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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Réunion de la conférence des présidents (p. 2758).

M. le président.

2. Questions au Gouvernement (p. 2758).

OPÉRATIONS ÉLECTORALES À AUBAGNE (p. 2758)

M

M. Jean-François Mattei, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

INTERVENTION MILITAIRE EN YOUGOSLAVIE (p. 2759)

MM. Guy-Michel Chauveau, Alain Richard, ministre de la défense.

GRÈVE DU PERSONNEL DE LA POSTE EN GUADELOUPE (p. 2760)

MM. Léo Andy, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL (p. 2760)

MM. Alain Cacheux, Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

INTERVENTION CONTRE LA SERBIE (p. 2761)

MM. Alain Bocquet, Alain Richard, ministre de la défense.

BAISSE DES IMPÔTS (p. 2762)

MM. Philippe Auberber, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

RÉMUNÉRATION DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES DANS L'ÉDUCATION NATIONALE (p. 2764)

MM. Philippe Briand, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

AVENIR DE RFO (p. 2764)

M. Anicet Turinay, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

FUSION ALSTHOM-ABB (p. 2765)

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

NIVEAU DES PRE LE

VEMENTS OBLIGATOIRES (p. 2765)

MM. Charles de Courson, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

PRÉVENTIONS DES EXPULSIONS (p. 2767)

MM. Gilbert Biessy, Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Suspension et reprise de la séance (p. 2767)

PRE

SIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

3. Rappels au règlement (p. 2767).

MM. Louis Mermaz, Robert Pandraud, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

4. Présomption d'innocence et droits des victimes. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 2768).

DISCUSSION GE NE RALE (suite) (p. 2768)

M.

Arnaud Montebourg, Mme Christine Boutin,

MM. Jean-Pierre Michel, Edouard Balladur.

5. Modification de l'ordre du jour (p. 2773).

6. P résomption d'innocence et droits des victimes. Reprise de la discussion d'un projet de loi (p. 2773).

DISCUSSION GE NE RALE (suite) (p. 2773)

MM. Jacques Floch, Marc Leymann, Gérard Gouzes, Michel Hunault, Christophe Caresche, Guy Hascoët, Jacques Myard.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Clôture de la discussion générale.

DISCUSSION DES ARTICLES (p. 2785)

Article 1er (p. 2785)

MM. Claude Goasguen, Guy Hascoët, Pierre Albertini, Jérôme Lambert, Alain Tourret, Gérard Gouzes.

Amendement no 279 de Mme Catala : M. Robert Pandraud, Mmes Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois ; la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 72 de la commission des lois : Mmes le rapporteur, la garde des sceaux, Frédérique Bredin, MM. Alain Tourret, Pierre Albertini, Patrick Devedjian.

Sous-amendement no 229 de M. Devedjian : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. Adoption.

Sous-amendement no 230 de M. Devedjian : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. Rejet.

Sous-amendement no 231 de M. Devedjian : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux,

M. Jacques Floch. - Rejet.

Sous-amendement no 290 de M. Lang : M. Jean-Pierre Michel, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. Adoption.

Sous-amendement no 232 de M. Devedjian : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux, MM. Alain Tourret, Gérard Gouzes, Mme Frédérique Brelin, M. Arnaud Montebourg. - Adoption.

Sous-amendement no 233 de M. Devedjian : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. Rejet.

Adoption de l'amendement no 72 modifié.

L es amendements nos 1 de M. Devedjian, 280 de Mme Catala, 209 de M. Tourret, 2 de M. Devedjian, 305 rectifié de Mme Catala, 3 de M. Devedjian, 281 de Mme Catala, 210 de M. Tourret, 4 de M. Devedjian et 282 de Mme Catala n'ont plus d'objet.


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Amendement no 301 de M. Hascoët : M. Guy Hascoët,

Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Adoption de l'article 1er modifié : Après l'article 1er (p. 2794)

Amendement no 283 de Mme Catala : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 284 de Mme Catala : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux. - Rejet.

Amendement no 267 de M. Balladur : M. Patrick Devedjian, Mmes le rapporteur, la garde des sceaux, Frédérique Bredin, MM. Pierre Albertini, Philippe Houillon. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

7. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 2798).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 RÉUNION DE LA CONFÉRENCE

DES PRÉSIDENTS

M. le président.

Mes chers collègues, le Gouvernement ayant fait connaître son intention de faire une déclaration suivie d'un débat sur la situation en Yougoslavie - je m'en suis d'ailleurs entretenu avec le Premier ministre au téléphone - je vous informe que la conférence des présidents se réunira au 4e bureau, à l'issue de la séance de questions, pour préparer ce débat.

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

OPÉRATIONS ÉLECTORALES À AUBAGNE

M. le président.

La parole est à M. Jean-François Mattei.

M. Jean-François Mattei.

Monsieur le ministre de l'intérieur, dimanche dernier s'est déroulé le premier tour de l'élection législative partielle de la circonscription d 'Aubagne-La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône.

Compte tenu du climat détestable, suite à l'annulation par le Conseil constitutionnel du scrutin précédent pour fraudes organisées, le préfet a rappelé expressément à tous les maires de la circonscription les termes de l'arrêté ministériel du 24 septembre 1998 interdisant aux électeurs qui ne seraient pas en possession d'une pièce d'identité valide de prendre part au scrutin.

Ces prescriptions ont été suivies par tous les maires à l'exception d'un seul, le maire d'Aubagne, par ailleurs candidat député suppléant.

(Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Dans cette commune, plusieurs centaines d'électeurs ont pu voter, et ce avec l'accord délibéré des présidents des bureaux de vote, alors que leurs pièces d'identité étaient périmées.

Cette conduite est surprenante, mais elle n'est pas cachée. En effet, dès le lendemain matin, devant la c ommission de contrôle, le premier adjoint de la commune d'Aubagne expliquait, en présence du représentant du préfet, du président du tribunal de grande instance, qu'il avait lui-même autorisé de tels votes. Le président du tribunal de grande instance a confirmé les faits.

Il a pu constater lui-même que, dans 22 des bureaux de vote de la ville sur 28, de tels agissements s'étaient produits. Mais il a rappelé qu'il n'avait pas de pouvoir de police. De plus, le premier adjoint à confirmé que le processus serait probablement amplifié lors du deuxième tour et que ces votes irréguliers pourraient constituer de la part de tel ou tel électeur les fondements d'un recours en annulation.

Monsieur le ministre de l'intérieur, nous souhaitons un scrutin sincère, un scrutin loyal, un scrutin dont le résultat serait incontestable. Je vous pose donc la question suivante : quels moyens entendez-vous mettre en oeuvre pour que, dimanche prochain, Aubagne cesse d'être une commune de non-droit ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Il y va de la démocratie et de la responsabilité de l'Etat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le président.

Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez un peu plus de deux minutes pour répondre.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

Monsieur Mattei, ce problème ne se pose pas qu'à Aubagne.

L'article L.

62 du code électoral dispose qu'à son entrée dans la salle de scrutin, l'électeur doit faire connaître son identité « suivant les règles et usages établis » avant de procéder au vote. Ce constat d'identité se fait par tout moyen, sauf dans les communes de plus de cinq mille habitants où les électeurs doivent présenter en même temps que leur carte électorale un titre d'identité.

Cet article prévoit en outre que la liste de ces titres est établie par arrêté.

Jusqu'à l'an dernier, certains de ces titres ne comportaient pas tous la photographie de l'électeur. L'attention de mes prédécesseurs et de moi-même a été appelée à de nombreuses reprises par des membres du Parlement sur la nécessité de durcir cette réglementation. Je pense à des questions écrites de M. Raoult, de M. Bourg-Broc, de M. Delnatte.

Par ailleurs, à partir du moment où la carte d'identité est devenue gratuite, tout citoyen peut désormais obtenir sans obstacle financier une pièce d'identité faisant foi. Le Gouvernement s'est donc rallié à la demande de nombreux parlementaires qui étaient intervenus pour demander la révision de l'arrêté de 1976. Seuls sont désormais admis les titres d'identité avec photo, mais la liste reste relativement large. Elle comporte le permis de conduire, la carte d'invalidité civile ou militaire, le permis de chasser, la carte d'identité de fonctionnaire, la carte d'identité


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ou la carte de circulation militaire, les titres de réduction SNCF avec photographie, etc. Ces titres doivent être en cours de validité.

La nouvelle liste est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 1999. Elle s'est appliquée sans difficulté à toutes les élections partielles. C'est seulement à l'occasion de l'élection à l'assemblée territoriale de Corse...

M. Patrick Ollier.

Répondez à la question !

M. le ministre de l'intérieur.

J'en viens à des cas précis et je commence par l'élection de l'assemblée territoriale de Corse. A cette occasion, le nouvel arrêté a semblé poser un problème à certains électeurs qui ne pouvaient présenter aucun des documents exigés. M. Rossi m'avait d'ailleurs écrit à ce sujet.

M. Charles Miossec.

Et Aubagne ?

M. le ministre de l'intérieur.

Le Gouvernement est conscient que deux problèmes se posent.

Premièrement, un problème de délivrance des titres.

Nous venons d'autoriser les préfectures confrontées à des situations d'engorgement à recruter des personnels de renfort pour résorber les retards constatés.

Deuxièmement, il y a effectivement des personnes votant dans les communes de plus de cinq mille habitants qui n'ont pas de pièce d'identité en cours de validité et qui n'ont pas fait la démarche de demander une nouvelle carte d'identité. Ces électeurs sont peu nombreux. En général, ce sont des personnes âgées. Cela peut se passer à Aubagne, comme ailleurs.

J'ai donc demandé à mes services d'étudier la possibilité que l'ancienne carte d'identité puisse faire foi pendant un certain laps de temps, qui pourrait être de cinq ou dix ans, sous réserve de la présentation d'un récépissé de demande de renouvellement.

Voilà la direction dans laquelle je m'oriente pour mettre un terme à des incidents regrettables, mais qu'il ne convient pas de gonfler à des fins électoralistes. (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

INTERVENTION MILITAIRE EN YOUGOSLAVIE

M. le président.

La parole est à M. Guy-Michel Chauveau.

M. Guy-Michel Chauveau.

Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de la défense, concerne bien sûr la situation au Kosovo.

Monsieur le ministre, le blocage des négociations de Rambouillet et de Paris a ouvert la porte à une intervention militaire aérienne des forces de l'OTAN. La déclaration, cette nuit, du secrétaire général, suite à l'at titude du Président Milosevic, a confirmé le recours aux frappes aériennes contre la République yougoslave.

Hier soir également, le Président de la République décidait la participation des forces françaises aux actions militaires, engageant ainsi nos forces, nos moyens matériels et l'image de la France. C'est un événement politique et militaire de la plus haute importance.

Comme il l'avait annoncé hier, par votre voix, M. le Premier ministre a décidé de venir devant la représentation nationale. C'était une demande du Parlement, et plus particulièrement du groupe socialiste. Nous souhaitons bien sûr que ce débat ait lieu le plus rapidement possible.

Dans l'attente de la tenue de ce débat indispensable, quels éléments pouvez-vous nous apporter, à cette heure, sur les modalités d'intervention de l'OTAN et les conditions de participation de nos forces ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous nous trouvons dans une situation qui exige de chacun de nous le plus grand esprit de responsabilité. La France détient une audience dans le monde liée à la clarté de ses positions politiques et à la détermination qu'elle met à agir, les armes à la main si c'est indispensable, dans les crises où sont en jeu les principes qu'elle défend.

Dans les événements graves du Kosovo, les autorités françaises, le Président de la République et le Gouvernement ont exprimé ce que sont nos objectifs. Le Premier ministre en a redit hier les grandes lignes. Nous voulons construire la paix dans cette région, donner des droits collectifs à la communauté kosovare, sans enclencher un processus de partage ethnique dans tout le sud-est de l'Europe.

La communauté internationale a fixé des options simples, justes et équilibrées, à la définition desquelles nous avons beaucoup contribué : la réalisation d'une autonomie réelle du Kosovo à l'intérieur de la Fédération de Yougoslavie, avec l'arrêt de toute action des forces de sécurité affectant la population civile.

Ces choix sont ceux de tous...

M. Robert Pandraud.

Non !

M. le ministre de la défense.

... le groupe de contact, avec les quatre pays européens qui s'y sont engagés, les

Etats-Unis et la Russie, l'Union européenne tout entière, qui a démontré sa cohésion. C'est la décision des Nations unies qui, dans les résolutions des 23 septembre et 24 octobre 1998, a conféré leur légitimité aux dispositifs de surveillance et d'action éventuelle mis en place par le groupe de contact.

Au cours de la négociation conduite avec beaucoup de ténacité par la coprésidence française et britannique, ces principes admis par tous ont abouti à un règlement d'ensemble. Surmontant ses rétiences et ses divisions, la délégation représentative de l'ensemble des mouvements kosovars a apporté son adhésion à ce règlement qui, pourtant, ne satisfait pas toutes ses revendications. Au contraire, M. Milosevic, avec acharnement, a refusé d'entrer dans cette discussion alors que le texte proposé maintient ce qui est pourtant son premier but : l'intégrité de la Yougoslavie.

Pendant toute cette période de discussions, nous avons vu monter la tension, les affrontements avec une accumulation de moyens offensifs puissants de l'armée yougoslave, qui font redouter la recrudescence de massacres au sein de cette communauté de 2 millions de femmes et d'hommes que nous ne pouvons pas abandonner à la répression violente.

Comme le Premier ministre vous l'a indiqué hier, nous devons tirer toutes les conséquences de cette situation.

Conformément aux accords qui ont été préparés au sein de l'Alliance atlantique, les Européens, en plein accord


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entre eux, et les Américains vont engager une action militaire aérienne visant exclusivement les capacités militaires de la Yougoslavie, et cela dans le but d'amener les dirigeants de cet Etat à reprendre la négociation autour des principes adoptés par la communauté internationale.

Nous devons espérer que M. Milosevic fera enfin le choix de la paix et du compromis.

Vous avez insisté, monsieur le député, sur la nécessaire ouverture du débat sur ces questions majeures devant le Parlement. Le Premier ministre, qui a déjà présenté hier, devant vous, les orientations des autorités françaises, doit se consacrer aujourd'hui et demain au sommet de l'Union européenne, où il travaille, aux côtés du Président de la République et en compagnie du ministre des affaires étrangères, à l'adoption de décisions communautaires également essentielles pour notre avenir. Il vient de me faire savoir que, dès vendredi à quinze heures, il présentera au Parlement une déclaration qui sera suivie d'un débat.

Parallèlement, le ministre des affaires étrangères et moimême nous tenons à la disposition des commissions compétentes pour fournir tous les éléments de réflexion aux parlementaires, au moment qui leur paraîtra le plus adapté en fonction des circonstances.

Notre démocratie traverse une crise internationale majeure. Les buts que nous poursuivons, les moyens que nous emploierons, chacun les connaît dans la clarté. Dans ces circonstances exigeantes, Le Gouvernement sait pouvoir compter sur la clairvoyance et la détermination de la représentation nationale tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) GRÈVE DU PERSONNEL DE LA POSTE EN GUADELOUPE

M. le président.

La parole est à M. Léo Andy.

M. Léo Andy.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Mais avant toute chose, mes chers collègues, je voudrais présenter, en votre nom à tous, nos voeux de prompt rétablissement à notre collègue Michel Crépeau.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis plus d'un mois, le service de La Poste en Guadeloupe est paralysé par une grève générale. Le personnel réclame des moyens adéquats pour un fonctionnement efficace et rationnel de ce service public. En effet, de nombreux problèmes sont signal és : manque de guichets spécialisés provoquant de longues files d'attente ; manque de véhicules pour une distribution convenable du courrier ; effectifs insuffisants pour faire face aux besoins et nécessitant la création dans l'immédiat d'une quarantaine de postes supplémentaires.

Les négociations entamées depuis un mois n'ont pas abouti jusqu'à présent. Cette grève pénalise évidemment l'ensemble des activités économiques de l'île, mais surtout les usagers les plus défavorisés. Vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que La Poste est considérée comme la banque des plus vulnérables, retraités et handicapés n otamment. C'est pourquoi j'aimerais connaître les mesures que vous envisagez de prendre pour mettre un terme à cette situation intolérable et assurer d'urgence le rétablissement dans de bonnes conditions de ce service public.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, La Poste en Guadeloupe est en effet touchée, depuis le 8 mars, par un conflit engagé par les organ isations syndicales représentatives. Cette grève, qui touche plus de 50 % des personnels, a pour objet la satisfaction d'un certain nombre de revendications, telles que l'amélioration du service rendu aux guichets et la réduction de la durée d'attente.

Je tiens tout de suite à vous préciser qu'en raison du rôle social assuré par le réseau postal, toutes les dispositions ont été prises, avec l'accord des organisations syndicales, pour garantir le versement des mandats sociaux et notamment du revenu minimum d'insertion au début du mois de mars.

Une négociation constructive se poursuit. Elle a d'ores et déjà permis à La Poste de formuler des propositions, notamment en matière d'emploi et pour l'acquisition de nouveaux véhicules qui pourraient être nécessaires au fonctionnement du service public. La Poste doit d'ailleurs veiller, conformément à son contrat d'objectif et de progrès, à ce que le service public soit identique dans toutes les régions de notre territoire, en zone rurale comme en zone urbaine, en métropole comme dans les départements d'outre-mer. Ainsi, la convention entre l'Etat et La Poste concernant la politique de la ville, également signée par M. Bartolone il y a quelques semaines, s'applique aux départements d'outre-mer.

La Poste a la volonté de faire aboutir rapidement la négociation qu'elle a engagée avec les partenaires sociaux.

Cette négociation se déroule dans un contexte de renouvellement du dialogue social dont l'importance a été soulignée par le contrat d'objectif et de progrès et qui a trouvé une première application éclatante le 17 février dernier avec la signature d'un accord sur l'aménagementréduction du temps de travail. Je ne doute pas que les organisations syndicales partagent la volonté de La Poste de parvenir très prochainement à un accord.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL

M. le président.

La parole est à M. Alain Cacheux.

M. Alain Cacheux.

Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat au logement, à moins que ce ne soit à M. le ministre de l'économie et des finances.

M. Lucien Degauchy.

Que ce soit l'un ou l'autre, ce ne sera pas mieux !

M. Alain Cacheux.

En présentant la semaine dernière son rapport sur l'état du mal-logement en France, le jour même où prenait fin la trêve hivernale des expulsions, la Fondation Abbé-Pierre a mis l'accent sur le développement abusif des solutions provisoires et d'urgence, sur le risque de voir l'accès au logement social pour les personnes défavorisées relever exclusivement de la filière associative, mais surtout sur l'insuffisance de la production de logements sociaux locatifs ordinaires.

On connaît les chiffres : en 1988, moins de 50 000 PLA et PLA-TS auront été financés, alors même que 80 000 avaient été budgétisés et financés en 1997, ce qui n'était pas le cas auparavant.

On connaît également les raisons. La Fondation Abbé Pierre évoque l'attentisme des collectivités locales, mais il y a aussi et surtout des raisons financières. Des


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organismes, endettés par le financement des constructions antérieures, qui n'arrivent pas à renégocier leurs dettes, principalement auprès de la Caisse des dépôts. Des prêts trop chers - 4,3 %, quand on obtient moins de 5 % pour des prêts privés - et j'ai bien entendu ce qu'a dit, hier, le ministre de l'économie et des finances au sujet de la rémunération du livret A. Des durées d'amortissement des prêts trop courtes. Un financement complémentaire du 1 % logement qui n'est pas financièrement attractif : les crédits sont peu consommés parce qu'ils sont peu consommables.

Ma question sera donc très simple : quelles mesures le G ouvernement compte-t-il prendre pour relancer la construction de logements sociaux locatifs puisque toutes les mesures très positives, prises depuis plus de deux ans ne suffisent pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au logement.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Monsieur le député, vous m'interrogez à l'issue de la publication, voilà quelques jours, du rapport sur le mal logement que produit depuis maintenant plusieurs années la fondation Abbé Pierre. Ce document, nourri à la fois de constats du terrain, d'appréciations et de réflexions d'acteurs associatifs très impliqués au quotidien dans ce domaine, est, en effet, devenu une sorte de référence.

Comme vous l'avez indiqué, ce rapport met en garde contre le développement abusif de solutions provisoires d'hébergement. Précisément, et vous le savez puisque le Parlement en a voté la traduction budgétaire concrète dès la loi de finances pour 1998, le Gouvernement a mis en place des produits nouveaux, mieux financés que jamais.

je fais notamment allusion aux prêts locatifs aidés d'intégration pour lesquels il est prévu, non seulement un prêt de trente-deux ans, un taux de TVA à 5,5% mais également une subvention, donc une aide à la pierre, de 80 000 francs en moyenne par logement. De telles conditions de financement n'avaient jamais été réunies pour le logement social.

Malheureusement, sur les 10 000 logements de ce type dont le financement était assuré dans la loi de finances, 3 600 seulement ont été réalisés en 1998. Ces chiffres donnent la mesure de l'effort à faire sur le terrain puisque l'Etat, malgré lui, ne peut utiliser les fonds mis en place par la représentation nationale sur la proposition du Gouvernement. En tout cas, celui-ci est complètement en phase avec cette appréciation : il faut développer une offre adaptée qui soit une réponse pérenne, donnant une vraie chance d'insertion à ceux qui en bénéficieront.

Le rapport de la fondation Abbé-Pierre a également mis en garde contre les sollicitations excessives en direction du monde associatif. Il faut effectivement que les opérateurs tiennent tous leur rôle. Les associations ne doivent intervenir qu'en complément de ce qui est très naturellement de la responsabilité des services sociaux publics ou des opérateurs et des moyens qu'ils mobilisent dans la gestion de leur patrimoine. Nous ne pouvons que partager également cette appréciation.

Vous m'avez, pour terminer, posé une troisième question, dont je me doute que vous la considérez comme essentielle, et qui touche aux mesures devant être prises pour la relance de la construction de logements sociaux dans notre pays. Je crois que le Gouvernement a d'ores et déjà donné un peu d'oxygène financier aux organismes HLM, notamment avec la baisse de la TVA sur les travaux de réhabilitation. Il a rétabli, dans la loi de finances de l'année dernière, l'aide à la pierre pour 35 000 des 80 000 prêts locatifs aidés chaque année. Il a également étendu aux opérations d'acquisition-amélioration l'avantage fiscal significatif que représente l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant quinze ans.

Mais, en effet, ces mesures n'ont pas encore pris toute leur place et n'ont donc pas encore produit les effets que nous en attendons.

Il faut, à la décharge des organismes HLM, souligner, comme vous l'avez fait, qu'il y a encore des progrès à faire et à obtenir du côté du 1 %. Je signale que ce dernier, dans le cadre de l'accord qu'il a conclu avec le Gouvernement en août dernier, a rétabli une aide dont il estime qu'elle pourra être, dès 1999 et pour le seul logement locatif public, de l'ordre de 5 milliards. Un meilleur financement des projets doit donc être possible si l'on additionne les mesures de la loi de finances et ces capacités nouvelles du 1 %.

Il reste, et je conclurai là-dessus (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

M. Bernard Accoyer.

C'est trop long !

M. le secrétaire d'Etat au logement.

Il me semble que la question est d'importance, messieurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Lucien Degauchy.

Ça suffit ! Baratin !

M. le secrétaire d'Etat au logement.

Il reste qu'il y a trop de communes attentistes, qui ne favorisent pas les programmes de logements locatifs sociaux, ce qui n'est pas acceptable lorsqu'elles n'en ont que peu ou pas du tout. (Mêmes mouvements.)

Je m'adresse là tout particulièrement à M. le député-maire d'Annecy-le-Vieux, qui estime que je suis trop long dans ma réponse : sa ville est exactement dans le cas de figure où cet effort est indispensable. J'aimerais qu'il se mobilise pour aider à le réaliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) C'est la condition de la mixité urbaine et sociale. C'est la condition du succès de l'insertion de nos concitoyens les plus modestes. Il faut que nous nous mobilisions tous autour de cet objectif.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

INTERVENTION MILITAIRE CONTRE LA SERBIE

M. le président.

La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet.

Souvenons-nous de Sarajevo et des Balkans, d'où est parti le premier conflit mondial du siècle qui s'achève. Pour la première fois depuis la dernière guerre mondiale, un pays européen risque à tout moment d'être bombardé sans que le Conseil de sécurité des Nations unies n'ait eu à se prononcer, et ce en violation totale de la charte de l'ONU.

Nous avons salué les efforts déployés jusque-là par la France aux côtés d'autres pays européens, en faveur d'unes olution politique à ce conflit insupportable dans


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l'ex-Yougoslavie. A l'évidence, le pouvoir en place à Belgrade porte une lourde responsabilité dans les développements dramatiques de la situation au Kosovo.

Comme l'a rappelé ce matin mon ami Robert Hue, nous sommes favorables à toute initiative qui soit de nature à faire reculer au Kosovo, en Serbie et dans toute l'ex-Yougoslavie, ces nationalismes qui conduisent à la haine et à la guerre. La conférence de Rambouillet a rendu possible des progrès. Les dirigeants américains veulent avec l'OTAN s'ériger en gendarmes de l'Europe comme du monde entier. C'est grave, c'est dangereux et c'est inadmissible. Ce n'est pas en ajoutant la guerre à la guerre qu'on créera les conditions de la paix.

Comme nous l'a indiqué hier le Premier ministre, la France s'apprête à utiliser les frappes militaires aux côtés de l'OTAN. Nous désapprouvons totalement ce choix.

C'est mettre le doigt dans un engrenage dont personne ne peut dire les finalités et qui va coûter des vies humaines, des blessés, des meurtrissures de toutes sortes.

Comment peut-on imaginer que la France de Jaurès participe à une action armée alors qu'existent à Belgrade comme à Pristina des forces opposées au nationalisme et ouvertes au dialogue ?

M. Eric Doligé.

Quittez le Gouvernement !

M. Alain Bocquet.

La France et l'Europe gagneraient à faire entendre un message qui ouvrirait une perspective de dialogue,...

M. Laurent Dominati.

Pas vous !

M. Alain Bocquet.

... de cohabitation et de coopération et offrirait à ses forces de paix une occasion de se faire entendre de leurs compatriotes.

L'Europe et la France en particulier doivent décider chez elles et agir pour que se tienne une conférence de tous les pays du continent placée sous l'égide de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. En aucun cas, les forces françaises ne sauraient être engagées dans un conflit sur la seule décision du Président de la République et du Premier ministre.

Je me félicite, monsieur le ministre de la défense, qu'ait été annoncé un débat à l'Assemblée nationale, mais je crains que, vendredi, il ne soit trop tard. C'est de toute urgence et toute affaire cessante que nous devons discuter, décider et voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Huées sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais d'abord préciser à l'intention du président Alain Bocquet que, aux yeux des autorités françaises, les Nations unies se sont prononcées et que les résolutions 1199 et 1203 prises sous le titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies ont prévu les moyens d'obtenir l'arrêt immédiat de toute action des forces de sécurité affectant la population civile au Kosovo et le retrait des unités de sécurité utilisées pour la répression contre les populations.

L'action militaire, si elle se révèle inévitable, a donc pour base juridique ces résolutions adoptées sans opposition par le Conseil de sécurité.

M. Maxime Gremetz.

Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Louis Debré.

Que les communistes quittent le Gouvernement s'ils ne sont pas d'accord, monsieur Gremetz !

M. le ministre de la défense.

Il y a naturellement, chacun y pense ici avec gravité, des dangers et des inconvénients graves à l'emploi de la force face à une situation de conflit que nous savons complexe. Mais ayons aussi la lucidité de reconnaître que la violence est déjà en mouvement au Kosovo, avec son cortège d'atrocités,...

M. François Rochebloine.

Très juste ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Absolument !

M. le ministre de la défense.

... et que le seul choix possible est d'agir pour la contenir et de refuser la primauté de la force brute sur le droit des gens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Devant la situation d'aujourd'hui, nous en tenir à des déclarations alors qu'un objectif politique juste a été défini par toute la communauté internationale, alors que nous avons les moyens d'agir, reviendrait à céder à la tactique de M. Milosevic qui, comme en Bosnie, il y a quelques années, espère maintenir sa domination brutale grâce à notre manque de détermination. Ne laissons pas se répéter, mesdames, messieurs les députés, ces moments de démission collective qui ont préparé les drames de l'histoire européenne. (Mêmes mouvements.)

Dans cette affaire difficile, les Européens ont pris leur responsabilité collective. Nous devons précisément nous réjouir de ce que, devant des choix particulièrement dramatiques, les Européens - cela s'est vérifié au cours des jours derniers et jusqu'à maintenant - agissent entièrement de concert.

