N° 3460 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2001. RAPPORT D'INFORMATION DÉPOSÉ en application de l'article 145 du Règlement PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES (1), et présenté par MM. Paul QUILÈS et René GALY-DEJEAN et Bernard GRASSET Députés. -- (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. (2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page. Défense. La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de : M. Paul Quilès, président ; M. Robert Gaïa, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Voisin, vice-présidents ; M. Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Claude Viollet, secrétaires ; M. Jean-Marc Ayrault, M. Jacques Baumel, M. Jean-Louis Bernard, M. André Berthol, M. Jean-Yves Besselat, M. Bernard Birsinger, M. Loïc Bouvard, M. Jean-Pierre Braine, M. Jean Briane, M. Marcel Cabiddu, M. Antoine Carré, M. Bernard Cazeneuve, M. Guy-Michel Chauveau, M. Alain Clary, M. François Cornut-Gentille, M. Charles Cova, M. Michel Dasseux, M. Jean-Louis Debré, M. François Deluga, M. Philippe Douste-Blazy, M. Jean-Pierre Dupont, M. François Fillon, M. Christian Franqueville, M. Yves Fromion, M. Yann Galut, M. René Galy-Dejean, M. Roland Garrigues, M. Henri de Gastines, M. Bernard Grasset, M. Jacques Heuclin, M. François Hollande, M. Jean-Noël Kerdraon, M. François Lamy, M. Claude Lanfranca, M. Jean-Yves Le Drian, M. Georges Lemoine, M. François Liberti, M. Jean-Pierre Marché, M. Franck Marlin, M. Jean Marsaudon, M. Christian Martin, M. Guy Menut, M. Gilbert Meyer, M. Michel Meylan, M. Jean Michel, M. Jean-Claude Mignon, M. Charles Miossec, M. Alain Moyne-Bressand, M. Arthur Paecht, M. Jean-Claude Perez, M. Robert Poujade, M. Jean-Pierre Pujol, Mme Michèle Rivasi, M. Jean Roatta, M. Michel Sainte-Marie, M. Bernard Seux, M. Guy Teissier, M. André Vauchez, M. Émile Vernaudon, M. Aloyse Warhouver, M. Pierre-André Wiltzer. La mission d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001 est composée de : M. Paul Quilès, président ; MM. René Galy-Dejean et Bernard Grasset, rapporteurs ; MM. Jean-Louis Debré, Roland Garrigues, François Lamy, Jean-Claude Sandrier, Guy Teissier, Michel Voisin et Aloyse Warhouver. INTRODUCTION 7 I. - UNE MENACE DE CARACTÈRE SUBVERSIF : UN DÉFI POUR LES DÉMOCRATIES 9 A. TERRORISME INTERNATIONAL OU INTERNATIONALE TERRORISTE ? 9 1. Une dérive de l'islamisme politique 10 a) Les origines 10 b) Echec ou expansionnisme ? 12 2. Une menace diffuse 13 a) Des terroristes au profil nouveau 13 b) Une organisation de type fédérative à l'implantation mondiale : le problème des réseaux dormants 16 c) Des soutiens étatiques ? 18 3. Des objectifs politiques radicaux 22 a) L'absence d'alternative à la violence : le refus de la négociation 22 b) La volonté de susciter un choc entre civilisations 23 B. DES MOYENS D'ACTION « GUERRIERS » 26 1. Une logistique militaire 26 a) L'Afghanistan et certains pays déstructurés, bases arrière des terroristes 27 b) Des sources de financement mondialisées et opaques 29 2. Le recours à une large panoplie d'armements, sans exclusive 31 a) L'emploi d'armes conventionnelles 32 b) Le détournement d'objets dans une finalité meurtrière : l'utilisation d'armements par destination 33 c) Y a-t-il un risque de recours aux armements NRBC ? 34 d) L'exploitation des failles des systèmes informatiques 38 C. DES DÉMOCRATIES EXPOSÉES 39 1. Les Etats-Unis : une cible désormais désanctuarisée 39 a) Une attaque imprévisible ? 40 b) Une démocratie en guerre : vers une remise en cause de l'American way of life ? 43 2. L'Europe : une prise de conscience plus ou moins tardive de la réalité du danger 45 a) L'Europe, terre d'accueil des islamistes 45 b) Le cas britannique 46 3. La France : un pays sensibilisé à la question du terrorisme islamiste 47 a) Les précédents de 1985-1986 et 1995-1996 48 b) Les dispositifs de lutte antiterroriste 50 II. - LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME DE MASSE : UNE EXIGENCE FONDAMENTALE QUI DOIT MOBILISER DES MOYENS DIVERSIFIÉS 55 A. LA RIPOSTE AUX ÉVÉNENEMENTS DU 11 SEPTEMBRE 55 1. La combinaison d'interventions multiples 56 a) Un impératif : la constitution d'une large alliance politique 56 b) Un engagement militaire presque exclusivement américain 59 c) Une coopération policière et judiciaire accrue 61 d) Une concertation financière efficace ? 63 2. Les conséquences importantes de cette lutte 65 a) Des risques géopolitiques réels : l'arc de crise en Asie 66 b) Quelles implications pour l'architecture de sécurité européenne ? 70 3. Quel cadre d'intervention ? 73 a) Vers un renouveau de l'ONU ? 74 b) Les Etats-Unis ou le multilatéralisme à la carte 74 B. LA REDÉCOUVERTE DES PRINCIPES FONDATEURS DE LA DÉFENSE : GLOBALITÉ ET PERMANENCE 76 1. L'organisation générale de la défense nationale : l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 76 2. La dimension militaire : un élément parmi d'autres dans l'éventail des moyens de réaction 78 a) Le rôle des forces armées dans une réponse coercitive à l'encontre d'un Etat ou d'une organisation sur un territoire donné 78 b) Le dispositif de protection intérieure du territoire national : l'implication des militaires et la mise en place accélérée des réserves 85 c) Pourquoi la dissuasion nucléaire reste nécessaire 88 3. La protection civile : un objectif de sécurité intérieure et de sauvegarde des populations 90 a) Le caractère stratégique du renseignement des services de police 91 b) La prévention et l'adaptation des secours sanitaires face à la menace 92 4. La défense économique : la réduction des vulnérabilités des services de base vitaux pour le pays 95 a) Les transports 95 b) Le secteur de l'énergie 99 C. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONSES COMPLÉMENTAIRES 100 1. Le rôle de la diplomatie, gage d'une lutte coordonnée, maîtrisée et efficace à long terme 101 a) Le nécessaire dialogue pour mettre un terme aux foyers de tensions qui confortent la stratégie des terroristes 101 b) Réformer l'ONU pour rééquilibrer le système international 104 c) L'aide au développement : une action essentielle pour combattre le terreau social du terrorisme 107 2. L'efficacité des instruments d'investigation et de sanction judiciaire, nécessité absolue 109 a) Les ajustements des législations en vigueur 109 b) L'évolution opportune de l'espace judiciaire européen 111 3. La lutte financière et bancaire, arrière-plan de la stratégie anti-terroriste 113 a) Empêcher le recyclage d'argent propre dans les actions violentes par une surveillance internationale accrue 114 b) Geler les fonds nécessaires aux terroristes 115 4. Concilier laïcité et représentativité de l'Islam en France 117 CONCLUSION 119 1. Les attentats du 11 septembre : un choc qui a des répercussions géopolitiques importantes 119 2. Les sociétés modernes face au terrorisme : la nécessité de sensibiliser les populations civiles à l'existence d'une menace pérenne 122 3. Les propositions concrètes de la mission d'information pour améliorer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme international 123 EXAMEN EN COMMISSION 129 CONTRIBUTION PARLEMENTAIRE DE M. JEAN-CLAUDE SANDRIER, DÉPUTÉ DU CHER, AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE 137 ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 139 ANNEXE N° 2 : NOTE DE M. JEAN-CLAUDE VIOLLET, DÉPUTÉ DE LA CHARENTE, SUR LE CONCEPT ET L'ORGANISATION DE LA SÉCURITÉ NATIONALE 141 Mesdames, Messieurs, C'est en 1914 qu'a véritablement commencé le XXème siècle. Le XXIème siècle a peut-être, lui, débuté le 11 septembre 2001. De même que le premier conflit mondial a façonné l'histoire du siècle précédent, les attentats de New York et de Washington augureraient alors d'une généralisation et d'une inscription dans la durée d'une nouvelle menace terroriste aussi violente qu'imprévisible. De fait, le 11 septembre 2001 a vu la conjonction de trois événements à proprement parler inouïs. Ce sont d'abord les attentats terroristes les plus meurtriers de l'histoire internationale. Combien de victimes ? Des données officielles encore provisoires font aujourd'hui état de 3 000 à 4 000 morts. Trois à quatre mille civils appartenant à 71 nationalités, ce qui en fait d'ailleurs l'attentat le plus important commis à ce jour. Ce sont ensuite les premiers attentats terroristes massifs commis sur le territoire des Etats-Unis et préparés à partir d'un territoire extérieur. On a parlé d'un nouveau Pearl Harbour, faisant allusion à l'effet de surprise et au nombre massif de victimes commun aux deux événements. C'est oublier que Pearl Harbour fut un acte de guerre, commis par un Etat contre un autre, et visant des forces militaires. Rien de tout cela le 11 septembre : la première puissance mondiale est attaquée sur son sol continental par un réseau, une structure qui ne connaît pas les frontières et trouve sa source à l'étranger. A cet égard, les attentats du 11 septembre ont peu à voir avec l'autre attentat massif commis sur le sol américain dans les années récentes, à Oklahoma City, par Timothy McVeigh. Surtout enfin, les victimes sont civiles, tout comme l'était l'une des cibles, le World Trade Center. Et si le Pentagone a été attaqué, ce n'est pas en tant que cible militaire, mais pour le symbole que représente la possibilité d'une attaque directe contre le c_ur du dispositif de la politique de défense américaine. Ce sont enfin les premiers attentats délibérément orchestrés comme des attentats spectacles. L'emploi de ce terme ne doit pas tromper : la mission n'entend nullement en minorer l'horreur. Tout au contraire, si le 11 septembre a autant marqué les opinions publiques, c'est précisément parce qu'en direct, deux symboles de la puissance et des valeurs américaines ont été attaqués et, pour l'un d'eux, totalement détruit. Les observateurs ont souvent relevé l'absence de revendication de ces attentats : et pour cause, le message délivré par Al Qaida tient tout entier dans les images qui ont défilé en boucle le 11 septembre. C'est un message sans parole car les terroristes d'Al Qaida ne recherchent pas le dialogue, leur seul objectif étant de montrer leur détermination implacable à lutter et à détruire les symboles de la puissance américaine et occidentale, par tous les moyens, même les plus abjects. Pour toutes ces raisons, le 11 septembre a provoqué un choc sans précédent dans l'opinion publique, choc durable et profond, dont témoigne la multiplicité des analyses, des articles et ouvrages publiés sur le sujet depuis plusieurs semaines. Beaucoup de choses ont été dites et écrites. Et pourtant les questions restent nombreuses : certes, le 11 septembre souligne l'importance de la menace liée au terrorisme islamique. Mais est-elle durable ? Quelles sont les conséquences de la chute du régime taliban, dont le soutien au réseau Al Qaida était avéré, sur la pérennité de cette menace ? Quelles relations entretient ce nouveau terrorisme avec celui dont a eu à connaître, de manière douloureuse, notre pays dans les années récentes ? Il ne suffit pas, en effet, de caractériser la menace - nouvelle, massive... -, de lui appliquer tous les superlatifs ; encore faut-il en comprendre les fondements, en analyser les moyens et les acteurs, en définir les objectifs. Car telle est la condition nécessaire à l'action : avant d'évaluer les conséquences des attentats du 11 septembre pour la France, il importe de comprendre, ou du moins de poser les vraies questions sur les événements récents. La nouveauté radicale des attentats du 11 septembre ne doit donc pas conduire à renoncer à une lecture historique du phénomène, bien au contraire : se réfugier dans une pseudo-incapacité à rendre rationnels des événements qui ne le sont apparemment pas revient à faire le jeu de ceux qui les ont provoqués, à se condamner à une lecture morale, en termes de bien et de mal. Bref, c'est s'enfermer dans une approche stérile en noir et blanc, quand la remise en perspective historique des attentats de New York et de Washington appelle au contraire à s'intéresser aux leçons d'une histoire trop souvent oubliée, toute en nuances. Ce n'est pas une tâche nécessairement facile, l'abondance d'informations n'étant pas synonyme de rigueur ou de fiabilité. La mission d'information comprend d'ailleurs que la nature souvent confidentielle des domaines traités, dans lesquels sont impliqués nos services de renseignement, justifie une grande retenue de la part des responsables du pouvoir exécutif. Elle ne peut cependant que regretter l'insuffisante association du Parlement, alors que plusieurs milliers d'hommes sont déployés sur le théâtre des opérations. Les impératifs de sécurité nationale n'excluent pas le débat démocratique, surtout à l'heure où nos concitoyens se posent de nombreuses questions sur les risques réels qu'ils encourent en vivant dans un pays qui fait manifestement partie des cibles potentielles du terrorisme international. C'est dans cet esprit que le présent rapport s'efforce d'apporter les éléments d'information et de réflexion susceptibles d'aider à ce débat. I. - UNE MENACE DE CARACTÈRE SUBVERSIF : UN DÉFI POUR LES DÉMOCRATIES La fin de la guerre froide s'est traduite par la disparition d'une menace massive et par l'éclosion de menaces diffuses, plus localisées et plus imprévisibles. Ce constat, tous les stratèges l'ont répété à l'envi au cours de la décennie qui vient de s'écouler, alors que les faits venaient conforter l'analyse et que se multipliaient les conflits locaux et régionaux à travers le monde. Ainsi, dès 1994, le Livre blanc sur la défense soulignait la « période d'incertitudes et d'instabilité » ouverte par la fin de la guerre froide. Ses auteurs ajoutaient que les nations redécouvriraient « une marge d'action et des rapports, parfois une histoire, qu'elles croyaient oubliés », à l'encontre des thèses de Francis Fukuyama sur « la fin de l'histoire » qu'aurait engendrée la victoire des principes capitalistes. Ce retour de l'histoire est patent aujourd'hui. En effet, pour comprendre le 11 septembre et dépasser le commentaire d'actualité, il est nécessaire de mettre l'événement en perspective et de convoquer tout à la fois l'histoire de l'islamisme politique, de l'Afghanistan ou encore du Pakistan ainsi que l'analyse de la politique étrangère américaine des deux dernières décennies. Les crimes commis le 11 septembre sont en effet susceptibles d'une analyse qui, elle, est tout à fait rationnelle. Non qu'il s'agisse d'excuser ou de justifier les odieux attentats de New York et de Washington, ou encore de suggérer, comme ont pu le laisser croire certains commentaires ici ou là, qu'en définitive, les victimes innocentes auraient une part de responsabilité : tout au contraire, c'est rendre hommage à leur mémoire que d'essayer d'expliquer comment et pourquoi les événements du 11 septembre ont pu se produire. La mission entend également, par ce travail d'analyse, faire des propositions susceptibles de prévenir la répétition d'un tel scénario. A cet égard, trois questions se posent : celles de l'identité, des moyens et des objectifs des auteurs des attentats du 11 septembre. En quoi s'agit-il d'un phénomène nouveau ? A-t-on à faire à un événement ponctuel ou à l'émergence d'un mouvement de fond qui ferait du terrorisme la menace majeure de la décennie à venir ? A. TERRORISME INTERNATIONAL OU INTERNATIONALE TERRORISTE ? L'enquête en cours depuis les attentats du 11 septembre 2001 fait apparaître peu à peu un nouvel acteur dans les relations internationales : l'internationale terroriste. Contrairement au terrorisme international de type classique, qui consiste à « exporter » des conflits locaux, au moyen d'attentats terroristes, sur des territoires étrangers pour sensibiliser ou faire pression sur la communauté internationale, ce nouvel acteur est totalement transnational et ne poursuit aucune cause politique nationale. Il entretient de ce fait, dans ses méthodes et dans ses principes, de nombreuses similitudes avec les grands groupes transnationaux intervenant dans le domaine économique : comme eux, il implante sa holding sur les territoires les moins coûteux, en séparant les « lieux de production » des « lieux de vente », l'objectif étant de réaliser ses objectifs. En l'occurrence, le groupe créé par Oussama Ben Laden, Al Qaida, a implanté son principal centre nerveux et stratégique en Afghanistan, où les coûts en termes de logistique et de sécurité étaient minimes, recruté là où les volontaires abondaient, commis les attentats sur les lieux les plus symboliques possible, afin de réaliser un profit maximal, en l'occurrence châtier les Etats-Unis partout où cela était possible. Quant à son implantation, elle s'apparente à celle d'entreprises franchisées, autarciques par conséquent, qui se contentent de liens minima avec la holding, dès lors que leurs objectifs ont été fixés. 