N° 2890
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 janvier 2001.
PROPOSITION DE LOI
tendant à réformer la prescription en matière pénale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Alain TOURRET, Bernard CHARLES, Jean PONTIER, Gérard CHARASSE, Jean-Pierre DEFONTAINE, Roger FRANZONI, Robert HONDE, Jean-Paul NUNZI, Jacques REBILLARD, Jean RIGAL, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, MM. Émile VERNAUDON et Aloyse WARHOUVER,

Députés.

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'action publique peut être définie comme " le pouvoir qu'une personne tient de la loi pour obtenir d'un organe juridictionnel étatique qu'il sanctionne le droit dont elle se dit titulaire ".
Notre société a rappelé que l'Etat, au terme de son pouvoir régalien doit rendre la justice à celui qui la lui réclame.
Faute de quoi se généraliseront et la vengeance privée résultant de la loi du talion et l'anarchie dans l'ensemble des rapports entre les individus.
Parmi les causes d'extinction de l'action publique, on doit relever en premier lieu la prescription, une notion commune au droit pénal et au droit civil.
En droit civil, la prescription de droit commun est de trente ans mais le code civil prévoit des courtes prescriptions (articles 2271 et suivants).
Le code de procédure pénale prévoit en ses articles 7, 8 et 9 des prescriptions en matière d'exercice de l'action publique : dix années pour les crimes, à compter du jour où l'infraction a été commise ou à compter du dernier acte d'instruction, trois années pour les délits, une année pour les contraventions.
Les exceptions aux principes dégagés par les articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale sont nombreuses ; des délais plus longs ont été prévus pour des infractions que le législateur a, à un moment donné, considéré comme particulièrement graves :
- Les crimes contre l'humanité (article 213-5 du code pénal, loi du 26 décembre 1964) sont considérés comme imprescriptibles.
- Les crimes de désertion à bande armée et de désertion à l'ennemi ou en présence de l'ennemi ou lorsqu'un déserteur ou un insoumis s'est réfugié à l'étranger en temps de guerre pour se soustraire à ses obligations militaires sont également imprescriptibles (article 94 alinéa 2 du code de justice militaire).
- Les infractions à la législation sur les stupéfiants se prescrivent par trente ans pour les crimes et par vingt ans pour les délits (article 706-31 du code de procédure pénale, loi du 8 février 1995).
- Les infractions à la législation sur le terrorisme se prescrivent par trente ans pour les crimes et par vingt ans pour les délits (article 706-25-1 du code de procédure pénale).
- Les agressions sexuelles commises sur un mineur sont prescrites par dix années (article 222-20 et 227-26 du code pénal).
En revanche, certaines infractions se prescrivent par trois mois, notamment celles relevant de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Certaines infractions atypiques se prescrivent pour des raisons que l'on ignore par une durée spécifique : ainsi six années pour l'infraction aux règles du défrichement (code forestier, article L. 313-5).
En théorie, le délai de prescription court à compter du lendemain de la commission de l'infraction mais la jurisprudence a interprété la loi en opérant des distinctions pour les infractions instantanées, ou encore en retardant le point de départ du délai susceptible d'être invoqué.
- Pour le recel, le délai commence à courir du jour où la détention frauduleuse de l'objet a cessé.
- Pour les délits commis dans le cadre du redressement judiciaire, au jour du jugement prononçant le redressement judiciaire et non à la date de commission des faits.
- Au jour de la découverte de l'infraction pour les abus de confiance, les abus de biens sociaux, ou pour les délits dont " la clandestinité est un élément constitutif " (articles 226-1 et 226-19 du code pénal).
La loi du 17 juin 1998 ne fait courir, pour les mineurs victimes d'infraction, la prescription qu'à compter de leur majorité.
Le régime de la prescription relative aux peines prononcées diffère de celui relatif à l'action publique. Il est de vingt années pour les crimes, cinq années pour les délits et deux années pour les contraventions, à compter du moment où les condamnations sont devenues définitives (articles 133-2-3 et 4 du code pénal).
Aucune justification n'a jamais été donnée sur ces durées, pas plus que nul n'a pu trouver de justification convaincante à un double système de prescription, l'un relatif aux infractions, l'autre relatif aux sanctions.
La justification de la prescription elle-même relève de théories immémoriales. Elle s'inscrit dans l'esprit des textes les plus anciens.