Le Président de la République, chef des armées, a donné son accord pour l'emploi de nos moyens aériens en vue d'une action maîtrisée dirigée contre les moyens de répression mis en oeuvre par le pouvoir serbe et du rétablissement de la paix dans l'équité, conformément au cadre défini par la communauté internationale.

Il n'appartient qu'à M. Milosevic de rendre inutile cet emploi de la force en souscrivant au cadre politique que chacun reconnaît équitable. Si nos soldats doivent entrer en action aux côtés de leurs camarades européens et américains, en assumant les risques du combat, ce qui justifie une pensée de notre part à leur égard, ce sera au service de principes et de valeurs qui sont ceux de notre République. Nous devons assumer cette responsabilité avec le sentiment d'accomplir notre mission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Maxime Gremetz.

Et les civils ?

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

BAISSE DES IMPÔTS

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le président, mes chers collègues, à l'automne 1997, le Gouvernement, lorsqu'il a présenté la loi de finances de 1998, nous avait annoncé une baisse de deux dixièmes des prélèvements obligatoires au cours de l'année 1998.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Eric Doligé.

Il s'est trompé !

M. Philippe Auberger.

Cette promesse a été réitérée après le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à l'automne dernier. Or, la semaine dernière, M. Strauss-Kahn a déclaré que, malheureusement, il y aurait non pas une baisse mais, au mieux, une stabilisation des prélèvements obligatoires.

M. Jacques Myard.

Une fois de plus !

M. Philippe Auberger.

Le Gouvernement confirme-t-il cette déclaration, et donc le fait que ses engagements ne seront pas tenus ? Ma deuxième question porte sur la majoration de l'impôt sur les sociétés, votée à l'automne 1997. Il était entendu que cette majoration serait exceptionnelle et que, en tout état de cause, elle serait supprimée en l'an 2000.

Or on peut lire ici ou là que le Gouvernement s'interroge sur le respect ou non de cet engagement.

M. Gérard Bapt.

Il a raison de le faire !

M. Philippe Auberger.

Le Gouvernement respectera-t-il son engagement ? Troisième question (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), à l'automne dernier, le Gouvernement nous avait indiqué qu'il avait la volonté de diminuer la TVA mais que la réglementation européenne l'en empêchait.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Qui a augmenté la TVA ?

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît ! Seul M. Auberger a la parole !

M. Philippe Auberger.

Comme chacun le sait, la Commission de Bruxelles a établi un projet de directive qui permet des baisses ciblées de TVA,...

Mme Martine David.

Deux points de TVA en plus avec M. Juppé !

M. Philippe Auberger.

... notamment pour les travaux et services à domicile et la restauration. Quand le Gouvernement entend-il appliquer le projet de directive de Bruxelles ?

M. Didier Boulaud.

Ça se soigne l'amnésie !

M. Philippe Auberger.

Dernière question, enfin (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), actuellement, les élus locaux sont en train de voter leurs impôts et chacun sait que la fiscalité locale a une assiette extrêmement discutable. Or le Gouvernement s'était engagé à l'automne dernier, d'abord dans le cadre de la loi de finances pour 1999, puis dans celui de la loi de finances rectificative pour 1998, à introduire la révision des bases locatives en matière de fiscalité locale. Cela n'a pas été fait. Il a indiqué ensuite qu'il y procéderait à l'automne 1999. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Charles Cova.

Apparemment ces questions gênent la majorité !

M. Philippe Auberger.

Mais on lit, ici ou là, que ce serait repoussé à l'an 2000. Je voudrais donc savoir si le Gouvernement envisage de respecter son engagement sur ce point et, si oui, quand. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, M. Dominique Strauss-Kahn et M. Sautter, qui se trouvent l'un à Berlin et l'autre au Sénat, m'ont chargé de vous répondre.

M. Eric Doligé.

Il ne reste plus grand monde !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Les évaluations précises faites par la direction de la prévision concernant l'évolution des prélèvements obligatoires ne seront connues que dans quelques jours. Mais je peux d'ores et déjà vous indiquer que le montant des prélèvements obligatoires acquittés par les ménages et les entreprises françaises ne sera pas plus élevé que prévu dans les comptes joints à la loi de finances initiale pour 1998.

M. Didier Boulaud.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

L'élément nouveau concerne l'évolution précise de la richesse nationale. En effet, l'évolution des prélèvements obligatoires se mesure par rapport à l'évolution d'un rapport. Lorsque le dénominateur de ce rapport évolue moins vite que prévu (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) parce que l'inflation baisse et que notre politique économique réussit (Exclamations sur les mêmes bancs), il y a, à l'évidence, l'évolution que vous avez indiquée. Mais cela est dû au fait que nous avons encore mieux réussi que prévu à maîtriser l'inflation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Je veux retenir par ailleurs trois évolutions marquantes qui me permettent de répondre avec précision à votre question et de montrer combien la politique économique du Gouvernement est fondée et efficace. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Tout d'abord, les Français n'ont pas payé plus d'impôts et de cotisations sociales que prévu. Ensuite, grâce à la baisse de l'inflation, les ménages ont bénéficié de forts gains de pouvoir d'achat en 1998, plus 3,8 %, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Enfin, la hausse des prélèvements obligatoires que vous avez continûment enregistrée alors que vous étiez au gouvernement dans les années précédentes, entre 1993 et 1997, a été pour la première fois stoppée. En effet, les prélèvements obligatoires, qui avaient baissé de 0,8 point de 1987 à 1992 avec la gauche au gouvernement, ont augmenté de 2,4 points de PIB entre 1992 et 1997 avec la droite et seront, je vous le confirme, stabilisés en 1998.

Quant aux questions concernant la préparation de la loi de finances et l'évolution de l'impôt sur les sociétés et de la TVA, le Gouvernement fera, comme il est normal, connaître ses options le moment venu. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Vous aurez à en discuter ici-même.

En tout cas, monsieur le député, nous ferons certainement mieux que vous qui avez augmenté de 90 milliards en deux ans le prélèvement au titre de la TVA sur les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

RÉMUNÉRATION DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES DANS L'ÉDUCATION NATIONALE

M. le président.

La parole est à M. Philippe Briand.

M. Philippe Briand.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, mais je tiens auparavant à rappeler à l'orateur précédent que, mine de rien, son gouvernement a tout de même augmenté les prélèvements de 63 milliards en arrivant au pouvoir. Pourquoi êtesvous ainsi amnésiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

On a quelquefois l'impression que le Gouvernement est fâché avec les chiffres.

M. Jean-Yves Le Déaut.

Et votre augmentation de la TVA ?

M. Philippe Briand.

Dimanche soir, au lendemain de la manifestation des enseignants contre la réforme des lycées, monsieur le ministre de l'éducation nationale, vous avez reconnu qu'il y avait eu un quiproquo à propos de la rémunération des heures supplémentaires. Vous avez ainsi annoncé que le pouvoir d'achat des enseignants serait rétabli. A cet égard, je vous pose deux questions.

D'abord, comment allez-vous vous y prendre pour revenir sur le principe du décret du 30 juillet 1998, abaissant de 17 % le taux de rémunération des heures supplémentaires annuelles ? Ensuite, comment allez-vous financer vos très nombreux emplois-jeunes ? En effet, le 21 octobre dernier, en plein débat budgétaire, vous avez indiqué : « Les professeurs de classes préparatoires ont été atteints par une mesure générale de solidarité. Ils sont de loin les mieux payés de l'éducation nationale, mais ils n'ont pas cru, pour certains, devoir s'associer à ce geste de solidarité.

J'en ai pris acte, mais cela ne changera pas ma détermination. » Plus de six mois après cette déclaration, quelle

sera, demain, votre véritable détermination en la matière ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, je précise d'abord que je n'ai pas augmenté de 63 milliards les prélèvements de quiconque. (« Si ! Si ! » sur les bancs du Rassemblement pour la République, de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Juppé.

Si, 63 milliards !

M. Philippe Briand.

Vous n'êtes pas tout seul !

M. Pierre Lellouche.

Et la solidarité gouvernementale ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Quant à la régulation des h eures supplémentaires-payées sur quarante, deux semaines, alors que trente-six sont effectuées, elle constitue une mesure qui m'a paru juste tant au niveau administratif que sur le plan de la solidarité. La meilleure preuve en a été donnée par le fait que pas un seul député présent au moment du débat budgétaire ne m'a adressé la moindre observation à ce sujet. (Murmures.)

Cette mesure a été mal comprise. Elle traduit un certain état d'esprit que j'ai intégré. Je ferai donc en sorte que, tout en respectant une rigueur comptable absolue, certaines dispositions soient prises afin de ne pas choquer.

M. Jean-Louis Debré.

Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Cela veut dire ce que cela veut dire ! Quant aux mesures techniques, vous me permettrez de réfléchir encore un peu avant de les annoncer. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Léonce Deprez.

Vive la réflexion ! Réfléchissons ! AVENIR DE RFO

M. le président.

La parole est à M. Anicet Turinay.

M. Anicet Turinay.

Madame la ministre de la culture et de la communication, ma question porte sur le projet de loi relatif au secteur public de la communication audiovisuelle, qui sera prochainement examiné par l'Assemblée.

En effet, la réforme, dont la discussion a été ajournée au mois de décembre dernier, prévoyait le regroupement de France 2, France 3, La Cinquième, La Sept-Arte, et, peut-être, RFO, Radio-France outre-mer. A cet égard je vous rappelle, madame la ministre, que cette chaîne de radio-télévision publique d'outre-mer répond à des critères propres à ces départements et territoires. Elle développe aujourd'hui une politique de proximité de plus en plus accrue, à la grande satisfaction des populations de ces départements et territoires, ce qui n'était pas le cas à l'époque de l'ORTF qui regroupait déjà toutes les chaînes publiques.

Je souhaiterais donc savoir, comment, dans le cadre de cette réforme, vous comptez garantir les spécificités de l'outre-mer en matière d'audiovisuel public dans la holding que vous préconisez ? Dans le cas où RFO ne ferait pas partie de cette holding, quels moyens lui donneriezvous pour assurer pleinement sa mission de service public, notamment pour la production et l'achat de programmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

Monsieur le député, RFO aura toute sa place dans la réforme ambitieuse que le Gouvernement prépare pour le service public audiovisuel.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Où est le projet ?

M. Richard Cazenave.

C'est l'Arlésienne ! Mme la ministre de la culture et de la communication.

RFO sera notamment chargée d'assurer la continuité territoriale.

Vous avez fort justement souligné que RFO avait des spécificités dans l'exercice de ses missions, dans le respect des populations des départements et territoires d'outremer. Comme cela est actuellement le cas, la future loi les respectera.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Elle doit d'abord assurer un service de proximité. Nous avons donc inscrit 10 millions de francs de mesures nouvelles en 1999 pour lui permettre de développer des programmes dont je vous remercie d'avoir souligné l'intérêt.

Il lui appartient aussi d'améliorer sa diffusion internationale dans son environnement en profitant des développements satellitaires. Néanmoins elle devra toujours penser en priorité aux populations qu'elle dessert directement.

C'est la raison pour laquelle nous nous sommes penchés sur le cas de RFO, en particulier sur sa situation financière. Avec mon collègue Dominique Strauss-Kahn, nous avons accédé à une demande d'audit formulée par le nouveau président de RFO. Cette mission sera menée conjointement par un inspecteur des finances et par un inspecteur du ministère de la culture.

Nous continuerons donc à assurer le développement matériel et les capacités de production de RFO. Nous souhaitons néanmoins que, dans le cadre du débat parlementaire, la représentation nationale se prononce, en particulier par la voix des députés des départements et territoires d'outre-mer. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas prévu d'emblée l'entrée de RFO dans la société holding. La discussion sur ce sujet reste ouverte.

Nous transmettrons l'ensemble des informations dont nous disposerons à ce sujet à la représentation nationale qui pourra juger en toute connaissance de cause quelle est la solution la plus conforme aux intérêts de RFO et à la logique de développement de l'audiovisuel public dans les départements et territoires d'outre-mer.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

FUSION ALSTHOM - ABB

M. le président.

La parole est à Mme Gilberte MarinMoskovitz.

Mme Gilberte Marin-Moskovitz.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Hier, le groupe français Alsthom a annoncé simultanément sa fusion avec le groupe helvético-suédois ABB et la vente à General Electric de son activité de turbines à gaz de grande puissance. Cette annonce brutale a soulevé une immense émotion à Belfort, premier site de production du groupe où cela concerne plus de 5 000 salariés. « Belfort est sous le choc de la mondialisation », a titré ce matin un journal local.

Si, dans le communiqué de presse transmis par ABB et Alsthom, il est beaucoup question de gains de productivité et d'économies d'échelle, le sort et l'avenir des salariés ne sont à aucun moment évoqués. Il est d'autant plus légitime de s'interroger qu'il est précisé que cette nouvelle société sera, comme ABB, de statut néerlandais avec son siège à Bruxelles.

Cette nouvelle étape de la course à la concentration financière risque d'avoir de très lourdes conséquences pour l'emploi dans le Territoire de Belfort et je suis très i nquiète. Aussi, monsieur le ministre, aimerais-je connaître votre sentiment sur cette fusion. En termes de politique industrielle et de recherche, d'indépendance nationale, Alsthom est un fleuron de l'industrie française et cette société joue un rôle primordial en matière d'emploi et de cohésion sociale.

Par ailleurs, le communiqué précise que fusion et vente seraient soumises aux dispositions légales et à l'approbation des autorités compétentes. Quel sera le rôle de l'Etat français dans ces décisions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Madame la députée, Alsthom et ABB viennent en effet de décider la création d'une société commune à parts égales qu'ils détiendront. Elle regroupera les pôles de production d'énergie des deux groupes et sera dirigée par un Français, l'actuel directeur général d'Alsthom.

L'ensemble du groupe deviendra le numéro un mondial, avec 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 54 000 personnes. Grâce à cette société, l'Europe prendra la première place sur un marché très concurrentiel, difficile. Elle passera devant l'actuel géant américain General Electric.

Parallèlement, Alsthom et General Electric mettent fin à leur accord de licence - cela concerne plus particulièrement Belfort - portant sur les turbines à gaz, ABB disposant d'une technologie très performante. General Electric reprendra à 100 % EGT - European Gaz Turbine -, actuelle filiale d'Alsthom, qui fabrique ses turbines à gaz à Belfort et à Essen et dont General Electric est déjà actionnaire.

Pour bien répondre à votre question, je formulerai trois remarques.

D'abord le Gouvernement doit faire et veut faire prévaloir une logique industrielle et non une logique de concentration financière. Nous serons donc très attentifs au maintien de l'investissement - on prévoit qu'il représentera 6 à 7 % du chiffre d'affaires du groupe -, à la répartition géographique des marchés et à l'augmentation du budget de recherche et développement.

Ensuite, je vous indique que le Gouvernement a pris note de ces décisions et qu'il les soumettra, le moment venu, aux autorités de la concurrence.

Enfin, nous étudions avec une très grande attention et avec une très grande détermination, les éventuelles conséquences économiques et sociales sur l'ensemble des implantations d'Alsthom, notamment à Belfort. A cet égard, je peux vous indiquer que je serai très exigeant à l'égard du groupe Alsthom en ce qui concerne l'évolution tant de l'investissement que de l'emploi dans cette ville.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous poursuivrons la concertation avec vous et avec les autres élus de la région afin de garantir l'avenir régional du site d'Alsthom à Belfort.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

NIVEAU DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

M. le président.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson.

Ma question, qui s'adresse au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, c omplète celle qu'a posée tout à l'heure Philippe


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Auberger.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le groupe UDF estime, en effet, qu'il faut profiter de la croissance économique pour baisser les prélèvements obligatoires, à l'image de ce qu'ont fait la quasi-totalité des pays développés.

Si, entre 1994 et 1997, le taux des prélèvements obligatoires a effectivement été augmenté de deux points, c'était pour combler le déficit budgétaire, historiquement colossal, le plus élevé de toute la Ve République.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) En avril 1996, il atteignait 6,2 % du PIB ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le 9 septembre 1998, devant la commission des finances, M. le ministre de l'économie et des finances a déclaré que le taux des prélèvements obligatoires baisserait en 1999 de 0,2 point, comme en 1998. Or il a avoué fort discrètement, le 17 mars, devant le club de réflexion Conviction que le taux des prélèvements obligatoires avait en réalité atteint 46,1 % en 1998. Cela signifie qu'il n'a pas baissé et qu'il est supérieur de 0,2 point à vos prévisions, soit à son niveau historiquement le plus élevé.

Ce phénomène va d'ailleurs se poursuivre en 1999, car plus personne ne croit, pas même le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à une croissance de 4 % en valeur. Une nouvelle fois, les prélèvements obligatoires ne baisseront pas cette année.

Le groupe UDF souhaite poser trois questions précises et attend des réponses précises, et non pas une réponse de petit comptable, comme celle que vous avez donnée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat.

(Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Claquements de pupitres.)

M. le président.

Un peu de silence, mes chers collègues.

M. Charles de Courson.

Première question : le taux des prélèvements obligatoires a-t-il baissé en 1998, oui ou non ? (« Non ! non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Deuxième question : baissera-t-il en 1999 ? (« Non ! non ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Troisième et dernière question : au vu du ralentissement économique, le Gouvernement a-t-il définitivement renoncé à toute perspective de baisse des prélèvements obligatoires ? (« Oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, je vous remercie sincèrement du ton avec lequel vous avez posé votre question, car je pense que l'Assemblée nationale estimera avec moi que la profession de comptable est très honorable et qu'elle est tout à fait remarquable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Il a dit « petit comptable » !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Cela vaut même lorsqu'ils sont petits.

Je vais répondre en formulant trois remarques.

Je veux d'abord présenter mes excuses à l'Assemblée nationale parce que j'ai effectivement commis une omission. Je remercie d'ailleurs M. de Courson de me permettre de la corriger.

En effet lorsque j'ai parlé de l'augmentation des prélèvements par le biais de la TVA de 90 milliards en deux ans, j'aurais dû ajouter les 30 autres milliards dus au Gouvernement de M. Juppé pendant la durée où il était au pouvoir, portant à 120 milliards l'augmentation totale des prélèvements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe communiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Franck Borotra.

Et la baisse des charges qui avait été opérée ? Vous ne savez faire que des additions ! M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. Je tiens ensuite à préciser que nous maintenons nos prévisions de croissance. Cela est d'ailleurs conforme à l'évolution des indices qualitatifs dans les différents secteurs qui sont bons à partir du mois de mars. Selon les prévisions de l'ensemble des économistes et des instituts de conjoncture, ils seront encore meilleurs au deuxième trimestre et à la fin de l'année. Cela me permet d'affirmer que les prévisions de croissance qui ont été associées aux comptes de la loi de finances, et commentées depuis par M. Dominique Strauss-Kahn, seront réalisées.

(Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Pour ce qui est de la baisse des prélèvements obligatoires, vous avez omis un élément important, monsieur le député : le Gouvernement a décidé de supprimer en cinq ans la base salariale de la taxe professionnelle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Nous donnerons ainsi une nouvelle impulsion tant à l'emploi qu'au développement et à la croissance des entreprises.

Je vous rassure donc totalement, car votre inquiétude doit être apaisée : l'évolution des prélèvements obligatoires associés aux comptes de la loi de finances sera intégralement respectée.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Franck Borotra.

Vous avez oublié les 50 milliards de francs de déductions fiscales que nous avions accordés !

M. le président.

Nous en revenons à une question du groupe communiste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

PRÉVENTION DES EXPULSIONS

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Biessy.

M. Gilbert Biessy.

Monsieur le secrétaire d'Etat au logement, la loi relative à la lutte contre les exclusions, votée en juillet dernier, organise un dispositif de prévention des expulsions. En ce sens elle constitue une avancée sociale importante et attendue par beaucoup. Je pense, en particulier, à la réduction du nombre de jugements prononçant une expulsion pour non-paiement des loyers ou charges pour les locataires de bonne foi, dont les handicaps sociaux ne leur permettaient pas d'assurer leur droit au logement, ou à la facilité de paiement des dettes de loyer grâce à l'intervention du fonds de solidarité logement.

Néanmoins, la date fatidique du 15 mars est passée et le recours aux expulsions est de nouveau possible. Bon nombre de familles se retrouveront sans logement. Il est donc opportun de rappeler aux préfets les dispositions du volet logement de la loi contre les exclusions afin qu'ils s'assurent qu'elles ont été respectées avant de recourir à la force publique.

De plus, le groupe communiste et apparentés avait proposé qu'aucune expulsion ne se fasse sans offre de relogement adaptée à la situation des personnes de bonne foi expulsées. Cette disposition a été cassée par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, comment le Gouvernement entend-il veiller à l'application effective de la loi quant à la prévention des expulsions, et quelles dispositions compte-t-il prendre pour assurer une offre de relogement répondant à la situation des personnes expulsées ? Il est urgent en effet de trouver une réponse au souci exprimé par la représentation nationale et par les associations oeuvrant pour le droit au logement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au logement.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.

Monsieur le député, votre question exprime une préoccupation très forte, et je ne peux qu'être d'accord avec nombre des appréciations que vous avez formulées.

Jusqu'à la loi du 29 juillet 1998, la saisine des préfets intervenait en fin de parcours, lorsque tout avait été tenté, notamment par la voie du recours aux huissiers.

A ce moment-là, les propriétaires étaient exaspérés par les impayés qui s'étaient accumulés, et les familles étaient traumatisées par la perspective d'une intervention des forces de l'ordre pour les expulser de leur logement.

La loi du 29 juillet 1998 a induit un changement complet de logique. Désormais, la saisine du préfet, à peine de nullité, aura lieu au moment de l'assignation du locataire devant la juridiction et un délai de deux mois est prévu pendant lequel, sous l'autorité du préfet, tous les services sociaux doivent être mobilisés, les intéressés entendus et toutes dispositions prises pour que des solutions soient trouvées chaque fois qu'il y a impécuniosité de bonne foi. Le compte rendu de ce travail social sera remis au juge, si bien que, lorsque celui-ci aura à se prononcer, il pourra faire la distinction - c'était sousentendu dans votre interrogation - entre les locataires de bonne foi pour lesquels une solution aura certainement déjà été mise en route - et les juges pourront accorder des délais pour permettre la reprise du règlement des loyers, et les locataires ayant les moyens de régler les loyers qui auront fait preuve de négligence ou se seront placés dans une situation anormale - et l'expulsion deviendra une sanction.

L'objectif est de faire en sorte que cette distinction s'opère en amont de la décision de justice et donc de réduire de façon drastique le nombre des jugements d'expulsion et, dans le même temps, l'effort supporté par le ministère de l'intérieur pour essayer de limiter les dégâts lorsque l'opération se déroule dans de mauvaises conditions. Nous avons pour cela renforcé les moyens de la prévention. Nous attendons que ce défi lancé à tous les acteurs sociaux soit relevé positivement.

Vous m'avez demandé si un contact était prévu avec les préfets pour faire passer le message. Le ministre de l'intérieur réunira tous les préfets vendredi prochain. Il a eu l'obligeance de m'associer à cette réunion pour que j'explique les données nouvelles. Ce sera fait. J'espère que nous pourrons, dans les mois à venir, observer des changements fondamentaux dans un domaine social où il se passait des choses inadmissibles dans une société digne de ce nom. Notre objectif est de préserver en toutes circonstances la dignité des plus modestes d'entre nous.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seinze heures vingt, sous la présidence de M. François d'Aubert.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

3 RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Louis Mermaz.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz, pour un rappel au règlement.

M. Louis Mermaz.

Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 58 et 132.

L'Assemblée nationale entendra, vendredi après-midi, le Premier ministre sur le drame du Kosovo et sur l'engagement possible des forces françaises.

Il faudrait que nous puissions savoir très vite quelle interprétation le Président de la République et le Premier ministre donnent de l'article 35 de la Constitution : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. »

Milosevic, qui est l'homme de la purification ethnique, est quelqu'un de tout à fait condamnable sur les plans humain et politique et tout doit être fait pour qu'un nouveau drame ne se produise pas. Mais si des soldats français doivent être engagés, le Parlement doit pouvoir jouer complètement son rôle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Jacques Myard.

Il a raison !

M. Robert Pandraud.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Robert Pandraud, pour un rappel au règlement.

M. Robert Pandraud.

Avant d'exposer mon propre rappel au règlement, je tiens à dire que je suis pleinement d'accord avec M. Mermaz.

Nous sommes tous partisans, monsieur le président, du renforcement du contrôle du Parlement sur les activités administratives et gouvernementales. Et, dans ce dispositif de contrôle, les commissions d'enquête jouent un rôle important. Certes, elles sont limitées par la durée de leur mandat - six mois, c'est court - mais aussi parce qu'elles n'ont pas le droit - et c'est légitime - d'empiéter sur les affaires judiciaires.

Ne pourriez-vous, monsieur le président, rappeler au ministre compétent, en l'occurrence Mme la garde des sceaux, qu'il lui a été demandé il y a plusieurs semaines quelle était la portée des procédures judiciaires engagées à l'encontre d'une mutuelle d'étudiants afin que la commission d'enquête créée à cet effet puisse connaître son champ réel de compétence ? N'y a-t-il pas de fax à la chancellerie que nous ne puissions obtenir une réponse rapide ? Ou les parquets auraient-ils pris, de manière unilatérale, leur indépendance qu'ils ne répondent pas aux demandes de leur ministre ? Il serait tout de même souhaitable, étant donné le temps qui nous est imparti, si nous voulons travailler sérieusement, que nous ayons cette réponse. Cela ne me paraît pas devoir poser au ministre compétent de difficulté, si ce n'est celle due à la lenteur habituelle à l'administration.

Dans le même ordre d'idée, le ministre en charge des affaires sociales nous avait affirmé qu'un rapport avait été demandé à l'IGAS. On nous avait même indiqué qu'il serait prêt dans les deux ou trois semaines. Or, maintenant, il ne serait pas encore terminé.

Je ne mets pas en cause les ministres. Je connais les lenteurs de l'administration. Mais ils doivent se faire obéir et puisque le Parlement est prioritaire et qu'il souhaite ces rapports, il faut que les fonctionnaires se mettent dare-dare à la tâche et ne se complaisent pas dans un doux farniente qui peut laisser supposer bien des complicités.

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Je vais pouvoir rassurer M. Pandraud et, au passage, rectifier certaines inexactitudes.

Vous avez raison de rappeler, monsieur Pandraud, que les commissions d'enquête parlementaires doivent jouer un rôle important. Je le souhaite personnellement car je pense que ce serait un des moyens d'éviter une plus grande pénalisation de notre vie politique.

La commission d'enquête sur le régime social étudiant a été instituée. Elle s'est réunie pour la première fois le 16 mars. Quatre jours avant, le 12 mars, un premier contact a eu lieu entre la commission des lois et mon cabinet, c'est-à-dire avant même que la commission soit installée, pour savoir si des affaires judiciaires étaient en cours, afin d'éviter des interférences entre la mission de la commission d'enquête parlementaire et les actes d'enquête ou d'instruction qui ont été ordonnés, précaution habituelle pour éviter que le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire n'empiètent l'un sur l'autre. Cette demande visait, en effet, expressément des procédures qui pourraient être conduites à l'encontre de la MNEF.

Il a été souhaité, en second lieu, que la chancellerie établisse pour le président de la commission une note technique et juridique sur les rapports entre la procédure judiciaire et la commission parlementaire afin de savoir quelles pouvaient être les limites entre ces procédures et ce, je le rappelle, pour éviter toute interférence conformément à l'article 141 du règlement de l'Assemblée nationale.

Le 22 mars, un second contact - après la première réunion de la commission du 16 mars - a eu lieu avec mon cabinet afin de préciser ces demandes et d'établir une calendrier pour les réponses. La commission s'est montrée particulièrement exigeante sur la qualité et la précision des informations qui pouvaient être fournies par la chancellerie. Il convient de noter d'ailleurs que cette demande dépasse très largement la demande de renseignements formelle qui peut être adressée à la chancellerie.

Le même jour, le 22 mars, la direction des affaires criminelles et des grâces était saisie de ces deux demandes et il n'est pas étonnant que le 24 mars, deux jours après, nous n'ayons pas encore reçu de réponse. Il n'y a donc aucun retard des services administratifs, ni de la commission d'enquête d'ailleurs, ni de mon cabinet.

Je tiens à rappeler que mon ministère et, à plus forte raison, moi-même n'avons jamais manifesté la moindre réticence pour fournir les éléments d'information qui étaient demandés par les commissions mais que, afin d'éviter toute confusion entre les travaux de la commission parlementaire et les enquêtes judiciaires qui sont en cours, en l'occurrence celles concernant la MNEF, il est nécessaire que la commission soit informée avec précision sur les informations ou les enquêtes judiciaires ouvertes sur les organismes ayant eu à gérer le régime étudiant.

