N° 1514
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 31 mars 1999.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Gérard CHARASSE, Bernard CHARLES, Jean-Pierre DEFONTAINE, Roger FRANZONI, Robert HONDE, François HUWART, Jean-Paul NUNZI, Jean PONTIER, Jacques REBILLARD, Jean RIGAL, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, MM. Alain TOURRET et Guy LENGAGNE,
Députés.
Santé.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Changer la fin de vie. Tel est l'objectif principal des soins palliatifs : soulager la douleur, apaiser les souffrances psychologiques et morales, accompagner les patients pour permettre une fin de vie digne et humaine.
Aujourd'hui, l'accès aux soins palliatifs reste un privilège exceptionnel. Il doit devenir un véritable droit pour toute personne en phase évolutive ou terminale d'une maladie potentiellement mortelle. Un droit consacré par la loi et inscrit parmi les autres droits de la personne malade.
Consacrer les droits de la personne malade
Qui ne le voit ? Soigner n'est pas seulement médiquer. Le malade n'est pas seulement un corps, c'est d'abord une personne. Avec sa liberté, sa volonté, sa dignité. Avec ses droits, qui doivent être mieux reconnus, mieux garantis par le législateur.
La France est considérée comme le pays des droits de l'homme. Pourtant, les textes ont longtemps tardé à prendre en compte les droits du malade.
C'est seulement en 1974 qu'en annexe à une circulaire du 20 septembre 1974 est définie une « Charte du malade hospitalisé ». Vingt et un an après, ce texte a été réactualisé par une circulaire du 6 mai 1995 « relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une Charte du patient hospitalisé ».
C'est seulement en 1991, avec la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, que la notion de droits du malade apparaît dans un texte législatif. Elle figure aussi dans les lois dites de bioéthique des 25 et 29 juillet 1994 et dans l'ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée.
Il est nécessaire d'aller au-delà et de définir plus complètement les droits du malade, hospitalisé ou non, et de l'usager du système de santé.
Parmi ces droits doit figurer le droit du patient au soulagement de sa douleur. Longtemps négligée, la mise en _uvre par les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux des moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu'ils accueillent est, depuis la loi du 4 février 1995, inscrite à l'ar ticle L. 710-3-1 du code de la santé publique.
Il importe d'aller plus loin. En consacrant désormais un véritable droit à la prise en charge de la douleur, en particulier pour le patient accueilli dans les établissements précités.
Garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs
Enfin, l'ultime droit de la personne gravement malade, c'est le droit à une mort digne. En particulier par l'accès aux soins palliatifs, qui préservent la meilleure qualité de vie possible jusqu'au décès.
Pourtant, dans notre pays, les soins palliatifs et l'accompagnement des malades en fin de vie sont trop rarement assurés. Ils
connaissent un important retard par rapport à d'autres pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas.
En 1985, le secrétaire d'Etat à la santé met en place une commission présidée par Mme Geneviève Laroque, qui remet son rapport en 1986. Ce rapport inspire la circulaire du ministre des affaires sociales du 26 août 1986 sur « l'organisation des soins et l'accompagnement des malades en phase terminale ». Enfin, la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière inscrit les soins palliatifs, à côté des soins préventifs et curatifs, parmi les missions du service public hospitalier (art. L. 711-4 du code de la santé publique).
Pourtant, les soins palliatifs restent encore exceptionnels, tant au domicile des patients qu'à l'hôpital et en institution, là où plus de 70 % des décès ont lieu aujourd'hui.
Alors que le St Christopher's Hospice a été créé à Londres dès 1967, il a fallu attendre 1987 pour que la première unité de soins palliatifs soit ouverte en France à l'hôpital international de la cité universitaire de Paris.
A la fin 1998, dans notre pays le nombre des unités de soins palliatifs (USP) résidentielles (unités fixes avec lits) n'était encore que de 54, soit une capacité d'admission de seulement 576 lits.
Chaque lit pouvant accueillir environ 9 patients par an, ces 576 lits d'hospitalisation ne permettent d'accueillir chaque année qu'environ 5200 patients, soit un peu moins de 1 % des 530 000 personnes qui décèdent annuellement en France.
Sur ces 530 000 personnes, 150 000 patients au moins, souffrant de cancers et de troubles neurologiques dégénératifs au stade terminal, auraient impérativement besoin de soins palliatifs. Les USP ne
peuvent donc accueillir qu'environ 3,5 % de ces 150 000 patients.
En outre, les spécialistes de l'accompagnement estiment que la demande de soins palliatifs est très largement sous-estimée et concerne bien plus que ces 150 000 cas par an.
Fin 1998, il existait aussi 74 équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), dont le nombre a progressé dans la période récente.
Enfin, les soins palliatifs à domicile restent très insuffisamment dispensés, alors qu'ils offrent une alternative à l'hospitalisation en permettant le maintien ou le retour au domicile. Pourtant, ce mode de prise en charge ne s'est jamais réellement développé dans notre pays. Aujourd'hui, peu de structures - une dizaine environ - se consacrent pour tout ou partie à la prise en charge et au suivi à domicile.
