Audition de M. Christian PIERRET,
Secrétaire dEtat à lindustrie
(extrait du procès-verbal de la séance du 5 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Christian Pierret est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Christian Pierret prête serment.
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, nous avons souhaité unanimement vous entendre en tout premier lieu.
En effet, vous êtes responsable de la politique énergétique de notre pays et vous partagez avec votre collègue chargée de lenvironnement, la tutelle de la sûreté nucléaire.
Vous êtes donc, à double titre, concerné par la fermeture de Superphénix et ses conséquences.
Nous souhaiterions par conséquent recueillir votre point de vue sur larrêt de Superphénix, sur le redémarrage de Phénix, sur la reconversion industrielle du site de Creys-Malville et sur lavenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides.
M. le secrétaire dEtat, je vous poserai la première question qui pourrait servir dintroduction à votre exposé liminaire. Selon vous, quelle raison ou quel faisceau de raisons ont entraîné la décision de fermeture immédiate de Superphénix ?
M. Christian PIERRET : M. le Président, M. le Rapporteur, Madame et Messieurs les députés, pour répondre à votre question, il convient, tout dabord, de rappeler, de manière très cursive, les raisons qui ont conduit les gouvernements de lépoque à créer Superphénix.
La réalisation de Superphénix sest inscrite dans un programme de développement progressif et gradué des réacteurs à neutrons rapides dans les années 1960. On a ainsi construit Rapsodie dune puissance de 40 MW, puis Phénix dune puissance de 250 MW.
En 1974, la société NERSA, regroupant EDF, lENEL, RWE, était constituée. La composition du capital de NERSA a évolué, le consortium SBK regroupant des électriciens allemands, belges, hollandais et anglais se substituant en 1975 à RWE.
En 1976, le conseil dadministration de NERSA, avec laval des pouvoirs publics, prenait la décision de construire la centrale de Creys-Malville dune puissance de 1 200 MW.
On connaît les raisons de cette décision. Les avantages, au moins théoriques mais à mon avis réels, des réacteurs à neutrons rapides sont importants. A la différence des réacteurs au graphite et au gaz et des réacteurs à eau sous pression, un réacteur à neutrons rapides utilise directement les neutrons générés dans le cur des réacteurs lors des réactions de fission. Cette spécificité le rend apte à fonctionner avec une très grande variété de combustibles comprenant aussi bien de luranium que du plutonium.
Il sagissait, au lendemain du premier choc pétrolier, de faire face aux tensions qui étaient apparues sur le marché des ressources énergétiques. Comme les ressources connues en uranium étaient limitées, il était légitime de vouloir les exploiter au mieux et de développer des réacteurs à neutrons rapides, dont la caractéristique essentielle est de produire plus de matière fissile quils nen consomment.
Il est toujours difficile de juger des décisions du passé avec les yeux daujourdhui, mais un retour en arrière est nécessaire pour apprécier les raisons qui ont dicté notre décision darrêter Superphénix. Je dois à lhonnêteté de dire que la décision initiale de développer une filière de réacteurs à neutrons rapides nétait pas une erreur au moment où elle a été prise. Je ne veux pas polémiquer, mais je pense que cette décision était justifiée à lépoque. Cela ne signifie pas pour autant, et jy reviendrai, que la décision de construire ainsi cette centrale particulière avec ses caractéristiques propres ait été une bonne décision.
La construction sest effectuée sans difficultés techniques, mais a été entachée de polémiques.
La centrale a fait lobjet, en 1977, dune déclaration dutilité publique et dun décret dautorisation de création. Superphénix était conçu, à lépoque, comme « un prototype à léchelle industrielle ».
Les opérations dacquisitions foncières, de terrassement, de génie civil et de construction se sont déroulées sur huit années et se sont achevées en 1983. Suivirent deux années dessais, puis la mise en service industrielle : première divergence en septembre 1985, couplage au réseau en janvier 1986. Ensuite, il y a eu la montée en puissance progressive du réacteur, qui a atteint sa pleine puissance fin 1986.
La construction sest déroulée tout à fait correctement sur le plan technique. En revanche, elle a été émaillée de polémiques et de manifestations, dont celle où un manifestant a malheureusement trouvé la mort.
Lexploitation du réacteur a en revanche été pour le moins chaotique.
Des difficultés sont apparues lors de lexploitation de Superphénix. En 1987, une fuite de sodium provenant du fameux barillet de stockage des assemblages combustibles a conduit à larrêt de la centrale au mois de mai. Après divers travaux, la centrale a redémarré en janvier 1989.
Elle a été arrêtée de nouveau en septembre 1989 pour une période de travaux, ceux-là programmés. En avril 1990, la centrale a redémarré. Une autre fuite de sodium sur un circuit auxiliaire a obligé à un nouvel arrêt, davril à juin 1990. En juin 1990, la centrale a été de nouveau arrêtée en raison dune pollution accidentelle du circuit de sodium. Cest lors de cet arrêt, en décembre 1990, que des chutes de neige exceptionnelles ont provoqué leffondrement partiel du toit de la salle des machines.
En juin 1992, alors que la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) avait estimé que le redémarrage de Superphénix, arrêté depuis cette pollution du sodium, pouvait être autorisé, le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, a subordonné le redémarrage de Superphénix à la réalisation dune nouvelle enquête publique, même si elle nétait pas juridiquement nécessaire, et à la remise par M. Hubert Curien dun rapport sur lincinération des déchets et sur les conditions dans lesquelles Superphénix pouvait y contribuer.
Le rapport Curien, que vous avez mentionné, M. le Président et M. le Rapporteur, dans le débat de création de la commission denquête a conclu en décembre 1992 à la possibilité de voir Superphénix contribuer à lincinération des déchets.
Lenquête publique la seconde demandée par le Premier ministre a eu lieu de mars à juin 1993. La commission denquête a émis un avis favorable au redémarrage.
En février 1994, alors que la DSIN venait de remettre son rapport concluant que le redémarrage de Superphénix pouvait être autorisé du point de vue de la sûreté, le Gouvernement de M. Balladur a décidé que Superphénix ne serait plus exploité comme une centrale nucléaire, mais deviendrait un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration. Nous verrons que cette décision a involontairement provoqué une difficulté juridique complexe à résoudre.
Le Gouvernement a également indiqué que le redémarrage ne serait autorisé quaprès lapprobation dun programme dacquisition des connaissances, évalué par deux personnalités incontestables, MM. Dautray et Détraz, et que la mise en uvre de ce programme ferait lobjet dun rapport annuel à la commission nationale dévaluation (CNE) instituée par la loi Bataille du 30 décembre 1991, et dont la composition garantit labsolue indépendance.
En avril 1994, les exploitants ont transmis le programme dacquisition de connaissances correspondant à la commande passée. Il a été examiné par MM. Dautray et Détraz qui ont émis, en mai 1994, un avis favorable.
Un nouveau décret dautorisation de création a pu être signé le 11 juillet 1994, et le réacteur a redémarré le 4 août 1994, après quatre ans darrêt.
Le 25 décembre 1994, le réacteur devait à nouveau être arrêté en raison dune fuite du dispositif dalimentation en argon dun échangeur intermédiaire. En juin 1995, NERSA était en mesure de présenter une solution permettant de réparer cette fuite. Il a donc fallu six mois de réflexion et de mise en uvre pour réparer la fuite.
A cette occasion, le Gouvernement sest à nouveau interrogé sur lopportunité de laisser redémarrer Superphénix. Superphénix a finalement été autorisé, le 22 août 1995, à redémarrer. Je mexprime en présence de M. Borotra qui me précédait alors dans ces responsabilités importantes.
M. Franck BOROTRA : Pas encore !
M. Christian PIERRET : Le Gouvernement de M. Juppé a souhaité quune commission scientifique indépendante, présidée par le Professeur Castaing, dont je salue la mémoire, évalue la capacité de Superphénix à fonctionner comme outil de recherche, ainsi que lavait décidé le Gouvernement de M. Balladur.
Cette commission a remis son rapport le 20 juin 1996. Elle a considéré comme « légitime le désir de tirer tous les enseignements des investissements considérables qui ont déjà été consentis sur Superphénix ». Le Gouvernement a indiqué, en juillet 1996, quil reprenait à son compte lessentiel des conclusions du rapport Castaing.
Ainsi, en 1996, année faste pour Superphénix, à peu près la seule où il a fonctionné correctement, Superphénix a été couplé au réseau près de 250 jours et a fourni 3,5 milliards de kWh, soit léquivalent de la consommation annuelle dun département comme la Loire ou le Puy-de-Dôme.
Mais, à la suite dune plainte déposée par le Canton de Genève et par diverses associations anti-nucléaires, le Conseil dEtat a annulé, le 28 février 1997, le décret du 11 juillet 1994 autorisant le redémarrage de Superphénix. Il sest fondé sur une modification des finalités assignées par ce texte à linstallation au regard de celles indiquées dans le dossier soumis à lenquête publique.
En effet, le décret de 1994 disposait que lobjectif de Superphénix était « la recherche et la démonstration » et que « la production délectricité nétait pas une priorité », alors que le dossier mis à lenquête publique en 1993 indiquait que lobjectif de Superphénix était « la production délectricité et lacquisition de connaissances ». Le jour même, le Gouvernement de M. Juppé faisait savoir que « cette décision ne remettait pas en cause lintérêt de cette installation » et qu« il avait donc décidé de prendre les dispositions nécessaires, dans le respect de la décision du Conseil dEtat et conformément à la loi, pour que Superphénix poursuive son activité ».
Malheureusement ou heureusement, cette décision est restée sans suite concrète, le Gouvernement dAlain Juppé nayant pas pris de nouveau décret dautorisation ceci est souvent méconnu , alors quil avait transmis un projet de décret au Conseil dEtat et quil avait le temps de prendre ce décret avant la cessation de ses fonctions.
Ce contexte (nombreux incidents techniques, nombreux dysfonctionnements, une seule année de fonctionnement réel normal de léquipement, et des difficultés juridiques dune grande importance lannulation dun décret par le Conseil dEtat nest pas chose courante) a motivé lattitude du Gouvernement dabandonner Superphénix et de réaffirmer quil ne redémarrerait pas, conformément aux engagements quil avait pris pendant la campagne électorale.
Quel bilan pouvons-nous tirer de cette période ?
Dabord, je dirai clairement, eu égard à certaines polémiques, que larrêt de Superphénix et la décision dabandonner cet équipement ne sont, en aucune façon, motivés par des questions de sûreté. La DSIN a suivi et contrôlé son fonctionnement de façon particulièrement attentive je tiens dailleurs à rendre hommage au travail précis, scientifique, dune remarquable rigueur de la DSIN , et a estimé que son niveau de sûreté était équivalent à celui dun réacteur à eau sous pression.
Ce ne sont donc pas des raisons de sûreté qui motivent la décision prise par le Premier ministre et annoncée le 19 juin 1997 darrêter et dabandonner cet équipement.
Cela dit, même si Superphénix a fonctionné correctement en 1996, le total de lélectricité produite depuis sa création ne sélève quà 7,9 milliards de kWh. La centrale a fonctionné normalement pendant quatre ans et demi. Elle a été en arrêt exceptionnel pendant une durée cumulée de six ans et demi, dont deux pour raisons techniques et quatre et demi pour études diverses et procédures réglementaires, parmi lesquelles des procédures denquête, conformément aux textes, qui retardent souvent la mise en uvre des équipements nucléaires.
Le pari technologique de Superphénix a été, permettez-moi de le déplorer personnellement, un échec. Sans doute aurait-il fallu être moins ambitieux et construire un réacteur dune puissance moins élevée, plutôt que de passer directement de Phénix 250 MW à Superphénix 1 200 MW. Il est possible que le passage à un équipement de grande puissance, à peine inférieure à celui des dernières tranches dEDF, ait provoqué, de fait, une rupture de continuité dans la capacité technologique à maîtriser les phénomènes.
Ensuite, le bilan économique est inacceptable. La Cour des comptes a relevé les insuffisances en termes dengagements de crédits comparés à la production délectricité. Elle a abouti, sur la base dune approche comptable, à une évaluation du coût de la centrale de lordre de 60 milliards de francs. Un tel chiffre comprenait il faut être objectif et je le dis clairement aussi bien les coûts passés que futurs dinvestissement comme dexploitation.
Ce coût de 60 milliards de francs pour 7,9 milliards de kWh produits a paru excessif au Gouvernement.
Enfin, Superphénix a été, dès le début, une centrale vivement contestée par certaines fractions de lopinion. Elle a été un objet continuel de polémiques et de manifestations. Je ne cacherai pas que ces contestations et ces atermoiements successifs ont fait que je pèse mes mots loutil na pas bénéficié dun soutien politique suffisant, quelles quaient été les majorités au Parlement. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1990 ont cherché, à un moment ou à un autre, à différer une décision de démarrage ou de redémarrage quils ont toujours jugée politiquement coûteuse.
Peut-on, dans une société démocratique, mener à bien un projet industriel public majeur, et un projet scientifique et technologique majeur, sans quil ne fasse lobjet dun consensus politique ou dune manifestation forte dun tel consensus politique ? Je laisse cette question à votre appréciation.
En définitive, puisque jai exclu absolument les questions de sûreté, ce sont donc des considérations économiques et politiques qui ont conduit le Gouvernement à abandonner Superphénix, prototype lancé dans les années 1970 dans un autre contexte je men suis déjà expliqué devant la mission énergie de lAssemblée nationale et jai répondu à plusieurs questions dactualité à ce sujet de pénurie dénergie et de faiblesse estimée des ressources en uranium. Le Gouvernement a donc estimé que cette centrale était inadaptée au contexte actuel.
Le parc de centrales nucléaires suffit amplement et pour plusieurs années à subvenir à nos besoins en électricité. Il ny a pas aujourdhui de tension sur les prix de lénergie ni de pénurie prévisible dans lapprovisionnement en uranium. A court terme, jinsiste sur ce point, la filière de surgénération ne présente donc pas de perspective industrielle.
En outre, ce prototype, qui constituait un saut technologique considérable, a été difficile à maîtriser et a coûté beaucoup plus cher que prévu.
Telles sont, M. le Président, les raisons démocratiques, politiques, économiques et peut-être aussi technologiques, qui ont conduit le Gouvernement à décider dabandonner ce programme.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : M. le secrétaire dEtat, après votre propos général, jévoquerai les effets financiers considérés sous langle de la coopération européenne.
Quelles seront les conséquences de la fermeture de Superphénix sur les relations financières des partenaires de NERSA ? Comment sera réglé le problème de la fourniture dénergie due à ces partenaires étrangers en vertu de la convention du 2 février 1995 permettant la mise en uvre du programme dacquisition des connaissances ? Le coût de la déconstruction, qui na été, pour linstant, envisagé que dune manière très générale, sera-t-il partagé au prorata de la part de chacun dans le capital de NERSA ? La décision unilatérale du Gouvernement français, sans concertation avec ses partenaires européens, de fermer Superphénix, peut-elle avoir des incidences sur lavenir de la coopération européenne, en particulier dans le domaine des réacteurs hybrides ?
M. Christian PIERRET : Limpact financier de la décision darrêt de Superphénix doit faire lobjet de ma part de réponses extrêmement précises. Aussi vais-je vous les fournir en mexcusant de la multiplicité des chiffres que je vais donner à la commission.
Il convient de distinguer trois niveaux : les dépenses du démantèlement, le coût de la liquidation de la société NERSA, les effets dans les comptes dEDF.
Le coût global de la mise à larrêt définitif du réacteur est estimé à 12,2 milliards de francs. Il comprend trois types de dépenses.
Le premier concerne les dépenses de post-exploitation, cest-à-dire la phase qui commencera immédiatement après lannonce de la fermeture définitive du site et qui correspond à la préparation de la mise à larrêt définitif : confinement de lensemble de linstallation, évacuation et entreposage du combustible et traitement difficile et coûteux du sodium pour le réduire à létat de chlorure de sodium faiblement radioactif. On ne maîtrise peut-être pas encore tous les éléménts de cette opération très difficile, car très dangereuse.
EDF estime que ces opérations de post-exploitation sétaleront sur dix ans, avec un pic en début de période, pour un coût total de 3,7 milliards de francs, valeur 1997.
Le deuxième type de dépenses concerne le retraitement du combustible. EDF considère que le combustible serait retraité dans lannée de la mise à larrêt définitif, soit dix ans après la fin de lexploitation, pour un coût de 2,7 milliards de francs.
Le troisième segment des 12,2 milliards de francs concerne le démantèlement de la centrale, qui débutera après la mise à larrêt définitif, pour un coût total estimé par EDF à 5,8 milliards de francs, valeur 1997.
3,7 + 2,7 + 5,8 = 12,2 milliards de francs, sur dix ans, coût global de la mise à larrêt définitif. Ce coût était, de toute façon, prévu, puisque la convention dexploitation sachève au 31 décembre 2000.
Deuxièmement, le coût de la mise à larrêt définitif pour EDF est de 10,9 milliards de francs.
Je rappelle quEDF détient 51 % de la société NERSA qui exploite le réacteur. En vertu des négociations intervenues entre les différents actionnaires de NERSA, lors de la signature de la convention en 1995, il est prévisible que les partenaires dEDF ne prendront à leur charge que la quote-part des dépenses de retraitement qui leur incombait, soit 1,3 milliard de francs, laissant ainsi à EDF lintégralité des dépenses que je viens dévoquer, à savoir 12,2 milliards de francs, moins 1,3 milliard de francs, soit 10,9 milliards de francs.
Troisièmement, du point de vue du droit commercial, en plus des dépenses nécessaires à la mise à larrêt définitif du réacteur, EDF devra supporter sa quote-part
51 % des frais liés à la liquidation de la société NERSA, soit environ 5,3 milliards de francs. Ceux-ci comprennent la quote-part des dettes restant dues par EDF au titre de lendettement de NERSA, la perte au titre dun litige fiscal en cours et la perte des fonds propres engagés par EDF dans NERSA.
Les conditions dexploitation nétant pas remplies, selon EDF, létablissement a par ailleurs considéré quun prêt du Commissariat à lénergie atomique (CEA), consenti à loccasion de la construction de Superphénix pour un montant de 2 milliards de francs, nétait plus à rembourser.
Au total, le coût de la liquidation pour EDF sélève ainsi à 14,2 milliards de francs, se décomposant ainsi : 10,9 milliards de francs auxquels sajoutent 5,3 milliards de francs et desquels il faut retrancher les 2 milliards de francs quEDF ne remboursera pas au CEA. Le chiffre de 14,2 milliards de francs est à retenir, car il comprend lensemble du coût pour EDF sur la période considérée, incluant la post-exploitation, les questions juridiques et la liquidation de la société NERSA.
Face à ces charges, EDF avait constitué, en 1996, une provision de 11,565 milliards de francs en vue des pertes futures de NERSA. Laffaire était donc déjà très largement provisionnée. Est venue sy ajouter une dotation à la provision nette de 2,7 milliards de francs en 1997.
Je dois ajouter que la date darrêt du réacteur influe peu sur le coût de son arrêt. Cette observation était, naturellement, déterminante. On aurait constaté un alourdissement du déficit dexploitation en cas de prolongement de lexploitation. Le coût aurait donc, peut-être, été supérieur si lexploitation avait continué. En revanche, EDF estime quune prolongation de la période dexploitation de la centrale lui aurait permis de préparer mieux la post-exploitation et donc de réduire légèrement son coût. Ce sont donc deux arguments contraires : on aurait probablement enregistré plus de pertes dexploitation, à en juger par le passé et par lhistorique du fonctionnement, mais la post-exploitation aurait coûté moins cher.
Compte tenu de ces hypothèses, retarder larrêt de lexploitation de la centrale jusquà la fin de la convention entre les partenaires dans NERSA, soit à la fin de lannée 2000, aurait probablement été globalement neutre sur le plan financier.
Je vous propose donc de retenir le coût de 14,2 milliards de francs, avec une provision de 11,565 milliards de francs, plus 2,7 milliards de francs.
La deuxième question concernait les coopérations européennes et le développement éventuel de nouvelles coopérations en matière de surgénérateurs.
Pour y répondre, je dois revenir sur un point qui paraît décisif aux yeux du Gouvernement, à savoir lapplication totale, reconfirmée le 2 février dernier, de la loi du 30 décembre 1991, dite loi Bataille.
Nous voulons en effet mener la totalité des recherches nécessaires aux trois axes prévus par la loi du 30 décembre 1991, notamment la séparation-transmutation premier dentre eux. Cest pourquoi nous avons demandé et obtenu de lautorité de sûreté la possibilité de faire remonter en puissance le réacteur Phénix, qui navait jamais été arrêté. Je considère personnellement comme décisif de poursuivre, à partir du réacteur Phénix dont lobjet scientifique et technique est patent, les recherches sur la séparation et la transmutation jusquà la date darrêt prévue de Phénix, cest-à-dire le 1er janvier 2005.
Les coopérations européennes possibles peuvent porter sur le projet de réacteur Jules Horowitz, développé par le CEA, qui consiste à modifier le caloporteur. Il devrait être optimisé afin de prendre en compte lobjectif de réaliser des recherches sur la transmutation. Vous pourrez sans doute poser des questions à ce sujet à mon collègue, M. Allègre, très attaché au développement de ce projet.
Par ailleurs, le développement de connaissances sur les systèmes hybrides, composés à la fois dun accélérateur de particules et dun réacteur sous-critique, peut-être plus proches de nous en termes de date de réalisation que le projet Horowitz, doit être poursuivi. M. Allègre et moi-même sommes attachés à ce que, sur le plan scientifique et technologique, nous puissions réfléchir au projet proposé par le Professeur Rubbia. Il donne lieu actuellement à des études préliminaires afin de déterminer sil peut être développé.
Nous envisageons de proposer un développement européen de ces projets. Des contacts ont été pris entre le CEA et de nombreux organismes européens équivalents.
De manière générale, nous pensons quil est très important que la France développe, de manière très volontaire, des collaborations internationales dans le domaine nucléaire.
Jétais, il y a quelques jours, en Russie, où jai rencontré mon homologue le nouveau ministre de lénergie atomique. Nous avons évoqué de manière très précise un certain nombre de points sur lesquels nous pourrions développer à court terme des coopérations. Ce nest quun exemple parmi dautres.
Il en est de plus proches, avec des pays membres de lUnion européenne. Nous souhaitons notamment la poursuite du développement de lavant-projet détaillé de réacteur EPR par Siemens et Framatome, en liaison avec EDF et des électriciens allemands, afin de déboucher sur un nouveau type de réacteurs encore plus sûr que les réacteurs actuels et consommant moins de combustible, de façon à laisser ouvert le champ des décisions qui devront intervenir en 2010, lorsque se posera la question du renouvellement de notre parc. Cela signifie dêtre techniquement prêts si le choix est fait du renouvellement de nos centrales nucléaires, à répondre avec une nouvelle génération de réacteurs consommant moins de combustible et encore plus sûrs.
Jy insiste, car cest lopinion du ministère de lindustrie, et je suis un fervent partisan de cette solution. Nous aurons à prendre, en 1998 ou 1999, des décisions industrielles de grande portée pour que le choix de la politique énergétique soit réellement ouvert entre 2010 et 2015.
Le développement franco-allemand Siemens-Framatome dun réacteur EPR est un point de passage obligé pour parvenir à cette latitude de choix politique qui devra être la nôtre en 2010. Il faut donc sy préparer dès maintenant, car le compte à rebours est très serré pour passer de lavant-projet détaillé aux premiers développements, puis au prototype, puis aux essais, puis à une pré-série.
Il est nécessaire dengager dès aujourdhui une réflexion industrielle cohérente avec pour objectifs vous avez tous pris connaissance des choix stratégiques du Gouvernement à partir de la décision du 2 février dernier et de larbitrage de M. le Premier ministre de conserver notre sécurité dapprovisionnement, notre indépendance énergétique et dêtre en mesure de répondre aux choix futurs.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai insisté dans la question sur le caractère unilatéral de la décision du Gouvernement français, partenaire pivot de la coopération européenne. Sans doute nous avez-vous fourni une réponse fort complète sur les coopérations européennes. Sans doute aussi nest-on pas en état, quelques mois après cette décision, de mesurer ses éventuelles incidences négatives sur les coopérations européennes.
Nous sommes toujours remplis despérances à légard de celles-ci. Je relève dans votre réponse, M. le secrétaire dEtat, que vous navez pas constaté de comportement négatif de nos partenaires européens, notamment pour le projet de réacteurs hybrides qui nécessitera probablement une nouvelle coopération avec eux. A vous entendre, la coopération européenne ne semble pas mise à mal.
M. Christian PIERRET : Avec un certain nombre de nos partenaires européens, les choses sont devenues un peu plus ténues depuis quelques années ou quelques mois. Par exemple, la décision de lItalie de ne finalement pas faire appel à lénergie nucléaire a entraîné des décisions, notamment celle de ne pas poursuivre certaines coopérations au travers de NERSA. En revanche, nous avons des coopérations avec la Belgique, la Grande-Bretagne et dautres pays qui ont réaffirmé leur engagement dans cette voie.
Pourrait nous inquiéter lannonce dans la presse, au mois de novembre, dun projet de convention entre la société allemande Siemens, qui coopère par ailleurs avec Framatome au projet EPR, et la société anglaise BNFL. Vérification faite auprès dinterlocuteurs allemands directement intéressés, la finalisation déventuels je souligne le mot accords entre Siemens et BNFL na pas encore pu se réaliser.
Les problèmes qui apparaissent dans les relations entre ces deux entreprises me permettent daugurer positivement de la suite de la coopération entre Siemens et Framatome, même si le nucléaire ne représente pour le premier que 2 à 3 % de son chiffre daffaires et nest donc pas décisif, et même si Siemens et Framatome se sont trouvées en concurrence sur de nombreux marchés étrangers, situation que les deux entreprises ont tenté de régler au mieux de leurs intérêts respectifs.
En tout cas, le Gouvernement souhaite encourager la coopération franco-allemande dans ce domaine. Les entreprises Siemens et Framatome ce ne sont pas des coopérations intergouvernementales, cest aux entreprises de décider, mais nous les encourageons ont, je crois, un très bel avenir de coopération devant elles dans le cadre de la construction en commun de lEPR, auquel je prête un grand avenir industriel.
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, vous vous êtes prononcé en faveur de lEPR. Vous avez exprimé votre intérêt pour les réacteurs hybrides. Pour le Gouvernement, la filière des réacteurs à neutrons rapides constitue-t-elle toujours une réponse aux problèmes énergétiques de demain ?
M. Christian PIERRET : La filière des réacteurs à neutrons rapides présente, à mes yeux, un très grand intérêt, pour deux raisons essentielles.
La première est la bonne utilisation de lénergie contenue dans luranium par la valorisation du plutonium, puisquon produit plus de matière fissile quon en consomme.
La seconde est que lénergie nucléaire, qui est la seule énergie propre, présente un intérêt environnemental tout à fait remarquable, par la transformation des actinides mineurs, que nous devons poursuivre. Doù linsistance que jai manifestée tout à lheure à défendre le premier axe de la loi Bataille au travers de lexploitation du réacteur de recherche Phénix.
A long terme ou à très long terme, dans dautres conditions de ressources, dexploitation et de prix de lhuile et du gaz, et sachant que notre politique énergétique doit être équilibrée dune part, la maîtrise de lénergie, axe essentiel de lintervention de mon ministère, et dautre part, le développement des énergies renouvelables, autre axe que je veux développer, mais qui ne pourra jamais satisfaire lessentiel de nos besoins énergétiques la filière des réacteurs à neutrons rapides conservera, jen suis sûr, un double intérêt.
Dune part, celui davoir incité la France, dans sa recherche et dans sa technologie, à devenir le premier pays disposant de ce type dénergie potentiellement industrielle, et donc dassurer pour longtemps son leadership industriel en cette matière.
Dautre part, celui doffrir à notre pays qui ne dispose pas de ressources énergétiques connues, une alternative lorsque le contexte énergétique international aura changé. Jignore dans combien de temps. Je sais queu égard aux ressources connues, aux recherches pétrolières, aux ressources considérables en gaz découvertes mois après mois, le problème ne se posera quà long terme, mais il se posera. Nous devrons alors bénéficier des acquis techniques, industriels et scientifiques qui honorent notre pays et qui ont marqué au nom de la France laventure industrielle de la deuxième moitié du XXe siècle.
M. le Président : Je ne veux pas polémiquer, mais vous venez de souligner limportance de la filière des réacteurs à neutrons rapides. Pourquoi, dans ces conditions, navoir pas laissé consommer le combustible en cours dutilisation ? Pourquoi sêtre précipité pour arrêter Superphénix, alors que lexpérience de la combustion du premier combustible contenu dans le réacteur aurait été un élément essentiel, aussi bien sur le plan technologique que sur celui des rendements ou de lavenir du réacteur ? Comment justifier une décision en cours de route, comme si on arrêtait une voiture de Formule 1, alors quelle na fait que la moitié du circuit ?
M. Christian PIERRET : Dabord, on nest pas sûr quelle fera la seconde moitié.
Comme je lai montré dans la première partie de mon exposé, la poursuite de lexploitation du réacteur a été jugée économiquement très coûteuse. De plus, le consensus politique sur cette question nest pas réuni en France. Même le Gouvernement précédent, celui de M. Juppé, navait pas jugé utile de poursuivre lexploitation du réacteur.
Je dirai franchement, parce que nous parlons là non de questions de politique politicienne mais de questions dintérêt national et de stratégie du pays, que je crois quaucun gouvernement, quelle quait été sa majorité et son orientation politique, na réussi à rassembler sur cette question des réacteurs à neutrons rapides un véritable consensus national. Le coût économique 60 milliards de francs , les perspectives technologiques si incertaines à ce degré de puissance 1 200 MW , et les si nombreux incidents ont tranché. Sans soutien politique réel, dans une opinion traversée, à droite comme à gauche, didées contradictoires, avec un coût économique prohibitif, la raison la emporté dans la décision darrêter et dabandonner le programme.
M. Noël MAMERE : M. le Président, me sentant un peu isolé, étant le seul écologiste de service dans notre commission denquête parlementaire...
M. Eric DOLIGE : Nous le sommes tous !
M. Noël MAMERE : ...le seul « encarté » si vous voulez, et le seul à avoir pris fermement position contre Superphénix, je risque de passer pour un vilain petit canard et de ne pas être très « politiquement correct ».
Pour reprendre limage que vous avez utilisée, M. le Président, les techniciens ont sans doute inventé une Formule 1, mais elle na jamais effectué la première partie du parcours, car lorsquon actionnait la clé de contact, le moteur ne démarrait pas. Lorsque notre secrétaire dEtat à lindustrie dit que les raisons qui ont poussé le Gouvernement à arrêter Superphénix ne sont pas uniquement économiques mais sont aussi liées à labsence de consensus, on doit écouter ses propos avec une certaine circonspection.
Sil ny avait quun seul motif pour arrêter Superphénix, il tiendrait dans les chiffres qui nous ont été indiqués par M. le secrétaire dEtat à lindustrie. Les techniciens et les ingénieurs du CEA ont décidé le démarrage de cette usine en 1974, sans aucune consultation de la représentation nationale, en choisissant de passer dune centrale de 250 à 1 200 MW, dans le secret de cabinets de ministres.
Il ny avait effectivement pas de consensus, puisquon ne la pas cherché, et puisque, dans ce pays, il ny a jamais eu de débat sur la politique énergétique, qui nous a été imposée par le mariage de la science et de la politique, sans aucune consultation de la représentation nationale.
On nous a cité un chiffre effrayant : 250 jours de fonctionnement dune usine qui a coûté, selon la Cour des comptes, 60 milliards de francs. Ceci devrait suffire pour arrêter Superphénix.
Je métonne de la question posée par mon collègue, M. Bataille, qui semble regretter que la France ait pris une décision unilatérale qui aurait mis en cause nos partenariats européens. Je rappelle que le programme Superphénix na pas été décidé seul, mais quil avait de supposés partenaires européens, comme lAllemagne, qui na jamais coopéré au programme Superphénix français. Celui-ci ne pouvait se justifier que dans un cadre européen, à condition que dautres pays européens se lancent dans cette filière. Or, à cause des hésitations et des multiples pannes de cette « cathédrale de linutile », la plupart de nos partenaires européens ne nous ont pas suivi dans cette filière dans laquelle nous nous sommes trouvés, tout dun coup, isolés.
Je partage le point de vue exprimé par M. le secrétaire dEtat : le programme lancé était trop ambitieux. Sans vouloir utiliser des termes trop ampoulés, on a assisté impuissants à la mise en uvre dun rêve prométhéen de quelques grands techniciens qui ont voulu nous imposer une filière sans même savoir si elle pouvait fonctionner, ce qui dans une démocratie est tout de même un peu dangereux.
Je me demande quel est lobjet exact de cette commission denquête. Est-il de remettre en cause le choix effectué par le Gouvernement ou est-il aussi dessayer de savoir pourquoi on a laissé dépenser 800 millions de francs par an aux contribuables français pour entretenir une centrale nucléaire qui ne fonctionnait pas ? Pourquoi la représentation nationale na-t-elle jamais été consultée ?
Jentends M. le Président et M. le Rapporteur nous parler des réacteurs hybrides, mais à aucun moment, ni de la part des questionneurs ni de la part du questionné, je nai entendu parler de manière forte ou, en tout cas, sérieuse, dautres types dénergie que lénergie nucléaire. Il ne sagit pas ici de remettre en cause lénergie nucléaire, mais toutes les questions, toutes les réponses, toutes les observations qui ont été formulées jusquà maintenant lont été sur le thème du nucléaire, énergie irremplaçable, source dénergie unique.
Jai bien entendu M. le secrétaire dEtat nous parler de ses efforts en matière de maîtrise de lénergie et des énergies renouvelables. Jaurais aimé quil nous dise, face à la difficulté quil éprouve pour que celles-ci soient très vite un complément à lénergie nucléaire, combien a été donné à lADEME 500 millions de francs et quel est le budget de recherche du CEA 18 milliards de francs. Dans ces conditions, il ne faut pas sétonner que la politique de maîtrise de lénergie dans notre pays et de recherche sur les énergies renouvelables soit aussi peu avancée.
Jaurais aimé entendre le secrétaire dEtat tenir des propos plus fermes et plus audacieux sur les autres formes dénergie et non une sorte de credo sur lénergie nucléaire comme « garantie de notre sécurité dapprovisionnement et dindépendance énergétique ». Cest ce que lon entendait il y a trente ou trente-cinq ans, lorsque lon avait peur de manquer duranium et lorsque nous vivions sous la menace de la « guerre froide ». Il me semble que les choses ont changé. Il existe dautres sources dénergies. Elles peuvent être diversifiées.
On pourrait, au travers de cette commission denquête parlementaire, ne pas se contenter de se demander si le rubbiatron est mieux que le réacteur hybride, si la solution ne passe que par les réacteurs à neutrons, mais se demander aussi si des formes complémentaires dénergie ne pourraient pas nous permettre de sortir progressivement de la dictature du nucléaire. Je nai pas dit sortir du nucléaire mais de sa dictature. Je ne fais pas de lincantation, M. le Président, puisque jai entendu M. le secrétaire dEtat nous dire que nous serions très vite conduits à faire des choix. Jespère quils seront soumis à la représentation nationale puisque nous savons que le parc nucléaire doit être renouvelé dici à 2010.
M. le Président : M. Mamère, je vous ai écouté avec la bienveillance qui doit être celle dun président. Notre rôle dans la commission denquête, nest pas, à ce stade, de polémiquer sur ce quil faut faire ou ce quil ne faut pas faire. Notre rôle est de poser à notre invité, à savoir M. le secrétaire dEtat à lindustrie, des questions, portant de préférence directement sur le sujet, à savoir Superphénix. Je crois que nous aurions le plus grand tort de sortir du cadre très strict fixé par le Parlement à notre commission denquête. Par exemple, la question sur lADEME sort totalement du cadre de notre enquête sur Superphénix.
M. Christian PIERRET : M. le Président, javais cru bien faire en répondant aux questions faisant lobjet même de la commission denquête. Je suis venu parler de Superphénix et du nucléaire. Connaissant notre volonté commune, M. le député, de valoriser au maximum la maîtrise des énergies et les énergies nouvelles, jai pris soin de les mentionner, en étant presque, le Président la dit, en dehors du sujet, mais je vous répondrai bien volontiers sur les énergies renouvelables et sur lADEME.
Daprès les décisions du 2 février dernier et larbitrage pris par M. le Premier ministre, lADEME sera dotée de 500 millions de francs par an dès le budget de 1999, ce qui est considérable par rapport aux besoins de la recherche et de lincitation en matière de maîtrise de lénergie, dautant quelle dispose aujourdhui dune trésorerie de 1,5 milliard de francs quelle na pas utilisée. 1,5 milliard de francs de trésorerie, plus 500 millions de francs par an permettrons, jen suis convaincu jai consacré récemment des réunions spécifiques au ministère à ce sujet , de conduire une véritable politique de maîtrise de lénergie.
Sagissant des énergies renouvelables, lhydraulique représente aujourdhui environ 10 % de la production délectricité. Si lon ajoute 2 à 3 % dénergies autres que lhydraulique, on obtient 12 à 13 %.
En mettant en uvre des efforts tels que ceux que je veux mener, et je suis très volontariste en matière dénergies renouvelables, nous pouvons développer lénergie éolienne. Notre programme Eole 2005 doit permettre, sil est poussé à son maximum par EDF, de produire quelque 500 MW. Cela représente moins de la moitié dune tranche nucléaire de dernière génération, mais je veux le faire et nous le ferons, même si lénergie éolienne attente parfois à lenvironnement.
Jai consacré de récents travaux à lencouragement de lutilisation de la biomasse. Elle permettra de produire 10 MW cette année. En la poussant à son maximum, elle peut produire 40 MW.
Le biogaz, le développement du gaz dans le GNV pour les flottes captives et le GPL, la voiture électrique le PREDIT, fonds auquel participe mon ministère en tant que cofinanceur, cherche à encourager au maximum la conception de tous types de véhicules non polluants et de systèmes de propulsion qui nattentent pas à lenvironnement , tout cela peut nous permettre de passer denviron 13 % aujourdhui à 18 ou 19 % au maximum, dans une dizaine ou une quinzaine dannées, des besoins totaux en électricité.
Cela nest pas lobjet de la commission denquête, mais jen profite pour le répéter, je lai dit devant la mission dinformation que préside M. Meï, ici présent, nous conduisons vraiment une politique volontariste en ce domaine. M. Mamère, ne me faites pas le procès de ne pas évoquer ces questions, car je souhaite très volontiers le faire. Cest un des centres de gravité de laction de mon ministère.
Quant à la faisabilité économique, elle nest pas prouvée. Si nous pouvons produire plus à partir de ces énergies, nous le ferons. Si nous pouvons développer, dans certaines limites, la cogénération à partir du gaz, nous le ferons. Avec du pétrole à treize dollars le baril, les conditions économiques de toutes les autres énergies sont mises en question, mais le marché fluctue et demain le prix peut monter à vingt-cinq dollars.
Aujourdhui, le coût de lénergie nucléaire doit se situer autour de dix-neuf centimes le kWh. Une mission de la Direction générale de lénergie et des matières premières (DGEMP) a récemment montré que le coût de la cogénération gaz se situe entre dix-neuf et vingt-sept centimes le kWh. Elle est un peu moins compétitive, mais proche. Lénergie éolienne revient à trente centimes le kWh, ce qui nempêche pas que je veuille la développer pour des raisons de protection de lenvironnement qui nous sont communes. Telles sont les réalités économiques.
M. le Président : M. le député, il est inexact de dire que le projet Superphénix na pas été présenté au Parlement.
Je mautoriserai de mes vieux souvenirs de lépoque où jétais au Gouvernement pour vous dire que la création de Superphénix a été subordonnée au vote dune loi, puisque la création de NERSA était contraire au principe de la loi de 1946 de monopole de la production délectricité. Le Parlement a donc, à linitiative du Gouvernement, voté, en décembre 1972, une loi permettant la création de la société NERSA, en vue de la construction de Superphénix. Il nest donc pas exact de dire quil ny a pas eu de débat parlementaire, à lépoque.
M. Eric DOLIGE : M. le secrétaire dEtat, vous avez indiqué que la décision darrêt avait été prise pour deux raisons majeures, lune économique, lautre politique. Sur le plan économique, vous nous avez dit que la centrale avait coûté 60 milliards de francs pour seulement sept milliards de kWh produits. Il est vrai quen comparaison des prix du kWh que vous venez de citer, lécart est de un à cent, mais jaurais souhaité obtenir des chiffres plus complets, rapportés à un fonctionnement dans des conditions comparables à celles de 1996, pour apprécier sil naurait pas été possible, dans les années à venir, de réaliser une production économiquement plus intéressante.
Par ailleurs, je corrigerai un chiffre. M. Mamère a dit quil ny avait eu que 250 jours de production. Je rappellerai que cétait sur une seule année, 1996, qui a été la meilleure. Il ne faut pas rapporter ce chiffre aux dix années de fonctionnement.
Effectivement, larrêt de Superphénix est un choix politique. M. le secrétaire dEtat, vous avez dit que dans une société démocratique, on ne pouvait pas réaliser de tels équipements sans consensus et soutien politique réel. Mais je me demande quel grand équipement national pourrait être aujourdhui réalisé dans ces conditions, à moins que vous ne mindiquiez quel niveau de consensus politique est acceptable pour le Gouvernement. Faut-il un accord de 80 % des partis et uniquement 20 % qui ne soient pas daccord ? Jaurais préféré que vous me disiez : cest un choix politique, un point cest tout. Cela aurait été plus facile à comprendre.
M. Christian PIERRET : Je crois avoir indiqué tout à lheure à M. Doligé et à ses collègues quil sagissait à la fois dun choix économique et dun choix politique. Jai évoqué les engagements pris par la majorité actuelle, et notamment par le Premier ministre, pendant la campagne électorale. Jaurais pu, en effet, évoquer les accords politiques passés à ce sujet entre les formations de la majorité, et notamment entre le parti des Verts et le parti socialiste.
M. Roger MEÏ : Mais pas avec le parti communiste !
M. Christian PIERRET : Tout à fait.
Votre question me permet de réaffirmer, mais sans doute était-ce déjà assez clair dans mon intervention, que larrêt de Superphénix ne remet pas en cause les orientations fondamentales de la politique énergétique de notre pays. Je lai affirmé à M. Meï et ses collègues devant la mission Energie, je lai dit au Sénat, il y a quelques jours, je le redis devant la commission denquête, la politique énergétique française est équilibrée. Je réponds ainsi également à M. Mamère.
Elle repose principalement, cest une réalité, pour ce qui est de la production dénergie électrique, sur le nucléaire. Cette politique nest pas remise en cause, même si nous souhaitons quelle soit beaucoup plus transparente, quelle fasse lobjet dune véritable ouverture démocratique.
Je vais énoncer un paradoxe. Plus on est favorable à léquilibre de cette politique énergétique, qui comprend le nucléaire, les énergies fossiles, les énergies renouvelables (dont lénergie hydro-électrique) lequel traduit une assez grande continuité de tous les gouvernements, plus on réaffirme limportance de lénergie nucléaire à la fois
M. Borotra me comprendra dans notre paysage industriel et énergétique, plus on sait quil faut et on veut quil y ait de la démocratie, de la transparence et que lensemble du nucléaire soit soumis à la plus grande rigueur dans louverture de linformation, dans le fait que toutes les associations, formations politiques, spécialistes de ces questions disposent de tous les dossiers.
Jai souhaité, dès ma prise de fonctions, en plein accord avec M. Strauss-Kahn et avec le Premier ministre, que toutes les entreprises ayant, directement ou indirectement, pour objet social dapprocher la production dénergie électrique à partir du nucléaire, communiquent, expliquent et sexpliquent parfois sur un certain nombre de points, dincidents, dévénements ou de non-événements qui ont trait au fonctionnement, dans le cours ordinaire du temps, de la filière nucléaire.
Je ne crains pas, jappelle même de mes vux, plus dinformation, plus de transparence, plus de démocratie et, donc, plus de contrôle par le Parlement. Cela est essentiel. Je crois dailleurs que je ne suis pas le seul dans cette salle à demander cela. En tout cas, cest une volonté politique du Gouvernement, réaffirmée par le Premier ministre, dêtre constamment très aigu sur limpératif dinformation et de transparence lié aux choix énergétiques de notre pays.
M. le Président : Dans ce cadre, vous ne pouvez que vous féliciter de lexistence de cette commission denquête.
M. Franck BOROTRA : M. le Président, conformément à votre souhait, jessaierai de ne pas polémiquer, car jaurais beaucoup à dire sur ce que le secrétaire dEtat, pour lequel jai par ailleurs beaucoup destime, a indiqué.
M. le secrétaire dEtat, vous avez exposé les raisons de la fermeture de Superphénix. A part la raison politique, je ne suis pas convaincu par les arguments que vous avez avancés.
On a le droit de conclure des accords électoraux et, pour satisfaire 3 à 3,5 % des électeurs qui constituent lune des composantes de votre majorité plurielle, daller à lencontre de lavis dune autre composante de la gauche plurielle qui pèse trois fois plus. Cest votre choix.
M. Noël MAMERE : Je croyais que vous ne vouliez pas polémiquer !
M. Roger MEI : Ce nest pas le problème !
M. Franck BOROTRA : Mais je souhaite que lon affirme clairement que ce choix est politique.
Vous avez cité le chiffre de 60 milliards de francs. Vous savez bien quà ce jour, 26 milliards de francs ont été dépensés, plus 2 milliards de francs pour les charges dinvestissement, soit 28 milliards de francs, et que le coût de fonctionnement est actuellement dun milliard de francs par an. A ce jour, globalement, nont été dépensés que 40 milliards de francs.
Vous nous dites que ce coût est excessif pour le Gouvernement, alors quil est déjà payé. Vous pouvez parler des coûts à venir, mais vous ne pouvez pas justifier la fermeture aujourdhui par les coûts déjà payés et passés.
Vous avez contesté lintérêt scientifique de laffaire. Je souhaiterais connaître votre avis sur lopinion personnelle de M. Curien, du Professeur Castaing, auquel je souhaite rendre hommage car il a été mon maître, et du Professeur Teilhac, qui sont des scientifiques de haut renom, qui ont clairement exprimé lintérêt irremplaçable de Superphénix comme outil de recherche.
Vous avez évoqué la nécessité de la transparence, de labsence parfois de transparence dans le passé je le reconnais et de la prise en compte de lavis de lopinion. Pourquoi, dans ces conditions, si vous souhaitiez satisfaire à la transparence sur une décision engageant le pays, navez-vous pas soumis à lAssemblée nationale la décision de fermeture de Superphénix, plutôt que dappliquer simplement un accord électoral ? Si vous demandiez aux Français ce quils pensent de cet accord, la quasi totalité ne saurait pas de quoi il sagit.
Vous avez mentionné un saut technologique. Je ne suis pas daccord avec vous. Vous le savez, M. le secrétaire dEtat, Superphénix a été homothétiquement conçu sur Phénix à une seule exception, le choix de générateurs de grande puissance à tubes hélicoïdaux au lieu de générateurs modulaires à tubes droits dans Phénix. Il ny a pas dautre différence en termes technologiques que dimportance de puissance.
Vous avez fait état de la volonté de respecter la loi de 1991. Je vous crois, parce que je sais que vous êtes un honnête homme. Vous avez dit : « Lexploitation de Superphénix a été pour le moins chaotique », et vous avez annoncé immédiatement le remplacement de Superphénix par Phénix.
Si vous souhaitez évoquer une exploitation chaotique, nous pouvons en parler. Je vous rappellerai que le rapport provisoire de sûreté qui accompagnait, en août 1973, la mise en service de Phénix, prévoyait que la centrale était dimensionnée pour douze ans. Je ne voudrais pas mentionner les problèmes liés au dimensionnement par rapport aux risques sismiques et aux fissurations sur les échangeurs intermédiaires qui entraînent des fuites quasi permanentes de sodium.
Je voudrais que vous nous confirmiez que vous nabandonnez pas Superphénix avec lidée douvrir Phénix pendant quelques mois, puis de le fermer et, du même coup, de fermer la voie à la recherche concernant la destruction dactinides mineurs ou celle de plutonium. Je reste tout à fait perplexe sur ce choix, qui me semble un choix tactique grave, car il va à lencontre de lengagement que vous prenez de laisser ouverte la recherche dans la filière neutrons rapides.
Jajoute que Phénix nest pas en état de faire ce que fait Superphénix, et vous le savez bien. Phénix a été utilisé en vue dune expérimentation sur la voie hétérogène en particulier sur laméricium, alors que Superphénix ouvre la voie du recyclage homogène qui est un des éléments déterminants de la recherche. Du reste, les responsables du CEA qui seront entendus ici ne pourront que le confirmer. Je souhaiterais en savoir un peu plus sur ce point. Je voudrais que votre réponse dans ce domaine, malgré votre talent, ne soit pas de nature politique, comme la première, mais de nature technique.
Le Président a évoqué les voies davenir. Il est vrai quil faut consommer du plutonium et éviter que le plutonium ne vienne à se développer, comme les actinides, avec pour conséquence la longue durée de vie des produits nucléaires. Mais il existe une deuxième voie pour consommer du plutonium : le développement de la moxisation des cinquante-six tranches nucléaires existantes.
Quand prendrez-vous les décrets dautorisation dutilisation du combustible Mox dans les douze tranches EDF qui nen font pas encore lobjet, puisque cest une des réponses à la voie que vous êtes en train de fermer avec Superphénix ? Quand prendrez-vous le décret dautorisation dextension de Melox, parce quil est directement lié à celle de ces douze tranches supplémentaires ? Quand autoriserez-vous le chargement de combustibles à haut taux de combustion ? En effet, à un tiers de combustion, le bilan concernant le plutonium est nul, on consomme autant quon produit, mais à 100 % dutilisation de produits à base de plutonium dans la moxisation, on supprime des tonnes de plutonium par année.
Jai bien compris que cétait un choix politique. Je le respecte, mais on ne peut pas fermer la porte à lévolution de cette voie. Je souhaite donc que vous nous rassuriez sur les décisions complémentaires que vous pourriez prendre pour laisser cette voie ouverte ?
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, la multiplicité des questions ne vous permettra peut-être pas de répondre immédiatement à toutes les interrogations de M. Borotra. La commission denquête vous autorisera dans ce cas à fournir une réponse écrite, dans un délai relativement bref.
M. Christian PIERRET : Je répète que la raison essentielle de larrêt de Superphénix est la raison économique : 60 milliards de francs.
Jy ajouterai deux arguments. Dune part, la Cour des comptes a fait une analyse globale du coût économique de cet équipement, le Gouvernement va dans le sens de cette analyse. Dautre part, il aurait, de toute façon, fallu, à un terme relativement rapproché, selon ce qui était prévu à lorigine, démanteler cet équipement. Les coûts de fin dexploitation que jai évoqués tout à lheure auraient été engagés. Je rappelle quils ont été provisionnés à hauteur de plus de 11 milliards de francs par EDF avant 1997 et quEDF a ajouté 2,7 milliards de francs de provision en 1997. Avant que lon ne parle de ce sujet et que la commission denquête nexiste, il existait donc bien une prévision darrêt de léquipement.
Pourquoi pas de débat au Parlement ? Dans sa déclaration du 19 juin 1997, devant lAssemblée nationale et le Sénat, le Premier ministre a très clairement indiqué que Superphénix serait abandonné. Cela nétait pas ambigu. On na pas dit que lon allait envisager une étude. Il y avait donc bien une affirmation politique nette, dans laquelle sinscrit laction du membre du Gouvernement que je suis. Par conséquent, japplique les décisions qui ont été prises dans le cadre de la politique du Gouvernement par notre Premier ministre. Et je le fais du mieux que je peux.
Sagissant du fonctionnement chaotique de Superphénix, je fournirai par écrit à la commission les dates de fonctionnement, de non fonctionnement, de réparation, dincidents, etc., dailleurs connues mais quil est bon davoir à lesprit. Je ne reprendrai pas des éléments que jai indiqués dans mon propos liminaire.
En revanche, je mattacherai à répondre à trois questions particulières qui font vraiment partie des interrogations de la commission. Elles portent sur Phénix, le moxage et Melox.
Je rappelle que la construction de la centrale Phénix a commencé en 1968 et quelle a été mise en service en 1974. Dune puissance de 250 MW, Phénix est adapté aux études neutroniques et à celles de mise au point de matériaux, mais elle nest pas représentative des conditions de fonctionnement des réacteurs industriels. Elle comporte des caractéristiques spécifiques à la recherche.
Phénix avait permis de prouver la faisabilité dun surgénérateur en 1976, doù Superphénix.
Ce réacteur avait été stoppé en 1990 après plusieurs arrêts durgence automatiques, dûs à une baisse anormale de réactivité dans le cur. Mais après de longues expertises et de nombreux contrôles et travaux, la DSIN a donné, à la fin de 1994, lautorisation de montée en puissance du réacteur. Le quarante-neuvième cycle de Phénix a été mené à son terme sans aucun incident en avril 1995.
Nous avons demandé au CEA, dans le cadre du contrat dobjectifs de cet organisme de mener les études et travaux nécessaires pour que la durée de vie de Phénix puisse être prolongée jusquau 1er janvier 2005.
A lissue de létude du dossier correspondant, qui a été transmis par lexploitant de Phénix, la DSIN a estimé son redémarrage possible. Suite à notre décision du 2 février dernier de lautoriser, la DSIN a donné son feu vert, il y a quelques jours, à la montée en puissance de Phénix.
Il est vrai que la DSIN indique que Phénix présente quelques caractéristiques liées à son âge, mais celles-ci ont été examinées et sont aujourdhui, daprès la DSIN, parfaitement maîtrisées du fait des différents investissements réalisés sur cet équipement, à hauteur de 600 millions de francs, au cours des dernières années.
Les problèmes à traiter sur ce réacteur étaient de deux types : estimer la marge dutilisation restant disponible pour un fonctionnement futur du réacteur et vérifier les normes de sûreté, et notamment réévaluer celle-ci au regard des normes daujourdhui, qui ont évolué par rapport à celles de 1974.
Sur tous ces points, la DSIN, instance souveraine et indépendante dont je rappelle quelle sentoure aussi du conseil de scientifiques étrangers et dont lautorité nest contestée par personne, a produit des analyses très fouillées et détaillées qui lui ont permis dautoriser la montée en puissance de cet équipement.
Celle-ci permet, comme le rappelait M. Borotra, de réaliser les travaux nécessaires à la satisfaction des obligations de la loi de 1991.
Dans Phénix, un certain nombre de programmes pourront être menés. Ils ne sont ni mineurs ni modestes. Il sagit du programme de consommation accrue de plutonium dans les réacteurs rapides (CAPRA), du programme SPIN, portant sur laval du cycle et les actinides mineurs vous avez évoqué le neptunium 237, laméricium 241 et 243 avec la transmutation hétérogène qui est en effet la plus efficace , des travaux sur les produits de fission à vie longue, etc.
La conclusion des experts dans ce domaine, que je pourrai fournir à la commission denquête, est que ce réacteur correspond au niveau des expérimentations nécessaires à la satisfaction de laxe 1 de la loi Bataille. Cest pourquoi javais, il y a plusieurs mois, demandé que lon veille à lui donner la capacité de remonter en pression. On a bien voulu nous suivre, après que lautorité de sûreté eut dit que cétait possible. Cest elle qui sengage et nous en avons tiré les conséquences.
Le programme de moxage doit être poursuivi. Il y a quelques mois, jai recueilli laccord des autres membres du Gouvernement concernés de moxer quatre nouvelles tranches de la centrale de Chinon. Elles devraient être accessibles au combustible Mox le plus rapidement possible.
En ce qui concerne la diversification des activités de Melox, jai signé récemment le texte qui va dans le sens que vous avez indiqué. Jattends de ma collègue de lenvironnement, après avoir obtenu son accord verbal, quelle appose à son tour sa signature sur un texte qui a été préparé en commun.
M. Michel DESTOT : M. le Président, puis-je me permettre une petite impertinence ?
Y a-t-il vraiment des clés de contact dans les Formule 1 ?
M. le secrétaire dEtat, si jai bien compris, votre décision de fermer Superphénix tend à renforcer ladhésion du pays au nucléaire ou du moins à permettre une adhésion plus démocratique, peut-être plus exigeante sur le plan économique et technologique.
Vous avez souhaité un consensus démocratique. Regardons le passé. En dehors de la loi Bataille de 1991, de ladoption de NERSA, mais acceptons que ce nétait quun biais, notre collègue Mamère a eu raison de dire que depuis 1945, nous navons pas encombré le Parlement de travaux sur le nucléaire.
La création du CEA a été décidée par décret du général de Gaulle à la Libération. Nous avons construit près de cinquante-cinq centrales en France, sans avoir, à aucun moment, légiféré. A lavenir, dans la lignée de la loi Bataille, allons-nous, oui ou non, légiférer sur le nucléaire ?
Nous aurons des occasions de le faire. On a parlé tout à lheure de la conception des réacteurs du futur EPR en coopération avec les Allemands. Dans la mesure où on déciderait de passer dun prototype à une série industrielle, nous aurions loccasion de nous pencher sur ce type de questions.
Sagissant de la recherche dune plus grande efficacité technologique, cest-à-dire dun rendement plus important, vous avez dit vous-même que lon maintiendrait la filière des réacteurs à neutrons rapides à létat de recherche ou de veille technologique. En tirez-vous des conclusions pour les équipes du CEA aujourdhui ?
Puisque vous reportez les efforts sur le REP ou lEPR, je renforce la question de mon collègue Borotra : quid de Melox ? Le plutonium ne sort pas de rien. Le plutonium 239 est créé à partir de luranium 238, qui est le plus abondant dans la nature. Quand on brûle luranium le plus enrichi, dont le taux est compris entre 3 et 5 %, dans les REP, il reste 95 % duranium 238 qui produisent du plutonium 239. Le renforcement de la filière REP implique de poser clairement la question de la réutilisation du plutonium 239, cest-à-dire la question de Melox. On ne peut pas dire quon en fera quatre, cinq ou six, on le fait ou on ne le fait pas, il ny a pas de réponse intermédiaire si lon veut être conséquent avec lorientation que lon a définie.
La vérité des prix est nécessaire. Il ny a pas dacceptation démocratique sans aborder aussi cet aspect. Je me réjouis dailleurs de constater que lopinion publique de notre pays, interrogée récemment par sondage, adhère à 80 % au nucléaire...
M. Franck BOROTRA : Et cela monte !
M. Michel DESTOT : ...Ce qui renforcerait lidée de notre ministre que la décision darrêt de Superphénix a permis daccroître ladhésion de nos concitoyens, parce que cest une épreuve de vérité.
Peut-on établir un rapport entre le coût de Superphénix 50 à 60 milliards de francs, tous coûts intégrés, dites-vous et ce que nous avons investi depuis que nous nous sommes lancés dans le nucléaire en France ? On parle de 1 000 milliards de francs. Ce serait donc 5 %. Il serait important pour notre commission denquête de préciser le pourcentage représenté réellement par Superphénix dans le coût de la filière nucléaire française.
Enfin, que va-t-on faire du combustible actuel dans Superphénix ? Pour la vérité des coûts, il importe de le savoir.
Quelles seront les compensations locales pour les communes denvironnement immédiat de Creys-Malville, pour le département de lIsère et la région Rhône-Alpes, en matière demploi comme en matière de fiscalité locale ?
Puisquon parle de lavenir, nest-il pas utile de se poser la question de léquité fiscale dune redistribution de taxe professionnelle sinon démentielle, du moins extrêmement élevée, aux communes situées dans la zone environnante des centrales nucléaires ? Cela crée une dépendance considérable. Un arrêt des réacteurs conduit à des drames économiques et humains eux-mêmes considérables.
Ne conviendrait-il pas douvrir un chantier fiscal en vue de créer une plus grande équité ? On comprend quil existe une solidarité. Aujourdhui, le niveau de sûreté de nos réacteurs et lacceptation du nucléaire en France sont tels quil importerait douvrir ce chantier fiscal. On irait dans le sens dune plus grande équité, donc dune plus grande démocratisation du nucléaire.
M. Christian PIERRET : M. Destot est, comme plusieurs dentre vous, un spécialiste de ces questions. Je rends hommage au caractère très scientifique de son analyse.
Légiférer dans lavenir sur la filière nucléaire, cest la question que le Premier ministre a souhaitée approfondir en confiant à votre collègue, M. Le Déaut, une mission sur le développement de la transparence et de la démocratie autour de la politique énergétique et, donc, de la politique nucléaire. Je dis « autour de la politique énergétique », car lensemble de la stratégie française en matière énergétique doit faire lobjet dune approche démocratique. On ne doit pas se limiter à une focalisation, qui serait, à mon avis, malsaine, sur le nucléaire.
En létat actuel des choses, je ne peux quinviter la commission à se référer au rapport, et ensuite, certainement, aux commentaires et aux débats qui accompagneront la fourniture du rapport de M. Le Déaut qui doit intervenir pour la fin du printemps.
Sur Melox, une autorisation de production de combustible Mox de 115 tonnes a été donnée à lusine. Jai parlé tout à lheure de la diversification possible. Quen est-il ? Jirai plus loin dans les chiffres.
Au total, vingt-huit tranches nucléaires peuvent être moxées. Toutes ne peuvent pas lêtre. Seize le sont déjà. Quatre devraient lêtre rapidement et huit pourraient lêtre plus tard. Je nai pas de demande dEDF pour moxer les huit suivantes. Toutefois, non seulement je nexclus pas, mais je pense quau-delà des quatre que jai annoncées comme étant certaines, puisquil y a un accord unanime des ministres concernés, il serait logique et naturel den moxer huit autres.
Concernant les coûts, je confirme les chiffres de M. Destot : un peu plus de mille milliards de francs ont été investis dans le domaine nucléaire, dont 60 milliards de francs, donc 5 à 6 % pour Superhénix.
M. Franck BOROTRA : La moxisation est lautorisation de charger les réacteurs avec des combustibles à haut taux de combustion. Quon le veuille ou non, la destruction nette de plutonium est directement liée au taux de combustion. Actuellement, les charges Mox sont à 30 % de plutonium. Quelle est la politique du Gouvernement concernant lévolution de lautorisation de charger des combustibles à haut taux de combustion ?
M. Christian PIERRET : Jy suis favorable, mais cela dépend dun équilibre dynamique à trouver avec dautres ministères intéressés.
En ce qui concerne le CEA, M. Destot a posé une importante question qui se situe dans la logique dinvestigation de cette commission denquête. Permettez-moi, M. le Président, de faire preuve de précision à ce sujet.
Le budget du CEA civil est denviron 11 milliards de francs, dont 40 % proviennent de recettes externes au budget de lEtat, ce qui prouve son succès en matière de brevets et sa capacité à sentourer dune véritable dynamique industrielle.
Le CEA est le deuxième déposant de brevets français. Il signe environ 1 200 contrats nouveaux chaque année, hors du domaine nucléaire, dont 25 % avec les PME. Il a créé, par essaimage en direction des petites et moyennes entreprises, plusieurs milliers demplois au cours des dix dernières années, ce que lon ne sait pas suffisamment.
Le CEA sest concentré sur trois missions quil faut confirmer.
Dabord, il maintient loption nucléaire ouverte, ce qui représente 70 % de son activité, comportant recherche et développement, prestations, assainissement, avec près de 50 % de recettes externes.
Ensuite, il a créé une activité économique et de lemploi avec les PME. Cela fait partie de ce qui lui a été assigné lors de sa réforme. Cela représente 15 % de son activité.
Enfin, il a maintenu ses capacités scientifiques au plus haut niveau possible par la recherche fondamentale dans des disciplines de base : physique nucléaire, physique des particules, matériaux, biologie, etc., ce qui représente 15 % de son activité.
Cest donc un des établissements essentiels à la recherche, principalement nucléaire, dans notre pays. Il la fait en développant des programmes de recherche très importants. Je pense, par exemple, au programme de radiobiologie. Il la fait avec une ouverture et une transparence accrues. Il était nécessaire quelles le soient.
Il exerce sa mission dexpert scientifique auprès des pouvoirs publics, donc auprès du ministère de lindustrie. Jai loccasion, mais cest aussi le cas de M. Allègre, de Mme Voynet et de M. Richard, de présider régulièrement des comités dénergie atomique, en fonction des centres de gravité du moment des recherches du CEA.
M. Destot me fournit loccasion dadresser au CEA un satisfecit pour la qualité de sa recherche et de sa contribution au maintien de choix ouverts pour les décisions stratégiques à prendre en matière énergétique en 2010. Sans le CEA, léventail des possibilités ne serait pas aussi ouvert.
Cest un outil essentiel. Jai dû rappeler, par un communiqué interne de ladministrateur général publié jeudi dernier, quil nétait en aucune façon envisagé de licencier ou de se séparer du concours de plusieurs centaines de personnes, mais quil sagissait, au contraire, de conforter le CEA dans son identité de grand établissement scientifique mondial dont la France peut shonorer.
Je le répète, une vraie politique énergétique doit être fondée sur la transparence, sur la démocratie et, naturellement, sur lintervention du Parlement, dans ses commissions permanentes. Cest évidemment le Parlement qui doit avoir le dernier mot.
Dans le cadre plus large dune éventuelle réforme en vue dune plus grande équité fiscale, la taxe professionnelle dagglomération ou communale devra en effet être repensée, eu égard au caractère exceptionnel de certains établissements et du système décrêtage que connaissent bien ceux dentre nous qui ont fréquenté la commission des finances. Il aboutit à certaines insuffisances. M. Strauss-Kahn et M. Sautter lont annoncé il y a quelques mois : le Gouvernement a mis en chantier une réforme de la taxe professionnelle. Elle commencera vraisemblablement par une réforme de la taxe professionnelle des groupements de coopération intercommunale.
M. Roger MEÏ : Je rappellerai quau sein de la gauche plurielle, le parti communiste na pas conclu daccord électoral, mais que nous aurions souhaité, comme pour les trente-cinq heures et les emplois-jeunes, que le sujet fasse lobjet dune discussion au Parlement. Je partage la critique qui a été faite : il ny a jamais eu de débat parlementaire sur les questions énergétiques auparavant, mais je constate avec regret que cette fois-ci non plus. Je souhaite que soit organisé, pour les décennies à venir, un véritable débat dans lannée en cours ou au début de lannée prochaine.
M. le secrétaire dEtat, mes questions seront articulées autour du respect de lenvironnement.
Les centrales à énergie nucléaire classique produisent du plutonium, donc des quantités importantes de matières nucléaires. Que va-t-on en faire ? Va-t-on les entreposer ? La surgénération nétait-elle pas le moyen à la fois de les consommer et de les éliminer, sauf les actinides mineurs ?
La surgénération sinscrivait dans la continuité dune politique nucléaire conséquente par rapport à lavenir. Il me semblait naturel dutiliser les masses importantes de plutonium disponibles. Quen fera-t-on ? La loi Bataille prévoit leur stockage. La solution la plus écologique consistait à les consommer. Nous sommes daccord pour dire que la surgénération offre daussi bonnes conditions de sûreté que les centrales à eau pressurisée.
Au sommet de Kyoto, il y a quelques mois, la France a été félicitée par lensemble des participants sur sa politique en matière démission de gaz carboniques. On le doit, la Ministre, Mme Voynet, lavait souligné, à notre politique nucléaire.
Je suis maire dune commune dun bassin minier qui se bat pour la continuation de lexploitation charbonnière, car chez moi, le chômage atteint plus de 20 %, mais si on continue à brûler le charbon, le gaz, le fioul tel quon le fait actuellement, et si les pays sous-développés développent leur recours à ces énergies je reviens dun voyage en Chine où jai vu les dégâts de cette pollution , on risque daboutir à une catastrophe. La solution ne passe-t-elle pas par le développement du nucléaire qui ne produit aucune émission de CO2 ?
Il importe de favoriser les économies dénergie, de développer la production dénergie solaire, éolienne et autres, et de diminuer la combustion des matières fossiles, car nous devons préparer une planète propre pour nos enfants. Il ne me semble pas que dans les décennies à venir, il y ait dautre solution que le développement du nucléaire, notamment au travers de la surgénération.
M. le Rapporteur : Je voudrais corriger une affirmation de M. Meï. La loi du 30 décembre 1991, dite loi Bataille, ne prévoit, en aucune manière, le stockage, comme voudraient le faire croire ses adversaires. Elle ouvre des champs de recherche sur la gestion des déchets nucléaires, dont le stockage.
Pour le reste, je rejoins mon collègue Meï. Jai déjà dit, de manière caricaturale, que nous aurons le choix, dans lavenir, entre leffet de serre et les déchets nucléaires.
M. Christian PIERRET : Je ne peux que confirmer ce qui vient dêtre dit par M. Meï et par M. le Rapporteur. A Kyoto, la France a été saluée comme étant le pays industrialisé émettant le moins de carbone dans latmosphère à partir du CO2 : 1,7 tonne de carbone par an et par habitant, contre 5,1 tonnes pour les Etats-Unis. Les émissions dautres pays développés confirment limportance de lindustrie électronucléaire dans labsence de pollution par le carbone. Le Japon, dont la stratégie énergétique est proche de la nôtre, émet 2,1 tonnes de carbone par an et par habitant, contre 2,3 tonnes pour lAllemagne et 2,4 tonnes en moyenne pour les pays de lUnion européenne.
Les meilleurs pays dans le non-rejet de carbone dans latmosphère et dans la non-contribution à leffet de serre sont ceux dotés dune industrie électronucléaire significative.
M. Meï ma interrogé quant à la politique du Gouvernement sur les trois voies de recherche. M. le Rapporteur la précisé à juste titre et je veux confirmer ici de la manière la plus claire que larbitrage rendu par le Premier ministre, le 2 février dernier, indique bien que les trois voies de recherche de la loi du 20 décembre 1991 seront respectées. Doù ce que jai indiqué tout à lheure sur la première de ces voies, la séparation-transmutation : avec Phénix, jusquen 2004, nous avons six ans de travail devant nous.
Cest pourquoi il a été décidé, après vérification, de réaliser des laboratoires de recherche, conformément à la loi. La décision sera prise après vérification du contenu du mot « réversibilité » ou « irréversibilité ». Le Premier ministre a demandé à la CNE de fournir un rapport sur le concept de réversibilité, en saidant du concours de lensemble des organismes qui peuvent être appelés à y participer, notamment lANDRA et le CEA. Lorsque nous serons assurés davoir donné un contenu précis, non contestable au concept de réversibilité, conformément à larbitrage du 2 février, la décision sera prise de réaliser des laboratoires en couches géologiques profondes.
Le texte de loi fait état de processus « réversibles ou irréversibles » et laisse ouverte la possibilité. Nous souhaitons nous rapprocher le plus possible des conditions dune réversibilité maximum.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai le souvenir précis des conditions dans lesquelles cet article a été voté. Il est évident que dans lesprit du législateur, la réversibilité est préférée ; mais comme rien, en termes de connaissance scientifique, ne peut la garantir, le texte prévoit « la réversibilité ou lirréversibilité », la décision devant être prise en fonction des connaissances du moment.
Je crois quune fausse polémique est entretenue. Je me réjouis que des crédits, des études et une attention particulière permettront peut être daboutir à la réversibilité préférable.
M. Christian PIERRET : Lobjectif est en effet, pour le Gouvernement, de se rapprocher le plus possible de 100 % de réversibilité.
La troisième voie, très insuffisamment explorée depuis plusieurs années, a fait lobjet de ma part dune augmentation de crédits. Il a donc fallu demander au CEA daugmenter de 15 % en 1997, puis de 20 % en 1998 les crédits consacrés aux recherches sur léventuel stockage en surface, auquel les décisions du 2 février ajoutent une recherche nouvelle en matière déventuel stockage en subsurface, cest-à-dire à une profondeur comprise entre 100 et 200 mètres. Les couches géologiques profondes, entre 400 et 800 mètres, sont, suivant les cas, envisagées pour un éventuel stockage, en tout cas, dès à présent, pour un laboratoire.
Je confirme à la commission denquête que nous explorons la totalité des possibilités de recherche ouvertes par la loi du 30 décembre 1991 : aucune ne sera négligée et aucune ne sera placée en situation dinfériorité. Le souci est toujours de permettre au Parlement de disposer du plus large éventail de possibilités. Mais pour cela, il faut auparavant avoir étudié dans des laboratoires de recherche les trois voies. Sur la surface et la subsurface, un certain nombre de recherches scientifiques sont à mener.
Nous sommes très clairs, il nest pas question de dévier de lapplication de la loi que vous avez votée et que jai dailleurs, avec une autre casquette, moi-même votée plutôt des deux mains que dune.
Il faut maintenir la filière nucléaire, parce que cest celle qui pollue le moins, comme cela a été rappelé à Kyoto. La France le démontre tous les jours. Il convient de développer la cogénération ou le cycle combiné, parce quen termes de coût et de prix
certains y voient aussi dautres avantages il est aujourdhui le meilleur système, en dehors de la filière nucléaire. Les autres avantages sont la capacité de décentralisation, la souplesse dutilisation. Il faut également faire en sorte que les moyens de transports, notamment lautomobile, soient de moins en moins polluants. Il faut développer lutilisation du gaz naturel pour véhicule, du GPL et, peut-être, la voiture électrique, si les batteries au lithium peuvent être vendues à un prix raisonnable sur le marché français.
Nous prévoyons un ensemble de mesures destinées à permettre la cohérence avec les obligations auxquelles se sont volontairement soumises les nations présentes à Kyoto, et de nature, là aussi, à faire de la France un des meilleurs pays industriels au plan de la non-pollution ou de la réduction des effluents de pollution. Cest un acquis équilibré. Je le répète, notre politique énergétique procède de la volonté déquilibre, elle ne parle pas que du nucléaire, même sil en est le centre de gravité.
Elle parle des nouvelles énergies, du gaz dans les véhicules et dans les transports, elle sattaque au problème environnemental des transports, des transports publics, des flottes captives, de la situation dans les villes. Elle sattaque frontalement au problème de lémission minimum de CO2, de CO et de NOX. Elle est globale, équilibrée et procède dune vision densemble stratégique.
Enfin, elle vous laisse, à vous parlementaires, la capacité de décider à chaque instant et de linfléchir. Elle soumet à votre appréciation des options stratégiques qui laissent toujours, en fin de compte, et cest son principal avantage, les responsables politiques de notre pays qui sexpriment au Parlement, décider des inflexions ou des grands axes quils souhaitent développer.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : M. le secrétaire dEtat, vous nous avez dit que la décision dabandon du surgénérateur de Creys-Malville était de nature politique et économique. Je veux bien admettre que ce soit une décision de complaisance politique, mais je regrette profondément de ne vous avoir jamais entendu dire, ce soir, quen regard de cette décision, il y avait des femmes et des hommes sur le site, qui ont donné toutes leurs compétences, leur savoir pour une technologie française. Lors de lannonce de labandon, ces hommes et ces femmes, toutes tendances politiques confondues, pleuraient, parce que vous leur aviez fait mal.
Vous avez fait mal à la technologie française, à des hommes et des femmes qui donnaient le meilleur deux-mêmes pour notre pays et pour ce en quoi ils croyaient. Je le répète, je nai jamais entendu de votre part que lon prenait en compte le côté humain de cette décision. Cest pourtant important, puisque des milliers de personnes soit travaillent sur le site, soit occupent des emplois induits par le site. Or la région est très fortement pénalisée. Lorsque lon prend une décision de cette importance, on ne devrait pas faire fi de ces questions.
Il convient de se rappeler que lorsquon leur a demandé sils étaient favorables à la construction du surgénérateur, les élus et la population lont acceptée. On leur a promis des aides. Des prêts leur ont été accordés par la Caisse de lénergie et par la Caisse des dépôts, prêts quils allaient pouvoir rembourser avec le produit de la taxe professionnelle. Les communes se sont engagées, ont investi, ont travaillé dun commun accord avec les responsables politiques, administratifs pour offrir un environnement agréable pour tous.
Aujourdhui, ces élus sont profondément blessés par cette décision. Largent est une chose, lêtre humain en est une autre, que lon ne doit pas oublier ou négliger.
Hier soir encore, jai rencontré des responsables du surgénérateur qui mont parlé de drames provoqués par cette décision. Des entreprises ont licencié, les agents dEDF ne sont pas sûrs du lendemain et attendent le décret darrêt avec grande inquiétude. Vous avez annoncé quil y aurait des compensations. On ne les voit pas venir. Le contexte économique ne les favorise pas. Je le répète, ce nest pas avec de largent quon réglera les problèmes.
Vous avez parlé de lengagement de la politique nucléaire en 1945. Pierre Mendès-France a été un des premiers à entrer dans cette voie, suivi, très fortement, par le général de Gaulle. Cela a fait la richesse et la force de la France, et nous pouvons tous en être fiers aujourdhui. Le surgénérateur faisait partie de cet ensemble qui a favorisé la richesse de notre pays. Il est regrettable que pour des accords politiques de complaisance, vous ayez arrêté tout cela.
M. Christian PIERRET : M. le député, si je nai pas évoqué ces questions, ce nest naturellement pas parce que je serais insensible aux questions humaines que vous avez, à très juste titre, rappelées, cest tout simplement parce que javais prévu de faire une intervention liminaire, mais que, pour répondre à la première question du Président, jai dû y renoncer.
Dans mon intervention liminaire, je consacrais dimportants développement à ce qui fait lobjet de votre question. Je prie la commission de mexcuser si je nai pas pu tout développer, mais les questions et lordonnancement du débat ne mont pas permis de le faire. Je vous remercie de votre question. Ny voyez pas un manque dintérêt ou une insouciance particulière à légard de la situation parfois humainement très difficile que traversent un certain nombre de personnes et leurs familles.
Quel est limpact de la fermeture de la centrale Superphénix sur la zone géographique dont vous êtes un des élus ? Cette zone est constituée de trente et une communes regroupant 49 200 habitants. Elle est centrée, même si elle ne sy limite pas, sur le canton de Morestel. Cette zone concentre 80 % de limpact total sur la population et 85 % de limpact total sur lemploi induit par la consommation des foyers dactifs de la centrale.
A lui seul, le canton de Morestel dix-huit communes subit 52 % de limpact sur la population et 43 % de celui sur lemploi induit. La commune de Morestel elle-même subit un véritable drame, avec 25 % de limpact. Trois communes, dont Morestel, ont un impact supérieur à 10 %.
La population liée aux « foyers » Superphénix EDF, prestataires permanents, etc. représente 3 640 personnes, soit 7,4 % de la population.
Les emplois induits par la consommation de ces personnes, par la diffusion de revenus au sens keynésien du terme, concernent 465 personnes. Les emplois de sous-traitants non présents en permanence sur le site concernent cinquante personnes.
Limpact économique local est concentré sur les collectivités dont je viens de parler. Celui-ci ne sera pas brutal, il sera diffusé dans le temps dans un processus long et progressif. Larrêt du surgénérateur sera très amorti dans le temps, ce qui permet de mettre en place des mécanismes compensateurs.
Le Premier ministre a désigné M. Aubert pour effectuer une mission détude. Il connaît bien la région, car il y a déjà réalisé des travaux à La Mure. Je pense quil est apprécié des élus locaux et des organisations syndicales dont il sest assuré la participation dans tous les dialogues quil a noués localement.
Nous avons par ailleurs décidé dun plan daccompagnement, le 2 février dernier, dont je vous indiquerai les grandes lignes, bien quil relève très largement des responsabilités de ma collègue Mme Voynet, Ministre de lenvironnement et de laménagement du territoire qui, si la commission linvite, ne manquera pas de décrire la contribution de son ministère à lévolution économique et à la restructuration de léconomie locale de Morestel et de sa région.
Ce programme prévoit la mise en place dun plan daccompagnement des entreprises prestataires de la centrale, avec notamment la création dune cellule de reclassement inter-entreprises. Jai demandé à EDF de veiller à ce que ces sous-traitants ne subissent pas immédiatement de plein fouet les conséquences de cette décision. EDF a dû négocier avec un certain nombre de partenaires économiques locaux laménagement des dures conséquences de notre décision pour ces entreprises.
Il prévoit aussi la création dun fonds de développement économique destiné à appuyer les projets de développement et la création demplois dans le bassin de Creys-Malville. Ce fonds est doté par lEtat de 10 millions de francs par an sur cinq ans et est abondé à hauteur de 50 % par EDF, ce qui porte la capacité dintervention à 15 millions de francs par an. A titre de comparaison, je viens de décider, pour le bassin de Longwy où vingt mille emplois ont été supprimés en quinze ans, une nouvelle contribution globale des pouvoirs publics dun peu plus de 60 millions de francs.
Un dispositif daide à la création dentreprise sera mis en place.
Mme Voynet a peut-être déjà demandé le classement du canton de Morestel en zone éligible à la prime à laménagement du territoire (PAT) « industrielle ».
Il est également prévu lémergence de projets collectifs structurants qui pourront être financés par le Fonds national daménagement et de développement du territoire (FNADT). Je suis certain que ma collègue fera les efforts nécessaires pour quun préciput significatif soit prélevé sur le FNADT pour permettre le redéploiement économique local.
Sont aussi envisagées des mesures de soutien aux communes qui se sont endettées. Il sagit dendettements auprès de la Caisse des dépôts et consignations ou auprès de la Caisse nationale de lénergie. Il sagit denviron 50 millions de francs dendettement de la part des communes qui devraient être apurés dans des conditions très favorables, voire annulés pour partie. Pour la Caisse nationale de lénergie, il y aura une annulation à la demande de lEtat. Nous nous rapprochons de la Caisse des dépôts et consignations afin de permettre la réduction drastique, voire lannulation de cet endettement.
Lannulation de lendettement des collectivités locales lié à la centrale est en cours. Le classement du canton de Morestel au bénéfice de la PAT est en cours. Sont en place : le relais-emploi pour les salariés des prestataires de la centrale, le soutien aux entreprises prestataires, le fonds de développement économique de 15 millions de francs, assistés dune équipe de permanents EDF, des ingénieurs spécialisés dans le redéploiement local, et le renforcement dune plate-forme dinitiatives locales.
Enfin, est prévue la mise en place dun comité dorientation associant les élus, les services déconcentrés de lEtat, notamment mon représentant et celui de Mme Voynet, qui est le directeur régional de lindustrie, de la recherche et de lenvironnement de la région Rhône-Alpes, EDF, les organisations syndicales et les partenaires socio-économiques locaux, afin dassurer une concertation vivante, bien nécessaire étant donné lampleur des problèmes économiques, dont je redis quils seront étalés dans le temps.
Les conséquences de labandon de Superphénix sur lemploi, la fiscalité locale et léconomie régionale sont, certes, importantes et brutales, si on les évalue sans tenir compte des effets damortisseurs. Le processus darrêt définitif est évidemment très long. La durée entre début et fin du processus est dune dizaine dannées.
Ces amortisseurs résultent également du statut dune grande partie des personnels concernés. Ce sont des personnels dEDF ou proches dEDF pour lesquels des solutions humaines doivent être trouvées, en liaison permanente entre EDF, le ministère de lenvironnement et de laménagement du territoire et le ministère chargé de lénergie. Dautres amortisseurs sont liés aux possibilités datténuer leffet des pertes de recettes fiscales par un mécanisme de compensation ou par la suppression de lendettement.
Je pense que lon peut dire quil existe un éventail complet de mesures de soutien aux collectivités locales et une attention particulière que lexploitant et lEtat se doivent dapporter aux salariés et aux familles concernés par cet arrêt.
Je le répète, il sagit dun système très progressif qui devrait éviter des licenciements secs. Il ny en aura pas à EDF, il pourra y en avoir chez des sous-traitants. Il faudra veiller au cas par cas, de manière très fine, à ce que les conséquences sociales et humaines soient minimisées.
M. Richard CAZENAVE : Je reviendrai sur la raison majeure avancée, à savoir la raison économique. A ce sujet, M. le secrétaire dEtat, vous navez pas fourni toutes les réponses précises qui étaient attendues.
En effet, on peut écarter la raison démocratique, puisquil nexiste pas dans notre pays de majorité pour demander larrêt de Superphénix. Une minorité la obtenu en raison daccords électoraux. Par ailleurs, vous avez écarté la raison de sûreté, puisque vous avez dit vous-même quil ny avait pas de problème de sûreté.
Jai entendu dire que le contribuable avait payé. Pourriez-vous nous préciser qui a payé les 60 milliards de francs ? Jai plutôt le sentiment que lexploitant, EDF, dans le cadre dune politique générale daccélération du programme nucléaire décidée depuis 1972-1973, a développé une politique globale qui sest traduite pour le consommateur par les prix dénergie les moins chers et par la plus faible pollution dEurope. On ne peut pas dire que le contribuable ait été lésé. La preuve, cest quEDF dispose de provisions très importantes qui lui permettent de faire face à toutes les éventualités.
De plus, si jai bien compris, une partie de ces 60 milliards de francs sont virtuels, puisquils nont pas été dépensés à ce jour. M. Borotra disait tout à lheure que 40 milliards de francs avaient été dépensés. Est-ce exact ?
Enfin, je voudrais savoir quel est aujourdhui le coût annuel dexploitation à la charge dEDF et, en regard, les services rendus par Superphénix en termes de recherche et de recyclage des déchets nucléaires. Parallèlement, quel sera le coût de développement des autres solutions technologiques permettant dobtenir les mêmes résultats en matière de recherche et de recyclage des déchets ? Je partage les interrogations formulées ici sur les problèmes denvironnement.
Ce sont les éléments dun débat transparent et sérieux. Si la seule raison est dordre économique, je demande que lon compare les coûts du maintien de lexploitation de Superphénix, avec ses performances en matière de recherche et de recyclage, et les solutions alternatives proposées. Cest une des pistes sur lesquelles je souhaiterais que vous soyez un peu plus précis, M. le secrétaire dEtat.
M. Joseph PARRENIN : Je dirai que nous avons affaire à une décision politique pour des raisons économiques. Il y a eu un dérapage par rapport aux prévisions initiales. Quelles en sont les causes ?
La surgénération est-elle définitivement condamnée ou bien existe-t-il des perspectives technologiques ?
M. Serge POIGNANT : Jai bien noté, M. le secrétaire dEtat, quil ny avait pour vous aucun problème de sûreté ni denvironnement, puisque vous partagez le sentiment quasi général que la grande menace pour notre planète est leffet de serre, alors que lénergie nucléaire est une énergie propre. Au-delà de la politique, vous nous parlez de léconomie.
Jinsisterai sur un point qui a déjà été évoqué par notre collègue Borotra, mais qui me semble fondamental. Puisque vous nous dites que les trois axes de la loi Bataille seront respectés, que nous aurons un choix énergétique à opérer en 2010, pensez-vous vraiment que Phénix soit capable, en termes de performances, de sûreté et de pérennité, de répondre à tous les besoins ? Sagissant des performances, Superphénix et Phénix nutilisent pas les mêmes éléments fissiles. Concernant la sûreté, vous nous dites que lautorité de sûreté sengage, oui, mais... Pour ce qui est de la pérennité, on a évoqué lâge de Phénix. Pensez-vous vraiment quen 2010, on pourra en toute connaissance de cause prévoir la politique énergétique de la France ?
Enfin, vous navez pas consulté lAssemblée nationale. Pourquoi navez-vous pas demandé à un organisme parlementaire, lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques, de vous fournir un rapport sérieux et objectif ?
M. François LOOS : Je poserai, tout dabord, la même question que mon collègue Cazenave : comment se décomposent les 60 milliards de francs ? Comment ont-ils été financés ?
Si on brûlait le cur en place, quelle serait la quantité délectricité produite ?
Vous avez parlé de votre intérêt pour le système hybride Rubbia, cest-à-dire lamplificateur dénergie. Avec quels pays européens envisagez-vous de mettre en uvre ce type de système ? Avez-vous déjà conclu des accords avec dautres pays européens ? Avez-vous déjà un plan de financement ? Pouvez-vous nous annoncer une date pour la mise au point dun prototype ? Qui sera leader de lItalie ou de la France ?
Pensez-vous mettre fin aux crédits de la fusion qui figurent actuellement dans le budget européen ? Est-ce encore un programme de recherche pour lequel il faut dépenser de largent ? Ces fonds ne pourraient-ils pas servir à financer lamplificateur ?
A ma connaissance, on mesure les rayonnements perçus par lorganisme en millisieverts. En moyenne, un Français, même sil travaille dans lindustrie nucléaire, reçoit 22 millisieverts. Le nucléaire est responsable de 0,02 millisieverts. Comment expliquez-vous que, tout à coup, la semaine dernière, à loccasion du douzième anniversaire de laccident de Tchernobyl, des informations très graves aient été diffusées concernant lirradiation subie par les Alpes ? De combien de millisieverts le rayonnement subi par les habitants de cette région a-t-il augmenté ?
M. Christian PIERRET : Sagissant de la décomposition par la Cour des comptes des chiffres du coût total de léquipement, je nai pas apporté le rapport. Plusieurs députés mayant posé sensiblement la même question, je fournirai lévaluation de ces chiffres à la commission denquête.
Je puis vous indiquer quil sagit de la totalité du coût de léquipement de sa construction à son arrêt et démantèlement définitif. Jen ai indiqué plusieurs segments : 14,2 milliards de francs pour EDF, dont 10,9 milliards de francs pour la mise à larrêt définitif. Jai évoqué dautres coûts nettement inférieurs pour la compensation à apporter aux collectivités locales. On pourra procéder à une addition, dont il est un peu tôt pour affirmer quelle sera rigoureuse, car des surprises techniques peuvent apparaître lors de la vidange des circuits de sodium, lors de la désactivation du sodium ou lors dautres phases particulières du démantèlement ; elles seront dailleurs fort instructives pour dautres opérations du même type, même si elles ne porteront pas sur des surgénérateurs mais sur des REP.
Jindique honnêtement à la commission que je ne suis pas en mesure deffectuer une « décontraction » des 60 milliards, mais que je la fournirai par écrit.
Le coût de Superphénix ne peut évidemment pas être comparé à celui des outils qui entreront en activité après la fin du contrat NERSA. Nous ne savons pas combien coûteront les projets Rubbia, Horowitz, etc. En ce qui concerne le Rubbiatron, je nai pas de date à donner. Jai indiqué quil sagirait dun processus assez long et quil sagissait dun problème européen, notamment avec les Italiens, mais aussi avec dautres partenaires déjà engagés avec nous dans des recherches dans le domaine nucléaire. Cette question relève entièrement de la responsabilité de mon collègue, M. Allègre, au titre de la recherche et de la technologie.
Je suis favorable, en effet, à un basculement des crédits de la fusion vers ce type de recherche, puisque ces crédits sont aujourdhui inutilisés dans les programmes de recherche européens.
Certaines dérives sont dues à des accidents de fonctionnement. Par exemple, la reconstruction dun toit qui sétait écroulé sous le poids de la neige a coûté très cher.
Le coût de la perte annuelle est évalué par EDF à 400 millions de francs selon les hypothèses de base de lentreprise, avec une hypothèse de disponibilité comparée de 30 %.
La surgénération est-elle condamnée ? Je crois avoir été assez clair. Elle ne lest pas sur le plan de la technologie et de la recherche. Elle doit être considérée comme une technique intéressante à long terme. Jai parlé de trente, quarante ans. Personne ne peut être plus précis.
Suis-je convaincu que Phénix puisse satisfaire à des obligations de recherche ? Oui, parce que la DSIN, autorité de sûreté, nous a autorisés à faire monter en puissance le surgénérateur Phénix. Je vous remettrai une note scientifique montrant que les principaux programmes, notamment SPIN, pourront être poursuivis sans dommage à partir de loutil Phénix. Je reconfirme donc que cet outil est adapté dailleurs davantage que Superphénix, par sa souplesse de mise en uvre à un certain nombre de recherches fondamentales qui mapparaissent nécessaires.
Cette voie de la surgénération est tout à fait essentielle aux yeux du Gouvernement pour satisfaire à laxe 2 de la loi Bataille. Je crois lavoir déjà dit. Cest ma conviction personnelle, je le redis ici avec force.
En ce qui concerne les contaminations, on a dit énormément de choses, toutes plus fausses les unes que les autres. Le chiffre exact de contamination dans les Alpes on a parlé du massif du Mercantour, il y a quelques jours fera lobjet dune communication de la DSIN et de lOffice de protection contre les radiations ionisantes. Cest de la responsabilité de ces organismes, dont je souligne quils sont indépendants du Gouvernement, de donner des chiffres et ils seront fournis.
Puisque la question a été posée en termes de millisieverts, rappelons que lOrganisation internationale de lénergie atomique vient de resserrer ses prescriptions vis-à-vis de deux catégories de populations : la population extérieure aux centrales et les personnels qui travaillent au sein des centrales. Les doses admissibles ont été fortement réduites, à 5 millisieverts par an pour les travailleurs des centrales et à 1 millisievert par an pour les personnes qui nexercent pas leur activité professionnelle au sein dune centrale.
Chacun sait que lorsquon visite une centrale, on est muni dun dosimètre. Jen ai visité bon nombre et ni le personnel, ni les représentants des organisations syndicales, ni les dirigeants, ne mont jamais rapporté de cas de contamination importante. Il faut désamorcer les erreurs, souvent volontaires, de ceux qui chercheraient à créer des effets de panique dans la population. La France est encore plus rigoureuse que ne lexigent les prescriptions de lAgence internationale pour lénergie atomique. Que dire de plus devant la commission denquête ?
Jindiquerai par écrit à la commission combien de milliards de kW représentent les deux curs non brûlés.
M. le Rapporteur : Il nous faut remercier M. Pierret du caractère fort complet de ses réponses. Nous avons eu aujourdhui une réunion exceptionnellement longue, sans doute parce que cétait notre première audition et quil y avait chez les membres de la commission une soif de connaissance du dossier, sans doute aussi parce que M. le secrétaire dEtat est le principal porteur du dossier sur le plan industriel.
Nous avons abordé aujourdhui un certain nombre de sujets que nous évoquerons de nouveau avec ses collègues du Gouvernement, Mme Voynet et M. Allègre, puisque nous avons débordé sur les domaines de lenvironnement et de la recherche, dont nous avons eu une excellente approche.
Le rapporteur de la loi du 30 décembre 1991 que jétais se permettra une petite remarque. Nous nous saisissons souvent des grands dossiers nucléaires dans lurgence. La loi du 30 décembre 1991 est intervenue par suite de lurgence née de la difficulté de trouver une solution au problème des déchets. Nous avons légiféré en nous promettant de continuer à le faire régulièrement en toutes occasions. Il y aura bientôt sept ans que le Parlement na pas légiféré sur une matière aussi vaste.
De la même façon, nous nous saisissons du problème de Superphénix sans doute un peu tard et dans lurgence. Nul doute que cette commission denquête permettra daméliorer la connaissance et la transparence de ce dossier.
En ce qui me concerne, je nai pas entendu beaucoup darguments convaincants en faveur de la nécessité de la fermeture de Superphénix. Jessaie de le faire en observateur neutre que se doit dêtre le rapporteur.
Avant que nous ne nous séparions, je vous poserai une simple question.
Y avait-il nécessité absolue à ce que, dès la semaine dernière, trois membres du Gouvernement, vous-même, M. Strauss-Kahn et Mme Voynet, demandiez la mise en uvre de la procédure de fermeture de Superphénix ? Naurait-on pu attendre les conclusions de la commission denquête ? Ou bien cette procédure interfère-t-elle de façon tout à fait fortuite avec la mise en place de notre commission denquête ?
M. Christian PIERRET : M. le Rapporteur, sur le plan juridique, il était nécessaire, après avoir annoncé et réannoncé, commenté et recommenté cette décision, que nous la mettions en uvre sur un plan strictement légal, conforme aux textes. Cest en ce sens que cette lettre a été signée.
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, je terminerai par une observation ponctuelle. Lun dentre nous a cité Pierre Mendès-France. Je voudrais rendre un hommage particulier au président Guy Mollet qui a pris la décision, en 1956, de lancer les études sur la séparation isotopique. Comme léclairage de notre salle de réunion provient à 82 % de la décision du président Guy Mollet, je voulais lui rendre un hommage particulier.
M. Christian PIERRET : Permettez-moi, M. le Président, dassocier lhommage du Gouvernement à celui que vous venez de rendre au Président du Conseil de lépoque.
M. le Président : M. le secrétaire dEtat, je vous remercie. En écho à M. Bataille, je dirai que vous ne nous avez pas tous convaincus, mais que vous avez exprimé votre point de vue. Je vous en sais gré. Je vous saurais un gré particulier aussi si, avec laide de vos collaborateurs et des services, vous pouviez répondre à la plupart des questions auxquelles vous navez pas répondu ici, afin de nous permettre de compléter le dossier à partir duquel nous élaborerons nos conclusions.
Audition de MM. Rémy CARLE,
ancien Président du Conseil de surveillance de NERSA,
Jacques CHAUVIN, Président du Conseil de surveillance de NERSA,
et Bernard GIRAUD, Président du Directoire de NERSA
(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Rémy Carle, Jacques Chauvin et Bernard Giraud sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Rémy Carle, Jacques Chauvin et Bernard Giraud prêtent serment.
M. Rémy CARLE : M. le Président, MM. les députés, Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides constituent un vaste sujet. Je vais donc être obligé de faire un choix sur quelques points qui me paraissent plus importants que les autres ; bien entendu, je suis tout prêt à répondre ultérieurement à vos questions sur lensemble du sujet.
Premier point que je voudrais souligner : il ne faut pas juger Superphénix indépendamment de lensemble de leffort de recherche et développement concernant les réacteurs à neutrons rapides. Votre commission porte dailleurs « sur Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides », je nai donc pas besoin de vous convaincre sur ce point.
Cest un effort long, qui a été entrepris vers 1960 avec la création du centre de Cadarache, puis Harmonie, Masurca, Rapsodie puis Phénix au tournant des années 1970 ; véritablement, Superphénix est un maillon de toute cette chaîne.
Le but de cette chaîne, le but de tous ces efforts vous est connu. Je le rappelle très brièvement : cest de mettre au point une filière de centrales capables de produire de lélectricité en utilisant le plutonium produit par les centrales de première génération, cest-à-dire en fait, capables dutiliser luranium 238 comme matériau fissible sous sa forme de plutonium ; on sait que luranium 238 représente 99,3 % de luranium naturel, cela revient donc à extraire de lordre de cent fois plus du minerai duranium. On peut le dire de façon un peu différente : les centrales à neutrons rapides sont complémentaires des centrales de première génération ; les centrales de première génération produisent, quon le veuille ou non, du plutonium. Le plutonium étant une matière fissile, il est évidemment tentant de lutiliser pour en faire de lélectricité. Ceci assure, devrait assurer à la filière nucléaire sa durée, sa pérennité et une certaine cohérence. De plus, en utilisant ainsi le plutonium, on évite de le stocker comme un déchet (à longue durée de vie).
Les premières étapes ont permis dapprendre à utiliser le sodium, le combustible à base de plutonium et à accumuler les connaissances de base. Je voudrais souligner que tout ceci a mobilisé une somme defforts tout à fait considérable, en particulier au CEA et quil y a eu et quil y a encore dans ce domaine une collaboration internationale particulièrement développée. Il faut bien être conscient que mettre fin à Superphénix, cest, en tout cas provisoirement, rendre finalement improductif lensemble de tous ces efforts engagés depuis 1960.
Deuxième point : pourquoi Superphénix a-t-il été créé au début des années 1970 ? Ce sont très clairement les électriciens EDF, lItalien ENEL, lAllemand RWE qui ont voulu Superphénix à ce moment. Dès son rapport de mai 1969, la commission PEON dont les plus anciens ici se souviennent et qui était une assemblée de hauts fonctionnaires, dindustriels, de savants conseillant le Gouvernement sur les options du programme nucléaire, avait écrit, je cite : « la position favorable de la France dans cette filière devra être confirmée par lengagement dune centrale encore prototype mais de grande puissance, suivie quelques années plus tard dune centrale tête de série ». Ceci était écrit en mai 1969 et cest très exactement la définition de Creys-Malville. La commission est dailleurs revenue sur ce thème dans ses rapports de 1970, de 1973 et de 1974.
Lélément déclencheur a certainement été le succès de Phénix qui a démarré entre 1972 et 1974. Il est apparu opportun à ce moment de construire une centrale de grande taille, de voir si on savait la construire, si on savait lexploiter et quel en serait le coût.
Les trois électriciens susnommés ont répondu à ce désir de la commission PEON en prenant linitiative de sunir sous la forme de la société NERSA et ont confirmé entre 1971, date de leur première déclaration dintention, et 1977, date de passation des principales commandes, leur engagement financier. La réalisation de Superphénix a été financée conjointement par ces trois électriciens suivant le rapport 51/33/16.
Pourquoi une entreprise multinationale ?
Cela correspond, je pense, à une conviction européenne de ses promoteurs. Mais cela sexplique aussi parce que lenjeu était considéré comme lourd, avec des risques industriels certains et quen conséquence il fallait partager cet enjeu.
Par ailleurs je rappelle, parce quon loublie assez fréquemment, que lengagement de ces trois sociétés portait sur deux prototypes, lun de technique française, intégrée je nentre pas dans le détail à construire en France, et lautre de technique allemande, à boucles, à construire en Allemagne. Il sest trouvé que pour diverses raisons le prototype allemand na jamais été réalisé. Il était clair quau départ il sagissait de construire en parallèle, en concurrence dune certaine façon, deux prototypes, den comparer les résultats et den faire ultérieurement la synthèse. Il sagissait donc bien de développement. On peut dailleurs retrouver dans les textes de lépoque quaucun de ces deux prototypes nétait supposé obéir au dispatching ; ils nétaient pas là pour fournir de lélectricité, bien sûr ils en fourniraient et on espérait quils en fourniraient beaucoup, mais ils étaient là dabord pour accumuler des connaissances.
On a, à lépoque, beaucoup discuté de la taille de cette centrale. Peut-être a-t-on à ce moment surestimé le facteur de taille, on pensait que ce nétait pas beaucoup plus cher de construire un gros réacteur quun réacteur de moindre taille ; largument qui la finalement emporté a été celui de faciliter la comparaison afin de pouvoir en tirer toutes les conséquences, entre ces deux prototypes et les centrales à eau légère que lon était en train de construire ou qui allaient être construites.
Je souligne que tout ceci fut décidé avant la crise pétrolière de 1973 : les grands principes étaient déjà posés à ce moment ; par la suite, bien entendu, cette crise a secoué les esprits, certains ont pu penser quil y avait une certaine urgence et quau fond Creys-Malville nétait pas un prototype mais une tête de série. On la dit, cest vrai. Ceci sest finalement révélé erroné, mais je répète que ce nétait pas lintention initiale ; en fait, ceci na eu aucune incidence sur le déroulement du projet.
Lobjectif initial de Creys-Malville était clair. A-t-il été modifié en 1994 ? Non. Il a été essentiellement élargi. Le décret du 11 juillet 1994 qui a permis le redémarrage de linstallation dispose que Superphénix sera exploité en vue de lacquisition de connaissances, notamment dans le domaine de la réduction des déchets à longue durée de vie. Je lai dit déjà et je le répète, lacquisition de connaissances est une priorité dès lorigine ce qui nempêche pas que cette acquisition de connaissances suppose production délectricité. En revanche le contexte en 1994 a changé : les programmes nucléaires nont pas connu le développement que certains anticipaient, donc la nécessité énergétique dutiliser le plutonium sest éloignée dans le temps encore quelle nait pas disparu. En revanche, lintérêt de sen débarrasser, de ne pas avoir à le stocker comme déchet, ainsi dailleurs que dautres éléments à longue durée de vie, ceux que lon appelle les actinides mineurs, apparaît en 1994 et même avant, comme un point de plus en plus important dans lensemble des questions relatives à la filière nucléaire.
Il était donc logique que dans le cadre des programmes lancés au titre de la loi du 30 décembre 1991, le Gouvernement ait souhaité que cette question soit étudiée en se servant de loutil Superphénix qui est fondamentalement un consommateur de plutonium et qui peut donc expérimenter cette voie sans modification notable. Cette problématique est très largement exposée dans le dossier qui fut soumis à enquête en 1993 et fut commenté durant les séances publiques. La centrale a vu son programme dacquisition de connaissances élargi, mais ni elle-même ni son mode de fonctionnement nont changé. Jai donc un peu de mal mais je ne suis pas juriste, je le précise tout de suite à comprendre comment le Conseil dEtat a pu se fonder sur ce point pour annuler le décret du 11 juillet 1994. Cest toujours la même centrale, elle fonctionne toujours de la même façon, même si les mots employés sont parfois différents. Mais sans doute les mots étaient-ils mal choisis ?
Je voudrais insister sur le fait que ce qui me paraît important du point de vue technique dans toute cette démarche, cest de montrer quil est possible, sur le plan économique et industriel, de construire des centrales à neutrons rapides. On peut certainement attacher une certaine importance aux tests du combustible combustible sous-générateur ou combustible surgénérateur mais le principal problème technique est de montrer que lon sait construire ce type de centrale et quelle fonctionne correctement.
Un certain nombre dexpérimentations ont été faites sur Phénix en complément de celles réalisées sur Superphénix. Si demain Superphénix nexiste plus, il faudra certainement les poursuivre et même les intensifier, mais je crois que Phénix ne pourra pas remplacer lexpérience qui aurait été acquise à partir de Superphénix.
Je passe sur un quatrième point, encore quil est important, mais il est purement factuel : je voudrais dire que la centrale de Creys-Malville a été soumise, dans les années 1970, à lensemble des procédures en vigueur. Un simple point que je mentionne : une loi fut alors votée par le Parlement, promulguée le 23 décembre 1972, autorisant la création de NERSA pour produire de lélectricité sur le sol français, et ceci en dérogation à la loi de nationalisation qui avait créé EDF. Cest un point tout à fait important. Le texte de loi mentionne des activités dintérêt européen en matière délectricité. Quand on regarde les débats et les rapports parlementaires, il est clair quil sagit de deux centrales, une centrale à neutrons rapides et une centrale à haute température ; seule la première a été construite.
Bernard Giraud vous donnera un bilan technique du fonctionnement de linstallation. Ce bilan me paraît tout à fait positif. On a beaucoup médiatisé un certain nombre dincidents. Mais aujourdhui, la conclusion est claire pour tout observateur de bonne foi : Superphénix fonctionne ; lannée 1996 en a fait la démonstration.
Certes, sur un certain nombre daspects, les réacteurs à neutrons rapides que lon pourrait construire dans le futur seront différents. Il faudra notamment, je pense, améliorer les possibilités dinspection et de réparation, cest dailleurs un point sur lequel, précisément, les incidents que nous avons rencontrés nous ont beaucoup appris. Si on arrête Superphénix, nous naurons pas lexpérience de la durée, lexpérience du vieillissement ; ceci est tout à fait regrettable ; mais lessentiel de la technologie a été validé et ce, à une échelle industrielle.
Jacques Chauvin vous parlera du bilan économique. Je voudrais souligner trois points très rapidement : quel que soit ce bilan, et nous avons tous en tête le rapport de la Cour des comptes, il ne faut pas oublier que la France en supporte la moitié et que cette dépense sétend sur une durée de quarante à cinquante ans ; ceci relativise les choses. Par ailleurs, la Cour des comptes, comme tous les rapports qui ont été faits sur ce sujet, ne tient pas compte de la valorisation de la recherche et de lacquisition de connaissances ; or, je le répète, cétait cela le but essentiel de la réalisation de Superphénix.
Ce qui manque dans ce bilan, ce sont également les recettes correspondant aux kWh qui nont pas été produits et qui auraient pu lêtre, si la centrale avait été autorisée à redémarrer plus rapidement. Or, cest précisément au moment où lon pouvait espérer une production régulière délectricité que la centrale va devoir sarrêter.
La Cour des comptes elle-même a conclu que la centrale pouvait continuer à fonctionner au moins jusquen 2001 sans coût supplémentaire.
Pour résumer, il apparaît clairement pour moi au moins que les promoteurs de la centrale de Creys-Malville, notamment EDF, ont voulu cette centrale sachant pertinemment que préparer lavenir à cette échelle serait coûteux et difficile, mais que cétait nécessaire ; cest pourquoi il était sage de sassocier à dautres pour partager le fardeau.
Ces électriciens ont assumé des difficultés, celles-ci ne mettant dailleurs en cause ni la sûreté ni les principes de la filière. Ces électriciens considéraient, après lexcellent fonctionnement de 1996, avoir surmonté les difficultés de jeunesse et pouvoir acquérir encore plus de connaissances notamment dans la durée. Ils continuent de penser, comme la dailleurs réaffirmé le Gouvernement français, que lutilisation maximale du minerai duranium par ce que lon appelle à mon avis un peu improprement « la surgénération », demeure un objectif important pour lavenir.
Il est essentiel par ailleurs, pour lensemble de notre programme nucléaire, de recueillir le maximum dinformations afin de prendre en toute connaissance de cause, en 2006, les décisions imposées par la loi du 30 janvier 1991. Superphénix était un outil particulièrement adapté à cet objectif. Ses contributions aux progrès des techniques nucléaires auraient pu être obtenues à coût minimal, linvestissement étant fait, en poursuivant le fonctionnement de la centrale de Creys-Malville.
Comment, dans ces conditions, comprendre la décision du Gouvernement de ne pas autoriser le redémarrage et la poursuite de lexploitation de Creys-Malville, décision dailleurs prise sans consultation, sans que les promoteurs responsables aient pu présenter leurs arguments, ce dont je puis témoigner personnellement ? Je ne sais pas bien répondre à ces questions mais je ne vous surprendrai certainement pas en vous disant que je trouve cette décision injustifiée et lourdement dommageable à notre pays.
Au-delà de la valeur symbolique de larrêt dune centrale qui a été, depuis vingt ans, lobjet dune campagne systématique de dénigrement, de fausses rumeurs, dannonces alarmistes, ne serait-ce pas lensemble du nucléaire qui est visé ? On a le droit de se poser la question. Cette décision ne refléterait-elle pas la volonté de certains, de ceux qui « déplorent que la France ne soit pas en train de sortir du nucléaire », de priver le nucléaire de toute perspective à long terme, de nous empêcher de résoudre de façon optimale la question des déchets et ce afin de mieux le condamner demain ?
Certes, notre programme nucléaire peut se poursuivre sans réacteur à neutrons rapides. Mais il serait alors beaucoup plus vulnérable ; sortir du nucléaire serait enlever à notre pays un atout énergétique et écologique majeur, ce serait aussi aller contre lopinion de la grande majorité des Français et il me semble quil est temps de redonner au nucléaire en général et à la centrale de Creys-Malville en particulier, toute leur légitimité.
M. le Président : Je voudrais poser à M. Chauvin trois questions, car je crois que lexposé de M. Carle anticipait ces interrogations.
Quelles seront les conséquences de la fermeture de Superphénix sur les relations financières des partenaires de NERSA ?
Comment sera réglé le problème de la fourniture dénergie due à ces partenaires étrangers en vertu de la convention du 2 février 1995 qui permettait la mise en uvre du programme dacquisition des connaissances ?
Le coût de la déconstruction sera-t-il partagé au prorata de la part de chacun dans le capital de NERSA, alors quil semblerait que la décision qui a été prise était une décision unilatérale du Gouvernement français ?
M. Jacques CHAUVIN : Pour répondre à vos questions, il faut faire un peu dhistoire et rappeler que lannée 1994 a marqué une rupture capitale dans la vie de la société NERSA. Souvenez-vous que le décret autorisant le redémarrage de Superphénix dit clairement que cette centrale doit être exploitée dans des conditions qui privilégient le programme dacquisition des connaissances, et par conséquent, ce décret insistant sur la recherche a pu être interprété de façon différente par le partenaire français et par les partenaires étrangers.
Linterprétation française a été donnée par le Président Carle. Les partenaires étrangers ont vu là une modification significative de lobjet social de NERSA et dès lors, ils ont commencé à envisager leur départ prématuré de cette société. Ils ont, de fait, négocié à ce moment avec EDF les conditions non seulement de leur maintien jusquà fin 2000 dans la société, mais aussi de leur départ à cette échéance, voire avant cette échéance, en cas darrêt définitif ou prolongé de la centrale.
Le dispositif sur lequel sétaient entendus les partenaires se résume de façon très simple.
Premièrement, les partenaires étrangers ne contribueront pas aux dépenses du programme dacquisition des connaissances quils napprouvent pas et qui constitue à leurs yeux un changement dobjet social de la société NERSA.
Deuxièmement, EDF garantit aux partenaires, qui craignent une moindre disponibilité de la centrale compte tenu du programme de recherches, une livraison de 14,5 TWh jusquà fin 2000 cest ce à quoi vous faisiez allusion, M. le Président.
Troisièmement, en cas de départ, les partenaires étrangers se résignent à perdre le capital quils ont investi dans la société, cest-à-dire quils admettent le rachat par EDF au franc symbolique de leurs parts mais en contrepartie ne paient pas le démantèlement.
Et enfin, quatrièmement, chaque partenaire est daccord pour payer ses dettes et sa part dans le coût de retraitement des combustibles.
Tel est le dispositif sur lequel se sont entendus les partenaires.
Force est donc de reconnaître que la rédaction du décret dautorisation de redémarrage de Superphénix a fragilisé lavenir de la société.
Je rappelle quà ce moment la Cour des comptes avait, dans son rapport publié en 1996, souligné le coût élevé de Superphénix ; mais elle nen avait pas conclu pour autant à la nécessité darrêter la centrale, reconnaissant que les dépenses de niveau élevé étaient dues au caractère de prototype de Superphénix, et admettant par ailleurs que la décision éventuelle darrêt ne devait tenir compte que des éléments de coûts et de recettes additionnels. Cest dailleurs la raison pour laquelle la Cour des comptes a limité ses investigations à 2001, estimant quà lhorizon 2016 son approche comptable devait faire place à une approche économique qui seule autorise la comparaison entre les différents moyens de production de lélectricité.
Comme lindiquait le Président Carle, la Cour des comptes a précisé quelle ne prenait pas en compte dans son calcul la valorisation de la recherche qui était tout de même un objet fondamental de Superphénix.
Vous me demandez très précisément ce qui va se passer avec léventuel départ des partenaires. Cet éventuel départ des partenaires se précise. Je vous le dis tout de suite si les partenaires quittent Superphénix dans les conditions que je viens dindiquer, il est bien clair quEDF naura plus à garantir lénergie qui était prévue dans laccord de 1995, mais évidemment, en contrepartie, les dépenses dexploitation ne seront plus partagées par les partenaires.
Pour ce qui est du coût du démantèlement, je vous ai répondu. Les partenaires acceptent de perdre le capital quils ont investi, mais en revanche, ils ne paient pas le démantèlement. Ce qui signifie très précisément quà lheure où je vous parle, il reste encore 23 milliards de francs à payer globalement, pour tous les partenaires ; il y en a 10 pour le démantèlement, 4 pour les dettes, 3 pour le retraitement et 6 pour le capital dû aux porteurs de parts.
Les partenaires acceptent de perdre le capital, je vous lai dit, le retraitement est partagé par moitié, les dettes par moitié, mais le démantèlement, les 10 milliards, sont à la charge dEDF.
Telle est, très précisément, M. le Président, la réponse à la question que vous mavez posée.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je voudrais commencer ce jeu des questions en revenant un peu sur lhistorique de Superphénix en vous posant un groupe de trois questions.
Tout dabord, sur les conditions de naissance de Superphénix. Pourquoi, selon vous, Superphénix na jamais fait lobjet dun consensus politique, ni dune véritable adhésion de lopinion publique ? Il sest un peu développé ex nihilo alors quil sagissait dun grand projet et dune grande ambition, à savoir : assurer lindépendance énergétique de notre pays ?
Ensuite est-ce que pour passer du prototype au développement industriel, il y avait un plan déquipement de la France en réacteurs à neutrons rapides ? Si oui, quel était-il ?
Enfin, je voudrais vous demander votre point de vue sur lavenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides. Est-il abusif pour le citoyen que je suis de faire un parallèle entre lhistoire du Concorde et lhistoire de Superphénix, à savoir que concernant le Concorde arrêté dans les conditions que lon sait on assiste aujourdhui à une captation dhéritage par de grandes puissances, les Etats-Unis notamment, et au fond à une remise en perspective dun projet qui avait à un moment donné été considéré comme faisant fausse route ?
Avez-vous, concernant Superphénix, un sentiment identique ? Est-il imaginable que, non pas aujourdhui, mais dans un avenir de moyen terme, dans un quart de siècle peut-être ou un peu plus, ce projet soit à nouveau développé, naturellement par dautres, puisquil ne serait plus question de nous à ce moment ?
M. Rémy CARLE : Pourquoi Superphénix na-t-il pas bénéficié dun certain consensus ? Je voudrais dabord mettre en doute cette affirmation. Encore faudrait-il y aller voir ! Ce que je peux dire est que localement, les choses se sont toujours très bien passées, nous avons fait un certain nombre denquêtes dopinion publique et je crois que lopinion publique est, de façon générale, plus favorable au nucléaire en général et à Superphénix en particulier que certains veulent bien le laisser croire. Nous avons là-dessus un certain nombre déléments de jugement.
Je rappelle tout de même que les manifestations importantes qui ont eu lieu lors de la naissance de Superphénix en juillet 1976 et en juillet 1977 ont été essentiellement le fait de professionnels de la cause antinucléaire, que je respecte parfaitement, mais qui étaient essentiellement des étrangers. Il y eut même à ce moment une certaine réaction à leur égard de la part de la population française, disant : « cela suffit comme ça ».
Par ailleurs, il est clair quau fil des années, Superphénix a été la cible privilégiée de lopposition au nucléaire. Cette centrale représentait une avancée particulière, elle représentait lavenir du nucléaire producteur délectricité. De surcroît, un certain nombre de caractéristiques, lusage du plutonium, métal abhorré, lusage également du sodium, rendait plus facile cette contestation.
Je crois que nous navons pas su vendre le produit, comme on dirait en termes de marketing, et expliquer suffisamment à lensemble de la population son utilité, son rôle. Nous avons considéré que nous bénéficiions dune certaine légitimité du fait que cétait un programme national. Nous aurions certainement dû être plus actifs sur le plan de la promotion du produit. Nous lavons été mais une campagne de dénigrement, des fausses nouvelles, des accusations qui ensuite se révèlent infondées je pourrais en citer si vous le souhaitez mais qui ne sont bien sûr jamais démenties, ont contribué à donner une image négative de Creys-Malville. Ceci étant, je constate quaujourdhui, beaucoup de gens en France sont choqués par la façon dont a été prise la décision darrêt et la regrettent.
Deuxième point : il ny a jamais eu de véritable plan dinvestissements en matière de réacteurs à neutrons rapides. Je le répète, la réalisation de Superphénix a été faite pour savoir si un surgénérateur fonctionnait à cette échelle, quelles étaient les options techniques quil fallait confirmer, celles quil fallait modifier et combien cela coûtait, permettant ainsi de recueillir un ensemble de connaissances préalables. Cest de cette expérience que lon peut tirer demain des conséquences et se dire : « oui, on peut construire ce genre de réacteur avec telle ou telle amélioration ». Il y a dailleurs eu des études qui ont été faites sur ce que pourrait être un futur réacteur à neutrons rapides.
Je pense que la question se posera essentiellement au moment où il sagira de renouveler le parc de centrales actuel. On pourra alors se rendre compte que ce programme qui interviendra vers 2010-2015, posera sil implique un renouvellement important du parc mondial, la question de la ressource en uranium. Si lon veut garantir lapprovisionnement des centrales que nous construirons à ce moment-là, peut-être sera-t-il raisonnable de se prémunir contre une certaine raréfaction de luranium, ou du moins un renchérissement de son cours, en incorporant dans le parc un certain nombre de réacteurs à neutrons rapides.
Par ailleurs, la question se posera de savoir sil faut développer, à la suite des décisions de 2006, la recherche sur la transmutation pour réduire le volume des déchets à vie longue et là aussi, en fonction des éléments de connaissance que nous aurons à ce moment, il faudra prendre un certain nombre de décisions.
On a souvent rapproché Concorde et Superphénix. Je crois quil ne faut pas abuser de cette comparaison. Cest effectivement, dune certaine façon la recherche, létude, le développement dune nouvelle technologie, qui peut se faire dans un contexte changeant et dont il faut tirer les conséquences. Je me permets dailleurs de constater au passage que le Gouvernement a arrêté le projet Concorde mais na jamais jeté à la poubelle les appareils qui existaient. Au contraire, il les a utilisés pour acquérir davantage dexpérience et rendre un service aux passagers.
Si lon arrête Superphénix, comme il a été décidé, il est certain quun jour ou lautre la question se reposera du développement de cette filière. Il est clair quactuellement dans le monde, un certain nombre de pays continuent à travailler sur ce sujet : le Japon, la Russie. On observe en ce moment que les Etats-Unis sont en train de reconsidérer ce problème, ne serait-ce quen raison de la nécessité dutiliser et de détruire le plutonium dorigine militaire, rendu aujourdhui à un usage civil. Je pense quil faudra que nous retrouvions les moyens dêtre présents dans cette compétition, dans ce développement pour lavenir, et pour cela il faut que nous continuions à travailler dans cette filière.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Encore une question pour aborder cette fois le programme de recherches liées à Superphénix et son bilan ainsi que les perspectives de Phénix. Avant-hier, le ministre de lindustrie nous en a entretenu mais nous manquons encore de précisions sur ce point.
Quel bilan peut-on dresser de ces recherches ? Quelles sont les connaissances acquises avec Superphénix qui ont pu être transférées aux REP à lintérieur de la filière nucléaire et à la recherche et développement en général ?
Deuxième volet de ma question, le passage de Superphénix à Phénix. Nous savons quun certain nombre dexpériences menées dans Superphénix vont être continuées dans Phénix et que dautres ne sont pas transposables. Donc, quelles sont, de manière globale, les expériences qui étaient commencées sur Superphénix et qui ne sont pas transposables à Phénix ? Ce volet dexpériences non transposables à Phénix est-il important ?
M. Rémy CARLE : Je vais en dire quelques mots. Bernard Giraud complètera ma réponse.
Je crois quil existe dores et déjà un bilan tout à fait positif de Superphénix en termes dacquisition de connaissances. Cest une grande centrale, le combustible fonctionne parfaitement. Or, cest un combustible plus important que celui de Phénix, il est de plus grande taille, il est plus long, il a les caractéristiques de combustible dune centrale de grande taille. De la même façon, les générateurs de vapeur sont dun type nouveau, car le type modulaire qui avait été adopté pour Phénix était difficilement transposable sur une grande centrale. Jusquici, ces générateurs de vapeur se sont comportés de façon tout à fait excellente on vient dailleurs de les examiner au titre de lexamen décennal et la conclusion est quils sont comme neufs. Au niveau du contrôle commande, des précautions supplémentaires ont été prises entre Phénix et Superphénix, par exemple le double système de barres de contrôle, de types différents, a fonctionné de façon tout à fait satisfaisante sur Superphénix.
Toutes ces connaissances sont relatives à une filière, à un combustible, à des composants au sodium. Je ne crois pas quil y ait beaucoup de transferts vers les réacteurs à eau légère, mais on a acquis une somme de connaissances tout à fait considérable.
Un certain nombre dexpériences ont été faites dans Phénix, puis prolongées dans Superphénix. Il va falloir les rapatrier. Beaucoup de choses peuvent certainement être faites dans Phénix : irradier, par exemple, des éléments enrichis en américium ou en neptunium. Ceci peut se faire et a dailleurs déjà été fait dans Phénix. Superphénix aurait apporté un élément de plus. Il aurait permis davoir des capsules, davoir des éléments dirradiation en vraie grandeur, mais je crois que la question dextrapolation peut être surmontée par un certain nombre détudes. Il faut que ces études se poursuivent sur Phénix.
Si lon veut faire de la transmutation, il faudra le faire dans un réacteur à neutrons rapides. Ce que nous avons besoin de savoir, cest si nous savons construire et faire fonctionner un réacteur à neutrons rapides dune certaine taille nen préjugeons pas, mais dune assez grande taille et ceci, à partir de lexpérience acquise sur Superphénix, avec les composants tels quils sont sur Superphénix, sur lesquels il faut que nous ayons le maximum dexpérience.
M. Bernard GIRAUD : Je voudrais ajouter que la technologie que lon met en uvre sur Superphénix est fort différente de celle que lon met en uvre dans les réacteurs à eau, mais que les méthodes et les moyens dexploitation que nous utilisons sont exactement les mêmes. Nous avons beaucoup appris par Rapsodie, par les stations dessais, quelles soient au CEA ou à EDF, par Phénix, également par Superphénix, essentiellement in fine, parce que nous sommes passés à lacte industriel à pleine échelle. On peut discuter ici de 600 ou 1 200 MW, cela na pas beaucoup dimportance. Une extrapolation importante a eu lieu depuis les premiers pas de Rapsodie ; lingénieur doit être confronté au concret, au réel, avec leffet de taille. On apprend toujours lorsquon exploite une installation.
Pour Superphénix, lextrapolation de puissance est un facteur 5, 6 par rapport à Phénix. Mais dans la réalité, un certain nombre de composants ont une extrapolation inférieure à 5. Je parle du combustible par exemple qui est assez peu différent, de manière élémentaire, de celui de Phénix, il est simplement un peu plus grand. En revanche, la taille du cur, qui permet datteindre une puissance de 3 000 MW thermiques et 1 200 MW électriques, nous a fait découvrir des choses complètement nouvelles, que les maquettes avaient permis de préparer, je pense à la maquette Masurca de Cadarache. Mais lexpérience sur site a permis daffiner des codes de calcul de neutronique pour des réacteurs de grande taille et là seul le passage au concret permet dy accéder.
Pour dautres composants, les pompes, les cuves, les systèmes de contrôle et darrêt du réacteur, les extrapolations sont plus faibles que le facteur 5. En revanche, pour le générateur de vapeur, nous navions quune seule expérience dun générateur de vapeur du type de celui installé à Superphénix mais à une échelle 1/15ème. Ces essais avaient eu lieu à la station dessais EDF des Renardières. Nous avons appris que la conduite de ce type de générateur de vapeur à ce niveau de puissance était conforme à ce que lon en attendait. Hélas, la durée ne nous a pas été accordée, mais les contrôles qui ont été faits sur ce générateur de vapeur lan dernier sont tout à fait positifs.
Pour ce qui est des expériences dirradiation, nous avions « embarqué » dans le cur de Superphénix, à lorigine, un certain nombre de capsules pour irradier des matériaux. Ces expériences sont évidemment interrompues. Je ne sais pas aujourdhui si elles seront ou non dépouillées, en fonction de la durée de leur irradiation.
Dautres expériences étaient préparées sur Superphénix : trois assemblages combustibles ont été livrés, deux concernaient la consommation accrue de plutonium dans le cadre du projet CAPRA, lun avec du plutonium de premier retraitement et lautre du plutonium déjà recyclé sous forme Mox dans des réacteurs à eau, et une troisième expérience comportant deux kilos de neptunium.
Ces trois assemblages sont des assemblages à pleine échelle industrielle, exactement de la géométrie Superphénix. Cétait lune des contraintes que nous devions résoudre pour les absorber dans le cur. Ces assemblages sont actuellement à létat neuf.
Sagissant de la différence entre Phénix et Superphénix, sans que la frontière soit absolument étanche, nous disons que Phénix permet de trier un certain nombre dexpériences et Superphénix permettait, parmi celles qui étaient intéressantes, de les resituer à pleine échelle dans la vraie géométrie dun réacteur de 3 000 MW thermiques. Je dis bien que cette frontière nest pas absolument étanche, parce que Phénix aussi permet de faire des irradiations qui dépassent les milligrammes et les grammes, mais qui ne peuvent pas atteindre, comme nous lavions envisagé sur Superphénix et comme le décret le prévoyait, des dizaines de kilos.
M. Franck BOROTRA : Je voudrais faire une remarque, même si je sais que la commission denquête nest pas là pour permettre aux commissaires dexprimer leur point de vue. Mais je veux dire au Rapporteur que je regrette et je le regrette doublement car je connais à la fois son honnêteté et sa compétence quil se fasse le relais sur cette idée simpliste de comparaison avec Concorde. Je le dis et le redis car cela fait du mal à lextérieur. Dans une maison qui est dominée par une seule expérience, celle de la plupart des députés qui ont une expérience de nature administrative, en prenant des positions comme celle-ci, on donne limpression que le risque industriel et le risque commercial ne sont pas inhérents à lengagement dans un monde de concurrence. Je regrette cela franchement, je le lui dis avec amitié.
Il faut comparer les choses qui sont comparables.
Mes questions tiennent à ce qui a été dit : on a parlé dabsence de consensus de lopinion et de soutien politique, je conteste cette affirmation. Consensus de lopinion, il y a une manière de sen rendre compte, pourquoi ne lutilise-t-on pas ? Cest celle de demander à lAssemblée nationale de prendre, sil le faut, une décision par vote sur un projet comme celui-là. Les sondages montrent quil y a un attachement fort dune part très importante de lopinion à la réalité nucléaire en France. Or, on appelle en permanence lopinion, on la fait parler, alors que le courant qui conteste le nucléaire représente 3 ou 3,5 % des suffrages électoraux.
Sur le soutien politique, je pose la question suivante : est-ce quen 1992, avec le rapport Curien, le Gouvernement de M. Beregovoy na pas affirmé son soutien à la recherche, soutien qui a été prolongé en 1994 par le Gouvernement de M. Balladur et en 1997 par le Gouvernement de M. Juppé ?
Deuxièmement, M. Chauvin a évoqué la déstabilisation de NERSA au travers du décret de 1994. Je voudrais que vous nous en disiez un peu plus. Est-ce que lélément de déstabilisation nest pas dabord né du fait que dans le recours et nous en demanderons explication aux personnes qui ont signé le recours il a été écrit que lon abandonnait la production délectricité sur Superphénix ? Ce qui est contraire à la vérité, cest un mensonge grossier. Je voudrais savoir quelle est la part de ce mensonge dans ce que vous avez appelé « la déstabilisation de NERSA ».
Troisième question : vous avez, M. Carle, parlé de dénigrement. Le ministre a parlé ici mais sans donner de justification technique de fonctionnement chaotique de Superphénix. Jaimerais que vous nous en disiez un peu plus, en particulier du mal dramatique occasionné par la fausse rumeur de rejet de plutonium dans le Rhône en 1990. Ceci a donné lieu à des analyses de nature scientifique dont on na pas vu le relais dans lopinion ; en revanche, le mal lui a été fait.
Il y a un deuxième incident sur lequel je souhaiterais avoir plus dexplications, cest celui qui touche à la fuite du barillet. Je rappelle que le barillet est extérieur au cur. Cela a donné naissance à une campagne selon laquelle le sodium coulait à flots.
Quatrième question : comment expliquez-vous le doublement du coût de linvestissement, puisque je crois que le devis de départ devait être de 12 milliards de francs et que contrairement aux chiffres approximatifs qui sont avancés, le coût global de linvestissement doit être de 24 milliards ?
Cinquième question : le Gouvernement a des responsabilités, dabord dans le domaine de la sûreté nucléaire. Il a également des responsabilités au regard des subventions quil choisit de donner. Il a, le moment venu, en fonction de linvestissement à long terme, des responsabilités dans le choix éventuel dune filière. Est-ce de la responsabilité dun gouvernement darrêter un outil industriel et de recherche, cest-à-dire une centrale ?
Si je pose cette question, cest parce que le ministre a clairement exprimé que la raison principale était une question de nature politique, quelle ne touchait ni à la sûreté
M. Lacoste nous en parlera tout à lheure , ni à dautres aspects. Cétait inscrit dans un accord, qui du reste a été contesté par le parti communiste. Si je pose cette question cest parce que je crois quil existe un cas en Allemagne où une société a déposé plainte contre le gouvernement dun land qui a pris la responsabilité de fermeture dun outil de nature industrielle, propriété dune société constituée, qui ne présentait aucun risque en termes de sûreté et dont, semble-t-il, le coût de fonctionnement cest le cas pour Superphénix, y compris selon le rapport de la Cour des comptes , semblait pouvoir être assuré par les temps qui viennent.
M. Rémy CARLE : Ce nest pas à moi de définir les responsabilités qui incombent au Gouvernement et celles qui ne lui incombent pas. Je crois que dans le domaine du nucléaire, le Gouvernement a énormément de responsabilités. Il a, à tout moment, le droit darrêter une centrale si elle lui est présentée comme un péril pour la population, sil y a un problème de sûreté. Le Gouvernement a certainement aussi le droit darrêter de financer un projet considérant quil a assez dépensé dargent et quil est en train de le gaspiller.
Malheureusement pour lui, il semble que ces deux considérations ne sappliquent pas à Superphénix puisque, dune part, tout le monde est daccord pour penser que la sûreté nest pas en cause et que, dautre part, Superphénix na pas été financé sur les deniers de lEtat, il a été financé sur les deniers de compagnies délectricité.
Il me semble quil eût été au moins normal que ces promoteurs de la filière soient consultés, quon leur donne la possibilité de sexprimer car je nai aucun doute sur le fait que les électriciens en question souhaitent poursuivre le fonctionnement de Superphénix. Linvestissement étant fait, il fallait en tirer un certain nombre denseignements. Ils nétaient certainement pas daccord pour couper un arbre qui avait coûté cher à planter et qui allait porter ses fruits. Il y a dans une démocratie, à ce niveau de décision, un dialogue qui me paraît nécessaire et qui a peut-être un peu manqué dans le cas de Superphénix.
Je reviens sur les partenaires. Bien entendu les partenaires en 1994 ont manifesté une certaine aigreur, une certaine désillusion. Ils ont dit quils nétaient pas partants dans le programme de recherche sur la destruction des actinides et la consommation du plutonium. Il faudrait le leur demander, mais jai personnellement la conviction quil sagissait là dabord dune fausse raison, que la véritable raison de leur amertume était le sentiment que cette centrale ne fonctionnait pas, nétait pas autorisée à redémarrer par le Gouvernement pour des raisons qui leur échappaient, qui nétaient pas de bonnes raisons ; ils avaient le sentiment quils allaient continuer ainsi à être ballottés ; il y avait, pour eux, une totale incertitude sur le devenir de lentreprise et cette incertitude, ils ne la supportaient pas.
Il me paraît quil y a eu dans cette affaire une rupture, une mauvaise manière faite à leur égard. Il est toujours très difficile de collaborer avec des sociétés étrangères, notamment je le dis très franchement avec les Allemands qui ont toujours, à légard de partenaires français, une certaine méfiance qui tient aux structures différentes et aux mentalités différentes des deux pays. La collaboration sur Superphénix a été tout à fait excellente mais à partir dun certain moment, le doute sest introduit dans leur esprit sur la solidité de lengagement que nous pouvions prendre à leur égard. Ils ont vu quau contraire, il ny avait pas de certitude sur lavenir. Je crois que ceci est un élément très important car nous aurons à lavenir beaucoup de mal à nouer des alliances, des projets communs avec des partenaires étrangers dans le domaine de lélectricité et peut-être dans dautres domaines, à cause de cette rupture brutale dune action commune qui sest produite à partir de 1994.
M. Bernard GIRAUD : Pour ce qui concerne lincident du barillet de 1987, je voudrais rappeler que le barillet est une cuve qui fait un relais entre lentrée des combustibles neufs allant dans le réacteur et la sortie des combustibles usés qui ensuite seront évacués vers une usine de retraitement. Cest en quelque sorte une « station-service », comme cela a été dit, entre lextérieur et le réacteur.
Il y a eu une fuite de sodium, puisque cette cuve est en sodium pour refroidir les éléments qui sortent du réacteur, mais le sodium na pas coulé « à flots », le sodium a été recueilli dans le dispositif de sûreté qui était prévu et qui sappelle « une cuve de rétention ». Cette cuve a joué son rôle et permis à lexploitant dentreprendre progressivement ensuite la vidange puis ultérieurement la réparation.
Il a été dit beaucoup de choses sur cette affaire. Il ny a eu aucune conséquence pour le personnel et pour lenvironnement, et il ny a pas eu dincendie.
M. Rémy CARLE : Si vous le permettez, je voudrais dire que jétais à la visite que M. Madelin a organisée sur le site, à cette époque, avec des journalistes. Les journalistes titraient depuis plusieurs jours « la fuite de sodium continue » et ces gens voulaient voir la fuite. Il a fallu que M. Madelin leur explique quil ny avait rien à voir car effectivement il ny avait rien à voir. Ils ont cessé de parler de la fuite mais nont jamais relaté la réalité des choses.
M. Bernard GIRAUD : Il a fallu concrètement sur le site, à lexploitant, dix mois pour préparer les réparations de cet appareil puis le réparer. Ensuite, il y a eu approximativement un an de justification et détudes de sûreté faisant partie de la procédure administrative permettant dautoriser le redémarrage de la centrale. Ultérieurement ce que nous appelons le barillet a été remplacé par une cuve, mais ceci pour des raisons techniques la réparation à lidentique nétait pas possible dans la géométrie de la centrale que nous appelons « un poste de transfert de combustibles ». Cest une cuve qui est maintenant de même dimension, en argon, qui permet de faire un transfert direct du réacteur vers lextérieur, mais qui présente des contraintes supplémentaires.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais également revenir sur lhistorique. Jaimerais que cette commission denquête serve à quelque chose pour dautres choix qui pourraient être aussi problématiques que le choix de Superphénix. Jaimerais savoir, M. Carle, comment sest prise la décision de construire le réacteur de Superphénix.
Je vois la question à plusieurs niveaux. Premier niveau : scientifique. Si ce sont les scientifiques qui font partie dEDF et du CEA qui conçoivent ce type dappareil, jaimerais savoir si vous avez confronté leur avis à celui dautres scientifiques qui ne font pas partie de votre lobby. Quelles ont donc été les personnes qui ont conçu ce réacteur ?
Deuxième niveau : vous avez vous-même évoqué le problème de taille. Vous parlez de prototype, mais on a parlé assez vite de « tête de série ». Cétait donc un appareil de production délectricité au démarrage. La question que je pose en tant que parlementaire française, cest : comment se fait-il que vous soyez passé dun réacteur comme Phénix de 250 MW à un réacteur de 1 200 MW il y avait un pas énorme du point de vue taille ? Comment se fait-il quil ny ait pas eu de réflexions sur ce point ?
Vous dites que cétait un réacteur de recherche qui allait nous apporter des éléments de réflexion et dapprofondissement. Comment se fait-il que lon arrive à un réacteur aussi important dans sa construction ?
Troisième aspect : le point de vue financier. Jai été assez surprise de voir quil a fallu attendre dix ans pour que la Cour des comptes fasse une évaluation financière de Superphénix. M. Borotra vous a posé une question tout à lheure à laquelle vous navez pas répondu. Au départ, cétait 12 milliards de francs, vous êtes passé à 24 milliards de francs ; justifiez-nous cette différence énorme.
Il y a aussi un aspect modèle de pensée. Vous lavez dit vous-même. Vous avez conçu Superphénix avant la crise pétrolière ; donc, vous avez conçu Superphénix en imaginant quil y aurait une pénurie duranium, quil fallait donc une indépendance énergétique française et vous êtes allé vers la surgénération. Mais, très vite, on sest aperçu que la surgénération coûtait très cher. Je vous demande donc aussi lévaluation financière du coût du kWh produit par Superphénix par rapport à une centrale REP normale. Comment se fait-il là quil ny ait pas eu de remédiation au niveau des choix faits sur Superphénix ?
Ensuite, en 1994, vous passez dune politique de surgénération et de production délectricité avec le plutonium à une politique de sous-génération. Permettez-moi de vous dire que je comprends tout à fait quil y ait eu un recours, car un prototype destiné à la surgénération aussi lourd et aussi problématique que Superphénix
car lhistoire du barillet que lon nutilise plus a représenté un coût financier important y amenait. La fuite de sodium na bien sûr pas généré des flots de sodium, mais il nempêche quil y a bien eu fuite. Vous avez donc été obligé dinventer une nouvelle formule pour faire le transfert du combustible ; cétait donc une erreur de conception.
La question que je me pose dune façon générale est : pourquoi ny a-t-il pas eu de remédiation ? Il est sûr quen matière de transmutation, loutil Superphénix nétait pas un outil de recherche rapide pour des scientifiques. Il faut sortir le combustible facilement alors que ce nest pas évident. Les délais de sortie du combustible de Superphénix sont très longs.
Au niveau politique maintenant, pour reprendre la question de M. Borotra, je suis en désaccord avec le fait de dire : « est-ce que le Gouvernement est habilité ? ». Dabord, ce nest pas votre problème. Vous êtes un industriel et si à ce moment on pose la question, je me dis que lon a participé à votre financement, donc dun point de vue politique, il faut justifier le coût. Daprès ce qua dit M. Pierret, je nai pas entendu que cétait une décision politique, cétait une décision économique : il faut justifier le coût.
Si la surgénération ne correspond plus dun point de vue économique à ce que lon attend en matière de production délectricité par rapport au coût financier que cela représente, le prix du kWh sorti de Superphénix nest pas le même que le prix du kWh sorti dun réacteur normal. Le coût financier, cest nous, contribuables, qui le payons. Il est tout à fait légitime, dun point de vue politique, que lon se pose la question : pourquoi poursuivre dans cette filière ?
