouis que les principales préoccupations exprimées par les Réunionnais eux-mêmes aient trouvé écho dans vos propositions : volonté de privilégier la création d'emplois, notamment pour les jeunes ; souci d'un aménagement durable et équilibré de notre territoire ; opportunité d'ouvrir notre île - région française et européenn e sur son environnement régional pour saisir toutes les chances de développement que peut offrir une politique volontariste de coopération.

Vous avez annoncé ce matin la reprise du calendrier de réalisation de l'égalité sociale, la reconduction de la prime export, d'un bilan et d'un redéploiement des différents dispositifs pouvant concourir à l'emploi des plus exposés - jeunes, RMIstes, etc. -, l'ouverture à titre expérimental du dispositif emploi-jeunes vers la coopération régionale.

Pour concrétiser encore mieux ces objectifs, vous nous proposez une loi d'orientation pour 1999. Je vous approuve, monsieur le secrétaire d'Etat, car la complexité des dispositions à mettre en place impose effectivement un temps de réflexion partenariale et de concertation.

Mais pour autant, les orientations fortes que vous avez dégagées doivent dès maintenant servir de base à l'élaboration des différents dispositifs nationaux et communautaires, dont ne saurait être exclue la Réunion. Je veux parler, très concrètement, de la réforme des fonds structurels, des contrats de plan, de la loi sur l'aménagement du territoire. Il est indispensable, s'agissant de ce dernier point, que le caractère de zone ultrapériphérique reconnu aux DOM dans ce projet corresponde effectivement au montant des moyens nécessaires à un développement et à un aménagement durables.

Il doit en être ainsi pour la définition des schémas de services collectifs en cours de préparation ; je pense en particulier aux schémas concernant l'université et la recherche, ou les services culturels et les technologies de communication.

J'ai noté avec satisfaction, monsieur le secrétaire d'Etat, que ces opportunités ne vous ont pas échappé. Il faut maintenant les traduire dans les faits par une concertation urgente.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai entendu avec intérêt les interventions de mes collègues des DOM, Alfred Marie-Jeanne, Henry JeanBaptiste. Dès lors qu'ils ont exprimé leur point de vue de représentant de leur DOM respectif, il ne m'appartient pas, naturellement, de réagir. Mais il est de mon devoir de refuser tout amalgame. Pour ma part, je tiens à rappeler solennellement que la Réunion - département d'outremer - se veut dans la République et dans l'Union européenne.

Le cadre de notre présent et de notre avenir est clairement celui défini par l'article 73 de notre constitution et par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam. Nous souscrivons donc totalement, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'engagement du Gouvernement que vous avez exprimé sur ce point.


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Nous considérons, en effet, tant que les faits n'en feront pas la démonstration contraire, que le cadre ainsi défini autorise la prise en compte de la situation originale d'une île française et européenne à 9 000 kilomètres de la métropole et du continent européen, permettant d'y mettre en oeuvre une politique alliant autant d'intégration que possible et autant de spécificité que nécessaire. Ce principe est bien celui de la décentralisation outre-mer.

Pour autant, quinze ans après la première élection de conseils régionaux outre-mer, il est temps de faire le point dans le double souci que vous avez indiqué : le développement des responsabilités et l'équilibre des pouvoirs. Nous ne pouvons qu'apporter notre soutien à la démarche décidée par le Gouvernement.

Enfin, s'agissant de la Réunion, je prends acte que la volonté exprimée collectivement par les députés de la Réunion, de poser le problème d'une réorganisation administrative plus adaptée à un développement durable et à un aménagement équilibré, ait retenu l'attention du Gouvernement.

Mes chers collègues, au début de mon propos, je disais que la problématique rencontrée outre-mer ne devait pas interpeller les seuls ultra-marins, mais bien la communauté nationale.

Je ne voulais pas parler des relations qui nous lient à la France, ce débat est à mon sens dépassé : la Réunion est la France et nous formons une communauté de destin dans la République. Une République qui confère les mêmes droits, et exige les mêmes devoirs de tous les citoyens.

Et c'est avec cette vision de l'outre-mer que je souhaiterais évoquer ici certains messages, qui, parce qu'ils sont essentiels et trouvent une traduction dans le quotidien, méritent une attention particulière.

L'appartenance à une communauté accorde des droits, elle impose aussi des devoirs. Ce type de relation n'est donc pas à sens unique : lorsque le tissu social se désagrège dans les DOM, lorsque les bidonvilles constituent encore malheureusement le lot quotidien d'une grande partie de la population, c'est toute la République qui subit cet état de fait. De la même façon, l'esclavage, dont on fête cette année le cent-cinquantième anniversaire de l'abolition, ne constitue pas seulement un traumatisme pour nos départements : c'est la part sombre de l'histoire de la République dans son ensemble.

Mais quelle liberté, sans égalité, sans fraternité ? Q uelle égalité, par exemple, pour les milliers d'employés communaux de la Réunion qui sont aujourd'hui, après des années de travail dans leur collectivité, sans véritable statut ? Est-ce concevable dans la même République ? A l'inverse, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles raisons justifient encore les situations de privilège héritées d'un passé révolu ? Quelle égalité offre à nos jeunes le système éducatif et son environnement pour que leurs chances de réussite soient identiques à celles des jeunes de métropole ? Enfin, quelle fraternité républicaine faire vivre au quotidien quand la communauté outre-mer en métropole se trouve confrontée, elle aussi, à des actes patents ou sournois, de nature raciste ? Tout en posant ces questions, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis conscient que le Gouvernement agit, sur ces points, dans la bonne direction. Mais je ne peux que vous encourager à agir plus vite dans l'application de notre devise républicaine. Cela ne peut que servir la nation tout entière.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, mes chers collègues, qu'avons-nous fait de leur jeunesse ? C'est la réponse à cette question qui, en dernier ressort, jugera notre action.

Un petit Réunionnais de dix ans a, aujourd'hui, plus d'une « chance » sur deux de se retrouver au chômage à l'issue de sa scolarité. Ceux que les statistiques appellent les moins de vingt-cinq ans sont majoritairement sans emploi.

Ceux-là affrontent dans leur existence, dans leur chair, dans leurs rêves, le paradoxe d'être les exclus désormais majoritaires d'une société dont l'intégration se fait à partir du travail.

Avec 43 % de la population active sans emploi, la Réunion détient, et de loin, le triste record national du plus fort taux de chômage. Et tout porte à croire que si rien ne changeait, ce taux ne pourrait que s'aggraver dans les années qui viennent.

On sait d'ores et déjà que la population active va continuer à croître fortement pendant encore une dizaine d'années puisque le marché du travail accueille à présent les nombreux jeunes qui sont nés pendant les années de forte natalité. On sait aussi que la situation ne permet pas de créer un nombre suffisant d'emplois et que les solutions d'insertion, pour utiles que puissent être certaines d'entre elles, demeurent insuffisantes. On sait enfin que les mutations économiques en cours, liées à la mondialisation, ont également des conséquences sur la Réunion.

Bref, le télescopage de la croissance démographique et de la restructuration économique des pays développés, deux phénomènes généralement séparés dans le temps, confronte la Réunion à une situation inédite.

A cette situation exceptionnelle doivent répondre des solutions exceptionnelles. A défaut, le risque est grand de voir les chômeurs demeurer de façon durable la plus grande force sociale de la Réunion. A défaut, et sans jouer les Cassandre, les violences sociales risquent de se multiplier : plus aucune partie de l'île n'est aujourd'hui é pargnée. Des communes jusque-là réputées calmes viennent de connaître leurs premiers pillages. Il est symptomatique qu'ils aient eu lieu précisément dans une région où était implantée une importante usine sucrière dont les industriels prétendaient que la fermeture s'était passée sans problèmes.

Si rien ne change, le décalage persistant entre la création d'emplois, réelle mais insuffisante, et la croissance de la population active aboutira inéluctablement à la frustration, au malaise, à la violence et à toutes ces choses dont on n'a pas toujours idée, qui ne sont pas forcément mesurables mais qui font le malheur d'une société. Nous refusons cette fatalité. Nous refusons ce scénario catastrophe.

Aussi, faisons-nous de l'emploi la priorité des priorités.

L'emploi est l'obsession des Réunionnais. La moindre décision, la moindre mesure devra être abordée en termes d'emplois et aucune piste ne devra être négligée. Nous plaidons pour que toutes les solutions en faveur de l'emploi, traditionnelles et innovantes, concurrentielles ou solidaires, soient envisagées vaillamment, sans tabou, avec audace, courage et imagination.


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Casser cette spirale infernale du chômage suppose de travailler à la fois dans le court terme et pour l'avenir. Il est nécessaire d'intervenir, à long terme, sur le développement économique en créant les conditions qui pourront le favoriser et en ciblant les secteurs à privilégier. Notons que l'explosion des nouvelles technologies nous offre des perspectives inédites jusqu'à présent puisqu'elles ignorent ce qu'on a savamment appelé nos handicaps structurels, au premier rang desquels l'éloignement. Reste à venir à bout de ceux qui dépendent du gouvernement des hommes.

Parallèlement, il faut agir à court terme et favoriser le développement de l'économie solidaire. C'est une nécessite absolue pour juguler les phénomènes d'exclusion.

D'abord tirer parti au mieux des dispositifs d'insertion existants avec en premier lieu les emplois-jeunes dont on sait l'engouement qu'ils ont suscité à la Réunion. Moins d'un an après la création de ce dispositif, près de 3 000 jeunes sont déjà embauchés. Au-delà des chiffres, je veux souligner la joie réelle de celles et ceux qui ont signé une convention et le soulagement de leurs parents. Ce premier bilan tord aussi le cou à cette image complaisante d'assistanat qu'on se plaît un peu facilement à attribuer à ceux que la société exclut. Le conseil régional, qui a fortement soutenu ce dispositif, souhaite poursuivre, en l'accentuant, sa contribution. L'objectif serait d'atteindre les 10 000 emplois-jeunes d'ici à trois ans.

D évelopper l'économie alternative exige que l'on s'engage résolument à rechercher tous les nouveaux gisements d'emploi, c'est-à-dire que l'on s'intéresse aux besoins réels que l'économie concurrentielle ne satisfait pas. Les services de proximité ou les activités liées à l'environnement, menacé par les changements climatiques et les conséquences de la croissance démographique, offrent des perspectives jusqu'ici délaissées, alors que c'est dans ces secteurs que se préfigurent vraisemblablement les métiers de demain.

Le chômage à la Réunion progresse deux fois plus vite qu'en France. On ne peut donc se contenter de l'application de mesures de droit commun qui, pour nécessaires qu'elles soient, restent bien insuffisantes. Il faut aller plus loin. L'augmentation substantielle des solutions d'insertion suppose qu'on multiplie les sources de financement.

L'une d'entre elles, et non des moindres, passe par le redéploiement de certaines dépenses budgétaires, par exemple par une réaffectation de cette prime coloniale élégamment baptisée prime d'éloignement. Cette proposition, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, participerait efficacement à la volonté qui nous anime de transformer les dépenses dites passives en dépenses actives.

La croissance de la création d'emplois est proportionnellement plus forte à la Réunion qu'en France, mais elle demeure insuffisante face à une progression démographique qui devrait se poursuivre pendant encore trois décennies et se traduire par une augmentation de la population de l'ordre de 300 000 habitants.

Aussi le marché du travail doit-il accueillir chaque année plusieurs milliers de jeunes. A ces jeunes s'ajoutent de plus en plus de métropolitains que la crise française, le soleil de la Réunion ou encore les primes et avantages de la fonction publique incitent à venir travailler dans l'île.

De 1982 à 1990, le tiers des emplois créés ont été attribués, nous dit l'INSEE, à des personnes non originaires de la Réunion. Ces arrivées ne sont pas nouvelles, mais elles deviennent évidemment plus embarrassantes sur un marché du travail aussi tendu et où des milliers de jeunes diplômés sont sans emploi.

Cette concurrence sur le marché du travail qui donne déjà lieu à des frictions est une question très délicate et très grave. C'est là une question importante qui se pose à l'ensemble de l'outre-mer. Le Gouvernement l'a d'ailleurs prise en compte dans les récentes mesures prévues pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Un dispositif destiné à favoriser l'accès à l'emploi des jeunes Réunionnais devrait pouvoir être également envisagé à la Réunion.

Au coeur de toute décision, l'emploi. C'est pourquoi nous nous félicitons que votre budget porte une augmentation substantielle des crédits affectés au logement.

Cette augmentation permettra à la fois de répondre de façon plus satisfaisante aux besoins immenses dans ce domaine et de relancer l'emploi dans le BTP.

Veillez toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, à ce que vos intentions deviennent bien réalité. Nombreux sont les obstacles qui peuvent empêcher la réalisation de vos objectifs. Des lourdeurs de fonctionnement ou de la dotation insuffisante du FRAFU aux contraintes administratives en passant par les capacités financières limitées des communes, la liste de ces obstacles est longue. N'oubliez pas que, ces dernières années, la moitié seulement des 10 000 logements aidés nécessaires ont été construits. Les retards se sont accumulés, contraignant de nombreuses familles à continuer à vivre dans des conditions indignes.

Votre ministère a lancé une étude sur la politique des loyers et des aides à la personne dans les départements d'outre-mer. C'est sans doute là l'occasion de remédier au sinistre paradoxe qui fait que les plus démunis sont souvent exclus du dispositif d'aide au logement, précisément au motif que leurs logements ne répondent pas aux normes de salubrité.

Les retards sont nombreux également pour ce qui concerne les infrastructures. Combler ce retard est aussi une source d'emplois. De façon générale, le BTP offrira d'autant plus d'emplois que nous saurons créer les conditions les plus favorables. Ainsi, la résolution de la question récurrente des préretraites dans ce secteur permettra de rajeunir la pyramide des âges, mais, aussi et surtout, de libérer un volant important d'emplois.

Il est nécessaire, par ailleurs, de se pencher sur les modes de réalisation et de maintenance des infrastructures à un moment où la logique de mécanisation à outrance montre ses limites. Sans doute est-il temps de revenir à un nouvel équilibre où le recours au travail de l'homme ne sera plus considéré uniquement comme une contrainte. Les grands travaux sont l'occasion de mettre en oeuvre le concept de « mobilisation intensive de maind'oeuvre ».

Dans une société fragilisée par l'exclusion et la précarité, il est indispensable d'agir très en amont, c'est-à-dire de mettre l'accent sur le système éducatif. Les progrès sont réels, mais des points noirs subsistent d'un point de vue quantitatif et surtout qualitatif. La population scolaire continuera d'augmenter dans les prochaines années et, avec elle, les besoins en termes d'encadrement et d'infrastructures. Ce constat ne fait plus de doute aux yeux du Gouvernement, comme l'atteste le plan de rattrapage sur quatre ans, décidé en juin, et pour la mise en oeuvre duquel, nous comptons, monsieur le secrétaire d'Etat, sur votre vigilance. Il ne fait plus de doute non plus aux yeux des collectivités locales, notamment de la région, qui, audelà de ses compétences sur les lycées, a adopté un plan de réhabilitation des écoles primaires.


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Ces avancées risquent toutefois de ne pas produire tous les résultats escomptés si, dans le même temps, le contenu de l'enseignement semble immuable et inébranlable malgré les taux d'échecs trop élevés et l'analphabétisation importante.

Il devient urgent, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, que le contenu de l'enseignement ne soit plus hermétique à l'environnement dans lequel il est dispensé.

C'est ce décalage imposé aux enfants entre ce qu'ils doivent apprendre et ce qu'ils vivent qui fera d'eux, pour longtemps ou pour toujours, des exilés de l'intérieur.

La ratification annoncée par la France de la charte européenne des langues régionales est-elle un prélude à l'inscription du créole au titre de la loi Deixonne, qui prévoit l'enseignement des langues régionales ? Sans alimenter un débat qui n'a que trop duré, je voudrais simplement citer le linguiste Claude Hagège, lorsqu'il déclare que « ceux qui apprennent bien les langues étrangères se recrutent surtout parmi ceux qui ont une langue régionale maternelle ». Ainsi non seulement la prise en compte du créole dans l'enseignement ne se ferait pas au détriment du français, mais encore elle favoriserait le plurilinguisme. C'est ce constat, et rien d'autre, qui doit guider toute décision sur cette question. Il y va de l'avenir de nos enfants, créolophones à 95 %.

La pluralité linguistique mais aussi l'ouverture des programmes scolaires à l'étude des pays qui nous entourent faciliteraient grandement les relations avec nos voisins si proches, mais dont les considérations politiques et les préjugés nous ont tellement éloignés.

Pour l'essentiel, faut-il redire ce que chacun sait ? Il le faut, à la mesure de la proximité toujours plus immédiate du péril. Une si grande pénurie d'emplois et d'activités dans un monde où le travail demeure l'élément majeur de socialisation est porteuse de lourdes menaces. Exclusion et précarité d'une partie toujours plus importante de la population peuvent déboucher sur une crise générale dont les prémices sont visibles dans les violences qui embrasent de plus en plus fréquemment certains quartiers.

C'est pourquoi il faut sans plus attendre définir les contours de la société de demain. A la Réunion comme ailleurs, le développement sera solidaire ou ne sera pas.

Réaliste, ce propos ? Utopique ? Vrai, en tout cas, et devant, comme tel, s'imposer. uvrer pour le développement solidaire est donc un devoir qui s'impose au Gouvernement, aux élus et à tous les Réunionnais, ceux qui travaillent et ceux qui n'ont pas d'emploi.

Comment ? A la Réunion, le renouvellement des solidarités passe, avant toute chose, par l'identification des sources structurelles d'inégalité. On peut les repérer à deux niveaux. D'abord, de façon classique, entre la Réunion et la France. Avec 41 000 francs, le revenu par unité de consommation de la Réunion est inférieur de moitié au niveau métropolitain ; il est même le plus faible de France. Dès lors, on ne peut accepter que le processus d'égalité sociale marque le pas. Il faut maintenant le mener à son terme, sans délais ni atermoiements, en alignant les prestations familiales qui ne le sont pas encore - API, complément familial -, ainsi que le RMI. Cet alignement donnerait enfin toute sa signification au principe d'égalité entre les citoyens français.

Les sources d'inégalité sont également à rechercher au sein de la société réunionnaise elle-même. Il est vrai que, préoccupés, pour les dénoncer ou les renforcer, par les relations entre la Réunion et la France, les responsables ont souvent relégué au second plan les contradictions internes.

Prônée pour des raisons d'égalité sociale, la départementalisation a créé de nouvelles inégalités, que la politique des revenus a, en quelque sorte, légalisées. Cette question est très sensible et ses conséquences politiques, voire électorales, non négligeables. Mais, si grand qu'il soit, le risque qu'elle comporte ne doit pas en faire un tabou. Dans un contexte de restrictions budgétaires généralisées, où le redéploiement prend le pas sur les transferts supplémentaires, aucun développement n'est envisageable, à la Réunion, sans réforme de la fonction publique.

Les tentatives effectuées ces dernières années pour harmoniser les salaires ont toutes sombré, selon un scénario désormais bien rodé et digne du Titanic : propositions, manifestations, retrait.

Pourtant, l'échec même de ces tentatives désigne les préalables indispensables à toute réforme, notamment l'analyse de la formation des prix, qui justifient les sursalaires de la fonction publique. Ces tentatives ont également montré qu'il était possible d'envisager des solutions alternatives permettant à la fois de compenser, pour tous, le niveau plus élevé du coût de la vie, de régler la lancinante question de la titularisation de milliers d'employés communaux et de remédier au sous-encadrement de la fonction publique, qui n'est plus à démontrer.

Le débat d'aujourd'hui est très attendu outre-mer.

Déjà, certains font du 23 octobre une date historique, tandis que d'autres ont fait part de leur déception. Il y a longtemps, en tout cas, que l'aspect proprement budgétaire a disparu des esprits. Sans doute cette journée estelle le point de départ d'une nouvelle approche, où chaque entité d'outre-mer, dans un dialogue particulier avec le pouvoir central, rechercherait les solutions répondant le mieux aux aspirations des populations concernées.

Retarder le moment de s'engager dans cette voie risque de nous condamner à un exercice de plus en plus formel : chaque année, des élus toujours un peu plus désarmés viendraient ressasser leurs difficultés et leur impuissance devant un gouvernement déplorant toujours un peu plus l'assistanat dans lequel s'enfonce l'outre-mer. N'attendons pas que l'urgence se transforme en catastrophe pour entamer ce dialogue.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste, du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Mes chers collègues, à ce point du débat je voudrais vous exprimer mon embarras. Chaque orateur dépasse de manière systématique et très largement son temps de parole. Or, sur un sujet aussi important et aussi sensible, je ne me sens pas le droit de les interrompre. Cependant, j'attire votre attention sur le fait que cela me contraint à accorder à tous les intervenants un dépassement de leur temps de parole afin d'être équitable, ce qui prolonge notre débat. Pour ce qui me concerne, cela ne me gêne pas, puisque je suis à la disposition de l'Assemblée, pour ce soir et cette nuit s'il le faut. M. le secrétaire d'Etat aussi, je pense.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Tout à fait !

M. le président.

Mais j'aimerais que vous ayez conscience que, chaque fois que vous excédez votre temps de parole, vous entraînez un dépassement de parole de vos collègues. A vous de décider ce que vous voulez faire.

Encore une fois, nous resterons le temps qu'il faudra, mais je vous engage quand même à ne pas trop abuser.

Merci d'avance.

La parole est à M. Ernest Moutoussamy.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

M. Ernest Moutoussamy.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la discussion budgétaire, exceptionnelle cette année par sa durée, ce dont nous nous félicitons, se déroule cependant, pour ce qui concerne la Guadeloupe, dans un contexte de dégradation générale qui nous interpelle fortement et qui relativise le sentiment de satisfaction qu'inspirent les caractéristiques positives de votre budget.

En effet, les mesures généreuses de votre budget et celles que vous avez annoncées ce matin, notamment l'augmentation de 15 % du budget de l'éducation nationale et de 41 % de celui de la santé et de la solidarité,s uffiront-elles, d'une part, à apaiser l'angoisse des 52 000 chômeurs de la Guadeloupe, la crise épouvantable que traverse le pays dans ses profondeurs et, d'autre part, à répondre au problème de la sécurité des biens et des personnes, à celui du respect des règles dans un Etat de droit et au drame de nombreuses collectivités locales et institutions en liquidation de citoyenneté ou en déconfiture ? Monsieur le secrétaire d'Etat, je n'en suis pas convaincu.

Secoué par une instabilité structurelle aggravée par des aléas climatiques, notre département gère depuis quelque temps une cascade interminable de crispations révélatrices de la fragilité de notre construction socio-économique et d'un mal-être qui font que le peuple ne peut plus se satisfaire de promesses et de débats. Il a besoin d'actions, de réalisations, de perspectives, de rêves.

Par ailleurs, en cette journée parlementaire consacrée à l'outre-mer, si féconde que soit notre discussion, je ne peux m'empêcher de la sentir dérisoire, devant l'importance des défis à relever et la somme de pensées, d'idées, de propositions exprimées à cette tribune depuis 1946.

Après Aimé Césaire, Rosan Girard, Paul Valentino, Raymond Vergès, Justin Catayée, il est difficile d'inventer, tant ces parlementaires ont posé avec lucidité la problématique de l'avenir de nos régions. L'heure n'est-elle pas venue d'entendre leurs voix, sachant que c'est par l'irresponsabilité que les hommes perdent la liberté ? Monsieur le secrétaire d'Etat, les voies du devenir de l'outre-mer sont-elles à ce point mystérieuses et impénétrables pour que nous soyons encore en ce jour en train de tergiverser dans la définition d'une stratégie de conquête de l'avenir ? Aujourd'hui, l'heure n'est-elle pas venue de s'évader des schémas traditionnels pour tenter d'apporter une réponse efficace aux impérieux besoins qui s'expriment à tous les niveaux de la société et aussi pour rester digne de cette belle image que donne la Guadeloupe à la France par les exploits des Pérec, Thuram, Henry, Arron, Flessel et les autres ?

M. Albert Facon.

Heureusement qu'ils sont là !

M. Ernest Moutoussamy.

L'heure n'est-elle pas venue de réformer un système sclérosé, nourri par une doctrine périmée générant décadence, irresponsabilité et assistana t ? L'heure n'est-elle pas venue d'assumer les temps présents, de faire tomber les obstacles au développement, de consolider avec plus de responsabilité, de dignité et de confiance mutuelle notre ancrage dans le territoire de la République, d'éliminer toutes les dérives opportunistes, de trouver des solutions adéquates aux problèmes de société et de stabiliser le tissu socio-politique de la Guadeloupe ? Bien entendu, il ne s'agit pas pour nous d'être Chanteclerc, ce coq glorieux qui vivait avec la naïve conviction qu'il faisait lever le soleil !

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, est-il temps d'inscrire le débat budgétaire de l'outre-mer dans un cadre précis et transparent, mettant en évidence toutes les recettes et toutes les dépenses, y compris celles des autres ministères, de façon à faire une analyse sérieuse de la situation de chaque collectivité et à élaborer des prévisions pour l'avenir.

Il faut donc changer d'école et de méthode. Dans l'immédiat et pour répondre à l'urgence, nous vous proposons de signer avec la collectivité guadeloupéenne un

« pacte de croissance et de solidarité » reposant notamment sur un programme d'actions et un dispositif fiscal et financier, susceptibles d'impulser un développement durable, générateur d'emplois, sur des bases saines et stables.

Vous nous avez annoncé ce matin un contrat de législature avec un projet de loi d'orientation qui serait discuté à l'automne 1999. Nous n'allons pas nous quereller sur le contenant, l'essentiel étant le contenu. Permettezmoi toutefois de regretter les dates tardives retenues.

Il va de soi que la mise en oeuvre d'une telle politique implique la concertation avec toutes les forces vives, l'établissement d'un nouveau partenariat avec les institutions locales et la redéfinition de nouveaux équilibres.

Aux agents du secteur hospitalier, aux marins-pêcheurs, aux transporteurs, à la jeunesse, aux déshérités, aux artisans du BTP, aux agriculteurs, aux commerçants, aux milliers de familles qui attendent un logement, aux d izaines de jeunes de nos bourgs victimes de la t oxicomanie, transformés en loques humaines et abandonnés par leurs parents et la société, nous donnerions alors un fort signal d'espoir.

A tous ces travailleurs, à tous ces chefs d'entreprises qui ne peuvent plus attendre et dont la préoccupation majeure n'est certainement pas l'évolution des institutions, devraient être confiés des leviers fiables pour sortir de l'impasse actuelle et pour se débarrasser des freins qui conspirent contre le travail et la production.

En définitive, cette redéfinition de la mission de l'économie légitimant l'emploi et revalorisant le travail accentuerait sans nul doute les chances de succès contre l'exclusion et la misère.

Bref, tout en réconciliant l'entreprise guadeloupéenne avec l'innovation et le risque, il faut avoir présent à l'esprit que le pays n'a ni les moyens ni les ressources pour inscrire son économie dans la mondialisation des échanges. La France et l'Union européenne doivent donc le protéger des ravages de cette mondialisation pour ne pas le sacrifier sur l'autel de la compétitivité. D'où l'urgence de définir le contenu de l'ultrapériphéricité découlant de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam et de pousser à l'extrême les perspectives de l'article 73 de la Constitution.

Si ces principes et ces dispositifs sont appliqués en même temps que s'opère une révolution culturelle des mentalités, passant par l'abandon de la culture de confrontation du corporatisme et des complexes au profit de celle du compromis, du consensus, de l'intérêt public, de la responsabilité dans un champ de dialogue social vidé de tous préjugés, alors renaîtraient l'espoir et l'attractivité de notre territoire et nous n'aurions « pas honte d'être bons », comme le déclarait récemment M. le préfet de la Guadeloupe.

Cependant, il est évident que les contraintes économiques dues pour l'essentiel à des handicaps intangibles, liés à l'étroitesse des marchés locaux, aux conditions géographiques et climatiques, à l'éloignement du continent


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

européen, à l'absence de matières premières, à un environnement défavorable, font que le secteur marchand seul ne peut en aucune façon faire reculer sensiblement le fléau du chômage.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Monsieur le secrétaire d'Etat, puisque, objectivement, le droit au travail ne peut pas être garanti par le système économique libéral, il appartient donc à l'Etat d'assumer sa part de responsabilité par un développement social original fondé sur le recyclage d'une partie des transferts publics, au profit de la rémunération du travail dans le secteur non marchand.

Je plaide alors, vous le savez, pour la structuration de ce secteur autour de l'agence départementale d'insertion.

Je suis convaincu qu'en l'adossant, par exemple, à l'expression culturelle identitaire, on peut pérenniser le savoir-faire local, les goûts, les talents et enclencher un nouveau processus de réconciliation de notre population avec son originalité, son histoire et son mode de vie spécifique.

I ncontestablement, la voie du développement est étroite, nous en avons bien conscience. Aussi, sans chercher à opposer logique marchande et logique interventionniste ou assistée, apparaît-il indispensable de faciliter toutes les formes de développement et de réformer les mécanismes obscurs et archaïques.

Plus généralement, l'urgence des besoins, face à l'éloignement et aux spécificités régionales, commande de s'appuyer sur une plus large autonomie de décision locale et sur un repositionnement déconcentré des services de l'Etat en phase avec les exécutifs et décideurs locaux, et dépouillé de toute connotation colonialiste.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

J'en viens, pour terminer, à la question des institutions. Faut-il, oui ou non, faire évoluer les institutions dans les départements d'outremer ? Pour ce qui concerne la Guadeloupe, je réponds, monsieur le secrétaire d'Etat, sans ambiguïté, qu'il est urgent d'ouvrir le chantier de la réforme des institutions, selon une méthode, des modalités et un calendrier qu'il convient de définir. Et cela non pas parce qu'il y aurait quelque part, au ciel ou dans un cerveau, un statut miracle susceptible de régler tous nos problèmes, mais bien parce qu'il faut préparer l'avenir, en opérant une synthèse politique nouvelle qui redéfinisse les liens institutionnels et nous donne des leviers plus efficaces et plus porteurs pour l'exercice du pouvoir local imposé par la modernité et le droit aux responsabilités.

Puisque nous ne sommes pas encore dans ce débat institutionnel, je me bornerai à quelques réflexions, d'autant plus que je ne souhaite pas revenir à cette tribune présenter mon statut ou celui de mon parti, mais un statut consensuel élaboré par l'ensemble des forces vives et politiques de la Guadeloupe.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Claude Hoarau, rapporteur pour avis de la commission de la production et des échanges pour l'outre-mer.

Bravo !

M. Ernest Moutoussamy.

Un examen attentif de cette seconde moitié du XXe siècle révèle que, malgré le formidable impact de la loi du 19 mars 1946 et les progrès considérables engendrés par la départementalisation, la quête et la recherche d'institutions mieux adaptées à nos réalités sont demeurées permanentes. En effet, des esprits éclairés, des progressistes se sont rendu compte que cette départementalisation, avec son âme damnée « l'assimilation », portait en elle l'hypothèque des séquelles du colonialisme avec des rapports de domination et des goulets d'étranglement du développement, de l'émancipation et de la responsabilité.

Aussi cette réflexion a-t-elle conduit aux adaptations des années 60, à la régionalisation des années 70, au chapitre 6 du programme commun de la gauche, au point 58 des 110 propositions de François Mitterrand, à des projets de statut d'autonomie et d'indépendance.

