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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

ARTHUR PAECHT

1. Action publique en matière pénale. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6295).

QUESTION PRÉALABLE (p. 6295)

Question préalable de M. Philippe Douste-Blazy : M. Henri P lagnol, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. André Vallini, rapporteur de l a commission des lois ; Jacques Floch, Jean-Luc Warsmann, Pascal Clément, Pierre Albertini, Jacques Brunhes. - Rejet par scrutin.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 6304)

MM. Jean-Luc Warsmann, Jacques Brunhes, Pierre Albertini, Georges Sarre, Pascal Clément, Arnaud Montebourg, Christian Estrosi, Alain Tourret, Mme Frédérique Bredin,

M.

Philippe Houillon, Mme Christine Lazerges,

MM. Louis Mermaz, Jacques Myard.

Renvoi de la suite de la discussion à une prochaine séance.

2. Dépôt de propositions de loi (p. 6324).

3. Dépôt de rapports (p. 6324).

4. Dépôt d'un rapport en application d'une loi (p. 6324).

5. Dépôt d'un rapport d'information (p. 6325).

6. Dépôt d'un projet de loi modifié par le Sénat (p. 6325).

7. Dépôt d'un projet de loi adopté avec modifications par le Sénat (p. 6325).

8. Dépôt d'une proposition de loi rejetée par le Sénat (p. 6325).

9. Ordre du jour des prochaines séances (p. 6325).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1 ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale (nos 957, 1702).

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Henri Plagnol.

M. Henri Plagnol.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons des relations entre la chancellerie et le parquet, sujet qui est au coeur de l'Etat, et de l'exercice de la démocratie, puisque, selon la formule du président Truche, les magistrats du parquet constituent l'« interface entre le pouvoir politique et les juges ».

Pour reprendre une expression si souvent utilisée, à temps et à contretemps, le projet de loi présenté par

Mme la ministre de la justice entend, pour l'essentiel,

« couper le cordon ombilical » entre le garde des sceaux et le parquet. C'est donc uniquement sur cet aspect que portera cette question préalable.

Il ne s'agit pas d'une petite réforme, mais d'un bouleversement de l'organisation des pouvoirs dans notre pays.

Depuis la Révolution française, la justice est rendue au nom du peuple souverain. C'est la raison pour laquelle il a été mis fin aux privilèges des parlements et interdit aux juges d'outrepasser leur mission qui consiste à appliquer la loi. C'est pour cela qu'en France, à la différence d'autres démocraties, la justice n'est pas un pouvoir, mais une autorité, dont l'indépendance est affirmée par la Constitution. Ainsi s'explique le lien de subordination hiérarchique entre le parquet et le garde des sceaux.

Le parquet est une institution vénérable, qui remonte au

XIVe siècle, et qui, depuis l'origine, a pour mission essentielle de représenter les intérêts de l'Etat et de la société. Il est donc naturel qu'il soit contrôlé par un ministre, lui-même responsable devant le Parlement, seul détenteur, avec le Président de la République, de la légitimité issue du suffrage universel.

Or voilà que, sous la pression médiatique, pour mettre fin aux soupçons récurrents de collusion entre le politique, soupçonné de vouloir étouffer les « affaires », et la justice, le Gouvernement nous propose d'aller vers l'indépendance totale du parquet. Cette évolution soulève au moins trois questions essentielles.

Première question : la dépendance du parquet à l'égard du garde des sceaux est-elle réellement à l'origine de la crise de confiance des Français envers la justice ? Deuxième question : est-il possible d'imaginer une politique pénale cohérente, alors que le Gouvernement ne disposerait plus de ce lien hiérarchique, qu'il ne pourrait plus, en tout cas, donner d'instructions individuelles ? Que peut être une politique pénale si l'on retire au pouvoir politique le choix de ceux qui lui paraissent les plus aptes à mettre en oeuvre ce qu'il a décidé et la faculté de leur donner des instructions ? La troisième question, enfin, est la plus fondamentale : le remède qui consiste à prévoir le désengagement de l'Etat n'est-il pas pire que le mal ? N'y a-t-il pas là un danger d'affaiblir encore davantage la confiance des Français dans la justice, mais aussi dans leurs élus ? Pour dire les choses autrement, ne risque-t-on pas de passer du contrôle d'un ministre responsable devant le peuple à la toute puissance des trente-trois procureurs généraux décidant de la politique d'action publique sans réel contrepouvoir ? Peut-on vraiment dire, d'abord, que la dépendance du parquet à l'égard du garde des sceaux est l'un des facteurs essentiels de la crise de confiance des Français envers la justice ? C'est en effet sur ce diagnostic, vous l'avez rappelé avec force dans votre présentation, madame la ministre, que repose le premier fondement de votre projet. Je ne le crois pas. Ce serait méconnaître la spécificité du parquet dans notre système juridique.

Il y a là, me semble-t-il, une certaine confusion sciemment entretenue entre les magistrats du siège, c'est-à-dire ceux qui ont vocation à dire, à rendre la justice, et ceux qui relèvent du parquet, qui sont là pour agir au nom de la loi, dans l'intérêt de la loi. Ces deux fonctions sont extrêmement différentes et, dans bien des systèmes étrangers, elles relèvent de deux corps distincts. L'excellent rapport de notre collègue Vallini rappelle que les avocats souhaiteraient que l'on scinde la magistrature en deux corps distincts pour tenir compte, précisément, de la différence de leur mission.

Celle du parquet est, par nature, ambivalente, ce qui explique d'ailleurs la difficulté de notre débat : d'un côté, il est le gardien des libertés, puisqu'il doit veiller à ce que l'enquête respecte les droits des prévenus et des victimes ; de l'autre, il est le gardien scrupuleux de la loi. Cette ambivalence explique pourquoi ses membres bénéficient du statut de magistrat, qui leur accorde la protection nécessaire à la préservation de leur impartialité ; en même temps, ils sont responsables de leurs actes devant leur ministre.


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Quand je dis qu'ils bénéficient de la qualité de magistrats, ce n'est pas simplement un mot. Ils prêtent serment et ils sont très attachés à la formule qu'ils prononcent :

« Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

Aussi, dès lors que vous n'avez pas fait le choix de scinder le corps en deux, il est injurieux vis-à-vis des magistrats de faire comme s'ils étaient serviles à l'égard du pouvoir politique que vous représentez, et comme s'ils n'avaient pas la force nécessaire pour préserver leur impartialité.

Il faut par ailleurs rappeler que, contrairement à l'idée complaisamment diffusée par les médias et dont s'inspire la photographie de la justice que vous avez faite et que vous nous avez montrée, le parquet n'est pas « à la botte » du politique. Les fameuses affaires dont on nous rebat les oreilles et sur lesquelles vous avez tellement insisté, madame la garde des sceaux, ne concernent qu'un tout petit pourcentage des litiges et n'intéressent que de façon très secondaire l'immense majorité des justiciables. Je ne crois pas avancer une statistique erronée en disant qu'il s'agit au plus d'un millième des affaires.

C'est l'histoire très ancienne de la paille et de la poutre. Fallait-il vraiment, pour réformer le fonctionnement du parquet, partir de ces quelques affaires, en ignorant l'essentiel, c'est-à-dire la justice du quotidien et les problèmes très concrets auxquels sont confrontés les victimes et les plaignants ? En définitive, vous privilégiez une gestion médiatique de la justice et de la crise de confiance des Français envers cette fonction essentielle de l'Etat.

Mais il faut pousser plus loin l'analyse. Est-il exact, mes chers collègues, que la seule dépendance possible du juge soit à l'égard du politique ? Aujourd'hui, dans notre société, le vrai risque n'est-il pas davantage une dépendance à l'égard des tentations médiatiques ? Pour ma part, je déplore les interventions visant à étouffer les affaires et ne mets pas en cause, madame la ministre, votre engagement à ne plus agir de la sorte - le rapporteur a d'ailleurs rappelé qu'un de vos prédécesseurs, Pierre Méhaignerie, avait déjà pris et tenu cet engagement -, mais je redoute les procureurs qui se prennent pour des cow-boys ou succombent à la tentation de l'agitation médiatique. Et je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une hypothèse d'école.

Ce n'est d'ailleurs pas seulement la dépendance vis-àvis des médias qui est en cause, mais aussi celle vis-à-vis d e leurs propres préjugés. Les magistrats sont des citoyens, engagés pour la plupart, membres de syndicats, membres de partis politiques : pourquoi les procureurs seraient-ils par nature exempts du risque de cette forme différente de dépendance ? Enfin, il faut également envisager le danger du corporatisme. Les magistrats constituent un corps ; je ne crois pas qu'il soit sain, pour la République, que ce corps s'« autogère ». Ce n'est en tout cas pas la tradition républicaine.

Ces éléments d'analyse montrent qu'on ne peut pas se borner à évoquer la dépendance du magistrat vis-à-vis du politique. Vous le savez bien, madame la ministre, dans le monde où nous vivons, même si vous en aviez la tentation, il est devenu pratiquement impossible d'étouffer les affaires. Le danger n'est donc pas là.

C'est se livrer à une analyse très sommaire et très superficielle que de prétendre qu'il suffit de retirer au garde des sceaux le droit d'intervenir dans les affaires individuelles pour rétablir la confiance des Français dans la justice. Car les vraies causes de cette crise de confiance sont ailleurs. Si les Français doutent de la justice, ce n'est pas parce qu'ils ont le sentiment qu'elle est manipulée - en tout cas, ce n'est pas le premier facteur -, c'est essentiellement parce qu'elle n'est plus en mesure de faire face, dans un délai raisonnable, au traitement des plaintes.

Il est, je crois, inutile de rappeler les chiffres accablants concernant l'embouteillage des affaires au pénal : il est fréquent que le délai de jugement soit supérieur à trois ans. En ce qui concerne le parquet, le problème le plus grave n'est pas sa prétendue dépendance, mais le taux des classements sans suite, qui atteint maintenant 80 % des plaintes. C'est en raison de ce phénomène, extrêmement dangereux, que les Français doutent et ont le sentiment que la loi pénale n'est pas la même pour tous. C'est cette inégalité dans le traitement des plaintes et des litiges qui doit retenir notre attention, bien plus que les interventions dans les affaires. Le rapport Haenel le démontre très clairement : par souci de gestion, l'utilisation du principe d'opportunité - dans notre système juridique, le parquet décidant de l'opportunité des poursuites - est largement délégué à des exécutants, et non pas à des magistrats.

M. Jean-Luc Warsmann.

Oui, c'est une vraie question !

M. Henri Plagnol.

De nombreuses plaintes sont purement et simplement classées par des bureaux d'ordre et le classement devient une simple mesure administrative, voire un archivage de la masse des procès-verbaux et des lettres qui arrivent au parquet. Là est l'arbitraire, pas ailleurs.

Cette explosion du taux de classement sans suite donne à nos concitoyens l'impression légitime que la justice a deux poids, deux mesures, selon la qualité des plaignants et des auteurs des infractions. Elle renforce l'idée selon laquelle l'impunité règne, et par conséquent le sentiment d'insécurité de la population.

Devant ce constat, très préoccupant, la réponse ne réside pas, à mon avis, dans la démission de l'Etat, mais bien au contraire dans la réaffirmation de son engagement, et dans la mobilisation permanente de ses services.

Je n'ai pas le temps d'évoquer ici toutes les mesures qui permettraient de désengorger la justice pénale. Il y a d'ailleurs, dans les réformes que vous avez mises en place, madame la ministre, d'excellentes choses. Mais c'est bien sûr du côté de la simplification des procédures, du côté de la capacité du parquet à faire le tri entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas, du côté de l'extension des médiations, des traitements, non judiciaires qu'il faut se diriger. Ce n'est pas parce que vous aurez supprimé ou diminué le lien de dépendance entre le parquet et le politique que vous aurez réglé le problème de l'égalité des justiciables devant la loi pénale, bien au contraire.

Vous commettez donc, pour commencer, une erreur de diagnostic. Et, s'il avait vraiment fallu faire une réforme pour dissiper définitivement tout soupçon d'intervention du politique dans les affaires, il aurait suffi d'imaginer une procédure spéciale pour le traitement des dossiers mettant en cause les politiques. Mais on ne règle pas tous les problèmes de la justice en se fondant sur un petit nombre d'affaires.

Votre réforme va-t-elle, d'autre part, renforcer la cohérence de l'action pénale ou, au contraire, la fragiliser ? Dans votre présentation, vous avez beaucoup insisté, à juste titre, sur la nécessité d'avoir une politique pénale cohérente, et par conséquent sur le caractère prépondérant du rôle du ministre de la justice.


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Mais alors, on comprend mal les choix que vous faites.

Le choix majeur consisterait à supprimer l'article 36, qui donne au ministre la faculté de dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et de lui enjoindre, par instruction écrite, et versée au dossier, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telle réquisition écrite que le ministre juge opportune.

C'est la rédaction qu'avait proposée Pierre Méhaignerie. Elle lève tout soupçon d'intervention pour étouffer les affaires, et on peut lui en rendre hommage.

En effet, dès lors que les réquisitions sont écrites et versées au dossier, et qu'elles ne peuvent avoir pour seul objet que d'engager les poursuites, la question de la volonté supposée du politique d'étouffer les affaires est réglée. C'est pourquoi on comprend mal pourquoi vous attachez une telle importance à la suppression de ce pouvoir d'instruction.

Mais il y a plus grave. Avec le transfert de ce pouvoir d'instruction du ministre au procureur général, on passe d'un système équilibré, qui était fondé sur une indépendance relative du parquet, à un système déséquilibré, caractérisé par une indépendance absolue de celui-ci, et dans lequel chacun des procureurs généraux décidera, pour l'essentiel, de la politique d'action publique.

Pour préserver les apparences et donner le sentiment que la cohérence de la politique pénale du Gouvernement ne sera pas remise en cause, vous insistez beaucoup sur ces fameuses directives générales qui seront adressées par le ministre de la justice aux magistrats du ministère public en vertu de la possibilité prévue par l'article 30 du code de procédure pénale.

D'abord, ne nous laissons pas abuser par le vocabulaire : les directives seront purement et simplement identiques aux anciennes circulaires, malgré les efforts louables du rapporteur, qui manifeste une très grande diplomatie pour apaiser, par quelques changements de termes, les inquiétudes d'un certain nombre de ses collègues socialistes.

M. Jean-Luc Warsmann.

Tout à fait !

M. Henri Plagnol.

Il s'agit de la banale circulaire, que tous les ministres successifs, quel que soit leur ministère, utilisent pour mobiliser à grand peine leur administration.

Mais, de façon générale, les circulaires sont rarement efficaces, tout fonctionnaire ayant de la bouteille le sait bien. Elles sont pour la plupart destinées à s'entasser sur le bureau du procureur. Pour être efficaces, il faut qu'elles soient en nombre limité et qu'elles visent à déterminer les priorités de votre action. Or vous en usez abondamment, et vous nous en avez d'ailleurs donné une liste déjà nourrie. Mais plus vous en ferez et plus le procédé s'usera.

Vous connaissez d'ailleurs mieux que personne la jurisprudence très restrictive du Conseil d'Etat en matière de circulaires, qui se borne à leur donner un rôle purement interprétatif ; bien évidemment, une bonne circulaire ne peut pas compenser une mauvaise loi. Vous devez donc vous borner à des critères très généraux d'interprétation , faute de quoi ces circulaires seraient illégales.

Enfin, les meilleures circulaires, et je ne doute pas que les vôtres soient excellentes, ne valent que par les hommes qui les mettent en oeuvre.

M. Jacques Floch.

Et les femmes !

M. Henri Plagnol.

Et, pour motiver les hommes, il vaut mieux que le principe hiérarchique, essentiel à la cohésion de l'Etat, joue. Vous êtes un peu, avec votre réforme, dans la situation où serait le ministère de l'éducation si, désormais, les circulaires qu'il adresse aux recteurs et aux inspecteurs d'académie ne s'accompagnaient pas d'un pouvoir d'instruction individuelle. On peut déjà douter de l'efficacité des circulaires dans l'éducation nationale, mais, s'il n'y avait plus la force du pouvoir hiérarchique et du pouvoir d'instruction individuelle, il est évident qu'elles deviendraient très vaines.

Vous invoquez également, pour compenser l'abandon d es instructions individuelles, la création, avec l'article 30-2 du code de procédure pénale, d'un droit d'agir directement pour le garde des sceaux, qui aurait la faculté de saisir la juridiction pour mettre en mouvement l'action publique.

La création de ce droit est bien l'aveu de vos inquiétudes concernant l'abandon du pouvoir d'instruction individuelle, et elle contredit votre discours, qui prétend que ce pouvoir d'instruction est dangereux, ou au mieux inutile, et qu'il n'est pas nécessaire à la mise en oeuvre de la politique pénale que vous définissez par circulaires.

Si c'était vrai, on se demande bien pourquoi vous inventeriez un droit d'agir qui rappelle fâcheusement les avocats du roi sous l'Ancien Régime, qui ravale le garde des sceaux au rang de simple plaideur et qui sera, bien évidemment, d'une extrême lourdeur et d'une grande difficulté dans son exercice, au point qu'on peut craindre qu'il ne tombe très rapidement en désuétude.

C'est tellement vrai qu'au fil des réécritures de votre projet celui-ci sort très affaibli et très limité dans sa portée par rapport à l'ambition initiale. Il en eût été autrement s'il s'était agi d'un droit général du ministre de faire appel d'une décision qu'il aurait jugée non conforme à sa politique pénale. Auquel cas il eût valu la peine qu'on s'arrêtât sur cette création un peu fantaisiste.

Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler les termes de M. Charasse qui, au Sénat, a fait le parallèle avec la possibilité pour le roi de venir siéger devant les parlements quand il voulait leur faire une remontrance, en tenant un lit de justice.

M. Jean-Luc Warsmann.

Très juste !

M. Henri Plagnol.

Est-ce qu'au regard des missions fondamentales du parquet, le maintien du pouvoir d'instruction individuelle est indispensable ? C'est bien la question essentielle de notre débat.

Le magistrat du parquet requiert au nom de la loi. Il a le pouvoir redoutable de décider seul de l'opportunité des poursuites. Comment, dès lors, envisager sérieusement de confier aux seuls procureurs généraux le soin de donner des instructions individuelles pour appliquer les orientations de la politique pénale du Gouvernement ? Plutôt que de me borner à un propos général, je vaise ssayer d'illustrer mon développement par quelques exemples concrets ; vous m'y avez d'ailleurs invité tout à l'heure en nous demandant de donner d'autres exemples et de ne pas reprendre éternellement celui de la manifestation nationale qui paralyse le pays.

S'agissant des missions fondamentales de l'Etat l'ordre et la sécurité publique, la sûreté intérieure ou ext érieure, la défense ou la politique étrangère, la paix ou la guerre -, que peut bien vouloir dire un procureur indépendant en situation de crise, par exemple dans le cas d'une affaire de terrorisme ? Peut-on imaginer un seul instant, devant un dossier ayant des répercussions diplomatiques, que le garde des sceaux puisse s'en désintéresser ou ne pas donner d'instructions, alors qu'il est le seul à connaître l'ensemble des paramètres de la politique du Gouvernement ?


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Imaginez la situation de la nation française si elle devait être ridiculisée ou impuissante face aux exploits d'un petit juge. Et ce n'est pas une hypothèse d'école. En Espagne, un juge seul a envoyé des réquisitions afin de faire arrêter M. Pinochet, ce qui a mis en émoi le monde entier.

Imaginez la situation si, en France, un procureur décidait d'envoyer des réquisitions contre un chef d'Etat africain ayant gravement attenté aux droits de l'homme, sans en référer au garde des sceaux.

M. Arnaud Montebourg.

Ce serait le triomphe du droit.

M. Henri Plagnol.

Je ne me prononce pas sur le fond mais sur les conséquences d'une telle possibilité pour l'ensemble de la politique gouvernementale.

D ans la conception de la Constitution de la Ve République, peut-on imaginer un seul instant qu'un tel problème ne soit pas évoqué au Parlement ? Et à quoi cela servirait-il si les parlementaires n'ont pas, en face d'eux, un garde des sceaux responsable ? C'est un choix de société. On peut en effet se réjouir de l'évolution vers des procureurs totalement indépendants, qui font ce que bon leur semble quelles qu'en soient les conséquences sur la cohérence de la politique gouvernementale. Mais nous changeons alors complètement l'esprit de la Constitution et de nos institutions, et l'on pourrait multiplier les exemples.

Ainsi, vous avez évoqué les problèmes d'extradition.

Qu'en aurait-il été si vous aviez eu à vous prononcer sur l'éventuelle extradition du chef kurde jugé en ce moment même en Turquie ? Il est évident qu'il s'agit là d'un problème qui engage l'ensemble de la politique gouvernem entale et dont les implications diplomatiques ne peuvent pas être appréciées seulement par un procureur s'appuyant sur une circulaire.

C'est un exemple extrême et exceptionnel, me direzvous. Mais c'est tout aussi vrai dans le domaine économique et social. La jurisprudence fait tout autant que la loi évoluer le droit. Est-il sage d'interdire au garde des sceaux d'intervenir d'une façon générale, en préjugeant ce qui peut arriver à la suite de décisions de justice ? Comment, par exemple, préserver les intérêts des contribuables, dans le cadre d'une politique économique locale, si les représentants de l'Etat dans les tribunaux de commerce ne sont plus soumis à aucune orientation de la part du ministre ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Ils auront toujours des instructions !

M. Henri Plagnol.

J'essaie de donner les exemples les plus divers possibles. Imaginons que, à l'occasion du Tour de France, se posent à nouveau des problèmes de dopage et que les jurisprudences se contredisent d'un procureur à l'autre. Vous avez, d'ailleurs, publié une circulaire à ce sujet. Est-ce que le ministre pourra se dispenser réellement de s'intéresser au dossier ? L'indépendance du procureur doit s'entendre comme la nécessité de le protéger des pressions qui s'exercent sur lui et, sur ce point, nous sommes d'accord. Mais elle n'autorise pas à ce que la conception personnelle d'un homme puisse mettre en cause les fondements de la politique pénale du Gouvernement et de notre vie collective.

J'en viens aux missions nouvelles du parquet, auxquelles vous vous êtes référée dans votre exposé, avec la prévention de la délinquance et la politique de la ville.

Vous avez beaucoup insisté, dans vos circulaires, sur la nécessité d'une coordination entre les acteurs locaux pour répondre à la montée de la délinquance, tout particulièrement celle des mineurs. Les parquets sont de plus en plus souvent représentés dans les conseils communaux de prévention de la délinquance. Il est même fréquent que, dans le cadre des contrats locaux de sécurité, le recrutement d'un correspondant du parquet soit prévu dans les quartiers sensibles afin, en particulier, de lutter contre le sentiment d'impunité des coupables ou d'injustice des victimes. Mais comment voulez-vous, d'un côté, accroître les relations entre le parquet et les collectivités locales ou les autres services de l'Etat et, de l'autre, donner aux procureurs généraux une totale indépendance ? Seul le Gouvernement peut, par l'intermédiaire de ses représentants, permettre une synergie efficace entre les services déconcentrés de l'Etat. Avec le système que vous proposez, c'est tout un pan de la politique de la ville qui risque d'être mis en cause, puisqu'il dépendra très largement de l'implication des procureurs, qui ne seront plus responsables devant vous.

Les conflits entre les préfets et les procureurs sont déjà de plus en plus nombreux. Or ceux-ci sont très souvent amenés à agir de concert pour mettre en oeuvre des décisions difficiles : évacuation, fermeture de foyers nécessitant une collaboration étroite, ou, pire encore, retour à l'ordre dans des quartiers confrontés à des situations quasi insurrectionnelles.