Sachant que la transmutation, peut très bien être expérimentée dans des réacteurs à neutrons rapides, soyez persuadés que je suis tout à fait pour quil y ait des réacteurs de recherche ; mais Phénix est peut-être un outil plus adéquat, bien que vieillissant, mais vous venez de dire vous-même quil ny a pas de différence énorme entre Phénix et Superphénix dun point de vue conception. Ce sont bien des réacteurs à neutrons rapides, lun est plus gros que lautre. Mais comme on est au stade de la recherche, quelle importance que lon ait deux kilos de neptunium ou daméricium par rapport à quelques centaines de grammes ? La véritable question est : quel est lintérêt de faire la transmutation ?
Dernière remarque : par rapport à la question posée par M. Bataille, si lon veut savoir vraiment pourquoi Superphénix na jamais été consensuel, faisons un référendum. Ainsi lon saura si les gens sont prêts à laccepter, au regard des finances publiques et des problèmes de sécurité et de risque. Car dire quil y a un risque zéro pour Superphénix, cest assez extraordinaire : il faut être en France pour lentendre.
M. le Président : Une remarque du Président : ce ne sont pas les contribuables qui paient, ce sont les consommateurs ; et comme ces consommateurs sont des consommateurs français et étrangers... Cétait juste une remarque que je faisais, mais je laisse à ces messieurs le soin de vous répondre.
M. Jacques CHAUVIN : Merci, M. le Président, davoir répondu sur cette question où effectivement, je me préparais également à rectifier ce quavait dit Mme Rivasi.
Concernant le coût de linvestissement, jai entendu des chiffres : 12, 24 milliards de francs. Il faut être très précis. Le coût de linvestissement global de Superphénix incluant les intérêts intercalaires et les deux premières charges de combustible, cest 28 milliards. Si vous retirez les intérêts intercalaires et les charges de combustible, cest 20 milliards. Je signale au passage quEDF en a la moitié à sa charge.
M. Franck BOROTRA : Ce ne sont pas les chiffres que le ministre a donnés, il a parlé de 24 milliards, plus 2 milliards de coûts supplémentaires, soit 26 milliards. Il faudra se mettre daccord.
M. Jacques CHAUVIN : Mais peut-être que le ministre comptait les intérêts intercalaires et à ce moment, jarrive moi à 25 milliards de francs.
Mme Michèle RIVASI : Cest donc 28 milliards ?
M. Jacques CHAUVIN : Cest 28, je répète, dont 3 de charge de combustible et 5 dintérêts intercalaires.
Jattire lattention sur le fait que la part dEDF qui représente 14 milliards en incluant le tout, représente moins de 3 % de linvestissement nucléaire dEDF. Il est bon de le rappeler.
M. le Président : Tout à lheure Mme Rivasi avec opportunité a parlé du coût du kWh. Je souhaiterais, moi aussi, avoir une réponse de votre part sur ce point, et en particulier que vous nous disiez en vous fondant sur lannée 1996, qui a été une année avec 250 jours de production, quelle est lévaluation du coût du kWh dans le cadre dune année normale de fonctionnement.
M. Jacques CHAUVIN : NERSA est un prototype ou une tête de série. Il faut le rappeler. Le coût du kWh dun prototype ou dune tête de série est difficilement comparable avec le coût moyen du kWh produit par un ouvrage standard. Ce que lon peut dire est quen période de production régulière, le coût marginal du kWh de NERSA doit être de lordre
M. Bernard Giraud, lexploitant, le dira de 23 à 25 centimes le kWh.
M. Franck BOROTRA : Coût marginal, cela veut dire : non pris en compte lamortissement de loutil ?
M. Jacques CHAUVIN : Exact ou plus précisément ne comprenant que les coûts additionnels.
Mme Michèle RIVASI : Et dans une centrale nucléaire normale ?
M. Jacques CHAUVIN : Jai précisément pris la précaution de dire que lon ne pouvait pas comparer le coût du kWh dun prototype avec le coût du kWh dune centrale normale dont le prix de revient complet se situe autour de 20 centimes le kWh.
Mme Michèle RIVASI : Dans ma première question, je vous demandais la différence entre votre coût prévisionnel et le coût réel de construction de la centrale. Quelles sont les raisons de cette différence ?
M. Rémy CARLE : Ce qui explique cette différence, cest lévolution de la conception, des précautions prises en ce qui concerne le nucléaire, entre le point de départ et le point darrivée. Par ailleurs, la centrale a mis plus longtemps à être construite et a subi de plein fouet laugmentation des intérêts intercalaires correspondants ; cest proportionnel au temps.
Concernant le premier point, il est important de noter quau moment de la création de Superphénix, on construisait le programme nucléaire à eau légère ; beaucoup de normes ont été fixées à cette occasion. Elles ont été automatiquement répercutées sur Creys-Malville. Ceci a impliqué quil a fallu reprendre des études en parallèle avec la construction. Ce sont des choses qui arrivent dans beaucoup de technologies et ceci coûte cher en général car cela introduit des modifications. Il est important de noter que cest sur le plan des études qua eu lieu la plus grande part de laugmentation de prix.
Si je peux répondre globalement, je vous dirai : comparez le coût des centrales nucléaires à eau légère construites au début des années 1970 au coût de celles construites au début des années 1980. Vous trouverez là aussi un rapport de prix tout à fait important entre les deux, qui nest pas très différent de celui de Creys-Malville, ce qui fait que par rapport au prix de leau légère, le coût de Creys-Malville a toujours été de lordre de 2, ce qui est le prix du prototype et il est tout à fait évident que nous ne voulions pas dans Creys-Malville véritablement rentrer en compétition avec leau légère. Nous voulions apprendre des choses. Nous avons fait des études sur la suite, sur ce que pourrait être, dans le futur, un réacteur à neutrons rapides à partir de lexpérience de Creys-Malville, mais en tenant compte dun certain effet de série. On arrive à un coût dinvestissement légèrement supérieur : un réacteur à neutrons rapides est 15 à 20 % plus cher quun réacteur à eau légère, mais cet écart devrait être très largement compensé par la meilleure performance du combustible.
M. Jean-Claude LENOIR : Il faut être reconnaissant à M. Carle de nous avoir exposé avec beaucoup de clarté et aussi beaucoup de fougue à la fois ses connaissances, son appréciation mais aussi ses convictions dans le domaine du nucléaire et je crois que, même sil ne la pas exprimé dune façon aussi claire, je partage lavis qui est sous-jacent, qui est que lon a avec les avatars de Superphénix un nouvel épisode de ce qui est mené aujourdhui en France contre le nucléaire. Il faut le dire très clairement.
Il y a eu la phase qui touche le devenir des déchets nucléaires, aujourdhui il y a des attaques menées contre Superphénix, qui sont en fait dirigées contre la filière nucléaire.
Je minterroge et les interventions qui ont été faites y compris par ma collègue Mme Rivasi mincitent à confirmer ma question sur lerreur qui a pu être commise au départ. Ce nest pas une erreur technologique, je crois que le choix qui a été fait était indispensable ; il a dailleurs été fait par dautres pays, vous lavez rappelé, le Japon, la Chine peut-être bientôt. Nous aurions à redouter les conséquences de la disparition, du démantèlement de Superphénix.
Ny a-t-il pas une erreur finalement de communication ?
Superphénix est un prototype, avec toutes les conséquences que cela induit. Nous avons regretté, mais cest ainsi, léchec du premier tir dAriane V . Cela a coûté pas mal dargent. Est-ce que quelquun a contesté le devenir de laventure spatiale ? Evidemment pas.
Il existe des problèmes liés à un prototype, des échecs à attendre, des coûts, mais cest la nature même du prototype. Finalement, lerreur na-t-elle pas été de considérer, ce que lopinion a cru pendant longtemps, quau fond Superphénix était une centrale de production délectricité ? On la couplée rapidement au réseau. Au fond, cétait présenté comme un outil cétait évidemment son devenir mais au stade du prototype, est-ce que cela na pas été une erreur de banaliser loutil ? Cétait une variante dune centrale nucléaire.
Est-ce que lerreur na pas été de confier à EDF, ou plutôt à NERSA, mais à lintérieur de NERSA à EDF, la maîtrise douvrage ? Est-ce quil naurait pas fallu la confier à un organisme de recherche, plutôt quà un établissement qui produit de lélectricité ? Enfin, est-ce que lerreur les Japonais ont fait un choix différent qui nous incite à nous poser la question na pas été de choisir une taille telle que celle que nous avons retenue pour Superphénix ? Est-ce quune taille intermédiaire entre Phénix et Superphénix naurait pas été plus judicieuse ?
M. Rémy CARLE : Personnellement, je ne suis pas du tout daccord avec lidée que ce soit une erreur. Je ne le crois pas. Personnellement, je pense que lon a bien fait de faire à ce moment les choix que lon a faits. Ils correspondaient à lévolution normale dune recherche, dun développement. Bien sûr, on peut toujours les contester a posteriori. On peut dire que, par exemple, on aurait mieux fait, comme vous venez de le dire, de faire une centrale de moindre taille.
Les ennuis que nous avons eus, je crois que nous les aurions eus aussi sur une centrale de moindre taille. Les problèmes que nous avons eus ne sont pas liés à la taille. En revanche, effectivement, il y a un symbole, une image, liés à la taille.
Là où je partage tout à fait ce que vous venez de dire, cest lorsque vous dites quil y a eu une erreur de communication. Jai dit tout à lheure que nous navions pas su vendre le produit, et nous navons pas su le situer exactement. Cest un prototype. Peut-être ne lavons-nous pas assez dit. Je ne peux pas mempêcher de penser que si sur les centrales précédentes, sur les centrales graphite-gaz, sur la première centrale française à eau légère qui a été construite à Chooz, il y avait eu le même climat, la même volonté de médiatiser le moindre problème, nous naurions pas pu mener à son terme notre programme déquipement en centrales nucléaires. Ce quil nest pas possible de réaliser aujourdhui en France, cest effectivement un prototype avec ses difficultés. Je rappelle que la centrale de Chooz a eu, elle aussi, des arrêts de plusieurs années, mais quand cela a été réparé, on est reparti.
Je ne conteste pas quen 1987 ou 1992, lopinion était telle quil fallait procéder à un certain nombre dexamens supplémentaires. Peut-être fallait-il en 1992 décider de procéder à une nouvelle enquête. Ce nest pas de ma responsabilité. Je ne le conteste pas. Il nempêche que tout ceci a fait que la centrale na pas pu fonctionner alors quelle pouvait fonctionner. Son image est alors devenue celle dune centrale qui ne fonctionnait pas. Tout ceci a donné dans lopinion une image tout à fait négative que nous navons pas su combattre. Toute espèce de développement implique des difficultés, je ne crois pas que Superphénix en ait eu plus que dautres, mais il a souffert du contexte dans lequel il a dû se développer.
M. Jean-Claude LENOIR : Et sur le choix du maître douvrage ?
M. Rémy CARLE : En 1970, le CEA travaillait beaucoup sur les neutrons rapides ; il avait à ce moment des projets de centrales, lui aussi, portant je crois sur des unités de 1 000 MW ; mais tout le monde a considéré à ce moment quil était important quun véritable exploitant nucléaire soit présent, je veux dire un électricien tel quEDF, de façon que ce bébé ne grandisse pas dans une atmosphère de laboratoire trop protégé, et quau contraire il soit confronté à la réalité dun véritable exploitant, dune véritable industrie. Peut-être a-t-on eu tort.
M. Jean-Claude LENOIR : Quen est-il au Japon ?
M. Rémy CARLE : Au Japon, Monju est construit par PNC, cest-à-dire léquivalent du CEA. Comme vous le savez, il a eu certains ennuis. Il a eu une fuite de sodium qui a beaucoup ému encore quelle nait pas eu de conséquence et soit depuis longtemps réparée, expliquée, etc. Beaucoup disent « ah ! Si cétait lélectricien qui exploitait Monju, ceci ne se serait pas passé », par conséquent...
M. le Président : Je vous remercie.
Audition de M. André-Claude LACOSTE,
Directeur de la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN)
(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur André-Claude Lacoste est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. André-Claude Lacoste prête serment.
M. André-Claude LACOSTE : Je mefforcerai datteindre deux objectifs, dune part, être court et, dautre part, rester dans mon champ de compétence qui est celui du contrôle de la sûreté.
Je commencerai par projeter deux transparents pour situer Superphénix dans le champ des préoccupations de ma direction.
Le premier transparent rappelle que ma direction contrôle la sûreté dun peu plus de 150 installations nucléaires, dans lesquelles une part importante est constituée de réacteurs sous pression. Mais nous avons également deux réacteurs à neutrons rapides.
En France, le parc des réacteurs à eau sous pression est très homogène. De plus, le constructeur est unique et lexploitant également. Parallèlement, nous avons deux objets spécifiques : Phénix et Superphénix ; cette situation est très différente de celle que lon trouve dans lensemble des parcs nucléaires du monde entier.
Jen viens maintenant plus spécialement à ce qui sest passé dans le domaine de la filière des réacteurs à neutrons rapides en France. Je rappelle quil y a eu chronologiquement, pour men tenir aux installations les plus importantes : Rapsodie, qui est actuellement en phase de déclassement, Phénix mis en service en 1973 et Superphénix.
Je rappelle quelques étapes de la vie de Superphénix : début de construction en 1976, décret dautorisation de création le 12 mai 1977, ce qui signifie que Superphénix a été construit et autorisé au moment de ce que jappellerai « lenfance » ou les débuts de la DSIN. Ceci fait référence au fait que la DSIN, ou ce qui sappelait à lépoque le Service central de sûreté des installations nucléaires, avait à contrôler en même temps le démarrage du programme électronucléaire principal et la construction de Superphénix.
Ensuite, huit ans de construction, deux ans dessais, première divergence en 1985. Lhistoire de Superphénix a été marquée par un certain nombre dincidents. Je ne les rappellerai pas ; jindique simplement que la DSIN chaque année, dans son rapport dactivité, sattache à dire ce quelle fait et ce dont elle sest occupée. Parmi les événements qui ont marqué la vie de Superphénix, il y a eu entre 1986 et 1990 deux incidents que nous avons classés au niveau 2 de léchelle de gravité française. Lun dentre eux a été rappelé, cest la fuite de sodium dans le barillet. Une deuxième affaire a été celle de la pollution du sodium du circuit primaire.
Ceci a conduit à larrêt du réacteur le 3 juillet 1990. Le réacteur na été autorisé à redémarrer que par un décret du 11 juillet 1994. Cela veut dire quil y a eu de fait quatre ans darrêt ; ces quatre ans darrêt ont été marqués par un épisode important : en juin 1992, donc à mi-parcours, le réacteur était prêt à démarrer, mon prédécesseur avait signé un rapport à cette fin, mais le Premier ministre a pris une décision consistant à dire : « premièrement le réacteur ne redémarre pas, deuxièmement, il faut faire des travaux, et troisièmement, le réacteur ne redémarrera quaprès une enquête publique ». Cela a retardé le redémarrage de deux ans.
Après le décret de juillet 1994, le réacteur a démarré en août suivant.
Un incident assez typique, sur lequel jinsisterai un peu, est une fuite sur un dispositif dalimentation en argon. Cest une affaire sur laquelle NERSA a eu à réfléchir pendant presque six mois avant de faire la réparation, et la réparation elle-même a été opérée en quelques minutes, ce qui renvoie à un vrai phénomène, qui est la relative complexité de linstallation quest Superphénix.
Je passe ensuite sur un certain nombre dépisodes et jen viens à 1996, année qui a été satisfaisante pour le fonctionnement de linstallation. Viennent alors un arrêt programmé fin 1996 pour des travaux et lannulation du décret dautorisation de création du 11 juillet 1994 par le Conseil dEtat.
Le Gouvernement de lépoque sest interrogé pour savoir sil autorisait le redémarrage de Superphénix en prenant un nouveau décret sur le fondement des procédures déjà menées. Il na pas eu le temps de le faire. Le nouveau Premier ministre a déclaré, le 19 juin 1997, devant lAssemblée nationale que « le surgénérateur que lon appelle Superphénix serait abandonné ».
Depuis lors, tout récemment, trois ministres ont signé une lettre adressée au Président du directoire de NERSA lui indiquant que le Gouvernement avait pris la décision de ne pas donner suite au dossier de demande dautorisation de Superphénix le dernier dossier a été déposé le 27 octobre 1992. Dans cette même lettre, les trois ministres demandaient au Président du directoire de NERSA de faire parvenir à la DSIN des éléments permettant de préparer un décret de mise à larrêt définitif. Voilà pour lhistorique.
Jen viens maintenant au point sans doute principal : quel jugement la DSIN porte-t-elle sur la sûreté de Superphénix ?
Ce jugement a été formulé dans un rapport de la DSIN du 18 janvier 1994 qui a été rendu public sur le champ, et je lis la phrase qui résume bien le sentiment de la DSIN sur Superphénix à ce moment : « globalement, et sous réserve du bon achèvement des travaux de lutte contre les feux de sodium actuellement en cours, le niveau de sûreté de linstallation est cohérent avec celui des réacteurs à eau sous pression qui constituent lessentiel du parc nucléaire français ».
Dans cet avis était ajouté un élément important : il était indiqué que, comme tout prototype, Superphénix connaîtrait un certain nombre dincidents, mais que, Superphénix étant particulièrement regardé, ces incidents seraient particulièrement visibles et médiatisés, et que, Superphénix étant un réacteur effectivement compliqué, les temps de réparation seraient des temps longs.
Cest le jugement de 1994, porté après plusieurs années détudes et de considérations.
Depuis lors, il a été demandé périodiquement à la DSIN par un certain nombre de ministres sous les ordres de qui elle travaille ce que la DSIN pensait de la sûreté de Superphénix, et nous avons chaque fois, après avoir regardé le dossier, confirmé ce jugement global : la sûreté de Superphénix est cohérente avec celle du parc des réacteurs à eau sous pression qui constituent notre référence.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je me contenterai pour linstant de poser des questions concernant Superphénix mais peut-être en fin dentretien pourrons-nous aussi obtenir de vous, M. Lacoste, quelques éléments concernant la remontée en puissance de Phénix.
Concernant Superphénix, quelles seraient aujourdhui les exigences des autorités de sûreté concernant les inspections in situ dun réacteur à neutrons rapides ?
Vous avez, de façon suffisamment éloquente, dressé le bilan de la sûreté de Superphénix pour que je me contente de cette question. Je me réserve, M. le Président, de poser une question ensuite sur les opérations de déconstruction de Superphénix qui nous intéressent aussi beaucoup.
M. André-Claude LACOSTE : Dans ce même rapport de janvier 1994 auquel je faisais référence, jécrivais et je signais un passage disant que : « un effort important doit être engagé afin daméliorer à terme linspectabilité le mot est affreux des composants de Superphénix ». Je disais : « Ce réacteur est encore jeune, mais à moyen terme, dans quelques années, il faudra disposer des méthodes nécessaires pour contrôler et suivre en service son vieillissement ».
Nous avions demandé à NERSA de mener un certain nombre de recherches de façon à mettre au point ces méthodes. A nos yeux, ce nétait pas un préalable en 1994 au redémarrage de Superphénix. Ce ne serait pas à mes yeux un préalable au redémarrage de Superphénix si par hypothèse la question était posée maintenant, mais, à lévidence, il y a un effort de recherche à faire.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Est-ce que vous en tirez des enseignements et notamment, cette expérience pourra-t-elle être utilisée pour la définition du réacteur Jules Horowitz et éventuellement pour létude dun réacteur hybride, cest-à-dire au fond pour des réacteurs différents de ce quest aujourdhui Superphénix ? Est-ce que néanmoins, sur les principes de sûreté, vous pouvez déjà tirer un corps de doctrine de lexpérience de Superphénix ?
M. André-Claude LACOSTE : Ce qui me met mal à laise pour répondre précisément à votre question, cest que je dispose de très peu de chose, si ce nest de rien du tout actuellement, en termes détudes de sûreté, aussi bien sur le réacteur Jules Horowitz que sur le réacteur hybride. Il mest donc difficile de me prononcer sur lapplicabilité de solutions, éventuellement mises au point pour Superphénix ou Phénix, à des réacteurs pour lesquels je ne dispose pas de dossier dans limmédiat.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Sur la déconstruction de Superphénix, vous avez fort peu abordé ce point, est-ce que vous avez en tête un calendrier prévisible, ou est-ce quon vous a informé du calendrier des opérations de fermeture de Superphénix ? De ce point de vue, avez-vous lintention de définir des règles de sûreté pour les opérations de vidange de sodium, de déchargement du cur et notamment, quelles sont les principales contraintes de sûreté relatives au déchargement du cur, qui est décrit comme une opération délicate et compliquée ?
M. André-Claude LACOSTE : Je répondrai en rappelant tout dabord ce qui est prévu sur le plan administratif ou réglementaire et en abordant ensuite ce qui est prévu sur le plan technique.
Sur le plan réglementaire, ce qui est prévu cest la publication cet automne, donc à lautomne de 1998, dun décret de mise à larrêt définitif. Les éléments techniques pour bâtir ce décret ont été demandés dans la lettre que jévoquais tout à lheure, la lettre du 20 avril à NERSA.
A mes yeux, ce décret de mise à larrêt définitif devrait couvrir les deux premières opérations liées au démantèlement de Superphénix, la première étant le déchargement du cur et la deuxième le déchargement du sodium.
Cest sous lempire de ce décret quil faudra que soient rédigées par lexploitant les différentes consignes, les différentes règles dexploitation permettant de mener ces deux opérations. Cest le côté réglementaire.
Sur le plan pratique, si cet échéancier est suivi, cela devrait conduire à un début de déchargement du cur au commencement de lannée prochaine, donc au début de 1999. Cette opération devrait durer environ dix-huit mois ; ensuite on passera au déchargement du sodium, pour un temps qui pour le moment nest pas encore précisé, mais qui sera un temps notable.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous prévoyez un temps long.
M. André-Claude LACOSTE : En posant cette question vous allez me forcer à préciser une réponse que je nai pas. Ce nest à lévidence pas quelques semaines. Cest en termes de mois que cela se comptera, ou en termes de semestres.
M. Franck BOROTRA : A votre connaissance, est-ce quune étude de démantèlement concernant cette installation a été engagée avant la décision de fermeture ?
Ma deuxième question porte sur Phénix : entre 1989 et 1990, il y a eu des incidents graves liés à la chute de réactivité, qui ont provoqué larrêt. Il va de soi que des études ont été faites pour comprendre ce phénomène et à mes yeux, au plan de la sûreté, on ne peut pas jouer avec un phénomène de cette importance. Je voudrais savoir si lon a apporté des explications scientifiques à ces sauts de réactivité.
Je vous pose une autre question et je fais attention aux mots que jutilise : est-ce que vous pouvez certifier, vous qui êtes le Directeur de la DSIN, quil ny a aucun dégât, disons aucune modification permanente dans le cur du réacteur, cest-à-dire en réalité quil ne sest rien produit ?
Troisièmement : vous avez fait savoir que Phénix pouvait redémarrer. Je souhaiterais que la commission connaisse lavis des experts de lInstitut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) concernant ce redémarrage et, du même coup, que vous me donniez un élément déclairage sur le fait que le rapport de sûreté daoût 1973 pour la mise en place, prévoyait que la centrale était dimensionnée pour douze ans.
Quatrième point : cest peut-être loccasion de démentir une phrase qui vous est prêtée dans les journaux selon lesquels vous auriez dit : « nous sommes obligés de donner un avis positif de redémarrage de Phénix pour ne pas apparaître comme opposés à la fermeture, à larrêt de Superphénix ».
Je connais à la fois la conscience et la compétence qui sont les vôtres et je souhaite que lon puisse, publiquement, démentir des affirmations de ce type qui, à mes yeux, seraient graves.
M. André-Claude LACOSTE : Concernant le fait de savoir sil y avait eu des études avant la décision de fermeture de Superphénix, je réponds clairement : il ny avait pas eu détude de démantèlement jusquà une date récente. A partir du moment où le Premier ministre, le 19 juin 1997, a dit la phrase que jai citée « cette installation que lon appelle Superphénix sera fermée », nous avons sur le champ demandé à NERSA et à lIPSN détudier le problème et avons nous-mêmes lancé les études. Mais il est clair quauparavant, le problème du démantèlement de Superphénix navait pas été regardé en tant que tel.
Jajoute quà mes yeux, ce problème de démantèlement est certes délicat et complexe je cite les deux adjectifs que M. Bataille utilisait tout à lheure mais il nest pas insurmontable.
Vous avez abordé un deuxième point qui est celui des chutes de réactivité de Phénix. Cest un phénomène qui a été et reste un souci. La situation actuelle est la suivante : lensemble des recherches faites, lensemble des aréopages dexperts réunis ont conclu que lon avait fait le tour des hypothèses possibles pour expliquer ce phénomène de chute de réactivité et quaucune des hypothèses que lon pouvait envisager ne mettait en cause la sûreté du réacteur ; mais nous avons été incapables de dire précisément quelle avait été la cause de cette chute parmi les hypothèses possibles.
Jajoute quà la suite des épisodes de 1989 et 1990 auxquels vous avez fait référence, des dispositions avaient été prises afin dajouter une multitude de dispositifs de contrôle et de mesure sur le réacteur Phénix, de façon à pouvoir mieux saisir le phénomène sil se reproduisait. Il ne sest pas reproduit.
Il est clair quintellectuellement, chacun préférerait être sûr que cest tel phénomène qui a donné naissance aux chutes de réactivité, que ce phénomène est délimité et que lon a pris les moyens pour y remédier.
En conscience, jai déjà été amené à autoriser le fonctionnement de Phénix avant larrêt prolongé quil a connu. Jai été amené à prendre parti sur la sûreté de Phénix, à signer des lettres autorisant la remontée en puissance de Phénix. Je les ai vraiment signées en conscience, en considérant que lon avait fait le tour du problème.
M. Franck BOROTRA : Pouvez-vous personnellement certifier quil ny a aucune modification permanente dans le cur du réacteur, ce qui est une question lourde ?
M. André-Claude LACOSTE : Vous faites allusion, je pense, au fait quune des explications possibles qui ont été données, mais il y en a eu beaucoup, pour expliquer ces chutes de réactivité est un phénomène de gerbage, cest-à-dire un phénomène de mouvements à lintérieur du cur. Cest une des hypothèses possibles. Il a été vérifié quelle nentraînait pas de conséquence sur la sûreté du réacteur.
M. le Président : La dernière question est non pas indiscrète mais fondamentale, car une certaine publicité a été donnée justement aux hésitations des membres de la commission.
M. André-Claude LACOSTE : Les deux dernières questions que vous avez posées, M. le Ministre, sont un peu liées : ce qui sest passé, cest que le dossier de Phénix a évolué depuis dix-huit mois sur deux points tout à fait majeurs : premier point, quelque 600 millions de francs dinvestissements ont été décidés et ont dores et déjà été en partie réalisés.
Deuxième point, la demande de lexploitant, cest-à-dire le CEA, ne porte plus sur un fonctionnement long, mais porte sur un fonctionnement jusquà la fin de 2004.
Nous nous trouvons donc face à un réacteur sur lequel des travaux importants ont été faits travaux que nous souhaitions et demandions et dont il sagit simplement de gérer la fin de vie.
Gérer la fin de vie dun réacteur, ce nest pas facile. Contrôler la sûreté de la gestion de la fin de vie dun réacteur nest pas facile. Un certain nombre de mes collègues étrangers en ont plus lhabitude que nous ou moi. Classiquement, mes collègues britanniques ou américains sont amenés à prendre parti sur la prolongation de la durée de vie dun réacteur au-delà de quarante ans. Nous navons pas lhabitude de ceci.
Cela veut donc dire que nous avons regardé le phénomène de très près. Nous avons suivi les procédures habituelles : lIPSN a fait des rapports, ceux-ci ont été discutés en groupe permanent dexperts.
Sur certains points, je ne sais plus de mémoire si cest un ou deux points précis, les débats ont été suffisamment animés au sein du groupe permanent pour quil y ait un vote sur ces points précis. Lavis final du groupe permanent, qui est un des éléments sur lesquels jai fondé mon avis, a été voté à lunanimité.
Ensuite, jai continué à regarder le dossier et jai donc pris la position que jai adoptée et publiée sur le champ.
Jajoute que jai été amené à répondre à des questions ou des interprétations du genre : « vous avez donné un avis favorable à la remontée en puissance de Phénix, on voit bien que vous souhaitiez faciliter la prise de décision du Gouvernement de fermer Superphénix ».
A cela jai répondu : « de toute façon, il était dans mon métier de prendre position sur la possibilité que Phénix remonte en puissance ; il ny avait que deux positions possibles : soit oui, sous certaines conditions, soit non ». Jai dit que, dans chacun des cas, ma position était susceptible dinterprétation. Si je disais oui, et jai dit oui, on me disait : « vous facilitez la fermeture de Superphénix » ; en sens inverse, si je disais non, on pouvait maccuser de faciliter le redémarrage de Superphénix ou dinhiber sa fermeture.
Dans chacun des cas, ma position était susceptible dinterprétation. Jai lhabitude, sur ce genre de sujet, de travailler, de faire travailler ma direction, de faire travailler en appui technique mes groupes dexperts, de réfléchir, de prendre parti. Je le fais en conscience. Je sais que mon avis peut être interprété, mais je le fais en conscience.
Telle est lorigine, je pense, de la phrase que vous me demandiez de commenter.
M. le Président : Jai une question complémentaire : peut-on considérer que les travaux qui vont être, du point de vue de la sûreté, entrepris sur Phénix, avant la remontée en puissance, vont éliminer au moins sur le plan de la sûreté les risques majeurs liés au vieillissement ?
Pour me faire comprendre tout à fait, Superphénix apparaît comme une centrale relativement jeune dans lhistoire par rapport au temps prévisible de son fonctionnement. A linverse, Phénix, comme vous venez de le dire, apparaît comme une centrale vieillissante, par conséquent les phénomènes de sûreté liés au vieillissement me paraissent revêtir une importance particulière. Jaimerais que vous prononciez votre sentiment de spécialiste sur ce point.
M. Franck BOROTRA : Jajoute un élément : en admettant que, et cest en conscience votre décision, Phénix et Superphénix répondent à tous les critères de sûreté, est-ce que, vu de votre côté, il y a une différence de génération en termes de sûreté entre Phénix et Superphénix ?
M. André-Claude LACOSTE : Les deux questions sont liées, mais je réponds dabord au Président Galley. Parmi les travaux déjà faits, en cours ou programmés, je vais en citer certains qui montrent très explicitement quil sagit de lutter contre le vieillissement. Cest par exemple le remplacement dun certain nombre de tuyauteries des boucles secondaires, qui avaient été fabriquées à lépoque en un acier qui a vieilli. Nous avons demandé le remplacement de lensemble de ces tuyauteries par de nouvelles tuyauteries ; cest tout à fait typique.
Autre exemple, qui aura lieu au prochain arrêt : un certain nombre de mesures vont être prises pour vérifier létat du supportage du cur avec des méthodes qui ont été mises au point spécialement pour cet objet et qui sont destinées à vérifier létat du supportage en évitant de passer à travers le sodium, ce qui nest pas simple.
Jen viens à la seconde question que vous posez et citerai véritablement les termes des rapports que jai été amené à signer sur les deux sujets. Vous savez que, sur ce genre de conclusions dun rapport, on fait attention au choix des mots. Jai dit tout à lheure que, pour Superphénix, lexpression que javais utilisée à lépoque, que je maintiens, est « que le niveau de sûreté de Superphénix est cohérent avec celui des réacteurs à eau sous pression qui constituent le parc électronucléaire français ». Ce que jai dit sur Phénix et jai le rapport sous les yeux cest que jestimais que la reprise du fonctionnement en puissance du réacteur était possible dans un certain nombre de conditions et jindiquais bien que cétait jusquen 2004.
Mme Michèle RIVASI : Une précision sur un point que je narrive pas bien à comprendre. Vous avez dit : « en avril 1998, trois ministres ont signé une lettre demandant un décret de mise à larrêt définitif de Superphénix ». Nous sommes bien daccord ?
M. André-Claude LACOSTE : Pas tout à fait : les trois ministres ont écrit au Président du directoire de NERSA en disant : « vous avez déposé un dossier de demande dautorisation de création ou dinstallation en octobre 1992 ». Cest ce dossier qui avait conduit au décret de juillet 1994 qui a été cassé par le Conseil dEtat.
Le décret est cassé, cela veut dire que nous nous retrouvons à un stade inachevé de la procédure. Le Gouvernement pourrait sans doute, sil le souhaitait, prendre un décret autorisant le redémarrage de Superphénix. Le Gouvernement a pris au contraire la décision de clore la procédure, en écrivant au Président du directoire de NERSA « le dossier que vous avez déposé le 27 octobre 1992 ne connaîtra pas de suite positive ».
Par ailleurs, dans la même lettre, les trois ministres demandent à NERSA de fournir les éléments pour permettre à ladministration de préparer le décret de mise à larrêt définitif.
Mme Michèle RIVASI : Confirmez-vous que vous allez mettre en place ce décret fin 1998 ?
M. André-Claude LACOSTE : Jai lhabitude dobéir aux ordres du Gouvernement, surtout quand il sagit de mener des procédures. Nous avons dores et déjà reçu un certain nombre de dossiers de NERSA ; cela correspond à lensemble des études liées au démantèlement qui ont été évoquées. A priori, je pense que jaurai les éléments pour proposer au Gouvernement de prendre le décret de mise à larrêt définitif.
Mme Michèle RIVASI : On peut donc lattendre à quelle date à peu près ?
M. André-Claude LACOSTE : Le Gouvernement, dans un communiqué de Matignon du 2 février, a parlé du deuxième semestre ; techniquement rien ne mempêche de faire cela.
Mme Michèle RIVASI : Par rapport aux risques, tout à lheure je suis intervenue sur le fait que lon dise « Superphénix, aucun risque, etc. ». Je voudrais revenir sur le sodium, parce quil y a eu pas mal de fuites de sodium à Superphénix, et là, japprends ce matin quil y a encore une fuite de sodium à Phénix, car il y a eu un arrêt. Cest classé au niveau zéro mais cest considéré comme un incident significatif, car il concerne un organe de protection dun circuit secondaire de la centrale.
Par rapport à ces réacteurs à neutrons rapides, il semble que ce sodium pose beaucoup de problèmes : des fuites, des risques dincendie. Où en est-on maintenant sur le problème de la protection par rapport aux incendies ? Car il nest pas facile quand même darrêter un feu de sodium. Quelle est votre position là-dessus ?
Sagissant du démantèlement, javais ouï-dire que vous travailliez plutôt sur lidée que lon allait transformer le sodium liquide, quon allait le mettre dans un réservoir avant de le transformer en soude.
Les Ecossais, jespère que nous irons ensemble en Ecosse, ont choisi un autre système, cest-à-dire quils transforment directement le sodium liquide en soude puisquils ont construit carrément lusine dans le réacteur. Quelle est votre position sur la marche à suivre ?
Autre élément : jai été surprise dapprendre que pour Phénix, 600 millions de francs ont été donnés pour le remplacement des circuits secondaires qui étaient fabriqués dans un acier assez corrosif. Qui décide ? Je suis toujours surprise par ces décisions que prend le CEA sur lamélioration dun réacteur, quil sagisse de Phénix ou dun autre. Qui prend les décisions de mettre autant dargent dans ce réaménagement ? Etait-ce parce quil y avait décision darrêter Superphénix ou est-ce le CEA lui-même qui peut décider tout seul ? Cest une question de fond.
Quel est létat de la cuve de Phénix ? Vous avez dit que lon avait remplacé les circuits secondaires, mais la cuve de Phénix est une très vieille cuve et elle a été énormément irradiée. Vous avez dit vous-même que sur Superphénix, il y avait un manque dinspectabilité des composants. Je crains que lon ait également un manque dinspectabilité de la cuve de Phénix. Que peut-on dire à lheure actuelle sur ce point ?
Une dernière question, sur le fond, sur vos experts. Je me mets à la place du CEA et jutilise lexpertise de lIPSN pour me dire quels sont les moyens suffisamment rapides avec un financement relativement modeste pour répondre aux exigences de sûreté que demande la DSIN. Ce sont les gens de lIPSN qui font cette étude pour le CEA, et en même temps, la DSIN recourt aux mêmes ingénieurs du CEA ou presque et demande : « MM. les ingénieurs du CEA, dites-moi si ce qua fait le CEA sur Phénix correspond aux normes de sûreté ». Cela me pose problème et jaimerais quen tant que Directeur de la DSIN, vous donniez votre opinion. Tout de même, un des objectifs de la mission de M. Le Déaut, cest de faire un organisme indépendant.
M. François LOOS : Pour prolonger ce dernier point, jai deux questions qui vont dans le droit fil de ce qui vient dêtre dit. Est-ce que vous pourriez imaginer un mode de contrôle plus démocratique, car vous avez dit tout à lheure à plusieurs reprises « en conscience, jai décidé que » évidemment, nous ne mettons pas en doute la qualité de cette prise et ce mode de décision mais est-ce que du point de vue strict de votre compétence dans ce domaine, de votre connaissance de ce qui se passe dans les autres pays, vous pourriez imaginer une méthode plus démocratique ?
Deuxième question : pourriez-vous simplement nous citer les problèmes techniques qui vous paraissent les plus importants du point de vue de la sécurité et de la sûreté, qui vont se poser lors du démantèlement ?
M. André-Claude LACOSTE : Je prends tout dabord les deux dernières questions.
Les problèmes techniques les plus compliqués qui vont se poser lors du démantèlement, tels quon peut du moins les anticiper, ce nest pas le déchargement du cur, ce nest pas le déchargement du sodium, cest vraisemblablement ce que nous appelons le problème du traitement des rétentions de sodium, cest-à-dire que dans un certain nombre de parties dinstallations, en particulier dans les points bas des canalisations, nous pourrons nous trouver face à des rétentions de sodium difficiles à évacuer et traiter. Ceci nous ramène à un problème que nous avons connu, qui a malheureusement donné lieu à un accident mortel, à Rapsodie en 1994.
La récupération de ce genre de rétentions nest pas commode. Ce nest pas un problème immédiat, puisque cela suppose dabord que lon ait vidé le cur, que lon ait vidé le sodium, mais cest un des sujets auxquels nous ferons attention. Mon sentiment est que ce nest pas du tout insurmontable.
Deuxième point : le mode de contrôle démocratique. Il faut bien distinguer ce quest le pouvoir politique, démocratique, et ce quest mon rôle. Mon rôle est strictement celui dun gendarme, mais dun gendarme qui aurait à écrire une partie du code de la route. Quel est mon métier ? Cest, sur un certain nombre de sujets, de dire : « du point de vue de la sûreté, ce nest pas possible », ou « du point de vue de la sûreté, cest possible sous réserve que », ou encore « du point de vue de la sûreté, cest possible ». Mais, une fois que jai dit cela, cest terminé : les décisions dopportunité ne sont pas de mon fait. Quand je regarde ce qui se passe dans lensemble des pays démocratiques comparables à la France, cest chaque fois comme cela que cela se passe. Il y a systématiquement ce que lon appelle « une autorité de sûreté » qui est dotée dun chef ou dun président, cela dépend de la structure. Il se trouve que ce chef ou ce président a la responsabilité de dire : « en conscience, après toutes les consultations nécessaires, moi, du point de vue de la sûreté, je pense ceci » et il signe. Ensuite, cest au pouvoir politique de dire ce quil veut faire, et je ne me sens pas du tout bafoué si, sur une installation sur laquelle jai dit « cela peut redémarrer » ou « cela peut redémarrer sous telle et telle condition », le pouvoir politique dit « je ne souhaite pas que cette installation redémarre ». Cest la distinction des rôles.
Simplement, je ne pense pas quil puisse y avoir plus dune personne dans chaque pays prenant la responsabilité de dire : « du point de vue de la sûreté, voilà ce que je pense ».
Pardon de cette déclaration qui peut paraître orgueilleuse, mais cela correspond vraiment, par exemple, à lesprit dune Convention internationale que la France a ratifiée, après débats au Parlement, qui dit que dans chaque pays il doit y avoir ce que lon appelle une « autorité de sûreté ». Cela peut prendre la forme dune direction, dune direction générale, peu importe : il faut une autorité de sûreté avec un responsable.
Un mot sur lindépendance : il faut regarder comment cest vécu. Je peux vous garantir, ayant regardé fonctionner le système français dont je ne viens pas, je navais pas travaillé dans le nucléaire jusquà voici cinq ans quil fonctionne avec une marge de liberté et une marge dindépendance tout à fait remarquables. Je peux vous garantir que les débats au sein du groupe permanent dexperts sont des débats nourris et musclés. Je crois que certains parlementaires ont eu loccasion de participer à des réunions du groupe dexperts et ont pu constater ce quil en était.
Jajoute, car cela me paraît extrêmement souhaitable, que je mattache à nourrir ce groupe dexperts avec des experts étrangers. Dans le groupe permanent « réacteurs » qui est celui qui a examiné les problèmes de Phénix ou de Superphénix, jai quatre experts étrangers : un Suisse, un Allemand, un Belge et un Britannique. Je mattache à avoir un Espagnol ; ceci est pour sortir de ce qui pourrait effectivement apparaître comme trop « franco-français ».
M. Franck BOROTRA : Qui a pris la décision des 600 millions de francs ?
M. André-Claude LACOSTE : Jai en face de moi le CEA. Visiblement, il a été capable dengager 600 millions de francs. Les procédures par lesquelles le CEA fait cela ne sont pas de mon domaine de responsabilité. Jimagine quil y a un Conseil dadministration, des procédures à suivre...
M. le Président : Nous poserons la question à M. dEscatha.
M. André-Claude LACOSTE : Il me paraît le mieux placé pour y répondre.
M. le Président : M. le Rapporteur, pour conclure ?
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Conclure serait présomptueux de ma part, M. le Président, néanmoins, un certain nombre de questions nont pas pu être posées à M. Lacoste, je lui demanderai de nous autoriser à les lui transmettre. Il reste cependant deux aspects sur lesquels je voudrais connaître votre sentiment : lun touche plus directement à vos compétences, ce sont les problèmes particuliers que va poser le fonctionnement à pleine puissance de Phénix, et si vous avez prévu de les résoudre ?
Une autre question qui est plus une appréciation que jadresse à léminent spécialiste des installations nucléaires que vous êtes : pensez-vous que les recherches relatives au retraitement poussé, à la transmutation, pourront être conduites dici à 2004, cest la date jusquà laquelle Phénix est autorisé à redémarrer, donc dans les six ans qui viennent ?
M. André-Claude LACOSTE : Sur le fonctionnement de Phénix, jai autorisé la remontée en puissance de Phénix voici quelques jours. Il est survenu, à loccasion dun certain nombre dessais, lévénement de niveau zéro auquel a fait référence Mme Rivasi.
Jindique que les mots « incident significatif » relèvent de notre jargon. Cela veut dire que cest un incident qui nous est déclaré.
Au-delà, Phénix devrait remonter en puissance dans quelques semaines.
Jajoute que la question nest pas tranchée de savoir si à terme Phénix fonctionnera sur trois boucles ou sur deux boucles. Cela dépendra des travaux que le CEA voudra faire. Il est donc possible que Phénix fonctionne durablement sur seulement deux boucles ; cest un problème dexploitation.
Le point suivant est : une échéance 2004 pour le fonctionnement de Phénix permet-elle de mener à bien lensemble des expériences souhaitables ? Actuellement, le CEA sefforce de bâtir un plan dexpériences permettant dessayer de concentrer sur Phénix,avec une durée de fonctionnement courte, lensemble dexpériences quil était prévu de mener sur Phénix et Superphénix avec des échéances plus longues ; cela peut effectivement conduire à ce quon ne dispose pas en 2006, pour le rendez-vous devant le Parlement, au titre de la loi du 30 décembre 1991, de lensemble des éléments souhaités.
M. le Président : Avant de nous quitter je voudrais vous dire que nous vous transmettrons par écrit un certain nombre de questions. Je vous remercie pour votre témoignage.
Audition de M. Yves COCHET,
Vice-président de lAssemblée nationale,
Membre du collège exécutif des Verts
(extrait du procès-verbal de la séance du 7 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Yves Cochet est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Yves Cochet prête serment.
M. Yves COCHET : Peut-être serez-vous surpris par mon exposé liminaire, mais je tiens précisément à mexprimer de manière forte, à dire tout ce que je pense, non pas sur le nucléaire en France, mais au moins la filière des neutrons rapides, le cycle du plutonium et notamment Superphénix. Cest dailleurs le but de cette commission denquête den savoir le plus possible, avec des avis jespère les plus différents, de manière que vous-même, ainsi que tous nos collègues, en soyez éclairés. Cest pourquoi je ferai appel à tout ce que jai su ou ce que je sais concernant ce domaine.
Comme je vais tenir un propos essentiellement politique et non pas technique, encore que, bien entendu, dans ce domaine, les deux se mélangent, je commencerai par ce que jappelle « le contexte du choix dune filière à neutrons rapides en France ».
Ce choix politique a été fait dans le contexte de reconstruction de laprès-guerre où il y a eu un compromis entre différentes forces sociales et politiques, entre lEtat, le patronat, les syndicats et surtout ce que jappellerai ce nest pas disgracieux de ma part la « technocratie » ou « les technocrates », qui sont à mon avis le quatrième acteur essentiel depuis une cinquantaine dannées dans ce domaine.
En matière énergétique, je rappelle des banalités, mais je les crois intéressantes pour tous nos collègues.
A la sortie de la dernière guerre, ont été créés EDF et le CEA civil et militaire. Il faut noter là le lien indissociable en France entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. Jy reviendrai car cela me semble être un élément important pour la filière des rapides et notamment Superphénix.
Lidée gaullienne, partagée par les communistes si lon veut faire appel aux références politiques était que la France se dote à terme de la maîtrise de lensemble du cycle du nucléaire. Sur ce point, EDF et le CEA ont été les lieux symboliques du compromis passé entre deux exemples archétypaux : le corps des Mines et la CGT.
Il y avait donc une volonté politique de la part du Général de Gaulle, davoir simultanément les moyens de fabriquer la bombe et de développer une filière française délectricité nucléaire. Cétait une question de grandeur et dindépendance de notre pays semblait-il.
Il fallait trouver, même si dans les années 1950 il y eut un effort de recherche et développement, une opportunité historique pour les partisans du nucléaire « massif » aussi bien civil que militaire.
Cette opportunité est apparue en fait dans les années 1973-1974, au moment de ce que lon a appelé « le premier choc pétrolier ». A ce moment, les gens qui étaient au sein de la commission PEON (production délectricité dorigine nucléaire) ont vu loccasion conjoncturelle de proposer au Gouvernement Messmer un programme à long terme dindépendance énergétique de la France ; tel était en tout cas laffichage public.
Ce programme à long terme sest déployé dans plusieurs directions. La plus connue fut lhypothèse de construction de 200 réacteurs à eau pressurisée (REP) à lhorizon 2000. Evidemment, maintenant que lhorizon 2000 est tout proche, on sait que lon en est très loin ; on a à peu près 55 ou 56 réacteurs à eau pressurisée. Mais cétait laffichage nécessaire à lidée dindépendance ; il fallait, devant le choc pétrolier, pouvoir être indépendant.
De manière parallèle, car il y a plusieurs dimensions à cette décision, ce que lon pourrait appeler le « must » si vous me permettez cette expression des partisans du nucléaire serait la filière du plutonium, pour plusieurs bonnes raisons, du moins dans la bouche de ceux qui défendaient cette possibilité.
Dabord une raison de principe. Sur le papier, comme vous le savez tous, un réacteur à neutrons rapides semble intéressant puisquil peut être surgénérateur, cest-à-dire produire globalement plus de plutonium quil nen consomme. On sait que ceci implique des opérations extrêmement complexes de retraitement, mais comme le disait un scientifique dans un autre cadre, « cest quand même de la belle physique ». Je dis bien sur le papier. Evidemment selon les ingénieurs, techniciens, ouvriers, cela na jamais franchement marché, mais enfin, quand on discute avec les politiques, cela vous a un air de grandeur qui est tout à fait imparable du point de vue de largument. Cette recherche pouvait être poussée avec le pilote Rapsodie ou avec le prototype Phénix. A lépoque, cela ne semblait pas erroné.
Une seconde raison : la raison économique. A lépoque, cétait voici plus de vingt ans, il existait une tension sur le marché pétrolier ; le prix du pétrole avait quadruplé et certains partisans du développement massif du nucléaire ont extrapolé en menaçant ou en disant : « il y aura peut-être des risques à terme dune tension sur la ressource en uranium ».
Ce risque évoqué de pénurie duranium incitait par conséquent à la construction de surgénérateurs qui eux, dans la filière du plutonium, avaient la vertu quasi magique évoquée, cest-à-dire de produire plus de combustible quils nen dépensaient.
Malheureusement, on oubliait évidemment avec cet argument que la prétendue abondance de plutonium due à la surgénération ne verrait le jour, même pour des raisons de physique nucléaire, que beaucoup plus tard. Cest-à-dire quil fallait à peu près un siècle en gros pour doubler le volume de plutonium par rapport à celui que lon a introduit dans le cycle.
Cest donc un calcul à très long terme. Autrement dit, les profits ne viendraient que dans cent ans. Je fais là une remarque dordre sociologique qui vous étonnera peut-être mais je pense que le nucléaire, le cycle du plutonium et notamment Superphénix sont ce que lon peut appeler un « fait social total » où il faut mobiliser tous les degrés de lanalyse afin de bien comprendre les choses, au moins de mon point de vue bien entendu.
Ce type de raisonnement à très long terme ne peut être possible, notez-le bien, que dans une société dirigiste extrêmement stable, en dehors évidemment de tout calcul économique raisonnable, ce qui implique un autoritarisme central comparable peut-être à celui prôné par les chantres du stalinisme dans les années 1940 et 1950. Je ne crois donc pas évidemment que cela eût été possible dans nos sociétés démocratiques.
Une troisième raison est dordre stratégique. Plusieurs personnalités bien connues du nucléaire, du moins à lépoque, notamment André Giraud et le Général Gallois faisaient le calcul suivant, extrêmement attrayant évidemment : à moyen terme, les Américains vont quitter lEurope ; la France, grâce à sa maîtrise de lensemble du cycle nucléaire et notamment du plutonium, pourra donc se porter pourvoyeuse auprès de ses partenaires européens, en matière à la fois délectronucléaire elle va exporter de lélectricité nucléaire, cest dailleurs ce quelle fait pour au moins une dizaine ou une douzaine de réacteurs actuellement et dautre part en matière de dissuasion. Il y avait donc là un calcul stratégique qui pouvait sensibiliser les dirigeants politiques.
Ce raisonnement saccompagnait en outre dun calcul économique qui flattait notre grandeur nationale, dans la mesure où le plutonium de qualité militaire qui pouvait être produit cest-à-dire pur à 97 % par le surgénérateur Superphénix serait dune certaine manière payé par le civil. La production délectricité servait alors dalibi.
Encore mieux même, puisque cétait en fait un engin international dans la NERSA il ny a pas que des Français ce plutonium militaire serait aussi payé dune certaine manière par les partenaires étrangers de NERSA qui, eux, ne pourraient pas lutiliser, puisque la plupart dentre eux, même la quasi-totalité, étaient à lépoque, contrairement à la France, signataires du Traité de non prolifération.
Il y avait donc là un ensemble darguments apparemment convaincants et susceptibles dimpressionner nos décideurs politiques, sachant que les partisans du nucléaire étaient sourds à toute critique alors que lon voit bien maintenant et je vais y revenir longuement que la décision de construire Superphénix dans les années 1973-1975 fut une erreur stratégique, économique, écologique et même énergétique tout à fait fatale et qui a coûté fort cher. Les gens à lépoque étaient sourds aux critiques et totalement sûrs deux.
Il faut relever aussi lattitude du monde politique dalors. Pour la définir, jhésite entre laveuglement et la démission face aux pressions des techniciens du nucléaire, quils viennent du CEA, de lEDF, de la Direction générale de lénergie et des matières premières (DGEMP), du corps des Mines ou de la CGT. Je ne prendrai quun seul exemple pour illustrer mon propos : M. Valéry Giscard dEstaing qui finalement a donné le feu vert, en tant que Président de la République, à la construction de Superphénix, disait tranquillement, parce quil y croyait, que « la filière des rapides donnerait à la France léquivalent du gisement pétrolier dArabie Saoudite ».
Après ces remarques contextuelles, historiques, peut-on dire, jen viens à lengin Superphénix proprement dit et jaurai deux types de remarques. Dabord des remarques générales puis des remarques plus particulières.
Je tenais à cette introduction générale, car elle me semble tout à fait caractéristique de la manière dont certaines décisions sont prises en France.
Des remarques générales sur Superphénix. Je crois dabord que la décision de construire Superphénix a été une erreur stratégique majeure, que dailleurs maintenant pratiquement tout le monde reconnaît et quun certain nombre de personnes dénonçaient déjà en 1975.
Des prévisions complètement exagérées de consommation délectricité et de développement du nucléaire en France et dans le monde : on la vu, 200 réacteurs à eau pressurisée, alors quil ny en a que 55 et encore, à mon avis cest déjà trop. Le nucléaire en général je ne parle même pas de la filière des rapides ne représente que 6 % de lénergie produite dans le monde, donc évidemment, je ne vois pas de quelle manière cela pourrait répondre dans le siècle prochain à quelque demande des pays qui en ont besoin.
Deuxièmement, cest une lourde erreur industrielle de construire un réacteur commercial de plus de 1 200 MW électriques au lieu dune taille intermédiaire de 600, par rapport au petit engin Rapsodie, et à Phénix dont la puissance est de 250 MW; cest une erreur industrielle majeure et évidemment une sous-estimation volontaire des coûts de conception, de fabrication, de fonctionnement et de maintenance.
Je reviendrai éventuellement sur les coûts au cours des questions. Vous connaissez le chiffre qui a été annoncé par la Cour des comptes voici un an et demi, uniquement pour lengin lui-même : 60 milliards de francs. Je pourrai en dire plus si vous voulez que lon parle de coûts.
Dès la fin des années 1970, il était clair au vu de la situation énergétique mondiale par exemple au vu du découplage de la courbe entre la croissance du P.N.B. et la croissance énergétique que la filière à neutrons rapides navait pas davenir. Diagnostic confirmé dans les années 1980-1982 par lévolution des cours et des réserves avérées duranium.
Troisième point : du fait du saut de taille de 250 à 1 200 MW et même plus de Superphénix et de la complexité de ce réacteur qui comporte, comme le relevait dailleurs M. Lacoste, deux matières particulièrement dangereuses : le plutonium et le sodium impliquant des conditions de sûreté nucléaire très particulières, qui nont rien à voir avec les réacteurs classiques, le fonctionnement de Superphénix a toujours été marqué par des accidents techniques. Le facteur de charge, je vous le rappelle, sur douze ans de « fonctionnement », est de 7 % ce qui, de très loin, est le plus nul, le plus bas de tous les réacteurs commerciaux au monde.
Quatrième point, le coût : je nen dirai quun mot, nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Même si lon ne compte pas lamortissement de la construction de Superphénix ni le coût de fabrication du combustible, le fonctionnement de Superphénix en régime établi pourrait-on dire, si jamais ceci nétait pas une vue de lesprit, est de 1 milliard de francs par an. A supposer même que Superphénix fonctionne à 50 % en moyenne, ce quil na jamais fait sur douze ans, puisquil nen est quà 7% sur douze ans, lélectricité produite rembourserait à peine le coût de son fonctionnement annuel. Cest donc là un alibi de lélectronucléaire tout à fait faux, compte tenu de ce qui sest passé.
La transmutation, nous en avons parlé cest une des voies de la loi que jappellerai brièvement « la loi Bataille » si vous me le permettez, chers collègues je ny crois pas du tout, pour plusieurs raisons. Dabord, Superphénix nest pas un réacteur expérimental mais une centrale nucléaire. Son coût comme instrument de recherche serait tout à fait prohibitif.
Deuxièmement, qualitativement, le véritable problème à long terme, cest lIPSN lui-même qui le dit, ce ne sont pas les actinides mineurs et même pas tout à fait le plutonium encore que je reviendrai sur le plutonium si vous le souhaitez mais les produits de fission à vie longue et Superphénix est tout à fait incapable de transmuter ces éléments. Cela occasionne des problèmes industriels, des problèmes de séparation isotopique extrêmement poussés, une dépense énergétique considérable pour faire cette transmutation, un coût anormalement élevé, etc.
Vous discutiez avec M. Lacoste de la recherche sur la transmutation sur Phénix. Je suis évidemment dautant plus sceptique sur Phénix que je le suis déjà beaucoup sur Superphénix.
Quantitativement, pour que lon puisse transmuter le plutonium et les actinides, il faudrait à peu près un Superphénix pour 4 ou 5 REP simplement pour stabiliser le stock actuel de plutonium, qui est à mon avis dà peu près 70 tonnes en France, ce qui est considérable, mais peut-être avez-vous dautres informations ?
La France a 55 REP, il nous faudrait donc de lordre de 15 Superphénix pour simplement stabiliser par transmutation le flux de plutonium. Personne nose penser cela, cest délirant.
Dailleurs M. Lacoste, de la DSIN, disait lan dernier, je cite : « Superphénix na jamais été et ne sera jamais un outil de recherche ».
Je pense que la transmutation, qui est éventuellement une des voies quil faudrait pousser dans la loi de 1991, est simplement un rêve dalchimiste. Elle ne permettra pas de se débarrasser massivement des stocks énormes dactinides mineurs et de plutonium qui sont générés par nos centrales. On ny arrivera pas par cette voie.
Cinquième élément dans les remarques générales sur Superphénix : la voie des réacteurs rapides. Elle fut conçue, je lai dit, dans la perspective dun choc sur les cours de luranium. Ce choc ne sest jamais produit. Tous les pays ont arrêté la filière des rapides à vocation électrique, sauf le Japon, jy reviendrai éventuellement, avec le réacteur de Monju qui ne fait que 280 MW électriques et qui est donc comparable à Phénix plutôt quà Superphénix. Ce réacteur est dailleurs arrêté depuis décembre 1995 et nest toujours pas remis en route à ma connaissance.
Sixième point : le démantèlement de Superphénix aurait dû, de toute façon, être fait assez rapidement. Il sera évidemment plus facile, moins cher et moins long, de le faire avec un réacteur relativement jeune une douzaine dannées , dont le combustible et les structures sont peu irradiés.
Une remarque en passant : bien que nos ingénieurs nucléaires soient les meilleurs du monde, larrêt avec vidange du sodium liquide na pas été prévu, cest assez stupéfiant ; et mieux, larrêt définitif autrement dit le démantèlement na pas non plus été prévu.
Souvent, vous savez, dans le nucléaire, on parle derreur humaine, de facteur humain, une vanne na pas été fermée, on na pas regardé un cadran, etc. et là, le facteur humain remonte totalement à lamont, puisque cest au stade même de la conception que, ni larrêt avec vidange, ni larrêt définitif nont été prévus. Je suis assez stupéfait.
Septième point : la décision darrêt et de démantèlement est évidemment une décision politiquement saine, que japprouve totalement et qui sanctionne les erreurs stratégiques très coûteuses que jai évoquées précédemment. Je pense quil naurait pas fallu construire Superphénix mais une fois construit, il aurait fallu larrêter dès la mort du barillet, cest-à-dire en 1987, voilà plus de dix ans. Je regrette de voir combien dintelligence et dargent de lordre de 1 milliard de francs par an, donc à peu près 11 milliards actuellement ont été gaspillés par cet entêtement à vouloir faire redémarrer Superphénix et par laveuglement des politiques en la matière.
Je marrête là en ce qui concerne les remarques générales et vais maintenant passer aux remarques particulières. Restent les questions du coût, sur lesquelles il faut sans doute être plus précis, de lemploi la question sociale , et les questions liées à la démocratie. Je ne dirai quune phrase : depuis vingt-cinq ans, tout a été fait en dehors de toute décision démocratique. Il resterait à évoquer en profondeur, bien sûr, la fuite en avant dans le cycle du plutonium qui est proposée par le combustible Mox et la gestion de lénorme stock de plutonium dont on ne sait que faire.
Je ne veux pas être trop long dans ce propos liminaire, mais toutes ces questions sont évidemment des questions importantes. Le démantèlement prendra de longues années. A mon avis, à peu près deux ans pour décharger le combustible ; au moins six ans, peut-être sept, pour vidanger le sodium primaire et secondaire et le transformer
il y a là plusieurs écoles. Il sagit de le transformer en un composé inerte, jespère que cela se fera sur le site ; puis il faudra attendre la diminution de la radioactivité et sattaquer aux structures elles-mêmes, à moins quon veuille le « tchernobyliser », cest-à-dire en faire un sarcophage pour les générations futures ce qui peut être également une option ; là il y a discussion. Mais si on veut le démanteler vraiment, démonter les structures, il faudra attendre la décroissance et le confinement de la radioactivité, ou bien alors, aller lancer des robots téléguidés. Tout ceci mérite débat, peut-être quun rapport nous éclairera, comme dit EDF avec son slogan « on vous doit plus que la lumière ».
Quelques remarques pour terminer, remarques particulières bien que jomette les différents chapitres que jai évoqués, nous y reviendrons éventuellement. Dabord les explications gouvernementales de la décision de fermer définitivement Superphénix portent essentiellement sur deux aspects : premièrement, une mauvaise stratégie de départ, je lai évoquée ; deuxièmement un coût économique beaucoup trop élevé ; bref un échec industriel et économique, donc, on arrête.
Je pense, deuxième remarque, quil faut ajouter à cette thèse économique officielle des raisons de sûreté. On sait quil existe un calcul économique des risques du nucléaire. Selon ce calcul, le risque nucléaire est « acceptable » pour les populations, les ingénieurs, les travailleurs, seulement parce que le nucléaire prétend avoir des avantages économiques ou géopolitiques nous avons vu la dimension stratégique supérieurs à son coût.
Evidemment, si ces avantages en termes de coûts disparaissent, ce qui est le cas pour Superphénix, car cela coûte vraiment très cher, il faut arrêter parce que de toute façon le nucléaire est dangereux et Superphénix est particulièrement dangereux.
Le troisième point que je voulais évoquer est la sûreté des réacteurs surgénérateurs. Je marrêterai là-dessus : on sait quil y a des risques dabord sur lutilisation du plutonium comme matériau fissile et enfin, sur le sodium liquide comme liquide de refroidissement. Les réacteurs à neutrons rapides ont été développés dans le monde en très petit nombre et la quasi-totalité dentre eux ont connu des accidents assez graves.
Je vais en citer deux. Le réacteur Enrico Fermi aux Etats-Unis, un réacteur de 60 MW électriques, donc un petit réacteur. Deux mois après la production de son premier kWh, le 5 octobre 1996 un blocage partiel de circulation dans le cur, qui ne fonctionnait pourtant quà 15 % de sa puissance nominale, provoque une fusion partielle du cur ; pendant quatre semaines les ingénieurs ont craint que la chaleur émise par le cur nentraîne une modification de sa configuration et ne provoque une incursion de puissance aux conséquences dramatiques. Dailleurs, un des responsables de la compagnie électrique Detroit Edison a dit, je cite : « nous avons failli perdre Detroit ». On tremble !
Deuxième exemple, la centrale de Monju au Japon qui ne fait que 280 MW électriques. En décembre 1995, une fuite de sodium sest produite au niveau dun thermocouple dont le doigt de gant, la couverture protectrice était brisée. Il a fallu près de 140 jours de recherche pour trouver cette couverture brisée. La fuite de sodium a provoqué un incendie qui a causé des dégâts dans les structures et au moment où je parle, à ma connaissance, le réacteur de Monju na toujours pas redémarré.
Ces accidents de sodium peuvent toujours se produire puisque le sodium brûle spontanément au contact de lair et réagit violemment au contact de leau. La combustion de lhydrogène formé par laction sodium/eau peut être explosive. Il y a donc un problème de sûreté nucléaire du fait de la configuration et de la composition du cur.
Par ailleurs, les grandes densités de puissance et la compacité du cur le rendent très sensible à des défauts locaux de refroidissement qui peuvent conduire à la fusion dun assemblage combustible.
Enfin, contrairement à la plupart des réacteurs à eau pressurisée, le cur nest pas dans sa configuration la plus réactive, cest-à-dire plus favorable à la réaction en chaîne. On sait que, dune certaine manière, les réacteurs rapides sont bridés, ce qui veut dire que si les assemblages combustibles pouvaient par malheur se rapprocher les uns des autres, par la suite dun incident lié au sodium ou bien par exemple dune secousse sismique ou dune fusion partielle cest laccident que jévoquais tout à lheure le combustible fondu se rassemblerait dans une région du réacteur. Il y aurait possibilité tout cela est très conditionnel, mais cela peut arriver de formation de masse critique rapide conduisant à une excursion nucléaire, cest-à-dire à une réactivité extrêmement rapide, une rapide augmentation de la réaction en chaîne, libérant une grande quantité dénergie sous forme explosive. La vaporisation dune partie du cur pourrait alors être atteinte et un tel accident conduirait, en cas de rupture de lenceinte, à la diffusion daérosols de plutonium hautement toxiques dans latmosphère, sans parler évidemment de la fusion du cur lui-même. Il serait éventuellement recueilli sous le réacteur, mais on ne sait pas ce que donne exactement la géométrie dans ces configurations.
En conclusion, bien quil y ait un luxe de précautions et des systèmes de détection qui rendent le fonctionnement de ce réacteur industriel difficile, comme en témoignent les quelques dizaines de mois dactivité en douze ans dexistence, la marche de Superphénix a été marquée par plusieurs incidents dont la mise hors service du système du barillet pratiquement dès le départ au bout dune année. Il y a donc des problèmes de fiabilité de la conception et de la réalisation de ce réacteur. Bref, il était sain darrêter, on aurait dû le faire voici dix ans, on naurait pas dû le construire.
M. le Président : Ayant participé moi-même à la décision de lancer le programme nucléaire, je ferai juste une remarque. Lorsquon parlait de 200 centrales nucléaires, cétait 200 centrales nucléaires avec une puissance nominale qui à lépoque était de lordre de 600 MW. Aujourdhui où lon construit des unités de 1 300 MW, le décalage nest pas aussi important que celui que vous avez bien voulu dire tout à lheure. Mais nous ne sommes pas là pour polémiquer, nous sommes là pour écouter et jai par conséquent une question à vous poser.
Vous avez abordé le problème de la politique générale et de la finalité politique. Jai sous les yeux un extrait dun journal auquel vous devez être abonné, qui sappelle « Verts Contact » qui date du 2 mai et je lis sous la signature de Mme Voynet : « Je déplore que la France ne soit pas en train de sortir du nucléaire ». Cest cohérent avec ce que vous avez dit. Mais ni le PS, ni le PCF nont la volonté den sortir. Le sens de laccord Verts/PS est doffrir des marges de manuvre pour quen 2005, lorsquil faudra décider du remplacement des vieilles centrales, on puisse décider de sen passer.
Ceci est dautant plus important que Mme Voynet occupe une place privilégiée au sein de ce Gouvernement. Jaimerais savoir si vous partagez cette analyse.
M. Yves COCHET : Tout à fait M. le Président. Evidemment, nous sommes actuellement dans une majorité à la fois parlementaire et gouvernementale. Mme Voynet occupe une place dans ce Gouvernement, et elle nhésite pas à sexprimer de la manière que lon sait, y compris hier dailleurs en réponse à une question dactualité sur ce domaine du nucléaire, et je partage tout à fait son analyse.
Bien sûr, dans le cadre de la loi Bataille, il faut, et je lai dit, quil puisse y avoir plusieurs filières, plusieurs voies, je crois que cest le mot, qui puissent être explorées concernant le traitement à long terme des déchets. Nous pensons, nous estimons la voie dite de surface comme la meilleure. Cest une des trois voies dailleurs. Les autres voies sont la transmutation à propos de laquelle jai émis quelques doutes, si je puis mexprimer ainsi, et la voie du stockage en couches géologiques plus profondes, qui a été pour le moment la plus étudiée, mais qui va être équilibrée avec les autres ; elle continue à être explorée. On sait que lOffice parlementaire sen inquiète. Mais je partage tout à fait lopinion de Mme Voynet. Je crois que dans les premières années du XXIème siècle, il faudra que lensemble des politiques, le Gouvernement, le Parlement, prennent une décision forte, dabord en matière de gestion à long terme des déchets et dautre part, en matière de politique énergétique. Je souhaite quà ce moment, tous les avis puissent être entendus, notamment le nôtre, qui jespère sera le même, cest-à-dire que lon peut sortir du nucléaire. Il faut entre vingt et trente ans, je dis cela « à la louche », mais techniquement, socialement, économiquement, il est possible de le faire. Il faut le faire de manière raisonnable et raisonnée, cest possible. Il existe des scénarios de sortie élaborés par des personnalités scientifiques et politiques éminentes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Une précision tout dabord, je suis flatté que lon ait accolé mon nom à celui de la loi du 30 décembre 1991, mais je veux préciser à M. Cochet que ce nest pas ma loi, cest celle de lunanimité du Parlement et à ma connaissance, cette loi sapplique.
Quand vous mettez en doute la voie de recherche sur la transmutation, le retraitement poussé, cest votre opinion mais ce nest pas ce que dit la loi. La loi demande aux autorités, au Gouvernement, à lexécutif, de mettre en uvre des recherches qui permettent davancer dans cette direction.
Vous avez dit au début de votre propos : « je ne suis pas venu faire de la technique, je fais de la politique au sens général du terme ». Je sais bien que nous nous écartons un peu de Superphénix, mais puisque vous confirmez vouloir sortir du nucléaire, quels types dénergie vous-même et vos amis proposez-vous pour se substituer au nucléaire et pour répondre aux besoins en énergie de la société de demain ? Sont-ce les économies dénergie ? Je crois lavoir lu. Est-ce que ce sont les énergies nouvelles ? Est-ce que ce sont les énergies fossiles, le pétrole, le gaz, le charbon ?
M. Yves COCHET : Je vous remercie de cette question. Il est difficile en quelques mots de le dire de manière précise. Jai indiqué à la fin de mon intervention précédente quen effet, nous avions à la fois la volonté et daprès nous, les possibilités en France, comme dailleurs partout dans le monde, de faire autrement pour produire de lélectricité à grande échelle que de le faire par la voie nucléaire et notamment bien sûr par la voie des rapides qui me semble devoir être abandonnée.
Les différentes filières que vous avez évoquées doivent toutes être explorées : les économies dénergie, les énergies que je nappelle pas « nouvelles » car, cest le cas de le dire, elles sont vieilles comme le monde, ce sont plutôt des énergies renouvelables, notamment le solaire, lhydraulique, léolien à condition de considérer que léolien ne soit pas un sous-produit du solaire, car en fait tout cela vient du soleil ainsi que dans une période transitoire jinsiste sur ce mot les turbines à gaz. Si ces voies avaient été explorées, nous estimons, et je pourrais vous donner des références douvrages ou de rapports confirmant mes propos, quen vingt à trente ans il faut donner une fourchette assez longue tant du point de vue technique quéconomique, financier, social et énergétique nous pourrions en effet sortir du nucléaire en France.
Des rapports ont été réalisés, par exemple celui de M. Pierre Radanne, nouveau président de lADEME. Dautres ont été rédigés par des gens du CNRS.
Tout ceci existe. Malheureusement, les moyens financiers, les moyens en équipes de recherches ont été très peu développés, sauf pendant les premières années de lAFME où avec M. Laponche, qui est maintenant un collaborateur de Mme Voynet, ou avec dautres personnes comme Michel Roland, ont été réalisées de très bonnes études scientifiques, politiques, économiques, pour pousser les économies dénergie et les énergies renouvelables.
Jespère que cette voie sera de nouveau choisie par la France. Nous ferons toutes les suggestions utiles. Il faut en tout cas diversifier pour que, de manière équitable,
en disposant en particulier de moyens humains et financiers équivalents les différentes voies qui soffriront au pays dans les années 2002, 2005, 2006 puissent être évaluées par les parlementaires et par les gouvernements de lépoque, en toute connaissance de cause.
Pour linstant, ce nest malheureusement pas le cas, le nucléaire capte lessentiel, on pourrait dire 99 %, des moyens qui sont destinés à la prospective en matière énergétique. Je le regrette profondément, jespère que le développement de lADEME mettra fin à cette quasi-hégémonie.
Mme Michèle RIVASI : Votre exposé était très intéressant dans la mesure où Superphénix a donné lieu à désinformation. Je voudrais revenir sur la question précédente posée par M. Bataille.
Superphénix ne remet pas en question la filière nucléaire. Cétait un choix. Ce qui minquiète cest que ce choix avait été fait avec des modèles qui se sont avérés très vite erronés, à commencer du point de vue économique, car 200 REP, même à 600 MW, dépassent très largement notre puissance installée actuelle.
Il faut bien mettre en place les outils de remédiation. Si lon ne fait pas cela, on peut aller très loin, on peut dépenser des milliards. Auparavant, une des causes du non arrêt de Superphénix était de dire : « on a déjà dépensé 30 milliards, cest très dur darrêter quelque chose où lon a énormément investi ».
Je me dis quil faudrait réfléchir avant, au moment du choix. Comment se fait-il que ce soient des gens, juge et partie, qui décident ? Doù lintérêt de la création de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques, pour former les députés à une prise de conscience de ces choix. Mais il faudrait également former plus les citoyens.
Jessaie de réfléchir à lavenir, car il nappartient pas quà des ingénieurs, quà quelques politiques de décider pour lensemble de la population. Quest-ce que cela signifie ? Que nous, en tant que parlementaires, il faut que nous soyons mieux formés, que nous ayons des structures de formation, et quau niveau des citoyens on mette en place des débats véritablement contradictoires, alors que la plupart des débats proposés aux citoyens sont des débats de prétexte leur laissant peu de pouvoir.
Maintenant, cest simple : la surgénération na pas marché. Reste le problème de la transmutation. Superphénix et Phénix sont des réacteurs globalement semblables ; sauf que Phénix a un inconvénient, cest un vieux réacteur. M. Lacoste nous a donné des informations à ce sujet. Il y a une autre information importante à donner aux citoyens, cest la transmutation, à quel coût et pour quoi faire ?
Jaimerais que lon pose cette question en disant : « daccord pour un réacteur de recherche, mais que lon ne fasse pas un réacteur aussi important que Superphénix avec la taille et les problèmes que cela a occasionnés ». Mais pour quoi faire ? Car si la transmutation implique de mettre énormément dargent pour isoler le neptunium, laméricium, etc. et pour diminuer la période radioactive du plutonium avec un seul réacteur, il faut savoir à quoi cela sert.
Il ne faut pas tromper les Français, leur dire que ce sera un moyen pour réduire les déchets radioactifs, car ce moyen est minime. Je me dis que si on dépense de largent
regardez déjà les 600 millions de francs dépensés par le CEA pour Phénix , il faut demander des justifications dobjectifs et de coût.
Je crains que lon soit en train de repartir dans une fuite en avant.
Quelle garantie se donne-t-on, nous parlementaires, pour ne pas faire les mêmes erreurs ?
Audition de Mme Dominique VOYNET,
Ministre de laménagement du territoire et de lenvironnement
(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998)
Présidence de M. Michel DESTOT, Vice-président
Madame Dominique Voynet est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Dominique Voynet prête serment.
M. le Président : Je me permets de vous souhaiter, Mme la Ministre, la bienvenue au nom de toute notre commission et je vous rappelle quaprès votre exposé liminaire, nous passerons au jeu des questions et des réponses.
Avant de vous donner la parole, je voudrais excuser le Président Robert Galley qui est le Président en titre de cette commission, et qui est retenu dans lhémicycle pour intervenir au nom de son groupe dans limportant débat sur le projet de loi sur les exclusions. Il vous demande de bien vouloir lexcuser.
Mme Dominique VOYNET : Le dépôt à lAssemblée nationale le 16 février 1998 de la proposition de résolution tendant à la création dune commission denquête sur larrêt de Superphénix ma surprise, non pas à cause du sujet proposé mais parce que certains éléments de lexposé me paraissaient blessants pour le Gouvernement et totalement inexacts sur le fond. Je cite : « la décision darrêt définitif de Superphénix apparaît être une décision arbitraire motivée par des raisons purement politiciennes ».
La connaissance du dossier par le rapporteur, le débat en commission de la production et des échanges ont permis de donner au travail de la commission un contenu plus intéressant, plus complet et plus profitable.
Lintérêt de votre démarche a été souligné par les orateurs de toutes tendances politiques lors du débat à lAssemblée et je massocie sans ambiguïté à la déclaration dYves Cochet qui a dit, je le cite : « Nous parions pour la raison, pour la transparence et pour la démocratie ».
Que MM. Galley et Bataille soient donc remerciés, ainsi que lAssemblée qui a approuvé leur initiative, contrairement à ce qui avait été le cas par deux fois dans le passé et sous une autre majorité.
Je mattacherai donc à apporter mon témoignage, mes convictions et les explications que vous jugerez nécessaires sur le sujet de votre enquête.
Le sujet est complexe. Au delà de ce court exposé liminaire et de la réponse à vos questions, je remettrai, si vous le voulez bien, à votre commission un mémoire dans les prochains jours qui, sans traiter la question de façon exhaustive, complétera mes interventions de façon plus détaillée et plus technique.
Lexamen de lhistoire des réacteurs à neutrons rapides, surgénérateurs ou non, nous montre que, contrairement à une opinion assez courante, ces réacteurs furent parmi les premiers à être étudiés et construits : le premier kWh produit par un réacteur nucléaire le fut en 1951 par EBR1, réacteur à neutrons rapides aux Etats Unis.
La période 1950-1970 marque un foisonnement dinitiatives dans ce domaine : aux Etats-Unis, en URSS, au Royaume-Uni, en France ; lAllemagne et le Japon viendront plus tardivement pour les raisons que lon sait.
On est ensuite frappé par la série dincidents et daccidents des réacteurs surgénérateurs, expérimentaux ou prototypes, dans la plupart des pays, dont certains auraient pu être extrêmement graves je pense notamment à celui du réacteur Enrico Fermi aux Etats-Unis en 1966.
Dans presque tous les pays, ces difficultés techniques auront pour conséquence larrêt des réacteurs pendant des mois, voire des années, quelquefois à partir daccidents mineurs, mais lourds de conséquences en termes de fiabilité industrielle et de disponibilité, comme celui de Monju au Japon à la fin de 1995. Les facteurs de charge des réacteurs prototypes furent en général extrêmement faibles.
A ces difficultés techniques sajoutent les mauvaises surprises économiques : les coûts dinvestissement des surgénérateurs ont très largement dépassé les prévisions et le plutonium a perdu de son intérêt du fait de la baisse drastique et persistante des prix de luranium au niveau mondial.
Force est de constater que la plupart des grandes nations industrielles, même les pionnières dans leffort nucléaire, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, ont tiré les conséquences de ces difficultés économiques et techniques et ont abandonné la filière des surgénérateurs.
Ce nest pas, me direz-vous, une raison suffisante pour dire que les choix faits en France ont été erronés.
Comparée aux déboires techniques dans les autres pays, la période des réacteurs expérimentaux et prototypes, Rapsodie et Phénix a été un succès. Il faut féliciter les chercheurs et les ingénieurs du CEA, de lindustrie et dEDF pour la réussite de cette première phase. Ils ont su profiter intelligemment de lexpérience étrangère pour corriger les erreurs et ils lont fait avec compétence. Ils ont fait aussi, ils le disent eux-mêmes, des paris techniques assez osés et ont imprimé « à laventure des surgénérateurs » jy mets les guillemets nécessaires, je les cite un rythme de course dobstacle et de compétition internationale. A laube des choix sur Superphénix, « il fallait battre le Japon ».
Fallait-il ou non décider de construire Superphénix ?
Il faut bien se souvenir à quel point au milieu des années 1970, la classe dirigeante française baignait dans leuphorie du tout nucléaire. A lampleur du programme des réacteurs à eau ordinaire, les REP, on allait ajouter le fleuron de « la plus grande centrale surgénératrice du monde », Superphénix.
En 1974, les prévisions dEDF pour la production délectricité en France en lan 2000 sont, rappelez-vous, de 1000 milliards de kWh. En réalité, on sera en lan 2000 aux alentours de 500 milliards de kWh, un rapport de 1 à 2, la marge derreur nest pas mince. En 1976, le CEA annonce pour lan 2000 un parc nucléaire total de 200 GW, dont 40 à 50 surgénérateurs de 1 000 MW. Laugmentation mondiale vertigineuse de la consommation délectricité et de la production électronucléaire va tarir, pense-t-on, les ressources en uranium et les prix de celui-ci vont flamber. La solution passe, croit-on alors, par le plutonium et le surgénérateur.
Rien de tout cela ne sest produit.
Il est faux de dire que personne navait tiré la sonnette dalarme. Au CEA, nombreux étaient ceux, même parmi les tenants du surgénérateur qui considéraient quun 600 MW électrique évitait le saut technique trop important entre Phénix qui venait de démarrer et Superphénix quatre fois plus puissant. Des experts de lInstitut économique et politique de lénergie de Grenoble (IEPE), parmi les meilleurs économistes de lénergie en France, publiaient « Alternatives au nucléaire » qui leur valut lopprobre du milieu électronucléaire.
Il nest pas exagéré de dire que Superphénix fut le produit dune certaine folie des grandeurs, et dune mauvaise appréciation réelle ou apparente de lévolution de la situation énergétique mondiale.
Malgré cette évolution et malgré une croissance de la consommation délectricité beaucoup plus faible que prévue, le programme de construction des centrales REP saccentua pour aboutir à une surcapacité onéreuse et qui ne sestompe que très lentement. Superphénix fut construit, malgré une opposition qui fut dénigrée et méprisée à lépoque, une époque qui ne sembarrassait guère dinformation, de concertation, de consultation du public, malgré donc une opposition dont on reconnaîtra, à mes yeux, un jour la qualité.
Je tiens notamment à saluer ici ceux qui ont fait les frais de larbitraire de ces choix et de la répression violente qui la accompagné. La mort de Vital Michalon un jour de manifestation de juillet 1977 symbolise pour moi cette opposition. Celle-ci ne sest jamais tue, elle a continué à présenter ses arguments aux citoyens et aux dirigeants de ce pays.
Superphénix démarra en septembre 1985 et fut couplé au réseau en janvier 1986. On savait déjà à lépoque quil produirait une électricité beaucoup trop chère et quil ne serait jamais « la tête de filière industrielle » annoncée. La première année de fonctionnement fut correcte. Puis les « incidents », comme on les appelle dans le milieu nucléaire, se multiplièrent, arrêtant le réacteur pendant des périodes de plusieurs mois et révélant des faiblesses techniques inattendues. Pendant la période allant de janvier 1986, date à laquelle le premier kWh fut produit, à juin 1992, où le démarrage fut jugé techniquement possible, soit 78 mois, Superphénix na produit de lélectricité que pendant 28 mois à des niveaux de puissance divers et cela, uniquement à cause daccidents techniques.
Cest alors, Madame et Messieurs les députés, quune enquête parlementaire eut été véritablement utile et que le Gouvernement aurait dû prendre la décision darrêt définitif de linstallation. Il ne la pas fait, non plus que ses successeurs.
La tentative de transformation dune centrale électronucléaire de 1 200 MW en réacteur de recherche, par le décret de 1994, répondait beaucoup plus au souci de sauver Superphénix quaux besoins de la loi Bataille de 1991 sur les déchets radioactifs. Les commentaires de MM. Curien, Dautray, Détraz, Castaing, qui nétaient pas des écologistes furieux, sont bien tièdes sur cette idée. Le programme de recherche sur la transmutation sera poursuivi par des moyens plus appropriés.
Cette reconversion tardive fut dailleurs un très mauvais service rendu à Superphénix : dire que la production délectricité ainsi que la surgénération nétaient plus les objectifs de Superphénix était en fait condamner la filière des surgénérateurs et Superphénix avec elle, sans en tirer les conséquences.
Lannonce faite par le Premier ministre, M. Lionel Jospin, dans son discours de politique générale du 19 juin 1997 est parfaitement explicite : « si lindustrie nucléaire est un atout important pour notre pays, elle ne doit pas pour autant sexempter des règles démocratiques ni poursuivre des projets dont le coût est excessif et la réussite très aléatoire. Cest pourquoi le réacteur quon appelle Superphénix sera abandonné ».
La décision darrêt définitif de Superphénix a été confirmée le 2 février 1998. Comme vous le savez, cette décision a été préparée par lélaboration des dossiers techniques du démantèlement qui doivent être remis aux autorités de sûreté nucléaire dans les semaines qui viennent et par un travail approfondi dévaluation et de proposition sur les questions de lemploi, travail auquel jai personnellement attaché la plus grande importance.
M. Jean-Pierre Aubert a été chargé par le Premier ministre dune mission précise sur ce point, qui a permis délaborer, en coordination avec les ministères concernés, la DATAR, EDF, les services déconcentrés de lEtat et en concertation avec les élus, un programme très complet daccompagnement économique de la mise à larrêt définitif de la centrale de Creys-Malville.
Ce programme comprend des dispositions en faveur des entreprises et des personnels prestataires de la centrale, des aides au développement économique du bassin demploi par la création dun fonds spécial doté par lEtat et par EDF, des aides à la création dentreprises dans le bassin demploi et limplantation dentreprises sur le site, le soutien à des projets de développement, le soutien aux communes.
Les moyens humains et financiers annoncés par le Gouvernement sont maintenant en place, Jean-Pierre Aubert sera en mesure de faire le point sur ce programme de façon très précise lors de son audition par votre commission.
Certes, la décision de larrêt de Superphénix est liée à un accord politique ; ce nest pas pour autant une décision politicienne ; en démocratie, cest une bonne chose dannoncer la teneur des accords politiques et de les respecter.
Faut-il rappeler quil appartient aux techniciens déclairer les options, de proposer des alternatives et aux politiques de décider sur la base dune évaluation des coûts et des bénéfices en termes économiques, sociaux, écologiques et de développement durable pour lensemble des citoyens et pour les générations futures ?
Je pense intimement quau delà de laccord politique, la décision darrêt définitif de Superphénix est juste, du point de vue de lintérêt économique du pays, du point de vue de lavenir de notre politique de lénergie dans lespace européen, du point de vue de la sûreté nucléaire, de la protection des populations et de lenvironnement et de la qualité de nos relations internationales.
On a trop pris lhabitude en France, et tout particulièrement dans le domaine nucléaire, que les dirigeants des grands organismes et entreprises du secteur se substituent aux politiques en prenant de fait les décisions qui incombent au pouvoir politique.
Je suis convaincue que nos citoyens approuvent une certaine reprise en charge des responsabilités, tant par le pouvoir exécutif que par le pouvoir législatif, dans un domaine qui réclame à la fois vigilance, appréciation de tous les enjeux et vision à long terme dans la perspective dun développement durable.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je vais ouvrir la discussion non sans saluer le caractère complet de votre exposé, et complémentaire de ceux de MM. Christian Pierret et Aubert qui nous éclaire sur les propositions du Gouvernement, notamment en matière daménagement du territoire.
Je veux me réjouir de vous avoir entendue fustiger une forme de suffisance technocratique, qui peut conduire aux pires errements. Si cette commission fonctionne, cest aussi, sans vouloir anticiper sur ses conclusions, pour se prononcer très précisément sur le cas de Superphénix.
Je voudrais faire une remarque complémentaire à la vôtre sur la loi du 30 décembre 1991 : effectivement, le fonctionnement de Superphénix en sous-générateur est venu ensuite en complément de cette loi. Jai assez de mémoire pour me souvenir quau moment où la loi a été votée, Superphénix était un des moyens de transmutation et détude, mais pas le seul ; je crois quil faut aussi bien poser ce problème.
Je vous poserai deux questions précises, lune sur Superphénix, lautre sur Phénix, sujet également compris dans le champ de compétence de notre commission denquête.
A propos de Superphénix, je voudrais connaître votre sentiment sur la méthode utilisée pour proclamer son arrêt. Car si lon peut en effet déplorer la façon autoritaire dont le processus a fonctionné depuis des décennies, on peut constater que la façon dont larrêt a été proclamé sy apparente. Vous avez vous-même déclaré que le Gouvernement décidait de fermer Superphénix selon des méthodes qui avaient déjà été utilisées.
Je voudrais vous demander, si vous vous étiez trouvée devant un Superphénix fonctionnant, auriez-vous milité de la même manière pour son arrêt ? Si le débat démocratique est souhaitable, est-ce que vous-même avec vos collègues du Gouvernement seriez favorables, dans les mois à venir, à louverture dun débat ouvert sur toutes les perspectives, notamment sur le dossier du nucléaire, mais pas seulement sur celui-là, afin que chacun puisse exprimer son point de vue.
Quel est votre sentiment sur le redémarrage de Phénix sur lequel vous ne vous êtes pas exprimée dans votre exposé liminaire ? Les conditions de sûreté de cette installation, vieillissante mais rénovée, vous semblent-elles aussi satisfaisantes que celles de Superphénix ? Ou bien, la remise en fonctionnement de Phénix pour quelques années, 2004 ou 2005 nous a-t-on dit, vous paraît-elle inquiétante ?
Enfin, et vous avez raison de le souligner, larrêt de Superphénix correspond aux annonces faites par Lionel Jospin dans ses campagnes des élections présidentielles et législatives. On peut donc effectivement considérer que cest la mise en application de ce qui a été annoncé par le nouveau Premier ministre au nom de sa majorité plurielle.
Il est un autre point sur lequel le Premier ministre ne sest pas engagé, cest celui de sortir du nucléaire, sur lequel, en revanche, vous vous engagez clairement, vous lavez encore déclaré officiellement voici peu de temps. Est-ce quon doit considérer que vous faites cette proposition à titre personnel ou bien faut-il y voir un engagement du Gouvernement ? Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « sortir du nucléaire » ? Sagit-il dun calendrier progressif ou bien dune décision qui interviendrait dune façon plus radicale ou plus brutale en 2005 ? Enfin, sur ce dernier point de sortie du nucléaire, quelles propositions et quelles énergies de substitution envisagez-vous dans le cas dune sortie du nucléaire ?
Mme Dominique VOYNET : Je répondrai puisque cest la règle du jeu tout en notant que certaines des questions, presque la totalité dentre elles, finalement sortent du cadre étroit de la commission denquête, cela dit, cet échange na de sens que sil est complètement ouvert et libre.
Soyons clairs : le culte du secret, labsence de débat démocratique, singulièrement à lAssemblée nationale et au Sénat, ne sont pas des choses que nous découvrons, cest une réalité dans le domaine du nucléaire depuis 25 ans.
Aujourdhui, je continue à déplorer labsence de lieu pour débattre sereinement, tranquillement, sans arrière-pensée. Le nucléaire reste un des grands tabous de notre société et si chacun trouve normal que des pronucléaires militants assument de lourdes responsabilités, il continue à être tout à fait inquiétant pour beaucoup de décideurs, de voir une personne en situation de responsabilité, qui a assumé et continue à assumer des positions beaucoup plus critiques sur le nucléaire.
Je participe à ce Gouvernement sur une base très précise : je suis anti-nucléaire, je ne vois pas du tout là matière à scandale. Plutôt, je mets en uvre le principe de réalité. Le nucléaire existe dans ce pays et je fais en sorte que mes interrogations, mes inquiétudes, mes doutes, puissent être évoqués de façon publique, rigoureuse. Je cherche à défendre mes positions en argumentant aussi souvent que possible. La prise de position des Verts concernant Superphénix est ancienne, elle est argumentée, elle a été défendue urbi et orbi depuis des années. Nous avons cherché à convaincre de sa pertinence non seulement nos partenaires politiques mais aussi les Gouvernements qui se sont succédé, avec un certain succès je dois le dire.
Il métonnerait beaucoup que Corinne Lepage vous tienne un discours très différent du mien tout à lheure.
Je me suis donc engagée à participer à ce Gouvernement en recherchant trois objectifs : le premier est de faire en sorte que les choix de lavenir soient le plus ouverts possible.
Si nous continuons à avoir une politique de maîtrise de lénergie, de diversification des choix énergétiques, aussi misérable quelle lest aujourdhui, nous naurons aucune alternative à la poursuite du choix nucléaire au moment du renouvellement du parc dans une vingtaine dannées ; nous y serons condamnés dune certaine façon. Je ne pense pas être encore en situation de responsabilité à cette époque mais jaimerais que mes enfants puissent avoir la liberté de choix, ou sils choisissaient de poursuivre dans la voie nucléaire, quils ne soient pas condamnés à choisir le tout nucléaire et quils puissent avoir un choix équilibré et adapté à la situation du marché de lénergie, des habitudes de consommation, de la localisation des activités humaines qui seront la réalité de la France de 2020.
Je revendique cette liberté de poser des questions qui sont taboues, qui font presque scandale, mais je considère que cest la responsabilité des politiques de préparer lavenir.
Le deuxième axe qui fonde ma présence au Gouvernement est que je pense que, comme la totalité des autres activités humaines, le nucléaire, lindustrie nucléaire, mérite la transparence et doit la transparence aux citoyens. Et si les procédures sont rigoureuses, si les procédés de fabrication et de conduite des exploitations et des installations sont rigoureuses, le nucléaire ne doit pas craindre cette transparence et cette confrontation avec une aspiration citoyenne de plus en plus précise.
La troisième ambition dune ministre Verte en ce qui concerne le nucléaire est bien sûr la sûreté.
Sur ces trois bases : ouvrir les choix de lavenir, assurer la transparence et garantir la sûreté, il ny a aucune inquiétude à nourrir, jai le sens des responsabilités tout autant que nimporte quel ministre et jaimerais vous en convaincre.
Mes convictions anciennes et argumentées ont-elles été modifiées depuis ma prise de fonction et mon attitude aurait-elle été différente si Superphénix avait été autorisé à redémarrer avant lalternance ?
La plus grande des surprises pour moi au moment où jai eu connaissance des dossiers qui concernaient Superphénix, cest que justement, il ny avait pas de dossier sur le démantèlement de Superphénix et que les procédures techniques, le coût, les modalités de larrêt navaient pas du tout été préparés. Pourtant, on savait que cette installation allait devoir être arrêtée un jour ou lautre et je ne mexplique pas que les phases de larrêt naient pas été davantage préparées.
Il me semble dailleurs que nous aurions intérêt à faire de larrêt, du démantèlement de Superphénix un chantier exemplaire, car des centrales de forte puissance et de grande dimension, nous aurons à en démanteler plusieurs dizaines au cours des prochaines décennies. Nous avons intérêt, finalement, à travailler notamment pour réduire les phases et les épisodes du démantèlement au cours desquels nous aurons besoin de lintervention humaine. Lidée de mettre au point des robots permettant de réduire la présence des êtres humains sur les installations me paraît extrêmement intéressante. Plutôt que darrêter le plus vite possible pour effacer cet épisode Superphénix, nous avons intérêt à réfléchir aux différentes phases en pensant que notre expérience pourra servir dans dautres installations.
Jai donc découvert quaucun dossier sur le démantèlement navait été préparé. Cela explique certainement pourquoi je nai pas encore entre les mains le dossier de NERSA qui doit permettre de délivrer les orientations nécessaires avant de lancer les opérations de déchargement du combustible, de vidange du sodium, de démantèlement des structures.
Sur les autres questions concernant la dimension économique et la dimension technique du dossier, je nai pas appris beaucoup de choses nouvelles. Il ma fallu bien sûr travailler les incidences de la fermeture de Superphénix sur le programme de recherches prévu par la loi de 1991. Je suis convaincue que cette centrale électronucléaire industrielle de 1 200 MW électriques ne pouvait pas être considérée comme un outil de recherche, que la métamorphose que lon a voulu lui faire subir était artificielle et na pu que faire du tort à sa cause.
Comme je lai dit tout à lheure rapidement, le dossier sur lequel jai le plus travaillé finalement est celui de lemploi et de la reconversion. Le Gouvernement a mis en place un dispositif assez complet. Je tenais beaucoup à ce que le problème soit vraiment pris très en amont et que lon traite non seulement le problème des personnels disposant de statut EDF ou NERSA, mais aussi le problème des sous-traitants et des collectivités locales qui étaient mises en difficulté.
Que se serait-il passé si Superphénix avait été autorisé à démarrer avant lalternance ?
Vous savez très bien que dun point de vue technique ce redémarrage aurait pu avoir lieu. Il me semble, cest un secret de polichinelle, que le Gouvernement précédent ne tenait pas tellement à ce redémarrage, peut-être pour des raisons politiques, mais je nétais pas dans les cercles où ces choses ont été discutées, certainement pour des raisons économiques, probablement également pour des motifs juridiques.
Vous savez que le Conseil dEtat avait annulé le décret de 1994 qui transformait la centrale de production délectricité en réacteur de recherche. Vous savez aussi que les arrêtés dautorisation de rejets étaient arrivés à échéance et que dans les deux cas, il aurait été difficile de se passer denquête publique.
Dailleurs, lambiguïté de la position du Gouvernement précédent néchappera à personne, puisquil sétait opposé à la création dune commission denquête parlementaire. Supposons que Superphénix ait redémarré, je ne peux évidemment pas préjuger de ce qui aurait été la décision du Gouvernement de Lionel Jospin. Je crois, pour avoir défendu tout au long de la campagne devant les Français, de façon complètement transparente, notre choix darrêter cette installation, que la décision aurait été larrêt définitif de Superphénix.
Quen est-il du redémarrage de Phénix ?
Je me suis tenue très au courant de ce dossier, parce que le directeur de la sûreté nous a informés très régulièrement des questions qui pouvaient être posées sur ce plan de la sûreté. Ce nest un secret pour personne, au sein du Gouvernement je nétais pas favorable au démarrage de Phénix. Ce démarrage a été décidé, à lissue dune large discussion entre les ministres, par le Premier ministre et je suis évidemment solidaire de cette décision. La comparaison entre Phénix et Superphénix nest pas fondée. Superphénix a été conçu, je le répète une fois de plus, pour être la première grande centrale nucléaire à surgénérateur, pour être une tête de filière et pour démontrer la compétitivité de cette filière. Il nen a rien été. Phénix a toujours été un prototype, sur lequel on eut admis plus dincidents, il en eut plutôt moins. Depuis presque dix ans, Phénix est utilisé comme réacteur de recherche et non plus comme centrale nucléaire dont la production délectricité est la finalité essentielle. Il nest donc pas déraisonnable de le redémarrer dans le cadre dune mise en uvre équilibrée de la loi Bataille sur les déchets.
Je sais aussi que les spécialistes de la sûreté nucléaire sont plus réticents sur Phénix que sur Superphénix. Ils considèrent cependant quavec les précautions prises de limitation de puissance, de limitation de la durée de fonctionnement, la sûreté de Phénix nest pas en cause.
M. Franck BOROTRA : Je ne suis pas sûr, comme a semblé le dire le rapporteur tout à lheure, quil y ait une complémentarité totale entre lintervention du ministre de lenvironnement et celle du secrétaire dEtat à lindustrie. Cest une appréciation personnelle, mais après tout je reconnais la clarté et la constance dans les propos de Mme Voynet, même sil sagit dun discours militant que lon connaît depuis longtemps. Je ne veux pas du tout jeter lopprobre sur le discours militant, qui présente parfois des allures un peu simplistes sur des sujets relativement complexes.
Je vais essayer de men tenir au dossier qui nous intéresse.
Premièrement, vous avez dit : « il sagit dune décision liée à un accord politique ». Du reste, M. Pierret a dit exactement la même chose.
La question que je pose est la suivante : dans un système tel quil existe aujourdhui et dans le cadre dune majorité plurielle, comment se fait-il quil puisse y avoir un accord entre la formation à vocation majoritaire quest le parti socialiste et une partie de sa majorité plurielle, qui représente quelques pour cent, en tout cas, moins de 5 % des électeurs, et que lon exclue de ce type daccord politique une autre tendance qui représente deux ou trois fois plus délecteurs ?
Je prolonge cette question en disant que vous avez raison sur le fait que dans le passé, on a probablement manqué de transparence et parfois de démocratie pour les décisions qui ont été prises, mais au moins aujourdhui, il y avait une possibilité très simple déviter que cela se perpétue, cétait de demander à lAssemblée nationale son avis sur la fermeture de Superphénix. On a donc reproduit le même type de comportement, cest-à-dire que dun côté lon a pris des accords autour dune table et de lautre côté on na pas permis au Parlement, en tout cas à lAssemblée nationale de sexprimer sur ce sujet, malgré les demandes répétées.
Cest une première question.
La deuxième question : que pensez-vous de lintérêt quil y a à poursuivre la recherche dans le domaine de la transmutation et dessayer de le faire avec les meilleures garanties de sûreté possible ?
Je voudrais rappeler tout de même que concernant Phénix, il y a des possibilités de recyclage hétérogène de laméricium mais en revanche, concernant les recherches nécessaires dans le domaine du recyclage homogène, en particulier du neptunium, il ne semble pas que Phénix puisse le faire.
Si lon est favorable à la poursuite des recherches dans le domaine de la transmutation, pourquoi nutilise-t-on pas parmi les différents outils dont on dispose, compte tenu du coût qui a déjà été payé, celui qui est le plus sûr ? On est venu ici nous expliquer que sans doute Phénix était sûr, mais que Superphénix nétait pas de la même génération dans le domaine de la sûreté nucléaire.
Je voudrais donc que lon mexplique comment et pourquoi on abandonne loutil le plus sûr, qui a lavantage douvrir davantage le champ des recherches dans le domaine de la transmutation.
Troisième question : vous avez parlé de saut technologique entre Phénix et Superphénix. Jaimerais avoir votre avis sur le sujet, car selon les techniciens, entre Phénix et Superphénix, mis à part le rapport en termes de dimension, il ny a quun seul domaine où se révèle une innovation de nature technologique : ce sont les générateurs de grande puissance. Les générateurs de grande puissance pour Superphénix sont à tubes hélicoïdaux alors que les générateurs de Phénix sont à tubes droits. A part cette innovation qui du reste a été une réussite, il ny a pas de saut technologique.
Quatrième question : vous avez déclaré : « de la même façon que lon a arrêté les avions renifleurs, il faut arrêter aujourdhui Superphénix ». Je voudrais rappeler que laffaire des avions renifleurs était une escroquerie gigantesque qui na engagé que la société Elf Aquitaine. Est-ce que vous considérez que Superphénix est une escroquerie ? Je voudrais quand même rappeler quil sagit dun consortium international qui a associé un très grand nombre de chercheurs, un très grand nombre dorganismes et dinstituts de recherche. Je trouve là encore que ce type de comportement ou de déclaration ne facilite pas le débat tel que vous le souhaitez.
Vous avez du reste fait une autre déclaration sur laquelle je souhaiterais en savoir un peu plus, vous avez dit que « vous jugiez possible la sortie du nucléaire en 2005 ». Vous avez, je le reconnais, dit avec franchise que ni le parti socialiste ni le parti communiste nont la volonté den sortir, mais ce que vous, vous souhaitez, cest quà partir de 2005, lorsquil faudra décider du remplacement des vieilles centrales, on puisse décider de sen passer.
Je voudrais que vous mexpliquiez ce quest la date de 2005, car aujourdhui on est hors détat de savoir si les centrales nucléaires existantes pourront continuer encore 10, 20 ou 25 ans.
Je souhaiterais que lon mexplique, après le discours que jai entendu de la part du secrétaire dEtat à lindustrie, quelle est la politique du Gouvernement. Il est venu ici clairement réaffirmer sa volonté de maintenir un choix nucléaire ; je partage votre point de vue sur un point très précis, à savoir quil sera nécessaire dans les années 2015 ou 2020, quand il faudra prendre des décisions, que le Gouvernement de lépoque puisse disposer de tous les éléments dans tous les secteurs, aux plans scientifique, technologique et industriel pour choisir le meilleur mix possible pour la politique énergétique de la France. Du coup, il ne faut pas se priver aujourdhui de la possibilité de progresser, y compris dans cette filière des réacteurs à neutrons rapides.
Mme Dominique VOYNET : Permettez-moi, M. Borotra, de prendre comme une sorte de compliment la façon avec laquelle vous saluez mon discours militant. Mon discours militant, je le prends comme un discours politique au sens noble du terme. Il est plus facile dans ce pays, singulièrement en matière de nucléaire, de partager les vues de la majorité. Cest aussi ma responsabilité de femme politique au sens noble du terme, je le redis encore une fois, de poser les questions qui gênent, déclairer les zones dombre et de demander que des réponses intelligibles, compréhensibles par lopinion, ne faisant limpasse sur aucune dimension du problème, soient présentées aux citoyens.
Le moins quon puisse dire est que cela na pas été le cas dans le passé. Je vous le rappelle, dans les années 1960, la commission PEON, associant essentiellement lEDF et le CEA, a dicté, pour lessentiel, les décisions des politiques. M. Boiteux, ancien directeur général dEDF raconte comment dans son bureau, en quelques heures, avec le DGEMP de lépoque, il a été amené à préciser, « à la louche », en prolongeant des courbes, le nombre de centrales du grand plan Messmer sur le développement de lénergie nucléaire. Rien de démocratique à lépoque, rien de rigoureux même dun point de vue scientifique. Lhumour avec lequel Marcel Boiteux rend compte de cet épisode ne doit pas nous tromper ; il y avait là de graves dénis de démocratie.
Est-ce que les choses sont plus simples aujourdhui ? Bien sûr, il ny a pas de dictature nucléaire, et jai le droit de parler librement devant votre commission, mais le débat démocratique nexiste toujours pas sur cette question. Cest une carence particulièrement visible aujourdhui parce que les citoyens sintéressent beaucoup au nucléaire et éprouvent des craintes dont certaines sont irrationnelles, parce quon les a si peu informés. On a déployé peu defforts pédagogiques réels pour associer les citoyens aux grands choix concernant lavenir du pays.
La création de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques est un progrès considérable pour votre Assemblée. Je crois quil faut saluer à la fois son existence et la qualité de ses travaux, mais il faudra aller plus loin. Même si les technocrates sont très jaloux de leur pouvoir, les choix incombent pour lessentiel aux politiques. Il faut en discuter, il faut en décider, je pense que cest ainsi dailleurs quil faut interpréter le travail de votre commission denquête.
Je tiens à ce quon sorte des discours simplistes et sil arrive aux militants de sy livrer parfois, je voudrais dire quil marrive, moi, dêtre singulièrement exaspérée par quelques articles de presse dans lesquels, par exemple, on entend le directeur de la COGEMA dire : « bien sûr, les énergies renouvelables cest très intéressant, mais vous savez, cela ne fonctionne pas sans subvention ». Comme si la politique agricole européenne fonctionnait sans subvention ! Comme si le nucléaire fonctionnait sans subvention ! Comme si le CEA ne disposait pas de milliards et de milliards de fonds publics pour ses programmes de recherche !
Est-ce un argument sérieux ? Est-ce que cela permet déluder dun revers de main la nécessité de diversifier les choix énergétiques ? Est-ce que cest sérieux, quand des ministres très conscients de leurs responsabilités, très conscients à la fois de ne pas dramatiser mais aussi de ne pas banaliser les incidents dans une démarche qui privilégie la sûreté, se voient qualifiés de « démagogues antinucléaires », de « porte-drapeau des antinucléaires » et quand lépisode difficile et grave des transports contaminés que lon vient de découvrir en gare de Valognes est lobjet de commentaires comme « tout le bruit fait récemment autour du transport de déchets par train participe de cette forme dhystérie antinucléaire alimentée par une petite minorité » ?
Je ne pense pas que ce soit une façon responsable de sexprimer, je pense que dans une démocratie moderne, les pronucléaires convaincus ont le droit de sexprimer, les antinucléaires convaincus doivent avoir, dans les mêmes conditions, le droit dexprimer aussi des convictions. Le bébé ne doit pas être jeté avec leau du bain. Si nous ne sommes pas capable davoir un débat courageux, responsable, contradictoire, y compris avec de la véhémence et de la passion, je crois que nous ne ferons pas notre travail.
Dans le passé, on a manqué de transparence, aujourdhui on continue et les difficultés que jai rencontrées, lorsque jai demandé, avec le plus grand calme, et avec simplement la volonté dassurer la sûreté et la transparence, que soient explicités les incidents qui ont eu lieu dans la chaîne du transport des déchets radioactifs, me semblent montrer quil existe une limite à ce que lappareil, et ce que le grand public appelle le « lobby électronucléaire », peut accepter en termes de débat démocratique.
Je pense absolument indispensable douvrir lexpertise, qui ne doit pas se limiter à ladministration et aux grands organismes, je souhaiterais que cette expertise soit, le plus souvent possible, non pas indépendante, car ce mot est ambigu, mais pluraliste et extérieure à ladministration. Ce quil faut supprimer cest lunicité de lexpertise, ce nest pas la responsabilité politique. Si je suis favorable au développement doutils dexpertise indépendants, je souhaite en effet que le pouvoir politique et singulièrement le Gouvernement conservent la responsabilité du contrôle et assument complètement la responsabilité politique.
Je ne crois pas, ce sera la réponse à la question précise qui a été posée, que la fermeture dune centrale nucléaire parmi les dizaines qui figurent sur le territoire national relève dune décision du Parlement. En revanche, quil y ait régulièrement un débat au Parlement sur les grandes orientations de la politique énergétique me paraît tout à fait souhaitable, de même que jai salué et que je le refais une fois de plus encore, linitiative du Parlement sur cette commission denquête car je crois que lon doit effectivement la transparence, que lon doit les explications et que lon doit aux citoyens des débats permettant déclairer les choix.
Pourquoi ne pas utiliser les outils existants ?
Cétait une des questions de M. Borotra. Tout simplement parce que loutil Superphénix nétait en aucun cas un outil de recherche, même si on a voulu lhabiller comme tel en 1994, un outil de recherche qui coûterait à la collectivité un milliard de francs par an en frais de fonctionnement, excusez-moi, mais cest considérable !
Nous avons souhaité poursuivre de façon équilibrée la mise en uvre de la loi sur les déchets radioactifs en insistant sur le fait quà côté des outils de recherche sur la transmutation-séparation, à côté de la poursuite de la discussion dont nous savons quelle na pas quune dimension technique mais aussi éthique et morale, sur le stockage dans les couches géologiques profondes, il nous fallait développer ce dont nous avons besoin aujourdhui, à savoir les conditions dun stockage dans de bonnes conditions de sûreté en superficie.
Je nai fait aucun amalgame, M. Borotra, entre les avions renifleurs et Superphénix. Jai dit : « de la même façon quà une certaine époque on avait arrêté, il faudra aussi arrêter Superphénix ».
M. Franck BOROTRA : Mais cétait dans la même phrase !
Mme Dominique VOYNET : Je veux simplement dire que les contextes géographique, géopolitique, économique, évoluent, que cest une conduite tout simplement intelligente que danalyser le contexte en permanence et de sadapter à lévolution de ce contexte. Si dans un contexte de marché international de lénergie tendu, laissant préjuger dune augmentation importante du coût de luranium, certains avaient cru pouvoir développer ce genre doutil de taille industrielle, je pense que le changement de contexte invite à réévaluer cette stratégie, ce qui a dailleurs été fait, implicitement et explicitement, par le Gouvernement qui avait choisi de le transformer en outil de recherche.
M. Noël MAMERE : Sans doute ceux qui étaient là mardi dernier entendront un certain nombre de propos qui ressemblent à ceux que javais prononcés devant vous. Je voudrais dabord féliciter Mme la Ministre de lenvironnement et de laménagement du territoire pour le courage dont elle a fait preuve devant cette commission denquête qui, nous le savons ce nest un secret pour personne nest pas composée dune majorité de parlementaires qui émettent des doutes sur le nucléaire.
Je voudrais dire à M. Borotra très amicalement et très correctement que la manière dont il a posé ses questions à Mme Voynet a plutôt un caractère un peu insultant ou en tout cas méprisant. Mme Voynet est ministre dun Gouvernement désigné par les Français à la suite dune élection. Mme Voynet a son opinion et participe aux décisions qui construisent les politiques publiques et avec les questions que vous lui avez posées et les adresses que vous lui avez faites, sur par exemple la question du simplisme, cest à se demander si pour vous, il ne faut pas être pronucléaire pour ne pas être militant. Autrement dit, il ny aurait de militants que ceux qui mettent en doute lopacité des choix nucléaires.
Je voudrais dire à M. Bataille qui est revenu une fois encore sur la question de la décision qui a été prise par un Gouvernement quil soutient cette décision, il la qualifiée encore une fois de « précipitée » et d« unilatérale » ...
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je nai pas dit cela dans ma question M. Mamère et je ne vous permets pas de me faire dire ce que je nai pas dit.
M. Noël MAMERE : Vous avez déjà dit mardi dernier que la décision qui avait été prise par le Gouvernement était une décision unilatérale et quelle mettait en cause nos partenariats européens. Vous avez posé à M. Pierret la question de savoir ce que décideraient nos partenaires européens et ce que ferait la France.
Deuxièmement, M. le Premier ministre, dans une campagne présidentielle, en 1995, avant même le premier tour, sétait prononcé pour une fermeture de Superphénix. Il ny a donc pas de surprise, pas de décision unilatérale, pas de décision précipitée, pas de décision arbitraire.
M. Borotra tout à lheure nous a dit
M. le Président : ...Je demande à lorateur de bien vouloir poser une question et de ne pas interpeller dautres membres de la commission !
M. Franck BOROTRA : Je demande un droit de réponse à M. Mamère.
M. le Président : ... sinon ces membres seront évidemment tenus de vous répondre.
La question doit donc sadresser à Mme la Ministre, M. Mamère vous avez la parole et vous seul.
M. Noël MAMERE : Mais je ne peux pas laisser dire en tant que parlementaire et porteur dune part de la souveraineté nationale au même titre que chacun de mes collègues, dans une commission denquête parlementaire où dès le début, avec son rapporteur, des questions ont été posées qui débordaient du cadre de cette mission denquête parlementaire, un certain nombre de choses ; je ne peux pas laisser dire à M. Borotra qui revient pour la deuxième fois...
M. Franck BOROTRA : Cest Mme Voynet qui nous intéresse.
M. Noël MAMERE : ... et qui reviendra encore quil aurait fallu organiser un débat sur la fermeture de Superphénix.
Je rappelle à M. Borotra que la commission denquête parlementaire sur Superphénix, cest en 1986 quelle aurait dû avoir lieu lorsque Superphénix a montré quil avait des difficultés à fonctionner.
Enfin, je voudrais donner cette information et savoir ce que Mme la Ministre de lenvironnement compte faire sur cette question. On ne peut pas découpler la question de Superphénix de la question de La Hague comme la très bien évoqué Mme la Ministre de lenvironnement tout à lheure. M. le secrétaire dEtat à lindustrie qui a « planché » devant cette commission denquête est, je crois savoir, allé sur le site de lusine de La Hague et a dit à la presse et à tous ceux qui laccompagnaient que tout allait bien et quil ny avait pas de problème. Et le lendemain, nous avons appris quil y avait effectivement des problèmes.
Vous avez voulu en faire une affaire politicienne, je suis obligé de vous répondre sur le terrain politique et je me sens solidaire en tant que représentant de la Nation ...
M. Franck BOROTRA : Cest à Mme Voynet que je demande de répondre, elle na pas besoin de vous.
M. Noël MAMERE : ... et en tant que Vert des propos tenus par Mme Voynet. Après lenquête et le rapport qui a été demandé par M. le Premier ministre sur la question des transports de combustibles contaminés, nous avons appris quil y a un certain nombre de boues dans lusine de la COGEMA qui sont chargées de plutonium et dun certain nombre démetteurs Alpha. Ces boues sont des résidus de traitement. M. Laveyne, qui a été le directeur de la DSIN jusquen 1993, avait conditionné la mise en uvre de lUP3 de La Hague, à la reprise de ces boues.
Dautre part, nous savons que la COGEMA est en train de conditionner ces boues dune manière irréversible. Est-ce que lon doit accepter et cela entre dans le cadre de notre commission denquête puisquon ne peut pas découpler La Hague de Superphénix , quil y ait un conditionnement irréversible de ces déchets radioactifs, ou est-ce que lon doit exiger quil y ait réversibilité ?
Je pose donc la question à Mme la Ministre de savoir ce quelle compte faire avec ses collègues du Gouvernement sur cette question des boues, qui ne sont toujours pas reprises, qui ne sont toujours pas traitées et qui représentent un nouveau danger sur lequel aucun organisme chargé de la surveillance et de la transparence, na mis le doigt.
M. Bernard CAZENEUVE : Je voudrais tout dabord remercier la ministre pour la sincérité de son propos et pour lensemble des propos quelle a pu tenir au cours des derniers jours sur la question extrêmement difficile évoquée par Noël Mamère à linstant et qui concerne le transport de matières nucléaires entre lusine de Flamanville et le terminal dArmenville. Cest un sujet qui a fait lobjet dun reportage très nourri de la part de Libération, qui a fait lobjet dune visite du secrétaire dEtat à lindustrie sur le site dArmenville lundi dernier, qui na pas du tout minimisé lincident mais qui en a relativisé la portée sanitaire, ce qui ne me semble pas du tout être en contradiction avec les propos tenus par Mme la Ministre de lenvironnement en réponse à une question dactualité mercredi dernier. Je voudrais remercier la ministre de lenvironnement pour ne pas avoir dramatisé cette question tout en ayant insisté avec beaucoup de vigilance et beaucoup dardeur et de façon légitime, sur la nécessité pour lexploitant de transmettre les éléments dont il dispose de manière à ce que la transparence soit plus grande. Ce qui permettra à lindustrie nucléaire de se réconcilier avec les exigences de la démocratie, ce quelle na pas su faire jusquà présent.
Ceci étant, je voudrais Mme la Ministre appeler votre attention, étant député de la circonscription en question, sur lextrême difficulté dans laquelle on se trouve dès lors que la passion prend une telle place dans ce débat. Parce quune région comme la nôtre se trouve aujourdhui prise complètement en sandwich entre les visées dun certain nombre de lobbies antinucléaires et la capacité quont les exploitants à faire toute la lumière sur les activités qui sont les leurs.
Je voudrais vous assurez, Mme la Ministre, que lon peut être parlementaire socialiste, être plutôt confiant dans lavenir de la filière nucléaire, ne pas prendre pour argent comptant ce que disent les exploitants, exiger deux quils mettent sur la table tout ce quils semblent avoir des difficultés à nous dire, et ne pas pour autant être de ceux qui entretiennent lopacité sur une question sur laquelle vous avez raison de dire quil faut faire la transparence.
Je voudrais aussi appeler votre attention sur le fait quil est extraordinairement difficile de demander la transparence avec autant dardeur que vous le faites quand on est parlementaire dune circonscription comme la mienne, et de la demander en expliquant quon le fait parce quon soutient la politique mise en place par le Gouvernement et dont le Premier ministre a rappelé les principes le 2 février dernier et dentendre le porte-parole des Verts le soir à la télévision expliquer quil faut fermer La Hague, car on se pose la question de savoir à ce moment quel est lobjectif que poursuit celui qui demande la transparence.
Si je vous remercie de ne pas être tombée dans ces travers, cest parce que je vois beaucoup de ceux qui vous entourent le faire et que vous devez faire montre dun courage exceptionnel pour résister sans doute à cette pente. Mais jappelle votre attention sur le fait que cela complique considérablement la tâche et que nous ne pourrons pas continuer à demander de façon crédible la transparence dès lors quil y aura un tel larsen sur les lignes de la part de ceux qui, avec les caractéristiques que vous avez indiquées, défendent à tout prix, à nimporte quel prix, la filière, au détriment parfois des exigences de sûreté, et de ceux qui en demandent le démantèlement en se prévalant de la transparence. Pour ceux qui se font un devoir exclusif dhonnêteté intellectuelle sur cette question et qui veulent savoir la vérité sans arrière-pensée, la tâche est, Mme la Ministre, singulièrement compliquée.
Je voudrais vous poser deux questions en rapport avec cela.
Premièrement, Noël Mamère a rappelé le lien entre Superphénix et La Hague. Il a été dit dans plusieurs articles et plusieurs rapports que la fermeture de Superphénix aurait un impact sur le plan de charge de lusine de retraitement de La Hague. Est-ce que cet impact a été mesuré et est-ce que les mesures de politique daménagement du territoire que vous avez prises pour le site directement concerné pourront être envisagées pour les sites industriels qui subiront sur leur plan de charge leffet de larrêt de Superphénix ?
Deuxième question que je voulais vous poser, qui vous a été posée à la fois par M. Bataille et par M. Borotra et que je reprends à mon compte, cest cette idée dune sortie du nucléaire en 2005. Quest-ce que recouvre cette déclaration ? Est-ce que vous pensez que nous sommes aujourdhui dans une situation où le renouvellement du parc peut justifier quon réoriente, mais de façon très importante, notre politique énergétique, ou est-ce quil sagit plutôt dans votre esprit dun rééquilibrage de cette politique, dans lesprit dailleurs qua défini le Premier ministre, qui est de dire que la poursuite de la filière électronucléaire nest en aucun cas exclusive dun effort significatif en faveur des énergies renouvelables ?
M. Roger MEÏ : Je vais être court, donc forcément schématique et forcément incomplet, vous voudrez bien men excuser.
Pour reprendre les propos de M. Borotra, je vais dabord rappeler que la majorité plurielle a plusieurs composantes. Il aurait été juste et respectueux pour lune dentre elles, que lon puisse à nouveau discuter du problème de larrêt de Superphénix et notamment, comme nous lavons fait pour les 35 heures, comme nous lavons fait pour les emplois jeunes, que la question vienne au Parlement. Je le dis avec beaucoup de regret.
Je rappelle aussi que nous avons dénoncé par le passé lopacité des décisions, le non appel au Parlement, je constate que les choses continuent et le président de la mission dinformation sur lénergie de la commission de la production que je suis, qui avait été chargé de préparer un débat au Parlement, se sent floué davoir appris des décisions comme celle du 2 février sans quil y ait véritablement eu consultation du Parlement.
Je voudrais ici rappeler quà nouveau nous demandons quil y ait un véritable débat au Parlement, sur les problèmes de lavenir énergétique mais en même temps sur les problèmes denvironnement.
Je souhaite aussi quil y ait plus de transparence à tous les niveaux, au niveau notamment des décisions gouvernementales qui doivent sappuyer sur le Parlement et sur sa majorité en particulier.
Je voudrais également rappeler que le député que je suis a été élu aussi par les Verts de son département, car jai été en même temps leur candidat, parce quils reconnaissent en moi, dans le département des Bouches-du-Rhône, un militant conséquent de la cause de lenvironnement depuis une vingtaine dannées.
Sur les problèmes denvironnement, je poserai deux questions. Que fait-on des quantités énormes de plutonium que génèrent les centrales nucléaires ?
La loi Bataille prévoit un certain nombre de pistes, mais lune dentre elles est de brûler ce plutonium dans les surgénérateurs et en même temps de produire des kWh.
Nest-ce donc pas là une des bonnes solutions pour lélimination de ces déchets dangereux, encombrants, donc difficiles à éliminer ?
Deuxième question : un des problèmes les plus importants qui se pose à lhumanité est leffet de serre. Or, Mme la Ministre, vous étiez à Kyoto.
Est-ce que quand on observe la situation dans les pays en voie de développement qui vont utiliser le charbon, le gaz, le pétrole, avec des effets multiplicateurs par rapport à la production de gaz carbonique, avec la perspective dans les dizaines et dizaines dannées à venir démissions de substances polluantes de plus en plus importantes, vous ne pensez pas que la filière nucléaire renforcée par la surgénération est une filière davenir en matière de protection de lenvironnement et aussi en matière de gestion de la ressource en énergie ?
Je voudrais terminer en précisant que dans les perspectives de la mission énergie que je préside, il y a effectivement lanalyse de toutes les possibilités. Il se dégage de nos débats quil faut que la France utilise dune façon complémentaire toutes les énergies, le nucléaire, mais aussi des énergies renouvelables, pour lesquelles il faut que lon investisse dans la recherche.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mme la Ministre, la France qui est un grand pays, mais un pays qui na pas de richesse énergétique dans son sous-sol, a eu la chance, pour son avenir, davoir des chefs dEtat, des hommes dEtat tels Guy Mollet, Pierre Mendès-France et le Général de Gaulle et dautres, qui ont construit lindépendance énergétique de la France, sa richesse et son développement. Je suis persuadé que ces hommes ont pris ces décisions après avoir écouté, après avoir questionné des techniciens, des ingénieurs, des physiciens, et je regrette que vous, vous nayez pas questionné avant de prendre une décision politique. Mais vous nous avez dit que vous étiez une antinucléaire. Vous avez parlé décologistes furieux, alors, peut-être êtes-vous une antinucléaire furieuse et avez-vous pris cette décision sans avoir écouté des prix Nobel.
Nous essayons découter, de comprendre, mais avant tout, il faut prendre lavis, lattache de personnes et de personnalités compétentes en la matière et ce nest pas ce que vous avez fait.
Il y avait également lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques, vous avez fait léloge de ce collège et vous navez pas demandé son avis.
M. Noël MAMERE : Que faut-il avoir comme débat à cette table ? Laissez-la répondre toute seule !
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Vous avez dit que vous étiez antinucléaire alors que le débat daujourdhui est sur le surgénérateur de Creys-Malville. Vous avez donc déjà faussé la discussion et le débat.
Mme Michèle RIVASI : Ce sont des questions qui ont été posées, nallez pas plus loin, la question est hors sujet.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Jai le droit de mexprimer.
Je ne madresse quà Mme Voynet et à personne dautre et je dis quelle a, au début de son propos, dit « je suis antinucléaire ».
Mme Michèle RIVASI : Elle a le droit, nous sommes en démocratie.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Elle na pas dit « je suis pour ou contre le surgénérateur », alors que cest lobjet de cette commission.
Vous nous avez dit également que les problèmes étaient réglés localement. Je puis vous dire que ce nest pas le cas. Je vous invite à y venir. Je crois que vous deviez venir, mais vous ne lavez pas fait, car vous savez bien que cela ne se passe pas comme vous le voudriez. M. Aubert est venu mais il est reparti à la course, poursuivi par les syndicalistes de la CGT.
Cest sûr, mais je voudrais rappeler que ce sont des êtres humains, des hommes et des femmes qui travaillent dans une région et qui ont été profondément blessés, meurtris par cette décision. Nous attendons de connaître exactement vos propositions, sachant bien que ce nest pas avec de largent quon compense le drame que vous avez provoqué dans cette région.
Au-delà de mon mécontentement, je voudrais que vous nous disiez de façon très précise ce que vous allez annoncer. Est-ce que le canton de Morestel sera classé en PAT ? Car cela a été dit, mais je crois que cette décision se heurte à des difficultés.
Quen sera-t-il enfin des dettes engagées par les communes pour accueillir les salariés, les entreprises ? Seront-elles effacées ?
M. Noël MAMERE : Ce nest pas un procès, cest une commission denquête.
Mme Dominique VOYNET : La confusion est dans tous les esprits car finalement, depuis le début de cette audition et bien que jaie pris la précaution dargumenter sur huit pages pour répondre de façon précise à la question qui métait posée, cest-à-dire Superphénix et la filière des réacteurs à neutrons rapides, jai noté que la quasi totalité des intervenants élargissait volontiers le sujet pour aborder le nucléaire au sens large, un sujet qui est si peu débattu dans les lieux où lon décide de la politique française.
Je reviendrai sur lintervention de M. Moyne-Bressand. Autant vous le dire tout de suite Monsieur : cest en réponse à une question sur le point de savoir ce que je pensais du nucléaire et de lavenir du nucléaire que jai assumé, de façon bien naturelle et bien évidente le fait que, oui, bien sûr, je suis antinucléaire.
Certains dentre vous éprouveraient-ils des difficultés à dire : « oui, je suis pour le nucléaire » ? Moi je ne suis pas pour. Ce nest pas une insulte que de le dire de façon tout à fait naturelle. Cest un des éléments de la discussion et de la personnalité des personnes qui sont ici.
Je ne répondrai pas pour lessentiel aux questions de Noël Mamère qui me semblent sortir du cadre de la commission denquête, mais qui mériteraient peut-être que lon en rediscute dans un autre cadre, peut-être dans le cadre de la commission de la production et des échanges, ou bien dans le cadre que vous souhaiterez.
Simplement il me semble que, de la part dune antinucléaire, comme vous le dites avec un rien de mépris et même peut-être dune antinucléaire « furieuse », qui sait ? vous ne pouvez pas attendre plus grande aide que celle que je vous apporte depuis des mois en plaidant inlassablement pour la transparence et pour la sûreté. Quand on affirme, comme on la fait à lépoque de Tchernobyl, comme on la fait systématiquement dès quil y a eu un incident, quil ny a rien à signaler, pas de problème et finalement que lon constate des non-incidents, est-ce quon rassure la population ? Non, on confirme son intuition quon lui cache quelque chose.
Qui est le plus crédible ? Le ministre qui dit « pas de problème, faites confiance aux experts et aux ingénieurs », ou celui qui dit « oui, nous avons sur un sujet qui avait été négligé par le passé, décidé de « prendre le taureau par les cornes », dinstaurer des contrôles faits par la direction de la sûreté sur ce que nous pressentons depuis longtemps comme étant un des maillons faibles du système, à savoir le transport, pour améliorer les procédures, pour susciter la vigilance des exploitants et des personnels ».
Je souhaite dire, pour que ce soit bien clair pour tout le monde, là où il ny a pas de transparence, il y a un relâchement des procédures, il y a de la légèreté dans la conduite des exploitations et à terme, il y a un risque daccident plus important.
Je voudrais répondre de façon très précise, mais compte tenu du temps modeste dont je dispose, il serait plus utile de vous remettre de façon très détaillée, le plan daccompagnement qui a été décidé par le Gouvernement lors du CIAT et confirmé le 2 février 1998 concernant la reconversion des personnels et la reconversion du site.
Tout dabord, je voudrais dire combien il me paraît important dêtre le plus objectif, le plus concret possible. Je ne souhaite pas quil y ait une manipulation sur les chiffres. Jai ici à votre disposition les chiffres précis des personnels qui sont concernés.
Sur le site même, 735 employés EDF, 390 salariés dentreprises prestataires, 50 emplois de sous-traitants non présents en permanence sur le site, soit un total de 1 175 personnes.
La population liée au foyer Superphénix est de 3 640 personnes, pour une population totale de 49 200 habitants.
Les emplois induits par leur consommation sont de 465.
A lui seul, le canton de Morestel regroupe 52 % de limpact sur la population et 43 % de celui de lemploi induit.
Tous ces éléments, nous les avons de façon très précise à lesprit et nous avons cherché à répondre à la fois aux inquiétudes des personnels disposant de contrats EDF, aux inquiétudes des entreprises prestataires, aux sous-traitants, aux collectivités locales. Pour chacun de ces enjeux, le Gouvernement a mis en place les dispositifs adaptés et les sommes qui allaient avec.
Je ne vais pas détailler, cest très long, cela comporte deux pages de mesures diverses que je propose de remettre au président de la commission.
Je voudrais simplement vous dire que la DATAR et le ministère de laménagement du territoire ont lhabitude de tels dispositifs.
Les cellules de reconversion sur le site de Civaux, les cellules de reconversion sur le site du tunnel sous la Manche ont pris en compte des nombres de personnels importants confrontés à larrêt des chantiers. Au delà de la dimension politique de ce dossier, nous navons pas dinquiétude particulière sur notre capacité à accompagner les personnels et les sous-traitants. Cela ne veut pas dire pour autant que je minimise la violence qui est faite au personnel et les difficultés auxquelles sont exposés les élus locaux. Jai proposé à de nombreuses reprises de me rendre sur le site et dans un contexte très particulier, que je qualifierai, pour faire vite, de préélectoral, il ma été déconseillé par les salariés eux-mêmes de me rendre sur le site, au motif que lon ne pourrait pas assurer ma sécurité. Drôle dambiance décidément que celle qui ne permet pas à une ministre daller rencontrer, échanger avec les personnels concernés ! Je pense que la dimension politique a peut-être pris le pas sur le fond du dossier.
M. Franck BOROTRA : Cest difficile à entendre !
Mme Dominique VOYNET : Oui, cest difficile à entendre, mais il est difficile aussi de sentendre dire que lon forge son opinion sans avoir pris lavis de scientifiques compétents ou de spécialistes. Est-ce que franchement vous imaginez une seule seconde, M. Moyne-Bressand que je ferais partie de ces furieux qui, se levant le matin, décident dadopter le combat antinucléaire ? Pour faire carrière en politique, avouez quil y a des façons plus rapides, compte tenu du consensus ambiant. Cest donc vraiment après avoir beaucoup lu, beaucoup écouté, que lon se forge ce genre de conviction.
Concernant la diversification énergétique, je voudrais dire que si notre pays sétait doté dune politique de maîtrise de lénergie et de diversification énergétique dans les années 1975 à 1985, notre effort sest relâché très vite, dès lors que nous nous sommes trouvés en situation de surproduction massive délectricité. Au cours des dix dernières années, ce sont plutôt des comportements gaspilleurs du point de vue de lefficacité énergétique qui ont été encouragés. Je pense bien sûr à lencouragement au chauffage électrique, à lencouragement à la climatisation. Je pense que sur le long terme, ce genre de comportement nest pas viable.
Je souhaite pour ma part quavant même de prévoir la diversification, on adopte un comportement tout simplement rigoureux et économe. La source dénergie la moins polluante, la moins chère, la moins dangereuse, cest celle que lon na pas gaspillée, cest léconomie. Cela peut se faire sans réduire le confort et le niveau de vie des habitants. Remplacer une ampoule conventionnelle à incandescence par une ampoule basse consommation nest pas un effort phénoménal. Le retour sur investissement était, jusquà une époque récente de moins dun an, aujourdhui, avec des ampoules à 30 francs, ce sera accessible pour la quasi totalité des gens.
Mettre en place un vaste programme disolation des logements pour réduire les pertes énergétiques est quelque chose qui est non seulement intéressant du point de vue énergétique mais aussi du point de vue de lemploi, car ces travaux sont en général générateurs demplois durables de proximité.
M. Meï ma invitée à mexprimer sur le plutonium. Là encore, je pense que lon est en train de sortir du cadre étroit de la commission denquête. Je suis tout à fait à votre disposition pour rediscuter de la surgénération et du plutonium déchet. Deux mots pour dire que si le plutonium était considéré hier encore comme une matière noble, et les enjeux militaires néchappent évidemment pas aux membres de cette commission, cest aujourdhui devenu effectivement un déchet. Je minterroge sur les circuits qui conduisent à transporter, parfois sur des centaines de kilomètres, des déchets radioactifs, pour en isoler les déchets à haute activité et à durée de vie longue, pour les transporter à nouveau sur des centaines de kilomètres, les mélanger à nouveau à de luranium pour les transporter à nouveau sur des centaines de kilomètres et pour les réutiliser dans les centrales. Je pense que nous avons intérêt à procéder à un bilan aussi complet que possible sur le plan énergétique, économique et écologique de ce système complexe que je qualifierai si je navais pas peur de faire de lhumour mal compris, dusine à gaz extrêmement compliquée. Il ny a pas de tabou, je crois que lon devrait pouvoir en rediscuter de façon très claire.
Un des thèmes frontières est celui du devenir des déchets, il a été évoqué à plusieurs reprises au cours de cette audition, je voudrais dire combien je considère comme important de mettre en uvre de façon très équilibrée les différentes pistes offertes par la loi Bataille, sans en privilégier aucune. Je ne suis pas sûre quon le fasse aujourdhui et jaimerais pouvoir contribuer à ce rééquilibrage.
Concernant leffet de serre, je lai dit à Kyoto, je lai redit encore aujourdhui par le biais dune intervention commune rédigée avec Christian Pierret qui est aujourdhui au Conseil européen de lénergie quen effet, le recours à lénergie nucléaire avait un avantage qui était une faible ou inexistante contribution à leffet de serre. Il présente dautres problèmes qui ne sont pas résolus et cest donc un motif suffisant, à mon avis, pour quon ne choisisse pas le tout nucléaire.
Jen terminerai par un mot. Il faut avoir les mêmes exigences à légard de lindustrie nucléaire que celles que nous avons avec les installations classées. Aujourdhui par exemple, le régime des installations nucléaires de base est très différent de celui des installations classées pour la protection de lenvironnement. Par exemple il ny a pas de sanction pour une installation nucléaire de base ; donc, constater éventuellement des dysfonctionnements graves ne permet pas de mettre en place un régime de sanctions, comme on le fait avec les installations industrielles ordinaires. Le régime concernant les installations nucléaires secrètes est aussi complètement surréaliste. Ces installations ont simplement une composante militaire qui nest pas réellement une composante confidentielle Je ne linvente pas complètement, je lai lu, me semble-t-il, dans un très intéressant rapport sur cette question qui a été rédigé par M. Bataille.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais tout dabord vous remercier Mme la Ministre pour votre franchise, votre précision et votre compétence.
Je voudrais que cette commission denquête soit positive pour lavenir. Javais une question à vous poser, mais cela demande réflexion, donc cela ne me dérange pas du tout que vous répondiez ultérieurement par écrit. Comment essayer de revenir sur un choix de politique énergétique tel que Superphénix ?
Je vois plusieurs réponses, mais jaimerais que lon puisse faire des propositions dans le cadre de cette commission denquête. La première réponse se situe au niveau des procédures denquête publique. Il faut que celles-ci soient vraiment plurielles, avec des experts et des contre-experts et quon sorte du système où ce sont des gens juges et parties qui décident des choix. Il faut aussi quil y ait un véritable débat au niveau des citoyens pour quils se sentent concernés par ces choix et quils nen soient pas les otages.
Le deuxième élément de réponse concerne la Cour des comptes.
Dans le cas de Superphénix, il a fallu quand même attendre dix ans pour sapercevoir que cela a coûté 60 ou 70 milliards de francs. Pourquoi ne mettrait-on pas en place des outils réguliers de contrôle financier ?
Et pourquoi ne pourrait-on pas aussi mettre en place des outils permettant une remédiation ? Par exemple, sur Superphénix, quand on a vu que luranium était très bon marché, on aurait pu se dire : « la surgénération est une erreur dun point de vue économique » et on aurait pu faire une rémédiation.
M. Eric BESSON : Je voudrais vous dire, très brièvement, Mme la Ministre, le malaise qui est le mien à lissue de la réunion de cette commission. Comme dautres, jétais venu pour vous poser un certain nombre de questions. Jaurais aimé vous entendre davantage sur la transmutation ; jaurais aimé que vous expliquiez votre opposition personnelle au redémarrage de Phénix.
Mon regret porte également sur la chose suivante : toutes les réponses financières, techniques, industrielles, quà la fois Christian Pierret et vous-même nous avez apportées, me paraissaient et me paraissent largement suffisantes pour justifier la décision. Mais effectivement, cette commission a été globalement hors sujet. Il est de fait que vous y avez été incitée dentrée, et ce nest pas lui faire injure que de le dire, par notre rapporteur, et vous y êtes allée, vous-même, franco, si vous me permettez lexpression, et avec une certaine délectation. Du coup, donc, vous avez tenu des propos qui sont importants, qui sont légitimes dans votre bouche. Vous dites « je suis antinucléaire », mais ce chapeau introductif qui risque dailleurs dêtre lun de ceux qui va être le plus retenu de la réunion de cette commission, nous interpelle. Nous sommes quelques-uns à être dans la même majorité que la vôtre, à vous soutenir, à ne pas être et je le dis bien quétant élu dune circonscription comportant le site du Tricastin dans son périmètre nécessairement et par qualification des députés favorables au lobby pronucléaire.
Je voudrais vous dire en toute franchise quen faisant ce que vous venez de faire, vous nous mettez je vais en tout cas parler en mon nom vous me mettez en difficulté. Je dois vous dire que je passe mon temps depuis des mois et des mois à dire très précisément que votre discours sur le nucléaire est équilibré, que lintérêt de la filière nucléaire est manifeste mais quen même temps, certaines des questions que vous posez sur laval du cycle, sur la transparence, sur les choix politiques, sur les choix du possible, sont des choix que je partage, mais quen le disant comme vous venez de lexprimer, ce qui est votre droit encore une fois, vous allez apporter de fait de leau au moulin de ceux qui disent que cette décision na été prise que pour mettre en place, par une stratégie dite « des dominos », la sortie du nucléaire.
Et pour ma part, je vous confesse quà lissue de cette commission, ma position personnelle, qui nest peut-être pas la plus importante, est bien moins facile quà son entrée.
M. Richard CAZENAVE : Mme la Ministre, nous ne sommes ni pro, ni antinucléaires. Jai fait connaître ma position en décembre 1992 dans un débat et je renvoie tous mes collègues qui veulent des réflexions un peu complexes et abouties sur le sujet, au débat de décembre 1992, ils connaîtront les positions des uns et des autres.
Ma question est très simple : vous avez écarté les raisons de sûreté. M. Pierret nous la dit, Superphénix na pas de problème de sûreté. Raison démocratique, on a vu quil ny a pas de majorité dans ce pays pour arrêter Superphénix. Donc, ce sont des raisons économiques fondamentales qui motivent cet arrêt.