Bref, chacun était convaincu que l'instauration d'un processus de responsabilité incluant certains attributs de souveraineté indispensables à la maîtrise du développement, de l'aménagement et à l'expression de l'identité, demeurerait incontournable dans la construction paisible et progressiste de l'avenir.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Nul ne peut considérer aujourd'hui que ce débat est clos. Cependant, au moment où des Etats puissants sont contraints de sacrifier des pans importants de leur souveraineté à la reconstitution de grands ensembles et de blocs, imposée par les lois de l'économie marchande, les formules dogmatiques ou idéologiques paraissent plutôt ridicules, ou tout au moins dérisoires.

M. Jean-Claude Lefort et M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Après l'échec des expériences auxquelles nous étions attachés, et cela sous toutes les latitudes, en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique, dans les Caraïbes, il me semble plus porteur et plus intelligent de lier le destin du peuple guadeloupéen à celui du peuple français, sans qu'il y ait nécessairement de confusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) D'autant que ce demi-siècle a aussi démontré que les indépendances, conquises ou octroyées et gérées par des régimes de droite ou de gauche, ont rarement débouché sur la conquête de la vraie souveraineté, que le droit sacré des peuples à choisir librement leur destin n'a pas conduit à la victoire des droits de l'homme, à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations, au progrès et à l'émancipation des peuples.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Et même, il était terrible parfois de voir des héros de la lutte anticolonialiste, chercher asile sur le sol de l'Etat colonisateur. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Petit et M. Henri Jean-Baptiste.

Très bien !

M. Ernest Moutoussamy.

Aussi, face à la cosmétique du national-populisme des uns, face à la religion du paternalisme mystificateur des autres, j'appelle ce gouvernement de la gauche plurielle, mieux placé que nul autre pour comprendre l'aspiration profonde de nos populations, à entendre la voix de la responsabilité.

Alors que faire ? Pérenniser la situation actuelle ? Certainement pas ! Car cette curiosité mythologique bicéphale, dont nous avons hérité au titre d'une décentralisation cahoteuse et précipitée, engendre anarchie, gabegie, mégalomanie et autocratie dans notre région. Ce n'est pas une formule heureuse et en tout cas elle est inapte à la construction sereine et efficace de l'avenir. Elle doit être remplacée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Faut-il subir pour autant la maladie infantile du pouvoir et des slogans et lier sa vaillance politique au degré de résonnance des formules statutaires ? Certainement pas ! Que reste-il alors ? Définir en termes nouveaux l'équation de notre appartenance à la République et, pour ce faire, ouvrir dans le département de la Guadeloupe le chantier de la réforme des institutions, pour qu'après la participation de tous à l'élaboration d'un projet on revienne vers vous et vers le législateur avec une formule si possible consensuelle. Pour le parti progressiste démocratique guadeloupéen, le cheminement pourrait conduire peut-être à une modification de la Constitution, en passant par une loi organique et une loi programme de développement.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez annoncé ce matin que vous ouvriez le chantier des institutions, rompant avec la position adoptée par vos deux prédécesseurs, dont M. Dominique Perben que je salue. Je l'ai d'ailleurs écouté avec intérêt, mais combien aurais-je été heureux de l'entendre tenir de tels propos lorsqu'il était à votre place ! Bref, c'est une bonne chose, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez engager cette réflexion.

Cependant, vous ouvrez le chantier de la réforme, mais vous nous imposez d'y entrer comme par effraction, car vous fixez des limites à ne pas franchir.

Monsieur le secrétaire d'Etat, pour une fois, pour la première fois d'ailleurs, nous vous demandons de laisser notre peuple et ses élus réfléchir en toute liberté pour que le choix qui sera fait, le choix démocratique qui s'inscrira, on le sait, dans l'ensemble français, soit leur choix. Il y va de la grandeur de la démocratie et de la grandeur de la France.

Pour moi qui, depuis 1981, ai été témoin des grands débats sur l'évolution des institutions et notamment du combat livré par Aimé Césaire contre les exceptions d'irrecevabilité de la droite, défendues par Jean Foyer et Michel Debré, permettez-moi de vous avertir que, dans ce domaine, vous entendrez des florilèges de sophismes, vous recevrez la batterie des pétitions de principes et même des tirs de l'éristique antique.

Mais une chose est sûre : aucun gouvernement ne réussira à combler l'Atlantique. Sortira donc toujours ici et ailleurs, comme un serpent de mer, la question de l'évolution institutionnelle de l'outre-mer. Ne vaudrait-il pas mieux lui apporter dès maintenant une réponse conforme au temps et aux aspirations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Petit.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Grignon.

M. Gérard Grignon.

Monsieur le secrétaire d'Etat, cette journée consacrée à l'outre-mer prétend, c'est du moins ce qui en fut dit, porter tout à la fois sur les institutions et sur le budget que votre département ministériel réserve aux DOM, aux TOM et aux deux collectivités territoriales.

Je dirai tout d'abord un mot de votre budget. Ma satisfaction de le voir en hausse de 7 % par rapport à 1998 et aussi, second point positif, le FEDOM notablement abondé.

Mais l'accroissement de ces chiffres masque une baisse dans d'autres secteurs et crée une certaine inquiétude. En effet, hors le dispositif emplois-jeunes auquel 445 millionss ont consacrés, les solutions d'insertion spécifiques, notamment en entreprise, comme les CAE, sont en reflux. Les primes à l'emploi aussi enregistrent une baisse très importante, ce qui traduit un constat d'échec, tout au moins un ralentissement de l'industrialisation des DOM et des collectivités territoriales depuis leur création en 1995. La créance de proratisation de son côté augmente, ce qui signifie que le nombre de Rmistes s'accroît.

Le FIDOM général hors contrat de plan disparaît, de même que la section décentralisée de ce FIDOM, ce qui, notre collègue Henry Jean-Baptiste l'a relevé, paraît quelque peu contradictoire avec votre volonté affichée d'une décentralisation accompagnée d'une décentralisation des moyens.

Au vu des taux du chômage qui sévit dans les DOM et qui mettent ces collectivités aux limites de l'explosion sociale, les remarques que je viens de formuler atténuent forcément l'apparence liée à une enveloppe globale en hausse.

Bien évidemment, nous savons tous ici que votre budget ne représente qu'une très faible part des interventions de l'Etat : 10 % environ.

Mais la véritable question que nous pourrions poser, monsieur le secrétaire d'Etat est la suivante : la France a-t-elle une véritable politique outre-mer ? Certes, une politique se traduit obligatoirement par l'établissement d'un budget, mais l'existence d'un budget ne signifie pas pour autant celle d'une véritable politique, claire, officiellement, fortement définie et annoncée.

Par ailleurs, l'opinion publique imagine-t-elle l'outremer autrement qu'à travers de méprisants vocables trop souvent avancés : « danseuses de la France », « confettis de l'Empire », et bien d'autres qualificatifs tout aussi dévalorisants encore ? Ne considère-t-elle pas très majoritairement que cette France d'outre-mer n'est constituée que de territoires bien lointains qui ne servent à rien, qui coûtent chers et qu'il vaudrait mieux larguer, et que ces gens d'outre-mer ne sont qu'enfants gâtés, jamais satisfaits et, tout compte fait, bien irresponsables ? Seul un langage officiel clair, une véritable philosophie politique de l'outre-mer peuvent faire cesser cette identification des DOM-TOM à de vulgaires « danseuses de la France » ou autres « confettis de l'Empire », lancés dans le but de n'en laisser en métropole que l'image d'un désuet folklore parasitaire.

Les Mahorais, les Réunionnais, les Antillais, les Guyanais, les Polynésiens, les Wallisiens, les Saint-Pierrais et les Miquelonnais apportent autant à la France et méritent donc autant de considération que les Bretons ou les Alsac iens ; une politique claire se doit avant tout de reconnaître cela.

Une politique claire et forte consisterait à annoncer que le développement de l'outre-mer est au rang des priorités gouvernementales, que l'outre-mer est partie intégrante de la République française, qu'il s'agit de la présence et du rayonnement de la France dans le monde, que, si la France apporte beaucoup à l'outre-mer, l'outremer apporte beaucoup à la France. Et cela, on ne le dit pas assez ! Savez-vous par exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que la Compagnie générale maritime est née des réinvestissements en métropole des bénéfices de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon par la maison Campion-Théroulde, installée dans l'archipel en 1855 ? Plus récemment, la France a intégré au titre de SaintPierre-et-Miquelon l'organisation des pêches du NordOuest atlantique ainsi que la commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

D ans ces deux organisations internationales, qui regroupent plus de dix-sept nations chacune, c'est grâce à Saint-Pierre-et-Miquelon que notre pays dispose d'une possibilité supplémentaire de faire entendre sa voix et d'affirmer sa politique relative à la pêche et à la gestion de la mer aux côtés des plus grandes nations. SaintPierre-et-Miquelon peut aussi, dans ces deux grandes organisations internationales, devenir un allié qui compte p our l'Union européenne. Saint-Pierre-et-Miquelon demain permettra à l'euro d'être présent à la porte du continent nord-américain. Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est donc la France et aussi l'Europe en Amérique du Nord.

Et l'archipel prendra demain une place tout à fait importante dans la production énergétique de la France, situé qu'il est en plein milieu d'énormes réserves de gaz et de pétrole.

Ces quelques exemples, pour n'en rester que là, montrent que notre petit archipel, s'il reçoit beaucoup de la France, lui a apporté, lui apporte beaucoup. Et il en est de même de tout l'outre-mer français. Tout cela, le préambule d'une politique claire à l'égard de l'outre-mer devrait donc le reconnaître et l'affirmer.

Mais l'absence de toute déclaration forte à l'endroit de l'outre-mer, les polémiques et le climat de suspicion créé autour de la loi Pons sur laquelle s'est exprimé notre ancien ministre Dominique Perben ce matin, la dégradation de l'image de l'outre-mer dans de nombreux articles de presse ont fait naître une certaine inquiétude dans nos populations et réapparaître les questions relatives aux statuts. Mais il ne me semble pas que la priorité outre-mer soit la question statutaire.

Le statut doit être un gage de solidarité institutionnelle, de stabilité dans le temps ; il doit être un élément de confiance qui rassure et attire les investissements.

En changer risque de créer le doute, d'amener l'instabilité, de détruire la confiance, de tuer l'investissement et donc d'aggraver le chômage. Or chacun sait que dans les DOM, celui-ci atteint des niveaux records.

La question institutionnelle ne doit donc pas être la priorité de l'action gouvernementale. L'unique priorité outre-mer doit être le développement économique et l'emploi. Et c'est bien le cas pour Saint-Pierre-etMiquelon.

Je suis convaincu que le statut de l'archipel est un bon statut et que, sur le fond, il n'y faut rien changer. La loi y est applicable de plein droit, sauf pour ce qui concerne la fiscalité directe et indirecte, de même que pour l'urbanisme où le conseil général est compétent. Saint-Pierre-etMiquelon, de par son statut n'est pas intégré, mais associé à l'Union européenne.

L'archipel a besoin de ce statut et doit s'en servir pour assurer et financer sa politique de diversification économique. Partout en outre-mer, le développement économique ne peut s'appuyer que sur la stabilité d'institutions adaptées aux spécificités locales et au contexte régional.

La maîtrise de la fiscalité a ainsi permis au conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon de créer un code local des investissements particulièrement incitateur à l'inv estissement et la création d'emplois. Ce dispositif complète les mesures déjà prises par le Gouvernement et au sujet desquelles je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, vos intentions. Que deviendra la loi Pons dont les dispositions devraient être prorogées au moins jusqu'en 2008 ? Quid de la loi Perben dont l'application se terminera fin 1999 et sans laquelle tout espoir de créer des entreprises de transformation viables est vain ? Vous savez également que, pour faire face au chômage lié à l'arrêt total des activités de pêche en juillet 1992, et aussi pour mettre en place une politique de diversification des activités productrices et équiper le territoire en infrastructures lourdes indispensables, la collectivité territoriale a dû s'endetter considérablement. La seule infrastructure aéroportuaire, malgré un financement très important de l'Etat a engagé le conseil général à hauteur d'environ 100 millions de francs. A un tel niveau, il est évident que l'effort demandé aux 2 000 foyers fiscaux que compte l'archipel trouve rapidement ses limites.

Là encore, la collectivité territoriale ne s'en tire qu'en s'appuyant sur son statut de pays associé à l'Union européenne, qui lui permet de bénéficier des dispositions de la décision 91-482 de la CEE et en particulier des articles 101 à 105 ouvrant droit à des opérations de dédouanement, sources de recettes nouvelles devenues indispensables pour le budget local.

Le statut, par le biais de la maîtrise à la fiscalité, nous a aussi permis de répondre aux demandes des communes.

C'est ainsi que, à la demande du maire de Saint-Pierre, fut augmentée la taxe sur le fioul domestique, totalement reversée depuis aux deux communes. C'est ainsi que nous avons pu répondre aux demandes des maires. Les budgets le démontrent : jamais les moyens aux communes ne furent aussi élevés. Le conseil général a pu ainsi se substituer à la subvention d'équilibre jusqu'alors versée par l'Etat.

Ces seuls exemples prouvent à l'évidence que le statut de l'archipel reste un outil privilégié au service du développement et de la diversification économique. Il ne faut pas y toucher sur le fond.

Certes, une évolution est possible et même souhaitable, en matière d'urbanisme par exemple. A ce titre, il me semble évident que les maires doivent avoir la maîtrise du permis de construire et du foncier, bien que je ne sois guère persuadé qu'il soit nécessaire pour ce faire de passer par loi.

Quant à l'idée avancée par certains, qui consisterait à remplacer le conseil général par une émanation proportionnelle des deux conseils municipaux, elle ne semble ni sérieuse ni crédible, et est de surcroît inconstitutionnelle.

Mon sentiment est qu'il ne faut rien changer sur le fond au statut ; le faire évoluer certainement ; en tout cas, le conforter.

L'article 49 de la loi du 4 janvier 1993 a modifié l'article 27 de la loi statutaire de Saint-Pierre-et-Miquelon en concédant à la collectivité territoriale « dans les conditions prévues par un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'Etat, les compétences en matière d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles, biologiques, et non biologiques, du fond de la mer, de son sous-sol et des eaux surjacentes ».

Or le cahier des charges n'a jamais été rédigé - et, par voie de conséquence, le décret jamais pris. Vous savez pourtant l'importance que prennent les dispositions de cet article, compte tenu des immenses ressources de gaz et de pétrole découvertes dans la région. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce point précis, monsieur le secrétaire d'Etat, et dans quel délai peut-on raisonnablement penser que le cahier des charges sera rédigé et que le décret sortira ? Sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous avais également demandé la modification de l'article 31 du code minier, afin que les exploitations de gaz et de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

pétrole en zone économique exclusive française autour de Saint-Pierre-et-Miquelon soient soumises à redevance, comme partout ailleurs dans le monde.

L'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, samedi dernier, l'amendement que j'avais déposé après l'article 36 de la loi de finances. Il s'agit d'une disposition tout à fait fondamentale, déterminante pour l'avenir de l'archipel à compter des années 2004-2005, date à laquelle nous pourrons raisonnablement penser que l'exploitation de ces ressources commencera. Je tiens à vous remercier, monsieur le secrétaire d'Etat, car je sais que vous avez appuyé ma démarche, ainsi que les conseillers compétents du Premier ministre.

De même, je dois vous remercier de m'avoir apporté votre soutien pour l'adhésion de la France, au titre de Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique.

Dans l'archipel, l'activité de pêche industrielle connaît une certaine reprise mais reste encore fragile en l'absence de quotas plus importants. Le maintien de cette activité demandera en 1999 encore le soutien de l'Etat. Archipel SA peut-elle compter sur ce soutien ? Miquelon SA a déposé son bilan, mettant soixante-dix personnes au chômage, ce qui est socialement et économiquement dramatique pour cette petite localité. Si un projet de reprise crédible est proposé, l'Etat apportera-t-il son appui financier, comme il l'a fait les années passées auprès de l'actionnaire majoritaire Pescanova ? Par ailleurs, le Canada a de plus en plus tendance à retarder la date de réunion du Conseil consultatif francocanadien sur les pêches. Il est souhaitable que cette réunion se tienne en novembre ou en décembre, même si elle ne réglera pas totalement le problème de la morue. Il est indispensable que la France obtienne une « avance » sur les quotas de morue, permettant le démarrage de l'activité de pêche, ainsi que celui de l'usine dès janvier.

Quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre à ce sujet ? Nos engagements bilatéraux avec le Canada et avec nos partenaires de l'OPANO nous obligent à placer des observateurs sur les bateaux de pêche. A ce titre, une ligne budgétaire sur les crédits du ministère de l'agriculture et de la pêche permet de recruter neuf marins observateurs contractuels. Ces crédits sont-ils inscrits au titre de 1999 ? Le conseil général a demandé l'application de la loi de 1975 relative aux personnes handicapées. Quelle est la position du Gouvernement ? Où en est le règlement interminable du dossier des retraités des agents hospitaliers ? Le logement social est une priorité de votre action. Or, dans la collectivité territoriale, les taux bonifiés pour la construction de logements sociaux ne sont pas applicables. Quelles solutions pouvez-vous apporter ? Ensuite, monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez qu'il n'existera pas dans l'archipel de véritable régime de retraite, jusqu'à sa mise en place par la loi de juillet 1987.

Les retraités du secteur privé n'ont bénéficié d'une liquidation de leur retraite qu'au plus bas niveau. En outre, les retraites du régime général de sécurité sociale ont subi une évolution de 11 % depuis 1992, alors que le coût de la vie a augmenté localement de 16 %. Nombre de retraités de l'archipel rencontrent donc des difficultés pour faire face à leurs dépenses les plus élémentaires. Une revalorisation s'impose. Les articles 13 et 35 de la loi précitée le prévoient, mais cela suppose un accord des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Les retraités de l'archipel pourront-ils compter sur votre soutien, monsieur le secrétaire d'Etat, auprès de vos collègues compétents du Gouvernement ? Pour terminer, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais excuser le président de notre groupe, Philippe Douste-Blazy, qui devait s'adresser à vous au nom des fédérations outre-mer de l'UDF. Compte tenu du faible temps de parole qui nous avait été initialement attribué à vrai dire, il en aurait pu profiter s'il avait été là puisque nous débordons largement les limites imparties -, il avait confié cette tâche à Henry Jean-Baptiste et à moi-même.

M. Jean-Claude Lefort.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas là !

M. Gérard Grignon.

Aussi, après vous avoir parlé de cas spécifiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, je vous exposerai maintenant notre position politique à l'égard des DOM.

Après le temps de l'égalité sociale, qui a entraîné des transferts financiers massifs, le moment nous paraît venu d'entamer une nouvelle phase de développement économique destinée à promouvoir la valeur travail dans ces départements. La jeunesse des DOM ne veut plus de l'assistance ; elle veut vivre par son travail et dans la dignité.

Il faut pour cela, et en premier lieu, la paix institutionnelle, socle de la confiance indispensable à l'investissement privé. Nous avons pris acte de vos déclarations concernant l'institution d'un deuxième département à la Réunion ; nous nous réservons de nous prononcer en temps utile sur le fond de cette réforme. C'est pour cela que nous sollicitons la réalisation d'une loi de programme qui définira un modèle de développement propre à chaque département d'outre-mer.

Cette loi de programme permettra à chaque DOM de s'ouvrir sur sa région géographique et sur le monde grâce aux entreprises franches et à des exonérations ciblées de charges sociales, grâce aussi à la création d'une mission de coopération régionale située dans chaque DOM et destinée à accompagner les efforts des présidents des conseils généraux et régionaux et des investisseurs privés.

A l'aube du

XXIe siècle, les DOM ne peuvent manquer leur rendez-vous avec leur développement. Cela dépend de la volonté des élus locaux, mais aussi de celle du Gouvernement, que nous sollicitons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pierre Petit.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le secrétaire d'Etat, il aura fallu attendre 1998 pour que l'examen du budget de l'outre-mer devienne un événement politique de grande importance pour nos régions. Je formule le voeu que ce débat soit à l'avenir l'occasion pour le Gouvernement de faire un bilan de sa politique dans l'outre-mer.

Mon propos d'aujourd'hui comporte deux volets. Le premier est consacré à une analyse objective du budget qui nous est présenté, ainsi qu'à l'expression de quelques questions ponctuelles. Le second constitue ma contribution à la définition d'une nouvelle politique économique et sociale pour nos départements et plus particulièrement pour la Martinique.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous présentez un budget pour 1999 globalement en augmentation, de plus de 7 %, ce qui le porte à 5,6 milliards de francs, dont une part importante est consacrée au logement et à l'emploi.


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Malgré l'augmentation des dépenses prévues pour les DOM, il m'est difficile de rester quiet face aux réalités socio-économiques de la Martinique. Et je me permettrai de vous faire trois observations.

L a première concerne la politique de soutien à l'emploi.

En dépit du doublement des dépenses pour l'emploi et la multiplicité des mesures existantes, le chômage n'a pas cessé d'augmenter. A quand une étude approfondie de l'impact réel de ces mesures ? Ma seconde observation concerne l'ANT - Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs de l'outre-mer -, dont les procédures sont encore trop complexes, trop longues et trop exclusivement appliquées à la France. Comment le Gouvernement pourrait-il nous aider, à travers l'ANT à mieux orienter la mobilité de nos jeunes, notamment ceux qui répondent à des offres d'emploi formulées sur le réseau mondial ? Ma troisième observation a trait au logement pour lequel vous apportez des réponses à deux de mes anciennes interrogations : l'accession au logement d'une partie de la classe moyenne et la création, dans chaque département, d'un FRAFU.

Mais nous devons encore apporter un traitement spécifique à la situation des ménages les plus démunis qui n'entrent dans aucun critère d'aide. Nous pensons aussi que vos services déconcentrés, j'insiste sur ce point, devraient veiller à une plus vigoureuse distribution de l'aide à l'amélioration de l'habitat tant attendue par la population.

Cela dit, monsieur le secrétaire d'Etat, il me serait difficile de vous cacher ma crainte quant au positionnement sur le long terme de votre budget et, d'une manière générale, dans la politique du Gouvernement en faveur des DOM. On est en droit de se demander aujourd'hui quelle est votre politique.

En dix-sept mois, je n'ai vu que le rapport Migaud. Je dois vous rendre justice : après votre intervention de ce matin, j'ai compris que cette politique était en gestation.

Deux sujets en effet suscitent l'inquiétude de tous ceux qui exercent des responsabilités politiques à la Martinique.

Il s'agit, d'une part, de la défiscalisation. Le Gouvernement a bien faiblement résisté à la charge menée contre ce dispositif par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Il s'agit, d'autre part, de la loi Perben. Nous attendons encore d'en connaître le bilan et les intentions du Gouvernement quand à sa pérennisation.

Enfin, vous connaissez mes préoccupations au sujet de la renégociation de la convention de Lomé, de l'aide de l'Etat à la construction des écoles primaires comme pour les lycées et les collèges, de la situation des agents non titulaires des communes, enfin, des cinquante pas géométriques pour lesquels aucun décret d'application n'est encore sorti.

Monsieur le secrétaire d'Etat, convenez avec moi que l'on ne développe pas un pays uniquement avec l'aide sociale. Poursuivre dans cette voie, généreuse certes, c'est obstruer l'avenir de nos régions en retardant leur entrée dans un monde moderne caractérisé par la globalisation de l'économie et la course à la compétitivité.

La grandeur de la France ne peut plus seulement s'exprimer par des dotations à fonds perdus. Une nouvelle dynamique de développement est aujourd'hui nécessaire, c'est à cela qu'il faudrait nous appliquer dans les mois qui viennent.

Tel est précisément le sens de la seconde partie de mon intervention.

Je voudrais vous dire d'emblée que la crise qui frappe la Martinique aujourd'hui est avant tout une crise politique, une crise de développement liée à l'absence d'un choix politique définitif qui serait une véritable boussole pour l'avenir et permettrait de rétablir la confiance et la sécurité des biens et des personnes. Car le sentiment d'impuissance et de doute, ajouté aux changements qui s'opèrent à travers le monde conduit certains de nos compatriotes à des revendications extrêmes.

D'aucuns pensent que pour nous en sortir, la solution serait l'indépendance ; d'autres préconisent l'autonomie ou l'autogestion. A ces mots, que seule la sémantique différencie dans la chronologie et qui pourrait bloquer toute perspective d'évolution, je préfère la technique d'un

« Fabius Cunctator » pour construire l'avenir. Ainsi, partant du principe que la population martiniquaise est dans sa grande majorité contre toute rupture à terme avec la France, je revendique la mise en oeuvre pour mon île d'un contrat de progrès avec la France.

A travers vous, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais m'adresser directement au chef du Gouvernement qui, de passage à la Martinique avant son élection, avait lui-même proposé cette démarche.

Ce contrat de progrès qui symbolisera un changement tant dans la méthode que dans la politique conduite en faveur des DOM reposera sur quatre piliers : Le premier est un projet de société d'inspiration locale, élaboré et adopté par les forces vives martiniquaises, et qui servirait de base à un dialogue avec le Gouvernement ; Le second est un plan de transformation de l'économie de la Martinique en une économie de production, préparé en partenariat avec les socioprofessionnels, dont le succès repose sur cinq conditions : la mise en place d'un espace juridique, fiscal et social stable pour les activités économiques nouvelles ; la consolidation et l'élargissement contrôlés du dispositif de la loi Pons ; la mobilisation de l'épargne populaire s'adossant aux fonds d'Etat et aux fonds structurels européens ; l'adaptation de la législation sociale, par un allégement fort et intelligent des charges sociales sur les bas salaires ; des mesures pour faciliter l'accès aux marchés extérieurs, avec, de surcroît, la création d'un fonds d'aide à l'export, indispensable corollaire à la continuité territoriale, qui n'a, jusqu'à maintenant, jamais été prise en considération dans l'analyse des conditions de développement de la Martinique, et plus généralement des DOM. Bien entendu, la clé du succès de ce plan est un partenariat entre les opérateurs économiques, les investisseurs et les agents de la fonction publique de l'Etat et des collectivités locales ; Le troisième pilier du contrat de progrès est la réorganisation des pouvoirs locaux. On ne saurait vouloir un développement de la Martinique, et plus généralement des DOM, en centralisant à Paris les principaux leviers de décision et de financement, tout en maintenant à l'échelon local et sur un seul territoire plusieurs niveaux de décision aux compétences mal définies : préfecture, département, région. A cette multiplicité de centres décision-


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nels, il faut substituer un seul niveau de pouvoir, fort et clairement identifié comme le responsable de l'orchestration du développement économique et social.

Le socle de cette réforme devrait être le principe de subsidiarité entre l'Etat et les collectivités locales. Que ce soit pour l'économie, le social, la coopération régionale ou la représentation de la France dans les organisations internationales de la Caraïbe, chaque fois que la collectivité territoriale, créée dans le respect des articles 72 et 73 de la Constitution, remaniés s'il le faut, sera mieux placée sur le terrain et plus proche des réalités. L'Etat devra lui laisser le pouvoir d'intervenir, éventuellement avec une assistance de ses services pour l'application des inévitables compétences exorbitantes du droit commun qui lui seront déléguées ; Enfin, le quatrième pilier du contrat de progrès est un plan de financement assorti d'une programmation pluriannuelle, plan sans lequel notre projet ne serait qu'un catalogue de principes déclaratoires, pour ne pas dire un voeu pieux.

J e comprends, monsieur le secrétaire d'Etat, la complexité de votre mission, et c'est pourquoi je voudrais vous prévenir contre deux dangers : d'une part, la tentation de généralisation, qui consisterait à traiter de la même manière, à apporter une réponse identique à la situation des quatre DOM ; d'autre part, la tentation technocratique de confier l'élaboration et l'application d'un texte général aux agents de l'Etat, tant à Paris qu'à la Martinique, qui sont trop jaloux de leur pouvoir et n'ont plus l'âme missionnaire.

Pour éviter ces écueils, puis-je me permettre de vous suggérer de constituer un groupe d'impulsion interministériel, en y associant des élus Domiens, un peu à la manière du groupe inter-services mis en place à la C ommission européenne lors de la préparation du

POSEIDOM ? Sachez tout de même qu'aucun lifting administratif ne suffira à remplacer une volonté politique claire, affirmée et cohérente.

Le dialogue et la concertation doivent être la base de la préparation de ce contrat de progrès qui pourrait être adopté par le Parlement, éventuellement au titre d'une loi programme, pour commencer.

Mais, pour valider cette politique, et peut-être pour confirmer notre attachement à la République comme meilleur garant de nos libertés, une consultation préalable de la population serait indispensable.

C ertains collègues revendiquent l'indépendance, d'autres l'autonomie. Moi, comme eux, j'ai cru comprendre que le peuple a soif de développement économique, de promotion sociale et d'épanouissement culturel. Ne cherchons pas à briser son espérance par un malentendu plus ou moins consciemment orchestré.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ne regardez pas l'appartenance politique de celui qui vous parle, entendez seulement le cri qu'il vous lance. C'est le cri d'une population qui souffre, qui doute, qui regarde l'avenir avec angoisse.

Il se fait tard, monsieur le secrétaire d'Etat. Attelonsnous donc ensemble à la préparation d'un avenir meilleur pour notre jeunesse.

Et c'est dans l'espoir d'avoir été bien compris que j'attendrai pour déterminer mon vote.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Henry Jean-Baptiste.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Léo Andy.

M. Léo Andy.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en réservant une journée tout entière de la session budgétaire si chargée au débat concernant l'outre-mer, le Gouvernement donne enfin satisfaction aux élus de ces territoires qui n'ont cessé, depuis des années, de déplorer les conditions dans lesquelles se discutait le budget des DOM-TOM à l'Assemblée nationale.

Cette journée a pris chez nous une singulière importance. Pour ne pas décevoir les attentes des populations, il est impératif que nous déterminions ensemble, à partir des problèmes qui assaillent notre pays, les grands domaines où s'imposent les réformes ainsi que leur orientation. Il va de soi que ce débat n'apportera pas aujourd'hui de réponses définitives, tant les situations dans nos départements sont complexes et diversifiées. Nous espérons néanmoins qu'il permette au Gouvernement d'engager, dans la plus grande concertation et dans un franc dialogue, les vastes chantiers de réformes politiques, économiques et culturelles dont la finalité sera un dével oppement économique durable et endogène, la reconnaissance de l'identité des peuples d'outre-mer et leur droit à la responsabilité.

Mais avant d'évoquer ces aspects et puisqu'il s'agit tout de même d'un débat dans le cadre de la loi des finances, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de prendre acte de l'accroissement sensible du budget de votre ministère, qui augmente de 7 %, et de la priorité qu'il accorde au soutien à l'emploi et au logement social.

C'est ainsi - et vous l'avez annoncé - que la dotation du FEDOM s'élèvera à 1,808 milliard, en hausse de 6,4 % par rapport à l'an dernier, et sera consacrée notamment au financement du dispositif emplois-jeunes, a vec un objectif de 3 500 emplois supplémentaires en 1999 et de 56 500 insertions par l'activité contre 48 500 cette année. De même, les crédits des CES augmentent fortement. Je note, en revanche, une baisse significative des contrats d'accès à l'emploi, CAE, et des primes à la création de l'emploi qui risque d'accentuer la grande faiblesse des activités productrices chez nous.

L'effort est tout aussi significatif dans le domaine du logement. Ainsi, sur un budget de 5,59 milliards, 1,5 milliard sera consacré à ce secteur permettant la construction de 11 800 logements neufs et l'amélioration de 5 000 autres. Je mesure toute l'importance de ces chiffres, qui auront, espérons-le, une incidence favorable sur le secteur du BTP, sinistré chez nous depuis six ans, notamment en raison de la faiblesse des commandes publiques. Mais je dois les mettre en rapport avec les besoins existants. Rien qu'en Guadeloupe, où les problèmes aigus de l'habitat se posent en termes de pénurie, de précarité et d'insalubrité, il nous faudrait, selon la DDE, une dizaine d'années, au rythme actuel des constructions, pour résorber le déficit évalué à 20 000 logements, sans parler des besoins considérables en réparation, réhabilitation et résorption de l'habitat insalubre.

