N° 3499
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2001.
PROPOSITION DE LOI
instituant le droit de mourir dans la dignité.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Jean-Pierre MICHEL et Jacques DESALLANGRE,
Députés.
Bioéthique.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La mort hante les humains tout au long de leur existence. Il n'appartient certes pas au législateur de répondre aux questions ultimes que se posent nos contemporains. D'autres s'y efforcent (philosophes-religieux) ; simplement le moment est sans doute venu de préciser le champ des droits de chacun sur son existence propre, compte tenu de l'éthique et de la citoyenneté. L'approche de la mort est, de nos jours encore dans notre pays, un domaine où ce qui peut rester de liberté et de droit à la personne n'est que très insuffisamment reconnu. Et, c'est ainsi que le droit au suicide, longtemps nié, sauf celui des martyrs se suicidant pour ne pas obscurcir leur foi, n'a été implicitement admis par la loi qu'a la Révolution, que la douleur depuis longtemps surmontable ne l'est, parfois en théorie seulement que depuis la fin du xxe siècle, que la liberté de quitter, avec l'aide d'autrui, une vie devenue insupportable ou contraire au sentiment de sa dignité est en principe sévèrement réprimée aujourd'hui encore.
Contrairement à d'autres textes pénaux comme celui de l'Espagne ou celui de la Suisse, notre code pénal ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle préparée et infligée dans la plus noire intention, celle qui est qualifiée d'assassinat, et punie de la réclusion criminelle à perpétuité. A la législation répressive s'ajoutent les règles de déontologie, qui sont aussi dissuasives. Le code de déontologie dans son article 38 stipule que le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort » de son malade. Cependant le corps médical pratique assez fréquemment ce que l'on peut qualifier de « lente euthanasie ».
Il s'agit alors d'administrer à un malade des antalgiques de plus en plus puissant destinés à alléger sa souffrance, même s'ils risquent d'abréger sa vie. Cette façon de procéder est, en principe, non répréhensible, puisque l'intention du médecin n'est pas de provoquer la mort de son patient, mais de soulager sa douleur. Le critère réside donc dans l'intention de l'auteur de l'acte et l'excuse, de ce que l'on dénomme « la loi double effet », permet de pratiquer une lente euthanasie pour les malades en phase terminale, éprouvant d'intenses douleurs physiques. Cette façon de procéder a certes des avantages, mais apparaît aussi comme une profonde hypocrisie, montrant la situation de malaise dans lequel se trouve un médecin confronté à la phase ultime et douloureuse de la maladie de son patient.
S'il est prouvé qu'il a agi avec l'intention de provoquer la mort de ce malade, il risque outre une condamnation pénale d'être suspendu ou interdit de l'exercice de sa profession.
On le sait, la sédation aux conséquence fatales accompagne généralement la cessation des soins thérapeutiques lorsque ceux-ci sont jugés déraisonnables. La personne en cause, n'a pas eu part à la décision. On mesure la différence avec, par exemple, l'actuelle législation hollandaise ou celle déjà votée en première lecture par le Sénat belge.
On ne peut qu'être saisi d'un profond étonnement en constatant que notre pays, qui s'enorgueillit de son antériorité quant à la définition des droits de l'homme et du citoyen et de son ouverture aux libertés individuelles, reste l'un d'entre les pays développés dont la loi et même la pratique sont le moins favorable à l'exercice du droit fondamental de chaque être humain sur sa propre vie.
Cela est en contradiction totale avec les souhaits plusieurs fois exprimés, à l'occasion de sondages, par les citoyens de notre pays. Ceux-ci estiment, avec une remarquable constance, que sur ce point la loi, comme la déontologie médicale, sont devenues inadéquates, anachroniques, injustes. Pour ne répondre qu'à la question aujourd'hui posée, la dépénalisation de l'aide apportée à mourir, sur la demande expresse de la personne concernée, est souhaitée par 77 % des sondés en 2001.
