N° 3673
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 mars 2002.
PROPOSITION DE LOI
visant à prévenir et faciliter la répression des violences urbaines en bandes organisées.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Gilles de ROBIEN,
Député.

Ordre public.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Pendant de nombreuses années, la montée de l'insécurité, pourtant relayée par de nombreux élus locaux, n'a bénéficié de la part des pouvoirs publics et des chercheurs d'aucune attention sérieuse.
Pour beaucoup « d'experts », le besoin de sécurité ressenti par nos compatriotes ne reposait sur aucune réalité tangible. Tout au plus concédait-on l'existence d'un « sentiment d'insécurité » au demeurant limité à certains territoires périurbains.
On parlait alors de « l'imaginaire de l'insécurité » et l'on niait, en lui ôtant toute consistance matérielle, la crise de l'autorité, l'éclosion de nouvelles formes de criminalité ou la généralisation de la délinquance des mineurs.
Aujourd'hui, la force des témoignages, l'acharnement des chiffres et des statistiques semblent être enfin parvenus à percer ce rideau de fumée même si l'apparition du vocabulaire de « l'incivilité » témoigne encore de la persistance de nombreuses résistances.
En tous cas, plus personne ne peut sous-estimer le danger que l'insécurité fait peser sur les fondements même de notre société. La politique de l'autruche qui a trop longtemps prévalu nous a conduit à un dangereux délitement du lien républicain et à un cloisonnement social que les Américains dans leurs nouvelles villes forteresses connaissent bien. La violence urbaine est devenue, juste après le chômage, la première préoccupation de nos concitoyens.
Un sentiment qui repose cette fois sur une réalité statistique qui n'a jamais été aussi inquiétante avec une hausse sensible de crimes et délits et un renouvellement des formes traditionnelles de la délinquance et de la criminalité en France.
Cette criminalité au nouveau visage, appelée communément « violences urbaines », apparaît collective, ouverte, à la fois destructrice (incendie d'écoles et d'infrastructures socio-éducatives, rodéos, tapage), émotionnelle (attroupements hostiles, émeutes), spectaculaire, parfois ludique, très souvent crapuleuse (razzias, vols avec violence, rackets, vols à l'étalage), très majoritairement juvénile.
On pourrait même parler d'Intifada urbaine, compte tenu de l'âge des protagonistes et du caractère de ces actes qui sont avant tout des dégradations volontaires, destinées à marquer un « territoire » déshérité et le plus souvent abandonné par la puissance publique. Ces actes gratuits restent assez éloignés de la délinquance classique de dégradation visant à s'approprier un bien.
Aujourd'hui, il semble bien que l'appel d'une société qui s'inquiète depuis longtemps de ces diverses manifestations de violence, quelles soient criminelles ou ordinaires, ait été enfin entendu.
Pourtant, les réponses, elles, se font attendre. La nôtre ne sera pas menée par une idéologie du « tout sécuritaire », mais par une profonde exigence républicaine. Car l'absence de maintien de l'ordre constitue aussi une violence.
Cette réponse commence d'abord par une prévention que l'on peut qualifier de classique au sens où elle s'attaque aux causes du mal, avant de s'attaquer au mal lui-même, mais elle doit inévitablement s'accompagner d'une politique fermement dissuasive qui, en elle-même, contribue aussi à prévenir la violence.
Ainsi, notre exigence républicaine s'appuie bien sur deux socles, tout aussi solides l'un que l'autre. Les actions contiguës menées au niveau de la famille, de l'école, accompagnées d'une lutte efficace contre l'illettrisme, doivent naturellement constituer les fondements de notre politique.
Toutefois, dans la droite ligne de notre tradition républicaine, on peut dire qu'il existe un « véritable droit à la sécurité », à la « sûreté individuelle », dit notre Constitution, qui n'est pas respecté.
Comment peut-on garantir un droit à la santé, à travers la couverture maladie universelle (CMU), et ne pas assurer la pérennité du bien social en garantissant ce droit à la sécurité ?
Pourtant, ce droit à la sécurité est bien le fondement du lien social en ce qu'il permet à chacun d'exercer ses droits dans le respect de ceux d'autrui. Cette peine sociale minimale est nécessaire à la poursuite des autres entreprises de la puissance publique et de la société civile, comme la recherche de la prospérité, par exemple, ou du bien être du plus grand nombre.