C'est dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que mon appréciation positive sur votre budget n'enlève rien à mes vives inquiétudes concernant la gravité de la situation socio-économique de mon pays. Les handicaps et le retard structurel dont souffre la Guadeloupe, liés aux facteurs géographiques tels que l'insularité, l'éloignement de la métropole, l'exiguïté du territoire, l'équilibre écologique fragile, les aléas climatiques, le relief accidenté notamment, sont trop connus pour que je m'y arrête.


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Je voudrais surtout parler de ce paradoxe qui fait que les départements français des Amériques représentent une vitrine dorée de la France dans la Caraïbe, alors que ce qui les caractérise, c'est bien un « mal-développement ».

La croissance y est forte mais artificielle car elle reposes ur les transferts sociaux et la consommation des ménages, plutôt que sur les activités productrices, traduction de leur dépendance totale et chronique de l'extérieur, comme le disait ce matin l'ancien ministre des départements et territoires d'outre-mer, M. Perben.

Rien ne l'illustre mieux que le taux de couverture de nos importations par nos exportations. Il était de 8 % l'an dernier, en retrait même par rapport à 1994 où il

« montait » à 9,8 % ! Il s'est encore aggravé dans les six premiers mois de cette année. Nous produisons peu, importons tout, y compris les biens de consommation courante et les produits des industries agro-alimentaires qui représentent 42 % de nos importations. La récente grève des dockers en Guadeloupe a révélé l'ampleur de cette dépendance alimentaire : les magasins manquaient de tout, y compris de lait, de viande, de légumes frais, même de sucre dont nous importons 5 000 tonnes par an, alors que la Guadeloupe a toujours été un pays producteur de sucre. Le chiffre des importations est de 20 000 tonnes pour la viande et les abats ainsi que pour les légumes et les tubercules.

Quoi de moins surprenant lorsque l'on connaît l'état de dégradation de l'agriculture et de l'élevage chez nous ? Nos cultures traditionnelles sont en crise, en butte aux défis que posent la mondialisation et notre intégration au Marché unique européen. En effet, la banane, qui est notre premier produit d'exportation en volume depuis de nombreuses années, est non seulement victime des catastrophes naturelles, Luis et Marilyn en 1995 et 1996, l'ouragan George cette année, mais aussi menacée par les modifications du régime de l'OCM banane imposées par les Etats-Unis et les multinationales américaines opérante n Amérique latine. L'augmentation sensible, à 353 000 tonnes, du quota des bananes dollars, la suppression du système des licences, qui équivaut à la fin de la garantie d'écoulement pour la banane antillaise, la faible augmentation de la recette de référence, qui ne compense pas l'augmentation des coûts de production depuis 1994, sont autant d'éléments qui augurent très mal de la survie de la production bananière chez nous. Celle-ci ne peut, en aucun cas, continuer à subir le dumping social des pays d'Amérique latine.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Léo Andy.

La filière canne-sucre est en déclin depuis 1970 et le rhum ne permet la rentabilité de l'activité cannière que grâce aux soutiens publics, d'ordre financier, législatif ou réglementaire. A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet d'alignement des taux d'accise appliqués au rhum traditionnel sur le marché local des DOM sur celui appliqué en métropole risque de porter un coup fatal aux entreprises de ce secteur et inquiète légitimement les professionnels concernés. Je tenais donc à vous alerter sur ce sujet.

Pour faire face aux incertitudes concernant les productions traditionnelles, des tentatives de diversification ont bien eu lieu dans les domaines des cultures maraîchères, fruitières et florales. Mais elles sont obérées par la faiblesse de l'organisation des filières, l'étroitesse des exploit ations, l'absence de système de conservation des semences et des rythmes de production irréguliers et mal maîtrisés.

Quant à l'élevage, qu'il soit traditionnel, de type familial ou semi-industriel, il souffre d'un encadrement technique insuffisant et du coût élevé de structures d'abattage déficientes. Ses performances restent donc médiocres malgré les différentes aides accordées ces dernières années.

Cette crise se traduit par une diminution continue des superficies occupées par les cultures traditionnelles, une baisse de la population agricole, qui est passée de 86 000 personnes en 1981 à 35 000 aujourd'hui. Le nombre d'exploitations diminue tandis que l'âge moyen des chefs d'exploitation augmente constamment.

D'une manière générale, cette situation est liée en grande partie aux difficultés croissantes de survie des petits et moyens agriculteurs, dont les coûts de production sont très élevés en raison de l'éloignement des centres d'échanges, du prix des intrants, du fret maritime, pour ne citer que ces causes.

Ces catégories de producteurs sont de surcroît mal indemnisées pour les calamités naturelles, que les compagnies d'assurance refusent de couvrir et que l'Etat ne couvre qu'à hauteur de 25 % des dégâts, avec beaucoup de retard.

Monsieur le secrétaire d'Etat, le sauvetage de l'agriculture en Guadeloupe passe par la réutilisation d'importantes surfaces de terre agricoles laissées à l'abandon ou insuffisamment cultivées. Il faudrait légiférer à ce propos.

Selon certaines estimations, 20 000 hectares pourraient ainsi être récupérés, et permettre l'installation de jeunes agriculteurs. A cet effet, un plan de désendettement et d'incitation fiscale est à prévoir, qui exige des moyens autrement plus importants que ceux prévus dans le cadre de la structure « agriculteurs en difficulté » de la commission départementale d'orientation agricole. Dans la même logique, un réseau de mutualité agricole, à l'instar du crédit agricole, doit être envisagé pour permettre aux agriculteurs de bénéficier de l'assurance contre les calamités naturelles.

Une organisation rationnelle de la commercialisation, avec notamment la création d'un marché d'intérêt régional, faciliterait également l'écoulement de leurs produits.

Enfin, un effort doit être engagé pour l'irrigation des exploitations agricoles, avec en particulier la mise en place de réseaux secondaires pour les parcelles individuelles. Le plan d'aménagement du territoire devrait inclure un schéma pour l'indispensable diversification de la production agricole et l'implantation de PME dans le domaine agro-alimentaire.

En ce qui concerne la pêche, les besoins locaux de produits marins ne sont couverts qu'aux deux tiers par la production locale, handicapée par les moyens archaïques de la profession. Les techniques de pêche ont peu évolué, la filière est mal structurée et la commercialisation inadaptée aux circuits modernes de distribution. Pourtant, la Guadeloupe demeure le deuxième consommateur mondial de poisson, juste après le Japon.

Permettez-moi de rappeler ici le problème récurrent posé par la non-limitation des zones de pêche dans notre région et les dures réalités humiliantes qui en découlent pour nos marins-pêcheurs. Un règlement s'impose de toute urgence et je compte sur le Gouvernement pour faire diligence en la matière, en relation évidemment avec la Commission européenne.

L'industrie guadeloupéenne reste embryonnaire, alors que la situation des entreprises artisanales se révèle catastrophique. Les différentes activités industrielles représentent 10 % du PIB.


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La survie de ce « minimum » est, de surcroît, menacée par la mise en cause du système actuel de l'octroi de mer, qui est non seulement la ressource financière principale pour les collectivités territoriales mais aussi une protection pour la production locale. Sur ce dossier aussi, je souhaiterais qu'on fasse le point.

Par ailleurs, nos entreprises ont besoin, pour faire face à la mondialisation, de dispositions autrement plus favorables que celles qui existent actuellement dans le cadre de l'emploi aidé. C'est ainsi que la durée des incitations à l'embauche et les exonérations de charges sociales doivent être revues à la hausse. Pour l'entreprise individuelle ou artisanale, des mécanismes d'allégement et de simplification des charges doivent être envisagés.

D'autres mesures, telles que la bonification des taux d'intérêt en faveur des entreprises créatrices d'emplois, le renforcement de la structure des fonds propres de nos entreprises et la création d'une dotation de compensation des effets de l'insularité, à l'instar de ce qui existe pour la Corse, pourraient également constituer des facteurs de dynamisation industrielle.

L'industrie guadeloupéenne a certes bénéficié de diverses formes d'aide, mais force est de constater qu'elles ne se sont pas toujours révélées très efficaces du point de vue du développement. C'est le cas pour la loi de défiscalisation dont l'application a été souvent détournée de son objectif premier, de sorte que le rapport entre coût et efficacité reste problématique. Je salue néanmoins la conclusion de la mission conduite par le rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui admet la nécessité de prolonger cette loi au-delà de 2001 et de ne pas la réformer en profondeur tant qu'un système de substitution ne sera pas mis en place.

Je partage également vos souhaits de réaménager les dispositifs de soutien à l'économie, de façon qu'ils concourent réellement à la lutte contre le chômage et l'exclusion, et bénéficient aux entreprises productrices de biens et de service tournées vers l'exportation.

Notre économie a besoin d'avantages fiscaux, voire d'un statut fiscal dérogatoire au droit commun et aux normes européennes, pour pallier nos handicaps. Or l'article 227, paragraphe 2, du traité instituant les Communautés européennes, dans sa rédaction résultant du traité d'Amsterdam, semble fournir un point d'appui plus intéressant pour les DOM que la législation française.

Il importe, cependant, que ce statut soit mis au service d'un véritable pacte de développement durable et endogène qui implique un fort engagement des Guadeloupéens dans leur propre devenir économique. Aujourd'hui, il faut l'admetttre, ce n'est guère le cas en raison du manque de qualification ou de formation requise sur place.

C'est pourquoi il nous faut une politique d'apprentissage, de formation continue et d'actualisation des compétences de telle sorte que les besoins en emploi puissent dans la mesure du possible être satisfaits sur place. C'est d'autant plus urgent que nous assistons depuis quelques années non seulement au tarissement de la migration vers la métropole, mais aussi à un début de retour en Guadeloupe. Le règlement du chômage chronique passe aussi par là. Comme vous le savez, chômage et exclusion sont peutêtre les deux mots qui reviennent le plus souvent lorsque l'on parle de l'outre-mer. En Guadeloupe, en dépit des diverses actions d'insertion et des aides à l'emploi mises en place, le chômage a de nouveau augmenté en 1997, pour atteindre 27,8 %, et a continué sa progression lors des six premiers mois de cette année. Ce chiffre ne tient pas compte de ceux, très nombreux, qui n'ayant pas ou n'ayant plus droit aux allocations chômage et donc guère plus d'espoir de trouver un emploi, ne sont pas inscrits à l'ANPE. Il ne tient pas non plus compte de l'accroissement des emplois précaires et à temps partiel, qui touchent désormais des hommes, et pas seulement les femmes. Faute de perspective de travail, les jeunes restent plus longtemps dans le système scolaire, pour subir néanmois le même sort à la sortie, ce qui accroît les frustrations.

Cela souligne la nécessité de créer des activités porteuses d'emploi, mais aussi d'organiser une formation adaptée et, plus généralement, de faire un effort supplémentaire dans le domaine de l'enseignement afin de réduire notre retard, pour certaines structures spécifiques, par rapport à nos voisins de la Martinique, notamment dans le domaine de la création des ZEP.

Aujourd'hui, selon une étude de l'INSEE, la pauvreté touche davantage nos départements que ceux de la métropole, même en tenant compte des modes de calcul différents pour chaque DOM, en référence à leur environnement social. Le revenu médian des ménages par unité de consommation, et après impôts, s'établit à 47 000 francs en Guadeloupe contre 83 000 francs en métropole. Là aussi, il ne s'agit que d'une moyenne, ce qui veut dire, dans le cadre de sociétés à fortes disparités de revenus, qu'il existe des situations sociales d'extrême détresse pour une grande proportion de la population.

Ce fléau du chômage, de l'exclusion, entraînant dans son sillage les problèmes de toxicomanie, de violence urbaine, d'insécurité, reste pour nous un défi, car il constitue une atteinte à l'un des droits fondamentaux de l'homme.

Mais notre société souffre aussi d'une blessure identitaire. Produit d'une histoire, d'une violence extrême, qu'était l'esclavage, elle s'est forgé une culture riche de métissage, avec des populations de continents divers, d'Europe, d'Afrique, d'Asie, venues se joindre au peuple des Caraïbes. Or cette histoire a été et demeure occultée à l'école, où notre langue créole n'est même pas enseignée, alors qu'elle serait incontestablement un instrument adapté pour une meilleure appropriation des savoirs.

Certes, l'importance donnée cette année à la célébration du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage a éveillé la mémoire collective, mais il ne peut être question d'en rester là. Un programme de reconnaissance, et donc de valorisation de notre identité culturelle, doit également être mis en oeuvre. Nous demeurons isolés dans notre environnement, la faiblesse des échanges culturels en témoigne. Pourtant, nous sommes beaucoup plus proches culturellement de nos voisins caribéens que de l'Europe ! Nous ne pourrons sortir de cette impasse multidimensionnelle sans créer les conditions d'un développement durable dans notre pays et réussir son intégration dans son environnement régional. Je me félicite donc de la décision du Gouvernement de faire discuter par le Parlement, à l'automne prochain, un projet de loi d'orientation dont la finalité sera justement le développement durable dans les DOM. Cependant, il me semble que cet objectif nécessite un examen dépassionné de la question institutionnelle, car celle-ci conditionne la réussite de celui-là.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas la prétention de faire ici le procès de la départementalisation outremer, qui est passée par diverses phases et qui n'a été effective en matière d'égalité sociale qu'en 1996. On y lit un bilan contrasté, car, si elle a permis incontestablement de nombreuses avancées sur les plans sanitaire, social et scolaire, son échec est patent dans le domaine économique.

Paradoxalement, la décentralisation que nous appelions de nos voeux a aggravé en un certain sens cet échec, car l'organisation politico-administrative qui l'a accompagnée a induit de nombreux dysfonctionnements tandis que le transfert des compétences n'a pas été suivi du tranfert des moyens financiers. Ainsi, l'existence de deux collectivités distinctes sur le même territoire a entraîné un chevauchement, quand ce n'est pas un télescopage, des compétences, et souvent, en raison d'analyses et de positions opposées, la paralysie d'actions publiques locales. Cela a d'ailleurs fourni le prétexte à une recentralisation rampante qui ne peut aucunement répondre aux problèmes spécifiques liés à la situation ultra-périphérique des dé partements d'outre-mer.

C'est une évidence que les autorités locales sont les mieux placées pour analyser les problèmes de leur contrée et négocier les solutions avec les autres échelons du pouvoir. Il est donc nécessaire de procéder à une modification institutionnelle pour remédier à cet anachronisme.

Toutefois, cela ne peut se faire dans la précipitation, sans réflexion approfondie, et surtout, sans concertation avec les populations concernées. Ouvrons donc ce chantier et engageons ce processus. Pour contribuer au débat, je voudrais donner mon point de vue.

Pour la Guadeloupe, je pencherais pour une assemblée unique, qui exercerait les compétences actuellement attribuées aux assemblées existantes, auxquelles viendraient s'ajouter de nouvelles compétences transférées par l'Etat.

Celles-ci concerneraient, notamment, le logement social, l'enseignement supérieur, la coopération régionale et la négociation avec les institutions européennes sur les sujets concernant notre pays. Ce nouveau dispositif devrait prévoir la mise en place de contre-pouvoirs substantiels pour l'assemblée, afin d'assurer un fonctionnement démocratique et un contrôle efficace de l'exécutif.

Le Conseil constitutionnel avait déclaré, en 1982, l'option de l'assemblée unique anticonstitutionnelle dans le cadre de la départementalisation. Réfléchissons alors à la création d'une nouvelle collectivité qui bénéficierait d'une très large décentralisation, voire d'une autonomie grandissante en matière de gestion et de ressources dans le cadre de la République française.

J'ouvre ici une parenthèse pour vous rappeler que le conseil général de la Guadeloupe, pour répondre au souhait de la municipalité et de la population de SaintBarthélemy, a déposé une proposition de loi prévoyant un nouveau statut pour l'île, afin d'assurer le maintien de sa stabilité sociale et économique.

S'agissant des départements d'outre-mer en général, l'article 73 de la Constitution prévoit la possibilité d'appliquer des mesures fiscales, sociales et financières adaptées. Quant à l'évolution statutaire, dans votre entretien à l'hebdomadaire Le Point, en juillet dernier, vous avez admis que cela pouvait être envisagé en tenant compte de la situation différenciée de chaque département d'outremer, tout en précisant que les prochaines années doivent être celles de l'identité et de la responsabilité.

En s'engageant sur cette voie, qui permettra aux peuples d'outre-mer de mieux maîtriser leur destin, la France et singulièrement le gouvernement de la gauche s'inscriront dans les traditions les plus généreuses de la République.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. André Thien Ah Koon.

M. André Thien Ah Koon.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaite avant tout exprimer mes remerciements à M. le Président de l'Assemblée nationale et au Gouvernement pour avoir pris l'initiative de ce nouveau débat relatif à l'outre-mer, initiative qui devra être renouvelée avec autant de conviction dans les prochaines années.

Notre histoire a été trop souvent jalonnée de rendezvous présumés historiques, qui n'ont entraîné dans la plupart des cas que déception et désenchantement. La désillusion est telle que certains n'hésitent pas à demander la suppression pure et simple du secrétariat d'Etat à l'outremer, mais tel n'est pas mon avis, monsieur le secrétaire d'Etat.

Je souhaite que nos travaux d'aujourd'hui marquent une rupture par rapport à l'immobilisme, à l'inertie et à la fatalité qui sont durement ressentis par nos populations, et cela ne dépend que de vous.

L'histoire des départements d'outre-mer connaît trois étapes. Celle des institutions a été achevée avec la départementalisation après trois siècles d'esclavage et de colonisation. Celle des problèmes sociaux a été en partie résolue avec l'égalité sociale. Reste à affronter la question économique, la plus ardue à résoudre, compte tenu des principaux handicaps de l'outre-mer : l'éloignement, l'isolement et un environnement concurrentiel dû à la présence des pays ACP.

On peut déplorer les réticences et la mollesse persistante de nos gouvernements face à l'ampleur des problèmes, qui ne font que s'amplifier faute de réalisme et d'ambition.

Partant de ce constat, n'y a-t-il pas une volonté des gouvernements de maintenir le statu quo, favorisant ainsi les revendications autonomistes et indépendantistes que nous voyons aujourd'hui dans ce débat ? Comment ne pas penser que cette impuissance des pouvoirs publics n'est pas calculée, puisque, depuis des années, on ne répond pas aux attentes des populations et des parlementaires d'outre-mer ?

M. Jean-Claude Lefort.

Vous parlez d'or !

M. André Thien Ah Koon.

Jugez-en vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque, à travers cet énième débat, l'occasion nous est donnée d'exposer un bilan, qui est décevant, désespérant, voire accablant, et très éloigné des moyens dont dispose un pays comme la France.

Premièrement, regardons le domaine économique.

Adaptation du code des marchés aux réalités locales, afin d'assurer la survie des PME et des artisans, qui disparaissent inexorablement au profit des grands groupes et des monopoles qui accaparent les économies des départements d'outre-mer. Pas de réaction, pas de réponse.

Bien entendu, le premier fossoyeur des petites entreprises à la Réunion, c'est la caisse générale de sécurité sociale, la première à demander le redressement judiciaire d'une petite entreprise ou de petits artisans.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Le deuxième fossoyeur, c'est l'institut d'émission des départements d'outre-mer, qui ne prête de l'argent qu'à ceux qui sont riches et à ceux qui sont forts. Ils ont un taux de 5,75 % alors que les artisans et les pauvres petites entreprises ont un taux de 11,60 %. Cela entraîne bien entendu la faillite d'unités économiques. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises. Pas de réponse, pas de réaction.

Pas de réponse non plus quant à la définition d'une politique de rattrapage des nombreux retards structurels et des postes, notamment dans les domaines scolaire, universitaire et hospitalier. Les lycéens, par exemple, ont raison d'être mécontents et vous le savez. A chaque rentrée des classes, il y a un problème de place. On dit à certains enfants qu'ils peuvent avoir une place s'ils veulent devenir maçon ou menuisier. S'ils ne veulent pas, il n'y aura pas de place pour eux à l'école. Il y a chez nos jeunes de grandes interrogations qui se posent aujourd'hui, et nous le comprenons bien.

Loi de programme en faveur du développement économique : pas de réponse. Cependant, nous enregistrons avec satisfaction l'annonce d'une loi d'orientation qui devra donner un nouveau souffle à l'outre-mer et je vous remercie pour cette initiative.

Remplacement du concept de zone franche par celui d'entreprise franche : pas de réponse. Pourtant, une telle mesure favoriserait l'implantation de sociétés nationales et internationales à la Réunion, ce qui éviterait de les voir s'installer dans les pays voisins, ridiculisant ainsi notre rôle de grande puissance.

A ce sujet, permettez-moi de vous dire qu'il est irresponsable de ne pas exploiter le positionnement géostratégique de la Réunion, qui est la porte d'entrée de l'Europe dans l'océan Indien, au carrefour des pays d'Asie et d'Afrique avec des milliers d'emplois à la clef.

Dans le même ordre d'idée, pour nos jeunes, extension de la loi Aubry en faveur du développement industriel, du secteur marchand et commercial ainsi que des technologies de pointe tournées vers l'exportation : pas de réponse. Il faut se rappeler que 60 000 conteneurs remontent à vide de la Réunion vers l'Europe chaque année.

Enfin, nomination d'un délégué interministériel habilité à prendre des mesures d'urgence dans les domaines économique et social et dans celui de la coopération régionale : pas de réponse.

Deuxièmement, le domaine de l'aménagement du territoire.

Définition d'un contenu à la notion de « région ultrapériphérique », prenant en compte nos spécificités au sein de l'Union européenne, par exemple, clause de sauvegarde pour sauver nos agriculteurs : là non plus, pas de réaction, pas de réponse.

Création d'une région française de l'océan Indien, regroupant la Réunion, Mayotte, les Iles Eparses, les Terres australes et Antarctiques françaises : pas de réaction, pas de réponse.

Création d'un deuxième département qui replacerait institutionnellement notre île dans le droit commun et qui s'accompagnerait de la définition de nouveaux cantons et du découpage des communes.

Là encore, nous n'avons pas obtenu de réponse, malgré l'unanimité sur ce point des sénateurs, des députés et des présidents du conseil général et du conseil régional ! A ce sujet, l'hypothèse d'une refonte de la carte communale ne doit, en aucun cas, retarder la création d'un deuxième département à laquelle les élus doivent être associés.

Les multiples études, réflexions et propositions de loi tendant à créer un deuxième département à la Réunion sont déjà entre vos mains, monsieur le secrétaire d'Etat.

Elles n'attendent plus que la décision du Gouvernement.

La population de l'île atteindra bientôt un million d'habitants. Les liaisons nord-sud sont saturées. Le réseau routier implose - il est plus facile de circuler dans Paris qu'à Saint-Denis-de-la-Réunion. Les automobilistes agonisent. L'économie est menacée de paralysie. Le nord de l'île souffre d'hypertrophie alors que le sud, malgré un énorme potentiel, reste à l'écart d'un développement véritable : 47 % de chômeurs dans le sud, 32 % à SaintDenis.

Monsieur le secrétaire, nous ne pouvons pas supporter cet enfer et constater qu'il y a un tel déséquilibre dans l'aménagement du territoire ! L a bidépartementalisation constitue aujourd'hui la seule réponse au déséquilibre économique entre le nord et le sud.

Dans cette logique, la délocalisation de l'université doit se poursuivre ; la longueur de la piste de l'aérodrome de Pierrefonds doit être portée à 3 500 mètres. De même, il faut enfin désengorger la route en corniche ; le coût d'une telle opération serait de 15 milliards, mais nous n'avons par les moyens de la financer. La liaison entre Saint-Pierre et Saint-Benoît est la solution de demain pour rétablir un équilibre entre le nord et le sud.

Troisièmement, dans le domaine social, le dossier de la fonction publique est constamment remis à l'ordre du jour, de manière inexplicable et uniquement à la Réunion. Les Réunionnais seraient-ils considérés comme des citoyens plus naïfs et plus dociles que les autres ressortissants d'outre-mer ? J'aimerais mieux que vous commenciez par la Guadeloupe ou par la Martinique. Pourquoi demander aux Réunionnais de faire des sacrifices sur leurs salaires ? Si on commence, il faut toucher les salaires de tout le monde, de tous ceux qui font partie de l'outremer : DOM, TOM et même coopération. Excusez-moi, il faut avoir une logique dans la démarche.

Par ailleurs, que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d'Etat, en ce qui concerne la titularisation des 12 000 employés communaux ? C'est un problème réglementaire et législatif à résoudre.

Parallèlement aux carences que je viens d'énumérer, les mesures favorables au développement économique des départements et territoires d'outre-mer sont systématiquement remises en cause. C'est le cas de la loi Perben, qui est un outil de dynamique économique exemplaire (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) et qui devrait être étendue aux marins-pêcheurs, lesquels ont été oubliés. On a donné un coup de main aux agriculteurs, mais pas aux marins-pêcheurs.

C'est également le cas de la loi Pons sur la défiscalisation qui, année après année, est vidée de son contenu sans que l'on propose de solution de rechange au moins équivalente. Pourtant, il s'agit de l'un des dispositifs de création d'emplois les plus efficaces.

Il en est de même de l'agriculture et de l'économie réunionnaise, menacées par le projet de création d'une filière canne en Guyane. Là, il sera nécessaire de rassembler les élus pour en parler.


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Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, autant de dossiers qui se sont accumulés, année après année, dans les tiroirs de nos ministères, et qui alimentent la litanie des regrets ressentis à la Réunion.

Les gouvernements, en général, ne prennent pas les mesures radicales et ambitieuses qui s'imposent. Ils réagissent au jour le jour. C'est ce que j'appellerai la politique de la barricade, qui fait que l'on répond aux barrages de routes et à la pression de la rue plutôt qu'aux élus, qu'aux députés, qu'aux sénateurs.

Tout cela, monsieur le secrétaire d'Etat, me conduit à vous poser la question suivante : l'Etat a-t-il une politique et une ambition pour la France dans le monde, pour chaque département et territoire d'outre-mer et pour la Réunion en particulier ? Aujourd'hui, la réponse est négative. Elle est encore plus inquiétante, si nous examinons la mesure la plus spectaculaire prise ces derniers temps et qui concerne la Nouvelle-Calédonie. Contrairement au principe républicain du droit inaliénable et sacré des peuples à disposer d'eux-mêmes, nous constatons que ce sont, pour l'instant, l'Assemblée nationale et le Sénat qui ont voté l'autonomie virtuelle. Les principes démocratiques élémentaires auraient voulu que ce soit la population locale, directement concernée, qui se prononce prioritairement et elle seule ! Si l'on planifie l'explosion sociale à la Réunion, pour y appliquer la méthode utilisée en Nouvelle-Calédonie, je revendiquerai, pour les Réunionnais, le droit de se prononcer par voie de référendum sur la création d'un deuxième département, afin de mettre un terme définitif au débat sur l'autonomie.

Je suis persuadé que l'indépendance pour la Martinique n'est pas une solution, mais que la réglementaion d es phénomènes de monopoles économiques est la réponse la plus appropriée. Car rien n'est plus dissuasif pour les investissements et le développement que l'incertitude statutaire ! C'est valable pour la Réunion, pour la Martinique et les autres collectivités d'outre-mer.

Les Réunionnais sont d'abord français, et il serait injuste de mettre en doute leur conviction patriotique.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demanderai de bien vouloir apaiser l'amertume de mes propos. Mais quand le Gouvernement aura-t-il enfin la volonté de conduire une grande politique pour l'outre-mer français ? Si je pose cette question, c'est que, jusqu'à hier, nous n'avions pas l'espoir d'une évolution.

A cet égard, je voudrais vous mettre en garde contre les diktats des hauts fonctionnaires des ministères, qui s'approprient la France, qui décident pour vous comme pour nous, et qui empêchent les réformes nécessaires attendues depuis plusieurs années.

Certains fonctionnaires prétendent que la création d'un deuxième département va coûter 400 millions. Un tel chiffre ne peut que faire fuir tout le monde ; au demeurant, personne n'est capable de le justifier. Pour d'autres, en revanche, cette création coûterait 80 millions. Mais entre l'agrandissement d'un aéroport qui coûte 400 millions, la création d'un département qui coûterait 80 millions et le désengorgement d'une route en corniche qui coûterait 15 milliards, il y a un choix économique à faire.

Il est donc temps de réagir. Il est d'autant plus urgent de réagir que les élus des îles lointaines ne pourront pas jouer indéfiniment le rôle des pompiers de la France d'outre-mer, auxquels on demande de faire quotidiennement des miracles et de répondre à toutes les détresses.

Or les maires n'ont jamais été autant déconsidérés, persé cutés, abandonnés. De plus, ils sont découragés face à l'incompréhension des administrations. Nous sommes déjà tous traités d'incompétents, et cela va en s'aggravant.

La première des soupapes de sécurité dont vous disposez, monsieur le secrétaire d'Etat, celle de la démocratie locale, est en train d'exploser.

Aujourd'hui, tous les parlementaires - de droite, de gauche, du centre - sont rassemblés sur des projets communs propres à mettre la Réunion dans le sens de la marche vers le développement. C'est un signal fort que nous lançons à l'Etat. Nous voulons que ça change pour nous, pour l'outre-mer.

C'est dire si, au-delà des effets d'annonce prodigués au coup par coup, nous voulons une politique maîtrisée, reposant sur le sang-froid des décideurs politiques et sur des décisions courageuses qui s'imposent dans la durée et dans l'efficacité.

Car, monsieur le secrétaire d'Etat, l'outre-mer, c'est le coeur et le rayonnement de la France dans le monde.

Nous sommes une grande nation. Nous sommes partout.

Nous sommes présents sur toutes les mers du globe. Ces Français d'outre-mer, qui, eux aussi, représentent la France ont droit à la même considération que ceux qui vivent sur le continent métropolitain. C'est l'exemple d'une nation rassemblée, composée d'hommes et de femmes venant d'horizons divers et qui ont en commun cette même ambition de représenter avec fierté la France.

On voudrait faire croire que nous sommes des assistés, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne laissez pas les autres nous maltraiter de cette façon-là. La France, c'est aussi le centre spatial de Kourou en Guyane, les réserves de nickel en Nouvelle-Calédonie, le tourisme en Polynésie, aux Antilles et à la Réunion, les immenses espaces maritimes et les réserves de pêche de l'océan Indien et nos positions géostratégiques à travers le monde qui font de notre pays la troisième puissance maritime mondiale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, votre mission n'est pas facile. Les quelques lueurs d'espoir que vous avez fait naître ce matin font que j'approuverai votre budget, mais là n'est pas le fond du problème.

Il est grand temps de mettre les hommes au travail et que des directives claires soient données. Vous portez cette lourde responsabilité de réussir pour que nos enfants, demain, perpétuent aux quatre coins du monde leur fierté d'appartenir à une grande nation. Et cette nation, c'est la France ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Hoarau.

M. Claude Hoarau.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, Huguette Bello s'est attachée à vous parler de toutes les questions sociales, d'emploi et d'éducation. Tout à l'heure, Elie Hoarau évoq uera l'organisation administrative et la coopération régionale. Pour ma part, je veux vous alerter sur les problèmes économiques de la Réunion.

Il n'est pas exagéré d'affirmer que la Réunion se trouve la croisée des chemins. Une période s'achève. Des échéances importantes s'annoncent, mais sans qu'il soit possible de discerner avec précision les lignes de forces de notre futur.