Ce sondage a été réalisé alors qu'était intervenue la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. Cette loi constitue une avancée importante sur la voie, ouverte en France à la fin seulement des années 80, de la prise en considération des besoins de la personne gravement malade, qui souffre physiquement et psychiquement. Entre les soins palliatifs voire l'accompagnement des mourants, et la possibilité donnée de fixer le terme d'une vie devenue insupportable, il y a non pas contradiction, mais souvent complémentarité. Vouloir opposer, comme le font souvent les acteurs des soins palliatifs, ceux-ci et l'assistance au suicide ou le geste euthanasique, est une erreur inspirée par certains préjugés ; tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut bien, à partir d'un certain moment, souhaiter hâter une fin que sa conscience réclame et qu'il ne peut plus se procurer seul. Le moment est venu de venir en aide à celles et ceux qui sont dans une situation telle que leur volonté de quitter la vie soit devenue plus forte que leur désir d'y demeurer encore quelques jours ou quelques semaines.
La présente proposition de loi, ne vise en aucun cas à banaliser un acte qui engagera toujours l'éthique et la responsabilité de ses acteurs. Elle comporte quatre premiers articles destinés à définir et circonscrire les cas dans lesquels une aide active à mourir dans la dignité, peut être apportée à une personne qui le demande.
Les articles 5 et 6 concernent l'aspect médical du geste d'euthanasie, l'article 6 préservant le droit d'opposer la clause de conscience
Les articles 7 et 8 tirent la conséquences de la dépénalisation de l'euthanasie sur les articles 222-1 et 221-5 du code pénal.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons Mesdames, Messieurs, d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Une personne peut demander qu'il soit mis fin à sa vie par un moyen indolore lorsque son état de santé est incurable et laisse prévoir un décès à échéance de moins de trois mois.
Article 2
Cette demande peut être prise en considération si elle a été consignée par la personne concernée dans une déclaration écrite et signée avant la survenance de sa dernière maladie et confirmée verbalement par elle-même ou, si elle n'est plus en état de s'exprimer, par une autre personne, âgée de 25 ans au moins, qu'elle aura auparavant chargée de la représenter.
Article 3
La personne concernée peut également exprimer sa volonté d'être aidée à mourir avant l'échéance naturelle, si la condition prévue à l'article 1er est rempli, par une déclaration verbale réitérée à 48 heures d'intervalle devant deux témoins dont un seulement peut être le conjoint, un ascendant, un descendant ou un collatéral au premier degré.
Article 4
L'état de santé exigé par l'article 1er est établi par un certificat médical dressé par deux médecins dont un seulement exerce ses fonctions dans le service hospitalier où, le cas échéant, la personne concernée est traitée.
Article 5
L'acte d'aide à mourir ne peut être accompli que par un médecin ou sous sa responsabilité. Celui-ci rédigera un procès-verbal relatant les circonstances de l'intervention et auquel seront jointes les pièces l'ayant justifiée. Le procès-verbal et ses annexes seront conservés par un médecin et pourront être produits, nonobstant le secret professionnel, au cas où une procédure judiciaire le rendrait nécessaire pour la défense du médecin.
Article 6
Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer un acte d'aide à mourir mais il doit informer de son refus la personne concernée ou le représentant qu'elle a désigné et autoriser, s'il est demandé, le transfert de la personne dans un autre service ou établissement. Tout autre membre de l'équipe soignante peut refuse de concourir à une aide à mourir mais ne doit pas, par son comportement, l'entraver.
Article 7
L'article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Toutefois, l'aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n'est pas considérée comme un meurtre ».
Article 8
L'article 221.5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Toutefois, l'aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n'est pas considérée comme un empoisonnement ».
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N° 3499.- Proposition de loi de M. Jean-Pierre Michel instituant le droit de mourir dans la dignité (renvoyée à la commission des affaires culturelles).
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