Je voudrais donc vous demander de nous faire savoir quel est le coût du maintien en fonctionnement de Superphénix compte tenu de la production délectricité qui pourrait y être faite ? Jai cru comprendre à la lecture des rapports que cétait un milliard de francs de coût de fonctionnement et une production de 850 millions de francs par an sur la base de ce qui avait été fait en 1996, cest-à-dire 3,4 TWh. La Cour des comptes a produit un rapport où lon parle même de chiffres beaucoup plus importants jusquen 2001 de 9 milliards de francs. En face de ce coût de maintien de Superphénix, je souhaiterais connaître le coût des solutions alternatives avec également dans deux colonnes distinctes, les services rendus par Superphénix en matière de recherche, en matière de destruction des déchets et les services rendus par les outils alternatifs. Je crois que cest la question fondamentale sur laquelle je souhaiterais pour des raisons de transparence, en sortant des débats purement épidermiques, que nous forgions lopinion de notre commission.
M. Ladislas PONIATOWSKI : Je crois rester dans le rôle de la commission en posant le problème de laprès-Superphénix. Car je crois que derrière larrêt de Superphénix et son démantèlement, cest le problème de toute la filière nucléaire qui se pose. Vous nous avez dit, très honnêtement, Mme la Ministre, que vous étiez une antinucléaire convaincue, je crois que les Verts ne peuvent pas se contenter de larrêt de Superphénix, ils voudront bien sûr toujours plus et aller beaucoup plus loin. Nous connaissons un peu les étapes suivantes et ce qui est demandé dans les étapes suivantes : La Hague, y compris son arrêt éventuel, le transport des matières nucléaires radioactives en général et bien sûr le problème du renouvellement de tout le parc nucléaire français qui va se poser dans les années à venir. Cela revient à savoir si vous voulez garder une électricité française produite à hauteur de 78 % par le nucléaire ou, dans le cas contraire, comment vous comptez remplacer le nucléaire. Ma question est très simple : jaimerais connaître votre position sur ces questions, tout en étant conscient de la difficulté qui est la vôtre dêtre à la fois une antinucléaire convaincue et membre dun Gouvernement ayant clairement affiché sa volonté de poursuivre dans la voie du nucléaire.
Mme Dominique VOYNET : Quy a-t-il de mal à afficher des convictions ? Y aurait-il plus de difficultés à dire « je ne crois pas beaucoup au nucléaire » que de dire « je ne crois pas beaucoup à lenseignement de langlais dès les petites classes de maternelle ».
Je narrête pas de dire pourquoi et cela fait vingt ans que je dis pourquoi je suis contre le nucléaire. Donc, sil y a quelque chose que lon peut me reconnaître, cest dune part une grande solidité dans mes convictions et dautre part, une capacité à prendre acte du rapport de forces au sein de la société actuelle. Cest sur la base de trois exigences que je me suis engagée dans ce Gouvernement : dune part, ouvrir les choix de lavenir ; dautre part, assurer la transparence du système ; enfin, assurer la sûreté.
Je ne confonds pas le rôle dun membre du Gouvernement et le rôle de nos partis qui ont vocation à sexprimer sur des points qui ne relèvent pas, effectivement, des décisions de léquipe gouvernementale.
Je pense tout à fait normal que la porte-parole des Verts sexprime pour dire quelle souhaite que soit rediscutée la filière du retraitement. Mais il est évident que je ne porte pas moi-même cette exigence, dans la mesure où je fais partie dune équipe, où les choix arrêtés par le Premier ministre sont des choix qui engagent chacun des membres de cette équipe.
Je voudrais, au contraire de vos inquiétudes, M. Besson, vous dire que je tiens non seulement un discours équilibré, mais je mène aussi une action responsable, et je pense, quon soit pour le nucléaire ou contre le nucléaire, que tous les pas gagnés en direction dune plus grande transparence et dune plus grande sûreté sont des pas qui sont des gains pour vous comme pour moi. Je tiens beaucoup à tenir cet équilibre, et si vous avez finalement découvert quelque chose, ce nest pas que je suis antinucléaire, cela vous le saviez depuis longtemps, je ne lai jamais caché, vous venez de découvrir que lon peut être antinucléaire et pourtant responsable, que lon peut être antinucléaire et pourtant contribuer à lapprofondissement du débat dans une société démocratique responsable.
Je souhaite beaucoup vous rassurer. Je me suis sentie un petit peu insultée à certains moments de cette audition, comme si effectivement le fait davoir des convictions était quelque chose de dangereux, comme si le fait de poser des questions était quelque chose qui exposait à être un mauvais citoyen ou un ennemi de la France.
Je voulais dire également, M. Cazenave, combien je tiens à la rigueur du discours : comment prétendre couvrir les coûts de fonctionnement de linstallation par la production délectricité, alors quen 1994, vous avez justement voulu transformer cet outil de production délectricité en outil de recherche ?
Je vous rappelle que la seule année où Superphénix a couvert ses frais de fonctionnement, cétait en 1996, mais quil ne fonctionnait pas en outil de recherche, mais bien en centrale nucléaire productrice délectricité.
Il faut être clair : soit on produit de lélectricité et on fait des sous, soit cest un outil de recherche destiné à mettre en uvre la première piste de la loi Bataille et à ce moment, on ne peut pas espérer couvrir les frais de fonctionnement par la production délectricité.
M. Franck BOROTRA : On nen parlait pas en 1994 !
Mme Dominique VOYNET : En 1994, on ne parlait pas den faire un outil incinérateur de plutonium par sous-génération ?
M. Franck BOROTRA : Ce sont les termes du recours devant le Conseil dEtat, mais lesprit na jamais été celui-là.
Audition de M. Raymond SENÉ,
Physicien, Membre de la commission Castaing
(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998)
Présidence de M. Roger MEÏ, Vice-président
puis de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Raymond Sené est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Raymond Sené prête serment.
M. le Président : Nous accueillons M. Raymond Sené, physicien, qui participa, je le rappelle, aux travaux de la commission Castaing.
M. Raymond SENÉ : Jai pris connaissance de larticle 226-13 du code pénal relatif à la révélation dune information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire. Etant donné que tout ce qui touche au nucléaire est secret, normalement je devrais mabstenir de parler devant vous. Bien entendu, il ne sagit là que dune note dhumour.
Madame et Messieurs les députés, jai été très justement présenté comme physicien nucléaire. A ce titre, je me suis trouvé interpellé dans les années 1975, au moment du démarrage du plan Messmer de construction de centrales électronucléaires en France, par la population, par des gens qui disaient « vous qui êtes allé à lécole, qui faites de la physique, pouvez-vous nous expliquer ce que cest ? On va nous construire quelque chose ».
Certains collègues physiciens et moi avons été amenés à nous pencher sur les dossiers de lénergie nucléaire, dossiers techniques, mais pour lesquels nous disposions du même vocabulaire, de la même formation que les ingénieurs du nucléaire. Nous nous sommes très vite compris et avons pu parler et dialoguer. Très rapidement, nous nous sommes rendus compte quil existait de nombreuses zones dombre techniques, des endroits où des paris avaient été faits, où on avait anticipé sur un certain nombre de travaux, bref on sétait lancé. Une dynamique existait réellement, mais elle nallait pas toujours dans lintérêt des populations comme en a témoigné laccident de Tchernobyl, dont on na pas fini de mesurer les conséquences.
Pour moi, lénergie nucléaire nest pas le diable, cest une des sources dénergie du panel dont lhomme dispose. Ce qui compte nest pas lénergie, la source dénergie en elle-même, ce sont les risques quelle apporte et surtout la façon dont elle va être utilisée.
A partir du moment où lon dispose dune énergie potentiellement dangereuse, sa mise en uvre doit être extrêmement rigoureuse sur le plan technique. Or, ceci devient incompatible avec un fonctionnement intégrant une réalité économique, à partir du moment où lon fait des hypothèses statistiques selon lesquelles la probabilité pour quun générateur ou pour quun tube casse quelque part étant de tant de pour cent, on a une probabilité daccident de un pour mille, un pour cinq mille ou un pour dix mille.
Dès lors que lon admet ces notions, on se livre à un pari, à un bilan entre les arguments économiques et techniques. Parfois, la dimension économique lemporte sur lopinion technique et des solutions possibles ne sont pas adoptées parce quelles coûtaient plus cher. Pour cette raison, on est contraint un jour ou lautre, quoique physicien travaillant dans ce secteur, dadopter une position extrêmement réservée vis-à-vis de lutilisation de lénergie nucléaire. Cette réserve perdurera tant que lon naura pas un contrôle extrêmement rigoureux de lénergie nucléaire, dautant que lon est conscient de labsence dun tel contrôle et de notre incapacité à lacquérir comme en attestent de récents évènements.
Pour revenir au vif du sujet les surgénérateurs et Superphénix en particulier je rappelerais que le concept a été envisagé dès le début du nucléaire que ce soit aux Etats-Unis, en France, en Russie ou en Grande-Bretagne.
Surgénérateur nest pas réellement le bon terme. On a imaginé le réacteur à neutrons rapides, dans lequel on ne ralentit pas les neutrons, mais on les utilise tels quils sont produits au moment de la fission. Cela semblait au départ la solution la plus simple : on évitait tout problème de ralentissement des neutrons. Cela présentait un avantage, toute la dynamique des captures par luranium 238, la production de plutonium. Luranium 238 nest pas seul doté de cette propriété ; le thorium 232, par capture de neutrons, va produire en cascade de luranium 233, excellent matériau fissile. Il na toutefois pas été développé pour une bonne raison : il ne présentait pas dintérêt militaire, il était trop contaminé, les produits de sa chaîne sont des émetteurs assez féroces du point de vue de la radiotoxicité. A cause de cela, on ne les a pas utilisés jusquà présent, ou très peu. Seul le Canada, pays qui na pas de problèmes militaires, a utilisé du thorium dans son réacteur.
En France, la filiation des réacteurs à neutrons rapides, est la suivante : Rapsodie, 40 MW, a été conçu en 1957 et a démarré 10 ans plus tard. Phénix, 250 MW, conçu en parallèle en 1957, a démarré en 1973. Enfin, Superphénix, dont la conception a débuté en 1973, a démarré en 1985. Cette machine a, comme cela vous a été dit, franchi un saut technique. Depuis, un certain nombre dautorités ont dit : « cest une erreur technique, on aurait dû passer par le palier de 600 MW, ça aurait été beaucoup plus prudent et plus sûr, car nous avons quand même des quantités de problèmes, ne serait-ce quau point de vue neutronique ». On est passé directement à 1 200 MW pour une raison toute simple, la volonté de lélectricien davoir un surgénérateur de taille comparable aux réacteurs quil développait par ailleurs. Pour avoir un débouché commercial, on est passé à 1 200 MW nonobstant la prudence technique nécessaire.
Je rappelle que le programme dorigine était de 200 réacteurs à lhorizon 2000 ; le chiffre a chuté assez rapidement. A partir de 1990, la moitié des constructions engagées devaient lêtre sous forme de réacteurs à neutrons rapides comme le montre un document dEDF que jai retrouvé, « Surgénérateurs et plutonium » de 1979. Pas de mystère sur ce point, tel était bien le programme.
Tout reposait sur un certain nombre daffirmations et de paris, qui se sont malheureusement révélés en grande partie erronés.
Il y a eu le problème de lapprovisionnement en uranium. En fait, la demande en électricité a diminué à cause des crises économiques ; on a mis en place des dispositifs moins « énergivores » ; de nouvelles réserves duranium ont été découvertes ; enfin, les programmes de constructions de réacteurs ont beaucoup diminué au niveau mondial. Bref, il ny a pas eu pénurie duranium.
Dans ces conditions, le prix de luranium a baissé fortement. Du coup, toute la chaîne de surgénération est devenue non compétitive du point de vue économique. Ceci était connu dès les années 1979-1980 ; il apparaissait clairement que la surgénération nétait plus compétitive.
Le coût du kWh des réacteurs à neutrons rapides devenait totalement disproportionné au regard du coût du kWh des réacteurs à eau pressurisée. En plus, cette machine était beaucoup plus complexe, plus chère à la construction, à la maintenance. Tout cela a continué à dégrader les notions de prix.
Existait aussi une notion de constante de doublement qui sapparente à un mythe. Le réacteur était censé produire plus de combustible quil nen brûlait, donc sauto-alimenter. Si on le faisait surgénérer encore davantage, il devait finir par produire la charge initiale dun nouveau réacteur.
Cest vrai en théorie, les calculs sont séduisants, mais de tristes réalités physiques interviennent : ce type de combustible et les taux de combustion nécessaires au fonctionnement, nécessitent de longs temps de refroidissement en piscine du combustible avant extraction, avant retraitement. Avec des taux de combustion tels que ceux envisagés, qui étaient de 150 ou 200 000 MW/jour/tonne, il faudrait attendre dix ans de refroidissement. Un petit calcul sommaire avec cinq ans montre que la constante de temps de doublement est de lordre dun siècle.
Le modèle théorique était complètement déconnecté de la réalité. Lors des essais faits de retraitement à court délai de refroidissement, ce que lon a appelé les « essais fortissimo », les aiguilles se sont complètement fragmentées en cellules chaudes, tout a été contaminé : plus jamais on na recommencé ce genre de plaisanterie.
On a ensuite évoqué les taux de combustion : il fallait les augmenter pour améliorer la rentabilité en réduisant les périodes darrêt pour rechargement. Lidée est intéressante, mais pour atteindre de tels taux de combustion, les gaines, les aciers au niveau des assemblages de combustibles doivent pouvoir résister. Or, à lheure actuelle, les aciers ne tiennent pas. Les spécialistes de la dégradation par irradiation des matériaux estiment entre dix et vingt ans le temps de recherche-développement nécessaire pour trouver une solution à ce problème. Dans le rapport de la commission Castaing, M. Quéré a fait des présentations sur ces questions. On est au stade de la recherche. De plus, ce sont des phénomènes difficilement modélisables et extrêmement complexes.
Avec les premières aiguilles de combustible de surgénérateur, on a observé des gonflements anormaux de gaines, qui ont posé des problèmes qui navaient pas été prévus. De même, lorsque lon a commencé à charger les combustibles avec du plutonium, personne navait prévu que son comportement chimique ne serait pas le même que celui de luranium. Tout cela a vraiment donné à ce moment du fil à retordre.
On ne peut pas toujours faire des paris, des sauts : on na pas encore atteint les taux de combustion permettant daccéder à la rentabilité économique.
Toutes ces réserves sajoutant les unes aux autres, on arrive à un point où, ne serait-ce que pour des raisons je ne parle même pas encore de sûreté économiques, le projet « capote ». Nous en sommes là.
Il y a par ailleurs les questions de sûreté. Prenons tout dabord les problèmes de feux de sodium. Pendant longtemps, on sest abrité derrière lidée que lon savait gérer les feux de sodium en nappe. Cest vrai, il y a une image très simple pour représenter cela : vous mettez du fioul lourd par terre, vous essayez de lenflammer, cela brûle mal ; en revanche, si vous le mettez dans linjecteur de votre chaudière, cela fait une jolie torche. Il en va de même pour le sodium. Il va se recouvrir dune couche doxyde qui va le protéger, vous arrivez à léteindre relativement facilement quand il est en nappe. Mais, les choses sont plus compliquées lorsque le sodium est pulvérisé : la centrale solaire dAlméria en Espagne qui utilisait du sodium liquide comme caloporteur a connu une fuite de plusieurs centaines de litres de sodium ; cela a détruit tout le bâtiment.
Monju est un deuxième exemple, avec la rupture dun doigt de gant dinstrumentation. La conséquence de la fuite de sodium, la destruction de toute une boucle.
On ne sait pas juguler les feux pulvérisés de sodium. On a tenté de trouver des solutions, des parades en cloisonnant les galeries techniques afin déviter les surpressions, celles-ci étaient telles que lon a estimé quelles mettaient en péril lintégrité du bâtiment de confinement.
Ce ne sont pas donc des problèmes mineurs, mais des problèmes majeurs sur le plan de la sûreté.
Enfin, on doit évoquer le démantèlement. Il a été oublié à la conception. Cela semble impensable ! En loccurence, cela nous arrive ! Malheureusement !
Cette situation est totalement paradoxale. Superphénix était considéré comme une machine de présérie industrielle. On navait aucun retour dexpérience. Par ailleurs, ses taux de fonctionnement ont été très mauvais, très faibles.
Très souvent, on a accusé les autorités de sûreté davoir été dune sévérité excessive avec la machine. Le raisonnement à son propos est très simple. Nous avons en France 56 tranches de réacteurs à eau pressurisée pour lesquels nous disposons de statistiques de fonctionnement et de fiabilité du matériel. Pour Superphénix, nous navons quune machine : si un composant ou une boucle pose problème, on va regarder les trois autres boucles pour voir si le phénomène se reproduit parce que lon na aucune expérience de ce genre. La notion de machine de présérie était absurde : Superphénix était encore un prototype, il fallait le traiter comme tel.
Là aussi, les concepteurs se sont illusionnés et ont deux-mêmes introduit une conception très dangereuse pour eux, qui a fait « capoter » tout le système.
Autre problème, cela risque de ne pas plaire à tout le monde, mais les équipes de conduite navaient pas la maîtrise des diagnostics. A plusieurs reprises, il aura fallu un temps vraiment inacceptable pour réussir à identifier lorigine et la nature des problèmes. Lors de la fuite de sodium dans le barillet, on a commencé à se poser quantité de questions, et la plaisanterie a duré trois semaines.
Dans le cas des entrées dair dans le circuit dargon qui ont conduit à la fabrication doxyde dans le sodium, celui de la cuve primaire commençant à devenir pâteux le diagnostic a également pris une quinzaine de jours, treize jours exactement me semble-t-il.
On ne comprend pas que les équipes de conduite naient pas été capables de gérer cela, la DSIN la dailleurs dénoncé dans ses rapports à plusieurs reprises.
Mais le temps mis à chaque fois pour prévenir les autorités de sûreté est encore plus grave. Les équipes de conduite se considéraient un peu comme étant au-dessus des règles et cela nest pas acceptable non plus du point de vue de la sûreté.
Il ne sagit pas là uniquement de technique, mais dun petit groupe qui fonctionne mal.
Il a été décidé en 1992 de changer les objectifs de Superphénix : lélectricien nétait plus intéressé par du kWh à ce prix, la machine allait donc passer du stade de prototype, de machine de pré-série industrielle, à celui de machine expérimentale. Que va-t-on expérimenter avec elle ? Je pense que cétait un artefact pour justifier la mise au point de la machine, sous couverture dune autre définition.
Il y a eu dabord le rapport Curien, remis le 17 décembre 1992, intitulé « traitement des produits de la fin du cycle électronucléaire et contribution possible de Superphénix », qui concluait ainsi : « les réacteurs à neutrons rapides apparaissent aujourdhui comme la seule voie pour réduire efficacement le stock de plutonium et donc dactinides. Létude de lincinération de ces produits radioactifs impose des expérimentations diversifiées dans des réacteurs tels que Superphénix et Phénix. Superphénix permettra en particulier de valider cette voie à léchelle industrielle ».
Je crois que tout le monde a oublié cette phrase. Dès 1992, on disait clairement que la partie recherche et développement, que les travaux en laboratoire et en expérimentation sur machine devaient être faits sur Phénix. Seule la validation au niveau industriel devait être opérée sur Superphénix. Or, cette validation ninterviendra pas avant 20 ou 30 ans. A ce moment, la machine sera complètement obsolète.
La justification nétait pas fausse, elle était simplement en complet décalage avec les faits.
Le décret de 1994 a défini les trois volets du programme dacquisition de connaissances.
Le premier dentre eux consistait en la vérification de la faisabilité de la production délectricité au niveau industriel par la machine. Cest le seul point qui intéressait son propriétaire, NERSA. Il est bien évident que son intérêt était de produire de lélectricité, et non de faire de lexpérimentation. Si lon transformait la vocation du tunnel sous la Manche, pour expérimenter le transport de leau entre lAngleterre et la France, cela nintéresserait pas Eurotunnel. On passait dun seul coup dune machine destinée à produire des kW et à les vendre, à une machine destinée à un autre usage et surtout, en aucun cas soumise aux astreintes du couplage sur le réseau EDF.
Le deuxième volet était la réduction des stocks de plutonium.
Le troisième était la destruction des actinides mineurs, cest-à-dire les transuraniens et les produits de fission.
Sagissant du premier point, je lai dit tout à lheure, si lon veut produire de lélectricité au niveau industriel, il faut pouvoir arriver à des taux de combustion élevés ; tant que lon naura pas les aciers nécessaires, il est totalement exclu dy arriver. Toute la recherche en laboratoire est à faire, cela représente un travail énorme. La machine ne simpose absolument pas à ce niveau, elle ne sert à rien : lexpérimentation sur éprouvette, cela se fait sur des canaux de neutrons ou sur des canaux de piles. En revanche, à lintérieur dun réacteur, règne un certain fouillis, le spectre neutronique étant assez large, on ne sait pas exactement ce que lon fait quand on veut se livrer à une expérimentation analytique précise.
Sur un réacteur à haut flux, sur un canal à neutrons, on sait exactement quelle est lénergie des neutrons, combien on en envoie et ce que lon fait. Il sagit réellement de physique, de métallurgie. On peut ensuite passer au niveau industriel, mais le stade de recherche est fondamental : il ne faut pas sauter les étapes, cela ne tient pas la route.
En ce qui concerne le deuxième volet du programme la réduction des stocks de plutonium -, je vais devoir vous infliger quelques chiffres. Certains de ceux avancés devant vous précédemment me semblent bizarres et me paraissent traduire quelque incompréhension du problème.
Il y a actuellement dans le réacteur un cur appelé le cur numéro un. Ce cur a ses couvertures. Dans Superphénix,il y a une partie fissile au milieu, autour de laquelle est placée une partie fertile, ainsi quau dessus et en dessous delle : les parties fertiles vont absorber les neutrons et produire du plutonium en plus. On a donc une zone centrale, toute la partie purement réacteur, qui produit des neutrons et tout autour une gaine qui va capter ces neutrons et générer du plutonium.
Dans son état actuel, le cur, pour un facteur de charge de 50 % soit 4 TWh par an, produit près de 150 kilos de plutonium en excédent (144 kilos exactement). Si lon retire une couronne fertile autour de la zone fissile, comme cela a été envisagé début 1997, et si lon met des assemblages acier afin de limiter le flux de neutrons à lextérieur, à ce moment on passe à 112 kilos dexcédent par an. On est encore largement en surgénération.
Ce nest nullement avec le cur numéro 2, cest-à-dire celui déjà fabriqué, que lon peut parvenir à une baisse sensible de cet excédent : il faudrait pour cela le couper pour en retirer les parties fertiles, ôter celles-ci de chaque aiguille de combustible. Cela veut donc dire quil faut les refaire. Le cur a coûté la bagatelle de 2,6 milliards de francs ; on va donc commencer « à jouer avec des sous ».
En retirant seulement la couverture radiale, on sera encore surgénérateur avec 60 kilos par an, toujours pour un facteur de charge de 50 %.
On sest dit ensuite quil faudrait passer à un cur sans couverture radiale ni axiale. Cela pose des problèmes de neutronique encore plus graves, plus compliqués. Comme il ny a plus dabsorption des neutrons au dessus, on a un flux de neutrons dirigé sur la dalle. On na pas une idée précise des comportements de la dalle du réacteur sous irradiation neutronique, et surtout, on na pas didée précise ou je crains que lon ait une idée trop précise sur le fonctionnement de tous les dispositifs de sécurité des canaux combustibles, qui permettent de faire des mesures de flux de sodium et de température. Sous irradiation, cela ne va pas tenir.
Il y a donc du travail à faire. Ce sera fait demain, comme cela, en claquant des doigts. Ce nest pas possible.
On ne lenvisageait pas avant 2004 à lépoque, et lon arrivait à une consommation de 60 kilos de plutonium seulement.
Il faut se souvenir quune tranche de réacteur à eau pressurisée de 1 000 MW en moyenne produit de lordre de 200 kilos de plutonium par an. Si la machine, dans des conditions difficiles, sans que lon y soit encore parvenu, sans essais réalisés à ce jour, consomme 60 kilos par an, il ne reste quà calculer le nombre de surgénérateurs nécessaire pour ne serait-ce que stabiliser la production de plutonium provenant des réacteurs à eau pressurisée.
Et puis, il y a le programme CAPRA. Jai mis des points dinterrogation sur la date envisagée, car on rêve là aussi. Le programme CAPRA veut dire que lon fait des assemblages avec 40 % de plutonium à lintérieur, mais sans matrice uranium. Actuellement, les combustibles sont constitués dun oxyde mixte, oxyde duranium 238 et oxyde de plutonium. Si lon retire luranium qui est dedans pour quil ny ait plus surgénération, quil ny ait plus fabrication de plutonium, solution idéale, à ce moment, on a un autre problème : comme on na plus les effets dabsorption de neutrons, on perd un effet, leffet Doppler, chose essentielle dans le pilotage des réacteurs. Des travaux sont actuellement réalisés en laboratoire, pour savoir ce que lon pourrait utiliser comme matrice pour mettre à lintérieur de ces assemblages CAPRA. Il ny a pas seulement les problèmes deffets Doppler que lon nest pas prêts de résoudre. Il faut aussi savoir quel est le comportement de ces oxydes que lon va mettre en remplissage, comme lexcipient dans un comprimé de médicament, quel va être leur comportement sous flux neutronique, comment en cas de fusion ils se comportent avec la gaine, quelles vont être les interactions. Là, on est encore au niveau de la recherche et développement. Personne na dit quon ny arriverait pas, mais là encore on a vingt ans de travail devant nous. A chaque fois, les étapes sont très longues.
Passons au troisième volet, lincinération des actinides. On a parlé tout à lheure de lincinération du neptunium les expériences NACRE mais cela ne présente pas dintérêt tant quon ne détruira pas laméricium car le neptunium est régénéré par laméricium. Ce quil faut, cest donc détruire laméricium ; or, on ne sait pas extraire laméricium de façon industrielle. En laboratoire, on a du mal. Là aussi, on est au stade de la recherche et du développement.
Si lon veut mettre au point ce genre de machine, il faut encore faire de la recherche en laboratoire et mener des essais analytiques simples, dabord sur des boucles de réacteur, ensuite sur une machine du type Phénix. On a dit que Phénix avait une durée de vie limitée. Je madresse aux pro-nucléaires, aux personnes qui voudraient voir continuer le nucléaire. Ce nest pas mon cas, mais je souhaite leur donner le message suivant. Pourquoi ne part-on pas dès maintenant sur un réacteur dédié à ce genre dusage ? EDF nenvisage pas de penser à mettre en chantier un réacteur à neutrons rapides avant 2050. Nous avons donc devant nous, lindustrie a devant elle, de lordre dune cinquantaine dannées pour trouver des solutions.
Prenons un projet actuellement mené par le CEA : le réacteur Jules Horowitz, le Rex 2000, cest une machine qui pourrait être étudiée pour faire ce genre de travail et à prendre somme toute le relais de Phénix.
Dans ce contexte, Superphénix nexiste pas. Cest une machine déjà obsolète. Sa conception remonte à 25 ans. Les dispositifs internes ont déjà 25 ans pour la plupart. En tant que physicien, jai construit très souvent des appareils et participé à beaucoup dexpériences ; je vous assure que quand on a fait un appareil qui ne marche pas, il arrive un moment où cela ne sert à rien de mettre des rustines, dempiler des modifications. Cela ne sert à rien, il faut arrêter, tout remettre à plat, faire une analyse tout à fait consciente des erreurs. Cest la seule façon de faire des sauts technologiques. Cest vrai pour lespèce humaine dune façon générale, à chaque fois quelle sest trompée et a compris pourquoi elle sétait trompée, cest là quelle a pu avancer.
A mon avis, au stade actuel, Superphénix napportera rien sur les trois programmes dacquisition de connaissances. Il vaudrait mieux redéployer les équipes qui travaillent dessus, leur donner mission de faire à nouveau marcher leur matière grise et de nous mettre sur la voie de nouveaux types de réacteurs. Il y a du travail à faire.
On parle actuellement dune machine pour réduire les déchets ; on se dit que Superphénix est parfait pour détruire les déchets. Mais on pourrait aussi arrêter de faire ces déchets en ne faisant plus de nucléaire, ou au moins construire des réacteurs produisant moins dactinides. On parle de détruire le plutonium, mais si on veut le détruire, il faut faire des réacteurs qui produisent moins de plutonium. Des études se font actuellement, ce sont des réacteurs où lon change les rapports de modération, où lon fait ce que lon appelle « des sauts adiabatiques de résonance ».
Il y a aussi les réacteurs sous-critiques, utilisant de luranium, du thorium couplés à un accélérateur. Il y a de nombreuses voies, mais pour cela, il faut que les ingénieurs, qui ont les capacités car nous avons les capacités de développer de telles voies reçoivent linstruction, lordre daller travailler dessus et non pas de peaufiner le troisième boulon en haut à droite de Superphénix, car ce nest pas cela leur vocation ; leur vocation est de faire de la recherche et de faire avancer les technologies.
Actuellement, nous avons une espèce de sangsue qui aspire une grande partie des moyens qui seraient beaucoup plus utiles pour dautres projets.
On pourrait mobjecter quarrétant Superphénix son démantèlement va coûter cher. De toute façon, il aurait coûté le même prix quel que soit le moment où on y aurait procédé. Mieux vaut le faire aujourdhui, pour de simples raisons techniques. Nous avons actuellement un réacteur qui a peu fonctionné, qui a peu de jours équivalent pleine puissance ; on a donc peu dactivation des matériaux de structure.
Deuxièmement, il contient un combustible à un faible taux de combustion, qui a déjà un an de refroidissement. Il faut sortir ce combustible : on va pouvoir le faire maintenant. Si lon sortait ce combustible et que lon mettait en place lautre cur, ce serait pour le faire brûler pendant deux à trois ans. A ce moment, il faudrait attendre à lintérieur de la cuve, de lordre de dix ans, son refroidissement, pour pouvoir enfin le décharger.
On se retrouverait alors avec une machine qui aurait un taux dactivation tel que les problèmes de démantèlement deviendraient problématiques. Ils le sont déjà, mais cela deviendrait encore beaucoup plus complexe. De toute façon, ce démantèlement est nécessaire. Lactivation et la contamination du sodium primaire vont être telles que les problèmes seront difficiles à résoudre. Arrêter pour arrêter, cest plutôt maintenant quil faut le faire que plus tard. Reporter, cest vraiment se compliquer la vie inutilement. Il faut avoir du courage et du réalisme pour arrêter un jour une installation.
Jai un exemple applicable ici : le programme Concorde. Ce fut une réussite technique, mais un échec économique. On a un jour pris la douloureuse décision de dire : « on arrête la construction du Concorde ». Ce jour-là, on a pu redéployer les moyens financiers et les moyens techniques. Quen a-t-on fait ? Le programme Airbus, deuxième constructeur mondial. Je crois que lon na rien perdu, au contraire, on a tout gagné. Il y a donc un jour, un moment où il faut se dire : « jarrête quelque chose parce que cela va me permettre de rebondir et de repartir dune façon plus réaliste ». Ce nest pas un discours anti-nucléaire que je vous fais là ; cest un discours de technicien.
Mme Michèle RIVASI : Je vous remercie beaucoup, M. Sené, car vous avez dit des choses très précises concernant à la fois le fonctionnement et la situation réelle de Superphénix. Je trouve quil y a eu beaucoup de désinformation sur Superphénix, « fleuron du nucléaire », etc. Vous venez de nous montrer quen fait, par rapport aux objectifs quon lui avait fixés, il y a eu quand même beaucoup danomalies.
Ma première question porte sur la production de plutonium. Si lon avait utilisé le cur tel quil est aujourdhui, on allait encore produire du plutonium qui à lheure actuelle constitue un déchet. Nous avons suffisamment de plutonium produit par des REP, que lon envoie ensuite à La Hague pour revenir sous forme de Mox. Cependant, il est vrai que cela faisait une surproduction de plutonium et posait des problèmes de prolifération nucléaire.
Ma question porte plutôt sur la transmutation. Daprès ce que vous venez de dire, on en est au « B.A. ba ». Il y a eu là aussi une désinformation. On nous disait que Superphénix allait permettre de nombreuses expérimentations sur la transmutation. Tel quest le réacteur, ce nétait pas possible : il fallait carrément changer le cur et introduire de nouveaux combustibles, soit en mettant de laméricium, du neptunium, etc., pour voir ce que cela allait donner. Mais cela, on peut très bien le faire avec Phénix.
Daprès ce que vous venez de dire, et cela minquiète dautant plus, la transmutation en est encore à un état très expérimental même en utilisant Phénix. Cela veut dire que ce sera une voie de gestion des déchets très minime, très faible. Que va-t-on faire des déchets radioactifs ? Jai apprécié votre proposition selon laquelle ce serait à nous, parlementaires, dexiger dEDF quil mette au point des systèmes dans les REP fournissant beaucoup moins de déchets radioactifs.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Si jai bien interprété votre propos, vous considérez que la mise en uvre industrielle de la surgénération par lintermédiaire de Superphénix est un échec, mais que pour autant, la recherche concernant la surgénération doit pouvoir se continuer sur la longue durée. Pouvez-vous préciser cela ?
Considérez-vous que dans la période qui vient, il faut continuer la recherche, maintenir une veille scientifique sur les neutrons rapides, ou complètement les abandonner, puisque si lon regarde bien, hormis les quelques années de réactivation de Phénix, nous allons nous trouver en 2005 sans outil de démonstration pour les neutrons rapides ?
Est-ce que sur la vidange du sodium, lexpérience acquise avec Rapsodie vous semble utile et transposable à Superphénix ?
Vous avez exprimé un point de vue plutôt favorable à Phénix en tant quoutil de recherche. Une question subsidiaire : est-ce bien interpréter votre propos ? Les travaux de rénovation actuellement effectués vous paraissent-ils satisfaisants au plan de la sûreté, compte tenu des risques liés au vieillissement de linstallation ?
Je vous pose une question un peu en marge de Superphénix qui nous sera utile pour ce rapport. Tout à lheure, ce qui était intéressant était le contexte politique ; ici, avec M. Sené, ce qui est intéressant est le contexte scientifique. A chaque personne auditionnée de nous apporter le meilleur de son savoir. Considérez-vous aujourdhui que nos stocks de plutonium sont surcapacitaires ? Considérez-vous que ces stocks sont condamnés à augmenter ? Je fais là référence à laudition de M. Cochet voici quelques jours.
M. Franck BOROTRA : Jai moi aussi apprécié cette présentation qui montre quil y a un débat scientifique et quil est intéressant et important de connaître les différents avis.
Première question, vous avez appartenu à la commission Castaing, vous avez exprimé un point de vue. Dautres scientifiques de renom, comme vous, faisaient partie de cette commission. La commission a décidé au bout du compte que Superphénix était utile. Ceci prouve quil y a un débat, et il mintéresse de savoir à lintérieur de ce débat quelle était la position des autres scientifiques ?
Deuxièmement, je souhaiterais que vous précisiez par écrit pour la commission les problèmes liés aux véritables chiffres concernant production et consommation de plutonium. Vous avez donné des chiffres. Ces chiffres ne sont pas les mêmes que ceux qui, par dautres voies scientifiques, nous sont donnés. Il est important que lon précise clairement. Dans létat actuel des choses, 110 kilos de plutonium sont consommés par TWh par fission dans le cur et 140 kilos de plutonium sont produits à partir de luranium 238 : il y a donc trente kilos dans létat actuel du fonctionnement ...
M. Raymond SENÉ : Mes chiffres étaient pour 4 TWh ; si vous multipliez par quatre, le résultat est le même.
M. Franck BOROTRA : Si lon retire lensemble des couvertures, alors Superphénix devient consommateur de 10 kilos de plutonium. Il va de soi que lintérêt de Superphénix est non seulement de retirer les couvertures fertiles mais manifestement, et Mme Rivasi a eu raison de le dire, cest daller plus loin et de modifier la structure du cur pour déboucher sur des constitutions de cur qui au bout du compte ne contiennent plus duranium. De la part dun certain nombre de scientifiques, ceci justifie que des essais grandeur nature puissent être réalisés, en même temps que lon diminue le taux duranium pour déboucher sur des curs contenant exclusivement du plutonium.
Jajoute que M. Curien que nous recevrons demain, qui lui aussi est un scientifique, considérait que la dimension de Superphénix permettait dirradier en vraie grandeur des assemblages qui correspondaient à ceux des centrales industrielles futures. Il ne faut pas que lon rejette cela dun revers de main.
Autre question très rapide sur le démantèlement. M. Lacoste a dit devant la commission que le problème du démantèlement nétait pas en fait un problème difficile à résoudre, mais quil fallait du temps pour mettre en place lensemble du plan de démantèlement. Quel est votre sentiment sur lavis donné par M. Lacoste ?
Dernier point : vous avez dit, dans une interview, et vous venez de redire, que Superphénix était une machine complètement obsolète. Vous avez également dit « Phénix est loutil adéquat pour la recherche sur les déchets prévue par la loi de 1991 ».
Ma question est la suivante : le coût de Superphénix a déjà été, en termes dinvestissements, payé. Aujourdhui il est vrai quil y a un coût de fonctionnement, vous avez eu loccasion den parler, mais tout le monde semble reconnaître quen termes de sûreté, Phénix et Superphénix ne sont pas de la même génération. De plus, Phénix, pour lequel vous plaidez, semble poser des problèmes. Nous avons eu loccasion de les évoquer, ils touchent en particulier aux sauts de réactivité.
Il faudrait que vous nous confirmiez que, pour vous, Phénix est en état de prendre la suite de Superphénix pour les recherches sur la transmutation, alors que dautres scientifiques disent que ces deux outils sont complémentaires et quen réalité, pour bien couvrir ce problème de la transmutation, on a besoin des deux.
M. Noël MAMERE : Je voudrais à mon tour remercier M. Sené pour la qualité de son intervention. Cela nétonnera pas mon collègue Borotra, je nai pas tout à fait entendu les mêmes choses, ou je nai pas compris exactement les mêmes choses.
Ma première question porte sur la durée potentielle du démantèlement de Superphénix et sur le temps nécessaire pour que la transmutation soit opérationnelle. Si lon compare les deux, quel est lintérêt pour la France ? Est-ce quil est dans la recherche désespérée de la transmutation ou au contraire, comme vous lavez dit, je reprends votre phrase « quand on fait un appareil qui ne marche pas, cela ne sert à rien dy mettre des rustines, on larrête » ?
La question est de savoir ce que cela coûtera aux Français : leur coûtera-t-il moins cher de démanteler que de sacharner à vouloir transmuter ?
Quand on vous écoute, et jaimerais avoir une réponse précise de votre part, il semble que ni Superphénix, ni réellement Phénix, dont vous avez fixé les limites despérance de vie, ne soient prêts dêtre capables dassurer la transmutation.
Troisième question : avez-vous une idée de ce que cela coûterait de demander aux ingénieurs de faire des recherches sur des réacteurs produisant moins dactinides et de plutonium, cest-à-dire moins de déchets, plutôt que de leur demander, pour reprendre encore une fois votre expression, « de travailler sur le troisième boulon » ?
Enfin, vous avez dit « plutôt que de sacharner à bricoler Superphénix, à bricoler Phénix dont on connaît la courte espérance de vie, il faudrait construire un réacteur, un outil dédié spécifiquement à cette transmutation ». Est-ce que vous avez une idée de ce que cela représenterait et du temps quil faudrait ? Est-ce sur 20 ans, sur 25 ans, sur 50 ans ?
Cela pose la question de laval du cycle sur lequel notre collègue Bataille est en train de travailler et donc, sur le nécessaire équilibre que doit exiger la représentation nationale entre les recherches concernant la transmutation et le stockage réversible des déchets.
Ultime question, comme nous en sommes tous convenus, et les scientifiques le disent mieux que nous, le retraitement de La Hague est lié à Superphénix. Est-ce que selon vous larrêt de Superphénix induit, comme semblent le soupçonner certains parlementaires larrêt du retraitement ? La fermeture de La Hague ? Ou bien au contraire y a-t-il une sorte dindépendance ?
M. Raymond SENÉ : Je vais reprendre les questions à rebours.
Je ne formulerai pas comme vous la corrélation, la liaison quil peut y avoir ou quil y a entre Superphénix et le retraitement. Je ne prononcerai pas le mot Superphénix car ce nest pas utile. La question est : quel lien y a-t-il entre retraitement et réacteur à neutrons rapides ?
Le réacteur à neutrons rapides fonctionne avec un combustible doté dune charge plutonium. Il faudra extraire celle-ci, soit de son propre combustible lorsquon le décharge, soit des réacteurs à eau pressurisée, doù la phase du retraitement.
Si lon abandonne la voie industrielle des réacteurs à neutrons rapides, la voie destinée à la production de plutonium na plus dintérêt.
Le retraitement a été mis en place au départ pour la production de plutonium, non pas pour faire des surgénérateurs, mais pour faire de larmement. Cétait le point de départ du retraitement. A lère du désarmement, on est arrivé maintenant à un stade où lon se retrouve avec des stocks de plutonium dorigine militaire dont on ne sait que faire et dont on na pratiquement plus besoin à des fins stratégiques.
Mais ce problème du retraitement, du lien avec le retraitement, est extrêmement important. Si lon se dit que lon naura pas de réacteur à neutrons rapides avant je parle du souhait des gens qui sont partisans de cette filière, ce nest pas mon cas une cinquantaine dannées, la question dactualité est : à quoi sert-il de faire en ce moment du retraitement ?
Il ne faut pas oublier que lusine de La Hague a deux parties : UP3 et UP2, toutes les deux à peu près de même capacité, 800 tonnes par an. Lune est entièrement saturée par les contrats passés avec létranger, lautre nest capable de retraiter que la moitié, ou un peu plus de la moitié, les trois cinquièmes, du combustible irradié produit par le parc nucléaire français. Déjà près de la moitié du combustible doit être stockée en létat sans retraitement.
La voie du non retraitement est donc un passage obligé. Il ne faut pas se dissimuler le problème : nous sommes amenés inéluctablement à stocker en létat des combustibles pour deux raisons. Dune part, on na pas la capacité de retraitement nécessaire ; dautre part, tous les combustibles Mox, cest-à-dire avec un combustible mixte oxyde duranium/oxyde de plutonium que lon met dans les réacteurs à eau pressurisée produisent un plutonium qui nest plus utilisable pour ces mêmes réacteurs à eau pressurisée. Cest donc aussi un combustible quil faut stocker en létat.
Il ny a donc pas de mystère : la voie du non-retraitement est inéluctable pour 50 ans ou un siècle. Ce nest pas dramatique en soi, car il est relativement plus facile de gérer, de stocker, de surveiller, de reconditionner des choses qui sont en surface dans des casemates, que des choses sous 2000 mètres de terre dans des puits bétonnés auxquels on na plus accès.
On peut donc avoir un entretien et une surveillance de ces déchets. Au bout dun certain nombre dannées, la radioactivité décroît naturellement. Les produits radioactifs ont au moins cet avantage par rapport aux produits chimiques et aux poisons chimiques, ils se dégradent dans le temps naturellement. Ils ont beaucoup dinconvénients, mais ils ont cet avantage.
A léchelle de quelques dizaines dannées seulement, lactivité et la puissance résiduelles dans ces combustibles vont avoir tellement diminué que lon pourra à ce moment commencer à les travailler. Si lon veut faire de la chimie plus complexe, de la radiochimie, cela sera plus facile si on laisse refroidir pendant vingt ans ou trente ans des combustibles que si on les prend au bout de trois ans.
La voie du non-retraitement nest pas une catastrophe en elle-même. Elle est vécu comme telle, parce que la France était le fleuron de lindustrie du retraitement au niveau mondial : on exportait et pratiquement on avait interdit aux ingénieurs du nucléaire de travailler sur la voie du non-retraitement. Le stockage sans retraitement, il ne fallait surtout pas en parler ; en faire en France, quelle horreur ! Cétait mauvais comme image de marque.
Le résultat est que si lon veut en faire maintenant, on en est presque réduit à acheter les brevets à létranger. Quelle ironie !
Le lien entre réacteur à neutrons rapides et retraitement est simplement une question de besoin, dutilisation du plutonium et de nécessité den avoir. Si ce besoin nexiste pas, le retraitement sécroule de lui-même. Il va continuer car nous avons tous les contrats avec létranger et nous avons encore des déchets, mais on nen est plus à se dire que lon va dépenser 50 milliards de plus pour construire une troisième unité de retraitement.
Noublions pas quen matière de retraitement existait un problème beaucoup plus compliqué : les techniques de retraitement du combustible nétaient pas adaptées aux combustibles des réacteurs à neutrons rapides et obligeaient à étudier dautres procédés de retraitement. Une usine était programmée, des travaux étaient engagés sur la voie sèche et la fluoration. Les études en restent au stade du laboratoire et ne sont pas au stade de la construction dune unité apte à traiter cent tonnes par an.
Si on avait construit un parc dune dizaine de surgénérateurs, on serait actuellement dans une impasse sur le retraitement de leur combustible.
Réacteur dédié : cest un projet actuellement mené par le CEA. Je ne sais pas où il veut le construire, si cest à Cadarache, Marcoule ou Saclay. Il sappelait Rex 2000 à lorigine, il sappelle Jules Horowitz maintenant, mais cela ne change rien. Cest un réacteur dans une phase détude qui permet dinfléchir, dappliquer à lintérieur toute une série doptions qui permettront de faire du travail dirradiation en canaux rapides et de faire tous les travaux dapproche nécessaires.
Les finances publiques, celles du CEA étant limitées, si lon retire ne serait-ce quun milliard de francs par an de frais de fonctionnement sur Superphénix, cela permettra de construire ce nouveau réacteur, grâce à un phénomène de vases communicants.
Sagissant des recherches sur les réacteurs produisant moins de déchets, il y a eu des auditions voici quelque temps sur le projet EPR franco-allemand qui nest en fait rien dautre quun polissage des systèmes actuels avec un renforcement de la sûreté. Mais rien na été fait dans loptique de modifier les structures neutroniques intérieures, les spectres de neutrons, de faire en particulier des sauts sur ces résonances et de minimiser la production des transuraniens.
Vous savez aussi bien que moi que les deux premières familles de réacteurs ont été construites avec deux optiques :
faire du plutonium militaire, cétait le cas de tous les graphite-gaz, les Magnox, les RBMK russes ;
faire des moteurs de sous-marins les plus compacts possible, cétait le cas des réacteurs à eau pressurisée.
Mais personne na jamais eu à ce moment lidée de se dire « on va faire un réacteur qui produit moins de déchets ». Ce nétait pas la préoccupation. On a construit des machines avec un objectif qui nest pas lobjectif actuel. Il faut donc satteler à nouveau à la tâche. Cela ne sert à rien de peaufiner une machine qui nest pas la bonne : on peut peaufiner la machine à vapeur, mais aujourdhui on est passé à la traction électrique.
Jai entendu dire : « le démantèlement va coûter cher ». Mais il ne faut pas se leurrer : le démantèlement coûte cher aujourdhui, il coûtera cher demain. Seulement, il coûtera plus cher demain parce quil sera plus difficile à faire, le matériau étant beaucoup plus activé et à lintérieur, la dégradation de linstallation sétant aggravée. Nous allons avoir des problèmes. Une centrale nucléaire est comme une voiture : plus elle est usagée et vieille, plus on se salit en mettant les mains dans le moteur. Nous sommes à un tournant, à un moment opportun pour le faire. Si lon remet un nouveau cur et que lon continue, lopération sera reportée de 10 ou 15 ans, et à cette échéance, je pense que le coût du démantèlement risque de doubler.
Cest une estimation personnelle, qui nengage que moi. Mais jusquici, nous navons pas été trop mauvais sur un certain nombre destimations.
Vous mavez parlé des sauts de réactivité de Phénix. Je vous rappelle aussi que M. Michel Lavérie, quand il était directeur de la DSIN, avait posé plusieurs conditions au redémarrage de Superphénix. Premièrement : la résolution des problèmes des feux de sodium ; deuxièmement : une parfaite compréhension des sauts de réactivité de Phénix. On a tout de même redémarré Superphénix sans avoir compris ce qui sétait passé sur Phénix.
Il considérait à cette époque que sur Superphénix, la situation était infiniment plus importante et plus grave que sur Phénix qui est une petite machine, bien instrumentée, que lon peut contrôler plus facilement.
Ces problèmes de sauts de réactivité sont importants. Jai discuté avec des gens qui travaillaient sur place. Ils mont expliqué que ce nétait pas arrivé une fois, deux fois, trois fois, mais peut-être une dizaine de fois, avec des enregistrements qui sont quasiment superposables. Ils ont la même forme, cest le même électroencéphalogramme, et cela, cest inquiétant. Cela veut dire quil y a un processus qui se développe, que lon ne sait pas ce que cest et que lon ne sait pas ce quil faut faire pour lempêcher.
M. le Président : On a tout de même fait des hypothèses !
M. Raymond SENÉ : Quant à lincinération des actinides, rappelons que lon travaille ici sur un cur de grande dimension. Des expériences qui sappelaient Superfact ont été faites sur Phénix. Elles ont consisté à faire des aiguilles dune taille adaptée à Phénix, à faire des irradiations et à voir ce qui se passait.
Je suis membre du comité scientifique de lIPSN et jai déjà demandé que lon nous fasse un rapport sur létat davancement de Superfact. On ne la toujours pas. Je crois que cela fait déjà plusieurs années que ces expériences sont terminées. Elles ne sont pas encore totalement exploitées, lexpérience analytique nétant pas simple à dépouiller. On a quelque chose de tellement lourd, tellement complexe quà la fin, pratiquement, ce que lon retrouve, ce sont les modèles que lon a introduits pour essayer dy comprendre quelque chose.
Les expériences consistent à travailler radio élément par radio élément, un peu ce que M. Rubbia fait au CERN sur faisceaux. Il prend un élément, il le met dans une capsule, il lirradie, il le sort à toute vitesse avec un système automatique et fait une spectrogamma pour voir quels sont les produits finaux et les sections efficaces.
Pour toute une série déléments, on na même pas les bases de données correspondant à leur devenir, à leur comportement en flux de neutrons. Pour tous ces éléments, on est au stade de la recherche de laboratoire. Vous mettez un paquet, vous irradiez, et on conclut : « Oui, il sest passé des choses, pour les comprendre je ne sais pas trop et cela napporte pas grand chose ». Et si vous le faites sur encore plus grand, cela apportera encore moins. On perd son temps et de largent, ce nest pas une manière scientifique de travailler.
Nos chiffres de plutonium sont identiques ; je parlais de 4 TWh en fonctionnant à 50 % de puissance nominale, et vous étiez sur 1 TWh.
Sagissant de la commission Castaing : je me suis trouvé dans la situation où jai préféré démissionner de cette commission, le Professeur Castaing estimant que tous les membres de la commission signeraient le rapport une fois celui-ci terminé. Je lui ai dit que personnellement, je nétais pas daccord avec les conclusions et que je ne signerai pas ; cela me paraissait plus honnête de mécarter à ce moment.
Si vous lisez ce rapport et si vous lisez mes travaux, vous allez avoir une surprise de taille, cest que tout largumentaire, dun bout à lautre, est le même : nous disons la même chose, mais nous narrivons pas aux mêmes conclusions. Le programme nest pas adapté, cela ne marche pas, cela ne sert à rien, ce nest pas la bonne machine, etc., et lui arrive à la conclusion « on la, il ne faut pas gâcher, donc on lutilise ». Et moi, jarrive à la conclusion : « on fait des économies, on larrête et on fait ce quil faut pour travailler ».
Les questions de surcapacités des stocks de plutonium :un REP produit en gros 200 kilos de plutonium par an, Superphénix avec un cur de type numéro 3, sans couverture radiale et axiale, cest-à-dire où lon na pas encore fait des choses trop compliquées au point de vue neutronique, en brulerait environ 60 kilos par an. Il faudrait donc environ trois réacteurs à neutrons rapides pour brûler la production de plutonium dun réacteur REP.
Vous en avez 56, vous voyez le parc quil faudrait construire !
En plus, il y a une situation paradoxale. Pour certains, cest un rêve, pour dautres cest un cauchemar. Imaginons, aujourdhui, que nous ayons les solutions pour brûler le plutonium, que nous ayons le bon cur, etc. Mais imaginons aussi que nous ayons trouvé quelque chose de merveilleux, une source dénergie qui fait quon na plus besoin du nucléaire à partir de demain. Etant des gens conscients et réalistes, on ne veut pas laisser aux générations futures le problème des déchets nucléaires et tous ces stocks de plutonium. Eh bien, les gens qui demain vont se trouver dans cette situation seront obligés de faire marcher un parc de surgénérateurs pendant près dun siècle pour pouvoir brûler le plutonium quon leur a laissé. Je pense que cest un cadeau empoisonné auquel il faut un peu réfléchir. Cette situation me déplaît sur un plan éthique.
M. le Président : Je vous remercie M. Sené, vous nous avez apporté un éclairage scientifique extrêmement intéressant, fondé en particulier sur vos connaissances personnelles mais aussi sur le contact que vous avez eu avec le Professeur Castaing dont nous avons tous regretté la disparition ; et même si vous avez été amené, comme vous lavez dit, à démissionner avant la signature du rapport, vous y avez apporté votre contribution.
Audition de Mme Corinne LEPAGE,
ancienne Ministre de lenvironnement
(extrait du procès-verbal de la séance du 12 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Madame Corinne Lepage est introduite.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, Mme Corinne Lepage prête serment.
M. le Président : Nous avons souhaité vous entendre compte tenu de la part majeure que vous avez prise, en particulier dans limbroglio juridique qui sest traduit par lannulation de lenquête dutilité publique, à la suite des demandes des associations, et aussi pour vous interroger sur un point très précis, à savoir quelles ont été les raisons, selon vous, pour lesquelles M. Alain Juppé, vous-même et les ministres du Gouvernement navez pas signé le décret de remise en route de Superphénix. A plusieurs reprises au cours des auditions de la commission denquête, nous avons eu la conviction, sinon la certitude, que le problème de Superphénix se serait posé de manière tout à fait différente si après la secousse de mai-juin 1997, le Premier ministre et son Gouvernement ne sétaient pas trouvés dans la situation que nous connaissons.
Mme Corinne LEPAGE : Mon propos liminaire ne sera pas très long. Je pense quil est important que des commissions denquête de ce type puissent se multiplier. Lancien ministre que je suis peut vous dire que pour le Gouvernement, il est essentiel davoir un Parlement qui travaille et qui contrôle.
Mon propos sorientera autour des deux interventions qui ont été les miennes à propos de Superphénix, à savoir les conditions dans lesquelles a été désignée la commission dite « commission Castaing » et les conclusions qui en ont été tirées et, ensuite, ce qui sest passé après lannulation par le Conseil dEtat en février 1997 du décret signé par M. Edouard Balladur en 1994 autorisant le redémarrage de Superphénix.
Avant dexaminer ces deux points, je voudrais simplement préciser la manière dont les questions se posent pour un ministre de lenvironnement. Elles se posent bien sûr différemment pour un ministre de lindustrie qui a la tutelle, avec le ministère de lenvironnement, de la sûreté nucléaire ; la particularité du ministre de lenvironnement, lorsquil est confronté à ce type de sujet, qui est un sujet difficile et très technique, cest en définitive davoir des compétences qui ne sont assises sur aucune administration.
Bien sûr, vous me direz, M. le Président, « Il y a la DSIN », la direction de la sûreté des installations nucléaires qui relève du ministère de lindustrie et du ministère de lenvironnement. Mais, et sans quil y ait dans ma bouche aucune critique personnelle, la DSIN est, de fait, incontestablement beaucoup plus proche de la culture et des habitudes du ministère de lindustrie que de la culture et des habitudes du ministère de lenvironnement. Or, en dehors de la DSIN, il ny a au ministère de lenvironnement absolument personne dans ladministration sur qui le ministre puisse sappuyer, ne serait-ce que pour solliciter un avis, pour demander ce quil pense, pour faire, même modestement, contre-expertiser une proposition qui lui est faite.
Je crois quil y a là une véritable difficulté dans la mesure où, de fait, je ne crois pas et je suis, vis à vis des parlementaires que vous êtes, tout à fait honnête que le ministère de lenvironnement ait des moyens à la mesure de ses compétences. Si lon veut maintenir une véritable tutelle, au sens propre du terme, du ministre de lenvironnement sur la sûreté nucléaire, il faudra revoir lorganisation administrative, cela mapparaît tout à fait nécessaire.
La compétence du ministère de lenvironnement en matière nucléaire est donc une compétence uniquement liée aux questions de sûreté. Dans la mesure où jai pour ma part considéré que le rôle du ministère de lenvironnement était également un peu un rôle dinterface entre lexpression des citoyens et celle du Gouvernement sur les questions environnementales, les questions liées à la transparence, à la participation, au débat, ont été également des thèmes qui mont paru très importants. La politique que jai essayé de poursuivre, et la nomination de la commission Castaing en est lillustration, est une politique qui a toujours été dans le sens de la transparence et du débat. Cette politique mapparaît indispensable pour la survie du système nucléaire lui-même. Je ne crois pas, à la fin de ce vingtième siècle, que si nous voulons continuer à être une grande puissance nucléaire civile comme nous le sommes aujourdhui, nous le ferons en faisant léconomie dun système beaucoup plus démocratique. Par conséquent, que ce soit la commission Castaing ou la commission Turpin qui sest occupée du centre de stockage Manche , que ce soit le travail de réflexion sur lIPSN qui est poursuivi aujourdhui, que ce soit la demande que javais faite pour que des commissions locales dinformation puissent être créées de manière régulière, car aujourdhui elles nexistent que sur le fondement dune circulaire du Premier ministre de 1981, ce qui est quand même une base juridique faible, il y avait là une série de mesures qui mapparaissaient indispensables et certains parlementaires, je pense notamment à M. Claude Birraux, avaient déposé des propositions de loi qui très clairement allaient dans ce sens.
Je voulais faire ce petit rappel simplement pour vous indiquer quel était lesprit du ministre de lenvironnement que jétais dans la manière dont jai essayé de remplir une tâche qui nétait vraiment pas facile.
Lorsque nous sommes arrivés au Gouvernement en mai 1995, le Gouvernement de M. Edouard Balladur avait décidé, un an auparavant, de redémarrer Superphénix. Mais techniquement, le redémarrage ne sétait pas effectué ; par conséquent, nous avions à prendre la décision, non plus juridique mais technique, du redémarrage et de la montée en puissance.
Cest dans ces conditions que sest posée la question de savoir ce quallait faire le Gouvernement et je nai pas, en tant que ministre de lenvironnement, demandé à ce moment larrêt de Superphénix.
Je ne lai pas demandé pour la bonne et simple raison que, des investissements très importants avaient été faits ; peut-être me poserez vous tout à lheure des questions sur ce qui sest passé avant mon arrivée au Gouvernement. On peut discuter du choix. Mais le fait est que la France avait dépensé 30 milliards de francs et que linstallation existait. Certes, elle navait pas bien fonctionné, mais il mapparaissait quavant de prendre une décision définitive, le minimum était de savoir ce que lon pouvait en faire. Cela mapparaissait être de la bonne gestion des deniers publics, vu les sommes astronomiques qui avaient déjà été dépensées.
Jai donc plaidé auprès du Premier ministre pour la nomination dune commission qui puisse indiquer si Superphénix, qui navait pas du tout été conçu pour être un instrument de recherche, pouvait effectivement le devenir. La réponse à la question pouvait être oui ou non. Si cétait non, à ce moment, il était clair quil fallait sorienter vers la voie de larrêt ; si cétait oui, à ce moment la question se posait dans des termes différents.
Par conséquent, la commission Castaing a été créée en sefforçant de composer, comme je lavais demandé au Premier ministre, une commission très ouverte, dans laquelle des avis différents, des sensibilités différentes pouvaient sexprimer.
Je crois en effet très important que nous ne nous contentions pas de même que lon se plaint de la pensée unique de lexpertise unique. Aujourdhui, les questions sont suffisamment complexes, les incertitudes suffisamment grandes et la modestie qui devrait guider notre action suffisamment importante pour nous conduire sur tous ces choix de société. Il y en a dautres, je pense aux organismes génétiquement modifiés, par exemple. Sur tous ces choix de société, il importe davoir une expertise vraiment diversifiée. Cest la raison pour laquelle cette commission dite Castaing, puisque cest le Professeur Castaing qui avait accepté de la présider, a compris en son sein des gens différents, dont M. Raymond Sené, qui vient de sexprimer, et des étrangers, parce que je pensais intéressant de sortir un peu de nos frontières à lheure de lEurope et daller voir un peu ce que dautres pouvaient penser de ce sujet.
Pour la petite histoire, je dirai simplement que la composition de la commission na pas été facile à mettre sur pied ; elle a pris beaucoup de temps, nous avons rencontré beaucoup de réticences, dautant plus que je rappellerai simplement que cela se passait en septembre 1995, cest-à-dire en pleine crise des essais nucléaires et il nétait pas facile à ce moment, je vous assure, de trouver des scientifiques qui acceptaient dentrer dans une commission de ce type.
Quoi quil en soit, la commission Castaing a travaillé et a présenté un constat technique sur lequel je ne reviendrai pas, M. Raymond Sené la certainement fait infiniment mieux que moi.
Cette commission a donc travaillé et est arrivée à la conclusion que lon pouvait faire quelque chose de Superphénix. Cest un rapport mi-chèvre, mi-chou, sur bien des sujets ; il aborde trois questions : la première (« PAC 1 ») sur lacquisition de connaissances, la deuxième (« PAC 2 ») sur la flexibilité nécessaire pour faire de la sous ou de la surgénération, la troisième (« PAC 3 ») sur lapplication de la loi de 1991 et la possibilité ou non de brûler des actinides.
Finalement, le rapport Castaing conclut en disant que la question importante est évidemment la troisième, même si lacquisition des connaissances, « PAC 1 », peut revêtir un certain intérêt, tout en se plaignant de la maigreur du programme la commission denquête pourra se reporter au document. Il insiste également sur les efforts qui doivent être faits notamment pour introduire des aiguilles daméricium, de manière à améliorer la qualité de la recherche qui peut être faite avec le « PAC 3 ». Quoi quil en soit, le rapport Castaing concluait à la faisabilité de la recherche à partir de Superphénix et par conséquent, je ne crois pas que le Gouvernement avait des motifs, dès lors quil avait demandé son avis à une commission indépendante et que cet avis allait dans un sens, de conclure dans un autre sens.
Par voie de conséquence, nous avons rendu public ce rapport qui posait de bonnes questions. Il na du reste pas fait lobjet de beaucoup de débats dans la presse, je dois le dire. Rendre public ce rapport était une chose à laquelle je tenais et qui sinscrivait bien dans la politique que je menais. Superphénix a donc continué son bonhomme de chemin, plutôt moins mal quavant dirais-je, car les pannes ont été moins nombreuses, il faut le constater, à la fin de lannée 1996.
Jajouterai, car cest à mon sens un élément très important, que dans le rapport Castaing, lutilisation de Superphénix était quand même largement justifiée par le fait que les membres de la commission avaient en tête quon arrêterait Phénix. Sur bien des points la commission considérait que Phénix pouvait rendre exactement les mêmes services, mais que, compte tenu de létat de Phénix, il était très probable quon allait vers un abandon et je pense que cétait une position justifiée, peut-être aurons-nous loccasion den reparler tout à lheure.
Par conséquent, Superphénix était retenu parce quon arrêtait Phénix, et à condition toutefois de faire un certain nombre dinvestissements pour améliorer le « PAC 3 ». La commission disait très clairement quil serait très difficile davoir des résultats pour 2006, date butoir, contenue dans la loi qui porte votre nom, M. le Rapporteur, pour savoir quelle solution serait retenue en définitive.
Je voudrais également dire un mot à la commission denquête sur la question des coûts. En effet, derrière toute cette affaire relative à Superphénix, ce sont bien les modalités de la prise de décision publique qui sont en cause. Sur ce point, je nai, pour ma part, en tant que ministre de lenvironnement, jamais pu avoir des évaluations précises faites par dautres personnes que lexploitant sur les coûts réels de toutes ces opérations, que ce soient les investissements à faire, que ce soient les coûts de fonctionnement, que ce soient les investissements déjà réalisés. Finalement, les documents que jai eus étaient ceux de la Cour des comptes, cest-à-dire ceux que tout citoyen soucieux des deniers publics peut se procurer en achetant à la Documentation française tous les ans le rapport de la Cour des comptes. Mais je nai eu pour ma part absolument aucun élément dinformation et je souligne quil ne men a pas été fourni par lintermédiaire de la voie gouvernementale. Les seuls documents que nous avions en notre possession étaient les évaluations de lexploitant. Je pense que cela pose un problème quant au mode de prise de décision.
Voilà donc ce qui sest passé au moment de la remise du rapport Castaing. Ensuite, effectivement, nous avons été confrontés à larrêt du Conseil dEtat de février 1997.
De quoi sagit-il ?
Je rappelle quen 1992, début 1993, on a soumis à enquête publique le dossier de redémarrage de Superphénix qui était alors présenté comme un outil de production dénergie électrique. Il nétait pas considéré comme un outil de recherche. Tel nétait pas lobjet de lenquête déclarative dutilité publique.
A la suite de cette enquête déclarative dutilité publique, un certain nombre dorganismes ont été consultés, dont le groupe dévaluation et un certain nombre dautres commissions qui ont émis des réserves sur les conditions de fonctionnement de Superphénix. Le ministère de lenvironnement de lépoque avait pris une position très négative sur le redémarrage de Superphénix. Cest dans ces conditions que le Premier ministre de lépoque, M. Edouard Balladur, a tranché en décidant que Superphénix redémarrerait, mais comme instrument de recherche. Que cela signifiait-il ?
Cela signifiait que la sûreté serait privilégiée par rapport à la production délectricité, quil y aurait certes un couplage au réseau, mais que le découplage pourrait intervenir à tout moment sans quil y ait de difficulté pour lapprovisionnement du réseau.
Je sais bien, et la commission denquête le sait infiniment mieux que moi, et on le voit aussi en lisant le rapport Castaing, quà lépoque il ne faut pas sillusionner il ne sagissait pas réellement de recherche. La recherche consistait essentiellement à savoir si le procédé fonctionnait, cest ce que lon appelle « PAC 1 », lacquisition des connaissances : est-ce que le procédé marche ou est-ce que cela ne marche pas ? Subsidiairement, si cela marchait, on vendait de lélectricité et EDF pouvait rentrer un peu dans ses frais.
Sur le fond des choses, il faut bien voir que lobjectif était la production délectricité plus que la recherche, au moins tant quon était dans la phase « PAC 1 ». Ensuite les choses changeaient quand on était en « PAC 2 » et « PAC 3 ». De toute façon, si on passait en régime de sous-génération, il fallait refaire un dossier complet, et cela apparaissait dans toutes les pièces. A aucun moment, la déclaration dutilité publique de 1994 naurait pu servir de base à de la sous-génération ; ce nétait pas possible juridiquement.
Quoi quil en soit, M. Edouard Balladur prend la décision de faire redémarrer Superphénix. Moyennant quoi, saisi par un certain nombre de personnes morales suisses et par des associations, le Conseil dEtat décide en 1997 dannuler cette déclaration dutilité publique au motif quil y a une discordance entre ce qui a été déclaré dutilité publique et ce qui a été soumis à enquête publique. Autrement dit, alors que lexploitant a constitué un dossier préalable à la déclaration dutilité publique dun ouvrage de production dénergie nucléaire, le Gouvernement a décidé de créer un instrument de recherche privilégiant la sûreté. Le Conseil dEtat a relevé que ce nétait pas compatible, cétait lun ou lautre.
Voilà les données du problème posé au Gouvernement. Il est vrai, jassume pleinement mes responsabilités, que je suis intervenue auprès du Premier ministre pour quil ny ait pas un redémarrage « sec », cest-à-dire par un décret immédiat, de redémarrage de Superphénix ; je peux men expliquer très simplement.
Compte tenu des termes de larrêt du Conseil dEtat, sans faire de juridisme excessif que lon pourrait reprocher à lavocate que je suis mais qui nexerçait plus à lépoque, décider de redémarrer Superphénix sans enquête publique, sauf si le Conseil dEtat se livrait à une interprétation dont il aurait pu avoir le secret, impliquait nécessairement que lon revienne à un outil de production dénergie électrique ne privilégiant pas la sûreté et nétant pas chargé de faire de la recherche. On ne pouvait pas avoir lun et lautre. Cétait lun ou lautre. Autrement dit, redémarrer sans enquête publique, cétait abandonner la décision quavait prise M. Edouard Balladur de privilégier la sûreté, de faire de la recherche, et repartir dans une phase de production dénergie nucléaire, dénergie électrique à proprement parler. Jajouterai à cela que la décision était dautant plus difficile que toute la politique quavait poursuivie le Gouvernement visait à valider Superphénix comme outil de recherche.
Nous avons parlé à linstant de la commission Castaing. Tout ce quavait dit cette commission, la décision quavait prise le Gouvernement de continuer sur la base de la recherche, étaient en fait totalement effacés, on mettait tout cela au panier et on repartait sur une solution originelle qui ne privilégiait plus la recherche. Cest la raison pour laquelle le Premier ministre a accepté de saisir le Conseil dEtat pour savoir si mon interprétation de son arrêt était fantaisiste ou si effectivement elle était bonne. Cest après la saisine pour avis du Conseil dEtat que la dissolution est intervenue.
Jajouterai à cela, sans faire encore une fois de juridisme excessif, quil y avait quelques autres petits problèmes de droit qui se posaient avec le redémarrage de Superphénix, notamment lapplication de la loi sur leau du 3 janvier 1992 qui impliquait une enquête publique, laquelle navait jamais eu lieu puisque cette loi nétait pas applicable au moment où avait été pris le décret de redémarrage de Superphénix en 1994. Par conséquent, il y avait un deuxième problème denquête publique liée à la loi sur leau. Indépendamment de ce problème je ne rentre pas dans les détails , ce qui a été affiché, ce qui a motivé ma demande auprès de M. Alain Juppé, nest pas lapplication de la loi sur leau ; après tout, jaurais été affectée comme ministre de lenvironnement quon ne respecte pas la loi sur leau et la République me demandait de la faire respecter, mais enfin, ce nétait pas lessentiel, lessentiel était ailleurs.
Voilà très simplement ce qui a motivé ma position et M. Alain Juppé a donc saisi le Conseil dEtat dune demande davis sur le projet de décret, qui a du reste été remanié à plusieurs reprises, après un mouvement itératif entre les différents ministères concernés.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai deux questions, Mme la Ministre : une première sur la fin de votre intervention et sur la chronologie de 1997 ; une deuxième sur les relations entre le pouvoir éxécutif et le Parlement.
Lannulation du décret de redémarrage de Superphénix par le Conseil dEtat date de la fin du mois de février, du 28 février 1997 exactement. La publication dun nouveau décret en accord avec les termes de lenquête publique eut été possible avant la démission du Gouvernement qui nintervient que quelques mois plus tard, en juin 1997. Est-ce quun tel décret a été envisagé ? Il semble bien que vous ne lauriez en tout état de cause pas signé. Pouvez-vous nous réexpliquer tout cela car la chronologie des évènements sétale sur une période assez longue ? La présentation que lon en fait aujourdhui, à savoir le raccourci qui lie sans transition la fin du mois de février au décret de dissolution de lAssemblée nationale qui, lui-même, dun seul coup, empêche tout redémarrage de Superphénix, mérite que lon revienne sur cette chronologie.
Ma deuxième question est plus large et est plutôt une demande de point de vue à une personne qui eu lexpérience du ministère de lenvironnement. Pensez-vous quà lavenir les pouvoirs publics pourront encore continuer longtemps à fonctionner avec une séparation et une absence de relations étroites entre un pouvoir exécutif incarné par des ministères ne travaillant pas sur des questions aussi sensibles et intéressant autant lopinion que celles dont nous nous occupons et le Parlement, les commissions permanentes du Parlement et lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques dont la spécialité est détudier ces questions ? Est-ce que, si lon regarde le passé, vous estimez quil ny eut pas de la part du Gouvernement une volonté détablir cette relation, ou estimez-vous que les parlementaires eux-mêmes ont manqué daudace et dexigence ?
Au fond, doù vient le fait que le couple exécutif-législatif ait si mal fonctionné dans le passé et ne fonctionne aujourdhui que dune manière tout aussi peu satisfaisante sur une question qui, au fond, intéresse lopinion et donc les élus du peuple souverain que nous sommes ?
Mme Corinne LEPAGE : Je nai que quelques documents car je ne suis pas partie du ministère avec des valises de documents. Je nai pas demandé au ministère de me refournir les documents pour cette audition, mais si la commission le souhaite, je pourrai le demander et lui faire parvenir une note.
Un projet de décret a été effectivement préparé ; il a été préparé, il a été discuté, abondamment discuté. Un certain nombre damodiations ont été portées et les arbitrages ont duré pendant tout le mois de mars 1997. Donc, nous navons pas perdu de temps. Le projet a été remis en selle, si je puis dire, tout de suite par le ministère de lindustrie et ensuite, nous sommes entrés dans une phase darbitrage avec Matignon. Ce projet de décret était prêt à la fin du mois de mars, début du mois davril, ce qui nest pas extravagant ; lélaboration du décret était quand même assez compliquée car je voulais pour ma part que lon puisse y mettre le maximum de contraintes en termes de sûreté et de recherche, mais il fallait aussi que le projet de décret ne soit pas entaché dun des motifs dillégalité dénoncés par le Conseil dEtat ; il y avait donc un équilibre difficile à trouver, doù la saisine du Conseil dEtat sur le point de savoir si la nouvelle approche était correcte. Le Conseil dEtat a été saisi par le Premier ministre ; je ne peux pas vous donner la date exacte de la saisine, mais elle est très probablement intervenue à la mi-avril. Effectivement, la dissolution a été prononcée ultérieurement, mais je ne crois pas quil eut été décent, sur une décision qui était quand même importante, alors que le peuple français était appelé à se prononcer, que le décret soit publié. De toute façon, il ne serait pas paru sans avoir lavis du Conseil dEtat, lequel nétait pas rendu. En effet, le Conseil dEtat saisi, je vois mal le Gouvernement se prononcer sans attendre son avis ; cela eût été quelque peu extravagant.
Donc, le Conseil dEtat saisi, de mémoire dans la première quinzaine du mois davril, la dissolution intervient. Lavis du Conseil dEtat nest pas rendu ; il devait être présenté à la fin du mois de mai, cétait prévu ainsi ; le Conseil dEtat sétait donné un mois pour examiner le dossier, ce qui na, là encore, rien dextravagant. Le Gouvernement avait donc deux raisons de ne pas publier le décret : la première était que le Conseil dEtat navait pas rendu son avis et la seconde était que de toute façon, je ne suis pas certaine quune décision intervenue à ce moment naurait pas fait lobjet dune âpre controverse et dune âpre polémique dans le cadre de la campagne électorale. Dans tous les cas, je pense que même si le Conseil dEtat sétait prononcé la question ne sest pas posée, je ne sais pas ce quaurait pensé le Premier ministre le minimum de sagesse aurait été de toute façon dattendre le résultat des élections.
En ce qui concerne maintenant lorganisation générale, les rapports entre Gouvernement, Parlement, etc., pour vous répondre très franchement, je vous dirais quil est quand même assez étonnant quun sujet de cette importance, mise à part la loi qui porte votre nom, la loi du 30 décembre 1991, nait jamais fait lobjet dun débat parlementaire. Comme ministre de lenvironnement, je me suis sentie particulièrement mal à laise lorsquun de vos collègues à lAssemblée nationale et un sénateur également mont demandé, au moment de la discussion du projet de loi sur lair, de mengager au nom du Gouvernement à ce quil y ait un débat au Parlement ; le projet de loi sur lair touchait en effet à la loi de 1961, donc techniquement on était obligé de dire quelque chose sur le nucléaire, mais au nom du Gouvernement, jai dû répondre négativement à la demande.
Il y a à la base un malaise, à mon sens, qui vient de ce que, sur ce sujet fondamental, au regard des choix qua faits notre pays, avec les avantages et les inconvénients quils comportent, il ny ait jamais eu de débat parlementaire. Par conséquent, je suppose que quelque part, il doit y avoir une gêne parmi les parlementaires de navoir pas, finalement, demandé davantage, une gêne du côté du Gouvernement de navoir pas saisi le Parlement du sujet. Je pense quil y a une histoire du nucléaire en France qui fait queffectivement cest un sujet sur lequel les rapports entre le Gouvernement et le Parlement ne sont pas sains au sens démocratique du terme.
Cest le premier élément de réponse que japporterai à votre question.
Le second est que je crois que lorganisation qui est la nôtre aujourdhui en France est profondément inadaptée. Dabord, je ne crois pas quil soit souhaitable de séparer les questions de sûreté et de radio-protection.
La radio-protection aujourdhui, cest lOPRI qui relève du ministère de la santé ; la sûreté est confiée à la DSIN et lIPSN. Dans les autres pays, autour de nous, radio-protection et sûreté vont ensemble, ce qui est logique : la sûreté a une incidence sur la radio-protection et si la sûreté est mauvaise, la radio-protection connaît quelques difficultés. Je crois quil faudrait déjà rapprocher ces deux organismes, dautant plus que, nayant pas été ministre de la santé mais pour en avoir discuté avec mes collègues successifs, je ne crois pas que le ministère de la santé lui-même ait des effectifs tels quil puisse exercer une véritable tutelle, au sens plein du terme, sur lOPRI. Je pense donc que le regroupement simpose.
En second lieu, la question est de savoir quel statut il convient de donner à tout ce qui toucherait à la sûreté et la radio-protection. Je reviens aux propos que je tenais liminairement pour vous dire combien dans mon esprit cette question de la transparence et de lindépendance de lexpertise est essentielle pour lavenir même de la filière nucléaire en France. Je pense que nous irons vers des remises en cause très graves si nous narrivons pas à gérer ce problème et je pense que cest un choix suffisamment important pour notre pays pour quil soit fait par les voies les plus démocratiques possibles et que nos concitoyens retrouvent une confiance quils nont plus, pour dire les choses très simplement.
Question donc : comment faire ?
Faut-il prévoir une autorité indépendante ?
Cest un peu lidée que javais, qui aurait pu trouver une première concrétisation dans la création dun établissement public qui aurait regroupé lIPSN et lOPRI. On aurait vu ce que cela donnait avant de sorienter sur la voie de la création dune autorité indépendante, procédure et organisme dans lesquels le Parlement aurait pu trouver toute sa place, car comment nommer les responsables de cette autorité indépendante qui elle-même aurait disposé dune expertise ? Très probablement en faisant coopérer plusieurs de nos institutions.
Je suppose que cest une voie qui mériterait dêtre explorée. Je crois très profondément que le système actuel nest pas du tout satisfaisant parce quil ny a pas assez de débats, parce que lEtat na pas à mon sens suffisamment de poids pour exercer les contrôles, parce quil y a trop de confusion entre le contrôleur et le contrôlé, ce qui nest pas sain, ne serait-ce que pour la confiance que nos concitoyens doivent avoir dans le fonctionnement du système.
Cela ne signifie pas que je suis inquiète et que je pense que la santé de nos concitoyens est en cause ; pas du tout, mais très franchement, je pense quil y a des progrès très considérables à faire. Nous lavons, par exemple, constaté dernièrement en matière dépidémiologie, science qui a un retard absolument gigantesque dans notre pays : lémotion qua suscitée la semaine dernière laffaire des conteneurs ne relève pas dune situation qui soit acceptable pour notre démocratie, ni même souhaitable, je pense, pour une filière nucléaire qui souhaite travailler dans de bonnes conditions.
Mme Michèle RIVASI : Je suis ravie, Mme la Ministre, que vous abordiez cette dernière question, car il est vrai que cest bien parce quil y a un manque de confiance que moi-même, en 1986, javais créé la CRII-RAD. Ce manque de confiance, on peut lanalyser de façon un peu plus détaillée par le fait que très souvent, les organismes de contrôle du nucléaire, que ce soit pour les questions de santé, ou même à une époque, pour celles de sûreté, étaient composés de gens issus des mêmes corps que les ingénieurs du nucléaire.
En matière de radio-protection, en France, on naccepte toujours pas les faibles doses et on naccepte toujours pas que la réglementation sur les doses maximales admissibles soit respectée. Cela pose aussi le problème de lapplication des sanctions.
Je veux bien que lon crée une autorité indépendante. On aime bien la notion de transparence, mais cest maintenant un terme que jaccepte difficilement car tout le monde en parle mais personne ne la veut. Si on la souhaite, alors il faut aller dans votre sens, cest-à-dire quil faut mettre en place des outils et appliquer des sanctions quand les gens ne respectent pas la réglementation. La sanction peut déjà être mise en uvre au niveau de ladministration.
Un autre élément que vous navez pas soulevé, qui est une source de blocage dans le domaine du nucléaire, est le poids du corps des ingénieurs des Mines. Ce corps est présent partout, à lIPSN, à EDF, au CEA, au ministère de la santé et même au ministère de lenvironnement.
Par ailleurs, vous dites que lOPRI dépend du ministère de la santé, mais pourquoi lOPRI na-t-il jamais aussi dépendu du ministère de lenvironnement ? Le ministère de lenvironnement devrait être associé puisque quand on fait des mesures sur lenvironnement, sur la radio-protection, cela concerne à la fois lenvironnement et la santé.
Une autre question que je me pose est de savoir pourquoi il ny a pas eu de débat parlementaire, en 1995, lors du redémarrage de Superphénix ?
Vous avez mis sur pied la commission Castaing, ce qui était très bien puisque vous avez voulu jouer la pluralité. M. Sené nous expliquait tout à lheure quil y avait eu un cheminement commun mais au moment de la conclusion il y a eu divergence. Jai été directement confrontée à cela puisquà la CRII-RAD nous avions les mêmes mesures que les organes officiels, mais nous nétions pas daccord sur leur interprétation. Etait-ce pour des motifs tactiques, politiques, stratégiques que vous avez créé la commission Castaing pluraliste, et navez-vous pas, vous, en tant que ministre, essayé de pousser les députés à dire « il faut, on veut un débat parlementaire là-dessus » ?
M. Borotra, ici présent, critique labsence de débat parlementaire au moment de larrêt de Superphénix, mais vous-même, quand vous avez codécidé en mai 1995 le redémarrage de Superphénix, pourquoi navez-vous pas organisé un tel débat ?
M. Eric DOLIGÉ : Vous nous avez dit tout à lheure que larrêt de Phénix paraît justifié, ou paraissait justifié, et que nous pourrons en reparler. Pouvons-nous en reparler ?
Par ailleurs, tout à lheure notre collègue Christian Bataille a eu lair surpris que signer et publier un décret puisse prendre plus de deux mois, jen attends pour ma part depuis plus dun an, cela me paraît très court.
Mme Corinne LEPAGE : Pour répondre aux questions posées par Mme Rivasi, je dirai quil est vrai que le ministère de lenvironnement aurait bien aimé sintéresser à la santé, il la fait pour lenquête sur La Hague ; si le ministère de lenvironnement navait pas pris la position quil a prise, il ny aurait jamais eu denquête épidémiologique à La Hague.
De même quil est vrai que jaurais aimé que lapplication de la CIPR 60 soit plus rapide ; je ne sais pas où lon en est aujourdhui ; je dis les choses très simplement.
Le problème du corps des Mines est un grand sujet, mais il est très lié au fait quil ny a pas de corps de lenvironnement. Il faut comprendre que le ministère de lenvironnement est un très petit ministère, avec très peu de moyens. Le fait que ses attributions englobent aujourdhui laménagement du territoire est satisfaisant sur le plan conceptuel, mais cela ne change strictement rien à lexercice de ses missions touchant lenvironnement ; cela ne fait pas avancer le problème dun centimètre, cela ne crée pas deffectifs supplémentaires au ministère de lenvironnement.
Cest un très petit ministère et les gens qui y travaillent ont vraiment de la grandeur dâme, parce que quand vous appartenez au corps des Mines, des Ponts-et-Chaussées ou du Génie rural, des eaux et des forêts et passez votre temps à vous bagarrer contre vos condisciples des ministères de léquipement, de lindustrie, de lagriculture, et quensuite vous savez que vous allez quitter le ministère de lenvironnement et revenir dans votre administration dorigine, vous êtes dans une situation humainement extrêmement difficile.
Il est très dommageable quil ny ait pas de corps de lenvironnement avec la possibilité dune carrière au sein du ministère de lenvironnement. Je sais bien que la mode nest pas de créer des corps de fonctionnaires, elle est plutôt den supprimer et cest probablement une bonne chose. Mais je crois quil y a là, compte tenu de lorganisation de ladministration française qui devrait être différente, une véritable difficulté pour les gens qui travaillent dans ce ministère, dans des conditions difficiles et auxquels je veux vraiment rendre hommage.
Vous me dites, Mme la députée, pourquoi navoir pas organisé de débat en 1995 ; mais pardonnez-moi, en 1995, Superphénix avait redémarré, le décret date de 1994 et a été publié après enquête publique.
Pourquoi la question sest-elle posée en 1995 ? Tout simplement à cause des autorisations techniques pour monter en puissance, signées même pas des ministres mais de M. Lacoste. Il ny a pas eu en 1995, je nai jamais signé, moi, personnellement, une autorisation de redémarrage de Superphénix ; lautorisation de 1994 a été donnée par le décret. Par voie de conséquence, si débat il aurait dû y avoir, il aurait dû se dérouler en 1994, mais la procédure ne le prévoit pas puisque lautorisation est intervenue dans le cadre dune déclaration dutilité publique, qui elle-même implique une enquête publique : la procédure est donc exclusivement réglementaire et écarte le Parlement.
Voilà la raison pour laquelle il ny a pas eu de débat en 1995 ; les raisons tiennent à la fois des faits et du droit. Cependant, il eût été intéressant quil y ait un débat général, et larrêt de Superphénix et le redémarrage de Phénix fournissait une excellente occasion pour lorganiser sur le problème plus général.
M. Doligé, vous mavez posé une question sur Phénix. Je dois vous dire très franchement que je ne sais pas quels ont été les progrès qui ont été réalisés depuis un an , à partir des informations qui mavaient été données par M. Lacoste, il nétait pas question de redémarrer Phénix. M. Lacoste ma toujours affirmé que Phénix était dangereux, que les questions sismiques nétaient pas maîtrisées et que par conséquent Phénix ne redémarrerait pas. Cest la raison pour laquelle la commission Castaing sest vraiment placée dans lhypothèse de larrêt de Phénix.
Je ne suis plus aux affaires, jignore bien évidemment les rapports complémentaires qui auraient pu être remis depuis juin 1997, mais ce que je puis dire est que Phénix est une installation qui a connu des pannes. On a parlé des pannes de Superphénix, elles ont été nombreuses, mais Phénix également a connu de nombreux arrêts, de nombreux incidents, de nombreuses difficultés. Cest une installation extrêmement ancienne, elle a plus de trente ans ; aussi, dans mon esprit na-t-il jamais été question de redémarrer Phénix. Je dois dire que je navais strictement aucune maîtrise des dépenses, mais je minterrogeais pour ma part sur le bien fondé des centaines de millions qui étaient investis dans les travaux de Phénix, alors que les informations qui métaient fournies par la DSIN étaient que, de toute façon, linstallation nétait pas suffisamment fiable pour pouvoir redémarrer.
La question fondamentale je pense que cest celle à laquelle votre commission devra répondre est : y a-t-il un objectif de recherche utile à moyen et à long termes au plan économique et technique ? Cest la seule question qui se pose ; mais très franchement, je crois que le fonctionnement de Phénix crée des risques ; le risque sismique dans cette région est assez important, il est de un sur 500, ce qui nest pas négligeable. Par conséquent, je sais que pour ma part, jaurais eu beaucoup de réticences à accepter un redémarrage de Phénix.
M. le Président : Merci Madame. Cest dautant plus intéressant que nous avons eu un nouvel avis de M. Lacoste à cette place, voici quelques jours, qui était un peu plus optimiste, ce qui prouve probablement quun certain nombre de progrès ont été faits.
Audition de M. Hubert CURIEN,
Membre de lAcadémie des sciences,
ancien Ministre de la recherche et de la technologie
(extrait du procès-verbal de la séance du 13 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Hubert Curien est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Hubert Curien prête serment.
M. Hubert CURIEN : Je vous remercie de laimable attention que vous avez eue de me demander de venir mentretenir avec vous de cette question importante.
Si je ne suis pas un véritable spécialiste de lénergie nucléaire, jai cependant eu à examiner les dossiers dassez près, dabord parce que je me suis intéressé à la politique du CEA, puis en qualité de ministre de la recherche, ce qui ma amené à faire un rapport au Premier ministre, M. Bérégovoy.
Pour rafraîchir mes idées sur le sujet, jai consulté certains documents sur les surgénérateurs ; un très bon « Que sais-je ? » de M. Vendryès et, du même auteur un des pères de Superphénix , un livre qui, pour être excellent, présente tout de même une sorte de plaidoyer pro domo en faveur de Superphénix ; jai également beaucoup destime pour le rapport présenté par Jean Teillac au Conseil économique et social, quoique un peu dépassé aujourdhui : « Bilan scientifique et technologique des recherches sur les réacteurs à neutrons rapides », de 1993. Je me réfère aussi souvent au rapport Castaing, uvre de chercheurs qui ont analysé les différentes hypothèses de protocole pouvant être mis en uvre pour utiliser au mieux Superphénix : « Rapport de la commission scientifique de lAcadémie des sciences chargée dévaluer les capacités de Superphénix comme outil de recherche ». Je ne peux pas ne pas me référer, par ailleurs, à ce quon me fait lhonneur dappeler le rapport Curien, qui a en fait été rédigé par des spécialistes beaucoup plus « pointus » que moi-même, avant que je létudie et le présente au Premier ministre : « Rapport du ministre de la recherche et de lespace à M. le Premier ministre », de 1992. Enfin, je reprends un bain de jouvence dans les écrits de Carlo Rubbia, à propos de ses propositions sur ce quil appelle un amplificateur dénergie et je regarde aussi où on en est en ce qui concerne les processus de fusion.
Je suis tout à fait persuadé quil y a déjà plusieurs dizaines dannées, notre pays a défini une politique ambitieuse et cohérente en matière de génération dénergie permettant létablissement dune plus grande autonomie énergétique de la France. Jinsiste bien sur le fait quen ne laissant de côté aucune piste pouvant paraître véritablement significative, cette politique a été ambitieuse, légitime et cohérente. Cest ainsi que, partant du constat que notre parc était constitué de réacteurs à eau pressurisée mais que dautres solutions pourraient savérer utiles dans lavenir, il avait été décidé dexaminer les possibilités liées aux réacteurs à neutrons rapides et de sintéresser aux recherches sur la fusion, dans le cadre dune coopération européenne et mondiale.
Cela dit, pourquoi ne pas sêtre intéressé, dès le départ, à la filière des neutrons rapides ?
Pourquoi Enrico Fermi, par exemple, au lieu de faire une pile à neutrons et à refroidissement par eau, en 1943, na-t-il pas eu recours à cette solution-là ? La réponse est simple : pour faire une pile refroidie autrement que par leau, il faut utiliser des refroidisseurs beaucoup moins commodes et sûrs à manier que leau. Or leau a le mérite dêtre bien connue, de ne pas présenter de danger particulier, et dêtre à la fois un ralentisseur très efficace pour les neutrons mais, surtout, un moyen dextraction de lénergie. Cétait donc, incontestablement, le moyen le plus facile pour tirer lénergie de la pile. Cela dit, leau ralentissant les neutrons, ceux-ci ne peuvent pas assurer la fission datomes lourds autres que luranium 235. Cest dire que choisir leau, cest choisir luranium 235, ce qui oblige à un enrichissement par rapport à luranium naturel.
Le choix de leau ne sest donc pas fait dans lenthousiasme le plus absolu, sachant quil restreignait le type de combustible ; en revanche, il rendait beaucoup plus facile lexploitation industrielle des sources dénergie sous forme de chaleur.
Dès les années 1940, donc, on travaille sur la filière du refroidissement par leau. Et comme cela marche bien, on décide de continuer et de mettre au point cette filière particulière fallait-il de leau pressurisée, à quelle pression, à quelle température, etc. ? Cest lobjet des discussions de lépoque et du choix des différentes filières : française, américaine, canadienne ; et on sintéresse également, sans se précipiter, à la filière des neutrons rapides.
Et puis, il ny a pas si longtemps de cela, sapercevant que lon consommait tout de même beaucoup duranium il faut extraire beaucoup duranium 238 et lenrichir, pour en brûler très peu dans les piles alors quil est mal réparti à la surface du globe, on a craint quil ne devienne rare. Tel était lesprit du Club de Rome, pour lequel tout était rare, dailleurs même laluminium ! Et sur la base dune possible raréfaction de luranium, on sest alors interrogé sur toutes les sources minérales possibles pour lensemble des procédures.
Pourquoi se tourne-t-on vers la filière des neutrons rapides ?
On commence par sorienter vers des filières dont on connaît bien le principe, telle la filière des neutrons rapides, dans la mesure où ils sont capables de « manger » de luranium. Sans compter que lon désirait se constituer, à lépoque, une réserve de plutonium, et que les neutrons rapides nont pas leur pareil pour transformer de luranium en plutonium. Lavantage était donc double : la machine allait permettre de produire le plutonium à usage militaire mais aussi déconomiser les réserves de minerais radioactifs.
Létude de cette filière est donc lancée, notamment avec Phénix, un excellent petit réacteur, extrêmement souple dutilisation. Et comme Phénix donne de très grandes satisfactions, on sest dit alors peut-être un peu tôt, il est vrai que le passage de Phénix à Superphénix serait la consécration de la filière. Lobjectif étant de produire du plutonium mais aussi de lélectricité, on allait essayer daplanir les difficultés, à léchelle industrielle, à partir dun premier réacteur.
Mais le passage de Phénix à Superphénix correspond à une multiplication par cinq, ce qui est beaucoup quels que soient les engins : le facteur déchelle ne jouant pas uniformément, on peut avoir des surprises, avec une telle multiplication. Par ailleurs, on pense rarement à un autre facteur, dordre psychologique, celui-là : on est passé dun réacteur de recherche, situé dans lenceinte du CEA, à un réacteur destiné à produire de lénergie, donc de « culture » EDF. Les gens un peu craintifs sont plus rassurés par un laboratoire situé dans un périmètre circonscrit où des savants mènent leurs travaux de recherche que par un réacteur industriel situé dans la nature.
En outre, pour pomper lénergie, dans un réacteur à neutrons rapides, on doit utiliser non de leau mais un élément qui nabsorbe pas les neutrons et ne les ralentisse que très peu : pour ce faire, le sodium est de loin le meilleur. Mais voilà, le sodium se manipule beaucoup moins facilement que leau, brûle spontanément, réagit mal à leau, et affole son monde à la moindre petite fuite en cas de grosse fuite, bien sûr, on a raison de saffoler.
Les difficultés rencontrées par Superphénix, jamais graves, autant que je sache, mais nombreuses et répétées, nont pas tenu à une mauvaise conception du cur du réacteur, à la partie nucléaire, mais au circuit de sodium, qui sest avéré plus délicat à exploiter quon ne lavait pensé a priori, et sur lequel sest focalisée lopinion, donnant lieu à des campagnes allant, à mon sens, au-delà de ce que cela méritait.
On peut se poser la question suivante : allait-on avoir besoin de cette filière ? Que pouvait-on imaginer en dehors des réacteurs à neutrons relativement lents ou réacteurs à eau pressurisée, que lon exploitait, et des réacteurs à neutrons rapides ? Quels pouvaient être les autres moyens nucléaires de production dénergie ?
On peut penser à la fusion. Mais cest là une affaire difficile. Il y a par exemple à Culham, où nous sommes très présents, une très belle machine pour produire de lénergie de fusion de façon expérimentale, mais il sagit dun équipement très lourd, et tout cela pour produire, in fine, une quantité dénergie encore extrêmement faible.
Il faut en outre savoir quune machine à fusion, cest une bombe atomique, une bombe H. Or elle est des plus petites, elle ne donne pas dénergie ; et pour avoir de lénergie, il faut déjà quelque chose qui ressemble plus à une bombe. Et maîtriser même une petite bombe avec toute la sécurité nécessaire, ce nest vraiment pas simple. Certes, les scientifiques ont résolu un grand nombre des difficultés que cela pose, mais il en reste encore à résoudre avant de passer à une échelle qui puisse conduire à lexploitation.
Par ailleurs, parler de délais de mise en place dusines de production dénergie de fusion suppose de prendre en compte deux facteurs qui rendent la réponse difficile.
Le premier facteur tient à la rapidité davancement des recherches. Sur ce point, je pense que si le monde entier y met de largent, quinze ans suffiront. Si seuls certains pays sy intéressent, cela pourra prendre vingt ou vingt-cinq ans. Mais le second facteur tient au fait quil ny a pas de demande, en réalité. Ni les gens dEDF, ni les autres grands pays recourant au nucléaire civil ne sont demandeurs, puisquils ont un parc de centrales qui leur donne toute satisfaction et quil faut amortir ; plus longtemps il fonctionnera dans de très bonnes conditions, mieux ce sera pour eux. Ils ne vont donc pas sempresser de mettre des sommes très importantes dans la définition dune filière beaucoup plus différente que ne lest celle des neutrons rapides des réacteurs actuels.
La fusion, jy crois, mais à lhorizon de quarante ans : vingt ans pour la recherche et la technologie, et vingt ans en raison de la paresse de la demande.
Reste une autre filière, qui nest pas du tout absurde, à savoir celle prônée par le prix Nobel Carlo Rubbia.
Carlo Rubbia a en effet proposé une machine dont lastuce est toute simple : faire un réacteur sous-critique, qui peut « manger » absolument nimporte quoi du plutonium, bien sûr, mais aussi du thorium, qui abonde sur la planète.
Pourtant, étant sous-critique, il ne devrait pas fonctionner puisque bien que très voisin dun réacteur normal, cest en fait, au départ, un réacteur dans lequel la réaction en chaîne ne se fait pas faute dune quantité suffisante de neutrons. Or, Carlo Rubbia parvient à lamener à la criticité à partir dun accélérateur qui, envoyant des protons de forte énergie sur du plomb, par exemple, engendre une réaction de spallation : cest-à-dire que le proton émet alors une superbe gerbe de neutrons, laquelle, parvenant dans le milieu sous-critique du réacteur, déclenche le système ; le réacteur sous-critique devient alors critique et sur-critique et produit de lénergie.
Or, avec un tel système, on reste véritablement maître à bord : pour arrêter le processus, il suffit de ne plus envoyer de protons, ce qui est facile, et le réacteur retombe alors en dessous de la criticité, ce qui élimine tout risque daccident.
Par ailleurs, si un tel engin doit être vendu à des gens risquant de faire mauvais usage des sous-produits, le régime du réacteur peut être tel quil ne produira pas de plutonium, par exemple.
En outre, astuce supplémentaire essentielle, le plomb ce milieu qui, recevant des protons, émet des neutrons qui font marcher la pile peut lui-même être mis en fusion pour tirer lénergie : le refroidisseur de la machine ne sera plus de leau ou du sodium, mais du plomb qui, pour le coup, est un bon métal lui, au moins, ne brûle pas à lair, ne senflamme pas quand on verse de leau dessus. Le plomb présente toutefois des inconvénients par rapport au sodium : à létat liquide, il est moins fluide que le sodium et il fond à des températures plus élevées ; il faut donc travailler à des températures nettement supérieures avec un refroidisseur au plomb.
Cette solution nest donc pas absolument idyllique, mais on peut tout de même se réjouir de lattrait quelle présente.
Pour ma part, je pense quil faut poursuivre la recherche sur ce système au même titre que sur la filière des neutrons rapides.
Quand on invite Carlo Rubbia à préciser les délais, il dit que la décision étant prise, sept ans plus tard, et en tout cas dans les dix ans, le système peut fonctionner. Je crois quil na pas tort. Là, en revanche, où il a tort, cest lorsquil dit que cela ne coûtera pas cher. Cela coûtera cher, sans pour autant quil sagisse de sommes fabuleuses. Il faudrait en fait que les puissances nucléaires sintéressent aussi à cette filière.
Une nouvelle astuce qua trouvée Carlo Rubbia tout récemment consiste à racheter doccasion des parties de laccélérateur du CERN que lon va arrêter pour le remplacer par un accélérateur plus puissant.
Le CERN a en effet décidé de construire une nouvelle machine LHC dans le même tunnel que LEP qui fonctionne actuellement. Certes, LEP est un accélérateur non pas de protons mais délectrons et de positrons, ce qui fait quil nest pas tout à fait adéquat. Mais Rubbia dit pouvoir réaliser un accélérateur de protons avec, par exemple, les cavités-résonnantes haute fréquence qui sont actuellement installées au CERN et qui vont être mises hors service dans un délai de deux ou trois ans. Bonne idée ! Pour autant, cela ninvalide pas, à mon sens, la nécessité de continuer très sérieusement les recherches sur les neutrons rapides.
Je serais donc triste que les circonstances avec leurs composantes politique, sociale, technique, économique, etc., bien sûr amènent à considérer que lon peut fonctionner avec les seuls REP per infinitum... De mon point de vue, on na pas le droit de faire cela.
Il faut chercher sil y a dautres filières au moins aussi intéressantes et qui, dans lavenir, le seraient même plus parce que « mangeant » toutes sortes de substances naturelles et nentamant pas les réserves. Sans compter quavec les neutrons rapides, on sait véritablement « manger » les actinides, cest-à-dire les noyaux très lourds. Cétait lobjet du rapport de lAcadémie des sciences en 1993.
Certains se gaussent, face à un tel discours, avançant quil faudrait alors un réacteur à neutrons rapides pour chaque réacteur normal afin den éliminer les déchets. Bien sûr, cest vrai pour linstant, dans létat actuel de nos connaissances, mais est-ce une raison pour arrêter les recherches ? Pas du tout ! Continuons à chercher la façon daméliorer le fonctionnement des REP et dobtenir des engins « mangeurs » de déchets
au moins ceux qui nous gênent le plus en termes de durée.
M. le Président : Elargir le débat à lensemble des sources dénergie potentielles dans le domaine du nucléaire est particulièrement précieux, compte tenu de votre expérience.
Le Gouvernement a pris la décision darrêter Superphénix mais sest rendu compte, parallèlement, que pour tenir le scénario 1 de la « loi Bataille », il fallait opérer la transmutation des éléments. Cest la raison pour laquelle le Gouvernement sest lancé dans la remise en état de Phénix, afin de lui permettre de fonctionner comme outil de recherche, en particulier sur la transmutation : destruction daméricium, du curium et, très probablement recherche très approfondie sur la destruction du neptunium.
Avez-vous le sentiment que le réacteur Phénix, compte tenu de son âge, de son caractère obsolète et de sa puissance, sera susceptible de faire face à cet enjeu ? En effet, la disparition de Superphénix dont létude de démantèlement doit commencer prochainement , serait en réalité parfaitement contraire à la « loi Bataille », si Phénix ne permettait pas de nous donner, pour 2006, des informations sur la transmutation.
M. Hubert CURIEN : Phénix a une très bonne réputation. Ainsi que je lai déjà dit, cest un bon petit réacteur de recherche qui a le mérite dêtre extrêmement souple. On peut faire toutes sortes de choses et en changer assez vite les configurations. Ceux qui travaillent avec cet engin disent beaucoup lapprécier car avec Phénix, quand ils ont une idée, ils peuvent la tester, et la tester assez vite.
Cela dit, Phénix na pas le caractère du modèle industriel. Il permet des études de faisabilité de principe, mais pour savoir ce quil en est réellement à léchelle industrielle, passer par Superphénix est presque indispensable. Mais Superphénix, lui, est beaucoup moins souple dusage, car il nest pas simple den changer le cur !
A mon sens, il y a complémentarité entre les deux. Ayant fait une manipulation intéressante sur Phénix, les chercheurs auront à cur de la tester à léchelle réelle, celle de Superphénix.
M. Franck BOROTRA : Sans vous entraîner dans la bataille politique autour de Superphénix, M. le Ministre, je souhaiterais vous poser trois questions.
La première tient à la démarche de nature scientifique. En tant que scientifique de grande renommée, croyez-vous raisonnable dabandonner un outil comme Superphénix, que ce soit pour des raisons politiques comme la indiqué le ministre de lindustrie, ou pour des raisons de marché ? Cet outil permettant de défricher la voie des réacteurs à neutrons rapides, il me semble que la démarche scientifique consisterait à ne fermer aucune porte. Après tout, le problème dun manque éventuel duranium ne se pose pas aujourdhui, mais on sait bien que les besoins et le marché évoluent, de même que la politique change. Il conviendrait de ne pas arrêter la recherche sur la filière des neutrons rapides, ni de fermer la porte de la fusion ou des réacteurs rapides sous-critiques, dites-vous. Aussi, quel jugement porte le scientifique que vous êtes face à une démarche qui ferme une porte de recherche, même pour des raisons économiques, dont personne ne peut dire si, demain, elle ne sera pas nécessaire ?
Par ailleurs, la France étant en tête dans le domaine de la recherche sur le nucléaire civil, une telle décision a des conséquences non seulement scientifiques mais aussi industrielles pour notre pays, ainsi que des conséquences sur le comportement dautres pays et sur nos relations avec eux. Ne croyez-vous pas, en conséquence, quil soit dangereux de casser une coopération internationale comme celle-là, sachant quil est probable que lon sengage, demain, soit dans dautres coopérations internationales, soit dans une fermeture graduelle des voies possibles pour des raisons économiques, ce qui nous amènerait, année après année, à perdre la position qui est la nôtre ? La fermeture de Superphénix a des conséquences sur nos relations avec les autres pays, ce qui est assez grave.
Enfin, la troisième question a trait à Phénix et Superphénix qui, avez-vous dit
et je partage cet avis sont des outils complémentaires, lun nayant donc pas vocation à se substituer à lautre. Si, daventure, la recherche engagée sur les neutrons rapides via les expérimentations sur Phénix réussissaient, il faudrait de toute façon construire Superphénix. Dans ces conditions, comment peut-on abandonner un outil comme celui-là, qui a été construit et payé, et dont on peut assurer aujourdhui le coût de fonctionnement par la seule production délectricité ? Sans métendre sur linquiétude de beaucoup de voir Phénix ne fonctionner que quelques mois avant quon ne le ferme, on peut craindre que larrêt de Superphénix ne sonne le glas de la filiale entière.
Sil sagissait de le construire, je comprendrais que lon se pose la question...
M. Hubert CURIEN : On ne le ferait pas.
M. Franck BOROTRA : ...mais puisquil est là et que dautres se sont engagés dans cette voie Japon, Russie, Inde, etc. , je ne comprends pas bien. Quelle est votre réaction ?
M. Hubert CURIEN : Tout dabord, lidée dabandonner Superphénix mest absolument antipathique. Certes, si on avait à le bâtir aujourdhui, on le ferait beaucoup plus souple et dun usage plus facile pour lexpérimentation, mais abandonner définitivement Superphénix aujourdhui, je le comprendrais mal.
Quun gouvernement, confronté à des problèmes de nature différente, veuille prendre le temps de la réflexion avant toute décision se conçoit. Et si le Premier ministre avait dit, il y a quelques semaines ou quelques mois, quil faisait tout arrêter et démanteler, jaurais véritablement très mal dormi. Mais il na pas dit ça, pour ce que jai compris.
Je ne sais pas quel peut être lavenir de Superphénix à long terme, mais ce qui navrerait tous ceux qui connaissent les choses du point de vue technique, cest que lon ne profite pas pleinement de toutes les potentialités quil nous offre encore. Or, très sincèrement, il nous les offre sans danger particulier, sans risque daccident majeur. Cet engin a joué de malchance, a connu des « pépins », mais les scientifiques et les techniciens comprendraient mal quon le ferme définitivement avant den avoir tiré tout le bénéfice.
Jen viens à la coopération internationale. Il faut tout de même reconnaître que nous ne sommes guère aidés, dans ce domaine, par nos voisins. Les Allemands pourraient le faire en demandant des comptes en tant quactionnaires. Or ils ne le font pas, tout au moins tant que les élections nont pas eu lieu chez eux. La pression allemande pour influer sur telle ou telle décision na donc pas existé. Quant aux autres Européens, ils ne sont pas non plus dun grand soutien dans les discussions internationales : les Autrichiens ont cassé leur seule centrale avant même quelle soit terminée, les Suédois ont une position bien connue. Cest dire que nous ne pouvons pas compter sur une véritable solidarité des grands pays européens en la matière.
La solidarité est plus marquée, moins difficile à obtenir, pour des engins prévus à beaucoup plus long terme, concernant la fusion par exemple, parce que personne ne se sent encore directement concerné par des conséquences écologiques possibles. En outre, les arguments pour contrecarrer les peurs dans ce domaine sont plus faciles à développer : on travaille par exemple sur du tritium, lequel a une durée de vie très faible. On avance par ailleurs quil ny aura pas de déchets, ce qui est vrai dans la mesure où il ny aura pas de trans-uraniens. Il nen reste pas moins que les enceintes des réacteurs à fusion seront tout de même très activées on ne travaille pas à des températures aussi importantes sans quelques conséquences de rayonnement et donc dactivation de la matière tout autour.
En conclusion, laide internationale ne nous a pas été dun grand secours sauf dans le domaine de la solidarité scientifique.
Par ailleurs, que la France soit bien placée, dans le domaine du nucléaire, est certain. Ainsi que je vous le disais, nous avons toujours été, dans ce domaine comme dans le domaine spatial, ambitieux et cohérents. Cest pourquoi il serait vraiment dommage que nous devenions beaucoup moins ambitieux et ne soyons plus cohérents.
Or, pour moi, la cohérence repose sur lintérêt porté à lensemble des sources dénergie primaire. Il en va de même pour la définition de la politique spatiale : les choses nont pas toujours été faciles, nous navons pas toujours été aidés par nos voisins, mais nous avons toujours été cohérents, partant du principe que nous ne ferions jamais rien sans lanceur, ce que les faits ont démontré. Pour autant, il va de soi quil ne sagit pas de préserver à tout prix économique ou politique la seule cohérence.
Jen viens à la complémentarité entre Phénix et Superphénix, qui me semble effectivement être un point important. A ce propos, les techniciens que jai interrogés mont rassuré. Leur souhait est de continuer à travailler sur Phénix pour ceux qui sont impliqués sur ce réacteur, celui-ci na dailleurs nullement lâge de disparaître ,en raison en particulier de sa très grande flexibilité. Mais ensuite, disposer dun réacteur à léchelle industrielle est un atout supplémentaire considérable du point de vue de lexploitation.
Cest pourquoi je souhaiterais que lon préserve lavenir, cest-à-dire que lorsquil sera nécessaire de passer à des essais à échelle industrielle et le cas se présentera , on puisse réactiver convenablement, avec toutes les précautions qui simposent, un engin comme Superphénix. Je ne dis pas quil faut que Superphénix puisse redémarrer dans les quinze jours, mais comme beaucoup, je demande simplement que lon ne fasse pas de gâchis. Cette machine existe. Rassurons ceux qui ont peur, ne nous précipitons pas, mais tirons-en le meilleur bénéfice. De mon point de vue, cest là un discours citoyen.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Pensez-vous que la décision de construire Superphénix était bonne ? A-t-elle été prise sous la pression du lobby nucléaire ?
En tout cas, Superphénix fonctionne, et vous avez dit votre position, de bon sens, face à un laboratoire dune telle importance. Pour le physicien qui envisage lintérêt de la recherche comme celui du pays, une telle installation est propre à faire évoluer la recherche scientifique.
Or, le Premier ministre a bel et bien pris la décision dabandonner le surgénérateur. Il sagit dun arrêt, ni plus ni moins, les moyens devant être trouvés pour démanteler la centrale travail long et que lon connaît mal , et extraire le sodium.
Il a dailleurs été rappelé à notre commission que nous avions à mener une enquête et non pas à mettre en cause la décision du Gouvernement ; ce que nous regrettons, comme vous, ainsi que vous venez de nous lindiquer.
Mais que pourra-t-on faire de cette friche industrielle ? A la suite des drames sociaux et humains, nous aurons en effet à faire face à un gaspillage énorme pour la France.
Il me semble que le Gouvernement, en 1981, avait aussi des positions peu favorables au nucléaire. Or, je suis persuadé que vos compétences et vos connaissances, ainsi que votre bon sens, ont fait évoluer le Gouvernement dont vous étiez ministre de la recherche, de façon à ce quil ne fasse pas nimporte quoi. Je souhaiterais donc que nous puissions à nouveau, avec vous, dont lautorité et les compétences sont reconnues, faire comprendre au Gouvernement quil fait fausse route, quil fait une erreur. Plus quune question, cest donc un appel que je vous lance.
Nous avons reçu Mme Voynet et M. Sené...
M. Hubert CURIEN : Je nai pas à le critiquer, mais je ne prendrais pas M. Sené comme conseiller, personnellement. Certes, il a des idées, mais il me semble orienté dans une voie de raisonnement qui nest pas exactement la mienne, ce qui est dailleurs son droit absolu.
Jen reviens à votre propos. La décision de construire Superphénix a-t-elle été un peu hâtive ? Oui, je le crois. On ne peut guère en vouloir aux techniciens, aussi bien les industriels que les chercheurs, qui ont poussé à cette décision, parce quils lont fait sur la base dun enthousiasme véritable on le voit dans le livre de M. Vendryès, le plus grand des spécialistes des neutrons rapides, pour qui la consécration était bien évidemment de passer au niveau de Superphénix. Je ne sais pas ce quil en est des responsables dEDF, mais je comprends très bien la position des scientifiques.
On est allé un peu vite dans lextension déchelle. Phénix est une « petite affaire », et on sétait imaginé que cinq fois plus grand, cinq fois plus puissant, cela ne poserait pas de problème. Or, en réalité, cinq fois plus de sodium, cest énormément plus dembêtements. Cela dit, tout cela est surmontable, on a fait plus difficile comme aller sur la lune.
Sagissant maintenant de la décision dabandon, je ne me permettrai dinterpréter ni les paroles, ni les intentions du Premier ministre, nayant pas eu loccasion de men entretenir avec lui. Javais cru comprendre, mais peut-être me trompais-je, que des engagements ayant été pris, le Premier ministre avait décidé de ne pas renouveler lautorisation, mais sans sinterdire dy réfléchir et de voir. Mais peut-être mon interprétation est-elle empreinte de naïveté.
M. Claude BIRRAUX : Tout dabord, M. le Ministre, je tiens à redire, concernant le rapport que vous aviez remis en 1992 au Premier ministre, que vous aviez adopté là une véritable démarche scientifique, explorant les questions et les pistes de recherche pouvant être engagées, et non pas tirant des conclusions avant davoir fait lexpérimentation. Certains, qui vous ont qualifié de pro-nucléaire, parfois de façon moins élégante, ont ensuite commandé à un bureau détudes allemand, une étude alternative, pour 350 000 francs, censée dire le contraire de ce que vous affirmiez. Or, comme vous posiez des questions, il était difficile dy opposer quoi que ce soit.
Je métais amusé, à lépoque, à faire un tableau comparatif des différents aspects examinés par vous et par ce bureau détudes, et je métais rendu compte que sur 80 % des sujets traités, vous étiez en accord, puisque vous posiez les mêmes questions ; et sur les 20 % restants, vous ne pouviez être ni daccord ni en désaccord, puisque vous nabordiez pas les mêmes problèmes. Cest toute la difficulté des débats autour de ce sujet, si on part avec des a priori. Je tiens donc à souligner la cohérence de votre démarche, qui était une véritable démarche scientifique.
Cela dit, avez-vous eu connaissance de lincident de puissance intervenu pendant une fraction de seconde sur Phénix en septembre 1990, occasionnant une chute de puissance et un arrêt durgence ? Avez-vous souvenir dune explication quant aux causes de cet incident ?
M. Hubert CURIEN : Je ne sais pas si le CEA a fourni une explication, mais il serait intéressant de la demander.
M. le Président : M. Bataille et moi-même, lors dune rencontre avec M. Barré, avons posé la question. Il nous a répondu quil avait beaucoup travaillé sur la question, et que, contrairement à ce qui avait été dit, le CEA avait idée dune possible cause : un problème de vibration du cur, pouvant, dans une certaine mesure, par le rapprochement des éléments combustibles à un instant déterminé, entraîner un surplus de puissance, puis, après écartement, une diminution de puissance. Cest lhypothèse qui lui paraît la plus probable. Il a par ailleurs indiqué que si telle était la cause, le CEA essaierait de remédier à ce défaut lors des travaux sur Phénix.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je fais partie de ceux qui, avec dautres parlementaires, cherchent depuis des années à comprendre afin de mieux expliquer à ceux qui nous ont élus. Entre le scepticisme de lintelligence et loptimisme de la poursuite de laction, le Gouvernement de Lionel Jospin, il y a quelques semaines, a tranché et basculé du côté de la réserve. Pour ma part, je côtoie Lionel Jospin depuis suffisamment longtemps pour minterroger sur ce qui la fait franchir lespace ténu lamenant à basculer du côté des sceptiques. Cest en quelque sorte une des missions de cette commission denquête.
Permettez-moi, à ce propos, un aparté politique : autant je suis solidaire de Lionel Jospin, autant je ne me risquerai pas à être aveuglément solidaire de tous ceux qui, à un moment ou à un autre, soutiennent un gouvernement. Il suffit de se plonger dans nos histoires respectives pour connaître limprudence quil y aurait à adopter une telle attitude.
En conséquence, à ce stade de nos auditions sur Superphénix et jai bien entendu la position qui est la vôtre , il me semble quon ne peut ni conclure que Superphénix ne marche pas, ni affirmer quil fonctionne dune façon irréprochable.
M. Hubert CURIEN : Certes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Pour votre part, vous êtes dans le camp des scientifiques dhéritage humaniste et desprit critique qui concluent que même sil ne fonctionne pas parfaitement, nous aurions beaucoup à perdre à nous priver dun tel outil. La raison imposerait donc de tirer parti du fonctionnement dun tel outil tant quil est encore possible de le faire, mais en admettant que dans sa finalité initiale, le projet a failli.
Un clivage existe en fait entre les scientifiques qui, comme vous, considèrent que linvestissement fait dans cet outil peut encore servir le savoir et la recherche, et ceux qui considèrent que ça suffit comme ça, que les erreurs dorientation plaident pour un arrêt immédiat. Partant de là, à quoi tient, précisément, que le chercheur et lhomme daction, le scientifique que vous êtes penche plutôt pour la poursuite de lutilisation de loutil, en dépit des errements et des hésitations dans le parcours ?
M. Hubert CURIEN : Pour moi, le point essentiel tient au fait que personne na jamais affirmé que Superphénix était un engin dangereux ou présentait des dangers supérieurs à la moyenne des dangers que peut représenter un réacteur à eau pressurisée. Si un expert pouvait démontrer que les risques daccident provenant de ce réacteur sont tels quil faut arrêter, mon opinion serait différente ; mais personne ne la fait.
Jadmets fort bien sans approuver que certains estiment que lon na pas besoin de cette filière, mais je nadmets pas que lon dise quil faut arrêter cet engin, non pas parce quil est dangereux mais parce quon souhaite tout simplement le voir détruire, et cela avant même que lon ait mené un programme intéressant. Jindique à ce propos que je suis daccord avec lobjection que fait M. Sené au rapport Castaing. Toujours est-il quil serait triste darrêter et de démanteler un outil qui, scientifiquement, peut rendre de grands services, et éventuellement après tout pourquoi pas ? fournir des kWh, ce qui ne peut pas nuire.
Mme Michèle RIVASI : Je souhaiterais vous interpeller, M. le Ministre, sur laspect scientifique.
Vous avez parlé de cohérence. Or, le fait que cet outil, prévu à lorigine pour produire de lélectricité, se transforme en outil de recherche pose un premier problème, du point de vue scientifique. Cet engin est en effet surdimensionné, comme vous lavez dit vous-même, par rapport à Phénix. Pour des expérimentations, il est beaucoup plus facile dutiliser un outil beaucoup plus petit, beaucoup plus malléable, permettant de sortir le cur très aisément alors que pour Superphénix, il faut dix-huit mois pour y parvenir. Ainsi, lorsque lon veut étudier ce que le bombardement de neutrons, par exemple, produit comme radioéléments, Superphénix est un outil disproportionné par rapport aux besoins de la recherche. En tant que scientifique, on ne saurait donc dire que Superphénix est un outil adéquat, adapté à la recherche.
Venons-en à la surgénération. Comme lont constaté de très nombreux experts, la surgénération nest plus intéressante, ni du point de vue de la rentabilité, ni du point de vue financier, ni du point de vue des ressources en uranium. On abandonne donc la surgénération, puisquelle ne correspond pas à la demande délectricité, à laquelle on sait très bien répondre avec des REP ordinaires.
Il faut donc savoir sarrêter. Cest pourquoi, pour ma part, jadmire le courage de M. Jospin qui, étant donné le coût financier et le fait que ce système nest pas adapté à la recherche, propose de mettre largent des milliards ! dans dautres réacteurs, plus adaptés pour une recherche sur la transmutation des déchets. Car notre gros problème, en France, ce sont les déchets à longue période radioactive. Cest donc bien vers ce type de recherche quil faut orienter tous nos moyens financiers.
Vous dites que cet outil ne présente pas plus de risques que tout autre réacteur. Pour ma part, je minscris en faux. Ce nest pas quil risque dexploser demain, bien sûr, mais les réacteurs à neutrons rapides, étant donné la quantité de sodium et de plutonium quils contiennent, présentent un risque potentiel plus important que les autres réacteurs.
M. Birraux a parlé du problème de réactivité qui sétait posé dans le cur de Phénix en 1990. Or, le fait que lon nait pas su fournir dexplication à ce problème, alors quil ne sagit que de Phénix, nest pas sans me poser de problème pour Superphénix. Aussi, pour trouver des explications rationnelles à tout ce qui pose encore problème, je préfère quon travaille sur Phénix plutôt que sur Superphénix.
M. Hubert CURIEN : Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que Superphénix na pas été conçu pour être un réacteur de recherche, quil nest pas bien adapté pour cela, puisquil devait au départ fabriquer du plutonium et de lélectricité. Il na donc pas été fait pour « manger » des actinides ou pour être sous-générateur en plutonium.
Pour autant, les réacteurs à neutrons rapides sont extrêmement souples puisquils permettent de disposer dune gamme très étendue de neutrons pouvant entraîner des réactions très diverses beaucoup plus diverses que dans un réacteur à neutrons refroidis. On peut donc faire de nombreuses choses et, selon les régimes, avoir un surgénérateur faire du plutonium ou sous-générateur « manger » du plutonium.
En outre, il est vrai que son cur est beaucoup moins mobile, puisquil na pas été fait pour être changé chaque fois que lon souhaite faire une expérience.
On voit bien, dans le rapport rédigé sous la direction de Raymond Castaing, les expériences intéressantes qui peuvent être envisagées sans grands frais sur Superphénix, une des priorités étant de fait la destruction des déchets nucléaires à vie très longue.
Jen conclus donc quil vaut mieux profiter le plus possible, jusquau bout, de Superphénix. Et si lon estime finalement que les raisons darrêter lemportent, on arrêtera une fois ces expériences menées.
Les responsables de Superphénix pensaient quil serait véritablement le prototype de la nouvelle filière, très proche des engins que lon aurait ensuite à construire en série. Ils se sont ensuite aperçus quil y avait encore de nombreuses mises au point à faire. Cela dit, il ne sagit pas de choses essentielles ayant trait au principe même du réacteur, mais de technologie du génie des procédés.
En réalité, mon opinion nest pas très différente de la vôtre. Nous différons seulement sur la conclusion. Pour ma part, je suis pour que lon aille le plus loin possible avec ce quon a, alors que vous pensez quon y gagne peu et quil vaut mieux tout arrêter tout de suite.
Mme Michèle RIVASI : Autant faire un autre réacteur, adapté à ce quon recherche.
M. Hubert CURIEN : Oui, mais il faut alors des moyens en conséquence !
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Est-ce à dire, à partir de la connaissance technique dont vous disposez, quentre la réactivation de Phénix, plus outil de recherche dans sa conception, et la continuation de lactivité de Superphénix choix entre lesquels le Gouvernement a eu à arbitrer , vous auriez plutôt penché pour la continuation de lactivité de Superphénix ? Et le Gouvernement ayant décidé de réactiver Phénix, ne peut-on considérer quil y a là « compensation », en termes de potentialité de recherche, à larrêt de Superphénix ?
M. Hubert CURIEN : Ma position est claire, même si elle demande sans doute à être confirmée par de véritables spécialistes. Phénix est un engin extrêmement commode qui, en outre, a le mérite dêtre dans lenceinte du CEA. De toute évidence, cest un engin expérimental, comme dautres au CEA. Je comprends donc bien que les chercheurs qui veulent travailler en particulier sur la fission datomes lourds et à très longue durée de vie souhaitent le faire sur Phénix, étant donné sa maniabilité. Pour autant, Phénix est tout de même un vieil outil : pour être dune souplesse rare, il nest pas des plus moderne, même si on peut le remettre au point. Aussi, que certains veuillent tester une manipulation intéressante sur Superphénix, sur un modèle industriel, se comprend tout aussi bien. On voit donc le bénéfice que lon peut tirer du fait que Superphénix reste activable.
M. Pierre MICAUX : Pour un profane comme moi, votre exposé a été si clair que jai commencé à comprendre,... comme si cétait un roman et non de la recherche scientifique. Enfin de laccessible !
Cela étant dit, la conférence sur lenvironnement de Kyoto vient de se terminer. Les résultats ont été très maigres entre 5 % et 7 % déconomie de pollution , et les efforts très réservés. Aussi, compte tenu de la pollution atmosphérique mondiale et des réserves en sources dénergie actuellement connues, pensez-vous que la situation présente constitue une raison supplémentaire de poursuivre dans la voie de latome civil pour les générations à venir et daccentuer nos efforts de recherche ?
M. Hubert CURIEN : Il existe une autre source dénergie tout à fait essentielle, à savoir les économies dénergie. Or dans ce domaine, depuis une vingtaine dannées, les progrès ont été énormes, en particulier dans notre pays génie civil, protection des maisons, moteurs plus économes, etc. On pourrait investir plus encore sur les moteurs à explosion, à mon sens, mais les progrès sont dores et déjà très sensibles.
Pour ce qui concerne la consommation de sources dénergie hydrocarbonées dune façon générale, il mest toujours pénible de constater que si la nature nous donne des fluides tels que le pétrole, qui sont des substances déjà assez élaborées, nous, nous les brûlons. Mieux vaudrait se servir plus encore du pétrole et de ses dérivés pour monter dans la complexité organique et en faire la base de notre chimie organique. Il me semble plus beau de partir des hydrocarbures pour construire que pour les brûler. Cest scientifiquement et éthiquement plus intéressant.
Jen viens aux besoins en énergie pour le siècle qui vient. Là encore, ceux qui bataillent dans ce domaine nont pas toujours des arguments très convaincants. Certains disent que les besoins vont augmenter considérablement cétait aussi ce que disait le Club de Rome. En fait, cela a crû beaucoup moins quon ne le pensait, grâce aux efforts nécessaires qui ont été fournis. Mais si la population croît dans la proportion prévue actuellement, et si lon souhaite une humanité qui ne soit pas miséreuse, il faudra consommer plus dénergie, sans doute aucun.
Aussi, si lon veut ne pas rejeter trop de CO2 et mieux alimenter lhumanité en énergie, il faut des sources dénergie comme le nucléaire. Celui-ci sera de plus en plus indispensable.
Pour autant, il convient de continuer à travailler sur les énergies diverses. Lénergie solaire ? Surtout, ne pas en rire. Car si elle fournit très peu en quantité, elle nen sera pas moins irremplaçable pour les familles habitant par exemple autour dun puits dans le Sahara ; un Sahara cultivé, sentend : disposant dénergie autre que solaire permettant de transporter de leau, et de leau dans le Sahara peut amener plus de monde à y vivre, si lhumanité passe à 8 milliards dhabitants. En tout cas, le solaire sera nécessaire pour le confort de la vie, et dautres sources énergétiques pour les grandes actions dexploitation des sols.
A mon sens, donc, quelles que soient les sensibilités, le siècle prochain restera nucléaire. Pour moi, cest clair.
M. Serge POIGNANT : Le Gouvernement dit avoir pris sa décision pour des raisons dordre déconomique, dune part, alors que léconomie, précisément, commanderait de continuer dutiliser loutil pour aller plus loin, et dordre politique, dautre part, laquelle ne peut être motivée que par un danger. Dans ces conditions, estimez-vous que Superphénix, de 1 200 MW, présente plus de danger quun réacteur de 500 MW pouvant être construit demain en Inde ou de 800 MW en Russie ? Et si cet argument tombe, que reste-t-il ?
M. Hubert CURIEN : On peut certes craindre des engins un peu artisanaux montés ici ou là et je ne dis pas cela à propos des Indiens, qui sont des gens capables en matière nucléaire, même si les conditions de fabrication industrielle ne sont pas les meilleures en Inde , mais en fait, cest presque indépendant de la filière : une centrale mal faite avec des gens peu responsables devant les boutons, cest Tchernobyl, cest-à-dire que ce nest pas un problème de surgénérateur.
Audition de M. Jean PRONOST,
Expert près la Cour dappel de Paris, agréé par la Cour de cassation,
Commissaire enquêteur
(extrait du procès-verbal de la séance du 13 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
puis de M. Alain MOYNE-BRESSAND, Secrétaire
Monsieur Jean Pronost est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean Pronost prête serment.
M. le Président : Je voudrais rappeler à tous nos collègues que vous êtes expert près la Cour dappel de Paris, agréé par la Cour de cassation et commissaire enquêteur. Vous avez joué à ce dernier titre un rôle important dans les enquêtes publiques liées à Superphénix.
M. Jean PRONOST : Etant déjà assermenté auprès de la Cour dappel, je pense que le serment que je viens de prononcer ici doit faire double emploi avec le précédent mais peu importe...
Il y a deux catégories dexperts : ceux qui travaillent pour les individus ou les sociétés et ceux qui travaillent pour les tribunaux. Je tiens à préciser que je fais partie de la seconde. Dune façon générale, les deux genres ne se mélangent pas trop. Le travail pour les sociétés est très lucratif ce qui nest pas le cas du travail pour les tribunaux : il faut donc choisir son camp et, pour moi, le choix est clairement fait !
Aussi bizarre que cela puisse paraître puisque je suis agréé par la Cour de cassation pour lénergie nucléaire, je travaille peu dans ce domaine. Il se trouve en effet que, contrairement à une idée fort répandue, le nucléaire fonctionne bien et ne donne pas lieu, excepté dans les médias, à beaucoup de conflits.
Je suis actuellement des procès dans différents domaines. Certains sont, par exemple, relatifs à des problèmes dodeurs liés à des sociétés déquarrissage, ce qui na pas grand chose à voir avec le nucléaire, ou à des problèmes de radon, ce qui est déjà plus en rapport. De fait, on connaît actuellement de grosses difficultés avec le radon puisquil donne lieu à un grand procès en cours dinstruction et quil pourrait entraîner lévacuation de 60 000 maisons en France.
Cela va peut-être vous faire sourire mais certains procès sont même relatifs à des clubs hippiques. Sans quil soit besoin de vous donner toutes mes références, je peux vous dire que je dois avoir deux enquêtes publiques en cours et cinq expertises !
Pour en venir à Superphénix, il se trouve que jai réalisé la première expertise à son sujet en 1988.
A partir des deux ou trois mètres cubes dinformations dont je dispose sur le sujet, je me suis efforcé, en travaillant darrache-pied, de rédiger un document à votre intention où vous allez trouver une introduction globale sur Superphénix et les problèmes de surgénération.
Il ne sagit pas, pour moi, de vous faire un cours sur lénergie nucléaire ce serait mal venu de ma part car je suppose quil y a ici des gens plus compétents que moi sur la question mais dexpliquer en quelques pages ce quest la surgénération et comment on procède à la transmutation et à lincinération.
A cet égard, je signale que les termes de la loi qui porte le nom de M. Bataille, ici présent, et que jai dailleurs eu loccasion dauditionner il y a peu, ne sont pas très précis et quil conviendrait de séparer la transmutation de lincinération. Ce sont en effet des opérations différentes avec des finalités distinctes. Cela étant dit, je suppose quil est possible de perfectionner les lois, dautant quen 2006 le Parlement devra revoir sa copie et cela constituera une bonne occasion de mieux séparer ces opérations.
Jai également essayé détablir un parallèle, certes un peu osé, entre les déchets nucléaires et les déchets chimiques, voire ménagers. En effet, si je travaille peu dans le nucléaire, je travaille en revanche énormément sur les déchets ménagers, et je suis stupéfait de voir les problèmes ahurissants qui se présentent actuellement et qui vont mettre en jeu notre santé. Il est bien de soccuper du nucléaire mais il conviendrait également de soccuper du reste.
Je souhaiterais dailleurs pousser la comparaison avec mon « approche personnelle » entre les déchets selon leur nature. Je me suis livré à des calculs sur les tonnages et jai découvert, en particulier au cours dune enquête publique récente en Alsace, que le préfet du Haut-Rhin avait donné son accord pour stocker des déchets chimiques à durée de vie infinie. Jai dailleurs apporté larrêté en question afin quil puisse être versé comme pièce au dossier. Vous constaterez quil est surprenant et, pour avoir lu le dossier denquête publique en long en large et en travers, je peux vous affirmer que personne ne sest intéressé à la question ! En conséquence, on va enfouir des dizaines de milliers de tonnes de déchets chimiques à quelques centaines de mètres de profondeur dans une mine de sel, que jai dailleurs visitée. Quand on sait que les mines de sel ont pour caractéristique de beaucoup bouger vous avez dû lire récemment dans la presse que le sel de certaines mines françaises sétait infiltré sous le Rhin pour ressortir côté allemand il nest pas difficile dimaginer que certains déchets chimiques pourraient faire de même. On pourrait mobjecter que ce nest peut-être quun juste retour des choses puisque certains déchets nous viennent dAllemagne mais enfin cela naméliorerait pas limage de marque de notre pays...
Sans vouloir occulter le problème de Superphénix, je crois donc quil faudrait se pencher sur le problème des déchets de façon plus générale : il ne faudrait pas que la polarisation actuelle sur le nucléaire en arrive à masquer les autres problèmes.
Pour finir, jai rédigé un texte de deux pages sur Superphénix, dune part pour tenter dexpliquer avec des mots simples en quoi il peut présenter un intérêt, soit en surgénération, soit en sous-génération la seconde hypothèse étant sans doute beaucoup plus intéressante pour ce qui concerne les déchets , dautre part pour souligner quelques points particuliers que lon a tendance à oublier concernant ces réacteurs.
Je ne lai pas fait pour défendre Superphénix car ce nest pas ma vocation : mon rôle est, lors des expertises, découter et de rendre des verdicts objectifs. Jai jusquà présent été suivi à cent pour cent par les tribunaux et jai tout lieu de croire que cela va durer. Cependant on peut avoir, en tant quhomme et en tant quexpert, une opinion totalement différente. Javoue que lors de ma première expertise, je nourrissais certaines inquiétudes sur les réactions qui allaient être les miennes. En fait, les scénarios dexpertises conduisent à faire abstraction de soi. Cest très bien ainsi car lexpertise est conduite de façon contradictoire, ce qui permet à chacun dexposer son point de vue et de laminer les visions personnelles qui perdent ainsi de leur importance.
De la même façon, lors de lenquête publique sur un laboratoire de stockage souterrain, je me suis rendu compte que dans les deux commissions, lune composée de cinq personnes et lautre de trois, javais très peu droit à la parole ! Cest très bien ainsi, car cela, après tout, correspond à la démocratie et prouve quaprès constitution dune équipe, un point de vue clair et net peut se dégager dune discussion entre les commissaires enquêteurs.
Comme je le souligne dans le document que je vous ai transmis, jai procédé à la première expertise consacrée à Creys-Malville en 1988. Malheureusement, je ne peux pas vous transmettre le rapport mais il vous est possible de le réclamer au tribunal de Grenoble. Jai joint la liste des parties demanderesses et défenderesses considérant que cela a son importance. En effet, en étudiant le dossier ce matin, je me suis aperçu que les parties qui avaient esté en 1988 étaient pratiquement les mêmes que celles qui sont intervenues auprès du Conseil dEtat pour annuler le fameux décret. On note au passage quau nombre des avocats figurait Mme Corinne Lepage ainsi que son mari, M. Huglo.
Sans vouloir trop métendre sur le sujet, jajouterai que la démarche des opposants correspondait à une idée assez simple : faire arrêter Superphénix pour un problème de forme.
Ma mission se définissait en quelques mots : premièrement, je devais dire sil existait bien un rapport de sûreté, les parties demanderesses prétendant quil ny en avait pas contrairement à ce que jai prouvé par la suite ; deuxièmement, je devais rendre des conclusions à propos de la fameuse fuite. Celles-ci ont été suivies.
A la page 12 du document que je vous ai transmis, vous constaterez que jai été nommé Président de la commission denquête publique pour la centrale de Creys-Malville. Vous nêtes pas sans savoir quun dossier denquête publique, à la différence dun rapport dexpertise, est rendu public, à la diligence du Préfet, généralement un mois après lenquête. Tout le monde peut en prendre connaissance puisque, pendant un an, il est déposé dans les mairies, ce que le public ignore le plus souvent.
Comme nimporte quel citoyen peut venir le consulter, je pense donc être fondé à vous communiquer un certain nombre déléments que jai photocopiés à votre intention dont lordonnance du tribunal détaillant la teneur de notre mission.
Jai également joint la décision du Conseil dEtat annulant le décret, ainsi que les conclusions et les recommandations de la commission denquête publique. Le rapport de cette commission se compose principalement de deux éléments : dune part le rapport de base qui est le résultat dun travail de fond et dautre part, un document séparé, intitulé « Conclusions et recommandations » conformément à lobligation qui en est faite dans la loi sur la démocratisation des enquêtes publiques dite loi Bouchardeau.
Par ailleurs, je tiens à préciser deux points car je suis en total désaccord avec les idées qui sont « véhiculées » partout, dans la presse en particulier, par des personnes qui connaissent mal le problème.
Premièrement, lenquête deSuperphénix a donné lieu à une concertation très importante puisque lon a reçu 4 235 courriers et des pétitions comportant 25 493 signatures, le tout devant représenter environ dix mètres cubes de documents. En outre, plusieurs réunions publiques ont été organisées dont une à la Tour du Pin qui a réuni 800 personnes pour un débat assez houleux. Je me porte donc en faux contre lavis du Conseil dEtat qui explique dans ses attendus quil ny a pas eu de concertation et je suis prêt à venir lexpliquer devant lui sil me le demande. Mais apparemment on ne juge pas utile dentendre les citoyens qui ont à connaître dun certain nombre de problèmes puisque je nai pas été entendu dans cette affaire.
Deuxièmement, il est totalement faux de prétendre, ainsi que larrêté du Conseil dEtat le laisse entendre, que laspect « production délectricité » a été mis en avant. Je peux en effet attester que nous avons énormément travaillé sur la faisabilité de lincinération dans le réacteur de Superphénix et que nous nous sommes livrés à une très grande quantité détudes sur le sujet. Jai dailleurs joint un certain nombre de comptes rendus que vous pourrez consulter et qui en témoignent, dont un lié à lenquête sur le laboratoire souterrain qui nous a conduits à entendre NERSA et le CEA sur le site.
Cela étant, jignore sur quels témoignages sappuie le Conseil dEtat pour rendre ses avis. Je nai pas à en juger, ce serait malvenu, mais je trouve la décision prise un peu surprenante.
En outre, jai présidé tout récemment deux commissions denquête publique sur le laboratoire souterrain ou plus exactement la faisabilité du stockage des déchets.
Il faut dire quen la matière les médias sont alarmistes et que lopinion est convaincue que lon va stocker des déchets radioactifs. Cest le préambule comme narrête pas de le dire M. Bataille qui connaît le problème mieux que moi, mais personne ne lécoute ! Le laboratoire est conçu en effet pour étudier la faisabilité du stockage et voir sil est réalisable ou non, mais il est hors de question dy faire entrer des déchets radioactifs : à force de le dire et de le répéter, les gens vont peut-être finir par ladmettre !
Jai donc présidé deux enquêtes : lune à la Chapelle-Bâton dans la Vienne et lautre à Bure dans la Meuse.
De façon un peu osée, jétablis un rapport entre ces deux enquêtes et Superphénix. Jai évidemment laissé les membres de ces commissions qui définissaient le programme, libres de lorganiser comme ils lentendaient ; il se trouve quils ont voulu très vite sintéresser à Superphénix et aux déchets.