La période qui s'achève est celle de la réalisation progressive de l'égalité sociale et d'une augmentation rapide des transferts financiers dont l'impact socio-économique a été considérable.


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Les échéances qui s'annoncent sont celles du renouvellement d'importants instruments de développement et de la mise en place de nouveaux dispositifs. D'ici à l'année prochaine, nous aurons à nous pencher sur des dossiers capitaux pour notre île : celui de la définition du contenu des outils contractuels que sont le plan de développement régional et le contrat de Plan ; celui de la rénovation ou de l'élaboration de dispositifs législatifs et réglementaires, tels que le décret « export », la loi Perben et le projet de loi Voynet. Nous serons également amenés à nous pencher sur la loi de défiscalisation qui devrait arriver à son terme en 2001.

S'agissant du décret « export », les représentants de la direction régionale du commerce extérieur, l'association pour le développement industriel de la Réunion, le Comité de liaison des intérêts économiques de la Réunion - qui est une organisation patronale -, le comité régional de la Réunion des conseillers du commerce extérieur de la France, l'université de la Réunion et la chambre de commerce et d'industrie ont formulé des propositions dont il faudra s'inspirer lors de la nouvelle rédaction de ce décret.

La loi Perben, dont l'application s'achève l'an prochain, doit faire l'objet d'un toilettage, en vue d'une application différenciée selon les secteurs d'activités, afin de permettre le développement de l'emploi en évitant les effets d'aubaine.

Pour ce qui est de la loi de défiscalisation, chacun sait, sur tous les bancs, que nous ne l'avons jamais sacralisée.

Nous sommes comme vous tous ici, mes chers collègues, pour une plus grande justice fiscale. Force est de constater que ce dispositif a permis un certain nombre de réalisations dans les départements d'outre-mer, et je crois que la Réunion a su jouer de cet instrument avec un certain bonheur.

L'an dernier, au moment où les passions se sont déchaînées sur cette affaire, le Premier ministre avait affirmé solennellement qu'il ne cherchait pas à faire des économies sur le dos des départements d'outre-mer. Il nous faut pourtant tirer la conclusion que c'est exactement ce qui s'est passé avec la tunnellisation. Le seul problème, c'est que personne n'est en mesure de nous dire combien de centaines de millions de francs ou de milliards ont été ainsi récupérés au détriment de l'investis sement dans nos pays. Cela est inacceptable et augure mal du dialogue qui doit obligatoirement s'ouvrir entre le Gouvernement et la représentation élue des DOM.

Entre la période qui s'achève et les échéances qui nous attendent, l'ensemble des responsables du développement de la Réunion, au niveau central comme au niveau local, ont le devoir d'ouvrir les perspectives d'un développement réel, durable et solidaire. Les fondements de ce développement existent déjà. Ils découlent pour l'essentiel des atouts liés à notre situation d'île de l'Union européenne au coeur du bassin indianocéanique.

Du fait des origines historiques de sa population et sa localisation géographique, la Réunion a la chance d'être partie prenante d'un océan qui connaît depuis la fin de la guerre froide une intensification de ses échanges internes.

Le renforcement ou l'émergence de vastes blocs régionaux en même temps que la multiplication d'investissements croisés et de joint-ventures entre l'Afrique australe, l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-Est témoignent en effet d'un dynamisme qualifié par certains observateurs de

« renaissance ».

Dans ce contexte, notre île dispose d'équipements de haut niveau pour les besoins propres de sa population, notamment en matière de santé et de formation. Elle dispose également d'infrastructures de désenclavement performantes qui se doublent d'outils de télécommunications contribuant à ouvrir ses horizons. Ce sont autant d'atouts pour saisir les opportunités nouvelles qui s'offrent à nous.

Avec 40 000 Réunionnais diplômés supplémentaires d'ici à 2005, la Réunion peut compter sur une jeunesse nombreuse et de mieux en mieux formée, qui entend apporter sa contribution à un processus de développement véritable et résolu. Aussi, il serait difficilement concevable que cette richesse humaine présente sur un territoire caractérisé par sa stabilité politique, juridique et monétaire ne puisse pas être à la base d'un véritable renouveau économique de la Réunion. J'aurais envie de parler, mes chers collègues, d'un véritable « miracle économique réunionnais ».

Ce renouveau, qui, nous en sommes intimement persuadés, est à notre portée, exige que les acquis de notre appareil productif soient préservés et sauvegardés.

Il s'agit en premier lieu de défendre avec la plus grande énergie notre filière canne. L'inquiétude grandit, en effet, dans le monde des planteurs, à l'approche de l'an 2000 et de la négociation sur l'Organisation commune du marché du sucre. Il faudra à cette occasion obtenir absolument, d'une part, le maintien à hauteur de 300 000 tonnes du quota sucrier de la Réunion et, d'autre part, le maintien des aides à la production de cannes et à leur transformation.

Monsieur le secrétaire d'Etat, il importe que le Gouvernement soit à cet égard à l'écoute des revendications des organisations des planteurs et éleveurs de la Réunion, ainsi qu'à l'écoute de leur représentation consulaire.

Il s'agit aussi d'obtenir une garantie de pérennité pour le dispositif de sauvegarde de nos productions qui vient d'être institué par l'accord de libre-échange : Union européenne-Afrique du Sud.

Toutefois, si la Réunion doit valoriser ses atouts et conforter les acquis de son système productif, c'est pour se donner les moyens de pénéter résolument les marchés extérieurs.

Nous disposons d'un accès privilégié au marché européen ; il ne doit pas être négligé, mais son éloignement demeure un handicap important.

Nous disposons d'un marché intérieur, qui, du fait de la croissance démographique, comptera un million d'individus d'ici à 2025, mais sa dimensions restera limitée.

Dans ce contexte, les champs d'expansion, que représentent tant le bassin indianocéanique que l'Afrique australe, doivent impérativement s'ouvrir à nos productions et à nos services.

Nous disposons d'infrastructures de désenclavement de haut niveau, c'est une excellente chose, mais elles sont dramatiquement sous-utilisées. Il importe désormais de les valoriser et de leur permettre de conserver leur avance technologique. Les services portuaires et aéroportuaires doivent être considérés comme de véritables filières de production. Cette approche résolue impose que l'Etat soit déterminé à soutenir les acteurs réunionnais dans leur démarche visant à renforcer l'attractivité de nos infrastructures de désenclavement.

En tenant compte du niveau déjà élevé de productivité de ces infrastructures, il conviendra de mettre en place un dispositif d'aide destiné à comprimer les tarifs des prestations offertes aux compagnies de navigation maritime ou


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aérienne. Il conviendra aussi de renforcer la maîtrise du d éveloppement maritime et aérien par les acteurs réunionnais. Ces derniers sont, en effet, au plus près des réalités indianocéaniques et sont donc plus à même d'en saisir les opportunités. Une telle approche est déjà mise en oeuvre dans d'autres collectivités d'outre-mer ; nous souhaitons bénéficier de ces avancées.

Enfin, il sera nécessaire de faire connaître le haut niveau de ces infrastructures auprès de nos partenaires potentiels de l'océan Indien. La tenue récente à la Réunion d'un congrès international maritime constitue une avancée significative. L'Etat doit encourager ce type d'initiative et surtout les amplifier en utilisant le relais de ces postes diplomatiques et de ses postes d'expansion économique en place dans tout le bassin indianocéanique.

L'enjeu est considérable en termes d'activité et de créations d'emplois : il s'agit de faire de notre île un véritable noeud logistique international au carrefour de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique.

Le prolongement de cette orientation réside de toute évidence dans le développement des exportations de biens et de services à partir de la Réunion. Il est à déplorer que les dispositifs de la Convention ACP-Union européenne visant à développer les échanges commerciaux entre les DOM et leur environnement régional n'aient jamais été réellement mis en oeuvre. Il conviendra de les renforcer et de les rendre opérationnels dans le cadre de la prochaine convention de Lomé.

Dans cette perspective, il serait judicieux que la Réunion, qui compte l'Afrique du Sud, l'Inde, l'Asie du SudEst et l'Australie dans son environnement régional, soit dotée d'une direction régionale du commerce extérieur véritablement à la mesure de ses ambitions.

Dans le même esprit, il conviendra de mettre en place une liaison structurelle entre la Réunion et les postes d'expansion économique en place dans les pays clés de notre environnement géo-économique.

Nous sommes persuadés que, du fait de son positionnement géographique exceptionnel, de sa stabilité politique et juridique, du niveau de formation de sa population et de la qualité de ses infrastructures, la Réunion dispose de tous les atouts pour rayonner sur son environnement régional. Toutefois, dans la mesure où cet environnement connaît un développement rapide, il convient de conforter ces atouts et de les diversifier.

Ainsi, la réalisation d'un noeud logistique international et le développement des exportations appellent nécessairement la mise en place de formations supérieures en matière de commerce et de transport international, ainsi qu'en matière d'apprentissage des langues régionales et internationales.

Dans le même esprit, la mise en place de formations supérieures dans le domaine des technologies de l'information et de la communication doit être encouragée. Le développement de ce secteur est en effet d'une importance cruciale : il doit nous aider à surmonter les difficultés liées à notre insularité et à favoriser l'émergenc e de productions à forte valeur ajoutée. D'ailleurs, une entreprise réunionnaise d'informatique vient d'ores et déjà de remporter d'importants marchés en Chine, face à des concurrents mondialement réputés.

Une filière audiovisuelle est également en train de se développer sur l'île. Elle représente déjà un nombre significatif d'emplois.

Il convient d'encourager cette dynamique, notamment à travers des dispositifs d'aide à l'investissement à la recherche-développement et au financement de l'innovation.

Dans cette logique de développement d'activités innovantes, nous souhaiterions que les conséquences de l'introduction de l'euro soient évaluées.

Il conviendrait qu'une étude soit initiée dans les plus brefs délais pour identifier les perspectives ouvertes par notre situation d'unique territoire de l'Euroland au sein d'un environnement monétaire déprimé, où les échanges sont essentiellement facturés en dollars américains. A notre sens, cette singularité qui sera la nôtre devrait se traduire, d'une part, par la mise en place sur notre île d'un pôle d'ingénierie financière à vocation internationale et, d'autre part, par le positionnement de la Réunion comme porte d'entrée commerciale vers la zone euro.

N ous sommes convaincus qu'un développement durable et solidaire fondé sur la valorisation de nos atouts - de tous nos atouts - est à notre portée. L'ampleur de ce défi appelle la mise en oeuvre combinée de moyens et d'outils diversifiés qui ne pourront être mobilisés efficacement que dans le cadre d'un texte législatif ambitieux et résolu.

Ce texte législatif, cette loi-programme pour le développement global et cohérent de la Réunion, doit marquer le renouveau que les Réunionnaises et les Réunionnais appellent de tous leurs voeux.

Monsieur le secrétaire d'Etat, à ce débat que vous avez voulu solennel, donnez rapidement une suite ! Ne tournez pas le dos aux aspirations des Réunionnais ! Ils sont allés jusqu'au bout de l'impatience. Ils sont aujourd'hui des centaines de milliers devant leur poste de télévision ou à l'écoute de leur poste de radio. La balle n'est plus au centre : elle est dans vos pieds.

Tous les acteurs de la vie socio-économique et politique de la Réunion sont prêts à jouer la partie avec vous.

Il s'agit d'une partie déterminante pour l'avenir de la Réunion et je vous remercie d'en prendre rapidement conscience.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Chaulet.

M. Philippe Chaulet.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je dispose officiellement de cinq minutes pour parler de la Guadeloupe.

Chacun appréciera ! La spéculation, les surenchères au sujet de ce débat ont, durant ces deux derniers mois, été bon train.

Débat budgétaire, débat statutaire, débat institutionnel ou débat sur l'avenir de l'outre-mer ? Pour ma part, je suis sans illusion. Je parlerai plutôt d'une absence de débat puisque nous n'avons aucun contrôle sur la préparation de votre budget. Rien de bien concret, monsieur le secrétaire d'Etat, ne sera décidé aujourd'hui pour cautériser et guérir les grandes plaies dont souffre l'outre-mer, et particulièrement la Guadeloupe.

Bon budget, mauvais budget ? Cela n'a aucune signification pour les Guadeloupéens.

A quoi sert votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, alors que le chômage atteint des sommets en Guadeloupe ? Les Guadeloupéens ne veulent pas travailler trente-cinq heures : ils veulent simplement travailler.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

A quoi sert votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, quand la LBU, finançant le logement social et soutenant l'activité du BTP, n'est jamais totalement consommée depuis des années, toujours avec une bonne excuse de vos services - cette année, une panne d'ordinateur ? A quoi sert votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, quand l'arrêté fixant les taux des prêts consentis par la Caisse des dépôts et consignations aux constructeurs de logement sociaux n'est toujours pas signé, alors que vous avez abaissé les taux du livret A depuis juin 1998 ? Ainsi, 800 millions de prêts sont bloqués en Guadeloupe, soit autant de travaux qui ne sont pas réalisés.

A quoi sert votre budget quant l'Etat lui-même n'investit plus en Guadeloupe ? A quoi sert votre budget lorsque nos agriculteurs, qui viennent de subir le cyclone Georges recevront, peut-être, dans quelques mois une indemnisation couvrant à peine 30 % des pertes pourtant estimées à 80 % ? A quoi sert votre budget quand les marins pêcheurs de la Guadeloupe sont arraisonnés par nos voisins de la Caraïbe parce qu'il n'existe pas d'accord de pêche dans la zone caraïbéenne ? A quoi sert votre budget lorsque le Guadeloupéen occupant les cinquante pas géométriques attend le décret d'application d'une loi votée depuis 1996 et demeurée lettre morte ? A quoi sert votre budget quand les artisans de transports terrestres de personnes, appelés chez nous « transports en commun », attendent la pérennisation de leur droits de trafic afin d'organiser réellement un service public de transport en Guadeloupe ? A quoi sert votre budget quand certains de vos amis du Gouvernement diabolisent la défiscalisation, qui a pourtant fait ses preuves ? A quoi sert votre budget quand vous restez sourd aux demandes de Saint-Martin, au bord de l'explosion, et de Saint-Barthélemy, toutes deux revendiquant la reconnaissance de leurs droits historiques ? Monsieur le secrétaire d'Etat, la Guadeloupe est en pleine crise sociale ! Elle est en pleine crise économique ! Tous les voyants ont aujourd'hui dépassé le stade de l'alerte no 2 renforcée, et un ouragan de force 5 nous ravage sous le regard indifférent du Gouvernement.

L'âme guadeloupéenne est profondément meurtrie. Les Guadeloupéens sont exaspérés. Comme l'on dit si bien chez nous : « Nous sommes bouffis avec ça ! » Les grandes lois de développement de l'outre-mer, les quinze dernières années, ont toutes été votées à l'initia tive d'hommes de droite, qu'il s'agisse de la loi Pons ou de la loi Perben. Ce n'est pas moi qui l'affirme : c'est l'un de mes collègues, mon ami Ernest Moutoussamy. Il est temps qu'un gouvernement de gauche soit l'auteur d'une grande loi-programme de développement pour l'outremer, particulièrement pour la Guadeloupe ! Les chantiers sont immenses. La Guadeloupe doit être rapidement mise sur les rails d'un développement réel, intégré au sein de la zone caraïbe, dans le cadre de la France, et assumer sa pleine appartenance à l'Europe.

Quelles sont mes propositions ? Elles portent tout d'abord sur la méthode de travail à mettre en oeuvre.

Organisons avec vos services une large concertation des députés et des sénateurs de l'outre-mer de tous bords, qui connaissent toutes les revendications des forces vives de nos régions ! Ce véritable débat devra aboutir à un document de synthèse fixant les grandes orientations du Gouvernement et des collectivités au regard du développement social, économique, culturel de chacun de nos départements d'outre-mer.

Les négociations des contrats de plan Etat-régions sont une formidable occasion de rassembler les énergies pour définir des stratégies d'intervention : stratégie économique, stratégie fiscale, stratégie de la politique familiale et de l'éducation, stratégie de santé publique et privée.

Lançons un grand chantier pour définir des mesures d'extrême urgence afin de répondre à des situations locales d'extrême tension ! Lançons le chantier d'une loi-programme touchant à la fois l'agriculture, la pêche, l'artisanat, l'industrie, le tourisme, le commerce et les services ! Lançons un grand chantier pour que soit défini, dans le cadre de l'article 73 de la Constitution, un véritable accompagnement budgétaire des compétences décentralisées de nos régions et de nos départements ! Réformons la décentralisation et la fiscalité locale ! Dans l'hexagone, les zones franches s'appliquent où on compte 15 % de chômeurs. Chez nous, le taux de chômage dépasse 30 %. C'est donc bien l'ensemble de l'archipel guadeloupéen qui doit être déclaré zone franche.

Lancez, monsieur le secrétaire d'Etat, un grand chantier de réformes des services de l'Etat pour que nous puissions disposer de meilleurs services déconcentrés en Guadeloupe ! Lançons un grand chantier pour recrédibiliser la défiscalisation, pour proroger et élargir le champ d'application de la loi Perben, pour accompagner les besoins de financement des entreprises ! Ouvrez, monsieur le secrétaire d'Etat, le dossier des îles du nord et répondez véritablement aux attentes de SaintMartin, confrontée à une crise économique, sociale, culturelle et identitaire d'une extrême gravité ! Il est aussi indispensable de prendre en considération les revendications de Saint-Barthélemy. Le droit doit rejoindre les faits, d'autant plus s'il découle de l'histoire, monsieur le secrétaire d'Etat ! J'ai déposé une proposition de loi sur le statut de Saint-Barthélemy. Faites-la vôtre ! Amendez-la, modifiez-la, mais agissez pour que les lois qui s'appliquent aux îles du nord soient clairement définies ! Nous en avons assez de ce flou qui ne tient aucun compte des réalités historiques, géographiques, sociologiques et humaines. Il est impossible que l'Etat français détourne son regard pour appliquer implacablement le droit commun dans un lieu où le contexte n'a rien de commun avec les réalités de l'hexagone.

Vous l'aurez compris, il ne suffit pas d'accuser réception de nos propositions : ces propositions sont concrètes et elles méritent d'être expertisées pour devenir opérationnelles. Mais cela dépend en grande partie de la volonté gouvernementale.

Au-delà du symbole, l'an 2000 marque des échéances majeures pour la Guadeloupe. Il est temps d'agir, d'agir vite et bien.

Nous ne pouvons plus admettre ni tolérer le manque de lisibilité de la politique gouvernementale pour l'outremer, et encore moins le recours systématique à une

« politique de pompier » pour une outre-mer, pour une Guadeloupe qui ont soif de dignité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

M. le président.

Monsieur Chaulet, vous avez parlé beaucoup plus que les cinq minutes qui vous étaient imparties. J'espère que vous avez apprécié ! (Sourires.)

La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur d'intervenir aujourd'hui au nom de ma terre de Guadeloupe et en ma qualité de représentant national.

Avant d'entrer dans le sujet, je voudrais adresser une pensée amicale au ministre Jean-Pierre Chevènement et me réjouir, après ce que j'ai pu lire dans les journaux, de son prompt rétablissement. Je souhaite qu'il nous rejoigne le plus rapidement possible. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Permettez-moi de vous remercier, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom de mes compatriotes et en mon nom personnel, d'avoir consacré une journée de débat à l'outre-mer. Parce que ce débat est symbolique, nous y sommes sensibles. Certes, la prochaine fois, nous ferons en sorte de le placer le mardi ou le jeudi, afin de permettre à tous nos collègues d'être à l'écoute de la repré sentation parlementaire d'outre-mer.

En tout cas, je salue ceux qui sont ici aujourd'hui, ainsi que ceux qui sont virtuellement présents (Sourires), en espérant que, la prochaine fois, ils seront aussi avec nous.

Entrons dans le vif du sujet.

Durant cette journée du 23 octobre, nous aurons entendu de nombreux avis sur l'avenir de l'outre-mer, sur la question « institutionnelle ». Pour ma part, je vous dirai d'emblée que la dialectique entre l'indépendance ou l'autonomie, d'une part, et le statu quo, d'autre part, me paraît très réductrice. Car une question me semble s'imposer : cette problématique correspond-elle, aujourd'hui, à une véritable aspiration populaire ? Je n'en suis, quant à moi, pas sûr du tout.

Pour autant, ne vous y trompez pas : je n'ai aucun tabou sur les questions institutionnelles. Aucun statut ne devrait nous faire peur, dès lors qu'il serait mûrement réfléchi, voulu et accepté. Il s'agirait alors d'une évolution positive et non d'une posture de « frilosité », de « fuite en avant » ou de « repli sur soi ».

La thématique institutionnelle est trop souvent utilisée pour des jeux politiciens. On s'en sert soit pour des intérêts d'autoprotection à court terme, soit pour réveiller chez nos compatriotes des attitudes « populistes ». J'alerterai certains en leur recommandant d'être vigilants quant à leurs voisinages idéologiques, l'histoire faisant parfois de tristes clins d'oeil.

Encore un préalable : qu'il me soit permis d'associer à mon intervention, en leur renouvelant mes remerciem ents, le groupe d'universitaires, au premier rang desquels M. le doyen Eric Nabajoth et M. le professeur J ean-Gabriel Montauban, de l'université d'AntillesGuyane, ainsi que les cinquante responsables socioprofessionnels guadeloupéens - membres de professions libérales, chefs d'entreprises, représentants d'associations qui ont participé à la journée d'études organisée le 10 octobre dernier aux Abymes. C'est leur expertise, leurs réflexions, leurs suggestions et leur enthousiasme qui ont renforcé ma conviction profonde qu'il est grand temps, parce que vital, que les politiques inventent une nouvelle

« pratique de la décision et de l'action politique ».

Prolongeant cette réflexion, mon intervention reposera sur l'idée centrale que, dans un contexte géopolitique instable, la situation en Guadeloupe est suffisamment préoccupante, dans ses aspects moraux, sociaux et économiques, pour que la politique et ses acteurs, au travers d'une méthode de travail, véritablement nouvelle, reprennent tous leurs droits et toute leur place pour proposer aux Guadeloupéens l'édification de leur avenir.

Nos compatriotes Guadeloupéens et, plus généralement, de l'outre-mer, sont très attentifs à notre débat. Ils sont nombreux à le suivre grâce aux moyens audiovisuels qui sont déployés. Je ne veux plus qu'ils soient déçus par la parole publique, et c'est pourquoi je m'adresserai à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, avec un langage de vérité.

Jeune en politique, j'ai la conviction chevillée au corps que la France et la Guadeloupe vivent une période historique cruciale sur fond de grave crise d'identité. Les repères sont flous. La parole et l'action publiques sont très, voire trop souvent décrédibilisées. C'est pour cela que j'invite tout un chacun à contribuer à leur redonner du crédit.

Je souhaite exprimer devant tous, devant mes pairs responsables politiques, mais aussi devant mes compatriotes, qui nous écoutent ou nous regardent, un certain nombre de convictions.

Aussi, après avoir expliqué pourquoi je soutiens votre budget, je vous dirai en quoi la situation économique et sociale de la Guadeloupe me paraît grave, et pourquoi il me semble opportun et urgent de travailler sur une méthode afin de faire émerger un grand projet fédérateur et mobilisateur.

S'agissant de votre budget, l'honnêteté intellectuelle devrait conduire tous les parlementaires - c'est à peu près le cas - à décerner un satisfecit global sur l'effort consenti et concrétisé par un budget de 5,6 milliards, soit une hausse de 7 %, alors que le budget de l'Etat n'augmente quant à lui que de 2,3 %, hors charges exceptionnelles.

Votre budget traduit à l'évidence la volonté du Gouvernement de lutter contre le phénomène de l'exclusion selon deux axes majeurs : l'insertion par l'activité et l'insertion par le logement, tout cela considéré au sens le plus large. Ces axes correspondent à de sérieuses préoccupations sous nos cieux.

Il n'a échappé à personne ici que les crédits mis à la disposition du FEDOM, soit 1,8 milliard, connaîtront une progression de 6,35 % et permettront, en théorie, de financer 56 500 nouvelles solutions d'insertion par l'activité. Je ne peux que m'en réjouir, tout en appelant l'attention du Gouvernement sur deux points particuliers.

D'une part, 34 000 contrats emploi-solidarité sont envisagés, alors que les collectivités locales et les associations ont de plus en plus de mal, financièrement et réglementairement, eu égard aux statuts de la fonction publique, à offrir ce type d'opportunités.

D'autre part, 7 000 contrats d'accès à l'emploi sont budgétisés. Il ne m'a pas échappé que les crédits correspondants baissent ainsi que ceux relatifs aux primes à la création d'emplois, alors que ces formes d'aides et d'insertion sont les seules qui mettent réellement les bénéficiaires en relation avec l'entreprise, avec une chance sérieuse de prétendre, in fine, à un emploi économiquement fondé.

Pour autant, je note avec une grande satisfaction la poursuite de l'effort sur les emplois-jeunes, sur lesquels nos jeunes compatriotes fondent de sérieux espoirs, même si, là encore, la situation financière des collectivités locales ne leur permet pas toujours d'être particulièrement témé-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

raires dans la mise en oeuvre de ce dispositif que notre majorité, ici, à l'assemblée, a eu le mérite de concevoir et de voter.

Je veux aussi souligner que, dans le cadre de la réforme du service national, le SMA, avec un crédit global de 451 millions de francs, a été, comme promis, préservé.

Puissiez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner l'assurance que ce dispositif de formation, d'insertion et d'utilité sociale sera conforté dans le futur.

Il ne m'a pas échappé non plus, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'effort de l'Etat en faveur du logement social, secteur où l'urgence est de tout premier ordre, est particulièrement marqué avec une ligne budgétaire unique portée à près de 900 millions de francs, soit une extraordinaire progression de 58 %. On ne peut pas non plus passer sous silence les quelque 611 millions de francs de la créance de proratisation qui seront consacrés à l'insertion par le logement des RMIstes.

Permettez-moi, tout de même, monsieur le secrétaire d'Etat, afin que cette volonté politique se traduise dans les faits, d'appeler votre attention sur les lourdeurs des procédures de mobilisation des crédits LBU, voire sur l'inadaptation des critères, ce qui, dans le contexte de crise économique et sociale que connaît la Guadeloupe, conduit les acteurs du bâtiment et des travaux publics et les autres opérateurs sociaux à exprimer parfois leurs inquiétudes, parfois leur mécontentement et pas toujours sans fondement.

Dois-je également vous alerter, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la situation du PACT de Guadeloupe qui, au moment où je parle, est menacé de liquidation, notamment pour cause de blocage des financements publics ? Cette structure concerne vingt-six agents qui voient poindre le chômage, une centaine d'artisans spécialisés dans la réhabilitation et 500 familles qui attendent des conditions d'habitat meilleures. Elle ne peut mourir au moment même où vous affichez, dans le principe comme budgétairement, le logement comme une priorité majeure de l'action outre-mer. Il faut donc intervenir et intervenir vite pour changer le cours des choses dans ce domaine.

Mon troisième propos sur le budget, monsieur le secrétaire d'Etat, concerne la lisibilité de l'intervention nationale outre-mer. Elle est loin d'être parfaite, car les chiffres récoltés ici ou là dans les budgets des ministères techniques montrent que la masse financière investie dans les DOM atteindrait les 44 milliards de francs. Pourquoi ne pas rassembler, dans le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, l'ensemble des interventions de l'Etat, agrégat par agrégat, chapitre par chapitre, peut-être même fonction par fonction, quitte à recueillir après l'avis des minist ères techniques pour décider de l'affectation des sommes ? Cela nous permettrait de discuter valablement.

C'est une suggestion que je vous fais ; il faut en étudier la faisabilité.

Enfin, et ce sera tout pour le projet de budget pour 1999 proprement dit, il me semble temps, monsieur le secrétaire d'Etat, de prendre en compte, par des mesures budgétaires fortes, la situation particulièrement difficile des départements et des communes qui n'arrivent plus, même en accentuant la pression fiscale, qui a ses limites, à assumer les dépenses relatives au contingent d'aide sociale et l'effort d'investissement nécessité par la vétusté des bâtiments publics, tout particulièrement les cantines scolaires et les écoles, domaines dans lequels, il y a beaucoup à faire et de façon urgente.

Sous réserve de ces observations, recommandations et suggestions, votre projet de budget pour 1999, qui représente un véritable progrès par rapport aux années antérieures, mérite d'être voté et je le voterai.

Pour autant, si on lève les yeux vers l'horizon guadeloupéen pour en percevoir la réalité profonde et si on se projette un tant soit peu dans le temps, ce budget, même si je reconnais l'effort qui y est fait, n'est pas de nature à peser sur l'avenir et à orienter de façon décisive le cours des choses en Guadeloupe pour garantir à terme le mieux-être collectif de nos compatriotes. En effet, parce que trop souvent on ne s'aperçoit de la gravité des problèmes que lorsqu'il est trop tard et que parfois le sang a déjà coulé, nous devons être attentifs à la situation en Guadeloupe qu'il ne faut absolument pas banaliser. Nous avons tous en mémoire des épisodes historiques outremer témoignant de cette incapacité ou de ce refus à antic iper l'allure des choses. Rassurez-vous, nous n'en sommes pas encore au sang, mais prions le ciel pour que nous n'ayons pas péché par manque de clairvoyance ! Aussi, je vous le dis tout net, la réalité actuelle en Guadeloupe me paraît préoccupante. Certains connaissent la différence entre l'ouragan et le volcan : l'ouragan s'annonce - la météo peut le prévoir, même si ce n'est pas toujours avec exactitude -, mais le volcan, lui, gronde, et personne ne sait quand il explosera.

M. Jean-Claude Lefort.

Si, Allègre ! (Sourires.)

M. Daniel Marsin.

Je voudrais croire que nous ne sommes pas tout à fait dans la situation du volcan.

Quelle est donc cette réalité qui fait que la Guadeloupe, nous le savons tous, est l'une des régions les plus pauvres, sinon la plus pauvre de l'Union européenne ? Tous les orateurs qui m'ont précédé l'ont dit, elle se caractérise d'abord par un tissu économique largement déstructuré, un système de plus en plus extraverti qui offre le tableau suivant.

L'agriculture et la pêche nourrissent de moins en moins les Guadeloupéens, tandis que les productions traditionnelles - canne, rhum, banane - sont fragiles et de plus en plus menacées dans leurs débouchés et que la diversification ne parvient pas à s'inscrire comme une réalité tangible. Bref, l'agriculture décline sans cesse.

L'industrie, pour sa part, est embryonnaire. Le bâtiment connaît des fortunes très variées et, souvent, les entrepreneurs attendent désespérément des commandes publiques de collectivités locales qui n'ont pas les moyens de les passer.

Quant aux artisans, fort nombreux, ils sont pour la plupart en difficulté dans la mesure où ils ne peuvent pas compter sur le PACT, pour la centaine que je viens d'indiquer tout à l'heure. Par ailleurs, ils sont des milliers à ne pas avoir accès aux marchés publics, et cela aussi doit nous interpeller sérieusement.

Quant au tertiaire, stimulé par les salaires, la situation est très contrastée. Je n'insisterai pas pour ne pas prolonger mon propos.

Bref, malgré les évolutions du produit intérieur brut, nous sommes bien en face d'une économie que d'aucuns qualifient de « mal développée ». D'autres disent que c'est une économie « import », « non export ». En tout cas, c'est sur ce contexte, brossé à grands traits, que se peint le tableau d'une situation sociale inquiétante sur laquelle je ne veux pas trop insister non plus, sauf à vous dire que le chômage s'accroît de dix points par décennie. Il est en effet passé de 12 % dans les années 70, à 20 % dans les années 80, pour atteindre près de 30 % aujourd'hui. Si cette tendance, qui risque d'ailleurs de s'accélérer, se


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

confirmait, en l'an 2020 ce serait plus de la moitié de la population active, c'est-à-dire plus de 100 000 personnes, qui n'aurait comme revenu que les minima sociaux. Cette situation n'est pas très encourageante, d'autant que les moins de vingt-cinq ans sont de plus en plus concernés.