Et pour preuve de la célérité que mon ministère et moi-même manifestons devant ce type de demandes, je vous rappelle que lorsque j'ai été saisie par le président de l'Assemblée nationale de la création d'une commission d'enquête sur la gestion de la MNEF le 2 octobre 1998, j'ai signé la réponse le 27 octobre.

Tels sont les délais dans lesquels nous travaillons. Ils me semblent tout à fait raisonnables, en l'espèce, monsieur le député.

4 PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DROITS DES VICTIMES Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la p résomption d'innocence et les droits des victimes (nos 1079, 1468).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Arnaud Montebourg.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la tâche qui nous incombe est délicate : tenter de corriger les défauts graves et identifiés de l'appareil judiciaire tout en ne compromettant pas les exigences de l'action répressive.

Le Gouvernement aurait pu tenter de rebâtir sur une autre base. Nous disposions de très nombreux travaux pour le faire, dont l'excellent rapport de Mme DelmasMarty. Mais je crois que c'eût été une grave erreur.

Alors que nous tentons, à vos côtés, madame la garde des sceaux, de renforcer les bases d'une institution judiciaire sinistrée, laissée à l'abandon pendant des décennies (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale), alors que vous placez des moyens considérables pour organiser avec méthode le rattrapage du temps perdu, alors que nous veillons à reconstruire le crédit d'une justice dans laquelle les victimes comme les prévenus ont perdu confiance, pour des raisons différentes mais de valeur également estimable, prendre le risque d'engager une remise en cause générale et refondatrice gâcherait les efforts engagés, déstabiliserait l'appareil judiciaire et l'affaiblirait avec certitude.

On gardera donc, notre juge d'instruction si décrié, mais si nécessaire dans sa forme inquisitoriale.

Pourquoi conserver le juge d'instruction ? Parce qu'il est une garantie d'impartialité dans la direction de l'enquête.

Et ceux qui, dans un accès fiévreux de libéralisme sauvage (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale) - d'ailleurs assez récent en la matière...

M. Michel Hunault.

Provocateur !

M. Arnaud Montebourg.

... prônent le cantonnement du juge d'instruction dans des fonctions d'arbitre, veulent en vérité confier le travail d'enquête au parquet et à la police, avec les risques d'arbitraire, de manipulation et d'influence auxquels ces corps peu indépendants et dépendant hiérarchiquement du pouvoir exécutif peuvent conduire.

Qui pourrait d'ailleurs résister à ce travail d'accusation, si ce n'est ceux qui disposeraient d'une armada d'avocats et des moyens de les rémunérer ? Lorsque M. Balladur nous reproche, à la une d'un grand journal, en empruntant curieusement au chant des Soviets de la révolution russe, l' Internationale...

M. Michel Hunault.

Insolent !

M. Arnaud Montebourg.

... je le cite : « Du passé vous n'avez pas osé faire table rase, madame la garde des sceaux », sa révolution à lui, dans l'ordre judiciaire, est ultralibérale et programme la mort, tant désirée et tant espérée par la classe dirigeante en difficulté avec la justice, du juge d'instruction indépendant.

M. Gérard Gouzes.

Que ne l'a-t-il fait lorsqu'il était au pouvoir !

M. Arnaud Montebourg.

Cette idée de démantèlement programmé de l'appareil judiciaire est d'ailleurs ultracohérente avec celle du refus de l'indépendance du parquet que M. Balladur théorise dans ses propositions, que reprenaient à cette tribune, hier, ses partisans, M. Chirac, Président de la République, s'acharnant à refuser la mise en oeuvre de la réforme. Regardez comme il est curieux que ce dernier se refuse à inscrire à l'ordre du jour du Congrès de Versailles un texte qui offre des garanties statutaires au parquet.

Nous entendons, en vérité, l'opposition parlementaire et son chef dire haut et fort : « brisons les chaînes et les menottes que nous passent les juges d'instruction et conservons surtout les moyens politiques de contrôler les enquêtes. Il ne reste plus qu'à faire croire que tout cela est révolutionnaire et - espèrent-ils - il y aura bien un socialiste pour mordre à cet hameçon libertaire. »

Il n'y en aura pas ! Nous savons quelle révolution libérale vous préparez : celle de l'impunité judiciaire de la classe dirigeante et le retour de la justice de classe des romans de Balzac sous la monarchie de Juillet. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Lorsque les orateurs de l'opposition nous disent :

« mais sautez donc le pas », « vous n'allez pas assez loin »,

« vous êtes bien timides », et nous font la leçon...

M. Michel Hunault.

Vous n'êtes pas au tribunal !

M. Arnaud Montebourg.

... croyez-vous qu'il soit besoin d'être grand clerc pour apercevoir que l'opposition parlementaire - et ses chefs - désormais, c'est bien connu, peuplée de présumés innocents, ne supporte plus d'avoir à défiler dans les cabinets d'instruction ? (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Hunault.

Provocateur ! C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg.

Et voici que s'avancent dans l'hémicycle leurs avocats pour promouvoir en douceur, et avec le sourire, la fin des affaires. Les batteries d'amendements déposés par vous, messieurs, en sont la confirmation et la preuve : amendements sur la réforme de la prescription d'abus de biens sociaux, amendements sur l'impossibilité de vérifier le contenu des dénonciations anonymes, amendements de suppression de la mise en examen.

L'opposition parlementaire règle ses comptes avec les juges et veut la fin des affaires. Elle ne l'aura pas. Nous ne chanterons pas, monsieur Balladur, l' Internationale avec vous et nous défendrons donc, bec et ongles, le juge d'instruction.

M. Michel Hunault.

N'importe quoi !

M. Arnaud Montebourg.

Nous garderons donc notre juge d'instruction, mais il lui faudra accepter, et c'est bien naturel dans un Etat de droit, les contre-pouvoirs.

Là où il y a pouvoir, il doit y avoir débat, discussion contradictoire. Tel est le sens des inflexions significatives proposées par ce texte et par la commission : l'évolution raisonnable et tant attendue du statut de la garde à vue, les dispositions importantes, assez révolutionnaires, relatives au témoin assisté qui éviteront des mises en examen qui ne seraient ni strictement nécessaires ni justifiées.

Je voudrais dire, du haut de cette tribune, aux magistrats instructeurs dont nous défendons et protégeons le travail, qu'ils ne doivent pas voir dans le juge de la détention une quelconque menace pour leur action. Il est le moyen, au contraire, de s'épargner les critiques et, en vérité, de renforcer le crédit placé dans le déroulement des enquêtes que les juges d'instruction dirigent.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Combien d'innocents injustement poursuivis auraient voulu et désiré le juge de la détention ! Je pense, en rendant hommage à son courage, à Christine Villemin, dont la justice a déclaré l'innocence dans des conditions uniques dans les annales de la justice française, reconnaissant douze années plus tard l'absence totale de charges, après l'avoir incarcérée alors qu'elle était enceinte.

Mme Frédérique Bredin.

Après douze ans de calvaire !

M. Arnaud Montebourg.

Je sais, pour avoir été à ses côtés, combien elle aurait aimé...

Mme Frédérique Bredin.

Qu'on respecte la présomption d'innocence !

M. Arnaud Montebourg.

... comme des dizaines d'autres, elle qui fut inexplicablement accusée par une institution judiciaire prise littéralement de délire, éviter de se trouver dans une sorte de face à face solitaire et torturant avec son juge, au moment décisif.

Et combien d'autres, dont on ne connaît ni le nom, ni le grade, qui n'ont pu compter sur un autre juge, un autre regard plus sage, plus expérimenté et différent que vous proposez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, de rétablir.

Cet autre juge, vous avez souhaité l'appeler « juge de la détention ». Il rappelle le juge délégué de 1993 dont j'ai vu, je l'atteste ici, la capacité à corriger la copie d'autres juges, à apporter des nuances, à éviter les excès et les erreurs. Le vôtre, le nôtre, va bien au-delà.

C'est l'une des avancées les plus importantes de ce texte qui rencontre notre soutien et notre enthousiasme.

Il y en a beaucoup d'autres. Nous les discuterons dans le détail à l'examen de chacun des articles.

Nous voulons nous attacher à ce nouvel équilibre entre le renforcement des exigences de l'action répressive et les progrès décisifs dans l'exercice des droits de la défense.

Votre texte en contient de grands et nombreux car il préserve l'essentiel et continue à faire avancer et progresser notre idéal. Nous le soutiendrons donc avec force.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Christine Boutin.

Mme Christine Boutin.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le fonctionnement de la justice, comme celui de nos institutions, fait l'objet de nombreuses critiques légitimes de nos concitoyens, qui témoignent de moins en moins de confiance à l'égard des conditions de prise de décision des juges ou des hommes politiques. Nos concitoyens souhaitent avant tout que l'on remédie aux dysfonctionnements quotidiens de notre justice, notamment à sa lenteur.

En tout état de cause, on peut reconnaître que le projet de loi que nous abordons aujourd'hui apporte certaines réponses aux lacunes actuelles de la loi.

La présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue semble être un réel progrès, dans le sens du respect des droits de la défense.

De même l'extension du mécanisme du témoin assisté pourrait permettre d'éviter des mises en examen inutiles.

Par ailleurs, le système de la fenêtre de publicité paraît refléter un bon équilibre entre la nécessité de respecter le principe fondamental du secret de l'instruction et celle d'éviter que des soupçons pèsent sur une personne faisant l'objet d'une instruction.

Enfin, la limitation des conditions de placement en détention provisoire, le renforcement du droit à être jugé dans un délai raisonnable et l'amélioration de l'indemnisation des détentions injustifiées me paraissent également bien venus.

Il me semble toutefois que ces quelques améliorations sont insuffisantes pour assurer un meilleur respect de la présomption d'innocence. Ainsi, un certain nombre de questions restent sans réponse.

Les modalités de l'intervention de l'avocat dès la première heure semblent un peu imprécises ou du moins un peu lègères. Quel est l'intérêt de la présence d'un avocat qui n'a pas accès au dossier de celui dont il est censé assurer la défense ? Il ne faudrait pas que sa présence soit uniquement symbolique.

Si notre souci est le respect du contradictoire, la présence de l'avocat ne devrait-elle pas d'ailleurs être rendue possible tout au long de la procédure afin que le principe du contradictoire puisse être réellement respecté ? La commission Truche avait proposé la solution d'enregistrer l'interrogatoire. Cette proposition n'a pas été retenue en dépit d'un accueil favorable chez les syndicats de policiers. Quels sont les raisons de ce refus, madame la ministre ? En ce qui concerne la détention provisoire, qui est pour moi la manifestation la plus grande de l'atteinte à la présomption d'innocence, il ne suffit pas d'en limiter l'application pour des infractions punies d'une peine minimale et de l'indemniser quand elles sont injustifiées.

Il faudrait également en limiter la durée. Je suis favorable aux amendements en ce sens. Comment expliquer en effet qu'une personne ayant passé deux ans en détention provisoire soit en fait non coupable ? Je ne pense pas que la création d'un juge supplémentaire dans la procédure d'instruction, le juge de la détention provisoire, soit une véritable solution. Cela ne va-t-il pas compliquer inutilement la procédure ? Sera-t-il véritablement en mesure de prendre une décision indépendante et motivée ? N'aurait-il pas tendance à s'en remettre au juge d'instruction avant de prononcer ou de refuser la détention ? Ou, au contraire, dans un souci de prétendu équilibre, ne va-t-il pas ruiner les efforts du juge d'instruction qui essaie de mener son enquête ? Je m'interroge, par ailleurs, sur la mise en oeuvre d'un meilleur respect de la présomption d'innocence. Pouvezvous nous indiquer si nous disposons des moyens pour garantir ces principes qui seront affirmés dans le code pénal, ne serait-ce que pour améliorer l'indemnisation des détentions injustifiées ? Au sujet de cette indemnisation, puisqu'il est précisé qu'elle devrait désormais tenir compte du préjudice moral et matériel, comment le préjudice moral sera-t-il évalué ? Cette précision a-t-elle une réelle portée ou demeurera-telle symbolique ? Est-ce à la personne relaxée ou jugée non coupable d'apporter les preuves du préjudice moral qu'elle aura subi ou existera-t-il un barème préétabli en fonction de critères précis ? Je voudrais m'arrêter quelques instants sur les dispositions concernant la presse. Il existe déjà une législation et des règles déontologiques visant à protéger les personnes.

Une application stricte de ces textes et une plus grande sensibilisation des journalistes et des magistrats permettrait sans doute d'éviter de nombreuses dérives.

Cela dit, certaines des dispositions du projet de loi me paraissent intéressantes, notamment la possibilité pour le procureur de la République d'exercer le droit de réponse


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

à la demande d'une personne mise en examen et, comme je l'ai dit précédemment, le système des fenêtres de publicité.

En revanche, nous devons réfléchir à la disproportion entre l'engouement et la publicité médiatiques développés lorsqu'une personne est mise en examen et leur quasiabsence lorsque cette personne est déclarée non coupable.

La simple annonce d'une mise en examen, avec ou sans photo, a de graves conséquences sur la réputation d'une personne dans son entourage, que celle-ci soit ou non une personnalité politique. Des soupçons demeurent toujours. Or ces personnes ne disposent pas d'importants moyens pour faire connaître leur innocence. Il est vrai qu'il ne s'agit plus là du problème de la présomption d'innocence mais de la preuve de cette innocence après le jugement. Dans quel cadre aurons-nous l'occasion d'aborder ce problème particulier ? Il ne semble pas apparaître dans le projet de loi d'aujourd'hui.

Cela fait bien longtemps que le non-respect de la présomption d'innocence est dénoncé dans notre pays. Si ce projet de loi propose quelques améliorations pour le respect du principe contradictoire et la limitation de la détention provisoire, je ne suis pas certaine que le dispositif proposé aujourd'hui parvienne à réellement renforcer ce principe, en raison, tout d'abord, de la mentalité de notre société. Nous sommes ainsi faits, en France, que nous avons immédiatement des soupçons au sujet d'une personne lorsqu'on commence une enquête judiciaire ou que les médias lancent une nouvelle affaire. Le sens populaire veut qu'il n'y ait pas de fumée sans feu. Or nous sommes tous bien placés ici pour savoir que les rumeurs peuvent être trompeuses.

Ce texte manque d'audace. Il va dans le bon sens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel.

Madame la ministre, votre texte est un bon texte qui s'inscrit dans le droit existant.

J'avoue que, pour ma part, j'avais quelque préférence pour la procédure dite accusatoire, mais, finalement, je me range à vos arguments, que vous avez fort bien développés hier : c'est une procédure pour les riches, qui coûte fort cher.

Notre procédure inquisitoire a tout de même de graves défauts, dus à son fondement même qui est la recherche à tout prix de l'aveu de la personne suspectée. La personne que l'on arrête doit avouer. La procédure doit donc se dérouler dans le plus grand secret et tous les moyens sont bons a priori, même les pressions psychologiques, voire physiques.

Votre texte essaie de porter remède à ces dysfonctionnements de notre justice et je crois qu'il contient de réelles avancées, mais, de mon point de vue, il ne va pas encore assez loin.

En ce qui concerne la garde à vue, beaucoup semblent lever les bras au ciel lorsqu'on veut introduire la présence de l'avocat dans les locaux ou pendant la garde à vue.

Souvenons-nous que les mêmes ou leurs ancêtres avaient mis beaucoup de temps pour faire en sorte que l'avocat soit présent dans les cabinets d'instruction. Je pense que, comme cela se fait en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne, Espagne où la procédure pénale est semblable à la nôtre, l'avocat doit être présent pendant toute la garde à vue, que les interrogatoires pendant la garde à vue doivent faire l'objet d'enregistrements et que ceux-ci doivent être des pièces de la procédure.

M. Henri Pagnol.

Très bien !

M. Michel Hunault.

On l'a voté d'ailleurs.

M. Jean-Pierre Michel.

Je sais bien que les réformes en matière de procédure pénale ne se font pas tout d'un coup. C'est la raison pour laquelle j'apprécie à leur juste valeur les amendements de Mme le rapporteur, j'en ai moi-même déposé, pour que nous allions vers ce but.

La détention provisoire est souvent employée par le juge d'instruction comme un moyen de chantage pour faire avouer la personne qui est mise en examen, soit qu'elle s'exerce sur elle-même, soit qu'elle s'exerce sur ses proches, son épouse, sa compagne. C'est la raison pour laquelle il est bon que la mesure de détention ne soit plus décidée par le juge d'instruction mais confiée à un autre juge, que vous appelez le juge de la détention. Ainsi, cette perversion sera évitée.

Il faut également limiter le nombre des mises en détention et leur durée et, de mon point de vue, seules des mesures objectives, drastiques, peuvent nous permettre d'atteindre cet objectif. Ce ne sont pas quelques pétitions de principe que, texte après texte, depuis vingt ans que je suis député, nous ajoutons dans le code de procédure pénale, qui limiteront les détentions provisoires. Il faut être très précis à cet égard.

Deuxième point, le secret. Pour ma part, je suis un c haud partisan, et depuis toujours, de l'instruction publique : plus de secret de l'instruction.

M. Michel Hunault.

On est d'accord.

M. Jean-Pierre Michel.

Je conçois bien que, là aussi, c'est difficile à mettre en oeuvre immédiatement, mais cela réglerait les problèmes difficiles que nous rencontrons dans les rapports entre la presse, la police et la justice, que, globalement, en tant que corps social, nous ne savons pas résoudre et que nous ne pourrons pas résoudre à l'occasion de ce texte. Je me souviens qu'en 1978, M. Alain Peyrefitte, qui était garde des sceaux, j'étais à l'époque commissaire du Gouvernement, a été obligé, au début d'une séance, de retirer un texte sur ce même sujet, qui me paraissait assez équilibré d'ailleurs.

De ce point de vue, vous ouvrez ce qu'on appelle des fenêtres. J'en suis très heureux et j'espère que, petit à petit, on ouvrira complètement la porte. Encore faut-il qu'il s'agisse de vraies fenêtres et non de meurtrières.

C'est la raison pour laquelle je déposerai un amendement empêchant le président de la chambre de la mise en détention de se retrancher derrière des formules toutes faites pour s'opposer à ce que les audiences soient publiques.

Telles sont, madame la garde des sceaux, les quelques observations que je comptais faire à propos de ce texte, qui va dans le bon sens, je crois.

Un certain nombre de parlementaires vous proposeront d'aller encore plus loin. Ecoutez ce qu'ils vous disent. Ils sont proches du terrain et ont le sens des réalités.

M. Pierre Albertini.

Très bien !

M. Jean-Pierre Michel.

Ils savent qu'il faut concilier les grands principes de la liberté individuelle et l'efficacité de la répression et de la poursuite, et c'est sans démagogie qu'ils vous font des observations. Ce ne sont pas toujours les mêmes que ceux qui, en 1993, s'étaient dépêchés de supprimer le juge délégué. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Edouard Balladur.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Edouard Balladur.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le propre de toute société est de rechercher un équilibre entre la nécessité de l'ordre et les exigences de la liberté.

Dans la conception que nous nous faisons de la justice, et qui est commune à nombre de ceux et de celles qui siègent sur tous les bancs de notre assemblée, la justice a pour fin ultime d'assurer la liberté et la protection des citoyens.

Regardons la réalité en face : notre système judiciaire, s'il assure mieux que naguère - et qui ne s'en réjouirait ? l'indépendance des juges, ne garantit que de manière encore imparfaite la liberté de chacun. Bien des raisons l'expliquent. Elles tiennent à l'histoire tumultueuse de notre pays, toujours tiraillé dans la recherche simultanée de l'ordre et de la liberté, qu'il a plus que d'autres du mal à concilier.

Tous les gouvernements de la Ve République, de quelques majorité qu'ils soient issus, se sont efforcés de porter remède à cette situation.

M. Gérard Gouzes.

Pas toujours !

M. Edouard Balladur.

Aucun n'y est parvenu totalement. Tous ne s'en sont pas approchés, faute sans doute de l'avoir tous voulu avec une égale intensité.

Depuis la loi du 17 juillet 1970, qui a transformé la détention préventive en détention provisoire, ce ne sont pas moins de neuf lois de procédure pénale qui ont été adoptées pour modifier le régime de l'instruction et de la détention. Pour autant, les garanties données aux citoyens restent insuffisantes.

O n le sait, sur 51 000 personnes emprisonnées, 15 000 sont en détention provisoire. Est-on sûr que cette détention, dont la durée moyenne augmente d'ailleurs, soit toujours justifiée ? On peut être sûr du contraire puisque, chaque année, sur les 60 000 personnes mises en examen, près de 8 000 bénéficient d'un non-lieu.

Dans le même temps, et la réforme du 4 janvier 1993, qui substitue la mise en examen à l'inculpation, n'y a rien changé, les atteintes irréparables portées à la réputation de personnes pourtant présumées innocentes se multiplient, la société d'information dans laquelle vous vivons étant ce qu'elle est.

En d'autres termes, nos concitoyens ne sont pas seulement fondés à se plaindre que leurs demandes soient examinées avec retard ou trop souvent classées sans suite.

Surtout, ils sont confrontés, lorsque les aléas de la vie ou leurs fautes les placent dans la main de la justice, à une situation dans laquelle ils ont le sentiment que leurs libertés fondamentales ne sont pas suffisamment respectées et que leur dignité est malmenée.

Port de menottes, fouille à corps, emprisonnement à la veille d'un procès d'assises, toutes ces mesures doiventelles, par exemple, être appliquées dans tous les cas, sans considération pour la gravité réelle des faits qui sont reprochés ? La détention provisoire, à laquelle notre système judiciaire a trop souvent recours, est-elle justifiée dans tous les cas ? Est-on assuré qu'elle est toujours fondée sur le principe et l'impératif d'efficacité de l'enquête ? Surtout, à quoi sert vraiment la mise en examen, symbole de la procédure inquisitoriale dont notre pays, qui s'enorgueillit d'être celui des droits de l'homme, conserve presque le monopole ? Pour la personne concernée, la mise en examen garantit les droits de la défense, c'est-à-dire l'accès au dossier et le droit à l'assistance d'un avocat, mais elle permet surtout au juge de manier l'arme de la détention provisoire sans qu'à aucun moment, la décision même de mise en examen puisse être contestée publiquement et contradictoirement devant une juridiction collégiale. Finalement, la mise en examen, c'est au juge qu'elle facilite la tâche. Ce n'est pas le citoyen dont elle protège mieux les droits.

Tels sont les défauts les plus manifestes de notre procédure pénale. J'ai le regret de dire que le projet de loi dont nous abordons la discussion ne les fait pas tous disparaître.

Certes, il faut se réjouir que le projet désaisisse le juge d'instruction du pouvoir de placer une personne en détention, se féliciter des mesures techniques qui, en matière procédurale ou s'agissant des conditions et de la durée de la détention provisoire, tendent à améliorer la protection de la présomption d'innocence, mais je crains que notre droit, déjà si complexe et parfois confus, n'y gagne pas en clarté.

Surtout, je regrette que le Gouvernement ne s'attaque pas de front aux problèmes du caractère inquisitorial, opaque et insuffisamment respectueux des libertés de notre procédure pénale.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Inutile de chercher à raccommoder, à améliorer, au prix de complications nouvelles. A la vérité, le moment est venu de changer radicalement de système. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Philippe Auberger.

La réforme, c'est nous !

M. Edouard Balladur.

Ce changement doit obéir à quelques principes simples qui fondent l'idée même que, les uns et les autres, nous nous faisons de la dignité de la personne humaine.

Premier principe : toute personne entendue par un juge, fût-ce comme simple témoin, doit avoir accès au dossier et pouvoir bénéficier dès la première heure de l'assistance d'un avocat.

M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Deuxième principe : toute personne entendue par un juge a le devoir de répondre à ses questions, mais ne peut être tenue de témoigner contre elle-même.

Troisième principe : la mise en examen est supprimée.

Nul ne peut être placé en détention provisoire sans avoir été au préalable mis en accusation.

M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Quatrième principe : la décision de mise en accusation, c'est-à-dire de renvoi devant la juridiction compétente pour statuer sur les faits reprochés à une personne, est prise par le juge d'instruction, mais elle doit pouvoir être contestée par cette personne devant une juridiction collégiale, le tribunal de la liberté. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Cinquième principe : toute décision limitative ou privative de liberté ne peut être prise que par le tribunal de liberté. Elle est susceptible d'appel devant la chambre d'accusation.

Enfin, sixième principe : tribunal de la liberté et chambre d'accusation doivent statuer selon une procédure contradictoire et publique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Ces six principes, mes chers collègues, obéissent à une nécessité, celle de substituer une procédure contradictoire et transparente à des pratiques opaques et inexorables.

M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Faute d'adopter ces principes, contenus dans les amendements proposés par les trois groupes de l'opposition, j'ai le regret de dire qu'il n'y aurait pas à mes yeux de réforme suffisante de la procédure pénale dans le sens de la liberté des citoyens. Nous nous livrerions au énième ravaudage, sans guère améliorer la situation.

La mise en examen, décision du seul juge d'instruction, contre laquelle aucun recours n'est possible, doit être supprimée. L'accès au dossier et l'assistance d'un avocat peuvent être garantis par la rénovation du statut de témoin. Quant à la mise en accusation décidée par le juge d'instruction et seule susceptible d'entraîner une mise en détention provisoire, elle doit pouvoir être contestée devant une juridiction collégiale statuant en audience publique. Voilà le coeur de la réforme que nous proposons.

Si l'on supprime la mise en examen et qu'on la remplace par une procédure où la mise en accusation peut être contestée devant une juridiction collégiale, les droits de la défense, le respect de la présomption d'innocence seront mieux assurés. Les exemples étrangers montrent que cet objectif peut être atteint sans que cela nuise à la recherche des infractions.

L'occasion nous est offerte de jeter les bases d'une réforme de société vraiment nouvelle qui permettrait de définir un équilibre nouveau entre l'ordre et la liberté, équilibre plus juste et plus respectueux des droits de la personne.

Cette réforme serait une réforme de liberté.

Elle ne porterait aucune atteinte à la sécurité, aspiration partagée par tous nos concitoyens.

Enfin, mes chers collègues, elle pourrait être une réforme qui rassemble. A quelque mouvement politique que nous appartenions, nous avons tous en commun une conception exigeante de la liberté. Elle est consubstantielle à l'idée même que nous nous faisons de notre pays.

Je souhaite qu'au-delà des clivages politiques du moment la représentation nationale ait l'audace du changement et de la liberté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) 5

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président.

Au cours de la conférence des présidents qui vient de se tenir, l'ordre du jour de l'Assemblée a été ainsi modifié : vendredi 26 mars, à onze heures : déclaration du Gouvernement sur la situation au Kosovo, suivie d'un débat sur cette déclaration.

M. Richard Cazenave.

Cela paraît bien tard ! 6 PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DROITS DES VICTIMES Discussion générale (suite) Reprise de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

Nous reprenons la suite de la discussion générale.

La parole est à M. Jacques Floch.

M. Jacques Floch.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes constitue l'un des principaux chapitres de la réforme nécessaire, indispensable, de notre justice.

De tels sujets ne laissent personne indifférent : chaque année, un Français sur trois a, de près ou de loin, affaire à la justice et il découvre alors un système qui peut à la fois lui assurer protection, défense et lui éviter contraintes et abus.

Il découvre aussi souvent des femmes et des hommes de grande qualité qui font leur travail avec conscience, savoir-faire et esprit d'équilibre. Il rencontre aussi la distorsion du droit, l'abus de procédures, l'erreur, la faute, l'irresponsabilité. Il découvre encore, au détour d'une information médiatisée, que sa vie peut basculer.

Le texte qui nous est proposé redit avec force que toute personne, tant qu'elle n'a pas été jugée, est présumée innocente. C'est le grand article de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui est ici réaffirmé avec force.

Mais en 1789, lorsque fut écrit cet article, on ne parlait pas encore de médiatisation ; aujourd'hui, elle a un caractère universel et mondial. La moindre information circule en temps réel dans le monde entier et est souvent reprise sans contrôle, parce que matériellement c'est impossible, par tous les grands supports médiatiques, presse écrite, parlée, imagée et par tous les nouveaux moyens de communication, comme Internet.

C'est pour cela que je vous trouve, que je nous trouve bien présomptueux d'essayer de tenter de mettre un frein aux excès.

D'autant plus que la liberté de la presse - la presse au sens de support de l'information, et pas seulement le texte écrit - ne doit subir aucune restriction. Tout peut être dit ; tout peut être écrit ; tout peut être montré.

Dans une démocratie, la moindre atteinte à ce droit est perçue comme contraire au droit élémentaire. Seules les dictatures en sont capables, pour un temps, mais, en règle générale, elles meurent ou disparaissent du fait de leurs atteintes à cette liberté essentielle.