Nous avons donc visité les lieux concernés, notamment La Hague à plusieurs reprises ; nous avons auditionné de nombreuses personnes et finalement la commission de la Vienne a rendu un avis selon lequel il convenait déquilibrer les trois voies de la loi Bataille, ce qui nétait pas évident. Elle la fait, en loccurrence, alors que les commissaires enquêteurs peuvent émettre des réserves ou des recommandations
Ses membres se sont donc limités à rédiger une recommandation afin que se poursuive le travail sur Superphénix au motif que des aiguilles sont prêtes dans les deux curs achetés 2 milliards de francs pièce. Elles peuvent servir à procéder à des essais sur des quantités non négligeables alors quil est impossible de déduire des images semi-industrielles des plus petits essais effectués sur Phénix.
La poursuite de lactivité de Superphénix a donc fait lobjet dune recommandation favorable et je peux vous déclarer sur lhonneur que jai laissé totale liberté aux commissaires enquêteurs et que je ne me suis nullement immiscé dans leur décision.
En revanche, dans la commission denquête de la Meuse, une réserve a été déposée laissant entendre de façon claire, nette et précise que la réalisation du laboratoire de lEst était suspendue à la poursuite de lactivité de Superphénix. Si Superphénix est arrêté, je pense que les tribunaux seront saisis et amenés à se prononcer sur la réalisation du laboratoire. Jignore quel sera le résultat définitif ce nest dailleurs pas mon problème mais il faut que vous conserviez cette donnée fondamentale en mémoire dans la mesure où la réserve a force de loi.
Jestime dailleurs que cest une excellente chose puisque le commissaire enquêteur est nommé par le tribunal et quil travaille donc, non seulement pour la loi, mais aussi pour le peuple. Lesprit de la loi Bouchardeau vise à ce que les commissions denquête publique écoutent le peuple et transmettent ses idées. Dans cette optique, je crois quil est bon découter les réserves émises et que cest là une responsabilité qui vous incombe tout particulièrement, en votre qualité délus.
Vous trouverez dans le dossier tous les éléments qui se rapportent à cette enquête de la Meuse et vous me permettrez, puisque jai fait allusion à laudition de M. Bataille, de revenir sur un point.
Cette audition a eu lieu dans le cadre de la commission denquête publique qui concerne la Vienne, et je dois vous remercier, M. le député, de lobjectivité dont vous avez fait preuve car, je dois dire en toute franchise que je craignais que votre témoignage nintroduise dans laffaire des éléments politiques, ce qui nest pas forcément souhaitable. Jai cédé à linsistance des mes collègues et jai été surpris de la façon dont vous avez abordé les problèmes et du pragmatisme dont vous avez fait montre puisque vous avez eu lhonnêteté de dire que vous étiez favorable à la poursuite de Superphénix.
Cest un rapport comme un autre qui , certes, na peut-être pas une grande valeur juridique. Il faut savoir reconnaître quand lhomme est objectif dautant que, attentif à vos déclarations publiques, je constate que vous persistez et signez ce que jai noté.
Si vous tenez à vous procurer tous ces rapports, je signale que jen ai remis, il y a déjà fort longtemps, un exemplaire complet à M. Birraux. Ayant assisté à ses auditions particulières qui sont fort intéressantes et mesuré limportance du travail quil fournit pour informer lopinion, il ma semblé important de le faire. De toute manière, il men reste encore un exemplaire que je peux vous faire parvenir si vous le jugez utile.
Il comporte notamment un audit sur place du CEA et de NERSA à qui on a demandé de modifier le programme daction de Superphénix. Comme nous avons considéré que les choses nallaient pas assez vite, pour faire suite à notre demande, on nous a informés, dans un document qui figure au dossier que les essais seraient accélérés si tant est, évidemment, que le réacteur puisse tourner un jour.
M. le Président : Avant de poursuivre, jaimerais que vous nous précisiez ce quest une « réserve » dans le cadre dune enquête publique.
M. Jean PRONOST : Auparavant, les préfets considéraient, à tort ou à raison, les commissaires enquêteurs comme des « godillots », négligeaient leurs avis et édictaient un arrêté contraire aux conclusions de la commission denquête tout en gardant bonne conscience puisquelle avait bien eu lieu !
Maintenant, il y a une jurisprudence qui est source de droit et quil faut lire.
La loi Bouchardeau dite « de démocratisation des enquêtes publiques » stipule que le commissaire enquêteur peut rendre un avis favorable ou défavorable. Il peut sen tenir là auquel cas le problème, quelle que soit la nature de lavis, se trouve réglé.
Lavis peut nêtre assorti daucun commentaire, hormis les attendus du rapport pour expliquer la décision, ou comporter des recommandations ou réserves.
Les recommandations, comme le terme lindique, visent à « recommander » certaines choses sans quil y ait pour lautorité compétente aucune obligation de la suivre si elle les juge infondées.
La réserve ou condition, en revanche, équivaut à émettre un avis défavorable sur une partie des choses et le fait de passer outre met automatiquement en porte-à-faux par rapport aux tribunaux. Bien sûr, il est toujours possible à lautorité compétente dester en justice et de faire du « forcing ». Mais la jurisprudence suppose, sur de telles affaires, de passer à tout le moins devant le Conseil dEtat, lequel ne suffit dailleurs pas à régler la difficulté puisquil nest pas habilité à lever des réserves, émises par des commissaires enquêteurs.
Bien entendu, je ne vais pas me lancer ici dans un cours de droit sur la question dautant que les experts nont pas le droit de porter davis juridiques : cest là que se situe la séparation des pouvoirs entre lavocat et lexpert.
Néanmoins, un certain nombre de tribunaux sont aujourdhui assez astucieux pour introduire comme dernier point du mandat, la mission « dapporter tous les éléments utiles à leur éclairage ». Ainsi, même sil appartient au tribunal de décider ce qui est normal et conforme à la séparation des pouvoirs, il reste une porte ouverte pour que lexpert ou le commissaire enquêteur puisse dire franchement ce quil pense.
M. Franck BOROTRA : Vous avez présidé les enquêtes publiques sur les laboratoires souterrains pour lEst et le Poitou.
Vous venez de dire que cette enquête, dans le premier cas, a donné lieu à réserve et dans le second à recommandation. Cette réserve est-elle liée à Superphénix ?
M. Jean PRONOST : Absolument !
M. Franck BOROTRA : Je souhaite donc et nous sommes au cur du débat que vous expliquiez quelle est la nature de cette réserve qui conditionne léventuelle mise en oeuvre dun laboratoire souterrain dans lEst au fonctionnement de Superphénix.
Mme Michèle RIVASI : Je ne vois pas la relation...
M. Jean PRONOST : Je vais vous lexpliquer en quelques mots.
Les tests qui seront faits sur Superphénix, en tout cas daprès ce que nous avons pu voir et comprendre, auront pour but de séparer les actinides des produits de fission à longue durée de vie. Ils sont fondamentalement différents, non seulement par leur durée de vie, mais aussi par la quantité de chaleur quils dégagent.
Si les choses marchent il ny a aucune raison que ce ne soit pas le cas puisque les calculs techniques ont été faits, or cest sur la base de tels calculs quest né le nucléaire et alors que personne ny croyait, cela fonctionne impeccablement Superphénix, en particulier avec les aiguilles de technétium préparées, parviendrait à réduire le volume des déchets de 80 %.
En conséquence, les commissaires enquêteurs ont estimé que sil était possible de réduire les déchets dans de telles proportions, la question, qui avait des incidences sur largent investi par les contribuables, méritait dêtre posée.
Etant moi-même contribuable, je déplore que lon dilapide largent. Si le réacteur a coûté assez cher, une somme qui est de lordre de 50 milliards de francs, que certains nhésitent pas à mettre en parallèle avec Concorde et bien dautres dépenses, il sagit aujourdhui dun investissement réalisé et payé. La question est donc de savoir sil vaut la peine daller jusquau bout et de tenter de réduire les déchets pour faciliter le stockage souterrain sil doit se faire un jour. En effet, nous avons parlé de la faisabilité du laboratoire, ce qui suppose précisément denvisager toutes les hypothèses, ne serait-ce que sur les quantités, puisque des études ont été engagées sur la réversibilité qui a fait lobjet, dans le rapport, de recommandations dailleurs suivies deffets .
Il nous a donc paru très important denvisager le problème des déchets nucléaires sous langle de leur réduction à travers Superphénix : jignore si jai répondu à votre question...
M. Franck BOROTRA : Je voudrais bien comprendre : si vous émettez une réserve et quil ny a pas de levée de la réserve cest comme si vous prononciez un avis défavorable.
Puisque vous avez prononcé une réserve pour la Meuse et une simple recommandation pour le Poitou où le problème se pose globalement dans les mêmes termes pour la suppression, lincinération et la disparition des déchets qui doivent répondre à des critères très précis, jaimerais savoir à quoi tient cette différence de traitement.
Par ailleurs, je souhaiterais bien comprendre ce qui peut motiver une réserve ou une recommandation à la mise en place de laboratoires souterrains puisque vous avez dit avec juste raison quils navaient pas pour mission de stocker des déchets radioactifs, ce quil faut bien répéter dans la mesure où les informations diffusées en la matière sont fausses.
M. Jean PRONOST : Je répondrai à la première partie de votre question en me fondant sur le caractère démocratique de la procédure denquête publique.
Les commissions denquête sont indépendantes et je nai pas voulu mingérer dans leur décision, ce qui va peut-être vous étonner de la part dun président. Il se trouve que le travail est partagé, y compris pour la rédaction, et que nai pas voulu intervenir à ce niveau.
Pour ce qui concerne les conclusions de la commission denquête de Poitiers, elles mont été imposées puisque la commission était composée de trois membres et que le Président ne dispose daucun privilège. A ce propos, je tiens dailleurs à dire que la loi Bouchardeau est totalement inopérante et que, ainsi que je lai fait savoir à M. Birraux, il conviendrait de la repenser. Jai même proposé une nouvelle rédaction et de rencontrer M. Bataille sur ce sujet. En effet, dans la loi actuelle, il est stipulé que les commissaires doivent être en nombre impair, ce qui ne veut rien dire puisque lon ignore, en cas de vote, si la voix du président est prépondérante. Pour ma part, jen déduis que cétait aux fins déviter légalité des voix, mais il ny a pas de véritables précisions en la matière.
Quoi quil en soit, à Poitiers, les deux commissaires enquêteurs mont fait savoir que la réserve leur apparaissait beaucoup trop dure et quils lui préféreraient une recommandation, avis auquel je me suis rangé.
Pour la commission denquête concernant le laboratoire de lEst, je peux vous dire que quatre commissaires ont été favorables à la réserve et que le débat a été assez houleux. Pour ma part, je ny étais guère favorable : je pensais, pour dire les choses franchement, que cela risquait de mettre en route un processus assez compliqué de « discutailleries » peut-être inutiles mais je me suis pourtant incliné devant cette position majoritaire.
Mme Michèle RIVASI : Pourquoi y a-t-il réserve par rapport à Superphénix ?
M. Jean PRONOST : Toute la question des laboratoires, des déchets et de leur quantité est évidemment liée au problème de la réduction des déchets. En effet, si vous vous contentez de stocker ex abrupto les déchets de La Hague, il convient de séparer les éléments qui dégagent de lénergie.
Pour avoir visité de très nombreux laboratoires notamment en Grande-Bretagne, au Canada, en Suède et en Belgique, je peux vous dire que jai vu comment ils procédaient aux essais de faisabilité.
Je tiens à ce propos à attirer votre attention sur le fait que, sans stocker de déchets radioactifs, il est quand même prévu dans le dossier darrêter un niveau de becquerels ou de curies pour pouvoir procéder aux essais et que cest un point sensible de la discussion : en Belgique, on a utilisé une toute petite quantité de déchets pour observer le transfert dénergie car ces déchets qui dégagent de lénergie, vont chauffer le granit ou largile environnant sur un certain nombre de mètres. Il convient de savoir si cela ne peut pas avoir des effets desséchants ou de montée de température susceptibles de détruire les barrières.
Toutes ces questions sont donc techniquement liées et lon ne peut pas mettre dun côté le surgénérateur et de lautre le laboratoire. Autrement dit, toute la question est de savoir si lon veut ou non réduire les déchets.
Si lon veut réduire les déchets, il faut utiliser tous les outils offerts par Superphénix déjà payé ; si lon ny tient pas, il faut prendre son mal en patience. Si le tonnage nest pas considérable, il nest quand même pas négligeable et les laboratoires nauront pas une grande utilité sils ne servent pas à le réduire. Tel est en tout cas mon point de vue !
Vous me permettrez dajouter quen page 15 du document transmis, jai fait figurer un certain nombre de points sur lesquels jai, bien sûr, un avis mais dont il me paraîtrait important de pouvoir débattre.
Mme Michèle RIVASI : Je nai toujours pas compris pourquoi vous avez établi un lien entre Superphénix et le laboratoire. Puisquil faut des lieux de stockage et que vous dites que si lon arrête Superphénix on ne retiendra pas léventualité de la mise en place du laboratoire de lEst, je pose la question suivante : pourquoi celui-là plutôt quun autre ?
M. Jean PRONOST : On pense quune fois que les choses seront au point, et il ny a pas de raison pour quelles ne le soient pas, on va pouvoir réduire les déchets dans un rapport de 1 à 5 ce qui va influer sur la conception du laboratoire.
Ce laboratoire est donc un laboratoire de faisabilité. Si lon savait déjà quelles vont être les quantités à stocker, au lieu de procéder à des recherches de laboratoires qui auraient, par exemple, pour unité un kilomètre de long et pour seul ordre de grandeur ce qui se passe en Belgique, on pourrait sen sortir avec des concepts de 200 mètres de long ce qui représente la longueur des blocs de granit hectométriques que lon trouve à Poitiers.
Pour résumer, je dirai que si lon doit travailler sur un kilomètre, on écartera le laboratoire de Poitiers, mais quon pourra y travailler si lon retient une échelle de deux cents mètres, dautant que le granit apparaît comme une matière plus propice que largile qui présente un certain nombre dinconvénients dont la rétractation.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je souhaiterais vous poser deux questions.
Premièrement, concernant la communication, les dirigeants de NERSA eux-mêmes déclarent que les difficultés rencontrées par Superphénix ont eu une résonance exagérée dans le grand public et quelles nont pas été comprises. Les incidents de ce quil faut considérer comme un prototype nont pas été interprétés comme des difficultés de mise au point mais comme des défauts rédhibitoires qui condamnaient linstallation. Pensez-vous quune meilleure communication au plan local et national eût pu changer le destin de Superphénix ?
Deuxièmement, quels sont, selon vous, les enseignements que lon peut tirer de Superphénix sur le plan du fonctionnement de lindustrie nucléaire française et sur celui de ses rapports avec lEtat, tant en ce qui concerne la politique énergétique que la sûreté de lensemble de la filière ?
M. Jean PRONOST : Il se trouve que, pour de multiples raisons, je fréquente le milieu de linformation depuis de multiples années et que jai pu constater que plus on informait, plus on désinformait.
Vous avez eu loccasion de le vérifier ayant dû vous-même, me semble-t-il, subir un certain nombre de désagréments à la suite de limportante action dinformation que vous avez menée pour le laboratoire et dont je peux vous rendre acte puisque, deux jours avant votre audition devant la commission denquête publique, vous nous aviez fait parvenir tous les documents susceptibles de nous éclairer.
Nous avons analysé toute cette somme de travail et je peux témoigner que lorsque vous vous êtes présenté devant nous, nous avons pu, à loccasion de la discussion qui sest instaurée, constater que vous aviez fourni un travail de romain même sil na pas eu dénormes répercussions, et si le sens du message que vous vouliez faire passer na pas été parfaitement perçu. La communication se révèle en effet excessivement difficile : jignore qui pourra trouver la solution mais on peut dire que le problème est illustré de façon typique par lexemple de La Hague où il y a manifestement une rupture du dialogue.
Je ne sais pas si cette situation tient à la formation des personnels de communication mais il y a des années quelle dure et elle commence à minquiéter dautant plus sérieusement que je me demande si des individus parfaitement formés suffiraient à résoudre le problème dans la mesure où il existe une forme dimperméabilité dune partie du public qui préfère recevoir des informations toutes prêtes et passant facilement.
Je vais vous donner un exemple : on parle beaucoup de lénergie solaire dont jai expliqué clairement dans mon papier quelle nétait pas autre chose que du nucléaire. On pourra tourner les choses comme lon veut, on ny changera rien : la sonde Soho vient de tourner autour du soleil et va nous envoyer pour la deuxième fois des images donc les choses sont bien claires !
Je suis cette expérience de très près et je peux dailleurs communiquer à ceux dentre vous que cela intéresse, un compte rendu de lESA (European Space Agency). Il y est expliqué, sur la base des nombreuses analyses effectuées, que les vents dits solaires sont des vents chargés de particules nucléaires dans des quantités si phénoménales quelles seraient de nature à irradier des boeufs.
Je peux vous dire que les gens qui vont être envoyés sur Mars seront, daprès les calculs auxquels je me suis livré, certains de développer un cancer à la suite du voyage ! Pourquoi ? Parce que je rappelle quil y a une réaction thermonucléaire de fusion dans le beau soleil qui nous chauffe, ce que les gens finissent par oublier, et quil envoie des vagues successives de radiations.
Nous sommes actuellement en train de mettre au point, en Grande-Bretagne, à Culham des expériences au niveau européen pour lesquelles il faut des températures de plus de 100 millions de degrés et une densité de plasma déterminée. Actuellement, nous avons obtenu 150 millions de degrés à Culham mais sans parvenir à la densité de plasma souhaitée. Néanmoins, nous sommes parvenus à produire cette énergie pendant un millième de seconde ce qui laisse à penser que si lon se donne un peu de moyens, la fusion pourrait démarrer assez vite.
Bref, nous nen sommes pas là et avec la fission, il y a déjà largement de quoi faire !
Tout ce que je veux simplement dire cest que le tout solaire est en fait du nucléaire, que malgré les ceintures dites de « Van Halen » qui protègent relativement, les particules, au niveau de léquateur, sont éjectées vers les pôles où il y a des trous dans lesquels elle senfournent pour venir nous agresser quand nous nous exposons sur les plages et nous donner accessoirement des cancers... En effet, le soleil donne aussi des cancers : lorsque lhomme aura compris quil vit dans un système nucléaire peut-être la face des choses changera-t-elle !
Personnellement, je pense que la terre est née dune explosion thermonucléaire on peut appeler cela comme on veut mais cest indiscutable et quelle a été éjectée, la meilleure preuve en étant que le soleil continue sa fusion thermonucléaire. On peut en déduire que la terre au début nétait quun énorme tas de déchets nucléaires dont il ne reste que le thorium et luranium qui donnent du plomb. Voilà quelle est la situation actuelle et lorsquon aura fini par le comprendre, on finira peut-être par envisager les choses sous un angle un peu différent.
Je suis actuellement confronté à un problème de radon je ne peux dire où parce que la question vient actuellement devant le tribunal et, pour en revenir à la communication, il est ahurissant de constater que les gens lassimilent au nucléaire et quil faille leur expliquer quil vient de luranium et du thorium qui se trouvent naturellement dans le sol.
Pour ce qui est de votre question, M. Bataille, je serais bien incapable de résoudre votre problème de communication qui me semble dailleurs être insoluble sauf à former des personnels dans des écoles spécialisées.
M. le Président : Quelle est votre formation, M. Pronost ?
M. Jean PRONOST : Je suis ingénieur du génie maritime et maintenant de larmement depuis que, sans nous demander notre avis, on a changé nos statuts. Jai donc été formé au sérail de méthodologies un peu dures !
Je nai pas répondu à la partie de la question de M. Bataille concernant laspect technique mais dun mot je voudrais revenir sur linformation à laquelle je mintéresse beaucoup. Jai suivi les positions dun certain nombre de ministres de lenvironnement sur le sujet malheureusement les deux dernièrs titulaires du poste nentrent pas dans ce cadre. Or, M. Brice Lalonde après avoir été farouchement antinucléaire en est devenu actuellement un partisan acharné et M. Haroun Tazieff, après avoir violemment combattu le nucléaire également, a déclaré un jour au Sénat devant 300 sénateurs et environ 800 personnes quil était favorable aux surgénérateurs. Cétait si surprenant que je croyais avoir mal compris et quà la fin de la séance, je suis allé le trouver pour massurer que javais bien entendu.
Cela répond peut-être indirectement à votre question sur linformation... Il y a des personnes qui reçoivent parfois des lumières.
Pour en venir à laspect technique, je trouve dommage que Superphénix ait été construit en associant pour moitié lItalie et lAllemagne, et pour moitié la France. Les pourcentages devaient être revus à loccasion de la construction dun second surgénérateur. Les gens se sont, alors, partagés les marchés, ce qui est logique. Du coup, on arrive à un bidon de sodium avec une fuite. Normalement, il était en conformité avec le code ASME section 2 que je possède sur le bout des doigts parce que je connais bien les codes américains. Sans trahir mon expertise, je peux dire que je me suis aperçu quil ny avait pas eu de radiographie de faite dans certains endroits et que les soudures avaient été réalisées grossièrement ce qui explique la suite ...
En pratique, lutilisation de ce bidon a été supprimée et on nen a plus besoin puisque lon a changé le « process » et je peux vous dire quaujourdhui le réacteur fonctionne parfaitement. Cela étant, il faut quand même se montrer très attentif : le nucléaire est une science qui est toute jeune, bien plus en tout cas que le solaire dont je rappelle que les anciens se servaient. Dans lantiquité, les habitants des pays dExtrême-Orient y avaient recours pour chauffer les maisons en particulier !
Le réacteur Superphénix fonctionne donc très bien. En outre, il y a deux curs qui sont payés et, si lon arrête son activité, cette mesure va coûter aux contribuables que nous sommes, selon, mes calculs, il nest pas besoin de sortir dune grande école pour arriver à cette estimation compte tenu du prix des deux curs déjà réglés et de la perte annuelle délectricité, 15 milliards de francs.
Par ailleurs, même si les chiffres varient et sil faut faire des calculs sur la base des chiffres demplois induits, on peut estimer que larrêt du réacteur aboutira à la suppression de 2 500 emplois.
Je métonne que, dans cette période de chômage où il est impossible de trouver un milliard de francs pour faire plaisir aux chômeurs durant la période de Noël, on puisse procéder ainsi et je serais tenté de dire cest lhomme qui parle que ce genre de problèmes devraient être réglés devant les tribunaux car on na pas le droit de bafouer les contribuables de la sorte.
Vous avez été élus par le peuple, cest vrai, mais vous navez pas le droit de faire nimporte quoi, cest pourquoi je conclus dans mon papier quau minimum un problème comme celui de Superphénix devrait donner lieu à un vote au Parlement. Ce serait une mesure dhonnêteté intellectuelle ! Si le vote était négatif, il me semblerait logique de sincliner car je suis démocrate mais je prétends que lon na pas le droit, dans les secrets de cabinets, pour des histoires de bulletins de vote de prendre des décisions sans procéder à aucune consultation.
M. Franck BOROTRA : Je souhaiterais poser une dernière question. Vous avez évoqué un problème qui nest peut-être pas directement lié à Superphénix. Il est vrai que chaque année des quantités importantes de déchets chimiques et de matériaux sont enfouies à lintérieur de mines de sel. Or, vous avez laissé entendre que leur traitement nétait pas sérieusement effectué et cela mintéresse.
M. Jean PRONOST : Vous trouverez dans les documents transmis larrêté du préfet du Haut-Rhin qui est daté de 1997 et qui donne le feu vert .
Vous me permettrez dattirer votre attention sur le fait quà la page 15, jai posé un certain nombre de questions et je pense que lorsque vous y aurez répondu, vous aurez considérablement avancé dans votre travail.
Vous navez quà me mandater pour y répondre et auditionner les personnes intéressées, je vous rendrai un rapport objectif. Je crois quil faut commencer par là et éviter de prendre des décisions sans connaître le sujet.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je crois, sur ce point, quil est impossible de répondre à lemporte-pièce. Nous allons réfléchir aux problèmes que vous posez sur la sûreté nucléaire de Superphénix, le coût de la poursuite du fonctionnement, limpact de larrêt sur lemploi. Ce sont en effet autant de questions auxquelles notre rapport doit répondre tout comme il doit répondre à celles portant sur lintérêt de Superphénix par rapport à Phénix et sur limpact quant à notre image de marque à lexportation.
Pour ce qui est du maintien ou non de la filière surgénératrice, cest également un aspect des choses que nous avons commencé à évoquer. En revanche, la comparaison des risques avec les autres déchets sort du cadre de la résolution créant notre commission denquête et donc de notre mission.
Jai cependant pris acte de votre disponibilité sur ces questions.
M. Jean PRONOST : Prenez cet appel comme un message dun citoyen à des élus du peuple.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai bien compris que vous nous livriez non seulement la réflexion de M. Pronost, expert auprès des tribunaux mais aussi celle de M. Pronost, citoyen.
Pour autant, dans la liste de nos auditions, nous navons pas prévu dauditionner des citoyens. Cest une méthode quexpérimente M. Le Déaut à lOffice lors des « Conférences de citoyens » et qui présente des difficultés dapplication considérables !
M. Jean PRONOST : Ma dernière phrase va peut-être vous choquer mais je suis allergique à la politique et je considère que lorsque vous aurez oublié les uns et les autres les couleurs politiques que vous représentez, alors vous aurez franchi un pas formidable !
M. Franck BOROTRA : Nous aurons peut-être franchi un pas formidable, mais en direction de la dictature parce que, malheureusement, à part la démocratie et lexpression du suffrage universel, les élus et lorganisation de la règle des partis, on na pas trouvé dautre solution si ce nest de priver les populations du droit à la parole.
M. Jean PRONOST : Je signale pourtant une chose importante quaucun de vous ne devrait ignorer, à savoir que les politiques énergétiques ont toujours été décidées par les présidents de la République que ce soit M. Mitterrand, M. Pompidou ou le général de Gaulle.
Audition de MM. Christian RIVAL,
Conseiller général du canton de Morestel, Maire de Morestel
et Jean-François BONNARD, Président du district du canton de Morestel
(extrait du procès-verbal de la séance du 14 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Christian Rival et Jean-François Bonnard sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Christian Rival et Jean-François Bonnard prêtent serment.
M. Jean-François BONNARD : Jai été élu au conseil municipal de Creys en 1971, adjoint la même année et maire de 1977 à ce jour. Jai donc suivi tout le déroulement du chantier de construction de Superphénix et jai assisté aux manifestations de 1975, 1976 et surtout de 1977.
Concernant le chantier et laccueil des travailleurs qui y ont participé, la commune de Creys a fourni des terrains à NERSA permettant linstallation de 120 caravanes et de 300 travailleurs migrants célibataires. Le déroulement du chantier a apporté beaucoup dactivité et donc beaucoup demplois 2 500 en période de pointe mais il na pas perturbé fondamentalement la vie de la commune bien que sa population ait été multipliée par quatre pendant quelques années. A la suite de la divergence de la centrale, en 1985, et de son couplage au réseau, en 1986, jai été témoin de tous les incidents techniques, et surtout administratifs, qui ont perturbé le fonctionnement de Superphénix.
Je peux comprendre en tant que citoyen quun Gouvernement comme celui de la France, issu de lexpression démocratique, puisse réviser les orientations énergétiques du pays, encore quil ne soit pas certain que la décision brutale de juin 1997 recueille lapprobation de la majorité des élus siégeant à lAssemblée nationale. En revanche, il mest impossible de comprendre que lon se prive dutiliser les combustibles disponibles avant darrêter la filière alors que cela aurait évité un gigantesque gaspillage dargent et aurait permis aux décideurs locaux de préparer plus sérieusement laprès-Superphénix.
De plus, ayant été mêlé à tout cela en tant que maire, je suis un peu désolé et écoeuré de la façon dont cela se termine. Nous étions partie prenante. Nous avons été dès le début les partenaires de lEtat et dEDF, et aujourdhui, nous avons limpression que nous sommes des « laissés pour compte » et que les décisions ont été prises dans notre dos, même si, bien sûr, ce nétait pas à nous de les prendre.
M. Christian RIVAL : Vous le savez, nous sommes entrés depuis longtemps dans lère du nucléaire et nen déplaise à Mme Voynet qui rêve déoliennes et de moulins à vent, nous y resterons. Jaimerais, pour ma part, que lon ne fasse pas semblant plus longtemps de loublier.
Cette centrale de 1 200 MW est la plus sûre de notre parc nucléaire ce nest pas moi qui le dis, cest M. Pierret, secrétaire dEtat à lindustrie.
Cette centrale en est au stade où elle est capable aujourdhui de produire lélectricité qui couvre ses frais de fonctionnement ce nest pas moi qui le dis, cest M. Strauss-Kahn, le ministre de léconomie et des finances.
Cette centrale produit lénergie la moins polluante et la plus écologique, celle qui ne contribue pas à augmenter leffet de serre ce nest pas moi qui le dis, ce sont les scientifiques réunis récemment à la conférence mondiale de Kyoto.
Cette centrale produit une électricité à 100 % française, qui assure à notre pays, dépourvu de réserves dénergie fossile, lindépendance énergétique pour des milliers dannées ce nest pas moi qui le dis, cest un constat qui a été fait par les plus hauts responsables politiques de ce pays, M. Jospin compris.
Cette centrale, la majorité du Parlement actuel y est favorable et sil y avait eu un vote, nous connaissons son résultat ce nest pas moi qui le dis, cest M. Bataille, et il sait, lui, de quoi il parle.
Je pourrais continuer longtemps ainsi, mais cest inutile. Cest inutile parce que, excusez-moi, M. le Ministre, tout le monde sen fout. Tous les arguments de raison raisonnante ny feront rien : Superphénix doit mourir parce quil est un symbole. Superphénix doit mourir parce que la politique, pire que la politique, lidéologie est passée par là. Tout le reste nest que littérature dans un théâtre dhypocrisie.
Superphénix doit mourir parce quà la suite dune dissolution hasardeuse, et ladjectif est aimable, le parti socialiste a remporté les élections législatives anticipées et sest retrouvé coincé dans les mailles dune alliance passée à la « va-vite » avec les Verts, lesquels, pour prix de leur ralliement, ont eu deux exigences : le canal Rhin-Rhône et Creys-Malville. Je le sais, vous le savez, tout le monde le sait, alors, pourquoi le taire ?
On a le droit dêtre « écolo », on a le droit dêtre antinucléaire. Mme Voynet, il y a deux jours, ici même la revendiqué. Je respecte son opinion, mais personne ne peut contester les faits que je viens dévoquer. Et comme mon opinion est tout aussi respectable quune autre, personne ne mempêchera de dire que lon a tué Superphénix parce que les partisans dune idéologie prétendument davant-garde mais qui nest jamais que « ringarde » et qui représente 3 % des Français, ont passé lalliance quil fallait au moment où il fallait.
Lennuyeux, dans cette affaire, cest quà faire passer ainsi son idéologie avant les devoirs de sa charge, on compromet lintérêt de la France il y a des personnes plus compétentes que moi pour en parler et très accessoirement, mais là aussi tout le monde sen moque, on sacrifie léconomie de toute une région et cela, je peux en parler !
Pour nous, le choc est très dur. Je ne fais aucun catastrophisme, je me contente de dresser un tableau aussi réaliste que possible, cest mon rôle de le faire. Toutes les enquêtes réalisées à ce jour démontrent indubitablement que les deux villes les plus touchées par la fermeture de Creys-Malville sont Morestel et Bourgoin-Jallieu. Mais leffet de masse sera bien moins considérable à Bourgoin-Jallieu avec ses 22 000 habitants quà Morestel avec ses 3 000 habitants.
Nous avons quatre cités EDF à Morestel. Le recensement que jai fait faire le 30 juin dernier atteste que les agents EDF et leurs familles représentent 503 personnes, soit un habitant sur six qui sen va. Leur départ, même étalé sur plusieurs années, équivaut à une perte de richesses humaines, économiques qui est une catastrophe sans doute jamais égalée dans toute lhistoire millénaire de Morestel. Cest cela la réalité.
Comme nous avons la chance de vivre dans une belle région où plus de 40 % des agents de la centrale ont investi pour leur résidence principale jattire votre attention sur ce chiffre qui constitue le record de France , ces départs représenteront donc autant de problèmes humains, autant de drames.
Et encore, ces agents sont-ils toujours assurés de toucher leurs salaires. Mais quid de nous qui resterons ?
Quid des entreprises prestataires qui, pour nombre dentre elles, sont déjà entrées dans la spirale infernale des licenciements, quand ce nest pas dans celle qui mène au dépôt de bilan et qui défilent, patrons et employés, dans le bureau du maire de Morestel qui, évidemment, nen peut mais ?
Quid des commerçants confrontés à des chutes de chiffres daffaires que nous avons fait estimer, après une enquête très sérieuse menée sur place dont je pourrai vous donner un exemplaire et qui conclut à une baisse moyenne du chiffre daffaires de lordre de 25 %, et plus vraisemblablement de 29 %, quand on sait quune baisse de chiffre daffaires de 5 % dans un commerce équivaut pratiquement à lassurance de baisser les rideaux, surtout lorsque lon a affaire à des petites entreprises en mal de trésorerie ?
Quid du marché immobilier local ? Je répète que 40 % du personnel EDF sont des propriétaires et quil existe quatre cités EDF sur le territoire de Morestel. Cest vrai aussi aux Avenières : deux cités, à Montalieu : une cité et à Bourgoin-Jallieu : quatre cités.
Quid des finances des communes privées de la taxe professionnelle, qui représente 6 millions de francs cette année pour Morestel, ce qui nest pas négligeable pour un petit budget ? Cela signifie autant de marchés publics que nous ne pourrons plus injecter dans léconomie régionale.
Quid des soixante-quatorze associations culturelles, sportives, sociales de Morestel, dont beaucoup dentre elles sont dirigées nous avons là aussi une enquête par des agents EDF ? Au-delà de la perte professionnelle et financière, cest toute une richesse humaine et intellectuelle qui sen va.
Quid de lemploi qui, si jai bien compris, était pourtant la priorité absolue et le mot dordre premier de ce Gouvernement ? Ce sont 3 000 emplois que nous perdons. Ce chiffre nest pas contesté par M. Aubert dans son rapport, même si le sien est peut-être légèrement inférieur, mais je veux bien admettre celui de 2 500 emplois. 2 500 emplois perdus dans notre région, avec les familles, cela fait 10 000 personnes touchées. Or, le canton de Morestel compte 20 000 habitants. Faites les comptes !
Je ne critique pas M. Aubert, lenvoyé de M. Jospin, qui est un grand commis de lEtat, et certainement une personne respectable et honnête, mais vous savez bien que toutes les opérations de reconversion en France ont été des échecs. La plus réussie fut dailleurs à lactif de M. Aubert, qui a réussi la reconversion du patrimoine communal après la fermeture des mines de La Mure. Dans cette opération, M. Aubert a retrouvé 55 % des emplois. Cest un record. Sil réussit à Morestel la même performance quà La Mure, nous sommes dores et déjà assurés de perdre un emploi sur deux.
Alors, quid des déclarations fracassantes de Mme Voynet qui a eu limpudence ou limprudence de dire quelle refournirait emploi pour emploi, ajoutant « à salaire et à qualification égaux ». Cela a fait sourire tout le monde, mais cela ne fait plus rire personne aujourdhui dans notre région.
Elle a même eu linconvenance de dire que le démantèlement de la centrale créerait des emplois. Dieu merci, M. Aubert a eu lhonnêteté de corriger et de dire que ce démantèlement créerait exactement zéro emploi.
Telle est la vérité brutale des chiffres. Cette fermeture intervient dans un climat économique qui était bon à Morestel. Leffet nen sera que plus foudroyant. Il faut savoir aussi que lon ne remplacera pas des salaires dagent EDF, qui sont tout ce quil y a de plus correct, par des emplois de « smicard ». Le panier de la ménagère sen ressentira, lemploi du futur est dépassé, car il sen ressent déjà.
Telle est la situation sur le terrain. Si nous sommes heureux de voir arriver cette commission denquête, nous lavions cependant appelée de nos voeux dès le mois de septembre. Si nous sommes heureux de ce fonctionnement de la démocratie, vous nous permettrez de penser quil est un peu tardif. Nous savons que Superphénix est mort. Nous ne pensons pas que, même avec les conclusions de cette commission, le Gouvernement revienne sur une décision si idéologique quil a voulue en dépit de tout bon sens.
Nous espérons seulement que cette commission se fera lécho du drame économique que vit notre région actuellement et nous comptons beaucoup sur vous pour laprès-Superphénix, parce que, de ce point de vue, il existe entre leffet dannonce du Gouvernement et la réalité que nous vivons sur le terrain, un véritable gouffre qui devient plus quinquiétant.
M. le Président : Lorsque lEtat a demandé la possibilité dinstaller la centrale de Creys-Malville aux communes, y a-t-il eu des engagements écrits de lEtat vis-à-vis de vous ? Des conventions ont-elles été passées entre vous et EDF, qui vous permettraient aujourdhui de défendre votre bon droit ?
M. Jean-François BONNARD : Jai bien connu cette époque puisque jai été élu maire en 1977.
Il faut savoir quà lorigine, EDF et NERSA avaient besoin de terrains. Il a fallu installer toutes les infrastructures nécessaires. En ce qui concerne lachat des 200 hectares du site, un comité de défense sest créé, ce qui est assez classique en France, parce que lestimation des domaines à 0,60 franc le mètre carré nous paraissait complètement ridicule. Finalement, les terrains se sont négociés entre 2,50 francs et 3 francs, ce qui était bien payé.
Linstallation sest passée sans expropriation, dans un large consensus local et, à lépoque, on nentendait pas parler dantinucléaires. Il ny en a pratiquement jamais eu chez nous.
Lorsque le chantier a démarré, EDF et NERSA ont eu besoin de terrains pour installer les ouvriers, les caravanings, les campings, etc. ; face aux 2 500 emplois créés sur le site, nous avions peu de logements disponibles, notamment peu de logements publics. La commune sest engagée à fond en cédant à EDF, en location, des terrains qui lui sont revenus après la fin du chantier. Nous avons maintenant un caravaning qui ne sert plus à rien, qui pourrait sans doute être réactivé, mais nous sommes malheureusement, ou heureusement loin des voies de communications.
Pour ce qui est des finances proprement dites et de ce point de vue, la commune de Morestel est encore plus concernée que la mienne , nous avons été autorisés à souscrire des prêts « grands chantiers », cest-à-dire à emprunter de largent qui serait remboursé par le paiement futur des taxes professionnelles de la centrale.
Partout où cela sest fait en France, quand les centrales fonctionnent, cela na posé aucun problème parce que le montant des taxes professionnelles est important et permet de rembourser les emprunts. Chez nous, cela a été dès le début un véritable casse-tête chinois puisque nous avons commencé à rembourser deux ans après la divergence, en 1987, et quun arrêt est intervenu en 1988. Nous avons donc remboursé deux annuités à peu près normalement et, depuis, avec les arrêts administratifs et politiques quil y a eus, nous payons très irrégulièrement et la Caisse des dépôts est sans arrêt sur notre dos, disant que nous devons payer puisque nous avons signé.
Heureusement, larticle 10 de la Convention, que nous connaissons tous par coeur, stipulait quen cas darrêt prolongé ou définitif de la centrale, nous naurions pas à rembourser les emprunts. Seulement, cette convention avait été signée avant la décentralisation, par les représentants de lEtat, et NERSA dit une fois oui et une fois non. Le contentieux juridique entre les communes et la Caisse des dépôts est important et, à cet égard, nous ne savons pas où nous allons. On nous a promis maintenant que nous naurions pas à finir de les rembourser.
Le problème est aussi que certains ont payé plus que dautres, mais pour régler cela, il suffit dune étude. Mais nous avons aussi appris que, dans notre dos, une réflexion est menée qui tendrait à dire que certains peuvent payer et pas dautres. Nous ne sommes pas daccord et nous nous battrons sur cette question.
M. Marcel DEHOUX : Je suis élu du Nord. Député et maire depuis 1977, jai connu des reconversions dans le textile, la sidérurgie et les mines et je sais que, derrière les promesses de crédits de conversion, il y a la réalité du terrain, qui fait que les promesses nengagent souvent que ceux qui les écoutent, quels que soient dailleurs ceux et celles qui les font. Je mesure donc la difficulté devant laquelle vous vous trouvez. Devant ce choc économique, le devenir nest pas évident.
Quel est actuellement le taux de demandeurs demploi sur le secteur ? Avez-vous pris des engagements financiers importants qui vont vous poser des difficultés à lavenir ?
Par ailleurs, jaimerais savoir quel était létat de lopinion chaque fois quun des nombreux incidents se produisait. Aviez-vous eu des réclamations, des montées de manifestations ? Ou cela passait-il par pertes et profits, et personne ne protestait ?
M. Jean-François BONNARD : Les incidents ont été nombreux mais jinsiste sur le fait quils ont été plus administratifs et politiques.
Les deux incidents techniques importants ont été la fuite du barillet en 1988, qui na jamais remis en cause la sûreté, et une affaire de pollution du sodium par un joint défectueux dune pompe à air. Je ne suis pas un spécialiste, évidemment, mais cela na jamais traumatisé la population ni les gens qui travaillaient à la centrale.
Les mille agents EDF et les mille prestataires de services, ou les cinq cents si vous voulez, qui travaillaient là-bas étaient nos amis, nos voisins, nos parents. Ils faisaient passer linformation à lextérieur. Et nous navons jamais eu lombre dun problème de ce point de vue.
Dans un scénario catastrophe, on nous avait dit, au début, que la population de nos communes allait disparaître. La mienne comptait 373 habitants, ils sont 1 070 maintenant.
On nous avait dit que les terrains ne vaudraient plus rien et les maisons aussi. Actuellement, sur ma petite commune, dix à douze maisons neuves sont construites chaque année ; dans les années 60, il sen construisait deux par an.
Jamais la population locale ne sest sentie inquiète de ce qui se passait à Malville. Je peux en témoigner.
M. Christian RIVAL : Jabonde complètement dans le sens de ce que vient de dire M. Bonnard. Je vous prie de croire que lon vit très bien à lombre de la centrale. Il ny a pas de psychose, croyez-moi bien.
EDF, il est vrai, a été nulle sur la communication depuis vingt ans. Cest un domaine quils ont totalement ignoré. On a laissé dire et laissé faire par voie de presse des campagnes organisées et orchestrées.
Je me rappelle quune année jétais parti une dizaine de jours en vacances. Je rentre et parcours le « Dauphiné libéré ». Il titrait sur trois colonnes à la une : « Incendie à la centrale ». Il fallait bien faire de la copie au mois daoût. Lincendie à la centrale, renseignements pris en catastrophe, avait touché la petite station météo qui se trouve à près dun kilomètre de la Centrale qui, en raison du soleil et dun morceau de verre cassé, avait pris feu. A un kilomètre de la centrale, il y avait des traces de brûlure sur un mètre, au milieu des champs ! Et cela a toujours été comme ça.
Les seuls incidents que nous ayons connus, jy insiste, nont jamais été que des incidents de tuyauterie. Faites-nous la grâce de penser que le premier souci des maires que nous sommes a été la sécurité.
Comme je vous lai dit, 40 % des agents EDF se sont installés sur place. Eux savent de quoi ils parlent en matière technologique et ils ne sont pas, a priori, plus masochistes que vous ou moi. Cest sans doute une idée simple, voire simpliste, mais je pense que nous avons besoin de revenir à quelques idées simples et quelques vérités premières.
Pour en venir à votre première question sur lemploi, le taux de chômage à Morestel est un peu moins bon que sur le canton. En tant que maire, je reçois chaque mois la liste de lANPE. Jai 189 chômeurs sur 3 000 habitants à ce jour. Nous devons être dans la moyenne nationale et je « galère », comme tout maire, pour essayer de trouver des emplois à ces personnes. Je prends mon téléphone et appelle les cinq ou six chefs dentreprises que je connais, qui sont des amis. Ils me répondent quà lheure actuelle, leur problème nest pas dembaucher mais de ne pas débaucher.
Comment voulez-vous quajoutés à ceux-là, nous ayons 3 000 chômeurs supplémentaires ? Comment voulez-vous que nous résolvions seuls ce problème ? Je dis simplement, au risque dêtre simpliste, mais jaime bien, que les casseurs doivent être les payeurs et quil faudra bien que lEtat assume les conséquences de ses décisions. Quand on enlève des emplois, il faut en remettre.
Je demande des délocalisations. Jen ai assez des subventions. Cette mentalité est très en vigueur à lheure actuelle, mais les subventions ne mintéressent pas. Ce nest pas notre mentalité, dans notre coin. Nous, nous voulons du travail. On nous enlève 3 000 emplois, que lon nous redonne 3 000 emplois. Cela évitera de constituer tous ces comités qui ne vont servir quà payer quelques fonctionnaires grassement mais qui namèneront pas demploi. Je demande des délocalisations.
Lorsque M. Bonnard et moi sommes allés voir M. le Préfet de lIsère, représentant de lEtat, le 25 février, il nous a dit : « Soyez tranquilles. Vous pouvez compter sur nous. A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels ». A cette heure, nous navons rien vu venir. Zéro.
Javais répondu que nous voulions des délocalisations. On a su délocaliser lENA et lamener de Paris à Strasbourg. Je prends un exemple volontiers frondeur. Pourquoi ne pas lamener de Strasbourg à Morestel ? Si ce nest pas lENA, que ce soit la SEITA ou autre chose, mais quon nous redonne des emplois.
Aujourdhui, on nous répond que les délocalisations coûtent trop cher. Je le sais bien, mais que lon ne vienne pas me parler de gabegie financière dans cette affaire. Je me moque que les délocalisations soient un gouffre financier. Que lon assume les conséquences de ses actes ! Ce nest pas en recevant des primes que nous nous en sortirons.
Pardonnez-moi si je déborde un peu, mais je vais vous parler de ces primes. Dans les mesures de Matignon annoncées dès le soir du 2 février, qui couvraient cinq ou six pages, étaient notamment envisagées des primes à laménagement du territoire. Le canton de Morestel serait mis en zone éligible pour les primes PAT, ce qui permettrait dattirer des entreprises qui bénéficieraient dune fiscalité avantageuse droits de mutation en partie exonérés, etc. Je suis notaire de profession et je sais limpact que de telles mesures peuvent avoir car les entreprises, on ne les fait pas venir avec des promesses mais avec du concret.
Je ne critique ni M. Aubert, ni M. Perronet, son bras droit. Le dossier a été fait. Ils lont déposé. Pourquoi Mme Voynet la-t-elle bloqué sur son bureau volontairement, pour quil ne parte pas à Bruxelles ?
Mme Voynet a gagné. Cela ne lui suffit-il pas ? Faut-il que lon nous appuie sur la tête alors que nous sommes déjà sous leau ! Cela suffit. La paranoïa à ce degré, cest inconvenant. Elle a gagné, largement gagné, la région est morte, quelle ne fasse pas en sorte que nous soyons tous réduits à létat de cadavres économiques ! La décision politique est tombée. Très bien. Un Gouvernement démocratiquement élu a fait passer son idéologie. Très bien. Mais que lon ne nous enfonce pas plus !
On nous a dit que nous recevrions 10 millions de francs par an de lEtat, abondés à hauteur de cinq millions de francs par EDF et ce, pendant cinq ans. Je vous fais remarquer que la centrale de Creys-Malville injectait 300 millions de francs de salaires par an, auxquels il faut ajouter 300 à 350 millions de francs de richesses induites, injectées également sous des formes diverses dans la région, soit près de 650 millions de francs que lon nous enlève dun trait de plume. Et lon nous dit, généreusement, que lon va nous donner 15 millions de francs par an pendant cinq ans. De qui se moque-t-on ? Cest vouloir éteindre un incendie avec un verre deau.
Sur ces 15 millions de francs de misère, il y a 10 millions de lEtat. Bien entendu, il na pas été précisé qui devrait payer. M. Strauss-Kahn refuse de payer disant à Dominique Voynet quelle la voulu, et quelle na quà payer. Mme Voynet, bien sûr, refuse. Pourquoi a-t-il fallu que M. Jospin doive faire un courrier pour ordonner au ministère de lenvironnement de payer ? Pourquoi a-t-il fallu que M. Perronet et dautres remontent de la région en sindignant de ce que le dossier des primes PAT à laménagement du territoire, qui est vital, nait toujours pas été déposé alors quil avait été fait dans la semaine qui suivait ? Ce nest pas normal. La plaisanterie a assez duré.
Sur le terrain, nous navons aucune mesure concrète. Il a fallu que ce soit moi qui trouve à la cellule de reclassement, annoncée pourtant avec grand effet de média, un emplacement à Passins, à côté de Morestel. Elle était cantonnée depuis deux mois et demi à la sous-préfecture de la Tour du Pin dans des bureaux impossibles à gérer. Ils se sont enfin installés. Ils fonctionnent avec des ordinateurs fournis par EDF, qui ne sont pas compatibles, et nont même pas une photocopieuse. De qui se moque-t-on ?
M. le Président : Vous avez adopté tout à lheure, sur lavenir de Superphénix, un propos délibérément défaitiste. Mais je puis vous assurer que jamais dans lesprit des membres de cette commission na été exclue lidée que nous pourrions demander la réouverture de la centrale.
M. Christian RIVAL : M. le Ministre, vous êtes un politique. Jen suis un également, à un degré beaucoup plus modeste. Je ne doute pas quune telle possibilité nait pas été exclue de vos esprits, mais, dans la réalité, vous savez très bien que Superphénix est mort.
M. le Président : Je vous réponds que non.
M. Christian RIVAL : Je suis heureux de vous entendre et jespère avoir tort, vous ne pouvez pas savoir à quel point.
M. le Président : Jentreprends là une discussion de fond avec vous : il faut bien vous rendre compte que ce quun Gouvernement a fait, un autre peut le défaire et ce quun Gouvernement a défait, un autre peut le reprendre. Ce serait le but de notre commission denquête dès lors quapparaîtrait très clairement la nécessité pour notre pays, et lavenir de notre pays, davoir une filière de réacteurs à neutrons rapides dont Superphénix aurait été le prototype. Ne partez pas battus.
M. Christian RIVAL : Nous nous sommes battus comme des chiens pendant neuf mois, et navons rien vu venir. Nous avons des populations auxquelles il nous faut maintenant expliquer la réalité. On ne peut les bercer de faux espoirs. Jespère vivement que vous ayez raison, mais les hommes étant ce quils sont et la politique étant ce quelle est, permettez-moi dêtre sinon pessimiste, du moins réaliste.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Notre région ne craint pas le nucléaire
MM. Bonnard et Rival lont dit puisque nous avons également la centrale de Bugey qui est à la limite de lIsère et de lAin. Mais nous devons replacer le projet du surgénérateur dans le contexte des années 1970, lorsque les écologistes se sont emparés du sujet, présentant le surgénérateur comme un danger pour lhumanité, la France et la région.
Cette technologie française, combattue par quelques écologistes français mais aussi étrangers, avec peut-être des intérêts étrangers forts derrière, a été soutenue par le Gouvernement de lépoque. Nous avions alors en Isère un préfet de choc, M. Janin. Mandaté par le Gouvernement, il a rencontré les élus, a fait passé le message et, soutenu par ceux-ci, après leur avoir fait valoir une taxe professionnelle importante, il les a incités à investir pour accueillir des populations nouvelles, celles des personnels de la centrale mais aussi, avant elles, celles du chantier.
Les élus se sont engagés. Aucun deux na jamais « rechigné ». Que ce soit à Bourgoin-Jallieu, à la Tour du Pin ou dans le canton de Morestel, nous avons tous soutenu ce projet dintérêt national pour lindépendance énergétique de notre pays et la technologie française.
Après la procédure du grand chantier, il y a eu la procédure, initiée par EDF et soutenue par le Conseil général de lIsère, de laprès-grand chantier qui permettait aux entreprises et aux employés, mais surtout aux entreprises et aux collectivités, de bénéficier de soutien pour les aider à compenser lactivité existant pendant la période de chantier. En fait, ce type de procédure est normale après chaque grand chantier.
Cest dire combien les élus et les populations sont aujourdhui blessés et meurtris, mortifiés par cette décision politicienne du Gouvernement, dautant que celle-ci, on sen rend bien compte au cours des auditions que nous avons, na pas réellement fait lobjet dun débat démocratique au sein de la gauche plurielle. Il y a eu une décision préélectorale, alors que le ministre de lenvironnement disait encore avant hier quil fallait un débat démocratique.
Je reprendrai une remarque qui a été faite par M. Rival : il est vrai quEDF na jamais su communiquer. Cest certainement le reproche que nous pouvons lui faire. Ce sont des techniciens, des scientifiques et, face aux écologistes, ils étaient plutôt nuls.
La commission locale dinformation a été créée. Quelques écologistes venaient à ses réunions, dont un de Grenoble M. Avrillier qui est maintenant adjoint de M. Destot.
Jai repris espoir en écoutant M. Curien, homme dont nous connaissons les compétences, les qualités, le bon sens et les responsabilités quil a eues au sein du Gouvernement socialiste. Je lui faisais remarquer quen 1981, les gouvernements de gauche nétaient pas pour le nucléaire mais quils y sont venus, confrontés à la réalité et aux nécessités de léconomie car ils ont bien compris que cétait la chance de la France, tant du point de vue écologique quénergétique. La décision de fermer Superphénix est certainement douloureuse pour un homme comme M. Curien, qui nous a dailleurs expliqué hier que Phénix est un laboratoire, un centre de recherches, qui ne peut bien fonctionner quavec Superphénix.
En tant que commission denquête, nous devons faire prévaloir ces points essentiels pour lavenir de la recherche et de la production dénergie pour notre pays. Les éoliennes, pourquoi pas ? Bien sûr, il faut faire des économies. Naturellement, nous sommes tous écologistes mais il faut aussi être réaliste. Lêtre en la matière, cest prendre en compte la fabrication de lélectricité par le nucléaire, car celle-ci est nécessaire pour que le niveau de vie de la France, des Françaises et des Français, se maintienne et même progresse.
Au début de nos travaux, Mme Rivasi avait fait remarquer que celle-ci devait écouter et ne pas prendre position sur la décision concernant Superphénix. Le Gouvernement avait tranché.
On sent bien, actuellement, que celui-ci se pose des questions. A nous de lui faire comprendre que cest lintérêt de notre pays de maintenir Superphénix.
Il faut brûler le cur sous peine dun gaspillage extraordinaire. A la commission dêtre très déterminée.
Il faut comprendre le désarroi des élus locaux qui, malgré les promesses ne voient rien venir. Localement, cest le drame. Localement, cest dhommes dont il sagit. Le jour de lannonce du Premier ministre fut dramatique. Des personnes dEDF ou hors EDF pleuraient car, dans ce monde difficile où nous vivons, lemploi doit être la priorité. Ces gens étaient fiers de travailler à Superphénix, fiers dapporter leur contribution à lévolution et au soutien de notre société et de notre économie. Par une décision politicienne, on leur a dit que tout était terminé, quils pouvaient sen aller, quon leur donnerait peut-être de largent.
Mais quest ce que largent face au travail ? Face à lemploi qui est la dignité de lêtre humain ? Alors, il faut comprendre la volonté des élus, des populations, des salariés de cette région, de se battre. Lorsque M. Aubert est venu il y a quelques mois pour sexpliquer, il a bien compris quil faisait fausse route. Les populations et les entreprises ne peuvent plus attendre et souhaitent que le Gouvernement sengage. Lorsque jai posé à Mme Voynet la question sur les PAT, elle ne ma pas répondu. On sent bien que ce ne sont que des promesses.
M. le Président : En 1981, le Gouvernement a décidé un moratoire sur le nucléaire avec lambition darrêter la construction dun grand nombre de centrales. Je voulais vous dire quil ne faut pas désespérer et quil est possible de faire reculer les gens qui prennent les décisions lorsque celles-ci ne correspondent pas à lintérêt général.
M. Christian RIVAL : Jenregistre ce que vous dites. Cependant, Superphénix est un symbole, cest la tête de pont de la filière nucléaire et Mme Voynet car nous savons tous qui est responsable dans cette affaire est Mme Voynet. Lors dune réunion que nous lui avions arrachée à Marcy-lEtoile, nous étions une dizaine de personnes autour de la table, dont un délégué CGT qui, après avoir entendu son discours, lui dit quà lentendre, cétait grave car il en arrivait à penser quelle nétait pas seulement contre Superphénix mais contre toute la filière nucléaire, pensant bien quelle allait protester et se « défausser ». Nous étions hors micro, et la réponse est tombée, sèche : « Monsieur, vous ne laviez-vous pas encore compris ? ».
Cest ça la réalité. A ce jour, je dois le constater : Superphénix est mort.
Voyez déjà la campagne lancée contre La Hague. Derrière, cest toute lindustrie nucléaire qui est en cause, cest lindépendance énergétique de la France qui sen va. Au-delà dune région sacrifiée, cest lavenir de ce pays qui est menacé. Messieurs, faites attention ! Mme Voynet représente 3 % décologistes ; avec ces 3 %, elle a déjà fait beaucoup de mal. Elle se targue dêtre le « poil-à-gratter » du Gouvernement. Mais le « poil-à-gratter », quest-ce que ça fait du bien quand ça sarrête !
M. Jean-Bernard RAIMOND : M. le Président, je ne veux pas poser une question mais ce que je vais dire sera inspiré par lexcellente déposition que nous venons dentendre et par des propos tenus récemment par Mme Voynet. Elle attaquait le lobby nucléaire disant que celui-ci était notamment le fait de fonctionnaires quil fallait chasser.
Le lobby nucléaire,... cest absurde ! Le mot lobby est un mot très calomnieux dans certains cas.
Jai été fonctionnaire toute ma vie et jai toujours adhéré aux politiques nucléaires des gouvernements, à commencer par celui de M. Pompidou. Jétais ministre des affaires étrangères depuis un mois au moment de Tchernobyl le 26 avril 1986, et je rentrais de Moscou. Jétais donc bien placé pour apprécier la situation. Je me suis trouvé à Bruxelles le seul à mopposer au délire qui sétait emparé des onze autres ministres européens. Certains ne disaient rien, mais je me souviens notamment des Italiens qui voulaient imposer en Occident, aux centrales française et autres, des normes draconiennes. Je me souviens très bien de cette bagarre que jai menée tout seul javais évidemment lappui de MM. Mitterrand et Chirac, cétait une période de cohabitation pour empêcher que soient appliquées à nos centrales des normes établies sur ce qui sétait passé dans une centrale soviétique. Est-ce alors appartenir au lobby nucléaire ou est-ce être un homme raisonnable et représenter des gouvernements français raisonnables ?
Ces propos sont inadmissibles.
Cadarache est dans ma circonscription. Lorsque jétais ministre, ce nétait pas ma circonscription. Je connais bien Cadarache, jy suis allé souvent. La dernière fois, le nouveau directeur général, M. de la Gravière, après mavoir instruit de certains points très positifs Cadarache va devenir un centre de recherche essentiel du CEA ma annoncé quil allait me montrer quelque chose que, sans doute, lon ne mavait jamais montré. Il existe, à Cadarache, dimmenses hangars où sont entassés des matériaux qui ne sont absolument pas radioactifs, mais qui sont simplement là parce quils ne savent pas quoi en faire. A cause du lobby antinucléaire, ils consacrent un espace considérable à entasser des matériaux inoffensifs dont ils ne peuvent rien faire pour le moment.
Je pense, M. le Président, quil serait bien daller à Cadarache ne serait-ce que pour voir ces monceaux de résidus de matériaux qui ne sont absolument pas radioactifs. Cest très révélateur de la pression qui sexerce sur cette superbe industrie.
M. le Président : Un grand journal, ce matin, disait très simplement que laffaire des wagons contaminés était telle que les agents de la SNCF auraient été mieux inspirés de fumer quatre cigarettes que de se trouver à proximité des wagons. On nage en plein délire ! Mais cest un délire idéologique.
M. Christian RIVAL : Face à un tel désastre, que pourrions-nous ajouter ? Nous sommes, de fait, même si lon peut espérer que ce soit provisoire, dans une situation daprès-Superphénix. Lorsquil y a le feu à la maison, les promesses ne suffisent plus. La seule circonstance atténuante que je puisse accorder à ce Gouvernement, cest quil faut du temps pour des décisions. Pour lui, trois mois, ce nest peut-être pas beaucoup car il faut notamment les agréments à Bruxelles. Mais pour nous, sur le terrain, cest abominablement long. Que pouvons-nous dire, M. Bonnard et moi-même, aux chefs dentreprises qui viennent nous voir ? Il ny a pas de sous. Jai eu laudace de demander quel était le chéquier de la cellule de reclassement. Javais manifestement prononcé un mot grossier. On ma dit : « Vous ny pensez pas ? Des fonds publics ? ». Mais si, jy pense, je ne pense même quà cela. Comment voulez-vous essayer de reclasser un salarié à soixante kilomètres de son emploi actuel, qui aura des frais de déplacement, si vous nalignez pas de chèque en face ? Il ny ira pas.
Il ny a pas de moyens. Il y a eu de beaux effets dannonce, mais personne ne veut payer. Si cette volonté annoncée haut et fort ne se manifeste pas haut et fort dans des réalisations concrètes sur le terrain, comment voulez-vous quon sen sorte ? Regardez la réalité du terrain. Ça, ce nest pas des discours. Nous ne pouvons pas, nous, petits maires, avec nos petits moyens y faire face. Que lEtat assume jusquau bout les conséquences de ses décisions. Ce nest pas nous, élus locaux, qui pourront réparer.
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de MM. Paul LAVIE et Yann WOLFF,
Vice-présidents du Comité de soutien à Superphénix
(extrait du procès-verbal de la séance du 14 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Paul Lavie et Yann Wolff sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Paul Lavie et Yann Wolff prêtent serment.
M. Paul LAVIE : M. le Président, je vous prie dexcuser labsence de M. Willy Delben, président du comité de soutien à Superphénix, qui tourne dans toute la France actuellement pour rechercher des débouchés à son entreprise et tâcher de préserver les emplois qui lui restent aujourdhui, puisquil a malheureusement dû licencier la moitié de son personnel.
Le Comité de soutien à Superphénix est une association « loi de 1901 » qui a pour but de défendre Superphénix et le nucléaire civil en général. Sa finalité était dobtenir un débat à lAssemblée nationale sur lavenir de Superphénix. Nous navons pas ce débat, mais une commission denquête. Dont acte.
Cette association est née le 12 juin 1997 et compte actuellement 7 300 membres issus de lindustrie nucléaire EDF et sous-traitants , de la société civile
tous les élus de la région, quelle que soit leur tendance politique, artisans, commerçants, journalistes , du monde scientifique ingénieurs, étudiants, physiciens,. ainsi que des personnes, intéressées par le progrès technique, de France et du monde entier Japon, Russie, Chine, etc. .
Cette association est totalement apolitique et sefforce dêtre totalement intègre dans son discours et dans les documents quelle communique.
Nous nous battons depuis dix mois sans beaucoup de résultats. Votre commission nous permettra peut-être un jour de connaître les raisons de la fermeture de Superphénix, que lon justifie aujourdhui par des raisons économiques puisque les raisons de sûreté, en accord avec MM. Pierret, Strauss-Kahn et notamment Mme Voynet, ne sont pas en cause. Où sont les études chiffrées qui démontrent quéconomiquement Superphénix doit être arrêté, quil sera plus économique de larrêter que de le faire fonctionner ? Au niveau local, limpact est énorme, au niveau scientifique et technologique également. Cette enquête a-t-elle été faite, qui permettrait de justifier autrement quidéologiquement larrêt de Superphénix ?
M. le Président : La réponse à votre question est claire : nous navons trouvé aucune trace, nulle part, à ce jour, détudes sérieuses comparant la solution de larrêt à celle du fonctionnement, en particulier sur le plan de léquilibre financier.
M. Yann WOLFF : Je ne sais sil est possible de retracer lhistorique de Superphénix rapidement, aussi nous sommes-nous attachés à rappeler des faits marquants.
Dans les années 1970, le projet Superphénix a été lancé. Il était fondé à lépoque sur lutilisation du couple uranium 238-plutonium 239. La France était soumise alors à de fortes tensions énergétiques. Nous aimerions bien inviter nos hommes politiques à se rappeler de lépoque où lopinion publique était affolée par la perspective dun rationnement en énergie. En 1970, la population avait peur dêtre obligée de stocker du supercarburant dans les caves.
La France dispose, à cette époque, de Rapsodie, petit réacteur expérimental de Cadarache qui fonctionne bien, et sapprête à démarrer Phénix à Marcoule.
Le programme Superphénix est alors lancé dans le cadre de NERSA, une société européenne. Le chantier va sétaler de 1975 à 1985, dans un climat de délire complet et de dureté extrême de la contestation antinucléaire. Celle-ci est alors savamment orchestrée alors que les industriels sont passés, eux, à côté de la communication.
On peut retenir de cette époque deux faits marquants :
Dune part, la manifestation de 1977 30 000 personnes, un mort, une centaine de blessés, et pour notre malheur, des futurs ministres qui viennent en vacances à Malville fumer leur premier pétard. Il en reste aujourdhui, dans les médias, limage dune manifestation pacifiste. Pour les habitants de la région qui sen souviennent, ces pacifistes étaient très souvent armés de bâtons, de casques et de cocktails Molotov. Pour sen persuader, il suffit de lire, par exemple, « La gueule ouverte », lorgane officieux de la contestation antinucléaire.
Dautre part, lattentat à la roquette de 1982 contre le bâtiment réacteur pour lequel est soupçonné Carlos. Cest de lécologie pacifiste appliquée !
De 1986 à 1990, le chantier est fini, la région a fait un bond en avant. La centrale produit ses premiers kilowatts et, exceptées quelques modifications, le résultat est bon.
En 1987, un choix métallurgique malheureux pour lacier du barillet de stockage relance la polémique. Sans conséquence pour la sûreté, cela aura une forte incidence médiatique.
De 1990 à 1995, la centrale vit une période de doute important. Cest le début du lâchage politique et des tracasseries administratives permanentes. Jen prendrai pour meilleur exemple lenquête publique de 1992 à 1995 qui est un non sens complet parce quon a vu EDF et NERSA aller demander lautorisation de construire Superphénix alors que la centrale existait. Mais cela a représenté trente-six mois darrêt dans la vie de la centrale.
Superphénix a fait lobjet dun acharnement médiatique complètement délirant, sans précédent ; jen prendrai deux exemples :
La CRII-RAD, chère à votre collègue Mme Rivasi, qui réussira lexploit daller trouver du plutonium dans le Rhône ! A lépoque, cela a fait les gros titres des journaux pendant trois semaines. Après une étude sérieuse, on sest aperçu que les traces de plutonium en question venaient des essais militaires atmosphériques des années 1960, mais le mal était fait dans lopinion publique.
Le second exemple est lincendie, en 1996, dun transformateur principal à la centrale de Bugey. Les médias sont immédiatement venus à Creys-Malville demander ce qui sétait passé.
En 1996, cest le bout du tunnel. Un décret autorise la centrale à fonctionner. Elle est techniquement prête. Cette année-là, elle fonctionne 250 jours, produit 3,5 milliards de kWh et présente un budget de fonctionnement équilibré. En 1996, Superphénix a, pour la première fois, gagné de largent.
En 1997, alors que la centrale sarrête pour une maintenance décennale en vue de son exploitation future, cest la descente aux enfers. Cela commence en janvier par un recours présenté devant le Conseil dEtat par le WWF de Genève pour lanecdote, ce recours a été préparé par un certain cabinet Lepage pour la modique somme de 3 millions de francs. Je pense donc que dans le nucléaire, il y a effectivement une affaire de lobby, mais que celui-ci nest pas forcément là où on limagine.
Lorigine de ce recours devant le Conseil dEtat est que le décret axe Malville sur la recherche et que le WWF de Genève, via le cabinet Lepage, dit que lenquête publique est viciée puisque cest un outil de production délectricité et que, étant devenu un appareil de recherche, il ne produira plus délectricité, ce qui est complètement délirant et faux. Mais cela a suffit devant le Conseil dEtat.
En juin, notre opposante de toujours devient la tête de file dun nouveau concept : mes voix contre mes caprices. Pour nous, cest la fin, en cela nous rejoignons lopinion de nos élus locaux, hormis les quelques joutes politiciennes qui restent à faire.
Après ce bref historique, nous nous sommes livrés à une analyse des possibilités qui soffraient au Gouvernement.
A larrivée du nouveau Gouvernement, trois solutions sont en présence : arrêter immédiatement, brûler le combustible existant ou exploiter jusquen 2015, ce qui était initialement prévu.
Nous avons considéré les avantages et les inconvénients de larrêt immédiat.
Les avantages sont : le respect de la parole du Premier ministre, lentrée très médiatique de Mme Voynet au Gouvernement, la revanche des opposants de 1977.
Linconvénient majeur est que lon jette à la poubelle un prototype payé et prêt à fonctionner. Que lon arrive à être contre Superphénix tout en étant pour Phénix et pour la loi Bataille ce qui est un effort politique notable , cela a franchement choqué tous les techniciens qui connaissent un peu la filière. Phénix est un bon outil, qui a bien rempli sa mission, mais être à la fois pour Phénix et contre Superphénix relève du non-sens technique le plus complet.
Autre inconvénient : on fait supporter à EDF le surcoût du démantèlement du combustible neuf. Il est dautant plus aberrant de démanteler du combustible qui na jamais servi quil va falloir beaucoup dargent pour le faire. Je nai pas les chiffres exacts, mais ce doit être de lordre de 2,5 milliards de francs.
On assiste au départ des partenaires européens qui avaient participé à NERSA depuis le début. Les Allemands sont en train de partir cest déjà fait, mais les textes ne sont pas encore signés , les Italiens sont en cours de négociation. Le surcoût pour EDF sera de lordre de 10 milliards de francs. Cest une façon assez bizarre de faire des économies.
Enfin, cet arrêt immédiat ne laisse à personne le temps de se reconvertir.
La deuxième option brûler le combustible existant permettait de respecter la parole du Premier ministre Concorde avait été abandonné, mais lon va encore tous les matins en Concorde à New York et la loi Bataille je ne comprends pas lintérêt de continuer la transmutation dans le cadre de la loi Bataille avec Phénix parce que si Phénix démontre la faisabilité de la transmutation, il faudra passer au stade industriel, doù lutilité de Superphénix. On aurait pu, aussi, économiser les frais de recherche liés au démantèlement du combustible et éviter le départ des Européens, laisser à tout le monde le temps de se reconvertir puisque le brûlage dun cur et demi impliquait une exploitation jusquen 2003-2004 ou six ou sept ans pour reconvertir une région, cest plus intelligent que deux mois. Cela aurait permis enfin dhonorer nos engagements européens.
Le seul inconvénient de cette solution est quelle ne satisfait pas les opposants précédemment évoqués.
La troisième solution, exploiter jusquen 2015, présente à peu près les même inconvénients et les mêmes avantages. Elle offre dautres avantages, cest de laisser ouverte la voie de la surgénération pour le futur et permet dobtenir un retour dexpérience significatif.
Je vous donne quelques chiffres sur larrêt et le démantèlement.
En juin 1997, il y avait 700 personnels EDF et 600 prestataires de services. En 2004, on imagine aujourdhui quil y aura 60 personnels EDF et 80 prestataires. On est loin des milliers demplois promis par Mme Voynet et Mme Sené en juin 1997.
Nous ne parlerons même pas de latout annoncé par le ministère de lenvironnement, à savoir revendre à lexport les techniques de démantèlement dun prototype que nous sommes les seuls à posséder !
Les conséquences de larrêt de Superphénix sont la disparition de la filière des réacteurs à neutrons rapides en France. Phénix ne passera pas lan 2000, nous sommes tous daccord sur ce point. Superphénix nexistant plus, le délire médiatique va se déchaîner sur Phénix. Jen prends pour preuve un recours déposé la semaine dernière par une association qui sappelle « Forum plutonium » devant le tribunal administratif contre le redémarrage de Phénix. Faire la part du feu face à ces gens-là ne sert à rien. Ils ne sarrêteront pas. Plus ils gagneront, plus ils se battront.
Ce sont quarante ans de recherches perdues. Je ne pense pas quun ou deux laboratoires détudes du CEA arriveront à maintenir une veille technologique suffisante sur les réacteurs à neutrons rapides.
Aujourdhui, la France parie sur léchec japonais. Monju, daprès les dernières informations dont nous disposons, sapprête à redémarrer à lhorizon 2000-2001.
La France abandonne délibérément la transmutation. Phénix nest quun leurre. Lintérêt dabandonner la transmutation est le même quabandonner le retraitement à La Hague, cest de tuer le nucléaire. Le jour où les sites seront dans la situation américaine et devront stocker leur combustible usé sur site et relancer des procédures denquêtes publiques pour fabriquer des cimetières à combustible à côté des centrales, lancrage dans les populations locales, qui existe aujourdhui, nexistera plus.
Les conséquences socio-économiques sont 2 500 emplois sacrifiés, soit 50 % des emplois du canton. Morestel, ville principale du canton, possède le tissu commercial dune ville de 6 000 à 8 000 habitants et des équipements collectifs qui, demain, seront surdimensionnés.
Les conséquences sont également psychologiques, avec un sentiment généralisé de dégoût et de gâchis dans la région, avec le sacrifice de situations personnelles pour le bien dune certaine politique et les promesses invisibles du Gouvernement. Les membres du comité de soutien ont très mal vécu cette décision purement politique et le fait que les promesses soient invisibles, cest la goutte qui fait déborder le vase.
Pour finir, nous avons fait un bêtisier.
Nous commençons en 1975 par « La gueule ouverte » : « Hitler toujours vivant ! II est patron dEDF ».
Dominique Strauss-Kahn, à lorigine de la loi Bataille en 1991 et pro-Superphénix en 1992, qui se retrouve anti-Superphénix en 1997 alors que le bilan de la centrale est positif entre ces deux dates. Cest une position qui nest pas facile à défendre.
Christian Pierret, qui déclarait dernièrement : « Le Gouvernement souhaite se donner les moyens de laisser tous les choix ouverts à lhorizon 2010 ».
Le même Christian Pierret, favorable au développement de lEPR dans un cadre européen et contre NERSA, ou qui se félicite de la réussite de Daya Bay en Chine, soit deux tranches de 900 MW vendues à la Chine pour 5 milliards de dollars, et dénonce le coût de construction de Superphénix, 28 milliards de francs payés à 50 % par la France.
Enfin, Dominique Voynet, qui a osé déclarer : « Superphénix na jamais produit délectricité », qui est venue à Malville en 1994 porter plainte contre NERSA pour « mise en danger de la personne humaine » la plainte a été jugée non recevable par le tribunal de Bourgoin-Jallieu et qui déclare, en 1998, qu« il ny a pas de problème de sécurité à Superphénix ». Il ny a que les imbéciles qui ne changent pas davis.
A Marcy-lEtoile, en 1997, elle déclarait : « Je fermerai Superphénix quoi quil en coûte. Je reste plus militante que ministre. ». Ou encore : « Je viendrai à lautomne faire des propositions de reconversion aux salariés ». Nous lattendons toujours. Nous pensions quil sagissait de lautomne 1997, peut-être nous sommes-nous trompés.
« Un emploi retrouvé pour chaque emploi perdu à qualification et salaire égaux. » a-t-elle osé dire.
En conclusion, Superphénix était une centrale sûre, qui fonctionnait, qui était quasiment payée, qui était intégrée dans lenvironnement local et faisait vivre une région. Il est mort un matin de juin 1997 à la suite dune dissolution hasardeuse et dun programme démagogique transformé à la hâte en discours de politique générale.
M. le Président : Je crois, M. Wolff, que vous êtes ingénieur de NERSA. Phénix a trente ans dâge, et malgré les efforts désespérés pour le remettre en état et il faut faire confiance aux ingénieurs pour le faire une fois Superphénix arrêté, lon nattendra quun seul incident pour fermer Phénix et, par conséquent, fermer la voie de la transmutation. Il faut ajouter à votre scénario catastrophe, que lon sattaque au stockage souterrain en disant que lon ne veut pas empoisonner les générations futures et, lon finit par arrêter le nucléaire. Et voilà atteint le but recherché.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : M. Wolff a parlé dune Mme Sené. Nous avons auditionné M. Sené. Y a-t-il un rapport entre ces deux personnes ?
M. Yann WOLFF : Mme Monique Sené est la femme de M. Raymond Sené, que vous avez auditionné dans le cadre de la commission denquête. Elle est en retraite, je crois, du CNRS. Elle était physicienne à Orsay. Elle sest rendue célèbre par la création du GSIEN, le Groupement des scientifiques sur lindustrie et lénergie nucléaire, qui publie la Gazette nucléaire, un brûlot antinucléaire publié depuis vingt ans. Daprès les informations que nous avons eues, elle a été membre du bureau de Greenpeace France. Son mari, Raymond Sené, faisait partie de la commission Castaing et il a été le seul membre à avoir démissionné le jour où cette commission a eu une conclusion positive sur Superphénix.
M. Marcel DEHOUX : Simplement une remarque, puisque le titulaire dune maîtrise de génie nucléaire que je suis na rien à ajouter à vos propos, je pense que ceux-ci auraient été plus forts si vous naviez pas parlé de pétards, qui navaient rien à voir dans ce discours.
M. Claude BILLARD : Vous avez fait état de la composition de votre comité de soutien, de sa diversité. Pourriez-vous nous indiquer, compte tenu des graves répercussions que vous avez évoquées, notamment du point de vue de lemploi et du devenir économique de la région, si vous envisagez dans une période proche de nouvelles initiatives ?
M. Paul LAVIE : Les initiatives sur lesquelles nous travaillons pour le moment relèvent du domaine judiciaire. Nous faisons en ce moment travailler un cabinet davocats pour savoir sur quel fondement juridique nous allons pouvoir attaquer les décisions prises par le Gouvernement, notamment par rapport à NERSA. Je ne vois pas comment un Gouvernement peut arrêter NERSA qui est une société de droit privé. Il y a des points comme celui-là qui seraient peut-être attaquables. Cest un travail à très long terme. Nous le savons.
Pour le moment, nous sommes focalisés sur les problèmes de lemploi dont vous ont parlé MM. Rival et Bonnard, qui sont essentiels pour notre région. Nous avons rencontré M. Aubert et rencontrons souvent M. Péronnet. Nous sommes affolés par ce que ce dernier peut nous présenter, cest-à-dire rien.
Jétais encore en réunion avec lui il y a quatre jours et je lui ai fait remarquer que je navais pas besoin que Superphénix ferme pour bénéficier des aides quil propose. Celles-ci existent dans le catalogue normal des aides accordées par lEtat.
Nous sommes abasourdis par le non-respect de la parole donnée et par le fait que Superphénix, de Paris, nintéresse plus personne, même sil sagit de la reconversion dun bassin de 3 500 emplois.
Le comité de soutien continue à fonctionner mais, il est vrai, plus en réfléchissant à des initiatives dordre judiciaire que par laction au sens strict. Nous avons conduit quatre-vingt-dix actions fortes en dix mois. Mais vous savez, largent, cest le nerf de la guerre. On pourrait peut-être en demander à Mme Voynet ?
M. le Président : EDF a-t-elle déjà fait à certains dentre vous des propositions de mutation ?
M. Paul LAVIE : Pour lavenir de Superphénix, il existe deux approches :
Il y a lapproche technique : la situation est encore réversible pendant un an et demi, le temps que les décrets soient publiés et que les autorisations administratives aient été délivrées par la direction de la sûreté des installations nucléaires. Tant que le cur nest pas déchargé, linstallation est prête à redémarrer.
Puis, il y a lapproche liée au potentiel humain : de ce point de vue, se pose un véritable problème. Aujourdhui, sur les 700 personnes du site sous statut EDF, une centaine partiront dès lété, ce qui veut dire que dès lété, il ny aura plus les compétences nécessaires pour redémarrer. Il faudrait les recréer. Cest faisable mais il y aura forcément un délai. Le plus problématique, ce seront les prestataires, qui sont aujourdhui tenus à bout de bras artificiellement par EDF qui sest engagée à ce quil ny ait pas de licenciements chez les sous-traitants tant que le décret nest pas publié. Donc, aujourdhui, des commandes sont encore passées.
La priorité est de maintenir socialement, autant que faire se peut, la région. Le jour où le décret sera publié, les prestataires qui restent mettront tous la clé sous la porte.
A mon avis, le potentiel humain sera, au sein dEDF, détruit dès lété et chez les sous-traitants dès que le décret sera pris, ce que lon annonce pour octobre ou novembre.
M. le Président : Avez-vous autre chose à ajouter ?
M. Paul LAVIE : Juste un mot pour répondre à votre question sous forme de billevesée : pour le comité de soutien, la prochaine action serait peut-être que la commission denquête attaque juridiquement Mme Voynet qui, si on lit la presse, a commis des faux en déclarant que Superphénix na jamais produit délectricité, quil a été arrêté uniquement en raison de problèmes techniques. Le contraire est assez aisément démontrable. Cela devrait se solder par cinq ans de prison ou 500 000 francs damende.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Nous avons beaucoup à faire et nous allons dans le même sens. Mais je voudrais témoigner de toute lardeur, du dynamisme et du courage du comité ainsi que de tous les élus qui, soutenus par la population de la région, se battent. Mais il est vrai que la pression a tendance à tomber et quil faut la soutenir. Ce nest pas évident.
Le président de ce comité, M. Willy Delben, se consacre à son entreprise, dont il a dû réduire les effectifs parce quil na plus les marchés et ces marchés, il lui faut aller les chercher ailleurs. M. Lavie est commerçant, et pour les employés dEDF aussi, cest le drame car il faut vivre, et vivre, cest travailler.
Audition de M. Louis MERMAZ,
Député, ancien Président de lAssemblée nationale,
ancien Président du Conseil général de lIsère
(extrait du procès-verbal de la séance du 14 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Louis Mermaz est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Louis Mermaz prête serment.
M. le Président : Nous avons souhaité vous entendre pour mesurer le rôle des collectivités locales lors du démarrage de Superphénix.
M. Louis MERMAZ : Les informations que je vous apporterai concernent essentiellement la période préparatoire à la construction du surgénérateur, cest-à-dire aux alentours de 1976, même si je remonte un peu plus loin dans le temps.
Jai été, de 1976 à 1985, président du Conseil général de lIsère et, à ce titre, ainsi que mes collègues conseillers généraux de lépoque, nous avions organisé les 23 et 24 septembre 1976, deux journées de débat. Pour lanecdote, ce nétait pas encore la décentralisation, il nous avait fallu obtenir lautorisation du préfet pour auditionner des personnalités extérieures au département. Celui-ci nous lavait accordée volontiers. Nous avons donc reçu ces personnalités pendant deux journées. Nous avons débattu avec elles et quil sagisse des techniciens du CEA, de lEDF, du personnel du ministère de lindustrie, nous avons rencontré des personnes qui souhaitaient vraiment être comprises, qui nont pas cherché à nous embrouiller et qui nous ont au contraire, apporté une masse d'informations.
Cest à partir de ces informations que je vais porter témoignage et vous indiquer quelques questions que nous nous sommes posées par la suite, qui peuvent vous intéresser quant à leur résolution, en particulier quant aux réponses que vous pourriez obtenir.
Pour replonger dans lactualité, tout le monde a en tête la décision du Comité interministériel du 2 février 1998 faisant suite à lannonce du Premier ministre M. Jospin le 19 juin 1997, darrêter Superphénix. Cette décision, qui faisait partie du programme de ceux qui constituent aujourd'hui la majorité, nétait pas forcément une surprise même si lon pouvait penser quelle tomberait plus tardivement et quelle prendrait des formes différentes de ce qui a été décidé le 2 février 1998.
Il nen reste pas moins que lon doit apprécier très sérieusement les conséquences économiques et sociales, qui vont être très lourdes pour le nord de lIsère. Cela crée une obligation au Gouvernement, à lEtat, à la collectivité nationale de prendre en compte la situation nouvelle car cette région va perdre à terme, et perd déjà des emplois. La solidarité nationale doit jouer.
A une beaucoup plus petite échelle, nous avons connu un problème semblable dans lIsère avec la fermeture des mines de La Mure. Le problème actuel est infiniment plus important.
Vous avez très bien fait délargir votre enquête en ne la limitant pas seulement à la situation actuelle et aux circonstances de la fermeture de Superphénix, mais en étudiant également les conditions de sa création, de sa mise en uvre et de son abandon et en vous posant, plus généralement, la question de lavenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides et de la surgénération.
Le débat organisé par le Conseil général sest tenu les 23 et 24 septembre 1976. Jattire votre attention sur le fait que, si pendant une vingtaine dannées, on a fait des recherches, on sest interrogé au sein du CEA et du monde scientifique sur la filière nucléaire à neutrons rapides, les choses se sont précipitées à partir de 1973. En 1967, à Cadarache, Rapsodie diverge. En 1973, cest à Marcoule, Phénix qui diverge. Quelques années auparavant avait été décidée la création de Superphénix. Evidemment, entre la dimension du prototype industriel Superphénix et Rapsodie et Phénix, il n'y a rien de commun.
Très vite, pour linstallation de ce prototype industriel de 1 200 MW, la France recherche des partenaires, ce qui se comprend car on a besoin de clients pour ne pas connaître les avatars quont connus deux autres grands projets : le procédé de télévision couleur Secam et Concorde « assassiné » par les Américains qui ont refusé de donner lautorisation datterrir. Tout le monde sen souvient.
Phénix diverge le 3 août 1973 et, déjà, les travaux préliminaires concernant Superphénix ont commencé en 1970. On met les bouchées doubles, cela a-t-il des conséquences sur la sûreté du projet ? On peut se poser la question. Ce doit être lune de vos préoccupations.
Un accord est signé en mai 1971 entre lEDF, lItalien ENEL et lAllemand RWE, la compagnie privée de distribution de Rhénanie-Westphalie. Cela amènera dailleurs le Gouvernement de lépoque à déposer un projet de loi, loi qui sera promulguée le 23 décembre 1972, autorisant la création dentreprises exerçant sur le sol national une activité dintérêt européen en matière délectricité. Cest la fin du monopole total d'EDF.
Il est intéressant de noter que, dans le fond personnellement, je le déplore et tout parlementaire ne peut que le déplorer cest uniquement par le biais de cette loi votée en 1972 que sintroduira le seul débat qui ait eu lieu au Parlement sur la construction de Creys-Malville. Cest la raison pour laquelle le groupe socialiste, pour tenter de provoquer un débat, déposera une question préalable au Sénat, qui ne sera pas adoptée. Lune des inquiétudes du groupe socialiste au Sénat était de se demander si, au fond, nous ne risquions pas, en ayant comme partenaire cette société allemande qui avait des liens avec Westinghouse, de voir le concurrent américain sintroduire dans le système français.
Cest au cours de l'année 1971 que la décision est prise dinstaller le surgénérateur à Creys-Malville, sur la rive gauche du Rhône, à 45 kilomètres en amont de Lyon. Ce site est choisi pour être à proximité des réseaux électriques allemands et italiens qui doivent recevoir leur part de production électrique au prorata de leur participation.
Les choses vont saccélérer, de plus en plus.
En 1974, est créée la société centrale nucléaire européenne à neutrons rapides, la fameuse NERSA. EDF possède 51 % du capital, lItalien ENEL 33 % et la RWE 16 %. La demande dautorisation de création de Superphénix est présentée en mars 1974 par le futur exploitant, NERSA. Ces dates sont importantes parce que lon voit lenchevêtrement des décisions juridiques. Donc, la demande dautorisation de création est présentée en mars 1974 par NERSA, accompagnée, bien entendu, dun rapport de sûreté. Je ne fais que le rappeler brièvement, les documents que je vous laisserai vous apporteront plus de précisions.
A la lecture de la liste de tous les organismes consultés, qui travaillent en 1974 et 1975, on ne peut avoir que limpression que lon a pris des précautions extrêmes. Les enquêtes sont menées par le CEA et par le ministère de lindustrie et de la recherche, et le ministère de la santé est, bien sûr, sollicité pour donner un avis conforme.
Lenquête dutilité publique sur le site va se dérouler, un peu selon la tradition française, mais cela ne prête pas à sourire quand on voit limportance du projet, du 9 octobre au 8 novembre 1974. On na pas donné beaucoup de temps, je ne dirai pas, aux populations, qui ne sont pas des spécialistes du nucléaire mais à tous ceux qui sintéressent au projet, notamment à limportante communauté scientifique de Grenoble. Cette enquête se déroule donc dans des délais excessivement brefs. Elle se confond dailleurs avec l'enquête préalable à la déclaration dutilité publique. Ce nest pas la première fois que cela se produit en France, on peut le déplorer, mais il est tout de même regrettable que lenquête préalable, dans le cas de Creys-Malville, ait été menée conjointement.
Une fois conclues cette enquête dutilité publique et cette enquête préalable, le service central de sûreté des installations nucléaires installé auprès du ministère de lindustrie et de la recherche, sappuyant sur le département de sûreté nucléaire du CEA, est destinataire d'un avis sur la sûreté. Cet avis émane dun groupe d'experts appelé Groupe permanent chargé des réacteurs nucléaires. Ce groupe travaille abondamment : il se réunit dix fois entre octobre 1974 et juin 1975. Cest ce service central de sûreté des installations nucléaires qui va établir le projet de décret autorisant la création de la centrale de Creys-Malville.
Le 20 février 1976, se tient la réunion de la commission interministérielle des installations nucléaires de base, composée de représentants de différents ministères concernés et de divers organismes. Les experts sont là, le projet de décret est rédigé. Après lavis conforme du ministère de la santé, il sera présenté au ministère de léquipement.
Cest au moment où lon attend lavis conforme du ministère de la santé, que va se dérouler le débat du conseil général de lIsère, les 23 et 24 septembre 1976.
Les étapes suivantes seront postérieures à nos débats, notamment lautorisation de chargement qui n'interviendra que plusieurs années après. Dans les documents que je laisserai à la disposition du Rapporteur, jattire votre attention sur une communication très intéressante et claire de M. Christian de Torquat, ingénieur en chef des mines, adjoint au chef du service central de sûreté des installations nucléaires du ministère de lindustrie et de la recherche, et je vous recommande tout particulièrement les pages 98 à 101 du livre publié par le Conseil général de lIsère, qui porte le titre de : « Creys-Malville : le dernier mot ? ». Nous y avons retranscrit la totalité de nos débats, des interventions des experts, des fonctionnaires et des conseillers généraux.
Sort le fameux décret du 12 mai 1977, autorisant la création par la société NERSA dune centrale nucléaire à neutrons rapides de 1 200 MW sur le site de Creys-Malville. Mais il faut noter que les travaux daménagement et de préparation du site avaient commencé deux ans et demi plus tôt, dès la fin de 1974, et, dès le 15 octobre 1976, soit plus de six mois avant le décret, le conseil de surveillance de NERSA avait autorisé la direction de NERSA à passer les premières commandes.
On a vraiment limpression que le travail de préparation des dossiers, de vérification, tout ce qui a trait à la sûreté et au bon fonctionnement, a été fait de façon très sérieuse et méticuleuse par tous ceux qui se sont emparés du dossier, mais on a aussi limpression dun système clos. On vit entre soi. Dailleurs, hier le Premier ministre appelait à la création dune agence indépendante, composée de personnes tout aussi compétentes que les premières mais totalement indépendantes.
Nous sommes face à une « fermeture du processus décisionnel », selon la formule de Dominique Finon, auteur dun livre très intéressant en 1989 sintitulant « Léchec des surrégénérateurs autopsie d'un grand programme ».
Les scientifiques de Grenoble, des physiciens du solide, des physiciens nucléaires, des chimistes, avaient lancé, bien avant, en 1976 lappel des 500, posant des questions quant à la surgénération, à la façon dont les choses sélaboraient, à la rapidité des consultations, etc.
Je rappellerai pour mémoire la manifestation des opposants de juillet 1977 qui a réuni énormément de monde des Français mais aussi dautres citoyens de la Communauté européenne et de Suisse , qui a été réprimée, durement dailleurs, puisque nous avons dû déplorer un mort.
On notera aussi, et cela nourrit nos interrogations, que contrairement à ce qui sest passé pour la construction dautres centrales, la fameuse commission PEON, commission pour la production électrique dorigine nucléaire, na pas été appelée à donner son avis.
Les opposants sont très nombreux : les groupes de défense de lenvironnement, comme ils sintitulent, les citoyens suisses. On verra aussi des Conseils généraux de la Savoie, présidé lun par M. Louis Besson et lautre par moi-même, faire des recours.
Les premiers recours devant les juridictions civiles sont intervenus en décembre 1974 et en avril 1977. Ils étaient le fait dopposants privés ou dassociations de protection de la nature. Le Conseil dEtat a été saisi en juin 1977 et en mars 1978, et a délibéré sur le recours des Conseils généraux de Savoie et dIsère et de quelques individualités, dont M. Tazieff, et, en mai 1979, les a rejetés, refusant dapprécier sur le fond les aspects de sûreté du dossier de Superphénix.
Je me souviens davoir assisté à laudience avec Maître Arnaud Lyon-Caen, qui était lavocat pour les départements. Jai encore en mémoire la réplique du commissaire du Gouvernement répondant que la France avait besoin délectricité. Ce nétait pas tout à fait la question que nous posions. Nous nétions pas hostiles à la fabrication délectricité à partir du nucléaire, nous posions le problème de la sûreté nucléaire de Superphénix.
Maître Lyon-Caen, autant que je men souvienne, sétait plaint à lépoque de ne pas avoir eu accès aux mémoires en défense du ministère de lindustrie. Je vous laisserai la décision du Conseil dEtat en date du 4 mai 1979. Malheureusement, Maître Lyon-Caen na pas conservé trace de son mémoire, mais il doit se trouver dans les archives du Conseil dEtat. Il serait intéressant de le retrouver car, en effet, parmi tous les points juridiques soulevés, il en est un qui vous intéressera certainement plus particulièrement : celui que faisait valoir lavocat des départements sur les moyens tirés de linsuffisance des prescriptions imposées à la société NERSA. Toute cette argumentation avait été rejetée par le Conseil dEtat mais Maître Lyon-Caen, qui était au demeurant un partisan de la surgénération, mavait dit être assez étonné de la légèreté du dossier sur le plan du suivi des prescriptions. Il serait donc intéressant de lire ce développement concernant les moyens tirés de linsuffisance des procédures de suivi des prescriptions imposées à la société NERSA.
En effet, la question que nous nous posons tous est de savoir pourquoi le surgénérateur a connu certains avatars, le premier incident étant cette fuite de sodium dans le barillet, en date du 1er avril 1987. Ce fut le premier incident qui a commencé à inquiéter.
Je pose la question mais ne peux vous apporter la réponse.
Il serait, à mon sens, intéressant de savoir selon quelles procédures on sassurait à chaque stade de la construction, que les prescriptions du cahier des charges étaient bien respectées par les constructeurs, à savoir NERSA et NOVATOME. Nous nous sommes tous demandé ce qui sétait passé lorsque nous avons entendu parler des soudures italiennes qui navaient pas tenu.
Sagit-il de défauts inhérents à la construction du surgénérateur qui font quaujourdhui le Gouvernement a pris la décision de larrêter ? Ou, question plus ample, la surgénération est-elle aujourdhui dépassée aux niveaux français et international ?
Donc, la question qui me paraît centrale et que je me pose est de savoir si lon avait bien prévu et selon quelles procédures, de sassurer, à chaque stade de la construction, du respect des prescriptions du cahier des charges. Je nai pas la réponse à cette question mais elle est centrale.
Le Conseil général de lIsère adopte, le 24 septembre 1976, une motion que vous retrouverez en annexe des documents que je vais vous laisser. Vous lirez quil sagit dune motion présentée par le groupe des socialistes, radicaux de gauche et apparentés. En fait, trois motions différentes avaient été présentées et cest celle ayant recueilli la majorité relative des voix qui est devenue la motion officielle du Conseil général. Une autre motion avait également recueilli des voix, celle du groupe communiste, et une troisième avait été présentée par la majorité présidentielle nationale de lépoque.
Dans cette motion, il est demandé, premièrement, à EDF et au CEA dassumer leurs responsabilités de service public, en expliquant clairement à la population du département, par lintermédiaire des élus notamment, sur quels principes est basée la sûreté dune telle installation, quels investissements précis ont été consentis dans ce but et quelles mesures permanentes seront prises lors de lexploitation pour éviter tout accident
question qui sest avérée fort opportune par la suite.
Deuxièmement, il est demandé si, pour la sûreté, la position désormais minoritaire du CEA à lintérieur du constructeur NOVATOME les partenaires principaux étant Creusot-Loire et Alsthom ne pose pas de problème. Cest une question très « socialiste ».
Troisièmement, nous regrettions labsence de débat parlementaire puisque, à part la discussion de la loi de 1972, il ny a pas eu de débat sur la construction de Superphénix.
Quatrièmement, nous demandions la création dune commission denquête parlementaire. Pour y parvenir, le groupe socialiste avait déposé, avec comme signataires votre serviteur et Louis Besson et quelques autres parlementaires de Rhône-Alpes, une proposition de résolution. Il faudra attendre un certain nombre dannées pour que finalement, sous une autre forme, cette demande soit acceptée.
Cinquièmement, nous demandions la création dune commission régionale permanente de sécurité composée délus. Mais les élus, sils nont pas à leur disposition des experts indépendants, sont aveugles et sourds. Nous précisions donc une commission « ayant les moyens de travailler ».
Sixièmement, nous demandions, tant que ces préalables nauraient pas été traités, de surseoir au projet de construction.
Le 17 décembre 1976, le regretté Jacques-Antoine Gau se substitue à moi pour interpeller à lAssemblée nationale le ministre de léquipement de lépoque sur ces problèmes. Il avait demandé un débat sur le nucléaire et le vote dune loi-cadre et, le 23 décembre, la proposition de résolution dont jai parlé, tendant à la création dune commission denquête, était mise en distribution à lAssemblée nationale.
Vous verrez à travers les documents que je vous remettrai quà lépoque, tous ceux qui viennent parler devant le Conseil général de lIsère nont aucun doute quant à la surgénération. Ils nous disent tous que, dans quinze ans, la France assurera son indépendance nucléaire parce quelle aura plusieurs surgénérateurs. Cétait là une démarche tout à fait pionnière de techniciens et de savants qui ne semblaient pas avoir dhésitations à ce sujet : Rapsodie, Phénix, Creys-Malville. Ils pensent que cest une époque nouvelle qui commence.
La première question que je me pose, mais vous êtes mieux placés que moi pour vous la poser, est de savoir sil y a eu une faille, des insuffisances dans la construction ou dans lélaboration du projet. Votre commission denquête pourra-t-elle répondre à cette seconde question : la surgénération serait-elle plutôt dépassée et ce qui sest passé à Creys-Malville ne se serait-il pas passé ailleurs et, les techniques ayant évolué, faut-il se tourner vers dautres modes de production ?
Je minterroge aussi, comme parlementaire et comme citoyen, sur ce que signifie le maintien en activité de Phénix. Est-ce une mesure dapaisement à légard de lopinion publique et de la communauté scientifique, une mesure de transition ? Ou est-ce une volonté réelle de poursuivre cette recherche ? Est-ce à dire que ceux qui ont pris la décision darrêt de Creys-Malville croient encore à lavenir de la surgénération ?
M. le Président : Vos propos mont fort intéressé. Plonger dans les racines de la prise de décision est effectivement précieux et peut expliquer bien des choses par la suite.
Considérez-vous que cette aventure a été pour le département de lIsère quelque chose de positif ? Si tel est le cas, considérez-vous que l'arrêt de la centrale va constituer pour le nord du département le drame que nous ont décrit les représentants des collectivités locales ?
M. Louis MERMAZ : Dans un premier temps, dans les années 1970-1974, les populations et les élus étaient dans lexpectative. Il y avait des craintes, que la répression brutale de la manifestation de 1976 na pas contribué à apaiser. De nombreux habitants ont été très heurtés par la dureté de la répression. Je ne participais pas à la manifestation mais les socialistes de lIsère avaient installé leur quartier général dans une petite bourgade avoisinante et étaient là, en tampon, pour éviter le pire, en liaison avec les services préfectoraux. Nous ne voulions pas que se déroulent des événements graves. Nous jouions le rôle de casques bleus, si je puis dire, comme nous lavons fait avec dautres en 1968, mais cest une autre histoire.
Cette répression, qui a été dure, a eu pour effet que les gens se sont dit, selon la formule de lépoque, que le nucléaire, cétait lEtat policier.
Puis, le projet a démarré. Sont arrivés les techniciens et les ingénieurs. Les familles se sont installées et, peu à peu, lopinion a évolué. Les gens inquiets se sont dit quaprès tout, cétait aussi un enrichissement de la région, les taxes professionnelles nétant pas négligeables. Il ny a pas eu de peur. Il faut dire que chaque fois que des incidents se sont produits, le nécessaire a été fait par les techniciens pour rassurer la population. Même lors des arrêts en raison des fuites, personne na envisagé que lon était à la veille de lapocalypse.
Aujourdhui, cest face à la décision qui vient dêtre prise que linquiétude se fait sentir. Ce nest pourtant pas une décision tombée sur la tête des habitants. Cette région a élu une nouvelle majorité qui avait notamment ce point dans son programme. Mais il faut reconnaître, objectivement, que cet arrêt posera dénormes problèmes économiques et sociaux à la région et la collectivité nationale se doit aujourdhui davoir une politique très hardie. Il ne suffira pas de prendre quelques « mesurettes ». Cest un gros dossier qui dépasse le cadre de quelques communes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : A travers cette riche histoire qui remonte à 1976 nous avons évoqué les craintes et les incidents de Superphénix au cours dautres auditions , il y a une question toute banale que nous devons nous poser : y a-t-il eu des accidents ?
Banale, mais pas innocente. Je suis originaire dune région minière, le Nord Pas-de-Calais, où la mort et la maladie ont accompagné de façon constante la production dénergie. On ne relève pas suffisamment, à mon sens, combien aujourdhui la production dénergie dorigine nucléaire a su éviter tous les drames humains qui avaient accompagné lextraction charbonnière ou dautres processus jusquau milieu de ce siècle.
Par ailleurs, Superphénix a-t-il fourni au département un savoir scientifique ? Restera-t-il, notamment à luniversité de Grenoble, les unités de recherche qui ont pu se développer à partir de Superphénix ? Pourront-elles continuer à faire bénéficier la région de leur présence ou la disparition de Superphénix entraînera-t-elle une politique de désertification économique et scientifique ?
Ma question suivante porte sur le déficit démocratique constaté en 1976. Cela nous ramène vingt ans en arrière. On peut dire quà lépoque, les autorités de lEtat et les autorités en général, travaillaient plutôt à la hussarde par rapport à aujourdhui car, au fond, à propos des déchets nucléaires à haute activité, le Parlement a voté une loi qui répond à bien des aspects débats devant lAssemblée nationale, implication des collectivités locales. Si jai bien compris, pour ce débat du Conseil général, cest le Conseil général lui-même qui sest « autosaisi », sa démarche ne correspondait pas à une demande gouvernementale. Le Gouvernement a-t-il tenu compte de ce débat à lépoque ?
Hormis la capacité de protestation des élus locaux et nationaux, aviez-vous été associés à ce processus de décision dune façon ou dune autre ? Vos qualités de représentant du peuple ont-elles été prises en considération ou tout le processus est-il passé par le préfet, expression de lautorité de lexécutif ?
Cest une grande question que nous continuons à nous poser car nous constatons quen matière nucléaire, mais dans bien dautres domaines également, le couple exécutif-législatif ne fonctionne pas bien, ou en tout cas, pas aussi bien quil le devrait dans une démocratie.
Cette commission doit nous permettre et nous le ferons dans le rapport de tirer des leçons techniques concernant Superphénix mais aussi des leçons quant à un meilleur fonctionnement futur de la démocratie. Quelques avancées ont déjà été faites quand je compare la situation actuelle aux méthodes qui étaient utilisées à lépoque, mais jai limpression que nous sommes encore très loin dun processus satisfaisant. Jobserve que, par un curieux parallélisme, le processus darrêt de Superphénix a été annoncé et décrété par des méthodes aussi radicales que celles qui ont présidé à sa création.
M. Louis MERMAZ : Il ny a pas eu daccident. Il y a eu des incidents, des défectuosités dans le fonctionnement dus ou non à une faute au moment de la construction. Cela, cest à vous dessayer de létablir, si vous le pouvez. Mais il ny a pas eu daccident, de peur, de gens blessés. Comme vous, je pense et répète, pour défendre le nucléaire civil, que celui-ci est loin davoir causé le nombre de victimes qua fait le charbon, sauf à Tchernobyl, bien sûr, qui est un cas tout à fait particulier, dont la communauté occidentale ferait dailleurs bien de se préoccuper un peu plus.
La communauté scientifique de Grenoble dont jai rappelé avec lappel des 500 quelle sest préoccupée du sujet, ne va pas se retrouver dans un désert. Nous avons le CENG Centre détudes nucléaires de Grenoble. Tous ses membres vont continuer de sintéresser à cette filière et si Phénix fonctionne comme on nous lannonce, les échanges vont se poursuivre.
De plus, le synchrotron, qui sest installé à Grenoble il y a quelques années, est un équipement de première valeur pour la communauté française et internationale et joue un rôle important de ce point de vue. Aucune crainte de désert scientifique ne plane sur Grenoble.
Le processus de décision concernant le surgénérateur est passé largement au-dessus de la tête des élus, encore quau Conseil général, en 1974-1975, il y ait eu une brève information sur ce qui allait se passer, mais je dirai, avec une certaine fierté, que nous avons organisé en 1976 un débat tel quil ny en a eu ni à lAssemblée nationale, ni même dans aucune de ses commissions.
Cest la raison cest une demi confidence pour laquelle quand je suis devenu Président de lAssemblée nationale, jai participé avec des collègues à la création de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques, parce que ce quune modeste assemblée départementale a fait, un parlement a beaucoup plus de moyens de le faire, et de le faire de façon continue. Je sais dailleurs, M. le Président et M. le Rapporteur, que vous jouez un rôle important auprès de cet organisme.
Le Conseil général de lIsère sest-il autosaisi ?
Il y a eu une communication en 1974 ou 1975, mais cest nous qui, devant limportance du sujet et les questions que nous nous posions, avons décidé dorganiser ce débat. Nous avons pu auditionner tous les invités que nous souhaitions, dont deux prix Nobel, le Grenoblois Néel qui était favorable à la surgénération et le Professeur Kowarski, lun des pionniers du nucléaire, dun avis différent.
Nous avons pu constater que lorsque des techniciens et des savants veulent énoncer les choses simplement ce qui se conçoit bien sénonce clairement ils peuvent se faire comprendre des élus. Il existe, vous le savez, deux façons de présenter les choses et lon sait parfois embrouiller les élus comme lon sait aussi les leur rendre compréhensibles. Vous verrez en parcourant ce document quen loccurrence, nous devions leur être reconnaissants de la somme dinformations quils nous ont apportées.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : M. le Président, vous comme moi, ne sommes pas physicien ou chercheur. Nous nous efforçons découter et de comprendre, si possible. Cest le rôle des politiques que de sentourer davis. Guy Mollet comme Pierre Mendès-France, qui furent les initiateurs de la politique nucléaire de la France ont requis de nombreux avis et il ne faut pas oublier que lintérêt national prime sur tout intérêt particulier.
Le débat sur le surgénérateur pour notre région nest pas un débat nord isérois, mais un débat national sur notre filière électronucléaire et la recherche en la matière. Ce surgénérateur est une technologie française, pour laquelle nos chercheurs sont à féliciter ; nous étions dépendants de la technologie américaine. Or, lindépendance en la matière était très importante. Peut-être, en effet, ny a-t-il pas eu suffisamment de débats, mais pour avoir participé à ceux-là, nous avions été éclairés, grâce en particulier, comme vous lavez souligné avec raison, à la qualité des intervenants. Souvent, lon prend position par idéologie et, au sein du Conseil général de lIsère, comme le surgénérateur de Creys-Malville était une nouveauté, un symbole, les élus de lopposition nationale de lépoque sy opposaient. Cétait une opposition idéologique et bien que des savants apportent leur contribution, on a son idée et on ne les écoute pas.
Le débat dont vous parlez il y en a eu dautres au Conseil général par la suite a permis de faire des constats mais pas dentrer dans la prise de décision. Cest au niveau national, gouvernemental quil faut que de telles décisions soient prises.
La manifestation dont vous parliez na pas eu lieu en 1976 mais les 30 et 31 juillet 1977.
M. Louis MERMAZ : Il y en a eu deux, en 1976 et en 1977, la plus dure ayant été, effectivement, la seconde.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Lorsquen 1981, vous êtes arrivés au pouvoir, vous avez demandé un moratoire sur lénergie nucléaire. La réalité de léconomie vous a fait prendre en compte que lon avait besoin de lénergie nucléaire dans notre pays car elle favorisait son indépendance énergétique et était nécessaire pour assurer notre indépendance économique. La France est un grand pays mais na pas de ressources dans son sol, et son développement sest fait certainement grâce à cette indépendance acquise par le nucléaire.
Vous avez participé au Gouvernement qui a dirigé le pays de 1981 à 1993, et pendant cette période, il ny a pas eu de débat parlementaire et il ny a pas eu darrêt des centrales nucléaires. Creys-Malville a, bien sûr, connu les incidents que nous savons. Mais il ne faut pas perdre de vue que cest un prototype. Je dis bien incidents, car cette centrale a connu des incidents dans les composants et non dans le corps du fonctionnement de la centrale. Le barillet, une forte chute de neige en 1990 qui a fait sécrouler une toiture, cest totalement inadmissible, bien sûr, mais ce nest pas le fonctionnement de la centrale qui était en cause. Or ce débat, nous ne lavons pas eu.
Jai écouté attentivement le Premier ministre dire hier quil fallait la transparence, la clarté et le débat. Je suis bien daccord, aussi ma question sera de savoir si, au sein de la majorité plurielle, vous avez été consultés sur cette décision et si vous êtes daccord pour que ce débat puisse avoir lieu maintenant ?
Cette commission denquête constitue une première avancée, mais il y a eu une décision préélectorale, fruit daccords politiques, et les élus, responsables politiques, nont pas été consultés. Hier, nous avons auditionné M. Curien, ancien ministre de la recherche, qui nous a fait un exposé plein de bon sens, un exposé nous faisant nous qui ne sommes pas des techniciens mais des hommes politiques comprendre quà un moment le politique doit décider dans lintérêt de la Nation. Il nous a dit que Phénix, qui va redémarrer, devrait le faire avec Superphénix, que ce serait du gaspillage darrêter Superphénix alors quil y a tellement à attendre de la filière nucléaire à neutrons rapides, technologie davenir porteuse pour notre recherche et nos besoins en énergie.
Etes-vous daccord pour quil y ait un débat au sein du parti socialiste, au sein de la majorité plurielle, afin que nous sachions que cette décision a été prise en toute connaissance de cause ?
M. Louis MERMAZ : Lorsqua été lancé le projet avant 1974, qui fut poursuivi jusquen 1981 et au-delà, il sagissait dun prototype industriel pour produire de lélectricité, et notamment, pour en vendre et en fournir à nos partenaires italiens et allemands au prorata de leur participation.
A la suite des avatars qua connus Superphénix, les objectifs ont évolué et lon sest posé, dans la communauté scientifique et industrielle, la question de savoir si lon nétait pas allé trop vite et si le passage de Phénix à Superphénix navait pas été trop rapide. Si bien que le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, qui était pour le redémarrage après les réparations, avait déjà lidée dun prototype à caractère scientifique et expérimental. Nous nétions déjà plus dans les mêmes données. Dès lors que le surgénérateur serait un prototype expérimental, il ne rapporterait plus les mêmes taxes professionnelles, hélas. Puis, le Gouvernement Juppé reprendra également lidée dun prototype expérimental. Comme vous le savez, un décret de redémarrage sera annulé par le Conseil dEtat, mais cest un débat juridique, le fond nest pas en cause.
Puis, il y a la campagne législative de lan dernier, et nous serions hors sujet si je vous expliquais par quel cheminement les socialistes ont pris leur décision, mais je vous rassure, ce ne fut pas une décision solitaire. Il y a eu une convention nationale, nous en avons débattu, etc. La décision est prise, et nous menons la campagne électorale. Quil y ait des appréciations différentes au sein de la gauche plurielle et que Mme Voynet nait pas la même position que M. Hue, tout le monde le sait, mais la décision a été prise darrêter. Toutefois, cela ne met pas en cause le fait que nous ayons besoin délectricité nucléaire. Jamais personne na dit que la France devait renoncer au nucléaire, qui représente 80 % de notre production délectricité à lheure actuelle.
Lorsque nous étions dans lopposition, avant 1981, je me souviens très bien que François Mitterrand se posait les mêmes questions que celles que je vous ai posées sur la sûreté. Il était, parmi les socialistes, lun de ceux qui haussait le plus les épaules lorsquon lui demandait si cétait dangereux. Il pensait que le nucléaire était intéressant et quil fallait y aller, mais par des voies diverses. Jai dailleurs assisté à des conversations au cours desquelles il sopposait vigoureusement à Haroun Tazieff, qui, par la suite a été un de vos partenaires. Celui-ci était certes compétent en vulcanologie, mais il ne létait guère plus que nous en matière de nucléaire. Mais cest une autre histoire.
M. le Président : M. le Président, il nous reste à vous remercier.
Audition de MM. Daniel BEGUET,
Secrétaire de la branche cadres CGT de Superphénix
Patrick DURAND,
Secrétaire de la branche cadres CGT du département de lIsère
Didier GARNIER,
Secrétaire de la branche ouvriers-employés CGT de Superphénix
Yvon THENAULT,
Responsable syndical CGT de Superphénix
Didier BREUIL,
Membre du bureau de la Fédération de lénergie CGT
et Maurice MARION,
Secrétaire général de la Fédération de lénergie CGT de lIsère
(extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Daniel Beguet, Patrick Durand, Didier Garnier, Yvon Thénault, Didier Breuil et Maurice Marion sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Daniel Beguet, Patrick Durand, Didier Garnier, Yvon Thénault, Didier Breuil et Maurice Marion prêtent serment.
M. le Président : Comme le disait notre rapporteur, Christian Bataille, ce matin, nous avons souhaité venir vous écouter, parce que nous voulions recueillir, sur place, votre avis dans le cadre de notre commission denquête. Il ne faut pas se limiter à rencontrer les dirigeants ou les personnes qui ont des intérêts financiers ou intellectuels. Nous avons eu ce matin, une conversation extrêmement importante avec M. le directeur de la centrale, mais qui ne nous a donné quune vision globale de laffaire. Il nous a indiqué que la conversation que nous aurions avec les syndicats cet après-midi nous permettrait de mieux aborder les problèmes de structure, les problèmes de reconversion, les problèmes humains...
Voilà pourquoi, dans le cadre de cette commission denquête, et sur vos terres, nous sommes heureux de vous souhaiter la bienvenue.
M. Didier GARNIER : Depuis près dun an, les salariés du site se battent pour exiger un véritable débat autour de lénergie incluant Superphénix. Nous tenons à vous rappeler limportance et la confiance quaccorde le personnel à la CGT sur le site. Des élections se sont tenues le 14 mai, où nous avons encore assisté à une progression de notre syndicat, avec un résultat de plus de 80 %.
Nos affirmations sont les suivantes : les nombreuses actions réalisées par le personnel pour faire changer la décision antidémocratique dabandon de Superphénix sont restées sans effet. Superphénix est dores et déjà condamné si rien nest fait immédiatement. Le communiqué de presse du Premier ministre du 2 février indique que Superphénix ne redémarrera pas, même provisoirement.
Après plus de 80 actions de tous ordres, menées pour faire prendre en compte la légitimité de laspiration des personnels de la filière à neutrons rapides, force est de constater avec amertume quune décision hâtive a été prise, sans en analyser toutes les conséquences et sans consulter lensemble de la représentation nationale. Le comité interministériel na pas pris en compte la proposition de la mission Energie demandant de surseoir à toute décision sans débat préalable à lAssemblée.
Nous refusons que quarante années de recherches menées pour le progrès de lavenir énergétique, les conditions de travail exceptionnelles des personnels de Superphénix et le maintien demplois à hautes qualifications soient ainsi sacrifiés. Le départ effectif des compétences, dune centaine dagents EDF, de prestataires et des partenaires va rendre, à très court terme, la fermeture irréversible. Qui plus est, sannonce labandon de lentretien du matériel non nécessaire à la production délectricité. Lavenir, la satisfaction des besoins en énergie pour notre pays et plus globalement pour lhumanité est en péril. En effet, les ressources fossiles sont épuisables, les utiliser seules conduirait à se priver de pétrole dans 120 ans et de gaz dans 60 ans. Les conflits, déjà vécus, quant à lapprovisionnement de ces ressources, montrent les dangers quils impliquent : la guerre du Golfe par exemple.
Les besoins correspondant au minimum vital en énergie restent, et resteront encore longtemps si rien nest fait, insatisfaits compte tenu de lévolution croissante du nombre dhabitants sur la planète. A Creys-Malville, se priver de 24 milliards de kWh, cest volontairement laisser dans lexclusion des centaines de milliers de foyers privés délectricité, faute de moyens financiers suffisants.
Les dispositions prises quant à la politique énergétique, portent un coup néfaste qui ne manquera pas, soyez en sûrs, dêtre fatal à lindépendance énergétique de notre pays, essentiellement assurée par le nucléaire. La crise pétrolière, débutée vers 1973, sest effacée des mémoires. Se replacer aujourdhui dans le contexte dalors, cest non seulement faire fi de plus de 20 années de travail des électriciens et gaziers pour sortir le pays de cette situation, mais plus encore cest saffranchir du retour dexpérience que nous étions en mesure dattendre de décideurs politiques responsables.
La volonté de faire appel à la cogénération, les directives gaz-électricité ne peuvent que le démontrer sil en était besoin. La protection de lenvironnement est terriblement menacée par les orientations prises par les plus hautes autorités chargées de sa défense. Les émissions de CO2, en constante augmentation, seront largement amplifiées par la combustion de gaz, destiné à remplacer à terme, le parc nucléaire. Il est indiqué, semble-t-il sans ironie, dans le communiqué de presse du Premier ministre du 2 février, je cite : « par ailleurs le gaz naturel, notamment en substitution de combustibles fossiles plus polluants et le développement de la cogénération seront encouragés à cette occasion. Cette approche sera renforcée lors de la mise en place du nouveau cadre réglementaire pour le marché de lélectricité ». Comme dhabitude le meilleur est pour la fin, dans la phrase suivante : « Cest ainsi que la France remplira les engagements pris à la Conférence de Kyoto, tout en stabilisant le nucléaire ». Fin de citation.
Ce communiqué indique clairement quil sagit de privilégier le gaz, puisque réputé moins polluant que le charbon. Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer, même si nos compétences en chimie sont modestes, que la combustion de gaz entraîne un dégagement de gaz carbonique. Nier leffet de serre correspondant serait un défi au bon sens. Le communiqué nen fait pas mention. Défendre lenvironnement, cest développer des énergies renouvelables et assurer la pérennité dune filière capable dapporter une réponse à la gestion des matières nucléaires. Larrêt de Superphénix condamne, à terme, lensemble de la filière électronucléaire française, les emplois correspondants, le service public et le statut national du personnel de nos industries.
Comme toute industrie devrait être capable de le réaliser, le nucléaire doit traiter ses déchets. Arrêter Superphénix, cest couper lun des maillons de la chaîne de lélectronucléaire incapable désormais dassurer la continuité entre lamont et laval du cycle du combustible. Couper ce maillon, cest mettre la chaîne dans limpossibilité dassurer son rôle ; ainsi lensemble du parc subira la conséquence inéluctable de lincapacité à assurer sa pérennité. Nous ne voulons pas laisser mourir le parc nucléaire de constipation, dautant que la loi Bataille de 1991 prévoit lacquisition des connaissances dans le retraitement des déchets à vie longue. Superphénix est actuellement le seul outil disponible pour valider industriellement le procédé de ce retraitement.
La stratégie des Verts consiste donc à condamner chacun des outils au prétexte de manquement à lassurance qualité dont nous revendiquons lapplication. Ainsi, on voit fleurir dans la presse, des articles remettant en cause lusine de La Hague, les transports de combustibles irradiés alors quil sagit réellement de problèmes liés à la qualité du travail : ce nest pas parce quun travail est mal fait quil faut casser loutil qui a permis de leffectuer. Il faut, au contraire, se donner les moyens de leffectuer dans les règles prévues par larrêté Qualité du 4 août 1984. Dans le cas contraire, ce que daucuns appellent leffet « domino » jouera son rôle.
La CGT réaffirme son attachement à la sûreté des installations. Nous considérons que tout cela est possible dans le cadre du service public nationalisé rénové, avec de vrais emplois, de bonnes conditions de travail et un bien être des salariés. Cela ne peut se faire dans la précarité. Louverture à la concurrence est en contradiction avec tout ce que signifie le service public que nous développons depuis 1946.
Quelle serait la conséquence économique et financière du brûlage des deux curs ? Le rapport de la Cour des comptes indique que le coût de Creys-Malville est de 60 milliards de francs. Ce coût prend en compte celui du démantèlement. Ainsi, une décision précipitée de fermeture fait dune part abstraction de la préparation de la région, en vue de faire face à une perte demplois massive, et dautre part inhibe la préparation dune reconversion industrielle du site.
Se pose aussi la question du coût de larrêt anticipé, économiquement aberrant et injuste, pour lavenir énergétique de la France et de lEurope. Une décision de fermeture ne peut être motivée par les 24 milliards de kWh disponibles, correspondant à un potentiel de 9 milliards de francs.
Si la démocratie joue son rôle, nous affirmons que le décret de fermeture doit être précédé dun vote à lAssemblée nationale.
La situation de lemploi sur la région ne doit pas être la conséquence dune discussion prise en catimini. La suppression de 5 000 emplois aurait dû paraître demblée inacceptable pour un Gouvernement dit de gauche plurielle. Des entreprises voient, dès à présent, leur chiffre daffaires chuter de près de 45 %. Ainsi, cette prise de décision en catimini sest effectuée sans analyser la réalité du terrain. Un Gouvernement ayant pour première priorité le développement de lemploi se doit de préserver ceux existants. Il sensuit que Superphénix devient inexorablement le « Vilvorde » du nucléaire.
A la suite de cette déclaration, nous avons un certain nombre de revendications, dont la loi de nationalisation est le dénominateur commun car cest pour nous bien plus quun symbole de la démocratie dans notre pays.
Concrètement, nous exigeons quil ny ait pas de perte demplois sans décret ; pas de décret sans débat suivi dun vote à lAssemblée nationale ; quil y ait la venue de Mme Dominique Voynet à Creys-Malville sous un mois ; quil y ait une rencontre dans les meilleurs délais avec M. Lionel Jospin ; et si la décision de fermeture était confirmée par un vote à lAssemblée nationale, quil y ait lorganisation dune table ronde entre la CGT, la direction dEDF et le Gouvernement pour négocier la reconversion industrielle du site en moyens de production dénergie et de réelles mesures daccompagnement personnalisées proposées par la CGT pour lensemble des salariés du site, à hauteur de limpact de la décision de fermeture.
M. le Président : Votre déclaration rejoint un certain nombre de nos sentiments.
Je souhaiterais vous dire deux choses. Premièrement, je crois quil faut que vous soyez fiers de cette installation, dont vous avez la responsabilité, qui est à la pointe de la technique mondiale.
Deuxièmement, cest quà lheure actuelle, les réserves duranium 235, pour la filière des réacteurs à eau pressurisée, sont en termes de temps de la même longueur que le pétrole ou le gaz. Par contre, luranium 238 donne un rapport qui est dix fois supérieur, de telle sorte que de toute manière, à léchelle de lhumanité, la filière des réacteurs à neutrons rapides en reconversion de luranium 238 est la seule qui soit envisageable.
Enfin, je dois reconnaître que nous avons nous-mêmes noté lespèce dincohérence qui consistait dune part à abandonner le nucléaire et dautre part à se féliciter de la performance de la France, relevée à Kyoto, en matière démission de gaz carbonique.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je voudrais dire, après Robert Galley, combien ce qui se passe à Creys-Malville est très important. Je note que la CGT-Energie se prononce de manière très nette, dans le débat sur lénergie du futur, en faveur de lénergie nucléaire et au fond émet des réserves quant à un avenir qui miserait tout sur le gaz.
Pour ma part, jespère comme les collègues des autres groupes ici présents, que nous aurons un vrai débat à lAssemblée. Nous pouvons simplement ajouter, pour information, que nous navons, à lAssemblée nationale, sur ce sujet de lénergie, jamais eu un vrai débat contradictoire. Il y a eu des embryons de débats. Jai au moins deux souvenirs : un débat avait été organisé sous le Gouvernement Rocard par M. Roger Fauroux, ancien ministre de lindustrie. Il sagissait dun débat un peu tronqué. Et puis, la droite a eu ensuite à peu près les mêmes déconvenues avec MM. Longuet et Barnier et un autre débat sans véritable échange. Jusqualors, on peut considérer que cest le pouvoir exécutif qui a défini la politique de lénergie, sans véritable consultation du Parlement. Si nous voulons aller plus loin, il faut revendiquer un débat devant le Parlement, contradictoire, sous les yeux de lopinion, débat au cours duquel chacun exposera sa conception de la politique de lénergie.
Vous avez, avec raison, insisté sur les aspects dangereux du dossier. Mais jaimerais vous demander votre sentiment sur les propositions qui sont faites au personnel, sous statut EDF ou hors statut. Jaimerais que vous puissiez nous renseigner sur les concertations qui auraient pu avoir lieu. Au fond, quel est le sentiment global des organisations syndicales ? Le site de Phénix est-il jugé intéressant par le personnel ? Lévolution de Phénix est-elle jugée intéressante ?
Votre organisation a dû réfléchir à cet argument, avancé entre autres par Mme Voynet, affirmant que le chantier de démantèlement de Superphénix pourrait mobiliser beaucoup de monde. Cest ce que lon a pu lire dans la presse. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Pour la suite du programme, quelle perception avez-vous des projets de reconversions industrielles qui sont jusqualors avancés ?
M. Didier GARNIER : Sur un site nucléaire, lorsquil est prévu darrêter une centrale, on commence à préparer larrêt de ladite centrale au minimum cinq ans à lavance. Déjà, vis-à-vis de la concertation avec les directions, en vue dune réforme éventuelle des structures, il y a une préparation ou une discussion. Cest pour cela que la CGT avait proposé et propose toujours quil y ait le brûlage des curs en vue de préparer lavenir et la reconversion industrielle du site. Cest-à-dire de donner une possibilité de réflexion et de règlement des problèmes sociaux. Cela na pas été le cas. La décision est tombée brutalement et, que ce soit pour les organisations syndicales ou pour la direction, il savère très difficile, du jour au lendemain, de préparer des propositions quand on a reçu « un coup de marteau sur la tête ».
Il faut savoir que la CGT avait bien proposé le brûlage des deux curs. On a parlé notamment de ce gâchis financier de 24 milliards de kWh, donc de 9 milliards de francs ; cest quand même quelque chose dénorme pour le contribuable. On ne comprend pas ce gâchis, tant pour la collectivité que pour le monde scientifique. Creys-Malville représente quarante années de recherche scientifique.
Comment, dans une optique de réflexion collective sur Superphénix, peut-on, dans un délai inférieur à deux mois, à la fois réfléchir sur la concertation et les propositions ? Nous ne sommes pas encore tout à fait prêts sur ce sujet-là.
Le problème est très mal perçu à lextérieur de Superphénix. Il y a une différence entre vous, les politiques, ce que vous voyez, ce que vous vivez, les rencontres et les discussions que vous avez, et nous qui vivons sur le terrain. Cent personnes ont déjà quitté le site. Les concertations et les discussions sont entamées et il y a déjà des gens qui sont sur le départ.
M. Daniel BEGUET : Nous avons de grandes difficultés à trouver des solutions de reclassement pour les personnels sous statut EDF ou les personnels des entreprises prestataires car la décision darrêt a été brutale. Il a fallu, du jour au lendemain, se dire : « je vais quitter une région dont je suis originaire, ou une région que jai choisie volontairement pour minstaller ».
La plupart des personnes sont installées ici depuis plus de quinze ans. Cette décision entraîne des changements radicaux dans leur vie auxquels il est difficile de faire face dans des délais extrêmement courts. Cest partir pour certains dans le Nord, alors quils en viennent et quils ne veulent pas forcément y retourner. Cest pour beaucoup, malheureusement, partir à lANPE.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous parlez des personnels hors statut ?
M. Daniel BEGUET : Il faut parler des intérimaires dont on ne tient guère compte dans les discussions. Que ce soit à la cellule dite « Aubert », ou dans nos propres discussions, nous avons des difficultés à parler des intérimaires. Certains dentre eux sont sur le site depuis quinze ans ! Dune entreprise à une autre, avec des contrats nouveaux, certains intérimaires nont jamais connu dautre lieu de travail que Creys-Malville et ils sont pourtant exclus des discussions.
La cellule « Aubert » semble regretter quil y ait peu de personnes dentreprises prestataires qui aillent les voir. Le problème, cest quon a eu des contacts malheureux avec M. Aubert et son représentant départemental, M. Perronet. Il nous a dit quil y aurait quelques millions de francs injectés dans léconomie locale, sans précisions. On ne voit pas de quelle manière on peut reconvertir le site. Aucune entreprise ne nous a encore contacté pour nous dire quelle envisageait de simplanter sur le site de Creys.
Quelle entreprise voudrait venir simplanter là ? Il ny a rien. Il ny a pas de voie ferrée, pas de voie navigable ; il nétait pas prévu que le canal Rhin-Rhône vienne jusquici. Même si le projet de lautoroute est en cours, il ne sera pas opérationnel avant longtemps. Cest pour cela que, pour nous, une des propositions de reconversion en production dénergie est intéressante. Nous avons les compétences techniques EDF ou prestataires sur le site. Il est vrai que la région est surproductrice en matière dénergie. Mais pourquoi ne pas implanter ici le futur réacteur EPR ?
M. Marcel DEHOUX : Vous avez parlé tout à lheure de 24 milliards de kWh et de 9 milliards de francs de recette. Or, certains laissent entendre que ces 9 milliards ne couvriraient pas les frais dexploitation, donc que lon ferait encore un déficit plus grand.
M. Didier GARNIER : Cela peut se résumer à quelque chose de très simple. Quand la centrale fonctionne, il y a équilibre entre les frais de fonctionnement et la production.
M. le Président : Cest important. La CGT indique clairement quà lheure actuelle les frais de production, y compris les frais dexpérimentations, sont couverts par la production dénergie.
M. Daniel BEGUET : Il y a lexpérience de lannée dexploitation 1996.
M. le Président : Oui, mais il ny avait pas, à ce moment là, dexpériences de transmutations.
M. Daniel BEGUET : Oui, mais il y avait déjà des choses engagées sur CAPRA, sur NACRE et les expérimentations à payer.
M. le Président : En sous-génération, avec les expériences, vous produisiez assez dénergie électrique pour pouvoir équilibrer le fonctionnement de la centrale.
M. Didier GARNIER : Oui, on équilibre.
M. le Président : Sans amortissement ?
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Sans arrêt ?
M. Daniel BEGUET : Oui, si on fonctionne sans incident, bien évidemment. Sans arrêt. En fonctionnant comme on la fait en 1996, avec un taux de disponibilité supérieur à ce quil est dans les autres centrales.
M. le Président : Oui, alors je répète ma question, pour la troisième fois : sans amortissements ?
M. Daniel BEGUET : Oui, sans amortissements.
M. le Président : Donc, en marginal. Cest ce que nous a dit M. Chauvin.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je relève de votre réponse que vous jugez les mesures de reconversion et daménagement du territoire très insatisfaisantes.
M. Daniel BEGUET : On peut encore apporter une précision supplémentaire. On considère quà situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Quand on compare la situation des Charbonnages de France, de la sidérurgie, de différentes importantes réformes dactivités, ce quon propose à lensemble des salariés passez-moi lexpression cest de la « roupie de sansonnet » . Cest faire vraiment peu de cas de la situation personnelle des gens.
Comme la dit tout à lheure Didier Garnier, nous navons pas eu cinq ans pour nous préparer à cela. Cela nous est « tombé dessus », entre le 26 janvier, date de la venue de la délégation parlementaire, et le 2 février. Il na pas été tenu compte des demandes de sursis à exécution.
M. le Président : Lexamen même na pas été accordé.
M. Daniel BEGUET : Cest un camouflet...
M. Marcel DEHOUX : Je suis élu du Nord. Même si dans cette région nous avons connu de nombreux plans de reconversion, je veux porter témoignage que les mesures daccompagnement ou de conversion, même si elles sont massives, comme vous semblez le croire, ne permettent pas de résoudre tous les problèmes qui se posent. Dans des régions comme la vôtre, ou comme le Nord, seul le développement endogène peut nous sauver.
Je voudrais revenir sur vos propositions et vous demander des précisions sur vos idées de conversion du site, en continuant sur la production dénergie.
M. Daniel BEGUET : La proposition que lon fait se situe dans le cadre du réacteur à eau pressurisée du futur proche, cest-à-dire le projet EPR 2000. Pourquoi ne pas le faire sur Creys-Malville, où des hectares de terrains sont disponibles.
La compétence professionnelle existe avec actuellement sur le site 178 ingénieurs et cadres. On a des pôles de recherche un peu partout, on a des ingénieurs sur Lyon qui ne demandent quà travailler sur le projet.
Les salariés des entreprises prestataires, avec lesquels nous travaillons de plus en plus parce quil y a une participation importante des entreprises prestataires dans les centrales nucléaires, sont également sur place. Enfin, cest éviter la transformation de ces emplois qualifiés, et hautement qualifiés du site, en dhypothétiques emplois dans des entreprises de transformation, par exemple, qui ne seraient pas aussi qualifiés ; donc une masse salariale moins importante pour la région. Le représentant des commerçants, la semaine dernière, a du vous parler de ces sujets économiques.
M. Claude BIRRAUX : La place que vous comptez utiliser sur le site peut-elle à la fois permettre limplantation dun EPR et celle des installations pour le traitement de sodium ?
M. Daniel BEGUET : Sur le site, cest-à-dire à lintérieur de barrières, on a largement la place. Je crois quon a une vingtaine dhectares disponibles autour du site, qui ont été achetés à lépoque où la centrale sest faite.
Vous vous souvenez que la centrale sest décidée avec un projet dextension future, voire avec une usine de retraitement. Le projet prévoyait : Superphénix 1, Superphénix 2, soit ici, soit à Saint-Etienne-des-Sorts. Les terrains avaient donc été achetés en fonction dune telle implantation locale.
M. Didier GARNIER : Pour terminer, je crois quil faut rester sur le sujet de Creys-Malville où il y a quand même 24 milliards de kWh disponibles. Sur ce point, on reste très carrés sur la proposition de brûlage des deux curs.
Aujourdhui, nous avons des éléments (CAPRA et SPIN), ce serait dommage de se priver de loutil que constitue Superphénix pour lapplication de la loi Bataille.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Si jessaie de faire la synthèse de la position de la CGT, vous souhaitez le brûlage des deux curs et le temps nécessaire pour, parallèlement, négocier la reconversion industrielle.
M. le Président : Etant entendu que vous êtes conscients quà un moment ou à un autre, comme toute installation nucléaire ou humaine, il y a un terme. Cela aurait pu être en 2010 - 2015.
En réalité, lexpérience de lEDF et du CEA est telle que les installations durent toujours plus longtemps que ce que lon avait prévu. Lexemple de Phénix en est la preuve.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Japprouve les propos des délégués de la CGT. En ce qui concerne cette affaire, on a pris en compte la décision du Gouvernement de payer le personnel, les entreprises, alors que cest totalement faux. On nachète pas le drame des êtres humains, et ces personnels sont brisés. On voit bien quil nont plus maintenant les moyens de se battre. Parce quon leur a coupé tous les moyens, parce que ça leur est tombé dessus comme un coup de poignard, on leur a dit : « Cest fermé et vous navez plus rien à dire. »
Alors, que faire pour vous aider, parce que la commission denquête est là pour écouter, pour faire un rapport, et si possible des propositions. Nous sommes solidaires des gens du site, et vous vous en êtes déjà rendus compte.
Mais cest au niveau politique quil faut essayer davancer. Sans rechercher la polémique. Vous avez reçu Robert Hue, et si vous pouvez avoir une audience auprès du Premier ministre, tant mieux, nous ferons tout pour vous aider.
Cest bien gentil de dire « on veut le débat, on veut le débat », mais le Premier ministre nécoute même pas. Il a décidé découter Dominique Voynet, un point cest tout, soit 3 % de son électorat. Alors, il serait bon que nous puissions, que vous puissiez organiser ce contact, cette discussion pour apporter ces informations.
Nous avons été très impressionnés par le bon sens et la sagesse dHubert Curien, ancien ministre de la Recherche, la semaine dernière, il nous a dit « Phénix, oui, pourquoi pas ... mais Superphénix avec Phénix, sinon il ny a pas dintérêt ! »
Donc, on constate bien quun gaspillage monumental sera induit par la fermeture, et là il faut essayer de trouver des solutions pour faire changer lavis du Gouvernement et du Premier ministre. Alors, comment peut-on faire pour y arriver, vous avec vos instances et nous de notre côté, pour essayer de faire avancer les choses ? Car on peut bien dire malheureusement que lon tourne en rond.
Le temps passe et les équipes sur le site se brisent ; chacun part de son côté, voit son avenir. Cela se comprend. Et, il sera de plus en plus difficile de faire redémarrer le surgénérateur.
Il y a donc urgence pour essayer de faire quelque chose. Certes, des terrains avaient été prévus au départ ; je men souviens parfaitement. Cela fait aussi partie du débat parlementaire que nous voulons engager, que nous voulons, que nous demandons et qui aura lieu, je crois, pour réfléchir et décider sur lavenir de la filière électronucléaire.
Mais ce qui se passe aujourdhui avec la filière à neutrons rapides risque de faire perdre des décennies de recherches. Cest ce que nous pouvons tous regretter.
Je nai pas de solution ni de question précise à vous poser, parce que nous nous connaissons bien, mais sachez que nous sommes solidaires de votre position. Jen resterai là.
M. Patrick DURAND : Jai écouté M. Galley. Comme certains autour de cette table et comme beaucoup à lextérieur, jaime loutil technologique, la recherche, cet investissement qui est quand même la construction du service public délectricité et du gaz. Il faut quand même souligner que cest bien lentreprise publique qui a pu, de par un investissement dans la recherche, développer loutil quest Superphénix, avec tout ce qui a pu être dit et tout ce qui a été dit. Sans entrer dans le détail, cela me paraît extrêmement important.
Jai écouté M. Bataille tout en reconnaissant la nécessité dun vrai débat. Dans les éléments que nous vous donnerons se trouve un document important issu du débat que la Fédération de lénergie a engagé le 24 mars, un grand forum auquel certains dentre vous ont peut-être participé, et où toutes les questions ont été posées sur lavenir de la planète, les ressources énergétiques, le développement durable, les énergies renouvelables.
Je vous signale que dans le département de lIsère, une grande installation hydraulique devait voir le jour, et on lattend toujours. Or, ce nest pas du nucléaire, cest de lhydraulique, cest du renouvelable, cest proche des vallées. On pourrait donc débattre longtemps de cette question. Je crois quil y a besoin dun débat à la dimension de notre pays, mais aussi à la dimension des questions européennes.
Quand on sait que dans lentreprise aujourdhui, et à linitiative de la CGT et dautres organisations syndicales, on a plus de 2 500 signatures de cadres et de cadres supérieurs parmi lesquelles celle de M. Boiteux, ancien président dEDF ou de M. Rémy Carle qui a eu des responsabilités importantes qui dénoncent cette « hérésie » technologique, cet abandon et ses conséquences, nous ne pouvons être que préoccupés.
Il faut sattaquer au problème de la reconversion du site, et traiter les dossiers des agents. Je comprends les copains de Creys-Malville qui vivent chaque jour cet arrache-cur pour chaque famille implantée ici depuis dix, quinze ans, y compris les salariés étrangers. Pour eux, cette question davenir est véritablement préoccupante.
Je voudrais souligner un point sur lequel je souhaite que la commission soit très attentive : quelle que soit lévolution du site, fermé demain, dans six mois, dans dix ans, on ne peut faire aucune impasse sur la question de la sûreté nucléaire.
Les salariés doivent continuer à être formés dans cette optique là, même sil est parfois dur de le faire sans connaître son avenir.
Sagissant des perspectives de développement de carrière à Creys-Malville ou ailleurs, on a besoin dans ce domaine là de savoir comment cette question va être engagée. Vous devez être très attentifs sur cette question.
M. le Président : Je vous interromps. A linverse, le fait quil ny ait jamais eu aucun incident, aucune rupture de gaine, sera porté à votre bénéfice. On na jamais vu une centrale qui eut moins dincidents que la vôtre ?
M. Patrick DURAND : M. Galley, je suis tout à fait daccord avec vous, mais je dis quune centrale nucléaire se doit davoir toujours les compétences à proximité pour assurer sa sûreté.