Face à l'incapacité du système économique d'offrir des opportunités de socialisation à nos compatriotes exclus, l'alternative offerte, c'est le traitement social du chômage et, de ce point de vue, je reconnais que, dans le budget, un effort important est fait, même si je note, monsieur le secrétaire d'Etat, que les CES, les CEC et les CAE diminuent de plus en plus. Nous ne pouvons donc nous appuyer exclusivement sur ces dispositifs. Si nous n'y prenons garde, le désarroi s'emparera de la population et cela fera le bonheur de ces pêcheurs en eaux troubles qui n'aspirent qu'à une seule chose : utiliser le désarroi de ces personnes qui pourraient à un moment donné avoir envie d'en découdre avec le système. C'est parce que je crois en ce gouvernement que je vous peins ce tableau. Je vous invite à réagir, à prendre très au sérieux la situation et à tout mettre en oeuvre pour redonner du sens à l'action publique dans nos pays.

C'est donc un véritable projet de société, dans ses dimensions économiques, sociales, culturelles et institutionnelles, qu'il faut concevoir dans une collaboration intelligente entre les niveaux national et local et mettre en oeuvre de façon déterminée. Dans une telle démarche, la question institutionnelle devrait s'inscrire comme un outil au service d'un projet et non pas comme une question de principe. C'est, à mon avis, la seule orientation qui puisse mobiliser réellement nos compatriotes.

Vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une mission de deux élus étudie les évolutions possibles. Cette méthode est louable, mais, à mon avis, insuffisante, car elle ne prend pas en compte l'aspiration des Guadeloupéens à être acteurs de leur destin. C'est la raison pour laquelle j'en appelle aujourd'hui au lancement, dans les meilleurs délais, des états généraux de la Guadeloupe.

L'idée est forte, mais la démarche est d'une grande simplicité. Il ne s'agit pas d'envoyer une mission de deux ou trois personnes. Il ne s'agit même pas, comme le disait M. Chaulet, de consulter les députés, les sénateurs ; il s'agit d'impliquer les acteurs dans la définition des choix pour que ceux qui seront faits soient mobilisateurs. Il s'agit donc d'impliquer tous les acteurs politiques, certes, mais aussi socioprofessionnels, les syndicats, les associations, les universitaires, les experts à cette grande réflexion qui doit avoir trois objectifs.

T out d'abord, évaluer l'ensemble des dispositifs publics, politiques, économiques et sociaux en vigueur en Guadeloupe ; Ensuite, à partir de cet examen, tracer les orientations et les objectifs d'évolution de l'économie et de la sociétés ecteur par secteur, en intégrant l'ensemble des contraintes déterminées et appréciées collectivement ; Enfin, seulement, définir le cadre institutionnel le plus propre à permettre de réaliser ce projet de société.

Dans ce domaine, il n'y a pas de tabou, le champ du possible doit être large. L'important, l'essentiel devrais-je dire, serait in fine de mettre les scenarii en délibéré devant la population en lui donnant tous les tenants et les aboutissants. Dans le déroulement de ce processus, nous pourrions envisager toutes les pistes en termes de développement économique, social, culturel, en termes de mesures d'ordre juridique et fiscal. Bref, nous pourrions fixer les objectifs, déterminer les moyens et aller plus loin que ce qui a été dit jusqu'à présent. En tout cas, cette initiative devrait être mise en oeuvre sans a priori, sans esprit accusatoire, sans suspicion, car il s'agit d'aboutir à ce projet fédérateur.

De la tribune de notre assemblée, je dis d'ores et déjà à mes compatriotes guadeloupéens de tous horizons politiques qu'il nous faut définitivement sortir de cette ambiguïté spirituelle qui nous ballotte entre la fierté de notre i dentité plurielle et notre malaise auto-flagellatoire.

Ensemble, nous devons construire notre avenir. Tan a mitan fini, a prézan ce tan a tanmi. An nou colé tét an nou é fouyé, cabèche an nou pou di Gouvelman ki Gwadloup nou tout vlé pou dèmin. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'avez pas encore pratiqué suffisamment notre langue pour comprendre ce que je viens de dire.

C'est l'occasion pour moi de vous demander de ne pas oublier le créole lorsqu'il sera question de langues régionales dans les conventions internationales. Veillez-y pour que nous n'ayons pas l'impression, une fois de plus, que la Guadeloupe, la Martinique ou autres ont été oubliées.

J'ai indiqué à mes compatriotes, en créole, que nous devons tous creuser notre intelligence pour vous dire ce que nous voulons de bon pour la Guadeloupe. A vous, représentant de l'Etat, je lance un appel en vous demandant de favoriser ces états généraux et même de vous y associer. Car, in fine, c'est ensemble, les Guadeloupéens et le Gouvernement, que nous validerons le projet qui en sortira et que nous nous donnerons les moyens - tous les moyens - de le mettre en oeuvre.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vous l'avez compris, je considère cette journée du 23 octobre, que tout le monde a voulu monter en épingle, non pas comme un aboutissement, mais comme un point de départ, une sorte de prélude à cette longue marche vers un processus salvateur que je voudrais voir collectivement assumé et entretenu, en vue d'associer les Guadeloupéens à un sursaut. Pour ma part, comme tous ceux qui sont de ma mouvance, j'y travaillerai de toutes mes forces, avec tout mon engagement, dans l'esprit que j'ai essayé de faire passer dans cette intervention : celui de la responsabilité, de la concertation mais aussi de la détermination.

Je vous remercie de m'avoir écouté et, peut-être, de m'avoir entendu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Monsieur Marsin, vous avez également très largement dépassé votre temps de parole, mais nous avons accepté cette règle du jeu.

M. le secrétaire d'Etat a demandé une brève suspension de séance. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à M. Emile Vernaudon.

M. Emile Vernaudon.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, chers collègues, Iaorana ! Je souhaite en tout premier lieu adresser publiquement mes remerciements à M. Jean-Jack Queyranne pour avoir élaboré ce budget. En effet, notamment par le biais des chapitres consacrés à l'emploi et à l'habitat social, ce budget est en augmentation de 7 % par rapport au précédent.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Je remercie également M. Lionel Jospin et son gouvernement pour avoir maintenu les crédits attribués à la Polynésie française. A cet égard, j'appelle l'attention du gouvernement central pour que les crédits d'Etat octroyés à la Polynésie soient mis à disposition plus rapidement.

Au cours de cette séance, je voudrais surtout évoquer la problématique de l'évolution statutaire de la Polynésie française. En effet cette question sera bientôt d'actualité puisque le président du gouvernement, ministre du tourisme, sénateur et maire de la ville de Pirae, excusez du peu, M. Gaston Flosse, vient de rallumer la mèche de la revendication statutaire, alors que la Polynésie a été dotée en 1996 d'un énième statut d'autonomie élargie, lequel devrait être selon le rapporteur du projet de loi « l'ultime statut d'autonomie au-delà duquel ce serait l'indépendance ».

Or, après que le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, eut avalisé au plan constitutionnel le processus d'évolution de la Nouvelle-Calédonie vers une possible indépendance à la suite des accords de Nouméa, le président du gouvernement, véritable obsédé textuel, supplie le Président de la République de profiter de la prochaine modification de la Constitution, à l'occasion de la ratification du traité d'Amsterdam, pour faire insérer dans le statut de la Polynésie certaines dispositions des accords de Nouméa, à savoir la capacité, pour l'assemblée de la Polynésie, d'édicter des lois, ou plutôt « ses » lois à lui et l'instauration d'une citoyenneté polynésienne. Mais là, je me pose des questions : demande-t-il l'indépendance ? Serat-on toujours Français, Polynésiens, Maohis ? Il s'agit aussi de la capacité, pour la Polynésie, de signer des accords internationaux dans le cadre d'une souveraineté partagée entre la France et la Polynésie, celle-ci abandonnant l'appellation de territoire d'outre-mer au profit de celle de pays d'outre-mer. Après les DOM-TOM, les

DOM-TOM-POM ! (Sourires.)

Bien qu'il s'en défende, il ne fait en réalité que singer la souveraineté en caricaturant la Polynésie autonome en une sorte de république bananière.

Assez d'hypocrisie ! Assez de mensonges ! S'il faut discuter de l'avenir institutionnel de la Polynésie, pourquoi écarter publiquement l'hypothèse de l'indépendance politique et de la souveraineté du territoire ? Pourquoi accepter pour la Nouvelle-Calédonie une telle possibilité et la refuser a priori pour la Polynésie ? Pourquoi privilégier un seul interlocuteur, alors que c'est avec l'ensemble des forces politiques calédoniennes que l'Etat a accepté de discuter ? Ces tendances politiques consistent par ailleurs, et vous le savez, à accepter de partager le pouvoir alors que, dans mon territoire, celui-ci règne en maître absolu.

Il faut que l'on sache que l'opposition polynésienne représente la moitié du corps électoral, sinon davantage.

Il faut que l'on sache aussi que le président du gouvernement ne doit sa majorité à l'assemblée de Polynésie qu'à la surreprésentation des îles autres que Tahiti et qu'à des alliances de circonstance.

Vous devez savoir, mes chers collègues, qu'il faut aujourd'hui environ 3 000 voix pour être élu à Tahiti et Moorea, qui représentent les trois quarts de la population polynésienne, alors que 500 voix suffisent pour être élu dans les autres archipels. La démocratie nous dicte, selon le principe « un homme, une voix », de corriger ce déséquilibre inacceptable.

C'est pourquoi j'invite instamment le gouvernement de la République à suspendre toutes les négociations en cours et à organiser les rencontres indispensables avec les principales forces politiques polynésiennes avant d'entamer une réforme statutaire et constitutionnelle aussi fondamentale et importante pour l'avenir de nos enfants.

L'Etat ferait ainsi preuve de justice et d'équité.

Dans l'immédiat, Gaston Flosse ne pense qu'à étoffer sa panoplie de pouvoirs et d'honneurs afin d'échapper au contrôle du tribunal administratif dont il veut réduire les compétences.

Il rêve à encore plus de privilèges dans un pays qui dispose déjà d'un président, d'une assemblée délibérative, d'un Gouvernement de dix-sept ministres et d'un hymne qui a déjà chassé la Marseillaise lors des rencontres sportives régionales et internationales.

Le président du gouvernement de la Polynésie française est en train de se faire construire un immense palais présidentiel, dont le coût de fonctionnement sera supérieur à celui du Palais de l'Elysée.

Il vient également de se doter d'une véritable milice.

Ce bataillon de tontons macoutes a été affublé du titre de groupement d'intervention de la présidence et placé sous son autorité directe.

A ujourd'hui, des documents chiffrés, parfaitement étayés, circulent, évaluant partiellement le patrimoine personnel du président du territoire à près de 200 millions de francs français ! Et des remboursements bancaires à environ 700 000 francs français, alors que ses revenus mensuels déclarés ne dépassent pas 150 000 francs français.

Savez-vous, mes chers collègues, que ce sénateurm inistre-président est le seul parlementaire de la République à avoir fait une fausse déclaration de patrimoine ? Le seul ! Il n'est pas possible de le laisser transformer la Polynésie en une sorte de fonds de commerce à son usage exclusif, sous le prétexte qu'il est le seul à garantir la présence française. De tels actes relèvent des tribunaux et les Polynésiens s'interrogent d'ailleurs sur la lenteur de la justice à son égard. C'est pourquoi je demande à l'Etat d'exercer son pouvoir de contrôle sur tous les actes des autorités territoriales.

Il faut que la République veille à ce que les compétences accordées ne deviennent pas une forme de dictature déguisée, renforcée par le gaspillage des deniers publics. « Qui paye contrôle », avait déclaré le Premier ministre Michel Rocard en Polynésie.

Le laisser agir à sa guise, c'est courir à terme le risque d'une « corsification » de la Polynésie, une dérive qu'il faut absolument combattre.

Il est clair pour moi que l'actuel statut d'autonomie de la Polynésie a largement atteint ses limites. Je suis opposé à une évolution statutaire élaborée dans la précipitation.

En revanche, je ne suis pas opposé à une évolution fondamentale des institutions de la Polynésie.

Je pense toutefois qu'elle doit se faire calmement, en concertation avec toutes les forces vives et politiques polynésiennes. Elle doit intégrer la philosophie des accords de Nouméa, à savoir la possibilité pour la Polynésie, dans le cadre d'un processus négocié et préparé, après le vote ultime de la population, d'accéder au statut d'un Etat souverain, dans la paix, l'amitié et le respect mutuels.

Le droit fondamental à l'autodétermination des Polynésiens est déjà garanti par la Constitution. Il n'est pas question de l'aliéner, comme le propose Gaston Flosse.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Par ailleurs, je rappelle que la France a ratifié les résolutions fondamentales 15/14, 43/47 de l'ONU relatives à la décolonisation de tous les peuples et territoires encore sous tutelle ainsi qu'à l'éradication de toute forme de colonialisme.

Ces résolutions vont d'ailleurs dans le droit-fil du discours de Brazzaville du général de Gaulle.

En conclusion, vous l'avez compris, mes chers collègues, je souhaite que nous entamions un véritable débat démocratique sur l'avenir de notre territoire, sans pour autant couper les liens privilégiés et historiques noués avec la France. Celle-ci doit rester notre partenaire sur le chemin de notre développement et de notre émancipation. Ce sont des « accords de Tahiti », qu'il convient de préparer, à l'instar des accords de Nouméa, dans une perspective globale et cohérente.

Il ne s'agit pas non plus de préparer une opération de largage de la Polynésie.

Dois-je vous le rappeler, c'est grâce à la Polynésie que la France est devenue la troisième puissance nucléaire m ondiale ! Elle a donc vis-à-vis de mon territoire d'énormes obligations morales et financières, qui doivent se traduire par une politique de très longue durée, destinée à développer ses propres ressources.

Je propose, en tant que député de la République et porte-parole de toute l'opposition polynésienne, que l'Etat s'engage, dans le cadre des accords de Tahiti, à lancer une vaste concertation avec l'ensemble des partenaires politiques et socio-économiques, afin de définir démocratiquement l'avenir institutionnel de la Polynésie.

Je suis convaincu que mon pays possède la volonté de relever les défis du troisième millénaire avec des institutions propres, adaptées à son développement, à sa culture et à sa situation géographique exceptionnelle dans ce grand océan Pacifique, mais toujours en partenariat et en coopération avec la France.

Mauruuru, e Iaorana.

Rappel au règlement

M. Jean-Louis Debré.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Debré, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Louis Debré.

Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 58-6 et 71-5 de notre règlement.

Monsieur le président, mes chers collègues, depuis ce matin, le débat qui s'est déroulé dans cet hémicycle s'est caractérisé par sa haute tenue, son sérieux, sa sérénité et son souci d'analyser complètement les problèmes des d épartements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer. Nous nous en félicitons tous. Un certain nombre de propositions ont été émises pour tenter de trouver des solutions à leurs problèmes lancinants.

Je regrette, monsieur le président, que l'un d'entre nous, à l'instant, ait, par des attaques personnelles, des allégations non vérifiées, des insinuations perfides, donné à notre débat une tonalité déplaisante et déplacée.

M. Emile Vernaudon.

La vérité blesse !

M. Jean-Louis Debré.

Je voulais, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, vous dire combien de tels propos sont choquants et n'ont pas leur place dans un tel hémicycle et à l'occasion d'un tel débat.

Pour bien manifester notre opposition à de tels propos, je vous demande, monsieur de président, une suspension de séance.

M. le président.

Monsieur Debré, nous prenons acte de votre rappel au règlement.

La séance est suspendue pour cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président.

La séance est reprise.

Reprise de la discussion

M. le président.

La parole est à M. Elie Hoarau.

M. Elie Hoarau.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme beaucoup de mes collègues, je me réjouis moi aussi qu'une journée entière de débats à l'Assemblée nationale soit consacrée à l'outre-mer.

Ce débat, on vous l'a dit, monsieur le secrétaire d'Etat, est très attendu dans nos pays respectifs. Et chacun nourrit l'espoir de voir ses problèmes évoqués : de l'agriculteur au chef d'entreprise, du pêcheur à l'artisan, du chômeur au mal-logé, sans oublier les militants culturels, les journaliers communaux et les fonctionnaires en sous-effectif dans leurs établissements ou leurs administrations.

C'est dire si l'attente est grande et combien nous n'avons pas le droit de décevoir, d'autant plus que, pour la première fois à la veille d'un débat important, tous les députés de la Réunion, unanimes, ont par-delà les clivages politiques exprimé leur accord sur les grandes orientations à mettre en oeuvre pour préparer l'avenir de la Réunion.

Personne n'exige tout, tout de suite, mais chacun attend une orientation qui place la Réunion sur une voie nouvelle, apportant un espoir aux victimes de la situation actuelle.

Ces victimes, monsieur le secrétaire d'Etat, sont essentiellement les chômeurs et les exclus dont le nombre ne cesse de croître.

Pout faire face à cette situation, je dis, et mes collègues députés de la Réunion l'ont dit également dans une déclaration qui a été rendue publique, qu'il est urgent de mettre en oeuvre un train de mesures économiques, sociales et culturelles sous la forme d'une loi-programme ou d'une loi d'orientation. Cela est d'autant plus opportun que seront bientôt discutés entre l'Etat, l'Union européenne, les conseils régionaux et généraux ainsi que les communes, le plan de développement III, les contrats de Plan et les contrats de ville. Des milliards seront engagés sur une période de quatre ou cinq ans, en fait des dizaines de milliards, si l'on tient compte de l'action propre de l'Etat, du conseil général, du conseil régional et des communes.

Avec autant de moyens financiers déversés, notamment à la Réunion, on comprend de moins en moins qu'on en soit arrivé à une telle situation de désespérance avec, chaque jour, son lot de manifestations sur les routes, dans les écoles, dans les mairies annexes, quand ce ne sont pas des actes individuels désespérés qui tournent au drame.

Le moment est venu, monsieur le secrétaire d'Etat, d'offrir des perspectives nouvelles. Ce que nous attendons du Gouvernement c'est qu'il ouvre, dès aujourd'hui, ce


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chantier pour l'élaboration de mesures nouvelles, globales et cohérentes qui devront être financièrement prises en compte dès le prochain budget.

Je souhaite que le projet de loi d'orientation auquel vous avez fait allusion ce matin aille dans ce sens en contractualisant dans la durée les contributions financières de l'Etat et de ses autres partenaires. Chaque département, chaque territoire, chaque collectivité territoriale devra être traité séparément pour tenir compte de la spécificité de chacun.

Pour ce qui est de la Réunion, il est évident, et Claude Hoarau l'a rappelé, qu'elle dispose d'un certain nombre d'atouts : des infrastructures portuaires et aéroportuaires performantes, un accès facile aux nouvelles technologies de pointe, une jeunesse diplômée et formée et, enfin, un positionnement à la fois européen et india-océanique favorable.

Sur ce dernier point, je crois pouvoir dire qu'il est primordial que soit reconnu le rôle de la Réunion comme trait d'union entre la France et l'Union européenne, d'une part, et les pays d'Afrique australe et du bassin india-océanique, d'autre part.

Le renforcement du concept de région ultrapériphérique et son traitement préférentiel par l'Union européenne constituent un axe essentiel pour le développement de la Réunion et pour son insertion dans son environnement naturel afin qu'elle prenne une part active dans la coopération régionale.

Tourner résolument la Réunion vers l'extérieur et lui donner les moyens de conquérir de nouveaux marchés est assurément un axe majeur d'une politique nouvelle qui conviendrait, d'une part, conforter des mesures pour la consolidation du système productif actuel et, d'autre part, s'ajouter à une économie alternative qu'il convient de promouvoir.

Pour que cette politique nouvelle prenne forme, il faut l'adhésion des citoyens et des citoyennes. Ceux-ci doivent avoir le sentiment que l'on s'oriente vers plus de justice et plus d'égalité et que les progrès sont profitables à tous et à toutes. On ne doit plus voir ni laissés-pour-compte ni exclus définitifs.

De même, cette nouvelle politique, sur le plan de l'aménagement du territoire, ne devra plus tolérer l'existence de régions défavorisées, comme c'est actuellement le cas avec l'est et le sud de la Réunion.

Pour toutes ces raisons, nous préconisons que le train de mesures économiques, sociales et culturelles qu'il convient de mettre en oeuvre soit accompagné d'une réforme administrative.

Pour que plus de Réunionnais et de Réunionnaises participent à des responsabilités, il faut créer de nouveaux cantons.

Pour rapprocher les élus des administrés, il faut créer de nouvelles communes. A la Réunion, et vous l'avez dit ce matin, monsieur le secrétaire d'Etat, les communes sont très étendues et les populations dispersées. Biene ntendu, le corollaire de la création de nouvelles communes, c'est le renforcement de l'intercommunalité.

Pour rapprocher les centres de décision des citoyens, il faut créer un nouveau département.

Toutes ces mesures visent à approfondir la décentralisation et à améliorer la démocratie locale. Avant même de nous placer dans la perspective d'une Réunion de un million d'habitants, chaque département ainsi créé compterait d'ores et déjà plus de 350 000 habitants. La création d'un deuxième département serait aussi une réponse pour un aménagement équilibré du territoire. Cette création viendrait renforcer des initiatives déjà prises, des initiatives importantes, comme la délocalisation du siège du territoire des terres Australes et Antarctiques françaises de Paris à Saint-Pierre de la Réunion, comme la délocalisation de l'université ou la construction d'un nouvel aéroport à Pierrefonds.

Enfin, cette réforme administrative pourra mettre un terme aux ambiguïtés nées de l'application de la loi de 1982 qui, dans les DOM, a entraîné la création de régions monodépartementales. Même si l'usage a en partie corrigé les dysfonctionnements produits par cette situation, il reste que des chevauchements de compétences entre le conseil général et le conseil régional n'ont pu être évités. En mettant fin à une région monodépartementale, cette nouvelle réforme libérerait pour chacune de ces instances ses compétences spécifiques. Au conseil général d'être plus présent dans la gestion du quotidien, et au conseil régional de se consacrer pleinement à ses prérogatives, qui sont de gérer le long terme, notamment en matière de coopération régionale et de relation avec l'Europe. Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques pistes de recherche sur les plans économique, social, culturel et administratif qu'il conviendrait d'explorer avec attention si l'on veut relever les défis auxquels la Réunion est confrontée.

Les débuts de siècle sont des dates symboliques donnant lieu quelquefois à des prévisions catastrophistes du monde ou à une vision idyllique de l'avenir. Nous voulons, quant à nous, être simplement réalistes.

Nous voulons offrir aux Réunionnais et aux Réunionnaises, qui sont dans l'attente de créations d'emplois ou d'activités, de meilleures conditions de logement ou de déplacements et d'un cadre de vie amélioré avec des perspectives nouvelles au travers d'une loi de développement durable et solidaire dans laquelle ils seraient plus responsables. Et si les symboles doivent avoir un sens, la date du 1er janvier 2000 paraît tout indiquée pour promulguer cette nouvelle loi et ériger à la Réunion le deuxième département qu'elle attend.

Pour la première fois, l'accord est général à la Réunion sur la nécessité d'une réponse spécifique aux graves problèmes que nous connaissons. Non seulement l'ensemble des forces politiques, c'est-à-dire les députés, le conseil régional, le conseil général, l'association des maires, les communautés de communes mais encore les chambres consulaires demandent une loi spécifique sur l'aménagement du territoire. Ni les uns ni les autres, et encore moins la population, ne comprendraient que, face à un tel consensus, le Gouvernement ne se décide pas à agir pour aller au fond des choses pendant qu'il en est encore temps.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Anicet Turinay.

M. Anicet Turinay.

Monsieur le secrétaire d'Etat, à l'instar du budget de l'année dernière, celui-ci privilégie les domaines sensibles de l'outre-mer : emploi, insertion, logement social. Son augmentation de 7 % annoncée par votre secrétariat d'Etat est en grande partie due à des transferts et des non-reconductions de certains crédits qui ont vite été récupérés pour alimenter les secteurs principaux de votre budget.

Pour ce qui est de l'emploi, nous constatons une très forte diminution des crédits pour les contrats d'accès à l'emploi et de la prime à la création d'emploi - le dispo-


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sitif issu de la loi Perben. C'est ainsi que 273,85 millions de francs sont transférés sur les CES, les contrats d'insertion par l'activité et les emplois-jeunes.

Le SMA, excellent outil d'insertion et de formation pour certains jeunes, subit la réforme du service national et voit donc ses effectifs en personnels civils diminuer et stagner pour ce qui est des militaires, alors que ses crédits d'équipement administratif augmentent. S'agissant d'un domaine qui dispose, en plus des crédits d'Etat, d'une aide communautaire par le biais du Fonds social européen - 67 milliards de francs prévus pour 1999 -, il conviendrait de revoir à la hausse la création de postes de volontaires dont vous avez fixé le nombre à cinq cents, ce matin. Mais cette proposition a été jugée timide par mon collègue Elie Hoarau.

En ce qui concerne le logement, le renforcement des crédits de paiement relatifs à l'aide au logement et à la résorption de l'habitat insalubre nous permettra de poursuivre les actions importantes à mener pour le logement social : 19 000 logements pour les quatre DOM en 1999.

Toutefois, c'est un secteur qui ne sert pas toujours nos entreprises du BTP, car le faible coût des marchés du logement social ne leur permet pas de maintenir leur activité, voire d'en vivre.

La ligne budgétaire unique, si elle augmente, monsieur le secrétaire d'Etat, devrait également contribuer à aider le logement intermédiaire quasiment inexistant dans mon département, afin de satisfaire les personnes au revenu moyen qui ne peuvent prétendre ni au logement en HLM, ni au crédit immobilier, car les taux bancaires sont trop élevés. Il faut donc améliorer le financement du logement social. Où en est le décret sur les 50 pas géométriques ? Plus de 30 000 personnes dans les départements d'outre-mer attendent sa publication pour améliorer leur logement.

Je voudrais également appeler votre attention sur un autre problème à propos duquel j'ai alerté le ministre de l'économie et des finances. Il s'agit de la décision prise par le directeur des services fiscaux de la Martinique de ne plus appliquer les dispositions de l'article no 1384 A du code général des impôts. Celui-ci, je le rappelle, exonère de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant dix ans les constructions neuves affectées à l'habitation principale et financées à concurrence de plus de 50 % au moyen de prêts aidés par l'Etat. Le motif invoqué est que la législation régissant les prêts aidés par l'Etat n'est pas en vigueur dans les DOM, alors que cela fait plus de vingt ans que ce dispositif est appliqué à la Martinique.

Une telle mesure va pénaliser 1 642 familles modestes qui ont investi pour devenir propriétaires et qui croient désormais en l'égalité fiscale. Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous interveniez auprès de votre homologue de l'économie et des finances pour rétablir cette exonération.

En ce qui concerne la création du fonds régional d'aménagement foncier et de l'urbanisme, le FRAFU, dont j'avais moi-même demandé l'application à la Martinique à votre prédécesseur, je souhaite savoir quand aura lieu sa mise en place. De nombreuses communes, en effet, comptent sur cette disposition afin de démarrer des opérations actuellement en attente.

Les subventions au fonds d'investissement des DOM continuent leur chute vertigineuse. Elles sont en diminution par rapport à 1998, tant au niveau des crédits de paiement que des autorisations de programme. Pour ces dernières, j'ai constaté que, dans le cadre des opérations relevant de l'action directe de l'Etat, les crédits pour l'aménagement du territoire n'y figuraient plus. Je souhaiterais, par ailleurs, connaître la répartition par département des 198,75 millions de francs de crédits en diminution de 20 millions par rapport à 1998.

Cette année, le Gouvernement a compris qu'il ne fallait pas poursuivre le démantèlement de la loi sur la défiscalisation, dispositif qui contribue au développement économique des DOM. Toutefois, ne crions pas victoire trop vite. Le rapporteur général de la loi de finances a annoncé, en effet, qu'il présenterait des amendements relatifs à la défiscalisation, lors de l'examen de la deuxième partie du budget. J'en appelle donc à votre vigilance, monsieur le secrétaire d'Etat. En Martinique, la loi Pons n'est pas génératrice de paradis fiscaux. D'ailleurs, lors de sa mission, M. Migaud a pu apprécier le nombre d'emplois induits.

Le développement économique, c'est également la protection et le renforcement de l'aide à notre secteur agricole. Je ne reviendrai pas sur mes recommandations portant sur la loi d'orientation agricole. Mais je vous rappelle qu'il est impératif de garantir, sur le marché européen essentiellement, l'écoulement de nos principales ressources d'exportation que sont la banane et le rhum et ce dans le cadre des échéances européennes de révision de la politique agricole commune et des attaques constantes que lance l'organisation mondiale du commerce contre la banane.

Il convient d'être vigilant sur l'octroi de mer pour tenir compte de nos handicaps structurels. Il faut encourager et renforcer la production locale qui n'est pas suffisamment compétitive par rapport aux importations, en raison des coûts de production trop élevés.

Autre domaine de développement de nos départements, le tourisme. Ce secteur d'activité, dont les potentialités n'ont pas été totalement exploitées jusqu'à prés ent, nécessite une formation spécifique à l'outre-mer et mérite plus de moyens. Ainsi, depuis que je suis arrivé à l 'Assemblée, j'insiste sur l'apprentissage des langues.

Notre environnement anglophone et hispanophone justifie que, dès le cours préparatoire, les écoliers apprennent une langue étrangère.

Par ailleurs, je vous alerte, une fois de plus, sur les difficultés que rencontrent les communes pour financer les réparations et les constructions d'écoles primaires et maternelles. Dans le cadre de l'élaboration des contrats de plan qui ont commencé, je propose que soit inscrite une mesure d'urgence de financement à cet effet.

En outre, une année après le lancement par le Gouvernement du plan Informatique pour tous, le matériel était d evenu obsolète. Les communes sont aujourd'hui condamnées à assumer sans aide aucune cette lourde responsabilité. Je vous demande donc l'ouverture d'une ligne de crédit à cet effet.

Bien sûr, je ne peux qu'émettre des propositions sur les différentes questions évoquées, car au moment où nous discutons de ce budget, il est trop tard pour apporter des modifications. Nous ne pouvons que formuler le souhait qu'il soit mieux élaboré l'année suivante pour prendre en compte nos réalités de façon plus exacte. Je suis, pour ma part, persuadé que les obstacles et les freins à notre développement peuvent être levés si vous avez la volonté d'aller plus loin : je pense notamment à la loi de programme, à la loi de défiscalisation, à la loi de juillet 1994, dite loi Perben.

Dans votre budget, monsieur le secrétaire d'Etat, il subsiste un certain nombre de faiblesses qui pénalisent l'outre-mer.


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Après la départementalisation juridique, après la parité sociale globale, après l'égalité sociale, il est grand temps de dissiper l'inquiétude qui, jour après jour, gagne nos populations. Si l'outre-mer est pour vous une priorité, montrez-le par un signal fort en élaborant avec nous un véritable plan de développement économique. C'est le grand débat que nous souhaitons sur les DOM.

Nous revendiquons le droit d'être traités avec dignité, car, comme cela a été dit ce matin, nous n'arrivons pas les mains vides. Vous avez cité vous-même les apports positifs de l'outre-mer à la France, monsieur le secrétaire d'Etat. L'outre-mer contribue, faut-il le rappeler ? au développement de la France, sur le plan culturel, sportif, sur la qualité des soins dispensés en milieu hospitalier par les domiens. La France est puissante, fière, riche et forte grâce à l'immense espace marin que lui procure l'outremer. Ne pas prendre en compte les revendications de l'outre-mer, c'est renoncer à la grandeur de la France dans le monde.