J'ai souhaité contribuer par cette proposition de loi à cette exigence démocratique.
Elle vise à prévenir et à faciliter la répression des violences urbaines en bandes organisées.
L'idée étant, compte tenu de la gravité des violences urbaines commises souvent en bandes organisées, d'étendre sur le plan législatif des règles qui n'existent aujourd'hui que pour sanctionner les seuls chefs d'entreprises.
En fait, si l'impunité semble prévaloir aujourd'hui dans les bandes responsables de violences urbaines, c'est que chacun des individus composant le groupe ne peut être tenu responsable des violences commises par l'un ou plusieurs membres de cette bande organisée.
En effet, nous nous heurtons, actuellement, pour poursuivre chacun des membres de la bande en tant que coauteur de l'infraction, au sacro-saint principe législatif de la responsabilité du fait personnel.
Un principe prévaut dans notre droit, tant législatif que jurisprudentiel, et affirme que « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait » (art. 121-1 du code pénal).
On peut regretter que cet article du code pénal n'ait pas été utilement complété et actualisé par des dispositions consacrées aux exceptions qu'il est susceptible de connaître.
Le code pénal prévoit bien que l'on puisse qualifier de collective l'infraction lorsqu'il y a entente préalable entre les participants. Mais, qu'il y ait eu coaction de tous les participants ou action des uns et complicité des autres, nous restons juridiquement dans le cadre d'une responsabilité personnelle. Chacun verra sa responsabilité engagée uniquement pour ce qu'il a fait et non pour ce qu'a fait le groupe.
Ainsi faut-il bien distinguer l'infraction qui est collective de la responsabilité qui reste personnelle.
Dès lors, comment pourrait-on qualifier collectivement de responsable l'ensemble des individus d'une bande à qui des violences urbaines sont imputées ?
L'objectif est bien pour nous de faire de chacun des membres de la bande le coauteur de l'infraction commise, qu'il soit lui-même ou non directement responsable du dommage.
Actuellement, seule la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit que, s'il se révèle difficile de déterminer le rôle joué par chacun des protagonistes, chacun d'eux est coauteur de l'infraction si la victime subit des blessures ou décède des suites de violences collectives.
Dans l'hypothèse où la victime n'est atteinte que par une seule des personnes composant le groupe, la Cour de cassation a considéré que chacun des membres de la bande est coauteur de l'infraction, si et seulement si, l'auteur véritable demeure inconnu.
Dans cette hypothèse, il y a sanction, pour l'infraction d'autrui, de celui qui n'y a pris aucune part et, par conséquent, déjà atteinte au principe de la responsabilité individuelle.
Pourtant, la position jurisprudentielle est somme toute logique, puisque tous les participants ont commis une faute et qu'il serait choquant qu'ils échappent à leur responsabilité sous prétexte que le dommage n'est l'_uvre que d'un seul.
Je suis partisan d'élargir les termes de la jurisprudence et d'inscrire dans la loi la responsabilité pénale, en tant que coauteur, de l'ensemble des individus, organisés en une bande à laquelle des dommages peuvent être imputés.
Nous l'avons vu, la Cour de cassation, dans sa jurisprudence, a étendu de façon très large le lien de causalité et s'est même affranchie du principe de la responsabilité du fait personnel : je propose ainsi d'inscrire dans la loi ce qui ne relève actuellement que de quelques décisions de justice et même de l'étendre aux faits dont l'auteur du dommage serait, au sein de la bande, connu.
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article 121-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, dans le cas de violences urbaines commises en bande organisée, en cas de difficulté à imputer un dommage grave à un ou des auteurs clairement identifiés, ou quand bien même le ou les auteurs seraient identifiés, la responsabilité pénale collective du groupe pourra être retenue, chacun étant alors considéré comme coauteur de l'infraction. »

Article 2

Un décret en Conseil d'Etat précisera les conditions d'application de la présente loi.

3673 - Proposition de loi de M Gilles de Robien visant à prévenir et faciliter la répression des violences urbaines en bandes organisées.


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