Il ne s'agit pas là d'une hypothèse d'école ; souvenezvous des polémiques déclenchées à Strasbourg, quand le procureur eut mis en cause l'insuffisance de la réaction des forces de l'ordre !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il a été convoqué à Paris !

M. Henri Plagnol.

Vous avez évoqué, à la suite de cet incident, la circulaire que vous aviez prise. Mais elle n'a pas suffi à résoudre tous les problèmes, j'en veux pour preuve la polémique à propos des événements de Vauvert, polémique publique puisqu'elle a suscité des réactions du ministre de l'intérieur, M. Chevènement - lequel est notoirement hostile à votre projet et parle d'un relâchement inquiétant des magistrats - et vous a vous-même conduite à réagir, madame la garde des sceaux.

Avec le pas que nous franchissons vers l'indépendance des procureurs, ne doit-on pas craindre l'augmentation de ce type de conflit, et surtout l'impossibilité, pour le Gouvernement, d'arbitrer ? Finalement, et c'est le plus grave, votre projet organise le retrait du pouvoir politique, et le garde des sceaux est démis de ses pouvoirs.

Ce retrait est habile car, dans la démocratie médiatique qui est la nôtre, il est devenu très délicat, pour ne pas dire impossible, de mettre en oeuvre une politique pénale et d'agir par voie d'instructions. Je ne conteste pas l'habileté de la démarche, je conteste le fond. Je crains que le ministre ne soit de plus en plus condamné à choisir, pour intervenir, entre une quasi-clandestinité, et ce sera alors l'hypocrisie évoquée par Pierre Méhaignerie - on utilisera le téléphone au lieu des réquisitions écrites, et l'on peut d'ailleurs penser que le devoir d'informer auquel sont soumis les procureurs sera utilisé pour permettre une influence du garde des sceaux sur les dossiers -, à choisir, dis-je, entre l'hypocrisie et la démission. Mais à quoi sert d'organiser un débat à l'Assemblée en votre présence, madame la garde des sceaux, si vous ne pouvez pas répondre à nos questions ? C'est la responsabilité politique qui est en cause. Dans notre démocratie, jusqu'à maintenant, toute légitimité venait du suffrage universel. Désormais, une partie essen-


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tielle de notre Etat de droit, la justice en ce qui concerne l'action publique, sera très largement exercée par une corporation.

C'est un transfert de pouvoir du politique vers le juge mais c'est aussi un transfert aux dépens du citoyen car, je le répète, on donne des droits aux juges sans en donner aux citoyens.

A ce sujet, vous avez essayé de nous rassurer en évoquant le serpent de mer de la réforme du statut des magistrats et l'idée consistant à aller vers davantage de responsabilité. Mais je crains que la solution ne soit très difficile à trouver.

D'abord, vous l'avez rappelé, les magistrats du parquet sont déjà susceptibles de poursuites disciplinaires en cas de manquement. Surtout, on voit mal comment mettre en cause la responsabilité civile du parquet dans ses activités proprement judiciaires. Aucun pays n'a trouvé la solution à ce problème ; l'Italie a bien adopté par référendum le principe de la responsabilité, mais elle n'a toujours pas trouvé le moyen de le mettre en oeuvre.

Vous augmentez donc considérablement les pouvoirs et l'indépendance des magistrats du parquet, sans avoir en quoi que ce soit réformé les procédures, les pouvoirs et le fonctionnement de ce corps. On risque donc réellement d'aller vers le gouvernement des juges, avec une magistrature fonctionnant très largement en vase clos, que ce soit pour le recrutement des juges ou pour leur avancement avec les nominations du Conseil supérieur de la magistrature après la future réforme. Ce corps s'autogérera très largement, avec un risque réel de coupure par rapport aux représentants de la nation, contraire à la vocation même du parquet, qui est de réaliser l'interface entre les deux.

Ce risque est d'autant plus sérieux que votre projet conduit aussi à l'atomisation de la politique pénale : au lieu d'avoir une seule autorité hiérarchique nationale, on sera désormais confronté à trente-trois procureurs généraux tout-puissants, décidant eux-mêmes des orientations de leur politique.

Il y a là une atteinte au principe de l'égalité de tous devant la loi pénale et une atteinte à l'indivisibilité de la République. Ce n'est pas un hasard si, dans la plupart des pays du monde, il y a une forme de dépendance organique entre le pouvoir politique et les magistrats du parquet. Contrairement à ce que vous voulez nous faire croire, le remède à la crise de la justice est non pas dans un affaiblissement du lien entre l'Etat et le parquet, mais au contraire dans sa réaffirmation. C'est au garde des sceaux, et à lui seul, parce qu'il est responsable devant le Parlement, qu'il appartient de redonner ses lettres de noblesse à la politique pénale.

Ce texte est une loi de circonstance, présentée sous la pression médiatique. Il sera voté par la majorité sous la contrainte, car nous savons bien que beaucoup des élus de gauche n'en veulent pas. Je crains que cette loi n'aggrave encore la crise de la justice et qu'elle ne révèle une démission croissante du politique. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, je vais répondre point par point à votre question préalable.

D'abord, vous avez commencé en parlant de « cordon ombilical », cette expression dont on userait et abuserait.

Mais attention, monsieur Plagnol ! Qui a, le premier, utilisé cette expression ? Cherchez bien ! Il me semble bien que c'est le Président de la République lui-même...

M. Jacques Brunhes.

Exact !

Mme la garde des sceaux.

... lorsqu'il a annoncé la création de la commission présidée par M. Truche.

M. Arnaud Montebourg.

Ça va mieux en le disant !

Mme Odette Grzegrzulka.

C'était en décembre 1996 !

Mme la garde des sceaux.

Donc, si j'étais vous, il me semble que je serais un peu plus précautionneux avant de porter une appréciation très négative sur cette expression.

Pour ma part, je ne l'ai jamais employée. D'ailleurs, je peux vous répéter avec la plus grande netteté qu'il s'agit non pas de couper le lien, mais de le transformer. Il s'agit de faire en sorte que le lien entre le garde des sceaux et les parquets soit désormais fondé non plus sur des instructions individuelles qui étaient dévoyées, justement pour manipuler la justice, mais sur l'intérêt général. Ce lien, évidemment, il existe et on en a besoin pour faire a ppliquer une politique pénale fondée sur l'intérêt général.

Ensuite, vous reprenez des propos convenus sur les classements sans suite et vous citez le taux de 80 % sans avoir pris la peine d'aller vérifier ce qu'il en était. Alors je vais vous éclairer. En 1998, sur 4 992 000 plaintes transmises au parquet, 3 855 000 ont été classées, dont 3 103 000 parce qu'elles concernaient des actes dont l'auteur était inconnu.

M. Pierre Albertini.

C'est déjà un dysfonctionnement !

Mme la garde des sceaux.

Vous pensez bien que les parquets ne peuvent pas poursuivre des gens que personne ne connaît, que personne n'a repérés, que personne n'a identifiés ! Voilà déjà qui dément le taux que vous avez cité.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est scandaleux de dire cela !

Mme la garde des sceaux.

En outre, contrairement à ce que vous prétendez, il n'y a pas eu d'explosion des classements sans suite. Au contraire, le taux de classement a connu une baisse en 1998 : moins 2 % tous auteurs confondus, moins 5 % quand l'auteur est connu. La défiance des Français vis-à-vis de la justice vient en réalité de ce type de désinformation que l'on ressasse et que l'on répand, avec une absence de rigueur absolument confondante.

M. Arnaud Montebourg.

Très juste !

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est scandaleux de dire cela !

Mme la garde des sceaux.

Ensuite, vous prétendez que les procureurs se conduisent comme des cow-boys. Mais avez-vous des exemples ? Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ? D'ailleurs, tout votre propos montre le contraire. C'est bien la presse qui a empêché que certaines affaires soient étouffées. En l'occurrence, elle a fait son travail.

En fait, vous avez du mal à vous résoudre au fait qu'il faille faire une réforme, le fond du problème est là. En réalité, vous voulez ne rien toucher, ne rien bouger ! S'il fallait faire une réforme, nous dites-vous, il fallait inventer une procédure spéciale pour juger les politiques.

Mais vous rendez-vous compte de l'énormité de ce que vous dites ? Vous voudriez, chez nous, des procureurs


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Starr qui puissent poursuivre les politiques ! Moi, franchement, je dis : Non, non et non ! (Applaudissements sur la bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Arnaud Montebourg.

Ils n'ont pas d'arguments !

Mme la garde des sceaux.

Il faut faire confiance aux procédures ordinaires. Toute procédure extraordinaire est mauvaise, surtout quand les politiques veulent se l'appliquer à eux-mêmes.

Mme Odette Grzegrzulka.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Sur les directives et circulaires, vous exercez à nouveau votre critique. C'est un sujet sérieux, grave. La responsabilité du Gouvernement, c'est d'orienter l'action publique. La directive ne décide pas ; elle oriente l'action. Elle est là pour faire en sorte que la loi soit cohérente sur l'ensemble du territoire. Elle n'est pas impérative. Elle ne prive pas le procureur de sa liberté d'appréciation, car il doit pouvoir s'adapter selon les circonstances locales et les particularités de l'affaire.

De surcroît, elle fait l'objet d'une publicité. La directive est absolument conforme à la Constitution. En effet, c'est le Gouvernement qui conduit et détermine la politique de la nation - article 20. La politique judiciaire est donc de la compétence du Gouvernement et la directive est la traduction constitutionnelle de cette compétence. Enfin, contrairement à ce que vous insinuez, la directive n'ajoute pas de prescription nouvelle à la loi pénale. Toute cela a été jugé par le Conseil d'Etat dans un arrêté du 19 mars 1997.

Sur les affaires de terrorisme, vous osez prétendre que ce gouvernement serait désarmé !

M. Pierre Albertini.

On a dit qu'il pourrait l'être !

Mme la garde des sceaux.

Comment avez-vous pu inventer que nous n'avons pas été confrontés à des affaires de terrorisme depuis deux ans ? En réalité, en traitant les affaires de terrorisme, en Corse notamment, ...

M. Pierre Albertini.

La Corse, on peut en parler !

Mme la garde des sceaux.

... non seulement nous avons été efficaces, mais en plus nous avons restauré la crédibilité de la justice, ce qui n'a pas été le cas à toutes les époques ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Ne dites pas cela, tout le monde l'a fait !

Mme la garde des sceaux.

Sur les affaires internationales, nous avons eu droit à un feu d'artifice final ! Vous avez en effet voulu vous aventurer en dehors du chemin battu et rebattu de l'exemple sur les routiers, sur lequel j'aurai d'ailleurs l'occasion de revenir, et vous avez voulu prendre d'autres exemples. Hélas pour vous, vous avez pris celui de l'extradition ! Mais, monsieur Plagnol, ce ne sont pas les procureurs qui décident de l'extradition, c'est la chambre d'accusation qui donne un avis au garde des sceaux, c'est une décision de magistrats du siège. Si cet avis est négatif, le garde des sceaux est tenu de le suivre et s'il est positif le garde des sceaux peut décider d'extrader ou non. Mais on ne change rien à la procédure d'extradition !

Mme Nicole Bricq.

Il n'y connaît rien !

Mme la garde des sceaux.

Vous devriez être un peu plus précautionneux dans le choix de vos exemples et faire preuve d'un peu plus de rigueur dans vos analyses devant la représentation nationale !

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est scandaleux d'entendre cela !

Mme la garde des sceaux.

Vous confondez volontairement juges et procureurs. Vous citez Pinochet et la Chambre des Lords, franchement !

M. Arnaud Montebourg.

Quel rapport ?

Mme la garde des sceaux.

Quel rapport ? Et comment oser, ici, s'insurger contre un progrès puisque nous assistons à la mise en place d'une justice internationale qui permettra enfin de juger les criminels de guerre, de M. Pinochet à M. Milosevic, et les auteurs de crimes contre l'humanité ?

M. Arnaud Montebourg.

Quel galimatias, monsieur Plagnol !

Mme la garde des sceaux.

S'agissant de la cohérence de la politique pénale, je vous pose la question, monsieur Plagnol : où se trouvent actuellement définis, dans le code de procédure pénale, le rôle et les missions du garde des sceaux ? Où est-il dit que le garde des sceaux doit conduire la politique pénale ? Nulle part !

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais c'est faux ! Vous disiez le contraire il y a trente secondes !

Mme la garde des sceaux.

Le garde des sceaux apparaît au détour d'une phrase concernant les procureurs généraux dans le fameux article 36, qui parle des instructions individuelles. Or, dans le projet que je vous présente, justement c'est clair ! Je dis clairement - je l'écris, je l'affiche : voilà ce que fera le garde des sceaux, voilà ce qu'il ne fera pas, voilà ce que feront les procureurs généraux et voilà ce que feront les procureurs ! Encore une fois, le garde des sceaux a la charge de la mise en oeuvre des politiques pénales.

Quant aux instructions individuelles, que vous proposez de conserver, je vous rappellerai ce que j'ai rapidement indiqué en répondant à Mme Catala : il y a aujourd'hui 600 000 décisions de poursuite ! Avec combien d'instructions ferait-on, selon vous, une politique pénale ? Avec 10 %, c'est-à-dire 60 000 par an, soit 5 000 par mois ? Avec 1 % d'instructions individuelles, soit plus de 500 par mois ? Non, ce n'est pas sérieux ! Il faut faire un tri. Et on a vu comment ce tri était fait dans le passé : justement par le copinage et par la soumission à la sélection faite par les médias. Moi, voyez-vous, je préfère une politique pénale qui ne dépende pas de l'addition de décisions individuelles aléatoires, qui soit une politique réfléchie et qui anticipe. Je préfère en effet me concentrer sur les orientations générales. D'ailleurs, cela ne m'empêchera pas, car c'est le droit d'action du garde des sceaux, des saisines exceptionnelles - très exceptionnelles, bien sûr - des juridictions quant l'intérêt général le commandera.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Si je vous résume, monsieur Plagnol, pour vous, finalement, la magistrature, c'est le corps de tous les dangers : danger médiatique, danger corporatiste et danger fonctionnel, mais surtout pas danger politique ! Pourtant - hélas ! - les expériences récentes, et d'autres aussi, nous ont montré le contraire. Face au danger médiatique, il y a une déontologie. En cas de manquement professionnel, il sera possible de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne sera justement plus composé majoritairement de magistrats. Quant au danger corporatiste, des progrès sont faits pour le combattre puisque le projet de loi constitutionnelle prévoit précisément cette modification du Conseil supérieur de la magistrature.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Pour ce qui est des classements, je vous ai dit ce qu'il en était des statistiques. Mais j'ajoute que la loi relative à l'efficacité des procédures pénales, que vous avez adoptée il y a quelques jours et dont Louis Mermaz était le rapporteur, institue la composition pénale. Voilà une innovation qui nous permettra de ne plus avoir à choisir entre le classement sans suite et le renvoi pur et simple devant le tribunal. Car toute la masse des faits de petite et moyenne délinquance, celle qui empoisonne la vie quotidienne de nos concitoyens, doit être traitée en temps réel, par des procédures qui ne soient pas aussi lourdes et qui ne demandent pas autant de délais que le renvoi devant le tribunal. Ça, c'est une politique pénale, monsieur Plagnol ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Henri Plagnol.

Rappel au règlement !

M. le président.

En vertu de quel article, monsieur Plagnol ?

M. Henri Plagnol.

Pour fait personnel, monsieur le président. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Véronique Neiertz.

Ce sera à la fin de la séance ! A une heure du matin !

M. Arnaud Montebourg.

Il ne connaît pas le règlement !

M. le président.

Monsieur Plagnol, s'il s'agit d'un fait personnel, je vous donnerai la parole, comme c'est de droit, en fin de séance.

M. Henri Plagnol.

Je ne serai plus là !

M. le président.

C'est ce que prévoit le règlement ! La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Je vous répondrai sur quatre points, monsieur Plagnol.

Premier point : vous avez dit que les Français n'attendaient pas vraiment cette réforme, que le malaise de la justice venait du fait que la justice était trop lente, trop complexe et pas assez accessible à tous plutôt que des affaires et de l'interventionnisme politique. Comme je l'ai indiqué en présentant mon rapport, selon moi les Franç ais attendent tout autant une justice plus accessible Mme Guigou vient de rappeler que des lois ont déjà été votées en ce sens qu'une justice plus impartiale.

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument !

M. André Vallini, rapporteur.

Pour moi, le soupçon qui pèse sur la justice est aussi grave que les impatiences qui se manifestent. Ce texte est donc tout aussi nécessaire que la loi que nous avons déjà votée pour moderniser la justice de ce pays.

Deuxième point : selon vous, la politique pénale n'existerait pas. Je rappelle qu'elle sera définie annuellement par le garde des sceaux devant le Parlement et qu'elle devra être appliquée par les procureurs généraux et par les procureurs. De plus, vous avez affirmé, s'agissant d'un amendement dont je suis l'auteur et que nous examinerons demain, que le vocabulaire n'avait pas d'importance.

Pour moi, il en a. C'est pourquoi j'ai présenté cet amendement, que la commission des lois a retenu - j'espère que l'Assemblée nationale fera de même demain -, visant à remplacer le terme « orientations » générales par « directives » générales. C'est important, car les mots ont un sens.

M. Pierre Albertini.

Juridiquement, cela n'en a aucun !

M. André Vallini, rapporteur.

Ces directives seront adressées aux magistrats du parquet pour application, et cela aussi est important.

Troisième point : vous avez parlé du droit d'action propre et vous l'avez agité comme un épouvantail pour les libertés publiques ou individuelles. Je vous rappelle donc les verrous que pose le texte par rapport à ce droit d'action propre. D'abord, ce droit ne sera évidemment utilisé qu'à titre exceptionnel, lorsque des circonstances graves le nécessiteront. Ensuite, il y a le verrou de l'intérêt général. Le projet de loi prévoit en effet que le ministre ne pourra faire appel à ce droit que si l'intérêt général le commande. Enfin, je rappelle que le ministre ne fera que déclencher l'action publique qui, ensuite, vivra sa vie. Ce seront les procureurs qui seront chargés de la mener à bien.

Q uatrième point : le fameux « gouvernement des juges ». C'est un vieux fantasme...

M. Claude Goasguen.

Ce n'est pas un fantasme !

M. André Vallini, rapporteur.

... qui revient régulièrement dans cet hémicycle depuis deux siècles. Ce n'est qu'un fantasme et cela restera un fantasme, même après l'adoption de ce texte.

Vous avez employé l'expression « cordon ombilical ».

Mme la ministre a précisé qu'elle ne l'avait jamais employée, moi non plus. En revanche, elle a rappelé que le Président de la République, lui, l'avait utilisée. J'ai d'ailleurs sous les yeux une coupure de presse du Figaro du 3 juin 1998 - c'est une bonne référence, du moins, à vos yeux ! - selon laquelle Jacques Chirac avait demandé à la commission Truche d'examiner la question de l'indépendance du parquet par rapport à la chancellerie. Le seul qui ait osé parlé de l'indépendance du parquet, c'est le Président de la République ! Vous n'êtes donc pas tout à fait en phase avec l'Elysée, mais ce n'est pas nouveau en matière de justice !

M. Arnaud Montebourg.

Ni en tout autre matière !

M. André Vallini, rapporteur.

Enfin, monsieur Plagnol, vous devriez écouter les critiques de certains magistrats qui voient dans ce texte une certaine reprise en main du parquet.

M. Claude Goasguen.

Toujours la même musique, monsieur le rapporteur !

M. André Vallini, rapporteur.

Ces critiques sont excessives, comme les vôtres, mais elles sont opposées aux vôtres. C'est vous dire si ce texte est un texte d'équilibre ! Il va refonder le lien entre les parquets et le ministre de la justice. Surtout il va placer chaque acteur de l'action publique face à ses responsabilités.

M. Claude Goasguen.

Vous n'y croyez pas vousmême !

M. André Vallini, rapporteur.

Pour toutes ces raisons, je souhaite le rejet de cette question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Jacques Floch, pour le groupe socialiste.

M. Jacques Floch.

Notre collègue Plagnol ne veut pas que l'on change la loi.

M. Pierre Albertini.

C'est son droit !

M. Jacques Floch.

C'est parfaitement son droit, d'autant plus que c'est un conservateur. Cela justifie donc pleinement son positionnement de ce côté de l'hémicycle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Pour cela, il utilise une procédure prévue par le règlement de l'Assemblée nationale, et pas n'importe laquelle : celle prévue par l'article 91, alinéa 4, dénommée « question préalable ». L'usage parlementaire veut que celle-ci soit opposée lorsqu'il n'y a pas lieu à délibérer parce que les textes en vigueur sont satisfaisants pour le bon fonctionnement de la République. Cela m'inquiète, car vous aviez le choix entre différents motifs pour justifier votre question préalable, monsieur Plagnol. Mais dire que ce texte n'a pas lieu d'être parce que ceux en vigueur sont satisfaisants, provoque chez moi quelques réticences. Vous auriez pu dire que ce texte vous dérangeait parce que toute réforme vous dérange.

M. Pierre Albertini.

Vous exagérez !

M. Jacques Floch.

Vous auriez pu dire que l'incertitude de l'avenir vous inquiétait. Vous auriez pu dire aussi que vous regrettiez la façon dont les choses se passaient hier. Mais je ne vous ai pas entendu parler de ce que vous souhaitiez, de votre projet, à vous, sur ces bancs à droite.

Mme Nicole Bricq.

Ils n'en ont pas !

M. Jacques Floch.

Cela m'ennuie car, à l'occasion de la préparation de ce débat, j'ai relu dans Libération du 22 avril 1997 - très belle date - la déclaration dans laquelle le Président de la République justifiait sa décision de dissoudre l'Assemblée nationale par la nécessité de réaliser plusieurs réformes, parmi lesquelles celle de la justice. Et le Président de la République disait : « Nous devons réformer notre justice et la rendre plus indépendante, mais aussi plus rapide et plus proche. Vous le voyez - il s'adressait aux Françaises et aux Français -, il s'agit de choix déterminants pour chacun d'entre vous, et ces choix requièrent, exigent votre adhésion. »

C'est sans doute par manque d'imagination politique que notre collègue nous demande de ne pas respecter ces voeux éminents du Président de la République. Pour ce simple motif, je vous demande de rejeter la question préalable. Pour une fois, mes chers collègues, soyez chiraquiens ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Pour le groupe du Rassemblement p our la République, la parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Parmi les principes qui fondent une démocratie, l'existence d'une justice efficace et impartiale. Mais il y a aussi le respect des droits de l'opposition et celui de chaque personne. Et je regrette que notre collègue Plagnol n'ait pas eu droit à ce respect de la part de Mme la ministre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est pas un bel exemple de débat démocratique.

Mme Nicole Bricq.

Elle lui a tout de même répondu pendant un quart d'heure !

M. Jean-Luc Warsmann.

Sur le fond, cette question préalable a permis de soulever de nombreux arguments et, conséquence fort heureuse, d'entraîner Mme la garde des sceaux à s'expliquer sur ces fameuses « orientations générales ».

M. Plagnol a demandé si ces orientations étaient, en droit, des directives ; et si la jurisprudence du Conseil d'Etat s'y appliquait.

Madame le garde des sceaux, vous avez répondu : oui.

Mais vous avez aussi répondu deux choses extrêmement importantes, à savoir qu'« il ne peut s'agir de directives qui décident ou qui donnent des ordres, parce que nous devons respecter le pouvoir d'opportunité du parquet » et que « ces orientations et ces directives ne peuvent naturellement créer aucun texte normatif nouveau parce que, évidemment, elles seraient annulées immédiatement et que seule la loi peut créer des textes de nature législative ».