Victor Hugo, le 11 septembre 1848, disait, en parlant de journaux, que leur censure et leur confiscation étaient d eux abus monstrueux qui seraient prochainement condamnés par la conscience publique et que le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel ».

Ces propos, tous les républicains, tous les démocrates les gardent en mémoire, parce qu'ils font partie de leur culture essentielle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Alors, doit-on légiférer ? Oui, mais sans espérer que cette nouvelle législation améliore de façon considérable la situation d'aujourd'hui.

Mon pessimisme vient du fait que l'information est une marchandise qui se vend, s'achète, s'échange et se donne rarement ; que l'information a des supports divers - le papier, les ondes, l'image télévisuelle ou photographique -, et que ceux-ci appartiennent à des commerçants, dont l'objectif est de rentabiliser leurs investissements.

Il n'est pas neutre, dans notre pays, que la plupart des grands supports appartiennent aux hommes responsables de grands groupes économiques de stature nationale, européenne, voire mondiale. Il serait bon d'ailleurs que cela soit mieux connu des utilisateurs de l'information, car malgré l'indépendance annoncée des rédactions, on ne peut pas s'empêcher de penser : qui paie, commande.

Certes, il existe des supports indépendants. Mais on peut constater parfois que eux aussi peuvent être à la merci d'une information non vérifiée, d'un écrit non authentifié, d'une enquête bâclée, voire simplement d'une méchanceté gratuite.

Aucun des supports, dont j'ai l'habitude d'entourer mes réflexions, n'est à l'abri de telles démarches défectueuses. J'ai vu y succomber Le Monde, Le Figaro, Libération pour ne citer que les plus grands.

Ils savent aussi bien que d'autres se tromper, mentir et surtout s'empêcher, pour des raisons obscures, d'apporter démentis ou corrections, ce qui nuit à l'essentiel du débat contradictoire.

On trouve la même chose dans les hebdomadaires. Le Canard Enchaîné, dont on dit qu'il est craint par les politiques, sait lui aussi se tromper de bonne ou de mauvaise foi. Certes, il dispose d'une rubrique spéciale où il corrige ou tente de corriger ses erreurs. Mais cela apparaît si caché, si timide qu'on a parfois l'impression qu'il fait cela pour ajouter, comme disent les peintres en bâtiment, une deuxième couche. Le Point, L'Evénement, Le Nouvel Observateur savent, comme beaucoup d'autres, ne pas faire dans la dentelle. Et pour obtenir une modification, il faut se lever de très bonne heure et être un lecteur particulièrement attentif, pour découvrir le mea culpa.

J'insiste sur tout cela, parce que j'éprouve un certain plaisir à le faire !...

M. Pierre Albertini.

Pas seulement !

M. Jacques Floch.

Dans ma région, la région nantaise, nous disposons de deux grands journaux, l'un qui appartient provisoirement au groupe Hersant et suit une ligne éditoriale et une ligne de conduite dont on connaît l'orientation politique. On sait à qui on a affaire ! L'autre journal, c'est le grand Ouest-France qui ne va d'ailleurs pas tarder à racheter le journal du groupe Hersant PresseOcéan !...

M. Michel Hunault.

Je ne vois pas le rapport.

M. Jacques Floch.

... ce qui risque de limiter l'espace du débat contradictoire et d'amener une espèce de pensée unique à régner sur l'ouest de la France.

M. Michel Hunault.

C'est un mauvais procès !

M. Jacques Floch.

Attendez la suite !

M. Michel Hunault.

Je ne vois pas le rapport !

M. Jacques Floch.

Mais au moins la rédaction de Ouest-France a-t-elle mis en place un code de déontologie qui apparaît comme un réel et grand progrès pour la protection des citoyens. Les journalistes savent éviter le spectaculaire et le non-vérifiable. C'est suffisamment rare pour qu'on ait envie de le dire.

M. Michel Hunault.

Vous n'avez pas eu à vous plaindre, monsieur Floch. Ce n'est pas sérieux !

M. Jacques Floch.

Mais si j'ai parlé de la presse écrite, je pourrais aussi parler d'autres supports, la radio par exemple, dont il est impossible d'assurer qu'elle préserve la réputation des personnes présumées innocentes. Les choses dites qui portent atteinte, parfois gravement, aux personnes sont proposées à l'auditeur sans qu'on sache quel usage fera le citoyen de telles informations. Seuls la grande capacité professionnelle des journalistes et le respect de leur métier peuvent mettre un frein aux excès.

Il en est de même, mais multiplié par cent, par mille, par millions, de l'image télévisée, accompagnée par des commentaires non vérifiés. Et, quand l'image est « bidonnée », le summum est atteint. Cela est arrivé à toutes les chaînes ! La privatisation n'a rien arrangé ! Et comme le contrôle public n'a pas été à la hauteur, je me demande si la loi peut faire quelque chose. Qu'est-ce, en effet, qu'une amende de 100 000 francs, voire de 200 000 francs pour une chaîne de télévision d'audience nationale ? Compte tenu de l'universalité de l'image, on peut difficilement imaginer qu'une règle prescrite par la loi ou le règlement, puisse empêcher des diffusions délictueuses.

Je ne crois pas réellement à la possibilité d'instituer un contrôle efficient. Par contre, parce que je suis optimiste de nature, en matière d'évolution de la société, je crois que du débat entre tous les acteurs qui participent à l'événement peuvent émerger des règles admises par tous, afin d'éviter que des vies soient brisées ou que des règles soient bafouées. Ce n'est pas une question de morale - je dénie le droit à qui que ce soit de dire la morale en ce domaine -, c'est une question de simple équilibre de la vie en société.

Voilà, madame la garde des sceaux, ce que je voulais vous dire sur ce sujet difficile. Vous avez bien fait de nous proposer d'en débattre et de proposer des avancées suffisamment significatives pour que la présomption d'innocence en sorte renforcée. Encore faudrait-il que celle-ci ne soit pas découpée en tranches, qu'elle soit valable pour tout le monde. Des affaires récentes montrent qu'il est extrêmement facile de faire fi de cette notion essentielle du droit, car, comme vous le savez, le secret de l'instruction n'existe pas. Aucune enquête n'est confidentielle. On arrive même à connaître les états d'âme de certains juges avant qu'ils aient prononcé leur sentence. Comme on c onnaît les réflexions, les avis des enquêteurs que l'enquête soit de nature préalable ou judiciaire. L'important est évidemment que le bon peuple sache ce qu'il doit savoir...

Mais, en ce qui me concerne, étant incorrigible, je fais confiance à ce grand service que doit être la justice, parce que l'essentiel de nos libertés en dépend. Mais ma confiance serait encore plus forte si je savais que ceux dont la fonction est de dire le droit étaient responsables personnellement de leurs décisions. Je ne crois plus que notre société puisse accepter l'irresponsabilité qui s'appelle

« la responsabilité collective ».

M. Patrick Devedjian.

Très bien !

M. Jacques Floch.

Car, comment peut-on dormir tranquille lorsque l'on a commis une erreur judiciaire ? Enfin, madame la garde des sceaux, si vous avez décidé que la justice doit être plus soucieuse du droit des justiciables, vous avez particulièrement bien fait de proposer d'abord le renforcement des droits des victimes. Votre approche est un progrès plein et entier. Mais il faudra


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

constamment remettre l'ouvrage sur le métier. Je suis de ceux qui disent que l'on ne fera jamais assez pour les victimes d'une atteinte à leurs droits, à leur image, à leur intégrité physique, à leurs biens ou à leurs proches.

Telles sont, madame la garde des sceaux, les quelques réflexions qu'à l'occasion de ce débat je voulais faire. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'honneur d'en débattre dans cette assemblée. Plusieurs de vos prédécesseurs avaient tenté une telle approche ; aucun n'avait été aussi loin que vous. Mais avec un peu de bonne volonté, de savoir-faire et de compréhension, notre débat nous conduira certainement à un texte de progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Marc Reymann.

M. Marc Reymann.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes interpelle chacun d'entre nous, élus et simples citoyens.

Si je me réfère à la lecture de la presse nationale, ce projet serait sans audace et comporterait des mesures qui risquent de ne pas profiter de façon équitable à tous les prévenus.

Ce serait également un projet purement idéologique, l'Association professionnelle des magistrats parlant d'un projet extravagant et incohérent. L'unanimité de la presse s'en prend à la sacro-sainte liberté d'expression qui serait muselée nous privant de toute une littérature particulièrement abondante sur les affaires en cours. L'Union syndicale des magistrats estime que ce n'est qu'une réapparition du juge délégué créé en 1993 et qui a vite montré ses limites. On demande à un juge qui ne connaît pas le dossier de se prononcer sur l'opportunité d'une mesure.

Enfin, le projet serait susceptible de léser les victimes, l'avocat de la personne mise en examen pouvant assister aux interrogatoires. Ce serait un droit à l'intimidation de la victime.

Alors qu'en est-il vraiment des modifications apportées par ce projet de loi sur la présomption d'innocence qui constitue un principe cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit ? L'intervention de l'avocat, dès la première heure de la garde à vue, est une mesure de bon sens que j'approuve entièrement, de même que les exceptions à cette règle pour certaines infractions présentant une complexité et une gravité particulières où l'avocat ne peut intervenir qu'à l'issue de la trente-sixième ou de la soixantedouzième heure de la garde à vue.

L'institution d'un juge de la détention provisoire est une garantie supplémentaire quand on connaît les ravages causés par une détention. Il va de soi, madame la garde des sceaux, que les moyens matériels devront suivre. Vous avez déjà, dans ce domaine, donné des preuves de volonté. Il serait souhaitable que cette politique se poursuive pour permettre l'application effective de votre projet de loi.

Aujourd'hui, plus de 50 000 personnes sont placées en d étention avant d'être jugées. La France, dans ce domaine, détient un record peu enviable pour la liberté individuelle.

La détention provisoire doit rester exceptionnelle. Il faut être vigilant et encadrer plus strictement le recours à la détention et surtout la durée maximale de ces emprisonnements avant jugement. Telle est la philosophie de ce texte que j'approuve sans réserve.

L'indemnisation des détentions provisoires injustifiées sera améliorée, même si dans la plupart des cas le dommage moral causé est irréparable.

Pour la crédibilité de notre justice, l'institution d'un calendrier prévisionnel, notifié au début de la procédure par le juge d'instruction, est un autre élément positif quand on sait l'image détestable de la justice dans ce domaine, souvent d'ailleurs, il faut le reconnaître, faute de moyens matériels suffisants.

Quant aux dispositions relatives à la communication, il est normal qu'elles suscitent des débats compte tenu de la force de l'image dans notre société. La diffusion des images d'une personne menottée, non encore jugée, à la suite d'une arrestation, sera désormais sanctionnée pénalement.

En revanche, l'amendement de Mme Bredin, adopté en commission des lois, qui tend à décourager la presse d'évoquer une affaire en cours, me paraît particulièrement dangereux et justifie l'opposition unanime des journalistes. A tort ou à raison, il apparaît comme un moyen de protéger avant tout les personnalités connues.

M. Gérard Gouzes.

Tiens, tiens !

M. Marc Reymann.

Le retrait de cet amendement devrait apaiser le débat, au point que la presse d'aujourd'hui occulte presque notre discussion.

Un des reproches, madame la garde des sceaux, qui est adressé à votre projet de loi a trait à sa faible portée pratique puisqu'il n'intéresse que 10 % des affaires en cours et ne s'attaque pas suffisamment au problème des comparutions immédiates qui génèrent au moins la moitié des détentions provisoires qui remplissent nos prisons.

« Plus d'égards pour les cols blancs que pour les voleurs de poules. Le texte ignore la comparution immédiate », tel est le titre d'un article récent de Libération paru ces jours-ci.

Je souhaite vivement que, sur ce point, le texte soit amélioré au-delà du cas d'un flagrant délit où les juges correctionnels ne pourront plus incarcérer les auteurs de délits punis de moins d'un an de prison.

Le chantier de la réforme de la justice est difficile car il faut vaincre les corporatismes très présents à tous les niveaux. Il n'en demeure pas moins que ce texte est une amélioration qui tient compte de la demande expresse de tous les Français d'une justice plus humaine et plus efficace.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes.

M. Gérard Gouzes.

Madame la garde des sceaux, monsieur le président, mes chers collègues, il est classique de dire que le code de procédure pénale permet de mesurer la conception qu'un pays se fait de la démocratie. En réalité, le débat sur la procédure pénale est un débat sur les libertés publiques.

La présomption d'innocence et la façon dont elle est protégée deviennent dans ce contexte le premier des principes de la liberté.

Si une présomption légale dispense de toute preuve celui qui en bénéficie, on comprend que la présomption d'innocence, posée par l'article IX de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ait renforcé le lien déjà admis par le droit pénal antérieur entre la faute et la responsabilité et que tout accusé étant présumé innocent jusqu'au moment où le jugement définitif constate sa culpabilité, elle oblige à relaxer au bénéfice du doute ceux contre qui la preuve n'a pas été intégralement rapportée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Ce principe est déjà reconnu dans notre droit positif.

Nous n'inventons rien, et la réforme de janvier 1993, combattue par l'opposition d'aujourd'hui, a bien été gravée dans notre code de procédure pénale, par la gauche.

Vous nous indiquez, madame la garde des sceaux, qu'il vous était apparu indispensable de réaffirmer ce principe fondamental au regard de quatre autres principes qui en découlaient et qui, par voie de conséquence, ne vous paraissent pas suffisamment défendus aujourd'hui. Il s'agit, je le rappelle, premièrement du délai raisonnable dans lequel il doit être statué ; deuxièmement, du bénéfice des droits de la défense et du principe du contradictoire ; troisièmement, de l'utilisation des mesures de contraintes et en particulier de la détention provisoire, qui doit être limitée aux strictes nécessités de la procédure et mieux contrôlée par l'autorité judiciaire ; quatrièmement, de la réparation des atteintes injustifiées portées à la réputation d'un innocent que vous voulez concilier avec la liberté d'expression et le droit à l'information.

Qui peut nier, en effet, la lenteur scandaleuse de certaines procédures qui laissent un homme soumis à la suspicion pendant de trop nombreuses années ? Qui ne voit pas que le souci de l'efficacité et de la promptitude d'une enquête conduit souvent à négliger les droits les plus élémentaires de la défense ? Qui ne mesure le drame que peut vivre un innocent injustement détenu ? Enfin, comment concilier le droit à l'expression et celui de tout citoyen à protéger son honneur et sa réputation ? J'ajouterai, madame la garde des sceaux, une raison supplémentaire de bien ancrer dans notre droit ce droit sacré à la présomption d'innocence : la tendance à admettre, à la manière du droit anglo-saxon ou américain, l'application de la maxime

« res ipsa loquitur » - la chose parle d'elle-même - et qui conduit, de palier en palier, à la présomption de culpabilité dans tous les cas où la victime demanderesse établit qu'elle n'est pas, quant à elle, intervenue comme acteur ou coauteur du dommage.

Il y a, me semble-t-il, un véritable danger à chercher dans la procédure accusatoire anglo-saxonne les solutions à nos dysfonctionnements. Aucun modèle n'est exempt de critiques. La réforme italienne de ces dernières années est l'exemple parfait de l'échec d'un modèle plaqué sans souci de la réalité culturelle d'un pays. Et je crois savoir que, en Italie, on en revient ! Je dis cela, mes chers collègues, car j'ai noté dans nos débats en commission la tendance de certains à vouloir en rajouter dans le registre d'un système qui ignore le processus même de l'instruction faite par un juge, lequel instruit à charge et à décharge entre l'enquête et le jugement.

Je dis cela, madame la garde des sceaux, car je constate qu'en dépit de toutes les lois qui se sont succédé depuis 1933 à nos jours - il doit y en avoir une vingtaine - en vue de réduire la mise en détention provisoire, celle-ci n'a cessé de devenir la règle.

Depuis plusieurs années, la durée des procédures d'instruction a augmenté de façon inquiétante.

En 1996, une instruction durait en moyenne de seize à dix-sept mois alors qu'elle n'était que de douze mois en 1992. Et il paraîtrait que les informations judiciaires prennent maintenant un mois de plus chaque année. Cet allongement est une violation de plus en plus flagrante du principe du délai raisonnable posé par la Convention européenne.

Toutes les lois votées ici même depuis 1933 ont voulu que la détention provisoire soit exceptionnelle. Or, depuis vingt-cinq ans, le nombre de détentions provisoires dépendant du juge d'instruction ne cesse de croître malgré toutes les réformes votées. En 1972, elles étaient 9 183 ; elles étaient 10 882 en 1982, 13 398 en 1992 et 15 273 en 1997, soit - faisons un rapide calcul - une augmentation de 66 % ! Pourtant, les juges d'instruction placeraient, paraît-il, moins de mis en examen en détention, mais ils y laisseraient plus longtemps les personnes concernées. On a dénombré 39 226 mises en détention provisoire en 1985 contre 29 860 en 1996, soit une diminution de 24 %. Mais la durée moyenne de cette contrainte, devenue une peine, est passée de 2,4 mois en 1975 à 4,4 mois en 1997.

En 1970, le Parlement a créé le contrôle judiciaire et, contrairement aux textes, ce substitut à la détention a été utilisé moins pour éviter de placer en détention des individus qui, sans lui, l'auraient certainement été, que pour surveiller, en milieu libre, des individus qui, à mon avis, auraient été, sans lui, laissés en liberté complète.

Toutes les exigences législatives tendant à limiter dans le temps la détention provisoire à quatre mois ont été détournées, chacun le sait, par l'exception utilisée, non plus « à titre exceptionnel », mais systématique.

De la même façon, la loi de 1984, qui organisait le débat contradictoire avant la mise en détention, est souvent devenue une caricature dans laquelle le juge d'instruction et le procureur, unis d'intérêt, préjugeaient largement de la culpabilité du « présumé innocent ».

Depuis lors, nous avons tout imaginé, comme la loi de décembre 1985, qui prévoyait l'intervention de trois juges.

Voilà, mes chers collègues, madame la garde des sceaux, où nous conduisent les errements d'une pensée qui croit résoudre les difficultés en plaquant sur notre système inquisitoire des pans entiers de procédure accusatoire, sans mesure, sans référence à notre culture judiciaire.

Il faut donc que notre débat soit clair ! Nous ne sommes pas là pour nous délivrer des brevets de défenseurs des droits de l'homme. Là comme ailleurs, le fondamentalisme et l'intégrisme n'ont qu'une vocation et qu'une seule issue : la persécution par la surenchère, le martyre par l'immolation.

L'enfer, mes chers collègues, est pavé de bonnes intentions, dit le proverbe bien connu. La surenchère ne me paraît pas en l'occurence de mise. Le texte qui nous est soumis est une avancée notable, que nous devons soutenir sans oublier ni le sort des victimes ni la nécessaire recherche de la justice, c'est-à-dire de la vérité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault.

Madame la garde des sceaux, je voudrais tout d'abord revenir sur les propos que vous avez tenus hier.

La tradition veut qu'un garde des sceaux s'abstienne d'évoquer une affaire en cours. Or, hier, vous vous êtes aventurée à évoquer l'horrible crime de Boulogne-sur-Mer pour parler d'une détention provisoire prolongée dans cette affaire. Dois-je vous rappeler que lorsque, l'an dernier, vous avez défendu votre projet de loi contre les crimes sexuels, vous vous êtes opposée vous-même personnellement à des amendements de l'opposition qui visaient à remettre en cause l'automaticité des remises de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

peine et des libérations anticipées des criminels sexuels ? Les auteurs du crime ignoble de Boulogne-sur-Mer avaient été condamnés à des peines de quinze à vingt ans de réclusion criminelle. Lorsqu'ils ont récidivé, ils avaient purgé à peine sept ans. Il vaut donc mieux être prudent lorsqu'on évoque certains dossiers.

Le projet de loi que vous présentez tente de concilier des impératifs qui, a priori, sont contraires : il entend assurer à la fois le respect des libertés fondamentales en préservant mieux la présomption d'innocence et l'efficacité de la répression, en renforçant les droits des victimes.

Depuis hier, de nombreuses critiques ont été formulées à l'encontre de notre système judiciaire.

Votre projet de loi contient des avancées réelles, qu'il s'agisse de la garde à vue avec la présence de l'avocat à la première heure, du statut de témoin assisté, de la manière de traiter la personne innocente ou de l'amorce de la séparation de l'instruction et du placement en détention avant jugement.

Ce projet ne doit pourtant pas se contenter de se situer dans la longue liste des réformes de procédure pénale proposées de législature en législature, mais il doit au contraire marquer une véritable rupture dans bien des domaines.

J'insisterai d'abord sur la meilleure prise en compte des droits des victimes.

Ainsi que vous l'avez vous-même déclaré, madame la garde des sceaux, lors de votre audition devant la commission des lois, les victimes ont été trop longtemps absentes du procès pénal. C'est pourquoi le titre II de votre projet, qui propose un certain nombre de dispositions destinées à renforcer les droits des victimes, doit être approuvé.

Nous avons vu récemment, à l'occasion du procès devant la Cour de justice de la République, combien pouvait être vécu cruellement un procès dans lequel les victimes n'ont pu s'exprimer ni même se constituer partie civile. La victime doit trouver sa place dans le procès pénal et l'action en sa faveur doit être renforcée à toutes les phases de la procédure. Je voudrais donc saluer les avancées de l'article 28 du projet de loi qui, pour la première fois, consacre le rôle des associations d'aides aux victimes, et les articles qui simplifient certaines procédures pour faciliter les conditions d'accès de la partie civile au procès pénal.

Je voudrais maintenant revenir à la nécessaire protection de la présomption d'innocence.

Dans un Etat de droit comme le nôtre, tout ce qui tend à préserver le présumé innocent impose un encadrement juridique structuré : une garde à vue mieux contrôlée, les droits des parties renforcés, une détention provisoire moins fréquente et des délais de détention plus raisonnables. Ces principes essentiels sont réaffirmés dans votre texte et c'est tant mieux. Néanmoins, si votre projet pose des objectifs partagés par nombre d'entre nous, encore faut-il s'interroger sur les moyens dont vous disposerez pour l'appliquer.

Je reconnais l'intérêt de la proposition de notre collègue Renaud Donnedieu de Vabres, qui, hier soir, voulait que soit mieux respectées les lois de programmation.

Concernant la garde à vue, l'intervention de l'avocat dès la première heure est une décision que nous nous devons d'approuver. Mais, au-delà de cette présence, ce sont les droits des personnes placées en garde à vue qu'il faut mieux réaffirmer. En effet, nous savons trop bien que, dans la pratique, existent des mesures d'humiliation : les gardes à vue dans des endroits inappropriés constituent des violations inutiles des droits essentiels des personnes, sans oublier les menottes et les fouilles au corps, qui humilient encore davantage la personne gardée à vue.

Je voudrais maintenant évoquer le statut de témoin assisté, né de la volonté de donner des garanties particulières aux personnes nommément visées par une plainte avec constitution de partie civile.

Que le Gouvernement veuille donner un nouvel élan à ce statut afin d'éviter les mises en examen trop souvent perçues par l'opinion publique comme une preuve de culpabilité doit être approuvé. Cependant, votre projet ne va pas assez loin et, pour ma part, je saluerai la proposition d'Edouard Balladur de supprimer la mise en examen dont on sait qu'elle est surtout utile au magistrat instructeur car elle lui permet d'utiliser les armes de la détention provisoire à l'encontre des mises en examen.

M. Arnaud Montebourg.

Supprimer la mise en examen de qui ?

M. Michel Hunault.

Merci, monsieur Montebourg, de laisser parler l'orateur ! (Sourires.)

Afficher comme objectif la protection de la présomption d'innoncence nous conduit à évoquer le délicat problème de la détention provisoire, dont certains de nos collègues - je pense notamment à Mme Bredin et à M. Tourret - ont parlé hier soir avec émotion et beaucoup d'humanité.

Cette détention provisoire est, nous le savons tous, un véritable moyen de pression. Elle a fait l'objet d'une dizaine de réformes depuis le mois de juillet 1970. Mais est-on sûr que votre projet réponde au problème ? Pour ma part, je pense qu'il faudrait s'attaquer à la véritable solution, qui consisterait à relever les seuils autorisant la détention provisoire. Une proposition de loi avait était adoptée l'an dernier par le Parlement. J'aurais souhaité que nous revenions sur ses dispositions.

Je dirai également quelques mots du secret de l'instruction.

Je serais personnellement assez favorable à la suppression du secret de l'instruction, souvent perçu comme un moyen d'étouffer les affaires. Je suis certain que la presse, eu égard à ses règles déontologiques, saurait apprécier elle-même l'opportunité de traiter de telle ou telle affaire.

J'en terminerai par le « délicat » problème posé par la prescription des délits financiers. Si je dis « délicat », c'est qu'il a trait aux affaires.

M. Arnaud Montebourg.

Nous y voilà ! C'est le seul sujet qui vous passionne !

M. Patrick Devedjian.

Fouquier-Tinville !

M. Michel Hunault.

Pourquoi ne pas légiférer dans la sérénité et prévoir que le texte ne vaudra que pour l'avenir ! On peut ainsi concevoir de bouleverser la jurisprudence de la Cour de cassation.

Madame la garde des sceaux, j'ai été rapporteur de textes comme celui qui tendait à lutter contre le blanchiment de l'argent sale et je suis intervenu dans le cadre de la convention pénale internationale. On ne peut donc pas m'accuser de vouloir viser tel ou tel dossier !

M. Arnaud Montebourg.

Vive l'amnistie, monsieur Hunault !

M. Michel Hunault.

Il serait bon que M. Montebourg garde son sang-froid au lieu de s'exciter inutilement !

M. Arnaud Montebourg.

Si vous saviez ce qu'il pense, M. Montebourg !


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M. le président.

Monsieur Montebourg, un peu de calme, je vous prie !

M. Michel Hunault.

En conclusion, je dirai que le projet de loi présente des avancées réelles.

Je souhaite que le Gouvernement soit attentif aux amendements qui viendront en discussion. Notre démocratie, pays des droits de l'homme, a des progrès à faire dans le respect des droits essentiels de l'individu, présumé innocent tant que non jugé. Votre projet, madame la garde des sceaux, est discuté dans une actualité faite de passion. Puisse-t-il être amélioré au cours de sa discussion et contribuer à mieux préserver la dignité de l'individu et ses droits essentiels.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche.

Madame la ministre, vous nous présentez un texte sur la présomption d'innocence qui s'inscrit dans le cadre de la réforme de la justice voulue à la fois par le Gouvernement et le Président de la République. Ce texte revêt à mon sens une importance particulière.

La présomption d'innoncence est un principe essentiel de l'Etat de droit, ainsi que cela a été dit à de nombreuses reprises, et ce principe doit être garanti dans le fonctionnement quotidien de la justice. Or, trop souvent, ce principe est méconnu, voire bafoué. Beaucoup ont ici cité avec émotion et gravité les exemples de ces manquements, les vies parfois brisées, les réputations défaites.

C'est donc avec une grande satisfaction que nous accueillons votre texte. Celui-ci contient des avancées importantes, que chacun, sur ces bancs, reconnaît. Cela n'est pas si fréquent.

Voilà un texte qui, certes, fait l'objet de critiques, et j'y reviendrai. Mais il n'est rejeté d'emblée par personne et beaucoup de ses propositions sont saluées. Ce n'est déjà pas si mal alors qu'il s'agit d'un sujet complexe et ô combien conflictuel.

M. Pierre Albertini.

Peut mieux faire !

M. Christophe Caresche.

J'entends l'opposition nous dire : « Peut mieux faire ! » C'est bien, nous dit-on, mais il faut aller plus loin. Comment faut-il comprendre cette invitation qui, il est vrai, est, sur un tel sujet, assez inattendue de sa part.

Je ferai d'abord, comme d'autres, le constat qu'à chaque fois que l'opposition a eu, ces dernières années, l'occasion d'aller plus loin, de faire mieux sur la question, elle ne l'a pas fait.

M. Gérard Gouzes.

Elle a fait marche arrière !

M. Christophe Caresche.

En effet ! Le texte qui nous est présenté aujourd'hui procède d'une inspiration proche de la loi qui avait été votée au mois de janvier 1993 et qui contenait toute une série de dispositions visant à renforcer la présomption d'innocence comme la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, ou concernant la collégialité. Ces dispositions ont été abrogées dès le mois de juillet 1993 par la nouvelle majorité et le gouvernement de M. Balladur,...

M. Arnaud Montebourg.

M. Balladur s'en souvient !

M. Christophe Caresche.

... qui nous explique aujourd'hui doctement qu'il faut aller plus loin.