Cest en quelque sorte ces deux idées qui saffrontent : soit on continue à investir dans le service public, on continue à réfléchir sur lavenir énergétique de la France, de lEurope et de la planète, soit on a à réfléchir à une reconversion hypothétique.
Les gens qui sont dans le nord Isère vous parlent véritablement dun désert économique quon construirait demain matin. Nous, salariés de lénergie, on a lhabitude de dire que lon est salariés et syndiqués, chargés de faire évoluer les revendications des salariés de lénergie. Mais cet établissement du service public de lénergie, construit en 1946, après la seconde guerre mondiale, appartient à toute la Nation. Les grands choix ne peuvent pas se faire autour dun accord électoral. Il me semble que lon donne même un peu trop de poids aux Verts.
Je soulignerai un élément qui minterpelle. Dans le département, deux députés de la majorité ne sont pas autour de cette table pour discuter de ce dossier. Je le dis en tant que citoyen, parce que...
M. le Président : M. Michel Destot est vice-président de la commission.
M. Patrick DURAND : Néanmoins, sur un dossier aussi sensible, au niveau du département, on a besoin de sentir...
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Et M. Vallini est membre de la commission.
M. le Président : Michel Destot est retenu à Grenoble par la visite de M. Claude Bartolone, ministre auprès du ministre de lemploi et de la solidarité, délégué à la ville.
Permettez-moi de vous posez une question : la première fois que jai reçu les gens de la CGT de Superphénix, je leur ai demandé pourquoi il ny avait pas une motion générale de la CGT de lEDF ?
En réalité, vous êtes dans une situation où, nous, politiques, nous ne ressentons pas très bien lappui général de tous vos collègues de la CGT. Jai trente ans de vie politique et cinquante ans de vie publique derrière moi. Je connais donc bien la CGT. Dhabitude, on sent une plus grande mobilisation, à partir du moment où lun dentre vous est menacé.
Au niveau du Parti communiste à lAssemblée nationale, je sens très bien lappui qui est apporté. Mais sur la CGT, jaimerais que vous me disiez ce que vous en pensez. Cest une question un peu brutale.
M. Didier GARNIER : La position de la CGT par rapport à Superphénix a toujours été claire sur lavenir de la surgénération. Par contre, il y a eu surtout, pendant une dizaine dannées une non communication sur ce quétait loutil Superphénix.
Depuis quelques mois, depuis lannonce du 19 juin, on sattache à mener des débats, dans tous les départements. Chaque fois que lon se déplace, on sollicite les élus pour aborder Superphénix et expliquer ce quest Superphénix. Ces débats sont entamés depuis quelques mois, et les choses avancent. Mais quand on na pas communiqué pendant des années sur ce quest le programme nucléaire et sur ce quest Superphénix, on ne fait pas passer une idée du jour au lendemain.
M. Maurice MARION : Par rapport à la position de la CGT, il convient de bien se replacer dans le contexte global de ce quest EDF aujourdhui. La problématique de Creys-Malville montre en fait un phénomène de régression sociale et de régression du service public en France.
Lensemble des secteurs dactivités dEDF, la production, la distribution, le transport, sont aujourdhui fondamentalement remis en cause. A la distribution, cest la suppression des structures de proximité. A la production hydraulique, cest la remise en cause des plans de maintenance. Et puis il y a le site de Creys-Malville.
Je crois que dans lhabitude de la CGT, effectivement, il y a des temps forts de mobilisation où lon essaye de faire converger, les revendications propres à chaque site. Cest tout à fait le sens de laction qui est lancée pour le 4 juin en ne souhaitant pas que ce soit un baroud dhonneur. On veut que ce soit un point dappui, pour développer laction à la hauteur exigée pour interpeller les politiques. Jabordais encore ce matin même avec M. Colombier la question du monopole de distribution du gaz et toutes les questions relatives à lénergie, sur lesquelles vous avez eu à vous prononcer et sur lesquelles on est en désaccord avec les décisions qui sont prises.
Donc, nous continuons à construire laction. Mais, on est dans une société où la pression et la répression à lintérieur dEDF sont très grandes, les sanctions se multiplient, et je crois que cela influe sur le salariat.
Sagissant de la CGT, si on navait quà claquer dans les mains pour changer les choses, cela se saurait. Sur les difficultés de la vie quotidienne des gens, sur leur avenir, sur lavenir de leurs enfants, on doit reconnaître aujourdhui quil est difficile dimpliquer les gens dans laction pour revendiquer, ces derniers craignant de perdre ce quils ont aujourdhui.
Cela étant dit, je peux vous affirmer on vous remettra dailleurs des écrits de la Fédération de lénergie très clairs sur ce que lon propose aux électriciens et aux gaziers que le rapport de force repose quand même sur lengagement individuel de chaque salarié dans la lutte pour obtenir dautres choix.
Les directions dEDF prévoient 18 000 suppressions demplois dici à 2005. Dans ce contexte, on va parler de propositions au personnel de Creys-Malville. Les gens ny croient pas et il se démoralisent. Cest grave parce que des salariés démoralisés et démotivés peuvent effectivement poser des problèmes, y compris en matière de sécurité des sites.
Il faut donc bien tout replacer dans son contexte général où aujourdhui EDF est attaquée par tous les côtés...
M. le Président : Et en particulier par le gaz. Depuis Lacq, on nen produit plus en France. Et si on nen produit plus en France, on en produit ailleurs ! Il est produit dans la Mer du Nord, en Russie, partout..., en Algérie, mais ce nest pas un produit national.
M. Maurice MARION : Tout à fait.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je voudrais revenir sur une question à laquelle vous ne mavez pas encore apporté de réponse, et jen profite pour en ajouter une autre. La CGT, bien que lair du temps soit à la baisse de toutes les grandes organisations politiques ou syndicales, reste une puissante organisation dinfluence. Vous-mêmes, à lintérieur de la CGT et au-delà des électriciens, avez-vous une information spécifique qui, vu votre prise de position nette en faveur du nucléaire, contribue à informer non seulement les salariés mais aussi les familles dune manière générale ? On sait bien que les médias ont une grand influence sur cette question.
Ensuite, subsidiairement, je vous rappelle que je vous ai demandé votre sentiment sur ce qua été le discours gouvernemental, celui de Mme Voynet notamment, sur la durée du démantèlement, le nombre de travailleurs utilisés etc. Adhérez-vous à ce discours, ou considérez-vous finalement que le chantier de démantèlement ne mobilisera pas tout le monde, tout le temps ?
M. Daniel BEGUET : Je voudrais me permettre un petit point en ce qui concerne la branche cadres que je représente. Dans le journal Option mensuel adressé aux syndiqués du GNC (Groupement national des cadres) comprenant un encart spécial EDF depuis un an, à chaque parution , il y a un, deux, trois ou quatre articles, voire même lencart complet qui concerne Superphénix.
Lappel national des ingénieurs, cadres, chercheurs, techniciens en faveur de Superphénix, a été signé par des prix Nobel et un nombre considérable dingénieurs et physiciens.
Donc, cette publication pour les ingénieurs et cadres et son équivalent « Energies » pour lensemble des syndiqués de la CGT, et que les cadres reçoivent, traitent régulièrement de cet aspect des choses.
Certes, cela ne sadresse pas à la totalité des agents EDF et leurs familles puisque cela ne concerne que 70 ou 80 000 syndiqués actifs et inactifs. Comme la dit Didier Garnier tout à lheure, on a pris notre bâton de pèlerin depuis onze mois maintenant pour aller de Cherbourg à Toulouse, en passant par Nantes, Saint-Nazaire enfin... partout, pour participer à des débats.
Au début, il sagissait dexpliquer ce quétait Creys-Malville parce que les gens posaient des questions. Aujourdhui, il sagit de placer la question de Creys-Malville dans des débats plus généraux sur lénergie. Ce nest plus spécifiquement sur Superphénix, puisque les gens maintenant connaissent le problème, suite aux publications dont je viens de parler.
Pour revenir à la question à laquelle nous navions pas répondu, je vous dirai que si Mme Voynet a le pouvoir de créer des emplois pour démanteler la centrale, il y aura des emplois qui ne serviront certainement à rien. Je suis exploitant ici depuis dix-huit ans. En salle de commande, on réduit les équipes dexploitation ; on perd déjà des emplois. Pour vidanger le sodium, quand on aura à le faire, il ne faudra pas 5 000 personnes pour voir égoutter le sodium dans les cuves de stockage. Il faudra quelques maçons pour construire les murs de lusine de retraitement du sodium. Il faudra encore trente ou cinquante personnes pour exploiter cette usine et pour transformer le sodium. Ensuite pour couper les tuyaux, démonter les turbines, les envoyer à létranger, et quand le moment sera venu pour démonter le béton et faire sauter le béton du bâtiment du réacteur, il ny aura jamais cinq mille emplois nécessaires pour faire tout ça.
Cest plus que de lutopie, cest du mensonge, quand on prétend comme certains lont fait que cela créerait des milliers et des milliers demplois. On a même entendu le chiffre de 40 000 emplois créés ! Je ne sais si ce nest pas M. Sené qui en avait parlé. Je ne sais où ils peuvent aller chercher des idées aussi saugrenues.
Sil y avait un moyen de créer autant demplois dans la région, on est preneurs, même si lon ne ferme pas ici !
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Il y a des entreprises dans la région qui connaissent des difficultés. Les chaussures Palladium licencient 130 personnes.
La décision darrêt a jeté sur toute la région un malaise profond. Cela a jeté le trouble dans les esprits des entreprises, des commerçants, des artisans qui baissent les bras. Ils sentent que, malheureusement, ce nest plus ici que se fera le développement économique. Il y a un phénomène induit par tout cela qui pénalise lensemble.
M. Didier BREUIL : M. le Président, je ne pense pas que vous ayez été brutal. Vous avez envie de poser des questions comme nous avons envie dapporter des réponses. Je nai donc pas trouvé de brutalité dans vos propos.
La CGT fait-elle tout ce qui est en son pouvoir pour essayer dêtre plus efficace ? Je rappellerai deux chiffres : 9 % de syndiqués en France, toutes confédérations confondues, et 600 000 adhérents CGT sur la population active. Ces deux chiffres montrent bien quil ne faut pas non plus faire croire quune organisation pourrait, à elle seule, faire ce que la société civile sest engagée à faire.
Au cours des débats, Louis Viannet sest exprimé sur cette question. On a même organisé une manifestation de caractère national le 8 octobre 1997 où lensemble des électriciens et gaziers étaient invités.
Puis je reviens sur le problème que M. Moyne-Bressand évoquait, à savoir que les salariés ont dans la tête leurs préoccupations. Quand il y a eu le problème de Vilvorde en Belgique, ce nétait pas forcément la préoccupation première des salariés de La Ciotat. Cest vrai quaujourdhui, Creys-Malville nest peut-être pas la préoccupation de lensemble des électriciens et gaziers. Mais pour autant dans le contexte comme lont rappelé Maurice Marion et les autres camarades ce matin je crois que lavenir du service public est une préoccupation. Donc, Creys-Malville en est une aussi.
La deuxième question concernant le démantèlement du site était de savoir si cela amènerait des emplois ou pas et si cela pouvait développer léconomie ? Je ne suis pas économiste, je ne suis pas devin.
Pour ne prendre quun exemple dans le département de lIsère, je vous citerai les mines de La Mure. Au moment où a été prise la décision de les fermer, on proposait monts et merveilles, des entreprises locales, des PME-PMI devaient venir sinstaller. Je vous propose daller sur le site pour vous rendre compte du résultat. On a assez dexemples sur le territoire pour bien montrer que le démantèlement dune grande entreprise ne génère pas dactivité supplémentaire.
La politique énergétique dun pays doit être mise en parallèle avec la politique industrielle. Aujourdhui, M. Moyne-Bressand vient de le citer, on continue dannoncer des plans de licenciements à tour de bras qui ont aussi des conséquences sur le choix de la politique énergétique.
Notre exigence de débat national sur la politique énergétique ne traduit pas uniquement la préoccupation des électriciens et gaziers qui se cacheraient derrière leurs privilèges pour les garder. Non, on a une politique énergétique 1946 est là pour le montrer cohérente à long terme qui permet de renforcer un pays avec un développement économique et productif.
M. le Président : Et davoir une électricité moins chère quailleurs.
M. Didier BREUIL : Tout à fait.
M. Daniel BEGUET : Et qui devrait être encore moins chère. Si on enlevait les taxes et si on considérait à juste titre que lélectricité est un produit de première nécessité, cela pourrait être encore bien moins cher. Plus de 50 centimes le kWh est impossible pour certaines familles.
M. le Président : La politique dEDF a été dune extrême sagesse. Je fais partie de la catégorie des gens qui défendent lextraordinaire dépense qua faite EDF pour les zones de sécurité. Je le dis sous le contrôle de Claude Birraux, grand spécialiste de ces affaires.
M. Maurice MARION : Je voudrais juste préciser un point si vous le permettez, relatif à la construction européenne.
Les salariés étrangers sur le site sont affectés par le projet de fermeture de Superphénix. Ils avaient demandé une entrevue qui na pas été possible apparemment. Donc, ils veulent interpeller la commission denquête sur la situation des salariés étrangers sur le site.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Notre attention a été attirée par le fait notamment que des Italiens, qui sont là depuis un moment, sont profondément enracinés dans la région.
M. Patrick DURAND : Vous avez vu où sont les déchets Italiens. Au fond de la mer !
M. le Président : La commission denquête a posé la question de savoir si demain une collaboration européenne pourrait avoir lieu sur lEPR ou sur le réacteur Jules Horowitz à partir du moment où les étrangers sont, semble-t-il « douchés ».
Ce qui est beaucoup plus grave, cest que le monde entier va se répandre en disant que les Français se lancent dans une voie, dépensent 30 milliards et arrêtent tout. Et le jour où nous essaierons daller vendre des réacteurs aux Chinois face aux Allemands de Siemens, on aura quelques difficultés !
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Sur le contexte européen, voire mondial, vous pouvez constater comme nous que la France est aujourdhui un peu isolée en Europe. Elle a persévéré dans la poursuite du développement nucléaire. Nous sommes un certain nombre à dire quil faut aller plus loin. Mais lenvironnement européen, et notamment lAllemagne et les pays de lEurope du nord, ny est pas très favorable.
M. Patrick DURAND : Ils achètent la production, en France ou ailleurs, mais savent bien négocier les prix. Et ils savent très bien que ce sont des Watts nucléaires.
Sur les questions de coopération européenne, il y a quand même trente ans quEDF fournit de lélectricité à tous les pays européens. On voit les échanges internationaux aux heures froides avec les Anglais, les Allemands, les Suisses, les Italiens...
M. le Président : Nous avons vendu 83 milliards de kWh lannée dernière.
M. Patrick DURAND : Cest quand même une rentrée financière importante. Tout cela nécessite un véritable débat.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Si on veut mener un débat sur lEurope, pensez-vous quEDF a la capacité de vendre lélectricité à toute lEurope ?
M. Patrick DURAND : Les électriciens et gaziers de France ont suivi attentivement le débat qui a eu lieu sur la distribution du gaz dans un récent projet de loi. Nous ne sommes pas daccord avec la politique de GDF et souhaiterions des investissements plus importants.
Mais si on débat de la même manière sur les directives et sur la publication du Livre Blanc. (A ce propos, je vous propose de lire la lettre de Denis Cohen à M. Christian Pierret qui est dans le dossier qui vous a été remis).
Comme on na pas débattu sur Creys-Malville, on ne débattra pas sur le gaz ; le projet de loi revient devant la commission mixte paritaire. Il a été voté au Sénat après lavoir été à lAssemblée nationale. Il faut tout de même noter que, même si cétait la nuit, il ny avait que trente députés dans lhémicycle pour discuter de lavenir dun service public.
Les électriciens regardent donc tout cela avec beaucoup de distance.
Nous regardons comment se passent les choses. Il y a dix ans que lon est dans la rue pour se bagarrer sur ces questions, et on voit le chemine quon a parcouru.
Ensuite, on a à réfléchir sur la question de savoir pourquoi les gens sont beaucoup moins préoccupés par les questions politiques, comment ils vont voter. Il faut aussi analyser ce type de question : pourquoi dans la région y a-t-il eu autant dabstentions ? Vous savez, sans autres perspectives demain, on peut faire la place à dautres mouvements qui nous préoccupent aussi sur un plan démocratique.
M. le Président : Je vous remercie.
Audition de MM. Jean-François KOWALSKI et Michel PORTE,
Secrétaires du syndicat F.O.,
Bernard GRITTI, Président du syndicat CFTC
et Richard NOWALSKI, Secrétaire du syndicat CFTC,
Jean-Luc BRASSAC, Représentant CFDT,
Christian MOESL, Secrétaire de la section locale CGC
et Mme Monique DENIAUD, Membre du bureau local CGC.
(extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Jean-François Kowalski, Michel Porte, Bernard Gritti, Richard Nowalski, Jean-Luc Brassac, Christian Moesl et Madame Monique Deniaud sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Jean-François Kowalski, Michel Porte, Bernard Gritti, Richard Nowalski, Jean-Luc Brassac, Christian Moesl et Madame Monique Deniaud prêtent serment.
M. le Président : Nous avons voulu recueillir lopinion du personnel sur le problème de la fermeture de Superphénix et nous avons voulu le faire sur place.
M. Christian MOESL : Pour des questions dorganisation pratique, étant donné que le temps nous est compté, nous avons fait une déclaration commune aux quatre fédérations syndicales ici présentes : la CFDT, la CFTC, la CGC et FO ; déclaration que je me propose de vous communiquer dans un premier temps. Nous vous remettrons les documents.
« Ce jour 18 mai 1998, nous vous renouvelons notre refus de la fermeture « politique » de Superphénix. Celle-ci ne nous semble fondée, ni sur le plan technique la sûreté de linstallation a toujours été comparable à celle des autres centrales du parc nucléaire , ni sur le plan économique un cur et demi est fabriqué et disponible.
« Le personnel sinterroge sur le but véritable qui vous est assigné aujourdhui et constate limmense gâchis des deniers publics associé à la décision darrêt.
« Les questions formulées dans lexposé des motifs de la proposition de résolution visant à créer votre commission sont en décalage avec notre mission de représentants du personnel.
« Pour nous, les conséquences humaines de la décision darrêt de Superphénix demandent des mesures politiques et administratives à la hauteur des préjudices subis.
« Les préjudices sont bien réels, et le démantèlement ne sera pas créateur demplois, quoi quen disent nos détracteurs. Un véritable plan social est nécessaire dans ce domaine.
« Nous vous demandons donc de faire le nécessaire auprès de la direction de notre entreprise et des instances politiques afin quelles mettent en uvre les moyens réels et nécessaires pour atténuer les impacts sociaux et favoriser la reconversion économique et technique du site.
« Notre demande est motivée par les engagements des différents ministères relayés par nos directions annonçant des mesures « exceptionnelles » daccompagnement ; engagements qui aujourdhui nous semblent incontournables mais non honorés.
« Le décret à paraître fixera les conditions techniques de la mise à larrêt définitif. Les représentants du personnel revendiquent une prise en compte réelle de la dimension humaine du problème dans tous ses aspects et qui que ce soit quelle concerne. »
Après cette déclaration, notre collègue a une déclaration plus personnelle à faire, après quoi nous pourrons répondre à vos questions.
M. Richard NOWALSKI : Le personnel du CNPE de Creys-Malville sinterroge sur le but poursuivi par votre commission denquête. La démarche est postérieure à la décision darrêt et a été renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut du respect des articles 30 et 31 dun règlement que nous ignorons et qui aurait pu conduire à la constitution dune commission spéciale.
Sagit-il de mesurer limpact de la décision sur le vécu du personnel de Creys-Malville agents EDF ou prestataires ou de nous faire un enterrement de première classe ?
Excusez ces propos quelque peu désabusés, mais Superphénix pose le problème de la morale politicienne qui conduit certains de nos concitoyens à sécarter du chemin tracé par les grands partis.
Je nignore pas la composition de votre commission et respecte quelle soit représentative et proportionnelle. Mais de quoi sagit-il aujourdhui ?
Venez-vous mesurer limpact dune décision idéologique, ou compléter les arguments qui ne manquent pas en vue du redémarrage de Creys-Malville ?
Les réacteurs à neutrons rapides sont un problème déchelle. Si elle est trop courte, on ne récolte pas tous les fruits du savoir. Si elle est usagée, on risque de tomber. Cest ce à quoi nous expose le choix de Phénix dont lactivité se terminera de toute façon en 2004, soit deux ans avant léchéance définie par la loi Bataille deux ans dexpérience perdus.
Sans doute peut-on sen satisfaire ou estimer que lexpérience est dores et déjà acquise, moyennant quoi nous aurions trop bien travaillé. Or, le mieux est lennemi du bien !
Léchelle industrielle avait le mérite de tester les procédés en vraie grandeur, mais la grandeur a ses revers au moment où le spectre du manque dénergie semble séloigner.
Quà cela ne tienne, les générations futures bénéficieront sans doute de la technologie japonaise ou chinoise. Encore une idée française qui se sera bien vendue et développée hors de lhexagone.
Cétait pourtant une grande idée, en avance sur son temps, de la dimension du « France » ou autre « Concorde » ; de celle que lon a plaisir à citer comme exemple du génie français ou de la coopération européenne.
Car cest bien de construction européenne quil sagit. Lexemple de Creys-Malville est à ce titre un échec cinglant à ce qui peut être entrepris.
Le Traité sur lUnion européenne prévoyait, en ses articles 130 F et suivants du Titre XV ce quil y avait lieu denvisager en matière de recherche et de développement technologique.
Ni lesprit, ni la lettre ne sont respectés, et à quoi bon se poser les bonnes questions si elles ne suscitent pas de réponse, ne provoquent pas de débat, et finalement ne sont que de pure forme.
Au moment où vous rendrez votre rapport, sachez que vous nengagerez pas simplement le devenir de Creys-Malville, vous sanctionnerez par la même occasion toute forme de construction européenne dans le domaine des technologies avancées.
Pour information, sachez que je suis le doyen de Creys-Malville, quà ce titre, jai lexpérience du site de sa construction à aujourdhui, et que je ne peux me résoudre à tourner la page de 18 années passées au service dune grande idée et de la Nation.
M. le Président : Je vais vous répondre Monsieur. Dabord, on accuse suffisamment les parlementaires de rester dans leur coin et de décider de Paris en technocrates. Il faut que vous nous reconnaissiez cette justice : nous sommes venus ici pour vous voir. Cela fait deux fois en quelques mois que je viens. Notre commission denquête avait pour but de vous entendre.
Le deuxième point, cest quil nous est arrivé, dans la vie publique, de défendre avec bonheur des causes qui pouvaient paraître désespérées. Or, nous avons limpression que le Premier ministre a été mal informé.
Le but de cette commission enquête est en grande partie de marquer très clairement, en étant objectifs, quels sont les points sur lesquels le Gouvernement na pas eu les éléments dinformations nécessaires.
Troisième point : avec laide et à linitiative de nos amis communistes qui réclament depuis toujours un grand débat sur lénergie, nos formations politiques ont à leur tour embouché la trompette dun débat sur lénergie, qui aura lieu vraisemblablement en septembre. Et nous voulons que le rapport sur Creys-Malville soit une pièce essentielle dans ce grand débat sur lénergie.
Vous les représentants du personnel et les syndicalistes, vous réclamez un débat, vous réclamez sur Superphénix un vote du Parlement. Ce grand débat sur lénergie peut nous permettre dobtenir un vote séparé sur Creys-Malville. Cest du moins lobjectif que lon se pose. Est-ce bien clair ?
M. Christian MOESL : Votre discours est le même que le discours tenu par les organisations syndicales en général et la CGC en particulier depuis quatre ans. Moi aussi, je suis un des anciens du site. Quand le réacteur a été arrêté, en 1990, 1992 et 1994, ces arguments ont été avancés auprès de tous les groupes politiques de lépoque, locaux, régionaux et nationaux.
Donc, aujourdhui, au niveau des représentants du personnel, tout a été dit. En tant que représentants du personnel, aujourdhui, quest-ce que lon peut apporter à cela ? Pas grand chose. Nos voix nont jamais été entendues par les décideurs politiques et par le Gouvernement actuel. Pour les gouvernements précédents, cétait pareil. Corinne Lepage ne nous a pas fait de cadeaux !
Aujourdhui, on se pose la question du personnel et on est là pour cela. Les conséquences dramatiques, on les vit tous les jours. Cent personnes sont déjà parties ; des centaines de personnes employées par les prestataires sont parties. Aujourdhui, voilà le problème que nous avons à régler localement.
Les promesses qui ont été faites par les politiques qui ont pris la décision de fermer Superphénix, ne sont pas tenues. Aujourdhui on vous remercie dêtre venus. Vous nous rencontrez pour la deuxième fois pour certains - jétais là également la première fois. Cest par vous que passe notre message de détresse, parce que cest une réalité, cest ce que lon vit tous les jours sur le site.
Les conséquences de la décision darrêt pour nous sont irrévocables. Les gens qui sont partis, sont partis. On a perdu et on est en train de perdre des compétences techniques, une compétence industrielle au niveau européen. On la perd. Si on ferme Creys-Malville, on va la perdre. Et ça pour lencadrement cest intolérable. Lénergie qui a été mise dans Superphénix depuis les années 1970, avec toutes les études ; tout cela va être perdu, et récupéré pour qui ?
On a une installation, que vous avez pu visiter ce matin, qui est en état de marche et qui na jamais posé de problèmes en matière de sûreté. Cela a été démontré et prouvé.
M. le Président : Il ny a pas eu dincident ?
M. Christian MOESL : Il ny a pas eu dincident significatif important.
M. le Président : Ni de radiations des personnels ?
M. Christian MOESL : Non. Quand on voit aujourdhui, par rapport aux autres filières nucléaires, la dosimétrie à Creys-Malville, on est en droit de se poser des questions. Tout le monde hurle, les détracteurs « Verts » hurlent sur la dosimétrie, on ne peut pas dire dautres mots. Ils assassinent EDF et le CEA là-dessus. Nous, à Creys-Malville, quest-ce quon fait ? Et bien à Creys-Malville on na pas de dosimétrie.
On a une industrie nucléaire propre, je veux dire « nickel ». Donc, aujourdhui on ne comprend pas cette décision. Techniquement, on na jamais compris, économiquement on na jamais compris ; personne na été capable de nous lexpliquer chez les décideurs.
Le personnel se pose un certain nombre de questions. Qui sont ces gens qui au Gouvernement prennent une décision qui, pour nous, est irrationnelle ? Elle ne veut rien dire. Dans notre exposé, tout cela se lit entre les lignes. Je ne voulais pas vous en mettre quinze pages, tout a déjà été écrit.
La problématique de déconstruction du site, de fermeture du site, on la vit aujourdhui. Si un gouvernement vient à dire quil y a eu une erreur, que politiquement cétait une erreur que de fermer Creys-Malville et quon va le redémarrer, ne vous inquiétez pas, tous les techniciens qui étaient à Creys-Malville, tout le monde va se précipiter sur le site pour redémarrer la centrale, où quils soient. Mais, aujourdhui on nen est pas là !
Quel est le politique, qui aujourdhui, au Gouvernement, aura le courage de dire : « On a fait une erreur en incluant dans un accord électoral la fermeture de Creys-Malville » ?
M. le Président : Je vous interromps. Il y a une solidarité gouvernementale. M. Bataille et tous nos collègues ont suffisamment de contacts pour savoir quau sein même du Gouvernement, certains sinterrogent.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai expliqué ce matin, en arrivant à la porte de lentreprise, la distinction quil fallait faire entre le Gouvernement qui décide et nous le Parlement qui avons constitué une commission denquête et qui remettrons notre rapport avec des observations. Tout ce que vous nous dites est très précieux.
Cest uniquement une figure de style quand vous mettez cela au mode interrogatif. En fait, les questions traduisent bien les réponses et vos réactions face à la situation.
Nous ne sommes pas là pour vous faire des réponses et vous expliquer ou critiquer la décision du Gouvernement. Chacun dentre nous ici a son sentiment. Je crois pouvoir mexprimer sans ambiguïté sur ce point. Tout simplement, on conçoit bien le désarroi des organisations syndicales, et jai bien noté votre réaction quant à la dispersion du personnel et à la possibilité de reconstruire les équipes.
Javais déduit des entretiens que nous avons eus, des considérations quasiment inverses, que le démantèlement des équipes était grave pour la suite. En tout cas, observateur de la recherche et de la vie industrielle depuis quelques décennies, jai observé que quand des équipes éclatent, il est toujours difficile de les reconstituer.
A propos de ces départs de personnel, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions dans lesquelles cela se fait, létat des personnels sous statut et hors statut ? Le personnel hors statut se plaint de navoir, dans certains cas, dautre débouché que lANPE. Est-ce votre sentiment ?
Quel est votre sentiment sur le devenir des neutrons rapides ?
Vous estimez que lactivité industrielle doit être maintenue. Or, la fermeture de Superphénix ne laissera guère despace pour la matière grise et le maintien du savoir, notamment sur les neutrons rapides.
Enfin, troisième question, quel est votre sentiment concernant les projets de reconversion ? Les propositions qui vous sont faites vous semblent-elles suffisantes ? Attendiez-vous mieux ? Attendez-vous un effort plus intense de la part de lEtat ?
M. Richard NOWALSKI : En ce qui concerne le personnel EDF - javoue franchement que pour le personnel prestataire, je ne peux pas mexprimer la démarche repose actuellement essentiellement sur le volontariat. Donc, de fait, les gens savent un peu à quoi sen tenir. De plus, il est vrai que depuis la décision du 2 février, on sest inscrit dans une logique de fermeture. On ne voit pas bien aujourdhui ce qui pourrait nous faire sortir de cette logique.
M. Christian MOESL : Pour compléter la question : « comment part le personnel EDF et hors EDF ? » Pour le personnel hors EDF, effectivement, certains nont dautre solution que daller pointer aux ASSEDIC ; on en connaît. Ainsi que de petites entreprises qui nont plus de contrat et dont lactivité a diminué. Il y a une logique économique sur laquelle on na rien à dire. On ne peut pas maintenir éternellement, à partir du moment où une décision a été prise, où des consignes ont été données à lexploitant, un taux de charge équivalent à celui observé quand lentreprise fonctionnait.
Bien que, sur les ordres de nos directions, des efforts sont consentis afin de maintenir autant quon le peut des contrats pour les entreprises prestataires, il y a des départs. Cela est chiffrable.
Venons en au problème du personnel dEDF et de nos partenaires allemands et italiens. Le personnel allemand est parti. Le personnel italien va partir. Dans quelles conditions ? Là non plus, nous navons pas la maîtrise dune décision prise par une entreprise étrangère. LENEL a autorité sur son personnel. Ce personnel là partira. Là aussi, il subira, daprès ce qui est prévu et les informations que lon a aujourdhui, des pertes personnelles, non seulement financières, mais aussi professionnelles : objectifs de carrières, travail intéressant ou pas intéressant, « placard doré ». Il sera rapatrié en Italie. Ce sont des pertes sèches. Au plan individuel, cela sera difficile.
Quant aux agents EDF, Richard Nowalski vous disait tout à lheure quactuellement on est dans une phase dappel au volontariat pour les départs. Donc, le préjudice que lagent qui part peut subir est atténué, parce quil y a une démarche volontariste. Mais on est en train « décrémer » le haut du panier là aussi. Peut-être perd-on des compétences que lon aurait bien aimer garder sur le site. On va les perdre, mais comme cest un agent EDF, on pourra peut-être aller le rechercher, cest ce à quoi je faisais allusion tout à lheure.
Contrairement à ce que vous disiez, les équipes éclatent, mais à lintérieur de la maison EDF, on est capable, comme on la déjà démontré pour dautres sites, daller rechercher les gens et de reconstituer les équipes, plus facilement en effet que lorsque ce sont des prestataires.
Ces départs se font dans des conditions qui satisfont plus ou moins lagent, qui ne satisfont peut-être pas lentreprise, parce quil y a eu un engagement financier, un investissement de logistique important, mais qui à nos yeux - en tant que représentants du personnel - ne couvre pas les préjudices subis. On a beau indemniser les pertes de revenus, on les indemnise pendant un certain temps et après lagent sait très bien quil va retomber, donc il va y avoir des pertes. Après, cela se passera plus ou moins bien, mais ce sera dans trois ans, dans quatre ans.
Les gens actuellement, ne se posent pas ces questions là. Les gens se demandent actuellement : « Quest-ce que je peux retrouver comme travail ? Est-ce que je peux retrouver un travail équivalent ? Est-ce que cest dans mes compétences ? » Là, cest déjà plus difficile. Et quand on aborde les problèmes annexes : quest-ce que va faire ma famille ? Où vont aller mes enfants ? Où mon épouse va-t-elle retravailler ? Et quand on aborde les problèmes de biens personnels que lon a dans la région, quen fait-on ? Ce sont toutes ces questions qui inquiètent les agents, qui font que quelques cas deviennent « pointus », pour ne pas dire plus. Et nous espérons, en tant que représentants du personnel - on en a déjà parlé à la direction - que cela nira pas jusquà des drames familiaux. Certaines personnes sont dans une telle situation psychologique quelles sont au bord du gouffre. Voilà comment on ressent cette reconversion du personnel.
Les gens partent sans avoir « digéré » la fermeture de leur usine. Cest leur usine, cest notre bébé Creys-Malville. Cest difficile, parce que cest venu brutalement. Il a fallu que les gens se mettent dans la tête : « Elle ne tournera plus, il faut partir ». Donc, ce sont deux deuils consécutifs que doit faire le personnel. Cela nous pose des problèmes réels.
Pour répondre à votre question sur la reconversion du site, je vous dirai que pour linstant on na entendu parler de rien. Je ne sais pas si des gens ont des informations. Que va-t-on faire du site de Creys-Malville ? Là, ce sont des milliards engloutis. Cest tout. Tel est le sentiment du personnel.
Vous nous demandiez si la filière des RNR doit continuer ? Vous avez apporté vous-même la réponse tout à lheure en nous disant que cétait une filière dont on avait besoin.
Les grands spécialistes ont démontré quil fallait maintenir la filière des RNR, et quau moment de décider de ce que lon fait pour renouveler notre parc électronucléaire ou pour aider dautres pays qui nont pas dénergie à en avoir, il serait bien que lon ait le retour dexpérience de loutil.
Que va-t-on faire ? Du charbon ? Avec leffet de serre ! Cela se décidera peut-être au niveau international, mais pour nous, la filière RNR est quelque chose de vital. Nous lavons vécu comme tel. Je suis aussi lun des plus anciens du site. Cest un message qui a été porté, pas assez peut-être, par les chercheurs dans un premier temps, les essayeurs, le CEA, qui ont développé et mis au point cette filière à Phénix, puis à Creys-Malville qui a été une référence mondiale en la matière. Filière qui a été reprise par les Japonais et actuellement par les Russes.
Cest dommage, cela risque de poser problème aux générations futures, aux décideurs qui auront à se prononcer dans les années 2010, voire plus tôt pour savoir ce quils feront en la matière. En France à plus forte raison, quand il va falloir renouveler le parc actuel de centrales nucléaires.
Donc, pour nous cest clair, la filière doit être conservée. Par quel biais ? Si on ferme Superphénix, il faudrait peut-être en reconstruire un autre. On nest pas contre. Avec une autre technologie peut-être, une technologie plus avancée. Cela peut se faire sur le site. On a des turbines, on a un poste deau, on a les infrastructures. Si Creys-Malville ferme effectivement, il faut à mon avis, que les politiques, les « décideurs » - donc le Gouvernement - mettent les moyens nécessaires promis afin que les gens puissent obtenir une reconversion décente. Il y en a eu dautres dans le paysage économique français, qui ont eu des mesures daccompagnement financières, techniques ou autres largement à la hauteur de ce quon peut escompter aujourdhui pour Creys-Malville.
Quant aux propositions sur le site, on na rien entendu. Donc, on ne peut rien vous dire. On a des difficultés à être informés, à moins que quelquun ait des éléments à nous donner quant à la reconversion du site.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Vous avez posé la question de lefficacité de la commission.
Pour vous, cette venue est-elle un message despoir ou de désespoir ? Vous avez fait une croix, malheureusement, sur le surgénérateur et vous ne comptez plus, ou vous nattendez plus des politiques, de changement de décision.
Or, nous tenons à vous dire que la commission ici présente, qui auditionne presque tous les jours de la semaine, travaille, sinforme, pour justement remettre un rapport aux membres de lAssemblée nationale et au Premier ministre pour bien le sensibiliser sur ce gaspillage engagé par une décision politicienne. Cest bien là notre message, cest-à-dire conserver espoir.
Etant naturellement des vôtres sur cette région, je comprends et je connais toutes les difficultés, tous les drames humains qui sont occasionnés par cette décision.
Si les hommes politiques sont souvent discrédités, cest bien parce quils nécoutent pas suffisamment les électeurs. Alors, je souhaite, je me battrai pour que nous soyons entendus, pour que le Gouvernement et le Premier ministre puissent prendre en compte les positions des élus, en grande majorité favorables au redémarrage de Superphénix, et que cette décision qui a une importance essentielle pour lavenir de la filière électronucléaire ne repose pas uniquement sur 3 % de lélectorat.
Aujourdhui, cest Superphénix, mais demain ce sera La Hague, et dautres sites nucléaires. Dominique Voynet, lorsque nous lavons auditionnée, ne sest pas cachée pour nous dire : « Je suis antinucléaire », alors que le nucléaire a permis à notre pays de se développer et dacquérir son indépendance énergétique. Alors, nous nous battrons !
Jai également constaté, dans vos propos sur la prise en charge financière, que vous ne saviez rien et que vous étiez dans le désarroi. Cest bien là un drame supplémentaire qui se répercute sur toute la région. Nous le connaissons au niveau de léconomie régionale.
Cette décision a fait mal à notre région, comme elle a fait mal à la France. Nous prenons donc vos propos en considération. Il est essentiel découter la base et ceux qui ont construit, qui ont fait « votre bébé » comme vous lavez dit. Et pour le surgénérateur, fruit de la recherche et de la technologie française - jinsiste -, sachez que nous sommes solidaires de vos propos et que nous nous battrons, même si ce nest pas encore gagné.
M. Richard NOWALSKI : Tout espoir nest peut-être pas perdu, mais nous sommes, depuis lannonce du 2 février, dans une logique darrêt. On peut se rendre compte au travers des médias quun certain nombre déléments sont repris par la presse, auxquels notre entreprise ne fait pas écho, napporte pas de démenti.
Concernant les attaques contre La Hague, on est tenté de dire que le nucléaire en France est comme une chaîne, une fois quon a identifié le maillon faible, on casse le maillon faible et la chaîne est perdue.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous voulez dire par là, que larrêt de Superphénix...
M. Richard NOWALSKI : Pas celui de Superphénix, Superphénix était un petit peu le « mouton noir » du nucléaire. Cest plutôt par rapport à La Hague que je situe mon discours, parce queffectivement à partir du moment où on ne peut plus retraiter le combustible, on aura vraiment un problème. On se posera alors la question de lentreposage de surface, lentreposage en profondeur, mais on ne fera quentreposer, on ne retraitera plus. Si La Hague saute, cest fini.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Oui, on a déjà les deux cas de figure. Jai suffisamment étudié les problèmes des déchets nucléaires. Il y a aujourdhui 850 tonnes de combustible retraité, mais il y a aussi 350 tonnes de combustible irradié non retraité dores et déjà destiné à un entreposage à léchelle dune vie humaine voire au-delà.
M. Richard NOWALSKI : Donc, vous confirmez par vos propos le fait quun surgénérateur a sa place dans un avenir au moins à moyen terme. Aujourdhui, on arrive trop tôt.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous avons observé quil y avait une part non négligeable des combustibles irradiés qui dores et déjà était laissée en létat.
Nul doute que dans lhypothèse dun arrêt de Superphénix, cela augmentera la quantité de combustibles qui ne seront pas retraités puisque les besoins en plutonium seront atténués.
M. Richard NOWALSKI : Que dit un père de famille quand il sait quil va laisser cela à ses enfants ?
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Cest un constat que je fais. On la souligné parce que ce nétait pas dit par les responsables.
M. Richard NOWALSKI : Vous savez, ici, cest vraiment familial ; un noyau qui est sans commune mesure avec ce que jai pu connaître par le passé, et qui nest pas comparable en fait à ce que lon peut retrouver dans les structures - excusez-moi du terme un peu interchangeables du parc REP. En fait, les structures REP sont identiques dune centrale à lautre. Mais Superphénix non, Superphénix est quelque chose de tout à fait spécifique. A loccasion dun tract, javais dit : « Superphénix a une âme », et jen suis convaincu.
Même si on sinscrit dans une logique de fermeture, même si tout le personnel sen va, restera lâme de Superphénix.
M. Christian MOESL : Tout à lheure lun dentre vous parlait de laudition de Mme Dominique Voynet. Dominique Voynet a profité de la démocratie, des alliances possibles, etc. Elle a fait son travail de militante acharnée, mais aujourdhui elle a un tel acharnement !
Quelquun disait quelle était contre le nucléaire, moi je vais plus loin que ça : elle est contre le nucléaire certes, mais elle est en outre contre EDF. Comme la production nucléaire, en France, est gérée par EDF, cela gêne énormément Dominique Voynet dans sa pensée, extrémiste presque. Aujourdhui, elle est au Gouvernement où elle sest attaquée à Creys-Malville. Elle a gagné, elle a fini par le faire tomber. Cest une promesse électorale.
Elle va sattaquer à La Hague avec fermeté, elle la dailleurs démontré. Et puis, à partir de là, comme on disait, la démonstration est facile à faire. Quand la chaîne de retraitement, lunité de traitement physique et chimique de La Hague pour traiter le combustible et lunité de brûlage quaurait pu constituer le surgénérateur, nexisteront plus, ne seront plus opérationnelles, ce sera vite fait. Il ny a pas besoin de dessins. La filière nucléaire sera condamnée...par 3 % délecteurs.
M. Richard NOWALSKI : On a même limpression que ce nest pas simplement la filière nucléaire qui est condamnée, mais que cest un problème de taille, et queffectivement à échéance, il y aura une multitude de petites unités productrices délectricité, plutôt que des installations de cette grandeur qui sont à la limite de la dimension humaine parfois.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Ce nest pas ce que nous dit EDF dans ses prévisions. Vous, vous avez plutôt limpression - détrompez-moi si jinterprète mal - quil y a une volonté politique de préférer les petites plutôt que les grandes installations ambitieuses.
Pour linstant, nous navons jamais entendu affirmer cela de la part dEDF.
M. Jean-François KOWALSKI : On voudrait partager votre optimisme en faisant voter lAssemblée. Je veux dire que vous nous apportez du baume au cur, mais malheureusement je crois que ça arrive un peu tard. Cest bien avant que cela aurait du être fait. Le personnel a ressenti une certaine trahison quand on a décidé darrêter Superphénix.
Mais derrière tout cela, il y a lavenir énergétique de la France quil ne faut pas négliger. Je pense que tous, demain, on aura à rendre des comptes de cela.
Pour le site, il faudrait faire une reconversion urgente, tant de la part dEDF que de M. Aubert que jai rencontré sur le site à plusieurs reprises. Car cela na pas été à la hauteur des espérances du personnel. De plus, je suis conseiller des salariés, donc jai affaire aux prestataires qui sont licenciés à lextérieur. Aujourdhui, nous avons vraiment limpression dêtre abandonnés.
Vous venez nous voir, cest bien, mais je nai pas limpression que vous allez réussir à « renverser la vapeur », surtout quà lépoque, on navait pas mal darguments pour justement brûler au moins le deuxième cur. Donc, je crois malheureusement que cest un peu tard, je crois quil aurait fallu faire cela plus tôt...
M. Christian MOESL : Les arguments économiques, techniques et de sûreté sont des arguments forts. Ils ont été développés par nos directions, on en a eu la confirmation auprès des ministères. Tout le monde a apporté la solution honnête pour tout le monde. Il y avait la promesse électorale dun côté, il y avait un Gouvernement qui avait pris une décision, daccord. Après, il y a la mise en musique de la décision qui pouvait permettre de le faire dans le temps, dans la mesure où lon avait encore quelques années devant nous de combustible et une installation en bon état. On aurait donc pu ne pas prendre une décision brutale, avec les conséquences humaines que ça comporte ; dire : on continue de valider la filière en brûlant les curs ; on avait lopportunité de faire cela dans un délai correct, en respectant la loi Bataille. Oui, parce quil va bien falloir en parler à un moment donné.
Malgré cela, on a eu un pouvoir élu - parce que cest cela aussi la démocratie - qui na rien entendu. Effectivement, quelquun a dit que le Premier ministre a été mal conseillé, mais quand même !
Donc, je voudrais vous faire passer le message suivant : le personnel ny croit plus. Il ne voit pas comment le Gouvernement, même après les conclusions dune commission denquête, pourrait par un revirement et un remaniement ministériel, apporter une solution qui pour nous sera une bouffée doxygène ou un redémarrage possible. Ce sont des solutions très hypothétiques.
M. le Président : Jirai un peu plus loin que vous en mettant « les pieds dans le plat ». Comme toutes les conditions déquilibre depuis 1996 se trouvaient réunies pour que Superphénix soit un succès dexploitation, il sagissait de ne pas le laisser redémarrer afin que vous nayez pas la possibilité de faire la démonstration de son efficacité.
M. Christian MOESL : Exactement, mais là aussi, les politiques avaient toutes les cartes en main. Il y avait une volonté manifeste de laisser traîner le dossier. Nous, on comprend bien, moi je suis là depuis 1980. Superphénix, on le sent bien, cest une épine pour tous les gens qui ont été au pouvoir. Tout le temps. On la bien senti, on a toujours eu des décisions frileuses de la part des politiques.
Je prends lexemple du dernier Gouvernement : Corinne Lepage a mis Superphénix au bord du précipice et Dominique Voynet la poussé. Donc, on a subi depuis toujours à Creys-Malville, les aléas politico-économico-techniques. Sachant, et nous le constatons en tant que représentants du personnel, quà chaque fois - cest un message fort - cest le personnel qui a fait les frais de lopération. Personnel interne et externe. A chaque fois : en 1992, on ne savait plus quoi faire du personnel, on ne savait plus comment maintenir les compétences.
M. le Président : Je vous remercie de nous avoir apporté votre témoignage.
M. Christian MOESL : Nous vous remercions dêtre venus.
Audition de MM. Gilles PEDEMONTI,
Denis KIRCHSTETTER,
Membres du Comité mixte à la production (CMP),
et Christian LIMINANA,
Secrétaire du Comité mixte à la production
(extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 1998)
Présidence de M. Christian BATAILLE, Rapporteur
Messieurs Gilles Pedemonti, Christian Liminana et Denis Kirchstetter sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Gilles Pedemonti, Christian Liminana et Denis Kirchstetter prêtent serment.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je vous souhaite la bienvenue.
M. Christian LIMINANA : Je vous présente tout dabord le Comité mixte à la production. Le CMP, organisme consultatif, a pour but dexaminer toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, demploi et de formation professionnelle des salariés ainsi que leurs conditions de vie dans lentreprise.
Le CMP a également pour mission détudier et de présenter toutes les suggestions visant à améliorer le rendement du travail ainsi que les conditions de fonctionnement des services, et à réaliser des économies de tous ordres.
Lorganisme est également informé et consulté, préalablement à tout projet important dintroduction de nouvelles technologies lorsque celui-ci est susceptible davoir des conséquences sur lemploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel.
La décision de fermeture est nettement contraire à ce pourquoi le CMP a été créé, conformément à larticle 33 du statut national du personnel des industries électriques et gazières et de larticle L.431-4 du code du travail.
Suite à la déclaration du Premier ministre, le 19 juin 1997 : « Superphénix sera abandonné », nous avons retenu trois mots clés : droit à lerreur, temps nécessaire, concertation.
Entre la déclaration « sera abandonné » et la décision du 2 février 1998, nous aurions dû être consultés sur laspect financier, la loi Bataille, les modalités de redéploiement sans précipitation pour lensemble des salariés agents EDF, prestataires sous contrat, intérimaires et partenaires.
La décision de fermeture du 2 février a été prise sans aucune concertation avec les acteurs de terrain, et notamment le CMP en charge dexaminer les modalités de redéploiement du personnel et la politique de suivi de linstallation.
Nous réitérons notre demande de rencontre auprès de M. Jospin, Premier ministre et de Mme Aubry, ministre de lEmploi, pour quenfin, les délégués du personnel ayant en charge lensemble des problèmes soient consultés et entendus.
La non-concertation conduit à un gaspillage financier équivalent à 24 milliards de kWh 15 ans de consommation de la ville de Lyon , le paiement dans son intégralité du démantèlement par EDF, lindemnisation des partenaires, un drame humain : pertes demplois, choc psychologique dans les familles pour les épouses et enfants, perte de conditions de travail exceptionnelles la dosimétrie moyenne du personnel de Superphénix est 50 fois inférieure à celle du parc classique REP.
Seule la direction générale dEDF est en charge aujourdhui de la gestion de la crise et des mesures daccompagnement du redéploiement, et celles-ci ne sont pas à la hauteur de limpact de la fermeture, si elle était confirmée par un vote à lAssemblée nationale.
Nous demandons que ce dossier soit réellement négocié avec le Gouvernement en termes financiers pretium doloris , emplois, retraites, reconversion du site EPR par exemple.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai bien noté la manière dont vous déplorez une absence de concertation et votre sentiment sur les mesures de reconversion. Mes questions porteront donc sur ces deux points.
Comment percevez-vous les projets de reconversion ? Estimez-vous, comme cela a été affirmé, que le démantèlement de Superphénix va être lui-même un chantier qui mobilisera des emplois ? Par ailleurs, tant pour le personnel sous statut dune part, que pour le personnel hors statut dautre part, craignez-vous effectivement quil y ait des laissés pour compte, en dehors des mécanismes volontaires de reclassement dans dautres entreprises EDF, que des personnels se retrouvent au chômage, à lissue de ces opérations de fermeture ?
M. Christian LIMINANA : La perception que jai de la décision du Gouvernement dabandonner Superphénix est quaujourdhui, il y a un désengagement total du Gouvernement qui laisse à EDF le soin de gérer toutes les conditions de départ : redéploiement pour les agents de la centrale et reclassement des agents des entreprises extérieures.
Vous nêtes pas sans savoir que nous avons été conduits à mener une action rue Murat pour faire dire aux directions générales que, tout comme lavait annoncé le Gouvernement, tant quil ny aurait pas de décret on maintenait les emplois sur le site. Mme Voynet disait à qui voulait lentendre que, de toute façon, il ny avait pas de perte demplois. Que tant que le décret ne serait pas publié, il ny aurait pas de perte demplois. Aujourdhui, la réalité du terrain, cest quil y a des pertes demplois. Et le cacher serait vraiment dire nimporte quoi !
Je voudrais simplement rappeler que, alors que lon pensait que des moyens exceptionnels seraient donnés à EDF par le Gouvernement pour pouvoir accompagner ces mesures - là, je ninterviens que sur laspect social, et non sur laspect politique -, aujourdhui on saperçoit que rien nest fait.
M. Denis KIRCHSTETTER : En ce qui concerne les projets de reconversions, on a entendu parler de lEPR.
Effectivement, cette question se pose, mais il ny a rien de concret pour linstant. Cest clair. Quant à laffirmation que la fermeture de Creys-Malville aurait pu créer quelques milliers demplois, voire - certains lont annoncé - quelques dizaines de milliers demplois, on se rend compte effectivement sur le terrain que cest un mensonge parfait. Une centaine dagents EDF sont déjà partis, des prestataires sont partis, des partenaires sont sur le point de partir. On voit bien ce que cela donne.
Dautre part, on a lexpérience de ce qui sest passé quand lusine de Rapsodie a fermé. Cela nengage quun nombre limité de personnels. Il est bien évident que pour conduire une usine il faut un nombre de personnels beaucoup plus important que pour la démanteler, ne serait-ce même que pour la construire. En effet, pour la construire, il faut des dossiers de fabrication, des contrôles, des analyses, des dossiers de fin de fabrication etc.
Quant au démantèlement dune usine, une fois quon a vidangé les tuyaux
- cest une caricature - on coupe tout à la disqueuse. Demblée, on voit bien que le rapport du nombre de personnels est complètement différent. Donc, ce qua annoncé Mme Voynet, je suis peut-être un peu péjoratif, mais cest du « vent ».
M. Gilles PEDEMONTI : Pour répondre à une partie de la question de M. Bataille, vous avez demandé sil y avait des laissés pour compte et si on pouvait les identifier.
Je peux vous dire quil y a déjà des laissés pour compte, à savoir les intérimaires. Il y avait une quantité dintérimaires assez importante qui travaillaient pour des entreprises depuis des années sur le site et qui changeaient régulièrement de contrats. Ces gens-là nont pas vu leur contrat renouvelé. Et jusquà présent, sauf si on me contredit, la cellule de reconversion na pas la charge de ce type de personnel. Cest-à-dire que des gens qui ont travaillé là trois, quatre, cinq ans en qualité dintérimaires, ont perdu un emploi il y a trois, quatre, cinq ou six mois. Jen connais personnellement qui sont au chômage depuis le mois de janvier et qui avaient cinq ans de présence à Creys-Malville.
M. Denis KIRCHSTETTER : Daucuns disent que les agents EDF ne perdent pas leur emploi. Il me semble très important de faire remarquer que les agents EDF qui vont être mutés, ou qui sont en cours de mutation pour dautres sites, vont prendre la place dagents qui pourraient loccuper dans dautres sites. In fine, ce sont donc des emplois perdus. Daucuns nont pas bien en tête ce fait là. Et il y a 732 emplois sur le site à Creys-Malville, et à terme il y aura moins 732 emplois si lusine ferme. Cest clair. Donc, tout le monde est concerné, même si les agents EDF sont employés ailleurs.
M. Marcel DEHOUX : Jai deux questions à vous poser. Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué le rôle du CMP et le manque de concertation. Cette concertation est-elle obligatoire, légale ? Cette non-concertation peut-elle faire lobjet dun recours ou dune décision de justice, ou est-ce une simple consultation qui na aucun autre pouvoir ?
Deuxièmement, avez-vous eu des contacts avec la personne qui est chargée des reconversions et quel est votre sentiment ?
M. Christian LIMINANA : Pour répondre à votre première question, nous sommes un organisme consultatif. En revanche, il est vrai que larrêt immédiat dune centrale est une première en France. Jusquà présent, on anticipait les réformes de structures, larrêt dune centrale, par des mesures, à travers le CMP, qui intervenaient près de quatre ou cinq ans avant la fermeture du site, dans le cadre de la reconversion du personnel. Chacun avait le temps nécessaire pour préparer son redéploiement en toute tranquillité.
Après la décision dabandonner Superphénix - je parle au nom des gens du CMP -, on avait le sentiment quon aurait au moins le temps dexpliciter au Gouvernement le bien-fondé de notre démarche, en conseillant de brûler le cur et demi pour laisser à notre direction le temps nécessaire de prévoir et de préparer le redéploiement, dune part, et pour que les salariés des entreprises extérieures puissent retrouver un autre emploi, que les entreprises travaillant sur le site puissent se redéployer ailleurs, dautre part ; cétait le temps nécessaire.
Cela étant dit, quand on dit que nous navons pas été consultés, il ny avait aucune obligation légale.
On ne peut pas dire aujourdhui à notre direction quelle na pas respecté les délais, si cest une décision gouvernementale. Cest la raison pour laquelle on crie au scandale. Quand on parle de drame humain, jai du mal à mexprimer, parce quil faut savoir lampleur du désastre qui est en train de se passer.
Je ne comprends pas comment un Gouvernement, aussi digne soit-il, peut à un moment donné faire cette erreur. Lionel Jospin a parlé de « droit à lerreur ». Je lui concède ce droit à lerreur. Il a abandonné un projet politique, énergétique, mais ça, cest son choix politique. Après, je pense que chacun est responsable des deniers des citoyens, et cest un véritable gaspillage !
Largent, les 24 milliards de kWh représentent une somme dargent. Les emplois perdus, cest une somme dargent aussi. Le démantèlement qui va être pris en charge à 100 % par EDF alors quil aurait pu être partagé avec les partenaires, cest aussi une perte dargent.
Attendre jusquà la fin de lan 2000 avec nos partenaires, et peut-être développer la loi Bataille, aurait pu répondre à certaines exigences. Aujourdhui, on a limpression que lon sest moqué, non pas des agents de la centrale, mais du citoyen ; on a gaspillé largent public. Voilà ce que je voudrais vous faire toucher du doigt.
Pour terminer, un mot sur M. Aubert. M. Aubert avait été nommé pour traiter le dossier de la fermeture des mines de La Mure. Des collègues lont rencontré. Je suis désolé, mais que fait M. Aubert, quand on voit ce qui sest passé sur ce site. On navait pas envie de rencontrer ce monsieur, on voulait rencontrer les décideurs.
Je vous répéterai ce que jai dit tout à lheure, à savoir quon voulait rencontrer Mme Martine Aubry pour lui expliquer comment un Gouvernement se disant créateur demplois va de fait supprimer des milliers demplois.
Je reste persuadé que M. Lionel Jospin navait pas lensemble des éléments pour prendre cette décision. Cest pour cette raison que lon avait pris, dans le cadre du CMP, la décision denvoyer à lensemble des ministres, députés et sénateurs, un dossier intitulé : « Impact socio-économique des emplois sur site de Superphénix. »
On a envoyé ce document, et on a eu la bêtise de croire quà un moment donné, nous serions consultés. Cest pourquoi nous disons quil y a eu non-concertation, et ce pour répondre à M. Lionel Jospin quand il parlait de concertation.
M. Denis KIRCHSTETTER : Quand nous disons que cest une décision antidémocratique, non seulement nous en sommes convaincus, mais dans les faits nous lavons vécu.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Très bien. Je note bien sûr, votre émotion. Nous-mêmes, en visitant une telle installation, sommes impressionnés par cette réalisation et la somme dintelligence et de génie qui a été nécessaire à sa mise en uvre.
Par conséquent, nous aussi nous avons un sentiment de surprise.
M. Denis KIRCHSTETTER : Juste une chose, vous laurez compris tout au long de cette journée, voire précédemment certainement, nous souhaitons un débat sur lénergie à lAssemblée nationale, suivi dun vote incluant Superphénix.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je répète ce que jai dit ce matin à lentrée de lentreprise. Nous sommes une délégation parlementaire chargée de réaliser une enquête sur ce qui sest passé et sur ce qui se passe en ce moment à Superphénix.
La décision du Gouvernement est prise. Par conséquent, je le dis très clairement, je crois quon naura pas, maintenant que la décision est prise, un débat concernant Superphénix. Mais on peut espérer effectivement un débat sur la politique de lénergie et la place de lénergie nucléaire dans cette politique de lénergie.
M. Christian LIMINANA : Je souhaiterais que le Gouvernement donne à EDF des moyens à hauteur de limpact de la fermeture et ne laisse pas seules les directions générales, voire les directions locales, se débrouiller pour gérer la misère. Car aujourdhui, cest bien ce que lon fait !
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Le sentiment que vous avez est que la décision est prise par le Gouvernement et que lentreprise doit sen débrouiller en quelque sorte.
M. Christian LIMINANA : Tout à fait.
M. Gilles KIRCHSTETTER : Cest ainsi quon le vit sur le terrain.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous vous remercions pour vos témoignages.
Audition de M. Claude ALLÈGRE,
Ministre de léducation nationale, de la recherche et de la technologie
(extrait du procès-verbal de la séance du 19 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Claude Allègre est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Claude Allègre prête serment.
M. le Président : : En 1956-1957, nous avions commencé je dis « nous » car jai eu la chance, avec Georges Vendryes, dy participer la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides. Et au fil du temps, en particulier à linitiative de votre prédécesseur, M. Curien, le réacteur Superphénix a pris une place de choix dans la recherche sur la transmutation des éléments en particulier.
Or, après une année 1996 de succès éminents plus de 250 jours de fonctionnement à pleine puissance , cet outil de recherche qui a donné satisfaction et qui nous apparaissait comme laboutissement de quarante années de recherche, sarrête.
Aussi souhaiterions-nous savoir ce quen tant quhomme de recherche, vous pensez de cet avatar, de cette décision lourde de conséquences pour notre avenir.
M. Claude ALLÈGRE : Je souhaite intégrer mon propos dans un contexte plus général, sachant que ma position nest pas du tout contingente puisque jai écrit sur ce sujet bien avant dêtre ministre.
Tout dabord, je pense que la France a fait le bon choix en développant la filière électro-nucléaire qui lui assure aujourdhui une indépendance énergétique.
Pour ma part, ayant été un écologiste avant lheure, je suis pourtant un grand partisan du principe du nucléaire. Je rappelle à cet égard que le nucléaire Hiroshima compris a tué et continue de tuer moins de monde, et de très loin, que le charbon. On parle en effet rarement des pertes quoccasionnent les coups de grisou à travers le monde.
Pour autant, le problème des déchets nest pas réglé de manière satisfaisante, en particulier dans notre pays.
Je crois donc fortement au nucléaire comme source énergétique, et pour longtemps ; mais jai également conscience que les déchets posent des problèmes très sérieux, et quils ne sont pas encore traités de manière totalement satisfaisante.
Ensuite, si la technique des surgénérateurs est très supérieure à celle des réacteurs normaux dans la mesure où elle réussit à utiliser 86 % de lénergie contenue dans luranium et rend donc le problème des réserves duranium quasi inexistant quoique là encore, le problème des déchets reste important , il faut reconnaître que la technologie nen a jamais été maîtrisée. Sans doute le sera-t-elle à terme, mais pas dans un avenir proche.
A mon sens, passer directement du stade expérimental de Phénix au stade dexploitation de Superphénix sans avoir résolu ces problèmes technologiques, a été une très grande erreur scientifique.
On le constate dailleurs aujourdhui. Le démantèlement de Superphénix montre en effet à quel point les problèmes liés au transfert déchelle ont été mal appréciés. Car passer dun petit réacteur expérimental à un gros réacteur ne se fait pas par simple homothétie : les problèmes sont extrêmement différents, et sont en réalité mal maîtrisés.
Cela fait donc longtemps que je suis partisan de la fermeture de Superphénix, tout comme jai été partisan de la réouverture de Phénix : je souhaite en effet, même si ce nest pas urgent pour la prochaine génération, les réacteurs à eau pressurisée fonctionneront une trentaine dannées , que nous continuions à travailler sur la technologie des surgénérateurs.
Jen viens au problème de lélimination des déchets. Ayant travaillé, il y a très longtemps, sur les problèmes de neutronique, je ne suis pas impressionné à lidée dutiliser Superphénix pour faire des expérimentations sur lélimination des déchets ; mais cétait un pis-aller pour justifier la continuation de lactivité de Superphénix, son intérêt premier nétant pas celui-là au départ, mais celui de produire de lélectricité.
Le problème de lélimination des déchets par réaction nucléaire est en fait international. La France doit prendre sa part dans sa résolution : peut-être le fera-t-elle avec le réacteur Jules Horowitz, ou sous une autre forme. Mais, en tout état de cause, elle ne saurait, à elle seule, étudier toutes les sections efficaces dans tous les spectres dénergie sur toutes les réactions nucléaires. Cette recherche doit donc être répartie entre les divers pays du monde qui, chacun, doivent en prendre leur part.
Jinsiste donc bien sur le fait que je ne suis pas satisfait des solutions et des techniques proposées à propos des déchets au travers des rapports divers et variés, en particulier parce quil y manque des expertises géologiques.
M. le Président : M. le Ministre, à la suite de la visite que nous avons faite à Cadarache et de celle, approfondie, de Superphénix, il ne nous semble pas que le démantèlement pose, en fait, des problèmes particuliers.
Certains ont dit que le problème de la combustion du sodium était considérable et navait même pas été envisagé. Or, à Cadarache, nous avons vu une installation susceptible de brûler une tonne de sodium, et constaté que des expériences de recyclage du sodium avaient déjà été prévues et expérimentées (cf. « Rapsodie »). Il ne nous semble donc pas que les termes du problème du démantèlement soient très différents en ce qui concerne Phénix et les réacteurs nucléaires en général, dune part,
Brennilis G 2 et G 3 ayant fourni une très large expérience , et Superphénix, dautre part.
Mais peut-être nous manque-t-il un certain nombre déléments dappréciation à ce propos ; aussi souhaiterais-je avoir votre point de vue sur ce démantèlement.
M. Claude ALLÈGRE : Sans entrer dans le détail du démantèlement, jestime que tout réacteur nucléaire, aujourdhui, doit pouvoir être arrêté, réparé et démonté dans des conditions de sûreté et de rapidité suffisantes.
On nous a dit, il y a quelque temps, que le démantèlement de Superphénix prendrait beaucoup de temps, et quil fallait donc brûler le cur. Si tel est le cas ce dont je doute , une telle réponse, en termes de sûreté, nest pas satisfaisante.
Pour ma part, je ne doute pas quon puisse démanteler. Certainement pas, en tout cas, comme je lai lu dans un rapport, en fabriquant du sel de cuisine avec du sodium ; mais pour fabriquer de la soude, il en va certainement autrement.
Certes, les appréciations évoluent vite, mais les informations dont je disposais avant notre prise de décision semblaient montrer que certains des problèmes liés au démantèlement nétaient pas résolus. Vous êtes vous-même un ingénieur nucléaire, M. le Président. Vous me dites quils sont maîtrisés, jen prends acte ; je me ferai moi-même une opinion en allant y voir dun peu plus près.
En tout état de cause, même si Superphénix a fonctionné de manière plus satisfaisante dans les derniers temps ce dont je vous donne acte , je ne suis pas persuadé que lensemble du cycle de technologie soit parfaitement maîtrisé. Cela dit, jadmets parfaitement que lon puisse avoir une opinion contraire.
Jinsiste en tout cas sur le fait que je ne suis pas hostile, pour ma part, aux surgénérateurs ; jen suis un partisan.
Mon souci tient au fait que très souvent, en France comme dans tous les pays du monde, le nucléaire suscite des opinions irrationnelles, parfois en raison dattitudes fâcheuses, parfois en raison de peurs irraisonnées. Or, je ne voudrais pas que ces peurs et fantasmes mettent en péril lindépendance énergétique de la France. Jy suis donc extrêmement attentif.
Il est certain que les « passages en force » opérés pendant des années à ce sujet affaiblissent le dossier on vient de le voir avec le transport des déchets , alors même que si les choses sont traitées dans la transparence la plus absolue, il peut être défendu avec efficacité. Je souhaite donc que le renouvellement des centrales nucléaires, vers 2010, ne se fasse pas sous la protection de la police en raison de manifestations.
Il faut que nous parvenions à un consensus. Cest en ce sens que je raisonne, et cest pourquoi jestime que la décision prise par le Gouvernement est sage.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : M. le Ministre, la conjonction des travaux parlementaires fait que si nous sommes réunis en commission denquête sur Superphénix et lavenir de la filière des neutrons rapides, Robert Galley et moi-même nous occupons, simultanément, de rédiger un rapport sur laval du cycle pour lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques. Cest donc avec beaucoup dintérêt que je note votre appréciation sur les solutions avancées en matière de déchets nucléaires.
Un aparté, tout dabord, par rapport à ce que vous venez de dire : si, sur certains aspects de la filière nucléaire, on peut effectivement déplorer lautoritarisme et le centralisme des décisions, pour ce qui concerne les déchets, le Parlement a engagé un débat ; on ne peut donc pas mettre sur le même plan ce qui relève de décisions dune « technostructure » et ce qui relève de la loi votée il y a sept ans par le Parlement, après débat.
Maintenant, une observation, suite à notre visite de Superphénix, hier : jai été surpris par la contradiction réelle entre ce quon nous a dit hier et ce que nous avions pu entendre ou lire quant aux dangers effrayants quune manipulation irresponsable du sodium pourrait entraîner. Une autre surprise tient au discours qui a pu être tenu quant au chantier de démantèlement : alors quil a été présenté par certains comme le chantier du siècle, nécessitant beaucoup de temps, tous nos interlocuteurs nous ont dit que ce démantèlement était tout à fait banal, quil ne mobiliserait que quelques dizaines de personnes pour un temps limité, et selon un calendrier qui va saccélérant.
Pour en revenir à la filière des neutrons rapides, notre difficulté est de faire pressentir à une Assemblée dont le temps est compté moins de cinq ans, très souvent , que la période utile de réflexion, en matière nucléaire, est de lordre, elle, dune cinquantaine dannées.
Notre sentiment est donc que la filière des réacteurs à neutrons rapides, si elle était suspendue, devrait en tout cas être préservée en termes de savoir, au travers des savants et des outils, pour une période supérieure à cinquante ans.
Jusquà la visite dhier, je pensais que le savoir et la recherche sur les neutrons rapides étaient un acquis de la connaissance française, quils pouvaient se dispenser de Superphénix et se prolonger par dautres canaux. Or jai cru comprendre hier ce qui ma beaucoup troublé que, au-delà de 2005, nous naurions plus doutil, quil ny aurait alors plus de veille technologique, la seule veille pouvant encore provenir du RJH le réacteur Jules Horowitz , encore que son application ne concerne pas les neutrons rapides.
En conséquence, votre ministère envisage-t-il de maintenir le savoir-faire en matière de neutrons rapides, sans labandonner au néant ? Et après larrêt de Phénix, maintiendra-t-on une veille technologique sur la filière des réacteurs à neutrons rapides ? Et si oui, par quels moyens ?
M. Claude ALLÈGRE : Je me réjouis, tout dabord, que la visite de Superphénix vous a montré que son démantèlement ne posait aucun problème ; cela signifierait que les arguments que lon nous avait opposés, lors de notre longue réflexion sur ce problème, sont injustifiés. Jen prends acte.
Sagissant de la période utile de cinquante ans en matière de veille scientifique, sachez que ce terme est très aléatoire. Les Américains ont fait la bombe atomique en moins de quatre ans. Et si lon avait un besoin quelconque sur un sujet extrêmement important, on refabriquerait des réacteurs à neutrons rapides en deux ans.
Cest dire que je ne crois pas du tout à la pertinence dune veille. La technologie des neutrons rapides ne se perdra pas, pour des raisons dailleurs multiples et variées. Les Américains ont perdu la technologie des trains alors quils ont été les grands pionniers dans la fabrication des trains transcontinentaux. Mais sils ont perdu cette technologie, elle existe ailleurs et ils la reprennent. Ce nest donc pas un grand problème.
Le grand problème, cest celui du traitement et de lélimination des déchets par les neutrons rapides et par les neutrons thermiques.
Sur ce point, je me suis toujours opposé et jai fini par être entendu à ce que lon mette les déchets à 4 000 mètres comme il en était question à une certaine époque , de manière à pouvoir les récupérer. Il faut en effet que la réversibilité soit toujours possible, pour que le jour où nous aurons une méthode délimination, nous puissions les détruire.
Cest dire quà mon sens, la destruction des déchets par le biais de techniques nucléaires est une voie extrêmement importante, et quil faut explorer ; mais pas tout seuls, chacun prenant en charge une partie de ces études les Américains, les Japonais, les Indiens sans doute, et dautres.
Or la France participera à cet effort : les moyens seront assurés pour que nous participions à cette étude sans réserve aucune. Encore faut-il veiller à ce que nous ayons des spécialistes sur les neutrons ; la plupart dentre eux doivent en effet prendre leur retraite, et nous navons pas formé suffisamment de jeunes dans ce domaine. Il existe dailleurs dautres secteurs nucléaires pour lesquels nous navons plus les spécialistes que nous avions à une époque, faute de les avoir formés.
Aussi, quelles que soient les rumeurs, je réaffirme que la filière nucléaire est essentielle pour le maintien de notre potentiel énergétique. Nous navons nullement lintention de changer de cap, ce qui ne signifie pas pour autant que nous agirons de manière aveugle.
Il faut en effet être conscients que les déchets posent un problème sérieux, et quil existe, aussi, des problèmes sociologiques en la matière, lesquels doivent être traités, même lorsquils sont dordre émotionnel. En tout état de cause, nous nous donnerons les moyens nécessaires pour traiter ces différents problèmes.
Depuis notre arrivée au Gouvernement, nos instructions ont été les suivantes : participer aux études sur le Rubbiatron, même sil savère que les problèmes sont plus compliqués que ce que mon ami Carlo Rubbia pensait initialement ; sengager dans une coordination internationale qui définisse clairement le rôle de la France dans létude des déchets, et cela se met en route ; poursuivre les études pour la fabrication de réacteurs à neutrons rapides.
Que se passera-t-il après 2004 ou 2005 ?
Le problème se pose. Sur ce point, je peux vous donner mon point de vue, mais pas la position du Gouvernement, puisquil nen a pas encore débattu.
Pour ma part, je ne souhaite pas que nous perdions la technologie des surgénérateurs. Non pas pour des raisons de veille scientifique, mais parce que cette technologie peut entraîner, plus vite quon ne le pense, une production dénergie beaucoup plus efficace que toutes les filières classiques, y compris la filière à eau pressurisée.
Je ne me projette donc pas à cinquante ans, car on ne peut savoir ce qui se sera passé entre-temps. Je rappelle à ce propos que ce nest pas en faisant des expériences pour améliorer la bougie quon a inventé lélectricité. Aussi trouvera-t-on peut-être, demain, une astuce permettant de rendre les surgénérateurs techniquement plus faciles à maîtriser. Peut-être prendra-t-on du sodium liquide comme échangeur de température, peut-être sapercevra-t-on que le bromure de lithium ou encore le « perlimpinpinate » de tout autre produit peut servir ; je ne sais pas, puisquon fabrique des matériaux nouveaux tous les jours ! On ne peut savoir par avance les découvertes qui pourront être faites.
Quant à savoir si nous avons lintention darrêter les recherches sur la filière nucléaire, y compris les recherches fondamentales, la réponse est clairement « non ». Mais ne me demandez pas plus de précisions.
M. Michel DESTOT : M. le Ministre, vous venez de manifester très fortement que larrêt de Superphénix nétait pas larrêt du nucléaire et pouvait même constituer, au fond, un nouveau départ pour le nucléaire. Ce message doit passer non seulement auprès des parlementaires mais, surtout, auprès de lopinion publique. Doù la nécessité de répondre à plusieurs interrogations.
Tout dabord, que va-t-on faire du plutonium qui est produit aujourdhui en abondance dans les centrales REP, avant stockage ? Etes-vous daccord pour pousser les feux des usines Mox, qui permettent lutilisation du plutonium et de luranium dans des conditions relativement efficaces du point de vue de la combustion ?
Par ailleurs, êtes-vous également daccord pour pousser les feux en faveur du réacteur du futur, pour lamélioration de la sûreté, notamment à travers lEPR ? Si oui, êtes-vous comme moi davis que cela doit avoir des répercussions sur les programmes expérimentaux du CEA ?
A mon sens, il faut maintenir les recherches en matière neutronique avec le réacteur Jules Horowitz , mais cest là la partie la plus facile. Le plus difficile, cest la partie thermo-hydraulique, et cest là que ça se passe si on trouvait mieux que le sodium liquide, on naurait pas les problèmes dincompatibilité avec luranium et leau.
Cest dire quil conviendrait de fixer au CEA de nouveaux objectifs en matière de recherche, notamment de nouvelles plates-formes expérimentales sur la thermique et la thermo-hydraulique, en appui du réacteur EPR. Nous avons fait jusquà présent du bon travail, mais il était limité aux REP actuels. On peut imaginer quelque chose de beaucoup plus évolutif dans le temps, donnant les assurances dun suivi sur le plan thermo-hydraulique et de progrès quant à la sûreté.
Enfin, on ne fait pas du nucléaire, de mon point de vue, seulement pour la France. Quand on est la première puissance nucléaire civile du monde, on est responsable pour la planète. Or le grand marché qui souvre, cest le marché chinois.
M. Franck BOROTRA : Et indien.
M. Michel DESTOT : Aujourdhui, si on veut apporter une réponse à la Chine, cest soit le charbon, soit le nucléaire. Et si nous sommes écologistes, si nous ne voulons pas sinistrer ce pays qui est un véritable continent, cest plutôt la réponse nucléaire que nous devons proposer. De ce point de vue, quelles sont les perspectives du Gouvernement, sachant que notre responsabilité nest pas simplement nationale mais bien mondiale ? La France ayant engagé près de 1 000 milliards de francs dans le nucléaire, cela mérite dêtre valorisé, tant pour notre pays que pour la planète.
M. Claude ALLÈGRE : Il se trouve que je serai demain au CEA pour installer le nouveau commissaire, ce qui mamènera à annoncer certaines choses sur le futur programme de recherches.
Je pense comme vous que le marché du nucléaire, à condition que les problèmes de sécurité nucléaire soient totalement maîtrisés, est considérable et que la France a une responsabilité particulière dans ce domaine.
Le CEA est un organisme qui a rendu des services considérables à ce pays, qui a maintenu une recherche de très grande qualité, et qui, chaque fois quon lui a posé un problème, a répondu avec efficacité et dévouement ; et cela même lorsquil lui a fallu accepter lidée des réacteurs Westinghouse au détriment de la filière quil avait lui-même développée. Or peu nombreux sont les organismes qui se seraient reconvertis avec autant denthousiasme et defficacité dans une telle situation.
Pour autant, sans vouloir donner le sentiment dêtre négatif, je crois quon a un peu trop négligé, ces dernières années, la recherche dans le domaine nucléaire, et quune partie de la diversification du CEA dans de très nombreux domaines, certes scientifiquement intéressants, a affaibli la recherche de solutions nucléaires originales.
Les questions dhommes ne sont dailleurs pas sans incidence : avec la retraite de Jules Horowitz, leffort de recherche a très largement faibli. Il ne sagit pas dexagérer cette critique, tant le CEA a continué de faire des choses magnifiques dans de multiples domaines. Mais sur le nucléaire, leffort de recherche, dinnovation, doit être encouragé.
Je crois comme vous quil y a des solutions à trouver, qui ne sont pas seulement technologiques, pour un certain nombre de types de réaction et pour certains types dappareils. Carlo Rubbia en a apporté une parmi dautres ; les Russes prétendent maîtriser totalement la technologie au plomb fondu pour les échanges. Est-ce vrai ? Je ne sais pas.
Toujours est-il que je suis favorable à ce que les recherches fondamentales
je dis bien fondamentales soient poursuivies et même accélérées dans ce domaine. Pour la raison que vous évoquez : parce que cest une responsabilité tout à fait particulière pour la France. Je ne suis donc pas en désaccord philosophique avec ce que vous avez dit.
M. Franck BOROTRA : La position de M. Allègre a lavantage dêtre claire. Et pour ma part, je suis heureux dentendre dans la bouche du ministre de léducation nationale, de la recherche et de la technologie que le Gouvernement souhaite maîtriser tous les éléments de la filière nucléaire afin dêtre en situation, le moment venu, de décider, de choisir, en faveur du nucléaire et dautres solutions.
Jindique à Michel Destot que sil est nécessaire de vendre des centrales nucléaires à la Chine, il est aussi nécessaire de lui vendre des usines produisant du charbon propre. La France possède la technologie en la matière, et ce sont plusieurs centaines de centrales qui peuvent être vendues. Je souhaite donc que lon associe les deux afin de ne pas manquer ce marché.
Une petite remarque, maintenant, M. le Ministre, sans aucun esprit polémique. Je partage votre point de vue selon lequel une plus grande transparence est nécessaire en ce qui concerne linformation sur le nucléaire, labsence de transparence conduisant en effet au développement de lirrationalité, sans parler de lexploitation erronée dinformations mal comprises.
Or je suis un peu triste que le Premier ministre, mercredi dernier, interrogé sur le problème du transport de conteneurs par la SNCF, ait cru devoir dire, concernant la contamination : « Les services de lEtat en ont, si jen crois le rapport, été informés, sans que cette prise de conscience conduise le précédent Gouvernement à prendre des décisions. » Jai lu le rapport de la DSIN, lequel indique, ce que je confirme officiellement, que lOPRI na jamais été informé de la contamination des conteneurs
cest M. Lacoste qui lécrit. La COGEMA dit avoir prévenu EDF, laquelle en a informé lIPSN, « lIPSN ne formulant pas de remarque particulière ». Voilà qui montre que le ministre de lindustrie de lépoque nen a rien su. Je trouve donc dommage, pour des raisons de transparence, quon ait cru devoir mettre en cause le Gouvernement précédent, alors que cest une affaire qui datait de 1988 ; en loccurrence, le recel de linformation a incontestablement été particulièrement néfaste tant pour EDF, pour la COGEMA que pour les services de lEtat.
Cette précision étant apportée, je souhaiterais vous poser trois brèves questions.
Tout dabord, vous dites quil faut maintenir la filière à neutrons rapides, et plaidez pour la réouverture de Phénix et la fermeture de Superphénix. Pour ma part, au travers des auditions que nous avons faites, je constate que tous les spécialistes affirment que Superphénix est non seulement aussi « sûr » que Phénix, mais quil est en outre dune génération différente en termes de sûreté, étant beaucoup plus moderne et performant.
Je comprends très bien que, pour des raisons politiques, on prenne la décision de fermer Superphénix ; du reste, cest ce que nous ont confirmé deux ministres, M. Pierret et Mme Voynet, même si leur explication nen est pas la même.
Je rappellerai pour mémoire que des expérimentations étaient prévues par le CEA concernant Superphénix, en particulier des assemblages tels NACRE et ECRIN. Toujours est-il que je ne comprends pas comment, disposant de deux outils, dont lun plus performant et plus moderne que lautre, de deux outils payés et susceptibles de permettre une expérimentation à partir des curs existants, comment on a pu choisir de remettre en route le moins moderne et le moins performant de ces deux outils...
M. Claude ALLÈGRE : Et le moins cher.
M. Franck BOROTRA : Pas si on produit de lélectricité.
M. Claude ALLÈGRE : Si, le moins cher.
M. Franck BOROTRA : Non, les spécialistes nous lont clairement expliqué. Le coût de lopération lui-même na dailleurs pas été celui qui a figuré dans le rapport de la Cour des comptes.
Il nest nullement dans mon intention de laisser entendre quil serait néfaste de rouvrir Phénix si on le peut, tant cest important pour la recherche, mais je le répète, je ne comprends vraiment pas que lon choisisse celui dont la sûreté est la moins évoluée.
Si le problème était de nature purement politique, il fallait décider de fermer Superphénix et de poursuivre lutilisation des curs existants en prenant en compte le problème dexpérimentation et le temps quil faut pour mettre en uvre le démantèlement
et je reconnais quil nexistait, au ministère de lindustrie, aucun dossier sur ce point, puisque cest une décision qui navait pas été envisagée.
Par ailleurs, je souhaiterais aller un peu plus loin que Michel Destot au sujet de la moxisation, qui est un des éléments déterminant et complémentaire de la destruction du plutonium.
Il y a deux manières de « manger » du plutonium : on peut soit utiliser Superphénix comme sous-générateur, soit recourir à la moxisation. Quel est votre choix, très précisément, dans ce domaine ?
La voie de la moxisation suppose son extension aux vingt-huit tranches prévues par EDF, avec pour conséquence, cest tout à fait clair, lextension dautorisation de Melox et, ce qui est tout aussi indispensable, une autorisation de charger les combustibles à haut taux de combustion.
Enfin, jen viens à Phénix, outil plus âgé et plus petit.
Vous avez dit que le passage de Phénix à Superphénix ne relevait pas dune homothétie. Or, selon les techniciens, hormis un problème déchangeur et une production de vapeur hélicoïdale et non à tubes droits, il ny a pas saut technologique entre Phénix et Superphénix : les technologies sont les mêmes ; Phénix a dailleurs profité du retour dexpérience de Superphénix.
Phénix pose des problèmes liés à la fissuration de circuits secondaires, des problèmes dadaptation de loutil aux risques sismiques, ainsi que des problèmes de sauts de réactivité constatés en 1990 en particulier , et qui ne semblent pas avoir été expliqués.
Dans ces conditions, pouvez-vous nous rassurer sur la remise en route de Phénix, qui, du reste, fait lobjet dune attaque de la part du lobby antinucléaire puisquil paraît quil y a un lobby nucléaire, il doit y avoir un lobby antinucléaire ? Avez-vous la garantie scientifique que les sauts de réactivité constatés ne sont pas la conséquence dune modification du cur ? Car sil y a modification du cur, il y a malheureusement risque grave, et il métonnerait, connaissant votre compétence et votre prudence, que vous vous engagiez dans cette voie sans avoir été rassuré.
M. Claude ALLÈGRE : Concernant le plutonium, je ne vous donnerai mon point de vue que lorsque le rapport concernant les déchets aura été remis par M. Le Déaut et que le Gouvernement en aura débattu.
Sagissant de Superphénix, il va de soi quil coûte beaucoup plus cher que Phénix : il suffit de comparer le prix quils ont coûté et le nombre de jours quils ont fonctionné, cest sans commune mesure. Phénix était un réacteur qui fonctionnait bien et quon croyait maîtriser parfaitement.
Superphénix napparaissait donc pas comme un saut technologique puisquon a cru quune simple homothétie suffirait. Mais lexpérience a prouvé que cétait plus compliqué que cela.
A propos de Phénix, je ne nie pas avoir défendu sa réouverture au sein du Gouvernement. Mais je ne lai fait quaprès avoir consulté M. dEscatha quant à la sûreté de Phénix. Cétait pour moi essentiel, et je me fie entièrement à ce que ma dit le CEA dans ce domaine. En létat actuel, je ne crois pas que la sécurité de Phénix soit en cause.
Quant à laprès-Phénix, cest un vrai sujet de débat. Pour ma part, Phénix peut faire beaucoup dans sa fonction de réacteur expérimental comme le montre la fin du rapport Curien sur Superphénix.
Je note, à ce sujet, quune des grandes forces des Américains est de savoir sarrêter à temps. Par exemple, ils font bien denvisager de fermer la station spatiale, qui est un gouffre financier inutile.
Or à mon sens, Superphénix était une erreur. Il sagissait avant tout de contenter M. Vendryes alors que M. Horowitz et M. Dautray sy opposaient. Cette installation était prématurée, dautant que la position de la production délectricité en surgénérateur sest trouvée affaiblie, solution à laquelle je crois beaucoup. Il me semble donc important darrêter ce que lon pense être une erreur, en dépit des vagues que cela provoque.
Quant aux lobbies, il est de fait que nous y sommes confrontés dans tous les domaines. Un exemple : avant une réunion interministérielle relative à un projet de décret concernant six personnes, nous recevons des pétitions de tous les coins de la France. Bientôt, comme à Washington, les lobbyistes safficheront ouvertement. Et il existe des lobbyistes pro-nucléaire le CEA et EDF sont particulièrement bien organisés dans ce domaine , comme des lobbyistes antinucléaire. Pour ma part, je ne fais partie ni de lun ni de lautre. Ma position est hétérodoxe : je suis, depuis longtemps, et écologiste et pronucléaire, car je crois que lénergie nucléaire maîtrisée est une source propre délectricité.
De la même manière, jai été un des rares à écrire, très tôt, quil y avait non pas un réchauffement de la planète et de fait, il ny en a pas mais une modification du climat, ce qui est tout à fait autre chose. Toutes les prédictions selon lesquelles nous devrions avoir trois degrés de plus depuis longtemps ne se sont dailleurs toujours pas réalisées. Quant au niveau des mers, contrairement à ce que les Américains croyaient avoir démontré, suite à une erreur de facteur dix, à savoir quil était monté dun centimètre, il nest monté que dun millimètre, ainsi que lont montré les Français, et encore, avec une marge derreur telle que tout cela ne signifie rien.
Pour en revenir à Superphénix, il me semble que chez certains, lattachement à Superphénix relève du fétichisme.
Pour autant, jindique très solennellement que je refuse catégoriquement dassocier la fermeture de Superphénix à une décision antinucléaire. Une telle assimilation serait criminelle pour lavenir énergétique de la France. On peut être pour la fermeture de Superphénix, ce qui est mon cas, et considérer la filière nucléaire comme une filière davenir.
Pour ce qui concerne les exportations, le client le plus proche est lInde, et lautre la Chine. Cela dit, le danger commercial nest pas nul puisque cela fait déjà sept ou huit fois y compris dans le domaine pétrolier que nos joint-ventures avec les Chinois se terminent par la création dune société chinoise utilisant la technologie occidentale. Je souhaiterais donc être sûr, avant de faire du commerce, que la Chine respectera les règles de commerce international.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Député de la circonscription sur laquelle se trouve Creys-Malville, M. le Ministre, jai bien entendu quil y avait un lobby pronucléaire fort au CEA et à EDF.
Pour autant, peut-on penser que des hommes dEtat tels que Guy Mollet, le général de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard dEstaing, Pierre Mendès-France ou François Mitterrand, qui ont pris des décisions importantes pour lindépendance énergétique de la France, aient tous fait fausse route dans le domaine du nucléaire ? Ce serait pour le moins surprenant.
M. Claude ALLÈGRE : Etre homme dEtat, ministre ou autre, ne veut pas dire quon ne fait pas derreur ! La sacralisation du pouvoir qui sous-tend votre question est totalement étrangère à un scientifique !
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mais vous pensez, vous, ne pas en faire ?
M. Claude ALLÈGRE : Mais bien sûr que si ! Pour un scientifique, cela na aucun sens : on ne progresse quen en faisant constamment et en tentant de les corriger incessamment.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mais il ny a pas eu erreur, puisque ça a permis la grandeur de notre pays.
M. Claude ALLÈGRE : Je lai dit, loption nucléaire a été une bonne option.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mais vous êtes dans un Gouvernement où il y a une antinucléaire notoire. Or elle la emporté, puisquelle a fait décider larrêt de Superphénix.
M. Claude ALLÈGRE : Non ! Je vous ai dit que jétais moi-même pour cette fermeture, moi qui ne suis pas antinucléaire ! Vous pouvez très bien dire que cest moi qui ai gagné ! Pourquoi attribuer cette décision à Mme Voynet ?
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mme Voynet affirme, au travers décrits ou de déclarations, quelle est antinucléaire et que pour elle, la fermeture de Superphénix nest quune étape qui sera suivie dautres.
Dans le cadre de cette commission denquête, nous avons procédé aux auditions de savants, de responsables, de ministres, danciens ministres, et avons entendu avec beaucoup dintérêt un de vos prédécesseurs au ministère de la recherche, M. Curien.
Or, M. Hubert Curien nous a dit que si le redémarrage de Phénix était une bonne chose, ce serait en revanche une erreur de le prévoir sans Superphénix. Pour lui, il est nécessaire de poursuivre la recherche sur la technologie des neutrons rapides, technologie française et davenir.
Un homme dEtat ne doit en effet pas prendre des décisions au jour le jour mais bien pour lavenir. Et M. Hubert Curien ne comprend pas la décision de fermer Superphénix. Quel est votre point de vue, eu égard à cette incompréhension de la part dun savant ?
M. Claude ALLÈGRE : M. Hubert Curien est un ami, son avis est respectable, mais le mien est différent. Nous avons beau être dans le même camp politique, cela nempêche pas les nuances, quels que soient les sujets, et notamment sur la politique énergétique de la France.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Vous me permettrez de ne pas avoir la même position que vous, à mon tour. Dautant que si vous étiez venu à Creys-Malville hier, M. le Ministre, vous auriez dû vous expliquer devant les salariés, les employés...
M. Claude ALLÈGRE : Cela vous semble être un argument scientifique ?
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Cest un argument humain ! On ne peut tout de même perdre de vue que lorsquon prend une décision de cette importance, cela concerne des hommes et des femmes quon ne paiera pas pour le drame quon leur inflige.
M. Claude ALLÈGRE : Partant de ce type de considération, vous ne fermez rien, vous narrêtez absolument rien
même un arsenal qui nest plus rentable. La majorité précédente a fermé les chantiers naval de La Ciotat et a été en butte aux employés, et cest bien normal. De toute évidence, le problème social, qui est extrêmement important, doit être traité, et le Gouvernement y attache un très grand intérêt. Mais ne mélangeons pas tout : le problème social est une chose, la décision dordre scientifique et technologique en est une autre.
Je comprends que, député de cette région, vous vous préoccupiez de ce problème, et il me paraît normal que les salariés se fassent du souci ; jy suis très sensible, mais cest là un argument dun type autre que scientifique.
M. Alain MOYNE-BRESSAND : Mais la décision a été brutale ! Vous venez de dire quil fallait débattre, poser les problèmes publiquement. Or les responsables comme les salariés regrettent quil ny ait pas eu de débat. Le Gouvernement aurait pu demander un avis à lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques, demander la constitution dune commission permettant à des savants de sexprimer, afin déclairer sa décision. Mais rien de cela na été fait. Doù le désarroi de ces hommes et de ces femmes, lesquels ne comptent pas beaucoup sur les moyens financiers pour se sauver dans cette affaire désastreuse.
M. Claude ALLÈGRE : Sagissant de la méthode, je vous signale que cette décision fait partie du programme du parti socialiste aux élections législatives pour lequel les Français ont voté. On ne peut donc pas parler de surprise. Le Premier ministre lavait lui-même annoncé dans son discours dinvestiture.
M. Franck BOROTRA : Le parti communiste, en tout cas, a confirmé navoir pas signé cela ; et il représente une composante qui pèse trois fois plus lourd que les Verts ! Je défends le parti communiste !
M. Noël MAMÈRE : Le parti communiste nétait pas candidat aux présidentielles, et M. Jospin, candidat aux présidentielles en 1995, a annoncé dès le premier tour quil fermerait Superphénix.
M. Claude ALLÈGRE : Je comprends, M. Borotra, que vous défendiez le parti communiste, et en tant que ministre de la majorité plurielle, jy suis sensible. Mais je vous ai parlé du programme du parti socialiste, et non de celui du parti communiste ; il y a une différence...
M. Franck BOROTRA : Certes, mais cest tout de même la majorité plurielle qui a gagné les élections. Or je le répète, le parti communiste pèse trois fois plus lourd que les Verts en termes délecteurs, et on a pris une décision de nature politique opposée à celle souhaitée par cette tendance !
M. Claude ALLÈGRE : Vous voulez nous donner des conseils sur lorganisation de la majorité ? Venant de votre parti et sachant la manière dont il se comporte, je vous écoute avec une grande attention !
M. le Président : M. le Ministre, lorsque nous avons auditionné M. Curien, il a dit que les deux réacteurs étaient complémentaires, quils permettaient de faire des recherches équivalentes ; mais, il a ajouté que sagissant de la filière des neutrons rapides, lapport de Superphénix, en termes de durée des matériaux, ou de leur capacité à encaisser des MW/jour par tonne, était incomparable.
M. Claude ALLÈGRE : Croyez bien que je connais lavis et les arguments dHubert Curien, mais jai aussi mon propre avis.
M. Noël MAMÈRE : De la même manière que certains de mes collègues se sont permis de faire des observations qui nétaient pas des questions, je souhaite répondre à leurs observations.
Tout dabord, cette commission denquête a été voulue par des collègues qui démontrent, jour après jour, séance après séance, quils font du « fétichisme », pour reprendre lexpression de M. le Ministre, à propos de Superphénix, avançant sans cesse des exemples de ce quaurait pu faire Superphénix en remplacement de la production délectricité - M. le Président vient de nous en donner une nouvelle illustration.
Je remercie M. le Ministre de la recherche de nous avoir dit avec la plus grande clarté que la fermeture de Superphénix ne tient pas à des raisons politiques
contrairement à ce que sattache à répéter M. Borotra, qui a des sympathies pour le parti communiste parce quil est aussi nucléariste que lui. Cette décision, a été prise, comme nous la dit ici M. Sené, parce que Superphénix ne fonctionnait pas et quun risque a été pris sur une technique mal maîtrisée.
Certains représentants de la Nation se comportent à cette occasion comme de vulgaires chasseurs. Pour eux, Mme Voynet nest pas en mesure de régler les problèmes daménagement du territoire et de chasse parce quelle est anti-chasse, et ne peut régler les problèmes de démantèlement du nucléaire et douverture vers les économies dénergie et les énergies alternatives du fait quelle est, paraît-il, antinucléaire. Cest à mon sens un procès dintention qui est inacceptable dans le cadre dune commission denquête qui se veut responsable.
M. le Président : Ce sont vos propos qui sont inacceptables ! Je nadmets pas ce que vous venez de dire !
M. Noël MAMÈRE : M. le Président, vous nétiez pas présent lors de ce procès qui a été fait à Mme Voynet, parce que vous étiez dans lhémicycle pour défendre la loi contre lexclusion. Vous ne pouvez donc mettre en cause ce que jai entendu.
Par ailleurs, M. le Ministre de la recherche a dit quelque chose de très important, à savoir que si le CEA a eu et a un rôle important, il na sans doute pas exercé, pour ce qui concerne linnovation en matière nucléaire, les responsabilités qui sont les siennes.
Dans ces conditions, M. le Ministre, comptez-vous continuer dallouer des sommes aussi importantes au CEA 18 milliards de francs de recherche , ou êtes-vous capable de répartir cet argent afin que, précisément, nous ne restions pas sous la dictature du nucléaire ?
Par ailleurs, vous avez très clairement affirmé que le vrai problème qui se posait à notre pays, ce nétait pas tant le nucléaire que la question des déchets. Un de nos collègues vient de nous dire que des hommes dEtat éminents ont pris des décisions qui ont fait la grandeur de la France ; mais ce quil oublie de dire, cest que certains hommes politiques et certains scientifiques, sans consultation nationale, ont décidé dun choix énergétique qui engage non seulement nos enfants mais nos petits-enfants et arrière-petits-enfants, et que des déchets nous restent sur les bras dont nous ne savons que faire.
La loi de 1991 prévoit trois filières pour les déchets. Celle de lenfouissement na pas la préférence du ministre de la recherche, et il a sans doute raison, puisquelle est irréversible et celle de la transmutation non plus, car elle se fixe sur cinquante ans. La filière retenue serait donc le stockage des déchets de manière réversible, afin de laisser le temps à la recherche de trouver un meilleur traitement de ces déchets.
M. Borotra, en citant un extrait du rapport de la DSIN, a soulevé un des problèmes les plus importants, à savoir la question du contrôleur et du contrôlé. La DSIN, lOPRI, lIPSN se sont passés la « patate chaude » sur la question du transport des déchets de combustibles irradiés, qui nest quun aspect du problème. En fait, tant quil ny aura pas de séparation du contrôleur et du contrôlé sur la question du nucléaire, cest-à-dire un minimum de transparence, nous narriverons à rien.
Un dernier mot à notre collègue Destot, qui nous a mis devant une alternative que, personnellement, je ne puis accepter, à savoir louverture sur la Chine ou sur lInde. Je rappelle en effet que si nous pleurons sur les essais nucléaires de lInde, la France joue en réalité un rôle déterminant, depuis trente ans, dans léquipement militaire de lInde, puisque nous avons été parmi les tout premiers pays à exporter notre technologie sur le nucléaire civil, tout en sachant le risque que nous prenions. Vis-à-vis de la Chine, peut-être y a-t-il une autre alternative que le charbon ou le nucléaire ; il y a dautres formes dénergie...
Je ne peux donc accepter, en tant que représentant de la Nation, que nous soyons face à une alternative se résumant au choix suivant : le charbon ou le nucléaire ; il y en a peut-être dautres.
Dailleurs, nous ne sommes pas non plus contraints dentrer dans la filière Mox et Melox.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous ne sommes pas à une table ronde, ici ! M. le Ministre est là, profitons plutôt de sa présence !
M. Noël MAMÈRE : Ce sont les collègues qui transforment les auditions en tables rondes, de par les opinions personnelles quils avancent, ce qui mamène à y répondre.
M. Michel DESTOT : Je suis choqué et heurté.
Je rappelle tout dabord que jai été précis dans mon propos en ce qui concerne les problèmes dexportation, même si le souci de concision ma amené à être quelque peu schématique. Si je nai cité que la Chine, et non lInde même si la question se pose, là aussi , ce nest pas seulement dans le souci dêtre prudent mais aussi dêtre précis.
Par ailleurs, nous ne sommes pas ici pour interpeller les collègues mais pour interroger le ministre que nous auditionnons.
Si je suis choqué et heurté, cest parce que cest moi qui ai présidé la séance daudition de Mme le Ministre de laménagement du territoire et de lenvironnement, Mme Voynet, audition qui me semble sêtre déroulée dans des conditions normales. Les interpellations ont été vives, certes, mais avec une liberté de ton qui, de mon point de vue, est restée tout à fait convenable.
Jai moi-même accueilli Mme Voynet, et lai raccompagnée comme il se doit. Nous lui avions précisé les règles du jeu auparavant, et lorsquelle est partie, elle ma donné acte que les choses sétaient passées comme nous en étions convenus.
Je tiens donc à ce quil ne soit pas dit, révisant lhistoire, que nous aurions assisté à une chasse à courre, chasse à laquelle jaurais moi-même participé en présidant une telle séance. Je ne laccepte pas, et je demande, M. le Président, que ce soit noté au procès-verbal.
M. le Président : : M. le Ministre, jai cru discerner, au travers des propos de M. Mamère, un certain nombre de questions. Seriez-vous assez aimable pour y répondre ?
M. Claude ALLÈGRE : Je reviendrai très précisément sur deux sujets qui ont été soulevés, parce quil sagit de questions de principe.
Sagissant des déchets, le Gouvernement na pas lintention de la remettre en cause la loi qui a été votée.
Or, cette loi indique trois orientations, qui sont des orientations de recherche. Le Gouvernement entend donc les suivre.
Jindique à ce propos que si les recherches sur lenfouissement nétaient pas très avancées, la notion de profondeur a beaucoup évolué au fil du temps, ce dont je suis heureux. En effet, enfouir les déchets à 4 000 mètres de manière irréversible était pour moi parfaitement inacceptable dun point de vue géologique, parce que vraiment dangereux pour les générations futures. On évoque désormais des profondeurs nettement moins importantes, ce qui rend cette voie géologiquement acceptable : enfouir à 400 mètres et de manière réversible, cest tout à fait autre chose.
Les trois voies seront donc explorées par le biais dexpériences, détudes, lesquelles seront rendues publiques et pourront donner lieu à débat. Il conviendra alors de prendre une décision en fonction des résultats.
Ensuite, je tiens à souligner que la position du Gouvernement français est une et indivisible.
Les débats internes du Gouvernement nont pas lieu dêtre commentés ; quil y ait des sensibilités différentes et connues, bien sûr ! Mais quelle que soit la sensibilité de tel ou tel membre du Gouvernement, tous défendent la position du Gouvernement.
Or, la décision du Gouvernement dans ce domaine, cest la fermeture de Superphénix. Bien sûr, vous pourriez fort bien mattribuer personnellement cette décision, mais ce ne serait pas juste, car la décision vient de tout le Gouvernement.
Toujours est-il que la position du Gouvernement me paraît équilibrée, et pas à sens unique.
A ce propos, M. Moyne-Bressand, je peux vous dire quen matière scientifique, certaines des décisions prises dans le passé ont été des erreurs lourdes de conséquences et des gouffres financiers. Je peux vous en citer plusieurs : le plan Calcul, la filière électronique, la navette Hermès, etc.
Tous les gouvernements font des erreurs, et les gens qui prennent les décisions ne sont pas nécessairement les responsables ultimes. Ce nest donc pas parce que tel gouvernement a pris telle ou telle décision quelle était bonne ou mauvaise.
Il me semble, a posteriori, que la décision de faire front sur la filière nucléaire a été une bonne décision. Quon le veuille ou non, on est obligé de le constater, aujourdhui. Où en serait la France si elle navait pas pris cette option ! On a donc fait un bon choix, et on la maintenu, ce qui nétait pas facile. De toute évidence, tout cela a été très bien mené.
Or, les grands choix scientifiques de la France ont été définis par les gouvernements du général de Gaulle. Des réorientations sur certaines disciplines auraient été nécessaires, mais, malheureusement ces grands choix ont été maintenus à lidentique ou presque. La finalité avait été définie à lépoque avec une très grande clarté. Il sagissait de garantir lindépendance militaire et énergétique de la France une des conséquences étant le lancement de la politique spatiale, qui a également été une très bonne décision.
Il ny a pas besoin dêtre gaulliste pour faire ce constat : cest bel et bien un fait historique. Et rendre hommage aux personnes qui ont pris cette décision, cest rendre hommage à des gens qui ont été clairvoyants. Mais le fait quils étaient hommes dEtat navait rien à voir.
Or le Gouvernement actuel, en ne voulant pas démanteler la filière nucléaire, est à mon sens fidèle à ce réalisme.
Jen viens maintenant à ma réponse à M. Mamère.
Oui, je suis de ceux qui regrettent quon nait pas confié au CEA la recherche sur toutes les énergies possibles.
Je suis en effet persuadé que si le CEA avait eu à faire des recherches sur les piles à combustible ou sur le photovoltaïque, on aurait du photovoltaïque et des voitures électriques qui fonctionnent, aujourdhui. Jen suis absolument convaincu, car chaque fois quon lui a confié une mission, le CEA sest toujours montré à la hauteur.
Aussi, puisquil convient de donner des missions à un organisme comme celui-là, je suis certain que lui confier une telle mission ne serait pas déplacé ; sans compter que cela donnerait confiance au pays si le CEA travaillait sur toutes les combinaisons énergétiques faisant appel à la technologie la plus avancée, depuis le nucléaire jusquaux piles photovoltaïques, aux piles à combustible et aux différentes autres sources dénergie.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Il y a quelques années, jai été le rapporteur de la seule loi opérationnelle concernant lénergie nucléaire : celle sur les déchets. Or le problème nest pas celui de lintangibilité de la loi ou dun fétichisme, mais de faire dautres lois. Nous ne souffrons pas de lexistence dune loi mais bien de linsuffisance de lois, et cela pour des raisons historiques.
Je suis dailleurs daccord avec vous pour estimer que jusqualors, dans ce domaine plus que dans dautres, sans doute, la décision a été laissée à lexécutif, le législatif étant relégué à la marge. Personne nen disconvient, maintenant. Aussi, la bonne façon, pour lexécutif, dassocier le Parlement est de prendre en considération les lois votées. Je le répète, il ne sagit pas de penser que la loi est intangible ; lurgence, actuellement, est de prendre en considération les problèmes de sûreté, de sécurité des centrales et le devenir des recherches.
A ce propos, je souhaiterais avoir votre avis sur les réacteurs hybrides. Le « Rubbia », par exemple, a-t-il un avenir et comptez-vous pousser pour quon continue les études en ce sens ?
Par ailleurs, la décision de fermer Superphénix va-t-elle entraîner une réorientation de nos coopérations internationales ? Quel est le devenir des coopérations internationales et, tout dabord, européennes ?
Enfin, jaurais souhaité connaître votre sentiment sur lEPR dans le domaine des réacteurs nucléaires du futur.
Si vous navez plus le temps daborder toutes ces questions aujourdhui, peut-être accepterez-vous, comme il est dusage dans le cadre dune commission denquête, de répondre à nos questions par écrit.
M. Claude ALLÈGRE : Je le ferai volontiers.
Concernant le problème de la loi, le Gouvernement a décidé dappliquer la loi existante sur les déchets, et donc de mener des recherches sur les trois voies prévues dans les textes.
Ce nest donc quune fois les résultats de ces recherches connus que lon pourra débattre de ce qui doit être fait. Mais pour linstant, nous avons jusquà 2006 pour les mener à bien.
Et il ne sagit pas non plus de mener, à nous tout seuls, toutes les recherches possibles sur la destruction nucléaire des déchets dans tous les domaines imaginables. Une coopération internationale simpose.
Nous allons donc bâtir et ladministrateur général du CEA, plus particulièrement une sorte de plan détudes coordonné au niveau international sur ce problème des déchets. Cest ce à quoi la France va travailler, là encore dans le cadre dune coopération internationale.
Pour ce qui concerne les réacteurs du futur, létude franco-allemande sur lEPR se poursuit, bien évidemment. Aucune menace nest à craindre dans ce secteur.
Jen reviens aux recherches.
Des experts ont commencé à travailler sur lidée de Carlo Rubbia. Or ils saperçoivent que les choses ne sont pas si simples que prévu. Ils ont constaté une production de déchets, des réactions parasites et dautres problèmes.
Mais par ailleurs, des scientifiques français du CEA disent quils ont eux aussi de nouvelles idées.
Cest pourquoi je ne crois pas négatif, en létat actuel, de laisser réfléchir les chercheurs dans une perspective un peu plus lointaine, afin de voir si de nouvelles idées émergent.
En tant que responsable de linvestissement-recherche, je préférerais donner de largent au CEA pour quil cherche dans ce sens plutôt que den donner au fameux programme Iter.
A ce propos, M. Mamère, je dois apporter un correctif à ce que vous avez dit : hélas, le CEA ne bénéficie pas de 18 milliards de francs pour faire de la recherche. Je le souhaiterais ! Et si les puissants députés que vous êtes pouvaient faire voter un budget de recherche du CEA à cette hauteur, vous me verriez franchement heureux en tant que ministre de la recherche.
M. le Président : Je vous rappelle tout de même que larticle 40 est là pour limiter notre enthousiasme de députés tout puissants.
Je vous remercie infiniment davoir participé à cette audition de notre commission denquête, M. le Ministre. Jespère que vous excuserez nos quelques éclats de voix, qui ne traduisent que limportance que les membres de cette commission attachent à ce sujet.
Et en ce qui concerne le plan Calcul, jaimerais un jour, puisque jen ai été le responsable, vous en parler plus longuement...
Audition de MM. Yannick dESCATHA,
Administrateur général du Commissariat à lénergie atomique (CEA)
et Bertrand BARRÉ,
Directeur des réacteurs nucléaires au CEA
(extrait du procès-verbal de la séance du 19 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
puis de M. Christian BATAILLE, Rapporteur
Messieurs Yannick dEscatha et Bertrand Barré sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Yannick dEscatha et Bertrand Barré prêtent serment.
M. le Président : M. lAdministrateur général, M. le Directeur, notre commission a souhaité vous auditionner pour aborder plusieurs problèmes avec vous : comment, dans votre esprit, se situe lavenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides ? Nous savons bien que Superphénix était laboutissement de quarante ans de recherche et que cest à loccasion du choc pétrolier qua été décidée la mise en route de ce processus destiné à utiliser la totalité de lénergie contenue dans luranium naturel.
Par ailleurs, lexploitation de Superphénix est équilibrée, donc la recherche développée à loccasion de la combustion des curs était gratuite, du fait de la couverture par le prix de lélectricité.
M. Yannick dESCATHA : Nous avions prévu de commencer par un exposé assez court en nous partageant les sujets, puis dêtre à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Je propose de débuter par une présentation de la stratégie que le CEA a mise en place pour poursuivre sur le long terme les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides après larrêt de Superphénix, et de parler du rôle des neutrons rapides dans lavenir de lénergie nucléaire.
Ensuite, M. Barré a prévu daborder le rôle du CEA dans la conception des réacteurs à neutrons rapides, en rappelant rapidement les différentes étapes : Rapsodie, Phénix, Superphénix, EFR, et de faire un point rapide sur la situation du réacteur Phénix.
Enfin, il indiquera les conséquences pour les équipes de recherche du CEA de larrêt de Superphénix.
Ce plan vous convient-il ?
M. le Président : Tout à fait.
M. Yannick dESCATHA : A la suite de la décision dabandon de Superphénix, le Gouvernement a demandé au CEA de proposer une stratégie qui permette de poursuivre sur le long terme les recherches sur les neutrons rapides en dehors de Superphénix.
Nous avons travaillé sur cette question et la stratégie que nous avons proposée est la suivante. Elle tient en quatre points qui sont à la fois complémentaires et étagés dans le temps, le but étant de poursuivre ces recherches sur le long terme. Bien sûr, jexpliquerai après pourquoi les neutrons rapides jouent un rôle dans lavenir du nucléaire.
Le premier élément de cette stratégie a été la reprise du fonctionnement en puissance de Phénix, avec le programme prévu, puisque nous avions distribué nos recherches entre les deux outils où se trouvent des neutrons rapides, à savoir Phénix et Superphénix, et ce, dune façon aussi optimum que possible et donc complémentaire.
Nous avons donc prévu de regarder ce qui pouvait être transféré de Superphénix vers Phénix. Nous avons conclu que nous pouvions, avec le programme prévu dans Phénix ainsi que les transferts possibles des expériences de Superphénix, réaliser les prescriptions de la loi du 30 décembre 1991. Nous perdions en fait la dimension industrielle quoffre Superphénix.
Dans le cadre de lapplication de la loi de 1991, nous avions effectué dimportants travaux de rénovation, en relation avec lautorité de sûreté. Une procédure de sûreté précise et rigoureuse a été mise en place avec des groupes dexperts indépendants, des analystes, des rapporteurs de lIPSN, etc. Cest pourquoi nous avons pu finalement obtenir lautorisation de reprendre le fonctionnement en puissance jusquen 2004.
Cest la date que nous avions demandée car elle correspond à laxe 1 (transmutation) de la loi de 1991. Cela implique donc de remettre nos conclusions en 2006 au plus tard et de sortir les expériences du réacteur en 2004 pour avoir le temps de découper les échantillons dans les cellules blindées, effectuer les mesures, les analyses, les interprétations, les calculs et tirer les conclusions.
Il sagit donc, dans un premier temps, dune remontée en puissance, et ce, le plus vite possible, afin de commencer le 50ème cycle, pour être capable daccumuler dici 2004 le maximum dexpériences. Loptimum nous a montré quil fallait, dès linstant où lautorité de sûreté était daccord, redémarrer le plus rapidement possible, afin de faire ce 50ème cycle durant lannée 1998, procéder à la visite décennale prévue en 1999, et reprendre les cycles suivants jusquen 2004.
Dans un deuxième temps, la stratégie consiste à adapter le réacteur de recherche dit « Jules Horowitz », en mémoire de ce grand physicien du CEA.
Depuis que nous avons arrêté le réacteur Siloé à Grenoble en décembre dernier, la France ne dispose plus, pour le soutien au parc actuel de ses réacteurs et la préparation de lavenir du nucléaire, que dun seul réacteur de recherche, qui est Osiris à Saclay.
Or, Osiris aura 40 ans en 2005. Donc il nous a paru sage de commencer à préparer son successeur et à le budgéter dans notre plan stratégique à cinq ans et dans notre plan dinvestissements à dix ans. Nous envisageons de le construire vers 2005 à Cadarache, parce que cest là que, dans un souci de rationalisation et déconomie, nous regroupons les laboratoires dexamen des combustibles irradiés.
Nous pensons que la France ne peut se passer des outils dirradiation ni de ce type de laboratoires, car ce sont vraiment les outils de base du nucléaire. Pour assurer le soutien du parc actuel mais aussi pour maintenir loption nucléaire ouverte dans le futur, il nous faut, dune part, une capacité de recherche en neutrons thermiques ceux lents qui se situent dans les réacteurs à eau dEDF et, dautre part, une capacité de recherche en neutrons rapides, pour poursuivre sur le long terme les recherches sur ces êtres physiques particulièrement performants appelés neutrons rapides.
Bertrand Barré a prévu dexpliquer en quelques mots pourquoi ceux-ci ont des propriétés vraiment intéressantes pour lavenir du nucléaire, en termes physiques.
Dans un souci déconomie, après larrêt de Superphénix et de Phénix en 2004, nous sommes en train de chercher à adapter le réacteur Jules Horowitz, pour quil puisse nous fournir précisément ces deux capacités de recherche en neutrons thermiques et rapides. Les études sont réorientées actuellement, nous en sommes au stade de la faisabilité, cest à dire que nous navons pas encore défini la situation optimum qui nous permettra, avec léconomie maximum dans ce réacteur, dobtenir une capacité de recherche en neutrons thermiques et rapides.
Le troisième volet de la stratégie consiste à participer à un projet européen de démonstrateur de systèmes hybrides.
Ces systèmes redeviennent dactualité du fait quil est possible actuellement de faire des accélérateurs de particules qui permettront de donner de bonnes performances à un couplage entre un accélérateur de protons, une cible de spallation et un milieu sous-critique.
Léconomie des neutrons ainsi obtenus est mieux adaptée à la transmutation des déchets à vie longue que les réacteurs critiques. Lesprit de la loi de 1991 est douvrir toutes les portes pendant cette période de recherche. Il nous a paru donc extrêmement important dès le début de nous mettre à travailler en coopération internationale sur ces technologies. Il sagit de créer une fédération de laboratoires et dindustriels à léchelle européenne dabord, puis internationale, et dêtre soutenus par lUnion européenne de façon significative, le but étant de développer et de construire un démonstrateur de ce concept permettant de réaliser et de qualifier le couplage de laccélérateur et du milieu sous-critique.
Nous envisageons le début du fonctionnement à lhorizon 2010 ou 2015.
Je pense que cela dépassera le cadre européen, je lai dit, parce quil est important que ces recherches rassemblent toutes les compétences déjà existantes, cest un projet important qui devra être financé, si possible, par lUnion européenne, mais aussi partagé entre les différents pays, ce qui permettra à chacun den avoir les bénéfices avec des contributions financières acceptables.
Mais ceci déborde le cadre de lEurope. Aux Etats-Unis, en particulier à Los Alamos, les résultats sont déjà très avancés. Et, par exemple, dans les technologies de métaux liquides autour du plomb et de ses alliages, la compétence des Russes est tout à fait intéressante.
Il nous paraît donc important de ne pas nous précipiter, cest-à-dire de profiter de cette opération pour ouvrir de nouvelles portes. Il ne sagit pas de reprendre les technologies que nous connaissons déjà. Nous voulons effectuer des travaux innovants dans ce domaine-là, en particulier celui des neutrons rapides.
A contrario nous ne voulons pas commencer à faire des recherches dans les voies les plus spéculatives et reporter laction aux calendes grecques. Il faut trouver un moyen terme, figer les paramètres du démonstrateur ; et essayer de dégager un consensus pour arrêter les options techniques du projet. Et bien sûr, dans lesprit de la loi de 1991, nous nallons pas nous limiter aux options que nous allons geler dans le démonstrateur ; il faut également des recherches daccompagnement dans dautres voies. Mais cest habituel dans le monde de la recherche.
Dailleurs, dans ce cadre, le réacteur Jules Horowitz jouera pleinement son rôle car il aura une capacité très flexible et ouverte : cest là sa spécification dexpérimentation en neutrons rapides.
Au passage, nous travaillons aussi sur des programmes innovants dans dautres filières, comme, par exemple, celles de réacteurs à haute température et à gaz, qui nous paraissent importantes, puisque là aussi il sagit douvrir des portes qui semblent prometteuses.
Enfin, le dernier volet consiste à nous appuyer sur des coopérations internationales renforcées. Nous étions au Japon il y a quelques semaines, où nous avons éprouvé le besoin de renforcer les coopérations scientifiques afin notamment de partager les outils de recherche. Nous voulons aussi développer notre coopération avec les Russes.
Ainsi donc, cette stratégie sera développée par des moyens complémentaires et prévus dans la durée et aura pour but de maintenir la recherche sur les neutrons rapides. Il faut savoir quelle a été approuvée par le Gouvernement lors du Comité interministériel du 2 février dernier.
Jarrive au deuxième point : pourquoi est-il aussi important de maintenir la recherche sur les neutrons rapides sur le long terme ?
Les neutrons rapides possèdent deux qualités particulières. Ils peuvent dune part, permettre la combustion de tout luranium et, dautre part, produire moins de déchets à vie longue et même les détruire.
Je veux insister sur laspect combustion de tout luranium.
Vous savez que la partie combustible de luranium naturel nest que de 0,7 % qui correspond à luranium 235, le reste, 99,3 %, correspond à luranium 238 qui nest pas combustible, mais il est fertile, propriété remarquable. Cela signifie que si on met de luranium 238 dans un réacteur, il va absorber un neutron, se transformer en plutonium 239 qui, lui, est combustible, et chacun connaît bien maintenant léquation : un gramme de plutonium = une tonne de pétrole.
Si on agit comme les Américains, cest-à-dire si on utilise des combustibles à luranium légèrement enrichi, et si à la sortie du réacteur on le jette, alors on emploie moins de 1 % de luranium naturel et le reste, qui est utilisable comme je lai dit, est gaspillé.
Nous allons comparer les sources dénergie qui sont luranium, le gaz et le pétrole. Bien sûr ceci nexclut en rien les efforts qui doivent être faits dans le domaine des économies dénergie et dans celui des énergies renouvelables qui ont un rôle à jouer mais qui ne sont pas au niveau nécessaire pour lapprovisionnement de la planète en énergie. Je me situe dans les grandes sources dénergie planétaires, cest-à-dire le gaz, le pétrole, le charbon et le nucléaire.
Le pétrole, le gaz et luranium 235 représentent en gros les mêmes ordres de grandeur. Je ne vous dirai pas précisément au bout de combien de temps ce serait épuisé, parce que cela naurait aucun sens, mais cela se compte en dizaines dannées. Entre-temps dailleurs, il pourrait se passer des phénomènes disruptifs, cest-à-dire des chocs pétroliers ou autres.
Par contre, le charbon est dans un autre ordre de grandeur, de même que luranium à condition de le brûler complétement.
En prenant une vision planétaire la France na ni charbon, ni pétrole, ni gaz de façon significative on voit bien lintérêt du nucléaire à long terme, à savoir brûler tout luranium, et pour cela il faut passer par le plutonium, donc utiliser des neutrons rapides.
Cest la physique qui le dit.
M. le Président : Un élément est fondamental pour moi, il nest dailleurs pas porté à la connaissance du public. Il sagit de la quantité dénergie quon est susceptible de tirer de luranium enrichi à travers les REP qui serait inférieure aux quantités de pétrole ou de gaz.
Au moment où lénergie nucléaire nous paraît être une source incroyable dénergie jusquà la fin des siècles, en réalité le niveau de réserve est inférieur à celui du gaz ou celui du pétrole.
M. Yannick dESCATHA : Il faut éviter les polémiques sur des chiffres trop précis, mais les ordres de grandeur ont la tête dure. Ils montrent bien comment se pose la problématique.
Il faut aussi tenir compte des réalités économiques. La filière REP fonctionne très bien, elle est performante. Luranium actuel est très bon marché, il y a dailleurs du gaz et du pétrole également très bon marché. Cest la raison pour laquelle, sauf phénomènes disruptifs, accidents de parcours géopolitiques, etc., personne ne voit lintroduction commerciale des réacteurs à neutrons rapides avant 2030 ou 2040.
Il faut donc être capable de maintenir les recherches sur les neutrons rapides à long terme, en particulier douvrir de nouvelles voies. Superphénix a été fait avec les meilleures technologies disponibles au début des années 1970, avec un saut hardi dans le facteur déchelle, parce quon craignait à lépoque une pénurie dénergie très proche.
Ce projet a rassemblé les Français, les Italiens, les Allemands, puis les Hollandais et les Belges. Effectivement, Superphénix est un prototype dont le rôle premier était de qualifier cette technologie et sa capacité à faire du courant électrique à léchelle industrielle. Cétait dailleurs le volet n° 1 du programme dacquisition de connaissances que nous avions prévu dans Superphénix. Il fallait détecter les points forts et les points faibles pour les corriger. A aucun moment la sûreté na été en cause.
Donc nous avions prévu de répartir nos programmes de recherche de façon optimale et complémentaire entre les deux outils disponibles en France en neutrons rapides, cest-à-dire Phénix et Superphénix. Phénix étant très exploratoire, très agile, et Superphénix servant à qualifier léchelle industrielle.
Nous avions prévu trois volets dans ce programme. Jai rappelé le premier, le deuxième était la combustion massive du plutonium, et le troisième la transmutation, axe 1 de la loi du 30 décembre 1991.
Ne disposant plus de loutil de recherche Superphénix, nous avons rapatrié dans Phénix ce quil était possible de faire, et nous avons pensé que nous pouvions répondre correctement à la loi de 1991, même si des données de qualification à léchelle industrielle ne pourront pas être apportées par Phénix.
Nous avons proposé la stratégie que jai exposée au début. Nous avons été satisfaits quelle ait été retenue par le Gouvernement le 2 février, en réunion interministérielle.
M. Bertrand BARRÉ : Je vais commencer par un peu de physique.
Le point important est le suivant : quand il y a des interactions entre un neutron et un noyau lourd, elles dépendent non seulement de la nature même du noyau lourd, mais aussi énormément, et quelquefois de façon extrêmement sensible, de lénergie du neutron qui interagit.
De façon très globale, on peut dire que plus le neutron est rapide, plus la probabilité dinteraction est faible, mais parmi les interactions possibles, plus il y a de chances de faire une fission plutôt quune capture.
Comment cela se traduit-il de façon très synthétique ? Comment fonctionnent, en termes déconomie de neutrons, un réacteur thermique du style REP, et un réacteur rapide ?
Pour faire de lénergie, il faut des fissions. Partons de 100 fissions et regardons ce qui se passe dans un réacteur thermique dont le cur est formé pour lessentiel duranium 235 ; il y aura 250 neutrons. Il en faut 100 sur ces 250 pour entretenir la réaction en chaîne.
Nous en perdons, par fuite ou par absorption stérile, à peu près 90. Donc il en reste 60 qui, à lintérieur du cur, font en général du plutonium par capture dans luranium 238.
Nous sommes partis de 100 isotopes fissiles que nous avons brûlés, au passage nous en avons quand même refabriqué 60, mais moins de 100.
Dans un réacteur à neutrons rapides avec un combustible à plutonium, les mêmes 100 fissions produisent plus de neutrons, 290 au lieu de 250, il en faut toujours 100 pour réentretenir la réaction en chaîne.
Dune façon générale, les probabilités de réactions sont un peu plus faibles en rapides quen thermiques, il y a moins dabsorption, nous nen perdons en gros que 60 de façon stérile. Il en reste environ 130, donc plus que 100.
Si nous optimisons le réacteur rapide en surgénérateur, il est possible dutiliser les 130 neutrons pour faire autant datomes de plutonium, nous aurons fabriqué plus datomes fissiles que nous en aurons brûlés, mais nous pouvons aussi utiliser cet excès de neutrons pour brûler des déchets.
Jarrête la physique. Ce nest pas une question de technologie, mais vraiment de propriété fondamentale de la matière. Les interactions entre un neutron et un noyau lourd dépendent de celui-ci, mais aussi de lénergie du neutron, et nous ny pouvons rien.
Je ferai maintenant un rapide historique de limplication du CEA dans le programme français.
Dès 1946, les Américains faisaient fonctionner un petit réacteur rapide appelé Clémentine qui était refroidi au mercure. De 1951 à 1963, a fonctionné dans lIdaho un réacteur appelé EBR1 déjà producteur de 200 kW délectricité. EBR1 a été le premier réacteur nucléaire à produire de lélectricité.
Je passe sur la suite. Je mentionne quand même que les Anglais aussi ont démarré bien avant nous, et dès 1959 ils faisaient fonctionner, dans le nord de lEcosse, un réacteur équivalent à notre Rapsodie.
En France, lhistoire commence donc par Rapsodie, un réacteur au départ de 25 MW thermiques, qui a fonctionné à Cadarache de 1967 à 1983. Cétait au début un projet EURATOM-CEA qui a été assez vite nationalisé.
Rapsodie permettait la première utilisation de loxyde mixte uranium-plutonium comme combustible. Cette caractéristique est restée celle de tous les réacteurs rapides étudiés par la suite en France.
Il utilisait aussi le refroidissement par sodium, mais il nétait pas le premier à le faire. EBR2 avait déjà utilisé le sodium comme fluide de refroidissement.
Rapsodie nous a permis de faire la mise au point complète du concept de combustible qui est, par simple augmentation déchelle, celui de Superphénix.
Nous nétions pas très en avance dans la course, puisque Rapsodie a démarré en 1967. En revanche, avec Phénix, la France a dépassé de justesse les Anglais. Phénix, cette centrale produisant de lélectricité 250 MW électriques, correspondant dailleurs à peu près à la taille des centrales thermiques de lépoque a été conçue et construite par une équipe mixte constituée dEDF et du CEA dun côté et de lindustriel de lautre qui est devenu NOVATOME. Depuis sa mise en service en 1973, Phénix est exploité dans le cadre dune association EDF-CEA (20 % et 80 %).
Quelle était son innovation ? Sa taille était à lépoque représentative, et le dessin des circuits était un peu particulier, même sil avait été inventé pour EBR2. Cétait lapplication moderne de ce qui était considéré à lépoque comme un prototype. Il navait aucune vocation à léconomie, mais plutôt à la démonstration de lensemble dun système et pas seulement du cur, comme cétait le cas pour Rapsodie.
Pour la petite histoire, après la mise en service en 1973, on est passé au projet Phénix 450, qui était lextrapolation de Phénix à une taille plus grande.
La crise du pétrole a accéléré le programme nucléaire décidé fin 1974, au point quil a été décidé de faire un Superphénix de 1 200 MW. Cela correspondait à peu près à la taille des centrales REP dans lesquelles se lançait EDF, puisque le palier 1 300 a suivi assez peu le 900. Pourquoi 1 200 et pas 1 300 ? Cela permettait dutiliser deux turbines classiques de réacteurs à fuel de 600 MW, style Porcheville ou Cordemais.
Par la suite, il y a eu un projet dit Superphénix 2 qui sest déroulé de 1976 à 1980. Dans un cadre européen, il y a eu un premier projet dit « 1 500 » qui sest déroulé de 1982 à 1986 avec répartition totale des rôles entre la France, lAllemagne et lAngleterre. Puis, il y a eu le projet EFR European Fast Reactor , de 1988 à 1993, avec un premier dessin figé en 1993, et des améliorations, de 1993 à 1997.
Que dire de Phénix ?
De 1973 à 1989, il a fonctionné de façon absolument remarquable. Aujourdhui, il est resté à peu près 100 000 heures sur le réseau. Il a fonctionné léquivalent de 3 800 jours à pleine puissance. Il a fermé son cycle, cest à dire que le plutonium qui alimente Phénix est le plutonium fabriqué dans Phénix. Il est aujourdhui le seul réacteur à avoir effectivement démontré la surgénération même, si elle était calculée depuis fort longtemps. En faisant des bilans entrées-sorties de Phénix, il a été prouvé que Phénix avait produit plus datomes fissiles quil nen avait absorbé : 1,15 au lieu de 1.
Certains assemblages expérimentaux ont atteint des taux de combustion qui ne sont pas très éloignés dune vision asymptotique pour un réacteur rapide qui serait économique dans le futur.
Enfin, tout le combustible a eu un comportement remarquable. En effet, on a observé 15 ruptures de gaine sur 170 000 crayons irradiés, à savoir que sur ces 15 ruptures, 8 se sont produites dans des assemblages expérimentaux poussés spécialement au-delà du nominal.
A partir de 1990, Phénix a été arrêté à cause dincidents qui se sont produits : les transitoires de réactivité. Ces incidents ou étouffements nont pu être analysés à fond parce quils ont été très rapides, et que linstrumentation ne permettait pas une information très complète à ce moment là.
Donc le système de protection de la centrale a tout arrêté automatiquement mais sans quon ait pu enregistrer suffisamment de paramètres pour être tout à fait certain de lexplication de ce phénomène.
Une analyse très profonde, menée avec des experts étrangers notamment, a convaincu les autorités de sûreté quen aucun cas les différents phénomènes qui auraient pu expliquer cet étouffement ne pouvaient conduire à un emballement. A la suite de cette analyse, lautorité de sûreté a autorisé Phénix à redémarrer et récemment à reprendre son fonctionnement en puissance.
Un cycle presque complet de Noël 1994 à avril 1995 a été autorisé pour voir si le phénomène se reproduirait. Le réacteur avait pourtant été truffé de tous les capteurs qui doivent permettre de mieux linterpréter. En fait, il ne sest pas reproduit depuis que lon dispose dune instrumentation qui nous permettrait de pousser lanalyse plus loin.
En revanche, depuis 1995, pour pouvoir demander à lautorité de sûreté une extension du fonctionnement pour une dizaine dannées, ce qui correspond aux besoins de la recherche liée à laxe 1 de la loi de 1991, nous avons du faire de grands travaux de remise à niveau de la sûreté.
Phénix a été conçu en 1967 et il est évident que certaines règles de sûreté applicables à lépoque ne létaient plus en 1998. Il sagissait aussi de faire une jouvence importante de certains éléments qui avaient vieilli, notamment les circuits secondaires de sodium, dont une partie faite en acier « 321 » vieillissait plus que prévu.
En 1996 et 1997 nous avons eu des discussions très serrées avec les autorités de sûreté. En décembre 1997 nous avons fini par les convaincre, nous, exploitants du réacteur, quen fonction des améliorations apportées notamment lintroduction dun système darrêt complémentaire existant à Superphénix, et testé à Phénix entre 1981 et 1982, le renforcement sismique des bâtiments auxiliaires et la reconfiguration des circuits dits dultime secours le réacteur était de nouveau prêt à fonctionner, selon les critères modernes permettant aux autorités de sûreté daccepter le fonctionnement.
Nous avons donc obtenu lautorisation de la DSIN. Actuellement, le réacteur termine la purification du circuit sodium, la partie production délectricité tourne en eau monophasique, et tout laisse à penser que la production en puissance reprendra à la fin de cette semaine, permettez-moi de croiser les doigts.
Lensemble de ces travaux coûtera environ 650 millions de francs dont 350 ont dores et déjà été dépensés. La dernière tranche de travaux se déroulera après le 50ème cycle et couvrira toute lannée 1999. Lessentiel de ce qui reste tient plutôt du domaine du renforcement sismique des bâtiments auxiliaires.
Au moment où Phénix a été conçu et construit, les exigences de résistance aux séismes ne sappliquaient quaux bâtiments réacteurs et pas à ceux auxiliaires. Maintenant il faut que lensemble de la centrale résiste.
Nous avons encore devant nous pendant lannée 1999 un programme important de renforcement sismique de ces bâtiments. Ce qui nest pas facile dans un réacteur en marche, parce quil nest pas possible de laisser le sodium geler.
Janticipe une question. Pourquoi ne pas finir le renforcement, et pourquoi faire un 50ème cycle avant la fin des travaux ? Je réponds que pour les irradiations que lon veut mener dans Phénix jusquen 2004, et dont lobjectif essentiel est dapporter des réponses aux demandes de recherche de laxe 1 de la loi, on a besoin de certains résultats préalables dirradiation du 50ème cycle.
De toute façon, en 1999 un arrêt décennal est prévu, cest pourquoi nous avons plaidé la possibilité de faire coïncider les deux. A ma connaissance, les autorités de sûreté ont accepté.
Je voudrais dire maintenant un mot sur Superphénix. Cest une centrale à neutrons rapides de 1 200 MW. Elle a beaucoup de particularités, lune delles est davoir été conçue et construite en trinational (51 % EDF, 33 % ENEL, 16 % au départ allemands puis transférés au consortium SBK). Sa construction a débuté en 1976, elle a eu une première criticité en septembre 1985, et sest trouvée en pleine puissance en décembre 1986.
Dès avril 1987, est intervenu le premier problème sérieux, à savoir la fuite de sodium au barillet, le barillet étant le composant permettant de faire le chargement, le déchargement et un certain entreposage des combustibles, et qui se trouve dans une deuxième cuve auprès de la principale. Ce problème a bloqué la centrale pendant vingt mois. Elle a été autorisée à redémarrer en janvier 1989.
Puis en juillet 1990, elle a été arrêtée pour un problème de pollution du sodium par entrée doxygène, et cest pendant cet arrêt que sest effectuée la mise à niveau du rapport de sûreté, et notamment la demande de prise en compte de certains feux de sodium dans le circuit secondaire qui navaient pas été pris en considération lors de la conception. Pour la petite histoire, la raison de cette demande était un feu de sodium dans une centrale solaire espagnole.
En 1992, la DSIN avait autorisé Superphénix à redémarrer à puissance réduite. Le Gouvernement de lépoque a préféré refuser car il fallait terminer la protection contre les feux de sodium. Superphénix a alors été considéré comme légalement arrêté. Les procédures de réautorisation ont été relancées, et en 1994, la DSIN a recommandé lautorisation. Le Gouvernement a alors autorisé le redémarrage, mais cette fois avec des conditions un peu différentes, notamment en confiant à Superphénix un rôle important pour la recherche suivant trois volets dits du programme dit dacquisition de connaissances.
Les objectifs de ce programme étaient les suivants : acquérir une expérience industrielle sur le fonctionnement de ce type de réacteur en taille 1, en démontrer sa viabilité à long terme, mais aussi qualifier les solutions techniques pour consommer du plutonium dans un réacteur au départ conçu pour en faire plus, cétait le programme CAPRA, et enfin étudier la possibilité technologique, pas seulement physique, dincinérer des actinides dans un réacteur rapide.
Après le redémarrage daoût 1994, lannée 1995 a été marquée par la réparation dune fuite de gaz sur un échangeur intermédiaire. Les avis demandés à la commission Castaing ont confirmé que Superphénix était apte à apporter les éléments essentiels à la recherche, ce qui a conduit à un redémarrage en décembre 1995. Lannée 1996 a été marquée par un bon fonctionnement de la centrale suivi dun arrêt programmé en décembre 1996. Puis a suivi la décision de labandon du réacteur, ce qui pour nous sest traduit par un basculement sur Phénix de programmes, et notamment du maximum possible de programmes liés à laxe 1 de la loi de 1991.
Quelles sont les conséquences pour les équipes de recherche ? Un peu plus de 400 personnes travaillent au CEA sur les programmes rapides, y compris lexploitation et le soutien à Phénix.
Pour ce qui était vraiment lié à Superphénix, en 1997, le budget correspondant était de 250 millions de francs, en chiffres ronds. En 1998, il a été réduit à 200 millions de francs. Pour lannée 1999, je mapprête à soumettre à larbitrage de lAdministrateur général un budget de lordre de 160 millions de francs, et selon moi, à partir de 2000 et au-delà, il serait raisonnable de prévoir un budget de lordre de 100 millions de francs. Voilà les effets en termes budgétaires.
En ce qui concerne les équipes et les budgets, à cette diminution correspond de fait un redéploiement sur dautres programmes en croissance :
dabord, le programme hybride qui démarre (la partie nucléaire dun hybride est une certaine forme de réacteur rapide) ;
ensuite, le réacteur Jules Horowitz va demander des moyens en très forte croissance dans les prochaines années ;
enfin, un troisième thème se trouve être sans lien direct, mais cest un thème en croissance. Il peut faire appel aux compétences des mêmes personnes et il est lié à laxe 3 de la loi de décembre 1991. Il sagit de lentreposage à long terme des déchets.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je reviens sur le devenir des recherches et le maintien des connaissances. Quelle sera la continuité de la recherche sur les neutrons rapides ?
Si jinterprète ce qui est décrit, Superphénix sera arrêté, des recherches seront poursuivies sur Phénix jusquen 2004 ou 2005. Mais au-delà, que va-t-il se passer ? Est-il possible de faire la distinction entre létat de veille scientifique qui sera assez limité après 2005, et ce que pourraient être les recherches dans le prochain demi-siècle ?
Ma question est peut-être un peu ambitieuse. Interroger mon ami Allègre sur les cinquante prochaines années lagacerait, je pense, mais la mesure du temps du CEA le permet.
En gros, quel est le devenir des recherches, du maintien de la connaissance au-delà de 2005 et jusquà 2050 ? Pouvez-vous nous indiquer un calendrier ?
Jai retenu de la visite faite hier à Superphénix que contrairement à une idée reçue, on ne pourrait pas maintenir un niveau de connaissance et des équipes scientifiques au-delà de 2005, et quon devrait normalement se contenter dune ambition beaucoup plus modeste.
M. Yannick dESCATHA : Nous travaillons dans limmédiat et très rapidement sur Phénix jusquen 2004 car le temps nous est compté par léchéance de la loi de 1991 qui nous mène en 2006. Nous essayons dobtenir le maximum de résultats dans cette période.
Par ailleurs, de toute façon, Osiris sera arrêté vers 2005 du fait quil aura 40 ans. Il nous faut donc réfléchir à la conception du réacteur de recherche français qui à la fois vient en soutien au parc électronucléaire, et qui sera aussi capable de préparer lavenir et de donner une capacité de recherche en neutrons rapides.
Nous proposons de concevoir ce réacteur dès le départ pour une durée de vie de lordre de 50 ans. Ce sera effectivement loutil de base de la recherche nucléaire. Pour maintenir loption nucléaire ouverte, il faut au minimum un réacteur de recherche, et au minimum un laboratoire chaud pour étudier ce qui a été irradié .
Limplantation de cet outil minimal est prévue à Cadarache.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Excusez-moi de vous interrompre. Ce qui est intéressant pour notre rapport, ce sont les mots comme ceux que vous venez demployer concernant le réacteur Jules Horowitz, « outil minimal ».
Y aura-t-il une baisse du niveau de la connaissance, donc un état de veille par rapport à aujourdhui ? Je vous demande de ne pas répondre que sur les recherches concernant les déchets nucléaires. Je ne doute pas quelles soient très intéressantes, mais dans le programme total de recherches et de connaissances, quest-ce qui sera transférable et quest-ce qui ne le sera plus ?