Alors, qu'y aura-t-il dans ces directives générales ? Voilà notre inquiétude. Autrefois, la régulation de l'action publique se faisait par des directives individuelles, que v ous supprimez. Mais nous en reparlerons tout à l'heure...

Vous dites que toute votre politique va reposer sur des directives générales, dont vous reconnaissez qu'elles ne peuvent pas être obligatoires, qu'elles se heurtent à la liberté d'appréciation et d'opportunité de chaque procureur de la République et que, de surcroît, elles ne peuvent pas créer de droit.

Vous venez de nous donner dans votre réponse, madame la ministre, les plus beaux arguments pour bien expliquer qu'il n'y a dans ce texte aucun outil concret pour mettre en place une politique pénale.

Je voudrais enfin réagir sur un autre point, lui aussi extrêmement important, qui a été soulevé par notre collègue Plagnol : le principe de l'égalité de traitement entre les citoyens. C'est une des responsabilités du pouvoir exécutif de la faire respecter.

Vous l'avez dit, c'est bien de l'action générale du pouvoir exécutif et de l'article 20 de la Constitution que découle la responsabilité du garde des sceaux de mettre en oeuvre une politique pénale qui respecte le principe d'égalité de traitement entre les citoyens.

D'où notre deuxième inquiétude : en laissant le champ libre à des dispositions qui peuvent laisser se développer des positions différentes dans les trente-trois ressorts des procureurs généraux et qui, de surcroît, permettent des adaptations de textes qui n'auraient pas été préalablement définies, ne risque-t-on pas d'accroître les inégalités de traitement entre les citoyens ? Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République votera cette question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément.

Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous dire d'emblée que le ton dont vous avez usé vis-à-vis de notre collègue Henri Plagnol m'a surpris.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Claude Goasguen.

Vous avez raison !

M. Pascal Clément.

Je n'imagine pas une assemblée d'élus où un responsable de l'exécutif parle sur ce ton un peu méprisant à un élu de l'opposition. Je n'oserais pas le faire dans l'assemblée que je préside. Et je trouve un peu blessant de laisser croire, ne serait-ce qu'un court instant, que M. Plagnol pourrait être un ami de M. Pinochet ou de M. Milosevic.

M. Jacques Myard.

C'est scandaleux.

M. Pascal Clément.

Au minimum, il conviendrait de rectifier. Même si cela s'explique par un manque de compréhension de votre part, ce qui serait tout de même étonnant, personne ne peut soupçonner M. Plagnol dans ce domaine.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Après ces propos liminaires, j'exprimerai le soutien du groupe Démocratie libérale et Indépendants à cette question préalable.

La question préalable, M. Floch, M. Plagnol et quelques autres l'ont rappelé, signifie qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Eh bien, c'est notre avis.

Il n'y a pas lieu de délibérer parce que vous avez laissé croire, depuis 1997, lors de votre campagne législative, que la justice était à ce point opaque et manipulée par le politique qu'il était nécessaire de faire cette loi. Or le mal est ancien. Certains d'entre vous, à gauche, feraient d'ailleurs mieux de ne pas se réjouir. Madame la garde des sceaux, vous affirmez, avec quelques autres, que le pouvoir précédent a dérapé. C'est strictement vrai, mais il n'y a pas que lui. Tous les pouvoirs ont dérapé et ont dévoyé l'article 36 du code de procédure pénale.

Ma proposition est simple et vient conforter la thèse d'Henri Plagnol sur la question préalable : au lieu de changer la loi, ne vaudrait-il pas mieux l'appliquer ? Ce n'est pas parce que l'article 36, qui prévoit seulement des poursuites - et non pas la non-poursuite - a été détourné de son sens qu'il faut changer cette loi.

Il est extraordinaire que depuis si longtemps, tous les gouvernements aient dévoyé cet article 36. Il suffirait de l'appliquer stricto sensu.

Je n'ai jamais entendu dire qu'il y ait manipulation de la part du pouvoir exécutif quand celui-ci recommande à un procureur de poursuivre.

Quand il y a problème, c'est qu'il fait l'inverse. Or l'inverse n'est pas visé dans le code de procédure pénale.

On fait comme si ce dévoiement était la loi. Mais ce n'est pas la loi. Alors, appliquons la loi ! C'est pour cela que la question préalable mérite qu'on s'y intéresse. Le drame français, c'est qu'au lieu de se contenter de rappeler l'application de la loi, on s'apprête à faire une loi sur une chose qui n'existe pas. C'est effrayant ! Qu'on ne vienne pas nous dire que nous ne voulons pas bouger ou changer. La grande réforme, la seule qui serve les justiciables, la seule qui ait permis une grande avancée de la justice, a déjà eu lieu. J'ai d'ailleurs observé avec quel talent le rapporteur avait rappelé qu'elle était due à l'inspiration du président Mitterrand. Cela m'a fait sourire, mais je n'ai pas l'intention de discuter. J'observe que c'est le gouvernement de M. Balladur qui a demandé et obtenu du président de la République - qui était, certes, M. Mitterrand - la modification constitutionnelle qui a assuré la totale indépendance des juges du siège. Ce qui est important, c'est qu'un juge du siège ne dépende que de sa conscience et qu'il ne fasse qu'appliquer le droit. Le reste ne l'est pas.

Alors, inutile de nous expliquer que c'est aujourd'hui qu'aurait lieu la réforme : celle-ci a eu lieu en 1993. Elle a permis la nomination, en totale indépendance, par le CSM des juges du siège. Tout le reste, c'est de la mousse un peu médiatique ! Pour parodier ce qu'a dit M. Floch à M. Pagnol, je souhaiterais que vous soyez pour une fois mitterrandiens, car François Mitterrand n'aurait sûrement pas signé ce texte, et vous le savez.

M. Serge Janquin.

Vous n'êtes pas qualifié pour parler en son nom !

Mme Odette Grzegrzulka.

Paix à son âme !

M. Pascal Clément.

D'ailleurs, madame Guigou, je crois que vous fûtes sa collaboratrice ; vous devez le connaître mieux que nous. Vous nous avez demandé d'être chiraquiens ! Moi, je vous supplie d'être un peu mitterrandiens (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance).

M. le président.

Pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, la parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Monsieur le président, je n'avais pas l'intention de faire une explication de vote parce que la démarche de M. Plagnol m'avait paru suffisamment claire pour qu'elle soit au moins, sur le plan du principe,...

Mme Odette Grzegrzulka.

Truffée d'erreurs !

M. Pierre Albertini.

... légitime.

Faut-il ou non légiférer ?

M. Marcel Rogemont.

Oui !

M. Pierre Albertini.

La loi que nous préparez va-t-elle améliorer l'état du droit existant ?

M. Jacques Myard.

Catastrophe !

M. Pierre Albertini.

Notre réponse est non ! Notre collègue a évoqué certains risques devant vous, madame la garde des sceaux. La caricature que vous avez faite de son propos m'a incité à revenir sur deux ou trois points.

M. Plagnol a parlé d'un risque d'atomisation de la politique pénale. Tous les magistrats savent bien qu'il n'y a pas au sens strict de politique pénale, puisque celle-ci est avant tout un ensemble d'affaires individuelles. Il y a un pouvoir d'orientation, sans plus. En réalité, chacun essaie, en fonction de la gravité de l'infraction, des circonstances et du contexte, d'appliquer à sa manière une loi qui est la même pour tous sur l'ensemble du territoire. C'est donc l'application qui fait problème. Ce n'est pas la loi.

M. Plagnol a évoqué ensuite le risque, pour le pouvoir politique, de se priver d'un moyen d'action en cas de carence des procureurs. Vous avez parlé du taux de classements sans suite, en l'accusant de ne pas avoir compris ce qu'il recouvrait. Nous savons tous, madame la garde des sceaux, avant même que vous nous l'ayez expliqué ce soir que, sur les 75 ou 80 % de décisions de classement sans suite, la plupart sont fondées sur l'absence d'identification des auteurs de l'infraction. Ce n'est pas un chiffre dont on doive se glorifier. Parce que le taux d'élucidation des affaires par la police et par la gendarmerie est plutôt pour nous une source d'inquiétude que de satisfaction. Alors, de grâce, ne faites pas dire à M. Plagnol ce qu'il n'a pas dit.

Il a parlé des conflits possibles entre procureurs et préfets. Madame la garde des sceaux, je tiens à revenir sur l'affaire douloureuse de l'assassinat du préfet Erignac et sur l'attitude du préfet Bonnet. Tout le monde sait que la double enquête diligentée par ce dernier a été le principal obstacle à la bonne marche de l'instruction que les services judiciaires étaient en train de mener. Ne dites pas que c'est un conflit et que c'est un fantasme, puisque nous en avons eu une illustration parfaite, devant nous, il y a quelques semaines.

Vous avez reproché à M. Plagnol son manque de rigueur et l'insuffisance de son analyse. Je trouve que ce n'est pas digne du traitement qu'on doit réserver à un parlementaire, qui est libre de son propos. En l'espèce, sa d émonstration n'était ni dépourvue de rigueur, ni dépourvue d'esprit de finesse.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Vous lui avez reproché enfin son interprétation de l'affaire Pinochet. Notre collègue avait eu la précaution de dire qu'il ne se prononçait pas sur le fond de cette affaire, mais qu'il attirait simplement votre attention sur les risques que pourrait faire courir un procureur ou un juge d'instruction qui confondrait la diplomatie avec des mesures mettant en cause l'intérêt de l'Etat. C'est tout ce qu'il a voulu dire.

Je vous en prie, de grâce, ne donnons pas à ce débat une telle tournure. Revenons à une réflexion sereine, le sujet en vaut la peine, sans nous engager dans des polémiques inutiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Avant de donner la parole au dernier orateur inscrit dans les explications de vote, j'informe l'Assemblée que je suis saisi par le groupe du Rassemblement pour la République d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Jacques Brunhes, pour le groupe communiste.

M. Jacques Brunhes.

Je n'avais pas l'intention d'expliquer notre vote sur la question préalable, qui sera un vote négatif. Mais à la question : faut-il ou non légiférer, M. Albertini répond non et je viens d'entendre avec surprise M. Clément répondre de même. Or j'ai sous les yeux la déclaration de M. Jacques Chirac, président de la République, faite à l'occasion de l'installation de la commission de réflexion sur la justice, le 21 janvier 1997.

Je vais vous en lire les deux premiers paragraphes :

« Sans que soit en cause la qualité de ses magistrats et de ses fonctionnaires, le système judiciaire français n'est pas toujours perçu par l'opinion publique comme remplissant parfaitement ses missions.

« Nos concitoyens lui reprochent d'être lent, cher, peu compréhensible. Investi par la Constitution d'une responsabilité particulière dans ce domaine, j'ai pour ambition de doter la France, au terme de ce septennat, d'une justice modernisée. »

Et M. Chirac demanda à la commission Truche de proposer un ensemble de textes législatifs afin, justement, de moderniser cette justice.

Nous constatons que la majorité d'alors n'a pas engagé le début du commencement de ces réformes. Je suis fier que la majorité plurielle d'aujourd'hui, elle, les ait engagées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même, et le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été cou plés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

....................................................................

M. le président.

Le scrutin est clos.

Nombre de votants ...................................

257 Nombre de suffrages exprimés .................

254 Majorité absolue .......................................

128 Pour l'adoption .........................

114 Contre .......................................

140 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons le débat sur l'action publique en matière pénale, question fondamentale car on trouve, au coeur de ses enjeux, la conception que chacune et chacun d'entre nous se fait de l'Etat, de la République et du fonctionnement de la société. De quelle manière la société peut-elle se protég er contre ceux qui ne respectent pas les lois et portent atteinte aux droits et à la liberté d'autrui ? Quelles sanctions doivent être requises ? Comment protéger les victimes ? Que doit être l'organisation d'une justice efficace et impartiale ? Je dois d'abord vous confier que j'étais devenu très interrogatif quant à l'avenir de ce texte de loi. Déposé sur le bureau de l'Assemblée le 3 juin 1998, il est resté près d'un an sans être examiné sur le coin d'un bureau, alors que la procédure parlementaire permet d'être beaucoup plus rapide. Je pense à un autre texte que Mme la garde des sceaux a suivi, la proposition sur le PACS. Nous avons eu le PACS 1, le rejet, le PACS 2, la première, la deuxième et même la troisième lecture. Or, pendant tout ce temps, le Gouvernement ne jugeait plus prioritaire le projet sur l'action publique. Je suis heureux qu'il soit enfin mis à l'ordre du jour de l'Assemblée, mais nous d evons en remercier d'abord le Président de la République.

Mme Frédérique Bredin.

Sans parler de la dissolution !

M. Jean-Luc Warsmann.

S'il n'avait pas demandé que tous les textes relatifs à la réforme de la justice soient au moins examinés en première lecture avant le vote de la loi constitutionnelle sur le CSM au Congrès, notre débat, je le crains, n'avait pas eu lieu avant la fin de la session parlementaire.

M. Gérard Gouzes.

C'est pour cela que vous voulez le retarder !

M. Jean-Luc Warsmann.

Ce débat, je le mettrai à profit pour exprimer très clairement nos convictions en matière de justice.

Oui, nous considérons qu'une politique pénale forte est indispensable.

Oui, nous affirmons que le système judiciaire doit évoluer pour que l'on puisse moderniser la justice et la rendre plus impartiale.

Mais je dois également dire notre extrême préoccupation face aux moyens insuffisants dont dispose la justice, situation qu'aggravent les textes que vous nous présentez, madame la ministre.

Pourquoi sommes-nous pour une politique pénale forte ? Parce que c'est la garantie de l'efficacité du service public de la justice, la garantie que des sanctions rapides soient prononcées. Au moment où, après quatre années de baisse entre 1994 et 1997, l'insécurité augmente à nouveau, au moment où la délinquance des mineurs s'est accrue de 11 % pour la seule année 1998, c'est bien l'une des priorités de nos concitoyens que d'avoir une justice efficace.

Nous voulons également une politique pénale forte parce que c'est la seule garantie de l'égalité de traitement des citoyens. Nous ne saurions admettre qu'ils soient trai-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

tés différemment selon le ressort du procureur général dans lequel l'infraction a été commise, ou bien si des adaptations sans contrôle de la politique pénale pouvaient être autorisées.

Ces convictions vont à l'inverse de celles qui inspirent votre projet. Nous aurons l'occasion demain, dans la discussion des articles, de les exposer plus au fond.

Qui doit mener la politique pénale ? Pour nous, c'est très clair. L'article 20 de la Constitution dispose : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » Nous n'avons donc aucune hési-

tation. La politique pénale incombe bien au ministre de la justice, qui est seul légitimement fondé à la définir et à l'appliquer parce qu'il appartient à un Gouvernement resp onsable devant nous, parlementaires, et devant le peuple. En conséquence, c'est à lui d'assurer la responsabilité de ses décisions ou de ses non-décisions.

M. Christian Estrosi.

Bien sûr !

M. Jean-Luc Warsmann.

Quelle régulation mettre en place pour l'application de la politique pénale ? L'ancien système était fondé sur des orientations générales et des instructions individuelles. Le but des instructions individuelles était que la chancellerie puisse homogénéiser les interprétations des lois, notamment des textes nouveaux, et puisse également manifester sa volonté enr equérant différemment selon que la jurisprudence s'orientait dans telle ou telle direction. Vous supprimez les instructions individuelles et il ne vous reste plus qu'un seul outil de régulation : les orientations générales.

Tout le problème tient à leur caractère imprécis. Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, en commission ou au groupe RPR, de nombreux magistrats nous ont confié le sort réservé à ces orientations dans un certain nombre de parquets où, faute de temps ou d'intérêt, elles étaient à peine lues. C'est bien inquiétant ! Vous avez essayé de les crédibiliser : je pense à la tentative louable du rapporteur de remplacer le mot « orientations » par le mot « directives ». Mais je crains bien que ce ne soit qu'un effet d'affichage.

Car qu'y a-t-il en réalité dans ces orientations ? Un point sur le droit concerné, un rappel des textes et, parallèlement, des peines qui peuvent être prononcées par les p rocureurs de la République. Or les procureurs connaissent le droit et savent manier les outils juridiques.

En outre, ces orientations sur lesquelles vous fondez désormais toute la politique pénale sont limitées, d'un côté parce qu'elles ne peuvent pas être créatrices de droit, de l'autre, parce qu'elles ne peuvent pas porter atteinte à la liberté des procureurs, qui gardent un pouvoir d'opportunité. Le chemin est extrêmement étroit car elles ne peuvent ni contredire la loi ni, naturellement, indiquer à un procureur que telle partie de la loi ne sera plus applicable. Imagineriez-vous, mes chers collègues, une circulaire - pardon, une directive - enjoignant aux procureurs de ne pas poursuivre en deçà de telle quantité de stupéfiants détenue par un délinquant ? On ne saurait l'envisager. Je crains donc que le système proposé n'ait aucun atout pour faire la preuve de son efficacité.

Et puis, au-delà du contenu des directives, se pose le problème de leur évaluation. Il faudrait disposer d'un outil qui permette réellement d'y procéder par ressort de parquet, sur le plan quantitatif aussi bien que qualitatif.

Cette politique d'évaluation, nous devrions en débattre au Parlement car, faute de moyens, elle laisse actuellement à désirer et reste bien loin de cet idéal.

Alors, cela génère des dysfonctionnements. Dans votre intervention liminaire, madame la ministre, vous avez cité l'exemple de Vauvert. Mais ce n'est pas le tout d'en parler, j'aimerais aussi connaître vos conclusions.

A Vauvert, le 8 mai, un policier municipal est agressé par un délinquant notoire : il a été condamné deux ans plus tôt pour l'agression d'une femme de gendarme.

Après trois heures de garde à vue, il ressort libre de son audition par le juge, avec juste une convocation en septembre.

M. Gérard Gouzes.

Il ne s'agit pas du parquet !

M. Jean-Luc Warsmann.

Agression le 8 mai, convocation en septembre : estimez-vous, madame la ministre, que le service public de la justice a fonctionné correctement à Vauvert ? Si vous estimez qu'il n'a pas fonctionné correctement, malgré les circulaires et les directives que vous avez adressées aux parquets, je serais content de savoir quelles mesures vous avez prises.

Le 12 mai, l'adjoint au maire écrit au procureur à propos de la remise en liberté : « Votre décision, madame le procureur, risque de donner au prévenu le sentiment d'impunité pendant une longue période et de conforter son rôle de leader auprès des jeunes, d'éloigner encore nos concitoyens d'une justice qui est le pilier de la démocratie. » Je le cite d'autant plus volontiers que cette muni-

cipalité soutient la majorité actuelle.

Quarante-huit heures après : nouvelle agression, coups de feu, un mort ! Voilà des problèmes concrets, loin des orientations générales.

Quelles conclusions doit-on tirer d'affaires comme celle-là, qui illustrent bien la vie concrète de la justice ? Il y a un dysfonctionnement, de quels outils disposez-vous pour y remédier et comment les utilisez-vous ? Je ne crois pas que ce projet de loi permette de mettre en oeuvre une politique pénale forte, qui soit à la hauteur des difficultés que rencontre quotidiennement la justice.

Je ne crois pas qu'il permette de respecter le principe d'égalité. Et je crois même que notre grande inquiétude est partagée sur tous les bancs. D'autant plus que le dernier amendement adopté cet après-midi par la commission des lois a consisté à reporter la date d'entrée en vigueur du texte jusqu'à la parution d'un décret d'application d'une loi organique. Tout cela traduit bien l'inquiétude qui se manifeste sur tous les bancs de la majorité et de l'opposition à l'idée que ce texte puisse être appliqué rapidement.

Deuxième volet de mon intervention : nous sommes pour une justice moderne et indépendante. A l'aube de l'an 2000, il faut tirer les conséquences d'un certain nombre d'évolutions, et les nouvelles générations n'ont plus, vis-à-vis de la justice, les mêmes exigences que dans le passé.

Avec le rappel de certaines affaires, ce débat a déjà dérapé et c'est une polémique dans laquelle je n'entrerai pas. Je me permettrai simplement d'appeler à un peu plus d'humilité tous ceux qui ont soutenu, pendant quatorze ans, le président Mitterrand ou qui en ont été les proches collaborateurs, quand la presse du jour relate le comportement qu'a eu ce président par rapport à l'indépendance de la justice en soutenant systématiquement les amis.

Alors essayons, pudiquement, de nous poser la vraie question, celle qui correspond à l'attente des Français : comment pouvons-nous améliorer le système pour avoir une justice plus moderne et indépendante ? Et gardons-nous de donner des leçons.


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M. Jacques Floch.

Ce n'est pas une raison pour ne rien faire !

M. Jean-Luc Warsmann.

Vous proposez, madame la ministre, de supprimer les instructions individuelles. J'y suis favorable, je le répète. Mais je n'en juge pas moins cette réforme extrêmement timorée.

Vous dites vouloir changer le système judiciaire. Or vous ne supprimez les instructions individuelles qu'en matière pénale. Nicole Catala l'a relevé, il y en aura toujours par exemple, en matière commerciale. Et surtout, j'ai l'impression que, sous couvert du critère de l'impartialité, vous donnez d'une main et reprenez de l'autre.

Je prendrai deux exemples.

Le premier, c'est l'obligation systématique d'information sur les affaires individuelles que vous introduisez dans la loi. Vous voulez nous faire voter une mesure imposant à tout magistrat du parquet l'obligation d'informer le ministre de la justice « des affaires qui lui paraissent devoir être portées à sa connaissance ». Voilà une obligation bien mal définie. Ainsi, chaque procureur de la République devra se demander : cette affaire intéresse-t-elle Mme la garde des sceaux ? Vais-je devoir la transmettre ? Quelle mauvaise rédaction juridique ! Sur le fond, ce qui me choque infiniment, c'est que, au moment où vous développez vis-à-vis de l'opinion tout un discours sur la suppression des instructions individuelles, vous réclamez communication des pièces individuelles. Pourquoi, madame la garde des sceaux, voulezvous, dans l'heure qui suit toute audition sur l'affaire Dumas, en avoir le compte rendu sur votre bureau ? Quel est l'intérêt, pour administrer la justice, de savoir si les témoins ont confirmé le prix des chaussures de Roland Dumas ? C'est une mauvaise plaisanterie !

M. Christian Estrosi.

Vous avez raison !

M. Jean-Luc Warsmann.

On vous prête - et j'espère que vous pourrez les démentir - des propos que vous auriez tenus à un procureur de la République, lui reprochant de ne pas vous avoir avertie avant de déclencher un acte d'instruction, en l'occurrence une perquisition, au motif que la chancellerie devait être informée. Je dis non ! Je dis que c'est une gigantesque mascarade ! Oui, je vous reconnais bien sûr, en tant que ministre, le droit d'obtenir les renseignements nécessaires au cas où vous êtes interpellée sur une affaire individuelle. Je veux bien en discuter et nous amenderons le texte à ce sujet.

Oui, je reconnais qu'incombe à tous les procureurs de la République le devoir de donner des informations générales. Vous nous avez expliqué cet après-midi que les informations que vous aviez reçues avaient aidé le Gouvernement à définir sa politique en matière de drogue.

Mais, que je sache, vous n'avez pas besoin, pour ce faire, du nom de tous les trafiquants de France. Vous n'avez pas besoin de tous les actes de procédure. Vous avez besoin, simplement, de rapport généraux sur les orientations de chaque parquet, sur les peines requises par les procureurs de la République et sur les condamnations prononcées. C'est cela, votre outil de travail. Quelle gigantesque hypocrisie de dire, une main sur le coeur, « je ne donne plus d'instructions individuelles », tandis que l'autre main s'emploie à renforcer dans la loi, comme jamais par le passé, le pouvoir de la chancellerie, en imposant à tous les parquets une obligation d'information systématique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pierre Albertini.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann.