Autre handicap, par ailleurs : la formation aux soins palliatifs des professionnels de santé (médecins, infirmières, etc.) reste insuffisamment assurée, surtout au cours de la formation initiale. Il en va de même de la recherche.
A l'évidence, il faut de remédier à ces carences, à l'insuffisance manifeste de l'offre de soins palliatifs en France et à son inégale répartition sur le territoire, facteur d'inégalité de traitement entre les malades en fin de vie.
Le plan triennal de développement des soins palliatifs lancé en avril 1998 par le secrétariat d'Etat à la santé devrait marquer un premier progrès dans la voie de la généralisation de ces soins. Mais sera-t-il suffisant, notamment au plan de l'engagement financier, pour remédier aux carences actuelles ? Et permettra-t-il d'atteindre assez rapidement les deux principaux objectifs qui seraient en fait nécessaires : c'est-à-dire, d'une part, l'ouverture dans chaque CHU d'une unité de soins palliatifs résidentielle comportant au minimum 10 à 15 lits et, d'autre part, l'existence dans chaque département français d'une structure spécialisée en soins palliatifs (USP ou EMSP), alors que, fin 1998, 40 départements ne disposaient ni d'unité avec lits ni d'équipe mobile de soins palliatifs ?
Il importe donc que des dispositions législatives soient prises pour conforter l'action engagée et ses financements, pour garantir un véritable droit à l'accès aux soins palliatifs, comme l'ont fait en Suisse les lois promulguées en 1990 et en 1995 par les cantons du Jura et de Neuchâtel.
Attribuer une enveloppe spécifique aux soins palliatifs
Par ailleurs, jusqu'à une date récente, le développement des soins palliatifs a été entravé par plusieurs contraintes liées au taux général d'évolution annuelle des dépenses de santé et aux rigidités de la planification sanitaire.
La rigueur budgétaire qui leur est imposée et la faible progression du taux directeur d'évolution des dépenses hospitalières ne permettent guère aux établissements de santé de disposer de tous les crédits qui leur seraient nécessaires pour faire face à l'ensemble des besoins. Le développement des soins palliatifs a longtemps pâti de ces contraintes budgétaires drastiques imposées aux hôpitaux, dès lors conduits à des arbitrages difficiles entre des besoins également nécessaire à satisfaire et souvent portés à développer les activités médico-chirurgicales « innovantes » ou leur plateau technique plutôt que les structures de soins palliatifs.
L'annonce par le secrétaire d'Etat à la santé d'un crédit spécifique affecté au développement des soins palliatifs constitue un progrès notable. Il convient de le pérenniser au plan législatif. En décidant que la dotation budgétaire accordée aux structures de soins palliatifs accréditées sera répartie, après avis de la Conférence nationale de santé, entre les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), puis au niveau régional par celles-ci, dans le cadre d'une enveloppe spécifique.
De même, il importe que la carte sanitaire et le schéma d'organisation sanitaire prennent en compte l'offre de soins palliatifs et la satisfaction des besoins de la population en soins palliatifs.
Favoriser l'accompagnement par les proches et les bénévoles
Par ailleurs, il convient d'instituer, comme l'ont fait le Danemark en 1990 et la Belgique en 1995, un congé d'accompagnement dont puisse bénéficier toute personne devant suspendre ou réduire son activité professionnelle pour accompagner un proche pendant la phase palliative terminale de sa fin de vie.
Il importe également de soutenir l'action des bénévoles formés à l'accompagnement des malades en fin de vie qui, sans interférer avec la pratique des soins médicaux et paramédicaux, apportent leur très utile concours à l'équipe de soins en participant à l'ultime accompagnement du malade et en confortant, par leur présence et leur compétence, l'environnement social et affectif du malade et de son entourage.
L'ensemble de ces dispositions législatives devrait contribuer à changer la fin de vie, à améliorer les conditions de fin de vie dans notre pays. Pour assurer aux personnes gravement malades le droit à une mort digne.
Instituer une délégation parlementaire
pour les droits des malades en fin de vie
Afin de suivre attentivement la mise en _uvre de la présente loi, le Parlement mettra en place une délégation parlementaire pour les droits des malades en fin de vie, composée de 15 députés et de 15 sénateurs désignés dans chaque assemblée à la proportionnelle des groupes.
Celle-ci aura pour mission d'informer les assemblées dont elle est issue de l'application de la présente loi et de l'évaluation de ses résultats quant au développement de l'offre de soins palliatifs et à l'amélioration des conditions de fin de vie.
Cette délégation bénéficiera des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Le Gouvernement lui communiquera tout document nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Par ailleurs, elle s'attachera à recueillir informations et avis sur les difficiles problèmes de la fin de vie en auditionnant médecins, pharmaciens, infirmières, personnels paramédicaux, psychologues, responsables des associations de bénévoles, autorités spirituelles et philosophiques, représentants des comités d'éthique.
Cette délégation présentera, avant le 30 juin 2000, un rapport parlementaire d'information et d'évaluation sur l'état des droits des malades en fin de vie.
Dans ce rapport, la délégation informera également les assemblées de la situation de ceux des patients incurables en phase terminale dont même les soins palliatifs ne parviennent plus à soulager la douleur. Elle précisera, le cas échéant, les mesures, éventuellement législatives, qui pourraient être proposées pour permettre pour ces patients aussi l'exercice du droit à une mort digne. En se fondant sur le respect de la volonté exprimée par le malade, sur le libre choix par chacun de son destin personnel, bref sur le droit des patients à disposer d'eux-mêmes. Ultime espace de liberté et de dignité.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Avant l'article L. 710-1 du code de la santé publique, sont insérés des articles ainsi rédigés :
« Art. L. 709-1. - Toute personne malade, tout usager du système de santé a des droits.
« Art. L. 709-2. - Parmi ces droits figure le droit du patient au soulagement de sa douleur.
« Art L. 709-3. - Chacun a le droit à une mort digne. Toute personne en phase évolutive ou terminale d'une maladie potentiellement mortelle a le droit d'avoir accès à des soins palliatifs.
«Ces soins, dispensés par une équipe pluridisciplinaire en institution ou à domicile, visent à soulager la douleur, à apaiser les souffrances psychologiques et morales, à préserver la dignité de la personne malade et la meilleure qualité de vie possible jusqu'à son
dé cès.»
Article 2
Les deux premiers alinéas de l'article L. 710-3-1 du code de la santé publique sont ainsi rédigés :
« Les établissements de santé, publics ou privés, et les établissements sociaux et médico-sociaux mettent en _uvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu'ils accueillent et à assurer les soins palliatifs que requiert leur état. Pour les établissements de santé publics, ces moyens sont définis par le projet d'établissement visé à l'article L. 714-11.
Les centres hospitaliers et universitaires assurent, à cet égard, la formation initiale et continue des professionnels de santé, contribuent à la recherche et diffusent les connaissances acquises en vue de permettre la réalisation de cet objectif en ville comme dans les établissements. Chaque centre hospitalier et universitaire met en place une unité de soins palliatifs comportant au minimum 10 à 15 lits. Dans chaque département, il doit exister au moins une structure spécialisée dans ces soins : unité de soins palliatifs résidentielle ou équipe mobile de soins palliatifs. Le système de santé s'attache également au développement des soins palliatifs à domicile.
Article 3
Avant l'article L. 710-19 du code de la santé publique, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 710-18-1. - Les crédits destinés aux structures de soins palliatifs sont répartis, après avis de la conférence nationale de santé, entre les agences régionales de l'hospitalisation, puis au niveau régional par celles-ci, dans le cadre d'une dotation spécifique. »
Article 4
L'article L. 712-3-1 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La carte sanitaire et le schéma d'organisation sanitaire prennent en compte l'offre de soins palliatifs et la satisfaction des besoins de la population en soins palliatifs. »
Article 5
Un congé d'accompagnement est ouvert à toute personne devant suspendre ou réduire son activité professionnelle pour accompagner un proche pendant la phase palliative terminale de sa maladie. Un décret en Conseil d'Etat en définit les modalités.
Article 6
Des bénévoles, formés à l'accompagnement de la fin de vie et faisant partie d'associations spécialisées et agréées, peuvent, avec le consentement de la personne malade ou de ses proches et sans interférer avec la pratique des soins médicaux et paramédicaux, apporter leur concours à l'équipe de soins en participant à l'ultime accompagnement du malade et en confortant l'environnement social et affectif de la personnel malade et de son entourage.
Les conditions de leur intervention sont définies par un décret en Conseil d'Etat.
Article 7
Afin de suivre la mise en _uvre de la présente loi, il est constitué une délégation parlementaire pour les droits des malades en fin de vie, composée de 15 députés et de 15 sénateurs désignés dans chaque assemblée à la proportionnelle des groupes.
Cette délégation a pour mission d'informer les assemblées dont elle est issue de l'application de la présente loi et de l'évaluation de ses résultats quant au développement de l'offre de soins palliatifs et à l'amélioration des conditions de fin de vie.
La délégation bénéficie des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Elle reçoit du Gouvernement communication de tout document nécessaire à l'accomplissement de sa mission. Elle procède à l'audition de toute personne dont elle juge le témoignage utile.
Elle présentera, avant le 30 juin 2000, un rapport parlementaire d'information et d'évaluation sur l'état des droits des malades en fin de vie. Ce rapport précisera, le cas échéant, les dispositions supplémentaires, éventuellement législatives, qui pourraient être proposées pour permettre l'exercice par chacun du droit à une mort digne.
Article 8
Les dépenses nouvelles résultant de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
N°1514. - PROPOSITION DE LOI de M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs (renvoyée à la commission des affaires culturelles)
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