Ainsi peut-on trouver comme explication :
- La loi de l'oubli, l'opinion ayant renoncé à réclamer vengeance.
- La négligence de la partie poursuivante, que cela soit la partie civile ou le ministère public ou encore le juge d'instruction.
- Le dépérissement des preuves.
- L'existence du remords chez le délinquant, équivalent de la sanction, rendant de ce fait inutile une double peine.
Si l'on ne peut envisager avec la Common Law de renoncer à la prescription, ne serait -ce que pour garder aux crimes contre l'humanité leur spécificité, on doit bien considérer que les lois d'espèce ou la jurisprudence ont considérablement réduit la portée de la prescription.
Ne doit-on pas en effet considérer que l'impunité est un encouragement à persévérer dans la délinquance, que dans des affaires criminelles, notamment en cas de crimes de sang, la prescription est un appel à la vengeance privée ?
Des pénalistes célèbres comme Beccaria et Bentham ont fortement critiqué le principe même de la prescription, refusé en matière de crime par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne.
Une affaire récente, avec la commission de sept assassinats de jeunes filles sur une durée de deux années, a montré le paradoxe qu'il y a, à pouvoir invoquer la prescription, alors même que cela ne serait possible ni en matière de recel ni en matière d'abus de biens sociaux.
La commission de lutte contre la corruption avait, en son temps, souligné l'hétérogénéité des prescriptions en matière de délits économiques pour proposer, comme Pierre Mazeaud, le fait de retenir une prescription générale de six années en matière de délit.
La présente proposition de loi souhaite revenir à des principes qui ont été peu à peu abandonnés :
- l'unification ;
- la simplification ;
- la protection des faibles.
· Unifier notre système de prescription en ne retenant qu'un seul système de prescription aussi bien pour les infractions que pour les sanctions ; en s'alignant sur les prescriptions les plus longues par volonté de défendre les victimes.
· Simplifier en ne retenant que la date de commission des faits, du fait de la durée de la prescription des délits désormais fixée à 6 ans (sauf acte interruptif).
· Etendre le système de protection des mineurs, aux majeurs bénéficiant d'une protection juridique au titre des incapables sous une curatelle ou une tutelle, pendant la durée de celle-ci.
Tel est l'objet de la présente loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article 7 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
" En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où le crime a été commis, si dans cet intervalle il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.
" S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après vingt années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.
" Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des mineurs ne commence à courir qu'à compter de la majorité de ces derniers.
" Le délai de prescription de l'action publique des crimes commis contre des personnes sous tutelle ou sous curatelle ne commence à courir qu'à la fin de leur tutelle ou de leur curatelle. "

Article 2

L'article 8 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
" En matière de délit, la prescription de l'action publique est de six années révolues ; elle s'accomplit selon les dispositions spécifiques à l'article précédent.
" Le délai de prescription de l'action publique des délits commis contre les mineurs ne commence à courir qu'à la majorité de ces derniers.
" Le délai de prescription de l'action publique des délits commis contre les personnes sous tutelle ou sous curatelle ne commence à courir qu'à la fin de leur tutelle ou de leur curatelle. "

Article 3

L'article 9 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
" En matière de contravention, la prescription de l'action publique est de deux années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7. "

Article 4

L'article 133-3 du code pénal est ainsi rédigé :
" Les peines prononcées pour un délit se prescrivent par six années révolues à compter de la date à laquelle la décision est devenue définitive. "

Article 5

La prescription ne commence à courir quelle que soit l'infraction que le lendemain du jour où l'infraction a été commise, si dans l'intervalle il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.

Article 6

L'article 94 alinéa 2 du code de justice militaire est abrogé.
2890 - Proposition de loi de M. Alain touret tendant à réformer la prescription en matière pénale (commission des lois)


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