Pour la discussion budgétaire de cette année, on a retenu le principe d'un temps de parole plus long qui s'élargisse à un débat sur l'outre-mer. Je ne considère pas que cela constitue le grand débat que nous avions souhaité, mais vous avez dissipé nos craintes en nous proposant, prochainement, une loi d'orientation. Nous souhaitons être associés à sa préparation.

Depuis la révision de la Constitution pour l'adapter aux accords de Nouméa, vous avez sûrement eu écho de certains propos - peut-être même avez-vous fait l'objet de sollicitations - sur une question qui hante certains élus des Antilles françaises : l'avenir institutionnel des DOM.

Je sais que, pour la Martinique, toutes sortes de propositions affluent - indépendance, autonomie, assemblée unique... Or, l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, territoire d'outre-mer, n'a rien de commun avec celle de la Martinique.

Faut-il changer le statut de la Martinique pour permettre son développement ? Cela ne me paraît pas évident. Le cadre institutionnel actuel n'est pas un obstacle majeur. Les avantages inhérents au statut départemental, tant sur le plan politique et social que financier, me semblent constituer le meilleur cadre possible pour la Martinique. Des améliorations et des aménagements administratifs sont possibles, nous disposons des outils pour cela : l'article 73 de la Constitution aussi bien que le traité d'Amsterdam.

De quoi ont donc besoin la Martinique et les Martiniquais, notamment les jeunes, qui sont l'avenir de notre département ? D'un emploi, d'un logement, d'une qualité de vie. Mais cette trilogie ne s'acquiert pas uniquement par des subventions, des aides ponctuelles de l'Etat. Il faut compter aussi sur notre développement économique qui passe par la relance de l'investissement public, l'incitation à l'investissement privé, le soutien à la production agricole et la pêche, le développement du tourisme, la coopération régionale que certaines de nos entreprises pratiquent déjà. Il faut encore compenser les surcoûts liés à l'insularité et à l'éloignement, et développer de nouveaux moyens de financement des entreprises, en abaissant leurs charges. Or rien de cela ne pourra se réaliser sans stabilité institutionnelle.

Nous disposons aujourd'hui d'un régime institutionnel qui mérite d'être renforcé : il faut plus de déconcentration des services de l'Etat pour en améliorer l'efficacité et clarifier les compétences des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation.

De toute façon, si changement de statut il devait y avoir, il ne pourrait être demandé ni par les parlementaires, ni par l'assemblée départementale, ni même par le président de la région qui ne sont pas mandatés par le peuple à cet effet. Ce dernier a compris depuis fort longtemps que notre appartenance à la France et, a fortiori, à l'Europe, est notre atout principal dans un contexte où de nombreux pays s'associent pour faire face à la mondialisation. Pour en être convaincu, vous pouvez légiférer et consulter nos populations.

Monsieur le secrétaire d'Etat, en ce moment tout l'outre-mer nous écoute, toute la Martinique m'écoute.

Alors, en dépit de quelques clameurs qui touchent l'opinion publique métropolitaine en véhiculant une image qui n'est pas la bonne, mettez tout en oeuvre pour ces populations qui refusent de céder à la fatalité, au repli sur soi et rejettent les bouleversements aventureux, car elles préfèrent la grande espérance dans la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Camille Darsières.

M. Camille Darsières.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui est fort suivi à la Martinique où, lundi dernier, une manifestation de rue a, pour la première fois, réuni avocats, marins-pêcheurs, médecins, petits agriculteurs, pharmaciens, transporteurs, chirurgiens-dentistes, petits commerçants, artisans, bref, cette foule de travailleurs indépendants qui maintiennent en survie le pays martiniquais. Ils réclament des mesures d'urgence qui allègent leurs charges sociales et professionnelles, assurent leur désendettement, arrêtent des poursuites judiciaires humiliantes et grosses de faillites.

Par des mesures exceptionnelles, le Gouvernement d evrait répondre à cette exceptionnelle protestation, confortée par une publication récente de la chambre de commerce dénonçant un chômage qui vient de passer de 27 à 29 %. Dans un tel contexte, notre débat n'en prend que plus d'intérêt.

Certes, la volonté d'impulser le développement s'exprime d'abord à travers un budget, mais c'est moins évident pour l'outre-mer dont les crédits sont disséminés entre divers ministères techniques. Si, néanmoins, le budget qui nous est soumis constitue une indication sur les intentions du Gouvernement, alors l'effort en direction des DOM est incontestable.

Mais, d'expérience, nous savons que beaucoup d'inscriptions budgétaires sont sur le terrain réduites à néant par les fonctionnaires en charge de les mettre en oeuvre.

Tout est suspendu à leur autorité. Et tout se gâte. J'en donnerai deux illustrations.

Des milliards sont votés pour le logement ; leur utilisation est maîtrisée par la DDE. Alors, bien sûr, les rapports des agents de l'Etat assurent que les crédits ont permis d'améliorer, de manière conséquente, les conditions de vie des mal ou pas logés. C'est vrai. A une importante réserve près, que révèle la dernière étude de l'INSEE : le parc compterait 146 907 logements, très bien ; mais, sur un territoire qui connaît le télex et le fax, le téléphone et la communication par satellite, 79 785 logements ne sont pas reliés aux égouts, 5 058 n'ont ni douche ni w.-c., 2 458 n'ont pas l'eau, 4 990 n'ont pas l'électricité ! Et les milliers de familles concernées ne se plaignent ni au préfet, ni à la DDE, mais aux élus, lesquels, pour agir, doivent passer sous les fourches caudines de fonctionnaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

Il m'a déjà été donné - encore quelques rapides exemples - de dénoncer, ici, l'obstruction faite par la DDE à un projet de la municipalité du Marin de construire 300 logements, prétextant qu'il serait inadéquat ; là, le blocage du dossier de 66 logements présenté par le maire de la petite commune de Bellefontaine, la DDE réclamant une étude globale d'implantation sur le site ! Aussi, lorsque nous nous félicitons de voter des masses budgétaires importantes, espérant qu'elles ouvriront des chantiers, créeront des emplois, amélioreront la qualité de vie de nos compatriotes, la dévolution de ces masses à l'administration érige de fait celle-ci en juge de l'opportunité des initiatives prises par des élus soucieux de répondre aux besoins de leurs administrés.

De la même façon, des millions sont votés pour la coopération régionale. La Martinique, qui pense que son salut se joue, pour beaucoup, dans sa capacité à s'insérer dans son environnement caribéen, estime qu'un partenariat économique volontariste avec ses voisins serait pour elle une chance de marchés nouveaux, tant pour la production de ses travailleurs que pour la technologie de ses cadres. Il garantirait notamment un débouché pour sa jeunesse, dont les 7 355 bacheliers qui sortent par an de ses lycées et qui formeront, dans les dix ans à venir, plus de 75 000 cadres en quête d'emploi.

Les élus de la région Martinique, voilà huit ans, lors d'une rencontre en Guyane avec de hauts responsables du Gouvernement, avaient plaidé pour ce partenariat caribéen. Les présidents des chambres de commerce de Fortde-France, de Pointe-à-Pitre, de Cayenne, avaient réclamé le 5 avril 1990 la création d'une structure associant élus, a cteurs économiques et Etat en vue d'un marché commun de la Caraïbe et des pays de la côte ouest des Amériques.

Et voilà qu'une chance s'offrait à nous : la création à Carthagène, en juillet 1994, de l'AEC, l'Association des

Etats de la Caraïbe, comprenant vingt-cinq Etats, dont treize de l'archipel et douze du continent américain. Un accord du 24 mai 1996 y associa la France, pour le compte de nos trois départements français d'Amérique.

C'eût été une belle occasion d'utiliser à des actions concrètes partie des crédits de coopération. Hélas ! le Gouvernement Juppé crut bon de ne pas faire des régions françaises de la zone les associées directes de l'AEC, comme fit le royaume des Pays-Bas pour ses trois territoires caribéens. Ce n'est pas l'exécutif de chacune de nos régions qui dialogue avec l'AEC, à l'exemple d'Aruba, de Bonnaire ou de Curaçao, mais le préfet de Guadeloupe, que le décret du 23 mai 1996 a désigné seul partenaire de l'Association des Etats de la Caraïbe.

Les élus des départements français d'Amérique, de ce fait, restent totalement en marge des actions de l'association qui pourtant traite de domaines aussi importants que les relations économiques, la protection de l'environnement, la conservation des produits de la mer, les ressources naturelles, l'échange en matière de technologie, de santé, d'éducation, de culture, tous domaines susceptibles d'ouvrir des perspectives à nos jeunes diplômés et de créer des activités économiques concertées nouvelles, profitables à nos producteurs.

L'inscription au titre de la coopération régionale, que nous approuvons en soi, n'a de fait aucune chance de créer une dynamique de développement, en ce qu'elle reste sous la tutelle d'un haut fonctionnaire, dont il faut comprendre, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est perçu par nos voisins, dans le contexte historique que l'on sait, comme le parfait représentant d'une puissance coloniale.

La rencontre des responsables élus des affaires intérieures de toutes les îles de la Caraïbe ne se fait donc pas, qui par exemple eût permis de prévenir les heurts fréquemment enregistrés entre marins-pêcheurs, les autres, les nôtres, tous travailleurs de la mer qui ne demandent pourtant qu'à se reconnaître et à fraterniser.

Avec plus d'assurance encore qu'à cette même tribune en 1996, je répète donc que seul un pouvoir local peut donner impulsion à nos territoires.

Un pouvoir local...

Il ne s'agit pas d'envisager un approfondissement de la décentralisation ; on sait bien que les énarques la polluent toujours d'une déconcentration rampante et tentaculaire.

M. Albert Facon.

C'est vrai !

M. Camille Darsières.

Leur bulbe rachidien a en aversion les moindres libertés locales et véhicule des senteurs de pacte colonial. (Sourires.)

Il ne s'agit pas davantage de postuler pour une indépendance qui d'un trait ferait fi des acquis arrachés au fil des décennies par les travailleurs martiniquais sous les feux de la répression, en lutte pour un pouvoir d'achat décent, des congés payés, une retraite, une protection contre la maladie et les accidents du travail, pour une meilleure protection de la grossesse, pour une saine maternité, pour une politique de soins qui élimine les mouroirs de nos vieux hospices. Ces résultats positifs ont été décrochés au bout de trop de souffrances, pour arriver au gâchis qui consisterait à en supprimer les effets par ailleurs émancipateurs et progressistes.

Il apparaît plutôt que la thèse, la décentralisationdéconcentration, et l'antithèse, l'indépendance, doivent être transcendées par la synthèse. Qu'en l'occurrence, la synthèse, peut-être est-ce l'autonomie qui, pour reprendre l'objective définition de la doctrine, du moins celle enseignée, « ne touche pas à l'unité politique de l'Etat, ni à sa consistance territoriale. Le territoire d'outre-mer - autonome - continue d'en faire partie ; il reste soumis au même gouvernement central que la métropole. Mais, en ce qui concerne la gestion de ses affaires intérieures, un pouvoir propre d'administration est reconnu aux autorités locales qui émanent de sa population et qui expriment les tendances propres de celle-ci ».

De fait, le soutien à la production agricole, artisanale, artistique, les mesures parafiscales ou fiscales spécifiques, le contrôle du coût des transports - et singulièrement, afin d'en extirper les tarifs préférentiels, la transparence du contrat de fret conclu pour nos produits d'exportation -, la négociation avec l'Etat de ressources à la mesure des efforts indispensables à notre rattrapage économique, les rapports avec la communauté antillaise contrainte de vivre en métropole, la coopération régionale, la négociation avec l'Union européenne d'un droit à dérogations, le droit d'être associé aux accords passés par l'Europe avec les îles de la Caraïbe, et je songe aux accords de Lomé, autant d'affaires intérieures à un territoire autonome, qui demandent à être réglées par ses responsables propres, à l'exclusion de tous autres.

Ces considérations poussent à observer que le budget de l'outre-mer requiert un volet d'éducation nationale qui lui soit particulier.

Le développement d'une Martinique située au carrefour de civilisations nécessite que les membres de la c ommunauté martiniquaise prennent justement conscience de cette communauté. Car cette consicence-là, qui n'est autre que la conscience identitaire, incitera le Martiniquais à mieux se mobiliser et se battre pour un pays qu'il aura fierté de servir et de promouvoir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

D'où l'importance de nos moyens institutionnels et financiers qui garantissent aux élus locaux la possibilité d'intervenir dans les programmes pédagogiques des établissements scolaires et universitaires, pour entretenir chez le jeune Martiniquais la certitude que, citoyen d'un ensemble avec lequel il entend vivre, il sera en mesure de défendre la singularité de ses origines et de sa culture.

A vrai dire, depuis cinquante-deux ans, les DOM ont été frustrés de la vraie revendication du 19 mars 1946. Je reprends littéralement ce que disait le rapporteur du projet de loi de départementalisation : « L'assimilation qui vous est aujourd'hui proposée, loin d'être une assimilation contre nature, est une assimilation souple, intelligente et réaliste... » Et Césaire ne biaisait pas, quand il

citait Boissy d'Anglas : « Les colonies seront soumises aux mêmes formes d'administration que la France. Il ne peut y avoir qu'une bonne manière d'administrer, et si nous l'avons trouvée pour les contrées européennes, pourquoi celles d'Amérique en seraient-elles déshéritées ? » Si le député citait ainsi, c'était pour que l'auteur du Cahier d'un retour combatte mieux la thèse d'une simple assimilation qui ne serait que leurre : « Il est clair que notre époque, fertile, à juste titre, de sociologie et d'ethnographie, ne saurait souscrire entièrement à de telles paroles » - en l'occurrence celles de Boissy-d'Anglas, que je viens de rappeler.

Césaire poursuivait : « L'assimilation qui vous est proposée, pour s'inspirer du même idéal de justice que la politique coloniale de la Convention, s'en écarte par le souci qu'elle manifeste de tenir compte des contingences spéciales liées à la situation des vieilles colonies du continent américain et de l'océan Indien. »

La conclusion ne laissait aucun doute sur la revendication de prérogatives locales spécifiques. Je cite encore :

« Les propositions qui vous sont présentées n'empêchent pas de laisser aux conseils généraux de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Guyane certains pouvoirs qui leur seraient propres. »

Mis aux voix, le rapport fut adopté à l'unanimité.

Trente-sept années durant, aucune suite ne fut donnée à la promesse implicite d'un surcroît de pouvoirs aux conseils généraux d'outre-mer. La décentralisation socialiste de 1983 a certes été un ballon d'oxygène. Les extrêmes, en mal de perspectives, l'ont d'abord décriées pour ensuite s'y vautrer à plaisir. Mais si des prérogatives ont alors été conférées aux élus locaux en général, le s élus de l'outre-mer ne s'en sont pas vu conférer de spécifiques.

Le débat aujourd'hui ouvert est preuve par neuf que la fuite en avant est vaine stratégie. Qu'à la fin, l'Histoire rattrape toujours les fuyards.

Alors, que faire ? Pour commencer, monsieur le secrétaire d'Etat, résister aux sirènes du cartiérisme qui, me dit-on, persiflent, jusque dans les couloirs des ministères, qu'il urgerait de renoncer à ce poids lourd que serait l'outre-mer. Tant il est vrai que les persifleurs ne sont pas les payeurs...

Privée de ses DOM et de ses TOM, la France courrait fort le risque de n'être plus qu'une puissance étriquée.

C'est bien grâce à eux qu'elle est puissance stratégique, présente aux quatre coins du monde ; puissance spatiale, grâce à Kourou ; puissance nucléaire grâce au Sahara, puis à Mururoa ; puissance maritime, parce que, seule, elle se rétrécirait à 260 290 kilomètres carrés de zone économique maritime alors qu'avec ses quatre DOM elle atteint 873 690 kilomètres carrés et, avec ses TOM, 10 736 340 kilomètres carrés.

M. Henry Jean-Baptiste.

Quelle précision !

M. Camille Darsières.

Puissance culturelle enfin, par le métissage des cultures des peuples divers qui la forment.

Que faire donc, une fois répudiés les nostalgiques de l'Empire ? Ne pas décider d'en haut. Considérer que le débat de ce jour, débat sur nos institutions, mais dans la perspective du développement de nos pays et du progrès de nos peuples, n'est qu'un début. Ouvrir le dialogue ensuite avec chacun des départements d'outre-mer, car leurs destinées ne sont pas nécessairement identiques. L'ouvrir en déclenchant dans chacun des territoires un bouillonnement démocratique des idées, en interrogeant chacune des assemblées locales, conseil économique et social, conseil général, conseil régional, qui auront à coeur de consulter toutes les forces vives du pays. La circulation et l'affrontement à froid des idées aideront ces assemblées à organiser un débat public en profondeur, clôturé par le vote de motions, base d'une consultation référendaire.

Rien d'octroyé, rien d'imposé : aux peuples de choisir, librement. Qu'aucun juridisme surtout ne vienne entraver leur choix. Laissons s'affronter entre eux les docteurs de la loi. Le droit est matière vivante, c'est lui qui doit se mettre au pas d'un peuple déterminé, non le contraire ; la Nouvelle-Calédonie en est un témoignage.

Monsieur le secrétaire d'Etat, il est des moments où l'on sent souffler le vent de l'histoire. Mai 1848 en fut un, qui porta la liberté aux nègres. Mars 1946 un autre, qui porta l'égalité. Voici venu le temps de l'identité et de la responsabilité, en tout cas, de l'identité et de la responsabilité martiniquaises. Le gouvernement de la gauche plurielle se doit d'y associer son nom, et vous le vôtre.

Lequel mieux que lui peut comprendre que c'est lorsque l'on est soi-même que l'on peut sincèrement cheminer avec les autres ? A Morvan Lebesque, incomparable éditorialiste, de surcroît breton, un jour interrogé : « Comment peut-on être breton ? », j'emprunte en substance sa réponse et, face à la voix qui interpelle : « Comment peut-on être martiniquais ? » rétorque : « Le monde n'a de sens que dans le respect des pluralismes. Je serai mieux Français et mieux citoyen du monde lorsque le monde et la France m'auront reconnu Martiniquais ». (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Buillard.

M. Michel Buillard.

Monsieur le secrétaire d'Etat, lors de la présentation de votre budget, vous avez déclaré que l'augmentation du budget de l'outre-mer était le signe de l'intérêt particulier porté par le Gouvernement aux territoires et départements d'outre-mer et qu'il reprenait les priorités de la loi de finances, à savoir l'emploi, l'insertion et le logement social. Or, si le budget de l'outre-mer augmente globalement, force est de constater que la part du budget consacrée aux territoires d'outre-mer n'augmente pas dans les mêmes proportions. Ainsi, le fonds d'intervention pour le développement économique et social est en diminution de 3 % par rapport au projet de budget pour 1998. Or le FIDES est un fonds crucial pour les territoires d'outre-mer, puisqu'il est destiné à l'investissement et de ce fait participe au développement de nos économies et à la création de nouveaux emplois.

J'ai bien noté votre engagement et la volonté du Gouvernement de maintenir en l'état dans la loi de finances le dispositif d'aide fiscale en faveur de l'investissement outre-mer. C'est donc la reconnaissance du bien-fondé de ce dispositif pour le développement de nos économies


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ultramarines et la poursuite d'une démarche saine visant à privilégier l'investissement et le développement économique autonome.

Je déplore cependant que la direction générale des impôts semble ne pas suivre cette voie puisque les demandes d'agréments sont systématiquement refusées.

De même, je m'interroge sur les intentions du rapporteur du projet de loi de finances qui souhaite, semble-t-il, présenter des amendements à la loi de défiscalisation.

Je constate également une stagnation des crédis destinés aux actions d'insertion et action sociale dans les TOM et une baisse de la dotation réservée aux activités sportives, culturelles et de jeunesse diminuent fortement.

Vous savez comme moi, monsieur le secrétaire d'Etat, combien il est primordial d'encourager et de soutenir notre jeunesse pour qu'elle prenne pleinement conscience de son rôle et de sa responsabilité dans la société.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez, par ailleurs, que la réforme des communes de Polynésie est actuellement engagée.

Or, la prise en charge par l'Etat d'une quote-part du fonds intercommunal de péréquation pour les communes de Polynésie, telle que précisée par la loi d'orientation de 1994, s'achève cette année. De nouvelles mesures concernant cette prise en charge sont prévues dans les projets de loi sur la réforme des communes de Polynésie française qui sont en attente au Sénat.

Dans l'attente de cette réforme, quelles mesures transitoires comptez-vous mettre en oeuvre afin de proroger la dotation au FIP des communes de Polynésie.

J'espère vivement que ces projets de loi seront bientôt examinés et je vous demande de faire le maximum pour leur inscription rapide à l'ordre du jour du Sénat.

Il est en effet plus que temps de donner à nos communes les moyens de leur future autonomie, afin qu'elles participent pleinement au développement économique et social de notre territoire.

Je me réjouis à cet égard de la clarification des compétences des communes prévue par les projets de loi. Je note également l'engagement de l'Etat à pérenniser sa participation au fonds intercommunal de péréquation, tout en regrettant le gel de cette participation au niveau de 1993, d'autant que la mise en place d'un statut du personnel communal viendra nécessairement alourdir les charges incombant à nos communes.

Enfin, je reste particulièrement sceptique quant à l'introduction du scrutin proportionnel pour toutes les communes de Polynésie, y compris les communes associées. C'est une tradition en Polynésie, et dans ma commune de Papeete notamment, que les majorités municipales soient généralement constituées de coalitions politiques permettant à un large éventail d'opinions d'être représentées et de s'exprimer au sein des conseils. Aussi, même si je suis favorable à l'introduction d'une dose de proportionnalité dans le système électoral, je suis opposé à son application aux communes associées, comme la quasi-unanimité des maires.

Nous considérons cette réforme comme porteuse d'un risque de paralysie des communes associées, en particulier dans le cas où la combinaison des représentations géographiques et de la place faite à l'opposition rendrait leurs conseils ingouvernables.

A cet égard, je laisserai le mot de la fin à M. René Rémond qui, au lendemain des élections régionales et cantonales, déclarait : « Le maintien de la proportionnelle, en empêchant une majorité de se dessiner, érige en arbitre les minorités extrêmes et entraîne des alliances et des tractations. »

Enfin, je tiens à vous dire combien j'apprécie l'opportunité qui nous est donnée de pouvoir réfléchir ensemble à l'évolution institutionnelle de nos territoires et départements d'outre-mer.

Le statut d'autonomie dont bénéficie la Polynésie française depuis 1984 nous a permis d'assurer notre développement économique et social. En dépit des profonds changements induits par l'installation puis la fermeture du centre d'expérimentations du Pacifique, nous avons réussi à mobiliser nos énergies et à exploiter nos ressources propres. C'est ainsi que nous pouvons nous réjouir de la bonne santé de notre économie qui bénéficie d'une forte croissance : notre PIB a augmenté de 5,5 % et les salariés ont vu leur nombre croître de façon significative, de 3,6 % en 1997. Au total, près de 2 000 emplois ont été créés dans l'année, ce qui nous permet d'amorcer la décroissance de notre chômage, que nous contenons aux alentours de 13 %.

Pour conduire son développement économique et social, tout en demeurant, je le souligne, parfaitement intégrée dans la nation française, la Polynésie souhaite assumer ses responsabilités dans un cadre rénové qui dépasse les possibilités offertes aux collectivités territoriales par le titre XII de la Constitution. Il ne s'agit donc pas pour nous de « réclamer » plus de compétences

« d'autonomie », mais de conforter et garantir cette autonomie en constitutionnalisant quelques avancées : la valeur législative pour les délibérations de l'Assemblée de la Polynésie ; la création d'une citoyenneté polynésienne ; enfin, la possibilité de conclure des accords internationaux dans certains domaines.

Pourquoi demandons-nous la possibilité de prendre des

« lois de pays » ? D'abord, parce qu'aujourd'hui les délibérations des assemblées territoriales gardent un caractère réglementaire, même quand elles interviennent dans le domaine de la loi. Or les actes de nos assemblées territoriales, dans les domaines de compétence du territoire, doivent pouvoir disposer des mêmes facultés d'aménagement des normes supérieures que le juge constitutionnel accorde à la loi.

Cela ne signifie pas pour autant l'immunité juridictionnelle. D'abord, parce que nos lois de pays seront, comme les lois votées par le Parlement, susceptibles d'être déférées au Conseil constitutionnel. Ensuite, parce que la juridiction administrative sera toujours chargée de contrôler les actes d'application de ces lois de pays.

La création d'une citoyenneté polynésienne nous permettra avant tout de protéger certains emplois locaux et de réguler l'accès à la propriété foncière. Je tiens cepe ndant à confirmer ici devant vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il ne s'agit en aucun cas d'interdire tout apport extérieur.

N ous souhaitons simplement favoriser l'accès à l'emploi des personnes durablement installées sur notre territoire, et Mme Bello l'a bien expliqué tout à l'heure, et notamment des citoyens de Polynésie française, et de pouvoir proportionner le flux aux besoins, en fonction de la situation de notre marché du travail.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous le savons tous, les Polynésiens ne sont pas favorables à l'indépendance.

Par ses votes aux élections territoriales de 1996 et 1998, législatives de 1997 et sénatoriales en septembre


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dernier, le peuple polynésien a montré qu'il souhaitait suivre la voie de l'autonomie prônée par notre président,

M. Gaston Flosse.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez compris cela puisque vous vous êtes engagé à donner à la Polynésie la possibilité de profiter de la réforme engagée pour la Nouvelle-Calédonie, même si notre démarche est antérieure et différente.

Le Président de la République et le Premier ministre sont également partisans de cette évolution qui, en donnant l'autonomie nécessaire à notre peuple, garantira la paix pour notre territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme Christiane Taubira-Delannon.

Mme Christiane Taubira-Delannon.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à cette heure, tout le monde est épuisé et j'entends bien votre appel muet mais traumatisant, pour moi à être aussi brève que possible. (Sourires.)

Pourquoi d'ailleurs me suis-je inscrite pour quinze minutes, puisque comme tout le monde les a prises, j'aurais dû me contenter de cinq minutes pour avoir le plaisir de savourer un dépassement de parole et me faire rappeler à l'ordre ! L'indiscipline est toujours si sympathique ! (Sourires.)

En tout cas, vous aurez appris dans votre corps - si ce n'est pas déjà le cas, vous aurez mal au dos ce weekend ! - que nous avons hérité de nos origines africaines un goût voluptueux pour la parole.

Tout ce qu'on a entendu aujourd'hui prouve, et de façon lumineuse, que l'outre-mer est un abus de langage, un raccourci géopolitique, une fiction économique. La dispersion géographique, la diversité des régimes institutionnels, la complexité des réalités sociologiques, la disparité des rapports régionaux et les particularismes des aspirations et des revendications qui s'y expriment en témoignent. Quant à l'immuabilité des rapports avec la France, les aménagements législatifs et réglementaires intervenus dans l'Histoire prouvent que, lorsque l'intérêt de l'Etat, monarchique, impérial ou républicain, le justifie, les pouvoirs publics savent composer avec leur culture jacobine.

Par exemple, la charte de l'exclusive coloniale, issue de l'Edit de Fontainebleau de 1727, et qui renforçait le principe d'interdit industriel énoncé par Colbert - selon lequel pas un clou ne devait sortir des colonies -, cette charte, disais-je, a été assouplie en 1763 pour permettre aux colonies d'exporter vers les pays étrangers du tafia, lequel était interdit d'importation en France car il concurrençait les eaux-de-vie du royaume.

De même, en 1866, c'est le Second Empire qui confirme une disposition prise sous la Restauration, en 1814, selon laquelle les colonies doivent satisfaire à leurs dépenses. Et c'est sur cette base que fut créé l'octroi de mer et que diverses dépenses furent imputées au budget de la colonie, dont les salaires des milices, chargés, avant l'abolition de l'esclavage, de la capture des « marrons ».

Beaucoup plus récemment, et heureusement dans un autre esprit, lors de la décentralisation - qui, incontestablement, fut une excellente, une très grande réforme -, l'Etat a généreusement cédé un certain nombre de compétences, en général sur des dépenses lourdes, omettant parfois de transférer les moyens correspondants.

Evidemment, je situe dans un tout autre état d'esprit les dispositions législatives récemment adoptées concernant la Nouvelle-Calédonie, car elles relèvent du respect de la lutte conduite sur le terrain, du rapport de forces qui en est résulté, en même temps qu'elles témoignent, incontestablement, de la capacité du Gouvernement à entendre à temps les injonctions de l'Histoire.

Monsieur le secrétaire d'Etat, l'année dernière, à l'occasion du débat budgétaire, je vous disais que le temps était venu d'ouvrir le dialogue, sans aucun tabou, parce que la demande était déjà forte, dans la société guyanaise, - demande diverse, voire disparate, désordonnée, peutêtre même chaotique -, et même si, aujourd'hui encore, des divergences semblent inconciliables.

Cette demande existait, existe encore. Elle correspond à une espérance, elle exprime à la fois une angoisse et une confiance. Elle ne saurait se contenter ni du silence ni de quelques subtilités dilatoires. Elle a besoin de repères précis. Elle a besoin d'un calendrier : vous nous avez parlé d'une loi d'orientation à l'automne prochain ; il faudra très probablement envisager des étapes intermédiaires. Il serait bon que nous puissions en convenir ensemble.

En tout cas, aujourd'hui, nous sommes réunis pour examiner 12 % des interventions de l'Etat dans l'économie, l'activité et l'administration de nos sociétés. Sans doute parce que, pour les 88 % que je devrais qualifier de restants, notre opinion n'a pas grande importance.

Nous sommes invités à constater qu'une fois de plus les transferts publics augmentent - de 7 % cette année -, que la solidarité nationale est constante et magnanime et à nous affliger sur les déficits de notre balance des paiements et de notre balance commerciale. En revanche personne ne s'aventure dans une comparaison à la fois audacieuse et humiliante avec les autres régions françaises.

Quant aux avantages tirés de l'exploitation de l'outremer par la France et par l'Europe, à savoir le maintien de l'emploi dans les entreprises fournisseurs de produits et de services, les marchés publics offerts aux entreprises françaises et européennes, et les avantages géopolitiques liés à notre situation, dans trois océans et sur trois continents, on les évoque de temps en temps, sans doute, mais on ne s'aventure pas à les mesurer. Ce serait très probablement subversif.

En attendant, nous conservons - cela se voit sur nos visages, sur tous les bancs - une impavide sérénité, parce que nous savons ce que nous offrons. Nous savons que ce sont nos territoires qui garantissent à la France sa troisième place de puissance maritime mondiale - sinon elle serait quarante-cinquième - grâce aux richesses halieutiques, biologiques, minérales, énergétiques des océans.

Nous savons aussi que nous lui garantissons la politique spatiale européenne, la politique nucléaire française, une part importante de son rayonnement scientifique, notamment sur les forêts, les cultures et les écosystèmes tropicaux. De même pour l'expérimentation et le déploiement technologique d'EDF et du centre spatial et l'ingénierie minière du BRGM.

Nous lui garantissons aussi le contrôle de grands axes maritimes pour le commerce d'hydrocarbures, de minerais et de matériaux nécessaires à l'industrie d'armement, par la proximité du canal de la Dominique, du canal de Panama, du canal du Mozambique ou du détroit de Torres. Nous garantissons également des bases militaires et logistiques qui servent à assurer ou à protéger les échanges, les interventions ou les actions humanitaires.