Deuxième exemple : le fameux droit d'action directe. Quel paradoxe ! Voilà une affaire où le procureur de la République refuse de déclencher l'action publique et vous nous demandez de vous donner le pouvoir de la déclencher vous-même.

Quelles seront les conséquences ? Deux possibilités. Ou bien le magistrat du siège ne donne pas suite et relaxe : quel désaveu pour le garde des sceaux ! Ou bien vous obtenez la condamnation. Comment, alors, va réagir l'opinion publique ? Voilà un bel exemple de jugement influencé par le pouvoir politique.

Vous prétendez supprimer le soupçon et vous créez une procédure qui, à l'inverse, peut l'accroître. Et puis quel honneur pour quelqu'un qui est poursuivi devant un tribunal d'avoir comme adversaire non pas le procureur mais - pardon ! - le ministre de la justice en personne.

Quel retentissement donné à l'affaire ! En substance, je crains que ce droit d'action directe ne soit très peu utilisé - peut-être parfois à des fins médi atiques - car la loi offre bien d'autres ressources pour parvenir aux mêmes fins. En tout état de cause, s'il était beaucoup utilisé, je pense qu'il aurait des effets néfastes.

Enfin, une phrase m'a surpris, celle que vous proposez pour l'article 37 du code de procédure pénale : « Le procureur général peut dénoncer aux procureurs de la République de son ressort les infractions à la loi pénale dont il a connaissance. » Oui, cela m'a surpris, car j'en

étais encore à l'article 40 du code de procédure pénale qui renferme un grand principe républicain : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procèsverbaux et actes qui y sont relatifs. »

Pourquoi être en retrait par rapport à ces dispositions ? Le résultat, c'est que le dossier de certaines affaires pourra être retenu par le procureur général qui les aura classéess ans suite, sans transmettre au procureur de la République. Est-ce une bonne administration de la justice que de prévoir des voies sans issue pour certains dossiers judiciaires ? Bien sûr que non ! Le troisième point sur lequel je souhaite insister, c'est le problème des moyens de la justice, et je suis surpris qu'il n'ait pas été évoqué.

Les chiffres sont cruels. Le délai moyen de jugement devant un tribunal de grande instance est de plus de neuf mois ; devant une cour d'appel, de plus de seize mois.

C'est indigne de notre démocratie. Il est indigne d'avoir refusé depuis des années, je le reconnais bien volontiers, les moyens nécessaires à la justice. Il est indigne d'admettre des délais aussi longs. Cette indignité a d'ailleurs valu à la France des condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme.

Quelle conséquence logique faut-il tirer de cette situation ? Pour nous, l'urgence absolue est d'affecter le plus grand nombre de magistrats - et déjà tous ceux nommés sur les postes créés et qui peuvent l'être, je le rappelle, par d'autres voies que le concours - dans les juridictions de jugement, au lieu de les en détourner pour permettre l'application de nouvelles lois. Pour nous, c'est une mauvaise décision. Aujourd'hui, l'urgence, c'est que les magistrats jugent, que le stock d'affaires baisse et que le délai de traitement diminue.

M. Henri Cuq.

Très bien !


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M. Jean-Luc Warsmann.

Concrètement, que prévoyezvous ? La mise en place d'une commission de recours contre les classements sans suite. Je vous cite un avis sur cette commission : « Elle aboutit de fait à un certain renforcement de la complexité administrative et accessoirement elle mobilisera 17 postes nouveaux de greffiers. »

Ce n'est rien, je vais y venir, par rapport à l'effet global du texte. Mais vous allez peut-être me reprocher, mes chers collègues, de choisir une source tendancieuse. Eh bien, cette source, c'est l'étude d'impact demandée par le Premier ministre lui-même. Elle annonce en outre que le rôle accru des procureurs généraux entraînera la création de 35 postes de secrétaire général. Je ne critique pas la création de ces 35 postes, je constate simplement que leurs titulaires seront mobilisés pour cette tâche.

Et puis il y a la motivation des classements sans suite.

Soyons très clairs : nous sommes pour le principe de la motivation parce qu'elle représente un progrès. Mais avec quels moyens ? Légiférer sur des principes est toujours intéressant, mais il faut avoir conscience de la réalité du terrain qui doit guider nos décisions. Or quand on sait que, dans un certain nombre de parquets, la politique pénale, c'est, le week-end, un substitut de permanence qui, par téléphone, répond à un inspecteur de police et doit décider seul, on se dit quand même : quelle curieuse idée que d'alourdir le rôle des parquets ! Alourdir de combien ? Je ne veux pas entrer dans une polémique. Je ne veux pas faire de procès d'intention. Je vais simplement vous lire ce qui figure toujours dans l'étude d'impact : 234 équivalents temps plein. Alors, quand bien même plusieurs centaines de magistrats nouveaux seraient affectés demain dans les parquets, l'urgence reste d'améliorer le fonctionnement des structures existantes avant de les alourdir à nouveau.

N'oublions pas non plus les dispositions relatives au contrôle de la police judiciaire : 35 postes de magistrat de premier grade.

Ajoutons-y enfin le texte voté il y quelques semaines sur la présomption d'innocence, qui crée le juge de la détention : à nouveau plusieurs dizaines de postes.

Soyons clairs, madame le ministre, vous êtes en train d'affecter des moyens que vous n'avez pas. Et même si vous les obtenez en quantité suffisante, nous vous en faisons d'autant plus le reproche car, pour nous, c'est une faute lourde de gestion de la justice que de ne pas affecter l'ensemble des moyens dont vous disposez à améliorer son fonctionnement et à réduire les stocks.

M. Gérard Gouzes.

Que dire alors de la réforme des cours d'assises ?

M. Jean-Luc Warsmann.

En conclusion, notre groupe considère comme prioritaire la mise en oeuvre d'une politique pénale forte permettant de garantir l'efficacité de la justice ainsi que le respect du principe de l'égalité entre les citoyens. C'est bien la responsabilité du ministre de la justice que d'appliquer cette politique, d'en assumer la responsabilité et d'en assurer l'évaluation. Nous regrettons que vous n'ayez pas cette ambition pour notre pays et que ce projet ne s'en donne pas les moyens.

Nous aborderons la discussion des articles dans un esprit très constructif et nous serons probablement amenés, je l'ai dit, à approuver certaines dispositions de principe, comme la motivation des classements sans suite.

M. Arnaud Montebourg.

Enfin !

M. Jean-Luc Warsmann.

Mais l'équilibre général du texte est très loin de ce qui nous semble nécessaire aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle, en l'état actuel de sa rédaction, le groupe RPR votera contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes.

Après la déclaration de politique générale du Premier ministre en juin 1997, qui avait placé au premier rang des responsabilités de l'Etat la justice, reprenant par là même les engagements des différentes composantes de la majorité plurielle, vous avez, madame la ministre, organisé un débat sur les orientations de la réforme de la justice qu'au nom du Gouvernement vous avez présentées au Parlement en janvier 1998.

Nous avons, et nous l'avons dit à ce moment, apprécié la méthode d'un projet d'ensemble, tant a été patent l'échec de la politique de réformisme progressif mise en oeuvre dans ce domaine par les gouvernements successifs.

Réforme globale donc, autour de trois axes : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés, une justice indépendante et impartiale, et charpentée par sept textes législatifs.

Certains ont regretté qu'il n'ait pas été possible de présenter la totalité des propositions concernant la réforme de la justice en un seul grand texte d'ensemble. Ces regrets sont de pure forme tant le gigantisme d'un tel texte eût été irréaliste. Il reste toutefois que chacun de vos projets ne peut être examiné séparément des autres.

C'est notamment le cas pour celui-ci, relatif à l'action publique en matière pénale, qui est au centre de la profonde réforme engagée.

Vous voulez mettre « un terme définitif au temps de l'opacité », pour reprendre une formule de l'exposé des motifs, ou encore « marquer une rupture », comme vous l'avez indiqué cet après-midi en répondant à l'exception d'irrecevabilité. Soyez assurée que nous vous accompagnerons dans la mise en oeuvre de cette volonté. Car dans ce débat majeur, c'est la légitimité et la crédibilité du sy stème judiciaire qui sont en jeu.

La multiplication des affaires, avec leur cortège de pressions politiques émanant tant du pouvoir politique que d'une partie de la hiérarchie judiciaire, laisse paraître une évidence pour nos concitoyens : plus on est près du pouvoir économique et politique, plus la justice est oublieuse ou clémente.

Trop d'affaires ont conforté dans l'opinion publique la conviction d'une justice à plusieurs vitesses, et, en particulier, l'existence d'un droit à l'impunité au bénéfice d'un petit nombre, notamment des détenteurs de l'autorité publique.

Les Français ont ainsi acquis la certitude qu'une intervention de la chancellerie permettait de classer des affaires sensibles, de mettre fin à l'action publique pour certains délits, en raison, non pas de la faible dangerosité des actes, mais de la seule personnalité des auteurs et de leur influence politique. Or du constat de l'absence d'égalité devant la loi à l'invitation à la délinquance, il n'y a qu'un pas.

Avant d'être juridique, le problème est donc essentiellement politique. Dans un Etat de droit, la confiance dans la justice est une pierre angulaire de la République.

En même temps, les rapports entre la chancellerie et le ministère public ont, en France, une histoire originale. A travers une longue évolution, le système judiciaire français


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

a connu le passage des avocats aux avocats du roi, puis au parquet, sous la tutelle de la chancellerie. Et c'est une révolution qui a fondé la séparation des pouvoirs, la gratuité et l'indépendance de la justice, notamment à travers l'inventivité des juges.

Aujourd'hui, à une situation de crise, le projet de loi apporte une réponse courageuse et cohérente pour contribuer à établir la stricte égalité de tous devant la justice en matière pénale.

Le danger pour la démocratie est trop grave pour qu'il n'appelle pas ceux qui y sont attachés à s'inquiéter, à réfléchir, à agir vite pour que la transparence l'emporte sur l'étouffoir. Au regard de l'opinion publique et face à ces enjeux considérables que sont la moralisation de la vie politique, l'égalité devant la justice, la crise de confiance de la magistrature et son indépendance, notre responsabilité de parlementaires est particulièrement grande.

Se fixant comme objectif de mettre fin au soupçon provenant d'interventions partisanes dans les procédures, ce texte est aussi, madame la garde des sceaux, le plus politique de ceux qui engagent la réforme de la justice.

Comment aborder les rapports entre le parquet et la chancellerie, entre indépendance et subordination ? S'inspirant fortement du rapport Truche, qui représente un compromis entre les tenants de la tradition jacobine, étatiste, de la justice, et les tenants de la justice comme « tiers pouvoir » à laquelle doit être reconnue une pleine autonomie, les dispositions de votre projet sont, à notre sens, équilibrées. Elles répondent pour une large part aux propositions que j'avais formulées au nom des parlementaires communistes le 15 janvier 1998.

Mener une politique publique en matière pénale, ne jamais intervenir dans les affaires individuelles, telle est la ligne directrice de vos propositions en ce qui concerne les rapports entre la chancellerie et les parquets. Nous y souscrivons d'autant plus que la priorité, dans un Etat de droit, est que la loi, expression de la volonté du citoyen, soit mise en oeuvre partout sur le territoire par le Gouvernement qui est responsable de sa politique devant l'Assemblée nationale. A ce titre, il est légitime que, comme le prévoit l'article 1er , le Gouvernement définisse la politique pénale en fixant des priorités, telles que la lutte contre le racisme, le trafic de drogue et la délinquance économique, et puisse en contrôler l'application.

En même temps, et pour éviter que l'on ne débouche sur un « gouvernement des juges », qui est bien un risque potentiel permanent, si le garde des sceaux ne peut donner aucune instruction dans quelque affaire particulière, il est tout aussi décisif qu'il puisse déclencher l'action publique au cas où le ministère public ne le ferait pas.

Contre l'inertie d'un procureur ou son appréciation d'une affaire, le projet prévoit une disposition exceptionnelle qui le permet.

Le cas peut se poser très concrètement. Ainsi, la liberté majeure que représente le droit à l'IVG continue à être contestée par des actes rétrogrades qui doivent être poursuivis et condamnés. De même, ce qu'on pourrait appeler le racisme quotidien, qui sévit dans la ville ou l'entreprise, ne doit jamais être toléré. Au cas où un procureur classerait sans suite de telles infractions, le respect de la loi et l'équité commandent que l'action publique soit mise en oeuvre par le garde des sceaux.

Celui-ci devra, en toute transparence, rendre compte, devant le Parlement, chaque année, à la fois des orientations générales de la politique pénale qu'il a définies et des affaires dans lesquelles il a pris toutes ses responsabilités en exerçant son propre droit.

Pour ce qui concerne la victime en cas de classement sans suite, les mesures proposées nous semblent répondre aux préoccupations entendues. Trop souvent encore sont pratiqués des classements sans suite pour des raisons d'opportunité ou de surencombrement qui sont difficilement acceptables par les justiciables.

L'obligation faite au procureur de motiver et de notifier sa décision au plaignant est positive. D'autant que s'il estime cette décision injustifiée, et s'il n'a pas qualité pour se constituer partie civile et agir directement, il bénéficiera néanmoins de possibilités de recours devant le procureur général, puis devant une commission compétente.

Enfin, votre projet contient quelques dispositions que nous considérons comme opportunes. Elles ont pour but de renforcer le contrôle de la police judiciaire par les magristrats.

Je le disais précédemment, chacun de vos textes ne peut être examiné séparément des autres. L'objectif du Gouvernement, en déposant son projet de loi constitutionnel relatif au Conseil supérieur de la magistrature, était d'assurer l'impartialité et l'indépendance de la justice en renforçant les garanties statutaires des magistrats du parquet, en matière de nomination comme de discipline, en élargissant et en rééquilibrant la composition du CSM, et, enfin, en réaffirmant l'unité de la magistrature.

Certes et comme nous l'avons déjà dit, nous aurions souhaité une réforme plus audacieuse. Mais les deux chambres ont adopté le texte en termes identiques. Nous déplorons vivement, dès lors, le retard pris par le Président de la République à réunir le Congrès afin d'adopter ce projet de loi relatif au CSM.

M. Gérard Gouzes.

Tout à fait !

M. Jacques Brunhes.

D'autant que ce retard empêche le Parlement d'examiner les deux lois organiques concernant le CSM et le statut des magistrats. A cause de ce blocage, nous examinons aujourd'hui un texte renforçant l'indépendance des magistrats sans que soit abordée la question, pourtant concomitante et essentielle, de leur statut et de leurs responsabilités.

Certes, de prochains textes nous seront soumis, qui aborderont ces questions décisives, mais notre groupe déplore vivement le blocage actuel qu'oppose l'Elysée à la révision constitutionnelle.

Au bénéfice de ces observations, les parlementaires communistes, qui présenteront des amendements, considèrent que ce texte définit un point d'équilibre, forcément délicat, permettant d'éviter les abus et contribuant à assurer l'égalité devant la justice pénale. C'est pourquoi nous le voterons.

Mais je ne saurais conclure sans vous rappeler le lancinant problème des moyens. Je le fais au moment où sont discutées les orientations budgétaires et où seront bientôt rendus les arbitrages.

Notre justice est sinistrée, asphyxiée, pour reprendre les termes des rapports de certains collègues du Sénat. Des efforts ont été engagés, certes, des efforts très importants même, et que nous mesurons bien, madame la ministre.

Mais ils ne sont pas à la hauteur des besoins, de la hausse exponentielle du contentieux, liée pour une part à l'évolution de notre société post-moderne où la justice occupe une place croissante dans les rapports sociaux.

Malgré vos efforts inlassables, madame la ministre, le budget de la justice, qui ne représente que 1,5 % des dépenses de l'Etat, nous place au dernier rang des pays d'Europe occidentale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Or l'insuffisance des moyens humains peut s'avérer le talon d'Achille de votre politique. J'exprime donc à nouveau le souhait que ayez aussi les moyens matériels de mettre en oeuvre l'ambitieuse réforme d'ensemble de la justice que vous engagez et que, avec ses propositions, n otre groupe accompagne de manière constructive.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la justice pénale est, à tort ou à raison, ressentie, dans notre pays, comme la partie la plus sensible de la fonction judiciaire. Sans doute, est-ce dû essentiellement à la faculté qu'elle comporte de priver un individu de sa liberté. Aussi, qui s'étonnera de voir que le projet de loi que nous examinons suscite à la fois intérêt et controverse ? Dans une législature, les textes qui présentent une telle importance sont suffisamment rares pour qu'on leur prête une attention particulière. Par prudence, il conviendrait d'ailleurs de ne modifier l'état du droit existant que si l'on est sûr de pouvoir l'améliorer de manière significative. Ce dont je doute, personnellement.

En effet, déposé en juin 1998, votre texte, madame la ministre, est loin de susciter l'accord général que justifierait la matière à traiter. Bien au contraire, il provoque, comme on a pu le voir au sein de la commission des lois, non seulement l'opposition des groupes UDF, RPR et Démocratie libérale, mais aussi le doute et les réticences de nombreux députés, membres de ce qu'il est convenu d'appeler, et l'expression convient particulièrement en cette circonstance, la « gauche plurielle ». En témoignent les appels répétés à la discipline et à la cohésion, é manant du Premier ministre et de vous-même, et les efforts du rapporteur pour emporter l'adhésion de ses propres amis.

Dans ce but, il a d'ailleurs fait preuve d'une grande richesse de vocabulaire, qui a relevé parfois de l'exploit sémantique.

C'est qu'on ne touche pas impunément à des questions aussi fondamentales que celles qui concernent les relations entre le parquet et le ministre de la justice, la direction de la police judiciaire et les recours contre les classements sans suite. Toutes revêtent un aspect symbolique et justifient un débat démocratique de grande ampleur : elles nous interrogent, successivement, sur le rôle du ministre, représentant le pouvoir politique, et sur la conception du parquet, défenseur de la société. Elles sont donc au centre de la réforme voulue par le Président de la République et engagée par vos soins, de manière hélas ! tronçonnée, rendant peu perceptible son architecture d'ensemble.

Chacun s'accorde cependant pour dire qu'il faut refonder sur une base claire les rapports entre pouvoir politique et parquet. Même si les affaires politico-judiciaires les plus sensibles ne représentent qu'une part infime de la justice pénale, l'opinion attend une indispensable clarification et exprime une très forte attente à l'égard d'une justice plus efficace, plus accessible et plus indépendante.

Nous devons toutefois conjurer deux périls opposés.

D'une part, la soumission au pouvoir politique, toujours prompt à protéger ses amis et à accabler ses ennemis : l'accumulation des tentatives pour empêcher ou retarder le cours de la justice dans quelques dossiers a suffi, en effet, à jeter le discrédit sur l'ensemble et à faire naître un soupçon généralisé sur les hommes politiques, mais en même temps, hélas ! sur les juges. D'autre part, l'affranchissement total du parquet à l'égard du pouvoir politique, qui risquerait d'aboutir à une justice corporatisée, voire atomisée, contraire à la notion d'égalité devant la loi, à laquelle les Français sont attachés. Dans les deux cas, et pour des raisons inverses, c'est l'impartialité de l'institution qui serait remise en cause.

C'est donc un équilibre entre ces deux menaces qu'il faut définir et tenir. L'exercice est difficile mais il y va de notre capacité à rétablir le crédit d'une institution indispensable au fonctionnement de notre société.

Contrairement aux magistrats du siège qui jouissent déjà d'une indépendance consacrée par la Constitution elle-même, les magistrats du parquet ne sauraient s'en prévaloir de la même façon. Certes, il est souhaitable de leur procurer des garanties de nomination et d'avancement comparables pour accroître encore leurs qualités d'équité et d'objectivité, mais, dans l'exercice de leurs fonctions, une coopération s'impose avec toutes les autorités qui concourent à la politique pénale dans notre pays.

L'indépendance, entendue comme une coupure, une absence de lien, n'aurait ni fondement légitime ni intérêt pratique. Les abus observés ces vingt dernières années condamnons-les tous sans chercher à en attribuer la responsabilité aux uns ou aux autres - ne doivent pas conduire à une mise en retrait, une sorte de démission du pouvoir politique qui aurait d'aussi funestes résultats. Au contraire, chacun doit assumer ses responsabilités, en toute transparence et dans le respect de sa vocation.

Comment assurer l'égalité devant la loi sans une politique de portée nationale ? Comment garantir la sécurité de nos concitoyens sans une évaluation de l'efficacité de la répression des crimes et des délits ? Comment sauvegarder l'ordre public sans une coordination de l'action pénale ? A travers ces questions élémentaires, c'est l'inspiration de votre projet de loi que nous critiquons, madame la ministre. S'agit-il de rompre le dialogue nécessaire entre parquet et ministre de la justice ? Ou s'agit-il, plus sournoisement, de reprendre d'une main ce que l'on a accordé de l'autre ? Dans les deux cas, nous ne pourrions adhérer à l'objectif, qu'il soit affiché ou latent.

L'abandon de son rôle par le pouvoir politique paraît contenu, en germe, dans plusieurs dispositions de votre projet.

Nous le voyons d'abord dans la renonciation à toute instruction écrite de poursuivre que consacre l'actuel article 36 du code de procédure pénale.

Ainsi, pour éviter toute tentation ou toute dérive, vous prononcez une interdiction générale, absolue et vous enlevez au garde des sceaux une faculté dont l'usage, même exceptionnel, est pourtant utile. Je rappelle ici qu'il ne s'agit pas d'entraver le cours de la justice - ce qui serait condamnable - mais au contraire de déclencher des poursuites en cas de carence du parquet ou d'impossibilité de rattacher un crime ou un délit à un procureur de la République territorialement compétent.

Nous le voyons ensuite dans la faculté de publier des

« orientations générales » de politique pénale dont nous ne voyons clairement ni le contenu ni les effets espérés.

Quel en est l'apport au regard des circulaires et instructions que le ministre de la justice peut, traditionnellement, rédiger ? J'ai pris ainsi connaissance des deux circulaires que vous venez d'envoyer au parquet sur l'usage et le trafic de drogues : je ne perçois pas ce que vous pourrez ajouter à de telles incitations en les baptisant

« orientations générales ».

La proposition du rapporteur de les appeler « directives » traduit bien le malaise éprouvé par de nombreux parlementaires. Comme vous le savez, ces directives, au


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sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat, ne peuvent apparaître que comme un « hybride », une « pseudo-règle de droit ».

Les expressions sont celles des commentateurs des grands arrêts de la jurisprudence administrative.

Le professeur Chapus, un des meilleurs spécialistes en la matière, l'écrit très clairement, monsieur le rapporteur, et c'est une réponse à votre proposition de substituer un terme à un autre.

Il a en effet écrit : « Les directives ne décident pas, elles orientent. »

M. Claude Goasguen.

Absolument !

M. Pierre Albertini.

On mesure là le maigre progrès que représenterait la rédaction que vous proposez et celle qu'a adoptée la commission des lois. En réalité, les directives ne dispensent pas les autorités chargées de les appliquer d'un examen particulier de chaque affaire, car elles n'ont, elles-mêmes, aucun effet juridique direct. Au mieux, inspirent-elles des décisions, leur but étant de fournir un fil directeur à l'administration pour améliorer la cohérence.