M. Yannick dESCATHA : Cet outil minimal de base de la recherche nucléaire est un réacteur et un laboratoire chaud.
Je vous ai parlé de la participation française à un projet international de démonstrateur de réacteur hybride. Jai essayé de vous montrer sa complémentarité. Dans le cas des hybrides, nous avons une participation dans une recherche internationale qui commence à prendre un peu figure, et qui est conçue de façon complémentaire par les différentes équipes qui sintéressent à ce concept.
Si vraiment nous voulons être innovants, il faut faire du développement technologique avant de commencer à construire. Par rapport à un réacteur Jules Horowitz qui peut être prêt autour de 2005, le démonstrateur dhybride démarre plutôt aux alentours de 2010 ou 2015.
Les coopérations internationales sont également importantes. Personne nenvisage lintroduction commerciale, si elle doit exister, des réacteurs à neutrons rapides avant 2030 ou 2040, pour les raisons économiques que jai indiquées. Il est clair quil faut faire ce développement technologique, et surtout le partager avec différents pays. Et il est clair aussi que les technologies de ces réacteurs en 2030 ou 2040, si elles doivent voir le jour, seront certainement très différentes de celles de Superphénix.
Il faut absolument développer ces coopérations internationales, en particulier partager la science et les outils de recherche.
Je reviens à la notion de baisse des programmes de recherche. Je vais généraliser un peu votre propos. Le CEA a établi un plan stratégique sur cinq ans, il a signé un contrat dobjectifs avec lEtat. Dans ce plan, nous avons profondément modifié nos programmes de recherche et nos priorités, et nous nous sommes concentrés sur les programmes jugés absolument indispensables pour maintenir loption nucléaire ouverte à lhorizon 2010 et au-delà.
Ceci a été fait avec les pouvoirs publics, donc avec les tutelles du ministère de lindustrie, de celui de la recherche, et avec les industriels qui financent une partie très significative de nos recherches.
Tout à lheure, le budget du CEA a été évoqué. Il faut savoir que 40 % des recettes proviennent de lextérieur et non de lEtat. Nous avons des clients industriels qui ont besoin de nos recherches. Je ne sais pas quel sera lavenir du nucléaire sils nous perdent.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jévoque un dernier volet. Jessaie, par mes questions nous sommes devant une commission denquête de sortir des réponses et des perspectives floues quon peut trouver dans les brochures fort bien faites du CEA.
Je tente dobtenir de vous un peu plus. Jusqualors je nai pas été très heureux.
Avez-vous fait des prévisions de coûts sur laddition du réacteur Jules Horowitz, des hybrides, etc ? Ou sagit-il simplement de perspectives prometteuses, mais non planifiées à votre niveau ni à celui des autres ministères de tutelle ?
En est-on à lembryon dune réflexion qui va se traduire dans les prochains budgets, ou avez-vous des idées très précises ?
M. Yannick dESCATHA : Je vous ai parlé du plan stratégique du CEA, je peux vous le remettre, il me paraît assez précis. Il comporte 50 segments dactivité, il commence par les enjeux et les objectifs principaux, ensuite il aborde le positionnement stratégique, les atouts et les attraits, les axes de recherche, les différents objectifs visés, les résultats à atteindre, les dates auxquelles il faut les atteindre, les partenaires avec lesquels nous travaillons, et les mécanismes dévaluation externe des recherches.
A la fin il y a le plan dinvestissements à 10 ans, où le réacteur Jules Horowitz est indiqué et planifié. Il est prévu dans nos demandes budgétaires. Un tableau donne létalement dans le temps.
Il est clair que nous nous sommes concentrés sur les recherches apparues aux experts du CEA, au Gouvernement et aux industriels comme nécessaires pour maintenir loption nucléaire ouverte à lhorizon 2010 et à plus long terme.
Derrière tout cela, il y a une réduction de 25 % des effectifs du CEA depuis 10 ans. On en fait aujourdhui beaucoup moins quavant, mais on sest mis au niveau nécessaire pour maintenir loption nucléaire ouverte en France.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je vous interroge de façon un peu vive, mais il va de soi que cette commission denquête est loin dêtre le conseil du CEA.
Depuis le début de cette commission denquête, je ne comprends plus rien sur le réacteur Jules Horowitz. Il nous a été décrit comme une ambition scientifique ciblée et assez modeste, mais jai limpression quil est évolutif. Pouvez-vous nous documenter un peu plus sur ce sujet ?
M. Bertrand BARRÉ : Vous avez demandé comment, sur le long terme, seront maintenues les connaissances sur les rapides.
Elles se déclinent entre les connaissances sur la physique, celles sur la technologie en distinguant le cur, le combustible et le système, les connaissances dingénierie, et celles de retour dexpérience dexploitation.
Le CEA se mettra en mesure de garder, dentretenir et même daméliorer les connaissances sur la physique et sur certains pans de la technologie, notamment la technologie du combustible. Et cela devrait être rendu possible par la stratégie que nous recommandons, cest-à-dire par lensemble des dispositifs évoqués par M. dEscatha, cest-à-dire par le réacteur Jules Horowitz, les hybrides, mais aussi par les réacteurs à neutrons rapides existant chez nos collègues étrangers avec lesquels nous avons des coopérations extrêmement étroites.
En revanche, sur la technologie « système », nous perdrons, parce quil y aura un hiatus dans les réalisations. En fait, nous avons terminé une phase de continuité technologique, nous sommes donc passés dune logique filière à une logique recherche et développement parce que nous avons changé de calendrier.
Dans une logique de recherche et développement, nous perdons un peu la focalisation que fournit une logique filière, mais nous gagnons de lautre côté car il est possible douvrir à nouveau les différentes voies que nous sommes obligés de négliger quand nous sommes vraiment axés sur une réalisation.
Quant au retour dexpérience dexploitation, là encore il faudra mettre cela entre parenthèses et attendre la reprise dun nouveau projet vers 2030 ou 2040.
Voilà la vraie réponse. Nous serons en mesure de maintenir certains pans de la connaissance, de laugmenter et en particulier de réouvrir des options que nous avions négligées, focalisés que nous étions sur une seule voie. Mais il y aura des pertes en ligne sur lingénierie et beaucoup sur le retour dexpérience.
Mme Michèle RIVASI : Revenons sur Phénix. Je nai pu aller à Marcoule. Quel est létat de la cuve ? Je sais que la DSIN vous a demandé de peaufiner linstrumentation par des caméras, etc.
Vous indiquez quil y a eu 350 millions de francs dépensés pour lamélioration de Phénix. Qui décide de ces travaux ? Est-ce le CEA lui-même ou est-ce un ordre du Gouvernement ? Est-ce lié à larrêt de Superphénix ou la décision a-t-elle été prise avant ?
Une des critiques formulées à lencontre du CEA, bien quil y ait en son sein des personnes très compétentes, ce que je ne conteste pas, est quil ne sait pas anticiper le problème des déchets nucléaires.
Actuellement, avec le problème de la transmutation prévue par la loi Bataille de 1991, les milliards donnés par lEtat ont été utilisés plutôt à des fins de séparation disotopes dans le cadre du retraitement des déchets, que dans celui de la destruction des déchets radioactifs.
La situation actuelle est un peu difficile. Où en est la transmutation ? Que peuvent montrer les expérimentations réalisées sur Phénix ?
Enfin, une dernière question. Vous allez être saisis par le tribunal administratif sur le redémarrage de Phénix, un délai de deux ans sétant écoulé depuis larrêt, ce qui nécessite une nouvelle enquête publique. Pourriez-vous nous expliquer ces éléments ?
M. Franck BOROTRA : Jai trois questions à poser. La première est une question de candide. Vous avez expliqué que Phénix était un outil agile, que Superphénix était un outil à léchelon industriel, et vous avez confirmé que vous croyez au développement de la filière à neutrons rapides.
Si toutes les expérimentations permettent une bonne maîtrise de la filière à neutrons rapides, quand Phénix sera fermé, il faudra bien avoir une expérimentation à léchelon industriel, en particulier irradier des assemblages en vraie grandeur. Ne faudra-t-il pas reconstruire Superphénix ? Le meilleur moyen, dans ce cas, serait peut-être de ne pas le fermer.
Dans Superphénix vous avez engagé des programmes, CAPRA 1A, CAPRA 1B, NACRE, qui devaient vous permettre de couvrir les aspects du plutonium et du neptunium, indispensables à la fameuse loi Bataille. Il était prévu aussi des expériences dirradiation de matrices inertes, en particulier pour essayer de bien optimiser les transmutations et dapprocher le problème de laméricium.
Vous aviez prévu sur Superphénix des assemblages CAPRA 2, avec les aiguilles ECRIN, et avec des aiguilles davantage chargées en plutonium, et ce pour tenter dapporter des réponses aux questions indispensables à la loi Bataille. Ces questions touchent à des résultats sur la consommation de plutonium, à des résultats sur lincinération du neptunium et lincinération des produits de fission à vie longue.
Quelles réponses apporterez-vous, à léchéance de la loi Bataille, à ces questions ?
Est-ce que les scientifiques prennent lengagement, sous la foi du serment, que les sautes de réactivité connues ne sont pas dues à des modifications de structure du cur car sil y a le moindre risque dans ce domaine, il faut éviter de le prendre.
Jattends donc une réponse scientifique et claire, parce que ces choix conditionnent le redémarrage sans risque de Phénix ce qui remet en cause la fermeture de Superphénix.
M. Bertrand BARRÉ : La question qui préoccupait les autorités de sûreté nétait pas réellement létat de la cuve, mais lintégrité du dispositif complet de supportage du cur. Ce dispositif part de la dalle du réacteur, des suspentes, dune partie de la cuve et dune virole conique qui supporte le platelage sur lequel il y a le sommier sur lequel est fiché le cur. On nous demandait de démontrer lintégrité de la continuité du supportage.
Le réacteur a maintenant à peu près 25 ans, il était donc nécessaire de démontrer quil pouvait fonctionner encore une dizaine dannées. On était passé dune logique où on demandait des autorisations en continuité à une logique où on demandait dix ans pour les recherches. La sûreté a répondu quune analyse complète devait être réalisée alors.
On a pu vérifier lintégrité des suspentes et de la cuve partout où elle était mesurable, mais le problème était de démontrer lintégrité sur trois soudures cylindriques. Il sagit de la soudure du raccordement de la virole conique sur la cuve interne, dune soudure un peu plus bas entre cette virole conique et un baffle, et de la soudure la plus basse qui se trouve entre le bas de la virole conique et le supportage.
On a dabord fait la démonstration convaincante que les différentes fatigues quavait subies le matériau depuis le démarrage nétaient pas de nature à endommager chacune de ses soudures de façon inacceptable.
La DSIN nous a dit « cest acquis, mais êtes-vous sûrs quau départ elles étaient intactes ? ». Nous avons alors rencontré un problème de réalisation. Nous navons pas été en mesure de retrouver sur le papier la totalité des radiographies effectuées.
La DSIN nous a dit « vous navez pas démontré que la réalisation de départ était bonne, donc le fait quil ny ait pas eu dendommagement intolérable nest pas suffisant ».
Elle a demandé alors quel était le plus petit défaut qui risquait spontanément dévoluer. La réponse diffère selon les trois soudures en question : entre quatre et six mètres.
On sest engagé, lors de ce fameux arrêt de 1999, à pratiquer des contrôles ultrasons suivant une méthode extrêmement avancée, qui nétait pas encore au point en 1996. Grâce à cette méthode, on est en mesure de démontrer quon peut vérifier lintégrité dune soudure au-delà de quatre mètres de matière, à condition que cette matière soit grosso modo plane.
Pendant cet arrêt de 1999, nous ferons environ six fenêtres entre la cuve et une double enveloppe quil y a autour. En utilisant des porteurs à ultrasons, on vérifiera la totalité de ces soudures. Actuellement, on pense pouvoir détecter nimporte quel défaut au-delà de 30 cm, et on veut démontrer quil ny en a pas de plus de 4 mètres.
Cela a paru suffisamment convaincant à la DSIN ; elle a accepté quon fasse le 50ème cycle et les mesures.
Par ailleurs, nous navions aucun indice laissant croire à lexistence dun défaut, mais nous avons la charge de la preuve de son absence.
Ensuite, les sautes de réactivité. Hélas, elles ne se sont pas produites alors que nous étions armés pour les attendre. Je pense quil sen produira, et que nous aurons alors la possibilité de discriminer entre les différents scénarios possibles dexplication de ce phénomène.
Les scénarios les plus crédibles aujourdhui tournent autour dun réarrangement géométrique des assemblages. On peut supposer quils étaient un peu coincés entre eux, et quà la suite dune sollicitation quon nest pas capable didentifier, ils se sont remis en place. Pour passer de la position 1 à la 2 ils sécartent un peu, ce qui explique une baisse de réactivité, et bien sûr ils ne peuvent se compacter davantage. Cest pourquoi on ne voit pas de risque davoir une augmentation de réactivité plutôt quune diminution.
Mais tout ceci se fonde sur des points assez épars, mesurés par les chambres de mesures de réactivité qui sont dans le béton, très loin du cur. Comme le phénomène et lintervention des systèmes de protection sont très rapides, on navait aucune autre mesure possible.
On a vraiment analysé tout ce quon pouvait à partir des informations disponibles. On en saura plus lors du prochain arrêt durgence.
Pendant la période sétendant daujourdhui à 2004, sur lensemble des irradiations auxquelles il sera procédé dans Phénix, la plupart seront destinées à apporter des réponses au problème de la transmutation ; dautres seront liées à CAPRA ; dautres à la tenue des gaines et des assemblages. Le poids de la loi de 1991 dans ce programme apparaît clairement.
En 2004, si Phénix fonctionne jusque-là, nous aurons beaucoup dinformations. Sur laspect transmutation, nous aurons à peu près tout ce que nous espérions, mais pas sur CAPRA.
M. Yannick dESCATHA : Je vais essayer de répondre aux questions de Mme Rivasi.
Je rappelle que nous sommes pilotes de laxe 1 (séparation et transmutation) et nous avions pris conscience que nous avions besoin de loutil Phénix pour répondre à la loi de 1991. Par conséquent, nous avons proposé à nos tutelles de faire les travaux nécessaires pour satisfaire les demandes des autorités de sûreté et permettre la reprise du fonctionnement en puissance de Phénix. Cétait des années avant la décision dabandon de Superphénix.
Les tutelles nauraient pas admis que le CEA propose de faire telle ou telle autre recherche, au lieu dappliquer la loi de 1991.
La transparence des programmes est complète. Ils sont décrits dans notre plan stratégique sur lequel sappuie le contrat dobjectifs Etat-CEA. Ils sont discutés avec nos tutelles chaque année lors des arbitrages budgétaires. Il y a des conférences budgétaires, et enfin le Conseil dadministration du CEA vote son budget et ses programmes. Le Conseil de direction du CEA effectue les réglages entre les différentes unités, par départements et par services, le tout étant présenté au vote du Conseil dadministration.
Sagissant des déchets, tous les chercheurs du CEA sont parfaitement conscients que la gestion des déchets à vie longue est un élément déterminant qui conditionne totalement lavenir du nucléaire.
Les trois axes de la loi sont, je vous le rappelle, laxe 1 séparation et transmutation , laxe 2 stockage réversible ou non en formations géologiques profondes , et laxe 3 entreposage de longue durée en surface.
En 1991 leffort maximum portait sur laxe 3, ensuite sur laxe 1 et enfin sur laxe 2. Entre 1991 et 1998 il y a eu pratiquement un doublement des effectifs totaux sur les trois ans.
En matière budgétaire, les phénomènes sont analogues. Cependant, la croissance sur laxe 1 est plus importante. Laxe 1 cest la séparation avec le retraitement poussé, et cest la transmutation, cela nécessite donc des installations nucléaires lourdes.
Il est clair que laxe 1 demande des recherches plus lourdes en termes déquipements nucléaires que laxe 3, et nous nallons pas dépenser volontairement de largent sur cet axe si ce nest pas nécessaire aux recherches. La multiplication par deux des budgets et des effectifs est parlante.
Le recours déposé vise une décision de la DSIN. Jai lu dans la presse linformation, je nai pas déléments sur ce recours, le tribunal se prononcera.
Quand il ny aura plus Phénix, ni Superphénix, il ny aura plus dexpérimentation à léchelle industrielle, a dit M. Borotra.
Nous sommes passés de la logique filière à la logique recherche et développement. Le but est de maintenir loption nucléaire ouverte sur le long terme. En ce qui concerne les neutrons rapides, personne ne pense quil y aura introduction commerciale ou industrielle de ces réacteurs avant 2030 ou 2040.
Aujourdhui il est important pour nous davoir une logique recherche et développement nous permettant douvrir beaucoup plus le champ des recherches et des technologies sur le long terme. Jai cité tout à lheure dautres options techniques dinnovations à plus long terme que nous reprenons.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous vous remercions.
Audition de M. René PELLAT,
Haut commissaire à lénergie atomique
(extrait du procès-verbal de la séance du 19 mai 1998)
Présidence de M. Christian BATAILLE, Rapporteur
Monsieur René Pellat est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. René Pellat prête serment.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous vous souhaitons la bienvenue et vous invitons à faire un bref exposé liminaire.
M. René PELLAT : Ayant pris mes fonctions très récemment, je serai amené à intervenir dans le cadre des problèmes évoqués aujourdhui et dans les jours précédents par votre commission, aussi bien à court quà long terme.
Ayant participé, il y a quelques années à la commission Rouvillois-Guillaume-Pellat, nous nous étions déjà exprimés assez longuement sur Superphénix.
Il est intéressant pour moi de revenir neuf ans après et de constater létat du sujet, ayant entre-temps participé à des expertises sur les procédés de séparation, notamment le procédé Silva.
M. Vendryes ma embauché au CEA pour la fusion thermonucléaire, pas pour les réacteurs rapides. Jai donc suivi le sujet de lextérieur, comme un citoyen et un scientifique.
Je me suis créé une opinion sur lensemble du nucléaire. Elle est plutôt à long terme quà court terme, dans la mesure où je nai pas été impliqué dans les décisions prises récemment. Par contre, le long terme, si on arrive à le définir ce qui nest pas toujours aisé nécessite des hypothèses et il a des implications à court terme, notamment au niveau de la recherche et du développement, sur les choix à opérer.
Le long terme, compte tenu du panorama actuel, est relativement simple. Je ne reviens pas sur les effets de serre, sur les constatations au niveau du gaz, du pétrole et du charbon, tous les chiffres sont bien connus.
Il est clair que si on ne trouve pas un substitut au réacteur actuel, à terme, suivant le nombre de réacteurs construits, le nombre de pays constructeurs et les réserves estimées, le problème du nucléaire sera posé comme celui du pétrole, du gaz ou des autres ressources non renouvelables.
Une surgénération dun type ou dun autre était limitée dans le temps pour lhumanité, il fallait donc sen préoccuper.
De quoi disposerons-nous à léchelle de 50 ans ? La filière rapide actuelle telle quelle a été définie, reprise ou pas, la fusion thermonucléaire sous une forme que nous ne pouvons prévoir, et les dernières idées remises à la mode parce quelles sont assez anciennes comme le principe des réacteurs hybrides. Toutes ces solutions, la reprise des surgénérateurs, la fusion thermonucléaire ou les réacteurs hybrides de type Rubbiatron sont à léchelle dune cinquantaine dannées.
Que faire à plus court terme pour être en état de reprendre, si telle est la décision des gouvernements, non seulement des études, mais des constructions de réacteurs ?
Je rappelle dailleurs que pour le renouvellement des REP, il est proposé un EPR de première génération, qui continuera la filière. On a commencé à étudier les améliorations que peut porter ce projet. Pour redémarrer une filière, il faudra une vingtaine dannées, avec des changements non fondamentaux sur le plan des phénomènes et de la conception par rapport aux REP actuels. Il y a des améliorations indéniables dans lenceinte de confinement, dans la duplication des moyens dintervention, électriques ou hydrauliques. Ce sont des progrès normaux dans lévolution dun concept classique.
Avec larrêt de Superphénix, nous ne serons plus en mesure de comparer, dans 50 ans, les trois sujets mentionnés, la fusion thermonucléaire, la poursuite des surgénérateurs ou éventuellement une formule de type « Rubbiatron ».
Le rôle du CEA, en tant quorganisme de recherche et développement, reste essentiel, en liaison avec ses partenaires industriels et ses partenaires européens. Tout le monde est bien conscient que la poursuite du nucléaire, si elle a lieu, dépendra autant de ces derniers que de nous-mêmes.
Ce que jai compris de ma mission, au-delà de ce que M. Allègre a pu en dire
il sexprimera publiquement le 20 mai à Saclay , cest, dans ce domaine en tout cas, daider à préparer un programme de recherche et développement volontariste permettant de préparer lavenir à léchelle de temps que jai mentionnée.
Cest la façon dont je souhaite intervenir en réponse à vos questions. Il est clair que je mentirais en disant quentre 2004 et 2030 ou 2040, sans moyens dessais, on accomplira des progrès définitifs dans une nouvelle filière. Il faudra en tout cas des financements permettant de développer les outils pour effectuer le travail nécessaire.
En ce qui concerne les surgénérateurs, on nest pas dans les mêmes conditions que dans le programme proposé par M. Rubbia, ou pour la décision de développement dun réacteur de fusion thermonucléaire.
Je minterroge sur la façon dont ces sujets seront pris en compte. Je souhaiterais quils le soient globalement.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Un des intérêts de cette commission denquête porte sur lhistoire de Superphénix et de son arrêt, ainsi que la filière des réacteurs à neutrons rapides. Nous nous sommes rendus compte que nous devions également nous intéresser à Phénix, qui se trouve au cur des propositions du Gouvernement.
Quel est votre sentiment sur le redémarrage de Phénix ?
Que pensez-vous de la continuation ou non des programmes de recherche conduits sur Superphénix ? Va-t-on pouvoir en maintenir quelques un sur Phénix ?
Quels commentaires avez-vous à ajouter à la décision du Gouvernement de redémarrer, même pour une période brève de six ans, un réacteur à neutrons rapides qui était réputé vieillissant et qui doit être totalement rénové ?
Estimez-vous quil est indispensable pour notre pays de maintenir un volet recherche et développement sur les réacteurs à neutrons rapides, ou pensez-vous quon peut sen dispenser et avoir des coopérations internationales qui réduiraient la part que prend aujourdhui la France dans ce volet de la connaissance ?
M. René PELLAT : En ce qui concerne Phénix, jindiquerai simplement quil est clair que, redémarrant Phénix pour quelques années, on ne pourra faire quun nombre de programmes limité. Je souhaite que ce soit possible sans le moindre incident. Je me limiterai à ce constat.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Et sur lavenir ?
M. René PELLAT : Je suis partisan du nucléaire. Jai expliqué tout à lheure que lavenir à long terme mimportait plus quà court terme. Cest une première partie de la réponse.
Jai le sentiment que lénergie nucléaire est à un stade tel que larrêt de ce surgénérateur, compte tenu des échéances que jai mentionnées auparavant, ne portera pas un coup particulier au nucléaire.
Certes, si javais eu une responsabilité dans la décision relative à Superphénix, jaurais essayé de convaincre quil ne fallait pas larrêter. Jaurais donc tâché de plaider sa cause. Mais étant donné la décision politique devant laquelle je mincline, jessaie de mener une réflexion doù la première partie de mon exposé sur les réacteurs du futur.
Est-ce que Phénix remplacera Superphénix ? Non. Lun est un réacteur détude vieillissant, qui fera certaines expérimentations, lautre est un outil industriel ou préindustriel, qui permet de tester plus de paramètres à plus grande échelle, avec des incidences sur la filière elle-même.
La décision prise, me semble-t-il, sinsère dans ce que jai dit au début. Ce nest pas pénalisant pour le nucléaire à partir du moment où on ne condamne pas les surgénérateurs dattendre et de trouver dici là des palliatifs, quils soient fondamentaux ou sous forme de réacteurs dessais, réacteur Jules Horowitz ou Rubbiatron.
Si les réacteurs à neutrons rapides doivent, à un moment, redevenir dactualité, jai limpression que ceux qui ont pris la décision pensent quon aura le temps dintervenir et que les problèmes du nucléaire concernent aujourdhui plutôt la poursuite de la filière actuelle et laffirmation du choix du nucléaire par la France ; maintenant, on pourra explorer certaines voies permettant un peu plus tard de répondre à la question que tout le monde se posera sur le choix des rapides.
Est-ce que ce sera possible avec les Japonais ou les Russes ? Nous ne savons pas quand reprendront les premiers ; les réacteurs russes fonctionnent, semble-t-il, correctement dans leur propre contexte. De toute façon, il est souhaitable quil y ait, dans la mesure du possible, des participations françaises à ces programmes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Larrêt de Superphénix aura une incidence sur nos besoins en plutonium et lorganisation du cycle du combustible dans ce pays, et notamment le rôle et la place du plutonium.
Avez-vous, à votre niveau, envisagé cet aspect ? Peut-on craindre pour les années à venir une surcapacité de plutonium ?
M. René PELLAT : Objectivement, comme on naura pas les surgénérateurs, dans létat actuel de nos connaissances, on ne pourra ni brûler les actinides ni gérer le stock de plutonium comme on pensait le faire.
Mais les idées actuelles sur le stockage de surface, demi-profond ou profond évoluent et ne seront vraisemblablement pas résolues à une échéance de dix ou vingt ans. Je pense que pour la question que vous mentionnez, sil y avait eu Superphénix et seulement Superphénix, rien naurait changé. Si la filière des surgénérateurs avait démarré, le problème aurait été différent.
Le fait de ne pas avoir une filière de surgénérateurs ouvre une réflexion aussi indispensable à lavenir que celle que jai mentionnée précédemment au niveau de lénergie.
M. Claude BIRRAUX : Comment répondre à la loi Bataille, votée en 1991, qui assigne des objectifs de recherche, en particulier au CEA ? Trois voies doivent être explorées : le stockage en couches géologiques profondes, le stockage en surface ou sub-surface, et des recherches à reprendre dans les domaines de lincinération et de la transmutation.
Sans évoquer lidée dune filière Superphénix, les expérimentations programmées de combustibles, spécialement préparées et payées, et quil ne sera pas possible dintroduire dans le cur puisquil va être arrêté, me posent un problème, en tant que législateur qui ai voté cette loi rapportée par Christian Bataille.
En effet, dans mon esprit et je suis sûr dans le sien il sagissait, non pas de restreindre les choix, mais douvrir leur panoplie, pour quil y en ait un véritable.
Or il existe des manoeuvres sur la réversibilité ou la non réversibilité des laboratoires. Il faut aujourdhui tuer complètement dans luf cela, parce que dans des laboratoires, on ne va pas introduire un PPM de déchets radioactifs. Parler de la réversibilité des laboratoires me paraît une plaisanterie de très mauvais goût. Or certains insistent beaucoup dessus.
Finalement, je me demande si cette articulation ne vise pas à nous amener dans une sorte dimpasse, en disant « les laboratoires ne sont pas réversibles ». Dans la loi suivante on prendra la décision, mais il faut faire les laboratoires pour pouvoir choisir. Si on empêche de les faire sous le prétexte de la réversibilité, on ne pourra se donner les éléments du choix.
On faisait des expérimentations sur Superphénix, on ne peut plus les faire, on ne pourra pas tout faire sur Phénix, donc on restreint encore le choix.
Si nous sommes encore là en 2006, nous aimerions avoir véritablement une capacité de choix.
M. René PELLAT : Superphénix en fonctionnement seul cest à dire si la filière de neutrons rapides nest pas développée cela ne change rien à votre question. Serait-il maintenu 40 ans cela ne réglerait pas les problèmes que vous avez mentionnés.
En revanche, il est vrai que cette filière était envisagée pour participer à la solution, au moins partielle, de ces problèmes. Mais larrêt dun réacteur ne signifie pas que la filière est interrompue. Certes, elle se trouve dans des conditions plus difficiles dexpérimentation et de validation.
Mais il me semble que, dans létat actuel de transition sur le plan international dans le nucléaire, larrêt ou non de Superphénix, en dehors du signe politique, ne change pas le problème auquel nous avons à faire face pour nous occuper des déchets et résoudre la question du stockage.
Arrêt ou pas de Superphénix, le problème des déchets est à résoudre de toute façon. Il faut essayer de voir si les idées rassemblées par M. Rubbia permettront de brûler les actinides mineurs ou les produits de fission. Il faut peut-être amplifier les études sur les produits de fission.
Il y a donc un travail important de recherche et développement à mener. Il y a aussi à réfléchir de façon sérieuse au stockage sous toutes les formes, dans largile, dans le sel, en surface, en sub-surface ou en stockage profond.
Le rôle dun Haut commissaire, au-delà de lexistant, est surtout de veiller à ce quune réflexion soit conduite et des propositions formulées sur lensemble des sujets précédents, incluant bien entendu les idées reprises et reformulées par le Professeur Rubbia.
Il y a là un enjeu. Ce nest pas larrêt ou la continuation de Superphénix, en dehors du signe politique quil peut représenter à légard de nos partenaires ou du monde concerné, qui change la nécessité defforts de recherche, de développement, et de réflexion sur les filières potentielles comparées. Nous ne les aurions peut-être pas faits dans dautres conditions, étant un peu plus confiants sur le choix de la filière, mais, à mon avis, ils devront être accomplis, Superphénix arrêté ou pas.
M. Claude BIRRAUX : Je pars dune idée très simple, qui me paraît devoir être tout de même un peu scientifique.
Il ne faut pas tirer les conclusions avant davoir fait les expérimentations, mais pour cela il faut pouvoir expérimenter.
Vous avez dit que larrêt de Superphénix représentait un signal politique, je pense que dans le cadre de la loi Bataille il faut que les scientifiques donnent un signal scientifique, non pas pour dire : « nous avons résolu tous les problèmes concernant lincinération des déchets », mais pour dire : « voilà ce que nous avons prouvé que nous pouvions faire, nous pourrions le faire mieux avec tel ou tel appareil dans telles ou telles conditions ».
Il faut au moins un début dexpérimentation, je nai pas dit quil fallait un début de filière, et nous ne laurons pas, ce qui va restreindre le choix scientifique.
Jai étudié le Rubbiatron. Je nai pas conclu que cétait le remède universel, mais quun élément nouveau était apparu dans le paysage scientifique. Nous ne devons pas lécarter a priori. Mettons en place une méthodologie permettant daller un jour vers un prototype, et pour cela il faut faire une étude de faisabilité, des points doivent être levés sur le plan technologique, dautres approfondis sur celui de la recherche.
Il faut donc se réunir. Il me semble que cette démarche nest pas complète, ne serait-ce que pour aller au bout du programme de recherche assigné sur Superphénix.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je vous signale quaprès de nombreux travaux sur le nucléaire, M. Birraux a remis il y a quelques jours son étude sur lEPR, dans le cadre des travaux de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques.
M. René PELLAT : Je le sais et je lapprécie, étant un fervent partisan du nucléaire. Par contre, je suis citoyen dun côté et nommé par le Gouvernement dun autre côté. Je considère que les études de recherche et développement devront être effectuées dans la plus grande clarté, en ayant comme soucis principaux ceux que vous venez de mentionner.
Autrement dit, cest au moment de létablissement du rapport sur le réacteur Jules Horowitz quon saura sil faut faire deux réacteurs, un classique, et à côté un de type Phénix.
Il est vraisemblable quil sera difficile den faire deux à lintérieur de la même enceinte, pour des raisons techniques.
Il est clair que nous allons poursuivre nos réflexions et que nous nous rapprocherons des Russes et des Américains qui, à Los Alamos, disposent dun accélérateur adapté et sont très avancés dans leur projet de couplage dun accélérateur et dune cible adaptée au sujet.
En Europe, nous avons déjà rencontré nos partenaires espagnols et italiens qui nous ferons des propositions précises de collaborations. La question sur laquelle le CEA et lensemble des partenaires devront sexprimer, est la suivante : allons-nous nous charger de cette filière ou serons-nous partenaires ?
M. Claude BIRRAUX : Je voudrais avoir votre sentiment sur les réacteurs à haute température, qui semblent revenir à la mode.
Toutes les personnes que jai rencontrées sont dun enthousiasme absolument délirant. Une société sud-africaine a annoncé quelle allait réaliser un petit prototype.
M. René PELLAT : Vous savez aussi bien que moi que les réacteurs à haute température ont déjà été étudiés au CEA dans les années 1970 avec des moyens non négligeables.
Il apparaît que ces réacteurs haute température ont lavantage essentiel dêtre plus pardonnants que les REP, notamment en cas de perte de refroidissement.
La conséquence est très claire : le temps de réaction des opérateurs, en cas de défaillance du réacteur, passe de lordre de la minute à quelques heures.
On va étudier le sujet. Il est clair quil faut redéfinir un programme de recherche et de développement et de façon ouverte, à long terme et à court terme. Le CEA devra avoir le courage de demander à son Gouvernement et à ses partenaires les crédits nécessaires pour réaliser ses programmes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous vous êtes exprimé en tant que Haut commissaire et en tant que citoyen. Je vous remercie au nom de la commission denquête.
Audition de M. Georges VENDRYES,
ancien Directeur des applications industrielles nucléaires au CEA
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Georges Vendryes est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Georges Vendryes prête serment.
M. le Président : M. le Directeur, je suis particulièrement heureux de vous recevoir ici dans le cadre de cette commission denquête. Je rappelais tout à lheure, à titre privé, que nous avons fait connaissance lun et lautre aux deux bouts du plutonium en 1956.
Vous avez assumé la charge de directeur des réacteurs à neutrons rapides au CEA, et à diverses reprises votre nom a été évoqué par les personnalités que nous avons reçues dans le cadre de cette commission denquête comme étant le père de cette aventure.
M. Georges VENDRYES : Vous savez que lintérêt majeur des réacteurs à neutrons rapides se trouve dans le meilleur usage quils font du combustible nucléaire. Ils sont les seuls à posséder la propriété remarquable de pouvoir fonctionner en surgénérateurs, cest-à-dire de produire plus de plutonium quils nen consomment. Mais à linverse, pourrait-on dire, ce sont aussi les réacteurs qui peuvent consommer avec le plus defficacité, qualitativement et quantitativement, le plutonium et les autres actinides.
En jouant de la souplesse que procure la possibilité de les concevoir, soit comme des producteurs, soit comme des consommateurs, on peut grâce à eux sadapter aisément à lévolution de la demande énergétique, quelle quelle soit, tout en garantissant une saine gestion des matières fissiles.
Cela signifie dabord que lon peut à tout moment sassurer que la production globale de plutonium demeure strictement conforme aux besoins, en évitant de laisser saccumuler, hors réacteur, des stocks de plutonium et dautres actinides sans destination précise.
De plus, alors que les réacteurs actuels, tels que les réacteurs à eau du parc dEDF, ne sont capables de consommer par fission que la centième partie de luranium naturel, les réacteurs à neutrons rapides permettent, par plutonium interposé, den utiliser la totalité. Quand on le souhaitera plus tard, ils pourront aussi bien consommer le thorium dont les gisements sont encore plus abondants que ceux duranium.
En définitive, lutilisation de réacteurs à neutrons rapides augmente énormément les réserves énergétiques dont nous pouvons tirer parti grâce à la fission et elle permet de les exploiter dans des conditions parfaitement maîtrisées.
Ils constituent en réalité la forme ultime de lénergie nucléaire, le gage et le symbole de sa pérennité.
Les mouvements antinucléaires ne sy sont pas trompés, cest là et non ailleurs que se trouve lorigine de lhostilité quasi-viscérale quils nont cessé de manifester à leur encontre.
Dans toute stratégie énergétique à long terme, qui nécarte pas le recours au nucléaire pour des raisons idéologiques a priori, les réacteurs à neutrons rapides jouent un rôle essentiel.
Rien détonnant à ce quun pays comme le nôtre, dépourvu de ressources suffisantes en combustibles fossiles, sy soit particulièrement intéressé.
Loin davoir été la première à sengager dans cette voie, la France la suivie avec autant de prudence que de détermination et de continuité.
Je ne vais pas rappeler ici en détail les diverses étapes de notre programme, vous pourrez si vous le voulez en trouver la description dans ce livre « Superphénix : pourquoi ? » que jai publié voici quelques mois. Je les ai vécues personnellement dès le début et je pourrai naturellement répondre à toutes les questions sur ce sujet.
Je me contenterai ici de quelques remarques.
Le fonctionnement de Phénix et de Superphénix a mis en évidence les caractéristiques remarquables des centrales nucléaires à neutrons rapides, rendement thermodynamique élevé, exposition minime du personnel au rayonnement, très peu deffluents, moindre production de déchets radioactifs, etc.
La démonstration de la surgénération fut apportée par Phénix ainsi que la possibilité de retraiter et de recycler de manière répétée son combustible.
Contrairement à des idées fausses mais répandues, les réacteurs à neutrons rapides sont aussi sûrs que les autres. Lexpérience acquise avec Phénix et Superphénix a confirmé quils présentent à ce point de vue des caractéristiques très intéressantes.
Certes, le fonctionnement de ces deux réacteurs a été perturbé par une série dincidents. On peut juger cest mon cas quils ont été trop nombreux, mais la situation fut semblable pour tous les réacteurs prototypes dans les diverses filières. Tant à Phénix quà Superphénix, les incidents qui sont survenus nont à aucun moment mis en cause la sûreté.
Que dire des incidents imaginaires inventés de toutes pièces à seule fin daffoler lopinion ? Jen citerai un seul exemple : à la fin de 1990, la CRII-RAD a prétendu, à grands renforts médiatiques, que Superphénix rejetait du plutonium dans le Rhône, et elle a dénoncé le laxisme des autorités chargées dassurer la protection des populations riveraines. Ces allégations étaient dépourvues de fondement, mais le mal était fait, avant que des mesures sérieuses aient pu apporter la preuve quelles étaient totalement mensongères.
Il convient de faire la part des choses. Voici un diagramme qui dépeint lexploitation de Superphénix de 1986 à 1996.
Dune part, les périodes dexploitation normales, qui représentent au total environ 53 mois, il est vrai à des niveaux de puissance extrêmement variables, noublions pas que cest un prototype, avec des périodes dessai, de lentretien, etc.
Dautre part, les périodes correspondant à des arrêts pour intervention suite à des incidents constatés : 25 mois.
Enfin, les périodes au total 54 mois pendant lesquelles la centrale, quoique techniquement en état de marche, a été clouée au sol par des procédures en cours. En particulier, elle sest trouvée immobilisée pendant plus de trois ans, de 1991 à 1994, par de pures et simples péripéties politico-administratives. Aucune installation industrielle, de quelque nature quelle soit, naurait pu tourner si elle avait été soumise à un harcèlement comparable.
En 1996, la dernière année où elle a été autorisée à fonctionner, sa marche a été excellente, avec une disponibilité de 95 % hors arrêts programmés. Au vu de ces résultats, tout laissait penser que le temps des maladies de jeunesse était passé et que souvrait maintenant une phase particulièrement importante de la vie de cette centrale. Son objectif principal demeure ce quil était à lorigine. Il sagit daccumuler des connaissances sur le fonctionnement prolongé dune centrale à neutrons rapides et à sodium, en maîtrisant au fur et à mesure les problèmes posés par des techniques, il est vrai nouvelles et difficiles.
En mettant un terme prématuré au fonctionnement de Superphénix, on se prive, de propos délibéré, dune expérience industrielle irremplaçable dont on regrettera, jen suis sûr, amèrement un jour de ne pas disposer.
La condamnation sans jugement prononcée par le Gouvernement est un défi au bon sens le plus élémentaire, une faute monumentale, quelle que soit léchéance à laquelle on en évalue les conséquences. Je vais les évoquer à court terme, à moyen terme, à long terme.
A court terme : voilà une centrale qui existe, qui est disponible, dont le coût dinvestissement est derrière nous. Les assemblages combustibles présents dans le réacteur ny ont été consommés quà moitié à ce jour et en magasin se trouve un deuxième cur tout neuf. On dispose ainsi, déjà payé, du combustible nucléaire permettant de produire 24 milliards de kWh, ce qui correspond à plusieurs années de fonctionnement : à 25 centimes le kWh cela représente 6 milliards de francs. La valeur de lélectricité produite, même avec un facteur de charge modeste qui ne dépasserait pas 40 %, couvre les frais dexploitation. En se privant de faire tourner cette centrale, on jette vraiment de largent par les fenêtres pour le plaisir.
Dautres sont ou seront mieux placés que moi pour vous exposer les effets quun arrêt brutal de cette installation aura sur léconomie locale et sur lemploi. Jai en tout cas pu constater en discutant sur place avec les travailleurs de la centrale à quel point la décision prise et les conditions dans lesquelles elle a été prise sont ressenties comme une manifestation de véritable mépris pour le travail et pour la dignité dautrui.
Enfin, comment osons-nous traiter avec une pareille désinvolture nos partenaires européens qui nous ont, pendant 25 ans, donné tous les gages possibles de leur esprit de coopération ? Quelle que soit leur réaction dans le cas présent, ne nous étonnons pas si demain dautres pays hésitent à sengager avec la France dans une entreprise commune de grande envergure ; cest la crédibilité de la parole de notre pays qui est en cause.
Conséquences à moyen terme : jentends par là lannée 2006 qui est léchéance fixée par la loi sur les déchets radioactifs que le Parlement français a votée à lunanimité à la fin de 1991, et à laquelle le nom de votre rapporteur est attaché.
Cette loi réclame que soient menés sur 15 ans un certain nombre de programmes de recherches. Lun des principaux consiste à étudier dans quelles conditions il serait possible de détruire, par transmutation nucléaire, les actinides qui sont des sous-produits inéluctables du fonctionnement de tout réacteur.
Les experts sont unanimes à reconnaître quun réacteur à neutrons rapides de grande puissance constitue le meilleur sinon le seul moyen de parvenir à un tel objectif. Cest ce quont fait ressortir tous les rapports établis à ce sujet ces dernières années. Encore convient-il de sen assurer par des essais systématiques.
Nous avons la chance de disposer avec Superphénix et Phénix, de tels outils et nous naurons pas trop des deux pour mener à bien ces recherches dans les délais fixés. Nous sommes déjà à mi-chemin du terme fixé par la loi de 1991, il ny a vraiment plus de temps à perdre.
Toutes les dispositions avaient été prises pour mener dans Superphénix un programme de recherches cohérent, à un coût marginal. Elles étaient bien engagées en 1996 et elles se trouvent maintenant complètement en panne.
Certes, le Gouvernement a tenté de minimiser la portée de larrêt de Superphénix en autorisant le redémarrage de Phénix qui est pratiquement à larrêt, comme vous le savez, depuis 1990.
La décision de remettre Phénix en service est positive et sage à partir du moment où la DSIN a estimé que son fonctionnement était acceptable au plan de la sûreté, comme M. Lacoste vous la dit ici même. Je men réjouis, comme vous pouvez bien le penser, car je me suis beaucoup employé, voici plus de 30 ans, pour que voie le jour cette centrale dont lexploitation sest faite pendant des années au sein dun secteur du CEA dont javais la responsabilité.
Cela étant dit, prétendre que Phénix peut se prêter, à la place de Superphénix et aussi bien que lui, à lexécution de ces recherches nest pas exact je pèse mes mots et cela pour deux raisons.
Il suffit dabord de comparer les caractéristiques techniques des deux réacteurs : la puissance de Phénix est cinq fois moindre que celle de Superphénix et le volume de son cur est dix fois plus petit, ce qui limite ses capacités de banc dessai en ne lui permettant pas dirradier en vraie grandeur des assemblages correspondant à ceux des centrales industrielles futures. Je vous recommande de relire le rapport du Conseil économique et social qua écrit en 1993 M. Teilhac, haut commissaire à lénergie atomique, il est tout à fait clair à ce sujet.
Mais ces différences dordre technique, pour significatives quelles soient, sont à mes yeux secondaires en comparaison des incertitudes qui affectent encore aujourdhui le comportement de Phénix. A nouveau je pèse mes mots, il ne faut pas se voiler la face, Phénix peut être un utile complément à Superphénix, mais en aucune façon un substitut à ce dernier.
Que peut-on dire maintenant de lavenir plus lointain, avec la prudence quimpose toute prévision à long terme ?
Une chose est sûre : la quantité cumulée de plutonium produit par les réacteurs à eau dEDF et présent dans les diverses installations du cycle de combustible, va continuer de saccroître régulièrement. Elle est de lordre aujourdhui de 150 tonnes et elle augmentera chaque année dune dizaine de tonnes.
Lutilisation progressive de combustible Mox, pour constituer un tiers du cur dun certain nombre de réacteurs à eau de 900 MW, va, certes, ralentir quelque peu cette croissance, mais dans létat actuel des choses, les ordres de grandeur ne seront pas fondamentalement modifiés.
Vous savez aussi que ce combustible Mox est impropre à être réutilisé dans des réacteurs à eau après des recyclages successifs. Seuls des réacteurs à neutrons rapides conçus de façon adéquate permettraient de réduire peu à peu les stocks de plutonium qui vont saccumuler. Peut-être jugera-t-on quil sagit là dun objectif sans intérêt. Je crois cependant quil nest pas raisonnable de sinterdire la possibilité dexploiter intelligemment cette mine de plutonium qui a une valeur énergétique considérable.
Les mêmes réacteurs à neutrons rapides capables dutiliser ce plutonium excédentaire sont également les mieux placés pour faire disparaître les actinides mineurs produits avec lui en en tirant par surcroît de lénergie et sans que lon ait à rechercher, pour ce faire, quelquautre expédient que ce soit. Vous avez compris que je fais référence à ces projets de systèmes qualifiés dhybrides et sur lesquels nous pourrons, si vous le voulez, revenir tout à lheure.
Sur un plan plus vaste, cest ma conviction profonde que lénergie nucléaire sera à nouveau reconnue au cours du prochain siècle et dans lensemble du monde comme une composante normale dune saine politique énergétique. Il suffit pour sen assurer de prendre conscience de la croissance de la population du globe, de chiffrer laugmentation inéluctable et nécessaire de ses besoins en énergie et de faire le bilan des moyens de les satisfaire.
Je vous montre sur ce document ce quest la consommation dénergie primaire, ou ce quelle était voici quelques années, en 1992, mais cela na pas beaucoup évolué, par tête dhabitant dans un certain nombre de pays. Tout à fait à droite, il sagit de la Chine et de lInde. Dans ces deux pays, la consommation par tête dhabitant est de moins du dixième, quelquefois de 20 ou 30 fois moins que ce quelle est dans les pays industrialisés, et ce sont les pays dont la population est la plus nombreuse et qui vont constituer au cours du siècle prochain à eux deux peut-être la moitié de la population mondiale. Ceci est un des éléments qui montre que la croissance des besoins énergétiques du monde est inéluctable.
La liste des sources dénergie qui sont dès à présent utilisables ou qui le seront dans les cent ans à venir est vite faite. Eu égard à limmensité des besoins, elles sont beaucoup plus complémentaires que concurrentes.
Chacune dentre elles présente des avantages et des inconvénients. Songeons au problème de lémission sans cesse accrue des gaz à effet de serre qui a été le thème central de la récente conférence de Kyoto sur lenvironnement. Tous les spécialistes saccordent à reconnaître que lactivité humaine et, en particulier, la combustion des hydrocarbures sont en partie responsables des augmentations de température enregistrées à la surface de notre planète. Ainsi se trouve enclenché un mécanisme dont on a toutes raisons de penser quil va aller en samplifiant et toutes raisons de craindre quil aura des conséquences extrêmement néfastes, sur le climat, sur notre environnement et en définitive sur les conditions de vie de très nombreux êtres humains.
Lun des rares moyens disponibles pour réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre est de développer massivement lusage de lénergie nucléaire, comme lexemple de la France le démontre de façon spectaculaire.
Vous voyez, sur ce document, les émissions de CO2 rapportées à la quantité délectricité produite dans les différents pays de lOCDE. Vous constatez que la France en émet 10 fois moins que par exemple le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, grâce à lutilisation du nucléaire.
Vous voyez sur cet autre document ce quest lémission totale de CO2 en France en millions de tonnes de dioxyde de carbone par an en extrapolant jusquen 2005 et ce quelle serait, si la France navait pas de programme nucléaire.
Vous voyez que grâce au nucléaire, lémission totale de CO2 en France sera, dans les années qui viennent, divisée par un facteur deux.
Mme Michèle RIVASI : Pour la proportion, on devrait aussi mettre les déchets !
M. Georges VENDRYES : Les faits sont têtus et si le diagnostic actuel se confirme en ce qui concerne lémission de ces gaz à effet de serre, la nécessité du traitement finira par simposer. Ne serait-ce que pour cette raison, il est fort probable que le développement de lénergie nucléaire reprendra à grande échelle dans le monde et peut-être beaucoup plus tôt que la plupart ne limaginent aujourdhui.
Les réacteurs à neutrons rapides, quon les utilise en producteurs ou en consommateurs de plutonium, reviendront alors inéluctablement sur le devant de la scène. Nous priver délibérément et sans aucun profit pour la Nation des moyens que nous avons laborieusement acquis pour nous préparer à cette perspective, cest faire preuve dune irresponsabilité coupable.
Lorsque Superphénix a été mis en service en 1986, on envisageait quil fonctionne environ une trentaine dannées, cest-à-dire jusquà lépoque où se posera la question du renouvellement des premiers réacteurs à eau du parc EDF actuel. Dieu sait ce qui peut se passer dici là ! Tuer Superphénix aujourdhui, cest porter un coup fatal à une filière de réacteurs qui joue un rôle essentiel dans une stratégie énergétique soucieuse de lavenir, comme lont bien compris tous les gouvernements, de gauche comme de droite, qui se sont succédé en France depuis 40 ans. Le moment venu, notre seul recours serait de nous tourner vers les pays qui auront su montrer plus de clairvoyance et de persévérance que nous et qui détiendront alors des techniques que nous aurions délibérément abandonnées, alors que la place quoccupe encore la France dans ce secteur est reconnue dans le monde entier.
Ne nous abusons pas : soyons bien conscients quen faisant de Superphénix leur cible privilégiée, les mouvements antinucléaires internationaux attaquent le cur même du dispositif nucléaire français. Leurs assauts contre lui ne sont que le début dune campagne de grande envergure qui vise en fait la destruction de notre programme nucléaire, dont le pays tire plus des trois quarts de son électricité dans des conditions dont il a tout lieu dêtre satisfait.
La mise à mort de Superphénix serait pour eux une victoire majeure qui ne pourrait que les inciter à redoubler defforts pour élargir demain la brèche. Nous en voyons déjà les signes avant-coureurs avec les attaques contre La Hague, contre linstallation de laboratoires souterrains, etc. On voit bien se dessiner une vaste manuvre pour remettre en cause lutilisation du plutonium puis toute la politique du cycle du combustible afin de paralyser par laval le fonctionnement des centrales nucléaires elles-mêmes.
Lexemple des Etats-Unis et dautres pays est là pour témoigner de la tactique utilisée, il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas percevoir ces menaces ; les porte-paroles des mouvements antinucléaires ne font dailleurs pas mystère de leurs intentions. Tout abandon en facilite et en appelle un autre.
Encore une fois, il sagit, avec la filière des réacteurs à neutrons rapides, dun grand programme qui na de sens que dans la durée ; en linterrompant brutalement et sans aucun profit immédiat, on sacrifie les efforts passés et on obère lavenir ; et pourquoi cela ? Par ce quil faut bien appeler un acte arbitraire du pouvoir en place pour satisfaire à des préoccupations électorales de circonstance.
Ces décisions ont été prises sans concertation ni préparation, en refusant tout débat parlementaire préalable. Au-delà du sort de Superphénix, du devenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides et même de la place du nucléaire dans lensemble de la politique énergétique nationale, il y a véritablement là un problème de fond pour le fonctionnement dune démocratie moderne.
Les enjeux en cause ici dépassent le destin dun réacteur isolé, ils ont une dimension stratégique, ils concernent lapprovisionnement énergétique à long terme de notre pays. Nos dirigeants ne cessent de dire quils sont en faveur dun programme nucléaire solide et cohérent, quils agissent en conséquence ! Quils ne se laissent pas aller, par pure démagogie, à brader Superphénix et avec lui toute la filière des réacteurs à neutrons rapides, quils mesurent bien leurs responsabilités, lavenir leur demandera des comptes.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Première question : pouvez-vous retracer brièvement lhistoire de la prise de décision de la réalisation de Superphénix, et je mexcuse si je nai pas tout à fait décrypté ce que vous avez voulu dire à ce propos. Comment a été prise la décision ? Par qui au final ? Et selon quel processus ?
Deuxièmement, vous nous avez à nouveau parlé du réacteur qui produit plus de plutonium quil nen consomme : lopinion publique qui na pas toujours une culture scientifique, est sensible à des images simplificatrices. Ne craignez-vous pas quaujourdhui, Superphénix et peut-être dautres éléments de la politique du nucléaire, soient victimes de ces annonces simplificatrices selon lesquelles il existe au fond une boucle idéale du combustible que lon introduit pour léternité dans un circuit, qui se reproduit, qui se régénère ? Nous savons bien aujourdhui quil nen est rien.
Jai noté dailleurs quEDF par exemple nétait pas intéressé par le combustible Mox de deuxième tour. Par conséquent, ne craignez-vous pas que, aussi louables que soient vos intentions dans le but de communiquer, tout cela ait été fait dune manière un peu réductrice voici une quinzaine dannées ?
Mes deux autres questions porteront plus à la fois sur lhistoire et lactualité. Superphénix na jamais fait lobjet dun véritable consensus politique, ni dune véritable adhésion de lopinion publique, alors quil sagissait dun grand projet, supposé et vous lavez parfaitement souligné, assurer lindépendance énergétique de notre pays. Pourquoi, pour quelle raison ce manque dadhésion de lopinion publique ?
Enfin, dernière question sur le devenir de la recherche sur les neutrons rapides. Jai moi-même, comme beaucoup, entendu avec intérêt que la prolongation dactivité de Phénix et même ensuite la réalisation de réacteurs expérimentaux comme le réacteur Horowitz permettraient de maintenir, dans les décennies à venir, les applications industrielles de la technique des neutrons rapides.
Jai été très troublé par le voyage que nous avons fait à Creys-Malville et jen suis revenu avec lidée inverse, à savoir quhormis une veille scientifique, le devenir de la recherche en matière de neutrons rapides pour la France était fort compromis. Pouvez-vous nous donner votre point de vue à ce propos ?
M. Georges VENDRYES : Je vais répondre à ces différentes questions.
Tout dabord lhistoire de la prise de décision. Il est vrai que je ne lai pas du tout évoquée dans ma présentation, mais dans mon livre, vous la trouverez décrite en détail. Cest au CEA, à une époque très ancienne, quont commencé de premières études conceptuelles sur des centrales à neutrons rapides de grande puissance. Même avant dirais-je, que Rapsodie ne soit entré en service, car nous ne voulions pas nous lancer les yeux fermés dans une filière sans avenir et nous voulions nous assurer le plus tôt possible que lon pourrait construire des centrales de grande puissance utilisant les technologies que nous allions mettre en uvre sans nous heurter à des obstacles insurmontables.
Dès la fin des années 1960, nous avions des études sur le papier. Le premier nom de Superphénix a été Rapsodie III, cest vous dire à quel point cela a été fait à une époque lointaine.
Qui a pris vraiment la décision de la construction de Superphénix ? M. Carle ici même vous la dit clairement voici quelques jours, cest un groupement de producteurs délectricité européens, animé par EDF. Cest en 1970 que M. Alexis Dejoux, dans le cadre dune réunion de lUNIPEDE, a proposé à ses partenaires, les électriciens européens, de construire en commun une centrale à neutrons rapides de lordre de 1 000 MW électriques en leur expliquant quil était sage, à la fois dans un esprit européen, et pour se partager les coûts, les risques, les aléas, de faire une telle réalisation à frais communs.
Cest de là que cest venu. La décision a clairement été prise au départ par un groupe de trois électriciens européens, avec le plein soutien du CEA, car il y avait une collaboration étroite entre EDF et le CEA. En particulier, toutes les options techniques ont été décidées, arrêtées ou préparées en commun, mais la décision de construire et dexploiter Superphénix a été prise par ces producteurs délectricité. Il est bien évident que non seulement parce quEDF est une entreprise publique, comme dailleurs ENEL en Italie, mais parce quil sagissait dun investissement très important dans une technologie nucléaire nouvelle, cela ne pouvait pas se faire sans laccord complet du Gouvernement français, qui a donc été largement associé à la préparation de cette décision. Le Parlement français lui aussi y a été associé très tôt, puisquil a fallu en 1972 un débat parlementaire pour modifier la loi de nationalisation dEDF de 1946, afin de permettre la réalisation en France dinstallations prototypes auxquelles seraient associés des partenaires européens.
Bien évidemment, comme la discussion de cette loi la fait ressortir, il sagissait de Superphénix.
Je ne sais pas si vous souhaitez que jen dise plus. Je puis entrer évidemment dans beaucoup plus de détails, mais voilà les grandes lignes du processus décisionnel.
Vous avez souligné que lopinion publique était réservée, quil ny avait jamais eu de véritable consensus, cest tout à fait vrai. Dès le début de la réalisation de Superphénix et même avant, mais cest surtout au début de la réalisation de Superphénix que cela sest concrétisé, il y a eu de violentes oppositions, il y a eu des débats. Il y a eu un débat au Conseil général de lIsère organisé par M. Louis Mermaz, dans des conditions parfaites, dune façon très courtoise, où il était clair que les groupes politiques nétaient pas du même avis sur la question ; cest certain.
Quant à lopinion publique, je me mets à la place de quelquun qui non seulement ne connaît absolument rien à lénergie nucléaire, mais qui na même aucune formation technique : quand il lit les journaux et quil voit tout ce que lon raconte sur le nucléaire, comment ne serait-il pas impressionné quand on lui parle de ces wagons contaminés et que du moindre incident on fait une montagne ? Il est tout à fait évident que lopinion, qui est soumise à ce martèlement continu, ne peut avoir que des réserves et des doutes.
Quand cette centrale a été lancée, il est vrai que laccent a été mis sur laspect surgénération, sur la capacité des réacteurs à neutrons rapides à produire plus de plutonium quon nen consomme ; pourquoi ? Cétait lépoque où lon entrevoyait un développement de lénergie nucléaire, qui na pas eu lieu. A ce moment, devant une montée considérable des prix de luranium je vous rappelle quentre lannée 1973 et lannée 1978, en cinq ans, le prix spot de luranium naturel a été multiplié par près de dix ! , on a craint non pas encore une véritable pénurie mais une poursuite de laugmentation du prix de luranium naturel. Il était donc tout à fait compréhensible que non seulement la France mais ses partenaires, sintéressent beaucoup à un type de centrale qui permettait dutiliser mieux, beaucoup mieux, luranium naturel, que les centrales classiques. Cela étant, les choses se sont passées différemment, cest tout à fait vrai. Mais qui peut dire comment elles vont se passer dans les 15 ou 20 ans qui viennent ? Maintenant, dans le proche avenir, cest plus laspect consommateur de plutonium qui devient intéressant, du fait que nous nous trouvons, pas simplement en France mais particulièrement en France, avec des stocks de plutonium qui ne vont cesser de grandir. La seule façon de les consommer intelligemment est de les brûler dans des réacteurs à neutrons rapides. Nous allons nous priver, en arrêtant Superphénix davoir, dans dix ans, quinze ans, vingt ans, un modèle de réacteur à neutrons rapides capable de servir à cette fin.
M. Roger MEÏ : Je me permets de vous interrompre car dans votre intervention, au début, vous avez dit : « les surgénérateurs produisent plus de plutonium quils nen consomment » et vous venez de dire le contraire maintenant.
M. Georges VENDRYES : Les deux possibilités existent.
M. Roger MEÏ : Je souhaite que vous développiez.
M. Georges VENDRYES : Je me suis mal fait comprendre sans doute parce quil est difficile en peu de temps dêtre tout à fait clair et précis. Les réacteurs à neutrons rapides se prêtent à deux types dutilisations qui à la limite sont un peu, je ne dirais pas contradictoires, mais inverses lune de lautre. Dans tous les cas, vous avez comme combustible un mélange de plutonium et duranium appauvri, mettons duranium 238. Vous pouvez faire en sorte que le réacteur fonctionne en surgénérateur, cest-à-dire quil produise plus de plutonium à partir de luranium présent quil ne consomme de plutonium par fission ; cela vous permet de faire tourner votre centrale et à la fin de lannée, vous trouvez plus de combustible dedans que vous nen avez mis au départ. Bien sûr, ce nest pas le mouvement perpétuel, cela va sarrêter un jour, cela signifie simplement que vous avez converti de luranium, en principe inutilisable par fission, en plutonium, dont vous avez tiré de lénergie de fission. Cest le côté surgénérateur qui est intéressant quand vous voulez développer un parc nucléaire et avoir de plus en plus de plutonium à votre disposition.
Si tel nest pas le cas, et cest bien la situation dans laquelle nous sommes aujourdhui, nous avons au contraire trop de plutonium, nous devons nous préoccuper de savoir comment lutiliser. Il se trouve que les mêmes réacteurs à neutrons rapides, à condition de modifier la conception de leur cur, mais cest très facile, peuvent être utilisés de telle sorte quils consomment le plutonium sans en reproduire ou en en reproduisant beaucoup moins quils nen consomment. Il suffit de jouer sur les proportions relatives de plutonium et duranium. A ce moment, vous avez en fait et jai dit dans mon exposé « qualitativement » et « quantitativement » le type de réacteur qui permet, par quantité délectricité produite, de brûler la plus grande quantité de plutonium et en même temps, et cela rejoint ladverbe « qualitativement », un plutonium de qualité quelconque. Cest très important, car vous savez quon ne peut réutiliser indéfiniment le combustible Mox dans un réacteur à eau. Sa composition isotopique, sa qualité se dégrade avec le temps et ne permet plus de le brûler dans un réacteur à eau, alors quon peut le brûler dans un réacteur à neutrons rapides qui est en première approximation un peu indifférent à la qualité de ce quil consomme.
Lorsque Superphénix a été lancé, cétait clairement dans loptique de la surgénération. Lexpérience technologique acquise avec le fonctionnement de Superphénix, qui porte sur les pompes, sur le générateur de vapeur, sur une multitude daspects techniques, se prête tout aussi bien à la conception demain dun réacteur à neutrons rapides qui serait, lui, destiné à la consommation du plutonium et non pas à sa production.
Votre dernière question concernait lavenir de la recherche et ce que pouvaient apporter pour la filière des réacteurs à neutrons rapides, la prolongation de la vie de Phénix et le réacteur Jules Horowitz.
Je serai bref et clair. La prolongation de la vie de Phénix malheureusement il nest question que de le faire fonctionner jusquen 2004 et sans doute à puissance limitée ou du moins pas à pleine puissance, et avec des arrêts qui sont déjà prévus napportera rien de significatif pour lavenir de la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides. Quant au réacteur Jules Horowitz, je mexcuse, mais je ne vois aucun lien entre ce réacteur et la filière des réacteurs à neutrons rapides à part quelques possibilités dirradiation dont jentends parler, mais je ne sais encore absolument pas quelles seront les capacités dirradiation en neutrons rapides de ce réacteur. Cest un réacteur à neutrons thermiques, un réacteur piscine, je nimagine pas que lon mette un cur au sodium dans une piscine en eau. Vraiment, cela na rien à voir avec la technologie des réacteurs à neutrons rapides, qui est le problème majeur, cela ne lui apportera rigoureusement rien, cest clair.
Mme Michèle RIVASI : Lorsquon vous écoute, vos affirmations nous font assez peur. Tout dabord, les mots que vous employez : vous parlez d« hostilité viscérale » des antinucléaires, en même temps M. Bataille vous indique quil ny avait pas un consensus de lopinion publique et vous attaquez la presse, disant que la presse peut manipuler lopinion publique contre le nucléaire. Mais, vous aussi, vous manipulez lopinion publique, par la publicité que vous pouvez faire dans tous les médias. Manipulation pour manipulation, je ne pense pas que les convois contaminés de déchets nucléaires soient un épiphénomène.
Laspect démocratique est très important et cette commission sétait posée la question de savoir comment faire pour quun tel événement ne se reproduise plus. Et là, vous venez de confirmer que cest un groupement de producteurs délectricité européens qui a décidé. Vous dites quil y a eu laccord du Gouvernement français, mais il ny a pas véritablement eu débat avec lopinion publique sur le choix de ce surgénérateur.
Comme vous avez attaqué la CRII-RAD dont jétais présidente à lépoque et à qui vous donnez un pouvoir extraordinaire, je vous en remercie dailleurs, je voudrais revenir sur ce sujet. Je ne pensais pas avoir modifié lopinion publique au point de finir par arrêter Superphénix, mais je voulais revenir sur lhistorique.
Lorsque nous avons fait des prélèvements au niveau des sédiments en amont et en aval de Superphénix, nous avons trouvé deux fois plus de plutonium en aval quen amont. Lorsque nous avons demandé les chiffres officiels effectués par le SCPRI de lépoque et par lIPSN, on sest aperçu, première constatation, quil ny avait aucune mesure de plutonium dans lenvironnement effectuée à proximité de Superphénix. Donc on dit « Superphénix ne rejette pas de plutonium », et lorsquon demande où sont les mesures, on saperçoit quil ny en a pas.
Je vous signale, dans le cadre de lactualité daujourdhui sur la dioxine dans la viande, quil ny avait pas de mesure effectuée par le ministère de la santé ainsi que le ministère de lagriculture. Il a fallu que ce soit un laboratoire indépendant qui demande à un laboratoire allemand de faire des mesures sur la dioxine dans la viande pour sapercevoir quil y en a. Eh bien, sur le nucléaire, il ny avait pas de mesure de plutonium en aval et en amont de la centrale.
Deuxième chose : il y avait deux fois plus de plutonium en aval, nous nous sommes donc posés la question : « doù vient ce plutonium ? ». LIPSN a fait des mesures et a trouvé comme la CRII-RAD ; il y a eu une polémique à ce sujet, lIPSN disant « cest dû aux essais nucléaires », mais alors, pourquoi trouve-t-on deux fois plus de plutonium en aval quen amont ? Et la CRII-RAD a émis lhypothèse quil pouvait y avoir du plutonium provenant de Superphénix.
Que ce phénomène ait remis complètement en question Superphénix, jen suis ravie, puisquà lheure actuelle le Gouvernement Jospin a décidé de fermer Superphénix.
Sur le stock de plutonium, il faut donner une information correcte aux députés. Pourquoi a-t-on arrêté la surgénération ? On la arrêtée dun point de vue économique, car la surgénération coûtait beaucoup plus cher pour produire des kWh nucléaires quun réacteur normal. Et en outre, le prix de luranium navait pas une courbe ascendante, comme on aurait pu le croire à une époque.
Sagissant des fonds donnés, il est normal que ceux attribués pour Superphénix soient justifiés. Si cela coûte trop cher, EDF préfèrera faire de lélectricité au moyen dune centrale normale et non pas dun surgénérateur.
Sur les stocks de plutonium, je suis tout à fait daccord avec vous, il faut arriver à les détruire, mais au cours des auditions multiples et variées, on nous a également dit que Superphénix nétait pas un outil de recherche. Un des éléments est que le Conseil dEtat na pas donné lautorisation pour transformer un réacteur de production délectricité en un réacteur expérimental de consommation de plutonium. Phénix est un outil, même sil est vieillissant et il nest même pas sûr quil redémarre, ou sil redémarre, ce ne sera pas à mon avis pour très longtemps. Il est sûr que cest un outil plus manipulable quand on fait des recherches scientifiques sur la transmutation, car on est au niveau du « B.A.ba » de la transmutation.
Javais une question à vous poser mais je reconnais que celle-ci sadresse plutôt aux militaires : pourquoi le plutonium produit par les surgénérateurs intéressait beaucoup plus les militaires que le plutonium produit par un réacteur à eau pressurisée normal ?
Est-ce que vous avez la réponse à cette question ?
M. le Président : Me permettez-vous de répondre à la place de mon ami Vendryes, puisque cest mon métier que vous évoquez ?
Tout simplement parce que dans luranium 238 qui est irradié dans un réacteur à neutrons rapides, vous produisez exclusivement du plutonium 239, lequel, parce quil ny a pas de plutonium 240 qui soit susceptible dêtre un émetteur de neutrons, est particulièrement qualifié, le meilleur qualifié pour fabriquer les bombes A.
Je peux même ajouter, Mme Rivasi, si vous voulez ma position personnelle, que ceci na plus aucune espèce dimportance dans les bombes H qui sont les seules que lon fabrique maintenant. Par conséquent, lidée que le plutonium de Superphénix était un plutonium excellent au plan militaire remonte à lépoque des années 1950-1960, où la France ne disposait pas dautre chose, mais où les journalistes, comme le disait M. Vendryes, continuaient sur leur lancée en décidant, ce que jai entendu moi-même quand jétais au CEA, que Superphénix était en fait un outil militaire.
Mme Michèle RIVASI : A partir de luranium 238, on obtient effectivement du plutonium 239, mais la question était aussi : en quoi les militaires ont-ils influé sur le choix de Superphénix ? La question de M. Bataille se situait au niveau du choix de départ, est-ce que les militaires ont eu une influence sur le choix de Superphénix ?
M. Georges VENDRYES : Réponse négative : aucune influence.
Je puis vous dire que, dans une entreprise qui a été construite par des producteurs délectricité de trois pays différents auxquels dautres se sont joints ultérieurement, il nétait pas question quil y ait la moindre incidence de Superphénix sur quelque programme militaire que ce soit.
M. Franck BOROTRA : Jai écouté lintervention de Mme Rivasi, elle mamène à poser deux questions, puis je poserai rapidement quelques questions dordre technique.
Il est vrai que les perspectives, les prévisions dévolution du prix de luranium ont varié. La question est : est-ce une raison pour abandonner la maîtrise de la filière à neutrons rapides ? Je voudrais rappeler quen 1973, le prix du pétrole était de 12 à 13 dollars le baril et du jour au lendemain on la retrouvé, dans les conditions que lon sait, à 30 dollars le baril.
Ce nest pas parce que le fondement de nature économique qui était à la base de ce choix a changé que cela justifie le changement de lorientation de la maîtrise technique de cette filière.
Sagissant de larrêt du Conseil dEtat, il est vrai que loutil est utilisable de deux manières différentes. Est-ce qualors quon découvre aujourdhui lintérêt de lutilisation comme sous-générateur, alors quon lavait conçu au départ comme surgénérateur, cest une raison suffisante pour labandonner ?
Ce sont des comportements de nature juridico-politique qui échappent selon moi à lentendement.
M. Vendryes, jai écouté votre plaidoyer. Cest naturel, vous êtes un des pères de Superphénix, il est normal que vous en parliez à la fois avec compétence et avec passion. Jai quatre questions à vous poser.
La France était engagée dans la maîtrise de cette filière à neutrons rapides, dautres pays étaient à nos côtés : lAllemagne, lItalie, ailleurs les Etats-Unis. Je constate aujourdhui que tous ces partenaires de départ ont abandonné, mais que dautres pays sont en train de prendre le relais. Je cite la Chine qui est en train de construire un prototype, je cite lInde qui est en train dengager une version industrielle de 500 MW, je noublie pas le Japon qui avait mis en place le réacteur de Joyo avant de mettre en place la centrale de Monju qui va être redémarrée. Je rappelle la position de la Russie avec BN600 et aujourdhui le projet de construction de deux unités de 800 MW, confirmée le 9 juin 1997, sans parler de ce que la Corée engage. Ma question est la suivante : est-ce que vous croyez que labandon par la France de la maîtrise de la filière à neutrons rapides au moment où dautres pays, dont nous avons vu tout à lheure que ce seront les grands consommateurs dénergie de demain, sy lancent, ne va pas être un coup, à la fois pour la position de la France qui est aujourdhui, non pas dominante mais très élevée dans ce domaine, et pour nos intérêts industriels ?
Jajoute pour lavoir touché du doigt dans ces pays, et je ne veux pas les renommer, que la France est probablement le seul pays qui a imposé une culture en termes de sûreté nucléaire. Ne croyez-vous pas que cela va affaiblir la position de la France et cette idée dont nous sommes à peu près les seuls porteurs dans le monde ?
Deuxièmement, nous avons ici beaucoup parlé de Phénix et de Superphénix et on nous a expliqué, je nai dailleurs toujours pas compris, quil y avait un saut technologique dangereux de Phénix à Superphénix. En y regardant de près, jai vu que cétait surtout les générateurs de vapeur et le choix de tubes hélicoïdaux qui faisaient la différence et que le reste était un rapport de puissance mais pas un saut technologique.
Je voudrais quun technicien nous dise ce quil en est ; est-ce quil y a eu décision dangereuse au travers du choix dun saut technologique dans cette affaire ?
Troisièmement, vous avez évoqué tout à lheure les autres perspectives et en particulier les perspectives liées au système hybride, à lénergie de fusion ou aux réacteurs rapides sous-critiques commandés par accélérateurs. Est-ce que ces perspectives, scientifiquement, à vos yeux, peuvent présenter des avantages ?
Enfin, dernier point : tout à lheure vous avez semblé dire que pour la transmutation des actinides, Phénix nétait pas un outil en état dapporter une réponse aux problèmes posés. Jaimerais bien que vous puissiez préciser en quelques instants la différence entre Phénix et Superphénix sous cet aspect, puisque vous avez dit tout à lheure quils étaient complémentaires mais que lun ne pouvait pas se substituer à lautre.
M. Georges VENDRYES : Je vais répondre aux différentes questions posées par Mme Rivasi puis M. Borotra.
Mme Rivasi, vous vous êtes dabord étonnée des conditions dans lesquelles cette décision de construire Superphénix a été prise par des producteurs délectricité. Vous vous étonniez quils aient pu, sans le contrôle de lopinion publique, prendre cette décision.
Mme Michèle RIVASI : Vous parliez de démocratie, mais il ny a pas eu de véritable débat sur la construction de Superphénix.
M. Georges VENDRYES : Il y a eu un débat en 1972 au Parlement, puisquil a fallu modifier la loi de nationalisation dEDF pour permettre la réalisation de Superphénix. Par ailleurs, toutes les procédures voulues par la législation ont été respectées. Il y a eu une enquête publique, bref, toutes les procédures réglementaires ont eu lieu et ont été totalement respectées.
Pourquoi voulez-vous que quand des producteurs, des industriels décident de faire un investissement, ils ne soient pas libres de prendre une telle décision ?
Mme Michèle RIVASI : Non !
M. Georges VENDRYES : Dans ce cas, le Gouvernement français, je peux vous le dire, a suivi avec beaucoup dattention les préparatifs de cette décision prise par les producteurs, cela ne pouvait pas se faire sans lui et encore une fois, toutes les procédures ont été respectées. Je suis donc surpris que vous puissiez vous étonner des conditions dans lesquelles cela sest passé.
Mme Michèle RIVASI : La critique a été faite sur le choix cela reprend une question de M. Borotra de la taille de Superphénix. Il y avait justement un lien entre les réacteurs et les surgénérateurs et EDF voulait des surgénérateurs qui correspondent à ses réacteurs. Sil y avait eu des débats contradictoires sur ce choix, peut-être naurait-on pas fait un outil aussi important ? Peut-être aurait-on fait un outil plus de recherche que de production.
Pourquoi arrête-t-on Superphénix ? Cest par rapport à la production. Contrairement à ce que vous avez dit, ce nest pas un bon outil de recherche. Il faut 18 mois pour sortir un cur, enfin ! Si vous êtes scientifique comme je le suis, ce nest pas avec un cur qui a besoin de 18 mois pour sortir que lon peut faire des recherches sur la transmutation, il faut un outil beaucoup plus malléable, où lon sort le réacteur, on fait de la spectro, etc.
M. Georges VENDRYES : Concernant la taille, je peux en même temps répondre aux deux questions. Je voulais vous signaler quil y a eu trois étapes dans notre programme : Rapsodie, Phénix et Superphénix. Le saut technologique entre Rapsodie et Phénix a été considérablement plus hardi et plus important que celui entre Phénix et Superphénix. Pourquoi ?
Parce que dans le premier cas, on est passé dun réacteur de 40 MW thermiques, qui ne produisait pas délectricité, qui était un petit outil expérimental, à une centrale de démonstration qui produisait 250 MW électriques et de plus, on avait entre-temps, pour des raisons que lon peut discuter mais qui ont été longuement débattues, décidé de changer complètement la conception du circuit primaire. On était donc parti avec Phénix sur un schéma complètement nouveau, que les Anglais se sont trouvés adopter en même temps que nous mais indépendamment ; nous avions fait là un pari technologique très important.
Au contraire, quand nous sommes passés de Phénix à Superphénix, nous avons eu le plus grand souci de maintenir les options technologiques que nous avions déjà bien éprouvées avec Phénix, qui avait déjà commencé à montrer quelles étaient saines, en veillant à ce que les facteurs dextrapolation ne soient pas trop importants. Il ny a eu quune exception que M. Borotra a bien soulignée lui-même, cest le cas du générateur de vapeur. Cest le seul cas où il y a eu un changement important ; cest le seul cas où lon pouvait dire que nous avions fait un pari vraiment nouveau. Cela étant, je vous signale que ces générateurs de vapeur sont actuellement comme neufs. Je suis allé voir, voici peu de temps, léquipe qui en fait lexamen au titre de la loi sur les appareils à pression, ils sont comme neufs.
Lextrapolation de 250 à 1 200 MW électriques ne se traduisait, sur la plupart des composants, que par des extrapolations bien moindres.
Nous avons néanmoins, et ceci pendant des années avant que cette décision soit prise, car elle a été préparée par toute une série détudes, longuement discutée pour savoir sil convenait que la centrale suivant Phénix soit de 600 ou de 1 200 MW.
Je peux même vous dire, cela va dans le sens des objections que vous pourriez me faire, quil y avait des arguments pour choisir une unité de 600 MW. Comme à lépoque nous ne disposions pas de groupe turboalternateur à 3 000 tours de 1 200 MW de puissance, nous étions obligés den mettre 2 de 600 en parallèle, ce qui était quand même une complication. Cest ce que nous avons dû faire pour Superphénix. Il y avait donc des arguments dans un sens et dans lautre.
Ce qui la emporté finalement pour EDF, mais je massocie pleinement à ce choix, cest quen faisant une centrale de 1 200 MW, on pouvait faire des comparaisons plus pertinentes avec les centrales à eau de 1 300 MW qui étaient construites en même temps.
Un mot sur les systèmes hybrides : je vais être un peu brutal et forcer le trait. Jai vu dans ma longue carrière nucléaire beaucoup de projets de réacteurs farfelus qui nont jamais vu le jour mais dont certains ont pu coûter des fortunes en recherche et développement. Je nai jamais rien vu dapprochant au projet de réacteur hybride que je vois actuellement défendre à grands renforts de publicité, avec des campagnes publicitaires énormes. Je pourrais, nous nen avons pas le temps, détailler : lhistoire du plomb fondu, le problème de la fenêtre, etc., etc., il y a une accumulation de problèmes.
En forçant le trait, je dirais que je vois dans ces systèmes qui marient ou essaient de marier des accélérateurs à très grand courant et des milieux multiplicateurs, une sorte de tentative daccouplement monstrueux entre deux espèces que la nature a condamnées à ne jamais procréer ensemble ; pour moi, cest un peu cela. Les aspects techniques de ces projets me laissent complètement pantois.
Je comprends très bien que les spécialistes des accélérateurs, que je respecte et que jadmire, qui ont fait des machines admirables et qui en ont tiré des enseignements sur la structure de la matière devant lesquels je mincline, cherchent à pousser également le développement de ces accélérateurs vers de grands courants. Je crois quils font fausse route dans la mesure où ils pensent que cest en accouplant de telles machines à des milieux multiplicateurs quils trouveront une application viable.
Concernant la fusion, je me permets de vous rappeler que jai été un de ceux qui ont lancé les études sur la physique des plasmas au CEA voici bien longtemps, cétait à la fin des années 1950. Et au bout de quelques années, je men suis retiré, car jai pensé, en voyant de près comment se présentaient les choses, quen tout cas de mon vivant, on naboutirait certainement à rien. Cela fait 50 ans quil y a dans un grand nombre de pays du monde un effort énorme consacré à létude des plasmas en vue de la fusion contrôlée. Or, on na pas encore apporté la démonstration quon pouvait faire un plasma ayant les caractéristiques thermonucléaires. Je pense que si la machine ITER voit le jour, elle pourra apporter cette démonstration, mais de là à penser que lon pourra en tirer des possibilités industrielles, malheureusement je ne veux pas là non plus entrer dans le détail cela nous entraînerait trop loin je suis convaincu que cela naura pas de débouché industriel au moins pendant tout le cours du siècle prochain.
Encore un mot à Mme Rivasi au sujet de ses relevés. Comme tout à lheure elle a prononcé des mots très aimables à mon égard, je voudrais les lui retourner.
Mme Michèle RIVASI : Je vous les ai retournés ; « hostilité viscérale », ce sont vos propos.
M. Georges VENDRYES : Bien entendu.
Je tenais à vous dire plusieurs choses Mme Rivasi. Dabord, il y a eu des mesures sur le site.
Mme Michèle RIVASI : Sur quoi ?
M. Georges VENDRYES : Par exemple sur la présence de plutonium sur le site de Creys-Malville avant la réalisation de la centrale ; il y a eu un point zéro de fait...
Mme Michèle RIVASI : Pas sur les sédiments.
M. Georges VENDRYES : ...où lon a décelé comme on en décèle partout, vous en trouverez sur le Champ de Mars, des traces infimes de plutonium.
Mme Michèle RIVASI : Je sais, mais on nen avait pas fait sur les sédiments et cest assez drôle, car les effluents liquides sont rejetés dans le Rhône, autant donc le faire sur les sédiments sur le point zéro. Pourquoi ne lavez-vous pas fait dans lenquête publique en faisant le point zéro ?
M. Georges VENDRYES : On ne la peut-être pas fait dans les sédiments mais on la fait à côté, en tout cas, il y a eu une mesure de la quantité de plutonium présent sur le site avant. En ce qui concerne les sédiments, vous avez dit à juste titre, cest très vrai, que les mesures de la CRII-RAD ont porté sur deux échantillons deux seulement un à lamont et un à laval et que celui à laval en contenait deux fois plus, pourquoi ? Lexplication a été apportée dune façon très claire, cest parce que la nature de ces sédiments nétait pas la même et que la fixation du plutonium dépend beaucoup de la granulométrie du sédiment.
Mme Michèle RIVASI : Je suis tout à fait daccord mais nous avions pris la même granulométrie.
M. Georges VENDRYES : En tout cas, il y avait la preuve formelle que ce plutonium ne pouvait pas provenir de la centrale, cest que sa composition isotopique reflétait celle du plutonium des armes et navait aucun rapport avec celle de la centrale.
Mme Michèle RIVASI : Non !
M. Georges VENDRYES : Je pourrai si vous voulez remettre à votre commission, un dossier. Jai un dossier, je men excuse, qui est accablant pour la CRII-RAD, Madame.
Mme Michèle RIVASI : Il nest pas accablant du tout, je déposerai le dossier de la CRII-RAD, car nous nétions pas daccord sur linterprétation scientifique.
M. Michel DESTOT : Merci cher Président de me donner loccasion de minsérer dans ce dialogue aimable.
Aussi séduit que je sois par lintervention claire, argumentée et convaincante sur bien des points de M. Vendryes, je me pose encore quelques questions et jaimerais avoir votre sentiment.
Première question : au fond, après vous avoir entendu et après avoir entendu beaucoup de personnalités qui ont été auditionnées devant cette commission, on peut se demander si, sur ce point comme dailleurs sur beaucoup dautres points de notre société, on na pas eu raison trop tôt ?
Je mexplique : aujourdhui le parc électronucléaire mondial croît très lentement. Beaucoup avaient estimé quil aurait pu croître beaucoup plus vite.
Lespérance de vie des réacteurs à neutrons thermiques, les REP, augmente pratiquement chaque jour dun jour. On avait annoncé vingt-cinq ans, cest trente, cest trente-cinq, cest quarante, cest cinquante ans, tant mieux, ce qui montre lexcellence des travaux du CEA et de lexploitation dEDF.
Aura-t-on besoin des surgénérateurs dans dix ans ? Vingt ans ? Trente ans ? Quarante ans ? Cinquante ans ? Même dans votre logique ? Et ce jour-là, peut-on se poser la question de savoir si la rapidité dadaptation de la recherche dans vingt ans, dans trente ans, dans quarante ans ou dans cinquante ans ne justifiera pas au fond une approche plus américaine des choses, cest-à-dire en traitant les problèmes à plus court terme que ce que fait la recherche française ?
Deuxièmement : ne pouvons-nous pas imaginer que le choix des matériaux et leur résistance au rayonnement mériteraient des approches différentes de celles que nous avons eues ?
Je reste troublé aujourdhui, en 1998, par lincompatibilité entre le sodium et luranium et le sodium et leau, et sur labsence de recherche sur dautres matériaux réfrigérants, métaux liquides, permettant dêtre beaucoup plus compatibles et beaucoup plus respectueux de règles simples de sécurité.
Deuxième question : production de CO2 et effet de serre. Cest évidemment le problème de la France de réduire sa production de CO2, cest bien dêtre le premier de la classe. Mais votre graphique nous montrait bien que tout se joue dans léquilibre planétaire en Chine et en Inde. Si nous ny prenons garde, le seul choix qui nous restera sera de savoir, sil est préférable que ces pays recourent au charbon ou choisissent le nucléaire.
Je dois dire que le choix se fait dès aujourdhui : si cest le nucléaire, ne faut-il pas sengager sur le REP avec force ? Cest un problème industriel et cest un problème commercial de première importance pour la France.
Sur le plan du charbon, cela veut dire quil faut pousser les feux sur des techniques à lit fluidisé que nous avons déjà à Gardanne.
Un colloque se tiendra le 11 juin, jen ai pris linitiative, en présence du Premier ministre, et je vous invite, M. Vendryes, à venir nous donner votre sentiment.
Troisième question : vous avez dit que les stocks de plutonium ne pouvaient se traiter quexclusivement à travers la combustion sur des surgénérateurs. Permettez-moi de vous dire quaujourdhui, jaimerais bien que lon reparle de pousser les feux sur la moxisation, cest-à-dire la possibilité dalliages doxyde duranium et doxyde de plutonium, non seulement pour les REP, mais vous le savez car la COGEMA se pose le problème aujourdhui, pour les réacteurs à eau bouillante ? Cest le problème de la Suède et cest le problème du Japon.
Ne faut-il pas là pousser également les feux au niveau de la recherche et au niveau industriel ? Cest peut-être la décision politique industrielle la plus importante que nous ayons à prendre dans les semaines ou dans les mois qui viennent.
Dernier point : laspect démocratique de nos débats. Disons-le franchement, on a investi pratiquement 1 000 milliards de francs dans le nucléaire civil dans notre pays sans loi. La première loi réelle a été la loi Bataille fin 1991. On a créé NERSA par loi, mais cétait un biais, vous le rappeliez tout à lheure, ce nétait ni fondamental ni direct.
On a créé des dizaines de centrales électronucléaires dans notre pays, on a créé le CEA par un décret du Général de Gaulle à la Libération ; jamais il ny a eu la moindre loi nucléaire.
On dit aujourdhui que les choses se sont mal passées pour larrêt de Superphénix. Je crois que lon peut malheureusement confondre passé et présent dans le refus dun débat démocratique au fond. Le problème demeure pour lavenir ; jaimerais avoir votre sentiment sur ces questions.
M. Georges VENDRYES : Quand vous dites « na-t-on pas eu raison trop tôt en lançant la filière des neutrons rapides jusquau stade dune centrale de 1 200 MW », vous avez peut-être raison. Cest bien possible. Vous savez, la prévision est un art difficile ; savoir ce qui se passera dans dix ans, dans vingt ans, qui peut être prophète et le dire ?
Cest vrai, je le reconnais volontiers, les choses ne se sont pas passées dans le monde et même en France comme nous pouvions penser quelles se dérouleraient au lendemain de la crise pétrolière de 1973. Il est bien évident que si se posait aujourdhui la question de construire des surgénérateurs, nous nen construirions pas, mais nous étions dans une situation tout à fait différente. Jinsiste à nouveau sur le fait que ces réacteurs à neutrons rapides qui peuvent être rendus surgénérateurs, même si aujourdhui on peut dire que nous nen ressentons pas la nécessité à court terme, sont également les meilleurs pour consommer le plutonium, ce qui est un problème majeur pour les décennies à venir.
Vous avez fait une comparaison avec les Etats-Unis. Je crois quil faut que nous soyons très prudents dans les comparaisons que nous pouvons faire avec les Etats-Unis qui sont un pays doté de ressources énormes, dont lhistoire montre bien quils sont capables de faire face à des situations nouvelles avec un dynamisme extraordinaire. Malheureusement, nos moyens sont plus restreints, et je crois que notre principal atout est la continuité de notre effort.
Concernant le choix des matériaux, je suis daccord avec vous : à lavenir il y aura sans doute des possibilités nouvelles auxquelles nous ne songeons même pas aujourdhui. En tout cas, une chose est certaine, cest que ce nest pas le plomb qui servira de fluide caloporteur pour les centrales à venir, sûrement pas ; quand vous imaginez que cest un élément qui fond à 327 degrés, cela impose de maintenir à tout moment, même à larrêt, la température du système à 400 degrés ; vous savez, quand il sagira daller changer sous 30 mètres de plomb une fenêtre quil faudra remplacer à peu près tous les mois, ce sera infernal, tout à fait exclus !
Il y a sans doute dautres possibilités que le sodium, mais encore faut-il être très prudent avant de les envisager sérieusement.
Concernant le CO2 et leffet de serre, vous avez souligné que le problème viendrait probablement du côté de la Chine et de lInde. Jen suis bien conscient, car déjà maintenant, la production de CO2 en Chine est très importante et ne manquera pas de se développer. Mais cest justement dans la mesure où des pays en voie de développement vont être quasi-obligés davoir recours à des énergies fossiles pour satisfaire leurs besoins croissants en énergie que les pays industrialisés maîtrisant des technologies autres devraient, pour leur part, limiter leur consommation de combustibles fossiles.
Bien sûr, je sais que les techniques sur le lit fluidisé ont fait beaucoup de progrès, mais cela nempêche tout de même pas que lon produise du CO2.
Je vous remercie beaucoup de votre invitation pour le 11 juin, je my rendrai avec grand plaisir.
En ce qui concerne la possibilité dutiliser le Mox pour les « bouillants », vous savez que la COGEMA a demandé et obtenu lautorisation dune ligne supplémentaire à lusine Melox pour faire du combustible Mox pour ce type de réacteurs, non pas pour la France mais pour lexportation. Cest un débouché intéressant bien sûr, mais ce nest pas cela qui va changer la face des choses et régler le sort de lutilisation du plutonium.
En ce qui concerne laspect démocratique, je me permets en tant que citoyen de dire que je suis pleinement daccord avec les remarques que vous avez faites. Cest sûr, je le reconnais, mais je ny suis pas pour grand chose, que la politique électronucléaire française na pas fait suffisamment dans le passé lobjet de débats parlementaires, mais ce nest pas une raison, maintenant que lon en est conscient, pour continuer à sy refuser.
M. le Président : Une remarque en une phrase, sur cette affaire. Je ne suis pas absolument sûr que, quand en 1958-1959, on a lancé les études sur la séparation isotopique pour faire des armes H, si lon avait soumis cela à un débat démocratique, lon aurait eu un résultat positif. Et pourtant, à cette heure, 80 % de léclairage de cette salle est fait par de luranium 235 provenant de la séparation isotopique.
M. François LOOS : Beaucoup de choses ont été dites en réponse aux questions que javais lintention de poser. Au fond depuis le début de cette commission denquête, jessaie de comprendre les arguments des gens qui ont décidé de fermer Superphénix. Nous avons rencontré Mme Voynet, vous avez entendu Mme Rivasi, au fond, on na pas dargument. Nous avons également entendu le vice-président Cochet, nous avons eu quelques exposés sur les raisons et le seul argument qui surnage aujourdhui pour moi, et jaimerais bien avoir votre avis là-dessus, est que si on ne fermait pas Superphénix, que si lon continuait notre politique énergétique, il faudrait avoir à peu près un Superphénix pour trois tranches REP. Cest annoncé comme une espèce de grande catastrophe, car les risques seraient multipliés. Mais cest le seul argument, à part les arguments spécieux sur le coût, cest le seul que jaie entendu qui pourrait mémouvoir.
Que pensez-vous de cet argument ? Quelle serait aujourdhui, si lon arrivait à convaincre le Gouvernement de ne pas arrêter, la poursuite de la filière surgénérateur en France ? Quest-ce qui vous semblerait bon comme politique dans ce domaine ?
M. Georges VENDRYES : Avec Superphénix, nous développons une technique de réacteur nucléaire qui présente, par rapport aux centrales actuelles, des possibilités supérieures, sur lesquelles je vous ai donné des explications tout à lheure.
La question se posera lorsquà partir de 2015 environ, les premières centrales à eau viendront en fin de vie en France. Il faudra alors les remplacer, pas forcément par des centrales nucléaires dailleurs. Mais il faudra décider de la réalisation de centrales. Si ce sont des centrales nucléaires, comme M. Destot la très bien souligné tout à lheure, ce sont des centrales qui vont avoir une durée de vie qui ne sera plus de vingt-cinq, quarante ou cinquante ans, mais sans doute dune soixantaine dannées.
Cest-à-dire que les décisions qui vont être prises en 2015 pour le remplacement des centrales nucléaires arrivées en fin de vie porteront sur de nouvelles installations qui fonctionneront pendant une très grande partie du siècle prochain.
Nous sommes donc obligés, même si faire des prévisions est un art à la limite impossible ou très difficile, de faire des prévisions sur ce qui va se passer au cours du siècle prochain, pendant presque toute sa durée, avant de décider des investissements que nous allons faire. Nous ne pouvons pas nous préoccuper uniquement de la situation présente, il faut voir plus loin, faire des scénarios, des hypothèses.
Je prétends que parmi les scénarios quon ne doit pas écarter, il y a celui dun besoin accru en énergie nucléaire et en même temps dune pénurie à terme, terme non pas immédiat, mais dans vingt ans ou trente ans, duranium. Un tel scénario justifiera pleinement que lon réalise, je ne dis pas une dizaine de centrales à neutrons rapides dun coup, mais que lon continue dans cette filière pour être prêt, le moment venu, à disposer de la technologie nécessaire.
Au contraire, on sinterdit, on se coupe délibérément, pour des arguments idéologiques a priori, pour des raisons à courte vue, pour des raisons de circonstances, cette possibilité, alors que cela ne nous coûte rien de continuer. Encore une fois, le fonctionnement de cette centrale couvre ses frais. La valeur de lélectricité produite couvre les dépenses dexploitation. Donc, pourquoi larrêter ? Nous avons là le combustible qui est déjà payé ; nous pouvons la faire tourner pendant plusieurs années. Alors, pourquoi jeter cet argent dans le Rhône ? Ce nest même pas du plutonium dans ce cas...
M. Roger MEÏ : Deux questions précises. Je ne reviendrai pas sur lexplication de la différence entre Phénix et Superphénix, en revanche dans votre exposé, un mot ma choqué : vous avez parlé dincertitude quant au fonctionnement de Phénix.
Nous sommes allés voici quelques jours visiter Phénix. On nous a donné des explications mais on ne nous a pas parlé dincertitude, ce que je traduis moi par « inquiétude ». Je voudrais donc que vous nous lexpliquiez.
Tout à lheure vous êtes intervenu pour mexpliquer ce que signifiait la combustion du plutonium, mais si jai bien compris, vous avez dit que dans les surgénérateurs, on brûlait tout : le plutonium, luranium qui restait, les actinides mineurs et vous navez pas parlé de déchets. Est-ce que cela veut dire quà travers la surgénération il ny aura plus de déchet radioactif ?
Il faut expliquer les choses sinon ce sera interprété comme « il ny a plus de problème ». Je crois quil y a des problèmes et je souhaiterais donc que vous les expliquiez, car la loi Bataille, cest pour cela quelle a été faite, prévoit diverses pistes pour éliminer ces déchets : enfouissement, transmutation, et autres.
Troisièmement, je suis tout à fait daccord avec vous pour mettre en avant, au travers de la fission nucléaire, donc à travers les centrales classiques ou de surgénération, quil sagit là dun problème majeur au regard de leffet de serre. Si la France a un bilan excellent, cest donc grâce à sa politique nucléaire. Je reviens de Chine ; si les Chinois qui vont être 1 milliard 300 millions dhabitants et les Indiens qui vont être à peu près autant, continuent à mettre en place des usines thermiques à charbon, même avec un lit fluidisé, leffet de serre sera gigantesque.
Jai entendu dire quils réfléchissaient donc à lutilisation de leurs richesses naturelles mais aussi à lutilisation de réacteurs nucléaires.
Pour en terminer, nous avons parlé de lélimination du plutonium civil, mais il existe également des stocks de plutonium militaire qui sont considérables. Pouvez-vous nous dire quel est en France le stock de plutonium qui doit être éliminé ?
M. Georges VENDRYES : La Chine doù vous revenez et lInde se préparent effectivement à utiliser massivement lénergie nucléaire, pour des raisons évidentes, parce quelles ont des besoins énergétiques considérables, et quil faudra quelles fassent feu de tout bois. Il est vrai que la Chine a beaucoup de charbon, mais localisé dans le Nord, dans le Sud elle nen a pas. Il y a le barrage des Trois Gorges, mais cest limité et sa construction va nécessiter le déplacement de plus dun million de personnes.
Ces pays se lancent donc délibérément, logiquement et intelligemment vers le nucléaire ; ils ont tout à fait raison.
Concernant le fait quavec des réacteurs à neutrons rapides on puisse brûler tout et brûler tous les déchets, attention : je ne dis pas que tous les problèmes vont être résolus par un coup de baguette magique instantanément. Je dis simplement que si lon veut réduire dans des délais raisonnables cest-à-dire dans des délais qui ont des constantes de temps de lordre de la décennie les stocks de plutonium civil qui sont de lordre de 150 tonnes en stock cumulé, et saccroissent denviron une dizaine de tonnes par an, il ny a pas de meilleure solution que de brûler ce plutonium dans des réacteurs à neutrons rapides conçus à cet effet.
Pour vous donner un ordre de grandeur, si tout le parc actuel dEDF était fait de réacteurs à neutrons rapides consommateurs de plutonium, ce qui est évidemment une vue complètement irréaliste, on en ferait disparaître environ 35 tonnes par an.
En même temps quon brûlerait ce plutonium, on pourrait bien sûr brûler tous les actinides mineurs qui sont produits, environ à raison de 10 % de la quantité de plutonium par les réacteurs de première génération. Est-ce que cela résoudra tous les problèmes ? Je ne le dis pas. Vous savez, cest une entreprise longue, difficile, cest dailleurs bien pour cela que lon souhaitait faire un certain nombre dexpérimentations sur Superphénix pour sassurer que cela marchait, savoir combien cela coûtait, dans quelle mesure on pouvait les brûler, est-ce que cela naurait pas des à-côtés ennuyeux, etc. Il faut létudier.
Mais lobjectif est clair : il est bien là et il ny a pas dautre voie si lon veut consommer ce plutonium et ces actinides mineurs.
M. Roger MEÏ : Est-ce quil reste des déchets radioactifs après ?
M. Georges VENDRYES : En dehors de cela, il y a les produits de fission. Environ six produits de fission ont à la fois une vie très longue et des propriétés qui peuvent être gênantes dans la mesure où ils peuvent se répandre plus facilement dans lenvironnement : le technétium, le césium, etc.
Que les réacteurs à neutrons rapides soient les mieux placés pour réduire ces quelques produits de fission à vie longue, je nen suis pas sûr. On peut imaginer dautres solutions, peut-être par exemple utiliser des accélérateurs, mais il sagit dun problème extrêmement limité.
M. Roger MEÏ : Et sur « lincertitude » de Phénix ? Cest important.
M. Georges VENDRYES : Je réponds volontiers à votre question. Encore une fois, je tiens à dire à quel point je me réjouis que Phénix rentre bientôt en fonctionnement. Je trouve que cest une décision très sage, mais je rappelle que ce réacteur a connu des incidents de sauts de réactivité en 1989 et en 1990 ; il y en a eu quatre. Ces incidents, malgré des efforts considérables du CEA, nont pas encore été expliqués à ce jour.
On a fait appel à énormément dexperts, dont des experts étrangers, etc., on ne les a pas expliqués.
Je partage lavis très autorisé de M. Lacoste quand il vous a dit quil estimait quil ne sagissait pas véritablement dun problème de sûreté.
Il nen est pas moins vrai que tout phénomène qui touche à la réactivité du cur dun réacteur à neutrons rapides doit être pris avec la plus grande attention, et quand on se trouve devant un phénomène de ce genre qui nest pas expliqué, cest une situation insatisfaisante.
Depuis des années, ce nest pas une préoccupation de circonstance je ne cesse de recommander au CEA que lorsque Phénix rentrera en service, et jespère que ce sera le plus vite possible, son fonctionnement soit vraiment orienté afin de rechercher la cause de ce phénomène. Il faut absolument en trouver lexplication. Et on ne pourra trouver lexplication que par un fonctionnement en puissance, qui soit conçu à cet effet à partir dun certain nombre dhypothèses, car on a quand même des indices.
M. le Président : Je vous remercie.
Audition de MM. Jacques BOUCHARD,
Directeur des applications militaires au CEA,
ancien Directeur des réacteurs nucléaires
et Patrice BERNARD,
Directeur du programme « Loi du 30 décembre 1991 » au CEA
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Jacques Bouchard et Patrice Bernard sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Jacques Bouchard et Patrice Bernard prêtent serment.
M. le Président : Lexposé de M. Vendryes a été très clair et très important et peut peut-être nous permettre de passer directement aux questions.
M. Bouchard, vous êtes ici non pas en tant que directeur des applications militaires, mais en tant quassocié direct de la phase de construction et dexploitation de Superphénix.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Premièrement, jai quelques questions à vous poser sur le fonctionnement de Superphénix. Quel bilan dressez-vous ? Pouvez-vous établir une typologie des problèmes techniques rencontrés par Superphénix ? Pourquoi cette centrale a été confrontée à autant de problèmes ?
Le deuxième aspect que je vous demanderai daborder est le plan initial déquipement de la France en réacteurs à neutrons rapides.
Jaurai ensuite deux questions sur la recherche et lavenir. La décision de fermeture de la centrale sera-t-elle préjudiciable à dautres coopérations internationales que vous connaissez dans le domaine nucléaire ? Je pense à des coopérations qui sont établies avec le Japon ou avec la Russie.
Enfin, jai un deuxième groupe de questions à vous poser qui concerne le devenir de la filière des neutrons rapides. Cette filière est-elle renvoyée à plusieurs décennies, peut-être cinquante ans, pour répondre aux problèmes énergétiques de demain ? Dans ce cas, nous avons entendu la semaine dernière M. le Ministre de la recherche, Claude Allègre, nous dire quune interruption des recherches menées dans Superphénix ne serait pas préjudiciable car on pourrait très vite se remettre à niveau si cela était nécessaire. Est-ce votre opinion ? Car maintenant que Superphénix est arrêté, il nous reste quelques années avec Phénix, mais rien de plus.
Je suis revenu la semaine dernière de Creys-Malville avec limpression que les équipes sont démantelées, en tout cas dispersées et quil nest pas possible de continuer ne serait ce quune veille scientifique.
Par conséquent, ce qui nous préoccupe surtout est de savoir si vous pensez quune recherche effective peut être maintenue.
Si ce nest pas le cas, naura-t-on pas dans trente ou quarante ans, à payer ce « blanc » dans la recherche, si daventure les autorités de ce moment, la génération de nos enfants, voulaient en décider ?
M. Jacques BOUCHARD : Tout dabord, je répondrai aux questions concernant le bilan de fonctionnement de Superphénix.
Au moment où divers incidents se sont produits, on sest effectivement beaucoup interrogé, en particulier sur les deux principaux lincident concernant le barillet qui sest produit en 1987 et lincident de pollution au sodium en 1990. On sest demandé si ces incidents étaient de nature à remettre en cause les choix qui avaient été faits en termes de concept, ou sil sagissait dincidents de parcours normaux dans le déroulement dune mise au point technologique complexe.
Nous avons été amenés à faire un bilan précis de ces choses au moment où sétait reposée la question du redémarrage du réacteur en 1992, et les réponses avaient été claires. Les incidents en question nétaient pas de nature à remettre en cause les choix qui avaient été faits en termes de concept. En revanche, il sagissait bien dincidents techniques de parcours, comme on en rencontre dans des déroulements de prototypes industriels.
Il faut bien voir que le développement de ces réacteurs à neutrons rapides et les choix faits au plan technologique, rappelés par M. Vendryes, étaient nouveaux. Ils étaient beaucoup plus importants à la limite que le développement technologique des réacteurs à eau pour lesquels on partait de toute la connaissance industrielle de lutilisation de leau comme réfrigérant. En revanche, pour les réacteurs à neutrons rapides, on se lançait dans un développement technologique complet, à la fois sur le combustible au plutonium et sur le refroidissement par un métal liquide.
On pourra reparler du choix du sodium, mais le refroidissement par un métal liquide était de toute façon un développement technologique complètement nouveau.
De toute évidence, cétait un développement technologique long, complexe, qui comportait des étapes. Il y avait eu les étapes de boucles dessai, létape Rapsodie, létape Phénix. Et létape Superphénix était effectivement de toucher à la réalité des vrais problèmes à une échelle réellement industrielle.
Il y a eu des incidents de parcours, sur lesquels une analyse technique très sérieuse et objective, faite à plusieurs reprises dans le déroulement, en particulier en 1992, a amené à conclure que ce nétaient pas des incidents de nature à remettre en cause les choix de concept. Cétait fondamentalement important.
Pourquoi ces incidents ont-ils conduits à des arrêts très longs ? Des délais de remise en service encore plus longs ? Pour des raisons de prudence que lon peut tous comprendre. Il sagissait en effet de développements nouveaux. Il a donc été décidé à chaque fois, après ces incidents, de refaire un peignage complet de tous les aspects qui avaient pu être mal pris en compte auparavant ou insuffisamment vérifiés. A chaque fois, il y a donc eu des procédures très longues de revérification de lensemble des chaînes. Autrement dit, un incident technique qui conduisait à un arrêt de quelques mois, sest traduit par un arrêt réel de plusieurs années. Mais je pense que cétait une précaution sage au plan de la sûreté, qui a nui effectivement assez considérablement à lefficacité du fonctionnement de cette machine dans ses premières années.
Encore une fois, lessentiel est quand même de dire quà aucun moment ces incidents nont remis en cause les choix fondamentaux. Ils ne changeaient dabord en rien la démonstration qui était faite que ces réacteurs à neutrons rapides pouvaient fonctionner et étaient surgénérateurs, ce qui était le premier point fondamental de la démonstration attendue. Et deuxièmement, ils ne remettaient pas en cause les choix principaux, que ce soit le combustible à loxyde mixte uranium-plutonium ou le principe même dune réfrigération par métal liquide.
Sur votre seconde question M. Bataille, concernant le plan initial déquipement en réacteurs à neutrons rapides, il faut voir le contexte. Lorsque la décision de Superphénix a été prise, cétait dans un contexte de crise énergétique, de choc pétrolier, qui conduisait à examiner le futur énergétique, à la fois avec des prévisions probablement trop optimistes ou trop poussées en terme de besoins, mais surtout avec des prévisions pessimistes en terme de possibilité des autres sources dénergie.
Il faut donc faire le constat quau moment où Superphénix a été construit existaient déjà des études portant sur les réacteurs à neutrons rapides qui pourraient succéder à Superphénix. Je pense au projet qui sest appelé Superphénix 2 et ensuite aux projets européens. Mais de toute façon, lidée générale était denchaîner très vite sur des réalisations de série et la comparaison des besoins et des autres modes de production a montré quil nétait pas si urgent que cela de le faire. Ceci a conduit à la situation détalement que lon a constatée par la suite.
Je passe à la quatrième question tout de suite car elle me semble liée à celle-ci. Dans la mesure où lon se trouve aujourdhui dans une situation où il nexiste pas un besoin urgent de passer à une réalisation industrielle, vaut-il mieux continuer à un rythme relativement modeste les travaux sur cette filière ou au contraire les interrompre pour les reprendre dans vingt ans, dans trente ans, quand le besoin deviendra vraiment urgent ?
Je vous livrerai deux éléments de réponse. Le premier est dabord de dire que ce qui est démontré une fois pour toutes, concerne les principes, la physique, le fonctionnement. Cela est acquis, que lon arrête ou que lon reprenne dans vingt ans, les démonstrations ont été faites.
En revanche, quand on fait un développement technologique complexe, si celui-ci est interrompu pendant une période assez longue, on sait bien que lon repart à zéro. Cest-à-dire que lon repart sur un développement technologique tout aussi complexe au bout de la période. On na pas été jusquà expérimenter, cest-à-dire avoir le retour dexpérience complet du fonctionnement de ces machines dans des conditions réelles. Il faudra donc refaire cela le jour où lon voudra repartir. Autrement dit, au plan du développement technologique, on repartira sur des bases aussi peu avancées que celles dans lesquelles on était avant la construction de Superphénix.
Autre élément : tout dépend du moment et de la manière dont on peut imaginer que le besoin de recourir aux réacteurs à neutrons rapides se fera à nouveau sentir. Je ne parle pour linstant que du besoin de la surgénération, mais on pourra peut-être parler après du besoin de consommation de plutonium. Est-ce que ce besoin peut revenir brutalement ? Auquel cas, il sera effectivement regrettable de ne plus avoir de développement technologique prêt à y faire face. Ou est-ce quau contraire, il reviendra avec une constante de temps telle que nos successeurs pourront redévelopper les moyens correspondants ? La réponse appartient malheureusement à ceux qui peuvent faire de la prévision dans ce domaine.
Plus fondamentalement, sagissant de la possibilité dutiliser ces réacteurs pour consommer le plutonium et pour, si nécessaire, faire de la destruction de déchets longue vie, en particulier les actinides, il me semble que ce besoin me paraît être réellement là aujourdhui.
Aujourdhui, en sous-produit de la génération délectricité par les réacteurs actuels, on produit 10 tonnes de plutonium par an. Cest un vrai problème et la solution de ce dernier, la plus simple pour des physiciens, serait de le brûler dans ces réacteurs à neutrons rapides. Cest là que se situe à mon avis la question primordiale dans le contexte actuel.
Concernant les préjudices de la fermeture sur la coopération internationale, il faut savoir que la France avait dans ce domaine une position de pointe. Elle avait en effet des outils et des possibilités de réalisation pratique dexpérimentations et de démonstrations. Il me paraît donc évident que si lon na plus ces outils, il y a forcément une perte dans le domaine de la coopération internationale.
M. Patrice BERNARD : Je vais apporter quelques compléments à ce qua présenté Jacques Bouchard du point de vue des travaux de recherche qui sont menés dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991 en les focalisant sur les aspects spécifiques des réacteurs à neutrons rapides.
Leurs caractéristiques vous ont été décrites, je les rappellerai sommairement. Les réacteurs à neutrons rapides ont une aptitude à consommer les différents isotopes qui sont chargés à lintérieur du cur : ils apportent une abondance en neutrons disponibles pour justement faire des réactions de transformation des noyaux, cest-à-dire la transmutation et dautre part un flux intense de neutrons qui ont des caractéristiques intéressantes sous quatre aspects. On peut effectivement, si lon configure le cur ainsi, transformer luranium 238 qui est luranium naturel le plus abondant en une matière énergétique qui est le plutonium 239. Cest une configuration où lon cherche à recourir à ce que lon appelle la surgénération. A contrario, avec une autre configuration, en mettant sensiblement moins duranium, on peut à ce moment consommer dans de bonnes conditions neutroniques, le plutonium qui sera en particulier généré par dautres réacteurs, cest-à-dire les réacteurs à eau pressurisée.
Enfin, il est important de souligner quils peuvent aussi transmuter ce que sont authentiquement les déchets radioactifs, cest-à-dire ce que lon appelle les actinides mineurs. Ces actinides sont des noyaux plus lourds que luranium et le plutonium : laméricium, le curium et le neptunium. Il sen forme environ une tonne par an dans les réacteurs. Ils ont des vies particulièrement longues et cest sur eux que les études de transmutation, après la consommation du plutonium, portent principalement. Enfin, ils peuvent aussi transmuter certains produits de fission à vie très longue qui pourraient avoir des caractéristiques dabondance et de mobilité dans certaines conditions particulières, je pense par exemple à lisotope 135 du césium ou le technétium 99.
Dans ces conditions, les réacteurs à neutrons rapides, vus dans une vision à long terme, présentent des intérêts. Lintérêt de pouvoir, à terme, stabiliser linventaire en radionucléides à vie longue. Cest-à-dire quon peut imaginer théoriquement des configurations de parcs nucléaires mixtes composés de réacteurs à eau pressurisée et de réacteurs à neutrons rapides qui stabilisent linventaire en radionucléides à vie longue et les seuls flux de déchets réellement radioactifs à vie longue qui sont générés sont « les pertes » dans les opérations de retraitement et de séparation des radionucléides.
Lenjeu potentiel du point de vue de la loi de 1991 est que ces réacteurs associés dans des configurations de parc, permettent dans une vision à long terme, de stabiliser un inventaire alors que par exemple, par rapport à un site ouvert, linventaire saccumule régulièrement à mesure que lon produit de lénergie. Cest cette spécificité qui est importante.
Jai néanmoins souligné que lon ne peut pas supprimer totalement les flux de déchets même si on peut les réduire dun facteur important, on peut citer un facteur dix ou plus dans certaines configurations.
Vous avez posé la question de savoir quelle sera la recherche et développement dans la durée, pour la filière des réacteurs à neutrons rapides. Dans la perspective de larrêt du réacteur Superphénix, on nest plus dans une logique de continuité dune filière. On se place dans la logique dune plus grande ouverture de recherche et développement, sur ces concepts de réacteurs à neutrons rapides. Les voies principales sont détudier en particulier de nouveaux types de réfrigérants. On a capitalisé une expérience très importante sur le sodium ; aujourdhui cest une filière industrielle. Les réacteurs étrangers qui fonctionnent et fonctionneront dans ce domaine continueront dapporter des éléments.
Dautres voies sont à explorer. Je pense aux réfrigérants : des gaz à haute température, ou dautres types de métaux liquides. Vous avez parlé du plomb, mais il existe aussi des alliages de plomb-bismuth qui permettent davoir des températures plus basses et qui peuvent apporter certains avantages.
Continuer daméliorer les performances du combustible, cest la deuxième voie de recherche dans ce domaine, aussi bien sur les gainages que sur les taux de combustion.
Un point quil importe de souligner, dans des perspectives de filières recourant aux métaux liquides, cest daméliorer les techniques dinspection et de réparation en service. Cest un des points que M. Bouchard a indiqué, qui peut épauler dans la durée la filière à neutrons rapides.
Quelles dates, quelles échéances ?
Déjà, dans le cadre des travaux de la loi de 1991, nous aurons chiffré en 2001 les potentiels de transmutation apportés par différentes configurations de parcs. Il sagit de parcs mixtes, de parcs de réacteurs à neutrons rapides seuls et ce que lon appelle les concepts dits « à double strates », cest-à-dire des réacteurs électrogènes plus des machines très spécialisées, soit des réacteurs à neutrons rapides spécialisés dans ce domaine, soit des réacteurs à neutrons rapides couplés à des accélérateurs ; cest ce que lon appelle les systèmes hybrides. Ceci aura été chiffré et présenté à la commission nationale dévaluation pour un rendez-vous pris en 2001 dans ce domaine, afin de mieux quantifier ce que je vous ai cité.
Deuxièmement, en 2000 nous aurons établi un dossier de motivation et de choix doptions pour envisager un démonstrateur de systèmes hybrides qui pourrait être proposé dans une construction européenne. Bien évidemment cest un rendez-vous qui sera au-delà du scope de la loi du 30 décembre 1991. Ce sera au-delà de 2006.
En 2004, nous aurons achevé les expérimentations dans le réacteur Phénix pour consolider expérimentalement la tenue des matériaux et la capacité de transmutation en spectre à neutrons rapides, qui sont nécessaires à laxe 1 des recherches. Et enfin, vous le savez certainement, le réacteur expérimental dirradiation Jules Horowitz, qui est un outil pour la physique et pour le support à la recherche et développement, à la fois pour les réacteurs à eau pressurisée et pour les réacteurs à neutrons rapides aura été défini. Nous avons en perspective quil puisse être mis en exploitation je dis bien à titre doutil expérimental en 2005 et, dans sa configuration à spectre rapide, prendre le relais de linstallation Phénix qui sarrêtera en 2004.
Mme Michèle RIVASI : Je voulais demander à M. Bouchard comment et avec quel réacteur fabriquait-on le plutonium militaire qui avait une certaine spécificité ?
Deuxième question concernant Superphénix : avez-vous un ordre didée du délai entre le moment où lon va mettre un cur avec des aiguilles de neptunium ou daméricium et celui où lon fera de la spectro ? Quel est le délai pour avoir certains résultats ?
Vous avez parlé de réduction de linventaire par rapport à la transmutation. Pouvez-vous nous donner des éléments de pourcentage de la réduction de linventaire ?
Jaimerais avoir une idée sur laméricium et le neptunium. Quobtient-on comme radioéléments suite à la transmutation, au bombardement de neutrons ?
A propos de liode 129 ou du césium 137, qua-t-on comme possibilité à lheure actuelle pour réduire leur période radioactive ? Je sais, notamment pour liode 129, quil pose des problèmes vu la très longue période radioactive de ce radioélément.
M. Jacques BOUCHARD : Je ne vais pas vous dévoiler de secret, mais la production du plutonium militaire était faite dans des réacteurs à uranium graphite-gaz. La raison pour laquelle cétait fait là, qui est dailleurs la même pour laquelle dautres les font dans des réacteurs à eau lourde, cest quon a la possibilité dans ces réacteurs, à partir duranium naturel, de faire de la production de plutonium avec des taux dirradiation suffisamment bas pour quils soient de la qualité requise.
Vous savez dailleurs que cette production a été arrêtée définitivement en France.
La transmutation des actinides, neptunium ou américium est un des aspects fondamentaux des réacteurs à neutrons rapides. Dans les réacteurs à neutrons rapides, la transmutation des actinides est en fait de la fission des actinides. Pourquoi ? Parce que si vous transmutez des actinides, du neptunium ou de laméricium, vous transmutez dun isotope à lautre, vous êtes sans arrêt dans des chaînes déléments radioactifs alpha. Cela napporte donc rien. Dans les réacteurs où la capture est favorisée, comme les réacteurs à neutrons lents, on transmute des éléments. Mais on passe sans arrêt dun actinide à un autre et cela ne fait rien gagner au plan de la radioactivité des déchets. En revanche, les réacteurs à neutrons rapides ont lavantage dapporter la fission, avec un pourcentage de fission élevé sur ces éléments. Les déchets qui en résulteront sont les mêmes déchets que pour les autres fissions, que ce soit la fission du plutonium ou la fission de luranium.
Pour un noyau dactinide, disons un noyau daméricium qui aura été fissionné, il restera une probabilité je ne sais plus si cest une sur mille ou une sur dix mille davoir un noyau de césium 135 ou un autre noyau de longue vie mais avec des probabilités beaucoup plus basses. Cela ne supprime donc pas totalement le problème mais le réduit quand même considérablement.
La vitesse de disparition du neptunium 237 dans les réacteurs à neutrons rapides nest pas très élevée. Cela veut dire que lon va en faire disparaître à peu près 10 % par an. Mais à la limite, ce nest pas très gênant, car linventaire dans le cur nest pas le problème non plus. On peut avoir des quantités relativement élevées de neptunium dans le combustible et avoir la possibilité de gérer cet inventaire grâce à cette disparition progressive qui permet de réalimenter régulièrement avec ce qui est produit dans dautres réacteurs.
M. Patrice BERNARD : La spécificité des réacteurs à neutrons rapides est de pouvoir fissionner lensemble des isotopes lourds, des déchets, à savoir laméricium, le curium, le neptunium. Ils sont donc en concurrence avec le processus de capture multiple qui amène à des noyaux plus lourds, certains à vie plus courte ou dautres décroissant moins rapidement ; mais on a effectivement concurrence entre ces deux phénomènes. La spécificité des réacteurs à neutrons rapides est également de pouvoir casser ces noyaux par fission.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais que vous répondiez non seulement dun point de vue scientifique mais du point de vue de la gestion des déchets. Quel est le délai entre le moment où lon va sortir du combustible usé dun réacteur, le moment où lon va séparer les radioéléments car si lon fait des aiguilles daméricium, il va falloir les séparer du combustible et le moment où on va le mettre dans les réacteurs à neutrons rapides, le moment où aura lieu lexpérimentation pour essayer de diminuer la radioactivité de certains produits ?
Vis-à-vis de lopinion publique, il faut savoir si cest tenable, car, il ne suffit pas de se placer uniquement sur un plan scientifique.
M. Patrice BERNARD : On peut répondre sur deux aspects. Premièrement, aujourdhui, les études, menées dans le cadre de la loi de 1991 sur laxe 1 séparation-transmutation, nont pas pour objectif de détruire massivement des radionucléides à vie longue, mais dévaluer pour le rendez-vous de 2006 le potentiel de transmutation de différentes configurations de parcs de réacteurs.
Je le redis à nouveau : il est exact que la transmutation doit se voir forcément dans une vision à long terme sur un parc de réacteurs. Un parc de réacteurs, cest une quarantaine à une soixantaine dannées, cest à ce niveau quil faut voir les gains en transmutation.
Deuxièmement, vous demandez quel est le délai type. Il sécoule environ une dizaine dannées depuis le moment où un combustible est déchargé dun réacteur, puis la phase de refroidissement avant de lenvoyer dans une installation de retraitement jusquaux opérations de retraitement, de séparation, de refabrication. Cest le chiffre industriel aujourdhui qui fait que la transmutation est une réalité industrielle pour le plutonium quand on le recycle sous forme de combustible Mox dans les réacteurs. Cest un point de vue énergétique, et cest une réalité industrielle. Le chiffre type, pour vous répondre, cest dix ans.
Deuxièmement, vous avez posé tout à lheure une question sur deux isotopes, produits de fission à vie très longue.
Mme Michèle RIVASI : Liode 129.
M. Patrice BERNARD : Liode 129 dune part, et le césium 135.
Liode 129 est effectivement celui qui a la période de radioactivité la plus longue : 16 millions dannées. Les études menées regardent comment on peut transmuter liode 129 dans des réacteurs à neutrons rapides. En accélérant cette transmutation par des processus de capture, on transforme liode 129 en un isotope stable, et on bénéficie du très fort flux qui existe dans les réacteurs à neutrons rapides en faisant une modération locale autour de la cible diode de façon à pouvoir le transmuter. Le potentiel de transmutation de liode a pu être étudié ainsi et doit être confirmé par des expérimentations quil est prévu de mener dans Phénix.
Concernant le césium, la situation est un peu particulière. Le césium formé en réacteurs présente différents isotopes : du césium stable césium 137 qui a une période de radioactivité moyenne de 30 ans et qui est particulièrement radioactif à court terme, et il y a lisotope vie longue : le césium 135 qui a une période de radioactivité de 2,3 millions dannées.
La transmutation du césium 135, sil était placé seul dans un réacteur, pourrait être techniquement envisageable. En revanche, lidée de faire de la séparation isotopique du césium 137 qui est hautement radioactif puisque cest un petit irradiateur à relativement court terme, peut ne pas être très prometteuse. Les recherches étudient aussi une voie alternative qui serait la séparation spécifique du césium pour le conditionner dans des matrices à très grande durabilité, cest-à-dire à la hauteur de dix fois ou plus la période radioactive du césium 135.
En revanche, la transmutation du césium 137 paraît très peu attractive : sa période de radioactivité est de 30 ans et cest un produit très radioactif à court terme.
M. le Président : Je vous remercie.
Audition de M. Georges CHARPAK,
Prix Nobel de physique
(extrait du procès-verbal de la séance du 26 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Georges Charpak est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Georges Charpak prête serment.
M. le Président : Jai insisté pour que vous puissiez venir devant notre commission, car au delà de votre stature de scientifique personne parmi nous nignore que le prix Nobel vous a été décerné javais été amené devant la commission de la production et des échanges à citer le jugement de valeur que vous aviez, à un moment déterminé, exprimé sur Superphénix, jugement que je ne répéterai pas, car je ne veux pas brouiller les esprits et surtout vous laisser la pleine liberté de votre déclaration. Cest pourquoi il ma semblé intéressant de vous interroger sur la décision qui vient dêtre prise pour Superphénix.
M. Georges CHARPAK : Je suis honoré que vous mauditionniez mais également un peu embarrassé, car je ne suis pas un spécialiste en matière dénergie nucléaire. Je ne me suis penché sur les problèmes dénergie que sur le tard presque par force, car on ma invité à participer à certaines réunions. Jai, par exemple, participé à la commission présidée par mon regretté collègue Raymond Castaing sur le futur de Superphénix. Jai entendu beaucoup de choses là-dessus et appris ce quétait Superphénix. Avant, je vous avoue que je ne men préoccupais pas, ce nétait pas mon domaine.
Jai écrit un livre avec un spécialiste des questions nucléaires militaires et civiles pour en apprendre un peu plus, pour des raisons scientifiques. Je me suis intéressé aux travaux dun de mes collègues, au CERN, M. Rubbia qui proposait un réacteur à neutrons rapides hybride et couplé à un accélérateur.
Les choses ont avancé. Ce réacteur hybride sera entrepris par un certain nombre de pays européens : la France, lEspagne, lItalie, lAllemagne, la Grande-Bretagne. Cest un club ouvert. On veut démarrer vite et on a lambition en une dizaine dannées de faire un prototype industriel, ce qui est un peu contradictoire avec la fermeture de Superphénix. On ferme Superphénix et on va lancer un réacteur à neutrons rapides dun type un peu différent. Pensons-nous que cest « un coup dépée dans leau » et quil faudra le fermer dans 25 ans ? Pas du tout, à vrai dire. Nous sommes convaincus que lénergie nucléaire est incontournable je parle des gens qui participent à cette aventure M. Rubbia évidemment, mais également les ingénieurs et les industriels qui se sont lancés dans laventure, que ce réacteur peut permettre de répondre à un certain nombre dobjections élevées contre la filière nucléaire.
Si lon écoute M. Rubbia, tous les problèmes sont réglés. Il est très difficile de ne pas être gagné par son enthousiasme. Si on regarde les réserves du futur, avant on trouvait que luranium arrivait à la hauteur du charbon, péniblement, à condition quil y ait tout un parc de Superphénix, là cela dépasse de très loin les réserves de charbon et on a des avantages considérables comme mille fois moins de déchets, des déchets à vie plus courte. On a comme réserve le thorium quatre fois plus abondant que luranium, mais on utilise la totalité du thorium et non pas des composants à moins d1 %. On peut « dévorer » les déchets des voisins, les actinides, vous les mêlez tous, vous les mettez là-dedans, cela mange tout ; cest lavantage des neutrons rapides.
Même si lon peut apporter toutes les atténuations que lon veut à lenthousiasme de M. Rubbia, il faut dire que sil y a eu beaucoup dobjections au début et un certain scepticisme, M. Rubbia est un bon physicien qui a beaucoup travaillé. Il ne travaille pas seul et a enlevé la conviction de la communauté qui a décidé quelle devait sinvestir dans son projet. Cest pour cela que je ne suis pas pessimiste.
Il est possible quil y ait eu une attitude systématique à légard du nucléaire ; les gens qui disent quil faut sortir du nucléaire, rien que le fait que lon transmute, que lon fissionne, quon spallationne, suffit pour quils le rejettent. Il y a également la conscience des nuisances des autres sources dénergie, que ce soit leffet de serre, bien quil y ait des débats dessus. On sait très bien que les autres sources dénergie en concurrence à ce sujet génèrent des nuisances considérables sur lesquelles un silence total est fait. Une contamination homéopathique dans le domaine nucléaire, qui na aucune incidence sur la santé, fait lobjet de pages dans des journaux sérieux. Tandis quun certain nombre de coups de grisou faisant beaucoup plus de dégâts sont à peine mentionnés.
Un effet de propagande systématique diabolise le nucléaire et pourrait sopposer à son développement. Cela dit, je suis optimiste et je crois que lon assistera à un redémarrage du nucléaire grâce à la recherche. Ce nest pas un nucléaire qui se fera en circuit fermé simplement entre grands ingénieurs du nucléaire, mais il est bien au fond que des gens comme M. Rubbia sy soient mis, que des gens qui ne soient pas au CEA, qui sont par exemple à lIN2P3, y participent. Toute la communauté scientifique est intéressée par ce projet parce quil ouvre de nouvelles perspectives.
Je suis sur ce sujet toujours en « amateur » et suis un peu embarrassé par votre invitation car je ne vois pas ce que je peux vous apprendre que vous ne sachiez déjà.
Jétais tellement embarrassé par votre invitation que je me suis demandé de quoi jallais vous parler. Voici deux jours, réfléchissant à cette histoire de propagande antinucléaire quil faut vaincre, je suis descendu sur le trottoir en face de chez moi avec un détecteur de rayons gamma. Jai constaté que les trottoirs, qui sont faits avec du granit, étaient radioactifs, cent fois plus que ce que lon trouvait au milieu de la rue. Un calcul simple me montrait quil y a des milliards de becquerels qui se promènent dans Paris. Il ny a que des inconscients pour promener leur chien en marchant sur le bord du trottoir.
Jai découvert aussi, ces derniers temps, lignorance totale de mes concitoyens sur le fait queux-mêmes sont radioactifs : 10 000 becquerels. Sur le fait que chez leur médecin et, inconsciemment parce que cest remboursé par la sécurité sociale, ils nhésitent pas à attraper quelques dizaines de millisieverts dans des examens médicaux dont un certain nombre pourraient ne pas être subis. Jai découvert que vraiment, dans ce domaine, la raison ne régnait pas. Cest-à-dire quune contamination venant de lindustrie nucléaire, qui représentait un pourcentage ridicule de ce quils reçoivent de façon naturelle, pouvait mettre en transes entretenues un certain nombre de gens. Il est évident, pour moi, quil ny a quune seule façon de lutter contre cela : léducation, donc le contraire de la propagande.
Il y a un gros déficit en matière déducation. Les fameuses quatre leucémies du professeur Viel à La Hague contre 1,5 attendues sont devenus, au fil du temps, 4 contre 3,5. Des pages entières du « Monde » leur ont été consacrées. Lorsquil sest avéré que cétait un effet non significatif, on na pas vu des articles aussi fournis reconnaître quau fond cela navait pas de signification.
Cela na pas de signification, car, pour lindustrie nucléaire, nous aurons à faire face au siècle prochain avec 12 ou 15 milliards dhabitants au milieu du siècle à une demande énorme dénergie et il nest pas vrai que, même si lon pousse à fond les économies, si lon pousse à fond les énergies renouvelables, lon puisse la satisfaire sans faire appel au charbon, au gaz, au pétrole et à lénergie nucléaire, lénergie nucléaire étant de loin la moins polluante, si la pollution se mesure en nombre de gens qui meurent ou attrapent des maladies à cause de cette énergie.
Cest un domaine que jai un peu étudié et regardé, cest un problème politique, je pense quil doit y avoir un débat national sur cette question. On va fêter le centenaire de la découverte de la radioactivité. La radioactivité a été à la source de découvertes majeures dans tous les domaines de la science et en même temps il y a cette « diabolisation » qui fait quon noserait bientôt plus aller dans sa maison de campagne en Bretagne à cause du fait quil y a dans un mètre carré de granit breton 640 000 becquerels dans une plaque de 4 centimètres, ce qui est quand même colossal. Il est évident que ce nest pas pareil quà Tchernobyl où il y a 185 000 becquerels par mètre carré dans la région la plus habitée, mais où cest du césium et dautres choses. Jai parfaitement conscience de la différence entre les corps artificiels et les corps naturels. Malgré tout, tout cela est mesurable, quantifiable. Il y a dans ce domaine une peur diabolique qui est leffet de la propagande.
On entend des gens, sans rire, vous dire à la télévision : « mon mari travaille comme intérimaire dans le nucléaire et depuis, il est devenu impuissant », ce qui est dune imbécillité totale, quand on voit que la dose quil a reçue représente 3 scanners. Si léquivalent de trois scanners devait rendre les gens impuissants, il est évident que cela se saurait.
Les fêtes du centenaire devraient être une occasion de parler de la radioactivité de façon non dramatique et dexpliquer aux gens une chose quils ne savent pas non plus, que 20 % dentre eux meurent de cancers. Jai été stupéfait de voir quil règne un flou total et sur la radioactivité naturelle et sur la malfaisance des différentes nuisances qui existent. Quand je me suis promené avec mon détecteur, samedi, à cause de vous, je suis rentré dans une boutique où lon fait des marbres funéraires et du granit, à un mètre de distance de cette boutique mon appareil refusait de fonctionner tellement il était asphyxié. Si cette radioactivité provenait dun incident comme une source de césium mal fermée, on aurait eu la une des journaux, ce serait dramatique, mais là personne na le ridicule de dire quil faut fermer cette boutique de marbre funéraire.
Quand je suis entré, que la dame qui vend ces objets a vu que cétait radioactif, elle a été très angoissée, je lai rassurée en lui disant que cela faisait deux milliards dannées que la matière vivante se développait avec cette radioactivité naturelle, quil ne fallait pas avoir peur, mais je suis persuadé que, quelque part, elle a peur maintenant. Elle ne sait pas que si elle sassoit sur la table du bistrot dà côté pour savourer une boisson, la quantité de petites particules quelle respire, qui viennent des pots déchappement, présente mille fois plus de dangers que cette radioactivité, puisque 400 000 personnes meurent par an à cause de la fumée des pots déchappement. Cest cette méconnaissance des dangers relatifs qui est actuellement une véritable plaie sur le plan politique : là-dessus, une éducation et des débats sont indispensables. Les actions stridentes des propagandistes doivent être démystifiées par un débat.
Concernant Superphénix, jétais dans cette commission qui avait conclu quil fallait que 60 % du temps soit utilisé pour faire de lénergie et 40 % pour faire de la recherche. Dans les recherches, on avait même envisagé que lon puisse étudier certains aspects du réacteur de M. Rubbia, lequel comprend une énorme masse de plomb en ébullition dans une enceinte dacier. Cela marche très bien quand il ny a pas de rayonnements, mais on sait très bien que les rayonnements fragilisent les aciers et on peut se poser la question de savoir si cela tient le coup. Là, cétait idéal. On le fera, peut-être, dans Phénix. Je ne pense pas que la survie de ce projet dépende de ces expériences. En tout cas, étant donné que largent est investi, on ne nous avait pas demandé sil fallait le mettre en marche, larrêter ou des choses comme cela ; ce nétait pas notre rôle. Nous ne nous sommes donc exprimés que sur le programme de recherche que nous avons encouragé.
Je nai pas la moindre idée de ce que coûte la fermeture de Superphénix. Jentends des chiffres qui varient entre 15 milliards et 5 milliards ou rien du tout, vous le savez mieux que moi.
M. le Président : Cest 16 milliards de francs.
M. Georges CHARPAK : 16 milliards de francs donc. Jaurais préféré que lon donne la moitié des 16 milliards de francs à des écologistes physiciens pour faire une étude sur les énergies renouvelables, 49% à M. Rubbia et jaurais bien gardé 1 % pour moi, pour étudier la radiologie à basses doses, quitte à le partager avec des collègues qui sont dans le même domaine.
Je nétais pas terrorisé par Superphénix. Maintenant Superphénix étant fermé de façon irrémédiable, il faut continuer. Je crois que la recherche est la meilleure solution pour résoudre les problèmes. De ce point de vue, je salue ce que fait M. Rubbia, en ne considérant pas du tout que cest la solution finale. Il est fort possible que le réacteur franco-allemand financé par lUnion européenne soit une solution intermédiaire pour les 50 prochaines années. Mais jai quand même limpression que M. Rubbia a soulevé un gros lièvre et cela grâce au fait quil exploite des accélérateurs qui ont fait un progrès colossal dans les laboratoires de recherches fondamentales comme le CERN, qui sont passés dun rendement de 1 % à un rendement de 50%. La clef est là. Il peut donc « taper » sur les noyaux lourds, même des noyaux lourds qui a priori ne seraient pas bons du tout pour faire de la fission, pour en extraire de lénergie, car il les casse en éléments plus légers qui pèsent moins lourd, je veux dire que la somme de leur masse est moins lourde que la masse de départ.
Je serai heureux de répondre à vos questions mais encore une fois, je plaide lignorance et je plaide même le droit de changer dopinion, si lon me convainc que je me trompe complètement.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jai deux questions à vous poser.
Jai bien noté que vous revendiquiez de ne pas être un spécialiste de ces questions, néanmoins, je crois que vous avez montré votre intérêt et votre connaissance du sujet dans lexposé.
Jallais vous poser une question sur les hybrides, mais le dernier propos que vous avez tenu est suffisamment éclairant sur votre opinion.
Sur les neutrons rapides, pensez-vous que lavenir nous obligera à revenir sur les neutrons rapides, à redécouvrir en quelque sorte lutilité de ce type de réacteur ? Sans vous demander de lire dans le marc de café, pouvez-vous pressentir une échéance si tel était le cas ?
Ma deuxième question sera beaucoup plus générale. Pour vous avoir déjà, par ailleurs, entendu, jai bien noté que vous vous prêtiez souvent à une réflexion pertinente sur le fonctionnement de la démocratie. Nous nous interrogeons, depuis le début de cette commission denquête, sur labsence de transparence, qui a très largement dominé tant pour la création, lactivité, et les conditions de fermeture de Superphénix.
Pensez-vous que, dans une démocratie, il est possible daller vers plus de transparence, dorganiser, en quelque sorte, un débat parlementaire, des échanges, voire des échanges débouchant sur une législation à propos de questions aussi complexes que celle de lutilisation de lénergie nucléaire ? Ou, on pourrait aussi imaginer cela, est-ce que vous considérez quune partie de la technique et de la connaissance ne peut pas venir devant un Parlement et quun Parlement ne peut, au delà dune certaine limite, débattre sérieusement de questions spécialisées ? Cest un peu, depuis le début de cette commission denquête, la question que je me pose en notant que nous avons dans cette commission denquête beaucoup de collègues un noyau de 10 ou 15 qui sont très connaisseurs, et au fond, revenir devant le Parlement, constitué de 577 députés, pour avoir des débats difficiles à traduire en termes de communication et même en termes de débat démocratique vous paraît-il envisageable, vous qui suggérez une meilleure pédagogie par rapport à lopinion en matière nucléaire ?
M. Georges CHARPAK : Pour la première question, je crois avoir compris que si lon sétait lancé dans les réacteurs à neutrons rapides comme seule alternative, par exemple, pour accroître les réserves duranium, cest un parc en Europe dune cinquantaine de réacteurs quil aurait fallu avoir et je ne crois pas que ce soit réaliste. Cest-à-dire que cette filière ne me semblait pas la solution idéale et cest pourquoi M. Rubbia avec son allure flamboyante et le fait quil avait lair de vouloir tout résoudre ma semblé avoir ouvert une grande porte, car les réserves tout à coup font un énorme bond en avant, avec un certain nombre davantages qui me paraissent considérables.
Il me semblait quil était nécessaire de faire de la recherche et tout à coup, je voyais des gens compétents, venant de différents bords qui allaient se lancer dans la recherche. Il nest pas du tout dit quen cherchant dans cette voie, nous aboutissions uniquement à cette solution.
Concernant la démocratie, il y avait un fort déficit en France. Les décisions ont tendance à être prises dans des cercles très fermés et les débats à lintérieur de ces cercles natteignent pas la société civile. Je suis persuadé que la décision sur Superphénix na pas été prise à lunanimité et que même des gens éminents à lintérieur de ce groupe y étaient opposés. Après tout, les Américains ont eu un débat, ils avaient léquivalent de Phénix et ont décidé de ne pas aller dans Superphénix. Ils nont pas les mêmes besoins en énergie que nous non plus, je ne veux pas attacher trop dimportance à cela. Mais je crois que le fait quune commission parlementaire puisse accéder aux discussions, quil ny ait pas simplement les conclusions transmises par le directeur, mais quil puisse y avoir des opinions contradictoires me paraît quelque chose de fondamental. Je nai pas une admiration sans borne pour les Américains, mais jai été frappé quand mon ami Garwin, avec qui jai écrit ce livre, a été convoqué par une commission sénatoriale présidée par Les Aspin et que, face au directeur des forces stratégiques qui réclamait 20 ou 50 milliards de dollars pour lavion furtif, je crois, ou quelque chose comme cela, il a pris comme témoin M. Garwin qui était en opposition avec cela, mais qui était dans le système, il nétait pas en dehors et lui a demandé ce quil en pensait. Il a répondu : « je pense que les objectifs qui sont fixés de traverser les défenses russes peuvent être remplis pour dix fois moins cher avec des avions qui à 2 000 kilomètres de la côte lancent des missiles de croisière je ne suis pas un spécialiste, je vous répète ce que jai entendu et grâce à cela, on se passe complètement du reste ». M. Les Aspin et la commission sénatoriale ont écouté ce monsieur. Cest impensable en France.