Enfin, nous offrons l'opportunité de politiques de coopération qui alimentent de bonnes relations avec des pays du Sud.


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Plus important et plus précieux encore que tout cela, nous fournissons des cerveaux, des sportifs, des travailleurs, des richesses que la France porte en bandoulière pour son influence en Europe et qu'elle apporte dans sa corbeille dans ses relations avec les Etats-Unis.

Toutefois, tous ces atouts semblent se dissoudre face au discours sur nos handicaps qui, malheureusement, trop souvent, est repris par les nôtres. Ces handicaps, je me propose de les passer en revue.

Tout d'abord, nous avons une forte croissance démographique. Ferions-nous trop d'enfants ? Serions-nous trop fécondes ? (Sourires.)

Aimerions-nous trop la vie ? Y aurait-il trop de monde chez nous ? L'Europe n'a-t-elle pas connu un boom démographique à l'époque de la révolution industrielle ? N'a-t-elle pas connu le baby boom lors de la reconstruction, après-guerre ? En fait, nos territoires sont-ils correctement aménagés pour accueillir les populations qui y vivent sans surdensité urbaine ? La Guyane caricature l'argument, parce que nous serions trop nombreux à n'occuper que 5 % du territoire.

Pour autant, l'absurdité de l'argument économique ne doit pas évacuer l'aberration sociale d'une politique d'accompagnement familial inadaptée, déresponsabilisante, perverse et d'une politique d'immigration vélléitaire qui pourrit nos relations avec les pays voisins et qui, avant de constituer un problème, était perçue par l'Etat comme u ne solution aux revendications identitaires et territoriales.

Nous avons encore toute une série de handicaps. Par exemple, nous serions, paraît-il, tributaires de très peu de cultures, mais la monoculture et la biculture sont directement l'héritage colonial. Par ailleurs, et particulièrement en Guyane, cette situation est essentiellement le résultat de politiques agressives contre des activités lucratives, telles que l'exploitation aurifère après les émeutes de 1928, de l'absence de politique de soutien à l'économie de transformation - ce fut le cas du bois - ou de la signature d'accords internationaux intempestifs - ce fut le cas du système généralisé qui a pénalisé la crevette de Guyane.

Nous avons également pour handicap d'être éloignés des marchés. Mais du temps où les produits coloniaux étaient nécessaires aux marchés européens, les distances paraissaient bien plus raisonnables. Pourtant, me semblet-il, les moyens de transports étaient moins rapides.

Nous sommes aussi trop éloignés des centres de décision. A moins de contraindre la géographie à se soumettre aux décisions, voire aux aberrations humaines, il faudrait peut-être déplacer les centres de décision, parce qu'il y a de fortes chances que, pendant quelques milliers d'années encore, nous demeurions en Amérique, dans la Caraïbe, dans le Pacifique et dans l'océan Indien, même si la dérive des continents devait s'accélérer un peu ! (Sourires.)

Il paraît aussi que nos marchés sont exigus. Mais nous importons 80 % de ce que nous consommons et, je le répète, nous avons une croissance démographique trop importante.

Tous ces handicaps nous pénalisent, bien sûr, dans l'esprit du développement économique. S'il y a un objectif consensuel, trans-idéologique, dirais-je, lisse, apaisant, c'est bien le développement économique. Il ne saurait se dissocier du pouvoir économique, c'est-à-dire de la capacité de choix et d'orientation. Or il se trouve que, depuis plusieurs années, le discours sur le développement économique s'est réduit à des dispositifs d'exonérations, de dérogations, d'allégements. En principe, le miracle devrait suivre. Comme dirait Bob Marley : « Jah provides the bread ».

En fait, le dispositif d'incitation financière et de dérogation fiscale est vieux, il date de 1952, et il n'a pas cessé de s'intensifier depuis 1980 avec des agréments fiscaux et du soutien financier, des exonérations décennales d'impôt sur les sociétés pour cinq emplois créés, des exonérations d'octroi de mer sur les biens d'équipement et les biens intermédiaires, des primes à la création d'emplois, des primes d'équipement pour cinq emplois créés même si personne ne va vérifier la pérennité des emplois, des allégements de charges, des accélérations d'amortissement, des primes d'installation artisanale, une prime d'orientation agricole, l'extension de la prime d'agriculture de montagne et puis, évidemment, la loi Pons et tous ses aménagements, et les allégements de la loi Perben.

Cela fait un beau dispositif, constant, divers, qui serait capable de « booster » n'importe quelle économie. Pourtant, les indicateurs économiques et sociaux sont impitoyables, sur le taux de chômage, le taux de la dépendance, les impasses de l'éducation, la dégradation de la couverture sanitaire, les difficultés d'accès au logement. Il est à craindre que, cette année encore, même avec un budget en hausse de 7 %, tous les dysfonctionnements ne soient par corrigés car cet effort considérable va d'abord s'orienter vers les collectivités, l'emploi précaire et l'aide au logement social. C'est indispensable, mais cela ne répond pas à l'objectif immédiat du développement économique, parce que cela ne crée pas des emplois pérennes, parce que cela ne prépare pas aux métiers d'avenir, parce que cela ne développe pas les activités susceptibles de densifier le tissu économique.

Il faut donc constater que le mode d'investissement est de nature à alimenter l'économie d'importation. Les salaires de la fonction publique, confrontés au rétrécissement de la capacité productive, ont l'effet pervers de stimuler l'importation, donc de creuser la dépendance, et l'une des conséquences manifestes de cette politique a été de favoriser la pénétration d'investissements privés venant de l'extérieur, à une dimension telle qu'elle leur confère une réelle capacité de chantage social. Ce sera d'ailleurs peut-être le cas du projet sucrier en Guyane. En tout cas, cela pénalise les initiatives locales et cela nous conduit à poser la question du pouvoir administratif et de la réalité du pouvoir politique. Si ce pouvoir politique est un leurre, ceux qui en ont la charge doivent nous le dire clairement. Si, en revanche, il reste des marges de manoeuvre, il faut qu'elles soient rapidement investies, pour que l'on sache qui, finalement, est en capacité de donner les orientations économiques.

En tout cas, tout ce dispositif d'aide et d'incitation est venu consolider un système qui était clairement orienté depuis un siècle et demi. Le mode d'accumulation du capital, tel qu'il a été construit, c'est-à-dire la capacité d'investissement, est absolument significatif. Lors de l'abolition de l'esclavage, les maîtres ont été indemnisés, les esclaves ne le furent pas. Pour s'assurer que le capital marchand allait être transformé en capital productif, l'article 7 de la loi d'indemnisation imposait la mobilisation d'un huitième de la rente dans le capital des banques qui allaient être créées, ce qui faisait d'office des maîtres des actionnaires de ces banques. Celles-ci n'accordaient que des prêts à court terme, c'est-à-dire qu'elles consolidaient les fortunes existantes, dont les détenteurs étaient en mesure de rembourser rapidement, et qu'elles renforçaient l'économie de rente, puisqu'elles consolidaient l'agriculture d'exportation. Evidemment, elles excluaient


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pour des générations ceux qui n'avaient pas de garantie hypothécaire, ceux qui n'étaient pas capables de rembourser rapidement, c'est-à-dire les anciens esclaves et les descendants d'esclaves.

Lorsqu'une concentration financière et économique a été organisée de façon aussi méthodique, peut-on s'étonner des difficultés que rencontrent ceux qui s'échinent à construire des entreprises, à les faire vivre, à développer des activités agricoles, semi-industrielles, artisanales ? En fait, il faut arriver à admettre que nos sociétés ne sont pas des espèces de bizarreries, sans divergences, sans antagonismes, sans affrontements. Il y a des intérêts divergents chez nous, et ceux sur lesquels on s'appuie sont déterminants du choix que l'on fait, parce que le développement économique n'est pas un choix politiquement neutre. Il suppose un choix de société, un type de rapports sociaux, une option claire sur les catégories sociales, professionnelles que l'on veut favoriser, grandes entreprises multinationales avec leur relais prête-noms sur place, ou PME, artisans, etc.

La question du développement économique est au centre de la question de la révision institutionnelle, qui ne pourrait pas être escamotée, parce qu'elle traverse, ne serait-ce que sous forme d'interrogation, l'ensemble de la Guyane, les forces politiques, les groupes sociaux, les citoyens ordinaires. Le conseil régional, le conseil général ont mis en place une commission mixte qui va livrer ses conclusions prochainement. Les indépendantistes de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane se sont réunis à Cayenne le week-end dernier. J'ai interrogé les forces politiques. Celles qui m'ont répondu m'ont transmis des avis déjà bien élaborés, et l'une d'entre elles, Walwari, envisage d'organiser très prochainement un séminaire sur le sujet.

Régler cette question, c'est régler la question du pouvoir, avec, évidemment, les réserves que cela suppose, à savoir que personne n'ayant demandé de négociations, personne ne peut aller au-delà des avis et des propositions, et que, surtout, un pouvoir de proximité renforcé étant encore plus exposé aux groupes de pression, il faudra, en même temps qu'on aura libéré de nouveaux espaces de décision, mettre en place des contre-pouvoirs.

Mais cela ne règle pas le problème de la dynamique sociale, cette dynamique qui fait que les artisans n'acceptent pas d'être condamnés par les règles des marchés publics, que les enseignants ont soif de nouveaux espaces de liberté, de nouvelles méthodes pédagogiques, de nouveaux moyens pour donner le goût d'apprendre à leurs élèves, pour aiguiser leur esprit curieux dans un milieu pluriculturel, que les agriculteurs seront fiers de nourrir la population locale, que les ouvriers et les manoeuvres seront pressés de transmettre leur savoir-faire, que les fonctionnaires, guyanais ou non, seront heureux de réhabiliter le service public, que les chefs d'entreprise feront confiance aux compétences locales, que les policiers et les gendarmes veilleront, par leurs conseils et leur vigilance, sur la sécurité des jeunes, sur celle des anciens et des plus faibles, que les identités authentiquement communautaires s'épanouiront et s'ouvriront aux autres, que les regroupements ethniques sur des bases de nationalité se dissoudront au profit d'une intégration citoyenne, que tout le monde participera à l'élévation de la conscience civique et politique et que mon rêve deviendra réalité.

A coeur vaillant rien d'impossible ! En tout cas, ces débats sont nécessaires. Nous avons notre part à y prendre. Mais, s'agissant d'un territoire aussi enclavé, où il y a autant de zones difficiles d'accès, la puissance publique devra participer, favoriser et garantir les conditions du dialogue et d'un débat public.

En attendant, il faudra inventer les mots pour expliquer à la jeunesse guyanaise que, sur une forêt de 7,5 millions d'hectares, elle ne pourra même pas disposer de quelques milliers de mètres carrés ou de quelques hectares parce quelques fonctionnaires, sans doute bardés de bonnes intentions sur la sauvegarde des intérêts d'Etat, ont multiplié les critères et les obstacles pour restreindre le champ de la loi foncière, alors que, dans le même temps, l'Etat est à la fois prodigue et alerte pour créer un immense parc de près de 3 millions d'hectares, des bassins forestiers productifs de 600 000 hectares, des réserves naturelles d'environ 100 000 hectares chacune, pour attrib uer 210 000 hectares en titres miniers, céder 100 000 hectares au centre spatial guyanais, qui, d'ailleurs, rétrocède dans des conditions qui font l'objet de contestations, pour laisser attribuer 72 hectares à un projet privé de cinéma, attribuer 13 000 hectares, c'est-à-dire l'équivalent de six fois la surface de la ville de Cayenne, la capitale, à un projet privé sucrier, après avoir laissé EDF inonder 30 000 hectares, non pas pour les besoins du centre spatial, paraît-il, mais pour nos besoins, certainement pour nous empêcher d'avoir peur dans le noir.

(Sourires.)

Comment expliquer à nos enfants, à nos jeunes, qu'il faut s'accrocher à l'école lorsqu'ils savent qu'ils sont orientés non pas en fonction de leurs besoins, de leurs choix, des métiers qui les attirent, mais en fonction des établissements où il reste de la place, justement parce que les équipements sont obsolètes et les débouchés dérisoires ? Comment les empêcher de voir qu'ils n'ont pas leur chance sur ce territoire et qu'il y a encore des avantages pour ceux qui viennent de loin ? Comment ne pas accepter que leur résistance et leur flambée d'exaspération sont simplement le signe rassurant de leur vitalité ? C'est en tout cas notre mission de redonner espoir à cette jeunesse et de garantir son accès au savoir, aux sciences, aux lettres, aux arts, à tous les métiers, de combiner son enracinement culturel avec son ouverture sur le monde : les pieds en Amazonie, la tête dans Internet, l'esprit partout où sévissent la famine, la misère, l'intolérance, l'injustice, et le coeur partout où les hommes luttent contre leurs propres démons et font triompher la liberté et la générosité.

Monsieur le secrétaire d'Etat, la gauche ne s'identifie pas par la qualité de ses hommes de pouvoir, pas seulement, parce que, dans d'autres camps, il y a aussi d'éminents hommes de pouvoir. Elle s'identifie par son attachement aux valeurs de fraternité dans la différence, de solidarité dans la dignité, par ses révoltes et ses actions contre l'injustice, son combat contre l'oppression, sa conviction que toutes les cultures ont droit de cité, sa confiance dans le génie des peuples, sa foi en la créativité de chacun. Alors je demande pour quelles raisons idéolog iques, politiques ou morales vous devriez chérir l'héritage.

En tout cas, il appartient à ce gouvernement d'accroître notre enthousiasme à cheminer ensemble, avec un idéal partagé de liberté et d'effort, de justice et de paix, de progrès et, tout bêtement, de bonheur, vers un avenir chaque jour réinventé. Merci à tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur


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quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Frogier.

M. Pierre Frogier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'année dernière, l'ensemble des députés de l'outre-mer français avaient réagi au peu de considération dont ils semblaient faire l'objet au moment de la discussion budgétaire. Je remercie le Gouvernement d'avoir entendu ce mouvement d'humeur en consacrant cette année une journée des travaux budgétaires de notre assemblée à l'outre-mer, même si les uns et les autres tentent d'abuser de ces temps de parole. (Sourires.)

La situation de la Nouvelle-Calédonie a déjà largement retenu votre attention, il y a quelques semaines, mais il me semble important d'y revenir un instant.

Le 8 novembre, dans quelques jours, les Calédoniens vont se prononcer par référendum sur l'accord de Nouméa, signé le 5 mai dernier entre l'Etat et les deux principales forces politiques de Calédonie : le Rassemblement, qui milite depuis vingt ans pour le maintien de la Caléd onie dans la France, et le FLNKS, favorable à l'indépendance.

Vouloir concilier, dans la paix, deux objectifs aussi radicalement opposés relevait, il y a dix ans, d'un véritable défi et, pourtant, en 1988, avec beaucoup d'imagination, d'intelligence et de courage, une nouvelle voie pour la paix était tracée sans que chacun ait à renoncer à ses propres convictions. Dialogue, tolérance, partage, acceptation de l'autre ont été les clés de la réussite des accords de Matignon.

L'accord de Nouméa est, quant à lui, le fruit de concessions réciproques. C'est un texte équilibré, un pacte d'amitié renouvelé. Personne ne renonce à ses convictions profondes, mais tous les points de convergence ont été privilégiés pour que s'effacent, progressivement, les idéologies et tout ce qui divise.

Cet accord doit être approuvé le 8 novembre par la grande majorité des Calédoniens, et tout permet de penser qu'il le sera. Le Parlement pourra alors être saisi du projet de loi organique qui le mettra en oeuvre, conformément aux articles 76 et 77 de la Constitution.

Le 8 novembre prochain, la Nouvelle-Calédonie écrira une nouvelle page de son histoire. Elle décidera de son avenir pour au moins les vingt prochaines années.

Chacun a observé que les débats qui ont précédé la révision constitutionnelle semblaient avoir ravivé dans l'outre-mer une réflexion sur l'opportunité d'évolutions institutionnelles, et cela se conçoit, mais je veux souligner que la situation de la Nouvelle-Calédonie, dans l'outremer français, ne me semble assimilable ni à celle des départements d'outre-mer et des collectivités territoriales ni à celle des autres territoires d'outre-mer.

Son histoire, les origines diverses de ses populations lui confèrent une spécificité qu'il fallait traduire en termes institutionnels. Pour y parvenir, notre majorité, celle opposée à l'indépendance, a décidé de renoncer à faire un usage aveugle de son pouvoir d'imposer sa volonté à la minorité. Ainsi, vous comprendrez que le seul souci qui nous anime est le maintien de la paix et les conditions d'un vivre ensemble.

Nous avons fait, les uns et les autres, oeuvre de réalisme. Au fil des négociations, des dispositions innovantes ont été écrites, sans que l'on cherche à se référer forcé ment aux catégories juridiques déjà connues. Notre objectif était de trouver une solution qui puisse emporter l'adhésion la plus large de la population calédonienne.

Nous avons laissé aux juristes le soin d'intégrer l'édifice ainsi construit dans le cadre constitutionnel, quitte à devoir le faire évoluer pour y parvenir.

Je suis bien persuadé que, si la représentation nationale, de façon quasi unanime, a accepté, sur proposition du Président de la République, cette évolution constitutionnelle qui bouleverse effectivement bien des schémas, c'est qu'elle a fortement ressenti une volonté collective des Calédoniens de construire ensemble leur avenir. A aucun moment il ne s'est agi d'une démarche personnelle et unilatérale. Si tel avait été le cas, je doute fort qu'opposition et majorité parlementaires confondues aient approuvé à la quasi-unanimité l'accord de Nouméa.

Pour en venir au projet de budget de l'outre-mer pour 1999, force est de constater qu'il n'est, pour la NouvelleCalédonie, qu'un budget de reconduction.

Sans faire une analyse exhaustive et détaillée des crédits destinés à la Calédonie, je noterai en particulier que les dotations au titre des actions de développement, qui représentent l'essentiel des crédits consacrés au territoire, sont inchangées depuis 1995. Je vous propose de vous reporter sur ce point à l'excellent rapport de notre collègue Philippe Auberger.

Je suis convaincu qu'il ne peut s'agir là que d'un budget de transition, dans l'attente de la mise en place des nouvelles institutions, car la nouvelle génération des contrats de développement et d'agglomération à partir de l'an 2000 doit s'accompagner d'un effort de l'Etat à la hauteur des défis à relever.

Comme dans l'ensemble de l'outre-mer français, la bataille de l'emploi, la lutte contre le chômage, est la priorité des priorités. En effet, 50 % de notre population a moins de vingt-cinq ans. Comment ces jeunes pourront-ils se projeter dans l'avenir s'ils n'ont pas de travail, s'ils ne peuvent pas s'offrir un logement décent, s'ils n'ont pas les moyens de faire vivre une famille ? La Calédonie a un atout économique majeur qui est le nickel, mais chacun sait que, si cette activité peut être très rentable, elle est confrontée à une concurrence internationale rude. Aujourd'hui, l'industrie minière et métallurgique, qui fournit des milliers d'emplois directs et indirects, connaît une crise conjoncturelle liée à la situation en Asie et à la crise financière dans le monde. Unee ntreprise est déjà en redressement judiciaire et 300 emplois directs et indirects sont menacés. La SLN, premier producteur français, vient d'annoncer un plan de réduction de ses effectifs de 15 % en trois ans.

Pour amortir ces cycles de dépression, la Calédonie doit pouvoir compter sur la solidarité nationale, et je crois que des expertises sont en cours pour y répondre, mais elle doit aussi, impérativement, développer d'autres secteurs économiques.

Les efforts de ces dix dernières années ont porté principalement sur l'industrie touristique, mais nous sommes encore loin des performances en ce domaine du reste de l'outre-mer français. Il faut plus que jamais inciter les investisseurs locaux, nationaux et étrangers. A cet égard, je souhaiterais appeler une nouvelle fois l'attention du Gouvernement sur le caractère indispensable du maintien du dispositif de défiscalisation. La Nouvelle-Calédonie a son propre dispositif supporté par son propre budget, qui permet de couvrir une grande partie des projets d'investissement dans le secteur industriel, mais, sans la complémentarité de la loi Pons, nous ne pourrons pas faire face aux besoins de secteurs vitaux pour notre développement


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économique. Il en est ainsi des transports aériens, pour désenclaver notre territoire, et des grands travaux d'infrastructure, rendus nécessaires par l'urbanisation galopante de l'agglomération de Nouméa.

J'ai déjà eu l'occasion de préciser à cette tribune que c'était la Nouvelle-Calédonie qui avait le moins bénéficié des mesures de défiscalisation depuis leur mise en place.

J'ajouterai que, s'agissant des projets agréés, aucun abus n'a jamais été constaté. En 1997, vingt-six dossiers ont été agréés sur les 834 agréments accordés pour l'ensemble de l'outre-mer. Pour un montant total de 9 milliards de francs français d'investissements défiscalisés, moins de 11 % concernaient la Nouvelle-Calédonie.

Actuellement, trois dossiers essentiels sont en attente d'agrément pour un montant d'environ 450 millions de francs, dans les secteurs de l'énergie, des infrastructures routières et de l'adduction d'eau potable. J'appelle l'attention du Gouvernement sur l'intérêt qu'un accord de principe pourrait revêtir pour faciliter et accélérer l'instruction de ces dossiers avant la fin de l'année.

Outre le développement économique, le défi auquel nous devons faire face avec l'Etat, au cours des prochaines années, est celui du logement social. Toutes les études menées sur ce secteur aboutissent à la conclusion qu'il est nécessaire de construire environ 1 000 logements sociaux par an. Nous n'arrivons pas à en fournir la moitié. Or la Nouvelle-Calédonie ne bénéficie aujourd'hui ni de la ligne budgétaire unique ni du dispositif des prêts locatifs aidés. Ne pas accéder aux PLA est une anom alie puisque la caisse d'épargne Ecureuil de Nouvelle-Calédonie collecte les fonds du livret A.

Une telle possibilité permettrait de démultiplier les investissements et d'atteindre les objectifs que je viens de rappeler. Pour ces motifs, en mars 1997, le précédent gouvernement avait décidé d'étendre ce dispositif à la Nouvelle-Calédonie. Le 13 mai dernier cette décision a été confirmée par un arbitrage rendu à Matignon.

Lors de votre récent voyage en Nouvelle-Calédonie, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez réitéré la volonté forte du Gouvernement d'y étendre le dipositif des PLA.

Or, à ce jour et malgré ces décisions prises au plus haut niveau, la Caisse des dépôts et consignations n'est toujours pas autorisée à mettre en place de façon effective ces PLA. Pour nous, cette situation est totalement incompréhensible et a de graves conséquences sur la programmation et la réalisation des logements sociaux.

Dans quelques semaines, la Nouvelle-Calédonie sera de nouveau à l'ordre du jour. Il s'agira de se prononcer non seulement sur la loi organique, mais aussi sur la mise au point des différents dispositifs d'accompagnement prévus à l'accord de Nouméa. Nous aurons besoin alors d'être assurés que cet effort d'accompagnement de l'Etat se traduira par des moyens nouveaux, dégagés sur le budget national, afin que, grâce à un partenariat renouvelé, la France soit fière de l'oeuvre accomplie en NouvelleCalédonie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe de Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Léon Bertrand.

M. Léon Bertrand.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues - et j'ajouterai, mes chers compatriotes de la Guyane, puisque la télévision retransmet en direct le débat dans nos régions -, nous sommes réunis pour examiner le budget de l'outre-mer, et, à nouveau, nous retrouvons une situation connue que nous déplorons : le choix de la journée, qui fait que ce projet de budget est examiné et sera voté dans la confidentialité.

Je regrette aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, de constater l'absence à vos côtés de vos collègues, dont beaucoup, malgré les transferts de crédits opérés ces dernières années, ont encore en charge le sort de nos régions.

Les débats de l'an dernier ayant été menés au pas de charge, le président de séance, Pierre Mazeaud avait, à notre demande, pris l'engagement d'intervenir pour que, à l'avenir, la discussion sur le projet de budget relatif à l'outre-mer soit plus long à l'avenir. Je suis heureux de constater que, aujourd'hui, nous disposons de trois heures supplémentaires.

Toutefois, à regarder les bancs vides, j'observe, malgré tout, que, si le temps de parole dont nous disposons est plus long, nous n'avons guère plus d'écoute. D'autant que, par le jeu de répartition des temps de parole entre les différents groupes politiques, celui auquel j'appartiens ne bénéficie que de deux minutes supplémentaires par député ; je ne tiens pas, sans tenir compte, bien entendu, de la bienveillance du président.

Aussi, je m'en tiendrai à dresser un constat de la situation, à formuler des propositions et à poser les questions nécessaires et indispensables.

L'absence constatée, répétée chaque année, tant des parlementaires de métropole que des membres du Gouvernement, suscite une grave amertume chez nos élus et nos concitoyens d'outre-mer, car elle renforce le sentiment d'une perception négative de régions qui seraient incapables, futiles et donc superflues.

Cette absence étaye le sentiment d'une métropole fril euse, effrayée par ces régions exotiques qu'elle appréhende mal, le sentiment d'une métropole paraîssant maintenue par son histoire dans un état de culpabilisation endémique, redoutant de devoir engager un projet à long terme pour ces parties lointaines du territoire de la République.

Et, malheureusement, la transformation d'un département ministériel chargé de l'outre-mer en secrétariat d'Etat est l'aveu d'un désintérêt qui semble gagner même le Gouvernement. Il ne plaide pas en faveur de la cohésion de l'action de l'Etat. Je m'en expliquerai plus loin.

Cette ambiguïté, ces incertitudes et ce manque de perspectives méritent d'être soulignés, car ils font obstacle à toute tentative d'élaborer une stratégie de développement économique de moyen et long terme et laissent un vide.

Cet espace libre explique aujourd'hui la mise en circulation de multiples propositions statutaires, aussi fascinantes qu'irrationnelles par rapport aux préoccupations de nos populations.

Je ne sais plus qui disait : « Lorsque le pouvoir est à terre, il y a toujours quelqu'un pour le ramasser. » C'est

le cas ici. Le terrain laissé ainsi vacant est ouvert à toutes les intrigues.

Le statut départemental, socle stable de nos institutions, a le mérite d'exister. Il offre un cadre solide que l'article 73 de la Constitution, que les lois de décentralisation ou les dispositions spécifiques communautaires peuvent façonner suivant nos particularités économiques, sociales et culturelles de chacune de nos régions.

Il convient simplement d'apprendre à mieux utiliser tout cela. Pour ce faire, une action doit être menée dans deux directions : du côté des collectivités, d'une part ; du côté de l'Etat, d'autre part.


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Quant à nous, élus responsables de collectivités, nous devons privilégier la formation des hommes pour que le fonctionnement de nos collectivités soit à la hauteur des attentes de nos populations. Une qualification plus grande conduira vers une utilisation optimale des moyens législatifs et financiers mis à la disposition de nos régions.

Dans le même temps, il est capital de clarifier les compétences de chacune des collectivités, afin d'éviter ces chevauchements totalement improductifs, auxquels nous assistons trop souvent et qui paralysent l'esprit d'initiative et d'entreprise.

Pour ce qui concerne l'Etat, il apparaît aujourd'hui plus que nécessaire et urgent qu'il dresse un bilan et réfléchisse à une adaptation s'agissant de l'avenir de nos régions, et ce dans un contexte que nul n'aurait pu prévoir, ni même imaginer, en 1946.

Plus que jamais, le développement économique de l'outre-mer requiert une réorganisation administrative des différents services de l'Etat, l'implication et le redéploiement sur l'ensemble du territoire d'hommes de terrain déterminés, ayant une vision moderne et ouverte de leur mission. Cela suppose un travail effectué de concert, au service du citoyen, et non dans un esprit de rivalité dont ce dernier fait toujours les frais.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple de ce qui se passe en Guyane. Huit mois après le début de travaux entrepris et financés par la LBU, les arrêtés de subvention nécessaires au fonctionnement des entreprises n'ont toujours pas été notifiés, faute pour les services de disposer du même logiciel de traitement. Philippe Chaulet a évoqué ce problème tout à l'heure. Chacun campe sur ses positions, tout est bloqué et les entreprises sont contraintes au dépôt de bilan. L'absurde le dispute au tragique ! J'en viens maintenant aux propositions et demandes que je soumets au Gouvernement.

L'étape de l'égalité civique pleine et entière dans la démocratie a été franchie ; de même que celle de l'égalité sociale, de par la vigilance et la volonté de Jacques Chirac, Président de la République.

M. Claude Hoarau.

Oh !

M. Léon Bertrand.

Il reste donc une étape, tout aussi importante, à franchir : celle de l'égalité économique, celle qui permettrait à l'outre-mer d'acquérir la capacité de conduire un destin porteur d'un poids d'espérances et non plus d'inquiétudes.

Jusqu'à présent, les seules mesures qui ont porté leurs fruits en outre-mer ont toujours été celles qui ont été conduites dans le cadre de lois-programmes. Nous devons donc tout faire pour améliorer celles qui existent déjà et ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour en élaborer d'autres.

Par exemple, pour la Guyane, nous devons actionner plusieurs leviers. Il faut réhabiliter et pérenniser la loi de défiscalisation, qui, malgré certaines dérives dues à sa jeunesse, a été un excellent outil de développement ; conforter et amender la loi dite Perben, notamment dans le secteur de la pêche, industrie créatrice de richesses ; assouplir davantage les règles d'utilisation de la ligne budgétaire unique, moteur essentiel de l'insertion sociale par le logement ; favoriser la création et la mise en place d'entreprises franches régionales tournées vers l'exportation.

Grâce à ces entreprises, plus que jamais, dans le cadre du rapprochement qui s'opère actuellement entre le MERCOSUR et l'Europe, la Guyane a une opportunité de développement économique.

Je vous ai fais tenir une note sur cette ouverture économique sur laquelle je travaille avec notre ancien collègue Jean-Paul Virapoullé. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une séance de travail placée sous votre égide se tienne très bientôt sur le sujet.

Aucun développement économique ne peut se faire dans un climat d'instabilité politique ou d'insécurité. Un tel développement suppose la restauration de l'Etat de droit, seule garantie de stimulation de l'économie locale.

Lors des dernières élections régionales, j'ai donc signé un protocole d'accord avec le président de la région pour que soit mise en place une conférence régionale de lutte contre l'insécurité.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous m'avez donné l'assurance que les moyens de lutte contre l'insécurité existent bien en Guyane. Ne peut-on alors envisager, sous la conduite du préfet de région et pendant un certain temps, d'y mettre en place un plan de type Vigipirate ? Je suis d'autant plus fondé pour introduire ma requête que vous portez actuellement une double casquette, dont celle de ministre de l'intérieur par intérim.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que je l'ai dit, le vide laissé par l'absence d'une véritable stratégie pour l'outre-mer a été rapidement comblé. Des réponses ont été apportées aux questions que certains ont été amenés à se poser quant à l'avenir de nos régions. En Guyane, par exemple, prenant la suite des états généraux, une commission mixte conseil régional-conseil général s'est mise en place et travaille depuis de longs mois. Aujourd'hui, elle me demande de relayer ses propositions. Je ne les partage pas, mais c'est la preuve que quelque chose est en train de se passer en Guyane et qu'il faut réagir.

Le Gouvernement doit accepter de répondre aux questions que je pose et que toutes les populations d'outremer se posent : que veut la France, pour l'outre-mer ? Et qu'attend-elle de l'outre-mer ? Je n'ai aucun doute sur les souhaits de la majorité de nos populations : elles veulent rester dans la République.

Encore faudrait-il que l'Etat français accepte de tenir compte de ce voeu et qu'il se montre, au travers des lois de la République, plus innovateur, plus inventif dans ses relations avec ses régions lointaines, tête de pont de la France sur toute la planète.