Ce constat prend un relief particulier en ce qui concerne l'exercice de l'action publique qui, par définition, laisse aux parquetiers une marge d'appréciation et une liberté d'organisation considérable, consacrée par le principe d'opportunité des poursuites. M. Valéry Turcey, l'actuel président de l'Union syndicale des magistrats, se demande même, dans un livre publié en 1997 et intitulé Le Prince et ses juges si la référence à une politique pénale, définie par le ministre et mise en oeuvre par les procureurs ne relève pas, en réalité, d'un « mythe ». Il a également écrit : « Accablés de travail, ils » - les paquetiers -

« prennent connaissance rapidement des circulaires de la chancellerie qui, au gré des modes, appellent leur attention sur la nécessité de réprimer les conduites en état alcoolique, le travail clandestin, les infractions au code de la consommation, les atteintes à l'environnement ou les contrefaçons de montres de luxe... et ils les rangent dans un tiroir ». Laisser entendre, dans ces conditions, que la politique pénale sera, demain, plus homogène, relève quelque peu de l'illusion. Comment pourrait-il en être autrement alors qu'elle n'est, au fond, qu'une somme d'affaires individuelles ? Sans doute est-ce le prix d'une justice humaine, proportionnée aux circonstances, à la gravité des infractions et adaptée à l'évolution de la conscience juridique.

Les relations entre le parquet et le ministre de la justice ne sont pas faites pour assurer le confort de ce dernier : elles ont pour but, dans une démocratie, de garantir le bon fonctionnement d'un service public, sous le contrôle des élus du peuple. Or, on ne peut, tout à la fois, conserver le principe de l'opportunité des poursuites, accroître les garanties statutaires du parquet - ce qui est souhaitable - et organiser la mise en retrait du pouvoir politique. Comme le montre l'exemple italien, le risque d'une atomisation de la justice pénale, aggravée par un retard accumulé et par des charges de travail très inégalement partagées, ne relève pas du fantasme.

A moins que, pour conjurer un tel péril, la chancellerie ne soit tentée d'utiliser d'autres moyens, moins officiels et moins transparents... On sait, en effet, de longue date, que les rapports parquet-chancellerie sont marqués par des pratiques que les textes sont impuissants à éviter. Il est des silences plus éloquents que la parole, des questions plus insidieuses que des ordres, des coups de téléphone plus ravageurs que des instructions écrites et versées au dossier. De même, la possibilité pour le ministre d'évoquer toute affaire dont les parquets sont saisis ne manquera pas de provoquer, parmi les intéressés, toutes sortes d'interrogations sur la marche à suivre. Le non-dit aura toujours, dans le fonctionnement de l'appareil judiciaire, comme dans celui de toute institution, une place importante : l'esprit des textes, mes chers collègues, compte autant que leur lettre.

Quant à l'action propre que se réserve le ministre, on peut se demander légitimement quel usage il en sera fait.

Outre qu'il est radicalement contraire à notre tradition républicaine et judiciaire, il comporte une regrettable confusion des genres. L'enquête, diligentée par le procureur de la République, disparaît au profit de la saisine directe de la juridiction. Devant celle-ci, qui exprimera et qui défendra le point de vue du ministre ? Cette intrusion dans le cours de la justice et cet appel à l'opinion prendront les allures d'un désaveu du parquet et médiatisent à l'excès les interventions du garde des sceaux.

A l'inverse de votre projet, madame la ministre, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance marque une très nette préférence pour une relation claire, ouverte, transparente, entre le parquet et le pouvoir politique. Le dialogue et la coopération entre tous ceux qui concourent à la politique pénale constituent une absolue nécessité. Dans un régime démocratique, aucune institution ne peut agir sans être orientée, guidée par le pouvoir issu du suffrage universel. A lui de fixer le cap, de définir les objectifs et les priorités et d'y affecter les moyens correspondants. Cette exigence répond à une attente des Français, tour à tour contribuables, justiciables et, somme toute, citoyens.

C'est pourquoi nous souhaitons refonder sur la confiance et sur la collaboration la relation entre parquet, ministre et Parlement. Au lieu de cette voie, vous avez privilégié un texte de confort, pour vous-même, qui révélera, à l'usage, son ambiguïté, sa lourdeur et son opacité.

Les dispositions que vous nous proposez sont des dispositions d'affichage, sources de déconvenues ultérieures.

L'ère du soupçon ne sera pas dissipée, le crédit de la justice ne sera pas restauré avec un tel projet de loi. Ni les mécanismes complexes du droit d'action propre et des recours contre les classements sans suite, ni les dispositions homéopathiques sur les rapports parquet-police judiciaire n'y contribueront efficacement.

Pour nous, le meilleur chemin vers une justice sereine, égale pour tous, impartiale, passe par le renforcement des garanties de carrière des membres du parquet, leur séparation fonctionnelle d'avec les magistrats du siège et une procédure plus franchement accusatoire, plus respectueuse des droits de la défense.

En aucune façon, la justice ne doit être prise en main par les politiques. Mais son nécessaire épanouissement, au service des citoyens, suppose de l'inscrire dans le champ d'une collaboration entre toutes les autorités qui ont en charge le respect de l'Etat de droit. Elle ne mérite ni l'isolement ni le recroquevillement sur elle-même : elle a besoin de la confiance du plus grand nombre.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance ne votera pas en l'état le projet de loi qui nous est présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Madame la ministre, avant d'en venir à l'examen de votre texte, je voudrais réfléchir avec vous à la crise que traverse la politique aujourd'hui.


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Depuis une vingtaine d'années, mes chers collègues, le Parlement a été amené à se défaire avec régularité et abnégation d'une large partie de ses prérogatives. Sous l'impulsion de M. Giscard d'Estaing, représentant de la droite libérale et vainqueur du gaullisme, le Conseil constitutionnel a élargi son espace d'intervention à partir de la loi constitutionnelle de 1974, qui permet, je le rappelle, à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel afin qu'il se prononce sur la conformité d'une loi à la Constitution.

Saisi quasi systématiquement par toutes les oppositions successives, le Conseil constitutionnel, prévu initialement pour arbitrer ce qui appartient au domaine de la loi et au domaine réglementaire, contrôle, depuis lors, toutes les lois importantes votées par le Parlement. Cette réforme a créé une véritable instance d'appel pour les battus du suffrage universel.

Le Parlement a, en 1986, voté l'Acte unique européen qui, via la libéralisation totale des mouvements de capitaux sans contrepartie fiscale, interdit dans les faits toute réforme fiscale d'envergure que pourrait décider le législateur.

Entre 1993 et 1995, le gouvernement de M. Edouard Balladur a successivement fait voter l'indépendance de la Banque centrale, qui prive les élus du peuple de toute action sur la politique monétaire, puis la ratification de l'accord GATT OMC, qui confie à des panels la politique commerciale.

Depuis 1989, le juge administratif a reconnu dans une série de décisions - arrêts Niccolo, Boisdet - la supério rité des conventions internationales et du droit communautaire sur les lois votées par les représentants du peuple français, même postérieurement.

La réglementation communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés s'imposent ainsi non seulement à l'ensemble de nos juridictions mais au législateur lui-même !

M. Gérard Saumade.

Tout à fait !

M. Georges Sarre.

Pour couronner le tout et sans parler de la Cour européenne des droits de l'homme, une multitude d'autorités administratives, dites indépendantes - COB, CSA -, ont été créées.

C'est d'abord dans cette autodépossession de ses responsabilités que se trouve la source de la crise du politique. Comment espérer que les citoyens participent au débat public et se rendent aux urnes s'ils ont le sentiment que les élus n'ont plus prise sur les grands choix ?

M. Claude Goasguen.

Il est bien Sarre !

M. Georges Sarre.

Dans un contexte de dévalorisation de la politique, de crise de la représentation, l'« indépendance » est présentée au citoyen parée de toutes les vertus et synonyme de neutralité et de rigueur, ce qui contrasterait fortement avec le politique, a priori partial et sensible à toutes les pressions et à toutes les tentations.

En réalité, madame la ministre, les juges ont comme tout le monde leur a priori idéologique et politique et toute la question est de savoir qui assurera un minimum de contrôle. Si le peuple français n'est pas satisfait de la manière dont la garde des sceaux, le ministre de l'intérieur et le Gouvernement s'acquittent de leurs responsabilités en matière de justice et de police, il peut les sanctionner quand il se rend aux urnes. Il le fait d'ailleurs. Il n'est pas sûr qu'un parquet dit indépendant ne prendrait pas lui aussi des décisions arbitraires.

La montée - je dirai quotidienne - d'une démocratie contentieuse en lieu et place de la démocratie citoyenne n'offre qu'une apparence de progrès. Certes, le fait que chefs d'entreprise ou responsables politiques étaient autrefois quasiment intouchables, alors qu'ils peuvent aujourd'hui être inquiétés, constitue une avancée, sauf toutefois quand les juges bafouent la présomption d'innocence ou le secret de l'instruction, notamment par abus de la détention provisoire ou via l'instrumentalisation des médias. Mais il est fallacieux de lier l'indépendance de la justice vis-à-vis des pressions politiques à l'indépendance du parquet. Vous faites, madame la ministre, depuis deux ans la démonstration que l'on peut, dans le cadre actuel, ne pas donner d'instruction individuelle dans des affaires sensibles politiquement. Il n'y a donc pas besoin d'une loi puisque ça marche.

Les poursuites engagées contre les « puissants » sont bien accueillies par les plus modestes qui ont ainsi le sentiment « qu'il y a une justice ». Mais cette évolution ne doit pas conduire à judiciariser à outrance la vie publique.

Les plus faibles n'ont pas toujours les moyens d'accéder à la justice, notamment en termes de défense. De même, la mise en place de puissants lobbies juridiques par les grandes sociétés multinationales auprès de toutes les instances dites indépendantes constitue une évolution qui ne va pas dans le sens de la justice, même si elle est conforme au droit.

Dans une société qui se complexifie, ceux qui ont les moyens d'information et les armes juridiques l'emportent sur les plus démunis. La question des pouvoirs confiés au garde des sceaux est en réalité subalterne, la question essentielle est celle du contrôle que, en toute démocratie, le peuple exerce en dernière instance sur le fonctionnement de la justice.

La justice se trouve à la charnière entre le collectif et l'individuel, entre la société et le citoyen, entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. Il faut savoir alors c oncilier obéissance et indépendance. Obéissance, d'abord, à la loi, telle qu'elle a été votée par le législat eur, élu à cette intention par le peuple ; obéissance à l'exécutif, désigné directement ou indirectement par le peuple pour déterminer et conduire la politique de la nation.

Mais indépendance en même temps, parce qu'il s'agit de la liberté individuelle, de la liberté de chacune et de chacun d'entre nous, parce que les citoyens qui sont chargés d'exercer le pouvoir exécutif ne doivent pas en abuser.

Il convient de distinguer opportunité et légalité. La première s'inscrit pleinement dans la sphère du politique ; la seconde repose sur le respect scrupuleux du juridique.

Facile à formuler au niveau des principes, une telle distinction est souvent plus incertaine à mettre en oeuvre dans le concret.

Dans le respect de chacun de ses deux volets, légalité et opportunité, l'autorité judiciaire reste unie en une seule et même entité.

Le juge du siège tranche en toute indépendance, appliquant la loi, qui, par nature, ne comprend que des dispositions d'ordre général, au dossier toujours particulier qui lui est soumis. Obéissant à la loi sous la responsabilité d'un pouvoir exécutif soumis à la sanction du suffrage universel, le parquet représente la société en pleine autonomie. Cette autonomie est garantie par le statut personnel des magistrats dont bénéficient procureurs et substituts. Au cours de leur carrière, ils peuvent aller et venir entre siège et parquet.


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Le parquet, qui représente la société en justice, ne peut détenir une légitimité pour agir que du pouvoir politique, désigné par le peuple. On peut imaginer d'autres modalités pour que le peuple puisse agir en justice dans le respect de la liberté individuelle.

Le passage par l'intermédiaire du pouvoir exécutif n'est pas en soi une obligation. Ainsi la désignation des procureurs pourrait être directement soumise au suffrage universel. Une telle solution existe dans des pays proches du nôtre, mais elle est, disons-le clairement et simplement, étrangère à la conception française. En outre, cette solution présenterait de multiples inconvénients, dont une fragmentation partisane de la justice. Toutefois, l'élection des procureurs, et même des juges, n'est pas dénuée de cohérence démocratique.

Dans sa très grande sagesse, le constituant de 1958 n'avait parlé que des magistrats du siège, pour les déclarer inamovibles et pour organiser un Conseil supérieur de la magistrature gérant leur carrière. Implicitement, le parquet était renvoyé à la loi organique devant porter statut des magistrats. Le Président de la République était, et reste - mais désormais avec quels pouvoirs ? - le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. La réforme du 27 juillet 1993 a commencé à briser ce dispositif. Le parquet accède, depuis, à une existence constitutionnelle. Il a entrepris sa marche vers son indépendance, et vous nous proposez, madame, de l'achever.

Si le législateur vous suit, le Gouvernement ne déterminera plus et ne conduira plus que partiellement la politique de la nation en matière pénale. Tout au plus, il pourra émettre des voeux. Par ailleurs, vous ôtez au Gouvernement tout moyen de s'assurer que les procureurs généraux et les procureurs les suivent effectivement. Vous nous dites qu'il existe des procédures disciplinaires en cas de manquement. Par nature, leur mise en oeuvre ne peut être que lourde. A tous égards, leur emploi doit rester strictement limité. Enfin, ces procédures demeurent corporatistes puisque les représentants des magistrats y jouent un rôle au moins prépondérant.

Je vous interroge, madame la ministre : que faire devant un refus individuel, qui se trouvera toujours de bonnes raisons ? Que faire devant un refus collectif ? Le peuple devra-t-il se soumettre et ses élus se résigner ? Vous nous dites encore que le garde des sceaux, disposant toujours du pouvoir de proposition devant le Conseil supérieur de la magistrature, conserve un moyen de pression. En réalité, son efficacité est conditionnée au fait que l'intéressé souhaite changer de poste. Or nombre de procureurs, et plus particulièrement nombre de procureurs généraux, n'ont aucun envie de bouger.

En voulant interdire au ministre de la justice d'intervenir dans des affaires individuelles, vous affaiblissez l'Etat républicain, et donc le peuple souverain, parce que, de temps à autre - et même si c'est toujours trop souvent des représentants de ce peuple ont des comportements répréhensibles. Punissons les représentants fautifs, mais ne punissons pas le peuple ! Plaçons-nous d'abord du point de vue de l'intérêt général et du bon fonctionnement des institutions républicaines. Ensuite, envisageons les dispositifs propres à éviter que certains détournent à leur profit les pouvoirs qui leur sont confiés. La nécessaire prévention de l'éventuelle transgression ne doit pas conduire à la paralysie de l'action. Or l'intérêt général commande que le Gouvernement ait parfois la possibilité de se mouvoir avec souplesse face à certaines affaires, touchant notamment à la sécurité nationale ou au terrorisme. Mais pas seulement.

Dans l'effervescence d'un mouvement social - cela arrive fréquemment - peuvent se produire des actes répréhensibles, des séquestrations par exemple. Alors là, faudra-t-il toujours poursuivre ? Surtout si le Gouvernement veut engager une négociation ! Qui décidera ? Sur quels critères ? Seul le pouvoir politique est légitime pour décider de l'opportunité. Seule l'autorité judiciaire est ensuite légitime pour apprécier les faits afin de condamner ou de relaxer.

Ne préjugeons de rien. Laissons à chaque gouvernement le soin d'assumer la responsabilité politique qui est la sienne. Ne l'entravons pas par avance. Le peuple tranchera le moment venu - au moment des élections.

D'une certaine façon vous admettez la nécessité pour le Gouvernement d'agir en justice sur une affaire particulière, vous concédez au ministre de la justice la possibilité de mettre en mouvement le parquet, à condition qu'il intervienne personnellement et sans délégation. Ce dispositif présente deux graves défauts. D'une part, le procureur, qui se sera abstenu, représentera le ministre.

D'autre part, le dispositif ne permet pas au Gouvernement d'empêcher le parquet d'agir. Cette lacune volontaire aura, dans certaines occasions, des conséquences très dommageables pour le pays.

Par le deuxième article de votre projet de loi, madame la ministre, vous nous proposez d'accorder à quelques individus, procureurs généraux et procureurs, une part de la souveraineté nationale, celle d'agir en justice. Certes, vous n'allez pas aussi loin qu'en Italie, où chaque membre du parquet est devenu quasiment un souverain maître.

Vous prenez néanmoins le risque d'une application différente de la loi sur le territoire national, qui ne soit pass eulement une simple adaptation aux circonstances locales. Etes-vous sûre, par exemple, que tous les procureurs aient la même attitude dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme ? Quelques affaires récentes incitent, malheureusement, au doute méthodique. Je puis formuler des interrogations similaires dans des domaines aussi divers que la consommation des drogues dites douces ou la sécurité routière.

Le classement sans suite pour des raisons d'opportunité a toujours une dimension politique. A ce titre, il entre dans le champ de la souveraineté nationale.

Le parquet n'étant plus sous contrôle des représentants du peuple, il ne peut exercer une prérogative appartenant consubstantiellement à la souveraineté nationale sans commettre une usurpation. Certes, vous avez imaginé un système complexe de recours à deux étages pour éviter les foucades personnelles. On peut douter de l'efficacité de cette construction, qui risque rapidement soit l'asphyxie par encombrement, soit la perte de crédibilité par confirmation trop fréquente des décisions de première instance.

Les procureurs de la République ne sont pas seulement des magistrats. Ce sont aussi des fonctionnaires. Le procureur de la République d'une ville chef-lieu de département est le directeur d'une administration déconcentrée.

A ce titre, il participe, avec le préfet ou d'autres fonctionnaires de l'Etat, à des opérations de sécurité routière, de sécurité dans les quartiers ou à des conférences de presse.

Le procureur de la République a également des pouvoirs purement administratifs, qu'il exerce bien sous la dépendance du garde des sceaux.

Lorsqu'il sera totalement indépendant, au nom de qui exercera-t-il son pouvoir de tutelle, de contrôle et de discipline sur les officiers ministériels? Au nom de qui ce


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fonctionnaire, directeur d'une administration déconcentrée, visitera-t-il les établissements pénitentiaires, ou les établissements psychiatriques ? Avec le troisième chapitre de votre projet de loi, madame la ministre, vous dépouillez le pouvoir exécutif d'une partie de la première des fonctions qui légitime depuis toujours l'existence de l'Etat : le pouvoir de police.

Dans la pratique, ce troisième chapitre risque de s'avérer incompatible avec le rôle de gardienne de la liberté individuelle que la Constitution confère. Si l'autorité judiciaire a trop d'emprise sur la police judiciaire, elle sera sans cesse tentée d'utiliser ses pouvoirs propres au profit de ses responsabilités de police, mais au détriment de la liberté individuelle.

Nous avons déjà l'expérience du juge d'instruction.

Selon la loi, il doit instruire à charge et à décharge. Nous savons qu'il instruit trop souvent seulement à charge.

Nous savons que, parfois même, il utilise la détention provisoire pour faire pression.

M. Pascal Clément.

Tout à fait !

M. Georges Sarre.

Vous le savez si bien que vous allez nous proposer des réformes dans ce domaine. Mais, avant même de nous les soumettre, ne les compromettez pas, madame la ministre, en rapprochant trop autorité judiciaire et police judiciaire.

Forts du précédent des juges d'instruction, nous pouvons avoir toutes les craintes de voir l'autorité judiciaire mener l'enquête, police et gendarmerie n'étant plus que ses auxiliaires. Il ne s'agit pas de mettre en cause la compétence professionnelle ou l'honnêteté intellectuelle des hommes ou des femmes du parquet, quoique, comme nous tous, ils soient faillibles. Il s'agit tout simplement de préserver certains équilibres institutionnels.

Enfin, madame la ministre, votre présent projet de loi devrait vous mener à proposer une modification constitutionnelle, qui peut paraître à première vue mineure, mais qui correspondrait à cette démarche d'affaiblissement de la République. Au lieu de : « de l'autorité judiciaire », le titre huitième de la Constitution devrait désormais s'intituler : « du pouvoir judiciaire ».

Au-delà de quelques affaires trop célèbres, que nous déplorons tous, mais dont démagogues et polémistes usent et abusent, la dérive institutionnelle de ces dernières années témoigne d'une crainte profonde du peuple.

Le coup de génie est d'avoir fait largement admettre l'idée qu'une mesure qui prive le peuple d'un de ses pouvoirs pourrait participer d'une forme supérieure de la démocratie.

M. Pierre Albertini.

Quel tour de passe-passe !

M. Georges Sarre.

La politique est remplacée par la morale, les bons sentiments, l'humanitaire, bref par de vagues et constantes références aux droits de l'homme, auxquels on oublie toujours, de façon significative, de joindre ceux du citoyen. L'Etat est ainsi réduit au concept d'Etat de droit, sans que l'on sache qui édicte le droit. Le législateur, certes, mais aussi le juge, quand ce ne sont pas des professeurs de vertu autoproclamés.

Cette approche correspond peut-être à la conception anglo-saxonne de la société. Mais elle induit une tout autre organisation judiciaire. Elle exclut l'existence d'un corps de magistrats autogéré, qui contrôle à la fois l'opportunité et la légalité. L'importation d'un tel modèle supposerait de sortir de la République.

Madame la ministre, dans ses mémoires, le cardinal de Bernis écrit : « On ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens. » En France, l'autorité judiciaire reposait sur une

profonde et féconde ambiguïté. On est en train de l'en faire sortir. Dans un premier temps, cette sortie se fait aux dépens de la responsabilité politique et donc de la République ; elle risque aussi de se faire, paradoxalement, aux dépens de la liberté individuelle. Dans un second temps, parce qu'il y aura un mouvement de balancier, cette sortie se fera aux dépens de l'autorité judiciaire. Le parquet en sera détaché pour devenir un simple service déconcentré du ministère de la justice.

Aujourd'hui, la véritable question est celle de la resp onsabilité politique. La politique appartient aux citoyens, la citoyenneté étant la part qui permet à chaque individu de participer au collectif. Ne confondons pas les rôles, ne confondons pas les plans. Laissons au citoyen sa sphère. Laissons à la politique toute sa responsabilité, sa grandeur et ses servitudes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pascal Clément.

M. Pascal Clément.

Ainsi ce texte nous arrive, madame la garde des sceaux, après que la pression médiatique se fut exercée, et ce depuis des années, sans doute par la faute des différents gouvernements qui se sont succédé depuis au moins vingt ans, et quels qu'ils soient - à en juger par un article d'un grand quotidien du soir qui montre que, dans cette affaire, tout le monde doit rester modeste.

J'en suis à me demander si ce texte existerait s'il n'y avait pas eu cet énorme vacarme médiatique sur des dérapages condamnables qui, bizarrement, ont provoqué en France le besoin, typiquement français d'ailleurs, de légiférer à nouveau.

J'ai été frappé de voir, après votre intervention de ce soir à la télévision, bien sûr, mais également dans les jours précédents, que quand on les interroge sur votre texte relatif aux rapports entre la chancellerie et le Parquet, les Français disent que le Gouvernement va enfin instaurer une justice totalement indépendante.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ils ont bien compris !

M. Pascal Clément.

Ils n'ont rien compris ! D'abord, la justice est totalement indépendante, je l'ai rappelé tout à l'heure et je le répète, depuis que les juges du siège sont nommés non plus sur proposition du garde des sceaux mais par le CSM. Cette réforme est de 1993 et c'est là la pierre d'achoppement de l'indépendance.

Et parce que certains se plaisent à tout mêler et que d'autres sont franchement incompétents, on finit par mélanger le parquet et le siège et, aujourd'hui, les gens se disent : heureusement que la gauche arrive, parce que, enfin, on aura une justice indépendante !

Mme Odette Grzegrzulka.

Là aussi, ils ont raison !

M. Pascal Clément.

C'est le grand pari politique que vous êtes en train de faire et c'est la fantastique tartuferie que je voudrais dénoncer.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ecoutez les gens !