M. Daniel Marcovitch.

Eh oui !

M. Christophe Caresche.

En 1966, M. Philippe Houillon, qui nous a dit hier que le projet qui nous est soumis

« n'était pas à la hauteur de la bande annonce », n'avait pu convaincre M. Toubon, alors garde des sceaux, du bien-fondé de ses propositions. M. Houillon était à l'époque rapporteur de la commission des lois, laquelle avait adopté un certain nombre d'amendements, dont un qui prévoyait la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue. Ces amendements ont tous été refusés par le gouvernement de M. Balladur.

Aujourd'hui, M. Houillon aura au moins la satisfaction de voir ces amendements repris dans votre projet de loi, madame la ministre.

De tout cela, on pourrait tirer une conclusion : la droite est libérale lorsqu'elle est dans l'opposition, mais conservatrice lorsqu'elle est dans la majorité.

(« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Elle est toujours conservatrice !

M. Jacques Myard.

Et vous, vous êtes tous les jours archaïques !

M. Christophe Caresche.

Au reste, on peut s'interroger sur la sincérité et la réalité de cette conversion.

J'ai sous les yeux un document récent, qui date de décembre 1998. Il émane du RPR et résume ses principales propositions en matière de sécurité.

M. Gérard Gouzes.

C'est M. Devedjian qui l'a écrit !

M. Christophe Caresche.

Je n'y ai lu aucune référence à la notion de présomption d'innocence.

M. Gérard Gouzes.

Et voilà !

M. Christophe Caresche.

Je n'y ai lu aucune dénonciation du recours abusif à la détention provisoire.

J'y ai lu en revanche la phrase suivante : « Malgré la fermeté qu'il affiche dans ses discours récents, le Gouvernement ne lutte pas contre l'impunité régnante et continue de traiter les coupables comme des victimes. »

M. Gérard Gouzes.

C'est l'extrême droite qui dit ça !

M. Jacques Myard.

Non ! C'est le ministre de l'intérieur !

M. Christophe Caresche.

Quant au chapitre consacré au Royaume-Uni - le document fait état d'une comparaison avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni -, je n'y ai pas vu d'éloge de l' habeas corpus , mais j'ai eu la satisfaction d'y lire que les réponses apportées par le nouveau gouvernement britannique n'ont « rien à envier, quant à leur sévérité, à celle des gouvernements conservateurs qui les ont précédés. »

M. Jacques Myard.

Mais c'est un camarade qui parle !

M. Christophe Caresche.

Comprenez que, lorsqu'on lit cela et écoute certains de vos amis dans nos circonscriptions, ou ceux qui ne sont pas ici présents mais qui posent des questions au Gouvernement le mardi ou le mercredi,...

M. Gérard Gouzes.

Ils s'acoquinent avec Mégret !

M. Christophe Caresche.

... on ait des doutes sur votre engagement dans cette discussion. Il vous appartient évidemment de les lever. Pour cela, je vous proposerai bien volontiers un test.

Hier, M. Houillon - je ne veux pas personnaliser le débat, mais la réalité des choses m'impose de le citer encore - a considéré qu'il n'était pas acceptable que


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l'avocat n'intervienne dans le cas de la garde à vue qu'à la trente-sixième et à la soixante-douzième heure dans le cas de trafic de stupéfiants ou de criminalité organisée. Il ajoutait : « Il n'y a aucune raison objective d'instituer une présomption d'innocence à deux vitesses. »

Alors, je poserai une question simple : le RPR va-t-il lancer une grande campagne d'information, avec des tracts et des affiches, pour expliquer aux Français la position de M. Houillon ? Si tel est le cas, je retire toutes mes préventions.

M. Robert Pandraud.

M. Houillon n'est pas membre du RPR !

M. Pierre Albertini.

Pas encore ! (Sourires.)

M. Christophe Caresche.

Il est dans l'opposition ! En réalité, la position que la droite a adoptée dans ce débat me paraît être proprement conjoncturelle et même opportuniste, au bon sens du terme.

M. Michel Hunault.

Vous nous faites un mauvais procès !

M. Christophe Caresche.

Vous ressentez sans doute, et on peut le comprendre, après la discussion sur le PACS et sur la parité, la nécessité d'apparaître comme porteurs d'un message de liberté. D'ailleurs, M. Devedjian a hier beaucoup insisté là-dessus.

Mais peut être y a-t-il aussi d'autres raisons : il apparaît de plus en plus que vous n'êtes pas en accord avec le Président de la République sur le sens à donner à la réforme de la justice. Nous savons que beaucoup d'entre vous sont hostiles à l'indépendance du parquet...

M. Jacques Myard.

Il le faut bien !

M. Michel Hunault.

Nous le revendiquons !

M. Christophe Caresche.

... notamment parmi ceux qui s'expriment dans ce débat. M. Devedjian le reconnaît d'ailleurs lui-même. Or cette orientation a été définie par le Président de la République, à la suite du rapport Truche. Mais vous n'en voulez pas et ce débat est sans doute pour vous l'occasion de peser sur le cours des choses.

On le voit, les positions de la droite ne sont pas dénuées d'ambiguïtés, voire d'arrière-pensées. Je ne doute pas que nous le constaterons encore tout au long de la discussion.

Pour ce qui nous concerne, madame la ministre, nous soutenons votre projet, parce qu'il s'agit d'un texte qui est à la fois ambitieux et équilibré, et qui correspond aux nécessités d'une justice soucieuse des libertés individuelles.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Madame la garde des sceaux, nous soutenons l'ensemble de la réforme engagée et nous mesurons l'ampleur du chantier.

Ce texte apporte indiscutablement des progrès décisifs.

Il renforce les droits des victimes et crée le statut de témoin assisté pour éviter des confusions. J'espère surtout qu'il permettra de réduire les abus en matière de détention provisoire. Enfin, dans une démarche de modernité, il essaie de fixer un cadre de fonctionnement à la presse.

A cet égard, je m'étonne d'ailleurs que certains s'opposent à cet encadrement au nom de la liberté d'expression.

Dans une logique de recherche d'électorat, voire d'audimat, on frôle parfois le sordide, le morbide, et il est de notre responsabilité d'assurer la sérénité des procédures de justice en empêchant toute pression de l'opinion. Actuellement tel reportage bidon sur des ventes d'armes supposées en banlieue n'entraîne pas de sanctions professionnelles et l'on a même vu une personne, charognard de l'heure, prendre ici une photo de notre collègue Crépeau qui a été publiée ce matin. La question n'est pas que cette personne ait pris la photo ; la question est bien qu'un journal la lui ait achetée.

M. Jacques Floch.

Très bien !

M. Guy Hascoët.

Si le monde des médias et de l'audiovisuel ne sait pas se conduire, il est normal que nous prenions nos responsabilités.

En abordant la discussion je craignais qu'elle ne soit complètement étouffée par le problème peu glorieux des affaires et que nous n'allions pas au fond du débat. En effet, il s'agit non pas de savoir si le texte a pour objectif de régler la situation de quelques personnalités à travers l'hexagone, mais bien d'adapter notre système pour qu'il assure la protection des libertés de tous. Je précise à cet égard que le texte doit aller au bout de cette logique.

Quiconque a fréquenté quelques jours un tribunal ordinaire aura constaté que la justice est plus ou moins sévère en fonction de trois critères : la biologie, l'appartenance sociale et l'appartenance ethnique. En effet, la lourdeur des peines et la rapidité des procédures varient selon que l'individu est jeune ou vieux, selon sa capacité à se défendre, son appartenance sociale, voire son origine.

Je dis cela pour que l'on mesure bien les ravages que peut faire chez nos concitoyens l'idée selon laquelle il y aurait d'un côté ceux qui ont des devoirs et, de l'autre, ceux qui ont des passe-droits. A partir du moment où nous prétendons réconcilier le citoyen avec la justice et faire un texte pour tous, nous devons absolument nous attaquer au coeur de la question, c'est-à-dire faire disparaître l'arbitraire dans les procédures de justice. De ce point de vue, j'ai été surpris par certains débats en commission s'agissant de la présence de l'avocat lors de la garde à vue. Je ne crois pas que nos Européens voisins soient irresponsables. Le taux de résolution des affaires au niveau de la police, égal au nôtre dans tel ou tel pays, ne plaide pas en faveur des exceptions. L'exception est une réminiscence d'un mal français à laquelle il faudra bien un jour mettre un terme et je défendrai un amendement en ce sens.

Par ailleurs, il est un point que nous devons inévitablement aborder. Dès lors que nous acceptons l'idée d'une présomption d'innocence renforcée, dès lors que nous introduisons le juge de la détention provisoire qui décidera de l'opportunité de retenir la personne, dès lors qu'une mission d'information judiciaire peut être ouverte, qu'avons nous besoin de la procédure de comparution immédiate ? En effet, souvent marquée par la confusion - j'allais dire la précipitation - cette procédure peut conduire à ce que les droits de la défense soient complètement niés, personne ne sachant exactement ce qui s'est passé, les témoins n'étant pas regroupés et la personne en question n'ayant pas le temps de se défendre. Une décision peut ainsi être rondement menée en quelque vingtquatre heures sans précautions et sans possibilité de retarder la procédure. Si nous voulons être convaincants, nous ne pouvons accepter qu'il y ait une justice pour ceux qui savent se défendre, qui connaissent parfaitement la procédure et une autre qui broie les gens modestes et fragiles.

Il faut engager des réflexions plutôt que d'essayer de gérer l'opinion sur ces questions difficiles. Faisons preuve d'un peu plus d'audace. C'est en tout cas le sens des amendements que nous défendrons.


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J'ai été surpris de constater en commission que certains collègues s'opposaient à la fois à l'intervention de l'avocat dans tous les cas de figure pendant la garde à vue et au droit au silence. Je voudrais que l'on m'explique pourquoi une personne qui ne pourrait avoir un avocat depuis le début de la garde à vue serait obligée de parler. Je crains que la conjonction de ces deux positions ne permette guère de faire diminuer le nombre de situations qui nous valent d'être marqués au rouge dans les rapports internationaux. Il faut faire un choix très clair : soit on veut garantir le respect de la dignité de chacun, soit on l aisse des poches d'arbitraire se perpétuer dans la République.

Selon moi, la paix sociale et la réconciliation d'un maximum de citoyens avec les règles républicaines passent par la réduction du divorce entre les plus fragiles d'entre eux, la jeunesse, la police et la justice. Cela suppose des décisions et des attitudes très nettes, très claires. Je ne pense pas que nous puissions finir avec un « Embrassonsnous, folle ville entre la cour des Miracles et les soldats du roi ! », mais défendre le droit d'asile ne mérite pas les archers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Madame la garde des sceaux, chacun le sait, cela a été dit à maintes reprises à cette tribune, la justice est la pierre angulaire de toute société et les Français placent d'ailleurs depuis fort longtemps l'exigence de justice avant celle de la liberté. Ils ont des sentiments mêlés à l'égard de la justice et cela ne peut durer.

Sur un point sensible, la présomption d'innocence principe clé de voûte de tout Etat de droit et de toute démocratie - votre projet a pour objectif de réconcilier les Français avec leur justice, mais je crains, madame la garde des sceaux, que vous ne vous donniez pas les moyens de vos ambitions et de vos objectifs.

La justice pénale, c'est trois choses : la procédure pénale, le fond du droit, les hommes et les moyens.

La procédure pénale, c'est l'objet de votre projet de loi : l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue, la création du juge de la détention provisoire peuvent être des garanties des libertés individuelles, mais sous certaines conditions sur lesquelles je reviendrai.

En dehors de ces points, votre projet comporte plusieurs dispositions qui, à mon sens, vont rendre les choses plus confuses qu'elles ne le sont aujourd'hui. Vous proposez, par exemple, qu'au cours de l'instruction les parties puissent demander au juge d'instruction de procéder à tout acte qu'elles estiment nécessaire à la manifestation de la vérité. L'objectif est louable. Mais ne craignez-vous pas la multiplication de manoeuvres dilatoires ? En effet, le juge devra à chaque fois rendre une ordonnance motivée, et nous risquons de buter sur le droit à être jugé dans un délai raisonnable.

Vous proposez de légaliser la possibilité pour les avocats des parties de poser directement des questions aux témoins. Il y a là un risque majeur de déstabilisation des témoins et de personnalisation du procès pénal, alors que l'on doit juger au nom de la loi et de la République.

Vos propositions destinées à accélérer les procédures afin d'être jugé dans un délai raisonnable traduisent selon moi une certaine confusion du rôle de chacun dans le procès pénal. Vous souhaitez que le procureur puisse saisir le président du tribunal, après un délai de huit mois, pour autoriser ou non la poursuite de l'enquête. C'est confondre le rôle du procureur, qui poursuit et a l'autorité sur la police judiciaire, et le rôle des magistrats du siège, qui jugent.

C'est également prendre le juge d'instruction pour Mme Soleil que de lui demander de notifier un calendrier prévisionnel, en début de procédure.

Autre confusion : vous proposez que le procureur puisse exercer le droit de réponse, inscrit dans la loi sur la presse, à la demande d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale. Excusez du peu, mais il me semble qu'il s'agit là du rôle des avocats, et non du procureur ! Plus grave encore, vous voulez limiter l'exécution provisoire du référé en matière de presse sous prétexte qu'il entraînerait des conséquences excessives. Si un livre vous traînait dans la boue, madame la ministre, et que vous en demandiez la saisie, que diriez-vous si celle-ci vous était refusée au motif qu'elle mettrait en péril l'entreprise de l'imprimeur ? Quant aux fenêtres de publicité du parquet, j'y suis extrêmement réservé, car elles risquent d'entraîner les magistrats sur une pente médiatique.

Ce projet a été élaboré à la hâte et il ne répond pas à la situation car, pour réconcilier les Français et la justice, il ne suffit pas de changer quelques règles de procédure.

Le mal est beaucoup plus profond. Vous le savez, il résulte d'abord d'une pénalisation excessive de notre société. Ce qui n'était, jadis, qu'un manquement à une règle de droit administratif entraînant la nullité des proc édures devant la juridiction administrative devient aujourd'hui un délit pénal.

M. Arnaud Montebourg.

Vous avez voté cette mesure !

M. Jacques Myard.

Non, monsieur Montebourg, elle date de 1992 ! Vous avez la mémoire un peu courte !

M. Patrick Devedjian.

Il n'était pas là !

M. Arthur Dehaine.

Non, il n'était pas né !

M. Jacques Myard.

On voit aujourd'hui se multiplier des délits dits « objectifs » qui peuvent entraîner des poursuites multiples. Le tableau Natinf - tableau informatique sur la nature des infractions - dont disposent vos collaborateurs à la chancellerie, recense 15 000 infractions, contre 9 000 il y a quelques années. Qui plus est, pour chacune de ces 15 000 infractions, il y aurait trois versions différentes. Il faut donc agir, dépénaliser certains manquements aux règles et cesser de rechercher toujours non pas simplement un responsable, mais aussi un coupable. Un procureur vient de me dire qu'avec un code pénal de ce type, il pourrait mettre pratiquement la moitié de la France en prison, car il y a toujours un manquement qui se révèle être un manquement pénal.

Enfin, ce projet ne répond pas à la situation car il fait l'impasse sur les moyens. Les chiffres parlent d'euxmêmes : 6 000 juges en 1914, 6 300 aujourd'hui ! Vous créez un juge de la détention provisoire, mais il risque d'être débordé et pour aller plus vite, il aura peut-être tendance à entériner les propositions du juge d'instruction. Ce n'est pas ce que je souhaite.

Mais il n'y a pas simplement les effectifs, il y a aussi les hommes avec leurs forces et leurs faiblesses. On a aujourd'hui le sentiment que certains magistrats sont entrés dans l'arène politique, qu'ils poursuivent un combat politique et il n'est pas rare que le justiciable soit conduit à penser qu'il est jugé selon l'appartenance politique du juge.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Il faut ramener la sérénité dans la justice et rappeler aux magistrats leur devoir de réserve. Le chantier de la justice est immense, mais votre projet est loin de s'y attaquer vraiment.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Je voudrais d'abord remercier tous les orateurs, sur tous les bancs, d'avoir souligné que ce projet constituait une avancée. Certes, il y a eu des nuances dans les louanges et il est vrai que celles-ci ont été plus accentuées à gauche qu'à droite. Mais il n'empêche, je relève que de nombreux orateurs de l'opposition ont manifesté leur approbation à l'égard des avancées qu'ils ont nommément désignées : le témoin assisté, l'amélioration des conditions de la garde à vue ou de la détention provisoire. Les interventions ont donné lieu à des remarques de qualité sur un sujet qui le mérite, je tiens à le souligner.

La réforme que ce gouvernement propose est faite pour tous les citoyens : c'est le principe qui nous a guidés dans son élaboration. Elle doit pouvoir s'appliquer à tous les justiciables. Elle s'adresse à tous : riches et pauvres, puissants et M. ou Mme Tout-le-monde, connus et inconnus.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de privilégier les mesures concernant l'amélioration des conditions de la garde à vue et de la détention provisoire et sa limitation drastique. En effet, ces deux mesures intéressent avant tout M. et Mme Tout-le-monde alors que la mise en examen peut rester secrète et donne lieu à très peu de commentaires. En somme, elle gêne surtout ceux qui sont connus, puissants, pour lesquels l'atteinte à la réputation est évidemment beaucoup plus grave que tout.

J'ai lu très attentivement l'article de M. Balladur publié dans Le Monde ces jours derniers. J'ai pris connaissance de vos autres interventions, monsieur le Premier ministre, notamment à la radio et je vous ai bien sûr écouté très attentivement tout à l'heure, non seulement en raison des hautes fonctions que vous avez exercées, mais aussi parce que vous n'avez pas la réputation de parler sans avoir préalablement réfléchi. J'ai par conséquent été très a ttentive à vos propositions relayées, j'ai pu le constater, par plusieurs de vos amis.

Pour ma part, je suis opposée à ce que l'on mette l'accent sur la mise en examen, parce que ce n'est pas la mesure susceptible de concerner le plus grand nombre.

En outre, au regard de ce qui a été fait entre 1993 et 1997, il me semble un peu paradoxal - mais après tout, on peut toujours se repentir ! - que vous proposiez aujourd'hui une grande réforme de la procédure pénale.

A l'époque, vous disposiez déjà du rapport DelmasMarty, qui date de 1991, mais vous n'en avez rien fait.

Aujourd'hui, vous le découvrez !

M. Gérard Gouzes et M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Certes, une réforme du Conseil supérieur de la magistrature a été conduite par votre gouvernement, monsieur le Premier ministre. Ce fut un premier pas important puisque, après cette réforme, pour la première fois les magistrats du siège ont été nommés après avis du Conseil supérieur de la magistrature, et pour certains d'entre eux proposés par ce même conseil. Mais cette réforme est restée incomplète.

Elle n'a en rien apporté les mêmes garanties aux magistrats du parquet, et c'est bien là que se situait, jusqu'en juin 1997, le problème majeur de l'indépendance de la magistrature. Or c'est précisément la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, proposée par ce gouvernement en application des recommandations du rapport Truche, adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées mais aujourd'hui en attente d'approbation par le Congrès, qu'il s'agit de compléter.

J'observe aussi que c'est bien à cette époque, en août 1993, qu'a été supprimée la décision prise en janvier 1993 par la gauche d'établir un juge délégué - c'était déjà une première tentative que nous avons l'ambition de perfectionner - pour contrôler la mise en détention provisoire.

M. Arnaud Montebourg.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

La loi même d'août 1993 a aussi supprimé l'avocat dès la première heure de la garde à vue, mesure qui aurait dû être appliquée au 1er janvier 1994. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg.

Que répondez-vous à cela ?

M. Arthur Dehaine.

Silence, monsieur Montebourg ! Calmez-vous !

Mme la garde des sceaux.

Il est évidemment très important de confier à un autre magistrat le soin de contrôler la détention provisoire. J'y reviendrai tout à l'heure d'ailleurs, parce que Mme Boutin a insisté sur ce sujet et je voudrais lui répondre personnellement. Faut-il confier la mise en accusation à un autre juge que le juge d'instruction ? Je crois que cela dépouillerait ce dernier qui ne maîtriserait plus son enquête, qui perdrait son autorité sur les policiers et ne serait plus qu'un superofficier de police judiciaire. Ce serait laisser le mis en examen seul face à l'accusation. A vrai dire ce serait la fin du contrôle juridictionnel de l'enquête.

Permettez-moi maintenant, puisque je souhaite encore insister sur cette réforme faite pour le plus grand nombre, de revenir sur les propos de Louis Mermaz qui a évoqué la comparution immédiate. A la vérité il n'a pas été le seul à le faire d'ailleurs. C'est une question non seulement légitime, mais importante. Je rappelle que le texte c oncerne aussi directement cette procédure dans la mesure où il vise à renforcer les droits des parties à l'audience, et surtout à améliorer les droits des gardés à vue et des victimes, toutes dispositions qui valent pour la comparution immédiate.

M. Gerin a consacré des développements très argumentés à la collégialité. Je me suis exprimée sans ambiguïté et à plusieurs reprises devant votre assemblée sur les raisons qui m'ont amenée à ne pas retenir ce principe qui est, bien entendu, un bon principe : qui ne voudrait pas de la collégialité ? Mais je me souviens, pour avoir étudié les raisons des échecs antérieurs, qu'une précédente réforme avait précisément échoué sur l'impossibilité, en l'état de pénurie où est encore notre magistrature, de dégager le nombre de magistrats nécessaire. Je préfère qu'il y ait deux magistrats, c'est déjà mieux qu'un seul, je préfère m'en tenir à un double regard, plutôt que de me fixer un horizon idéal dont je craindrais de ne pas avoir les moyens de l'atteindre, en tout cas immédiatement, car rien ne nous interdit, en effet, d'y penser pour l'avenir, lorsque nous aurons comblé les manques les plus criants.

Je suis moi aussi très attachée, monsieur Gerin, à l'amélioration du sort des victimes. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des amendements.

Le Gouvernement souhaite aussi pouvoir enrichir sa réflexion à la lumière du rapport de Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui sera remis au Premier ministre dans les


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jours qui viennent. Vos contributions, celles de Mme Lien emann, d'autres encore nous donneront l'occasion d'enrichir le texte sur ce point.

Frédérique Bredin est intervenue sur de nombreux sujets, mais en particulier, et elle a été une des seules à le faire, sur la situation des détenus. J'observe d'abord qu'en faisant diminuer la détention provisoire, ce texte va contribuer à désengorger les maisons d'arrêt, puisque c'est là que sont placés les détenus provisoires et que l'on constate les suroccupations, dont les autres établissements pénitentiaires n'ont pas à souffrir. Mais je vous rappelle également, madame Bredin, les efforts substantiels réalisés depuis deux ans pour améliorer les conditions de détention : 5 millions de francs ont été dégagés pour permettre aux détenus les plus pauvres de recevoir une trousse minimale d'équipement à l'entrée de prison de même qu'à la sortie, et 5 millions également pour faire passer le nombre des douches à trois par semaine dans les établissements où, hélas ! il n'y en avait que deux. Nous construisons six nouveaux établissements pénitentiaires pour un montant d'investissement de 2 milliards de francs. Et surtout, nous mettons en place à partir de cette année des centres pour peines aménagées - il y en aura deux -, afin de permettre la prise en charge des condamnés à de courtes peines. Ainsi, nous séparerons progres-s ivement les prévenus des personnes définitivement condamnées. Ces centres permettront de regrouper les condamnés à de courtes peines et ceux qui l'ont été à des peines plus longues mais qui sont en instance de sortie, pour mieux les y préparer. Je sais que ce sujet intéresse également beaucoup M. Gerin.

Presque tous les orateurs se sont émus du nombre des personnes placées en détention provisoire alors que plus d'un millier d'entre elles sont reconnues chaque année non coupables. Sur quinze mille, c'est beaucoup trop ! Et il n'y en aurait qu'une seule dans ce cas que ce serait encore trop.

Mais je voudrais aussi répondre à ces messieurs de l'opposition qui ont semblé vouloir remédier à cette situation, car je me souviens des positions qu'ils avaient prises ici même dans le débat sur la proposition de loi de M. Tourret, et je note à cet égard, tout en la saluant, une évolution spectaculaire. M. Warsmann...

M. Gérard Gouzes.

Du groupe RPR !

Mme la garde des sceaux.

... soulignait alors la gravité de ce que l'Assemblée se proposait de voter : 11 000 personnes qui allaient sortir de prison. M. Mariani s'insurgeait contre le laxisme de ce texte, et je n'aurai pas la cruauté de citer les autres.

M. Gérard Gouzes.

Mais si !

M. Arnaud Montebourg.

Soyez cruelle, madame la ministre !

M. Patrick Devedjian.

Cette évolution n'est pas plus importante que celle de votre gouvernement sur les privatisations !

M. Gérard Gouzes.

Quel aveu !

M. Arnaud Montebourg.

Volte-face, monsieur Devedjian !

M. Gérard Gouzes.

Vous zigzaguez !

M. Alain Tourret.

Je les ai convaincus et j'en suis fier.

Mme la garde des sceaux.

Mais je me disais que, décidément, souvent homme varie, surtout l'homme de l'opposition. (Sourires.)

M. Gérard Gouzes.

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

Mme la garde des sceaux.

Exactement !

M. Patrick Devedjian.

Vous êtes donc très intelligent, monsieur Gouzes.

M me la garde des sceaux.

Vous aussi, monsieur Devedjian. Tout le monde, ici, est intelligent.

M. le président.

Mes chers collègues, je vous demanderai de ne pas interrompre Mme la ministre.

Mme la garde des sceaux.

M. Tourret et M. Hunault ont abordé la question de la prescription du délit d'abus de biens sociaux. Je souhaite dire très clairement que, non seulement je ne propose pas au Parlement de légiférer pour réduire le délai de prescription en la matière, mais que je serai résolument hostile à toute proposition, d'où qu'elle vienne, qui irait en ce sens.

M. André Gerin.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Je sais qu'il y a eu des ambiguïtés. Certains ont dit que la garde des sceaux n'avait certes rien proposé, mais qu'après tout elle serait peut-être indulgente : ne verrait-elle pas d'un bon oeil des propositions émanant des députés ? Je dis : non ! Si de telles propositions devaient être faites, je les refuserais.

M. Arnaud Montebourg.

Nous aussi !

Mme la garde des sceaux.

Mais vous avez eu raison de souligner, monsieur Tourret, la nécessité d'une réforme de notre droit économique. Nous l'avons d'ailleurs entreprise avec la réforme des tribunaux de commerce, dont la traduction législative sera proposée au Parlement, je l'espère, dans la deuxième moitié de cette année. Nous avons également poursuivi les réflexions engagées précédemment sur la réforme de la grande loi de 1966 sur les sociétés. Oui, voilà encore un chantier qu'il nous faudra mener à bien, mais pour tout ce qui touche à la lutte contre la corruption, s'il doit y avoir des changements proposés par le Gouvernement, ils le seront, j'y insiste, dans le sens d'une plus grande sévérité, et non l'inverse.

(« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Boutin doute que le juge de la détention provisoire puisse avoir une action efficace. Je ne comprends pas un tel procès d'intention. Il me semble d'abord que l'examen par deux juges au lieu d'un donne des garanties supplémentaires et je voudrais ajouter à ce constat un élément de réflexion.

Une seule réforme, jusqu'à présent, a fait baisser la détention provisoire, dont le taux est passé, grâce à elle, de 50 % à 40 %. Entendons-nous bien, d'ailleurs, sur les chiffres. Comme M. Balladur l'a rappelé, sur 55 000 détenus, 15 000 sont des détenus provisoires proprement dits.

Le taux de 40 % comprend en outre les personnes condamnées en attente des décisions sur les recours qu'elles ont formés.

La seule réforme, donc, qui ait fait baisser la détention provisoire, c'est celle de Robert Badinter en décembre 1985, qui a instauré le débat contradictoire devant le juge d'instruction. Nous avons ainsi la preuve que le débat contradictoire réduit le nombre de décisions de mise en détention provisoire ; dans notre réforme, il aura lieu entre le juge de la détention provisoire et le juge d'instruction.

Outre qu'elle profitera à tous les justiciables, cette réforme a aussi le mérite d'être applicable. A de grands projets mirifiques sans doute idéaux, je préfère une


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mesure plus dosée, je l'ai dit sans fard à M. Gerin, que l'instauration de la collégialité, mais une mesure que j'ai les moyens d'appliquer.

Puisque M. Myard a évoqué l'évolution du nombre des magistrats - 6 000 en 1914, 6 300 en 1996, soit 300 postes créés en quelque quatre-vingt-dix ans -, j'ai le plaisir de lui indiquer que 210 l'ont été depuis deux ans par ce gouvernement. La comparaison le montre : ce n'est pas un si mauvais début !