Au moment où le monde doit faire face à l'ouverture internationale de l'économie et à ses multiples conséquences, l'outre-mer est au coeur du débat de la mondialisation. Nous devons, ensemble, savoir tirer profit de l'atout économique formidable que représentent nos régions par leur triple appartenance, à la fois à la nation f rançaise, à l'Europe et à leur environnement géographique.

Mercredi soir, beaucoup d'Européens, dont les Français, étaient fiers du succès d'Ariane 5, partie de cette terre de Guyane, si lointaine, mais aussi si proche en raison du rôle qu'elle joue dans le maintien de la grandeur de la France dans le monde. J'en profite, d'ailleurs, pour féliciter les responsables de Kourou.

Enfin, j'en reviens au projet de budget. Son augmentation de 7 %, qui résulte de l'effort porté sur les emplois-jeunes, est louable. Il apporte, certes, une réponse immédiate aux situations les plus critiques, mais son caractère trop social obère tous les efforts en faveur des aides à la création d'entreprises et à la vitalité de celles-ci , seules génératrices de richesse et donc d'emplois durables.

Monsieur le secrétaire d'Etat, ayant pu constater à l'usage que seuls les programmes pluriannuels ont eu des effets bénéfiques pour l'outre-mer, je me réjouis à la pen-


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sée que vous ayez déjà décidé de proposer une loi d'orientation pour l'outre-mer. Cependant, à l'occasion de la préparation de ce projet de loi, il me paraît nécessaire de procéder à un état des lieux qui n'occulterait aucune question et qui lèverait tous les tabous, qu'il s'agisse de la fiscalité, de la surrémunération des fonctionnaires ou d'autres points tout aussi importants. Surtout, il faudra que cette loi d'orientation soit, pour chacune de nos régions, déclinée en loi-programme.

(Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Victor Brial, dernier orateur inscrit.

M. Victor Brial.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une fois de plus, on ne peut que constater que l'outre-mer n'est pas faite d'un bloc : ses départements, ses collectivités territoriales et ses territoires sont confrontés à des problèmes particuliers quir eflètent leurs spécificités respectives. Et c'est, bien entendu, un honneur pour moi que d'avoir à clore ce débat en évoquant, à mon tour, les préoccupations du territoire que je représente, ici.

Wallis-et-Futuna a connu une année difficile sur le plan financier mais également sur le plan social. Le territoire et le service de santé ont dû faire face à d'importantes difficultés budgétaires, sur lesquelles se sont greffées des grèves à répétition.

J'ai eu à coeur, depuis un an et demi, de vous sensibiliser à ces difficultés. La pression constante que j'ai exercée depuis lors a trouvé, auprès du Gouvernement, un écho favorable. Il a lui-même reconnu que nous étions arrivés à un « point de rupture » et a consenti à faire des efforts significatifs en faveur de mon territoire. Plusieurs dossiers dans l'impasse ont ainsi pu être relancés, et je vous en remercie, monsieur le secrétaire d'Etat.

Votre venue à Wallis et à Futuna, l'augmentation de 16 millions de francs de la dotation du service de santé, le doublement de la subvention d'équilibre constituent autant de signes forts qui méritent d'être salués.

L'indemnisation rapide du cyclone Ron, le maintien des crédits destinés aux chantiers de développement prévus dans la convention de développement, la relance du dossier de l'habitat social ainsi que celui de la fonction publique territoriale sont autant d'éléments tangibles supplémentaires de l'action de l'Etat en faveur des Wallisiens et Futuniens.

En matière d'enseignement, j'ai souhaité accélérer le reclassement des maîtres titulaires de CAP et CEAP. Le Gouvernement s'y est engagé dès cette année, et je m'en félicite.

Je souhaite que le renouvellement de la convention

Etat-Mission catholique, prévu pour l'an 2000, permette d'aller encore plus loin.

La mise en place de classes d'application dans le primaire, la reconnaissance officielle des langues vernaculaires, la classification de Wallis-et-Futuna en zone d'éducation prioritaire sont aussi des objectifs à atteindre.

En matière de santé, la redéfinition de la politique engagée dès cette année doit déboucher début 1999 sur la création d'une agence de santé. Cette réforme est nécessaire. Outre la mise en place de règles budgétaires et comptables, elle permettra de réviser le statut des agents hospitaliers.

Etant donné les faibles ressources de la population, j'émets en revanche des réserves sur une éventuelle diversification des sources de financement de l'agence au niveau local. Je continuerai, en tout état de cause, à suivre ce dossier avec une particulière attention.

Vous vous êtes également attelé, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'épineux dossier de la fonction publique territoriale. Un chargé de mission a réalisé un rapport qui, m'a t-on indiqué, est encore à l'étude dans vos services.

J'espère que ses conclusions me seront soumises rapidement.

Le montant de la subvention d'équilibre a été porté de 1,6 million à 3,3 millions pour 1999. C'est bien, mais ce n'est pas encore assez. Malgré les efforts de gestion engagés par le territoire, j'ai dû formuler une demande d'avance du Trésor de 11 millions de francs. Jusqu'à ce jour, elle est restée sans réponse.

Le territoire aura également du mal à honorer ses engagements auprès d'Air Calédonie International pour financer la desserte - inter - îles entre Wallis-et-Futuna. Elle ne pourra le faire que si le Gouvernement lui accorde une rallonge budgétaire exceptionnelle de 2,2 millions de francs, lors du projet de loi de finances rectificative pour 1998. Compte tenu de l'urgence de la situation, j'attends sur ce point une réponse précise et relativement rapide.

Afin de soulager le budget du territoire, je souhaiterais enfin que l'Etat prenne en charge la rémunération des personnels de statut local de la délégation de Wallis-etFutuna en Nouvelle-Calédonie, rémunération qui se chiffre à 1,4 million de francs par an.

Une dynamique a indéniablement été enclenchée cette année par l'amorce d'une politique plus volontaire et plus ambitieuse. Cette politique devra à tout prix être amplifiée dans les mois qui viennent, notamment en direction des plus démunis. Je pense plus particulièrement aux personnes âgées dont le sort est loin d'être enviable. En vertu d'une convention Etat-territoire datant de 1992, elles perçoivent une allocation de 426 francs par mois. Je crois qu'elles méritent d'être traitées avec plus d'égards et de respect qu'elles ne le sont actuellement.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez soutenu la proposition de renouvellement de cette convention, que je vous ai transmise. J'attends maintenant un geste fort de Bercy. Etant donné le petit nombre de bénéficiaires, à peine plus d'un millier, et donc la faible incidence financière d'une revalorisation de leur allocation, un refus serait incompréhensible.

Il en va de même des personnes handicapées. Le montant de l'aide de l'Etat qui leur est accordée chaque année par l'Etat s'élève à 450 000 francs. Cette somme, je l'ai dit l'an passé, ne permet ni leur prise en charge, ni leur suivi médical et psychologique, et encore moins leur intégration.

De plus en plus de jeunes Wallisiens et Futuniens sortis diplômés du système scolaire sont sans travail, faute de structure d'accueil du type antenne ANPE, faute également de contrats facilitant leur accès au marché de l'emploi.

C'est pourquoi, je souhaite qu'un dispositif favorisant l'insertion des jeunes diplômés vienne renforcer les chantiers de développement actuels qui s'adressent en priorité aux personnes sans qualification. Ce dispositif pourrait, par exemple, être intégré au nouveau contrat de plan

Etat-territoire qui doit être signé l'an prochain pour la période 2000-2004. J'espère que la mission qui doit être effectuée sur ce sujet avant la fin de l'année permettra rapidement d'envisager des solutions concrètes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 23 OCTOBRE 1998

L'année 1999 sera enfin celle de la mise en oeuvre des accords de Nouméa. Je suis très attentif à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, et ce pour deux raisons : d'abord, parce qu'elle va entraîner une séparation effective entre les deux territoires : ensuite parce qu'elle concerne des milliers de Wallisiens et de Futuniens installés sur place, parfois depuis plusieurs générations.

Le visage de l'outre-mer a beaucoup changé ces dernières années, en particulier celui de ses territoires. Les îles Wallis et Futuna ont quant à elles connu une grande stabilité institutionnelle. Cette stabilité est le signe de l'efficience de la loi statuaire du 29 juillet 1961. Pour a utant, elle ne doit pas devenir un symptôme d'immobilisme.

A cet égard, je crois que l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie, et bientôt de la Polynésie française, est l'occasion pour la métropole de resserrer les liens avec Wallis-et-Futuna, qui a une position centrale dans le Pacifique Sud.

Jamais le territoire de Wallis-et-Futuna ne s'est autant rapproché de la France que les trente dernières années, sur le plan des mentalités, du style de vie, de l'apprentissage du français et des infrastructures. Vous avez vousmême perçu, je suppose, cet attachement à la métropole qui, à 22 000 kilomètres de distance, traduit la faculté d'intégration du territoire dans le respect de nos spécificités. Dans cet esprit, je crois que nos législations doivent être harmonisées, en ce qui concerne notamment le statut de la fonction publique territoriale.

La modernisation de la législation du travail, en matière d'hygiène et de sécurité, est également nécessaire : aucun comité technique consultatif n'a été mis en place à Wallis-et-Futuna, contrairement à ce que prévoit le code du travail de 1952.

Enfin, il est urgent de mettre en place des règles d'incompatibilité entre fonctions coutumières, mandats électifs et emplois administratifs. La modernisation de notre vie politique passe par là. Elle passe aussi par une refonte des listes électorales, comme le prouvent les multiples recours en annulation déposés ces derniers mois.

Je conclurai en disant que le resserrement des liens avec la métropole, que j'appelle de mes voeux, dans certains domaines et dans le respect de nos coutumes, doit s'accompagner de l'ouverture d'une réflexion sérieuse sur l'évolution statutaire du territoire. Cette réflexion devra impérativement être conduite en concertation avec les élus et l'ensemble des autorités locales. Je souhaite que toutes les forces vives du territoire y soient également associées.

Ni l'évolution de la Nouvelle-Calédonie à l'est, ni celle de la Polynésie à l'ouest ne sauraient constituer des modèles clé en main. Le fruit de notre réflexion devra en effet être original et respectueux de nos coutumes. Mais je crois qu'il devra in fine revenir aux Wallisiens et aux Futuniens de décider de leur avenir institutionnel.

Certains souhaitent que l'autorité exécutive du territoire, notamment en ce qui concerne le budget, revienne à l'Assemblée territoriale, comme c'est le cas en métropole depuis les lois de décentralisation. Quoique légitime du point de vue juridique, ce transfert serait sans doute prématuré. Pour ma part, j'estime que la formation des hommes, en particulier des cadres, est à inscrire à l'ordre des priorités. J'espère que, comme il l'a fait en NouvelleCalédonie, l'Etat nous encouragera sur cette voie.

Je compte donc sur votre coopération, monsieur le secrétaire d'Etat, non seulement pour confirmer, mais aussi pour renforcer dans les mois qui viennent votre engagement et celui de l'Etat en faveur de Wallis et de Futuna.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim.

Monsieur le président, je veux d'abord remercier tous les orateurs qui se sont exprimés après avoir entendu les rapporteurs des différentes commissions, qui ont réalisé un excellent travail.

Nous avons eu, sans compter mon intervention, plus de huit heures de débat.

Je ne sais pas, madame Taubira-Delannon, si l'« outremer » est un « abus de langage ». Mais les nombreux plaidoyers qui ont été prononcés par les élus d'outre-mer, nourris de la situation locale qu'ils vivent dans leurs départements, collectivités ou territoires, ont exprimé des aspirations et des attentes relatives non seulement au budget annuel mais aussi, et plus généralement, à l'avenir de l'outre-mer.

Vous comprendrez, mesdames, messieurs, qu'il me soit difficile de répondre à chacun des intervenants. Je voudrais cependant vous apporter quelques précisions, étant entendu que nous aurons, tout au long de l'année, l'occasion d'avoir des contacts particuliers et de réaliser un travail en commun sur le projet de loi d'orientation que j'ai annoncé.

Je rappellerai d'abord que, en dix-sept mois, le Gouvernement a mené pour l'outre-mer un certain nombre de politiques essentielles.

Quand nous sommes arrivés au Gouvernement au mois de juin 1997, le dossier calédonien était embourbé, M. Frogier doit s'en souvenir. Il a fallu régler la question minière et avancer, avec les partenaires, dans la voie d'une solution politique. Ce travail a abouti aux accords de Nouméa, qui ont été approuvés par tous les parlementaires de l'outre-mer et par 95 % des parlementaires français à l'occasion de la révision constitutionnelle, à Versailles. Cela m'amène à émettre le souhait que la participation des Calédoniens au référendum du 8 novembre soit très large, tout comme leur approbation, afin qu'ils accompagnent cette évolution qui conduit non seulement à la paix, à la concorde, mais aussi à une stabilité politique qui permette les investissements.

Je précise à M. Frogier que la France, à travers toutes les tendances politiques ici représentées, partagent ce p oint de vue. Elle continuera donc d'accompagner la Nouvelle-Calédonie à travers des crédits pour le développement et des actions de formation des hommes, des femmes, des futurs responsables, pouvant être réalisés dans le cadre de la République française.

J'indiquerai à M. Auberger, que nous souhaitons que le projet de construction d'une usine de nickel au nord de la Nouvelle-Calédonie permette un rééquilibrage. Mais si les conditions économiques ne se trouvaient pas réunies, ERAMET rembourserait à l'Etat la part de l'indemnisation correspondant à la valeur du gisement, comme le prévoit le protocole signé à Bercy.

A M. Asensi, je rappellerai que les contrôles existent et continueront d'exister, qu'il s'agisse des institutions financière, comme la chambre régionale des comptes, des instit utions judiciaires et du tribunal administratif de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Les différents partenaires s'inscrivent dans cette démarche. Il en sera de


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même en Polynésie. Les évolutions prévues n'entraîneront donc pas de retrait des mécanismes de contrôle, qui constituent une garantie de l'Etat de droit.

Nous avons donc avancé, s'agissant de la difficile question de la Nouvelle-Calédonie, vers une solution qui, je l'espère, sera approuvée par l'ensemble des Calédoniens.

Nous avons aussi beaucoup fait dans le domaine de l'emploi avec la création de 6 000 emplois-jeunes en 1998.

A la Réunion, 3 000 emplois-jeunes seront mis en place, soit autant que ceux créés par la croissance économique, dont on s'est plu à souligner tout à l'heure qu'elle était forte et qu'elle correspondait à un niveau d'activité important. N'oublions pas cependant que la vague démographique amène beaucoup de jeunes sur le marché du travail. Il faut donc essayer de faire face à cette situation.

Nous avons également conduit une politique efficace en matière scolaire. Les rentrées ont été bien assurées et nous n'avons pas connu de difficultés sur le plan des effectifs.

Nous nous sommes aussi attachés à la défense des productions de l'outre-mer. Je pense particulièrement à la rude négociation qui a abouti au compromis de Luxembourg sur l'OCM bananes. M. Marsin avait d'ailleurs déposé, au mois de juin, une proposition de résolution.

Nous avions débattu à l'époque du soutien apporté au Gouvernement français pour la négociation des compensations à apporter à nos producteurs, notamment antillais, pour leur mise en conformité par rapport aux producteurs des pays de la Caraïbe et des pays tiers. Sur ce plan, le Gouvernement français a été très offensif. Le ministre de l'agriculture et de la pêche, Louis Le Pensec, a pu, avec le soutien du Premier ministre et du Président de la République, arracher à Luxembourg des conditions qui, certes, ne satisfaisaient pas à toutes les demandes, mais qui constituaient un point fort pour la défense de notre agriculture.

Plusieurs orateurs ont évoqué la LBU.

A mon arrivée au secrétariat d'Etat, à la fin de 1997, il restait 420 millions de francs de crédits non consommés.

A la fin de 1998, nous connaîtrons une situation très résiduelle.

Ces quelques exemples de l'action de l'Etat vous montrent que, pendant toute cette période, mis à part les réponses spécifiques apportées à tel ou tel département, nous avons beaucoup avancé sur le plan concret, ainsi que sur celui de la mise à niveau juridique. Vingt ordonnances ont été prises en 1997-1998 pour régler d'importants sujets, tels que, vous le savez bien, madame TaubiraDelannon, la question foncière en Guyane ou les problèmes de mise en ordre des régimes économiques, commerciaux et juridiques dans un certain nombre d'autres territoires ou départements d'outre-mer.

J'en viens plus précisément au budget.

Le FIDOM et le FIDES ont suscité de nombreuses inquiétudes, notamment de la part de M. Claude Hoarau, de M. Perben, de M. Asensi, de M. Jean-Baptiste et de M. Turinay.

Je vous communiquerai, monsieur Turinay, le détail, département par département, de la répartition des crédits. Celles-ci est décidée par le comité du FIDOM, où siègent des parlementaires.

Sur un plan plus général, nous avons enregistré - M. Perben le sait probablement - une réduction des crédits du FIDOM et du FIDES depuis 1994. Le FIDOM est ainsi passé de 379 millions de francs en 1994 à 214 millions de francs en 1997, soit une forte baisse de près de 45 %. Le FIDES a connu, pendant la même période, une baisse un peu moindre.

En ce qui concerne l'année 1999, le FIDOM n'enregistrera plus les conséquences du plan vert en Guyane, qui représente 32 millions de francs et qu'il fallait solder.

Les crédits des deux fonds sont donc plutôt en croissance. Ils sont destinés à couvrir les contrats de plan - mis à part des mesures exceptionnelles, comme celle en faveur du rattrapage en matière scolaire en Guyane - dans le cadre de la prolongation d'un an qui avait été décidée par le gouvernement précédent.

M. Lambert et M. Auberger se sont interrogés sur le FIDOM décentralisé. Il est en cours de disparition. Je rappelle que la décision n'a pas été prise par nous-mêmes puisque ce fonds est en voie d'extinction depuis trois ou quatre ans. Les crédits de paiement concernent la fin des opérations qui avait été engagées antérieurement.

S'agissant du SMA, je préciserait à M. Claude Hoarau, comme à M. Turinay et à M. Marsin, que nous devons tenir compte des conséquences de la modification du service national. En 1999, nous ouvrirons 500 postes de volontaires - il ne s'agira pas de postes d'encadrement.

Tous ceux qui les occuperont seront des militaires du rang, l'objectif étant de parvenir en 2002 au nombre de 1 800 volontaires pour un total de 2 500 à 2 700 personnels dans le cadre du SMA.

Nous ne connaissons pas encore la réponse qu'apporteront les jeunes d'outre-mer, en particulier en Guyane où il y existe deux unités de SMA, à Cayenne et à SaintL aurent-du-Maroni. J'espère que nous pourrons les conserver car leur importance est grande. Mais cela dépendra des engagements des volontaires.

En ce qui concerne les FRAFU, les fonds compétents en matière d'acquisitions de terrain, nous devons tenir compte de l'expérience de la Réunion, et des réserves qu'elle inspire.

La mise en oeuvre des FRAFU devrait avoir lieu avant la fin de l'année dans les trois départements qui n'en sont pas encore dotés : la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique.

La discussion de la première partie du projet de loi de finances a assuré le maintien du dispositif actuel de défiscalisation, tel qu'il a été modifié par un amendement parlementaire en 1997. Le rapport de M. Migaud a été discuté en commission des finances et nous connaîtrons bientôt celui qui a été rédigé sous l'autorité de M. Lall ier, inspecteur général des finances. Ces deux rapports analysent le dispositif existant en matière de financement des investissements, et vos commissions devraient s'en saisir.

Nous aurons à réfléchir aux moyens du développement économique de l'outre-mer. Mais je ne crois pas que les départements d'outre-mer doivent devenir des zones franches à part entière. La commission de Bruxelles dresserait sans doute quelques obstacles devant nous. Mieux vaudrait réfléchir à la notion d'entreprises franches, applicable aux entreprises centrées sur la production et l'exportation. On donnerait ainsi à celles-ci les moyens d'être concurrentielles par rapport à toutes celles de leur environnement régional. Les autres, notamment celles qui interviennent dans le domaine de la consommation, n'ont pas lieu d'être exonérées des charges sociales et fiscales car il faut bien que la collectivité nationale ou régionale retrouve des moyens en matière financière.

Je suis également très sensible aux problèmes auxquels sont confrontées les communes de Polynésie. Un texte a été transmis au Sénat. Il serait souhaitable qu'il soit dis-


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cuté au cours de la présente session parlementaire. Nous aurons ainsi garanti, monsieur Buillard, les bases d'un financement pérennisé pour ce qu'on appelle le FIP, c'est-à-dire la contribution de l'Etat. Je sais qu'en Polynésie, après une discussion de plusieurs années, la question de la fonction publique territoriale a pratiquement été

« calée » avec les organisations syndicales et professionnelles. Nous pouvons à présent. Il me paraît tout à fait indispensable que la loi sur les structures communales soit votée définitivement l'année prochaine.

Je partage l'avis de M. Perben : les structures fiscales des collectivités locales, en particulier des communes, sont très fragiles et les bases de financement sont réduites. La matière imposable elle-même est donc réduite, ce qui pose un problème de partenariat quand les communes concernées sont sollicitées pour contribuer à des opérations en liaison avec l'Etat - je pense notamment aux emplois-jeunes.

La réflexion sur la loi d'orientation devra intégrer la fiscalité des collectivités locales.

On a beaucoup parlé de la Guadeloupe. Je ne sais pas, monsieur Chaulet, si c'est un ouragan de force 5 ou, monsieur Marsin, un volcan qui menace. Il est vrai que, dans ce département, les rapports sociaux se sont fortement dégradés.

Je partage l'avis de M. Moutoussamy, qui a dit : qu'il fallait passer en Guadeloupe de la culture de la confrontation et des intérêts particuliers à la culture du compromis et de l'intérêt général. Ce département ne peut rester paralysé par ces conflits endémiques qui durent quarante ou cinquante jours.

Comme l'a très bien dit M. Moutoussamy, il manque en Guadeloupe une culture du dialogue social. L'Etat ne peut pas régler à la place des partenaires sociaux tous les conflits qui existent dans la société guadeloupéenne. Mais si les rapports entre les syndicats et les entrepreneurs - peu importe leur représentation - connaissent un blocage, la société guadeloupéenne souffrira de plus en plus.

Je n'ai pas la solution au règlement des conflits en cours - ceux de la décharge de Pointe-à-Pitre, des cantines scolaires, des pompistes, notamment. Mais si la Guadeloupe s'enferme dans ces conflits, elle en subira les conséquences sur les plans économique et touristique. Sur ces questions, il y a un impérieux besoin de dialogue social en Guadeloupe. L'Etat joue son rôle en cherchant des médiations mais, dans le cas de conflits d'intérêts privés ou de service public, il ne peut pas se substituer aux employeurs. C'est une question de fond. Je souhaite que la société guadeloupéenne se penche dessus. Il y va de la pérennité économique et de la vie en société en Guadeloupe, car de tels conflits peuvent paralyser complètement l'économie.

S'agissant de la Guadeloupe toujours, la solidarité nationale n'est pas une abstraction. Pour les agriculteurs qui ont subi la sécheresse - j'ai pu le constater lors de ma visite au mois de mai dernier -, puis les conséquences de l'ouragan Georges sur les productions de banane, le Gouvernement, sur ma proposition, a décidé une indemnisation de 100 millions de francs. Cette aide pourra être complétée par l'octroi de certificats d'importation à l'issue de la mission que les instances communautaires vont m ener en Guadeloupe, dès les premiers jours de novembre. Je sais aussi que, dans ce domaine de l'agriculture, près de 1 000 salariés sont en chômage technique et je pense que l'allocation chômage versée dans le cadre de la rémunération mensuelle minimale sera intégralement prise en charge.

Nous sommes sensibles aux problèmes de sécurité évoqués par plusieurs intervenants. Nous avons mis en placee t renforcé les élements d'intervention, en Guyane notamment. Mais je retiens la proposition de M. Bertrand d'actions concertées. Il y a en Guyane 400 fonctionnaires de police, 600 militaires de la gendarmerie nationale, sans compter les deux régiments qui participent aux missions de sécurité. Nous avons de longues frontières en Guyane avec une tradition de passage, mais nous pouvons sûrement mener des opérations pour combattre la délinquance et l'immigration clandestine.

Monsieur Grignon, nous serons très vigilants s'agissant des conditions d'application de l'accord franco-canadien sur la pêche du 2 décembre 1994. Normalement, le comité consultatif devrait se tenir la troisième semaine du mois de décembre. La France se réserve la possibilité de demander, en cas de besoin, une avance sur le quota de la campagne de pêche. J'ajoute que sept emplois d'observateurs embarqués seront financés sur le budget du ministère de l'équipement pour l'année 1999. Nous verrons aussi les problèmes d'extension en matière de dispositions sociales pour la loi d'orientation des personnes handicapées et la situation des agents hospitaliers, qui ne bénéficient pas de retraite complémentaire.

Les parlementaires de la Réunion, Mme Bello, M. Hoarau, m'ont interrogé sur la poursuite dans la voie de l'égalité sociale qui comporte deux aspects : les prestations familiales - Mme Bello m'a déjà posé une question d'actualité sur ce thème - et la question de l'alignement du RMI sur celui de la métropole. C'est politiquement et moralement souhaitable, mais il faut réfléchir dans la concertation et choisir entre une utilisation collective ou individuelle du différentiel. La créance de proratisation, qui est aujourd'hui de 800 millions de francs, est en effet affectée, à hauteur du quart, à des actions d'insertion réalisées par les ADI et, à hauteur des trois quarts, à la construction de logements sociaux.

On a beaucoup parlé aussi des questions relatives à la fonction publique territoriale. S'agissant de Wallis, monsieur Brial, le rapport sur la fonction publique territoriale vous sera remis dès la semaine prochaine. Dans les quatre départements se pose la question des agents territoriaux non titulaires. Michel Tamaya a notamment évoqué l'inégalité de traitement. Près de 30 000 agents territoriaux sont dans cette situation. Dans chaque département, des accords locaux ont permis de trouver des solutions. Je salue tout particulièrement l'effort de l'association des maires de la Réunion qui a, sur ce plan, élaboré un protocole avec les représentants des personnels, dont je n'ignore toutefois pas les conséquences et les contraintes juridiques et financières pour les collectivités. Sur ce plan, le Gouvernement est attentif à trois principes : assurer la protection légitime des personnels ; tenir compte des possibilités financières des collectivités - il faut des solutions progressives ; respecter la légalité.

J'en viens à la préparation de la loi d'orientation que nous allons commencer dans les prochaines semaines. La concertation est indispensable et je confirme à tous ceux qui m'ont interrogé - M. Darsières, M. Andy et bien d'autres - que la réflexion qui a été menée dans les différentes collectivités, voire, monsieur Bertrand, dans des structures plus larges comme les états généraux, sera intégrée dans le cadre de cette préparation. La loi d'orientation sera ce que l'on appelait traditionnellement sous la IVe République une loi-cadre, c'est-à-dire qu'elle fixera des grands principes dans les domaines économique, social, culturel et politique. Nous aurons donc à réfléchir


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à l'évolution institutionnelle dont j'ai donné le cadre dans mon intervention. Nous devons engager la réflexion sur deux points essentiels.

D'abord, la question des assemblées. Tout le monde se rappelle la décision du Conseil constitutionnel de 1982 refusant l'assemblée unique. Nous devons y réfléchir à la lumière des évolutions qui sont intervenues depuis maintenant quinze ans tout en sachant qu'il faut assurer un équilibre des pouvoirs. Une société a en effet besoin de contre-pouvoirs. Il ne faut pas, sur ce plan, concentrer tous les pouvoirs. J'insiste sur ces éléments de réflexion qui participent d'une démocratie équilibrée.

Ensuite, il faut savoir comment des compétences complémentaires peuvent être données aux collectivités et plus particulièrement aux départements d'outre-mer. Il y a des attentes. M. Darsières, notamment, a évoqué la coopération régionale. Il est vrai que les élus de l'outremer ressentent une frustration dans leurs rapports avec leur environnement régional. Je me souviens de cette réflexion d'un sénateur qui disait qu'il était plus facile d'envoyer une classe en Allemagne, depuis la Martinique ou la Guadeloupe qu'à Sainte-Lucie. On ne s'inscrit pas dans les courants normaux des échanges avec les voisins proches. Sur le plan de la coopération régionale, comme celui d'un certain nombre de compétences, des propositions pourront être faites et chacun se déterminera ensuite. S'inscriront-elles dans une vision idéologique d'évolution de l'outre-mer ? Je laisserai à chacun le soin de défendre ses positions et de les exprimer. C'est le débat qui s'ouvre et qui me paraît important.

N ous traiterons donc de l'avenir de l'outre-mer, notamment sur le plan de l'identité. L'annonce de la ratification de la charte des langues minoritaires est à cet égard un élément important. Mme Bello m'a interrogé sur ce point. M. Marsin a parlé en créole, comme Mme Taubira-Delannon et d'autres encore. Notre terrain juridique et politique nous permet d'avancer en la matière, même si certains éléments ont déjà été introduits dans l'enseignement, en particulier dans l'enseignement secondaire ou dans l'enseignement supérieur, et même dans l'apprentissage au niveau du primaire et de la maternelle.

Identité, recherche de l'égalité juridique et sociale c'était la revendication de 1946 -, élargissement des responsabilités, tel est le triptyque qui doit gouverner nos réflexions.

En conclusion, je dirai que notre pays à la chance d'avoir un outre-mer vivant - ce débat très riche le montre -, implanté dans de grandes zones géographiques en pleine évolution. Nous avons là un atout pour développer à la fois la culture et les investissements économiques. En même temps, les peuples d'outre-mer nous montrent que notre identité française est multiculturelle.

On évoquait les succès des sportifs, mais on peut aussi parler du foisonnement sur le plan de la création littéraire, artistique et des développements scientifiques. Oui, la France a la chance de pouvoir compter sur les sociétés d'outre-mer pour marquer sa présence dans le monde ! (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le président.

J'appelle les crédits inscrits à la ligne :

« outre-mer ».

ÉTAT B Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires des services civils (mesures nouvelles)

« Titre III : 24 617 078 francs ;

« Titre IV : 68 764 403 francs. »

ÉTAT C Répartition des autorisations de programme et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital des services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ETAT

« Autorisations de programme : 36 470 000 francs ;

« Crédits de paiement : 18 941 000 francs. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT ACCORDÉES PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 1 831 500 000 francs ;

« Crédits de paiement : 632 080 000 francs. »

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix le titre III.

(Le titre III est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix le titre IV.

(Le titre IV est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

M. le président.

Nous avons terminé l'examen des crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

2 DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président.

J'ai reçu le 23 octobre 1998, de

M. Jean-Claude Lefort, un rapport d'information, no 1150, déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, sur les relations économiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis (rapport préliminaire).


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3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Mardi 27 octobre 1998, à neuf heures, première séance publique : Discussion du projet de loi, no 1106, de financement de la sécurité sociale pour 1999 : MM. Alfred Recours, Claude Evin, Denis Jacquat et Mme Dominique Gillot, rapporteurs au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1148, tomes I à IV) ; M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (avis no 1147).

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale la proposition d'acte communautaire suivante : Communication du 22 octobre 1998 No E 1165. - Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision no 2085/97/CE établissant un programme de soutien, comprenant la traduction, dans le domaine du livre et de la lecture (programme Ariane). Proposition de décision du Parlemente uropéen et du Conseil modifiant la décision no 719/96/CE du 29 mars 1996 établissant un programme de soutien aux activités artistiques et culturelles de dimension européenne (programme Kaleïdoscope) (COM [98] 539 final).