M. Pascal Clément.

Oui, madame, s'ils sont compétents !

M me Odette Grzegrzulka.

Quel mépris pour le peuple !

M. Pascal Clément.

Combien de gens, vous le savez, qui n'ont pas pour profession cette matière, même s'ils sont fort cultivés et ont fait des études supérieures, mais dans d'autres domaines - j'en connais beaucoup - ne comprennent rien aux questions judiciaires et pas grandchose aux questions juridiques parce qu'ils ne s'y sont guère attardés et qu'en outre cela ne les intéresse pas !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Il y a donc une espèce d'ambiguïté qui a été habilement cultivée par le Gouvernement et ce projet est un peu blessant pour ceux qui pensent, justement, que l'affaire a beaucoup avancé en 1993 et que le présent texte, en fait, n'apporte rien si ce n'est certains dangers - même si je ne partage pas l'analyse de notre collègue Georges Sarre qui en a donné quelques exemples, j'y reviendrai. Surtout, c'est un texte qui dissimule - c'est là où il y a hypocrisie - une reprise en main considérable.

C'est la suprême habileté que vous avez eue, madame la garde des sceaux : on ne donne plus de directives mais on reprend vigoureusement en main les parquets généraux et les procureurs. Vous nous en avez d'ailleurs donné quelques démonstrations récemment, j'y viendrai peut-être aussi.

Ce texte, mis en oeuvre par une poussée médiatique énorme, vous a donné l'occasion de surfer sur l'opinion publique et d'apparaître comme des gens justes, bons et généreux, alors qu'il ne correspond pas du tout à ce qui était annoncé.

Examinons-le. Il comporte trois parties dont la première est sûrement celle qui passionne le plus : les rapports chancellerie-parquet. Vient ensuite le problème des classements sans suite - l'idée est bonne, je le dis tout de suite. Enfin - l'idée n'est pas mauvaise non plus-, vous essayez de donner un peu d'autorité au procureur sur la police judiciaire. Mais là, quelle déception ! Cela dit, je ne vous jetterai pas la pierre, car personne n'a fait mieux que vous.

Je serai surtout critique sur la première partie, la deuxième faisant naître chez moi une relative compassion eu égard à l'effort fourni et au résultat peu probable.

Il est tout de même extraordinaire que les procureurs généraux doivent évoquer toute affaire sensible auprès du garde des sceaux ou du directeur des affaires criminelles de la chancellerie en temps réel. Pourquoi en temps réel puisque vous ne voulez pas donner de directive,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument ! Bonne question !

M. Pascal Clément.

... et en plus fréquemment ? Symétriquement, vous avez le droit de demander des comptes aux procureurs généraux sur telle ou telle affaire.

Je veux bien croire, madame la garde des sceaux, en vous prêtant la plus grande bonne foi, que vous arrivez à parler de longues heures avec des procureurs généraux et des procureurs sans jamais parler d'affaires individuelles, en n'évoquant que des affaires générales,...

M. Jean-Luc Warsmann.

Que va faire le procureur de Paris à la chancellerie ?

M. Pascal Clément.

... mais, très honnêtement, il faut une forte imagination et un certain talent pour les idées générales, et il ne faut pas avoir peur de faire des phrases.

C'est très difficile car il y a toujours un moment où l'on a envie d'illustrer ou de concrétiser sa pensée. Vraiment, je suis admiratif. Je veux bien vous croire, mais je vous dis bravo. Personnellement, j'en serais tout à fait incapable, et je crains qu'après vous les gens ne soient plutôt comme moi.

Il y a donc déjà, sur le plan technique, une chose peu crédible.

En plus, vous avez parlé tout à l'heure d'un dialogue serré. D'abord, c'est rassurant pour le procureur général ! Nous voilà bien, me dirais-je à sa place ! Bien évidemment, monsieur le procureur général, lui expliquez-vous, je ne vous donne aucune directive. Alors là, ce n'est pas la peine de faire beaucoup de psychologie des profondeurs pour comprendre la chose suivante, mes chers collègues.

Mme Odette Grzegrzulka.

Il ne faut pas faire non plus de cinéma !

M. Pascal Clément.

Soyons clairs. Rien que le fait de formuler une décision que l'on a prise soi-même à un supérieur hiérarchique, c'est déjà répondre aux questions que l'on pourrait se poser. Mettez-vous dans la peau de l'inférieur qui explique au supérieur ce qu'il a fait. Il sait que le garde des sceaux est plutôt de tendance x ou y, et il formule sa décision dans le sens souhaité par son interlocuteur. Or, si j'ai bien compris, à chaque fois, il devra s'expliquer. Vous avez raison, madame la garde des sceaux, vous pouvez rester totalement silencieuse. L'affaire sera réglée selon vos voeux non formulés.

Ajoutez à cela la réforme que vous appelez de vos voeux, qui vous paraît tellement cohérente avec ce texte, celle du CSM. A mes yeux, elle n'ajoute pas grand-chose, d'abord parce que vous l'anticipez.

Effectivement, il y aura un avis conforme, et le garde des sceaux ne pourra pas nommer quelqu'un contre l'avis du CSM, mais la question n'est pas là. Qui propose à la promotion tel ou tel magistrat du parquet ? Le garde des sceaux, et il est bien évident qu'un procureur général ou un procureur qui ne donnerait pas satisfaction n'aurait jamais de promotion.

M. Sarre a expliqué que certains n'en voulaient pas.

Cela arrive, c'est vrai, au siège plus qu'au parquet. Il y a des gens qui ne veulent pas bouger...

M. Pierre Albertini.

Ils portent bien leur nom !

M. Pascal Clément.

... et c'est d'ailleurs dramatique car on ne peut rien faire. C'est ainsi et on ne peut pas revenir là-dessus. Je ne le propose pas d'ailleurs. Qu'on ne se trompe pas sur mes propos.

Cela dit, de deux choses l'une : ou le magistrat veut bouger, c'est-à-dire avoir une promotion et une carrière convenable, et c'est clair qu'il anticipera tous vos désirs, surtout si vous lui demandez par un silence souriant et aimable, ou il ne veut pas bouger, et c'est la crise - je ne reviens pas sur ce qu'a expliqué Georges Sarre. Là, il n'y a pas de réponse. Dans les deux cas, cela ne marche pas.

Nous avons donc un texte assez ahurissant. Très honnêtement - et je suis de bonne foi, je ne fais pas de polémique -, selon la psychologie humaine traditionnelle, ce n'est pas crédible.

Vous expliquez qu'on ne s'occupera plus des idées politiques du procureur. J'observe tout de même que l'une de vos premières décisions a été de nommer comme procureur de la République de Paris, le poste le plus sensible de la République, l'ancien directeur de cabinet de M. Nallet. Je n'ai rien contre l'homme, que je connais et que j'estime. Vous avez d'ailleurs indiqué en commission que vous le voyiez fréquemment, évidemment pour ne parler que de choses strictement générales : idées générales sur la Corse, idées générales sur les paillottes, c'est toujours général ! En plus, cet homme a malheureusement prouvé qu'il était assez souple. M. Nallet lui-même a écrit dans un livre : « Honte à moi ! Je confesse que j'ai strictement enterré l'affaire OM avec mon cabinet. » Et c'est cet

homme que l'on choisit. C'est un authentique magistrat de qualité, personne n'en disconvient et je n'en disconviens pas, mais le dialogue est fructueux et facile. Il peut même être serré. Rassurez-vous, vous aurez de toute façon satisfaction !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Tout cela est une plaisanterie. Vous voulez faire croire à l'opinion publique qu'on va vers plus d'indépendance.

Qui le croit, même dans vos rangs ?

M. Jean-Luc Warsmann.

Les masques tomberont !

M. Pascal Clément.

En plus, vous avez bien sûr, changé de directeur des affaires criminelles. Là, ce n'est pas compliqué, il est nommé en conseil des ministres.

Lui, il était au cabinet de M. Vauzelle. C'est un hasard aussi. Vous êtes encore plus tranquille ! Après cela, vous décidez de ne plus donner de directives et vous voulez faire croire au peuple français que la justice est enfin indépendante. Quel culot ! Qui peut croire cela en France !

M. Jean-Luc Warsmann.

Quel calme dans les rangs socialistes !

M. Pascal Clément.

Arrêtons l'hypocrisie. Il est indispensable que les juges du siège ne puissent pas être soupçonnés. C'est le cas depuis 1993, cela ne l'était pas avant.

Et les magistrats du parquet, ce sont des magistrats du parquet.

M. Daniel Marcovitch.

C'est une excellente définition ! (Sourires.)

M. Pascal Clément.

Je veux bien qu'on leur accorde un peu plus d'indépendance, mais, s'il y a des directives à donner, donnons-les ! Vous avez d'ailleurs interrogé les avocats, monsieur le rapporteur. Exception faite des avocats pénalistes, tous les avocats français veulent le maintien de la situation actuelle, et, comble du comble, l'association des procureurs généraux également. Pas moi ! Je veux le maintien de la situation, mais avec l'éclairage de ce que j'ai dit tout à l'heure. Il n'est pas pensable de continuer à dévoyer l'article 36 qui ne prévoit que la poursuite. Il est scandaleux qu'un ministre décide de ne pas poursuivre. Je demande simplement l'application stricte de la loi. Aucun gouvernement n'a accepté d'appliquer l'article 36 de façon claire et sobre. Au lieu de décider d'arrêter de le dévoyer - c'était un engagement à prendre dès votre arrivée et je l'avais personnellement salué -, on fait une loi supplémentaire. La France est un pays qui aime les lois, mais n'aime pas les appliquer ! La question aurait été réglée et vous n'auriez pas les problèmes qu'a évoqués M. Sarre ou que j'évoque moimême à partir d'une psychologie élémentaire, à savoir que de toute façon, c'est du faux-semblant, du trompel'oeil, et vous auriez eu la satisfaction de faire avancer la justice, mais sans la gloriole d'un texte laissant croire que la gauche est juste et généreuse et permet l'indépendance et que la droite n'a jamais rien fait en ce sens. Or jusqu'à présent, c'est le contraire : 1993 est la date socle, où on a vraiment changé les choses.

Je reviens au texte. Parce qu'on ne peut pas donner de directive au procureur général, le ministre se substitue à l'autorité judiciaire. M. Colcombet a expliqué tout à l'heure que l'autorité judiciaire, ce n'était pas le ministre, et il a raison. Là, c'est le ministre qui devient l'autorité judiciaire, qui devient le juge lui-même et qui actionne l'action publique. C'est tout à fait choquant. C'est une rupture très profonde dans l'équilibre de nos pouvoirs, et je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait vous suivre. Cette atteinte à la séparation des pouvoirs, garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sera, je le pense, épinglée par le Conseil constitutionnel, que, je vous l'annonce au nom du groupe, nous saisirons.

J'en viens au problème des classements sans suite. C'est un problème très populaire, et vous avez eu raison de mettre le doigt dessus. Un grand nombre de Français ne supportent plus de voir le nombre de classements...

M. Christian Estrosi.

C'est vrai !

M. Pascal Clément.

... et on ne peut pas vous reprocher votre volonté de faire quelque chose. Je crois simplement, très objectivement, que le système proposé - et je dois avouer que je n'ai rien de mieux à proposer - n'est pas de nature à fonctionner facilement. Vous avez donné tout à l'heure, madame la garde des sceaux, des chiffres encore plus effrayants que ceux qui sont inscrits dans le rapport : 4 millions d'affaires classées sans suite et 900 000 dont les auteurs sont connus. Imaginez le travail que cela représenterait pour les avocats généraux des trente-trois cours d'appel...

M. Jean-Claude Daniel.

Comme cela, ils travailleront !

M. Pascal Clément.

... qui seront chargés d'apprécier s'il faut classer à nouveau une affaire ou non ! Cela me paraît impossible. Evidemment, la plupart des affaires seront classées à nouveau, et honnêtement, il faudrait trouver une solution différente. Celle-ci me paraît épuisante.

Enfin, dernier point, le renforcement du contrôle de la police judiciaire par les magistrats. C'est une idée que les démocrates et les républicains que nous sommes ne peuvent pas ne pas saluer, mais en constatant, malheureusement, que cela n'ira pas loin. La pression du ministère de l'intérieur est considérable, sous tous les régimes, et j'ai l'impression, madame la garde des sceaux, qu'en interministériel, on vous a renvoyée à vos études et à une proposition pas trop dérangeante...

M. Gérard Gouzes.

Soyez respectueux !

M. Pascal Clément.

Je suis très respectueux ! C'est plutôt amical ! ... Et que cela n'a malheureusement pas avancé beaucoup. Il serait intéressant de relire les articles 12 et 41 du code de procédure pénale selon lesquels le procureur est le responsable en titre de la police judiciaire. Pourtant, ce n'est pas appliqué.

Vous souhaitez que le procureur puisse définir, dans le cadre des orientations, le travail des OPJ. Vous souhaitez, à juste titre, que des moyens soient mis en oeuvre pour l'action judiciaire, mais je crains malheureusement que ces intentions ne changent pas les moeurs dans ce domaine. Cela dit, c'était en soi une proposition déjà utile et il faudrait la faire avancer. Dans une affaire récente, la Cour de cassation a donné raison aux magistrats contre la police judiciaire. C'est donc une bonne direction, il faut continuer.

En conclusion, madame la garde des sceaux, il n'y avait pas de raison de faire ce projet, sauf pour tromper l'opinion publique. La réalité, c'est une forte reprise en main des parquets, avec une espèce de fausse indépendance qui peut entraîner dans l'avenir, un avenir proche ou lointain peut-être, un certain nombre de dérapages, avec surtout la certitude de voir naître un vrai problème juridique : un garde des sceaux qui se substitue aux magistrats parce qu'il ne peut plus ordonner des poursuites.

Cela, c'est à nos yeux franchement inconstitutionnel, et cela sera probablement jugé ainsi - du moins, nous l'espérons -, ce qui nous permettra de ne plus remettre en cause un équilibre qui, comme Mme Catala l'a très bien expliqué, remonte à la monarchie, a traversé la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Révolution et toutes les Républiques, et que vous mettez aujourd'hui en péril, sans prendre le temps de penser aux conséquences qui risquent de ne pas être celles que vous prévoyez.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg.

Madame la garde des sceaux, il n'échappe à personne que le texte que vous nous présentez est d'une nature et d'une force nouvelles, en organisant, avec une certaine tranquillité, un tournant révolutionnaire dans les rapports entre deux pouvoirs, l'autorité judiciaire et le pouvoir exécutif, qui ont entretenu dans le passé des relations si difficiles.

Il est révolutionnaire, en effet, parce que la Révolution et ses pères ont inventé la séparation des pouvoirs sans que celle-ci ait pu trouver postérieurement sa place dans nos institutions. Tous les régimes, mêmes les plus imprégnés de l'idéal républicain, ont agi en la matière comme s'ils avaient été contaminés par les us et coutumes hérités de la monarchie : la justice n'était en vérité que déléguée des mains du souverain, elle pouvait donc être à tout moment reprise, c'est-à-dire reprise en main.

Tous les gouvernements, qu'ils aient été bonapartistes, inspirés par la monarchie constitutionnelle ou républicains, ont pratiqué et organisé la confusion des pouvoirs judiciaire et politique, nous léguant ainsi une justice polit ique, politisée, politiquement contrôlée, et par conséquent sujette à l'arbitraire et au soupçon qu'aujourd'hui nous cherchons à combattre.

Si l'on faisait défiler devant nous les images de l'histoire de l'institution judiciaire, déniant le droit pour mieux habiller la force, refusant la loi aux justiciables qui réclamaient justice, nous n'aurions que l'embarras du choix à toutes les époques.

Faut-il se souvenir du fameux conseiller Réal,...

M. Claude Goasguen.

Un jacobin !

M. Arnaud Montebourg.

... rédigeant sous les ordres directs du Premier consul le jugement d'assassinat légal du duc d'Enghien, de l'affaire Stavisky entre les mains d'un procureur qui ne poursuivit que très peu l'intéressé de peur de tomber sur le ministre qui avait fait sa propre carrière, des scélératesses de la justice ordinaire ou extraordinaire de Vichy, de l'épuration ou de la guerre d'Algérie ? Le général de Gaulle lui-même, faisant l'exégèse du texte de la Ve République dont il était le créateur, a parfaitement théorisé cette soumission du judiciaire à l'exécutif : « Il n'y a aucune autorité, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue que par le Président de la République. »

L'histoire des relations entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire est jalonnée de ces actes de mise au pas, de soumission forcée dont le ministère public était l'instrument privilégié - épurations, mutations, remises en cause de l'inamovibilité, prestations de serment forcées -, ce qui faisait d'ailleurs dire à un grand et récent garde des sceaux, célèbre pour son interventionnisme, qui avait su se servir de ces merveilleux instruments de la chirurgie judiciaire : « Il faudra bien un jour que la fonction de garde des sceaux ne se résume pas pour la classe politique à cette capacité de sortir d'ennui ses amis et d'y plonger ses ennemis. » Albin Chalandon, puisque c'est de lui qu'il

s'agit, avait vu juste.

Vous avez, madame la garde des sceaux, la première, rompu avec cette pratique et cet état d'esprit. Il restait à l'inscrire dans le marbre de la loi. Voilà pourquoi la rupture que vous nous proposez est historique.

Le débat que nous avons aujourd'hui s'est déjà tenu dans cet hémicycle il y a un siècle, en 1882, après les débuts de la IIIe République où les républicains de gauche cherchaient à établir une véritable séparation des pouvoirs que l'histoire leur avait obstinément refusée.

A cette époque, tout avait été dit par Clemenceau, mais rien n'avait pu être fait. Voici ce qu'il disait, répondant en quelque sorte à Mme Catala, que nous écoutions attentivement tout à l'heure : « Ce qui a perdu la Révolution, c'est l'empiètement de l'exécutif sur le judiciaire, je devrais dire l'absorption du judiciaire par le pouvoir politique. Les procès avec des juges dans la main des gouvernements sont un moyen d'action politique, un détestable moyen qui se retourne contre ceux qui l'emploient. »

C'est presque une illustration pour M. Toubon !

M. Jean-Luc Warsmann.

Cela n'a rien à voir ! C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg.

« Voulez-vous » poursuivait-il,

« que les gouvernements se passent les juges asservis comme ils se transmettent les fonctionnaires ? »

M. Jean-Luc Warsmann.

Vous dites que les juges du siège sont dans la main du Gouvernement ? C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg.

« Voulons-nous, comme on l'a fait en 1789, fonder sur les ruines de l'Ancien Régime un régime nouveau, un régime établi sur le droit, sur la liberté, sur la justice ? » C'est cette grande oeuvre républicaine, madame la garde des sceaux, que vous nous proposez de reprendre et nous sommes, pour cela, à vos côtés, car l'interdiction des instructions individuelles, enfin inscrite dans la loi, matérialise un renversement radical de perspective. C'est d'abord le droit et l'intérêt général plutôt que l'intérê t politique qui, désormais, prévaudront. En cas de conflit entre les voeux secrets, exprimés peut-être, du pouvoir exécutif de poursuivre ou de ne pas poursuivre en cas d'apparition d'une infraction pénale, et la décision d'un procureur, la loi préfère à l'arbitraire politique l'application pure et simple de la loi, la même pour tous dont le ministère public est le seul légitime porteur.

Les classements sans suite pour la protection des amis politiques en difficulté judiciaire, le découpage autoritaire des procédures en petits lambeaux pour dissoudre les poursuites et protéger quelques notables,...

M. Gérard Gouzes.

Cela me rappelle quelque chose !

M. Arnaud Montebourg.

... les dessaisissements de juges, les coups de téléphone allusifs à la carrière, très bonne pratique il y a encore peu, les interminables enquêtes préliminaires, les mutations de procureurs que les intéressés apprennent dans la presse, ces petites pratiques vulgaires qui sont allées jusqu'à l'affrètement d'hélicoptères pour retrouver un procureur à mettre au pas d'urgence, toutes cachées derrière le paravent scandaleux et opaque de l'opportunité des poursuites, sont terminées parce qu'elles sont désormais rigoureusement interdites.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est faux ! Il y a un article qui prévoit cela dans le texte ! Je le démontrerai demain ! C'est vraiment de la mauvaise foi !

M. Arnaud Montebourg.

Les magistrats du parquet trouveront ainsi et enfin dans ce texte le point d'appui juridique pour refuser l'intrusion du pouvoir politique


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

dans les affaires, que cette intrusion soit téléphonique, télégraphiée, par pigeon voyageur - c'est pour M. Méhaignerie ! Il n'est pas vrai que ce qui est donné d'un côté serait repris de l'autre. La carrière des magistrats du parquet ne dépendra plus du garde des sceaux, car ses propositions de nomination peuvent être contrecarrées par l'obligation de s'entendre avec un Conseil supérieur de la magistrature à la composition renouvelée...

M. Pascal Clément.

Pour le moment, ce n'est pas le problème !

M. Arnaud Montebourg.

... et les absences de proposition de carrière du ministère de la justice seront tempérées dans leurs effets par une mobilité obligatoire - vous nous avez promis, madame la garde des sceaux, que cela serait contenu dans le futur projet organique - et l'impossibilité de demeurer plus de quelques années - cinq, quatre ou trois, le Parlement en délibérera - dans le même ressort judiciaire.

Robert Badinter expliquait que la capacité de rompre avec cette culture de la soumission et de la complaisance dépendrait autant des interdictions codifiées dans la loi - nous les avons - que des garanties statutaires attachées à la carrière : nous les aurons bientôt.

Nous attendons dès lors, avec une impatience particulière, que le Président de la République veuille bien s'inscrire dans le mouvement dont il se réclame et qui est inspiré par les propositions de la commission Truche.

Qu'attend-il donc pour convoquer enfin le Congrès ?

Mme Odette Grzegrzulka.

Bonne question !

M. Jean-Luc Warsmann.

Il faut d'abord débloquer la réforme de la justice que vous avez bloquée !

M. Arnaud Montebourg.

A-t-il peur de donner ces garanties statutaires aux magistrats du parquet ? Il est vrai que le premier gouvernement qu'il avait nommé s'était fait une spécialité de piétiner en place publique les avis que le Conseil supérieur de la magistrature donnait sur les nominations des procureurs.

M. Jean-Luc Warsmann.

C'est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg.

Le contrôle exercé par votre prédécesseur, madame la garde des sceaux, sur les parquets stratégiques de Paris et de la région parisienne, concernés par la litanie des affaires de la ville de Paris, était devenu une spécialité du gouvernement Juppé, et ces affaires occupaient la Place Vendôme à plein temps. Que le Président nous montre donc qu'il entend rompre avec ce passé encombrant ! De nombreuses objections ont été formulées contre ce texte. La crainte a été exprimée que, si le politique ne peut plus entrer par effraction dans les affaires, ce texte jette à l'inverse l'institution judiciaire dans les bras des magistrats du parquet, et que leur arbitraire, leurs caprices, leurs inclinations, leurs humeurs tiennent lieu de politique pénale, sans autre limite que celle que voudrait bien leur fixer leur conscience.

Il faut rappeler ici que l'on n'a jamais fait une politique pénale à coups d'instructions individuelles. Les juridictions répressives d'instruction et de jugement rendent près de quatre millions de décisions par an. Le garde des sceaux est saisi chaque année de soixante mille lettres de requête ou demandes d'intervention dans les affaires. Qui croira que c'est par la correction individuelle, la surveillance des décisions dites sensibles que le ministère de la justice peut orienter efficacement sur tout le territoire, dans le respect du principe d'égalité de tous devant la loi, l'application des textes répressifs ? Il suffit d'aller dans les parquets pour voir qu'il n'y a pas de politique pénale, ou plutôt qu'il y en a autant que de procureurs de la République, voire de substituts.