M. Jacques Floch.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Monsieur Devedjian, vous avez évoqué la carte judiciaire. Une mise au point à ce sujet s'impose, car en demandant par exemple plus de courage politique ou en parlant de propos sans actes, vous vous êtes montré excessif et même, quelquefois, inutilement agressif. Mais enfin, c'est votre choix. Et après tout, pourquoi pas ? Ici, on peut tout entendre.

Lorsque j'ai pris mes fonctions en 1997, j'ai trouvé sur mon bureau un décret hâtivement préparé par mon prédécesseur, qui prévoyait la création d'un nouveau tribunal de commerce à Montélimar alors que rien ne justifiait cette ouverture et alors même que M. Toubon se prévalait d'une réflexion sur la carte judiciaire. J'ai évidemment stoppé cette initiative. J'ai informé les élus qu'il n'y aurait pas de tribunal de commerce à Montélimar.

Je rappelle aussi que j'ai engagé la réforme de la carte des tribunaux de commerce, non pas pour différer celle de la carte des autres juridictions, mais parce que les tribunaux de commerce n'avaient pas été touchés par la réforme de 1958 et surtout parce que les abus dénoncés par la commission de votre assemblée présidée par M. Colcombet et dont M. Montebourg était le rapporteur, montraient qu'il fallait s'attaquer d'urgence à ce problème et que trop de proximité avait mené à de la promiscuité.

M. Gérard Gouzes.

Eh oui !

Mme la garde des sceaux.

Je me suis engagée à ce que la réforme de la carte des tribunaux de commerce soit terminée à la fin de l'année. D'ores et déjà, l'implantation de six cours d'appel a été étudiée et des propositions précises ont été faites. Ceux d'entre vous qui sont concernés dans leur circonscription ont vu la mission venir sur place et peuvent témoigner de l'état d'avancement des dossiers.

Enfin, monsieur Devedjian, j'ai répondu il y a quelques semaines à une question d'actualité sur la fermeture du tribunal de grande instance de Bressuire que j'ai décidé de transformer en chambre détachée du tribunal de grande instance de Niort.

M. Jacques Floch.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Pourquoi ai-je pris cette décision avant même que la réforme globale de la carte judiciaire, que je poursuivrai, soit menée à bien ? Tout simplement parce qu'il y avait un projet de rénovation du tribunal de Bressuire qui allait engager très fortement les deniers publics et qu'il n'était pas question pour moi de me lancer dans une opération qui aurait abouti à un gaspillage, puisque nous savions très bien qu'il fallait procéder à une restructuration entre Niort et Bressuire. Dans ce domaine, il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui agissent. Croyez-moi, je continuerai à agir.

M. Patrick Devedjian.

Entre Bressuire et Montélimar, ça ne fait pas le compte !

Mme la garde des sceaux.

J'en viens aux questions qui tournent autour du secret de l'instruction et de la presse.

Je remercie Jean-Pierre Michel d'avoir dit très simplement qu'il avait évolué et qu'après avoir été longtemps partisan de la procédure accusatoire, il se ralliait au choix que nous faisons ensemble, Gouvernement et majorité, de rester fidèle à notre procédure pénale et de garder le juge d'instruction.

M. Patrick Devedjian.

Il abjure !

Mme la garde des sceaux.

Il a cependant critiqué le secret de l'instruction en disant qu'il permettait toutes les pressions possibles et que, surtout, il ne permettait pas de rompre avec la religion de l'aveu. Pour rompre avec la religion de l'aveu, nous avons déjà, avec la réforme envisagée de la garde à vue et, bien entendu, le contrôle sur l a détention provisoire, deux éléments extrêmement importants.

Mais je rappelle surtout que l'article 11 du code de procédure pénale concerne le secret de l'enquête et de l'instruction, et que ce secret a pour fondement les nécessités de l'enquête. Dans le précis de procédure pénale publié par un monsieur que j'ai longuement rencontré au Royaume-Uni, M. Spencer, ouvrage remarquable et dont je conseille la lecture à chacun, on peut lire que, y compris en Grande-Bretagne, la recherche des preuves est secrète et même absolument secrète. Pourquoi ? Parce qu'il faut bien différencier les mesures relevant de la fonction d'investigation qui, bien entendu, doivent rester secrètes pour être efficaces, et celles relevant de la fonction juridictionnelle. Les mesures juridictionnelles doivent être publiques, contrairement aux premières, et c'est la raison pour laquelle il n'est pas envisagé de supprimer le secret, mais simplement de permettre, à des moments cruciaux de la procédure juridictionnelle, des débats contradictoires. Ce projet devrait conduire la police et les magistrats à travailler autrement et à s'appuyer davantage sur des investigations et expertises techniques pour renoncer à cette religion de l'aveu qui, en effet, est encore trop présente.

Je remercie Mme Catala d'avoir souligné à quel point, tout en souhaitant des améliorations concernant notamment la dignité des personnes - et nous examinerons ce point avec attention -, elle partageait et approuvait le choix du Gouvernement de conserver notre procédure inquisitoire.

Finalement, qu'est-ce qui nous sépare ? Il y a ceux qui approuvent ce texte tout en souhaitant l'améliorer ; c'est naturellement souhaitable et nos débats montreront que c'est aussi possible. Et puis il y a ceux qui disent que nous n'allons pas assez loin. Ceux-là, et c'est l'objet de notre divergence, sont tentés, comme M. Balladur, par le basculement dans la procédure accusatoire à l'anglosaxonne.

Vous avez dit, monsieur le Premier ministre, que la procédure accusatoire n'était pas nécessairement un mal.

Eh bien moi, je ne suis pas de cet avis, car j'ai pris le soin d'aller m'informer non seulement aux Etats-Unis où chacun peut constater les désastres qui en résultent mais également au Royaume-Uni parce que je voulais avoir, de ses conséquences, une photographie peut-être plus nuancée.

Dans ce pays, qui est dans notre esprit le temple de l' habeas corpus, de la protection des libertés de la personne humaine, je me suis entretenue avec toute sorte de gens compétents, pas seulement des ministres ou des universitaires spécialistes de la procédure pénale, comme M. Spencer, mais aussi des praticiens, policiers, juges ou procureurs - puisque les Anglais ont même créé des


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procureurs - pour m'enquérir, au tout début de mes réflexions sur la réforme, des mérites que leur système juridiciaire pouvait présenter.

Que m'a-t-on dit là-bas ? Justement que l'on avait créé des crown prosecutors, des procureurs de la Couronne indépendants, parce qu'avec la justice de masse qui est celle d'aujourd'hui, le système anglais ne donnait pas suffisamment de garanties et que la police faisait ce qu'elle voulait sans aucun ou très peu de contrôle juridictionnel.

Qu'ai-je encore entendu ? J'ai entendu feu le bâtonnier Pettiti, qui me rendait visite un jour, me dire qu'à la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg, c'est du Royaume-Uni que venaient les plus nombreux recours contre des atteintes aux libertés individuelles. En effet, avec l'inflation des contentieux, la justice britannique était en train de ressembler de plus en plus à ce qu'en disait un lord chancellor dès la fin du

XIXe siècle :

« Chez nous, tout le monde peut avoir accès à la justice comme tout le monde peut avoir accès au Ritz. »

M. Patrick Devedjian.

Le Ritz, c'est place Vendôme ! (Sourires.)

Mme la garde des sceaux.

Aujourd'hui encore, on ne saurait mieux dire. Voilà une formule qui nous montre que la procédure accusatoire, évidemment séduisante à première vue car elle fait une grande place à la défense et permet le débat contradictoire, n'est bonne en réalité que pour les riches, qui peuvent s'offrir les services d'un ou plusieurs bons avocats.

M. Arnaud Montebourg.

M. Balladur au Ritz !

Mme la garde des sceaux.

Pour les autres, hélas, je ne crois pas que ce soit la réponse. Alors je préfère, avec ses imperfections, mais en ayant l'ambition et le souci de les corriger, notre propre système, et je remercie MM. Montebourg, Caresche et Gouzes d'avoir décrit avec talent quels étaient ses avantages et quels pouvaient être ses inconvénients.

Comme M. Balladur, je souhaite évidemment que nous puissions nous rassembler sur cette réforme. Mais je pense que mes propositions sont précisément de nature à rassembler le plus grand nombre dans cette assemblée. Et pourquoi ? Parce que cette réforme a été commandée en 1996 par M. le Président de la République et qu'elle résulte des propositions de la commission présidée par

M. Truche, premier président de la Cour de cassation, commission indépendante installée par M. le Président de la République et qui a produit un rapport dont M. le Président de la République a souligné le grand intérêt.

M. Devedjian a cité les propos tenus par le Président de la République lorsqu'il a reçu M. Truche à l'Elysée, et je puis garantir - j'y étais - que M. Devedjian a fait là une citation tout à fait exacte.

M. Patrick Devedjian.

Comme toujours !

M me la garde des sceaux.

Le Président de la République a donc approuvé ce rapport. Or, avec ce texte, je mets précisément en oeuvre les propositions du rapport Truche.

M. Patrick Devedjian.

Non ! Vous abandonnez la responsabilité !

M. Arnaud Montebourg.

Cela relève d'une loi organique !

M. Patrick Devedjian.

Vous abandonnez la séparation !

Mme la garde des sceaux.

Laissez-moi parler ! Sur les quinze propositions du rapport Truche concernant la procédure pénale et les questions de presse, il n'y en a que trois que je n'ai pas retenues. La première concerne l'enregistrement en garde à vue. J'y suis, pour ma part, réticente car j'ai des doutes profonds sur l'application dans de bonnes conditions d'une telle mesure. Mais je comprends que l'on puisse s'interroger sur ce point. Nous y reviendrons dans le débat. Les deux autres propositions non reprises concernent la presse. L'une vise à interdire à la presse de citer les noms des personnes mises en cause.

M. Gérard Gouzes.

Fausse bonne solution !

Mme la garde des sceaux.

Or je refuse une telle m esure, dont je considère qu'elle constituerait une atteinte grave à la liberté de la presse. L'autre tend à modifier l'article 9-1 du code civil. Mais les procédures de référé sont suffisamment nombreuses, à mon sens, pour nous permettre de réagir en cas d'atteinte intolérable à la réputation des personnes. Il s'agit donc de trois refus argumentés. Toutes les autres propositions trouvent leur origine dans le rapport Truche.

M. Patrick Devedjian.

C'est faux !

Mme la garde des sceaux.

J'en ai compté quinze.

Mais, selon mes conseillers, il y en aurait vingt. On va voir. En tout cas, j'ai tenu à être scrupuleuse, et à ne pas charger la barque dans le sens des propositions reprises dans le rapport Truche.

Cela étant, il existe, c'est vrai, une différence entre le rapport Truche et la réforme que propose le Gouvernement. La mission confiée, en 1996, à M. Truche par le Président de la République comportait deux axes : la présomption d'innocence - je viens de dire que, sur ce point, nous avions suivi la quasi-totalité des propositions et l'indépendance du parquet. Nous y avons ajouté un troisième volet, celui de la justice de proximité. En effet, il nous a semblé que, si les deux premiers thèmes étaient importants, le fonctionnement quotidien de la justice était peut-être plus essentiel encore aux yeux de nos concitoyens.

A cet égard, nous ne dirons jamais à quel point la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit est importante et innovante : ce sont les maisons de la justice et du droit, les centres départementaux d'aide juridique, c'est la possibilité de recourir à des transactions pour régler les conflits autrement qu'en allant devant le tribunal, c'est le décret sur la procédure civile. Je fais plus particulièrement observer ce dernier point à M. Albertini qui prétend que la procédure civile a été oubliée. Le rapport Coulon a été scrupuleusement appliqué dans le décret du mois de décembre dernier.

M. Arnaud Montebourg.

Il faut vous renseigner, monsieur Albertini !

Mme la garde des sceaux.

Alors, si infidélité il y a, elle réside dans cet ajout d'un chapitre, à nos yeux essentiels, qui est devenu le premier volet de la réforme proposée par le Gouvernement et soutenue par la majorité.

M. Alain Barrau.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Encore faut-il appliquer cette réforme. J'en reviens là aux propos de M. Devedjian qui m'a reproché, hier, de ne rien avoir proposé sur le statut et la responsabilité des magistrats et la commission de recours des citoyens. Mais, monsieur Devedjian, cette réforme-là interviendra dans l'un des deux projets de loi organique qui doivent suivre le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieure de la magistrature. Or, tant que le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas approuvé par le Congrès...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Arnaud Montebourg.

Que fait Chirac ?

Mme la garde des sceaux.

... je ne peux même pas soumettre au Conseil d'Etat, qui me les renverrait, les deux projets de loi organique sur le statut des magistrats et la modification du Conseil supérieur de la magistrature, qui sont en effet nécessaires pour compléter notre réforme.

M. Gérard Gouzes.

C'est bien la droite qui freine la réforme de la justice !

Mme la garde des sceaux.

Je le répète ici, cette réforme est globale. C'est un tout. Plus vite nous avancerons, plus vite le Congrès sera réuni, plus vite nous pourrons déposer les autres lois organiques et plus vite nous pourrons la boucler. Il apparaîtra alors que, loin d'être un ravaudage, c'est une réforme qui va bien au-delà de tout ce qui a pu être fait ces dernières années, notamment de 1993 à 1997.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président.

J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du règlement, les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

Article 1er

M. le président.

« Art. 1er . - Il est inséré, en tête du code de procédure pénale, un article préliminaire ainsi rédigé :

« Article préliminaire . - I. - Les personnes qui c oncourent à la procédure pénale participent à la recherche de la manifestation de la vérité, dans le respect des principes ci après, qui sont mis en oeuvre, dans les conditions prévues par la loi.

« II. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie, dans le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire.

« Les seules mesures de contrainte dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et strictement limitées aux nécessités de la procédure.

« Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

« Les atteintes à la réputation de cette personne résultant de l'accusation dont elle fait l'objet sont prévenues, limitées, réparées et réprimées selon les dispositions du présent code, du code civil, du code pénal et des lois relatives à la presse écrite ou audiovisuelle.

« III. L'autorité judiciaire veille à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. »

Plusieurs orateurs sont inscrits sur l'article.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen.

L'article 1er , qui est purement déclaratif, ne mérite pas de commentaires excessifs. Mais le hasard ayant voulu que j'intervienne juste après le discours de Mme la garde des sceaux, je profiterai de l'occasion pour dire que sa réponse nous a profondément déçus.

D'abord, madame, de nombreuses questions, concernant notamment les motivations d'ordonnance de mise en examen, sont restées sans réponse. J'espère que nous pourrons cependant en débattre et que nous connaîtrons votre opinion sur la mise en examen, l'ordonnance, la motivation et l'appel.

Quant aux réponses qui vous ont été apportées, je dirai qu'elles sont d'un conservatisme consternant. Alors que nous espérions un véritable débat contradictoire - pourquoi n'y en aurait-il pas à l'Assemblée nationale ? - vous avez fermé la porte. Dès lors, vous aurez un débat à votre mesure sur un texte qui apporte, certes, quelques aménagements, dont certains vont même dans le bon sens, mais qui est bien loin de la philosophie initiale du rapport Truche, c'est-à-dire d'une réforme moderne de la justice. Croyez bien que je le regrette et je ne dois pas être le seul. Je suis sûr, en effet, qu'un certain nombre de membres de votre majorité le déplorent aussi.

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Cet article définit le principe fondamental, c'est-à-dire le respect des droits de la défense et de la personne. Mais il va nous falloir faire en sorte que ces droits soient respectés dans tous les cas de figure. On ne peut en effet poser un principe à l'article 1er et souffrir ici ou là quelques exceptions. J'aimerais recevoir quelques assurances sur le point.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Au vu de la proposition de Mme le rapporteur, nous nous étions d'abord interrogés sur la fonction pédagogique que pouvait remplir le rappel, en tête de notre code de procédure pénale, de principes qui, pour certains d'entre eux, n'étaient pas écrits. Puis, nous en avions assez unanimement constaté l'intérêt.

Il reste néanmoins que cette proclamation de principe soulève deux points sur lesquels je voudrais revenir. Le premier porte sur l'effectivité. Il ne faut pas tomber dans le piège de la fascination des mots. Certes, il est intéressant de rappeler un certain nombre de principes, surtout lorsque ceux-ci se bornent à reprendre ce que contient déjà la Déclaration des droits de l'homme de 1789, la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 ou l'article 9-1 du code civil. Sommes-nous, pour autant, en état de passer de la proclamation au respect effectif de ces principes ? J'en doute énormément.

Second point, cette déclaration est incomplète. Il y manque deux aspects qui, à mon sens, auraient dû figurer dans le rappel des principes. Ainsi, vous n'avez pas fait allusion à l'impartialité et à l'indépendance des tribunaux, principe qui est explicitement mentionné à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il me semble pourtant que le droit de chacun à être jugé de manière impartiale et indépendante par une juridiction méritait un effort textuel supplémentaire.

Il n'y a rien non plus sur un autre principe qui nous paraît très important, même si, matériellement, nous ne sommes peut-être pas en état de le concrétiser dès maintenant, je veux parler du caractère collégial de toute décision privative de liberté. C'est pourtant un objectif vers lequel il faut tendre, car la collégialité est gage de protection des libertés publiques.

Enfin, vous parlez d'équilibre des droits des parties, madame le rapporteur. Permettez-moi d'observer que, quand, au niveau de l'instruction, le pouvoir de direction appartient quasi intégralement au juge unique d'instruction, les droits des parties sont très faiblement introduits, à dose homéopathique, pourrait-on dire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Si nous avons, quant à nous, proposé de changer de logique, ce n'était certainement pas pour imiter béatement ce qui se passe à l'étranger. Nous savons trop, madame la garde des sceaux, qu'il n'y a pas de procédure pénale idéale, ni la nôtre ni celle des pays étrangers. En outre, la transposition est souvent difficile et l'esprit d'imitation ou de mimétisme juridique a ses limites. Simplement, nous avons voulu insister, à travers la proposition de M. Balladur, que tous les groupes de l'opposition ont cosignée, sur le fait que nous étions au bout de la logique que nous appliquons depuis deux siècles dans notre pays.

En effet, aujourd'hui, cette logique n'est plus amendable qu'à la marge, c'est-à-dire de manière fébrile, hésitante et assez inefficace. Mais alors que nous proposons de passer à un système qui affirmerait complètement le caractère contradictoire, certains jouent à se faire peur et parlent d'un système libéral. Je ferai d'abord observer que, dans le mot libéral, il y a la notion de liberté. Après tout, si l'on peut affirmer un peu plus l'attachement aux libertés dans notre pays, nul ne s'en plaindra, en tout cas pas ceux qui ont eu maille à partir avec la justice.

Je le répète, il ne s'agit pas d'une imitation aveugle. Il ne s'agit pas de mettre en place une justice des pauvres contre une justice des riches. Vous avez utilisé cet argument à plusieurs reprises, mais, madame la garde des sceaux, l'inégalité existe déjà dans notre procédure péna le. Qui songerait à le nier ? Puisque, au fond, la politique, c'est toujours le choix entre deux risques, quelqu'un a même dit entre deux inconvénients...

M. Gérard Gouzes.

Il faut choisir le moins mauvais !

M. Pierre Albertini.

En tout cas, le risque le moins grand pour la communauté nationale, monsieur Gouzes ! Eh bien, entre le risque de quelques abus et la logique, aujourd'hui défectueuse, de notre système, nous pensons qu'il fallait franchir le pas pour introduire une procédure, très franchement contradictoire. C'était le sens de nos propositions.

En tout état de cause, madame le rapporteur, votre déclaration n'est pas complète et gagnerait à être enrichie par quelques principes supplémentaires.

M. le président.

La parole est à M. Jérôme Lambert.

M. Jérôme Lambert.

L'article 1er du projet de loi pose, en insérant en tête du code de procédure pénale un article préliminaire, les grands principes que nous allons retrouver au fil de l'examen des articles.

Cet article affirme, ou plutôt réaffirme, une conception du procès pénal fondée sur la Déclaration des droits de l'homme et la convention du Conseil de l'Europe. Notre procédure pénale s'inspire déjà des principes essentiels contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et la convention du Conseil de l'Europe. Néanmoins, il convient de les rappeler de manière solennelle comme des axes directeurs forts sur lesquels notre justice, les juges et les justiciables, pourront s'appuyer.

A l'article 1er , ces droits fondamentaux sont donc réaffirmés et énumérés : présomption d'innocence, respect des droits de la défense, proportionnalité des contraintes pesant sur les personnes suspectées ou poursuivies, en fonction de la gravité de l'infraction et dans la limite des nécessités de la procédure, droits à une procédure dans un délai raisonnable, prévention, limitation et, éventuellement, réparation et répression des atteintes à la réputation de personnes mises en cause dans une procédure au mépris des principes de présomption d'innocence, mais aussi garantie des droits de victimes au cours de toute la procédure pénale.

V oilà autant de principes respectueux des droits humains, que nul ne pourra contester. Encore faut-il que, dans la réalité future, il en soit fait bon usage.

La présomption d'innocence, qui est un droit, ne peut échapper à la suspicion publique quand des noms, des visages sont connus comme étant mêlés à des affaires pénales. Présomption judiciaire contre suspicion publique, sans doute faudra-t-il encore beaucoup de chemin pour que le citoyen prenne pleinement conscience de la nécessité de l'une pour éviter les débordements de l'autre.

Les droits de la défense sont aussi, au regard de la loi, les mêmes pour tous. Mais, là aussi, la réalité prend parfois un autre chemin car, pour faire jouer ces droits, chacun ne se retrouve pas forcément avec les mêmes atouts.

Le principe du contradictoire est lui aussi rappelé, mais notre droit préserve, et c'est une bonne chose, le système inquisitoire. Certains, à n'en pas douter, auraient sans doute préféré que notre juge d'instruction se transforme en procureur, portant l'accusation face à une défense renforcée. Or le système anglo-saxon n'évite pas, quand il ne les provoque pas directement, tous les excès que nous lui connaissons, avec aucune meilleure garantie en prime - elles sont même parfois plus mauvaises - quant à l'assurance d'une absence d'erreurs judiciaires. Nous en avons eu récemment encore quelques illustrations, à propos de condamnations à mort - excusez du peu ! Tout en réaffirmant la proportionnalité des contraintes pesant sur les personnes suspectées, le projet de loi entend établir un meilleur équilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Les droits de la défense sont renforcés mais dans des conditions qui ne compromettent pas l'efficacité des investigations et la nécessité d'une juste répression.

Plusieurs dispositions permettront dans le texte de répondre au souci d'imposer des délais raisonnables aux procédures. Bien évidemment, il s'agit, non pas de réduire arbitrairement des délais, ce qui pourrait gêner l'enquête, mais de veiller à ce que ces délais soient justifiés. Il n'est pas normal, en effet, que certains attendent en prison pendant plusieurs mois des résultats d'analyse ADN, alors que celle-ci ne nécessite pas, assurément, un tel délai.

Ce principe, qui marque une volonté, étant aujourd'hui affiché en attendant d'être appliqué demain comme il se doit, permettra donc de considérables améliorations dans le traitement des affaires.

Nous voyons aussi affirmé un équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence.

La protection de toute personne mise en cause sera améliorée, quel que soit le stade de la procédure, sans pour autant porter atteinte au droit à l'information.

Cet équilibre peut paraître générer des contradictions.

C'est, en effet, un équilibre entre deux grands principes de liberté publique. La situation de notre pays dans ce domaine me paraît relativement satisfaisante. Relativement, car nous pouvons trouver à travers le monde des exemples où cet équilibre est plus ou moins rompu dans un sens ou dans un autre. Aucun de ces exemples ne me semble plus satisfaisant que le nôtre.

Nous avons une presse qui n'est pas parfaite, une justice qui ne l'est pas davantage, des responsables politiques qui ne le sont pas non plus et, plus généralement, une société qui est loin de nous satisfaire. Néanmoins notre souci n'est pas de tout détruire, de jouer les apprentis sorciers. Nous construisons, pas à pas, des améliorationse t nous tâchons de répondre aux problèmes qui surviennent.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

En ce sens, votre texte et les principes affirmés à l'article 1er participent de cette volonté de construction et d'amélioration.

Il en est ainsi du droit des victimes, par exemple dans la consécration du rôle fondamental des associations d'aide aux victimes, ainsi que de la simplification des dispositions permettant aux victimes de se porter parties civiles et de demander des dommages et intérêts.

L'article 1er du projet de loi, qui pose les grands principes, doit renforcer la confiance de nos concitoyens en leur justice qui doit être plus transparente, plus rapide et plus soucieuse de la protection des personnes qu'elle a en charge.

Voilà ce qui est souhaitable et motive, madame la garde des sceaux, mon adhésion aux grands principes du projet de loi affirmés dans cet article 1er

M. le président.

La parole est à M. Tourret.

M. Alain Tourret.

Madame la garde des sceaux, faire une déclaration dans un article préliminaire est parfaitement louable, mais cela peut être également dangereux.

Cela est d'abord louable parce qu'il est important de rappeler certains principes. Ceux qui le sont dans cet article me semblent fort bons sauf à améliorer tel ou tel aspect de certains.

En fait le problème porte sur leur caractère normatif et la question que je me pose est celle de savoir comment ces principes généraux pourront être interprétés par la jurisprudence. Globalement, elle se trouvera dans la même situation que le Conseil constitutionnel face au préambule de la Constitution de 1946. De ce fait, un nouvel état du droit devrait être établi, mais au coup par coup, et il sera difficile à bien cerner année après année.

Certes on aurait pu choisir de rappeler la convention européenne des droits de l'homme et d'autres grands textes dont s'inspire d'ailleurs cet article préliminaire.

M. Pierre Albertini.

Pas complètement !

M. Alain Tourret.

Si en grande partie ! Ainsi dans l'expression : « Il doit être définitivement statué sur l'accusation » ce dernier terme est repris de la déclaration européenne des droits de l'homme.

Peut-être faudrait-il également rappeler plus fortement certains de ces principes généraux ? Par exemple, ce texte cherche à établir un équilibre entre tout ce qui tourne autour de la présomption d'innocence et tout ce qui est lié à l'indemnisation des victimes. Dans ces conditions n'aurait-il pas été préférable de consacrer un titre du projet à la présomption d'innocence et un autre aux victimes, pour bien rappeler l'équilibre indispensable qui doit exister entre les deux ? En l'occurrence l'affirmation selon laquelle « l'autorité judiciaire veille à la garantie des droits des victimes » me semble trop faible.

Un autre problème réside dans l'absence de référence à la dignité des personnes, alors que nous avons tous relevé ce qui se passe en prison au cours des gardes à vue ou dans certains moments difficiles de la procédure. Ne conviendrait-il pas de souligner la nécessaire protection due à la dignité des personnes, ce qui aurait facilité les progrès de la jurisprudence en la matière ? Enfin, ne faudrait-il pas rappeler nettement que l'instruction doit être faite à charge et à décharge ? Nous savons bien, en effet, qu'elle se déroule aujourd'hui presque exclusivement à charge. Il serait important de réaffirmer ce principe dans cet article préliminaire. Cela constituerait une avancée très forte dans la protection des droits des hommes et des femmes de notre pays.

M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes.

M. Gérard Gouzes.

Au début de l'examen de ce texte nous sommes donc amenés, comme d'habitude, à traiter des grands principes. Or mon expérience de terrain me permet d'affirmer que leur application concrète est souvent limitée.

Mes chers collègues, nous savons tous que l'on ne fait pas de bonnes lois avec seulement de bons sentiments.

Ainsi il ne suffit pas d'écrire que le juge d'instruction instruit à charge et à décharge pour que, dans telle ou telle affaire, comme par miracle, le magistrat instructeur se mette effectivement à instruire à charge et à décharge.

M. Alain Tourret.

Les choses vont mieux en les disant !

M. Patrick Devedjian.

Cela ne fait pas de mal !

M. Gérard Gouzes.

Peut-être, mais reconnaissons, par exemple, mes chers collègues, que si, depuis 1933, toutes tendances confondues, toutes législations confondues, j'allais dire tous régimes confondus, le législateur n'a cessé de vouloir réduire la détention provisoire, c'est le résultat inverse qui a été obtenu.

Cela démontre qu'il ne suffit pas de célébrer les grands principes : les dérapages de la pratique l'emportent parfois sur les plus beaux idéaux. Par conséquent la présomption d'innocence restera un voeu pieux, la détention provisoire ne sera jamais une exception si l'on ne s'inspire pas de la pratique, c'est-à-dire, in concreto, de ce qui se passe sur le terrain.