Je considère que le fait quil y ait une commission parlementaire, aujourdhui, est quelque chose dimportant. Elle doit avoir accès absolument à tous les éléments du débat.
En France, il y avait deux groupes, ceux qui savaient et ceux qui ne savaient pas, ceux qui savaient se taisaient et ceux qui ne savaient pas parlaient, signaient des pétitions, sagitaient. Il faut sortir de cela, il faut quil y ait des gens qui ne sont pas dans le système, des scientifiques qui puissent aussi participer au débat.
Je crois que la démocratisation est quelque chose qui peut être positif, qui peut permettre déviter quexistent des groupes qui choisissent des solutions qui ne sont peut-être pas les solutions optimales. Je ne me prononce pas sur Superphénix, encore une fois au moment où la décision a été prise, ils pensaient que le prix du pétrole allait monter, que luranium allait se raréfier, quon nallait plus en trouver tellement. Des erreurs de jugement, on peut en avoir, et je ne sais pas du tout sur quel fondement les Américains ont décidé de ne pas explorer plus avant la filière des réacteurs à neutrons rapides. Mais ce que je souhaite, pour ma part, cest quentre les scientifiques qui sont dans le système et ceux qui ny sont pas, il ny ait pas de barrière. Je ne crois pas à la vertu du secret. Même M. Teller, je lai entendu dire « un secret, il ne faut pas le garder plus dun an, car au bout dun an, lennemi est au courant grâce à ses agents spécialisés, les seuls qui ne sont pas au courant sont les amis avec qui on pourrait discuter ».
Peut-être y a-t-il là-dedans des choses à modifier.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais revenir sur le problème de la recherche, car nous avons un problème de fonctionnement. Vous parlez de M. Rubbia, cest quelquun qui travaille au CERN et na pas du tout laval du CEA. Tout à lheure nous avons eu une intervention de quelquun du CEA qui déclarait que le Rubbiatron était complètement farfelu. Nous sommes bien en face dun véritable problème à la fois de démocratie, de débat contradictoire : qui va faire le choix ?
On na toujours pas trouvé de solution en France pour justement ne pas retomber dans le choix dun réacteur comme Superphénix, qui a été quand même décidé par une minorité avec des députés qui nétaient pas forcément très bien informés de ce quil en était. Cela a été une décision politique prise par un groupement délectriciens. Ce sont des gens qui sont juges et parties.
Je suis tout à fait favorable à ce quil y ait une recherche plurielle, des débats contradictoires avec des scientifiques pour savoir quel est le meilleur choix, mais à lheure actuelle on na pas trop avancé pour lorganisation de ces débats contradictoires avec les scientifiques. Une commission comme cette commission denquête sur Superphénix, cest intéressant, mais on na pas de débat de scientifiques pour savoir quel est le système le plus approprié par rapport à lobjectif que lon se pose. Lobjectif que lon a aujourdhui, ce nest pas tant les réacteurs à neutrons rapides pour la surgénération, que les moyens pour diminuer la radioactivité des déchets radioactifs. Cest un problème. Diminuer la quantité de plutonium que lon fabrique par an est un véritable problème de société. Ce nest pas seulement un problème français dailleurs, cest un problème international, car il y a tout ce problème de plutonium militaire à détruire. Essayons dengager des recherches là-dessus avec un pluripartisme. Il y a des gens du CERN, des gens du CNRS, lIN2P3, des gens du CEA et pour linstant, on navait que le monopole du CEA.
Jaurais voulu avoir votre opinion : quand on dit que le Rubbiatron est un objet totalement farfelu, quen pensez-vous ?
M. Georges CHARPAK : Au début, des gens ont dit cela mais la dernière réunion à laquelle jai participé, avec le haut commissaire à lénergie atomique, ladministrateur du CEA, le directeur de lIN2P3, un directeur dEDF, était consacrée au lancement du Rubbiatron et on ne le considérait pas du tout comme un projet farfelu. En fait, on préparait une réunion prévue à Rome, avec les Espagnols, les Italiens, les Allemands destinée, je crois, à déterminer la manière de lancer ce projet, chacun amenant « ses billes » et à obtenir une aide européenne. Il y a peut-être des gens qui considèrent cela comme farfelu, mais ils sont maintenant minoritaires. Jai rencontré récemment le responsable à Los Alamos dun projet similaire qui était là pour discuter avec M. Rubbia de la mise en uvre dune collaboration internationale sur ce projet.
Par conséquent, la marginalisation est terminée, et ce, en partie, parce que justement cela ne se fait plus en vase clos, car vous avez une participation de lIN2P3, pas du CERN mais de gens du CERN comme M. Rubbia. De ce point de vue, je trouve que cest un progrès, jespère que beaucoup de projets de ce type naîtront, dont le développement ne sera pas confiné à un seul centre et je suis relativement optimiste, car jai limpression que les moyens vont être apportés pour cela.
M. Roger MEÏ : M. Charpak, entre les Etats-Unis et nous, le Parlement français a peu de pouvoir excusez-moi, je parle devant un ancien ministre , cest le Président de la République et le Gouvernement qui ont le pouvoir. Une commission sénatoriale américaine peut très bien prendre une décision, ce qui nest pas le cas chez nous. Il faut que ces choses soient dites.
Je voudrais rappeler que jai été nommé Président dune mission dinformation sur les problèmes énergétiques pour préparer un débat au Parlement. Or, nous avons appris, le 2 février, que la décision était prise darrêter Superphénix sans quaucune consultation ait eu lieu. Je rejoins donc ce que vous dites : il faut un vrai débat qui prenne en compte les problèmes dénergie mais aussi les problèmes denvironnement que vous avez évoqués.
Lénergie à long terme, on comprend. Effectivement, quand nous aurons consommé tout le charbon, tout le pétrole et tout le gaz, que restera-t-il ? Bien sûr le solaire, bien sûr les énergies renouvelables, mais elles ne seront pas suffisantes pour répondre aux besoins dune société qui va comprendre plusieurs milliards dhabitants.
La perspective semble donc être le nucléaire.
Par rapport à lenvironnement, voyez-vous dautres solutions pour diminuer leffet de serre ? Leffet de serre est la remise dans latmosphère de tout le stock de gaz carbonique qui était dans latmosphère initiale dans lhistoire de notre terre. On est en train de reconstituer dans latmosphère ce qui était stocké dans la terre. Voyez-vous une autre solution que le nucléaire, quelle que soit sa forme, pour que nous remettions à nos enfants une planète propre, dirais-je dune façon un peu schématique ?
M. Georges CHARPAK : En dehors du nucléaire, qui donne un réchauffement 50 fois moindre que celui du charbon...
Je suis comme tout le monde, je lis des choses écrites par des spécialistes et je lis des choses qui me laissent pantois, comme le fait que lon peut prendre le CO2, le repomper, le remettre dans la terre à haute pression, des choses comme cela ; ce qui manque un peu à côté, cest le prix.
M. Roger MEÏ : Et léchelle.
M. Georges CHARPAK : Si lon indique le prix, on saperçoit quil y a un certain nombre de solutions séduisantes, mais que le prix du gaz, par exemple, changerait singulièrement sil fallait prendre le CO2 et lenterrer en quelque sorte.
Un certain nombre de schémas font lobjet de recherches, qui me paraissent également intéressants.
Le gaz est actuellement le candidat le plus valable pour remplacer les centrales nucléaires. Dans un schéma que je vous montre, on peut utiliser le gaz pendant 63 années. Je trouve que ce nest pas beaucoup comme réserves. Sil doit disparaître, ce dont je ne suis pas certain, il est évident quil faudra mettre une prime à la rareté à un moment donné. Il faut également se rendre compte quil y a de vrais débats sur leffet de serre. Des gens vous disent que les forêts absorbent beaucoup plus de CO2 quon ne le croit, facteur 4 ou 5.
Je lis des livres qui me laissent pantois, qui sont écrits par de grands « types ». Je ne suis pas complètement sûr de leur démonstration. Nous sommes à une période, à un tournant. Jai trouvé fabuleux de découvrir quactuellement les homme envoient dans lespace sous forme de rayonnement à peu près la même chose que ce qui rayonnait naturellement par notre planète Terre. Vous savez, cette boule en fusion à lintérieur, ces volcans ! Cest quand même chaud, la Terre. Mais actuellement, ils trouvent moyen avec le développement de la consommation dénergie, den émettre autant et quand on pense que dans quelques années, cela va être le double ou le triple, on se dit que lon commence à jouer avec des choses délicates. On peut toucher vraiment au climat de la planète. Ceux qui disent quen cent ans on verra la même variation que dans les 15 000 dernières années, cela ne semble pas idiot du tout. Dautres le contestent. Pour des scientifiques, ce nest « bougrement » pas facile et pour des hommes politiques pas plus. Cest pour cela que nous sommes, je crois, à une période où une certaine interaction entre les politiques et les scientifiques me semble simposer. Il faudrait également faire appel à lAcadémie des sciences pour que, dans ce domaine, elle fasse je crois quelle le fait dailleurs un travail presque « à la commande » pour éclaircir ces questions.
M. le Président : Ce que nous avons à lAssemblée nationale depuis maintenant une quinzaine dannées, cest lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous y sommes une trentaine de députés et de sénateurs en nombre égal. Nous sommes en liaison constante avec lAcadémie des sciences sur tous les problèmes
et il y en a beaucoup , mais à lheure actuelle, pour être concret, deux dentre nous travaillent sur laval du cycle nucléaire et M. Poignant travaille sur tout le problème de lélimination des déchets, etc., de telle sorte que vous avez là des gens qui travaillent avec lAcadémie des sciences, et pas simplement avec elle, mais aussi avec lADEME et avec tous les organismes compétents.
M. Franck BOROTRA : M. le Professeur, aux travers de vos propos, on est assez loin de Superphénix et en même temps au cur dun problème quévoquait Mme Rivasi tout à lheure, cest-à-dire les conditions de la décision dans le domaine scientifique ou industriel, par rapport à la vie démocratique. Vous avez évoqué la nécessité dun problème déducation. Le politique a renvoyé en disant quil y avait aussi un problème de transparence. Je crois quil existe une responsabilité des scientifiques qui dans cette affaire ne remplissent pas leur mission, car cest à eux de participer à la vulgarisation scientifique, de rendre compréhensibles les problèmes, en particulier scientifiques, de lépoque, de poser les questions pour faire en sorte quon évite de tomber, comme vous le disiez tout à lheure, dans un débat des « tout pour » dun côté et des « tout contre » de lautre côté.
La question que je vous pose est la suivante : éducation, oui, transparence, oui, cest vrai, mais rôle de la communauté scientifique pour éclairer les dirigeants qui ont à prendre des décisions et lopinion.
M. Meï disait, tout à lheure, que nous étions en France et non aux Etats-Unis, où le Sénat peut prendre des décisions. Inscrire dans un programme politique que personne na lu, ni vu dans lopinion que lon va fermer Superphénix et nous dire après que « cest ce que le peuple a voulu », cest assez spécial en termes de transparence politique.
Je vous pose la question de la responsabilité des scientifiques : ne croyez-vous pas que cest à vous, non vous Professeur Charpak mais à la communauté scientifique, quil appartient de sortir un débat comme celui-là des mains exclusives de ceux qui ont intérêt à voir une procédure ou une filière industrielle se développer ?
Deuxième question : vous plaidez pour le Rubbiatron, je suis incapable de dire si cest bon ou pas bon. Ma question est la suivante : ne croyez-vous pas que la démarche scientifique en face des voies de la recherche est de laisser le maximum de voies ouvertes ? Plutôt que de se cristalliser sur une voie, parce que M. Rubbia a le charisme quon connaît ? Et croyez-vous que cest une démarche scientifique de fermer une voie qui a été ouverte, dont on parlait tout à lheure en termes de continuité dans le domaine de la recherche scientifique, comme la filière des neutrons rapides et comme Superphénix ?
Nest-on pas en train de substituer un ukase du type « on ferme » pour un autre ukase du type « on soriente vers le Rubbiatron » ?
Et jai une autre question : on pose la question de savoir si cest le politique qui doit décider. Je crois que cest plus compliqué que cela, quil existe des problèmes de recherche, de recherche et développement, des problèmes industriels. Est-ce que vous croyez que cest aux politiques de déterminer les voies de la recherche scientifique ? Croyez-vous que les expériences que nous avons dans le monde du politique se mêlant à la recherche nont pas conduit aux pires catastrophes ?
Et à lautre bout, nest-ce quand même pas aux industriels de décider, à partir du moment où lon a la maîtrise en particulier de la recherche et développement, de linvestissement dans lequel on va sengager ? Quand on se trompe, on voit les conséquences que cela peut avoir.
Je souhaiterais, au travers de votre réflexion, que vous nous expliquiez comment le politique qui va avoir à décider peut se positionner par rapport à la recherche, à une condition : quil ne vienne pas interférer pour orienter la recherche, car cest la pire des choses. Les expériences de 75 ans passés le montrent dans dautres pays.
Dun autre côté, au nom de quoi est-ce le politique qui viendrait interférer sur des décisions quand il ne paie pas ? Ne croyez-vous pas que là, le rôle du politique ne serait pas plutôt de prendre en compte les questions qui touchent à la sûreté, donc aux conditions dans lesquelles ces expériences et cette filière industrielle sont mises en place, aux risques, aux conséquences des choix ? Plutôt que de se substituer aux chercheurs dun côté ou aux industriels de lautre quand des décisions doivent être prises, pourvu que toutes les précautions soient prises.
Votre réflexion peut être utile, car vous êtes un chercheur, vous êtes un scientifique et nous sommes là au cur dun débat où lon reproche à un petit nombre davoir pris des décisions comme si, en réalité, en ouvrant un débat qui ne soit pas artificiel, on aurait pu être sûr que dautres décisions, aussi responsables, puissent être prises.
M. Georges CHARPAK : Il y a peut-être en France un déficit dans lorganisation des scientifiques quant à leur participation à la vie politique. Il y a eu, par exemple, des débats à lAcadémie des sciences sur la question de savoir si celle-ci vraiment, sous sa forme actuelle, était ce que lon pouvait faire de mieux. A lAcadémie des sciences américaine, ils sont 1 200. Nous sommes 120, si je ne compte pas les correspondants. LAcadémie américaine a un budget de quelques centaines de millions de dollars qui provient de contrats quelle passe avec le Gouvernement qui peuvent être des plus variés : étudier une réforme de léducation, quelles sont les meilleures routes pour le futur, etc., etc. et cela se paie. Ils font des commissions détudes dans lesquelles on trouve des gens qui ne sont pas de lAcadémie. Ainsi, la commission de contrôle des armements de lAcadémie des sciences comportait le directeur dune grande entreprise darmement et des militaires ; cest impensable en France.
Une institution comme cela manque. En France, nous avons modifié lAcadémie des sciences, il y a le CADAS, une institution où lon trouve des ingénieurs, etc. mais actuellement une réflexion est menée à lAcadémie des sciences pour éventuellement introduire des réformes ; ce nest pas très facile.
Cela dit, faut-il que ce soit le politique qui décide ? A mon avis, oui.
Lorsque M. Rubbia a imaginé une expérience qui a fait sa gloire, qui sappelait « les collisionneurs », il avait été voir le directeur du grand laboratoire américain Fermilab qui lavait rejetée avec condescendance. M. Rubbia est alors venu au CERN et a vu le directeur du CERN, qui est quasiment un politique. Mais il a du pouvoir. Cest un théoricien, il a écouté M. Rubbia et lui a dit « vous avez de bonnes idées ». Après avoir réfléchi, il lui a dit « cest vraiment une bonne idée et je vais limposer ».
Limposer voulait dire casser le projet qui existait, le retarder dun an, prendre largent et linvestir dans la modification que demandait M. Rubbia, prendre largent aux physiciens européens qui étaient en train de se préparer à faire des expériences avec laccélérateur « ringard » qui était prévu, quand ce que proposait M. Rubbia était tout à fait révolutionnaire. La majorité des physiciens européens était contre, lui la imposé. Pour moi, cest le politique intelligent.
Ce nest pas un fonctionnement parlementaire puisque le directeur du CERN dépend des instances européennes mais il a des pouvoirs qui faisaient quil nétait pas écrasé par le fait que cétait quelque chose de multinational, dans lequel on ne peut pas prendre de décision car il faut une petite retombée par ici, une petite retombée par là. On a réussi car un certain nombre de directeurs généraux étaient dignes de cette responsabilité quon leur donnait, il fallait quils prennent les décisions.
Mais si on avait laissé les physiciens décider de façon démocratique, on ne le faisait pas. Dans ce cas, M. Rubbia a gagné, il a eu non seulement le prix Nobel, mais les Américains et le monde entier, ont complètement changé leur programme et adopté son programme à lui.
Cest une situation idéale. Je ne sais pas du tout comment la mettre dans les institutions.
Pour le Rubbiatron, je vous rassure : un certain nombre de gens considèrent que cest complètement farfelu, je trouve cela très bien. Un certain nombre de gens disent quon la inventé avant lui ; vous pouvez faire nimporte quoi en physique, il y a toujours une personne qui la inventé avant vous. Cela a été le cas des Américains qui maintenant viennent collaborer avec lui. Il ny a pas, dans la mesure où cette recherche nest pas confinée dans une seule institution, du tout une structure hiérarchisée et je suis sûr que cela va se diversifier. Jai confiance car je pense que cela ouvre la porte à lesprit de recherche. Peut-être des gens trouveront-ils des choses nouvelles et différentes. Je ne crois pas que ce soit comme Superphénix, je pense que ce sera différent.
En ce qui concerne Superphénix, il a subi des déboires et parmi ceux-ci il y a le fait quest retombée sur Superphénix la déconsidération auprès de lopinion publique, dune partie de lopinion publique, de lénergie nucléaire à cause de Tchernobyl et à cause de la peur panique qui saisit les gens. Tout à lheure, jai parlé de superstition. Si mon livre sappelle « feux follets et champignons nucléaires », « feux follets » cest à cause de la superstition. Des gens ont actuellement vraiment une peur panique, qui dépasse lentendement, de tout ce qui est radiations.
Jai connu, voici deux ans, dans le Sud de la France, une institutrice qui ne mangeait plus de champignons à cause de Tchernobyl. Cétait aberrant ; cétait parce quelle navait plus confiance dans ce quon lui disait dans ce domaine ; et au fond, tout cela est retombé sur Superphénix.
Je souhaite, pour ma part, que léducation fasse des progrès dans ce domaine, que les gens se rendent compte que lon meurt de ceci ou de cela, et que les radiations sont un facteur parmi les autres, infiniment moins grave actuellement que la contamination avec les petites fumées, et je ne parle pas du tabac !
M. le Président : Je vous remercie très chaleureusement au nom de toute la commission davoir pris la peine de venir parmi nous.
Audition de MM. Raymond AVRILLIER,
Porte-parole de lassociation « Les Européens contre Superphénix »,
Yves FRANÇOIS,
Président du Comité local pour larrêt définitif de Superphénix
et Claude BOUVIER,
Président de lassociation des élus opposés à Superphénix
(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Raymond Avrillier, Yves François et Claude Bouvier sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Raymond Avrillier, Yves François et Claude Bouvier prêtent serment.
M. Claude BOUVIER : Je suis adjoint au maire de Passins, petite commune de 600 habitants limitrophe de Morestel. En tant que Président de lAssociation interdépartementale des élus locaux favorables à larrêt définitif de Superphénix et à la reconversion de son bassin demploi, je me dois de rappeler les termes de notre communiqué de presse du 4 février dernier qui approuvait la confirmation par le Gouvernement de la décision darrêt définitif de Superphénix.
« Cette nouvelle apporte aux opposants à cette centrale un immense soulagement. Imposée par le mensonge et la force il y a une vingtaine dannées, sans débat démocratique, laventure de Superphénix aura fini par céder aux règles de la République. Sur le plan juridique, la décision du tribunal administratif qui a établi la non-existence légale de Superphénix est enfin respectée. Sur le plan financier, les observations de la Cour des comptes, garante du bon usage de largent public, sont enfin prises en considération. Sur le plan politique, un Gouvernement shonore en respectant, une fois élu, ses engagements électoraux malgré les pressions dont il fait lobjet. »
Pour rester sur ce dernier plan, je voudrais également saluer le pari de transparence, de démocratie et de raison fait par le Parlement en votant à lunanimité la création de votre commission. Je veux croire que le compte rendu de vos travaux sera un document répondant à ces idéaux mais jai quelques craintes, fondées notamment sur le fait que M. Rival, maire de Morestel, est revenu perplexe de sa récente rencontre avec vous. A en croire ses déclarations retranscrites dans la presse locale, certains dentre vous utiliseraient plus vos travaux pour tenter de relancer la polémique et les troubles dans notre région que pour honorer le mandat que vous a confié le Parlement unanime. Mais jespère que notre entretien dissipera toutes ces craintes.
Pour ma part, je souhaite vous apporter quelques souvenirs et mes attentes liées au démantèlement et à la reconversion qui sengagent.
Le souvenir, cest le manque de simple information, de transparence et de démocratie. Quel gâchis humain et financier aurait pu être évité si le Parlement de 1976 avait su, comme cela lui avait été demandé, prendre en son temps une décision analogue à celle qui nous réunit aujourdhui ! Comment douter de leffet quaurait produit lécoute de compétences indépendantes des pouvoirs dEDF et du CEA ?
Ces carences ont été la principale motivation de la création de lAssociation des élus locaux opposés au projet de Superphénix, qui regroupait, au moment de la création de cette centrale, 159 membres. Cette association a participé activement à leffort dinformation indépendante destinée aux populations sur le projet Superphénix. Parce quil fallait prouver limportance de lopposition au projet, ses membres ont été partie prenante dans la tragique marche de 1977. Sans anticiper sur ce qui sera développé par M. François, il faut se souvenir que ce jour-là, au cours dune journée de guerre en temps de paix, Superphénix était imposée à la population par la force et dans le sang.
Pourtant le bien-fondé de cette opposition au projet reposait sur divers problèmes généraux du nucléaire.
Citoyens du monde, nos prédécesseurs et nous-mêmes à leur suite, pensons quil ny a pas de développement de la filière nucléaire civile réellement indépendante de son ombre militaire. Toute utilisation de lénergie nucléaire est porteuse dune prolifération de larme nucléaire dont le contrôle pose problème. Pour illustrer ces idées, nous aurions pu parler de lIrak, mais permettez-moi, à la lumière de lactualité récente, de citer M. Vendryes, lun des pères de la filière des surgénérateurs et peu suspect de désinformation antinucléaire. Dans son livre « Superphénix : pourquoi ? » page 36, il écrit : « Au terme dun contrat conclu en 1969, le Commissariat à lénergie atomique apporta à la commission de lénergie atomique indienne son assistance pour former à Cadarache et en Inde, les premières équipes de physiciens et dingénieurs aux diverses techniques dont ils avaient besoin. » Sans commentaire.
Nous ne souhaitions, et ne souhaitons toujours pas, vivre à côté dune installation associant le risque nucléaire au risque chimique. Sans développer les aspects technico-économiques, qui seront traités par M. Avrillier, nous voulons souligner que cette particularité en fait une cible de choix du terrorisme. Lhistoire a malheureusement montré le bien-fondé de cette inquiétude. Sans ouvrir un débat stérile sur les auteurs potentiels de lattentat de 1982 dont la liste allait du mouvement antinucléaire au terrorisme dEtat, permettez-moi de citer une nouvelle fois M. Vendryes qui dans son livre écrivait page 78 : « Une nuit de janvier 1982 eut lieu un attentat qui resta heureusement sans conséquences graves. Depuis la rive du Rhône opposée à la centrale, cinq roquettes antichars de fabrication soviétique furent tirées. » Laffaire fut instruite sans aucune publicité. Selon des informations qui parurent dans la presse deux ans plus tard, il semble bien quil y ait lieu de voir dans cet attentat, auquel les mouvements antinucléaires se défendirent davoir pris la moindre part, la main du terrorisme international.
Il faut cependant dénoncer le climat dans lequel nous avons vécu autour de léventualité, et surtout de la concrétisation, de cette sinistre page de lhistoire de Superphénix. Le fait dêtre connu pour ses opinions antinucléaires valait fréquemment dêtre suivi et parfois même raccompagné par une voiture de gendarmerie. On peut parler de nécessaire travail de routine. Sans développer de complexe de persécution, nous ne lavons pas vécu comme une contribution de Superphénix à lamélioration de notre cadre de vie.
Dégradation également de notre environnement par le site lui-même qui dresse son imposante verrue de béton entre les collines des bords du Rhône où divergent de nombreuses et colossales lignes à très haute tension qui tracent leurs saignées dans notre campagne.
Enfin, sans nier limpact globalement positif sur le plan socio-économique de limplantation de nombreux emplois dans notre région, dont les militants du comité de soutien à Superphénix vous ont déjà suffisamment parlé, je compléterai ce tableau par quelques remarques.
Lactivité économique existante au moment de limplantation du projet avait un caractère diffus, lié à lexistence de petites entreprises. Si certaines ont su sadapter, dautres des artisans électriciens, par exemple ont souffert de la concurrence des entreprises de la sous-traitance de Creys-Malville, venant chercher un plus en cassant les prix sur leur champ dactivité. Globalement positif, mais source dun sentiment dinjustice pour ceux qui constatent aujourdhui le déchaînement des passions et les mesures de soutien accordées à ceux qui les écrasaient hier dans lindifférence générale.
Sur le plan social, élu soucieux dapaiser les tensions, je me dois de compléter les discours sur la remarquable intégration des personnels EDF et de leur investissement dans la vie associative. Je comprends lamertume de ceux laissés sur la touche parce quil leur aura été plus difficile quà dautres dorganiser leur temps de travail et de profiter de facilités de logistique secrétariat, par exemple. Que dire du mérite attribué à ces personnels grâce aux actions de sponsoring de leurs employeurs qui nous inondent de cadeaux frappés du logo de NERSA, entre autres !
Mais cela nest rien au regard de lopération menée, avec lappui de toute lautorité de la préfecture de lépoque, pour pousser les communes à sendetter en se liant au projet Superphénix. Quel qualificatif légal utiliser pour parler de ce principe de mise à disposition immédiate des communes dargent quelles étaient censées recevoir plus tard, à condition que le projet voie le jour et réussisse ?
Ce ne fut pas le cas et nos communes senlisaient dans dinterminables et coûteuses procédures de justice lorsque lactuel Gouvernement sest honoré en annonçant quil assumerait les responsabilités dhier en prenant à sa charge le remboursement des avances de la Caisse nationale de lénergie et des prêts grands chantiers de la Caisse des dépôts et consignations. Nous voici revenus à lactualité.
Lorsque le Premier ministre a annoncé son intention de tenir ses engagements électoraux vis-à-vis de larrêt de Superphénix, les patrons et les salariés concernés ont immédiatement créé un comité dont lobjet de défense de leurs intérêts aurait pu être compris sil ne sétait limité à louverture dun rapport de forces déterminé à faire reculer le Gouvernement.
Emus de ce tapage, les maires du canton de Morestel, légitimement inquiets des conditions daccompagnement de cette décision pour leurs communes, ont, dans leur trouble, confondu leur sentiment du moment avec la réalité, parlant dune opposition unanime de la population et de ses élus à cette décision. Quelques jours plus tard, une habile manipulation de la part des leaders du canton a ajouté à la confusion en permettant le financement par le contribuable du comité de soutien à Superphénix, sous la forme dune subvention du district de Morestel qui appelait lensemble des communes du canton à faire de même.
Même si cet appel a été peu suivi, la tournure inacceptable que prenaient les événements à provoqué la légitime réaction de ceux qui approuvaient la fin de laventure Superphénix quils nauraient jamais voulu voir commencer. Confiants dans la reconnaissance de nos convictions dont le fondement sétait confirmé au fil des ans, conscients et soucieux des difficultés engendrées pour un voisin, un ami, dont la vie personnelle était liée à Superphénix, nous avons su nous faire entendre suffisamment pour briser le mensonge de lunanimité pour Superphénix, tout en évitant les rencontres conflictuelles entre les deux parties.
Aux côtés du comité local pour larrêt de Superphénix, notre association délus sest employée à faire passer dans la courtoisie, le calme et la dignité, son message pour que sengage un débat tourné vers lavenir sur les conditions de la reconversion du bassin demploi de Superphénix. Au fil des mois, le calme est revenu sur le canton et la raison sest imposée.
Lheure est venu de regarder plus loin.
Il y a une vingtaine dannées, larrêt du programme Concorde, réussite technologique et erreur économique, na pas signé larrêt de mort de notre industrie aéronautique mais a, au contraire, permis le succès économique du programme Airbus qui sy est substitué.
Je suis convaincu que cette fois encore, les techniciens français sauront utiliser leurs compétences pour rebondir et trouver des solutions durables à la question énergétique. Nous sommes à laube dune ère nouvelle de la gestion de lénergie en France, la fin du tout nucléaire et la poursuite des recherches notamment sur la gestion des déchets. Lutilisation rationnelle de lénergie et le développement des énergies renouvelables permettront de préparer lavenir.
Certes, ces questions dépassent les limites de mes propres compétences même si lun des premiers pas de cette nouvelle politique sapplique sur notre territoire. Profitons-en donc pour affirmer notre volonté de participer sans état dâme aux travaux des prochains comités dorientation prévus par le programme daccompagnement économique de larrêt de Superphénix. Le document transmis aux communes nous semble une bonne base pour lancer ce travail, qui sera long et difficile, et au terme duquel nous aurons la satisfaction davoir réussi sur le plan technique et socio-économique la reconversion exemplaire que nous appelons de nos vux et que les déclarations dintention du Gouvernement rendent crédibles.
Sil est encore un peu tôt pour parler de ce travail, qui ne sera lancé réellement que demain à la préfecture de lIsère, je confirme ici la volonté de notre association dattirer lattention sur la nécessité de travailler sur lensemble du territoire concerné, sans confondre priorités et monopole ; de coordonner les actions du relais emploi et de développement économique avec celles des structures déjà existantes sur le territoire concerné ; de développer lacquis positif de limplantation de la centrale, en matière de redistribution de la taxe professionnelle en particulier, en prenant en compte les potentiels existants de développement économique. Une réflexion doit être menée sur loffre diffuse de zones dactivités, qui correspond bien à la réalité socio-économique du territoire.
Je vous remercie de votre attention et je laisse la parole à mes collègues.
M. Yves FRANÇOIS : Je suis agriculteur, très proche voisin de Superphénix. Je représente le comité local pour larrêt définitif de Superphénix et je suis membre de la commission locale dinformation par le biais de la Chambre dagriculture. Je suis le dossier Superphénix depuis le début. Et cest en ma qualité dhabitant local, car sur le plan technique je ne suis pas compétent pour le faire, que je vais exprimer mon sentiment sur la mise en place de Superphénix, son fonctionnement et son arrêt.
En 1974, lorsque les premiers sondages ont été effectués, nous navons eu aucune information. Les gens venaient sur nos parcelles sonder les terrains sans la moindre explication. En 1976, nous savions quallait se construire un surgénérateur. Nous avions déjà plus dinformations, qui nous étaient données, en fait, par des scientifiques déjà opposants qui nous mettaient en garde contre le type particulier de cette centrale à neutrons rapides. Ces informations, que nous navions pas par ailleurs, ont conduit à la première manifestation importante de 1976 qui réunissait 20 000 personnes à Creys-Malville demandant davoir des informations et surtout un moratoire. A lépoque, Théodore Monod sétait déplacé, ainsi que Lanza Del Vasto.
La manifestation sest déroulée en deux temps. Dans un premier temps, il y a eu un léger rapport de force, la clôture avait été coupée et les gens sétaient assis au bord pour demander une rencontre avec le sous-préfet en vue dobtenir une discussion et ce moratoire. Pour temporiser, le sous-préfet a accepté et le surlendemain, le camp était évacué par la force ! Cela a amené, dans un second temps, la population locale à adhérer massivement à la manifestation. Il y a eu la marche de Bouvesse vers le site, avec trente-cinq tracteurs, les agriculteurs étant présents. Il y avait vraiment ladhésion de la population locale qui ne comprenait pas une répression pareille pour un projet prétendument démocratique. A ce moment-là, il y a eu une première répression dont on sétonne quelle nest pas fait plus de blessés et de morts parce que déjà les forces de lordre utilisaient les grenades offensives. On a eu de la chance. A la suite de cela, la population est restée très perplexe. Des réunions publiques contradictoires se sont tenues sur le secteur. A cette occasion, nous avons vu et entendu des choses assez incroyables dites par M. Barberger, directeur de la construction, qui a osé déclarer en pleine réunion publique que même limprévisible était prévu. Il faut oser. Mais ce pouvait être des effets de tribune, il ne faut pas le prendre au pied de la lettre.
Puis nous nous sommes aperçu que certains éléments de la sécurité nous paraissaient suspects. Un jour, on nous a annoncé quil y avait des éléments fiables, des dossiers de sécurité et lon nous a proposé de nous les faire parvenir. Il sagissait de dossier de NERSA qui avaient été subtilisés à Lyon. Par curiosité, nous les avons consultés. A la réunion suivante, nous avons demandé à M. Barberger à la chute de quel avion le dôme du réacteur pouvait-il résister. Il nous a répondu : « A la chute dun Boeing, sans problème ». Le problème était que, daprès les dossiers de la NERSA, il ne résistait quà la chute dun bimoteur Cessna à quatre places. Nous le lui avons dit. Il était un peu gêné. Et dautres confrontations dinformations de ce type mettaient comme cela le manque dinformation en évidence, voire la désinformation. Cette non-information, ce refus de dialogue a été aussi lun des éléments déclencheurs qui a conduit à la grande manifestation de 1977 à laquelle, selon les sources, participaient 60 000 à 80 000 personnes qui voulaient vraiment arrêter, dialoguer et mettre les choses à plat.
Sans revenir longuement sur ces événements, je dirai simplement que la démocratie a totalement dérapé. Il y a eu un mort et des blessés graves. Cest très dur à vivre quand on croit vivre dans un pays où la démocratie semble chose acquise. Cela a été un coup porté à lopposition. La volonté était de « casser » le mouvement, cela a réussi. Sest alors créée ARMOS, lassociation de la région de Malville opposée à Superphénix, qui a continué de façon beaucoup moins voyante dinformer les gens et de leur faire comprendre que ce qui se passait nétait pas tout à fait normal.
Dautres choses vous paraîtront sans doute anecdotiques, mais mont beaucoup marqué personnellement. Par exemple, en accord avec la famille de Vital Michalon, nous avions voulu poser une stèle pour commémorer cet événement en bordure de voie publique. Le maire de lépoque, en accord avec la préfecture, lavait faite enlever rapidement. Il a fallu attendre juillet 1997, date commémorative des événements de 1977, pour quune stèle soit installée cette fois sur un terrain privé, puisquil ny avait pas dautres moyens. Un millier de personnes, dont Théodore Monod, sont revenus pour une cérémonie très poignante durant laquelle les gens vivaient quelque chose dimportant. Mais il est vrai que lactualité a donné plus dampleur à cette réunion que ça naurait dû. Je tiens à préciser que cette réunion était prévue bien avant la dissolution et bien avant la prise de position de Lionel Jospin mais ce fut un moment très important.
Par ailleurs, il y a eu également la montée en puissance du comité favorable à Superphénix, des commerçants, des élus locaux, avec cette volonté dimposer une pensée unique, comme si, sur place, il ny avait pas dautre alternative que dêtre pour Superphénix. Ce nest pas facile de vouloir exprimer une autre pensée, de dire quil y a vingt ans on avait prévu des choses qui se sont réalisées, heureusement pas toutes, puisquaucun accident na été à déplorer. Mais comment, en démocratie, se faire entendre quand la presse locale est partie prenante et malheureusement pas de votre côté ?
A partir de là, la situation a été assez difficile à vivre localement avec toutes les pressions dont M. Bouvier a parlé, et dont certains commerçants ont aussi fait lobjet. Je parle là de faits rapportés par la gendarmerie, dont on peut penser quils sont véridiques, où une personne tenant un pressing dans la zone industrielle de Passins qui refusait de coller une affiche pro-Superphénix voyait, par exemple, sa vitrine recouverte entièrement daffiches le lendemain matin. Cest une manière dagir qui ne me paraît pas très démocratique ! Je ne parle pas des subventions obtenues, ni de létat des routes le 31 juillet qui avaient été « bombées » avec des slogans pour Superphénix, voire des propos insultants à légard de Mme Voynet. La remise en état des routes, la DDE ma communiqué le chiffre, a coûté 100 000 francs. Ce nest pas la meilleure utilisation des deniers publics !
Il y a aussi ce que lon a vécu avec M. Bataille, à la Tour-du-Pin, le 27 janvier : la mission parlementaire qui était venue...
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Il y avait également Mme Rivasi, M. Galley et M. Moyne-Bressand.
M. Yves FRANÇOIS : Nous vous avions dit, M. Bataille, ainsi quà M. Meï, que nous ne comprenions pas pourquoi vous veniez si tard. La pression était un peu retombée, votre présence avait permis à certaines personnes de laisser croire aux habitants locaux quil y avait une possibilité de voir redémarrer Superphénix. Sur place, cela na pas été facile à vivre et ce à deux ou trois jours de lannonce de la décision darrêt, le 2 février.
Pour nous, cette décision na pas été une victoire, plutôt un soulagement amer. Cela fait vingt ans que nous luttons contre ce projet et quand nous voyons tout ce qui a été dépensé, la vie qui a été gâchée mais également les situations économiques difficiles dans lesquelles certains se retrouvent, habitués quils étaient à gagner de largent localement avec Superphénix, il est vrai que cela pose des problèmes. Tout ce gâchis aurait pu être évité si le Parlement de lépoque avait fait ce que vous faites actuellement.
Beaucoup de gens mont dit ceux qui acceptaient de me parler que lon naurait jamais dû la construire. Je ne pouvais que leur répondre quil fallait y penser avant !
Il faut savoir tirer une leçon des échecs parce que le progrès par léchec existe.
Je conclurai par cette citation de Saint-Exupéry : « Nous nhéritons pas de la terre de nos ancêtres, mais nous lempruntons à nos enfants ».
M. Raymond AVRILLIER : Je suis actuellement élu mais, malgré mes réticences, mes collègues du collectif dassociations « Les Européens contre Superphénix » mont demandé de reprendre le rôle de porte-parole de ce regroupement dassociations que javais tenu un certain temps, sachant que jai également représenté des associations départementales à la commission locale dinformation auprès de la centrale Superphénix pendant des années.
Même si je ne travaille pas dans ce domaine, ma formation initiale et lointaine ma laissé quelques traces et je participe au groupement de scientifiques pour linformation sur lénergie nucléaire.
Dans ce cadre-là, javais été auditionné en 1992 par lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques qui avait, le 19 mai 1992, effectué la première audition démocratique sur ce dossier. Cétait une audition spéciale sur Superphénix ce qui explique que je parle dune première audition, mais il y avait eu dautres travaux de cet Office sur lénergie nucléaire. La création de ce dernier ne me paraît dailleurs pas indépendante de ces débats contradictoires que nous avons eu hors des instances prévues à cet effet.
La question que vous vous posez de savoir quels enseignements tirer de cette expérience de Superphénix dans les domaines scientifique, administratif, financier, politique et environnemental, indique que vous remplissez la tâche que vos prédécesseurs nont pas su tenir depuis un quart de siècle et qui a été reprise dans les années 1990, avec lélaboration de cet Office parlementaire et la résurgence de débats sur les domaines énergétique, scientifique et technologique.
Au nom du groupement que je représente, je vous renvois aux éléments que nous avions fournis à lOffice parlementaire de lépoque. Nous tirons de lexpérience de Superphénix des enseignements très positifs. Positifs car un échec est toujours source denseignements, que ce soit du point de vue de la démocratie, ou du point de vue scientifique et technologique, économique, administratif, financier et procédural.
Du point de vue de la démocratie, Superphénix na pas été décidé selon des méthodes que je qualifierais de démocratiques, ne serait-ce que dans le domaine de laccès à linformation et aux recherches préalables à la décision. Pourtant, dès cette époque, nous disposions danalyses, notamment grâce à lInstitut économique et politique de lénergie dont faisait partie M. Finon, auteur du livre « Léchec des surrégénérateurs : autopsie dun grand programme ». Ces analyses très poussées étaient reconnues internationalement, mais pas en France, hélas, sur la nécessité de diversifier les éléments de programmes énergétiques et de ne pas mettre lensemble de la décision « dans un seul panier ».
Pourtant, à lintérieur du CEA des recherches voyaient le jour qui permettaient davoir des incertitudes sur le saut dimensionnel de Superphénix par rapport à Phénix, mais linformation ne perçait pas à lextérieur.
Superphénix dont certains éléments représentent quarante fois la taille de ceux de Phénix même si le rapport de puissance en matière énergétique nest pas dans cette proportion comportait du point de vue scientifique mais aussi du point de vue de la décision politique, une très grande incertitude.
Du point de vue administratif, laccès aux informations et aux recherches nexistait pas plus. En tant que citoyens, représentants dassociations, scientifiques, instituts de recherches, nous navions pas accès aux éléments financiers qui étaient tout à fait incertains, ni à la logique dans laquelle le programme se situait. Nous devrions avoir aujourdhui une trentaine de surgénérateurs suivant la décision à laquelle votre Parlement avait acquiescé en acceptant le programme proposé à la fin des années 1970. Lan 2000 devait voir sur le territoire français plusieurs dizaines de surgénérateurs.
Naturellement, la logique était une logique dexportation. Là encore, tout le monde, le Parlement y compris, a été dépossédé de linformation puisque la logique de surgénération était une logique de surproduction de plutonium et aussi une logique dexportation. Lensemble des promoteurs a dailleurs toujours affirmé cette logique dexportation. A lintérieur de celle-ci, un choix politique était fait sans le dire, celui de la prolifération, de la dissémination dinstallations, certes civiles, mais dont on sait quelles produisaient, dans le cur de Superphénix, un plutonium de qualité militaire. De fait, les militaires étaient intéressés, en France et ailleurs.
Sur cette question daccès à linformation, nous avons beaucoup appris car nous pensons quil faut commencer par là, par ouvrir à la décision publique et permettre au citoyen daccéder à toutes les informations avant de prendre une décision.
Excusez-moi de faire un bilan sur les éléments de méthodes mais, me semble-t-il, cest aussi ce qui intéresse les parlementaires.
Le deuxième enseignement concerne les instances de décision ou daide à la décision qui sont juges et parties.
Nous ne disposions pas à lépoque dune DSIN, cest-à-dire dun organisme de contrôle réellement indépendant, si tant est que la DSIN le soit tout à fait, et cela pose encore des problèmes, mais il y a eu des évolutions notables justement au travers du dossier Superphénix. Nous ne disposions pas de points de vue autres que celui du CEA. EDF ne disposait pas de sa propre instance dévaluation. Le projet était porté par le CEA et EDF en était le maître douvrage délégué. Les réticences qui se sont manifestées à EDF sur ce programme jespère que vous les recherchez dans vos investigations et vos auditions sont un élément longtemps caché. La logique du CEA davoir un programme franco-français, qui comporte certes des choses intéressantes par rapport aux licences Westinghouse PWR, sinscrivait dans une logique assez démesurée qui déplaisait à EDF car elle comportait des risques et des incertitudes à tout niveau.
Donc, nous navons pas disposé danalyses pluralistes et contradictoires. Pour tirer de ce constat négatif des aspects positifs, il serait souhaitable de ne pas oublier de rendre ces analyses possibles préalablement à la décision.
Nous navons pas eu non plus dinformation pluraliste et de débat public contradictoire dans aucune instance, même dans le domaine scientifique. M. Finon, par exemple, a dû abandonner ses recherches alors quil était reconnu internationalement comme lun des chercheurs les plus importants dans ce domaine, parce quil dérangeait en mettant en avant, dès cette époque, les incertitudes de cette filière.
Puis nous navons pas eu dexposé clair des choix, des choix possibles mais également du choix fait. On ne nous a pas dit quen construisant un surgénérateur de type Superphénix, on orientait tout le potentiel humain de savoir-faire et de connaissances quest celui du CEA dans une voie unique et incertaine, voire dans une impasse. Ces choix qui nont pas été exposés clairement, nont pas fait lobjet de contrôle et dactualisation.
Il reste maintenant à tirer les leçons de cette expérience afin déviter de se lancer dans des décisions qui soient unilatérales, et permettre de voir évoluer la procédure de prise de décisions publiques. Le problème de la sûreté, par exemple, nest pas quun problème de sûreté scientifique de linstallation ; cest également un problème de sûreté nationale, inscrite dans la Constitution. Les surgénérateurs comportent des incertitudes sur le plan technologique non seulement liées au surdimensionnement de Superphénix, au volume de sodium, au comportement des aciers dans ces conditions, mais aussi à la situation potentiellement surcritique du cur de réacteur, cest-à-dire quavec une défaillance du fluide caloporteur on peut avoir, à linverse dautres réacteurs, une dérive de la réaction, une « excursion » nucléaire, comme il a été dit pudiquement.
Ces installations accroissent la prolifération du plutonium et les déchets nucléaires irréversibles à très long terme. De ce point de vue, il a fallu construire, en cours de route, une installation spécifique pour Superphénix qui est dune certaine manière cachée. Il sagit en fait dune deuxième installation nucléaire sur le site : lAPEC, atelier pour lévacuation du combustible. Initialement, il était prévu plusieurs surgénérateurs. Il fallait donc une usine de retraitement spécifique, car lon ne savait pas retraiter les assemblages de Superphénix dans les installations existantes. Faute de développement du programme, il y a une piscine de stockage des combustibles irradiés de Superphénix et un important entrepôt de stockage de ces assemblages dans des conteneurs dont on a découvert la nécessité en cours de route. Cela navait pas été indiqué clairement.
Ce type dinstallations comme Superphénix comporte des fragilités intrinsèques liées à sa structure et à son dimensionnement quil faut absolument connaître lors de la prise de décision. Ces incertitudes auraient dû être soulevées par les promoteurs eux-mêmes. Or, elles ne lont été quau fil des avaries graves qui se sont produites, que nous avons contribué à révéler dans leur ampleur.
Jusque dans le dernier rapport de la DSIN, il est indiqué que la fuite de sodium du barillet de stockage du combustible installation annexe mais très importante, transformée aujourdhui en poste de transfert des combustibles sest produite en avril 1987. Or, elle a commencé le 8 mars 1987 et, pendant trois semaines, ni les autorités de contrôles ni les autorités publiques, préfectorales ou ministérielles, nont été informées de cette avarie qui a entraîné plusieurs tonnes de sodium en fuite entre les deux cuves du barillet.
Ce fut une expérience très importante. Si nous navons pas connu daccident nucléaire en France, cest en raison de la prise de conscience très forte de la DSIN, notamment de MM. Lavérie et Lacoste, à la suite de ces événements concernant Superphénix et de celui-ci en particulier. Cela a fait prendre conscience quil fallait un organisme de contrôle très ferme vis-à-vis des exploitants car la logique du silence
cacher un accident en train de se produire persiste. Il faut vraiment un « gendarme » indépendant.
Donc, trois semaines pour voir le premier télex communiqué aux autorités de sûreté, le 3 avril, pour dire que depuis le 8 mars on avait « peut-être une vingtaine de tonnes de sodium en fuite entre les deux parois du barillet de stockage du combustible ». Je vous encourage à demander à la DSIN ce télex de NERSA. Et, bien sûr, cet accident nétait pas prévu dans le rapport du sûreté !
Si votre commission pouvait contribuer à renforcer lactualisation des rapports de sûreté des installations nucléaires et à faire en sorte que des documents publics de synthèse soient disponibles sous une forme nouvelle, ce serait bien. Celui de Superphénix, sur lequel nous continuons à travailler faute de pouvoir disposer des éléments dactualisation, date de 1974. Bien que nous ne soyons pas des spécialistes, nous considérons que lensemble des parlementaires, des citoyens, des élus, des responsables dassociations et des scientifiques, devrait pouvoir disposer de ces éléments.
Des délais de réactions identiques, assez graves, ont été constatés lors de lentrée dair dans la cuve du réacteur en juillet 1990, qui sétait produite, en fait, en juin 1990 et qui sest poursuivie pendant plusieurs semaines sans alerte de lautorité.
Ce sont cependant des expériences très positives qui ont permis à la DSIN de révéler des dysfonctionnements sur une installation expérimentale. Ceux-ci, non prévus dans le rapport de sûreté, se sont pourtant produites dès les premiers mois de fonctionnement.
Le troisième événement fut leffondrement de la salle des machines. Bien que ne touchant pas la partie nucléaire, il a cependant été un fait très marquant pour la population et nos collègues de la région. Voir seffondrer la moitié du toit de la salle des machines, et emporté avec elle loiseau, symbole de Superphénix dessiné sur le mur de cette salle et dont il ne reste quun bout daile, a plus frappé les esprits que tous les autres événements qui se produisaient à lintérieur de linstallation.
Dailleurs, le choix de cette région de plaine, où souvent la neige et la pluie accroissent le risque dalourdissement des charges, ne paraît pas judicieux pour un choix de toit plat. Nous disposions là encore dun élément démontrant que lincertitude sur les risques avait été gommée dans le processus de décision.
Les coûts eux-mêmes ont fait lobjet dincertitudes dès le début. Aujourdhui encore, vous ne disposez pas en tant que parlementaires dun outil danalyse. Vous me direz quil existe le rapport de la Cour des comptes. Ce nest pas suffisant. Je parle dexpérience, car notre région a été le lieu de nombreux essais bien malheureux en matière dutilisation des fonds publics.
Sur un marché de cette ampleur, nous avons besoin davoir des analyses poussées sur le plan financier. La Cour des comptes na pas pu avoir accès aux marchés de Superphénix, installation expérimentale, qui ont été passés par une société anonyme NERSA, de droit français mais après autorisation spéciale du Parlement pour sa création. Lensemble de son analyse financière est basée sur les totaux et non sur lanalyse des marchés.
Nous avons essayé davoir des informations sur ces marchés, y compris en recourant à la commission daccès aux documents administratifs. Nous estimons, depuis le début, quil y aurait nécessité dinstruire une enquête approfondie sur les marchés de Superphénix, en utilisant cet outil que constitue la Cour des comptes. Le Parlement na pas eu danalyse financière, au fil du temps, sur cette installation.
Il y aurait bien dautres enseignements à tirer de Superphénix mais il y aurait également beaucoup à en tirer dans la volonté, que lon peut attribuer à tous, de ne pas entendre à certains moments.
Lors de la commission locale dinformation du 2 octobre 1990, javais présenté une motion qui avait été votée à lunanimité. Cette motion disait que la décision dimplantation de Superphénix étant le fruit dune décision gouvernementale, cette installation était certes implantée dans la région mais relevait du niveau national. Cétait donc la solidarité nationale qui devait jouer la centrale connaissait alors lun de ses premiers et nombreux arrêts. Il fallait que la Caisse nationale de lénergie assume cette période transitoire de larrêt qui provoquait déjà des inquiétudes chez les collectivités locales, qui se demandaient comment elles allaient rembourser leurs annuités avec une taxe professionnelle amoindrie.
Cette motion na pas été suivie deffet, mais je persiste à penser quil faut accepter les propositions qui permettent de sortir, à temps, dun affrontement, car, à écouter les exposés des collègues habitants notre région, nous nous rendons compte que nous sommes actuellement dans une situation qui sest tendue faute de navoir pas été traitée en temps opportun.
Il serait bon de prendre des décisions daccompagnement dans la durée et afin de tirer les leçons au plan scientifique, comme vous le faites à votre rang, mais aussi avec des scientifiques dans dautres instances. Nous estimons quune mission de la DSIN serait nécessaire. Au plan de la démocratie, il convient de tirer les leçons des processus de décision mais il faut aussi réfléchir aux questions que pose la mono-industrie et la constitution d« émirats », ici hydrauliques et là nucléaires, afin de ne pas se retrouver dans des développements atypiques et anormaux qui créent des situations irréversibles.
Il reste encore beaucoup à dire mais je men tiendrai là pour répondre à vos questions. Je vous donnerai par écrit des éléments complémentaires si vous le souhaitez.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je désire avant tout rassurer M. Bouvier et lui dire que nous ne savons pas ce que seront les conclusions du rapport. Nous navons pas encore terminé ces auditions, que nous conduisons à un rythme très soutenu, et nous nen avons pas encore dressé le bilan.
Je remercie M. Avrillier des propos quil a tenus à légard de lOffice qui, effectivement, joue un rôle pour permettre le débat démocratique. De ce point de vue, je dois reconnaître, et cela figure dailleurs dans mes rapports, que les grands organismes, quil sagisse de la COGEMA, du CEA ou dautres, ne nous ont pas facilité la tâche. Javais demandé, à une époque, au nom du service public, à ce que la COGEMA, le CEA et EDF soient placés sous une même autorité. Finalement, jen arrive à penser que le problème relève plus de lajustement des demandes et des besoins entre ces différents organismes.
Je poserai, tout dabord, une première série de questions sur les risques. Au-delà du fonctionnement de Superphénix lui-même, quels sont les principaux risques présentés, selon vous, par les réacteurs à neutrons rapides ? Ceux-ci vous paraissent-ils plus ou moins sûrs par rapport aux réacteurs classiques à eau légère ?
Vous avez parlé des incidents survenus à Superphénix mais y a-t-il eu effectivement des rejets de plutonium dans le Rhône ?
La deuxième question concerne les opérations de démantèlement. Telles quelles ont été annoncées, constitueront-elles, selon vous, une réponse au problème de lemploi et de laménagement du territoire dans le Nord de lIsère ?
Enfin, ma troisième question porte sur laprès-Superphénix. Cet arrêt vous semble-t-il une mesure suffisante ? En faut-il dautres ? Le nucléaire français, qui sest développé de façon atypique par rapport au reste de lEurope, a-t-il encore un avenir à long terme ? Si oui, quelles seraient pour vous, la part et la forme acceptables de lénergie nucléaire ? Sinon, doit-on se fixer pour objectif de fermer toutes les centrales nucléaires, de sortir du nucléaire ? Je sais bien que vous nêtes pas des spécialistes, quelles énergies de substitution pouvez-vous entrevoir à dix ou quinze ans ?
M. Yves FRANÇOIS : En ce qui concerne les risques, je men tiendrai à une affirmation de Mme Monique Sené qui disait quà Superphénix, il y avait deux produits extrêmement dangereux, le plutonium et le sodium, et quon les avait mis lun dans lautre. Le risque est là.
Bien sûr, les personnes qui y travaillent font ce quils peuvent pour éviter laccident, mais le risque est déjà énorme. De plus, le nucléaire pose le problème plus général des déchets qui nest toujours pas résolu et qui fut lun des éléments qui nous a fait prendre position.
M. Raymond AVRILLIER : Pour compléter ce qui a été dit sur les risques liés aux surgénérateurs, il faut prendre conscience des éléments qui, même appuyés par des probabilités extrêmement faibles, peuvent créer des situations irréversibles à léchelle du territoire. Nous avons le souci de préserver notre territoire national, mais également notre espace et les personnes qui loccupent.
Un emballement de réaction, cest-à-dire linverse des anomalies de réactivité qui se sont produites et qui sont toujours incertaines quant à leur cause sur Phénix, peut survenir. Un manque de fluide caloporteur de sodium sur un assemblage peut donner lieu, dans un surgénérateur de ce type, refroidi au sodium, à un emballement de la réaction sur laquelle les scientifiques ont des débats contradictoires quant à la temporalité de cette réaction, quant à son ampleur et quant à la capacité à la maîtriser. Je fais ici référence au rapport Donderer, à ceux commandés par Greenpeace et à ceux du CEA. Toujours est-il que lon peut avoir un emballement de réaction appelé « excursion nucléaire » cest pour cette raison que la cuve et son couvercle ont été ainsi dimensionnés qui est tout de même une dérive, une explosion nucléaire étouffée, si lon peut dire, puisque nous ne sommes pas dans la configuration dun armement nucléaire.
Cette question est essentielle du point de vue de la décision politique. Comme dans dautres domaines abordés par lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques et le Parlement, tels que la bioéthique ou les risques majeurs, il faut se poser la question de savoir si lon peut accepter une incertitude même hautement improbable, à 10-7 selon le rapport de sûreté, qui risque de faire courir un risque irrémédiable, irréversible à notre territoire et notre population.
Certains ont caricaturé notre position de ce point de vue, en disant que nous avions peur, que nous voulions retourner à la bougie. Je leur demanderai à mon tour, si je puis me permettre un jeu de mots, si le jeu en vaut la chandelle.
Le risque, pris à ce niveau de catastrophe, vaut-il de poursuivre les recherches dans ce domaine scientifique, même sil est extrêmement intéressant ? Jai visité plusieurs fois Superphénix. Une fois, cétait en déplacement de justice avec Maître Lepage, notre avocate à lépoque, afin de dresser un constat dhuissier lors de larrêt, une première en la matière. Il est vrai que cest magnifique du point de vue de lutilisation du potentiel de savoir-faire. Pour autant, est-il possible daccepter une telle potentialité de catastrophe ?
La question centrale au sujet du surgénérateur, qui se pose sur dautres éléments de la filière nucléaire, en particulier sur la filière du plutonium, est celle de la catastrophe directe ou son usage par dautres pour fabriquer un armement qui peut se retourner contre lhumanité.
En ce qui concerne le plutonium dans le Rhône, javais posé moi-même la question au sein de la commission locale dinformation. En effet, après avoir fait, avec une association indépendante, des prélèvements dans le Rhône qui donnaient des éléments dincertitude sur la présence de plutonium dans le Rhône, javais demandé à ce quait lieu un débat contradictoire. Nous lavons eu en aparté avec les représentants de la DSIN. Jai appris à cette occasion que le plutonium, qui navait pas la composition des retombées atomiques, contrairement à ce qui avait été indiqué, pouvait provenir dinstallations de fabrication de la chaîne des assemblages situées en amont, à Annecy.
Je demeure cependant inquiet quant à la façon dont on a traité cette question. Nous avons eu un débat contradictoire dans la presse mais pas une seule démarche scientifique contradictoire, pas daccès aux informations, pas de débat public contradictoire. Nous navons eu aucun élément qui puisse lever cette incertitude.
Ce nest pas un phénomène majeur, mais nous en tirons les mêmes leçons quant à la méthode.
Comme vous lindiquiez, M. Bataille, il a été impossible à lOffice parlementaire davoir accès aux informations concernant les stocks et les flux de retraitement du plutonium pendant tout un temps. Cela figure dans vos rapports, je ne sais si vous avez avancé depuis ?
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Jespère ne plus avoir à lécrire.
M. Raymond AVRILLIER : Il na pas été possible au Parlement daccéder à des éléments dinformation sur les données internes de ces organismes et sur le processus de décision. Or, il sagit détablissements publics, même si NERSA a un statut de société anonyme.
Le contrôle parlementaire annuel des comptes de NERSA, jai vérifié
pardonnez-moi davoir effectué un travail de citoyen à votre égard, MM. les Parlementaires , na pas été fait par le Parlement ni par un organisme créé par le Parlement, comme le prévoit la loi. Il y a donc des manques tant du point de vue technique et financier que de la prise de décision et des rapports avec les partenaires étrangers les Italiens par exemple. Cest pour cela que nous nous sommes appelés « les Européens contre Superphénix » pour ne pas en faire une attaque contre la décision française mais bien une proposition de sortir en Europe. Je suis aussi allé au Japon pour éviter le démarrage de Monju. Nous avons contribué à faire en sorte que nexistent pas dautres réalisations de surgénérateurs potentiellement proliférateurs de plutonium et dangereux.
Dans ce cadre, sur la question du démantèlement, comme sur celle des moyens autres que le développement nucléaire, il faut se doter doutils pour diversifier la filière énergétique. Prenons un peu de temps, pas trop, puisque la décision, vous lavez déjà prise. Jen veux pour preuve que le renouvellement du parc de réacteurs pour la période 2005-2010 est déjà décidé. Avec la création de Superphénix, nous atteignons une échelle de décision dun quart de siècle, et même plus en intégrant la période de recherches amont. Si aujourdhui le Parlement ne se saisit pas des alternatives aux réacteurs de la génération actuelle, la décision sera prise de fait.
M. le Président : Une simple remarque, sans vouloir ouvrir de polémique. Je suis ingénieur pétrolier et jai encore le souvenir de lincendie de Feyzin dans lequel quatorze personnes sont mortes ou celui de la raffinerie que javais construite au Maroc dans lequel sont mortes deux personnes et cinq ont été grièvement brûlées. Votre souci de la sûreté des populations est profondément légitime mais pourquoi ne regardez-vous pas le nombre des accidents dus au gaz qui se sont produits lannée dernière en France ? Ils étaient de lordre de trois cent cinquante. Je suis, pour ma part, bouleversé par lextraordinaire effort, intelligent, perspicace que vous faites alors que le danger nest pas dans le nucléaire, il est ailleurs.
La catastrophe de Feyzin na pas remis en question la présence des sphères de butane. Je narrive pas à comprendre cette disparité dattitude.
M. Raymond AVRILLIER : M. Galley, jai, ainsi que la plupart dentre nous, participé à des enquêtes que nous appelions « citoyennes », sur laccident du Puits-du-Devin dans les mines de La Mure, dans lequel huit mineurs sont morts dans les années 1970. Jai rencontré également les pompiers défigurés de Feyzin ; ils avaient la même démarche que la nôtre, essayer de tirer des leçons de ces événements.
Pourtant, dans ces cas, bien quil y ait des accidents plus fréquents et causant des morts certaines, palpables, il ne sagissait pas dévénements irréversibles dans la mesure où ils ne créent pas, comme à Tchernobyl, un véritable no mans land, une situation dincertitude pour des centaines ou des milliers dannées. Telle est la différence.
Je conçois votre comparaison. Il est vrai que lon court plus de dangers dans lindustrie habituelle au quotidien mais, M. Bataille et vous-même le savez bien, lincertitude pour des milliers dannées touchant des territoires dont on ne dessine pas les contours, lincertitude des conséquences épidémiologiques de la radioactivité dispersée suite à un accident, le drame que vivent le territoire et les hommes de Tchernobyl, et dUkraine plus généralement, la désagrégation sociale que cela entraîne et la disparition du pouvoir des autorités quand on devine que des choses ont été cachées, tout cela fait quen regard des accidents que vous rappeliez à raison, nous atteignons ici un domaine où lon sent quil est impossible de prendre des mesures face à la catastrophe si elle se produit, contrairement, par exemple, au domaine des risques majeurs où lon peut, même si lon nannulent pas non plus tous les risques, travailler le lit dun cours deau, le profil dune mine ou dune installation pétrolière. Dans le domaine nucléaire, lincertitude subsiste dun accident qui, fort heureusement, ne sest pas produit sur notre territoire. Je pense dailleurs que nous le devons à MM. Lavérie et Lacoste et à leurs adjoints dont certains ont été mutés dans des conditions qui mériteraient investigation lors de changements gouvernementaux, parce que sur Superphénix, ils avaient une attitude indépendante.
Dans le domaine pétrolier, comme ailleurs, les ingénieurs de lautorité de sûreté doivent être indépendants du promoteur de linstallation et du producteur qui a toujours tendance à faire plus, plus vite et moins cher. Il suffit pour sen convaincre de regarder les aciers de Superphénix, ou de voir ce que lon est en train de faire avec lEPR, où lon cherche à faire des économies de coût sur la dimension de la cuve pour essayer de « sortir » économiquement. Lintérêt de Superphénix est den tirer dautres éléments pour la citoyenneté au quotidien, y compris pour les événements du type de ceux que vous citiez : prendre des mesures de contrôle, instaurer un débat préalable, sachant que lon ne peut pas éliminer les risques, cest certain.
M. Marcel DEHOUX : Je suis lélu dune région, le Nord, qui, hélas, a connu des milliers de morts dans le secteur du charbon et qui voit encore disparaître à petit feu, tous les mineurs atteints de silicose. Parallèlement, je suis entre deux centrales nucléaires, Gravelines et Chooz. Le taux des décès ne se situe pas à la même hauteur.
M. Bouvier, vous êtes Président de lassociation interdépartementale des élus locaux favorables à larrêt définitif de Superphénix. Quel est le poids de cette association par rapport à lensemble des élus de ce secteur géographique ? Son action est-elle locale ou existe-t-il au sein de cette association des ramifications qui sopposent à Superphénix quel que soit le territoire ?
M. Claude BOUVIER : Effectivement, notre association compte des élus qui ont adopté des positions antinucléaire en général, et sur Superphénix en particulier. Ces affirmations ont existé bien antérieurement à la décision de fermeture de Superphénix. Bien sûr, aujourdhui, elles se concentrent sur Superphénix puisquil sagissait de casser ce discours dunanimité prétendue en faveur de la continuité.
Quand la question a été reprise, non pas dans tous mais dans certains conseils municipaux du canton, nous avons bien vu que cette « unanimité » nétait pas si unanime. Certains conseillers municipaux ont refusé daccorder une subvention au comité de soutien de Superphénix, contrairement à ce qui leur était demandé. Et certains maires ont pratiqué lautocensure en ne ramenant pas ce débat devant leur conseil.
Pour vous répondre sans fuir la question, le nombre dadhérents à jour de leurs cotisations est aujourdhui dune vingtaine. Cest limité mais significatif tout de même, et suffisant pour dire quil ny a pas unanimité sur la question de larrêt de Superphénix au sein des élus locaux.
Donc, Superphénix pas à côté de chez nous et cette filière nulle part ailleurs. Telle est la position de notre association.
A propos de la place du nucléaire, nous pensons quavant de déterminer sa place, il faut encore étudier la question, notamment celle des déchets.
Je voudrais revenir sur la question des risques, en tant quélu soucieux de la sécurité de la population. Au-delà de lévaluation de dossiers techniques qui dépassent ma compétence, il y a le problème de bien faire tout ce qui peut être fait pour éviter les conséquences de ce risque éventuel. De ce point de vue, il me semble que lon pêche.
Je prendrais deux exemples pour illustrer ce propos. Le premier se réfère au moment de la catastrophe de Tchernobyl, dont nous avons vu les implications sur le territoire français. Les dispositifs de sécurité qui existaient à Superphénix ont permis didentifier très clairement limportance de ce risque sur nos populations. Or, toutes ces informations ne sont pas arrivées quand il le fallait. Ces carences doivent cesser.
Le second est plus proche de notre commune. Durant la période de fonctionnement normal, si je puis dire, de Superphénix, la commission locale dinformation à laquelle participe les élus, a demandé que des exercices de sécurité soient organisés, notamment sur lattitude à adopter en cas daccident. Nous devions les faire en septembre 1997, ils ont été annulés. Linstallation est pourtant toujours là.
Mme Michèle RIVASI : M. Avrillier, vous avez parlé de la logique dexportation des surgénérateurs. Jai posé à M. Vendryes la question de savoir sil existait un rapport entre le militaire et le civil sur la construction de Superphénix et les intérêts stratégiques que ce plutonium pouvait avoir. Il ma assuré quil ny avait aucun rapport.
On vient dapprendre daprès le livre qua écrit M. Vendryes quil existait une formation de certains personnels, notamment via lInde et via un autre pays que vous avez cité. Je souhaiterais que la question soit reposée.
Tout dabord, je voudrais savoir si lon a déjà utilisé le plutonium de Phénix à des fins militaires, notamment pour la fabrication de la bombe. Jai lu les interventions de M. Giraud qui confirmais cela. Jaimerais que la question soit clairement posée aux membres du CEA, à MM. Vendryes et Bouchard.
Sil existe une logique dexportation, et sachant que ces surgénérateurs permettent de fabriquer ce plutonium à des fins militaires, cela soulève le problème de linformation des parlementaires au tout début de la décision.
Je souhaiterais que soit demandé officiellement au CEA quelle est la part de formation quils ont à légard des pays étrangers dans lutilisation de lénergie nucléaire. Car cela pose un problème de la responsabilité des élus.
A propos des sédiments du Rhône, après vérification, je confirme à nouveau quil ny avait pas de mesure de plutonium au niveau de point zéro. Cest assez surprenant puisque nous nous trouvons devant une installation qui comporte du plutonium et, au niveau du point zéro, cest-à-dire avant toute exploitation, nous ne possédons aucune mesure du plutonium.
Il aura fallu attendre les mesures de la CRII-RAD pour forcer lIPSN à procéder aux premières mesures de plutonium. Il y a donc bien un dysfonctionnement sur létat de lenvironnement concernant létude dimpact.
Il en va de même pour létude dimpact avant la construction des laboratoires souterrains. Les laboratoires situés à Bagnols-sur-Cèze ne possèdent pas de mesures de tous les radioéléments avant la construction.
Tout cela nous renvoie à la pertinence de ces études dimpact faites par les exploitants.
Il ny avait donc pas de mesures de plutonium lors des études dimpact ; le rapport isotopique nétait pas le même que celui qui existe dans les essais nucléaires contrairement à ce que déclarait M. Vendryes.
De plus, lorsque, au sein de la commission locale dinformation, nous avons demandé à ce quait lieu un débat public, nous navons jamais été invités à faire un débat impliquant lIPSN ou la CRII-RAD. Cela est tout aussi surprenant.
M. Avrillier, je suis pour que soient mis en place des outils de méthodes afin que de telles expériences ne se reproduisent plus.
Vous avez parlé à ce sujet de démocratie. Il faut revoir, en fait, complètement le système de concertation avec les citoyens et la question des informations contradictoires quen tant que parlementaires nous pourrions obtenir.
Nous avons déjà des exemples sur lesquels nous pourrions reporter la méthode. Prenons celui de lEPR. De quelle information contradictoire disposons-nous ? Nous avons eu le colloque quavait organisé M. Birraux, très intéressant mais cétait quand même un débat dinitiés. De plus, nous navons pas les mêmes expertises contradictoires de la part des exploitants qui ont des moyens financiers pour la construction, ou dexperts indépendants, qui pourraient avoir accès à ces informations et nous communiquer des éléments. Cela engagerait les fonds de lEtat. Nous pourrions donc reprendre cette méthode sur lEPR, mais également sur le problème de la transmutation.
Car se pose encore des questions, des réacteurs sont encore sur le papier. Pourquoi ne pas se servir de la méthode que lon pourrait initier dans cette commission denquête sur Superphénix pour anticiper les nouveaux enjeux ? Il faut absolument « border » le futur ?
M. Raymond AVRILLIER : Sur le plan militaire, la situation a évolué depuis vingt ans et le Parlement pourrait remplir sa tâche sil essayait de faire le bilan, sans rompre le secret qui est maintenant beaucoup plus diffus, de la décision prise en matière militaire et civile dans le domaine nucléaire. Cette question nous lavons posée ; nous cest-à-dire les scientifiques dont certains ont participé, à lintérieur du CEA, à ces filières utilisant des réacteurs civils ou le retraitement civil pour des opérations militaires. La situation a changé et je crois que nous contribuerions à la paix et à éviter la prolifération, si nous menions des analyses en tant quinstances politiques et citoyennes sur un domaine qui est, jusquà présent, un domaine réservé.
Le Général Thiry indiquait, dans un article du Monde de 1978, que : « La France sait faire des armes atomiques de tous modèles et de toutes puissances. Elle pourra pour des coûts relativement faibles en fabriquer de grande quantité dès que les surgénérateurs lui fourniront le plutonium nécessaire. »
Le rapport annuel de 1973 du CEA indiquait en page 32 : « Le développement des surgénérateurs va permettre daugmenter progressivement et dans des proportions importantes, le nombre des armes produites aussi bien pour larmement stratégique que tactique. »
Nous avons là, sur ces deux interventions quil faut peut-être mesurer, une décision politique dorienter larmement dans un domaine tactique, larme du champ de combat, la multiplication des petites charges, qui a vu un intérêt dans le développement des surgénérateurs ou de la filière graphite-gaz qui pouvait servir à lépoque.
Je le dis sans affirmer, je ne fais que soulever une interrogation. M. le Président Galley hoche la tête, en effet, cela prête à débat.
Cela étant, ny a-t-il pas, dans le domaine des décisions civiles, à voir comment des décisions de politique internationale ou de politique militaire ont été prises sans le dire et sans avoir le temps du débat ?
Phénix a bien, en effet, été utilisé, quant à ses charges et à ses assemblages sortis par la suite, pour des fabrications militaires. Certains le disent. Cétait il y a vingt ans. Nous pourrions le regarder avec plus de sérénité, afin aussi déviter une prolifération nucléaire en Inde, au Pakistan ou ailleurs et avoir, dans le domaine de lexportation, un peu plus de prudence sur la centrale de Daya Bay ou sur les relations que nous entretenons avec tel ou tel autre pays.
Nous aurions une « reprise » de décision dans le domaine militaire qui serait aussi de lordre du politique et pas seulement de lordre du secret des instances séparées quest, malgré tout, le CEA. Ce serait utile. Comme nous sommes dans un élément de lhistoire, ce serait intéressant.
Cest vrai de laspect militaire-civil, cest également vrai du problème du retraitement.
Page 35 du rapport présenté devant le Conseil général de lIsère, M. Vendryes assurait en 1977 : « Dès maintenant, à tout moment, nous avons les moyens nécessaires de retraiter les combustibles des réacteurs-surgénérateurs ». Et bien cétait faux et cest toujours faux !
Cela veut dire que lAPEC est une installation durable quil va falloir gérer. Larrêt de Superphénix est une chance pour la raison que les assemblages sont « froids », ils sont moins irradiants, on peut les manipuler et il faudra du temps, dautant que ce sera la première fois, à travers le poste de transfert de combustible qui a remplacé le barillet largement défaillant et avarié.
Il faut exécuter ces transferts un par un, en argon et non plus en sodium. Ils seront entreposés tout dabord dans la piscine, puis dans des châteaux. Ce sont de vieux assemblages, souvenez-vous que le cur du réacteur de Superphénix date de la première charge en 1986 ; ils étaient prévus pour durer trois ans ils ne sont plus aptes à être réutilisés mais ils doivent être entreposés en prenant des précautions sur les gaines puisquil sagit de vieux assemblages. Ce démantèlement va prendre du temps mais il arrive à point puisque cela fait longtemps que ces assemblages sont arrêtés.
Cependant, il faut mettre en place une procédure. Il faut au moins avoir la décision politique de lancer les éléments dinstruction contradictoire pour la procédure qui doit être mise en uvre.
LAPEC est une installation quil va falloir gérer pendant quelques dizaines, voire centaines dannées parce que nous ne savons pas où entreposer ces assemblages radioactifs pendant des milliers voire des centaines de milliers dannées. Ils ne peuvent pas être retraités à La Hague, à moins que vous ayez des informations sur la possibilité de retraitement à La Hague des assemblages de Superhénix.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous sommes là plus sur un échange darguments que sur lenquête sur Superphénix.
Je travaille à un rapport sur laval du cycle. Le CEA étudie et a beaucoup avancé sur le problème condensé de lentreposage en surface de combustible irradié non retraité car, un rapport de lOffice parlementaire lavait mis en exergue, il y a des quantités assez conséquentes 350 tonnes par an de combustibles irradiés non retraités. Il existe un programme détude du CEA pour un entreposage de moyen terme. On ne peut donc pas dire que lAPEC ait un stockage figé, imposé aux malheureux habitants de lIsère. Il nest pas dit que tout cela ne va pas se trouver regroupé dans un site avec un entreposage adapté.
Je suis allé voir sur place, à Cadarache, le travail du CEA, il est assez avancé.
M. Yves FRANÇOIS : Jaimerais revenir sur les questions de M. Bataille sur le démantèlement et la réponse au problème de lemploi localement.
Daprès les rencontres que nous avons eues avec MM. Aubert et Péronet sur place, le démantèlement sera long ce qui va amortir le problème de lemploi localement.
De plus, un plan de reconversion est prévu dont M. Bouvier a précisé quil débute vendredi, qui devrait injecter une somme dargent non négligeable, de lordre de quinze millions de francs, sur le secteur pendant cinq ans, ce qui donnera à la région les moyens de répondre à ce problème demploi.
Quant à la question sur laprès-Superphénix et sur le futur des centrales et de la filière nucléaire, fermer brutalement toutes les centrales maintenant serait irréaliste. Avec 80 % de lélectricité fournie par le nucléaire, il faudrait être fou pour prendre une telle décision. Cela dit, continuer dans le nucléaire de la façon dont a commencé il y a une vingtaine dannées nest pas plus réaliste. Le problème des déchets nest pas résolu et, même si les techniciens qui travaillent dans le nucléaire font de leur mieux pour quil ny ait pas daccident, cette hypothèse est malheureusement toujours possible. Si nous avions à déplorer un accident grave sur une centrale classique comme celle de Bugey, que feraient les pouvoir publics pour gérer ce problème au sein des populations ?
Nous avons fait de la mono-industrie. Nous savons la fragilité dun tel système. En agriculture, nous savons bien quen ne faisant quune production, le jour où lon se trompe, cela fait mal.
Le fait davoir investi comme la France la fait dans lénergie nucléaire, nous a malheureusement poussé à négliger linvestissement dans les énergies renouvelables et dans la cogénération, ce qui nous met aux derniers rangs de la classe dans ces domaines. Cest dommage.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Si je comprends bien votre réponse, vous nêtes pas partisan du tout nucléaire pratiqué aujourdhui par EDF. Mais, pour préciser ma question, envisagez-vous une sortie complète de lénergie nucléaire ou envisagez-vous une meilleure répartition des énergies dans les besoins nationaux ?
M. Yves FRANÇOIS : A mon avis, il faut commencer par une meilleure répartition des énergies dans les besoins nationaux et, si nous pouvions sortir du nucléaire, évidemment, cela me plairait, à moins que nous parvenions à résoudre le problème des déchets et dautres qui ne le sont pas encore.
Pour linstant, il faut répartir lénergie de façon plus diversifiée, en faisant porter leffort sur les énergies renouvelables, avant, dici quinze à vingt ans, den venir à la sortie du nucléaire que je considère comme souhaitable.
Pour répondre à la question de M. Galley qui demandait pourquoi nous nous focalisions sur Superphénix, je répondrai dabord quil est vrai que le fait dhabiter à proximité me mobilise plus que si jhabitais à deux cents kilomètres. Mais Superphénix a été pour moi lélément déclencheur et si je suis élu aujourdhui à la Chambre dagriculture, cest pour moccuper de problèmes dagriculture et denvironnement.
Si lagriculture est productrice de revenus pour la Nation puisquelle représente plusieurs milliards à lexportation, elle a aussi des effets pervers. Je suis donc guidé par le même principe : essayer de voir comment améliorer la situation tout en maintenant lactivité économique. Ce nest pas une vue de lesprit focalisée sur larrêt de Superphénix.
Un dossier, agricole celui-là, me fait aussi beaucoup réagir actuellement, celui de lintroduction des organismes génétiquement modifiés. De la même manière, on sengage, pour des raisons économiques et financières évidentes, pour satisfaire des multinationales qui souhaitent rentabiliser largent quelles ont investi dans des recherches, dans un domaine que lon ne maîtrise pas. En tant quagriculteur, je ne vois pas lutilité de ces organismes pour linstant, pas plus dailleurs en tant que consommateur. Il existe pourtant une volonté qui sexerce, une mauvaise information, qui ressemble malheureusement à ce que lon a connu il y a vingt ans pour Superphénix.
Je fais un parallèle entre les deux et je me bats aussi contre cela. Le nucléaire nest pas mon point de focalisation, dautres problèmes me préoccupent mais cest de celui-là dont nous débattons aujourdhui.
Je puis vous rassurer sur le fait que nous essayons de voir les choses dans leur ensemble afin que notre société, à partir des événements qui se sont produits et des échecs que lon a vécus, parvienne à se resituer comme il faut. A partir du moment où un pouvoir politique car, en loccurrence, cest plutôt la technocratie qui a, plus ou moins, imposé ce choix à lépoque est capable de remettre en cause ses choix en disant : « On arrête, on discute et on informe », la démocratie ne peut quy gagner. Peut-être Superphénix restera-t-il dans lhistoire comme une avancée de la démocratie. Ce nest pas moi qui peut le dire.
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de MM. Bruno REBELLE,
Directeur général de Greenpeace France
et Jean-Luc THIERRY,
responsable de la campagne énergie de Greenpeace France
(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mai 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Messieurs Bruno Rebelle et Jean-Luc Thierry sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête leur ont été communiquées. A linvitation du Président, MM. Bruno Rebelle et Jean-Luc Thierry prêtent serment.
M. Jean-Luc THIERRY : M. le Président, mesdames, messieurs, permettez-moi dabord de vous remercier davoir invité notre association dans le cadre de ces auditions. Greenpeace sest intéressée depuis de nombreuses années à ce dossier de Superphénix, à la filière surgénératrice dans son ensemble, et surtout à lensemble de la filière de lextraction et de lutilisation du plutonium. En effet si le plutonium est une substance extrêmement dangereuse pour lenvironnement et la santé humaine, il nest pas moins nocif du point de vue de la sécurité internationale. Les essais indiens et la menace dessais pakistanais sont là pour nous rappeler que la question de la course aux armements atomiques nest pas close, et la France qui a fourni de la technologie nucléaire à plusieurs reprises à ces deux pays, doit particulièrement sinterroger sur les effets proliférants de sa politique étrangère en ce domaine.
II faut saluer lintérêt de lAssemblée nationale pour le dossier Superphénix. Malgré beaucoup de pétitions de principe en faveur dun large débat sur lénergie, celui-ci na été quesquissé. Etrangement, la question de Superphénix est revenue de manière périodique au cours des vingt-cinq dernières années. Il y a vingt-cinq ans, en effet, lAssemblée se prononçait en faveur de la création dune société de droit international, NERSA, pour assurer la mise en route du réacteur de Creys-Malville. Mais le débat de fond sest limité au minimum pour savoir où nous menait cette surgénération. A cette époque, les sous-entendus militaires étaient très actifs dans la prise de position sur ce débat. Il faut noter toutefois que lOffice parlementaire est revenu sur le sujet à diverses reprises.
Greenpeace est intervenue à plusieurs reprises dans le cadre des auditions de lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques. Nous avons fait appel en 1993 à des scientifiques pour mieux cerner les problèmes de sécurité et les risques propres à un surgénérateur. Je pense en particulier aux problèmes du mode de refroidissement, mais aussi à celui du coefficient de vide positif, incriminé dans laccident de Tchernobyl. Et nous les avons interrogés également sur la question de lincinération. Les conclusions dun de nos consultants, Richard Donderer, physicien et spécialiste du surgénérateur qui a fait plusieurs rapports sur Kalkar, ont été reproduites dans un rapport de lOffice en 1993.
Je ne vais pas me risquer à paraphraser les détails de ces rapports. Je voudrais seulement relever quelques aspects.
Les surgénérateurs refroidis au sodium il ny a pas dalternative, sinon le plomb, comme le disent les scientifiques russes, en oubliant que leurs sous-marins refroidis au plomb sont allés assez profond présentent des risques spécifiques de scénarios accidentels graves, qui nexistent pas sur des réacteurs à eau pressurisée ordinaires. Je voudrais mentionner quelques accidents qui sont survenus très récemment, je pense à laccident de Monju, feu de sodium, qui a visiblement mis en désarroi la communauté japonaise qui travaille sur ces questions. Le redémarrage de Monju est sujet à caution et, au-delà, toute utilisation du plutonium, y compris le Mox.
Lutilisation de Superphénix en mode sous-générateur, un mode pour lequel il na pas été conçu, aurait entraîné de nombreux problèmes dinstabilité du cur du réacteur. On ne peut laisser croire à lopinion publique quil suffit denlever des barreaux à un endroit et de les remettre ailleurs ou au placard. Il est évident quune nouvelle configuration change complètement les problèmes de sécurité. La réponse a été donnée en négatif par lautorité de sûreté qui a dit quil ny aurait pas de problème de sécurité parce que nous garderons une configuration stable. Ce que la DSIN na pas dit lorsque le débat a eu lieu, cest évidemment que si lon sapproche dune configuration la plus stable possible, il ny a pas de réduction de plutonium. Nous nous sommes trouvés en face dun faux débat.
En tout état de cause, lutilisation dun Superphénix sous-générateur naurait pu déboucher que sur une réduction très limitée du stock de plutonium, une quantité en tout cas très inférieure à celle qui a été produite par un Superphénix surgénérateur.
Je mentionnerai pour mémoire larrêt des programmes surgénérateurs en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, la panne très prolongée du surgénérateur de Monju au Japon. Je ferai également remarquer que les surgénérateurs russes ont des arrière-pensées et un fonctionnement technique très différents, en particulier au regard du combustible et des possibilités de fonctionnement à long terme. La France sest beaucoup investie dans le programme surgénérateur russe et peut être quen labsence de soutien français, ce programme serait déjà mort de sa belle mort, aussi bien en Russie quau Kazakhstan.
Vous me permettrez de faire une rapide digression sur lensemble de laval du cycle du combustible. Le problème de la filière des surgénérateurs étant directement lié à cette question.
M. le Président : Je tiens à souligner quà lOffice parlementaire, M. Bataille et moi-même nous occupons de cette question.
M. Jean-Luc THIERRY : A la suite dailleurs dun rapport très controversé de MM. Mandil et Vesseron, dont nous aurions aimé connaître la teneur. Mais les bribes dinformation reproduites dans la presse spécialisée laissent entendre que tous les scénarios nont pas été pris en compte pour le moment. Jespère que vous aurez à cur de développer des scénarios un peu plus volontaristes.
La France est, avec le Royaume-Uni, un des seuls pays à poursuivre de manière volontariste loption du retraitement et du Mox. LAllemagne na pas réussi à limposer à son opinion publique lusine de retraitement de Wackersdorf et lusine de Mox dHanau ont été annulées sous la pression des exécutifs régionaux et il est douteux que le Japon mette un jour en fonctionnement son usine de Rokkashomura. Partout dans le monde, les stocks de plutonium augmentent et la filière surgénératrice ne pourrait rien y changer. La stratégie Mox ne va pas influencer cet accroissement. La seule chose qui va réellement influencer linventaire de plutonium dans le monde, cest la poursuite ou non des programmes nucléaires dans un certain nombre de pays. Il y a lenjeu de lAllemagne, dont vous savez quelle se pose très sérieusement la question de larrêt de son programme. Mais dautres pays sont aussi en jeu. Lévolution du programme nucléaire au Japon est extrêmement controversée, à la suite de plusieurs accidents et dun tremblement de terre qui a fait beaucoup réfléchir à la sécurité des centrales japonaises.
Sans entrer dans les détails, on peut se demander sil est vraiment raisonnable de poursuivre une filière énergétique qui produit des déchets si encombrants que nos descendants risquent de payer aussi cher pour lentreposage des déchets et le démantèlement des installations que notre génération a gagné en produisant de lélectricité nucléaire. A moins de partager loptimisme dun scientifique qui estime que larrêt du nucléaire créera plus demplois que sa phase dactivité... Le démantèlement de Superphénix nest chiffré que de manière très approximative. Le chiffre de 10 milliards a été cité, ainsi que celui de 14 milliards, qui apparemment incluait un certain nombre dopérations qui ne sont pas directement liées au démantèlement. La réalité est que personne ne le sait, parce que des opérations essentielles ne sont définies pour le moment que sur le papier. Il existe en tout cas une estimation officielle pour celui de linstallation de retraitement UP1 de Marcoule : 38 milliards de francs, pas loin de quatre tranches de centrales nucléaires. Il faudra être conscient de la logique dans laquelle on sembarque avec certaines installations.
A propos de la rationalité de ce système, je voudrais conclure sur quelques réflexions du célèbre professeur Lew Kowarski, qui était en 1976 invité par le Président du Conseil général de lIsère de lépoque, M. Louis Mermaz, dans le cadre dun débat public sur Superphénix.
« La France, pays du cartésianisme officiel, est aussi le pays où les gouvernements font toujours confiance à ce que jai appelé [...] les compétences constituées. Les gouvernements écoutent leurs experts désignés, et nécoutent que ces experts. [...] Ces spécialistes techniciens, bien entendu, tirent leurs gains, leur carrière, leurs préoccupations quotidiennes des lignes suivies par les organismes auxquels ils appartiennent. [...] Cest un peu comme si, lorsque vous avez besoin dune voiture, vous vous adressez au représentant de Renault, il préconise lemploi de la Renault. Les autres, on ne les écoute pas. »
Vingt ans plus tard, nous nous retrouvons dans ce débat dans une situation assez semblable. Pour résoudre les problèmes du nucléaire, on propose plus de nucléaire. Pendant des décennies, le Parlement a voté des budgets de lEtat qui ont apporté des dizaines de milliards de francs pour la mise au point de réacteurs nucléaires. Je parlais du démantèlement dUP1. Dans la mesure où une partie de ce démantèlement relève du ministère de la défense, le contribuable va en financer une bonne partie. Ce chiffre napparaît nulle part dans le budget de la Nation. Il serait intéressant de pouvoir résumer tous ces chiffres.
La France doit maintenant à la fois sortir de cette menace nucléaire et honorer ses engagements internationaux de Kyoto. Il nest bien sûr pas simple de sextraire de limpasse économique et sociale dans laquelle nous a plongé le choix du tout-nucléaire. Il est peut-être temps daborder cette question dans un esprit réellement pluraliste. Nous pensons que des scénarios existent et nous sommes tout disposés à revenir en discuter avec vous dans le cadre dun travail plus approfondi de lAssemblée, dans le cadre de cette recherche de sources alternatives dénergie et surtout dun autre mode de consommation.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous mettez bien en évidence quaujourdhui, lon ne discourt pas du nucléaire civil sans faire référence au péché originel du nucléaire militaire. Cest un argument que lon entend souvent.
La fermeture de Superphénix vous paraît-elle devoir intervenir de façon immédiate ?
Vous avez donné votre appréciation sur les réacteurs à neutrons rapides. Pourriez-vous préciser si ces réacteurs vous paraissent plus ou moins sûrs que les réacteurs à eau légère ?
Quels ont été les principaux incidents à déplorer ou à craindre sur Superphénix ?
Mon dernier groupe de questions porte sur laprès-Superphénix. Quel sera le devenir de lindustrie nucléaire civile en France à moyen et long termes ? Cet arrêt est-il, selon vous, une mesure suffisante ?
Proposez-vous daller plus loin, de sortir du nucléaire, comme cela a été dit ? Pensez-vous quil faille un rééquilibrage entre les différentes formes dénergie ou proposez-vous, sur le long terme, la fermeture des centrales les unes après les autres ?
M. Jean-Luc THIERRY : La position de Greenpeace est connue : Greenpeace est pour la sortie du nucléaire dans tous les pays, quil sagisse des pays industrialisés ou des pays du tiers-monde qui sengagent dans une impasse extrêmement difficile. Je pense notamment à lInde et au Pakistan.
Larrière-pensée militaire était présente il y a encore dix ans dans létat-major du ministère de la défense. Il est évident quun réacteur qui produit un plutonium de qualité militaire à 96 % est une machine idéale. Lidée, je le rappelle, était encore alors de déployer des armes tactiques sur le sol de nos amis allemands. A cette époque, on estimait que lon navait pas assez de plutonium et que les surrégénérateurs offriraient un soutien utile.
De la même façon, lInde et le Pakistan sengagent dans une course aux armements ; leur recherche de nucléaire civil ne sert quà cacher ce programme. Il ny a aucun doute à ce sujet. Je rappelle que le Président de la République qui était en visite en Inde fin janvier, était accompagné du directeur de FRAMATOME. Lun des enjeux importants de cette visite était la discussion de nouveaux contrats avec lInde. Nous sommes dans cette situation.
Les enjeux militaires sont transparents sur toute cette période. Ce sont eux qui ont permis de dégager les dizaines de milliards nécessaires pour faire survivre artificiellement cette filière. Placés dans la seule logique économique, ces milliards ne seraient pas venus.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Pour synthétiser ce que vous dites, il ny a pas de développement possible du nucléaire civil indépendamment des objectifs militaires ?
M. Jean-Luc THIERRY : Je dis que ces objectifs militaires restent sous-jacents à tous les choix nucléaires internationaux. Tout plan de développement collectif comporte cette préoccupation militaire.
Le militaire est présent partout dans laccès aux documents administratifs. Quand on demande des documents administratifs, par exemple, sur les quantités de plutonium, on nous renvoie au secret défense. Je puis vous montrer les différents documents qui nous ont été retournés ainsi par la CADA. Cest clair, le nucléaire continue à vivre dans une ambiance de secret défense.
Je dis également que limpulsion économique lui a été donnée par la guerre froide. Sans cette impulsion, le nucléaire naurait pas survécu.
Pour revenir à votre question sur Superphénix, vous dites que Superphénix a été arrêté rapidement. Jai, pour ma part, en tant que manifestant de 1977 dans une manifestation où il y a eu mort dhomme et des personnes mutilées , limpression que lon a mis très longtemps pour comprendre et que tout le monde a réagi très lentement, non seulement les gouvernements successifs, mais aussi lAssemblée nationale, qui ne sest pas préoccupée de ce problème au cours des vingt dernières années. Dans les deux cas, je vois là un retard extrêmement critiquable de lensemble de ces institutions.
Pourquoi a-t-il fallu attendre il y a seulement quelques années pour connaître le prix réel de Superphénix, alors que ce prix était accessible il y a dix ans ? Ce retard a marqué lensemble de la procédure.
Superphénix présente-t-il des risques spécifiques ?
Bien sûr. Actuellement, il nest plus possible de concevoir un réacteur surgénérateur ou autre, qui a un risque de coefficient de vide positif. Cela paraît être un « truc » de scientifique. Je ne le pense pas.
Les développements de lEPR, ce réacteur européen, ont montré quil ne sera plus possible de développer des réacteurs intrinsèquement dangereux. Or, un réacteur surgénérateur est intrinsèquement dangereux, en raison de son caractère explosif. Les scénarios explosifs ne sont pas les mêmes dans un surgénérateur et un REP. Dire lequel fera le plus de morts, on ne le saura quà la fin car de nombreux autres facteurs entrent en jeu. Civaux a connu un accident assez spectaculaire qui montre bien que, même dans un réacteur à larrêt, on peut avoir un scénario accidentel extrêmement grave. Dans la conception même, on a quelque chose de dangereux.
Jai discuté avec des scientifiques russes, amis de M. Vendryes. Tous ces gens se sont rencontrés pendant des dizaines dannées, ils se connaissent au-delà des frontières depuis très longtemps. Et lon entend dire que le sodium nétait peut-être pas un bon choix, que lon va partir sur dautres réfrigérants, mais la réalité est quil nexiste pas dautre choix. On ne pourra pas faire de réacteur différent. On peut éventuellement augmenter lépaisseur des murs et de lacier, mais lon se heurte alors à un problème incontournable de coût. Or, le coût dun surgénérateur est déjà prohibitif. Cette option surgénératrice me semble morte et les pays qui ont conçu ces programmes dans les années 1960 sont bien obligés maintenant dadmettre quils doivent sarrêter.
En ce qui concerne le reste du programme nucléaire, le choix français sera de plus en plus isolé. Soit la France comprend quelle doit imaginer un futur énergétique différent en ayant recours à des énergies qui sont également critiquables mais disponibles facilement et noffrant pas de difficultés techniques majeures. Je pense à la cogénération au gaz ou autre. La France occupera alors une part normale dans le commerce de lélectricité européen et pourra faire des investissements dans dautres secteurs, comme ceux de léconomie dénergie et des énergies renouvelables. On peut alors imaginer à terme une France qui puisse être dans un rapport normal avec ses voisins. Soit, la France sisole dans un choix nucléaire je dis « sisole » parce que ses partenaires européens sen écartent les uns après les autres et elle jouera un rôle de plus en plus dangereux au niveau international. Sa coopération avec certains pays du tiers-monde risque alors de lamener à des choix économiques ou politiques dangereux. Economiquement, ces choix sont dangereux parce que tout le monde sait que les marchés conclus avec la Chine, par exemple, le sont avec une marge bénéficiaire extrêmement faible, voire inexistante, faisant lobjet dun subventionnement plus ou moins direct de lEtat français. Politiquement, ils sont dangereux parce que cette série dengagements avec dautres pays entraîne la France dans une sorte de spirale de logique qui la mettra en position internationale difficile. On le voit avec la question du Pakistan et de lInde.
M. le Président : Il est un pays que vous navez pas évoqué et que la France a aidé dans ce domaine, cest Israël. Que pensez-vous de ce soutien ?
M. Jean-Luc THIERRY : Greenpeace na pas vocation à intervenir dans tous les domaines de diplomatie internationale, il ny a donc pas une position de Greenpeace sur la livraison de technologies nucléaires à Israël. Il est cependant évident que nous condamnons cette transmission de savoir-faire nucléaire à Israël.
De plus, je nai pas du tout la même interprétation que vous sur la survie dIsraël. Si vous observez la situation actuelle, ce qui fait la position dIsraël, cest le soutien des Etats-Unis, pas sa bombe atomique. Sa bombe atomique, au contraire, a alimenté un conflit au Proche-Orient dans lequel la France a été engagée, à mon avis, à son corps défendant. Cela a été un piège stratégique, beaucoup plus quun avantage. La bombe israélienne est un poison dans les relations dans la région. Or, la France est à la racine de cette livraison.
Vous parlez du rôle de la France, mais la France a aussi livré à lIrak et la France dit quelle va maintenant développer laide aux autres pays du Proche-Orient. Mais jusquoù va-t-on aller ?
Nous livrons de la technologie à la Chine, qui la livrera à son tour à lIran. Comment ferons-nous pour maîtriser ce processus ? Cest impossible. La France ne peut pas sérieusement contrôler les transferts de technologie qui se font vers lIran.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Puisque vous envisagez la sortie du nucléaire, je voudrais connaître les énergies alternatives que vous préconisez, étant entendu quune fois renforcé le nécessaire effort vers les économies dénergie, et développées les énergies renouvelables éolienne, lhydroélectrique nétant plus tellement possible en France puisque nous avons atteint le plafond , cela ne suffira pas. Quelle appréciation portez-vous sur les grandes énergies fossiles qui, aujourdhui, semblent les seules alternatives possibles au nucléaire pour satisfaire nos besoins en énergie ?
M. Jean-Luc THIERRY : Le problème est effectivement complexe parce que la France sest enferrée dans une production électrique qui est à 80 % dorigine nucléaire. Se pose donc un problème dinvestissement dans les sources nouvelles.
La première question est de savoir si nous avons besoin de sources nouvelles ou si lon peut profiter de la fermeture de réacteurs pour faire léconomie de nouvelles infrastructures, ce dont nous sommes persuadés.
Quand vous dites que les économies dénergie ne suffiront pas, cest parce que, pour le moment, les économies dénergies sont envisagées dans un système fixe, cest-à-dire à production comparable. Mais lon peut imaginer les choses autrement.
Prenons le secteur des déchets. Greenpeace sest aussi investie, vous le savez, dans la question de la gestion des déchets, comme le montre cette histoire de dioxine dont on parle ces jours derniers.
On peut envisager un plan déconomies dénergie qui définit combien de déchets seront recyclés, ce que lon aura comme gain thermique à partir de là.
On peut également réfléchir à un système totalement différent des transports de marchandises, de leurs emballages et de leurs recyclages. Je ne parle pas seulement du recyclage passant par une usine, mais du recyclage direct des emballages. Mais cela suppose une action concertée des pouvoirs publics et des industriels et une standardisation des emballages, avec des lieux de collecte décentralisés, qui éliminent les frais de transport considérables des déchets. Un rapport publié lan dernier montre que le seul transport des déchets coûte à la Nation une quantité énorme de pétrole.
Il faut poser les questions de manière radicale, en reprenant, secteur par secteur, les productions qui peuvent être évitées. A notre avis, une telle démarche engendrerait des gains dénergie fantastiques.
De même, quand on parle dénergies renouvelables, il faut les considérer à leur échelle véritable. Nous avons actuellement des chargés de mission dans différents pays qui étudient cela. Je citerai le cas du Danemark et de la Hollande, pays dans lesquels lobjectif est datteindre des parcs éoliens off shore de lordre de 10 000 MW.
Des plans similaires, bien que moins avancés essentiellement en raison de la position du Gouvernement, sont étudiés en Ecosse et dans certains autres pays.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : 10 000 MW ?
M. Jean-Luc THIERRY : Absolument.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous disposez de rapports à ce sujet ?
M. Jean-Luc THIERRY : Bien sûr. Pour le Danemark, il sagit de rapports officiels. Avec 10 000 MW, on doit arriver à la hauteur de la consommation du Danemark, qui est nettement moins peuplé que la France.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Cela me paraît assez étonnant.
M. Jean-Luc THIERRY : Vous connaissez très bien les chiffres.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Oui, mais 10 000 MW !
M. Jean-Luc THIERRY : Une éolienne moderne fournit 1 MW sans difficulté. On peut même imaginer des éoliennes à 2 MW les Américains travaillent là-dessus actuellement.
Létablissement déoliennes off shore posera sans doute des problèmes de droit international et même des problèmes écologiques. Cela dit, dans létat actuel de nos connaissances, établir 10 000 éoliennes off shore ne pose pas de problème. Certes, ce nest pas trivial et cela pose des problèmes damortissement, dingénierie ou de fabrication en série, mais il nexiste, pour le moment, aucun obstacle majeur.
Vous dites que 10 000 éoliennes, cest énorme. Mais je me suis livré à un petit calcul un peu fantaisiste dans la mesure où il ne correspond pas à la réalité du vent dans toute la France. Si lon transformait chaque pylône EDF haute tension en éolienne qui sont dun encombrement similaire et présentent peut-être moins dinconvénients , nous dépasserions largement le programme nucléaire français.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je voulais dire que cest énorme en production. Enfin, soit, encore 10 000 MW ne résolvent-ils pas le problème dun pays comme la France. Ils permettent seulement de réduire les besoins.
M. Jean-Luc THIERRY : Comparons des choses comparables, la France et le Danemark nont pas le même périmètre côtier.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je voudrais vous entendre parler du charbon, du pétrole et du gaz.
M. Jean-Luc THIERRY : Nous pensons quil est important que les pays les plus développés, qui ont a priori les capacités dinvestissement les plus importantes, aillent le plus vite possible vers les énergies renouvelables. La logique de transmission de technologies doit se faire à linverse de ce quelle a été dans la période de guerre froide.
Nous étions dans une logique de fonctionnement international basée sur le plan de latome pour la paix Atom for Peace. Cest le discours dEisenhower. Les puissances qui possédaient la bombe atomique se faisaient un devoir de transmettre le savoir-faire nucléaire aux autres Nations. Le travail, le rôle premier de lAIEA nest pas de contrôler, mais de promouvoir le nucléaire dans le monde.
Nous pensons que devrait exister, au même niveau que lAIEA, une agence internationale de lénergie qui permette cette transmission du savoir entre pays développés et pays du Sud ou de lEst.
A notre avis, les investissements à privilégier dans les pays occidentaux développés sont ceux portant sur le gaz en cogénération, qui présentent un moindre risque écologique par rapport à leur rendement électrique.
Il faut également se poser la question de savoir si ces investissements sont nécessaires. Cela ne coûte-t-il pas moins cher de trouver léquivalent en électricité en faisant des économies dénergie ? Si un plan déconomies dénergie permet de dégager une puissance de 1 000 MW, pourquoi construire de nouveaux réacteurs ?
Pour le moment, les recherches entreprises en matière déconomies dénergie sont peu nombreuses.
Cest un vaste problème auquel je ne pense pas que lon puisse répondre de manière institutionnelle. Louverture du marché électrique européen posera à nouveau toute une série de questions.
Par exemple, EDF, en tant que service public, peut-elle se permettre de faire la promotion du chauffage électrique ? Cest inconcevable. Greenpeace et dautres associations se sont demandé sil ne fallait pas attaquer EDF en justice sur cette question. Il est, en effet, inconcevable quune entreprise nationale incite au gaspillage énergétique. Cest un des multiples exemples.
Si lon se situe réellement dans une logique déconomies dénergie, il faut à lévidence changer les mécanismes comptables et de concurrence.
M. Bruno REBELLE : Au moment où lon essaie de travailler sur la redéfinition dune politique énergétique, derrière votre question sur le charbon, le pétrole et le gaz, se pose celle de lindépendance énergétique. Le meilleur choix, sur le très long terme, nest-il pas de bâtir une politique énergétique sur des ressources a priori gratuites et inépuisables ?
Il serait intéressant de voir souvrir un vrai débat de fond, non seulement sur lidée de savoir comment remplacer un réacteur nucléaire par un champ déoliennes ou des panneaux solaires, mais aussi sur la façon dont on imagine laménagement du territoire, la ville, les transports, la consommation domestique dénergie dénergie, pas délectricité à léchelle dun pays comme la France, avec, pour chacun de ces secteurs, lalternative daller vers moins de consommation et de plus en plus dénergies renouvelables.
Il faut sortir du schéma simpliste, avec dun côté de grandes centrales de production, de lautre de gros centres de consommation et, entre les deux, de grosses lignes à haute tension. Cest sur la redéfinition de fond dune politique énergétique quil faut faire une révolution culturelle.
M. le Président : Jai été lun des partisans les plus acharnés du chauffage électrique des bâtiments parce que je considérais que cétait le seul moyen déviter la propulsion dans la nature de SO2 et CO2 dont Greenpeace est susceptible comme moi de dénoncer les méfaits. Je ne comprends pas très bien votre hostilité vis-à-vis du chauffage électrique, si ce nest parce que cela engage EDF à construire des centrales nucléaires pour produire lélectricité.
M. Jean-Luc THIERRY : Il suffit de dresser le bilan énergétique de lensemble. Entre ce que vous consommez pour produire lélectricité, ce que vous consommez au cours du transport et ce qui est effectivement consommé dans la transformation en calories, le bilan énergétique est catastrophique. Il faut réinventer des mécanismes de chauffage de bâtiments publics et individuels qui permettent de faire la place à dautres technologies. LUnion européenne sest engagée récemment, par un Livre Blanc sur la promotion de lénergie solaire dans lhabitat et dans les bâtiments publics, dans un programme extrêmement intéressant et ambitieux. Ce ne sont pas que des hypothèses farfelues.
M. le Président : Jai vu une installation remarquable avec des cellules photovoltaïques et une autre fort intéressante près de Vérone dans laquelle existait un énorme réservoir dans lequel on chauffait de leau constituant le matelas énergétique.
Mme Michèle RIVASI : Je conseille à M. Bataille daller aux Canaries où il verra des éoliennes à 1 MW. Cela existe et, en plus, cela fournit de lélectricité à 2 400 personnes et jajouterai pour répondre à M. Galley, quil faut plutôt raisonner en termes de réseaux cumulant à la fois cellules photovoltaïques et éoliennes. Ainsi, on a de lélectricité à tout moment, et décentralisée. Il faut faire des plans de simulation pour savoir exactement par rapport aux besoins ce que cela peut donner dun point de vue énergétique.
La commission a reçu des associations franco-françaises. Vous êtes une association internationale. Nombre de pays ont abandonné les réacteurs à neutrons rapides. Nous nous demandons si cela vaut la peine de relancer des réacteurs à neutrons rapides. Daprès vous, pourquoi les autres pays, à part le Kazakhstan et la Russie, ont-ils abandonné cette filière ?
LInde voulait construire un réacteur à neutrons rapides mais, renseignements pris, il nest que de 2 MW. Sils le font, est-ce, à votre avis, à des fins militaires ? Je pose cette question car lun des enjeux de cette commission est de savoir à quoi servent ces réacteurs à neutrons rapides.
Pensez-vous quexistent des liens entre les Français et tous les pays équipés de réacteurs à neutrons rapides, cest-à-dire le Kazakhstan, la Russie, le Pakistan et lInde ?
Vous êtes intervenus lors des essais nucléaires à Mururoa et à Fangatofa. Conduirez-vous des actions identiques au Pakistan et en Inde puisque vous êtes une organisation internationale pour la paix ?
M. Bruno REBELLE : Nous avons déjà mené des actions dans le monde entier à propos des essais indiens. Il se trouve quen France, elle sont passées inaperçues en tout cas, dans la presse. Il y a eu des protestations devant lAmbassade dInde avec une remise de courrier à lambassadeur, ainsi quune remise de lettre à lambassadeur du Pakistan lui demandant de ne pas entrer dans la course. Des manifestations ont eu lieu dans le monde entier pour faire état de notre opposition à tout essai nucléaire, quil soit le fait de lInde, du Pakistan, des Etats-Unis ou de la France.
Greenpeace est née en 1971 par opposition aux premiers essais nucléaires américains dans la Baie dAmchitka (Alaska). Sopposer à toute utilisation de larme nucléaire et à tout essai pour la mettre au point est donc une lutte qui a une valeur fondamentale pour Greenpeace. Sans dévoiler ce qui pourrait se passer dans les semaines qui viennent, il est évident que nous sommes extrêmement attentifs à la possible réaction pakistanaise. Daprès nos informations, elle est imminente, malheureusement. Il est très probable que notre organisation ait des réactions très fortes sur la scène internationale.
M. Jean-Luc THIERRY : Nous avons des gens présents dans ces deux pays. Notre délégation en Inde doit rencontrer des ONG indiennes pour envisager une riposte sur le fond. Au cours du week-end qui a suivi lessai indien, une première manifestation sest réunie à Delhi. Nous espérons obtenir une réponse plus unitaire des ONG. Nous y travaillons.
Pour ce qui est de leffet proliférant de la technologie française, cest extrêmement compliqué car chaque Etat renvoie la responsabilité sur un autre. Il est certain que le Canada a pesé très lourd dans la prolifération en Inde.
Il faut comprendre comment fonctionnent ces mécanismes de transmission. Chaque pays transmet un segment de savoir-faire. Dans le cas de lIrak, lAllemagne et lItalie étaient impliquées alors que le programme italien est pourtant extrêmement réduit en la matière. Mais tous font du commerce, éventuellement en sous-traitance car il est assez facile de modifier une étiquette, et les contrôles parlementaires ne sont pas très efficaces. Sils lavaient été, nous naurions pas connu la situation dans laquelle nous avons été avec lIrak.
En Inde, la France a été continuellement en négociation pour fournir de luranium très enrichi. Nous sommes donc vraiment très impliqués dans cette affaire. Une autre portion, peut-être une cellule chaude, a probablement été vendue par lItalie. Cest tout ce puzzle qui donne à lInde la possibilité de faire des essais, en toute légalité dailleurs puisquelle nest pas signataire du Traité de non prolifération.
Il y aurait plus de transparence dans ce domaine si tout nétait pas sous le secret défense. Peut-être le citoyen moyen se rendrait-il compte dans quoi lon sengage à long terme.
La question de savoir pourquoi certains pays se sont engagés dans cette expérience du surgénérateur et dautres pas est compliquée.
Ce qui est à lorigine, ce nest pas le surgénérateur, même si cette machine magique faisait rêver les scientifiques depuis les années 1940 et si lon a imaginé les surgénérateurs dès que lon a conçu les premiers modèles de centrales. Lobsession davoir une énergie illimitée était là, dès le début. Aux Etats-Unis, des incidents et des accidents graves qui ont eu lieu dès le début ont fait que le programme était mal parti. En Russie, le premier surgénérateur a été mis en route dans les années 1950. La technologie des surgénérateurs nest donc pas une technologie davant-garde, mais une technologie qui a mis énormément de temps à se concrétiser, qui a été enfantée dans la douleur.
Mais il faut distinguer, là encore, les puissances nucléaires militaires et les autres. En réalité, cest le retraitement qui a entraîné le surgénérateur parce que si lon veut faire une bombe, il faut retraiter. UP1 est une usine militaire. La France sest lancée dans le retraitement pour des raisons militaires. Certains militaires déclaraient même que La Hague offrait aussi des possibilités en la matière. La Hague peut tirer de la matière nucléaire. Cétait prévu quand cette usine a démarré. Il fallait avoir une justification par rapport à lopinion publique. Et la justification, cétait lutilisation de ce plutonium dans les surgénérateurs. A lépoque, le CEA, vous vous en souvenez certainement, pensait quil y aurait à la fin du siècle au moins une dizaine de surgénérateurs qui devaient absorber lensemble du plutonium fourni par le parc. Cela ne sest pas passé comme prévu et lon a été obligé dinventer le Mox pour les réacteurs à eau pressurisée.
En bref, certains pays ont reconnu leurs erreurs plus vite pour des raisons économiques et politiques.
Les Etats-Unis ont eu un débat plus clair sur les mécanismes de prolifération et en sont venus à la conclusion quil ne fallait pas sengager dans cette technologie de retraitement à des fins civiles parce quelle était la voie ouverte à la prolifération dans nombre de pays. Cest encore leur position. Mais nous soulignons cependant son hypocrisie parce que les Etats-Unis se gardent le droit de développer leur arsenal militaire.
LAngleterre, avec une logique économique à langlo-saxonne, a été influencée par le débat sur le coût du nucléaire. Lorsque lon a parlé de privatisation du secteur nucléaire en Grande-Bretagne, des chiffres sont apparus et une partie du secteur industriel a commencé à se désintéresser du nucléaire. Il fallait envisager lavenir autrement.
Sans prendre position cela a été dit par un physicien qui travaillait sur lincinération , il est vrai que la logique du plutonium est celle de la continuation du nucléaire à perpétuité, cest-à-dire que les pays qui sengagent à fond dans le plutonium sont ceux qui pensent que le nucléaire apportera lénergie à lhumanité dans un siècle ou deux.
Actuellement, ces pays sont extrêmement minoritaires. Autour de la France, les chaises se vident : le Japon envisageait un développement énorme qui lamènerait à 50 % de son électricité produite au nucléaire mais, à lheure actuelle, il se pose des questions car les gens ont été très choqués par laccident de Monju et quun référendum autour dun site de centrale nucléaire a donné une large majorité aux opposants.
Soit dit en passant, un référendum en Russie a aussi donné une large majorité aux opposants. Greenpeace était présent dans la campagne qui a eu lieu autour de ce référendum. Il ny a toujours pas eu de référendum en France à ce sujet. On ne peut donc pas juger, mais ce serait intéressant pour comparer à la Russie.
Ensuite, qui est encore intéressé par le plutonium ? Les pays qui narrivent pas à se « dépatouiller ». LAllemagne, qui ne sait comment faire face à lopposition du peuple.
Sur le nucléaire, on est dans une position dopposition frontale je sais bien que cest un peu « tarte à la crème » - mais cela se retrouve dans le débat sur lEurope. Le nucléaire est lillustration parfaite du partage entre le peuple et les élites. Il en est de même dans tous les pays. La proportion de députés critiques à légard du nucléaire au sein de lAssemblée est loin dêtre représentative de celle des opposants à lintérieur de la population. Je ninvente rien. Les sondages IPSN et EDF montrent tout de même quune portion importante de la population française souhaiterait que lon sorte du programme nucléaire actuel. Jadmets quune bonne partie des Français na pas dopinion ferme, mais cette minorité importante est reflétée à lAssemblée nationale par moins de dix députés.
En France, comme en Allemagne ou en Angleterre, il existe un divorce complet auquel il va bien falloir apporter une réponse dune manière ou dune autre. Malheureusement, parce que ce nest pas mon approche, je pense que lapproche libérale du marché électrique européen finira par gérer cela. Mais je préférerais que lon ait une discussion plus rationnelle avant, sur une possibilité de transition énergétique.
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de M. Pierre DAURES,
Directeur général dEDF
(extrait du procès-verbal de la séance du 2 juin 1998)
Présidence de M. Alain MOYNE-BRESSAND, Secrétaire
Monsieur Pierre Daurès est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Pierre Daurès prête serment.
M. Pierre DAURES : M. le Président, messieurs les députés, vous avez souhaité, dans le cadre de cette commission denquête, mauditionner dans mon domaine de compétence, plus particulièrement sur Superphénix et sur la filière des réacteurs à neutrons rapides. Mais il mest finalement apparu indispensable, dans ce propos liminaire, de vous livrer la lecture dEDF sur les choix qui ont été opérés dans ce domaine il y a une vingtaine dannées. La décision darrêter ou de ne pas arrêter Superphénix me semble en effet devoir se situer quand même au regard de ces anciennes options car seul ce travail de mémoire permet de bien comprendre les logiques propres à ceux qui, à lépoque, ont eu à choisir et préparer, à long terme, lavenir énergétique du pays.
Ensuite, si vous me le permettez, je décrirai très brièvement, car tout le monde les conserve en mémoire, les étapes qui ont rythmé la construction et lexploitation de Superphénix et, enfin, jaborderai la période dabandon pour indiquer comment nous vivons les choses.
Je nai pas prévu de traiter dans mon exposé le problème du devenir de la filière à neutrons rapides mais je répondrai aux questions qui pourront éventuellement mêtre posées sur le sujet.
Si lon se reporte à lhistorique, il faut se rappeler que le parc nucléaire mondial sest constitué dans les années 1960 et quil a connu, dans les années 1970, en riposte aux différents chocs pétroliers, un développement spectaculaire, de sorte que le nombre dunités couplées au réseau dans le monde est passé, de 1970 à 1980, soit en dix ans, dun peu moins de 100 à un peu plus de 250. Parallèlement, la puissance de ces unités avait considérablement augmenté ce qui fait que dans le même temps, cest un facteur 7 qui est intervenu dans les MW installés et couplés au réseau.
Evidemment, ce développement rapide de lélectricité dorigine nucléaire en substitution à celle dorigine pétrolière, allié à des perspectives très fortes daccroissement de la demande délectricité, a conduit les experts de lépoque à pronostiquer des besoins en uranium naturel élevés puisquon imaginait dans les années 1970 que vingt ans plus tard nous aurions besoin pratiquement de 100 000 tonnes duranium par an pour alimenter ces réacteurs.
Or, il convient de se rappeler quà ce moment-là, les réserves mondiales étaient de lordre de 640 000 tonnes ce qui représentait six à sept années de consommation annuelle.
Tout cela correspondait, bien sûr, à lidée que les filières matures de production délectricité nucléaire graphite-gaz et eau légère partaient toutes, après enrichissement, de luranium naturel dont il fallait donc de grandes quantités. Personne ne sétait réellement intéressé de très près à la création dinstruments propres à mieux utiliser luranium naturel et aucune étude approfondie, au niveau industriel en tout cas, de la filière à neutrons rapides navait été engagée ce qui est dailleurs assez étonnant dans la mesure où la filière à neutrons rapides aurait pu voir le jour très tôt puisque le premier réacteur électrogène à avoir été créé, EBR1 construit aux Etats-Unis, était un réacteur à neutrons rapides.
Lessentiel de lindustrialisation sest faite autour dune part, des réacteurs à eau américains dus à la mise au point des technologies sous-marines et dautre part, des réacteurs français et européens dus au graphite-gaz qui était nécessaire à la création de larme nucléaire.
Les réacteurs à neutrons rapides avaient fini par faire lobjet dun certain nombre de recherches on cite les réacteurs Clémentine, le BR5 dObninsk en URSS, Dounreay en 1959 , Harmonie, Masurca, Rapsodie mais tout cela cétait des piles de toute petite dimension qui navaient rien à voir avec le développement considérable des réacteurs à eau légère.
Ce sont toutes ces données quil sagit de garder en tête car on imagine aisément que les prospectivistes de lépoque, se trouvant à la tête dun parc de centrales en constant développement et simaginant ne disposer dans la terre que de quantités de combustible équivalant à six ou sept années de consommation, étaient travaillés par un souci immédiat qui consistait à savoir comment, dans ces conditions, assurer économiquement lalimentation de ces réacteurs et éviter la raréfaction de luranium naturel.
Bien évidemment, ils sont tombés sur la filière à neutrons rapides qui présente, comme vous le savez, la caractéristique essentielle de mieux utiliser luranium naturel puisque, dans un surgénérateur, leffet global est que lon consomme, en fait, de luranium 238 dont les réserves sont cent fois plus importantes que celles duranium 235
on consomme du fertile et pas du fissile et qui, dun seul coup, permettait de multiplier par soixante les réserves dénergie disponible.
Dans ces conditions, il était indispensable, par souci non seulement de sécurité pour lavenir mais également déconomie, dessayer daméliorer significativement le rendement de nos réserves énergétiques et on comprend donc que les décideurs de lépoque, dans la mesure où ils avaient conscience que les réserves allaient sépuiser et quil fallait mettre au plus vite en service des réacteurs à neutrons rapides et des filières de réacteurs à neutrons rapides, aient souhaité, outre la filière à neutrons rapides, une industrialisation accélérée ! Non seulement, il était inéluctable de se poser la question mais il fallait aussi agir vite !
De ce fait, un peu partout dans le monde, la décision a été de développer ces filières et cest ainsi que lon a vu naître des installations surgénératrices : BN350 en URSS en 1964 ; PFR en Grande-Bretagne en 1964 ; Phénix en France en 1968 ; BN600 en URSS tout allait très vite puisquen quatre ans on passait de BN350 à BN600 ; Kalkar en Allemagne en 1973 ; Clinch River aux Etats-Unis en 1973 et Superphénix en 1974.
On voit donc bien que ce mouvement était un phénomène, dune part logique, dautre part mondial, dindustrialisation rapide.`
Avec le temps, on saperçoit de ce qui sest passé. On a dabord observé un ralentissement de la consommation délectricité partout en Europe, et en France en particulier. On a enregistré, non pas une décroissance mais un ralentissement de la demande délectricité. On a ensuite découvert des gisements duranium extrêmement riches au Canada et en Australie et on est, enfin, parvenu à une utilisation des combustibles un peu meilleure que ce que lon pouvait imaginer dans nos réacteurs à eau légère.
Quant on tire le bilan de tout cela, on saperçoit finalement que la consommation mondiale duranium naturel en 1998 a été de 65 000 tonnes par an et non plus de 100 000 tonnes comme on lavait imaginé, quelle est à peu près stable alors que lon attendait une croissance rapide et que, par ailleurs, les ressources qui étaient évaluées à 640 000 tonnes en 1970 pour lhorizon 1990, sont aujourdhui de 3,5 à 4 millions de tonnes pour un coût dextraction de 80 dollars par kilo.
On est donc passé de réserves pour six à sept ans à des réserves pour pratiquement 50 années de consommation ce qui a changé et change, pour tous les pays, considérablement la donne !
Si jajoute que lon a également poursuivi lamélioration des performances graduelle de nos combustibles à base duranium puisque vous savez que nous sommes partis avec des combustibles qui étaient destinés à produire 35 000 MWj par tonne, alors quaujourdhui on vise une efficacité énergétique proche du double, on mesure léconomie réalisée grâce à lintelligence et au retour dexpérience que nous avons pu appliquer sur nos combustibles propres. Si lon ajoute encore, comme cest le cas en France, léconomie procurée par le moxage dun certain nombre de tranches, cest-à-dire lintroduction de plutonium dans des combustibles mixtes, pour les centrales REP 900 MW en particulier, on mesure combien les besoins en uranium naturel se sont ralentis.
Tout cela finit par mettre en évidence un bilan qui, vu daujourdhui, nest évidemment plus favorable à un développement rapide des surgénérateurs. Telle est la chaîne historique mais il faut bien voir quon peut dire, si lon se reporte aux années 1970, que celui qui naurait pas proposé le développement des surgénérateurs aurait manifestement commis une erreur face aux données quil avait en sa possession.
Jen arrive au deuxième point de mon exposé, à savoir le bilan de Superphénix. Je ne vais pas retracer lhistoire de cette installation puisque vous la connaissez tous, mais je crois bon, tout de même, de donner quelques points de repère.
Dabord, concernant la construction, je préciserai que Superphénix, décidé en 1974, a été autorisé par décret le 2 mai 1977.
Il a été construit par une société européenne dans laquelle EDF était majoritaire à 51 %, ENEL détenant 33 % et SBK, société belgo-allemande, 16 %. Il a été autorisé en 1977 et mis sur le réseau en 1986 ce qui représente un long délai de construction par rapport à nos standards REP de la même période, ce qui ne sexplique nullement par des difficultés de construction le réacteur a été construit avec des ennuis normaux de chantier mais sans « pépins » majeurs ce qui est plutôt étonnant pour un prototype mais essentiellement par la complexité dassocier des fournisseurs issus des différents pays contribuant au financement. Un telle organisation a, en effet, entraîné des lourdeurs, des difficultés, des reprises qui associées au caractère prototype tout à fait particulier justifient la lenteur du processus.
Il y a donc eu un allongement des délais et, de ce fait, un dépassement du devis initial qui est resté toutefois dans des limites admissibles lorsque lon sait quil sagissait dun réacteur tout à fait nouveau pour lépoque, tout à fait différent des autres réacteurs et quil nécessitait, par là même, des équipes tout à fait spécialisées.
Ensuite, pour ce qui a trait à lexploitation, je dirai que linstallation a fonctionné normalement, avant de se trouver en butte à un certain nombres de difficultés.
Là, je ne retracerai pas, non plus, lhistoire par le menu et il me suffira de rappeler quentre janvier 1986 et décembre 1996, donc sur les onze années qui nous intéressent, la centrale a fonctionné normalement pendant seulement quatre ans et demi mais quelle a fourni près de 8 milliards de kWh. Elle a été arrêtée quatre ans et demi pour des raisons administratives et deux ans pour des raisons techniques.
En fait, on peut dire que cette aventure administrative a très lourdement pénalisé le projet. Je nai pas à en juger mais il faut quand même se garder dimputer à la technologie ce qui ne ressort pas de la technologie et à lindustrie ce qui ne ressort pas de lindustrie .
On peut dailleurs dire quaprès quatre ans et demi darrêt, quand on a redémarré linstallation et dieu sait que lorsquon redémarre une installation longtemps arrêtée, on a toujours des problèmes Superphénix a fonctionné avec un taux de disponibilité, hors arrêts programmés ce qui est normal, de 95 % et quelle a produit 3,5 milliards de kWh. En conséquence, je nhésite pas à dire quil sagit dune installation qui, techniquement, en dépit de ses malheurs, a été construite normalement et exploitée avec des ennuis techniques, cest vrai, mais assez normaux pour un prototype de cette taille.
Pour ce qui a trait à la mission de Superphénix, je dirai quelle a évolué, ce qui est assez normal puisque la centrale a été construite quand on imaginait quelle serait une tête de série et je me rappelle fort bien que, dans ma jeunesse, nous recherchions les sites appelés à accueillir les tranches successives.
Par la suite, le contexte ayant évolué, les Allemands qui devaient faire une tranche, on décidé de ne pas la réaliser et nous avons dû nous replier sur une tranche unique. A cela sont venues sajouter un certain nombre de difficultés qui nous ont mis face à une réappréciation de ce que sera la bonne utilisation des réacteurs à neutrons rapides et cest ainsi que nous sommes finalement passés de lintérêt porté aux surgénérateurs à lintérêt pour lincinération et la transmutation puisque, de toute la discussion qui entoure le nucléaire, émerge lidée quil faudra bien faire quelque chose des produits ultimes du retraitement : Que fait-on des actinides mineurs ? Que fait-on des produits de fission ? Comment se débarrasser de ces produits ?
Tout le monde sait que pour se débarrasser des actinides et des produits de fission il ny a que deux moyens : soit les enterrer dans les couches géologiques en attendant paisiblement que leur décroissance se produise, soit les bombarder de neutrons rapides auquel cas les atomes radioactifs ainsi créés éclatent en produits plus petits, moins lourds, plus stables et à radioactivité plus courte. On espère ainsi raccourcir les délais très longs quil faut aux actinides mineurs pour se désactiver.
Lidée vient donc immédiatement de se servir de Superphénix pour regarder comment un réacteur à neutrons rapides de taille industrielle pourra consommer des actinides mineurs, voire des produits de fission et, au fond, quel pourrait être dans le lointain avenir, lorsque le besoin se refera sentir de réacteurs à neutrons rapides, la possibilité de faire à la fois de lélectricité, déliminer les déchets et peut-être dajuster correctement les stocks de plutonium en le consommant ou en le générant puisque le réacteur peut être aussi bien sous-générateur que surgénérateur.
La mission a donc évolué et on est passé, petit à petit, du réacteur initial tête de série à un réacteur industriel de recherche sur la capacité de grandes installations électrogènes à neutrons rapides à éliminer des produits de fission et cest sur le rapport de M. Curien de 1992 que fut retenue la décision dune mise à lenquête publique en 1992, du redémarrage en 1994 suivi de lautorisation de la DSIN de remonter à pleine puissance en 1996, après tout un lot détudes destinées à prouver que linstallation était parfaitement sûre selon les canons modernes.
Nous disposons donc dun réacteur de taille industrielle pour faire de la recherche et nous mettons un certain nombre dassemblages à teneur élevée en plutonium
consommation accélérée de plutonium dans les réacteurs rapides (CAPRA) pour en faire létude et de neptunium, qui tout de suite après le plutonium, est le plus présent dans les actinides mineurs que nous retirons de lexploitation des réacteurs REP.
Telle est schématiquement lévolution de la mission, mais, à partir de ce moment-là, nous aboutissons à une situation où nous devons engager une négociation avec nos partenaires qui considèrent quil y a eu transformation unilatérale de la partie française qui a changé la destination de ce réacteur et qui, par conséquent, demandent de sortir de la société.
Un accord est finalement négocié parce que nous considérons quil est bon de continuer à garder dans le même giron des électriciens différents pour manifester que tous sont bien conscients de la nécessité dengager des recherches sur le long terme et denvisager lavenir des surgénérateurs sur le long terme. Laccord est finalement obtenu avec une option de départ à la fin de lannée 2 000 et, en cas darrêt définitif anticipé ou de longue durée, une option de sortie possible anticipée de nos partenaires qui bien sûr sest concrétisée.
Au cours de toutes ces années dexploitation, la sûreté na finalement jamais été en cause.
Superphénix, du fait de son caractère prototype, fait naturellement intervenir beaucoup de technologies nouvelles, ce qui a suscité beaucoup dattention et beaucoup dinquiétudes. Des problèmes nouveaux se sont posés à propos, non seulement de linflammabilité du sodium, mais également de lensemble des technologies liées au contact des métaux différents de linox en particulier, du sodium et de lécoulement de ce fluide métallique tout à fait particulier.
Bref, beaucoup de conditions de sûreté ont été étudiées. Cela étant dit, pratiquement, les diverses analyses et études qui ont été faites montrent que cette filière
et les autorités de sûreté successives lont dit présente le même degré de sûreté que les autres installations du parc nucléaire.
Il reste indiscutablement des améliorations à apporter, notamment pour tout ce qui a trait à linspectabilité en service qui nest pas aussi au point quelle lest dans les installations à eau légère mais lessentiel de la sûreté est de même degré que celui que lon observe pour les réacteurs à eau légère.
Sagissant du bilan économique et financier, je ne my attarderai pas puisque vous avez eu un exposé sur le sujet. Je voudrais simplement souligner, ici, deux points.
Premièrement, un investissement se fait dans un cadre donné avec des perspectives données. Cest un problème que lon rencontre très fréquemment en électricité. Quand on projette un investissement de ce type, on étudie la relativité de prix entre le pétrole, le charbon, le gaz puis on décide de construire la centrale. Une fois cette dernière construite et largent dépensé, on na plus quun seul souci : utiliser au mieux linvestissement. Cest dans cette situation tout à fait classique que nous nous trouvons avec Superphénix : largent a été dépensé et maintenant nous devons exploiter cet engin et, pour ce faire, nous devons en tirer le meilleur parti.
Le cas de Superphénix est tout à fait clair, en tout cas pour lexploitant que nous sommes. Les recettes provenant de la vente dénergie même estimées à bas prix, à basse valeur comme cela a été fait par la Cour des comptes et les commissaires aux comptes, la centrale nétant pas « dispatchable », il est, en effet, assez normal de faire une estimation relativement basse équilibrent, à une très petite perte près, les dépenses de fonctionnement et de recherche.
Par ailleurs, quand on parle coût, il faut considérer le bénéfice des recherches auxquelles je viens de faire allusion. Or, le bénéfice de ces recherches était important pour, non seulement lavenir dune filière à neutrons rapides ultérieure, mais également pour les recherches que nous entreprenions sur lincinération et la transmutation. Cest là quelque chose qui nest pas facilement valorisable dans linstant mais qui le serait devenu !
En conséquence, pour nous EDF, la prolongation de lexploitation de Superphénix était relativement neutre et nous considérions, les frais se trouvant globalement couverts, que le choix darrêter ou de poursuivre obéissait à dautres considérations que le simple équilibrage des comptes de lexploitation.
Jen arrive après avoir fait la revue de lhistoire et de lexploitation, à travers son coût et ses données, au tout dernier chapitre de ce que je comptais évoquer devant vous : la décision dabandon et la façon dont nous lavons vécue.
Nous étions donc désireux de poursuivre lexploitation de Superphénix au moins quelque temps encore et, par conséquent, lorsque le Premier ministre a déclaré, le 19 juin 1997, dans sa déclaration de politique générale à lAssemblée nationale, que la décision du Gouvernement était dabandonner le réacteur Superphénix, sans pour autant arrêter le nucléaire et en se donnant le temps de définir, en concertation, les modalités précises de larrêt du réacteur, jai pris la décision de mettre les équipes dEDF immédiatement au travail pour étudier les différents problèmes que posait cette décision afin de pouvoir informer correctement les pouvoirs publics de la façon dont les choses se présentaient concrètement.
Jai demandé que quatre aspects soient particulièrement étudiés : le premier avait trait bien sûr à lacquisition des connaissances scientifiques, notamment dans le cadre préparant lapplication de la loi de 1991 avec le rendez-vous de 2006 ; le deuxième avait rapport aux questions techniques à résoudre que lon pensait avoir tout le temps détudier, la mise à larrêt définitif nétant pas prévue à échéance aussi rapprochée ; le troisième était relatif au bilan financier dont je viens de vous dessiner les grandes lignes mais que nous ne connaissions pas et le quatrième concernait les conséquences socio-économiques de larrêt puisquil y a un certain nombre de conséquences sociales à supporter, que ce soit à lintérieur ou à lextérieur de la centrale.
Là encore, je répondrai à vos questions si vous le souhaitez, mais je dirai que chaque point pris isolément nétait pas déterminant, cest-à-dire quil y avait eu une évaluation des connaissances perdues ou possibles, quon possédait une évaluation des questions techniques à résoudre difficiles mais pas impossibles , que lon pouvait établir le bilan financier et que, dans les conséquences économiques qui étaient effectivement lourdes pour la région, un certain nombre dacteurs pouvaient intervenir.
Par conséquent, aucune raison objective ne simposait à nous pour faire un choix radical mais toutes concourraient un peu à nourrir lidée quil fallait continuer, au moins un certain temps. Nous avons donc indiqué aux autorités en charge du dossier que la meilleure solution nous paraissait être de redémarrer Superphénix pour une durée limitée et définie puisque la décision de principe était prise, ce qui nous aurait permis de poursuivre les expériences au moins un certain temps, de les financer par le combustible présent dans le réacteur ou à côté, détudier les opérations de mises à larrêt tout en poursuivant les études engagées, donc de ne pas perdre de temps et de préparer progressivement la reconversion du tissu socio-économique de la région.
Cest la thèse que nous avons défendue comme nous lavons, bien entendu, fait savoir au Gouvernement. Elle na pas été retenue puisque ce dernier a confirmé, lors du comité interministériel du 2 février sur la politique nucléaire, larrêt définitif et immédiat de la centrale tout en confirmant limportance et le soutien quil accordait au choix de lénergie nucléaire pour assurer lindépendance énergétique du pays.
Depuis, que faisons-nous ? Nous avons pris acte de cette décision et nous avons donc poursuivi les études techniques qui avaient été engagées dès le mois de juin 1997 et nous les avons accélérées avec les autorités de sûreté de telle façon que lon puisse prendre un premier décret à lautomne 1998 puisque telle est lintention du Gouvernement permettant le déchargement du combustible, qui sera suivi dun second relatif à la vidange du sodium présent dans linstallation.
On pense que le premier décret pourrait être prêt à lautomne 1998 et que nous pourrions donc commencer le déchargement du combustible au début de lannée 1999 les études qui sont en train de sachever sont à lexamen actuellement à lIPSN et à la DSIN. Il y aura besoin dun second décret qui devrait intervenir vers le milieu de lannée 1999 pour les autres opérations, dont la vidange du réacteur pour laquelle nous disposons dun peu plus de temps car nous souhaitons sortir tout le cur, le stocker et mener à bien cette opération de déchargement avant de commencer celle de la vidange du cur qui nécessitera, de toute façon, un conditionnement des locaux et la réfection des capacités propres à recevoir le sodium.
Donc notre premier souci a été de poursuivre les études techniques et les études administratives de sûreté. Notre deuxième préoccupation a été de redéployer les compétences des entreprises et de reconvertir le tissu industriel local ce qui nous a amenés à rencontrer les agents les uns après les autres et, comme on le fait pour tous les redéploiements industriels classiques, à essayer de voir à quel destin ils aspiraient, et sils désiraient aller dans une autre installation de production nucléaire ou pas.
Nous avons lexpérience de tels redéploiements, mais nous nous situons là dans un cas un peu particulier puisquen général ils interviennent pour les personnels âgés et peu nombreux de centrales vieillies alors que nous avons, cette fois, affaire à une population jeune qui sest installée dans le pays, qui a fait lacquisition de maisons et, ce qui est tout à son honneur mais complique les choses, qui tient à son outil de travail et y est attachée ainsi que vous avez pu le constater en vous rendant à Creys-Malville. Pour toutes ces raisons la reconversion se fait dans des conditions douloureuses, il faut dire les choses comme elles sont !
Je précise que nous ne voulons pas voir partir tout le monde dans la mesure où nous devons conserver des compétences pour continuer à assurer la surveillance, la sûreté et toutes les manuvres liées à lexploitation.
Pour linstant, le rythme nest pas mauvais globalement, nous avons trouvé des affectations pour une centaine dagents sur 700, dont 50 sont dailleurs déjà partis et nous ne souhaitons pas laccélérer.
Sagissant des sociétés prestataires, le maintien du réacteur à larrêt, depuis 1996, a eu pour effet déliminer un certain nombre de prestations nécessaires. Nous avons donc un moindre niveau de prestations et il est certain que nous attendons la sortie du premier décret à lautomne 1998 pour les faire cesser. En conséquence, jai accepté lidée de continuer à payer les prestataires, sans licenciements, autant que nécessaire jusquau décret, tout en aidant les entreprises prestataires à trouver dautres placements pour leurs agents : sils nen trouvent pas, nous acceptons de payer les agents qui sont évidemment nettement sous utilisés.
Sagissant de lenvironnement socio-économique de la centrale, une mission que vous connaissez bien a été créée sur le sujet. Elle a mis en évidence la difficulté des choses sur le terrain puisque le pays où est situé Superphénix est relativement peu équipé, que les zones dattraction de Lyon, de Grenoble, de Bourg-en-Bresse sont extrêmement fortes et quil est manifestement un peu compliqué denvisager de créer rapidement des industries de substitution sur place.
Jimagine donc assez bien quil sera difficile pour les pouvoirs publics de trouver des solutions à ce problème.
Pour ce qui nous concerne, nous avons mis à la disposition des collectivités locales, des Chambres de métiers et de la mission tous les moyens de lentreprise, cest-à-dire nos filiales de reconversion, nos filiales daide à limplantation de PME-PMI qui feront tout leur possible pour leur venir en aide, mais il faut reconnaître que la tâche sera particulièrement ardue.
Je reviendrai sur ce sujet si vous le souhaitez, mais il faut bien prendre conscience que le démantèlement nest pas une activité de substitution immédiate à lactivité existante : ce nest ni la même époque, ni les mêmes activités et, de surcroît, ce démantèlement ne prépare pas forcément aux activités de démantèlement des REP puisquil ne sagit, ni des mêmes engins, ni des mêmes techniques ! Le problème qui se pose là savère donc assez délicat à traiter.
M. le Président, messieurs les députés, voilà ce que je voulais vous dire sur le sujet. Jai survolé les questions mais jai préféré poser quelques jalons de façon que le débat soit plutôt centré sur vos questions dautant que je nignore pas que vous avez déjà entendu de nombreuses personnes, que vous êtes déjà très informés et quil ne me reste vraisemblablement plus grand chose à vous apprendre sur le sujet.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : M. le Directeur général vous êtes modeste car, même si nous avons déjà entendu beaucoup de monde, le point de vue de lexploitant que vous venez de nous exposer avec beaucoup de clarté nous est très précieux. Aussi, je vais, partant de tout le panel possible de questions que nous avons posées aux uns et aux autres, formuler des hypothèses auxquelles vous nêtes pas tenu de répondre mais qui nous paraissent devoir entrer dans les différents scénarios envisageables.
Tout dabord, jenvisagerai le scénario du redémarrage. Ma question est simple : serait-il, techniquement, raisonnablement possible de faire redémarrer Superphénix dans de brefs délais ?
Cest une question finalement controversée puisque, après mêtre rendu sur place, jétais revenu avec lidée quil y avait déjà une forte dispersion des effectifs qui rendrait difficile ce redémarrage de Superphénix. Or, les chiffres que vous nous livrez sont finalement modérés : cent personnes sur 700 ! Quel est donc le niveau des personnels qui sont partis et peut-on considérer quil y a, hormis le facteur technique, un facteur humain dont vous considéreriez, à partir dun certain seuil, quil pourrait sopposer au redémarrage ?