Nous pourrions aller jusqu'à constater que c'est, en vérité, la survivance quasi-archéologique et, à vrai dire, anti-républicaine de ces instructions individuelles qui est la première cause de cette absence de politique pénale.

Car c'est en contrepartie de l'extrême docilité passée, de la souplesse d'échine des magistrats du parquet dans les affaires signalées, que s'est installée, depuis longtemps, une liberté totale dans toutes les autres affaires, privant l'idée même de politique pénale de la moindre signification et de toute substance.

Il suffit de se rendre dans les parquets pour voir que, selon que l'on va à droite ou à gauche du couloir du ministère public, on n'a pas les mêmes décisions de poursuite, car chacun fait ce qu'il veut.

Voilà pourquoi, madame la garde des sceaux, votre choix d'orienter les priorités pénales par des orientations ou des directives générales fera des futurs gardes des sceaux de véritables ministres de la justice, des chefs d'orchestre qui, sous le contrôle du Parlement, guideront, dans la transparence, la politique des cent vingt parquets de France.

On dit aussi que les magistrats et leurs syndicats se plaignent de cette perte de liberté. Ils ont tort. Car il n'existe pas, en Europe, dans les systèmes judiciaires complexes, d'équilibre où l'autonomie croissante du parquet ne s'accompagne pas d'un encadrement naturel et juridique de ses pouvoirs.

La motivation en fait et en droit - c'est la raison pour laquelle le deuxième volet n'est pas indépendant du premier - des classements sans suite, l'obligation de dresser chaque année le bilan de la mise en oeuvre des directives du ministre de la justice, les rapports faits aux procureurs généraux, les informations données à tout moment sur les choix de politique pénale rendent enfin possibles le contrôle et le regard des justiciables sur les choix de poursuite mis en oeuvre dans chacun des ressorts judiciaires du ministère public.

La commission des recours contre les classements sans suite donnera par ailleurs aux justiciables la possibilité de discuter et de contester, enfin, l'individualisation de cette politique aux cas d'espèce.

Le garde des sceaux abandonne ainsi son contrôle sur les affaires individuelles, mais donne aux justiciables la possibilité de contrôler l'application de sa politique, sur laquelle il prendra ses responsabilités devant le Parlement.

Ce nouvel équilibre - abandon des manipulations par le haut et contrôle de la politique pénale par le bas - institue et introduit les premiers éléments de légalité des poursuites dans notre système.

C'est un grand pas en avant, qui fait progresser l'idée que la loi est appliquée de la même façon pour tous, à situation égale sur la totalité du territoire national.

Mme Frédérique Bredin.

C'est vrai.

M. Arnaud Montebourg.

C'est à ce prix que reviendra la confiance perdue dans l'institution judiciaire.

Mme Frédérique Bredin.

Très bien !

M. Arnaud Montebourg.

Les socialistes sont heureux et fiers de s'engager à vos côtés, madame la garde des sceaux, dans cette grande réforme républicaine, et avec eux les millions d'électeurs qui ont placé leurs espoirs dans la réalisation de nos engagements électoraux.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Mme Odette Grzegrzulka.

Et ils sont nombreux !

M. Pierre Albertini.

Ils sont des milliards ! (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg.

Nous réalisons ici avec force ce que des générations de républicains fervents n'ont jamais pu imposer à leur époque. Vous savez, madame la garde des sceaux, que vous pouvez compter sur notre soutien dans la réalisation de ce grand ouvrage dont nous saluons à la fois le courage et l'ampleur des perspectives qu'il ouvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi.

Les relations entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire s'inscrivent au coeur même du fonctionnement de notre démocratie. Pourtant, j'en conviens avec vous, madame la ministre, elles ont souvent été dévoyées à des fins qui n'honoraient pas le pouvoir politique. Ayons la sincérité de reconnaître que ces interventions de protection ont été pratiquées par tous les camps. Vous-même, madame la ministre, faites partie au premier rang de la génération Mitterrand et, à ce titre, vous avez vu fonctionner de près un pouvoir qui a atteint des sommets en matière d'interventionnisme politique dans la justice.

Mais, loin de se réduire au rappel des erreurs ou des fautes de tel ou tel camp, le débat doit faire progresser le fonctionnement de la justice au service de la démocratie.

Or, madame la ministre, l'objectif de votre projet de loi est bien éloigné de cette grande ambition.

Tout d'abord, en introduisant le ministre de la justice dans le code de procédure pénale, vous prenez un risque énorme. Outre qu'elle me paraît contraire à la Constitution, qui stipule que le Gouvernement dispose de la force armée, mais pas de l'autorité judiciaire, et qui pose le principe de la séparation du pouvoir politique et de l'autorité judiciaire, une telle introduction démontre que vous donnez d'une main ce que vous reprenez de l'autre.

Ensuite, vous vous réservez le droit de mettre l'action publique en mouvement, notamment par voie de réquisitoire, alors que, jusqu'à présent, que je sache, le procureur était l'avocat du ministère. Ferez-vous désormais vous-même appel à un avocat pour aller plaider devant le juge, dès l'instant où vous prendrez vous-même un réquisitoire ? Enfin - et c'est un autre risque -, l'inaction du garde des sceaux peut le rendre responsable chaque fois qu'il semblera, ne serait-ce qu'à l'opinion publique, que l'intérêt général commandait des poursuites que ni le procureur général ni le garde des sceaux n'auront engagées.

C'est finalement une grande nouveauté que de donner des prérogatives particulières au garde des sceaux.

Une nouvelle fois, nous sombrons dans l'artifice et le coup médiatique. Le coup médiatique est évident : le garde des sceaux ne pourra plus donner d'instructions écrites aux procureurs, mais il pourra continuer à converser aimablement avec eux, au téléphone, dans son bureau, des sujets d'actualité, des évolutions climatiques, et, accessoirement, des dernières affaires judiciaires.

M. Gérard Gouzes.

C'est du Pascal Clément !

M. Christian Estrosi.

L'hypocrisie en la matière deviendra sans doute la règle. Nous craignons cependant que ce coup médiatique, qui s'inscrit parfaitement dans la philosophie communicatrice du gouvernement auquel vous appartenez, ne porte durablement atteinte à l'équilibre des pouvoirs dans notre pays.

Prenons garde que, par notre faute, la justice française ne soit prise dans un engrenage que nul ne saurait maîtriser. Pour notre part, nous refusons le gouvernement des juges, car nous considérons qu'un gouvernement ne peut traduire que la volonté populaire et que la loi ne peut exprimer que la volonté générale. Un juge doit faire appliquer la loi, et la loi ne peut être différente selon l'humeur, le caractère ou la sensibilité de tel ou tel procureur. Un justiciable ne peut être traité différemment selon qu'il réside à Hazebrouck, à Paris, à Lyon ou à Nice.

De ce point de vue, le rôle que ce texte confère au procureur général dans le ressort de sa cour d'appel me paraît particulièrement inquiétant. Il est en effet reconnu au procureur le droit d'adapter les orientations générales de la politique pénale définie par le Gouvernement « en fonction des circonstances propres à son ressort ». Ce droit d'adaptation me choque profondément. Que signifient « les circonstances propres à son ressort » ? Ce mot de « circonstances » marque une rupture du principe fondamental de l'égalité des citoyens devant la loi. L'application de la loi ne peut être affaire de circonstances.

Quelles seront ces circonstances ? Le climat, la géographie, la culture locale ou les relations du procureur avec le garde des sceaux ? La subjectivité d'un homme tout puissant ne peut renforcer l'objectivité d'un système collectif. Nous rejetons donc globalement la philosophie d'un texte qui, pour de simples objectifs médiatiques, risque de bouleverser profondément l'organisation judiciaire française. L'autorité judiciaire ne peut devenir pouvoir judiciaire.

Ces craintes sont renforcées par le rôle que vous conférez au procureur général qui devient une instance de recours pour examiner les décisions de classement sans suite prises par les parquets, ou par le renforcement des moyens de contrôle des procureurs sur la police judiciaire. Nous retrouvons là la satisfaction d'une vieille revendication idéologique visant à mettre la police sous tutelle. Je ne suis pas sûr, dans le contexte actuel d'explosion de l'insécurité, que ce contrôle accru soit gage d'efficacité et de sérénité, tant pour les forces de police, qui vont trouver dans ces dispositions la source de nouvelles difficultés dans l'exercice de leurs difficiles missions, que pour les procureurs.

En effet, de quels moyens un procureur disposera-t-il pour agir lorsque le chef de service de la police judiciaire ne sera pas d'accord sur ceux qu'il convient de mettre en oeuvre pour procéder aux investigations nécessaires, ou lorsque les services de police judiciaire auront dépassé le délai fixé par le procureur de la République pour procéder à une enquête préliminaire ? Pour ces raisons, madame la ministre, nous considérons que votre texte est inadapté, inutile et dangereux.

(M. Jean-Luc Warsmann applaudit.)

Mme Frédérique Bredin.

Nous allons donc pouvoir le voter !

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'indépendance estelle une vertu ? Belle réflexion pour un étudiant de philosophie ! Mais de quelle indépendance parle-t-on ? De dépendance de l'esprit, ou de celle du corps des parquetiers ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

L'une des grandes voix de cet hémicycle, mon ami Michel Crépeau, avait assez bien résumé le problème de l'indépendance des magistrats par ces mots : « Je crois plus à l'honnêteté d'Henri Emmanuelli qu'à l'indépendance du juge Jean-Pierre. »

M. Pierre Albertini.

C'est presque injurieux !

M. Alain Tourret.

En réalité, ce terme d'indépendance, d'apparence si noble et qui plaît tant à l'opinion, a tout pollué. Car ce n'est pas d'indépendance qu'il faut parler à propos du parquet de la République, mais d'impartialité.

Et vous l'avez fort bien compris, madame la garde des sceaux, puisque tout votre discours de cet après-midi était centré sur l'impartialité.

Il est bien vrai que, pour les radicaux, il n'est pas même possible d'envisager des procureurs indépendants.

Il s'agit là d'une décision de principe, qui découle de l'analyse que nous faisons des pouvoirs publics, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif voisinant avec une autorité judiciaire. Je me félicite d'ailleurs de la déclaration du Premier ministre qui, ce matin, rappelait avec force que jamais cette autorité judiciaire ne deviendrait un pouvoir judiciaire.

R enforcer cette autorité reviendrait, en réalité, à rompre l'équilibre difficile et délicat de nos pouvoirs républicains. Dans L'Esprit des lois, en 1748, Montesquieu ne présente pas le régime français - rappelons-le mais le régime anglais qui, à l'époque, disposait de l' habeas corpus et reposait sur un parfait équilibre des trois pouvoirs. Or, nous savons très bien que, en France, ce modèle s'est effondré et que la Révolution s'est faite contre un équilibre qui, en réalité, donnait tout pouvoir aux parlementaires de l'époque, c'est-à-dire aux magistrats. La République est venue ensuite, et, de régime en régime, de vicissitude en vicissitude, on est arrivé à 1993.

Un système s'est progressivement établi, qui aurait pu être satisfaisant, et dans lequel le garde des sceaux pouvait adresser des instructions écrites, déposées au dossier et communiquées aux parties.

J'ai écouté avec une grande attention ce qu'a dit M. Méhaignerie. Il a précisé n'avoir utilisé ce système qu'à trois reprises : une fois pour la Française des jeux, en décembre 1993, et deux autres à propos de problèmes de sécurité. M. Toubon, lui, a utilisé d'autres méthodes, ridiculisant jusqu'à l'absurde le poste qu'il occupait.

Certes, madame la ministre, vous avez rompu avec les pratiques de votre prédécesseur et, depuis deux années, votre action fait l'unanimité. Je m'en félicite. Fallait-il pour autant légiférer, alors même que vous aviez démontré, par votre pratique, que les textes actuels permettaient de rendre à la justice l'honorabilité qu'elle avait perdue ? Tout le problème est là.

Fallait-il supprimer les directives particulières au profit de directives générales, qui existaient déjà ? Et ce remplacement est-il parfaitement satisfaisant ? Je crains que la responsabilité de poursuivre, qui appartiendra désormais, dans des affaires difficiles, sensibles, au procureur de la République, ne nuise à l'exercice de la responsabilité politique. Celle-ci appartient de plein droit au garde des sceaux, et donc aux responsables politiques.

En décider autrement, c'est renoncer à son exercice.

Songeons à ce qui s'est passé dans l'affaire du sang contaminé, où le non-exercice de la responsabilité politique a entraîné la mise en jeu de la responsabilité pénale.

Songeons que nous prenons le risque de glisser, petit à petit, comme le dit M. Kiejman, vers un « gouvernement des justes dans un premier temps, gouvernement des juges dans un deuxième temps ». Certes, nous n'en sommes pas là aujourd'hui, mais, petit à petit, par touches successives, cette situation devient possible.

Que s'est-il passé en Italie, si ce n'est une dérive que rien ne laissait prévoir au départ ? La justice italienne, avec ses procureurs indépendants, a en effet d'abord permis de sortir de la crise mafieuse dans laquelle s'était enferré le pays.

M. Pierre Albertini.

Quelle dérive !

M. Alain Tourret.

Puis, petit à petit, on a assisté à une véritable dérive.

Et ce qui a représenté au départ une rénovation extraordinaire de la démocratie a failli être une atteinte mortelle pour elle...

M. Claude Goasguen.

Absolument !

M. Alain Tourret.

... et s'est terminé dans un désordre quasi total, puisque les juges ont fini par s'arrêter entre eux.

Certes, ce texte a évolué, en donnant au garde des sceaux la possibilité d'interjeter appel alors même qu'il a pris l'initiative de l'action publique. C'est une bonne chose.

Certes, après un passage en commission, le texte ouvre aux parties civiles un droit leur permettant d'éviter les décisions aberrantes. C'est également une bonne chose.

Certes, nous avons reconnu cet après-midi que la responsabilité des magistrats conditionnait l'efficacité du texte.

M. Claude Goasguen.

Vous ne connaissez pas le projet !

M. Alain Tourret.

Si ! Un amendement de M. Floch a été adopté en ce sens en commission, et nous verrons bien ce que l'Assemblée décidera.

Toutes ces évolutions sont très positives car nous estimions que ce texte était dangereux, non pas tant dans sa lettre que par le symbole qu'il entretenait.

Ce texte présente également un aspect fort positif en prévoyant une motivation obligatoire des classements sans suite ; nous estimons que c'est un progrès pour la démocratie.

Madame la garde des sceaux, nous attendons beaucoup de la discussion. Si ce texte reste en l'état, nous nous y opposerons complètement. S'il évolue dans un sens républicain, nous en tiendrons compte.

Mais je veux souligner que le débat qui nous a opposés nous a permis de discuter et n'a jamais été médiocre, car les arguments opposés de part et d'autre ont été de qualité, et je crois que ce débat a servi la démocratie.

Peut-être la suite du débat permettra-t-elle - et ce n'est pas M. le rapporteur qui s'opposera à ce voeu - de préserver la République à laquelle nous sommes tant attachés.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur divers bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Frédérique Bredin.

Mme Frédérique Bredin.

Madame la garde des sceaux, je regrette que, pour des raisons techniques, mais surtout politiques, nous ne puissions pas examiner en même temps votre texte sur l'indépendance de la justice, qui est important, et le texte, tout aussi important, sur la responsabilité du service public de la justice.

Raisons politiques, car, semble-t-il, le Président de la République tarde étrangement à faire adopter la réforme constitutionnelle sur le CSM, et nous ne pouvons que le regretter puisque ceci empêche cela.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Je parlerai de la responsabilité des juges, afin que le Gouvernement puisse, dans ce débat, s'engager clairement devant notre assemblée sur cette question centrale.

Indépendance et responsabilité sont en effet deux notions indissociablement liées. La responsabilité est une condition de l'indépendance, et c'est surtout la condition de la réussite de l'indépendance.

Pourquoi l'indépendance du juge nous paraît-elle aussi souhaitable ? Elle n'est pas en soi une vertu, comme l'a dit notre collègue Tourret. Elle n'est pas voulue pour servir la puissance du juge, tel un privilège, ou son confort, telle une commodité nouvelle. Il ne s'agit pas d'ajouter une décoration supplémentaire aux robes et aux hermines.

Le vrai fondement de l'indépendance du juge, hier du siège, aujourd'hui du parquet, c'est qu'elle constitue une garantie de bonne justice, en tout cas un progrès vers cette bonne justice. Et l'indépendance est probablement une condition de la liberté de jugement, une protection des libertés et des droits de chacun contre les puissances dominantes.

Une justice plus juste, tel est bien l'idéal des socialistes.

Mais, ainsi entendue, l'indépendance n'est pas revendiquée pour le juge, comme un attribut de sa force ou de sa dignité, mais pour le justiciable, qui a droit à une meilleure justice.

Dans ces conditions, le juge indépendant ne peut pas être de la caste des irresponsables. Au contraire, si son indépendance exige qu'il ne soit pas sanctionné pour agir en juste, il doit en revanche être déclaré responsable pour être sorti de ses fonctions ou pour ne pas les avoir exercées convenablement.

La responsabilité est donc bien l'aiguillon indispensable de cette indépendance au service de la justice et du justiciable. La liberté d'action signifie la responsabilité des décisions, et le maintien du statut actuel des responsabilités serait contraire, et donc nuisible, à l'objectif visé d'une meilleure justice.

En effet, la situation actuelle est choquante. Le régime actuel de responsabilité des juges est un régime de parfaite irresponsabilité, à la hauteur des responsabilités exercés. Les juges semblent même à l'opinion publique être la dernière caste des intouchables.

Voyons les choses concrètement. Je ne parlerai pas de la responsabilité pénale puisque, bien sûr, les juges sont des citoyens comme les autres, et qu'ils sont, à ce titre, responsables de leurs crimes et de leur délits, mais de la responsabilité civile pour les actes se rattachant étroitement à l'exercice des fonctions judiciaires, ainsi que de la responsabilité disciplinaire.

La responsabilité civile, on peut le dire, n'existe quasiment pas aujourd'hui. La loi de 1972 a limité la responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice aux seuls cas de faute lourde et de déni de justice. Et la jurisprudence s'est chargée de réduire à rien, ou à presque rien, ces deux notions déjà très restrictives.

La loi de 1979 a bien prévu la responsabilité personnelle du juge, mais il n'y a pratiquement jamais eu de jurisprudence sur ce point, ni d'action récursoire exercée par l'Etat à l'encontre d'un magistrat fautif.

La responsabilité disciplinaire existe bien sûr en théorie mais, dans la pratique, elle est très rarement mise en cause. C'est le garde des sceaux qui doit la déclencher en saisissant le CSM, et il le fait rarement.

Les magistrats fautifs sont jugés par leurs pairs, et on connaît la difficulté qu'ont toutes les corporations professionnelles à s'autojuger.

Les décisions prises ne sont pas publiques, ce qui contribue à entretenir cette impression désagréable d'irresponsabilité et diminue l'impact préventif, pédagogique ou dissuasif de ces sanctions disciplinaires à l'égard du corps des magistrats.

Les exemples s'amoncellent sous nos yeux, ce qui n'est pas très grave, mais aussi sous ceux des justiciables, de négligences, de manquements à la loi ou de fautes professionnelles grossières et jamais sanctionnées. Je pense à tel manquement grave au secret de l'instruction, quand la transcription intégrale des procès-verbaux d'audition des juges s'étale dans la presse sans que, lorsque c'est de leur fait - ce qui n'est pas toujours le cas -, des procédures disciplinaires soient lancées par le garde des sceaux à leur encontre.

Je pense à telle déclaration intempestive, à tel propos insultant ou diffamatoire tenu en public et visant l'ensemble d'une profession - celle d'avocat, bien sûr ou bien une personne, de ce fait gravement mise en cause. Ainsi a-t-on entendu à la radio le substitut du lieu traiter de « zéros » des randonneurs égarés et réfugiés dans un igloo, alors même qu'ils n'étaient l'objet d'aucune procédure.

Je pense aussi à la faute professionnelle grossière de magistrats qui s'acharnent publiquement contre un justiciable - nous nous souvenons tous du cas de Mme Villemin - et qu'on retrouve poursuivant tranquillement leur carrière, sans avoir fait l'objet d'aucune sanction, mais ayant fait peut-être d'autres victimes.

Je pense à tel magistrat qui, par sa lenteur ou sa négligence, porte gravement atteinte à la présomption d'innocence. Nous nous souvenons également de cette affaire récente où un homme a été placé pendant six mois en détention provisoire pour un viol dont il n'était pas coupable. Il a fallu attendre tout ce temps pour qu'un test d'ADN soit réalisé et montre qu'il était innocent. Six mois de détention provisoire inutile, donc abusive, par négligence du magistrat ! Il nous faut donc redéfinir le champ de la responsabilité des juges et définir les contours d'une vraie responsabilité de l'Etat et des magistrats à l'égard des justiciables dans le fonctionnement quotidien du service public de la justice. Sans doute cette réflexion n'est-elle pas simple puisque la responsabilité trouve forcément ses limites dès lors que le contenu même des actes juridictionnels est en cause.

Mais cette difficulté, si elle est réelle, ne peut pas servir de prétexte pour ne pas agir et pour proroger le système actuel d'irresponsabilité. Car, nous l'avons dit tout à l'heure, la responsabilité est la condition même de la réussite de l'indépendance, l'essence même de la justice moderne et citoyenne que nous voulons pour notre pays.

C'est notre devoir collectif. Cette réforme de la responsabilité est d'ailleurs attendue et souhaitée par la grande majorité des juges, soucieux, eux aussi, de rétablir la confiance et la légitimité nécessaires au bon fonctionnement de la justice en France.

Nous devons notamment, en ce qui concerne la responsabilité pour faute, modifier la loi de 1972 et faire disparaître la notion de faute lourde en cas de fonctionnement défectueux du service de la justice, pour que la justice, quelle que soit la faute, lourde ou simple, répare le préjudice subi par l'usager justiciable quand elle crée des dommages anormaux.

M. Jean Michel et M. Pascal Clément.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

Mme Frédérique Bredin.

Nous devons aussi nous assurer que la responsabilité pour faute ne soit jamais jugée par la juridiction à laquelle appartient le juge à qui est fait ce reproche.

Nous devons également prévoir que, lorsqu'il y a condamnation de l'Etat en raison de la faute d'un juge, la mention de cette condamnation soit, comme le suggère le rapport Truche, portée au dossier du magistrat.

Nous devons enfin, quand la responsabilité personnelle d'un juge est en cause, selon les termes de la loi de 1979, prévoir une action récursoire systématique contre le magistrat fautif.

En ce qui concerne la responsabilité disciplinaire, il faut prendre quelques mesures simples mais qui feront évoluer sérieusement les choses.

Il faut d'abord renforcer la crédibilité des procédures disciplinaires en les plaçant à l'abri de toute querelle de légitimité. Cela suppose plus de transparence dans la procédure et, notamment, la publicité des audiences devant le CSM. Cela suppose aussi de renforcer le caractère contradictoire de leur déroulement.

Il faut aussi prévoir la publication systématique - et je crois que c'est ce que vous proposez, madame la garde des sceaux -, des décisions disciplinaires et les commentaires doctrinaux qui les accompagnent, comme cela se fait déjà au Canada ou en Italie.

Il faut aussi, et je crois que c'est important, prévoir l'élargissement de la saisine du CSM pour les procédures disciplinaires aux chefs de cour - je crois que c'est ce que prévoit le projet - mais, plus largement, prévoir un droit direct de saisine du CSM par les justiciables,...

M. Pierre Albertini.

C'est de la folie !

M me Frédérique Bredin.