Ainsi, il ne servirait à rien d'élever les seuils, de confondre la garde à vue avec la mise en examen, de contraindre le juge d'instruction en multipliant les actes de procédure. Nous n'aboutirions au mieux, mes chers collègues, qu'à obliger certains juges à surqualifier pour mieux disqualifier après l'enquête, à accélérer les mises en examen inutiles ou à retarder les instructions, donc à allonger les détentions provisoires, ce que personne ici ne souhaite. En définitive, nous aurions provoqué l'affaiblissement de la présomption d'innocence et non son remplacement.

M. Alain Tourret.

Quel pessimisme !

M. Gérard Gouzes.

Ces propos, mon cher collègue, me sont inspirés par la pratique et je suppose que vous avez fait les mêmes constatations sur le terrain.

C'est la raison pour laquelle j'affirme, madame la garde des sceaux, que votre projet, qui est équilibré, doit être concret pour être applicable. S'il est bon de réaffirmer les grands principes, il est surtout essentiel de faire en sorte qu'ils puissent être appliqués.

M. Alain Tourret.

Avec vous, il n'y aurait pas eu de déclaration des droits de l'homme en 1789 !

M. le président.

Mme Catala a présenté un amendement, no 279, ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le I du texte proposé pour l'article préliminaire du code de procédure pénale :

« I. Les personnes concourant à la procédure pénale participent à la recherche de la vérité dans le respect des principes ci-après, qui sont mis en oeuvre dans les conditions prévues par la loi. »

La parole est à M. Robert Pandraud, pour défendre cet amendement.

M. Robert Pandraud.

Cet amendement de pure forme tend à améliorer la rédaction du texte.

En effet, l'expression « la recherche de la manifestation de la vérité » ne me paraît pas très lisible et nous préférons, Mme Catala et moi, que l'on vise plus simplement la participation « à la recherche de la vérité ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. le président.

La parole est à Mme le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour donner l'avis de la commission sur l'amendement no 279.

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Le code de procédure pénale utilise à divers moments l'expression « manifestation de la vérité ». Pour l'uniformité du vocabulaire employé, il me paraît donc préférable de la conserver dans le texte.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 279.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Mme Lazerges, rapporteur, a présenté un amendement, no 72, ainsi rédigé :

« Substituer aux II et III du texte proposé pour l'article préliminaire du code de procédure pénale les paragraphes suivants :

« II. La procédure pénale doit être juste et équitable, respecter le principe du contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

« Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.

« Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

« III. L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.

« IV. Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie.

« Elle a le droit d'être informée de la nature des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.

« Les mesures de contrainte prises à son encontre doivent l'être sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire.

« Ces mesures doivent être proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et strictement limitées aux nécessités de la procédure.

« Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

« Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Cet amendement tend à modifier le texte proposé pour l'article préliminaire du code de procédure pénale qui revêt une importance fondamentale. A cet égard, je regrette que certains de mes collègues estiment que l'énoncé de principes n'a guère d'intérêt. S'il en était ainsi, nous pourrions nous passer de la Déclaration des droits de l'homme, de la convention européenne et d'autres textes internationaux qui sont pourtant autant de guides.

M. Alain Tourret.

Très bien !

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

En fait, il s'agit d'inscrire dans le code de procédure pénale, en article préliminaire, divers droits que nous considérons comme des principes directeurs. Puisque l'on a l'habitude de dire que le code de procédure pénale est le code des innocents, il faut faire en sorte que les justiciables connaissent les règles du jeu. Ces principes directeurs sont précisément un résumé de ces dernières.

Sur le plan pédagogique, cela me paraît essentiel car le pédagogue est celui qui conduit, qui fait avancer. Ces principes directeurs sont en quelque sorte l'équivalent des balises pour ceux qui aiment naviguer ou des cairns, en montagne, pour ceux qui aiment marcher. Peut-être la liste donnée n'est-elle pas exhaustive, mais tel n'est pas l'objectif. Nous voulons surtout avoir, comme le préconise la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la rédaction la plus claire et la plus accessible possible.

Nous avons donc pensé que, pour obtenir ce résultat, il nous fallait énoncer d'abord les principes de la procédure pénale, puis ceux concernant les victimes d'infractions pénales, et, enfin, les principes qui gouvernent la situation des personnes suspectées ou poursuivies.

Monsieur Albertini, vous m'avez interpellée sur l'impartialité, sur l'équilibre des droits des parties. Or ces deux thèmes sont traités dans le paragraphe II du texte que nous vous proposons dont les deux premiers alinéas indiquent :

« La procédure pénale doit être juste et équitable, respecter le principe du contradictoire...

« Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. »

Cela est parfaitement conforme à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme. Nous n'avons donc nullement oublié l'impartialité.

En revanche, monsieur Tourret, nous avons failli oublier la dignité. Cependant, grâce à un amendement que nous examinerons plus tard, cette omission pourra être réparée.

Telles sont les modifications que nous voulons apporter au texte du Gouvernement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

J'ai écouté attentivement les orateurs qui se sont exprimés sur l'article 1er qui revêt une importance particulière, dans la mesure où il récapitule les principes directeurs du procès pénal. S'il a évidemment un intérêt pédagogique, il n'est pas non plus dénué de portée juridique, puisqu'il pourra servir de référence aux juridictions lorsqu'elles devront appliquer et interpréter les autres dispositions du code de procédure pénale.

Je ne peux donc que me réjouir de voir cet article accepté et même amélioré par l'amendement de la commission des lois, qui le complète et le clarifie sur plusieurs points importants, notamment en mentionnant les principes d'égalité de traitement et de séparation des organes de poursuite, d'instruction et de jugement.

J e regrette néanmoins que cet amendement ne reprenne pas les dispositions du texte du Gouvernement relatives à la protection de la réputation de la personne poursuivie, qui découlent, à l'évidence, du principe de la présomption d'innocence. Plusieurs dispositions du code de procédure pénale, soit actuellement en vigueur, soit créées ou améliorées par le projet, comme celles relatives au communiqué en cas de non-lieu, sont en effet la traduction de ce principe.

Peut-être pourrons-nous revoir cette question au cours de la navette.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

En l'état je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée, mais en précisant qu'il s'agit d'une sagesse très bienveillante compte tenu des améliorations qu'apporte cet amendement.

M. le président.

La parole est à Mme Frédérique Bredin.

Mme Frédérique Bredin.

Si les mots ont un sens, et nous pensons qu'ils en ont un, les précisions apportées dans l'article 1er par Mme le rapporteur, avec ses qualités juridiques, sur les grands principes ont une grande importance.

A cet égard, je veux surtout insister sur la disposition relative au double degré de juridiction, car il est essentiel d'afficher ce grand principe parmi ceux qui doivent présider à la procédure pénale.

En France, en effet, nous vivons une injustice terrifiante, celle causée par la différence de traitement entre les crimes et les délits en matière d'appel, puisque celui-ci n'est pas possible contre les décisions des cours d'assises.

Il est ainsi difficile, pour le pays qui se veut celui des droits de l'homme, de donner des leçons au monde entier quand perdure un tel archaïsme dans son système.

Les dernières affaires, que ce soit celle d'Omar Raddad ou celle de M. Deperrois, ont montré qu'il subsistait souvent, après des arrêts de cour d'assises, un doute effrayant, en tout cas suffisant pour faire regretter l'absence d'un second examen alors que tombe un couperet définitif, sans possibilité d'appel.

L'Assemblée nationale a bien adopté un texte reprenant des propositions formulées par une commission présidée par M. Deniau, visant à instituer ce double degré de juridiction pour la cour d'assises. Le système était parfait en théorie, mais il présentait l'inconvénient majeur d'un coût très élevé tant en investissement qu'en fonctionnement.

Il existe une solution plus simple et qui ne poserait pas les mêmes problèmes en termes financiers, celle de l'appel tournant pour les cours d'assises.

Cela étant, même si nous avons le devoir de trouver les solutions les moins onéreuses possibles, nous ne pouvons pas nous laisser arrêter par des problèmes de moyens face à une situation qui constitue une véritable violation des droits de l'homme.

Une réforme d'ampleur de la justice, telle que vous la menez, madame la ministre, doit permettre un double degré de juridiction pour les crimes. Vous nous avez d'ailleurs adressé un texte qui est le résultat des réflexions que vous menez sur ce point. Nous attendons tous cette réforme avec impatience.

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Je voudrais obtenir des précisions sur le problème du double degré de juridictions que l'on veut édicter comme un principe fondamental du droit selon la formule : « Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »

Cela permettra-t-il à tout condamné par une cour d'assises de demander des dommages et intérêts à l'Etat qui n'aurait pas organisé - ce serait alors une faute lourde le double degré de juridiction ?

M. Robert Pandraud.

Si cet amendement est adopté tel quel, cela sera le cas, c'est évident !

M. Alain Tourret.

Cette disposition ouvrira-t-elle le droit d'intenter un recours devant une juridiction soit européenne, soit française, pour demander l'annulation de la décision rendue par une cour d'assises, au motif que, par définition, elle est insatisfaisante puisqu'elle ne permet pas de saisir une autre cour d'assises ? Il faudrait que les choses soient claires parce que tous les juristes vont étudier cette disposition avec la plus grande attention !

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

M. Tourret vient de formuler l'objection que j'avais l'intention de présenter et que nous avions d'ailleurs faite en commission des lois. En effet, nous ne savons pas comment interpréter en l'état actuel du droit l'expression : « Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction » puisque l'appel n'est pas possible contre les décisions rendues par la cour d'assises.

M. Jérôme Lambert.

Au tribunal de police et au tribunal d'instance non plus.

M. Alain Tourret.

Cela est beaucoup plus grave pour la cour d'assises, mon cher collègue, vous en conviendrez, puisque les condamnations sont beaucoup plus lourdes.

M. Gérard Gouzes.

Vox populi, vox dei.

M. Alain Tourret.

Nous avions tous insisté sur la nécessaire effectivité de ces principes. Il serait donc assez coupable de prévoir une disposition qui ne serait pas en conformité avec l'état actuel de notre droit.

En ce qui concerne la possibilité d'un appel contre les condamnations prononcées par une cour d'assises, je crois très franchement, madame la garde des sceaux, que la solution, d'ailleurs évoquée il y a deux ans, est l'appel tournant, en attendant l'instauration du double degré de juridiction qui avait été proposé dans un texte adopté ici en première lecture. Cela permettrait au moins de satisfaire, à moindres frais, une aspiration très profonde et très ressentie.

Madame le rapporteur, je n'ai pas trouvé, dans votre amendement, la référence à l'exigence d'un tribunal indépendant et impartial. Il est certes question de procédure équitable et d'équilibre, mais la notion même, qui figure dans l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, de tribunal indépendant et impartial n'apparaît nulle part. Vous avez en revanche indiqué que l'amendement était sélectif ; j'en prends acte, mais je le regrette.

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Bien que j'aie présenté quelques sous-amendements au texte proposé par Mme Lazerges, je trouve sa rédaction de très bonne qualité.

Sur la question évoquée par M. Tourret, j'ai déposé un sous-amendement no 233 qui, pour la résoudre, reprend la formulation précise du protocole no 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme dont l'incorporation dans le droit français démontre qu'elle a été considérée comme compatible avec notre ordre juridique. La reprise de cette formulation éviterait le risque évoqué par M. Tourret.

M. le président.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Quelques mots sur la notion de tribunal impartial. Quand on parle de la séparation des fonctions de justice, ce qui est notre cas, la procédure doit garantir la distinction entre les autorités chargées de l'action publique et les autorités de jugement.

C'est une notion encore plus précise que celle de tribunal impartial.

La France a été poursuivie, comme les Pays-Bas, devant la Cour de Strasbourg en ce qui concerne le droit des mineurs. La critique qui nous était faite c'était que le juge des enfants avait le pouvoir d'instruire. Il n'y avait


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

pas, selon la Cour, de séparation suffisante entre les autorités chargées de l'action publique et les autorités de jugement, et cela contrevenait à la notion d'impartialité.

Finalement, après avoir étudié le dossier, la Cour de Strasbourg a considéré que la spécificité du droit des mineurs l'emportait sur cette exigence de séparation.

Donc, sur le fond, « séparation entre les autorités chargées de l'action publique et les autorités de jugement » veut dire : « tribunal impartial. »

Quant à la notion d'équité, elle figure expressément à l'alinéa précédent.

Quelques mots également sur la notion de juridiction supérieure. Même quant nous aurons créé, et je souhaite que ce soit le plus rapidement possible, une juridiction d'appel pour les décisions rendues par les cours d'assise, il demeurera la question de l'appel des décisions rendues par les tribunaux de police pour les petites contraventions. C'est pour cette raison que nous sommes obligés d'écrire que toute personne condamné a le droit de faire examiner sa condamnation « par une autre juridiction ».

Le pourvoi en cassation est ouvert comme voie de recours pour toute décision rendue par une juridiction de l'ordre répressif. Cette formule nous permettra d'être en conformité avec nos principes directeurs. Je ne pense pas en effet que quelqu'un réclame un appel pour les décisions du tribunal de police. Elle entraîne une révision rapide de notre droit concernant l'appel des décisions prononcées par les cours d'assise, et évite une nouvelle réforme de celui-ci pour un éventuel appel des petites décisions rendues par les tribunaux de police pour les contraventions des quatre premières classes.

La formule est un peu ambiguë mais elle laisse entendre que nous voulons l'institution rapide d'une juridiction d'appel pour les décisions rendues par les cours d'assise.

M. le président.

Sur l'amendement no 72, je suis saisi d'une série de sous-amendements.

Le sous-amendement no 229, présenté par M. Devedjian et M. Cazenave, est ainsi rédigé :

« Dans le troisième alinéa de l'amendement no 72, après le mot : "doivent", insérer le mot : "pouvoir". »

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Dans le dernier alinéa du II de l'amendement de Mme Lazerges, il est écrit : « Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. » Je propose d'ajouter après le

mot : « doivent », le mot : « pouvoir », pour que ce ne soit pas une obligation. Lorsque toutes les parties sont d'accord, il faut qu'elles puissent recourir au juge unique au lieu de la formation collégiale. La rédaction proposée dans l'amendement l'empêche dans un certain nombre de cas. Par l'introduction du mot pouvoir, on donne toute latitude pour le faire.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

La commission a repoussé cet amendement. Il alourdit le texte. Mais il n'est pas stupide ! (Rires.)

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ? Partage-t-il cette appréciation ?

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 229.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président.

Le sous-amendement n'était donc pas stupide. (Sourires.)

Le sous-amendement no 230, présenté par M. Devedjian et M. Cazenave, est ainsi rédigé :

« Dans le quatrième alinéa de l'amendement no 72, substituer aux mots : "veille à", le mot : "assure" ».

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Dans la phrase : « L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale », les ous-amendement no 230 tend à remplacer le mot

« veille » par le mot « assure ». Je trouve en effet le mot

« veille » peu contraignant. Le mot « assure » n'est pas formidable non plus, j'en conviens mais, comme je me suis amusé à le remarquer dans l'exposé sommaire dus ous-amendement, il n'est meilleur veilleur qui ne s'endort ! Je préfère donc le mot « assure » qui est un peu plus volontariste.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

En réalité, il faudrait écrire : « L'autorité judiciaire veille à ce que soient assurées l'information et la garantie des droits des victimes... »

(Rires) parce que ce n'est pas elle qui assure directement cette information et cette garantie. Dans le domaine de l'information, de l'aide et du soutien aux victimes, ce n'est pas l'Etat qui oeuvre directement, ce sont très largement des associations. S'il fallait choisir, ce serait entre le mot : « veille », et les mots : « veille à assurer ».

Mais, je trouve que le texte actuel est meilleur.

M. le président.

Madame le rapporteur, vous n'iriez pas jusqu'à sous-amender ce sous-amendement ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Non, monsieur le

président

!

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Sagesse.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 230.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Le sous-amendement no 231, présenté par M. Devedjian et M. Cazenave, est ainsi libellé : Rédiger ainsi le début du sixième alinéa de l'amendement no 72 :

« Dès son arrestation, elle a le droit d'être informée... (Le reste sans changement.) »

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Au deuxième alinéa du paragraphe IV de l'amendement no 72, il est précisé que : « La personne suspectée a le droit d'être informée de la nature des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. » Je propose que la phrase commence par

:

« Dès son arrestation, elle a le droit d'être informée... »

Il s'agit de se mettre en règle avec l'article 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel « Tout accusé a droit notamment à : a)

être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui. » «

Dans le plus court délai », se traduit donc pour une personne suspectée par : « dès son arrestation ».

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M me Christine Lazerges, rapporteur.

L'arrestation d'une personne n'implique pas qu'il y ait déjà des charges réelles contre elle.

M. Patrick Devedjian.

Comment ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Il est un peu contradictoire de dire qu'elle est suspecte et déjà lourdement chargée.

M. Patrick Devedjian.

Je n'ai pas dit « lourdement » !

M me Christine Lazerges, rapporteur.

La formule employée dans la Convention européenne des droits de l'homme : « dans le plus court délai » est bonne.

M. Patrick Devedjian.

Le plus tôt pour un accusé, c'est

« dès son arrestation » !

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Non, ce n'est pas tout à fait pareil ! Au moment de l'arrestation, les charges ne sont pas encore, la plupart du temps, clairement définies. Quand il n'y a pas de charges très lourdes, n'en inventons pas au motif qu'il faut informer l'accusé le plus tôt possible.

M. Patrick Devedjian.

Si on arrête quelqu'un, il y a bien une raison !

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Je suis donc opposée à ce sous-amendement.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis, moi aussi, opposée à ce sous-amendement : il n'est pas compatible avec les règles qui régissent actuellement la garde à vue et que retient le projet de loi.

M. le président.

La parole est à M. Jacques Floch, contre le sous-amendement.

M. Jacques Floch.

La précision demandée par M. Devedjian pose un problème parce qu'une personne suspectée peut ne pas avoir été arrêtée. Elle a le droit d'être informée.

Je ne comprends pas pourquoi M. Devedjian limite l'information aux seules personnes arrêtées. C'est un luxe de précautions et ce n'est pas satisfaisant.

M. Patrick Devedjian.

Si je ne suis pas arrêté, je me moque d'être suspecté. Là où le fait d'être suspecté commence à me poser un problème, c'est si je suis arrêté.

M. Jacques Floch.

A ce moment-là, vous serez informé.

M. Patrick Devedjian.

C'est ce que je demande !

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 231.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Le sous-amendement no 290, présenté par M. Lang, est ainsi rédigé :

« Compléter le quatrième alinéa du IV de l'amendement no 72 par la phrase suivante : "Elles ne doivent en aucun cas porter atteinte à sa dignité". »

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel.

M. Lang souhaite qu'il soit précisé dans le texte que les mesures de contrainte qui peuvent être prises à l'encontre des personnes suspectées ou arrêtées ne doivent pas porter atteinte à leur dignité.

Cette précision, que je soutiens, est conforme à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Avis tout à fait favorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

J'y suis moi aussi très favorable.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 290.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président.

Le sous-amendement no 232, présenté par M. Devedjian et M. Cazenave, est ainsi rédigé :

« Compléter l'avant-dernier alinéa de l'amendement no 72 par les mots : "et sur le fondement de preuves loyalement obtenues". »

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

A l'avant-dernier alinéa du paragraphe IV de l'amendement no 72, il est écrit : « Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable. » Je propose

d'ajouter : « et sur le fondement de preuves loyalement obtenues ». C'est un rappel au niveau des principes de l'exigence de loyauté dans l'obtention de la charge de l'accusation. La condition du respect dû à la justice est qu'elle-même procède de manière loyale.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

L'amendement no 232 me semble relever plus de la morale que du droit ou de la procédure pénale. Il est, de mon point de vue, redondant. Il énonce une évidence.

M. Jacques Floch.

Ça ne mange pas de pain !

M. Robert Pandraud.

Non, ça ne mange pas de pain !

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Sagesse.

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Cet amendement est au contraire excellent. Il n'est pas du tout évident que les preuves soient toujours réunies de manière loyale. Il me paraît donc très important de rappeler dans le texte cette obligation, notamment pour les problèmes de nullité de procédure. Cet amendement est très intéressant.

M. le président.

La parole est à M. Gérard Gouzes.

M. Gérard Gouzes.

Je poserai simplement une question : l'énoncé de ce grand principe dans un article préliminaire du code de procédure pénale n'est-il pas contradictoire avec cet autre grand principe selon lequel on juge sur l'intime conviction et pas toujours sur des preuves et ne va-t-il pas bouleverser notre façon de juger ?

M. le président.

La parole est à Mme Frédérique Bredin.

Mme Frédérique Bredin.

Il est important que l'intime conviction soit fondée sur des preuves loyalement apportées. Je pense que nous sommes tous d'accord sur cette idée. L'amendement, il est vrai, relève plus de la morale que du droit, mais il introduit une précision importante.

Faisons-la figurer dans cet article puisqu'il pose les principes fondamentaux de la procédure pénale.

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Arnaud Montebourg.

Je ferai juste une petite objection. S'il s'agit d'obtenir des preuves pour faire condamner quelqu'un, le code de procédure pénale nous offre suffisamment de moyens pour vérifier cette exigence. S'il s'agit de faire en sorte que les preuves soient loyalement obtenues, la chambre criminelle de la Cour de cassation a une jurisprudence constante et vigoureuse sur l'exigence de loyauté. Des exemples célèbres, dont les noms ne méritent pas d'être rappelés, notamment en matière d'écoutes téléphoniques, le prouvent.

Même si l'intention n'est pas mauvaise, je crains qu'avec ce sous-amendement on ne descende un étage en dessous des principes.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 232.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président.

Le sous-amendement no 233, présenté par M. Devedjian et M. Cazenave, est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le dernier alinéa de l'amendement no 72 :

« Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. »

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, à la place de la rédaction du rapporteur : « Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction, », je propose : « Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridict ion supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. »

Cette formulation n'est pas de moi. C'est purement et simplement celle du protocole no 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ratifiée par la France.

Elle ne pose donc aucun problème de compatibilité avec l'état de notre droit.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

En l'état actuel du droit, la Cour de cassation, l'autre juridiction en cas de crime et de contravention des quatre premières classes, n'est pas une juridiction supérieure, Nous ne pouvons donc pas aujourd'hui accepter les termes de « juridiction supérieure ».

M. Patrick Devedjian.

Nous avons pourtant ratifié le protocole.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je soutiens tout à fait la position de Mme Lazerges. La rédaction proposée par M. Devedjian poserait des problèmes vis-à-vis du tribunal de police, comme l'a rappelé, à deux reprises, Mme Lazerges.

J'en profite pour répondre à M. Devedjian et Mme Frédérique Bredin, sur la réforme des cour d'assises. J'y suis bien entendu favorable. Mais nous devons trouver un système moins coûteux en magistrats que celui, par ailleurs très intéressant, proposé par mon prédécesseur.

J'ai fait procéder par mes services à une étude. Je suis tout à fait prête à la communiquer aux parlementaires qui le souhaitent. Elle est à la disposition de tous.

La solution consisterait peut-être en un système tournant. J'ai demandé que toutes les possibilités soient examinées.

Pendant quelque temps encore, il est vrai, nous aurons d'autres priorités. J'ai beau avoir prévu de nombreuses créations de postes de magistrats, il reste encore un grand retard à combler. Il faut également financer les réformes en cours.

En tout cas, je souhaite que nous parvenions à un accord sur une réforme moins coûteuse et qu'un texte puisse être examiné avant la fin de la législature par votre assemblée.

M. le président.

Je mets aux voix le sous-amendement no 233.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 72, modifié par les sous-amendements adoptés.

(L'amendement, ainsi modifié, est adopté.)

M. le président.

En conséquence, les amendement nos 1 de M. Devedjian, 280 de Mme Catala, 209 de M. Tourret, 2 de M. Devedjian, 305 rectifié de Mme Catala, 3 de M. Devedjian, 281 de Mme Catala, 210 de M. Tourret, 4 de M. Devedjian et 282 de Mme Catala n'ont plus d'objet.

M. Hascoët, Mme Aubert, MM. Aschieri, Cochet, Mamère et Marchand ont présenté un amendement, no 301, ainsi rédigé :

« Compléter l'article 1er par le paragraphe suivant :

« Les articles 395, 396, 397, 397-1, le deuxième alinéa de l'article 397-3 et l'article 397-4 du code de procédure pénale sont abrogés. »

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Comme je l'ai dit dans mon intervention tout à l'heure, il y a un décalage, un divorce entre la volonté affichée par le texte de garantir la présomption d'innocence et la réalité. Les comparutions immédiates et les jugements rapides où les droits de la défense ne sont pas respectés sont légion.

Le projet de loi, que nous soutenons largement sur tous ces bancs, affirme très clairement, dès la première phrase, que « la présomption d'innocence constitue un principe cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit ». Je crois que c'est profondément vrai. Il nous revient d'en tirer les enseignements et les conséquences.

Pour défendre mon amendement, je reprendrai le texte de son exposé sommaire, dont vous me pardonnerez la longueur ! Le projet n'envisage pas de modifier la procédure pénale spéciale, qui, de fait, ne connaît ni la présomption d'innocence, ni de véritables droits de la défense, ni un encadrement satisfaisant de la détention provisoire.

Telle que définie par l'article 394 du code de procédure pénale, la convocation par procès-verbal peut être justifiée par la nécessité de juger rapidement des affaires ne présentant pas de difficultés majeures. Le délai de jugement est compris entre les dix jours et les deux mois qui suivent la décision du procureur de la République d'utiliser la voie de cette convocation pour réprimer l'infraction qu'il considère comme caractérisée.

D'une part, ces délais sont très brefs. D'autre part, pour que les droits de la défense puissent être exercés, il est nécessaire que les avocats des prévenus agissent avec une remarquable célérité. Concrètement, il est loin d'être certain que les moyens alloués à l'aide judiciaire soient suffisants pour que la défense de tous les prévenus soit assurée de manière effective et que l'administration rende une justice sereine.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. le président.

Je vous demanderai de bien vouloir résumer l'exposé sommaire, monsieur Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Je vais le faire, monsieur le président.

Dans l'exposé sommaire, nous expliquons pourquoi nous considérons que la comparution immédiate constitue une négation de la présomption d'innocence et du droit de la défense, et nous proposons plusieurs dispositions pour faire évoluer le code de la procédure pénale.

Je dirai simplement que ce qui, hier, était difficilement envisageable est rendu possible aujourd'hui par l'éclairage nouveau qu'apporte le texte dont nous débattons et par la volonté qu'il affiche.

Par ailleurs - et je parle ici avec la conviction de quelqu'un qui observe de très près ce qui se passe sur le terrain -, si nous n'allons pas vers une évolution de ce type de procédure, quelles que soient les réformes que l'on entreprendra, beaucoup de gens auront le sentiment qu'il y a, en France, une justice à deux vitesses. Si nous ne nous adaptons pas, nous le paierons socialement, sur le terrain.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ? Mme Christine Lazerges, rapporteur.

L'amendement vise à supprimer la procédure de la comparution immédiate et la procédure de la convocation par procès-verbal.

Ces procédures, je le sais, peuvent poser des problèmes et, comme le disait Mme la ministre de la justice tout à l'heure, nous essayons dans ce projet de nous intéresser à l'ensemble des personnes suspectées, qu'elles soient riches ou pauvres, trafiquants de stupéfiants ou voleurs à l'étalage.

La comparution immédiate présente des défauts mais elle a aussi beaucoup d'avantages. C'est le cas pour le traitement en temps réel d'un certain nombre d'infractions, en particulier pour les mineurs qui ont besoin que l'interdit leur soit dit rapidement, même si, ensuite, on doit prendre le temps de trouver la mesure la plus adéquate possible, et j'espère qu'on le fait.

Le projet tel qu'il est présenté essaie d'effacer certains des défauts de la comparution immédiate, d'une part, en encadrant beaucoup mieux la garde à vue - c'est tout à fait fondamental - et, d'autre part, en essayant de limiter la détention provisoire.

Vous le verrez plus loin, dans nos amendements, nous demandons que les seuils de peines encourues permettant la détention provisoire soient les mêmes en comparution immédiate - sauf quand il y a flagrant délit - et dans le cadre d'une procédure avec instruction.

Je pense donc que cette procédure est suffisamment encadrée. En tout cas, ce projet de loi contribue à l'encadrer mieux.

De toute façon, si nous voulions réformer les procédures rapides, cela devrait faire l'objet d'un projet en soi.

Nous ne pouvons pas, à la sauvette, nous priver de procédures qui permettent de gérer des flux importants et d'y répondre au mieux. Faisons confiance à nos magistrats qui se donnent beaucoup de mal, à l'heure actuelle, pour p ouvoir traiter plus rapidement quantité de petites affaires.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement ne peut pas être favorable à la suppression de la procédure de la comparution immédiate, qui est nécessaire. Elle permet une réponse rapide aux actes de délinquance les plus simples, mais qui présentent tout de même le caractère d'une certaine gravité. Elle évite l'atteinte à la présomption d'innocence qui peut découler de l'ouverture d'une information et des délais écoulés entre le début de la poursuite et la condamnation définitive de la personne, laquelle a pu être entre-temps, je le rappelle, placée en détention provisoire.