Ensuite, en supposant que le calendrier annoncé par le secrétaire dEtat à lindustrie soit respecté, nous aurons, après la fermeture de Superphénix, larrêt de Phénix en 2004, comment pensez-vous quévolueront alors les stocks de plutonium générés par les réacteurs à eau pressurisée dEDF ? Plus précisément et pour aller plus loin, pensez-vous que la mise en uvre dune tranche de nouveaux réacteurs de type EPR pourrait permettre de maîtriser ces stocks de plutonium ?
Je men tiendrai là pour que chacun puisse poser toutes ses questions. Le cas échéant, nous reviendrons sur ces sujets. Si le temps ne nous le permet pas, nous vous demanderons de nous répondre par écrit mais je crois que lexposé fort complet que vous venez de faire parle de lui-même.
M. Pierre DAURES : Il ny a actuellement rien dirréversible ! Sil était décidé de redémarrer Superphénix, il faudrait quand même quun certain nombre de dispositions soient prises, notamment sur le plan administratif puisque je rappelle que nous sommes toujours sans décret dautorisation de création ce qui nous met dans une situation juridique où je me sens un peu en difficulté.
Hormis ce premier point, sur le plan technique, le redémarrage de Superphénix pourrait, sil le fallait, être très rapide car sur 700 personnes une cinquantaine seulement sont partantes ou parties je nai pas aujourdhui le détail et je doute donc fortement que cela puisse nous poser un réel problème
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je me permets de vous demander de bien vouloir répéter. Au cours de votre exposé, vous nous avez parlé de 100 départs et vous venez de dire que 50 personnes étaient déjà parties, ce qui porterait le nombre à 150 ?
M. Pierre DAURES : Il y a 50 personnes qui sont déjà parties et 100 pour lesquelles nous avons trouvé des affectations. Je vous préciserais les choses par écrit si jamais javais commis des erreurs. Je pense donc quaujourdhui, nous ne serions pas en difficulté pour redémarrer Superphénix.
On ma un jour posé la question de savoir sil y avait une situation irréversible dans les opérations de démantèlement. Jusquà ce quon ait touché aux éléments de la cuve, rien nest irréversible ! Le sodium sera sorti et maintenu à température, les éléments combustibles vont rester de côté, en refroidissement, pendant une durée de dix ans : on a donc tout le temps de la terre. Sil y a besoin de redémarrer Superphénix, on peut le faire ! Rien nest irréversible, hormis la compétence et la démoralisation et vous avez raison de poser le problème.
Il est vrai que si nous devons redémarrer Superphénix, je crois quil faut le décider relativement rapidement. Jinsiste sur laspect moral parce quon nexploite pas une centrale nucléaire avec des personnels démoralisés. Il faut donc que nous soyons très attentifs à cette question, en particulier sur des installations de ce type où les agents nont pas lappui des personnels dautres réacteurs REP pour partager leur expérience et leurs soucis. Il est donc évident que ce facteur de mobilisation joue un rôle important.
Cependant, vous vous êtes rendu vous-même, M. le Rapporteur, ainsi quun certain nombre de membres de cette assemblée à Superphénix et vous avez pu constater à quel point les gens sont attachés à leur installation et, franchement, je peux prédire que si on leur dit quon la redémarre, ils seront là. Même si dans la maison la question ne se discute pas puisque les gens sont mobilisables et que nous avons les pouvoirs de les faire revenir, le problème ne se poserait pas dans ces termes mais évidemment plus on tardera à prendre la décision, plus la situation deviendra mentalement et moralement irréversible, et plus le redémarrage prendra de temps.
Sagissant du problème du plutonium, la situation est globalement celle que je vais décrire. Vous savez que nous avons des capacités de retraitement qui sont aujourdhui de 850 tonnes disons un petit millier de tonnes si lon ajoute ce qui pouvait provenir de Superphénix ou dailleurs de retraitement à La Hague et on retire des réacteurs 1 200 tonnes par an ce qui veut dire quil reste 350 tonnes qui sont mises de côté.
Pourquoi ce chiffre de 850 tonnes ? Parce que cest la quantité qui nous permet dextraire le plutonium propre à aller dans des réacteurs moxés de sorte que des combustibles usés des REP nous ne retraitons que les quantités utiles ni plus ni moins à fournir les centrales moxables.
Les centrales moxables sont celles des tranches 900 MW. Elles ont été conçues pour être moxables. Un certain nombre dentre elles possédaient dailleurs des décrets correspondant à cette capacité, dautres non, mais toutes les tranches de 900 MW
34 tranches sont conçues physiquement et mécaniquement pour être moxables, à lexception des six premières qui sont les tranches de Bugey et Fessenheim qui pourraient devenir moxables moyennant une modification de leur géométrie qui nen vaut pas la peine.
Nous disposons donc de 28 tranches moxables et, aujourdhui, avec les 850 tonnes que nous retraitons, nous pouvons faire 22 charges. Quand on a 28 réacteurs moxables cela permet effectivement dutiliser à plein la capacité de retraitement de La Hague et nous avons besoin de ces 28 tranches pour être cohérents avec ces 850 tonnes tout simplement parce quil est impossible dutiliser nimporte quel combustible nimporte où, quil y a des frottements dans le système, et que, si lon veut bien gérer les choses, pour 22 recharges, il faut, un peu comme dans le jeu de taquin, pouvoir faire rentrer les bons combustibles aux bons endroits et prévoir 28 possibilités.
Les réacteurs 1 300, 1 400 ne sont pas moxables en létat, il faudrait pour les rendre moxables les transformer, ce qui est inutile puisque les tranches existantes sont capables de consommer le plutonium issu du retraitement. Que devient, me direz-vous, le plutonium qui est dans le Mox ? Une fois que lon sen est servi, il reste dans le Mox parce que lon nenvisage effectivement pas de recycler et retraiter le plutonium provenant du moxage.
Le cycle est ainsi le suivant : uranium naturel, retraitement, Mox, réutilisation, sortie, stockage.
On voit donc que lon a un système qui est très équilibré et qui permet, au bout du compte, au lieu davoir des éléments combustibles usés et de luranium enrichi non moxé, davoir des éléments en fin de chaîne qui sont moxés mais qui prennent beaucoup moins de place le facteur est très important : entre 3 et 10 selon la composition de ce que lon fabrique parce quil y a concentration du plutonium dans les éléments moxés.
Aujourdhui, lévolution du stock de plutonium ne se pose donc quà partir du moment où les tranches 900 commencent à sarrêter puisque ce sont les seules aujourdhui à brûler du Mox. Le stock de plutonium est donc maîtrisé mais à condition que les tranches 900 continuent à fonctionner : comme elles sarrêteront un jour, il faut bien se reposer la question.
Sur ce point, plusieurs politiques sont envisageables : transformer les 1 300 et 1 400 en tranches moxées, ce qui est un peu compliqué. Mais on se rend compte quà partir dun parc dEPR construits en 2006 et mis en exploitation à partir de 2016, à partir de larrêt de Fessenheim par exemple, on peut renouveler tout le parc, avec un moxage à 15 %, et que si tel est le cas, avec des combustibles performants tels que lon est en train de les dessiner et de les tester, il serait possible de maîtriser de la même façon le stock de plutonium puis de le faire décroître.
Cela veut dire quaujourdhui, avec les capacités existantes, les réacteurs tels quils sont, plus une filière EPR moxée à 15 %, on sait arriver au milieu du siècle prochain avec une situation propre.
Quest-ce que jappelle « une situation propre » ? Cest la meilleure situation que je sais faire en concentrant le plus possible les actinides et les résidus dans le minimum de volume possible, de les conserver dans les piscines existantes pour passer, par la suite, à un autre exercice qui consiste à reprendre ces éléments et à, soit les stocker dans les couches géologiques profondes tels quels ou après retraitement/séparation, soit les incinérer dans des réacteurs rapides.
Si jai détaillé un peu longuement cette question, cest quelle me permet den aborder une autre. En effet, vous voyez que cette solution repousse léchéance nécessaire jusquau milieu du siècle prochain avec une bonne maîtrise du plutonium de notre parc de réacteurs.
Cest intéressant et cela me permet, si vous my autorisez, M. le Président, de poser la question de lavenir des réacteurs à neutrons rapides puisque Superphénix est déjà arrêté et que Phénix doit lêtre en 2004.
Je viens de vous décrire un avenir où des réacteurs électrogènes résoudraient le problème tel quil se pose aujourdhui, sous réserve que le Parlement prenne dautres décisions. Mais, avec les données actuelles, nous savons gérer la situation jusquau milieu du siècle prochain dans des conditions satisfaisantes.
En revanche, je vois quà partir du milieu du siècle prochain les vertus de ce système auront été épuisées, précisément au moment où lépoque du système REP touchera à sa fin et où nous aurons tiré le maximum de ce que nous y avons investi il y a une vingtaine dannées, en termes de modes de centrales, de types dexploitation et de cycle de combustible. A partir de ce moment-là, oui, il faudra reprendre une technologie nouvelle mais il est vrai que cela tombera bien parce que nous aurons probablement besoin de réinstaller des réacteurs rapides à une double fin : disposer de réacteurs qui soient à la fois électrogènes type Superphénix et incinérateurs transmutateurs .
A ce moment-là, nous pourrons nous attaquer aux stocks, que nous aurons mis en piscines, de réacteurs mixtes uranium-plutonium. Cest donc à cette échéance que se situe lavenir des réacteurs à neutrons rapides.
Comme il se trouve que, par lheureux hasard des chiffres, cest aussi lépoque à laquelle on commencera probablement à se préoccuper des stocks duranium dans la terre, et quil faudra commencer à réfléchir sérieusement à leur utilisation rationnelle, tout sharmonise à peu près !
Cela signifie que nous pouvons être confiants sur le fait quil faudra préparer un avenir aux réacteurs à neutrons rapides pour le milieu du siècle prochain et quen conséquence, il ne faut pas abandonner les technologies mises au point, mais parvenir à trouver les moyens dentretenir nos connaissances et de les faire vivre entre larrêt de Phénix en 2004 et cette époque où il conviendra probablement de redessiner un nouveau type de réacteur qui devrait voir le jour aux alentours de 2030.
Comment sera ce réacteur à neutrons rapides ? Je lignore complètement ! Ce sera vraisemblablement un réacteur sodium-plutonium tel quon le connaît puisque nous avons mis au point toutes ces techniques que lon maîtrise bien et dont il serait dommage de ne pas profiter. Il peut être aussi en technologies hybrides selon le système du Professeur Carlo Rubbia qui consiste à coupler un accélérateur à un système sous-critique.
Nous avons donc un domaine qui nous est familier, celui des surgénérateurs que nous maîtrisons et dont nous connaissons assez bien le fonctionnement nous avons payé assez cher pour cela ! et les installations de type Carlo Rubbia qui demandent à être étudiées et dont il y a tout à apprendre, ce qui ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas nous y intéresser.
Néanmoins, il demeure que cest bien dans ces termes et à ces échéances que se pose réellement le problème de lavenir des réacteurs à neutrons rapides et je dirai quil est satisfaisant de savoir quil sinscrit dans des échelles de temps maîtrisables, à supposer évidemment que lavenir soit nucléaire et que la politique énergétique soit bien réaffirmée comme telle, ce qui est une donnée tout à fait fondamentale du problème.
En effet, quand jévoquais précédemment, finalement par le « petit bout de lorgnette », la question du redémarrage éventuel de Superphénix et du moral des « troupes », cest parce quil faut bien comprendre que le nucléaire représente un tout : soit vous vous y engagez, soit vous labandonnez, car labandonner et le reprendre suppose un effort gigantesque !
Il faut donc que la représentation nationale soit tout à fait claire sur ce point : le choix de la politique quelle doit arrêter jespère sous peu est absolument déterminant et même sil est difficile, il est important quil soit fait assez vite ! En outre, il faut que la représentation nationale sache que, si des options nucléaires fortes ne sont pas prises, nous nen ressentirons pas les effets le lendemain mais que nous le paierons extrêmement cher sur le long terme si nous devions, un jour, revenir au nucléaire.
M. le Président : Quels sont les délais ?
M. Pierre DAURES : La réponse est couplée à une autre décision concernant lEPR et dont il a été question dans cette enceinte puisque lun de vos collègues, M. Birraux, lui a consacré une audition.
Il nous faut être tout à fait clairs sur le sujet : nous ne pourrons pas lancer lordre de construction dune tête de série avant 2003 et si nous le faisons après, il ne sagira plus dune tête de série .
Vous me pardonnerez dêtre carré mais si lon veut que ce soit une tête de série, il faut quelle soit prête en 2010, donc lancée en 2003, et, malheureusement, si nous prenons une décision en 1999, ce qui est maintenant léchéance la plus courte compte tenu du délai nécessaire à lélaboration des plans, des rapports de sûreté et à lobtention des autorisations, le premier coup de pioche ne pourra pas être donné en 2003. Il faudra donc agir au plus vite, la date butoir pour la tête de série EPR étant donc lannée 2003.
A partir de ce moment-là, la décision de lancer cette série ce nest pas le seul électricien qui parle car il est évident que nous nallons pas nous payer une tête de série sil ny a pas de série derrière ; évitons, allais-je dire, de recommencer, volontairement cette fois, une opération du type Creys-Malville ! est dans la main du Parlement ! Allons-nous renouer avec la politique nucléaire établie ou pas ? Cest un choix quil appartient au Parlement darrêter avant que nous ne décidions de fabriquer de façon anticipée une tête de série.
Il faut bien prendre conscience que cette tête de série est indispensable à la certitude dun développement vif du nucléaire dans lavenir, quelle est indispensable pour nos bureaux détudes et je ne parle pas seulement dEDF quelle est indispensable pour le maintien des compétences comme la dit Dominique Vignon avec beaucoup déloquence et de compétence. Elle est donc nécessaire mais à condition quil y ait une série.
Pour répondre à votre question concernant léchéance, je dirai quil faudrait que le Parlement puisse se prononcer à la fin de lannée 1998 ou au début 1999 car je pense réellement que nous ne pouvons pas prendre une décision de cette importance avant que le Parlement nait statué sur le sujet.
Par ailleurs, on voit bien tous les jours, que la situation du nucléaire est extrêmement contestée que ce soit à tort ou à raison peu importe, il appartient aux autorités den juger et au public de le dire et que nous nous trouvons confrontés à une situation où nous navons pas beaucoup de légitimité face à notre public sans lappui du Parlement.
Pardonnez-moi davoir, encore une fois, probablement été trop long !
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je formulerai juste une observation, M. Daurès, le Parlement ne pourrait avoir dinfluence sur ce dossier que sil est sollicité cest-à-dire si, comme beaucoup dentre nous le souhaitent, un large débat peut sinstaurer sur les grandes orientations énergétiques !
M. Pierre DAURES : Le citoyen de base, en tout cas, vous le demande !
M. Franck BOROTRA : Jai écouté à la fois votre propos liminaire et la très intéressante réponse que vous venez dapporter à la question de Christian Bataille qui éclaire bien la stratégie que vous souhaitez suivre concernant en particulier le plutonium.
Je souhaiterais, néanmoins, préciser un point : vous dites quil y a une très forte opposition à lintérieur de lopinion mais ce nest pas ce qui ressort des sondages.
Il y a, certes, des lobbies qui sont très forts. Je les respecte ; ils utilisent les armes qui sont les leurs. Je constate, néanmoins, quau cours des années qui viennent de sécouler, le pourcentage de Français qui se disent favorable à lénergie nucléaire na fait que croître puisquil dépasse les 70 %. Cela étant dit, si tous les partenaires de la filière nucléaire avaient le souci dapporter plus de transparence dans linformation, ce pourcentage dépasserait peut-être les 70 % pour atteindre les 80 %.
Après vous avoir écouté, je souhaiterais vous poser trois questions que mont inspirées vos propos. Premièrement, vous avez expliqué que si lon moxait les 28 tranches, et que si lon prolongeait le processus par la filière EPR, on pourrait obtenir une stabilisation, voire une légère baisse des stocks de plutonium au milieu du siècle. Je sais que vous avez raison mais que cela suppose de prendre un certain nombre de décisions. Par conséquent, jaimerais savoir, compte tenu du fait que vous êtes en relation permanente avec les pouvoirs publics, ce quil en est. Il me semble que lextension de la moxisation aux 28 tranches savère nécessaire : où en est-on ?
Vous faites état, par ailleurs, de 850 tonnes retraitées mais nous ne sommes pas les seuls à retraiter et donc il est nécessaire détendre Melox : les choses sont liées.
Si, ainsi que vous lavez bien dit, on veut que la stratégie que vous suivez soit appliquée, il conviendra de mettre en uvre lEPR, ce qui implique de le réaliser au plus vite, même si sa mise en uvre provoque un suréquipement dans le domaine de la production électrique, faute de quoi, au moment où se poseront les problèmes de remplacement des centrales actuelles, nous ne serons pas à même dapporter cette réponse.
Jaimerais donc savoir, de votre point de vue, comment vous envisagez ces questions car les réponses qui ont été apportées par les ministres avaient la même transparence que celle de certains opérateurs de la filière nucléaire.
Deuxièmement, il reste un point sur lequel je ne suis pas en complet accord avec vous mais cest vous le spécialiste, je ne suis quun amateur dans le domaine. Vous dites que le problème, pour nous, se posera au milieu du siècle mais nous ne sommes pas seuls, il y a dautres opérateurs dans le monde, et la France au travers de la maîtrise de la filière nucléaire qui est la sienne à joué et devrait continuer à jouer un rôle important ! Vous avez dit que le changement dobjectif production délectricité en direction de la recherche a provoqué la demande de sortie des partenaires de NERSA. Soyons honnêtes, cest un alibi : ils avaient déjà tourné le dos à cette affaire et ils ont saisi ce prétexte.
La question que je vous pose est la suivante : comment se fait-il que les Allemands, les Belges, les Italiens se désengagent de ce côté et que pendant ce temps la Chine, lInde, le Japon, la Russie et la Corée sont en train de sy engager ? Est-ce que, dans toute cette affaire, la France qui joue un rôle de leader, ne va pas se trouver scientifiquement, technologiquement et industriellement, mise de côté ? EDF sait ce que cela signifie puisque loccasion nous a été fournie, en Chine, de négocier sur ce point .
Troisièmement, la France occupe une place particulière dans le métier du nucléaire civil. Elle a une position très forte, un retour dexpérience sur 56 tranches, la réputation de vouloir maîtriser tous les aspects de la filière, en particulier de laval du cycle et, jusquà ce jour de navoir fermé aucune porte. Les Américains le reconnaissent et parfois même viennent se saisir de recherches ou de voies qui ont été défrichées par les Français.
Je me pose donc la question de savoir si labandon, pour la première fois, de la filière à neutrons rapides et du même coup la décision, de nature politique et non pas scientifique, industrielle ou autre, concernant Superphénix, ne va pas porter un certain coup à la crédibilité des Français dont la tête de pont reste EDF ? En effet, dans cette affaire, cest dans la volonté de maintenir ouvertes toutes les voies que se trouve le fondement de la culture de sûreté quavec beaucoup de succès vous avez développée en vendant onze des quatorze centrales qui ont été achetées ces quinze dernières années dans le monde.
Je suis, pour ma part, inquiet des conséquences quune décision de nature politique va avoir en termes industriels sur un secteur important et qui ne manquera pas de se développer.
M. Pierre DAURES : Effectivement, à lheure actuelle nous sommes en manque puisque nous avons seize tranches qui sont moxées et quil en reste douze à moxer : les demandes dautorisation sont déposées pour quatre tranches de mieux et le dispositif de mise à lenquête publique qui est indispensable pour les huit tranches restantes na pas été déclenché par les ministres compétents.
Nous insistons donc aujourdhui pour que ces mises à lenquête soient rapidement réalisées faute de quoi nous allons nous trouver dans une situation délicate. Comme je lai dit 850 tonnes de déchets traitées correspondent à 22 recharges. Si on ne peut faire que seize tranches (soit treize à quatorze recharges), cest quil y a un problème et, dans ces conditions, cela signifie quil faudra, soit réduire le retraitement, soit accepter davoir du plutonium « sur létagère ».
Cette seconde solution, nous lavons toujours refusée pour des motifs de sécurité et cest un comportement constant de lentreprise. Quant à réduire la capacité de retraitement de La Hague, je ne sais pas si vous mesurez ce que cela représente sur le plan économique et humain !
Nous avons donc un vrai problème devant nous et, par conséquent, nous souhaitons effectivement que le Gouvernement prenne le plus rapidement possible les décisions de mise à lenquête qui doivent être prises pour chaque tranche pour éviter des aléas en cours de route. Cest donc une demande formelle.
Sagissant maintenant de lextension de Melox, je ne suis pas certain quelle soit rapidement nécessaire. Avec sa capacité actuelle qui a dailleurs été légèrement accrue, et dans les limites de lenquête et de lautorisation de création, on peut encore faire longtemps les recharges Mox dautant que dautres capacités existent ailleurs.
Sur lEPR, je partage votre point de vue et je vous ai dit ce que jen pensais. Une fois décidée lexistence dune filière nucléaire qui devrait se développer en EPR, le fait que la tête de série coûte cher reste un problème en soi mais nest pas dramatique puisque lon sait que le coût sera étalé sur le programme à venir et que les frais de première installation peuvent samortir par des contrats de programmation passés avec les uns ou les autres.
Reste le problème de lélectricité à placer. Nous sommes sur un marché qui promet dêtre ouvert et dont je suis sûr quil sera très ouvert. Par conséquent, nous naurons aucune peine à placer de lélectricité bon marché à létranger. A cet égard, je rappelle que la filière EPR peut-être pas la première tranche qui aura à supporter des frais importants est dimensionnée pour sortir un kWh compétitif par rapport aux meilleurs gaz. Autrement dit, les instructions données aux projeteurs sont bien les suivantes : être sûr que sur une moyenne de 10 tranches, le prix de lélectricité sortant de lEPR sera inférieur, ne serait-ce que de quelques points, aux meilleures centrales à gaz réalisables et nous allons gagner ce pari.
Il faut peut-être croiser les doigts mais je puis vous assurer que je fais tout mon possible pour que ce soit le cas. Franchement nous travaillons beaucoup et de gros progrès ont été réalisés. Nous savons comment atteindre notre but et je suis très confiant.
Vos questions suivantes tournaient autour de laval du cycle au milieu du siècle prochain et se résumaient à ceci : quand nous aurons à nous réengager, le monde aura beaucoup évolué. La France va-t-elle rester de côté et ne risque-t-on pas de perdre nos capacités ? Lautre question connexe étant que, puisque nous ne fermions aucune porte, que nous avions fourni la démonstration quil était possible de le faire, que nous jouions un rôle leader, notre pays risquait, en fermant la porte de lincinération, de se trouver en difficulté face à des partenaires qui avaient choisi dautres voies, parfois dailleurs arbitraires.
Sur le premier point, je dirai quil est vrai que les autres pays suivent avec énormément dattention ce qui se passe et que nous sommes obligés de leur faire la même démonstration que celle que je vous ai faite ce soir, cest-à-dire leur prouver que larrêt de Superphénix était certes embêtant mais quil ne traduisait aucun désengagement nucléaire de la France, que nous allions continuer comme par le passé.
Il est indéniable que cette décision soulève quand même des interrogations dans la mesure où la cohérence de la démarche française si jose dire « bluffait » tout le monde ou, pour le moins, étonnait tout le monde. Cette faille dans la cohérence gêne quand même un peu notre démarche.
Pour ce qui concerne laval du cycle, on peut tenir le même raisonnement, à savoir quen donnant limpression de fermer, en quelque sorte, une porte à lincinération, nous laissons, non seulement le public, mais aussi le monde entier, penser que nous abandonnons des voies de solution. Cest incontestable et cela soulève une certaine inquiétude.
En effet, alors que, jusquà présent, nous pouvions dire dans les débats publics quil y avait des solutions pour les déchets, que nous savions brûler du plutonium, que nous réalisions des expériences pour brûler les actinides, que nous savions brûler avec un faible rendement certes, des produits de fission, bref que nous proposions des solutions, nous ne pouvons plus le prétendre.
Il est vrai que nous allons nous trouver un peu gênés dans notre exposé des diverses solutions pour laval, ce qui rend plus nécessaire encore une coopération étroite avec les pays qui, eux, sengagent dans la voie nucléaire et qui, probablement, vont accepter de consentir les efforts que nous ne ferons plus parce quils seront absolument indispensables à leur échelle.
Jimagine mal un bloc puisquil faudra parler de blocs à cet horizon tel que celui que forment le Japon, la Chine et la Corée ne pas « y aller » carrément pour fermer complètement le cycle ! Il est inimaginable, avec les besoins et le développement qui vont être les leurs, quils ne soient pas dans le même état desprit que celui où nous nous trouvions au moment de notre grand développement .
La voie de sortie pour la France et jen ai discuté avec Yannick dEscatha au CEA consiste à se lier avec le Japon dabord, puisque la centrale de Monju continue à exister, avec ces autres pays ensuite, à les soutenir, à inciter les chercheurs chinois à orienter leurs travaux sur ce terrain et à tenter de coopérer le plus possible avec eux comme dailleurs avec un pays que nous ne mentionnons pas ici mais quil convient dévoquer, je veux parler de la Russie qui dispose dune installation différente de la nôtre mais qui est quand même à neutrons rapides et qui fonctionne.
Cela vaut donc la peine de passer des accords avec tous ces pays.
Il est évident que la fermeture de Superphénix nous prive dun certain nombre darguments ou en dévalorise dautres. Elle ne rend pas notre situation intenable, cest évident, mais elle affaiblit quand même notre position.
M. le Président : Vous nous avez dit quune centaine de personnes avaient quitté le site très rapidement. La chute des effectifs, daprès ce que lon peut savoir, va quand même être assez rapide : comment va se passer la réaffectation de ces personnels ?
M. Pierre DAURES : Elle ne pose pas de gros problèmes car il sagit dun personnel très qualifié, exploitant nucléaire, qui a un très bon background, de très bonnes connaissances de base, qui est habitué à très bien exploiter et qui sera très vite réintégré dans les centrales nucléaires. Nous avons encore à gréer un certain nombre de centrales : celle de Civaux est complètement gréée mais il faut prévoir des départs en retraite. Nous navons pas de soucis pour réintégrer ces personnels, que ce soit les exploitants ou les maintenants. Ce sont des personnes qui, comme on dit on un turn over.
M. le Président : Mme Voynet nous avait dit lors de son audition que le démantèlement allait créer des emplois. Est-ce vrai ?
M. Pierre DAURES : Là-dessus, il y a beaucoup à dire ! Je ne voudrais pas démentir Mme la ministre. Mais puisque vous mavez demandé la vérité, je vais vous la livrer : le démantèlement créera des emplois mais pas dans limmédiat. Le démantèlement ninterviendra quaprès le déchargement du réacteur, la sortie du sodium, un certain nombre détudes et de temps de décroissance ce qui représente, à tout le moins, quelques lustres.
M. Franck BOROTRA : Un lustre, pour vous, cest combien dannées ?
M. Pierre DAURES : Cest cinq ans !
Pour répondre à votre question, je dirai que certaines activités vont effectivement se développer mais, ni dans limmédiat, ni dans les mêmes technologies. Elles ne concerneront donc probablement pas les mêmes types de personnel. De plus, les technologies auxquelles nous ferons appel ne seront pas immédiatement transférables sur les centrales REP où les problèmes se présenteront beaucoup plus tard et nullement dans les mêmes conditions.
En conséquence, il va falloir créer des activités tardives, sans doute moins nombreuses que les activités existantes, dans des domaines bien différents et pour une durée plus éphémère. Mme la ministre, de ce point de vue, a donc raison de dire que cela créera des activités.
Puisque les études sont en cours, je ne peux pas vous dire sous la foi du serment combien de personnes exactement seront concernées par ces créations qui, de toute façon, ninterviendront pas en relais immédiat. Si on a pu penser que lon allait sortir des personnels de la centrale pour en ramener dautres et que tout cela allait bien sarranger, je crains que ce ne soit pas tout à fait le cas.
M. le Président : Quels sont vos engagements vis-à-vis des entreprises sous-traitantes ?
M. Pierre DAURES : Nous avons pris lengagement pour faciliter les choses et aussi remplir notre devoir en tant que donneurs dordres, de continuer à payer lensemble des prestataires jusquà ce que le premier décret soit pris, en considérant quau moment où ce décret sera pris, lEtat aura eu le temps de prendre les dispositions propres à traiter le problème socio-économique posé dans la région.
Nous avons donc décidé de conserver jusque là les prestataires, quils aient ou non des activités, hormis sils trouvent du travail ailleurs. Cest une décision dordre social pour éviter davoir à la fois des personnes au chômage, ce qui serait le cas, par exemple, pour des prestataires temporaires, et des entreprises qui ferment puisque NERSA représente 80 % de la clientèle de certaines dentre elles et que si elle disparaît de leurs carnets de commande, il ne leur reste plus quà mettre la clé sous la porte.
Cest donc dans ce souci que jai accepté de payer jusquau décret, mais évidemment nous serons attentifs à ce que la transition se fasse correctement.
M. le Président : Comment pensez-vous participer à la reconversion du Nord du département de lIsère ? Si vous ne pouvez répondre, vous pouvez nous renseigner par écrit.
M. Pierre DAURES : Non, je préfère répondre sur le champ : si mes propos sont transcrits dans un procès-verbal, ils auront au moins le bénéfice davoir été tenus oralement.
En fait, pour linstant nous nutilisons que les moyens traditionnels auxquels nous avons recours lorsque nous fermons des sites.
Nous avons ainsi des filiales qui sont en contact avec lensemble des industries et des régions et qui ont pour rôle de financer limplantation sur les sites industriels ou à proximité, dindustries qui ny viendraient pas delles-mêmes : disons que nous les aidons à venir là plutôt quailleurs. Cest un premier volet de notre action qui concerne donc les activités de localisation, qui fonctionne plutôt bien mais qui ne crée pas non plus des besoins ex nihilo : il faut quand même que certains industriels soient attirés.
Par ailleurs, nous pratiquons laide classique à la création dentreprises mais encore faut-il pour cela quil y ait un support et une activité industrielle et économique un peu vivace. Or, il est vrai que la région de Creys-Malville est une région qui a vraiment très peu dactivités industrielles et que la vie économique y est ralentie, ou pour le moins, souffre dun manque certain de dynamisme, ce qui rend difficile la création dentreprises dans cette région.
Par conséquent, nous ne pourrons guère nous orienter que sur la localisation sur place dindustriels quon fera venir et que lon aidera par des facilités de financement, par des contrats avantageux en matière délectricité quand ce sera possible. Tout cela, néanmoins, aura fatalement ses limites car sil sagissait dune zone sans pôles proches, on parviendrait à localiser finalement se mettre là ou quelques kilomètres plus loin na pas beaucoup dimportance mais elle se situe à trente kilomètres de Grenoble, un peu plus loin de Lyon et Bourg-en-Bresse, mais finalement dans un complexe déclatement et déviction où les choses seront certainement un peu plus difficiles à régler quailleurs.
M. le Président : Le Préfet a annoncé que vous apportiez cinq millions de francs par an !
M. Pierre DAURES : Nous apportons, effectivement, dans le cadre des activités locales, cinq millions de francs par an pendant cinq ans (soit 50 % du montant alloué par lEtat) pour laide au développement économique local.
Nous avons des activités, un peu partout en France, de soutien au développement économique local. Ces aides ne sont évidemment pas attribuées nimporte comment il ne suffit pas de les demander pour les obtenir. Nous développons ces activités lorsque lentreprise y trouve globalement intérêt, soit parce que cela attire des industriels, soit parce que cela favorise limplantation de logements. Nous nous efforçons donc daider la vie économique locale à ce niveau. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons une raison majeure de le faire et nous apporterons donc ce quil faut au préfet.
M. Pierre MICAUX : Très brièvement, dabord je tiens à dire que jai pris un grand intérêt à vous écouter, ensuite jaimerais savoir à quelle valeur vous estimez Superphénix.
Cette première interrogation sera suivie de deux autres : quel est le coût de son démantèlement et, puisque je crois savoir quun second cur est prêt, quallez-vous en faire et que vaut-il ?
M. Pierre DAURES : La valeur de Superphénix peut maintenant être essentiellement estimée à la valeur de sa production future. Je ne sais pas vous répondre aujourdhui car il faudrait, en fait, reprendre les estimations des commissaires aux comptes et de la Cour des comptes que je nai plus en tête. Mais je vous enverrai par écrit les éléments de réponse à cette question sur la valeur actualisée de Superphénix.
Le coût du démantèlement est estimé à 10 milliards de francs auxquels il convient dajouter, le coût du retraitement du combustible, soit 3 milliards de francs, ce qui porte le coût du démantèlement et du retraitement à 13 milliards de francs.
Quand on dit cela, il ne faut pas oublier que si lon arrête la centrale et quon la démantèle, il reste des charges de capital qui ne sont pas libérées. Il y a encore 4 milliards de francs de capital quil faudra bien reverser aux gens qui ont acheté des parts et il reste 6 milliards demprunts à rembourser aux banques. Larrêt de Superphénix représente donc aujourdhui 23 milliards de francs.
Selon les accords qui ont été passés, le démantèlement est entièrement à la charge dEDF, le capital et les emprunts se partagent à égalité de même que le retraitement du combustible.
Sagissant maintenant du coût du cur, je ne sais pas aujourdhui quelle est la valeur du cur neuf je nai pas son prix exact en tête mais je pourrai vous le communiquer ; il est à peu près dun milliard de francs.
Que va-t-on en faire ? Pour linstant, il ne pose aucun problème puisquil na pas été activité, si ce nest quil contient du plutonium il exige de ce fait un gardiennage particulier et donc coûteux. On compte le retraiter et le réinjecter dans les cycles de fabrication des éléments Mox puisque le plutonium quil contient na pas été irradié et comporte donc très peu dactinides. Avant de retraiter ce cur, il faudra dailleurs probablement y regarder de près parce que les chaînes de retraitement et de fabrication sont dimensionnées pour une proportion déterminée duranium et de plutonium et quil faudra donc procéder à un certain nombre de vérifications .
Néanmoins, chaque fois que la question a été posé à COGEMA, il nous a été répondu quil ny avait aucun problème, que les dispositions étaient bien prises et donc que lextraction du plutonium et son injection dans les éléments Mox ne posait, à ses yeux, pas de difficultés.
Les complications viendront probablement plus du cur irradié dont le traitement était envisagé mais qui suppose quelques réglages puisque la composition isotopique finale était prévue pour un cur complètement irradié et non irradié à moitié comme cest le cas.
Néanmoins, aux dires de COGEMA que je nai pas de raison de remettre en cause le traitement dans les chaînes existantes, du cur neuf et du cur existant, ne pose aucun problème particulier.
En revanche, nous rencontrerons des problèmes pour éliminer le sodium dont vous nignorez pas quil y en a de nombreuses tonnes.
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de M. Claude DÉTRAZ,
Directeur de lInstitut national de physique nucléaire
et de physique des particules (CNRS)
(extrait du procès-verbal de la séance du 2 juin 1998)
Présidence de M. Alain MOYNE-BRESSAND, Secrétaire
Monsieur Claude Détraz est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Claude Détraz prête serment.
M. Claude DÉTRAZ : Il nest pas forcément prévisible que le directeur dun institut de recherches radicalement fondamentales, si je peux me permettre de définir ainsi le CNRS, puisse être amené à témoigner. Cela mesure, je crois, limpact de la loi du 30 décembre 1991 et de cet appel renouvelé à la recherche qui était, vu de chez nous en tout cas, lobjet de la loi et qui ne pouvait pas laisser indifférent un organisme qui pensait pouvoir apporter des contributions aux recherches demandées par cette loi.
Je vais donc brièvement vous dire dans quelle mesure les recherches que nous avons conduites ou les activités que nous avons pu avoir sont susceptibles dapporter quelques éclaircissements sur la situation actuelle du programme de neutrons rapides.
Il se trouve quà la moitié de lannée 1992, donc peu de temps après la promulgation de cette loi, sur lincitation du Premier ministre, le ministre de la recherche, M. Hubert Curien, mavait demandé danimer un groupe pour examiner les conditions dans lesquelles Superphénix pourrait apporter une contribution au programme de recherche. Ce rapport, qui a été remis le 17 décembre 1992, fournit, de ce point de vue
avec ce qui apparaît rétrospectivement comme un peu de timidité ou en tout cas de précaution un certain nombre dorientations qui ont dailleurs, à lépoque, été largement diffusées, et qui, selon nous, nont pas complètement perdu leur validité même si, je le répète, nous formulerions aujourdhui les choses sans doute de façon un peu plus aiguë.
Au nombre des recommandations et des conclusions que je ne citerai pas toutes, mais qui nous servent encore, je citerai celle-ci : « Même sil est urgent dengager des réflexions et des actions de recherche pour laval du cycle, rien noblige aujourdhui à figer les décisions concernant les réalisations et les procédures. Léventail des solutions possibles doit être exploré.»
Cest en effet une des idées fortes qui était apparue au cours des auditions : sans prendre de décisions immédiates, il était urgent de commencer à travailler au plus vite.
Pourquoi des décisions immédiates ne simposaient-elles pas ? Parce que des solutions dattente étaient disponibles et aussi parce quun effort de recherche était relancé, qui était susceptible de déboucher sur des solutions nouvelles, impossibles à intégrer dans les réflexions du moment : encore fallait-il que ces recherches avancent ...
Une autre remarque avait été formulée qui me paraît importante, à savoir que létude de lincinération des actinides dans les réacteurs à neutrons rapides « impose des expérimentations diversifiées dans des réacteurs tels que Superphénix et Phénix ».
Cette formulation qui fait partie des précautions de langage que nous avions prises et que, peut-être aujourdhui, nous ne prendrions plus, soulignait le fait que Superphénix avait un certain nombre de vertus pour étudier des solutions mais était loin de les avoir toutes, et quen particulier laccès à un réacteur avec une capacité dévolution beaucoup plus rapide des expériences que lon pouvait conduire était nécessaire si lon voulait véritablement faire de la recherche !
Très vite, il est apparu que Superphénix pouvait être un outil de validation de solutions élaborées ailleurs mais pouvait difficilement, compte tenu des délais de chargement et de déchargement du cur et danalyses des résultats qui pourraient en sortir, permettre davancer à un rythme qui nait pas comme constante de temps cinq ou six ans.
Or, la recherche qui nécessite cinq ou six ans pour changer un paramètre nest pas une recherche dune efficacité folle. Par conséquent, même si à grande échelle, « à léchelle industrielle » comme lon disait, Superphénix pouvait apporter des informations, il nétait pas susceptible, à lui tout seul, de débroussailler le domaine extrêmement lourd et compliqué de la transmutation par des neutrons rapides à des fins de gestion de laval du cycle.
En conséquence, la phrase que je viens de vous citer signifiait simplement quon pouvait peut-être avancer avec Superphénix et Phénix, mais sûrement pas avec Superphénix tout seul.
Je crois que cette conclusion na rien perdu de sa pertinence, sauf, je le répète, à sinstaller dans lidée dun programme de recherche coûteux et jai presque envie de dire interminable ou avec une constante de temps qui, même si lon dispose de marges pour trouver des solutions définitives, commençait à sortir nettement des limites du raisonnable !
Je citerai également ce qui a été dit au positif sur la contribution de Superphénix : « Superphénix peut contribuer aux recherches sur laval du cycle de deux manières : dune part par le retour dexpérience en vue de la construction des futurs RNR incinérateurs ce qui impliquait quil nen était pas un dautre part, par la validation de lutilisation de combustibles assurant lincinération dactinides à une échelle industrielle ».
Nous navions aucune difficulté, dans un groupe détudes qui était dune grande diversité, à aboutir à cette conclusion et nous réclamions donc quun « programme de recherches de base soit monté sur la transmutation et les produits de fission pour lesquels les solutions les plus innovantes doivent être explorées... ». En effet, nous avions été très frappés par le fait que même si lincinération des actinides mineurs était possible dans un réacteur à neutrons rapides du type de celui que préfigurait Superphénix, les problèmes de la transmutation et des produits de fission demeuraient entiers. Nous insistions pour que « soit défini et soit entrepris un programme de recherche diversifié »
ce dernier terme ayant, lui aussi, fait lobjet dun accord général, ce qui signifiait quil ne pouvait être réduit à de simples recherches avec Superphénix mais devait envisager dautres solutions « tel quil était prévu par la loi du 30 décembre 1991... » et nous appelions à ce quil soit ouvert à de nouveaux acteurs et à linternational.
A la suite de ce rapport, qui avait, dune certaine façon, marqué les limites dun programme de recherche à Superphénix mais aussi de sa pertinence à lintérieur de ces limites, la NERSA avait proposé un programme de recherche sur Superphénix et vous comprenez bien que je vais intervenir essentiellement, avec la compétence qui est la mienne, non pas sur la production délectricité mais sur le programme de recherche.
Ce programme de recherche a été évalué en mai 1994 par M. Robert Dautrais et moi-même puisque nous avions été désignés par le Gouvernement pour porter une appréciation. Le programme de recherche qui nous avait alors été soumis nous paraissait bien répondre à ce que demandait le rapport. Il prévoyait en particulier, dans ces recherches sur Superphénix, trois grands domaines que je crois bon de retenir.
Premièrement, il sintéressait à la viabilité à long terme robustesse, disponibilité, perspectives déconomie dune filière industrielle de RNR à sodium liquide. Nous nous situions, en effet, à lépoque, dans une logique où il ne sagissait pas de nutiliser Superphénix que pour un programme de recherche, mais où il sagissait en fait de la préfiguration industrielle dun RNR.
Deuxièmement, il abordait la question de la gestion du plutonium ce qui était une façon un peu polie de dire quon le traitait comme un déchet, ce qui ne manquait pas de soulever des polémiques assez vives dun parc électronucléaire, ce qui était un aspect totalement innovant et ce que nous jugions le plus utile.
Troisièmement, il envisageait le problème de lincinération des déchets radioactifs à vie longue ; il était décidé détudier également ce quil était possible de faire aussi avec les produits de fission.
Ce sont ces trois voies qui ont été soulignées, présentées et sur lesquelles nous attendions, M. Dautrais et moi-même, que Superphénix sengage !
Je répète, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, et dans le rapport et dans les évaluations du programme dacquisition de connaissances que M. Dautrais et moi-même avions préparées séparément, que nous insistions sur le fait que létude de la pertinence de la filière à neutrons rapides pour la gestion de laval du cycle supposait de disposer dun réacteur plus souple dans son utilisation que cette grande machine au temps de rotation très long quest Superphénix.
Entre-temps, allant dans le même sens et faisant, je crois, avancer les choses, la commission Castaing a donné, en 1994, un coup daccélérateur au programme de recherche quon devait conduire avec Superphénix dans au moins deux directions : en recommandant dune part, de mettre en place un conseil scientifique, puisquil sagissait dun outil de recherche et que lon voyait mal comment une recherche pouvait être conduite correctement sans que les exploitants, dont les préoccupations initiales étaient différentes, bénéficient des conseils dune telle structure, dautre part, daccélérer le démarrage des irradiations.
Nous avions été très frappés par le fait que le programme scientifique, tel quil avait été annoncé, prenait son temps : tout ce que lon pouvait espérer des irradiations concernait surtout le troisième cur et la commission Castaing a beaucoup insisté sur le fait quon devait déjà tirer des enseignements du premier, qui certes navait pas été fait pour cela, mais surtout du deuxième et que lon devait passer assez rapidement à cette phase dutilisation. Elle lançait donc un appel à une accélération du programme de recherche.
De ce point de vue, je sors là du rappel historique pour émettre un avis il me semble quaprès six années durant lesquelles la dimension recherche de Superphénix a été fortement mise en avant et même considérée comme lun des paramètres stratégiques de la vie de linstallation, il serait bon que nous disposions dun rapport général sur ce qui a été appris. Cette publication des résultats scientifiques serait, je crois, dun grand intérêt, dabord pour voir rétrospectivement comment les choses ont été conduites, ensuite parce quil peut être plein denseignements pour la physique des réacteurs à neutrons rapides.
Cest là un point sur lequel je souhaiterais marrêter un instant pour dire que lhistoire des neutrons rapides je crois que la plupart des gens en sont convaincus ne sarrête pas avec la suspension de lactivité de Superphénix et cela pour deux raisons.
Lhistoire de la gestion du cycle électronucléaire telle que nous lavons connue il faut que nous en soyons bien persuadés est en effet une histoire en pleine évolution : elle nest pas parvenue à son terme même si lextraordinaire et magnifique succès des REP a stabilisé véritablement pour une très longue période la filière électronucléaire.
Il est clair que les questions qui nous sont posées cest comme cela que nous avons compris la loi de 1991 et cest dans ce sens que nous agissons viennent du fait que des solutions innovantes doivent être apportées pour la gestion complète du cycle et, sauf à sen remettre à une décision radicale, absolue, définitive et irrémédiable de stockage profond et donc dabandon de toute idée de transmutation et délimination des déchets, il serait choquant et je parle en tant que chercheur de considérer que tout est dit et tout est fait. La filière à neutrons rapides dispose de spécificités qui méritent dêtre retenues dans la mesure où elles sont suffisamment différentes, originales, voire utiles pour que lon ne se contente pas de les enterrer sous un mouchoir sans plus jamais en parler !
Il y a peu de domaines de recherche qui doivent être interdits : le clonage humain en est un, mais les neutrons rapides ne me paraissent pas relever de la même logique.
En conséquence, il est important quune étude critique approfondie des résultats scientifiques qui, depuis six ans, ont pu être obtenus à Superphénix soit disponible.
Quand je dis que lhistoire de la filière à neutrons rapides nest pas achevée, je le pense à deux titres : dabord parce que certaines difficultés techniques du prototype industriel Superphénix, qui était lune des solutions possibles pour les réacteurs à neutrons rapides, montrent que nous ne sommes pas arrivés à laboutissement dune technologie et quil ne faut pas oublier les savoir-faire dont nous pourrons disposer avec cette technologie après larrêt de Superphénix ; ensuite parce que nous disposons, pour mener une politique de lénergie, de solutions stables et éprouvées, y compris au niveau économique, avec lamélioration de lefficacité dun certain nombre de filières, pour plusieurs décennies et que, par conséquent, cette situation laisse tout son champ et tout son temps à létude de solutions innovantes.
Ce qui me frappe particulièrement à la relecture du rapport Curien, pourtant bien connu, de 1992 ce nest pas si vieux ! cest de mesurer combien son écriture différerait aujourdhui du fait de lémergence maintenant dun vrai travail de recherche, y compris technologique, énergétique, sur un certain nombre de solutions alternatives. Dabord sur les réacteurs à neutrons rapides critiques incinérateurs dédiés qui pourraient être dune plus grande efficacité que Superphénix, mais surtout sur le concept de réacteurs hybrides associant un accélérateur et un réacteur sous-critique, qui dune idée qui traînait de-ci, de-là, dans les couloirs, a réussi, en quelques années, à simposer comme une solution méritant une véritable étude, légitime et active, sans prétendre être la solution miracle car il serait très irresponsable de se prononcer sur le sujet aujourdhui.
Je dois dire que, du point de vue de linstitut du CNRS dont jai la responsabilité, cest lune des grandes chances dont nous disposions et je suis content que nous y ayons participé en effet souvre devant nous un vrai travail de recherche dans lélectronucléaire, profondément innovant, non balisé, faisant appel à des idées nouvelles et dans lequel des organismes qui avaient été peu actif depuis une cinquantaine dannées, tels que le CNRS, peuvent, je crois, trouver leur place.
Sur ces nouvelles perspectives que sont les réacteurs hybrides qui, à mes yeux, je le rappelle, ne représentent nullement une déviation à 90° ou 180° de Superphénix, mais doivent au contraire bénéficier dun certain nombre denseignements que lon a pu tirer de Superphénix, vous me permettrez de dire quelques mots.
Je tiens à dire que la capacité à brûler des actinides radioactifs à vie longue sera toujours la même en fonction de lénergie produite : il faut 200 MeV dégagés dans une fission, il faut une fission nucléaire pour se débarrasser dun actinide encombrant, par conséquent, se débarrasser dun actinide conduit toujours à la même énergie thermique disponible dans un réacteur, quil soit critique, sous-critique, bleu, jaune ou vert ne change rien à laffaire !
Il faudra toujours à peu près 46 kilos de produits lourds, susceptibles dêtre fissionnés, qui seront incinérés pour produire, à peu près, un TWh. Des TWh, on en produit environ une vingtaine dans une grande centrale chaque année, ce qui signifie quavec ce genre de puissance installée cest environ une tonne de produits lourds que lon peut incinérer.
En conséquence, la différence entre un réacteur à neutrons rapides critique du genre dun Superphénix nouvelle génération, conçu à cette fin et plus efficace et un système hybride, ne tient pas à lefficacité dincinération des actinides mineurs mais à la sûreté, à la conception, au fait quun réacteur sous-critique nous semble être, par nature, précisément parce quil est sous-critique, différent dun réacteur critique.
Larrêt de laccélérateur interrompt radicalement la réaction en chaîne il névite cependant pas quil puisse y avoir dans le cur des produits qui chauffent alors quun réacteur critique est susceptible de comportements moins facilement contrôlables.
De ce point de vue, il nous semble que cette différence est celle sur laquelle nous pouvons fonder quelque espoir et sur laquelle nous devons travailler !
Dès lors, il apparaît que ces systèmes hybrides, avec une neutronique complètement différente de celle que lon a largement étudiée dans les réacteurs critiques, avec des problèmes de technologie radicalement nouveaux, immensément simplifiés pour certains mais nouveaux et peut-être difficiles pour dautres, constituent un véritable sujet détude.
Je suis frappé de constater quaprès le travail de pionnier accompli, dans une certaine optique, par M. Baumann aux Etats-Unis, à Los Alamos précisément, et la forte influence de la personnalité de Carlo Rubbia dans les propositions quil a soumises pour utiliser ce concept, dabord pour produire de lénergie, ensuite, dune façon que jestime plus raisonnable au moins dans un premier temps, pour incinérer les déchets, limpact qui, au départ, a été fort dans les cercles peut-être plus disponibles de gens davantage tournés vers laventure que les producteurs habituels délectricité ayant un certain nombre dobligations à assurer, sest maintenant étendu à la plupart des acteurs du nucléaire.
Cela a été le cas, en France où le ministère de léducation nationale, de la recherche et de la technologie, par son rôle très positif de fédérateur, de catalyseur des efforts des uns et des autres a permis que puissent travailler ensemble des organismes aussi différents par leur mission et par leur histoire que le CEA et le CNRS, par exemple. Cela a aussi été le cas dans les pays voisins où, depuis quelques semaines, à linitiative et à lincitation des ministres concernés, des groupes multinationaux, en Europe, ont entrepris de définir une stratégie détudes concrètes avec un démonstrateur, et non pas un prototype et moins encore un prototype industriel, qui, à une échelle déjà importante, on cite volontiers lordre de grandeur de 100 MW installés permettrait détudier les technologies et de valider un certain nombre de principes.
Dans ce domaine, ce qui a été appris par Superphénix, servira à bien des égards et cest pourquoi, je le répète, un rapport détaillé sur les résultats scientifiques obtenus depuis le lancement du programme, savère absolument indispensable.
Un des points les plus délicats qui devra être abordé et je terminerai là-dessus nest pas celui de laccélérateur. On saura construire un accélérateur de très haute performance, de très haute intensité, transportant dans le faisceau une dizaine de MW, et là le CNRS joue un rôle tout à fait prédominant. Ils sagit des problèmes tout à fait nouveaux de neutronique à partir de la diffusion de neutrons extrêmement rapides, puisquils se comptent en centaines de MeV avant darriver aux neutrons rapides habituels que lon connaît dans Superphénix, dune façon totalement anisotrope à lintérieur du réacteur sous-critique. Il sagit de lincinération des produits de fission qui peut trouver avec ces neutrons rapides et certains caloporteurs lourds, tels que le plomb, une solution très élégante et très prometteuse mais aussi du refroidissement, des points chauds et donc des caloporteurs qui, eux, posent des problèmes renouvelés !
De ce point de vue, je dis, même si cela nest peut-être pas très à la mode, que lexpérience acquise avec le sodium liquide revêt une immense importance !
On connaît les limites mais aussi les atouts du sodium liquide. Il est certain quon ne peut pas sen tenir là mais que lon a appris, ne serait-ce que par les difficultés rencontrées, à traiter ce problème du caloporteur sous tous ses aspects, y compris dans le fait quun métal liquide est opaque, ce qui ne rend pas linspection, ni la gestion, toujours très faciles.
Tout ce qui a été appris avec le sodium permet davoir un point sur léchelle puisque lon pourra se situer par rapport à son utilisation dans Superphénix et encourager la recherche dautres solutions : celle du plomb fondu qui présente un certain nombre davantages, notamment de ne pas brûler mais qui, étant à plus haute température, est dune gestion plus difficile ; leutectique plomb-bismuth qui a tout le mérite du plomb, cest-à-dire dêtre un métal très lourd permettant un ralentissement très lent des neutrons et donc une très bonne gestion de la neutronique en même temps quune température plus basse ; des techniques à sels fondus à plus long terme qui ont déjà été étudiées aux Etats-Unis ou des techniques de caloporteurs à gaz qui peuvent avoir leur intérêt.
Si je cite toutes ces questions, cest pour bien montrer que, à notre avis, il y a un autre domaine de recherche dans lequel dailleurs dautres département du CNRS tels que le département de chimie ou le département lié aux matériaux sont maintenant activement engagés, et quil existe un certain nombre de problèmes que nous étudions de notre mieux. En ce sens, nous nous sentons à laval dune expérience dont nous voulons pouvoir tirer tout le profit et qui est celle de Superphénix.
Voilà un peu dans quel esprit, loin du monde de lélectronucléaire qui nest pas le nôtre, nous travaillons dans ce domaine !
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je veux vous remercier de la qualité de votre intervention.
Votre expérience à lIN2P3 et au GANIL nous a laissé entendre un propos de connaisseur et de connaisseur extérieur à lunivers habituel des principaux partenaires du nucléaire puisque vous nous livrez le point de vue du CNRS.
Jirai directement aux faits puisque le temps me manquera pour vous poser toutes les questions qui nous seraient utiles en vous demandant néanmoins votre accord pour, le cas échéant, vous interroger par écrit ensuite.
Jévoquerai donc la loi de 1991 et la manière dont vous linterprétez, pour vous décrire létat desprit du rapporteur de 1991 qui correspond tout à fait à ce que vous dites : lorsque le Parlement a eu à définir des voies de recherche, il navait évidemment pas en tête lutilisation exclusive de Superphénix elle nétait pas alors en vigueur , sagissant de la transmutation et du retraitement poussé, puisque, comme on la vu, ce nest que par la suite que cette voie a été très habilement exploitée et présentée.
A travers cette dernière, il sagissait en fait de permettre à toutes les équipes de pousser tous les types de recherches fondamentales qui permettaient despérer une élimination des déchets susceptible à terme, dans un délai de cinquante ans, cent ans, voire cent cinquante ans, desquiver la nécessité du stockage profond et définitif, donc, au fond, de laisser toutes les voies ouvertes.
Jai suivi avec beaucoup dintérêt votre exposé et jai noté que, sur ce point, vous avez dit quil était impossible dimaginer tirer parti de Superphénix sans avoir simultanément Phénix. Je veux donc vous poser la question suivante : peut-on imaginer Phénix efficace sans Superphénix ?
Telle est la question que nous nous posons après laudition de M. Curien.
Dans le même ordre didées, jaimerais connaître le jugement que vous portez sur la possibilité effective de transmuter en quantités importantes les actinides mineurs. Des calculs théoriques dont vous êtes lun des spécialistes ont-ils été effectués pour estimer ces quantités ainsi que la vitesse dincinération ?
Enfin je vous pose une dernière question, bien que vous y ayez déjà largement répondu dans votre exposé liminaire : y a-t-il dautres méthodes envisageables que lincinération pour détruire les produits de fission à vie longue ?
M. Claude DÉTRAZ : A votre première question je répondrai par laffirmative.
Je pense que certaines recherches peuvent être effectuées avec Phénix sans quune validation industrielle soit indispensable pour les rendre utiles. Je mexplique : la plupart des recherches qui avaient été envisagées pour Superphénix peuvent être réalisées avec Phénix puisquelles consistaient essentiellement à voir comment des réacteurs à neutrons rapides transmutent ou ne transmutent pas, à quelle vitesse, en fabriquant quels produits, ou comment certains matériaux se comportent sous des flux prolongés de neutrons rapides et si cela est utile et susceptible de compléter nos connaissances, doù le nom du programme de Superphénix qui avait pour intitulé « Programme dacquisition de connaissances» et non pas « Programme de validation industrielle », ce qui constituait dailleurs une légère ambiguïté.
Je dirai que les neutrons rapides de Phénix sont les mêmes que ceux de Superphénix, que seule la taille de linstallation change et que cest seulement lorsque lon pense en termes dindustrie quil y a une différence marquante entre les deux : si lon pense en termes de recherche et de validation de modèles la différence est beaucoup moins marquée !
A ce sujet, je considère que nous devrions nous montrer extrêmement attentifs à bien utiliser Phénix dans les quelques années qui soffrent à lui et quen particulier, nous ne devrions pas nous contenter de transposer sur Phénix comme il est possible de le faire et comme on envisage probablement de le faire les recherches qui avaient été recommandées pour Superphénix.
En effet, il convient dactualiser ce programme. Jai fait allusion aux options innovantes qui posent de nouvelles questions et je crois quil serait opportun, pour bien utiliser Phénix, que lon ne se contente pas de dire que, puisquen 1994 un programme a été validé par deux experts, on peut donc le poursuivre tranquillement avec Phénix ! Ce programme demande à être actualisé jusquen 2004, et si beaucoup de choses gardent leur pertinence, je crois que ce nest pas le cas de toutes et que certaines questions nouvelles
jai quelques idées là-dessus mériteraient dêtre débattues !
Voilà ce que je peux vous répondre sur le rôle de Phénix dont je nignore pas que cest une machine vieillissante qui présente des difficultés mais qui, je le répète, représente la seule façon davoir des neutrons rapides en France pour mener des études sérieuses et systématiques. Il est dailleurs permis de sinterroger sur le plan de charge dune recherche, car il ne suffit pas de dire que lon peut sinstaller sur une durée assez longue et je trouve quil est bien de le dire et de travailler avec sérénité et sang-froid encore faut-il pouvoir disposer doutils ...
On parle de disposer de neutrons rapides sur le futur réacteur Jules Horowitz de Cadarache qui sera construit beaucoup plus tard mais il y aura certainement un certain nombre dannées, au milieu de la première décennie du prochain millénaire, où nous souffrirons dun gros déficit de neutrons rapides.
Sagissant de votre deuxième question, je vous répéterai quavec environ une tonne par an, si on optimise le fonctionnement, on peut penser quil faudra à peu près un réacteur hybride dédié pour quatre REP.
Cela étant dit, jai la conviction que les réacteurs hybrides dédiés à lincinération constituent très logiquement la première étape de létude des réacteurs hybrides accélérateur-réacteur sous-critique, mais que ce nest pas la fin de lhistoire. Il a fallu ligoter les mains de M. Rubbia très fort et lui bâillonner la bouche au sparadrap pour quil accepte de ne plus parler de fabrication dénergie : il ny rien à faire, lorsquil sort un TWh tous les quinze jours alors que lon na besoin que du dixième de cette quantité pour alimenter laccélérateur, ce sont 90 % de cette énergie qui restent disponibles !
En létat je crois quil faut le dire ici parce quil ny a pas de tabous même si la tactique consiste à ne pas trop en parler personne na envie dentendre que tous les problèmes dénergie de lhumanité vont être résolus dautant que largument a déjà beaucoup servi et souvent pour des causes discutables ! Mais il est beaucoup plus raisonnable de tenir le discours suivant : « soyons modestes, voyons si les hybrides sont aussi sûrs quon le dit, sils transmutent effectivement aussi bien quon le prétend, sils sont capables aussi de transmuter des produits de fission, ce qui serait quand même un avantage tout à fait décisif, et une fois que nous aurons bien optimisé le tout, nous pourrons commencer à nous interroger sur léconomie des TWh rejetés à la rivière. »
Par conséquent, si cette démarche était retenue et si les incinérateurs hybrides donnaient satisfaction, nous serions amenés dici à dix ans, quinze ans, voire vingt ans, à nous demander quel peut être leur rôle dans la production délectricité et le rapport de 1 à 4 pourrait sen trouver profondément modifié !
Aujourdhui, oui, un réacteur hybride assez modeste pourrait assurer lincinération sur le site de 3 ou 4 REP, mais il reste à le démontrer et cest pourquoi jai employé le terme de « démonstrateur » qui chante à des oreilles de chercheur, car cest véritablement essayer de construire quelque chose qui valide des calculs papier que personne na réfutés et que tout le monde a retournés dans tous les sens ; cest véritablement une étape qui me paraît extraordinairement intéressante parce que ce nest justement pas létape du prototype.
Si vous me permettez dajouter quelques mots là-dessus, je dirai que le plus grand risque, selon moi, que court cette filière serait de partir tout de suite dans un prototype avec le discours suivant : « Soyez tranquilles, nous avons trouvé la solution : le caloporteur, cest du plomb-bismuth ; laccélérateur est un accélérateur cyclotron de 400 MeV qui est fabriqué de telle façon etc. » ; ce serait une vraie catastrophe alors quil y a beaucoup de solutions qui peuvent être optimisées .
En revanche, le démonstrateur que lon commence à entrevoir aujourdhui et qui pourrait être fabriqué à partir de solutions significatives mais pas forcément encore optimisées, permettrait davancer et de faire une première percée.
Jentendais tout à lheure les sommes assez impressionnantes dont parlait le directeur général dEDF pour le démantèlement de Superphénix. Il faut savoir quun démonstrateur, cest moins de 2 milliards de francs, quil y a déjà au moins trois pays qui sy intéressent et que ce nest pas du tout la même échelle, alors que cest quelque chose de radicalement nouveau et qui, je crois, ouvrirait le débat sur le rôle de lélectronucléaire dans le siècle qui vient, dune façon un peu renouvelée.
M. Marcel DEHOUX : Notre commission denquête portant sur Superphénix et sa fermeture, si vous deviez résumer en quelques mots la fermeture de Superphénix, diriez-vous : « cest dommage ! », « On sen passera ! » ou « Cela ne pose aucune difficulté pour lavenir ! » ?
M. Claude DÉTRAZ : Bien évidemment, je ne peux parler que du point de vue extraordinairement limité qui est le mien, celui de la recherche et je vous prie de bien lentendre ainsi : pour nous, chercheurs, cela ne changera rien, ou plus exactement puisque cela change toujours, cela changera peu. Jai bien dit que ce qui nous paraissait important était de pouvoir disposer de réacteurs à neutrons rapides souples, simples, permettant de faire des recherches parce quil y a encore un long chemin à parcourir et quune validation industrielle nous paraît prématurée, mais cest une opinion personnelle...
M. le Président : Je vous remercie.
Audition de M. Jean-Pierre AUBERT,
Inspecteur général de lindustrie et du commerce,
chargé par le Gouvernement dun rapport sur la reconversion industrielle
du site de Creys-Malville
(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Jean-Pierre Aubert est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Pierre Aubert prête serment.
M. le Président : Nous savons bien que lors dune mission de reconversion, on est parfois amené, pour ne pas décourager les gens auxquels on sadresse, à être plus positif que la raison permettrait de lêtre. Je souhaiterais que votre exposé devant nous, centré sur les problèmes dus à la reconversion soit absolument objectif.
M. Jean-Pierre AUBERT : Je ferai une présentation de lobjet de ma mission et des problèmes de reconversion qui se posent à loccasion de la décision gouvernementale sur Superphénix. Le Premier ministre ma confié au mois doctobre 1997 la mission dexaminer les conséquences quavait sur léconomie locale et lemploi la décision qui, à lépoque, avait été annoncée, mais pas encore mise en uvre. Cétait donc quelques mois avant la décision intergouvernementale du 2 février.
Pour mener à bien cette mission, je me suis rendu sur place le plus souvent possible et jai rencontré toutes les parties prenantes de cette opération, les salariés ou les prestataires directs de la centrale, mais aussi ceux qui participent à son environnement local, régional, voire national.
Conformément à la mission qui métait confiée, je me suis, dans un premier temps, efforcé de connaître au mieux la situation et ses implications en essayant et je réponds là à votre sollicitation dêtre le plus objectif possible. Pour assurer cette objectivité, jai demandé à lINSEE de faire un travail, que jai démarré avec lui et quil a conduit ensuite en toute indépendance, de façon à pouvoir disposer des données les plus précises possible sur limpact que pourrait avoir larrêt de Superphénix.
Cette étude a été rendue publique. Vendredi dernier, le préfet de lIsère et moi-même avons réuni à peu près tous les acteurs, en tout cas, tous les élus locaux. Pour aller au plus près de la vérité, nous avons donc cette étude d'impact, que je vous laisserai, bien sûr, et que je commenterai au moyen de quelques tableaux.
Nous avons non seulement examiné les conséquences en matière demplois, mais aussi, plus largement, les effets que cet arrêt pouvait avoir sur léconomie locale et lenvironnement, ainsi que sur les collectivités locales. Nous avons fait une étude assez fine des situations des collectivités locales concernées, en particulier des conséquences sur leurs ressources ou leur endettement.
Il sagissait dapporter le maximum de contributions à lanalyse locale, de façon à les transmettre aux acteurs locaux et à permettre la mise en uvre de moyens conformes à ces éléments danalyse.
La seconde partie de ma mission était de faire des propositions. Jai élaboré à cet effet un programme daccompagnement de cette décision de fermeture en mappuyant sur les éléments danalyse dont je disposais et en mefforçant de proposer les modes daction les plus opérationnels et les plus rapides à mettre en uvre. Le souci était ceci est le fruit dune certaine expérience de ma part de présenter un éventail de moyens efficaces avant même, à la limite, que les crises les plus sensibles apparaissent pour la population concernée.
Le dispositif que jai proposé visait à traiter aussi bien laspect social, en me concentrant sur les situations vécues par les salariés des entreprises prestataires de la centrale, soit près de 400 personnes fin 1997, concernés par lévolution des plans de charge, que laspect économique local pour les entreprises prestataires. Au-delà, il sagissait daider au redéveloppement économique de cette zone malgré limpact négatif que peut avoir la fermeture.
Ce programme daction a été retenu pour lessentiel par le Gouvernement dans sa décision du 2 février. Il est à lheure actuelle totalement opérationnel. Il est à noter que cela sest fait dans un délai très bref. Ce dispositif est placé sous lautorité du préfet de lIsère et nous avons pu, ensemble, le présenter lors de cette réunion organisée vendredi dernier à la préfecture de lIsère.
Il est opérationnel, cest-à-dire que les moyens sont en place, tant financiers quhumains. Il fonctionne et peut donc produire des résultats tant sur laspect social quéconomique.
Par ailleurs, il fallait déterminer la zone principale dimpact. Le canton de Morestel, proche de la grande aire urbaine de Lyon, est situé à sa limite, cest-à-dire quil en subit linfluence, mais en même temps, il est aussi à lécart et se caractérise par des structures rurales classiques.
Pour le calcul de limpact en termes demplois et de population, nous avons travaillé avec lINSEE sur la base des effets directs et indirects quont les suppressions demplois sur un effectif de 1 125 personnes à la fin 1997, qui se décompose en deux catégories : 735 pour les employés sous statut EDF-NERSA, et 390 personnels salariés de la cinquantaine dentreprises prestataires, qui ont un tout autre statut. Cest le personnel constant.
Ce personnel a des effets directs sur léconomie régionale, mais a aussi des effets indirects puisquil induit une consommation par la population des familles concernées.
Nous avons fait un calcul extrêmement précis de la population concernée par cet emploi direct en comptabilisant le nombre de familles, enfants et épouses, qui consomment. Puis, nous avons franchi un pas supplémentaire, en prenant en compte le fait que cette population vit et consomme sur place et quelle induit des emplois par la consommation, qui génèrent eux-mêmes une présence de population.
Nous avons donc essayé de mettre en lumière le plus précisément possible leffet de la disparition potentielle en termes de population, de la fermeture, comme si elle seffectuait du jour au lendemain. En réalité, les opérations se passent de façon différente, en dynamique.
La zone détude, large au départ, se concentrait dans un rayon de trente kilomètres autour du canton de Morestel et touchait 105 communes et 136 000 habitants. Nous arrivions au chiffre de 5 000 personnes sur une population locale de 136 000 habitants concernées par la fermeture « potentielle », soit 3,4 % de la population avec des différences dimpact très fortes selon les communes.
Nous avons resserré le dispositif détude sur les zones où limpact moyen est beaucoup plus élevé, sur les communes dont au moins 3,5 % de la population sont concernés, avec, bien sûr, de fortes concentrations, notamment sur les communes du centre de cette zone, celle de Creys-Mépieu où se situe la centrale, et celle de Morestel, où un habitant sur quatre est concerné par la fermeture. Jessaie de répondre à votre recommandation dobjectivité : nous avons essayé dapprocher, avec des données qui nétaient pas les nôtres, au maximum les effets de limpact.
Nous avons tiré de ces études un graphique faisant apparaître limpact consommation auquel sajoute un impact par les sous-traitants, que nous avons mesuré également.
Cela nous a permis de déterminer une zone dimpact considérée comme la zone dapplication prioritaire du programme que jévoquerai par la suite.
Limage que nous avons ici est celle de la fermeture de la centrale du jour au lendemain, comme le ferait une usine automobile qui ferme. Du jour au lendemain, la chaîne sarrête et cela a des effets immédiats sur les salariés et sur lenvironnement. En réalité, dans le cas de la centrale, larrêt se passe de façon progressive et étalée dans le temps. Jai essayé dapprécier cette évolution sous forme de graphique et de corriger limage, ce quil a fallu faire en isolant les deux catégories de salariés dont lévolution ne sera pas obligatoirement la même.
En ce qui concerne le personnel EDF-NERSA, le personnel sous statut, deux évolutions se superposent : celle des besoins demplois et celle des effectifs réels. Il peut y avoir un décalage entre les deux parce que lon se place dans un redéploiement du personnel EDF à qui lon propose des offres demploi ailleurs, mais qui ne part pas forcément au même rythme que les objectifs de charge de travail limpliqueraient puisquil faut quil trouve cette offre et quil puisse partir au bon moment. Il se crée donc un décalage.
Cela évolue dans le temps selon, grosso modo, une première période qui se décompose en quatre phases. Cest la mise à larrêt définitif (MAD), quavec la DSIN et les responsables EDF nous avons décomposée en prenant lévolution la plus optimiste. Vraisemblablement, cela peut sétaler plus dans le temps.
Leffectif des personnels EDF-NERSA passerait de 735 à environ 200 à lhorizon de sept à neuf ans.
Au-delà, il resterait une centaine de ces personnels pour la phase de démantèlement de linstallation, autre phase dont les termes ne sont pas encore parfaitement précisés.
Lévolution des effectifs EDF répond à certaines caractéristiques, celle des prestataires à dautres. En ce qui concerne les prestataires, le mouvement nest pas forcément le même.
On a une chute potentielle assez rapide. Il y aura de légères remontées parce que lon peut imaginer quà certains moments, en particulier lors du traitement du sodium, on ait besoin de personnels supplémentaires dans les entreprises prestataires mais il ne sagira pas forcément de personnels ayant les mêmes qualifications quau départ, cest-à-dire que cela peut concerner des entreprises prestataires différentes.
Cependant, daprès cette étude, si lon sen tient aux données connues à lheure actuelle de lévolution de la centrale, il ny aura certainement pas de remontées considérables des effectifs des prestataires, contrairement à certaines rumeurs qui avaient pu être diffusées. Donc, vous voyez que jai recherché là aussi un maximum dobjectivité dans la démarche.
En regroupant les deux données sur un même graphique, effectif total et convergence de ces deux tendances, je constate que lon passe progressivement, sur la période dite de la MAD (sept à neuf ans), de leffectif de 1 125 à celui de 340.
De toute façon, dans cette prochaine période, on est devant un effectif encore important même si les départs sont sensibles. Dans une certaine mesure, létablissement de Superphénix restera, pendant de très longues années, le plus gros employeur du canton de Morestel et lon aura toujours des effets sur léconomie locale. Même si ceux-ci sont moindres et que lévolution des effectifs ou lévolution de lactivité de la centrale génèrent des effets négatifs. Des mesures pourront contrebalancer dans le temps ces effets.
Nous avons fait lanalyse dune coupe de limpact global que pourrait avoir la centrale du point de vue de léconomie et de lemploi mais, en dynamique, leffet potentiel nest pas immédiatement appliqué, leffet réel est beaucoup plus progressif. Cela veut aussi dire que pendant ce temps, il peut y avoir des possibilités de réactions, cest-à-dire que le milieu subit des effets dépressifs, mais possède, en même temps, une capacité de réaction spontanée.
De plus, les mesures daccompagnement peuvent engendrer des effets de compensation qui peuvent permettre de relativiser les effets négatifs et dépressifs de cette mesure.
Tels sont, dans un premier temps, M. le Président, les éléments que je pouvais vous présenter.
M. le Président : Je nai pas été surpris de vos graphiques mais je lai été de voir que lon décharge le combustible si tard, dans trois ans.
Dès lors que la centrale est à larrêt, ce qui est le cas aujourdhui puisquelle ne produit plus quun MW lié aux produits de fission, que lon mette le combustible dans une piscine ou dans un stockage, ou quon le laisse est indifférent. En revanche, on peut imaginer daller plus vite si lon vidait le combustible. Tant que lon ne vide pas le combustible, on est obligé de laisser le sodium pour refroidir.
C'est un aspect qui nest pas de votre responsabilité, mais je dois avouer ma surprise.
M. Jean-Pierre AUBERT : Cela ne relève pas, en effet, de ma compétence en tant que telle, mais je me suis appuyé sur les données dEDF et les prévisions de la DSIN. En réalité, dans cette hypothèse, le déchargement commence mi-1999. Il sétale sur dix-huit mois mais, sur mon graphique, ce nétait peut-être pas clairement indiqué. Les raisons que lon ma toujours données sont quil y avait encore des travaux détudes préalables à faire et quil fallait quun décret préparé par la DSIN soit pris pour pouvoir lancer ces opérations en tant que telles. Même sil est pris à lautomne, il faudra encore quelques mois, au moins six, pour pouvoir engager les premières opérations, pour des raisons techniques sur lesquelles je ne suis pas compétent pour répondre.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Tout dabord, pouvez-vous nous préciser quelle sera la durée du chantier de démantèlement, que je continue à ne pas bien comprendre ? Combien de personnes seront concernées ? Cela correspondra-t-il aux chiffres assez impressionnants qui ont été annoncés ?
Ensuite, nous sommes allés il y a peu à Creys-Malville, alors que nous sommes à quelques mois à peine de lannonce de larrêt. Je dois dire que lon naperçoit pas de politique de reconversion du site. Vous nen avez que très peu parlé. Y en aura-t-il une ? Si oui, quels en seront les moyens ? LEtat ou la Communauté européenne sassocieront-ils à cette reconversion ?
Enfin, avez-vous été surpris de la rapidité des départs demployés ? Une cinquantaine de la centrale ou une centaine, on ne sait pas bien pouvez-vous nous préciser ce chiffre ?
La qualité des personnels partants fait quun redémarrage de Superphénix devient impossible non pour des raisons techniques, mais pour des raisons humaines puisque les « meilleurs cerveaux » sont reclassés les premiers et dans des techniques de type réacteur.
La cellule de reconversion joue-t-elle un rôle dans ces reconversions ou EDF assume-t-elle seule toutes les conséquences sociales de la fermeture, aujourdhui et pour lavenir ?
M. Jean-Pierre AUBERT : Les données que je vous ai transmises sur les effectifs dans mon rapport sont le fruit dun travail avec EDF et la centrale et avec la DSIN pour le phasage. Elles ont été validées après discussion avec ces organismes. Elles ne sont pas de ma propre initiative.
Elles dépendent essentiellement de la nature des opérations prévues, en tout cas prévisibles. Certains éléments peuvent peut-être encore évoluer quant au contenu exact de ces tâches, mais tous ceux que jai rencontrés admettaient de façon très convergente les phases que jévoquais et mettaient à peu près les mêmes durées en face, qui allaient de sept à neuf ans. Certes, une fourchette de deux ans, cest important, mais aucun spécialiste ne tranche. Ils se laissent de la marge sur ce que lon appelle la mise à larrêt définitif. Cette phase comprend les deux importantes opérations que sont le déchargement et la vidange du sodium avant que lon puisse avoir le décret de MAD. Cest une phase décisive notamment soumise à une série de normes nationales ou internationales. Les plus optimistes parlent de sept ans, peut-être durera-t-elle neuf ans. Je suis bien obligé de constater lincertitude des spécialistes que jai rencontrés. Nous avons eu de nombreux entretiens sur cette analyse parce que je voulais quelle soit relativement assez garantie de la part des spécialistes.
Pour compléter ma réponse, je dirai que là où nous entrons dans une zone dincertitude quant à la durée, cest la période postérieure. Sur celle-là, aucun spécialiste ne se prononce parce que les choix ne sont pas encore totalement fixés.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Originaire dune région industrielle, jai vu le crève-cur qua été le démantèlement de la sidérurgie, qui sest fait dans des conditions accélérées, alors que les infrastructures techniques étaient infiniment plus lourdes que ce que nous avons vu à Creys-Malville. Cet empressement peut se comprendre, sachant que ceux qui avaient pris la décision ne souhaitaient pas maintenir ouvert un accès ad vitam aeternam. Larrêt dune entreprise comme Usinor-Denin qui employait 12 000 personnes sest réalisé dans un laps de temps extrêmement bref, de l'ordre de trois ans. Donc, concernant un outil certes complexe sur le plan technique mais employant moins de mille personnes, je suis un peu surpris de cette décroissance en sifflet, dont je persiste à ne pas bien percevoir les raisons techniques.
M. Jean-Pierre AUBERT : Pour connaître dautres systèmes industriels, jai moi-même été surpris. Cest la raison pour laquelle jai voulu établir ce graphique dévolution et le faire valider par les spécialistes. Il était très important de bien comprendre le processus.
Les explications que lon ma données et que jai retenues sont que ces opérations ne sont pas simples à mener, même si elles sont maîtrisées techniquement et connues par les spécialistes. Le déchargement en partie du combustible est maîtrisable, mais vous savez quen raison des incidents de départ qua connus la centrale, lopération na jamais été faite et est particulièrement complexe et lente. Par rapport aux déchargements qui pourraient se faire dans dautres centrales puisque lon annonce, par exemple, le déchargement de Civaux et de centrales du même type selon des prévisions beaucoup plus rapides de déchargement, on saperçoit que, compte tenu de la spécificité technique de Creys-Malville et du fait que cest une première, les spécialistes prévoient un temps de déchargement plus long, ce qui semble une juste précaution.
La seconde raison avancée, ce sont des considérations administratives de sécurité que ne rencontrent pas forcément les installations auxquelles vous faites référence, même sil y avait aussi des problèmes de sécurité dans les gros équipements de la sidérurgie que je connais pour m'en être occupé dans différentes régions.
Je me suis occupé récemment dune usine automobile, à Creil. Cette usine comptait 1 000 employés. Cela sarrête du jour au lendemain. Il faut quelques années et pas mal dargent pour retraiter le site. Il peut y avoir éventuellement quelques examens de pollution et éventuellement quelques traitements de dépollution, mais nous sommes loin de tout ce processus technico-administratif qui est particulièrement évident dans le cas de Superphénix.
Nétant pas un spécialiste en la matière, jai rencontré tous les spécialistes et leur ai demandé de me valider ce programme. Donc, les effectifs décroissent, mais il reste en fin de période, en MAD, un effectif substantiel, un peu moins de 30 % de leffectif de départ.
En ce qui concerne votre seconde question, vous avez évoqué la notion de reconversion du site et de programme de redéploiement, de redéveloppement ou de reconversion, comme lon veut. Il faut bien voir limpact.
Dans ma lettre de mission, M. le Premier ministre mavait demandé dexaminer la question du site à partir dautres questions. Sur ce point, je nai pas véritablement avancé. Je men explique, et cela ne veut pas dire quil ne faille pas continuer à avancer. Jai demandé des études complémentaires à EDF qui sont en cours, mais la reconversion du site ne peut pas être vraiment abordée tant que nont pas été fixées les conditions de la mise à larrêt définitif. Tant que nous naurons pas le décret de la DSIN qui fixe exactement ces conditions, nous ne pourrons pas bien connaître laire quil faut conserver à la disposition de la phase de larrêt définitif et de la future déconstruction. Il sera difficile de prévoir avec certitude les zones disponibles pour une reconversion, pour une autre utilisation du site.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Je vous demandais une réponse non seulement pour les personnels sous statut EDF, mais aussi pour les personnels hors statut.
Sur place, nous avons bien compris que le problème demploi serait infiniment plus douloureux pour les personnels hors statut que pour ceux qui bénéficient dun statut EDF, qui auront les désagréments dune mutation mais ne souffriront pas dune perte d'emploi. Cest la raison pour laquelle des mesures de reconversion sur place sont sans doute utiles.
M. Jean-Pierre AUBERT : Sur ce que lon appelle le site, cest-à-dire 180 hectares, pour linstant, nous navons pas pu déterminer de façon définitive ce que nous pouvions réutiliser immédiatement pour le développement économique. La réflexion continue, car certaines entreprises pourraient vouloir simplanter à cause de la proximité de leau et de la possibilité de se fournir en électricité de qualité.
Une autre question est sous-jacente et a été très présente : le site lui-même ne pourrait-il être réutilisé pour une production énergétique ? Jai été amené à étudier cela. Mais la question nest pas réellement d'actualité. Pour les considérations que jévoquais tout à lheure, elle serait reportée dans le temps et ne peut donc constituer une réponse pour les personnels immédiatement concernés.
Jen viens à un programme de redéveloppement économique qui, lui, est social, qui donc noublie pas la question que je viens dévoquer, mais la laisse pour linstant sur le côté pour se préoccuper de ce qui peut être fait le plus rapidement possible en matière de développement économique et social.
Jen arrive aux problème des prestataires. Lanalyse a fait apparaître quil existait des particularités des sous-traitants à Superphénix. Nous ne sommes pas dans une situation classique. Il y a de nombreux prestataires et personnels sous-traitants : 400 sur un effectif total de 1 125. Cest une situation un peu particulière que lon ne retrouve pas dans cette proportion dans les autres centrales, sauf lors de certaines phases de la vie des centrales où lon a besoin dapports complémentaires.
Mais une telle proportion, en structurel, est une particularité quil faut bien noter. Sans doute est-elle le fruit des particularités techniques, mais surtout des particularités en termes de composition de capital de NERSA puisque une bonne partie des prestataires est le fruit du partage des marchés de prestations entre des actionnaires italiens, allemands et français. Cela a généré, de fait, un tissu économique particulièrement dépendant de la centrale et organisé par rapport à celle-ci et à toutes les activités qui en découlent.
Existait donc cette particularité structurelle qui nest pas due à la fermeture, qui induit une forme de dépendance particulière de ces prestataires, comme le montre une analyse quantitative.
Sur un effectif de 400, on considère cela figure dans le rapport que je vous remettrai que le potentiel de risque en termes de licenciements à court terme oscille entre 200 et 250.
Cest sur ce potentiel de risque que nous avons concentré notre attention. De deux manières.
Dune part, en établissant un programme qui se préoccupe des entreprises en tant que telles : il faut se préoccuper des entreprises car si celles-ci ne peuvent pas survivre, cela pose a fortiori encore plus de problèmes demplois. Nous avons donc un programme que je détaillerai si vous le souhaitez, qui sintéresse à la survie ou au redéveloppement des entreprises prestataires. Ce programme établi en lien direct avec EDF sest déjà traduit par une certaine atténuation de leffet puisque EDF a reporté sa décision de diminution des charges.
Dautre part, en sintéressant aux salariés : nous avons monté un « relais-emploi », en fait une cellule de reclassement, qui soccupe des personnels prestataires, et uniquement de ceux-là, ce qui permet dagir dès maintenant. Actuellement, vingt-cinq personnes sont inscrites et traitées à ce relais-emploi, dont lobjectif est doffrir des possibilités de reclassement à ces personnels. Ces derniers peuvent sinscrire même sils ne sont pas encore licenciés, dès lors quils se sentent menacés ou quils envisagent dévoluer en termes professionnels.
Il existe donc un double dispositif : économique vis-à-vis des entreprises prestataires et social vis-à-vis de leurs salariés, face à un potentiel de risque dans les deux prochaines années, de lordre de 250 personnes, ce qui est vraisemblablement un maximum.
Le soutien au développement économique local sopère de deux façons, par des moyens financiers et humains.
Les moyens humains sont les moyens administratifs de lEtat conjugués aux moyens qui viennent dEDF, mais aussi dacteurs locaux ; la Chambre de commerce et dindustrie qui a été autorisée par lEtat à engager des ressources complémentaires pour pouvoir embaucher un cadre spécialement associé au dispositif. Le but est davoir la plus grande convergence possible des forces pour pouvoir soutenir le développement économique. Deux cadres EDF sont également mis à la disposition de ce dispositif.
Pour ce qui est des moyens financiers, un fond de développement économique a été créé. Il est en place et commence à fonctionner. Déjà, des projets sont à létude et un comité dengagement devrait se tenir et engager des fonds à la fin du mois de juin. Ce fonds est doté de 15 millions de francs par an, sur cinq ans. Lidée étant que cela pourrait se poursuivre au-delà, mais il faut bien, à un moment donné, fixer un premier terme pour pouvoir évaluer lintérêt du dispositif. Ce sont donc 75 millions de francs qui seront engagés. Si lon rapporte cela aux normes que lon connaît dans ce type dactivité : pour quune entreprise soit incitée par une aide à lemploi, il faut compter entre 30 000 et 50 000 francs par emploi ; en faisant le rapport, ce sont 1 500 à 2 000 emplois qui peuvent être soutenus par ces moyens financiers.
De plus, le Gouvernement a demandé, à ma suggestion, que le canton de Morestel soit classée zone PAT car il ne bénéficie pour linstant daucune aide. Mais ce ne sera pas une opération facile à négocier avec Bruxelles pour des considérations que vous connaissez bien.
A cela sajoutent dautres dispositifs plus particuliers qui sintéressent aux commerçants et aux artisans qui peuvent être touchés par les effets de population, ainsi quau problème des logements puisquil y a des cités EDF. Il existe ainsi toute une série deffets indirects qui doivent être pris en considération.
La particularité du fonds, je tiens à le souligner parce que cela a fait lobjet dun arbitrage, est quil s'agit dun fonds décentralisé, abondé par des financements nationaux. Décentralisé, il est dépendant dun comité en engagement que préside le préfet notamment et sa gestion a été confiée à EDF de façon à avoir une mise en uvre extrêmement rapide et à ne pas dépendre de procédures très lourdes. Un dossier est instruit, il est décidé et mis en uvre presque instantanément.
Jen viens à lévolution des effectifs et à la situation morale des salariés.
Il y a deux évolutions, celle des effectifs prestataires, sur laquelle je me suis un peu étendu, et celle des effectifs EDF-NERSA. Ces derniers vont évoluer en fonction des besoins demplois. Le directeur de la centrale tient un programme et cherche à utiliser au mieux les qualifications de ses personnels en fonction de son programme, mais il doit tenir compte aussi, dune part, des vux des individus et, dautre part, des offres demploi ailleurs. La gestion nest pas simple et dépend de ces trois éléments.
Je nai pas été surpris par ce chiffre de cinquante parce que nous nous étions donné un chiffre potentiel de 200 à 250 personnes en sureffectif dans la première période, au moment de la décision, actuellement pour les personnels EDF-NERSA. Cest la différence entre les deux courbes, la courbe de diminution par marches des besoins demplois et celle plus lente de la diminution des effectifs. Nous savions que la diminution des effectifs serait plus progressive, plus lente, que la diminution des besoins demplois. La prévision est de 150 départs en fin dannée, cinquante actuellement, une centaine cet été. Ces départs semblent plutôt un peu plus étalés que ce que nous avions prévu pour des raisons qui tiennent aux incertitudes quant aux besoins exacts tant que les programmes détudes ne sont pas achevés et que le décret nest pas encore paru.
Les offres demplois ailleurs ne se présentent pas aussi rapidement que certains le prévoyaient et il y a une certaine réticence des personnels à se précipiter, encore quil y ait sans doute des mouvements dans tous les sens, comme toujours dans ces cas-là.
Les meilleurs vont-il partir plus vite ? Va-t-on manquer de compétences ? C'est un processus sur lequel se penchent les responsables de la centrale. Il est vrai que cela peut poser un problème interne en termes de compétence pour un redémarrage. Encore que ceux qui vont partir le plus vite seront ceux qui soccupaient de la production directe délectricité. Les compétences dont on aura encore besoin sont celles de tous ceux capables de maîtriser ce qui se passe dans le réacteur.
Il est vrai que lon aura moins besoin des personnes qui conduisent linstallation, car il ny aura plus de conduite dinstallation en tant que telle. Subsistera une conduite de surveillance, mais plus une conduite de production. Et lon naura plus besoin des personnels qui soit soccupaient des turbines, encore que lon ait besoin de prévoir la phase de déconstruction, soit pour leur maintenance en vue dune réutilisation éventuelle.
Cela dit, il est vrai que, moralement et psychologiquement, cest une phase délicate pour les personnels concernés parce que ces derniers sont sous-utilisés à lheure actuelle. Ils ont bien sûr déjà connu la sous-utilisation dans le passé; ce nest pas nouveau à Superphénix, qui a connu des phases très longues darrêt administratif ou technique, mais le changement radical est quil ny a plus dhorizon au-delà. Létat desprit nest pas le même.
Je vous avoue que jai dans mon rapport mis en valeur cette question auprès du Premier ministre et du Gouvernement, en leur précisant que cette phase serait délicate du point de vue de la motivation du personnel et de son état desprit. Je lavais décrite dun point de vue qualitatif et jinsistais dans mon rapport pour inciter à ce que cet aspect soit pris en considération parce que, effectivement, cette dimension individuelle peut avoir un certain nombre de développements imprévus.
On connaissait cette situation. Elle existe, elle est certainement assez contradictoire. La phase actuelle est pour le personnel en général, salariés prestataires ou personnels EDF, une période délicate et parfois douloureuse à vivre. Pour ce qui est des personnels EDF, beaucoup sétaient inscrits dans la durée, même si ce nest pas le cas de tous. Ils savent en effet que leur vie professionnelle est marquée par une certaine mobilité, notamment, pour les personnels plus qualifiés et les conditions daccompagnement sont de niveau élevé tant pour eux-mêmes que pour leur famille. Mais quand même, cette période dincertitude est difficile à vivre, car cela impose des choix familiaux et personnels. Il faut non seulement le reconnaître, mais lécouter et lentendre.
Quant aux prestataires, ils ne sont pas encore énormément touchés par les licenciements. Ceux annoncés sont de lordre dune trentaine, dont une bonne partie nest pas réellement liée à la fermeture. En réalité, sur les vingt-cinq que je citais, à lheure actuelle inscrits auprès du relais-emploi, une bonne quinzaine sont des salariés issus de deux entreprises italiennes qui étaient déjà en difficulté bien avant lannonce de la fermeture. Nous les avons pris quand même parce quil ny a pas de raison de ne pas traiter laspect social, qui est tout à fait légitime.
En revanche, ils sont dans une situation dincertitude forte, se demandant sils se lancent tout de suite dans la reconversion personnelle ou sils attendent de savoir si lentreprise est assurée dun plan de charge. La chose est difficile à vivre. Cest la raison pour laquelle nous avons voulu que le relais-emploi soit mis en place le plus rapidement possible. Il existe maintenant depuis pratiquement deux mois et demi et il est situé à Passins, commune qui jouxte Morestel, et Creys-Mépieu, sur laquelle est la centrale. Il est donc très accessible et des personnes assurent la permanence.
Mme Michèle RIVASI : Je souhaiterais aborder quelques questions qui ne concernent pas M. Aubert, mais lorganisation de cette commission.
Tout dabord, nous avons entendu de nombreuses personnes, mais je pense quil faut absolument que nous ayons accès le plus vite possible à lécrit des interventions faites par chaque personne. Sinon, nous ne pouvons pas repérer les contradictions et avancer dans notre mission denquête. Pour linstant, ce n'est pas une commission denquête, mais une succession dauditions de personnes dont on na pas trace écrite. Il faut que nous soyons, M. Galley, plus performants à cet égard.
M. le Président : Ce problème matériel repose sur nos amis de ladministration de lAssemblée nationale. Je fais droit à votre requête. Je suis très occupé en ce moment par laval du cycle, mais je conçois vos besoins, de la même façon que pour laval du cycle, jai eu le goût davoir les papiers suffisamment avant pour pouvoir réfléchir. En tout cas, il est certain que vers le 10 ou le 15, il faut que nous puissions commencer.
Mme Michèle RIVASI : Dans un premier temps, pour mieux auditionner les intervenants de haut niveau que nous recevons, il serait bien que nous ayons les papiers, même si ceux-ci ne sont pas encore avalisés par leurs auteurs, car une fois avalisés, ils se retrouveront dans la trace écrite finale du rapport. Pour linstant, nous ne disposons pas de ces documents, qui sont pourtant des documents de travail, pour bien fonctionner. Une commission denquête ne peut pas fonctionner ainsi.
Ensuite, je me demandais si nous pourrions faire revenir des personnes si il apparaissait que des propos tenus sont totalement contradictoires.
M. le Président : Tout à fait. Une fois que nous aurons fait le tour complet de tous ceux que nous avons décidé dentendre, nous tiendrons une réunion de bureau pour essayer de définir quelles personnes nous voulons entendre à nouveau. Mais il ne faut pas perdre de vue que nos auditions iront jusquau 10 ou au 15 et que notre rapport doit sortir fin juin-début juillet.
Mme Michèle RIVASI : Enfin, quen est-il de ce voyage en Écosse annulé que nous devions faire demain ? Ce que vous dites, nous intéresse dautant plus, M. Aubert, si vous vous êtes rendus à Dounreay. Cette information aurait pu nous apporter beaucoup.
M. Jean-Pierre AUBERT : Je ne my suis pas rendu, mais jen ai beaucoup entendu parler à propos de lopération de vidange de sodium, bien sûr. Ce fut la plus grosse installation, avant Superphénix, pour laquelle des procédés ont été conçus et mis au point par Novatome. Nous en avons parlé, ce nétait pas directement lobjet de ma mission, mais jai examiné cela afin de pouvoir apprécier la phase de vidange de sodium et les effets sur lemploi que cela pouvait avoir.
M. le Président : Nous avons eu la semaine dernière une lettre des autorités britanniques qui ont émis un avis de principe favorable à la visite des installations par la commission parlementaire. Cependant en raison de certaines contraintes dorganisation, nos amis britanniques sont dans limpossibilité de mettre sur pied une visite complète de lensemble des installations à cette date et propose de la reporter.
Mme Michèle RIVASI : Je vous en remercie, M. le Président.
Cette visite est indispensable parce quelle permettra de répondre à des questions que nous nous posons.
La première phase de démantèlement dépendra en fait de la façon dont on va vidanger ce sodium, suivant la stratégie DSIN et celle des Écossais qui consiste à transformer le sodium liquide en soude directement dans linstallation, permettant un gain de temps.
Il serait également intéressant de connaître les problèmes techniques que cela peut poser et ceux de coût financier.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Nous avons passé beaucoup de temps sur cette question lorsque nous nous sommes rendus à Creys-Malville et lorsque nous sommes allés à lécole du sodium à Pierrelatte.
Mme Michèle RIVASI : Il est aussi intéressant de voir des gens qui sont en train de le réaliser avec des choix qui ne sont pas tout à fait les choix français.
Cest lobjet dune commission denquête que de confronter des choix différents et de les étudier dun point de vue financier, social et même scientifique. Pourquoi ont-ils abandonné les réacteurs à neutrons rapides ?
M. Aubert, jen viens aux questions qui vous concernent plus.
A propos des prestataires, les élus locaux parlaient de 2 000 emplois touchés. Vous parlez de 400. Comment expliquez-vous cette différence ?
M. Jean-Pierre AUBERT : Les entreprises prestataires qui interviennent sur la centrale et qui ont des salariés permanents sont une cinquantaine et représentaient trois à quatre cents salariés à la fin de lannée 1997, 390 plus précisément.
Il y a eu des phases, comme dans toute centrale, où lon a pu monter au-delà, notamment lors des phases de redémarrage ou de préparation de redémarrage mais, en donnée structurelle, ce sont 400 emplois environ.
Les 2 000 éventuels sont ceux qui apparaissent lorsque lon recherche toutes les répercussions de la fermeture. Ces 2 000 se décomposent en 1 125 directs dont 400 pour les prestataires plus 600 qui sont les effets de la consommation de ces populations et, dans la zone étudiée, plus une centaine demplois chez des prestataires qui ne travaillent pas sur le site mais pour la centrale. Il faut y faire attention. Les premiers sont des emplois directs, les autres des équivalents-emplois, cest-à-dire quils sont mesurés par leffet consommation et leffet plan de charge. Nous ne sommes pas dans la même nature du point de vue statistique.
Mme Michèle RIVASI : Pourquoi nenvisagez-vous pas de faire une valorisation de la « déconstruction », comme lon dit maintenant ? Cest une opération assez particulière avec le démantèlement des réacteurs nucléaires. On ne sait pas plus pour les autres réacteurs nucléaires ce qui se passera ensuite. Pourquoi ne ferions-nous pas une valorisation du démantèlement en étudiant la radioprotection, par exemple, sur un site comme celui-là ?
M. Jean-Pierre AUBERT : Nous lavons évoqué dans nos réflexions, mais il est clair que tant que ce nest pas parfaitement stabilisé...
Mme Michèle RIVASI : Vous attendez que ça se stabilise.
M. Jean-Pierre AUBERT : Ces idées sont aussi intéressantes en raison du tissu des prestataires. On a imaginé des formules sur lesquelles je ne métendrai pas. Il nest pas exclu que cette idée puisse rebondir. Elle mérite, en tout cas, dêtre prolongée.
M. le Président : Nous vous remercions.
Audition de M. Dominique FINON,
Directeur de lInstitut déconomie et de politique de lénergie
(extrait du procès-verbal de la séance du 4 juin 1998)
Présidence de M. Robert GALLEY, Président
Monsieur Dominique Finon est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions denquête lui ont été communiquées. A linvitation du Président, M. Dominique Finon prête serment.
M. Dominique FINON : Je suis très intéressé par cette audition, dans la mesure où jai non seulement étudié les problèmes de léconomie du nucléaire et plus particulièrement des réacteurs rapides-sodium, mais parce que jai aussi travaillé sur léconomie politique du nucléaire et comparé les processus de décision entre différents pays, notamment en ce qui concerne le programme des surgénérateurs.
Il y a une dizaine dannées, jai terminé un doctorat dEtat sur cette question, lequel a donné lieu à un livre sorti il y a dix ans : « Léchec des surgénérateurs, autopsie dun grand programme ». Cela dit, il y a déjà plus de quinze ans que lon sest intéressé à lexpertise que je pouvais développer à propos des surgénérateurs puisquen 1981, jai remis un rapport spécial à la commission présidée par M. Paul Quilès. Par ailleurs, jai été auditionné par la commission Curien afin de donner une idée du coût que pourrait représenter loption transmutation et incinération.
Je précise par ailleurs que je suis « athée » par rapport aux choix énergétiques. Je suis avant tout un économiste ; or léconomie intervient et oriente, à un moment donné, les choix nucléaires et ce sera de plus en plus le cas dans le futur.
Je centrerai avant tout mon intervention sur les choix actuels, en les mettant en perspective par rapport au futur énergétique et à la place que le nucléaire et les réacteurs à neutrons rapides pourraient éventuellement occuper dans ce panorama.
Il faut tout dabord faire un premier constat : le nucléaire stagne. Actuellement, on en est à 360 GW au plan mondial, et selon certaines prévisions, on pourrait être à 420 ou 430 GW en 2010.
Divers scénarios dévolution sont envisagés dans les exercices de prospective mondiale, notamment par le Conseil mondial de lénergie.
Un premier scénario « bas » prévoit que le nucléaire continuera de stagner : on en resterait donc à 400 GW en 2050.
Un deuxième scénario « modéré » prévoit la possibilité dun « redécollage » du nucléaire dans le futur, avec une croissance allant jusquà 800 GW en 2050, ce qui correspond à un « redécollage » lent, avec lAsie ainsi que quelques autres pays dont la France pour ce qui concerne lEurope développant leur nucléaire. Dans ce scénario, celui-ci continuerait de représenter entre 4 % et 6 % du bilan énergétique mondial, ne constituant quune des sources dapprovisionnement.
Un troisième scénario « haut » prévoit que le nucléaire reprenne un rythme de croissance à partir de 2020, avec une commande annuelle de 20 GW par an au plan mondial pour atteindre 1 800 GW en 2050, ce qui donnerait, toujours au même rythme, 5 200 GW en 2100.
Dans ce dernier scénario, alors que le nucléaire représente aujourdhui 6 % du bilan énergétique mondial, il représenterait, en 2020-2050, entre 11 % et 14 % et, en 2100, 24 % de ce bilan énergétique mondial.
Un tel scénario sappuie sur lhypothèse de la reconstitution des consensus sociaux autour de la technologie nucléaire dans les pays industrialisés ainsi que son développement à léchelle mondiale, sans que survienne daccident majeur. Lacceptabilité se perpétuerait donc, faisant du nucléaire une des bases de lapprovisionnement énergétique mondial.
Or lacceptabilité sociale est une des contraintes quauront à surmonter la plupart des démocraties industrielles pour quun « redécollage » du nucléaire ait lieu dans le futur.
Il sagit là de blocages politico-juridiques. En Allemagne, par exemple, beaucoup dhommes politiques et délectriciens souhaiteraient relancer le nucléaire, mais le pacte social existant à légard de lénergie fait que cest très difficile. Certes, les arbitrages coût-sûreté ont toujours été faits dans le sens de la sûreté maximale. Mais est-ce suffisant ? Dautant que se pose aussi le problème de lacceptation de la gestion des déchets. Cest là le point central de la reconstitution de lacceptation sociale aux Etats-Unis, par exemple.
Un autre point important tient à linadéquation de la technologie nucléaire aux nouvelles organisations concurrentielles des industries électriques.
En effet, émergent de nouvelles technologies de production électrique faiblement capitalistiques : cycles combinés, production électrique répartie. Cest actuellement la cogénération, ce pourrait être, demain, certaines énergies renouvelables
piles à combustible par exemple. Mais, surtout, si les cycles combinés à gaz ne permettent pas des économies déchelle importantes le prix dune centrale de 50 MW est pratiquement le même que celui dune centrale de 300 MW , les équipements sont beaucoup plus petits et compatibles avec lorganisation concurrentielle. Resterait ensuite à anticiper sur le prix du gaz.
Je veux souligner que par rapport aux années 1970, lenvironnement du nucléaire connaît un changement considérable aux niveaux institutionnel et organisationnel, ce qui peut mettre en question les problèmes dacceptabilité économique du nucléaire dans le futur en embrayant sur les questions dacceptabilité sociale.
Pour aborder le problème de léconomie des réacteurs à neutrons rapides par rapport aux réacteurs classiques, je reviendrai tout dabord sur le leitmotiv des années 1970 concernant la raréfaction de luranium et sur les prévisions que lon faisait alors quant aux besoins futurs duranium dans le monde.
On prévoyait alors une croissance électrique de 7 % par an, soit un doublement décennal, des parcs électriques très importants, avec 2 000 GW de nucléaire installés en 2000 alors quil ny en aura guère que 400 , et 6 000 GW en 2020. Ce qui amenait à dresser un tableau assez angoissant de la disparition des ressources duranium. Des hommes politiques prestigieux ont même affirmé, à la fin des années 1970, quil ny aurait plus duranium dans le monde en lan 2000.
En réalité, nos connaissances quant au potentiel uranifère mondial sont faibles parce quon na cherché luranium que pendant la phase militaire, puis à la suite des chocs pétroliers, quand, dans les années 1970, tous les électriciens voulaient faire du nucléaire. Et dans la mesure où lon ne cherche pratiquement plus duranium depuis, on connaît mal le potentiel uranifère mondial, alors que si on cherchait, on en trouverait.
Les ressources que lon connaît de façon sûre sélèvent à 4,2 millions de tonnes, ce qui permet, au rythme actuel, daller jusquen 2060. Pour un niveau de prix de luranium assez bas 50 dollars la livre britannique alors quil est actuellement de 20 à 25 dollars dans les contrats à long terme , les ressources spéculatives pourraient être de lordre de 15 millions de tonnes. A ce prix-là on pourrait, à la limite, aller au-delà de 2100 dans le cadre du scénario de croissance modérée du nucléaire.
Si le nucléaire « redécolle », on atteint les 50 dollars, en termes de ressources spéculatives, vers 2070. Mais ce quil faut surtout souligner, cest que si le prix de luranium augmente jusquà 100 dollars, on pourrait aller, même si des géologues pourraient contester ce calcul fait grossièrement et encore est-ce un calcul très conservateur , jusquà 75 millions de tonnes duranium. Il y a en effet une fonction inverse de la concentration duranium par rapport à lampleur des ressources et un lien entre le prix et la concentration.
Or on avait anticipé une raréfaction de luranium de façon déjà trop dramatique, à mon sens, quand on pensait que le nucléaire se développerait à un rythme très rapide.
Jen viens maintenant à autre problème, pour en terminer avec ces aspects de compétitivité : je vais vous présenter un calcul très optimiste concernant les réacteurs à neutrons rapides commerciaux, un calcul correspondant à des réacteurs déjà commercialisés, ayant déjà subi les effets dapprentissage et de série après une commande dune dizaine , et dans lhypothèse où lon fait beaucoup de réacteurs N4.
Dans la mesure où un surgénérateur à neutrons rapides-sodium sera toujours plus complexe quun REP, on peut estimer quil y aura toujours un surcoût dinvestissement de lordre de 15 %.
Je signale aussi que si on développe lEPR, cest pour économiser 15 % dès que lon aura des effets de série aussi importants.
Soit un calcul idéal, donc : sur la base du régime institutionnel français, en estimant quon a fait lapprentissage de la sûreté, que les normes de sûreté sont bien maîtrisées, quon arrive à maîtriser les coûts, le coût du kWh provenant de surgénérateurs commerciaux est supérieur de 3 centimes à celui provenant du N4 actuel. Mais attention, je parle là à prix du plutonium nul.
Aussi pour rentabiliser un réacteur à neutrons rapides commercial par rapport à un REP, il faudrait que le prix de luranium passe de 20 dollars la livre à 60 dollars la livre avec toutes les conditions que je viens dévoquer.
A cela sajoute encore un élément que lon ne prend jamais en considération, à savoir la comparaison entre un REP en cycle ouvert à un surgénérateur et tout ce que coûte le développement dun réacteur et de son cycle.
Nous sommes là au cur du problème : développer les surgénérateurs impliquerait den faire autant avec le retraitement REP, alors quen réalité, on peut ne pas le faire. Considérant que la gestion des combustibles irradiés est sûre, beaucoup de pays sorientent dans cette voie, avec enfouissement réversible ou pas, certains que cela peut être une option tenable.
Pour un économiste, on développe le retraitement des REP uniquement parce quon veut du plutonium, ce qui suppose daffecter le coût du retraitement REP aux surgénérateurs, ou, à la rigueur, pour entrer dans ce raisonnement, au cycle Mox.
A lheure actuelle, on ne peut pas raisonner ainsi puisque lusine de La Hague a été construite : tout ce qui est dépensé est considéré comme acquis. Mais vous savez certainement quil y a des polémiques au sein dEDF sur lopportunité de prolonger les contrats de retraitement avec la COGEMA : certains doutent de lintérêt de retraiter, économiquement parlant. En fait, il ny a pas de justification économique ! Même le Mox, en se fondant sur un prix du plutonium nul, sera à peine rentable une fois que lon aura fait tous les apprentissages avec Melox, et cela même si on construit une usine plus grande en réalisant des économies déchelle.
En 1981, quand M. Valéry Giscard dEstaing a perdu les élections présidentielles, M. André Giraud, alors ministre de lindustrie, a signé le décret dautorisation de construction de La Hague afin de forcer le Gouvernement suivant à se déterminer assez vite. Par la suite, on a décidé de créer lusine de La Hague à la fin de lannée 1981, avant de mettre en place la commission Castaing n° 1 pour examiner laspect tant technologique quéconomique de construire cette usine pour la gestion des combustibles irradiés !
En conséquence, si on affecte les coûts du retraitement, qui deviennent une opération dextraction du plutonium, à un surgénérateur dun coût de 13 à 14 milliards de francs, linvestissement en plutonium, pour boucler son cycle, est du même ordre de grandeur !
Les coûts de production dun surgénérateur sont donc, en réalité, pratiquement deux fois supérieurs à ceux dun REP.
Pour quun surgénérateur devienne « économique » par rapport à un REP, il faudrait que le prix de luranium monte à 300 ou 400 dollars la livre ! A ce moment-là, de toute façon, on irait chercher luranium dans leau de mer : même en utilisant beaucoup dénergie pour le faire, ce pourrait être compétitif.
Que lon retienne le scénario « bas », le plus pessimiste, ou même dans un scénario de relance du nucléaire, on pourrait donc se passer dun réacteur de deuxième génération pour la deuxième partie du XXIème siècle.
De mon point de vue, le nucléaire de deuxième génération na donc pas de justification économique certaine. Il ny a pas du tout de rôle économique de laval du cycle avant soixante ou soixante-dix ans, ce qui nous ramène au problème de la transmutation et de la stabilisation du stock dactinides ou de produits de fission. La question de la stabilisation de linventaire implique, en fait, de développer un nouveau système nucléaire.
Or, noublions pas la concurrence des autres technologies de production électrique, sans compter les potentialités du progrès technique : les piles à combustibles, peut-être, pour les dix ou vingt prochaines années, en parallèle avec les cycles combinés à gaz ; et dans ces cycles combinés à gaz, on peut utiliser de la biomasse gazéifiée ou du charbon gazéifié. Il y a tout un mécano de possibles en production électrique.
Noublions pas, non plus, la dérégulation à laquelle la France pourrait échapper. Mais pourra-t-on se permettre dêtre le village dAstérix dans une Europe où lélectricité aura été dérégulée, dans six ou sept ans, lorsquinterviendra une nouvelle directive « électricité » ?
Sagissant de la transmutation, il conviendrait dintroduire les aspects économiques dans le débat, même si on na pas lhabitude, en France, de faire danalyse coût-bénéfices. Il sagit certes, au départ, dune démarche technologique liée à la recherche de la sûreté absolue ou de gestion la plus rigoureuse possible des déchets nucléaires, mais loption du retraitement coûte cher.
Quels en sont les avantages ? Stabiliser linventaire de plutonium et dactinides, sans éviter totalement lenfouissement géologique.
A ce propos, les projets Rubbia redimensionnés pour le programme nucléaire espagnol partent de lhypothèse où on ferait disparaître le plutonium et les actinides et où il ny aurait pas denfouissement géologique, ce qui le justifierait, économiquement parlant. Mais beaucoup en doutent fortement. Il faut savoir quon ne gagne pas nécessairement en économies avec lenfouissement géologique ; peut-être y aura-t-il en France un site au lieu de deux, car un site coûte cher.
Quelles sont, maintenant, les dépenses liées au retraitement poussé ? Il va falloir poursuivre les dépenses de recherche-développement et développement sur le retraitement RNR. Signalons sur ce point que même si tout avait bien marché avec Superphénix et que, dans la foulée, on avait engagé dautres RNR, il y aurait peut-être pu y avoir une occlusion de ce système technologique en croissance. En effet, on navait encore pas vraiment commencé à développer industriellement le retraitement RNR, alors quil aurait fallu, probablement, un apprentissage de quinze ou vingt ans. Existent également des dépenses de recherche-développement et développement sur le retraitement poussé, ainsi que de recherche-développement et développement sur les RNR incinérateurs.
Lensemble recherche-développement et développement peut être estimé entre 1,5 et 2 milliards par an.
Ensuite, il y aurait eu à prendre en compte le coût des installations : pour le renouvellement de La Hague (2020 ou 2030) ; pour linstallation des unités de séparation poussée, dont on ne connaît pas le coût en réalité ; pour lintroduction des premiers RNR : les surcoûts dinvestissement pour apprentissage des quatre premiers RNR par rapport à des réacteurs REP sont environ de 4 milliards pour chacun, soit 16 milliards au total pour une première série de quatre.
Cette option, par rapport à une option REP en cycle ouvert, augmente le prix du kWh dau moins quatre centimes.
Certes, sil y a une taxe sur le CO2 des cycles combinés à gaz de 100 dollars la tonne de carbone par exemple, le prix du kWh des cycles combinés à gaz augmentera dune dizaine de centimes. On peut donc mettre loption du retraitement en balance avec une démarche de même ordre par rapport au CO2.
Toutes ces précisions étant apportées, comment apprécier la décision de fermeture de Superphénix ?
Tout dabord, daprès les spécialistes qui mont informé sur le rôle de Superphénix dans la transmutation, il semble bien que Superphénix nétait pas le meilleur outil en la matière. Il y a peut-être dautres options pour brûler du plutonium, même les REP semblent offrir des possibilités plus efficaces de brûler du plutonium.
A létranger, en Russie, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, on étudie la possibilité de gérer les stocks de plutonium en les mélangeant à des combustibles irradiés normaux et en les vitrifiant.
Même les stocks de plutonium militaires ne sont donc pas nécessairement suffisants pour justifier des options technologiques coûteuses en matière de transmutation ou dincinération. En tout cas, la question se pose du point de vue économique.
Ensuite, sagissant de la fermeture de Superphénix, il faut savoir quun économiste, une fois un investissement fait, ne sintéresse quaux coûts variables.
On aurait donc pu imaginer de continuer à faire fonctionner Superphénix, mais pour produire de lélectricité à douze ou treize centimes le kWh, en dehors de laspect recherche.
Là encore, on ne sait pas très bien ce quest la part des frais fixes dexploitation sur le site. On parle de 700 millions de francs si on avait continué. Cela dit, il faudrait ajouter à cela le coût des curs, qui peut augmenter sensiblement le coût du kWh.
Garder Superphénix en route ou pas ? A la limite, le fait de fermer permet peut-être déconomiser par rapport aux kWh nucléaires quon doit fournir aux étrangers en vertu de la convention révisée avec NERSA, soit 14 à 15 milliards de kWh.
Toujours est-il que Superphénix a un coût dexploitation relativement élevé, puisquil produit un kWh à 12 ou 13 centimes, contre 6 centimes en frais variables pour un kWh REP. On pourrait donc chiffrer léconomie ainsi générée.
La fermeture, cest également moins dirradiations du réacteur, et donc des dépenses de démantèlement peut-être moins élevées.
Je conclurai en insistant sur quelques points.
Il faut rappeler une évidence : au plan mondial, étant donné la mise en perspective que je viens de rappeler, les stratégies « plutonium » sont partout mises en question ; elles lont déjà été aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne. La France peut-elle faire cavalier seul ?
Sagissant de la transmutation-incinération, quels seraient les pays prêts à sassocier à la France ou à suivre sa trajectoire technologique, à développer un système technologique complètement nouveau et complémentaire dun système REP, avec les coûts que cela suppose ?
Sur ce point, je rappelle ce que jindiquais précédemment, à savoir le changement dorganisation des industries électriques, la concurrence dautres technologies de production électrique compétitives, très performantes, qui ne posent que des problèmes de CO2 : je pense aux cycles combinés à gaz.
Par ailleurs, si le nucléaire « redécolle » à partir de 2010 ou 2020, et dans loptique dune réponse à apporter aux problèmes deffet de serre, conformément aux engagements souscrits par les Etats aux Conférences de Rio et de Kyoto, on peut très bien imaginer des trajectoires technologiques viables dans la durée, avec des REP perfectionnés en cycle ouvert.
Mais sil faut une deuxième génération de centrales nucléaires, notamment pour activer la dynamique technologique de lindustrie et renforcer les chances davoir une technologie encore plus sûre cest-à-dire de recomposer, de zéro, la technologie nucléaire dans le futur , il convient alors de définir un vrai programme de recherche en coopération mondiale. Il faut dès lors évacuer les questions de nationalisme technologique, de concurrence entre les pays, comme cela se fait sur la fusion ou les avions militaires.
Cest à ce prix que lon fera face aux enjeux de reconstruction dun nucléaire de deuxième génération qui réponde aux inquiétudes sur les questions de sûreté, de transmutation et de stabilisation des inventaires dactinides ou de produits de fission, qui soit ensuite économique, et qui, enfin, réponde aussi, éventuellement, aux contraintes de non-prolifération.
En termes de démocratie, dénormes progrès ont été faits depuis quinze ou vingt ans quant à louverture des processus décisionnels, avec lOffice parlementaire, avec les procédures des lois Barnier et autres.
Cela dit, face à des enjeux dirréversibilité aussi forts, des responsabilités très importantes ont été prises il y a quinze-vingt ans dans le cadre de processus décisionnels très technocratiques et opaques, alors quon aurait pu, dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, utiliser les fenêtres politiques qui existaient et examiner ces choix plus sereinement.
En effet, dans le cadre de la controverse internationale menée par le président Carter sur le développement à grande échelle du plutonium dans le monde à la fin des années 1970, de vrais questions ont alors été posées, tant au plan économique quau plan de la prolifération ou de la sûreté. Par ailleurs, la commission Flowers, en Angleterre, à la fin des années 1970, a eu à décider de lusine Windscale-Sellafield et de la suite à donner au réacteur de Dounreay. Il sagissait alors de construire léquivalent de Superphénix en Angleterre. En Allemagne, une commission parlementaire très pluraliste, avec participation dexperts des deux bords, sest réunie pendant trois ans, au début des années 1980, et a rendu un rapport pluraliste pour décider de la construction de la suite de Kalkar.
Cest dire que, dans dautres pays, ces questions faisaient lobjet de débats : les choix étaient plus ouverts, il y avait confrontation dexpertises. Et lorsque des représentations dexperts différentes se confrontent, les choix apparaissent nécessairement moins verrouillés a priori aux yeux des hommes politiques, ce qui est un premier pas dans un processus politique.
M. le Président : Pour avoir été au Gouvernement dans les années 1973-1974, je puis vous dire quavec le baril de pétrole à 30 ou 35 dollars, le Président Pompidou était complètement affolé de leffondrement prévisible de la valeur du franc lié au déficit du commerce extérieur.
Le programme nucléaire a surtout été relancé du fait que nous navions pas, à lépoque, dautre solution pour obtenir notre autonomie.
Cest un élément dont vous navez pas parlé, dailleurs, à savoir léquilibre du commerce extérieur. Or il est facile de calculer leffondrement que connaîtrait la balance de notre commerce extérieur, sachant que nous navons pas de pétrole, si nous navions pas les REP, surtout pour les réacteurs de deuxième génération. Daucuns ont dailleurs pu dire que jamais nous naurions pu tenir les 3 % de Maastricht si nous navions pas eu lénergie nucléaire. Quel est votre point de vue ?
M. Dominique FINON : Il y a tout de même des pays qui nont pas pris loption nucléaire ou qui en font moins, fortement dépendants sur le plan énergétique, et dont la balance du commerce extérieur est équilibrée.
Vous comparez la situation actuelle à celle où, dun seul coup, on ferait disparaître les réacteurs nucléaires du système économique français.
On peut certes critiquer mon analyse, mais je pense quon en a trop fait. Au lieu dune soixantaine, on aurait pu nen faire quune quarantaine. Bien sûr, on exporte de lélectricité, on amortit nos coûts, mais ces investissements, si on ne les avait pas faits là, on les aurait faits ailleurs. Existe donc un coût dopportunité de ce que lon na pas fait ailleurs.
Il y a eu une concentration des ressources financières et des compétences sur ce type dinvestissement. Un tiers des ingénieurs de ma promotion, par exemple, au début des années 1970, est allé à EDF, Framatome, etc. LItalie, même si ce nest pas forcément un exemple, a cultivé ailleurs ses ressources, ses investissements, son dynamisme technologique.
En France, on a longtemps eu tendance à investir là où on était bon, sans veiller à développer des talents et à construire du pouvoir économique dans dautres domaines. Limbrication Etat-industries y a eu un rôle majeur, dans le domaine étatico-industriel des marchés des télécoms, du ferroviaire, de laéronautique. Elle a certes connu des succès, mais le plus souvent démentis par des échecs par ailleurs : Airbus, mais aussi Concorde. Les REP, eux, sont une filière américaine, ce qui montre bien quon peut aussi ne pas faire de nationalisme technologique avec le nucléaire et acheter la licence chez dautres.
Cultiver une technologie française dans les domaines de haute technologie peut apporter des avantages au départ, mais si on ne le fait pas, on peut aussi les récupérer très vite. Dès le milieu des années 1970, nous avons vendu des REP à lAfrique du Sud et à la Corée, et nous étions aussi bons que Siemens ou les Américains dans ce domaine.
M. Christian BATAILLE, rapporteur : Vous avez parlé de lhorizon du XXIème siècle. La filière des réacteurs à neutrons rapides peut-elle constituer une réponse aux problèmes de demain, ou faut-il plutôt sorienter vers une filière de REP perfectionnés ?
Par ailleurs, lOffice parlementaire dévaluation des choix scientifiques et technologiques sest penché, récemment, sur le dossier EPR. Avez-vous réfléchi au coût du kWh EPR, du moins par rapport aux technologies aujourdhui connues ?
M. Dominique FINON : Premier point : quelle solution pour le futur ?
On peut se demander, par rapport à la carte que lon pourrait jouer avec les RNR dans le futur, sil est intéressant de maintenir des compétences fortes dans le domaine des RNR, en attendant un éventuel « décollage » commercial dû à une éventuelle nécessité vers 2050. Il sagit là dun laps de temps considérable. Les industriels, sans aides publiques massives, ne pourront pas maintenir ces compétences. Et pour les maintenir, il faudrait avoir un objectif technologique, construire un réacteur, ce que lon fera peut-être avec lEPR.
Pour envisager le futur, il faut examiner ce qui se passe dans le nucléaire au niveau mondial.
Il y a une domination des filières à eau légère. Or, les trajectoires daugmentation des capacités nucléaires dans le monde, surtout avec le marché asiatique qui pourrait représenter plus de 60 % du marché des nouveaux réacteurs dans les vingt prochaines années, reposeront sur une filière mature.
La question est de savoir sil faut changer de technologie. Or on ne le fait que dans la mesure où cela apporte un avantage déterminant. Où serait lavantage déterminant de passer aux RNR entre 2020 et 2050 ? Noublions pas que la technologie nucléaire est extrêmement complexe et exige de préserver une multiplicité de savoirs mais aussi de cultiver des institutions en matière de règlements de sûreté. Or linvestissement sur une technologie donnée étant considérable, passer à une autre filière suppose de reconstituer un investissement et de dévaloriser linvestissement antérieur de compétences et industriel.
Je ne pense donc pas que les industriels soient prêts à passer à une autre technologie sils nont pas de demande de la part délectriciens, sils ny voient pas denjeu. Or les électriciens, surtout sils sont en majorité privés et en régime concurrentiel, auront du mal à choisir de faire du nucléaire, sauf si, pour lutter contre leffet de serre, on recrée des niches hors marché pour continuer à faire du nucléaire, comme cela a été le cas du côté britannique depuis huit ans, pour protéger le nucléaire.
Par ailleurs, il y a encore matière à perfectionner les REP, matière à améliorer leur sûreté avec des concepts avancés.
Je ne pense donc pas que les RNR constituent une réponse pour le moyen terme.
Pour le long terme, la question est de savoir sil ne vaut pas mieux passer à dautres concepts, notamment aux filières des réacteurs pilotés par accélérateur, qui sont éventuellement des filières rapides, mais avec des réacteurs sous-critiques présentant des avantages en termes de sûreté. On peut imaginer que des programmes mondiaux comparent plusieurs filières : les filières américaines de Los Alamos ou les filières Rubbia, ou dautres qui sen inspirent.
Deuxième point : lEPR.
Cette technologie est développée pour respecter le plus possible les normes de sûreté des pays les plus sévères en matière de sûreté nucléaire, et donc pour avoir le plus de chances de le vendre au plan international.
Mais on a mis au point une filière N4 sans avoir exploité toutes les possibilités deffets dapprentissage sur le plan économique. Puisquon en a fait trois ou quatre, on a déjà en partie assumé les coûts de leur industrialisation. Or on perdra tout cet investissement sur les N4 si on nen exploite pas tous les effets de série dans le futur.
Le dossier EPR est donc compliqué. La question qui se pose est la suivante : faut-il mettre en balance, dun côté, les anticipations davantages commerciaux quon pourrait tirer des EPR, et, de lautre, les promesses déconomies plus rapides que lon pourrait avoir avec les N4 ? Cest une question centrale.
Il faut également se demander si un constructeur ne perd pas son dynamisme technologique sil na pas de commandes ou sil nest pas dans un contexte de dynamique technologique. Peut-être le projet de prototype EPR serait-il un prétexte pour lui donner du travail.
Cela dit, au risque dêtre provocant, je pense que le marché nucléaire dans le monde est tout de même extrêmement étroit.
M. le Président : M. Jaffré, le président dElf, ma indiqué que les Chinois viennent de se porter acquéreurs de 100 à 150 millions de tonnes de pétrole sur le marché du Moyen-Orient, ce qui provoque un bouleversement, surtout quand on sait la quantité de charbon quils peuvent avoir. Donc, compte tenu du développement formidable du sud-est asiatique, laugmentation de consommation de pétrole par ces pays sera telle, à un moment ou à un autre, que cela peut bouleverser les données énergétiques mondiales du prix du pétrole, donc du prix de lénergie.
M. Dominique FINON : Je suis assez daccord avec ces anticipations concernant les pays asiatiques. Ils brûleront leur charbon. Ils pourront certes le faire dans des centrales à charbon propre, mais cela provoquera des émanations de gaz à effet de serre.
Pour ce qui concerne lévolution du parc électrique de ces pays, aux rythmes de croissance prévus, extrêmement importants, il faut se demander ce que peut être la place du nucléaire, compte tenu de son caractère très capitalistique. Par ailleurs, ces pays ne vont-ils pas préférer « digérer » la technologie étrangère cest ce quont fait les Coréens et construire ensuite leurs propres réacteurs ?
Lenjeu commercial de lEPR, dans ces conditions, devrait donc être étudié de manière beaucoup plus fine.
ABB a un réacteur qui sappelle le système 80+. Or certains de ses éléments sont testés dans les nouveaux concepts de réacteurs coréens, mais les Coréens, eux, ne commandent que 10 % du concept. General Electric teste un ABWR sur des réacteurs japonais. Le constructeur américain, qui ne peut plus construire aux Etats-Unis, se « fait donc les dents » sur des réacteurs japonais. Mais au-delà des stratégies des constructeurs de réacteurs, le marché asiatique va vite devenir très concurrentiel.
Cest dire, encore une fois, que lenjeu de lEPR doit être mesuré à laune de loptimisme que lon peut avoir quant à lévolution du parc nucléaire mondial.
M. le Président : Il ne sagit pas de faire lEPR avec la seule optique de lexportation. Ce nest pas le problème.
M. Dominique FINON : La sûreté en est-elle réellement améliorée, par rapport au N4 ? Probablement... Cest en tout cas le saut de sûreté que demandaient les Allemands pour que lEPR soit construit en Allemagne. Or vous connaissez les possibilités dévolution politique en Allemagne et les positions du SPD sur le nucléaire. Pourra-t-on construire un réacteur nucléaire en Allemagne dans le futur ?
Peut-être est-ce que jinverse un peu trop les éléments de largumentation, mais jen appelle à un réalisme commercial de la part de nos dirigeants.
Il ne faut pas non plus oublier quen France, notre système électrique va progressivement changer dorganisation, et que le coût de mise au point de lEPR devra en partie être payé par EDF, qui le fera payer à tous les producteurs qui seront en concurrence pour accéder au marché français. Or on peut penser que la Commission européenne contestera le fait de faire payer les « coûts dobligation de service public », ou « coûts dintérêt général ». Elle pourra sopposer à ce type de financement, du fait que les concurrents ABB ou les producteurs allemands, par exemple qui construiront des centrales en cycles combinés et qui voudront vendre en France estimeront que cest une manière de fausser la concurrence.
Le changement dorganisation des industries électriques bouleverse donc aussi la donne.
M. le Président : A linverse, daprès un rapport, peut-être un peu partial, on a vendu 83 milliards de kWh en 1996, pas seulement pour subventionner les industries électriques étrangères.
M. Dominique FINON : Daccord pour les exportations. Jai bien dit que si lon avait construit trop de réacteurs, pour autant, on les amortissait presque entièrement. Certes, on garde les déchets. Cela dit, une partie de lélectricité nest pas nécessairement de lélectricité nucléaire.
Mme Michèle RIVASI : Jai beaucoup apprécié quau travers de votre exposé, on parle enfin des coûts, quon a en fait bien du mal à évaluer.
En effet, si on ne les estime que par le petit bout de la lorgnette, on dit que Superphénix a coûté 60 milliards, mais ce faisant, on ne prend pas en compte le coût de la production de plutonium, qui, lui, nest jamais indiqué. On ne sait pas combien a coûté un cur contenant tant de plutonium.
Aussi, M. le Président, souhaiterais-je que lon demande à EDF détablir un véritable bilan du coût financier. Jai déjà posé la question, mais la réponse nest pas très claire. Combien coûte le kWh des réacteurs à neutrons rapides ? Combien celui des REP ? Mais il faut aller plus loin, car le prix peut être biaisé. La question est donc bien plutôt : combien le cur a-t-il coûté pour fabriquer lélectricité ? Il faut examiner tout le cycle.
Vous êtes favorable aux REP à cycle ouvert, M. Finon. Vous dites en effet quà faire des réacteurs à neutrons rapides, on est automatiquement contraint de faire du retraitement, alors que si on faisait du REP à cycle ouvert, il ny aurait plus de retraitement : on stocke alors le combustible usé tel quel. Mais que répondez-vous, dun point de vue économique, à des gens comme M. Alphandéry qui vous disent que le nucléaire produit moins de CO2 que la cogénération avec le gaz ?
M. Dominique FINON : La charge de plutonium, tout dabord.
Faisons un calcul à la hache : si on retraite à 6 000 francs et si on ne compte pas la récupération de luranium faiblement enrichi, le gramme de plutonium revient à 600 francs soit une division par dix, grosso modo.
Je parle là pour une seule charge, pas du cycle bouclé. En effet, pour aller jusquau bout du concept de surgénérateur, pour un investissement associé à Superphénix en cycle bouclé, avec 8 tonnes dans le réacteur, il faudrait plusieurs demi-charges étant donné le temps de refroidissement, ce qui fait quatre ou cinq ans avant le retraitement plus la refabrication. Il faut donc trois à quatre demi-charges en plus. Soit 15 tonnes de plutonium par rapport à un investissement, donc, à multiplier par 600 francs le gramme, cela fait 9 à 10 milliards de francs pour le bouclage du cycle.
Maintenant, combien a coûté la première charge de Superphénix en plutonium ?
Je mets de côté le coût de fabrication, qui, sans être artisanale, nétait tout de même pas industrielle, ce qui fait quelle a été relativement coûteuse, puisquil ny avait pas deffet déchelle : cela a peut-être représenté 30 000 francs le kilo, à fabriquer. Si on ne considère donc que le coût lui-même du plutonium, on la fait payer par tous les kWh nucléaires REP.
Cest là quil y a un défaut de raisonnement : en réalité, on fait subventionner le surgénérateur par tous les kWh des REP, sachant quensuite, officiellement, la doctrine a consisté à dire quun système nucléaire reposait sur deux choses très imbriquées : on faisait des graphites-gaz et on emboîtait tout de suite sur des surgénérateurs. Cétait à lextrême rigueur, le même kWh quon produisait.
Alors quon retraite à 6 000 francs le kilo, on pensait à lépoque quon allait retraiter à 500 francs le kilo, ce qui en faisait une opération économiquement intéressante. Mais maintenant que les surcoûts sadditionnent pour produire les kWh des surgénérateurs, elle ne lest plus du tout : même à prix du plutonium nul, les coûts ne sont pas compétitifs par rapport à ceux des réacteurs normaux.
M. le Président : Autant il est facile détablir le prix dune unité de séparation et dobtenir le prix de luranium enrichi par rapport à la fonction linéaire du prix de luranium naturel, autant la question concernant le prix du plutonium est toujours très controversée.
Mais il ny a de sens à se baser sur un prix du plutonium quà partir du moment où on prend en compte son potentiel énergétique. Cest la valorisation. A linverse, si le plutonium nest pas réutilisé, il devient un abominable poison, un déchet dont il faut faire quelque chose, et qui par conséquent coûte sans rien rapporter. Cest là la grande difficulté, car finalement, le prix du plutonium en soi dépend de lusage que lon en fait.
M. Dominique FINON : Mais même à prix du plutonium nul, vous produisez tout de même, avec les surgénérateurs, de lélectricité plus chère quavec des REP en cycle ouvert. Et si, en plus, vous décidez de fermer le cycle, cest uniquement parce que vous le voulez pour les surgénérateurs. Il faut donc comparer le REP en cycle ouvert avec un surgénérateur en cycle fermé, avec, au départ, une extraction de plutonium dans la mine elle-même.
M. le Président : Non, parce que si lon utilise le plutonium dans les Mox, on lutilise comme potentiel énergétique.
M. Dominique FINON : Les économistes qui entourent M. Alphandéry vous diront tout de même que, quand il sagira de renouveler La Hague, ils réfléchiront à deux fois avant de repasser des contrats de retraitement.
Car ils lient directement lintérêt du Mox avec lextraction de plutonium. Ce nest pas la peine dextraire le plutonium, parce quen plus, avec le Mox, on néconomise rien. Actuellement, cela coûte même un peu plus cher, par rapport à léconomie des UTS et à léconomie de luranium naturel : on a énormément duranium naturel dans le monde. En outre, Eurodif est en sous-capacité.
Mme Michèle RIVASI : Cest précisément ce que je me demandais : quel est lintérêt, désormais, de faire du Mox, si ce nest pour justifier La Hague ? Parce quavec louverture du marché, cela pénalise énormément EDF.
M. Dominique FINON : On est face, là, à la différence entre les dépenses déjà effectuées et les coûts économiques. Léconomiste nexamine que ce quil y a à dépenser. La COGEMA a construit La Hague, a fait Melox... On a dit que lon construisait La Hague pour des raisons de bonne gestion des combustibles irradiés ; on a du plutonium en sous-produit, on le considère comme gratuit. Or cest là une mauvaise façon de raisonner. Maintenant, on pourrait considérer quil faut raisonner comme si on avait à renouveler La Hague, pour raisonner par rapport au futur de la filière à neutrons rapides.
Là encore, on a créé des irréversibilités très fortes en décidant de construire La Hague, puis Melox. Maintenant, ces équipements existent. A la limite, il y a peut-être une certaine rationalité à les utiliser, quoiquelle soit minime, en se référant uniquement aux coûts variables.
Sagissant du plutonium, je vois bien le regret quont les scientifiques et les ingénieurs du nucléaire de laisser de la matière fissile dans des combustibles irradiés, de ne pas utiliser un potentiel énergétique immense. Mais, si cela coûte extrêmement cher et nest pas rentable, on ne le fait pas. Plus tard, si on a en besoin, on pourra toujours aller rechercher ces matières fissiles dans les combustibles irradiés quon aura stockés de manière réversible dans des stockages géologiques, si on choisit cette option.
M. le Président : Mais on pourrait aussi dire quil est heureux que nous ayons fait lusine Eurodif pour alimenter La Hague. Si en plus de cela, nous ne lavions pas faite, nous naurions pas le nucléaire à neutrons rapides, nous naurions rien. Nous serions entre les mains du capitalisme pétrolier anglo-saxon. Le problème national est là.
M. Dominique FINON : La question sur le CO2 nest pas liée au fait de savoir sil faut retraiter ou non. On peut comparer des REP en cycle ouvert ou des REP en cycle fermé avec des options cycles combinés à gaz, ces « nouvelles merveilles » de production délectricité.
Cette technologie des cycles combinés à gaz représente tout de même la moitié des commandes de centrales électriques dans le monde.
Les cycles combinés, cest une grosse turbine à gaz, combinée ensuite avec un cycle thermodynamique. On peut alors lutiliser en cogénération, mais aussi ne faire que de lélectricité. Dans le cas de la cogénération, un industriel produit à la fois de lélectricité et de la vapeur.
Pour les rendements, on dépasse les questions de thermodynamique habituelle et on arrive actuellement à 60 % dutilisation globale. Et si ces cycles combinés sont utilisés en cogénération chez un gros industriel, on arrive à 95 % dutilisation de lénergie.
Enfin, largument économique que javancerai à M. Alphandéry serait le suivant : entre un REP en cycle ouvert et un REP en cycle fermé, on fait une économie dun centime par kWh.
Gérer des combustibles irradiés en entreposage à sec ou en piscine avant de faire des stockages géologiques éventuellement réversibles coûte moins cher que de construire une usine de retraitement et, éventuellement, de faire des séparations poussées puis des transmutations. Des économies sont donc possibles.
Actuellement, EDF paie à la COGEMA, de par les contrats pour ses combustibles irradiés, 8 ou 9 milliards de francs par an en régime de croisière. Soit un centime par kWh nucléaire.
Certains directeurs dEDF se demandent dailleurs, en privé, sachant quils vont être soumis à la concurrence et quils doivent faire des économies, pourquoi continuer à retraiter les combustibles.
Bien sûr, on pourrait contester le fait de nenvisager la question que sous son aspect économique, et dire quil est mieux de retraiter. Mais je demande à voir. Même si je suis complètement iconoclaste en France sur ce point, je signale que les Suédois ne retraitent plus, et que beaucoup de pays ne vont pas le faire non plus.
Jen reviens au raisonnement CO2 contre nucléaire de M. Alphandéry.
Il est certain que le nucléaire présente des avantages considérables par rapport à leffet de serre. Mais encore faut-il envisager le nucléaire dun point de vue mondial.
Il faudrait que tout le monde ait les mêmes normes de sûreté. Il faut aussi envisager le risque quil y aurait à monter des systèmes électriques uniquement fondés sur le nucléaire, avec des pays qui ont des approches de la sûreté différentes. Il faudrait donc un régime international équivalent au traité de non-prolifération en matière de sûreté nucléaire, et qui soit contraignant. Cest-à-dire que tous les pays qui veulent faire ou utiliser du nucléaire devraient avoir à respecter des normes extrêmement strictes et, dans le cas contraire, payer des pénalités. Il faudrait donc entrer dans cette logique afin détablir un système technologique mondial en matière de nucléaire qui ait une viabilité à long terme, ce qui permettrait de limiter au maximum les risques daccident.
Se pose aussi le problème des engagements gouvernementaux en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui peut devenir très important si les pays se tiennent à leurs engagements, notamment les Etats-Unis.
Il est probable quil faudra des signaux économiques forts pour réorienter les systèmes technologiques, tant en matière de production électrique que de systèmes de transport et, éventuellement, durbanisme. Or, on narrivera pas à boucler les bilans énergétiques mondiaux si on impose la contrainte très forte de la stabilisation démission de CO2 notamment. Entre autres en raison du rattrapage des économies dAmérique latine ou dAsie.
Ces signaux économiques peuvent venir des éco-taxes ou des permis négociables. Un électricien voulant produire de lélectricité avec du charbon mais aussi avec du gaz alors quune centrale en cycles combinés à gaz émet trois fois moins de CO2 quune centrale au charbon, devra payer 100 dollars par tonne de carbone émis, par exemple. Soit léquivalent de deux barils de pétrole. Cela pourrait recréer une certaine économicité pour le nucléaire : on peut envisager entrer alors dans un scénario de « redécollage » du nucléaire dans certains pays.
On pourrait alors mettre en balance les risques nucléaires et la perception quelque peu catastrophiste que certains en ont, dune part, et le risque de réchauffement climatique, dautre part. Mais pour que sopère un tel renversement des opinions publiques, il faudrait probablement que le changement climatique soit manifeste au travers de cataclysmes, daccidents météorologiques, etc.
Dici là, même si les éco-taxes ou les permis négociables représentent des coûts très importants, lacceptabilité sociale du nucléaire ne pourra se reconstruire que si, en face, un risque équivalent est perceptible. On a connu Tchernobyl ; il faudrait subir les conséquences du réchauffement climatique pour inverser la tendance. Et tant que tel ne sera pas le cas, je doute que lopinion publique américaine, allemande, etc. bascule.
M. le Président : Je vous remercie de votre exposé très précieux et de la communication de certains de vos écrits à la commission denquête.