... en prévoyant, bien entendu, les filtres nécessaires, puisque des contestations systématiques pourraient nuire au déroulement normal des procédures.

M. Pierre Albertini.

Vous allez tuer la justice, ou ce qu'il en reste !

Mme Frédérique Bredin.

C'est un mécanisme de contre-pouvoir nécessaire, qui existe déjà dans certains pays. Je suggère à certains de nos collègues de se pencher sur les exemples existants, et en particulier sur celui du Québec, où une fiche pratique est diffusée pour donner des renseignements aux citoyens sur le code de déontologie des juges, sur la manière d'adresser au Conseil de la magistrature une plainte relative à un manquement au code de déontologie et sur la procédure qu'il faut alors suivre.

M. Pascal Clément.

Très bien !

Mme Frédérique Bredin.

Mais la mise en place en France d'un tel système supposerait aussi de définir de manière plus précise qu'aujourd'hui les devoirs et les obligations des magistrats, afin de préciser clairement les règles du jeu pour chacun, à commencer, bien sûr, par les juges.

Enfin, il nous faut réfléchir aussi à la responsabilité sans faute. Il existe déjà dans notre droit quelques régimes spéciaux qui ont prévu une telle responsabilité : la loi sur les procédures de révision, celle sur le fonctionnement de la tutelle, celle sur la détention provisoire.

Mais il nous faudra étendre le champ de cette responsabilité à la détention provisoire, et nous en avons déjà longuement parlé lors du débat sur la présomption d'innocence. Il nous faut rendre systématique l'indemnisation du préjudice subi par la détention provisoire, même s'il n'y a pas de faute caractérisée de la part d'un magistrat ni même du service public de la justice.

M. Alain Tourret.

Très bien !

Mme Frédérique Bredin.

Il faudra sans doute étendre cette indemnisation à d'autres domaines, en matière pénale ou en matière civile, lorsque, par exemple, il y a des contrôles judiciaires pénalisants ou que des décisions se font attendre au-delà des délais raisonnables.

En conclusion, je dirai que le maintien du statut actuel d e l'irresponsabilité serait insupportable à l'opinion publique, qui exige chaque jour davantage que les gens qui ont des responsabilités assument le prix de ces responsabilités. Car le juge est chargé d'une fonction particulièrement grave, celle de juger ses semblables, de trancher leurs différends, de les condamner ou de les absoudre. Il est chargé en réalité de mettre en cause la responsabilité des autres, de chaque citoyen, de façon systématique. Ses pouvoirs sont exorbitants, sans aucun équivalent dans notre société, puisque le juge peut mettre en prison et, sans même recourir à cette extrêmité, affecter gravement les individus dans leur liberté, leurs biens, leur vie familiale et l'exercice de leur activité professionnelle.

La responsabilité est donc un champ de réflexion central, déterminant pour aborder la nécessaire question de l'indépendance, et il est important que notre assemblée sache quel est l'engagement du Gouvernement sur ce point, malgré le blocage de la réforme du CSM par le Président de la République. Vous avez compris, madame la ministre, que nous souhaitions que vous ne preniez pas seulement de petites mesures, mais que vous proposiez une vraie réforme assurant le passage d'un statut d'irresponsabilité au statut d'une justice adulte, libre, et donc responsable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Madame la garde des sceaux, je suis un esprit simple et je me dis que, si autant de voix de membres éminents de la majorité s'élèvent pour exprimer leur réserve ou leur désaccord - je pense au président Fabius, à M. Badinter, à M. Sarre, qui s'est exprimé tout à l'heure, à Mme Bredin dont les propos ne traduisaient pas une approbation franche et massive -, je me dis que, s'il a fallu autant de déplacements de votre part devant les groupes de la majorité pour les convaincre de voter un texte qui touche aux libertés et à la justice, c'est sans doute qu'il représente un vrai danger pour la démocratie.

M. Jacques Floch.

Nous ne sommes pas des godillots ! Là est toute la différence !

M. Philippe Houillon.

Mais ce n'est pas très étonnant, car ce projet de loi participe plus d'une campagne de communication que du progrès de nos institutions judiciaires, dont la légitimité procède seulement du peuple français et n'existe pas en dehors de lui ; or ce texte enlève au peuple une partie de sa souveraineté.

Certes, tout le monde est favorable à l'indépendance des juges et, d'ailleurs, depuis les décisions prises par le gouvernement Balladur, cela ne pose plus de problème et il faut s'en féliciter. Tout le monde est défavorable aux instructions individuelles qui auraient pour but de protéger tel ou tel et qui rompraient ainsi l'égalité des citoyens devant la loi. Tout le monde sait bien, aussi, qu'on ne peut pas empêcher un appel téléphonique ou une visite de courtoisie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

M. Gérard Gouzes.

Ni un voyage en hélicoptère !

M. Philippe Houillon.

D'ailleurs, le projet comporte sa part d'hypocrisie quand il dit très clairement que le ministre de la justice sera informé, à sa demande, de toute affaire dont le parquet est saisi. Cette disposition relativise, convenez-en, l'effet d'affichage souhaité.

En réalité, le projet de loi procède d'une méprise, ou d'un amalgame qui consiste à utiliser le principe de l'indépendance de la justice, qui fait l'unanimité, pour l'appliquer à ceux qui, précisément, n'ont pas pour fonction de juger mais de faire juger.

La vraie question, au-delà des rapports entre la Chancellerie et les parquets, est celle du statut du parquet, que le projet n'aborde pas. Quand il y touche indirectement, c'est dans un sens finalement contraire aux principes qui ont été réaffirmés à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme, comme on l'a vu récemment à l'occasion de l'examen du texte sur la présomption d'innocence.

En fait, ce projet constitue surtout un curieux cumul de paradoxes et de non-sens.

Le pouvoir hiérarchique du garde des sceaux, qui procède du suffrage universel, est supprimé dans le même temps où le rôle des procureurs généraux, qui n'ont plus de lien avec le peuple, devient plus important que celui du garde des sceaux et dans le même temps où les procureurs de la République deviennent les véritables maîtres de l'action publique, quasiment sans aucune sanction.

Le système de l'opportunité des poursuites est maintenu aux parquets alors que la suppression du pouvoir h iérarchique et l'accroissement de leur autonomie commandaient, au contraire, d'instaurer le système de la légalité des poursuites.

De véritables pouvoirs judiciaires sont octroyés aux parquets alors que le principe est, au contraire, celui de la séparation des fonctions de jugement et d'accusation.

Enfin, et surtout - c'était le sens de l'intervention de Mme Bredin - à défaut de légitimité institutionnelle, une plus grande indépendance doit naturellement conduire à une plus grande responsabilité, comme le soulignait la commission Truche. Or rien n'est prévu à ce sujet.

Certes, on nous annonce aujourd'hui un texte futur, mais sa discussion est évidemment indissociable de la discussion de celui qui nous occupe à présent.

Mme Frédérique Bredin.

C'est le Président de la République qui bloque !

M. Philippe Houillon.

Rien n'est prévu non plus, et je le regrette, pour renforcer les droits de la défense, ce qui accroît le déséquilibre des armes, notion que l'on retrouve dans la convention européenne.

Au total, tout cela n'est pas un progrès pour la démocratie. Plus simplement encore, cela n'est pas conforme aux textes européens qui nous régissent.

Madame la garde des sceaux, ces questions sont graves.

Elles sont importantes et ne peuvent être aussi rapidement balayées. J'espère que mes collègues de toutes les formations politiques privilégieront ce qui est essentiel, donc qu'ils rejetteront ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Christine Lazerges.

M me Christine Lazerges.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons entendu dire ce soir qu'il ne fallait pas, à propos de ce texte, parler d'excès d'indignité ou d'excès d'honneur. Eh bien c'est une erreur ! Ce texte n'est ni banal ni anodin.

M. Jacques Myard.

Il est catastrophique !

Mme Christine Lazerges.

C'est un grand projet de loi parce qu'il assure un équilibre jamais atteint jusqu'alors entre la nécessité pour un garde des sceaux de pouvoir imprimer une politique pénale et la nécessité, dans un

Etat de droit démocratique, de garantir l'impartialité et l'indépendance des magistrats du parquet et pas seulement du siège.

La politique pénale n'est autre qu'une stratégie de gestion des comportements déviants et délinquants portant atteinte à l'ordre public. Elle s'exprime par une palette de réponses, la réponse pénale proprement dite n'étant que l'une d'entre elles. Ces réponses sont en effet disciplinaires éventuellement, administratives, civiles, de médiation et même thérapeutiques. En général, l'une ou l'autre de ces réponses intervient après le déclenchement des poursuites. Mais le Parlement ayant décidé d'enrichir la phase préalable à ce déclenchement des poursuites, certaines possibilités sont offertes avant l'exercice même de celles-ci. Ainsi les magistrats du parquet voient-ils leurs missions s'enrichir. De ce fait, la garantie de leur impartialité est encore plus importante qu'auparavant.

Ce n'est bien évidemment pas à coups d'instructions i ndividuelles dans des dossiers particuliers que l'on construit une stratégie globale de réponse au phénomène criminel. C'est une tromperie que de le laisser croire.

C'est l'un de ces arguments fallacieux qui déshonorent les politiques. Une politique pénale se construit, s'exprime, se développe dans les textes que vote le Parlement, puis dans les orientations générales, dans les directives générales du ministère de la justice, aussi nombreuses que possible, relayées dans des réunions de travail entre le garde des sceaux et les procureurs généraux, entre le garde des sceaux et les procureurs de la République. Le texte du projet de loi, dans son article 1er , ne peut être plus pertinent à cet égard. Il rompt avec la pratique exécrable des instructions individuelles dans des dossiers particuliers, à l'origine d'un soupçon vis-à-vis de la justice de notre pays, soupçon qui n'aurait jamais dû se développer à ce point et que nous voulons lever. Du reste, la plupart des articles de ce projet de loi ne font que ratifier la pratique qui est celle de notre ministre de la justice depuis deux ans et dont tout le monde se félicite. Il est d'ailleurs plutôt paradoxal de se féliciter de cette pratique et de critiquer le projet de loi.

Avec la fin des instructions individuelles, les magistrats du parquet ne deviendront pas pour autant des électrons libres. Comme les magistrats du siège, ils ont de tout temps été des serviteurs de la loi - on ne le rappelle pas suffisamment - et ils le resteront. On prétend aussi qu'ils seront irresponsables ou insuffisamment responsables. A cela, il est facile de répondre que le texte que nous sommes en train d'examiner n'est qu'une pièce de la réforme globale dont nous avons déjà examiné trois volets très importants : deux textes adoptés définitivement et celui sur la présomption d'innocence, en cours d'examen.

La réforme n'est donc pas achevée. Elle le sera lorsque le Président de la République voudra bien réunir le Congrès pour adopter la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Nous pourrons ainsi ensuite adopter les lois organiques dont nous avons besoin pour clore cet ambitieux et remarquable projet.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

En définitive, la justice, dont on se demande toujours si elle est un pouvoir, qui est une autorité aux termes de la Constitution, est avant tout un service public, et c'est ce grand service public de la justice que nous voulons voir rénové. Nous voulons en effet qu'il ait les moyens d'exprimer une politique pénale et, dans le même temps, de conjuguer indépendance, impartialité et responsabilité des magistrats. Nous ne pouvons qu'être enthousiasmés par l'ambition de Mme la garde des sceaux, du Gouvernement, et nous seront nombreux à faire en sorte qu'elle se réalise. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Donner des instructions individuelles en faveur de ses amis, qui pourrait demander le maintien de cette pratique ? On ne peut que vous féliciter, madame la garde des sceaux, de ne jamais y avoir eu recours. Certes, comme cela a été dit sur les bancs de l'opposition - cela n'est pas forcément faux pour autant cette pratique n'a jamais concerné qu'une minorité d'affaires, mais il est bon d'en changer, car la justice doit être la même pour tous et cette pratique faisait du tort et à la justice et au politique.

L'indépendance des magistrats du siège existe depuis longtemps et son plein exercice n'a souvent dépendu que de la conscience et du caractère des juges. Elle fut instaurée et codifiée en 1808, qui n'est pas une période particulièrement démocratique dans l'histoire de la France.

Cette indépendance a subi de nombreux avatars au cours des deux siècles écoulés. Mais il s'agit aujourd'hui de la seule indépendance du parquet. Le procureur requiert au nom de la société, mais c'est le juge qui juge. Certes, le procureur décide de l'opportunité des poursuites et c'est un pouvoir d'autant plus considérable qu'il contrôle l'action de la police judiciaire pendant toute la période des investigations.

Plus impressionnant cependant est le pouvoir du juge d'instruction qui peut mettre en examen et, jusqu'au vote définitif du projet de loi sur la présomption d'innocence, mettre en prison tout citoyen dont il instruit l'affaire, au terme d'une procédure jusqu'ici essentiellement inquisitoriale. Vous avez commencé à changer cela, madame la garde des sceaux, en introduisant davantage de contradictoire dans le projet de loi sur la présomption d'innocence. Je fais ce rappel pour replacer dans son contexte l'enjeu que représente la réforme des relations entre la chancellerie et le parquet.

La justice dispose d'un pouvoir considérable. Elle a entre ses mains la liberté du citoyen, qui peut se retrouver brusquement précipité dans l'enfer pénitentiaire, et l'honneur de chacun de nous. A côté des justiciables qui défraient la chronique, il y a ces milliers d'hommes et de femmes, coupables souvent mais pas toujours, qui n'alimentent même pas la rubrique des faits divers et sombrent dans une sorte d'anonymat répressif. Et là le problème est immense. L'Etat, le Gouvernement ne peuvent donc se désintéresser du fonctionnement de la justice. Son indépendance, son impartialité devraient aller de soi, mais le rôle du Gouvernement sera toujours d'y veiller. De même, il doit se préoccuper de l'équité des jugements et de l'universalité de la politique pénale.

Le texte qui nous est proposé fait-il avancer les choses ? Il en a la volonté, c'est évident. Des orientations, voire des directives, se substitueront à des instructions individuelles qui, encore une fois, ne concernaient que quelques affaires, même si cela était dommageable à une bonne administration de la justice. Le texte prévoit la concertation avec les procureurs généraux, et ces derniers pourront demander des avis juridiques à la chancellerie.

Un rôle d'harmonisation leur est dévolu. Le garde des sceaux aura un droit d'action propre contre les classements sans suite, qui devront d'ailleurs être motivés et contre lesquels les justiciables pourront intenter un recours. Enfin, un bilan annuel sera présenté au Parlement par le ministre de la justice. Le Gouvernement ne peut en effet se retirer sous sa tente Place Vendôme, car il doit aussi veiller à ce que les procureurs généraux et les procureurs mettent en oeuvre la politique pénale voulue par l'exécutif et le législatif qui tirent, eux, leur pouvoir du suffrage universel. Or la justice est rendue au nom du peuple français, dont découle tout pouvoir.

Sous l'Ancien Régime, l'autorité découlait du roi mais, même sous la monarchie absolue, les juges étaient relativement indépendants du souverain car ils étaient propriétaires de leur office. Le monarque ne pouvait compter sur les seuls procureurs, avocats du roi. Il devait parfois descendre lui-même dans l'arène judiciaire et tenir des lits de justice, justice retenue, pour briser l'inaction voire la rébellion des parlements.

La République, elle, doit compter sur la conscience des magistrats, leur respect de la loi et leur adhésion à des politiques pénales démocratiquement élaborées. D'ailleurs, ils sont invités à mettre en oeuvre des pratiques de médiation. La loi facilitant l'accès au droit des citoyens va dans le sens de la clarté, de la transparence, de la démocratie.

Je terminerai par quelques questions. Comment ferezvous respecter les politiques pénales ? Comment les ferezvous respecter par les procureurs généraux ? Ceux-ci seront-ils éléments de transmission ? Ne risqueront-ils pas parfois de faire écran ? Comment obtiendrez-vous la cohérence entre les diverses décisions de justice ? L'impartialité, la responsabilité ont été évoquées sur tous les bancs de notre assemblée. Il faut tenir compte aussi du poids des opinions publiques. En effet, à partir du moment où les magistrats du parquet seront indépendants, ils devront faire face aux opinions publiques et il faut ôter de notre esprit cette idée fausse selon laquelle on n'aurait pas le droit de critiquer une décision de justice.

Les décisions de justice peuvent être critiquées comme tous les actes qui interviennent dans une société civilisée.

Il faut aussi penser que la mentalité de nombreux juges évoluera, qu'une nouvelle génération va se lever et que les réformes que vous souhaitez introduire à l'intérieur de l'Ecole de la magistrature prépareront ces hommes et ces femmes à l'exercice d'un nouveau métier.

N ous sommes donc en présence d'une réforme d'ensemble qui, par les débats qu'elle a suscités depuis deux ans, aura au moins réussi à désacraliser la justice car, dans une société laïque, la sacralisation de quelque institution que ce soit est une mauvaise chose. Nous devons faire attention à l'esprit de corps qui existe dans la magistrature, comme d'ailleurs dans d'autres administrations françaises. Nous attendons le vote par le Congrès de la réforme de la Constitution instaurant un nouveau CSM, car ce sera là la clé de voûte du système, encore que, même si les magistrats ne sont plus majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, celui-ci n'en restera pas moins conservateur.

Le texte sur la présomption d'innocence, qui donne lieu à un débat important, nous reviendra en deuxième lecture. Il faut se féliciter qu'il y ait désormais un juge de la détention, un débat contradictoire, une présence de l'avocat dès la première heure, mais lorsque la réforme de la Constitution aura été votée, une fois le nouveau CSM installé, il faudra se préoccuper davantage de la responsa-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

bilité des magistrats. Tout est lié. J'ai l'impression que cette tradition française séculaire, fondée sur l'inquisitorial, commence à reculer et que la procédure accusatoire est en train de progresser, même si personne ne le dit haut et fort.

M. Claude Goasguen.

Si !

M. Louis Mermaz.

On nous dit : « Il y aura une justice pour les riches et une justice pour les pauvres. » Mais

nous avons bien fait en sorte qu'il n'y ait pas des médecins pour les riches et des médecins pour les pauvres, un système hospitalier pour les riches et un système hospitalier pour les pauvres ! Tous nos concitoyens ont droit à la sécurité judiciaire. Or si le système accusatoire progresse, à condition que des moyens soient donnés à la justice et aux justiciables, nous irons justement dans le sens de cette sécurité judiciaire. Cela dit, quand on voit la détresse du monde, les crises, les dictatures, tout ce qui se passe à la surface du globe, on pourrait conclure, comme Pangloss, qu'après tout, chez nous les choses vont pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Mais ce serait une illusion de le penser. Nous ne connaissons certes pas les souffrances et les détresses d'autres pays, mais il y a encore tellement de progrès à faire chez nous pour que la justice soit vraiment la justice que nous ne pouvons que vous soutenir, madame la garde des sceaux, dans tous vos efforts en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Madame la ministre, vous le savez, votre projet est mauvais. Il suscite tellement de critiques, de tous les bords, que c'est véritablement de l'aveuglement idéologique que de ne pas le comprendre. C'est un double coup que vous portez avec ce texte.

Un coup contre la République en voulant donner une indépendance au parquet alors qu'il doit être à l'écoute de la société et du pouvoir politique issu démocratiquement des urnes. Loin de renforcer la justice, vous allez la fragiliser en l'isolant spirituellement de la société civile.

C'est un coup contre la démocratie car, comme cela a été souligné par de nombreux orateurs, une nouvelle fois, le pouvoir politique se démet de ses prérogatives en remettant son pouvoir entre les mains de fonctionnaires, d'une technostructure, même si ces magistrats ont beaucoup de qualité. C'est là un nouvel abandon, un nouveau reniement, un nouveau renoncement.

Aujourd'hui, j'ai écouté des personnes aussi diverses que Nicole Catala ou Georges Sarre. Chacune à leur manière, elles ont dénoncé avec force ce mauvais coup contre la République et notre démocratie. Alors, pour vous grandir, retirez votre projet ! Sinon vous resterez dans l'histoire comme un mauvais ministre de la justice.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Frédérique Bredin.

Quelle tristesse de finir làdessus !

M. Arnaud Montebourg.

Quelle vulgarité !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

2 DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de M. Laurent Fabius, une proposition de loi tendant à modifier la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion.

Cette proposition de loi, no 1725, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de M. André Gerin, une proposition de loi relative au référendum d'initiative populaire.

Cette proposition de loi, no 1726, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de MM. Jean Le Garrec, Daniel Marcovitch et les membres du groupe socialiste et apparentés, une proposition de loi instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France.

Cette proposition de loi, no 1727, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

3 DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de M. Gérard Gouzes, un rapport, no 1724, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de M. Jean Michel, un rapport, no 1732, fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, sur le projet de loi, modifié par le Sénat, portant réforme du code de justice militaire et du code de procédure pénale (no 1413).

4 DÉPÔT D'UN RAPPORT EN APPLICATION D'UNE LOI

M. le président.

J'ai reçu, le 21 juin 1999, de M. le Premier ministre, en application de l'article 42 de la loi no 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire, le rapport annuel de l'inspection générale des affaires sociales pour 1998.


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5 DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, de M. Gaëtan Gorce, un rapport d'information, no 1731, déposé en application de l'article 145 du règlement par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur l'application de la loi no 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.

6 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

MODIFIÉ PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par le Sénat en nouvelle lecture, modifiant l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances.

Ce projet de loi, no 1730, est renvoyé à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 83 du règlement.

7 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI ADOPTÉ AVEC MODIFICATIONS PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat en deuxième lecture, portant création de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires.

Ce projet de loi, no 1729, est renvoyé à la commission de la production et des échanges, en application de l'article 83 du règlement.

8 DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

REJETÉE PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 22 juin 1999, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, et qui a fait l'objet d'un vote de rejet par le Sénat au cours de sa séance du 22 juin 1999.

Cette proposition de loi, no 1728, est renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 83 du règlement.

9

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Aujourd'hui, à neuf heures, première séance publique : Déclaration du Gouvernement sur l'Organisation mondiale du commerce et débat sur cette déclaration.

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion du projet de loi, no 957, relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale : M. André Vallini, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1702).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 23 juin 1999 à une heure.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 22 JUIN 1999

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL de la 3e séance du mardi 22 juin 1999 SCRUTIN (no 172) sur la question préalable opposée par M. Douste-Blazy au projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

Nombre de votants .....................................

257 Nombre de suffrages exprimés ....................

254 Majorité absolue ..........................................

128 Pour l'adoption ...................

114 Contre ..................................

140 L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN Groupe socialiste (251) : Pour : 4. - MM. Jean-Claude Beauchaud , Henri Nayrou , Alain Néri et Michel Pajon

Contre : 129 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Laurent Fabius (président de l'Assemblée nationale).

Groupe R.P.R. (138) : Pour : 98 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Abstentions : 3. - MM. Charles Cova , Robert Galley et Bernard Schreiner.

Groupe U.D.F. (70) : Pour : 6 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-votant : M. Arthur Paecht (président de séance).

Groupe Démocratie libérale et Indépendants (44) : Pour : 6 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe communiste (35) : Contre : 7 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Groupe Radical, Citoyen et Vert (34) : Contre : 4 membres du groupe, présents ou ayant délégué leur droit de vote.

Non-inscrits (5).

Mises au point au sujet du présent scrutin (Sous réserve des dispositions de l'article 68, alinéa 4, du règlement de l'Assemblée nationale) MM. Jean-Claude Beauchaud, Henri Nayrou, Alain Néri, Michel Pajon, qui étaient présents au moment du scrutin, ou qui avaient délégué leur droit de vote, ont fait savoir qu'ils avaient voulu voter « contre ».