Elle constitue, avec la procédure de convocation par officier de police judiciaire, la procédure de convocation par procès-verbal et les procédures alternatives aux poursuites, un élément indispensable de la politique de traitement en temps réel des infractions qui est si nécessaire pour lutter contre la montée de l'insécurité quotidienne et du sentiment d'insécurité.

Je vous rappelle, d'ailleurs, que cette procédure avait été examinée par la commission Truche qu'elle était satisfaisante.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas entourer cette procédure des garanties nécessaires et tâcher d'améliorer encore ces garanties. Mais si les dispositions du projet de loi y contribuent, Christine Lazergues le soulignait il y a un instant.

Les avancées du projet, sur l'intervention de l'avocat pendant la garde à vue notamment, seront très utiles dans les enquêtes de flagrance qui peuvent être à l'origine d'une procédure de comparution immédiate. Sans parler de l'amélioration des règles d'indemnisation des détentions provisoires abusives qui pourra, bien entendu, profiter à des personnes ayant fait l'objet de ces procédures.

Par ailleurs, le renforcement du contrôle de la police judiciaire par les autorités judiciaires figurant non pas dans ce projet mais dans celui relatif à l'action publique, qui viendra devant votre assemblée avant l'été, je pense, n'est pas non plus sans incidence sur les procédures de comparution immédiate.

Enfin, les améliorations de la procédure de comparution immédiate me paraissent davantage résider dans la pratique judiciaire, par exemple dans l'utilisation plus fréquente et plus efficace des enquêtes sociales rapides, qui est un de mes objectifs. C'est surtout que, au-delà des dispositions du projet, nous améliorerons encore les garanties.

Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement.

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

J'ai parlé du sentiment que pouvait susciter le rapprochement de deux images : celles, à un an d'intervalle, des débordements des manifestations du mouvement lycéen, avec les décisions qui s'ensuivirent, et des débordements de quelques manifestations d'agriculteurs qui n'en entraînèrent aucune. J'affirme que cela fait des ravages : impossible d'expliquer à des jeunes qu'il y a deux lois dans la même République ! On sait très bien que, dans les quartiers les plus difficiles, la moindre remarque à des jeunes, qui ne l'aiment pas, d'une police qui n'aime pas ou qui n'aime plus les jeunes, sert de prétexte, d'étincelle à une échauffourée qui conduit inévitablement à l'interpellation d'individus dont la parole ne vaut rien face à celle de plusieurs policiers assermentés.

Il m'arrive de temps en temps - quatre fois ces derniers dix-huit mois ! - ayant la certitude que, dans certains cas, le contenu de la main-courante n'est pas conforme à ce qui s'est passé sur le terrain, de rechercher des témoignages. Mais les gens ont peur de témoigner.

On en est là !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

Or, en quarante-huit heures, personne ne peut se défendre correctement quand il ne connaît rien au droit et à la machine judiciaire. Que se passe-t-il alors ? La conséquence logique, c'est qu'on pousse les gens d'un quartier à être solidaires de ceux qui se sont mis hors la loi. Voilà ce qui se passe, et c'est à dessein que j'ai évoqué la Cour des miracles et les soldats du roi. Nous ne sommes pas obligés de créer les conditions du maintien du conflit ! En tout état de cause, c'est un débat qui s'ouvre et il est difficile. Il peut être mal compris de l'opinion, et même compris complètement de travers. Mais je tenais à préciser ma position parce que je reste convaincu que la vraie solution, c'est la pacification des relations, grâce à une police de proximité dans les quartiers, alors que la comparution sert, malheureusement, trop souvent d'alibi pour l'accusation des jeunes.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 301.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l'article 1er , modifié par l'amendement no 72 corrigé.

(L'article 1er , ainsi modifié, est adopté.)

Après l'article 1er

M. le président.

Mme Catala a présenté un amendement, no 283, ainsi libellé :

« Après l'article 1er , insérer l'article suivant :

« Il est inséré, après l'article 11 du code de procédure pénale, un article 11 bis ainsi rédigé :

« Art. 11 bis. - Toute personne est tenue d'apporter son concours loyal aux investigations de la justice pénale.

« Devant les autorités qui sont chargées de l'action publique et de l'instruction, la déposition mensongère, faite en vue de nuire à la manifestation de la vérité, sera punie d'un emprisonnement de quinze jours à six mois, et d'une amende de 1 000 à 15 000 francs.

« Sont exceptés de la disposition de l'alinéa précédent le coupable du fait qui motivait les investigations, ses coauteurs, ses complices et les parents ou alliés de ces personnes jusqu'au quatrième degré inclusivement. »

Cet amendement est-il défendu ?

M. Patrick Devedjian.

Il est défendu !

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Cet amendement a été rejeté par la commission. Avis défavorable.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis également défavorable à l'amendement no 283.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 283.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

Mme Catala a présenté un amendement, no 284, ainsi rédigé :

« Après l'article 1er , insérer l'article suivant :

« La dernière phrase du premier alinéa de l'article 63 du code de procédure pénale est complétée par les mots : "au-delà du début de la garde à vue, dont le point de départ leur est notifié dans les conditions prévues à l'article 63-1". »

Cet amendement est-il soutenu ?

M. Patrick Devedjian.

Il est défendu.

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Avis défavorable.

L'amendement no 284 ne règle pas la question du point de départ de la garde à vue, qui est fixé par un décret de 1903 et surtout par la jurisprudence. Il me paraît donc inutile.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Je suis également défavorable à cet amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 284.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

MM. Balladur, Albertini, Devedjian, Goasguen et Houillon ont présenté un amendement no 267 ainsi libellé :

« Après l'article 1er , insérer l'article suivant :

« I. - Le premier alinéa de l'article 80-1 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Art. 80-1. - Le juge d'instruction a le pouvoir d'entendre toute personne dont le concours lui paraît utile à la manifestation de la vérité. Il l'avise des faits à l'occasion desquels son témoignage est requis et de la qualification juridique de ces faits. Il lui précise qu'elle a le droit d'être assistée d'un avocat de son choix ou commis d'office et que le nom de l'avocat choisi ou la demande de désignation d'un avocat commis d'office doit être communiqué à son greffe. Elle a l'obligation de répondre aux questions du juge d'instruction, sans toutefois être tenue de témoigner contre elle-même. »

« II. - Dans la section I du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale, il est inséré un article 80-2 ainsi rédigé :

« Art. 80-2. - Le juge d'instruction, à l'issue de l'instruction, qu'il a conduite à charge et à décharge, rend, s'il y a lieu, une ordonnance de mise en accusation dans laquelle il énumère les faits susceptibles de caractériser la ou les infractions pénales poursuivies et qu'il estime avoir établis à l'encontre de tel témoin convoqué ou entendu à la procédure.

« L'ordonnance de mise en accusation, non frappée d'appel ou confirmée par la chambre d'accusation, vaut ordonnance de renvoi devant la juridiction compétente. »

« III. - Dans la première phrase des sixième et septième alinéas de l'article 81 du code de procédure pénale, les mots : "personnes mises en examen" sont remplacés par les mots : "personnes qu'il envisage de mettre en accusation".

« IV. - Au début de la cinquième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale, les mots : "Lorsque la personne mise en examen est détenue" sont remplacés par les mots : "Lorsqu'une personne est détenue".

« V. - Dans la section I du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale, il est inséré un article 80-3 ainsi rédigé :

« Art. 80-3. - Si le procureur de la République assortit son réquisitoire d'une demande de placement sous contrôle judiciaire ou de mise en détention provisoire, sa requête énumère, outre les motifs de la mesure sollicitée, les faits susceptibles de caractériser la ou les infractions pénales qu'il poursuit et qui ont pu être établis par les services d'enquête.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

« Le tribunal de la liberté examine, en audience publique, les charges alléguées et, s'il les estime suffisantes, les motifs qui fondent la demande de mesure de placement sous contrôle judiciaire ou de mise en détention provisoire, dans les conditions prévues aux articles 102 et suivants.

« Sa décision prise, le tribunal de la liberté transmet le dossier au juge d'instruction désigné pour en connaître. »

« VI. - Dans le troisième alinéa de l'article 82 du code de procédure pénale, les mots : "de la personne mise en examen" sont supprimés.

« Dans les deux derniers alinéas du même article, les mots : "juge d'instruction" sont remplacés par les mots : "tribunal de la liberté".

« VII. - L'article 82-1 du code de procédure pénale est abrogé.

« VIII. - Dans la première phrase du deuxième alinéa de l'article 91 du code de procédure pénale, les mots : "la personne mise en examen ou toute autre personne visée" sont remplacés par les mots : "toute personne mentionnée".

« IX. - L'article 95 du même code est ainsi rédigé :

« Art.

95. - Si la perquisition a lieu dans un domicile, le juge d'instruction doit se conformer aux dispositions des articles 57 et 59.

« X. - Dans l'article 102 du code de procédure pénale, les mots : ", et hors la présence de la personne mise en examen," sont supprimés.

« XI. - Au premier alinéa de l'article 109 du code de procédure pénale, les mots : ", de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal" sont supprimés.

« XII.

1. - Dans le deuxième alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, les mots : "ou l'audition de la partie" sont remplacés par les mots : "du témoin".

«

2. Dans les première et deuxième phrases du troisième alinéa du même article, les mots : "de la personne mise en examen" sont supprimés.

«

3. Au huitième alinéa du même article, les mots : "les personnes mises en examen," sont supprimés.

« XIII.

1. - Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 116 du code de procédure pénale, le mot : "comparution" est remplacé par le mot : "audition".

«

2. Dans les deuxième, troisième et avant-dernier alinéas du même article les mots : "la personne mise en examen" sont remplacés par les mots : "le témoin".

« XIV. - Le premier alinéa de l'article 119 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Art. 119. - Le procureur de la République peut assister à toute audition. »

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

L'amendement no 267 représente la mise en oeuvre des principes qui ont été exposés par M. Balladur dans la discussion générale et dont je rappelle la mécanique. On part de l'observation que, dans l'état actuel du dispositif, la présomption d'innocence est mal assurée. En effet, nous allons avoir dorénavant trois situations au regard du juge d'instruction : premièrement, comme d'habitude, le témoin-témoin qui prête serment ; deuxièmement, le témoin assisté, de manière beaucoup plus large qu'aujourd'hui ; enfin, le mis en examen. Il en résultera que celui qui sera mis en examen dès le départ sera beaucoup moins présumé innocent qu'il ne l'est aujourd'hui, où il l'est déjà assez peu. L'extension du témoin assisté réduit encore la présomption d'innocence du mis en examen.

M. Balladur propose donc qu'on généralise le concept du témoin assisté. Celui-ci ira peut-être devant le tribunal mais ce n'est pas certain. Dès lors, la présomption d'innocence est automatique. Elle est pratiquement obligatoire sauf s'il y a mise en détention - là, la présomption d'innocence en prend forcément un coup ! Un problème se pose, en effet, lorsqu'il y a mise en détention. C'est là où le système s'enrichit. Le juge doitr endre une ordonnance de mise en accusation au moment où il décide la mise en détention. Le témoin assisté peut être mis en accusation à la fin de la saisine du juge parce que les charges sont suffisantes. Dans ce cas là, l'ordonnance de mise en accusation sera examinée par un tribunal de la liberté dont le juge d'instruction est exclu ce qui est conforme aux conclusions à la fois du rapport Delmas-Marty et du rapport Truche - et qui apprécie la nature des charges. Si elles sont suffisantes pour justifier la mise en détention, le tribunal de la liberté statue en audience publique. Ce dernier point est capital car, même si, j'en conviens, le texte du Gouvernement comporte sur ce sujet un progrès, le dispositif de M. Balladur se rapproche davantage du système accusatoire et l'audience est automatiquement publique.

Le fond du raisonnement est, en fait, le suivant : être mis en prison, que ce soit par une condamnation ou au cours d'une instruction, est de toute façon afflictif et même infamant. Quelle que soit la procédure de mise en détention, elle doit être entourée des mêmes garanties de la défense, à savoir la collégialité, le tribunal, l'audience publique. C'est ce que nous offrons.

L'amendement propose donc une évolution beaucoup plus importante vers le système accusatoire, qui offre une bien meilleure garantie de la présomption d'innocence parce que, je le répète, on ne peut pas savoir quelle sera l'issue de l'instruction dont fait l'objet le témoin assisté.

Ce n'est pourtant pas encore totalement le système accusatoire puisque nous ne supprimons pas le juge d'instruction.

M. Gérard Gouzes.

Mais cela vous démange !

M. Armand Montebourg.

C'est un grand fantasme !

M. Patrick Devedjian.

Je vous rappelle, monsieur Gouzes - vous avez la culture juridique suffisante pour le savoir - que le juge d'instruction est un officier de police monté en grade.

M. Gérard Gouzes.

Gardien des libertés !

M. Patrick Devedjian.

Mme la garde des sceaux a dit tout à l'heure qu'elle n'était pas favorable à en faire un super policier. Mais c'est sa nature : le code d'instruction criminelle de 1808 le place dans le chapitre sur la police.

M. Gérard Gouzes.

Mais c'est un magistrat !

M. Patrick Devedjian.

A l'origine, c'est un policier.

M. Arnaud Montebourg.

En 1808, le magistrat est un sous-préfet !

M. Patrick Devedjian.

M. Badinter, avec une comparaison assez heureuse - je ne vous apprends rien ! - explique que le juge d'instruction doit être Maigret, c'est-à-dire un super policier, que le juge de la détention doit être Salomon car il doit être totalement impartial, et que l'on ne peut pas jouer à la fois les rôles de Maigret et de Salomon...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. Gérard Gouzes.

Le juge instruit à charge et à décharge !

M. Patrick Devedjian.

... il ne fait rien d'autre que de soutenir la philosophie de l'amendement proposé par

M. Balladur.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. le président.

Quel est l'avis de la commission ?

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Cet amendement, en réalité, n'est pas très différent de ce que propose le projet de loi. Celui-ci prévoit un témoin assisté qui peut le rester jusqu'à la fin de l'instruction. Un acte de mise en examen n'est nécessaire qu'au moment de la clôture de l'instruction s'il y a des charges suffisantes.

Si d'aventure un contrôle judiciaire ou une détention provisoire sont nécessaires, il faudra une mise en examen, ce que prévoit bien M. Balladur mais en substituant à l'expression « mise en examen » celle de « mise en accusation ».

M. Patrick Devedjian.

Il s'agit bien de cela !

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

C'est beaucoup plus grave ! L'expression est plus lourde à porter. Mise en accusation : que restera-t-il de la présomption d'innocence ? Il n'y a qu'une différence, c'est que, lorsqu'il y a mise en accusation, selon votre proposition, monsieur Balladur, c'est un tribunal collégial, une chambre des libertés collégiale qui statuera.

M. Edouard Balladur.

C'est important !

M. Michel Hunault.

Essentiel même !

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Alors, ne dites pas : supprimons la mise en examen. Dites : nous demandons la collégialité pour le placement en détention provisoire. C'est ça l'honnêteté ! Vous demandez la collégialité pour le placement en détention provisoire mais la situation de mise en examen que vous prévoyez est identique à ce qu'elle est, aujourd'hui.

Pour notre part, nous souhaitons vivement que ne soient mises en examen que des personnes sur lesquelles pèsent des charges fortes nécessitant un contrôle judiciaire ou une mise en détention provisoire.

M. Patrick Devedjian.

Vous ne répondez pas sur la mise en examen des non détenus !

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux.

Comme Christine Lazerges, j'ai l'impression que les auteurs de l'amendement n'ont pas bien évalué les dispositions du projet de loi qui favorisent, c'est clair, la procédure de témoin assisté, pour limiter les mises en examen abusives, et qui modifient très profondément le régime de la détention provisoire, afin qu'elle devienne exceptionnelle et qu'elle ne soit prononcée par une juridiction impartiale que dans le cas où elle est indispensable.

Nous poursuivons donc les mêmes objectifs, messieurs, mais je pense que vos contre-propositions sont irréalistes parce qu'elles n'atteindront pas le but que vous recherchez.

Quand vous qualifiez de témoin la personne mise en cause, et que cette personne peut être tellement mise en cause qu'elle pourrait être placée en détention provisoire et qu'il faudra attendre la fin d'une information pour déclarer que cette personne est mise en accusation, je ne crois pas qu'ainsi vous protégez mieux la présomption d'innocence. Souvenons-nous de ce qu'a produit la transformation de la situation d'inculpé mis en examen.

C'était un progrès, c'est vrai, mais limité. Je ne crois pas qu'en changeant l'appellation de situations qui ne varient pas, on fasse beaucoup progresser la présomption d'innocence.

Je ne vois pas dès lors l'intérêt de qualifier de témoin toutes les personnes entendues par le juge d'instruction, en leur donnant à toutes le droit d'avoir un avocat, même si on ne leur reproche rien, et en permettant la détention provisoire ou le contrôle judiciaire de tous ces témoins. Je préfère le système que nous proposons, qui me paraît aller dans le même sens.

Le changement de terminologie, en vérité, ne trompera personne. Peut-être même aboutirait-il à ce que de véritables simples témoins soient pris pour des personnes suspectées par la justice, ce qui serait profondément dommageable, car nous aurions instillé un soupçon et nous n'aurions plus aucune procédure pour permettre à des personnes qui ne seraient pas mises en examen, qui n'auraient pas vocation à aller en détention provisoire, d'être entendues par un magistrat.

M. le président.

La parole est à Mme Bredin.

Mme Frédérique Bredin.

Nous nous sommes interrogés au cours de nos débats sur l'idée même qu'avait proposée certains d'une mise en examen motivée et susceptible d'appel. Et puis nous avons pensé que ce pourrait être un préjugement incompatible avec le principe que nous voulions défendre, c'est-à-dire la présomption d'innocence.

Nous nous sommes alors rendus aux arguments que viennent de développer Mme Lazerges et Mme la garde des sceaux sur l'intérêt de la solution proposée par le texte : revaloriser le statut du témoin assisté, inciter les juges à utiliser cette possibilité, rendre donc plus rares les cas de la mise en examen, puisqu'elle ne sera justifiée que dans les cas de détention provisoire ou de contrôle judiciaire, et surtout la faire intervenir plus tard dans la procédure.

Il est important d'inciter les juges à ne recourir à la mise en examen que plus tard dans la procédure, mais le texte répond à cette préoccupation. Nous verrons si, dans la pratique, c'est suivi d'effet. Nous l'espérons tous. En tout cas, les juges auront les moyens d'agir en respectant la présomption d'innocence de façon rigoureuse.

Le système qui est proposé me paraît présenter un risque sérieux par rapport aux objectifs que vous semblez poursuivre, c'est que vous aggravez la présomption de culpabilité.

D'une part, le témoin assisté aux yeux de tous deviendra très vite un mis en examen. On a déjà vécu cela avec la modification sémantique de l'inculpation devenue mise en examen. Très vite, le glissement va s'opérer vers le témoin assisté.

D'autre part, et je reviens aux propos que je tenais au début, la personne mise en accusation sera préjugée. Elle sera au moment de l'audience de jugement dans une situation extrêmement délicate. Les mots mêmes auront parlé contre elle.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Je voudrais qu'on s'explique bien, parce que j'ai un petit peu de mal à comprendre les réponses qui ont été données par Mme Lazergues et par

Mme la ministre.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

D'un côté, on prétend que nous voulons révolutionner la procédure et, de l'autre, Mme Lazergues nous répond que, au fond, elle ne comprend pas très bien les distinctions qui existent entre le projet de loi et le contenu de notre amendement.

En réalité, nous avons un objectif commun mais nous d ivergeons complètement sur les moyens. L'objectif commun, c'est de tenter, au-delà des nuances sémantiques imperceptibles quelquefois, de mieux protéger la présomption d'innocence.

Vous le faites en essayant de généraliser le recours à la notion de témoin assisté. Ce n'est pas la première fois.

Jusqu'à présent, cela a toujours échoué. En dépit des incitations qui existaient avant le projet de loi actuel, on a très peu eu recours à cette procédure. Il ne suffit donc pas d'exhorter, encore faut-il être sûr que les actes suivent, et c'est autre chose.

En réalité, la logique de notre amendement commun est la suivante. Vous voulez recourir moins fréquemment à la mise en examen. Cela suppose deux conditions, premièrement, que l'on utilise les dispositions relatives au témoin assisté, deuxièmement, qu'il y ait une différence quantitative entre le volume des témoins assistés et celui des mises en accusation. Sinon, vous ne faites que retarder la procédure et il n'y aura pas de différence substantielle pour la présomption d'innocence.

En réalité, notre système a une philosophie différente de la vôtre. Il y a toujours un préjugement dans l'opinion. Tout dépend du moment où il se produit. S'il se produit dès l'origine, aujourd'hui dès la mise en examen, c'est catastrophique, parce que les garanties offertes à la défense sont insuffisantes. Le préjugement condamne aux yeux de tous la personne mise en examen, en dépit des différences sémantiques entre inculpé et mis en examen qui n'ont rimé à peu près à rien, ayons l'honnêteté de le reconnaître. La différence essentielle, dans notre procédure, c'est que la mise en accusation est prononcée par un tribunal de la liberté, c'est-à-dire par une juridiction très distinctement séparée de la fonction d'investigation.

Vous avez expliqué tout à l'heure, madame la ministre, que vous aviez repris l'essentiel des propositions de la commission Truche, mais, pour la mise en détention provisoire, la commission a introduit la notion de collégialité, que vous n'avez pas reprise, puisque vous l'avez confiée à un juge de la détention provisoire unique ! C'est vrai que nous allons vers une séparation beaucoup plus radicale entre l'investigation et le jugement, et le surcroît de garantie que nous proposons dans cet amendement, c'est l'intervention du tribunal de la liberté.

Sans doute est-on préjugé à un moment ou à un autre, mais, lorsqu'on l'est au terme d'une procédure qui a mieux garanti les droits de la défense, les dommages pour la dignité de la personne, sa notoriété, l'atteinte à sa réputation seront, on peut l'espérer, moindres. Voilà la différence essentielle entre votre logique et celle que nous proposons.

M. Arnaud Montebourg.

C'est tout le problème !

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

C'est vrai, madame le rapporteur, que, d'une certaine manière, les modalités prévues dans le projet de loi et celles proposées par cet amendement concourent au même objectif, vous l'avez très bien dit, à ceci près que, dans le projet de loi, c'est un pari, et que, dans l'amendement, c'est une garantie.

Que se passe-t-il dans le concret quotidien ? Un juge d'instruction met en examen, sous prétexte ou avec l'alibi d'assurer les droits de la défense, puisque c'est pour permettre à la personne mise en examen d'avoir accès au dossier. Cette mise en examen intervient en général au début de la procédure, précisément à un moment où le juge d'instruction n'a pas encore recueilli les charges suffisantes et où, par définition, puisqu'il n'a pas encore entendu le mis en examen, il n'a pas pu instruire à décharge, alors que nous allons voter un amendement plus clair précisant, et nous sommes tous d'accord sur ce point, que l'instruction doit se faire à charge et à décharge. Il se passe alors un temps assez long - on connaît le délai moyen des instructions - entre la mise en examen et le renvoi à l'audience publique, au cours de laquelle les arguments sont débattus. Pendant ce temps, la présomption d'innocence est atteinte.

C'est la raison pour laquelle vour cherchez à faire en sorte que la mise en examen intervienne le plus tard possible, et nous sommes donc d'accord sur la problématique, sauf que vous écrivez dans votre rapport, page 22, que « les juges d'instruction n'ont malheureusement que très rarement recours au statut de témoin assisté prévu par les articles 104 et 105 ».

Il est vrai que le projet souhaite en étendre l'utilisation, mais nous avons déjà une pratique du système et nous savons que les juges d'instruction ne l'utilisent pas.

Bref, dans un cas, c'est un pari, c'est-à-dire que vous souhaitez que les juges d'instruction utilisent ce statut un peu plus qu'ils ne le font maintenant, pour que la mise en examen intervienne plus tard et qu'il soit moins porté atteinte à la présomption d'innoncence, et, de l'autre, c'est une garantie puisque l'ordonnance de mise en accusation vaut ordonnance de renvoi, c'est-à-dire qu'elle intervient à un moment où l'instruction a pu se faire à charge et à décharge et où le juge d'instruction estime, sous réserve évidemment de l'appréciation ultérieure de l'audience collégiale de jugement, qu'il a recueilli suffisamment de charges.

Ce dernier système est infiniment plus protecteur des droits de la défense et de la présomption d'innocence en particulier que celui du pari qui consiste à se dire que, subitement, les juges d'instruction vont utiliser un système qu'ils n'ont pas utilisé pendant des années parce que ce projet de loi les incite à le faire.

M. le président.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Il me paraît important, monsieur Houillon, que nous parlions des mêmes choses. Vous comparez le droit positif et votre amendement collectif et, là, je vous suis, mais je comparais tout à l'heure le projet de loi et votre amendement collectif et je ne vous suis plus.

La procédure du témoin assisté est radicalement transformée par ce projet de loi, nous en reparlerons un peu plus tard dans la soirée. Si nous comparons ce que prévoit le projet de loi et ce que prévoit votre amendement collectif, il n'y a, je le maintiens, guère de différence.

Vous avez omis tout à l'heure de nous dire que le juge d'instruction, comme c'est le cas aujourd'hui dans certains cas, mettrait lui-même en accusation si la personne n'est pas placée en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire - c'est l'article 80-2 que vous proposez. Dans les procédures où il n'y aura pas de placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire, c'est à la fin de l'instruction, au moment du renvoi ou du nonlieu, que sera prise l'ordonnance de mise en accusation, qui précédera l'ordonnance de renvoi. C'est très exactement ce que nous souhaitons.

Ce n'est donc que sur la collégialité que nous nous séparons.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 24 MARS 1999

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Nous nous séparons aussi sur le terme de tribunal de la liberté parce que tous les juges sont des juges des libertés. Je préfère « juge de la détention provisoire », et non juge de la détention tout court d'ailleurs. On peut dire aussi « juge du contrôle de la détention provisoire ». Peu importe, mais tous les juges sont comptables évidemment des libertés.

Je vois un danger dans le système qui est proposé, monsieur Albertini. Ce n'est qu'en fin d'information que le témoin saura officiellement qu'il est mis en accusation, ce qui vaudra ipso facto renvoi devant la juridiction de jugement, si bien que quelqu'un qui se croira témoin pendant toute la durée d'une procédure pourra être renvoyé du jour au lendemain devant le tribunal.

Je pense que le premier droit d'une personne poursuivie, c'est de savoir qu'elles est poursuivie pour pouvoir bien calibrer sa défense. C'est d'ailleurs exactement ce qu'exige l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans les mécanismes proposés, toute personne entendue par le juge peut être poursuivie, certains sans le savoir. C'est un véritable inconvénient. Je préfère la formule que nous proposons, qui, encore une fois, poursuit le même but que le vôtre, c'est-à-dire faire en sorte que les mises en examen soient limitées au strict nécessaire.

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Madame la garde des sceaux, ce reproche que vous faites au dispositif de M. Balladur vaut pour le vôtre, puisque votre témoin assisté peut également, in fine, être renvoyé devant le tribunal correctionnel. Ce n'est donc pas ce risque qui fait la différence !

Mme la garde des sceaux.

Si, parce que, quand il est mis en examen, on le lui dit, et il n'est pas renvoyé d'un moment à l'autre devant le tribunal, il passe d'un statut à un autre.

M. Patrick Devedjian.

Dans notre système aussi, on lui dit quand il est mis en accusation. Dans votre dispositif, lorsque, après plusieurs mois, on considère qu'il y a des charges suffisantes, le témoin assisté est renvoyé devant le tribunal et on le lui dit. Il fait l'objet d'une ordonnance de renvoi. Dans le nôtre, il fait l'objet d'une ordonnance de mise en accusation.

La différence, en fait, c'est que dans votre système, vous maintenez en examen des gens qui bénéficieront éventuellement d'un non-lieu. C'est ça le grand problème. Vous aurez un témoin tout court, un témoin assisté, un mis en examen, et certaines personnes mises en examen auront un non-lieu. En 1996, 7 800 non-lieux ont été rendus. Si les personnes concernées avaient été des témoins assistés, elles n'auraient pas subi l'opprobre de la mise en examen.

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no 267.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

7

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SE ANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, no 1079, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes : Mme Christine Lazerges rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1468).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT