N° 2348
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 avril 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à instaurer un droit de retrait de l'associé minoritaire d'une société commerciale fermée.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Yves NICOLIN,
Député.
Sociétés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les associés des sociétés pluripersonnelles fermées peuvent en principe librement céder leurs titres, sous condition d'agrément des autres associés, selon que le cessionnaire est un tiers, un autre associé ou encore un conjoint, ascendant ou descendant. En raison du principe d'intangibilité du capital, ce retrait n'est pas un droit puisqu'il faut trouver un successeur et le faire agréer, à défaut de quoi la société qui refuse l'agrément du successeur doit racheter ou faire racheter les droits de l'associé qui souhaite se retirer.
Toutefois, il arrive fréquemment que l'associé minoritaire ne trouve aucun acquéreur pour ses droits sociaux, dans la mesure où il n'existe pas de marché organisé permettant l'échange des titres des sociétés non cotées et où leur valeur se trouve dépréciée du fait de leur caractère minoritaire, privant souvent l'éventuel acquéreur de tout espoir de contrôler l'entreprise.
Ainsi, l'associé minoritaire ou égalitaire non gérant d'une société fermée se retrouve, de fait, prisonnier de ses parts sociales dès lors qu'il n'existe aucun acquéreur à l'extérieur ou à l'intérieur de la société, puisque les autres associés ne sont pas dans ce cas tenus de lui racheter ses parts.
C'est la raison pour laquelle il convient d'instaurer cette possibilité de retrait pour justes motifs de l'associé de société fermée, lorsqu'il est minoritaire ou égalitaire non gérant, par un nouvel article 60-2 à la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
1) L'associé est obligatoirement libéré de ses titres s'il trouve un acquéreur
Les intérêts patrimoniaux et extrapatrimoniaux des associés minoritaires des sociétés commerciales sont protégés par la loi qui leur garantit des droits à l'information, le droit de vote, un droit aux dividendes et aux réserves ainsi que le droit, plus ou moins effectif, de céder ses titres.
Si l'acquéreur de ces titres est déjà associé, aucun agrément n'est requis sauf clause contraire des statuts, puisque le cessionnaire est déjà connu des autres associés et que l'opération n'aura pour conséquence que de modifier la répartition des parts sociales.
Si au contraire cet acquéreur est étranger à la société, l'article 45 de la loi du 24 juillet 1966 prévoit que "les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu'avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quart des parts sociales".
En cas de refus d'agrément, les associés doivent, dans un délai de trois mois à compter du refus (éventuellement prolongé une fois par le président du tribunal de commerce), acheter ou faire part du cédant soit par un tiers choisi par eux, soit par la société avec réduction du capital social.
Le prix d'achat est alors fixé en cas de désaccord sur cette valeur des parts, dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil, c'est-à-dire par un expert nommé soit par les parties elles-mêmes soit à défaut d'accord, par le président du tribunal de commerce.
En tout état de cause, pour que cette libération des parts du cédant soit possible, il faut que le projet de cession soumis à agrément de l'assemblée générale soit ferme, c'est-à-dire conclu avec un cessionnaire interne ou externe, réellement engagé et sur un prix déterminé.
2) L'associé minoritaire reste trop souvent prisonnier de ses titres, faute de marché organisé
Pour les sociétés commerciales non cotées, il n'existe par définition aucun marché où pourraient se retrouver cédants et cessionnaires potentiels de droits sociaux.
Seules les petites annonces publiées dans des périodiques ou disponibles auprès des tribunaux de commerce peuvent permettre, marginalement, les contacts entre vendeurs et acquéreurs de titres.
Cependant, lorsqu'il s'agit d'un associé minoritaire ou égalitaire non gérant, ces titres ne présentent souvent que peu d'intérêt pour les tiers qui n'auraient pas en procédant à leur acquisition les moyens ni l'espoir de contrôler la direction et l'activité de l'entreprise concernée.
La seule valorisation des titres n'est pas en effet dans ce cadre un motif déterminant pour leur acquisition, dans la mesure notamment où les possibilités de revente sont très limitées et où l'opportunité de distribution de dividendes aux porteurs de parts relève de l'appréciation quasi souveraine de l'assemblée générale, c'est-à-dire concrètement des associés majoritaires et du gérant.
Il en résulte en cas de défaut d'acquéreur pour les parts minoritaires un enfermement de l'associé dans la société, qui met en _uvre tous les moyens pour se dégager, aboutissant à une dramatisation du conflit et à une perturbation du fonctionnement de la société, la seule issue restant la dissolution de la société par voie amiable ou le plus souvent judiciaire.
Faciliter la sortie de l'associé d'une société fermée permet donc de solutionner un problème à la fois individuel et collectif.
C'est pourquoi, à l'image du dispositif prévu à l'article 1869 du code civil pour les sociétés civiles, il est proposé d'instaurer un droit de retrait pour justes motifs de l'associé minoritaire ou égalitaire non gérant d'une société commerciale fermée.
L'évaluation des titres s'effectuera par une expertise neutre et dans les conditions habituelles de l'article 1843-4 du code civil, en tenant compte notamment de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
Après l'article 60-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, il est inséré un article ainsi rédigé :
" Art. 60-2. - Sans préjudice des droits des tiers, tout associé minoritaire ou égalitaire non gérant peut être autorisé, par ordonnance du président du tribunal de commerce, à se retirer de la société pour justes motifs.
" L'associé qui se retire a droit au paiement de la valeur de ses droits sociaux, fixé à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4 du code civil. "
2348 - Proposition de loi de M. Yves Nicolin tendant à instaurer un droit de retrait de l'associé minoritaire d'une société commerciale fermée (commission des lois)
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