1. Une dérive de l'islamisme politique Le terrorisme d'origine islamique n'est pas né le 11 septembre 2001, mais s'inscrit dans une histoire dont les origines remontent aux années 1970. Pour autant, il a acquis une dimension nouvelle depuis les attentats de New York et de Washington, en produisant les mêmes effets qu'aurait eus une agression armée contre les Etats-Unis. Aussi faut-il s'interroger sur liens qu'entretiennent ces attentats avec les précédents : s'inscrivent-ils dans l'histoire de l'islamisme politique, dont ils traduiraient une nouvelle dimension ? A-t-on affaire tout au contraire à un phénomène nouveau qui, tout en puisant ses racines dans une histoire commune à celle de l'islamisme politique, en représente une dérive ? Il ne s'agit nullement de questions théoriques : seule une compréhension précise du phénomène permettra de lutter efficacement contre les réseaux d'Al Qaida. Pour comprendre la genèse de la crise qui a éclaté au grand jour le 11 septembre 2001, il faut en revenir à deux dates charnières : 1979 et 1990. · Comme l'a expliqué, M. Antoine Basbous1, directeur de l'Observatoire des pays arabes, l'année 1979 est déterminante dans la mesure où elle est marquée par la conjonction de trois événements capitaux : - en février, elle voit l'arrivée au pouvoir de Khomeyni à Téhéran, donc la prise du pouvoir en Iran par les radicaux chiites. Le succès de la révolution islamique en Iran en 1979 marque la première victoire « militaire » d'un mouvement de cette nature sur le monde occidental : les images des otages de l'ambassade américaine influencent profondément les mouvements islamiques existants, y compris ceux qui appartiennent à la mouvance sunnite ; - l'autre événement majeur, au mois de novembre de la même année, a lieu avec la prise de la Grande Mosquée de La Mecque - lieu saint sunnite -, par Jouhaïmane Al-Outaïli. La Grande Mosquée reste entre les mains des rebelles pendant près de trois semaines. Les armées saoudiennes et jordaniennes restant impuissantes, c'est le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale française (GIGN) qui fera sortir le groupe de Jouhaïmane des caves et des sous-sols du bâtiment ; - l'année 1979 se termine enfin, en décembre, par l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. Afin d'affaiblir l'empire soviétique, les Etats-Unis conçoivent alors une stratégie destinée à faire de l'Afghanistan le Vietnam de l'Union soviétique, sans perdre une seule goutte de sang américain. A cette fin, les islamistes de tout bord, pro-américains, recrutés et financés par le Pakistan et l'Arabie Saoudite, soutenus par les Etats-Unis, sont envoyés en Afghanistan pour se battre contre l'Armée rouge. On retrouve une alliance ancienne entre l'Amérique et les islamistes que Washington avait considérée comme la meilleure parade contre le marxisme athée et l'avancée du communisme dans le monde musulman. En résumé, l'année 1979 représente une date charnière, dans la mesure où c'est à ce moment que l'islamisme radical ne se contente plus de prospérer dans l'ombre des madrassas (écoles coraniques), mais se transforme en un mouvement politique, victorieux en Iran, mis en échec par les Saoudiens. L'invasion de l'Afghanistan lui permet de devenir également une force de combat. Celle-ci sera bientôt alimentée par tous les agitateurs politiques du monde arabo-musulmans, frustrés voire réprimés par des Etats autoritaires, qui n'auront de cesse de s'en débarrasser en les envoyant en Afghanistan. Telle est notamment l'option choisie par l'Arabie Saoudite, qui voit, de toute façon, d'un mauvais _il le prosélytisme d'Etat de son grand rival chiite, lui préférant la diffusion de sa propre conception rigoriste de l'islam (wahhabisme), via les réseaux d'écoles coraniques qu'elle s'emploie à financer à travers le monde entier. Avec l'expulsion des forces américaines et françaises du Liban en 1983, par le Hezbollah soutenu par l'Iran et la Syrie, et notamment la mise en scène d'attaques suicides massives, les islamistes enregistrent une deuxième victoire militaire et idéologique. Les prises d'otages consécutives dopent les mouvements radicaux et les confortent dans leur stratégie de terreur. Mais c'est avec la victoire des Afghans et des volontaires arabes et musulmans du monde entier sur l'Armée rouge que l'islamisme politique enregistre son succès militaire le plus éclatant, qu'il interprète immédiatement en termes idéologiques. Les moudjahidines, que l'on appelait alors en Occident les symboles de la liberté, les combattants de la liberté, se disent en effet que, s'ils ont été capables de défaire l'Armée rouge, a fortiori, ils seraient capables de défaire les gouvernements qui ne respectent pas la Charia, la loi islamique. Forts de leur expérience afghane et de cette conviction, ces hommes retournent alors dans leur pays d'origine - en Algérie, en Egypte et ailleurs - pour tenter de renverser leurs gouvernements. · L'année 1990 représente l'autre date charnière dans l'histoire de l'islamisme politique. Saddam Hussein décide brutalement d'envahir le Koweït. Les Etats-Unis, ne pouvant laisser le dirigeant irakien contrôler, en plus du pétrole irakien, le pétrole du Koweït, et menacer par là-même l'Arabie Saoudite, leur vieil allié, militairement aussi bien qu'économiquement, mettent en place une coalition comprenant des Arabes et des Musulmans, afin que la riposte n'apparaisse pas comme une agression chrétienne contre un pays musulman. Pour rallier les Arabes, Washington promet alors de créer un Etat palestinien aussitôt la guerre terminée. Les Arabes prennent très au sérieux cet engagement fermement mis en avant. Par ailleurs, pour rallier la coalition, la Syrie exige le droit d'intervenir au Liban contre les forces du Général Aoun. Le feu vert lui est donné. Quant à l'Egypte, la remise de la moitié de sa dette extérieure La guerre du Golfe ajoute par conséquent un nouveau paramètre dans l'équation de l'islamisme politique : à la dimension fondamentaliste vient s'ajouter un sentiment anti-américain, qui va s'accroître tout au long des années 1990. Né de ce que les islamistes radicaux considèrent comme une trahison de la part du commandeur des croyants que le roi Fahd prétend être, à savoir l'acceptation de l'installation des Etats-Unis dans les lieux saints, il se nourrit en outre de l'échec des Etats-Unis à trouver une solution au problème israélo-palestinien et des conséquences dramatiques de la politique américaine en Irak, l'embargo conduisant à la mort de dizaines de milliers de civils, et notamment des plus faibles. Au cours des années 1990, la montée en puissance de l'antiaméricanisme ira de pair avec une exacerbation de la violence des groupes islamistes, qui les coupe de leur base sociale et les marginaliser petit à petit. Les classes moyennes pieuses, qui formaient, avec la jeunesse urbaine pauvre, le terreau de l'islamisme politique, refusent la radicalisation. C'est en ce sens que les plus éminents islamologues comme M. Gilles Kepel ou M. Olivier Roy, ont pu parler d'un échec de l'islam politique : dans sa stratégie de renversement de gouvernements nationalistes issus de la décolonisation et d'installation au pouvoir de régimes fondamentalistes, l'islamisme politique a bel et bien échoué. Pour certains pays européens, et notamment la France, et pour les Etats-Unis, les conséquences de l'émergence de l'islamisme politique n'en sont pas moins réelles : si l'islam radical a échoué dans ses projets politiques, il se développe en tant que mouvement terroriste, à telle enseigne que, dans un pays comme la France, le terrorisme est considéré comme la menace non militaire prioritaire. Au sein de cette mouvance ultra-violente de l'islamisme terroriste, l'organisation créée par Ben Laden va se révéler la plus dangereuse, bénéficiant de l'expérience et de la fortune de son meneur. Fort de son passé de combattant contre l'Armée rouge, fort de la doctrine wahhabite qui interdit la présence des Chrétiens et des Juifs sur tout le territoire de l'Arabie Saoudite, Ben Laden renforce son organisation. Si Al Qaida est créée dès 1988, c'est dans le contexte de radicalisation des années 1990 que cette structure forge sa doctrine, à partir de 1996. Le nom d'Al Qaida se réfère au mot arabe signifiant « la base » : il s'agissait en l'occurrence de la base de données sur laquelle étaient enregistrés tous les moudjahidines venus de tout le monde arabo-musulman combattre en Afghanistan. Al Qaida désigne en fait deux réalités : la base logistique principale existant en Afghanistan, aujourd'hui largement détruite par l'opération américaine et les bases secondaires ; les réseaux, autonomes par rapport à ce noyau central et originel, dispersés à travers le monde. En 1998, Ben Laden et ses adjoints ordonnent l'assassinat des Chrétiens américains et des Juifs où qu'ils se trouvent. Ben Laden ordonne ainsi de chasser d'Arabie l'armée américaine, de chasser les Juifs de Jérusalem - le troisième lieu saint de l'Islam - et de supprimer les vexations et l'embargo contre l'Irak. Ainsi, au-delà même de la problématique de l'échec de l'islam politique, la machine de guerre islamique est, elle, bel et bien lancée contre les Etats-Unis avant tout, et leurs alliés incidemment. L'attentat contre le World Trade Center, en février 1993, qui fait six morts et un millier de blessés, a été la première opération terroriste menée sur le territoire américain. Cet attentat devait provoquer l'effondrement d'une tour sur l'autre, mais le camion piégé, mal placé, n'a pas fait céder la base des tours. A Ryad, un deuxième attentat contre une petite garnison d'entraîneurs de la garde nationale saoudienne, fait six victimes américaines. En juin 1996, un attentat contre la base militaire de Darran fait dix-neuf victimes parmi les militaires américains et un millier de blessés. L'année 1998 verra la double explosion des ambassades américaines à Nairobi et Dar Es-Salam. En 2000, c'est un bâtiment militaire américain de passage à Aden qui fait l'objet d'un attentat. Enfin, au moment de la fête du millénaire, la police américaine intercepte au Canada un Algérien à bord d'un véhicule chargé de 50 kilos d'explosifs destinés à provoquer une explosion sur l'aéroport de Los Angeles. Si l'enquête sur Al Qaida n'en est sans doute encore qu'à ses débuts, les éléments recueillis aujourd'hui par les polices du monde entier font apparaître un certain nombre de caractéristiques qui donnent à cette organisation un caractère tout à fait nouveau. Le schéma d'Al Qaida échappe aux critères habituels, ce qui rend la neutralisation de ses réseaux d'autant plus complexe. a) Des terroristes au profil nouveau L'un des éléments les plus frappants révélés par l'enquête sur les attentats du 11 septembre concerne le profil des terroristes membres des réseaux d'Al Qaida. Non seulement les chefs des réseaux mais, fait nouveau, les exécutants eux-mêmes appartiennent à des milieux éduqués, souvent aisés, voire extrêmement fortunés. A cet égard, le parcours d'Oussama Ben Laden mérite une analyse particulière. Les événements survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 ont donné une lisibilité, une visibilité et une portée inouïes au combat déjà ancien du « Front international islamique pour le Djihad ». Or, à la tête de cette organisation proclamée héritière des luttes religieuses ancestrales, Oussama Ben Laden a profondément renouvelé le genre grâce à sa fortune personnelle et à l'assise internationale que lui offre depuis 1988 son propre réseau terroriste, Al Qaida. Comment un Saoudien appartenant à la bourgeoisie opulente est-il devenu le symbole d'une violence aveugle et inouïe ?
Ben Laden n'est ni un prophète ni le ciment d'un monde arabe en quête d'un nouveau raïs. Jusqu'en 1990, c'est un Musulman qui combat le communisme par conviction religieuse, n'hésitant pas à se faire, au nom de cette cause, l'instrument des Etats-Unis, quand bien même ceux-ci sont qualifiés de « grand Satan » par l'Iran chiite. A cet égard, Ben Laden l'anti-soviétique est sans doute en partie une création américaine. Après la guerre du Golfe, c'est un milliardaire saoudien, qui se coupe des siens, qui met les moyens financiers dont il a hérité par ses origines familiales au service d'une cause politique et religieuse : chasser les Etats-Unis des lieux saints musulmans, dans lesquels ils stationnent depuis 1990, à la suite de la guerre du Golfe. La constante qui ressort du parcours de Ben Laden concerne son engagement religieux viscéral, obsessionnel, qui le conduit à faire de sa vie non pas tant un combat pour sa foi, qu'un combat contre l'hérétique, qu'il s'agisse du Musulman modéré, du guide des croyants qui pactise avec l'Américain, autre hérétique, du Chrétien ou du Juif. Sur ce dernier point, il est intéressant de constater que Ben Laden n'a jamais fait d'Israël l'ennemi prioritaire, contrairement à de nombreux autres mouvements islamistes radicaux. Le fait qu'il ait toujours combattu contre un ennemi et jamais pour une cause explique également son désintérêt pour la question palestinienne, contrairement à ce que pourraient laisser penser ses déclarations récentes du 7 octobre, qui relèvent en réalité d'un pur opportunisme. Tout aussi intéressants sont les destins individuels des personnes soupçonnées d'être les têtes de pont des réseaux Al Qaida en Europe. Dans tous les cas, il s'agit d'individus totalement immergés dans la vie économique et sociale de leur pays de résidence, dont ils ont souvent la nationalité, et qui ont un niveau d'éducation élevé. Pour prendre un seul exemple, le FBI s'intéresse ainsi à un riche commerçant d'origine syrienne vivant les quartiers aisés de Hambourg, en Allemagne. Ce détaillant en électronique, arrêté puis relâché par la police allemande - au grand dam du FBI - est notamment soupçonné d'avoir financé les cours de pilotage du commando de Mohammed Atta, l'un des kamikazes du 11 septembre et, plus largement, d'être l'un des relais financiers d'Al Qaida en Europe. Nous sommes ici très loin du terroriste peu éduqué, en marge de la société, du type de Khaled Kelkal, le responsable des actions terroristes menées en France en 1995 et 1996. Nous avons par conséquent désormais à faire à une nouvelle génération de terroristes. Comme l'a souligné M. Olivier Roy, directeur de recherches au CNRS2, il faut distinguer deux générations au sein des combattants de la légion islamique qui fournissent les réseaux d'Al Qaida. La première génération, celle de Ben Laden, est apparue dans les années 1980, dans un schéma qui a été pensé et conçu par les services secrets pakistanais, l'ISI (Inter Services Intelligence). Cette première génération est composée d'hommes tels que Ayman Al Zahawiri, chef du mouvement du djihad islamique égyptien, ou Khattab, le Saoudien - ou Jordanien - qui combat aujourd'hui les Russes aux côtés des Tchétchènes, à savoir de véritables militants qui se sont joints à la légion par conviction. Ils ont ainsi tissé des liens d'anciens combattants et disposent tous d'antennes dans leur pays d'origine. « Nous avons donc là une espèce de confrérie d'anciens combattants qui n'est pas très structurée, car tout fonctionne à partir des liens personnels. C'est la raison pour laquelle ils sont difficilement repérables. Cette première génération est impliquée dans les attentats de 1993 et dans les attaques contre les Américains en Somalie. » Depuis 1995, nous assistons à l'apparition d'une nouvelle génération. Il s'agit, en général, de jeunes recrutés en Occident, qui ont suivi des études, qui ont une carrière occidentale, voire une citoyenneté occidentale. D'après M. Olivier Roy3, il semblerait d'ailleurs que les dernières recrues proviennent de milieux sociaux plus élevés que les premières. Ces jeunes gens sont recrutés une conversion personnelle. Dans la grande majorité des cas, ces jeunes mènent une vie normale, sont intégrés, mais, après une crise mystique ou une rencontre, ils décident de revenir au « vrai islam ». Ils rompent alors avec leur famille - mais pas violemment -, partent à l'étranger, fréquentent une petite mosquée connue pour être plus radicale, et c'est là qu'ils rencontrent un ancien d'Afghanistan. Jusqu'aux événements du 11 septembre, ils partaient en Afghanistan où ils étaient sélectionnés par l'organisation de Ben Laden. Une partie était envoyée dans l'infanterie combattre les hommes du commandant Massoud, tandis que les plus compétents, après une formation de six mois, étaient renvoyés en Occident avec des objectifs occidentaux. Dernière caractéristique de cette génération de combattants, révélée par les enquêtes en cours : ils sembleraient qu'ils ont une période dormante beaucoup plus longue que ce que l'on pensait, qui peut aller jusqu'à trois ou quatre ans. b) Une organisation de type fédérative à l'implantation mondiale : le problème des réseaux dormants A bien des égards, l'organisation mise en place par Ben Laden ressortit du vieux rêve panislamique, sauf qu'à défaut d'être poursuivi dans un cadre étatique, il l'est dans le cadre de réseaux terroristes dont l'objectif n'est nullement d'_uvrer pour le bien des populations musulmanes, mais seulement de détruire un adversaire, quitte à se détruire soi-même. En cela, Ben Laden n'est pas un nouveau raïs, mais seulement un gourou charismatique et un criminel fanatique. Il est très difficile de fournir une estimation du potentiel humain que représente Al Qaida. Selon un service de renseignement arabe (cité par le centre d'études de non-prolifération de Monterey), l'organisation représentait, avant les bombardements sur l'Afghanistan, 2 830 personnes, dont 594 Egyptiens, 410 Jordaniens, 291 Yéménites, 255 Irakiens, 162 Syriens, 177 Algériens, 111 Soudanais, 63 Tunisiens, 53 Marocains et 32 Palestiniens. Ces chiffres sont surtout intéressants par la proportion qu'ils donnent entre certains des pays représentés dans le réseau ; mais il est douteux que qui que ce soit, y compris même Ben Laden, dispose du nombre exact de membres, du fait du caractère décentralisé, voire « franchisé », du réseau. Ces chiffres pourraient en outre être sous-estimés dans la mesure où un certain nombre moudjahidines non-afghans sont membres du réseau, mais condamnés en quelque sorte à rester en Afghanistan, étant persona non grata dans leur pays d'origine. Au total, d'après les informations données par M. Alain Richard4, entre 5 000 et 20 000 combattants seraient passés par les quelque 12 camps d'entraînement dont disposait Al Qaida en Afghanistan, avant les bombardements. Où vivent aujourd'hui ces combattants de la légion islamique ? L'Europe semble aujourd'hui particulièrement touchée par le phénomène, l'implantation de ces réseaux au Moyen-Orient étant l'une des interrogations actuelles des spécialistes. D'après les services de renseignement occidentaux, Al Qaida dispose sur le continent européen d'un millier de combattants, des « Arabes afghans » passés par les camps d'entraînement d'Al Qaida en Afghanistan. Le noyau dur des réseaux présents en Europe compterait quelques centaines d'hommes, souvent anciens combattants de Bosnie ou de Tchétchénie, dont une minorité serait prête à passer à l'action kamikaze. La difficulté vient de ce que ces « agents dormants » sont parfaitement intégrés dans la vie sociale et économique des lieux où ils vivent et que, comme l'ont montré les attentats de New York et de Washington, ils ont une remarquable capacité d'attente, sans que leur détermination en pâtisse pour autant. Notamment, pour la plupart d'entre eux, ils ne recourent pas aux activités délictuelles pour financer leurs actions, à la différence des réseaux connus. Pour certains, ils appliquent même les lois avec un zèle extrême : pour l'anecdote, rappelons que les trois kamikazes du 11 septembre étaient inscrits à l'université de Hambourg et qu'ils se sont fait remarquer parce qu'ils étaient les seuls étudiants du campus à payer toutes leurs factures à l'heure, y compris la redevance télévisuelle... En règle générale cependant, l'absence totale de lien entre délinquance et terrorisme rend la détection impossible dans de nombreux pays qui identifiaient précisément les réseaux terroristes par des activités criminelles ou délictuelles de type classique. Tel n'a jamais été le cas en France, où les services de police et de renseignement considèrent le terrorisme en lui-même. Ce qui complique également leur détection, c'est le type d'organisation des réseaux d'Al Qaida : il ne s'agit vraisemblablement pas d'un organisme centralisé, les réseaux fonctionnant au contraire comme des fédérations autonomes, des « franchises », pour reprendre le terme employé par les chercheurs de la fondation pour la recherche stratégique. On objectera toutefois que, s'agissant des attentats du 11 septembre, seule une gestion centralisée des attaques a pu en permettre la coordination. La réactivation d'un lien vertical hiérarchique n'apparaît en réalité que par intermittence et de manière ad hoc. En outre, si c'est bel et bien l'état-major d'Al Qaida qui effectue le choix des cibles d'attentats, celui-ci a lieu au moins un an à l'avance. Les cellules fonctionnent ensuite de manière autarcique. Par conséquent, la structure d'Al Qaida est d'abord horizontale. Faut-il d'ailleurs parler de « structure », tant les cellules semblent en réalité totalement étanches entre elles et sont seulement juxtaposées ? Le schéma d'Al Qaida échappe donc aux critères habituels, à tel point que les services de renseignement occidentaux auraient renoncé, au moins temporairement, à en dessiner un organigramme. Le fait que cette structure franchisée applique un principe de spécialisation par pays a pu faire croire à l'existence de liens horizontaux entre les cellules. Il n'en est rien en réalité, le partage des rôles observé relevant davantage du pragmatisme que de l'application systématique de schémas préexistants. Ainsi, en Europe, Al Qaida disposerait d'une quinzaine de responsables des différents aspects logistiques, répartis par pays. L'Italie serait utilisée pour la fourniture de faux papiers (permis de séjour, passeports falsifiés...) ; en Espagne, la contrebande permettrait de lever des fonds rapidement. La France jouerait le rôle de filière de recrutement, Londres étant, quant à elle, la capitale financière et idéologique. Dans le cas des attentats du 11 septembre, c'est l'Allemagne qui aurait servi de base arrière. La notion de réseau dormant rend par ailleurs difficile l'appréciation du rôle des cellules existantes. Ainsi, entre le 11 septembre et à la fin du mois de novembre 2001, six cellules d'Al Qaida ont été démantelées en Europe et une centaine d'islamistes interpellés. Pour autant, aucun de ces réseaux n'était prêt à commettre d'attentat à court terme. D'où la difficulté pour les enquêteurs de reconstituer un organigramme cohérent. Sans doute l'expérience des polices européennes sur les réseaux afghans est-elle encore limitée ; de même également, dans le cas français par exemple, les policiers et les services de renseignement ont tendance à projeter des schémas préexistants sur ce phénomène nouveau. Dans ce dernier cas, l'expérience acquise sur les réseaux algériens n'en est pas moins un atout, d'autant qu'Al Qaida fédère en réalité un certain nombre de groupes préexistants, y compris de la mouvance algérienne. On y retrouve par exemple le Djihad égyptien et le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Ce groupe dissident du GIA a été créé en 1998 par l'émir algérien Hassan Hattab, qui accusait le GIA de tuer des civils et d'être infiltré par les services algériens. Il a rejoint Al Qaida quand les Américains ont massivement investi dans le pétrole en Algérie. Entre ces groupes, il n'existe pas de hiérarchie semblable à celle d'une organisation militaire. Seul un état-major religieux, constitué par un conseil d'oulémas composé d'imams originaires du Golfe ou du Proche-Orient, se serait regroupé en Afghanistan autour de Ben Laden. En affirmant leur volonté de lutter aussi bien contre les réseaux terroristes que contre les Etats qui les soutenaient, les Etats-Unis ont défini des buts de guerre relativement flous, condition d'ailleurs nécessaire à la constitution d'une large alliance. En effet, au-delà du rôle avéré et incontesté joué par l'Afghanistan dans la création et le fonctionnement des réseaux d'Al Qaida, qu'en est-il du rôle éventuel d'autres Etats ? Comment les Etats-Unis définissent-ils la notion de soutien et considèrent-ils que la résolution n° 1368 votée le 12 septembre 2001 par le Conseil de sécurité, qui leur reconnaît le droit de légitime défense prévu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, vaut autorisation de frapper tous les Etats dont ils considèrent qu'ils soutiennent le terrorisme ? · L'Afghanistan Le soutien apporté par l'Afghanistan à l'organisation responsable des attentats du 11 septembre est avéré et justifie la riposte militaire menée par les Etats-Unis depuis le 7 octobre 2001. Comme l'a expliqué M. Olivier Roy5, la radicalisation actuelle de l'Afghanistan est une conséquence de la guerre de résistance menée contre les Soviétiques, ce pays, en conflit depuis 22 ans, étant toujours dans une logique de guerre. C'est à la faveur de la guerre civile qui a suivi le retrait soviétique que les Taliban prennent le pouvoir en 1996. Si des mouvements, tels que le Hezb-e-Islami ou le Jamiyat-e-Islami, auquel appartenait Massoud, sont dans la tradition des grands mouvements islamistes du Moyen-Orient - les Frères Musulmans, le FIS, etc - et ont suivi en cela pour la plupart l'évolution de la majorité des partis islamistes, devenus beaucoup plus nationalistes, voire ethniques, qu'islamistes, le phénomène des Taliban est, quant à lui, un phénomène très particulier. Alors que le parti du commandant Massoud avait officiellement renoncé à l'idée d'Etat islamiste dès 1987 et que, pour les mouvements issus de la résistance afghane, la question de l'Islam était devenue moins dominante, les Taliban ont instauré l'un des régimes les plus fondamentalistes qui soient. C'est à partir de 1994 en effet, avec l'aide des Pakistanais et des écoles religieuses auxquelles ils étaient affiliés, que ces étudiants en religion se transforment en mouvement militaro-politique. Jusqu'à cette date, les Taliban n'incarnaient rien d'exceptionnel ; il s'agissait d'étudiants recrutés très jeunes, vivant dans une ambiance d'hommes et qui avaient été coupés, par la guerre, de la société civile. Leur radicalisation est venue non seulement de la guerre, mais également de l'influence saoudienne dans les réseaux d'enseignement. Les Saoudiens ont, en effet, massivement financé les réseaux d'enseignement dans les années 1980 - dans le monde entier - et l'on a assisté à une « wahhabisation » de l'enseignement islamique, les Saoudiens ayant mis l'accent sur ce qu'il y a de commun entre le wahhabisme saoudien et les autres écoles de l'islam : une lecture très « scripturaliste » du Coran, un anti-féminisme très marqué et un refus des valeurs occidentales. En termes politiques toutefois, les Taliban, tout comme les Saoudiens, ne sont pas, à la base, des anti-occidentaux, même s'ils insistent sur la mise en _uvre de la Charia, la clé de toute société islamique ; ils étaient même très pro-occidentaux, soutenus par les Américains. M. Olivier Roy a d'ailleurs estimé sur ce point que l'on avait « ces derniers temps, exagéré l'influence des Américains ; les Américains n'ont pas inventé les Taliban, ils les ont "achetés" aux Pakistanais en 1994. En effet, ces derniers leur ont présenté les Taliban comme un mouvement fondamentaliste Le choix de l'Afghanistan comme base arrière principale par Al Qaida ne doit rien au hasard : au-delà même des circonstances historiques et des liens idéologiques avec le pouvoir taliban qui ont conduit à la présence et à l'installation de ces combattants arabes venus du monde entier, l'organisation terroriste a profité d'un cadre géographique tout à fait exceptionnel. D'une part, le réseau d'insfrastructures souterraines construits à Tora-Bora à la fin des années 1980, avec l'appui du Pakistan, offrait un refuge sans pareil. D'autre part, les zones tribales pachtounes (tribal areas) situées dans la zone grise entre l'Afghanistan et le Pakistan représentent la plus vaste zone de non-droit au monde. Comme l'a expliqué devant la mission, M. Michael Barry,6 chercheur à l'Institut d'études iraniennes de la Sorbonne, il s'agit là encore d'un héritage historique : c'est en 1893 que les Britanniques, pour acheter la paix dans cette zone traditionnellement difficilement contrôlable par quelque pouvoir que ce soit et afin de « tenir » trois routes stratégiques, accordent aux tribus de la partie actuellement pakistanaise un statut d'autonomie totale (absence d'impôt, de police...). Le même « statut » a dû en conséquence être étendu à la partie afghane de la zone. Aubaine pour le traitement du pavot, cette région est aujourd'hui une zone de repli des membres d'Al Qaida. La riposte américaine ne vise donc pas le régime taliban en tant que tel, mais en raison du soutien actif qu'il a accordé aux terroristes qui ont frappé les Etats-Unis le 11 septembre dernier. La radicalisation des Taliban vers le terrorisme est tout à fait récente : d'après M. Olivier Roy7, elle date de 1999-2000 et résulte de l'influence de ceux que les Afghans appellent les « Arabes » et que les islamologues appellent les « internationalistes » ou la « légion islamique », sanctuarisée en Afghanistan, mais fonctionnant essentiellement à destination de l'Occident. La question qui se pose désormais est celle de la viabilité d'Al Qaida : c'est en Afghanistan que l'organisation est née, s'est développée et que ses membres s'entraînaient ; c'est en Afghanistan encore qu'ils rencontraient les dirigeants du réseau et recevaient les ordres concernant les cibles. Maintenant que les infrastructures du réseau sont détruites, que le régime taliban s'est effondré, Al Qaida peut-il survivre ? Que des ramifications multiples du réseau continuent d'exister certes, mais une opération de l'envergure de celle perpétrée le 11 septembre aux Etats-Unis était-elle possible sans l'existence d'une base arrière et d'un refuge tels que l'Afghanistan ? Comme il a été montré précédemment, Al Qaida n'est certes pas une organisation centralisée, mais, dans le cas du 11 septembre, la coordination avec l'assassinat du commandant Massoud sur le terrain, quelques jours avant les attentats, montre que l'ordre est venu d'un centre suffisamment organisé pour être en mesure d'actionner quatre cellules différentes. Sans aucun doute les frappes sur l'Afghanistan ont-elles contribué à désorganiser la tête de l'organisation. Mais les services de renseignement estiment que les réseaux européens ont acquis suffisamment d'autonomie pour passer à l'action sans avoir besoin d'ordre du centre névralgique du réseau. D'autant plus que, si des opérations sont prévues, les cibles doivent avoir été désignées depuis longtemps. Au-delà de l'Afghanistan, dont le rôle est unique, existe-t-il d'autres pays qui soutiennent, même indirectement les réseaux terroristes d'Al Qaida ? · L'Irak L'Irak est à ce jour le pays le plus souvent cité par les Etats-Unis, qui arguent de liens entre la mouvance Al Qaida et les dirigeants irakiens. Il semblerait notamment qu'un des responsables du réseau terroriste soit entré en contact avec des Irakiens pour se procurer des armes de destruction massive. La mission ne dispose pas de preuve susceptible d'étayer ou d'infirmer les soupçons des Etats-Unis. Elle s'interroge en revanche sur la nature des motivations américaines en la matière, notamment après que le Président Bush a singulièrement élargi les buts de guerre américains en déclarant que les Etats-Unis lutteraient également contre les Etats mettant en danger leurs voisins par une politique de prolifération des armes de destruction massive. L'équipe en place à Washington est composée d'un certain nombre de responsables déjà en poste au moment de la guerre du Golfe, qui considèrent qu'il faut clore la question irakienne. Il faut également rappeler que l'Irak est potentiellement un rival de l'allié traditionnel des Etats-Unis dans la région, l'Arabie Saoudite, du fait de réserves pétrolières dont le niveau serait identique à celles du royaume des Saoud. La mission estime que les Etats-Unis compromettraient gravement la pérennité de la « coalition », fragile et informe, constituée au lendemain du 11 septembre, en profitant de la lutte nécessaire et légitime contre le terrorisme pour chasser ceux qu'ils considèrent comme les « voyous » de la communauté internationale. En bref, le cas irakien, dont la mission ne sous-estime pas la gravité, ne saurait être traité comme un problème technique, susceptible d'être résolu par une intervention militaire, mais seulement dans une perspective politique qui fait cruellement défaut à ce jour et explique le blocage de la situation depuis plusieurs années. · Le Pakistan Le Pakistan n'a jamais figuré dans la liste des organisations et Etats terroristes établie par le département d'Etat américain, même au point le plus bas des relations entre les deux pays. Il est vrai que, stricto sensu, le Pakistan n'a jamais soutenu de mouvements terroristes anti-américains. Il a distribué les armes et les moyens financiers aux moudjahidines d'Afghanistan, dont un certain nombre sont ensuite devenus les relais, les chevilles ouvrières ou de simples membres de réseaux terroristes à travers le monde ; mais il l'a fait en concertation et grâce à l'aide généreuse et sans état d'âme des Etats-Unis et de l'Arabie Saoudite. Il a été l'un des rares Etats, avec les Emirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite, à reconnaître le régime taliban, qui a, en toute connaissance de cause, laissé les réseaux terroristes d'Al Qaida, et plus largement les mouvements terroristes islamiques les plus radicaux, utiliser l'Afghanistan comme base arrière logistique et d'entraînement. Le Pakistan a sans aucun doute joué un jeu dangereux, obnubilé par des considérations internes, liées à la recherche d'une profondeur stratégique par rapport à l'Inde et au problème du Cachemire, sous-estimant de ce fait volontairement les activités anti-américaines de ces mouvements. · L'Arabie saoudite Le rôle de l'Arabie Saoudite à l'égard du terrorisme islamique international fait partie des tabous. Nul n'ignore que c'est le centre idéologique et l'un des épicentres financiers de la nébuleuse Al Qaida. Il convient certes en la matière de distinguer entre l'appareil étatique et la société saoudienne. S'agissant de l'apport idéologique, il résulte de la politique étatique elle-même : la doctrine wahhabite, qui est celle des islamistes les plus radicaux des pays arabes et musulmans, est également et avant tout la doctrine officielle de l'Arabie. Les Saoudiens se donnent en effet comme vocation et comme mission la propagation de la foi selon les principes wahhabites, par le biais d'écoles coraniques, de centres islamiques, de télévisions qui portent cette foi aux immigrés musulmans. Pour ce qui concerne les financements, à partir de 1990, l'Etat saoudien a arrêté de financer les islamistes, après avoir découvert qu'ils se rangeaient du côté de Saddam Hussein. Mais la société saoudienne, toujours habituée et sollicitée pour verser l'argent de la Zakat, qui constitue, rappelons-le, l'une des cinq obligations de l'islam, a continué son financement. Par conséquent, comme l'a expliqué M. Antoine Basbous8, « Ben Laden est financé à 95 % par de l'argent frais qui vient de l'Arabie et du Golfe. » · Les autres pays La présente liste n'est pas exhaustive. A cet égard, la mission s'est interrogée sur le statut à accorder à la Somalie, au Soudan et au Yémen, trois pays inscrits, semble-t-il, sur la liste de ceux que les Etats-Unis considèrent comme des soutiens d'Al Qaida. Qu'ils jouent le rôle de base arrière, cela ne fait pas de doute et c'est à ce titre que la mission les évoque dans un développement ultérieur. Peut-on, en effet, parler de soutien étatique de la part de pays dont les structures étatiques sont inexistantes ou, lorsqu'elles existent, d'une extrême faiblesse, au contraire de la situation qui prévaut en Irak ou au Pakistan ? 3. Des objectifs politiques radicaux a) L'absence d'alternative à la violence : le refus de la négociation Ce qui restera du 11 septembre dans la mémoire collective, ce sont les images des avions se précipitant contre les tours du World Trade Center, les images de personnes sautant dans le vide, prises au piège dans les immeubles en feu, les images des Twins s'écroulant et du nuage qui s'en est suivi. Des images d'autant plus marquantes qu'elles ont été diffusées en direct et en boucle. Au-delà même de leur caractère spectaculaire, la puissance de ces images vient du fait qu'elles représentent le seul message envoyé par Al Qaida. En plus des images, et en dépit de toutes les explications historiques, politiques évoquées précédemment, chacun reste frappé par le déchaînement de violence du 11 septembre ou plutôt par la rigueur très scientifique et professionnelle que les terroristes ont mise au service de cette violence inouïe. Comme l'ont noté en effet tous les experts, l'action concertée de destruction collective menée le 11 septembre suppose un degré de planification et d'organisation, une connexion des réseaux, une logistique et un degré d'anticipation qui excluent toute improvisation et exigent plusieurs mois de préparation minutieuse. A la différence de mouvements islamistes poursuivant un objectif politique précis, Al Qaida ne revendique pas ses crimes : ni groupe politique désireux de se poser en alternative au pouvoir existant, ni même branche clandestine d'un parti officiel, cette organisation se conçoit exclusivement comme un groupe radical ultra-violent aux objectifs religieux, voire apocalyptiques. A cet égard, comme l'a souligné devant la mission M. Bruno Etienne, professeur à l'université d'Aix-en-Provence9, les groupes qui se situent dans la nébuleuse d'Al Qaida ont bien davantage à voir avec une mouvance « ummiste » qu'avec les groupes islamiques politiques. Alors que ces derniers s'inscrivent dans une problématique nationale classique, à l'instar du GIA ou du Hamas palestinien, par exemple, les groupes ummistes relèvent d'un schéma nouveau, transnational, dont les trois principes sont la restauration du khalifat, l'abolition des frontières et la négation de l'Etat. Dans leur perspective, le royaume de Dieu n'étant pas advenu, il faut détruire ce qui, dans le monde, y fait obstacle, voire le monde lui-même. C'est en vertu de ce raisonnement apocalyptique que le penseur, et le personnage-clé, d'Al Qaida, l'Egyptien Ayman Al Zahawiri, poursuit de sa vindicte l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Il ne peut exister par conséquent aucun espace de négociation : dans l'esprit de personnes qui nient toute légitimité à des autorités étatiques, la seule loi ne pouvant être que d'émanation divine, la possibilité même d'un dialogue n'a pas de sens. Le but est de frapper des cibles symboliques, qui parlent d'elles-mêmes, le recours à des kamikazes étant d'ailleurs en soi symbolique puisqu'il signifie que la guerre menée par les terroristes vise la destruction mais en aucun cas la négociation. La destruction du World Trade Center était une fin en soi, et non un vecteur ou le relais d'un message politique. b) La volonté de susciter un choc entre civilisations Au soir du 7 octobre 2001, alors que les Etats-Unis commençaient leur campagne de bombardements sur l'Afghanistan, Oussama Ben Laden déclarait dans un enregistrement vidéo que « ces événements ont divisé le monde en deux camps, le camp des fidèles et le camp des infidèles. Tout Musulman doit se lever pour défendre sa religion. Le vent de la foi souffle, de même que le vent du changement ». Il ne fait pas de doute aujourd'hui que, le 11 septembre, l'objectif d'Oussama Ben Laden était non seulement de frapper l'hyperpuissance américaine au c_ur, mais également de susciter un choc entre le monde arabo-musulman et le monde occidental. Le milliardaire terroriste a, semble-t-il, fait le pari d'une réaction des Etats-Unis qui aurait conduit, non seulement à leur enlisement en Afghanistan selon un schéma à la soviétique, mais également les Etats arabes et musulmans, du Maroc aux Philippines, à se révolter massivement contre les représailles américaines. Comme l'a expliqué M. Antoine Basbous10, « Il s'agit de réveiller les musulmans, leur montrer qu'ils ont de la puissance, de l'énergie et de la force, et qu'ils sont capables de se hisser à la tête des nations. Cet islam, ne l'oubliez pas, est en crise depuis le XIVème siècle. Dans un verset du Coran, le Prophète, s'adressant aux musulmans, s'exprime ainsi : « Vous êtes la meilleure nation suscitée par les hommes ». Or quand les Musulmans se regardent dans une glace, ils se rendent compte qu'ils sont à la traîne. Ce qu'ils mangent est rarement produit par eux ; ce qu'ils ont - le téléphone, la voiture, la maison, la montre, les lunettes, les vêtements qu'ils portent - est toujours fabriqué par l'Occident ou en Asie. Ils sont en crise et ils le savent. C'est pourquoi ils sont révoltés ». En bref, là où l'islamisme politique avait échoué dans la quasi-totalité des Etats musulmans, le sentiment anti-américain et d'humiliation dans le monde arabo-musulman réussirait et permettrait à des groupes minoritaires et souvent ultra-violents de se construire une base sociale. Force est de constater que ce calcul a échoué aujourd'hui, même si la rhétorique utilisée par le Président Bush et son entourage dans les jours qui ont suivi les attentats, se référant notamment à une « croisade », « une bataille monumentale du bien contre le mal » ou encore à une « attaque contre le monde civilisé », a pu faire craindre à l'enclenchement de la logique infernale voulue par Ben Laden. Qui plus est, non seulement Ben Laden a failli dans sa tentative de doper la confiance des populations musulmanes, mais surtout, celles-ci sont inquiètes d'éventuelles représailles américaines aveugles contre les Etats musulmans, comme l'a constaté l'islamologue Gilles Kepel11, au terme de plusieurs semaines passées dans plusieurs Etats du Moyen-Orient. Cet échec s'explique d'abord par les mêmes raisons que celles qui ont conduit à l'impasse de l'islamisme politique : l'ultra-violence ne séduit pas l'énorme majorité des masses arabes et musulmanes, exerçant tout au contraire un effet répulsif. Il vient également du fait que ce que l'on désigne par l'expression facile de monde arabo-musulman recouvre en fait des réalités extrêmement diverses. S'il est vrai que l'échec global des tentatives démocratiques dans cette aire de civilisation représente un lien unificateur, les différences entre les pays qui la composent sont encore plus profondes : quoi de commun, par exemple, entre l'Arabie Saoudite quasiment dépourvue de sentiment national et l'Egypte tout au contraire soudée par un sentiment identitaire très puissant ? Mais surtout, si le projet de Ben Laden a échoué, c'est parce qu'en dépit des références constantes du terroriste à l'islam, le monde arabo-musulman a bien compris que l'islam n'était pas en jeu dans ces événements : Oussama Ben Laden, tout comme le mollah Omar, ne sont pas perçus comme les porte-parole de l'islam, mais comme les vecteurs d'un fanatisme qui caricature l'islam. Si le soulèvement des masses musulmanes n'a pas eu lieu, c'est donc, non pas par crainte d'une répression policière violente, mais d'abord parce que les Musulmans du monde entier savent que la cause défendue par Ben Laden n'est pas une cause juste. Comment expliquer autrement la très faible mobilisation L'échec de Ben Laden en la matière est-il définitif ? Sans doute est-il trop tôt pour le dire. La frustration et la crise du monde musulman n'en sont pas moins réelles. Assurément, la lutte contre le terrorisme, et notamment l'assèchement des filières de recrutement, passe par une politique active des Etats-Unis et de l'Union européenne à l'égard du monde arabo-musulman, confronté à une crise souvent multiforme, politique, économique et sociale, faute de quoi, le destin d'une jeunesse sans perspective, frustrée de liberté et sans éducation risque de donner raison aux tenants des thèses sur le choc des civilisations. Avec une population musulmane qui représente près de 10 % de sa population totale, la France notamment doit poursuivre sa politique de dialogue avec les pays arabes. Après avoir longtemps pensé que l'intégration dans la communauté nationale effaçait ou rendait secondaire tout autre sentiment d'appartenance, notre pays découvre aujourd'hui qu'il n'en est rien. Pour une partie des immigrés arabes en France, le sentiment d'identification et de proximité s'opère avec les ressortissants d'autres pays arabes, et non avec la population au milieu de laquelle ils vivent ; paradoxalement, ce phénomène touche les plus jeunes, qui sont pourtant généralement nés en France et n'ont jamais vécu dans le pays d'origine de leurs parents. Aux yeux de certains interlocuteurs de la mission, il y a là un risque de voir certains de ces jeunes gens fournir les rangs des réseaux de l'ombre, plus encore dans la mesure où, dans la répartition des tâches d'Al Qaida, la France assure une fonction de terre de recrutement. Ainsi, aux yeux de M. Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes, « il y a des zones de non droit qui, loin de se réduire, s'amplifient ; (...) il existe une certaine marginalité socio-économique et même géographique dans des quartiers réservés à l'immigration. Je ne suis donc pas rassuré quant à l'avenir de l'immigration en France. » La mission ne partage pas ce pessimisme global : hormis quelques provocations ici et là, la population musulmane de France est restée, dans son écrasante majorité, imperméable aux discours radicaux de Ben Laden. Elle estime néanmoins qu'il existe en la matière un devoir de lucidité d'abord, d'action ensuite. Lucidité, car il faut cesser d'avoir une approche théorique de la question de l'intégration en reconnaissant que, sur une population jeune et fragile, car dépourvue d'espoir dans l'avenir, le discours de l'islamisme radical peut exercer une certaine fascination en ce qu'il propose une vision globale du monde et des objectifs simples. Il entretient en cela de nombreuses similitudes avec le discours des sectes. Par conséquent, il existe aussi un devoir d'action, car il est nécessaire aujourd'hui de réaffirmer le principe de laïcité, tout en expliquant aux jeunes éventuellement attirés par des Ben Laden de tous ordres que l'action de ces derniers relève de la manipulation sectaire, et non d'un quelconque engagement politique ou religieux, encore moins d'une réelle solidarité avec les peuples palestinien et irakien. B. DES MOYENS D'ACTION « GUERRIERS » Le terrorisme islamiste radical qui est à l'origine des attentats perpétrés contre le World Trade Center et le Pentagone le 11 septembre 2001 utilise des méthodes et des moyens d'action très meurtriers. Le détournement d'avions civils à des fins de destruction ne ressemble en rien à l'emploi d'armements militaires sur un champ de bataille ; pourtant, est-il besoin de rappeler les précédents attentats contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar es-Salaam (Tanzanie), le 7 août 199812, ou encore contre le destroyer USS Cole au Yémen, le 23 octobre 2000, pour comprendre que le combat mené par l'organisation Al Qaida contre les Etats-Unis poursuit des objectifs similaires à ceux d'une guerre au sens traditionnel du terme (à savoir vaincre, ne serait-ce que sur le plan symbolique, pour imposer un système de valeurs intégristes au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique), même s'il n'en respecte pas les règles reconnues par les conventions internationales de Genève. Le très haut degré de préparation et de planification de tels actes manifeste l'existence d'une organisation et d'une stratégie très abouties, bien plus en tout cas que des groupes séparatistes qui se manifestent ou ont agi en Europe (ETA et IRA notamment). D'ailleurs, à supposer que les terroristes appartenant à la mouvance islamiste radicale posséderaient des armements militaires de destruction massive que leurs moyens financiers, certes conséquents mais bien inférieurs à ceux d'une puissance régionale, ne leur permettraient pas de concevoir entièrement par eux-mêmes, ils n'hésiteraient sans doute pas à s'en servir dans la lutte qu'ils ont engagée. C'est donc bien d'un conflit qu'il s'agit, mais d'un conflit d'un genre nouveau, sans champ de bataille, sans armée ennemie véritablement identifiée, sans respect des populations civiles par l'adversaire. L'ensemble des interlocuteurs de la mission d'information s'est accordé à reconnaître que les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis ont nécessité une planification et des moyens logistiques sans aucune mesure avec ceux des organisations terroristes qui ont sévi jusqu'à présent. Si le réseau qui a opéré sur le territoire américain disposait d'une capacité d'initiative importante, il n'en a pas moins eu recours à l'appui de l'organisation Al Qaida pour financer son action et sélectionner les membres des commandos terroristes. La mouvance islamiste issue du djihad en Afghanistan bénéficie d'infrastructures d'entraînement dans plusieurs Etats qui les tolèrent par complaisance ou n'ont pas l'autorité ni la capacité d'empêcher l'implantation sur leur sol d'organisations criminelles. Jusqu'à l'intervention américaine de l'automne 2001, l'Afghanistan constituait la principale base arrière des réseaux d'Al Qaida. La chute du régime taliban privera certainement les réseaux islamistes « djihadistes » d'une partie de leurs moyens ; on ne peut pas pour autant parler d'éradication, car d'autres régions du monde continuent à leur servir de refuge, voire de centres de formation et de conduite de leurs opérations. a) L'Afghanistan et certains pays déstructurés, bases arrière des terroristes L'organisation d'Oussama Ben Laden a essaimé dans plusieurs pays, souvent avec la bienveillance des autorités en place ; il semblerait que les réseaux d'Al Qaida soient présents dans cinquante-neuf pays. Cependant, le degré de cette implantation est très certainement variable. Peu de pays constituent à proprement parler de véritables bases arrières des terroristes. Pour des raisons topographiques et stratégiques, l'Afghanistan est resté le principal centre logistique d'Al Qaida. En effet, bénéficiant du contexte de guerre civile puis de la bienveillance du régime taliban, Oussama Ben Laden y avait implanté de nombreux camps de formation (militaire et religieuse) et d'entraînement à des techniques de combat très sophistiquées. S'y ajoutaient des bunkers et des tunnels souterrains qui auraient abrité des membres et des matériels d'Al Qaida. Oussama Ben Laden entretenait une véritable armée de moudjahidines aguerris : la 55ème brigade, qui était composée de Musulmans volontaires non afghans (pakistanais, égyptiens, ressortissants des Etats du Golfe arabo-persique, algériens, tchétchènes, ouzbeks et tadjiks pour l'essentiel). Ainsi, dès le début des frappes, l'organisation terroriste aurait fourni un appui de 2 500 à 5 000 hommes aux troupes des Taliban pour la défense de certaines villes, telles Kunduz et Kandahar. Les combats ont permis de réduire cette force, mais de nombreux moudjahidines avaient achevé leur formation et sont retournés dans leur pays d'origine ou de résidence bien avant le début de l'intervention. Par conséquent, de nombreux combattants d'Al Qaida n'ont pas été mis hors d'état de nuire et continuent de mener des activités en apparence normales ; le danger est ainsi bien réel. Parmi les autres pays où se situent très certainement des bases d'Al Qaida, figure notamment la République démocratique de Somalie, en dépit des dénégations du gouvernement national de transition actuellement en place dans ce pays. Depuis l'échec de l'opération « Restore Hope », le 3 octobre 1993, à l'occasion de laquelle 18 soldats américains furent tués sans que soit arrêté le chef de guerre Mohammed Farah Aïdid - échec auquel les affidés d'Oussama Ben Laden ne seraient pas étrangers -, la Somalie est en proie à une situation d'anarchie totale, marquée par l'absence d'une véritable autorité étatique (il existe plusieurs secteurs autonomes de fait, tels le Puntland ou le Somaliland) et les luttes intestines entre chefs de guerre rivaux. Selon les services de renseignement américains, Oussama Ben Laden aurait tissé des liens avec des mouvances islamistes locales, le mouvement Al Ittihad notamment, et la holding Al Barakaat. Si la Somalie n'a jamais représenté une base arrière aussi fournie que l'Afghanistan, pas moins de 1 500 éléments d'Al Qaida y séjourneraient, avec, à leur disposition, 4 camps d'entraînement. Ce pays pourrait fort jouer un rôle de sanctuaire, certes moindre que celui de l'Afghanistan, pour Oussama Ben Laden ou des dirigeants d'Al Qaida : ce n'est sans doute pas un hasard si les services de renseignement occidentaux ont repéré l'atterrissage à Mogadiscio d'aéronefs privés en provenance d'Ouzbékistan le 11 septembre même. Cependant, à l'heure où des efforts diplomatiques intenses se déploient dans la région pour apaiser les tensions avec l'Ethiopie, des frappes américaines viendraient certainement briser un équilibre fragile certes, mais laborieusement acquis. Déstabilisation qui, in fine, pourrait à terme conduire à revivifier le terrorisme dans cette région après la destruction temporaire de ses bases. La République du Yémen, berceau de la tribu Ben Laden, est également au nombre de ces Etats fragiles, qui ne maîtrisent pas la totalité de leur territoire et offrent l'opportunité à des groupes terroristes islamistes liés à Al Qaida, faute d'autorité suffisante, d'installer leurs bases logistiques ou de repli sur leur territoire. Il a été confirmé à la mission que des foyers islamistes connectés aux réseaux de Ben Laden ont été identifiés à l'Est d'Aden. De nombreux citoyens yéménites auraient combattu en Afghanistan ; ils constituent autant de sympathisants potentiels à la cause d'Oussama Ben Laden. Les liens entre les autorités du Yémen et Ben Laden sont d'autant plus forts qu'au début des années 1990, le chef d'Al Qaida a engagé à leurs côtés des milliers de volontaires arabes dans la guerre civile née du rapprochement de la République arabe du Yémen, au Nord, avec la République démocratique populaire du Yémen au Sud, alliée de l'URSS. Depuis 1994, le pouvoir en place compose avec les combattants, qui continuent de perpétrer divers attentats et coups de main. En dépit de ce fait, certaines autorités yéménites accusent les services secrets étrangers - égyptiens, britanniques... - de manipuler les « Afghans » et se refusent à croire que Ben Laden veuille « provoquer des troubles au Yémen, un pays où l'islam est déjà fort » (Cheikh Salem) ; et ce, tout en assurant que dans la guerre contre le terrorisme, leur pays est aux côtés des Etats-Unis... Il suffit pourtant de se référer à l'attentat contre le destroyer américain USS Cole, le 23 octobre 2000, pour mesurer l'écho que rencontrent les thèses anti-américaines défendues par le fondateur de l'organisation Al Qaida. Enfin, le Soudan est-il un Afghanistan en puissance ? Longtemps infréquentable aux yeux des Etats-Unis, ce pays a servi de havre à Ben Laden, qui y a séjourné de 1992 à 1996 et y a conservé des partisans et des moyens d'action ; ce soupçon a d'ailleurs conduit les Etats-Unis à mener des frappes punitives en 1998, au lendemain des attentats commis à l'encontre des ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam, contre un site supposé produire des armes chimiques et qui s'est finalement révélé être une usine pharmaceutique. Si le Soudan est aujourd'hui pointé du doigt par les Américains, c'est aussi parce que pèsent sur lui de forts soupçons de prolifération biologique. En dépit de ces éléments, il semble peu probable que Khartoum soit à nouveau l'objet de frappes américaines. Par un retournement spectaculaire, le pays est, en effet, aujourd'hui un allié de facto des Etats-Unis, et notamment l'un des plus prolifiques informateurs de la CIA sur les réseaux islamistes, et en particulier ceux d'Oussama Ben Laden. C'est grâce à la mise à l'écart de celui qu'on a pu qualifier d'« ayatollah » de l'anti-américanisme africain, Hassan Al Tourabi, proche de Ben Laden, qu'à partir de décembre 1999, les Etats-Unis ont renoué le contact avec les autorités soudanaises. La coopération, discrète, en matière de renseignement, date du début de l'année 2001. Aujourd'hui, les Américains sont même impliqués dans le processus de paix entre le Gouvernement de Khartoum et la rébellion sudiste. Peut-on, dès lors, envisager qu'ils se priveraient de ce soutien dans une région stratégique de la lutte anti-terroriste, d'autant plus d'ailleurs qu'au Soudan, comme en Somalie ou au Yémen, le problème n'est pas tant le risque de soutiens étatiques que l'absence de structures étatiques légitimes et responsables ? On observera pour terminer que les Balkans ont longtemps constitué un théâtre de djihad pour des activistes islamistes en Europe. Une brigade de combattants musulmans a participé aux opérations de l'armée bosniaque avant d'être démantelée. Cependant, à la différence des autres exemples mentionnés précédemment, la présence de l'OTAN facilite la surveillance des activités criminelles qui pourraient y être éventuellement développées. Enfin on notera qu'on retrouve également des combattants islamistes, notamment en Russie et en Chine (Tchétchénie et Xinjiang) ainsi que dans un certain nombre de républiques d'Asie centrale (Tadjikistan, Ouzbékistan). b) Des sources de financement mondialisées et opaques Il est très difficile de chiffrer les montants financiers dont bénéficie le terrorisme international ; on ne peut procéder en ce domaine que par approximations. Les experts ont créé un instrument statistique appelé Produit Criminel Brut (PCB) qui représente le chiffre d'affaires mondial annuel de l'ensemble des activités illicites. Le Fonds Monétaire International (FMI) estime le montant annuel de cet agrégat entre 500 et 1 500 milliards de dollars, soit davantage que le produit intérieur brut de la France. Le Groupe d'Action Financière International (GAFI) évoque quant à lui 1 000 milliards de dollars. D'autres experts estiment pour leur part que ces chiffres sont trop élevés car ils englobent le produit des vols d'objets courants, des revenus cachés au fisc et des revenus du crime organisé. Après déduction de ces ressources, ils aboutissent à une estimation des financements de l'activité terroriste avoisinant 100 milliards de dollars par an. L'imbrication entre les différents mécanismes et acteurs liés au financement du terrorisme est de plus en plus étroite. Des liens complexes s'établissent entre organisations terroristes, régimes politiques, organisations mafieuses, guérillas, organisations nationalistes ou organisations fondamentalistes religieuses, liens qu'il est souvent difficile de démêler. Dans les années 1970-1980, l'essentiel des fonds du terrorisme international provenait des Etats, pour l'essentiel de la Libye, la Syrie et l'Irak. Désormais, les sources de financement sont beaucoup plus diversifiées. Celles représentées par le grand banditisme occupent une place de plus en plus importante : à cet égard, trois types d'activités criminelles semblent particulièrement utilisées pour le financement du terrorisme : le trafic de drogue et de matières premières, les prises d'otages ainsi que le racket ou le hold-up. A titre d'illustration, Oussama Ben Laden est soupçonné d'avoir tiré d'importants profits du trafic d'opium, dont l'Afghanistan fut, jusqu'à la prohibition de la culture du pavot par les Taliban au cours de l'année 2000, l'un des plus grands producteurs mondiaux. De même, le trafic de matières premières, notamment celui des diamants et des pierres précieuses en Sierra Leone, pourrait avoir indirectement bénéficié à l'organisation Al Qaida. Enfin, s'agissant des enlèvements et des prises d'otages, on observera que le groupe Abu Sayyaf, qui pourrait avoir noué des liens avec les réseaux d'Al Qaida, s'est spécialisé dans l'enlèvement contre rançon. Mais les sources du financement du terrorisme islamiste international peuvent être également légales. En règle générale, les fonds des réseaux terroristes apparaissent licites jusqu'à ce qu'ils soient utilisés pour mener des activités criminelles ; par ailleurs, l'achat d'armes ou d'explosifs s'effectuant au marché noir et par versements en espèces, les transactions des terroristes laissent peu de traces et échappent ainsi aux contrôles. Dans de telles conditions, il n'est pas facile d'empêcher ce que d'aucun qualifient de « blanchiment à l'envers », c'est-à-dire le financement d'activités criminelles avec des fonds légaux voire des dons privés. Il semblerait que l'organisation Al Qaida ait bénéficié indirectement de dons caritatifs de la part de Musulmans13, souvent à leur insu et en total détournement de l'un des cinq piliers de l'islam, à savoir le devoir de charité. De même, Oussama Ben Laden aurait recyclé une partie de sa fortune personnelle14, acquise dans les affaires et par spéculation légale, dans le financement des activités de son organisation. Le schéma ci-dessus illustre les ramifications juridiques complexes dont s'est servi le chef d'Al Qaida pour empêcher autant que possible l'identification de ses avoirs et préserver ainsi les sources de financement de ses réseaux. Cette absence de traçabilité des fonds destinés à financer des actes terroristes pose de sérieux problèmes d'identification des réseaux et d'anticipation de leurs opérations. En l'occurrence, si les ressources d'Al Qaida et des mouvements terroristes islamistes internationaux ont des origines très variées, le financement des activités criminelles des réseaux semble quant à lui relativement centralisé : ce sont d'ailleurs des virements bancaires en faveur des responsables des attentats du 11 septembre 2001 qui ont permis d'établir un lien entre ces derniers et l'organisation d'Oussama Ben Laden. Les responsables de la lutte anti-terroriste du ministère de l'Intérieur ont souligné, lors de leur audition par la mission d'information, le 21 novembre 2001, la nouveauté que constitue ce mode de financement centralisé : en effet, les réseaux terroristes islamistes infiltrés plus particulièrement en Europe recouraient plutôt jusqu'à présent à des falsifications de cartes bancaires ou à des délits mineurs pour subvenir à leurs besoins. Dans la mesure où les terroristes islamistes présents en Europe ou aux Etats-Unis ne présentent plus forcément a priori un profil délinquant, il devient plus difficile de les repérer avant qu'ils ne commettent leurs méfaits. Dans l'ensemble, le terrorisme international actuel utilise à son profit les facilités financières que lui offre le système bancaire et boursier mondial : ce constat traduit le haut degré de formation des membres des organisations terroristes islamistes contemporaines, qui maîtrisent les techniques de financement et les règles juridiques les plus complexes. 2. Le recours à une large panoplie d'armements, sans exclusive En instrumentalisant les moyens de transport aérien à des fins meurtrières et en acceptant de mourir pour parvenir à leur objectif, les terroristes d'Al Qaida ont ouvert la voie à un terrorisme de masse, que d'aucuns qualifient d'« hyperterrorisme »15. Si les armements classiques (explosifs en tous genres) restent les plus employés, la menace est néanmoins plus diversifiée, compte tenu de l'importance des transports collectifs et des centres industriels ou financiers dans les sociétés occidentales. En ce qui concerne le risque de terrorisme nucléaire, radiologique, chimique et bactériologique (NRBC), s'il est probable que les terroristes islamistes radicaux ont tenté de se procurer des composants d'armes de destruction massive, il est tout aussi probable qu'ils n'en maîtrisent pas complètement l'emploi. La prolifération des armes de destruction massive est un danger avéré et la Commission de la Défense s'est intéressée au sujet puisqu'elle a autorisé la publication d'un rapport d'information traitant de la question16. Pour autant, la mise en _uvre de telles armes répond à des conditions d'emploi très strictes : les armes biologiques sont très sensibles à leur environnement et les armes nucléaires et radiologiques sont complexes à élaborer. Le risque est donc réel, mais il ne faut pas le surestimer. Enfin, il ne faut pas négliger la menace terroriste qui pèse sur les systèmes informatiques. L'importance de ce type de technologies dans la gestion courante des services de l'Etat et des entreprises mais aussi dans l'organisation et la mise en _uvre de notre défense constitue une vulnérabilité susceptible d'être exploitée à des fins criminelles ; à ce titre, les risques sont désormais pris très au sérieux. a) L'emploi d'armes conventionnelles Le recours des terroristes aux armements les plus classiques se justifie par deux raisons : la facilité d'emploi de ces armes et l'absence de difficultés pour s'en procurer sur n'importe quel théâtre d'opération. Les membres des réseaux d'Al Qaida ne dérogent pas à ce constat, de l'aveu même d'individus ayant séjourné dans les camps d'entraînement afghans dans lesquels les sympathisants de cette organisation criminelle étaient formés aux techniques de combat. Les armes légères (pistolets, fusils en tous genres, voire missiles antichars ou antiaériens), dont on estime que le nombre total d'unités circulant sans contrôle dans le monde avoisine les 500 millions17, sont principalement utilisées dans les conflits armés contre les forces gouvernementales des Etats confrontés à des guérillas islamistes, à savoir les Philippines, la Russie (Tchétchénie), l'Inde (Cachemire), voire l'Algérie. En revanche, le moyen d'action privilégié des terroristes à l'encontre des pays démocratiques reste les explosifs. Dans son ouvrage sur les techniques du terrorisme, M. Jean-Luc Marret y trouve deux explications : « la vulgarisation de la fabrication des substances explosives (livres de chimie, internet etc.), des modalités infinies.18 » Et celui-ci d'ajouter : « Un attentat à la bombe ne nécessite en général pas un grand nombre de personnes pour être pensé et mis en _uvre. C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il est choisi par de nombreux groupes terroristes opérant en particulier dans des pays qui leur sont étrangers.19 » Le tableau ci-après précise les trois types d'effets induits par la mise en _uvre de charges explosives. Les réseaux d'Al Qaida n'excluent pas l'utilisation d'explosifs, bien au contraire. A titre d'illustration, on se référera aux attentats perpétrés le 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam, en Afrique orientale, qui ont fait 224 morts et plus de 4 000 blessés. Il en est allé de même s'agissant de l'attentat commis contre le navire USS Cole, dans le port d'Aden, le 23 octobre 2000, dont le nombre de victimes s'est élevé quant à lui à 17 (tous membres d'équipage du navire). D'autres actions à l'explosif étaient vraisemblablement en cours de planification sur le territoire français : il a ainsi été révélé par voie de presse, sur la base des aveux de M. Djamel Beghal, le chef présumé d'un réseau d'Al Qaida en France qui avait été arrêté aux Emirats Arabes Unis, qu'un attentat au camion piégé était en cours de préparation contre l'Ambassade des Etats-Unis à Paris. De même, une action similaire à l'encontre d'objectifs situés dans la ville de Strasbourg semble avoir été envisagée au moment de Noël 2000 par un réseau démantelé en Allemagne et en France. Reste que, même s'ils emploient des techniques en partie similaires à celles des groupes terroristes indépendantistes ou séparatistes, les membres d'Al Qaida n'hésitent pas à recourir aussi à des méthodes plus sophistiquées. b) Le détournement d'objets dans une finalité meurtrière : l'utilisation d'armements par destination Les attentats du 11 septembre 2001 sont sans précédent dans leur violence (on dénombre à ce jour entre 3 000 et 4 000 victimes20) et leur survenance (il s'agit des premiers attentats suicides commis avec des avions de ligne). Leur mode opératoire n'est pourtant pas totalement nouveau. A cet égard, le détournement d'un Airbus A 300 de la compagnie Air France par quatre membres du GIA, le 24 décembre 1994, même s'il s'était soldé par une intervention réussie du GIGN à la suite d'une escale forcée à Marseille, constitue un précédent ; les pirates de l'air projetaient d'écraser l'avion sur Paris mais ils ne savaient pas piloter, ce qui a permis de les neutraliser. On peut également être étonné de la révélation selon laquelle Ramzi Youssef, instigateur du premier attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993 et désormais emprisonné à vie aux Etats-Unis, avait projeté de faire exploser le même jour, au cours de l'année 1995, douze avions de ligne américains survolant le Pacifique21. Un tel projet, heureusement déjoué, aurait dû inciter à la vigilance. Certes, l'action de terroristes kamikazes s'était jusqu'à présent limitée au territoire d'Israël et restait ponctuelle ; il n'empêche que la menace pesait effectivement sur les Etats-Unis et les pays qui entretiennent d'étroits rapports avec eux. L'examen des faits qui se sont produits le 11 septembre 2001 apporte des indications intéressantes : le détournement simultané de quatre vols intérieurs américains et la rapidité des actions suicide qu'illustre l'encadré ci-après démontrent la grande préparation des terroristes, au nombre de dix-neuf selon les précisions apportées par le FBI chargé de l'enquête. Paradoxalement, leurs armes étaient très rudimentaires : la plupart disposaient de couteaux ou de cutters. A la différence du détournement de l'avion d'Air France en 1994, les terroristes étaient, cette fois-ci, formés pour atteindre seuls leur objectif. Décidés à mourir et bénéficiant de l'effet de surprise, ils ont pu déjouer toute tentative de réaction américaine : l'attentat était imparable, faute d'une sensibilisation des autorités et des services compétents à un tel risque.
D'un point de vue plus général, il ressort des événements du 11 septembre que des personnes malveillantes peuvent exploiter les vulnérabilités de sociétés de plus en plus ouvertes, où les transports jouent un rôle essentiel : on ne saurait exclure à présent que les réseaux de transport en commun urbains (métros, tramway, bus), les voies de chemin de fer (TGV notamment), les grands axes routiers (autoroutes, tunnels, ouvrages d'art) soient la cible d'organisations mal intentionnées. En outre, la menace potentielle des petits aéronefs privés, hélicoptères et ULM, est également réelle. La prévention de tels dangers n'est pas aisée au regard de la détermination des terroristes, prêts à sacrifier leur propre vie. Le terrorisme islamiste radical d'aujourd'hui n'hésite pas à détourner de leur finalité les moyens d'échange et de communication des sociétés modernes : des avions de transport civils ne sont pas conçus à l'origine pour servir de bombes volantes mais ils peuvent effectivement devenir des armes redoutables. Dorénavant, ce genre de risque ne pourra plus être ignoré. c) Y a-t-il un risque de recours aux armements NRBC ? L'éclatement de l'URSS en 1991 a fait craindre une dissémination des arsenaux nucléaires, chimiques et biologiques des pays issus de l'ex-Union soviétique à la faveur d'Etats parias (les rogue states mis à l'index par les Etats-Unis), d'organisations criminelles (mafias) ou terroristes. Si les inquiétudes sont fondées, comme l'a souligné la Commission de la Défense22, il semble que le risque de prolifération concerne également d'autres Etats, au premier rang desquels, en ce qui concerne l'organisation Al Qaida, le Pakistan. Pour autant, quand bien même il semble possible qu'Oussama Ben Laden et les terroristes islamistes de son organisation aient cherché à se procurer des éléments constitutifs d'armes de destruction massive, rien ne prouve à ce jour qu'ils y soient parvenus et encore moins qu'ils aient constitué des stocks d'armements opérationnels. En tout cas, les propos du fondateur d'Al Qaida qui font valoir le contraire23 ne peuvent pas constituer un élément d'appréciation suffisant, même s'ils invitent assurément à une vigilance accrue. · La menace nucléaire que représente l'organisation d'Al Qaida et ses réseaux n'est pas, en l'état des informations, avérée. Cependant, il n'est pas impossible que les terroristes soient en possession d'armements radiologiques, qualifiés de « bombes sales », qui sont nettement moins dévastateurs. Dans un entretien accordé à un grand quotidien français en marge de la session spéciale de l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), le 2 novembre 2001, le porte-parole de cette institution spécialisée, M. David Kyd, indiquait : « La probabilité [que l'organisation Al Qaida] dispose d'une bombe nucléaire est minime, mais elle n'est pas à exclure. En revanche, la probabilité [qu'elle] dispose de matériaux radioactifs pour faire une bombe radiologique est grande, mais les conséquences seraient beaucoup moins graves.24 » Concrètement, il est très vraisemblable que les sympathisants de la cause d'Al Qaida ne disposent ni des compétences scientifiques, ni des moyens technologiques nécessaires à la confection d'un bombe atomique. Une telle entreprise demande beaucoup de temps et des infrastructures importantes : à titre d'exemple, le programme lancé par le Pakistan dans la première moitié des années 1970 n'aurait abouti qu'en 1987, et ce alors que la politique de non-prolifération était loin d'être un objectif prioritaire de la communauté internationale. Sauf à bénéficier de l'aide d'une puissance nucléaire maîtrisant complètement ce type d'armements, ce qui ne semble pas avoir été le cas, Al Qaida ne peut être en possession d'une ou plusieurs bombes nucléaires. Au demeurant, l'acquisition d'ogives prêtes à l'emploi s'avère très difficile dans un contexte de contrôle international plutôt rigoureux et leur utilisation se heurterait à un manque avéré de vecteurs (missiles, avions etc.) pour s'en servir. Plus vraisemblable en revanche est l'hypothèse selon laquelle les terroristes islamistes radicaux d'Al Qaida pourrait disposer de « bombes sales », qui associent des composants radioactifs à des explosifs conventionnels. Les effets radioactifs de tels armements sont moindres que ceux des bombes atomiques : la plupart des blessures résultent des effets explosifs ; les dommages induits par la radioactivité dépendent de la proximité avec le lieu d'impact et ne sont pas forcément mortels puisque seule une dose de radioactivité très élevée est fatale. Certes, dans un tel contexte le travail de décontamination de la zone serait long et délicat, mais encore faut-il que les terroristes puissent acheminer de tels armements loin de leur base, sans attirer un quelconque soupçon des services de sécurité et de douane compétents. En d'autres termes, les possibilités d'emploi d'armes radiologiques restent assez limitées, même si elles ne sauraient être niées. Reste que la relative facilité d'accès à des matières comme le cobalt, le strontium ou le césium, qui sont d'usage courant dans les hôpitaux et l'industrie, doit inciter à réfléchir sur leur devenir en tant que déchets, afin d'éviter qu'ils ne tombent en de mauvaises mains. Une réunion de l'AIEA à ce sujet serait certainement bienvenue ; la mission d'information en suggère la tenue.
· En théorie, le nombre d'agents chimiques auxquels peuvent recourir des organisations terroristes est considérable. Maximiser leur efficacité est autrement plus complexe. Schématiquement, on peut distinguer les agents chimiques selon quatre catégories : - les neurotoxiques (tabun, sarin, soman, VX), qui s'attaquent au système nerveux central ; - les agents suffocants (phosphogène) ; - les agents vésicants (gaz moutarde, lewisite), qui provoquent des cloques sur la peau ou les poumons ; - les hémotoxiques sanguins, qui agissent notamment sur les échanges gazeux au niveau des poumons. Deux facteurs pondérants limitent l'efficacité de ces toxiques : d'une part, la pureté ou la volatilité des produits ; d'autre part, le mode de dispersion et de dissémination. Ces deux facteurs pondérants expliquent l'échec relatif de l'attentat au gaz sarin commis par la secte Aum dans le métro de Tokyo25, le 20 mars 1995 : la pureté du produit était de 30 % seulement et la vaporisation ne fut pas totalement efficace. Comme le souligne M. Jean-Luc Marret dans son ouvrage précité : « La dispersion de l'agent fabriqué est assurément l'étape la plus délicate. Elle peut s'effectuer de plusieurs façons : une contamination d'aliments ou de liquides, la dispersion par épandage, sous forme d'aérosols ou de vapeurs en enceinte fermée ou ouverte et également la dispersion au moyen d'une charge explosive faible ou puissante. Beaucoup d'experts privilégient en fait les attentats ou les attaques en milieu fermé - les stations de métro, les stades couverts, etc. - (...) Les experts ne s'entendent pas en revanche sur les possibilités d'empoisonnement de la population à partir de la pollution volontaire des réservoirs d'eau potable d'une ville. (...) Les dispositifs de traitement de l'eau sont encore très actifs (filtration, chloration, etc.) ; la majorité de l'eau ne parvient jamais au contact de la population mais peut rester en réservoir pendant plusieurs mois - ce qui pourrait altérer les agents biologiques.26 » De ces éléments d'analyse, il ressort que l'emploi d'armes chimiques par des terroristes apparaît très aléatoire dans ses effets. Sans être minoré, le risque d'attentat chimique doit s'apprécier au regard de la difficulté à s'assurer d'une maîtrise des facteurs de diffusion des toxiques et de la préservation de leur pureté, notamment au cours de leur acheminement. · Le risque d'attentats biologiques que fait peser Al Qaida sur les Etats-Unis et les pays avec lesquels ils ont des relations suivies est réel, un communiqué daté du 12 septembre s'y référant explicitement. Certes, de nombreuses incertitudes subsistent s'agissant de l'origine des courriers piégés au bacille du charbon (anthrax) qui ont causé le décès et la contamination de plusieurs personnes Outre-Atlantique. A ce stade, rien n'a permis au FBI d'identifier avec exactitude les auteurs de cette campagne terroriste sans précédent dans ses modalités ; la piste d'Al Qaida n'est pas exclue pour autant, même si des soupçons alimentent l'hypothèse d'actes commis par un ou plusieurs scientifiques ayant pris part au programme américain - défensif - de développement d'armements biologiques. Certaines menaces d'emploi d'agents biologiques sont plus crédibles que d'autres, notamment au regard de leur simplicité d'usage, du peu d'équipements qu'elles requièrent et de leur caractère meurtrier. C'est notamment le cas du bacille du charbon, de la ricine, de la peste, de la toxine botulique ou encore de la variole. Bien que le traité du 10 avril 1972 ait interdit le développement, la production, le stockage et l'utilisation d'armes biologiques, certains Etats (l'URSS et la Russie, via l'organisation Biopreparat, jusqu'en 1992, l'Irak, l'Iran, la Syrie, la Libye, la Corée du Nord) ont mené des recherches en la matière ou sont soupçonnés de l'avoir fait. De même, plusieurs laboratoires étudiant des virus très dangereux existent dans le monde, y compris en France27. Les risques de prolifération ne sont donc pas négligeables. Par ailleurs, dans de nombreux pays développés, la disparition de certaines maladies (c'est le cas notamment de la variole) a conduit à suspendre le processus de vaccination, exposant ainsi les populations non immunisées à l'absence d'anticorps. Pour autant, le mode de diffusion de certains virus à des fins terroristes reste limité : si l'envoi de courriers contaminés aux Etats-Unis a pu exposer les personnes ayant été à leur contact, ils n'ont pas engendré de contamination de grande échelle. De surcroît, une dispersion par voie aérobie ou dans l'eau paraît complexe, notamment parce que les virus sont fragiles et ne supportent pas certaines conditions physiques ou environnementales. Certains laboratoires militaires ont certes modifié les souches de plusieurs agents biologiques pour les rendre plus facilement inhalables ou plus résistants ; les caractéristiques du bacille du charbon employé aux Etats-Unis semblent relever de cette catégorie. Néanmoins, l'hypothèse qu'un groupe terroriste international dispose d'agents biologiques militarisés suppose soit le soutien et l'approvisionnement par un Etat maîtrisant cette technique (ce qui est risqué car l'Etat en question pourrait être identifié et s'exposerait donc à des rétorsions militaires), soit le vol de stocks suffisants dans des laboratoires spécialisés et surveillés, même imparfaitement (auquel cas les Etats propriétaires ne manqueraient pas de s'en apercevoir) : par conséquent, si Al Qaida ou une quelconque organisation terroriste possède des armes biologiques militarisées, il est peu probable que leurs stocks leur permettent de soutenir une vague d'attentats de très grande ampleur. d) L'exploitation des failles des systèmes informatiques Le terrorisme informatique, s'il n'est pas directement meurtrier, n'en demeure pas moins extrêmement dangereux lorsqu'il désorganise les systèmes indispensables au bon fonctionnement et à la sécurité de l'activité économique ou des moyens de défense du territoire. A titre d'illustration, une manipulation des modes de gestion des centrales nucléaires ou même des rames de certains transports urbains suffirait à provoquer des incidents sérieux et des scènes de panique. Au demeurant, il suffit de se remémorer l'ampleur des mesures de précaution prises afin d'éviter un bogue à l'occasion du passage à l'an 2000 pour mesurer l'ampleur de l'action à entreprendre pour éviter les dysfonctionnements de grande échelle, qu'ils soient accidentels ou provoqués. L'interconnexion de bon nombre de réseaux, via notamment Internet, offre de réelles possibilités de pénétration et facilite la diffusion rapide de virus en tous genres. Le Secrétaire général de la Défense nationale, M. Jean-Claude Mallet, avait déjà attiré l'attention des membres de la Commission de la Défense sur ce point quelques mois avant les attentats du 11 septembre28, en indiquant que les outils informatiques étaient exposés à des risques croissants de paralysie, car les virus se propageaient non pas en quelques jours mais en quelques heures. On a déjà souligné le haut niveau d'éducation des terroristes recrutés par Al Qaida. La maîtrise des subtilités de l'informatique est à leur portée, de sorte qu'il n'est pas inconcevable qu'ils sachent comment déstabiliser des circuits informatiques en détournant de leur application originelle les logiciels employés (qui sont le plus souvent accessibles dans le commerce). Certes, bon nombre de systèmes de transmission et de communication vitaux sont protégés contre d'éventuelles attaques informatiques de hackers. C'est le cas des moyens de télécommunication gouvernementaux ainsi que ceux des unités sensibles des armées. De plus, certains logiciels d'exploitation, en raison de la nature de leurs applications, sont établis par des équipes spécialisées et ne sont pas vendus au public. On ne peut néanmoins écarter la menace d'un revers de la main. Or, le plan Vigipirate, de l'aveu même de M. Jean-Claude Mallet29, lors de son audition par la mission, ne prend pas suffisamment en compte cette donnée. Il devra être modifié en conséquence et il a été signalé à la mission qu'un plan spécifique de protection contre le risque de terrorisme informatique sera prochainement adopté. D'ores et déjà, des mesures spécifiques de sécurisation des moyens de paiement ont été décidées. La mission d'information approuve bien évidemment de telles mesures de sauvegarde contre un risque important, quand bien même ses effets directs sur les populations peuvent apparaître moins prégnants que ceux des autres moyens d'action terroriste. Lors de son déplacement aux Etats-Unis, le 18 septembre 2001, le Président de la République évoquait « un conflit d'une nouvelle nature, qui est un conflit déterminant pour le maintien des Droits de l'Homme, de la liberté, de la dignité humaine ». Il soulignait « que tout doit être mis en _uvre pour protéger ces valeurs essentielles qui sont celles de notre civilisation ». Loin d'être le conflit entre les civilisations espéré par le dirigeant d'Al Qaida, la lutte engagée contre le terrorisme depuis le 11 septembre est celle des droits de l'Homme contre la barbarie et l'obscurantisme. Et ce combat n'est pas celui de quelques-uns contre d'autres, comme l'a souligné le Premier ministre lors du débat organisé le 3 octobre 2001 à l'Assemblée nationale : « Ces actes de terrorisme sont un défi directement adressé à nos valeurs les plus profondes : le respect de la vie, la démocratie, la liberté. Ce défi concerne toutes les nations et la société internationale dans son ensemble. » Pour autant, dans l'esprit fanatique des organisateurs des attentats du 11 septembre, les cibles sont bien définies : elles concernent d'abord les Etats-Unis et l'ensemble des intérêts américains dans le monde ; il s'agit ensuite de viser l'ensemble des alliés des Etats-Unis, essentiellement les pays européens, au premier rang desquels le Royaume-Uni et la France. 1. Les Etats-Unis : une cible désormais désanctuarisée Le monde entier a été choqué par les images du 11 septembre. Mais c'est sans aucun doute aux Etats-Unis que le choc fut le plus important, et sera le plus durable, non pas seulement parce que c'est dans ce pays qu'ont eu lieu les attentats, mais également, et peut-être surtout, parce que le 11 septembre a confirmé la fin du mythe américain de l'invulnérabilité. C'est au nom de ce mythe fondateur que l'administration Bush a fait de la défense antimissile son cheval de bataille ; c'est également à lui que se sont attaqués les kamikazes d'Al Qaida, donnant a posteriori cruellement raison à ceux qui estimaient que la principale menace pour les Etats-Unis ne venait pas des missiles nord-coréens - qui n'ont pas une portée suffisante pour atteindre le sol américain -, mais pouvait tout simplement venir d'une valise ou d'une camionnette chargée d'armes chimiques ou biologiques. Contrairement aux Américains, les Européens n'ont jamais été sensibles au thème de l'invulnérabilité de leurs sociétés. A cet égard, il existe une profonde différence de mentalité avec nos alliés d'outre-atlantique : comme le soulignait la Commission dans le rapport présenté par son Président, Paul Quilès, le 28 mars 2001 sur la défense antimissile30, « la défense antimissile fascine les Etats-Unis (...) avant tout parce qu'elle répond au fantasme de la sécurité absolue du peuple américain. Une telle notion est étrangère aux Européens, pour lesquels seule existe la sécurité relative : tant la géographie de l'Europe que son histoire ont habitué les populations du continent à être exposées aux risques extérieurs ». Le raisonnement vaut tout autant en matière de terrorisme, l'idée d'une absence de protection absolue étant beaucoup mieux acceptée en Europe. Si les Etats-Unis se refusent à sérier les menaces, préférant une approche tous azimuts, c'est aussi parce que la confiance dans les services chargés d'évaluer la réalité des menaces a été profondément ébranlée avec les événements du 11 septembre. Faut-il parler d'une faillite des services de renseignement américains, voire occidentaux, dans la mesure où aucun d'entre eux n'avait même imaginé le scénario du 11 septembre ? La tentation est grande de le faire aux Etats-Unis, alors que les services de renseignement étaient déjà dans la ligne de mire depuis plusieurs années pour n'avoir pas su détecter l'accélération des menaces liées à la prolifération balistique. Rappelons en effet qu'en 1998, un rapport de Donald Rumsfeld, alors membre républicain de la Chambre des Représentants, visait non seulement à souligner la dangerosité de la menace balistique, mais aussi à dénoncer l'incapacité des services de renseignement américains, et notamment de la CIA, à avoir su la détecter. Nul doute que le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld n'a pas oublié ce qu'il avait considéré comme un dysfonctionnement majeur des services dans le domaine de la défense antimissile. Il serait pourtant excessif de prétendre que les services de renseignement américains ne s'intéressaient pas ni n'ont perçu l'acuité du problème terroriste : ne serait-ce parce qu'ils subissent des attentats depuis plusieurs années, ils savaient que le pays était la cible des militants d'Al Qaida. Un certain nombre de rapports établis à partir des analyses fournies par les services de renseignement américains révèlent ainsi une réelle prise de conscience du phénomène terroriste chez certains élus et responsables. D'une certaine façon, au regard de la masse d'écrits produits sur le sujet aux Etats-Unis dans la période récente, et nonobstant les informations transmises par des services de renseignement étrangers, notamment français, avant le 11 septembre, l'intervention d'un attentat de grande ampleur sur le territoire américain n'était ni imprévisible, ni imprévue. Telle est notamment l'opinion exprimée devant la mission par M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale31. Ainsi, le rapport Hart-Rudman de septembre 1999, intitulé Sécurité nationale au XXIème siècle, souligne qu'« une attaque directe contre les citoyens américains sur leur propre territoire est plus que probable dans les 25 prochaines années. » En juin 2000, le rapport de la commission nationale sur le terrorisme, Contrer la menace évolutive posée par le terrorisme international, visant à évaluer le dispositif américain antiterroriste, notait que « le terrorisme international constitue une menace toujours plus dangereuse et difficile pour l'Amérique. (...) Les terroristes d'aujourd'hui cherchent à infliger provoquer des pertes humaines massives, et ils tentent de le faire aussi bien à l'étranger que sur le sol américain. Ils sont moins dépendants des soutiens étatiques, formant au contraire des connexions souples, transnationales, fondées sur une affinité religieuse ou idéologique et sur une haine commune des Etats-Unis ». Le rapport ajoutait qu'« Al Qaida est la plus connue des organisations terroristes transnationales ». Au nombre de ses recommandations figurait notamment la nécessité de « revivifier l'acquisition du renseignement » et de désigner clairement les Etats soutenant le terrorisme. Sur ce dernier point, le rapport estimait que « l'Afghanistan devrait être désigné comme un soutien du terrorisme et soumis à toutes les sanctions applicables aux Etats soutiens du terrorisme. (...) Le président devrait imposer des sanctions aux pays qui, sans soutenir directement le terrorisme, ne coopèrent néanmoins pas pleinement en matière de contre-terrorisme. » Et le rapport de citer le Pakistan. En décembre 2000, c'est la CIA elle-même qui, dans son rapport présentant les tendances globales pour 2015, souligne qu'« entre aujourd'hui et 2015, les tactiques des terroristes deviendront toujours plus sophistiquées et viseront à provoquer un nombre massif de victimes. Nous estimons que la tendance ascendante de la létalité des attaques terroristes va se poursuivre ». Le rapport ajoute que la « perception [de la supériorité militaire américaine] va continuer à susciter la recherche [par les terroristes] de capacités asymétriques contre les forces et les intérêts américains à l'étranger, comme sur le territoire des Etats-Unis. Les opposants des Etats-Unis (...) vont exploiter ce qu'ils perçoivent comme étant les faiblesses américaines. Les défis asymétriques se font jour à travers l'ensemble du spectre des conflits que les forces américaines en opération ou sur le sol américain auront à affronter. Des adversaires potentiels chercheront les moyens de menacer la patrie américaine. (...) Des gouvernements ou des groupes étrangers chercheront à exploiter ces vulnérabilités par le recours à des armes conventionnelles. (...) Les terroristes basés au Moyen-Orient ou en Asie du sud-ouest sont les plus susceptibles de menacer les Etats-Unis. » A la lecture de ces lignes, nul ne peut dire que le schéma théorique de base des attaques du 11 septembre - attaque par des terroristes issus d'un groupe transnational basé en Asie et cherchant à provoquer le maximum de destructions civiles en utilisant les faiblesses du système américain - n'avait pas été prévu : la menace était annoncée et décrite dans tous les rapports consacrés au sujet. La prise de conscience de l'acuité du problème terroriste ne s'est en outre pas arrêtée au cercle des spécialistes, comme l'atteste la décision du gouvernement américain, prise en février 1999, d'affecter 10 milliards de dollars par an aux investigations sur le « terrorisme du XXIème siècle », déclaré comme étant « hautement probable ». Ce sont, en l'occurrence, principalement les recherches sur la contamination chimique ou biologique et sur les attaques électroniques contre les systèmes informatiques qui étaient visées. Par conséquent, d'où vient la faille ? Quand bien même le scénario précis, et non plus seulement les principes, de l'attaque du 11 septembre était très difficilement imaginable, les analyses et les mises en garde des experts ont été insuffisamment entendues. L'analyse était là, sans doute dispersée, mais néanmoins présente. Pourquoi aucune conséquence n'en a-t-elle été tirée ? Nul doute que l'éclatement et le cloisonnement des structures, agences et organismes divers de sécurité a joué contre l'émergence d'une prise de conscience réelle et une prise de décision efficace. Notamment, l'absence d'une structure d'analyse centrale explique pourquoi aucun audit des faiblesses du système de sécurité, notamment aérien, américain n'a été réalisé. Plus fondamentalement, les Etats-Unis n'étaient pas en mesure de se représenter la possibilité même d'une attaque si massive sur leur sol. A cet égard, la faille du système réside d'abord dans les représentations collectives américaines. Il ne faut pas négliger des causes plus conjoncturelles. Le contexte de pression énorme en faveur de la défense antimissile explique en partie la sous-estimation du danger terroriste. Certains élus américains avaient pourtant mis le gouvernement en garde contre cette focalisation excessive sur une menace spécifique. Ainsi, en avril 2001, en des termes rétroactivement prémonitoires, une sénatrice démocrate estimait que « le terrorisme tend à disparaître des écrans de contrôle des institutions responsables de la sécurité nationale ». Dans le courant de l'été 2001, Tom Daschle, le leader de la majorité démocrate au Sénat dénonçait, à propos de la défense antimissile, « la réponse la plus coûteuse à la menace la moins probable ». Par ailleurs, les Etats-Unis, superpuissance technologique, ont surestimé le poids des nouvelles formes de terrorisme au détriment d'autres scénarios. Toute la perversité des auteurs des attentats du 11 septembre réside d'ailleurs dans l'utilisation d'outils « conventionnels » pour provoquer un maximum de pertes humaines : s'il est vrai qu'on pouvait concevoir qu'un attentat d'ampleur frapperait le sol américain, qui aurait pu penser qu'un avion de ligne serait un jour utilisé comme une arme de destruction massive ? Visiblement, les Etats-Unis n'étaient pas prêts à parer la menace que certains décrivent comme « asymétrique »32. C'est enfin dans les méthodes utilisées par les services de renseignement pour combattre le terrorisme que réside leur faiblesse : en l'occurrence, la priorité écrasante accordée au renseignement électronique au détriment du renseignement humain apparaît comme l'erreur majeure des services, notamment américains. Là où il aurait fallu infiltrer les systèmes et nouer des contacts avec les pays d'accueil, les services ont embauché des milliers d'agents qui passaient des journées entières devant des ordinateurs, à traduire et interpréter des flots d'information, souvent obsolètes avant même d'avoir été traités. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir consacré des moyens massifs au renseignement : la CIA compte 16 000 agents et est dotée d'un budget de 3 milliards de dollars ; le FBI, qui est une police judiciaire fédérale, compte pas moins de 27 800 agents et dispose d'un budget équivalent à celui de la CIA ; la NSA (National Security Agency) enfin, avec 100 000 agents, un budget de 8 milliards de dollars et 120 satellites, fait figure de mastodonte. Au total, on évalue à 25 milliards de dollars par an le budget des forces chargées de la lutte antiterroriste33. b) Une démocratie en guerre : vers une remise en cause de l'American way of life ? L'Amérique de 2001 s'est découverte vulnérable : quelles en sont les conséquences ? S'agissant des services de renseignement, outre l'erreur tactique qui les a conduits à privilégier les moyens de renseignement électronique, ils ont souffert de leurs rivalités et de leur cloisonnement. C'est afin de pallier ce dysfonctionnement majeur qu'a été un créé un poste de coordinateur de la lutte antiterroriste. En matière militaire, la défense intérieure fait désormais partie des premières priorités définies par la Quadriennal Defense Review, qui joue en quelque sorte le rôle de loi de programmation conceptuelle pour les quatre années à venir. Dans cette optique, un nouveau commandement, le Homeland Defense Command, devrait être créé, chaque branche des forces armées devant adapter ses structures à ce nouveau chantier. Ces réorientations ont-elles des conséquences sur les projets américains en matière de défense antimissile ? A l'évidence, eût-elle existé le 11 septembre, la Missile Defense n'aurait été d'aucun secours pour neutraliser les avions détournés par les kamikazes, quand bien même ces derniers les ont de facto transformés en missiles. De même, aucun des rogue states visés par les Etats-Unis n'est lié aux événements du 11 septembre. Pour un Président qui avait fait campagne sur le caractère inconstitutionnel de l'absence de toute protection de la population américaine contre des missiles actionnés de l'étranger, les failles du dispositif antiterroriste représentent sans aucun doute un camouflet. Pour autant, les Etats-Unis ne remettront pas en cause leur projet de défense antimissile du territoire : le raisonnement rationnel n'a pas sa place alors que les Etats-Unis ont été frappés comme jamais. Dans l'esprit des Américains, le 11 septembre signifie moins la prééminence de la menace terroriste que son imprévisibilité absolue, dans ses formes comme dans son degré d'imminence. Par extension, le raisonnement est appliqué à tous les types de menaces : les attentats de New York et de Washington ont validé l'idée que, désormais, tout est possible, tout peut arriver. Par conséquent, mieux vaut chercher à se prémunir de manière absolue contre tous les types de menaces, sans que les hiérarchies qui peuvent exister entre menace terroriste et menace balistique par exemple ne se traduisent par des choix politiques prioritaires. Même le Sénat démocrate, qui avait pourtant engagé un âpre combat en refusant de voter le budget de 8,3 milliards de dollars proposé par la Maison blanche pour la Missile Defense, s'est rangé au consensus populaire. Comment refuser en effet, dans le contexte actuel, un programme qui, dans la classification américaine, fait partie intégrante du concept de Homeland Defense ? C'est un rééquilibrage, et non un phénomène de concurrence, qui s'opère aujourd'hui entre les deux composantes de la Homeland Defense que sont la lutte antiterroriste et la défense antimissile. Au-delà des conséquences économiques majeures des attaques du 11 septembre, y a-t-il un risque plus global de remise en cause de l'exceptionalisme dont est imprégnée la mentalité collective américaine ? Cet autre mythe fondateur des Etats-Unis est en effet profondément mis à mal : non seulement le statut de « nouvelle terre promise » laisse place dans la mentalité américaine au constat d'une Amérique désanctuarisée, mais les Américains découvrent avec stupeur qu'ils font l'objet d'une haine profonde. Denise Artaud avait souligné combien, avec la guerre du Vietnam, les Etats-Unis avaient connu « la fin de l'innocence » : sont-ils désormais entrés dans l'ère du doute et du pessimisme, autant de notions étrangères à la mentalité américaine ? Cette dimension sociologique du terrorisme ne doit pas être sous-estimée : elle est même partie intégrante de la stratégie terroriste. Le débat actuel aux Etats-Unis, comme dans toutes les démocraties d'ailleurs, relatif à la définition du point d'équilibre entre lutte antiterroriste et valeurs de l'Etat de droit, est d'ailleurs symptomatique de l'existence de ce doute directement suscité par la stratégie de déstabilisation sociale des terroristes. On a dit combien, le 11 septembre, ce sont aussi les valeurs des sociétés démocratiques, honnies par les islamistes radicaux, qui avaient été attaquées. D'où l'éternel dilemme : peut-on combattre le terrorisme au nom des valeurs démocratiques sans pour autant recourir à des méthodes anti-démocratiques ? D'après un sondage du 15 septembre 2001 réalisé par la chaîne ABC News, 71 % des Américains se déclaraient favorables au renforcement des mesures de sécurité, même si cela signifiait l'abandon de certaines libertés personnelles. De fait, les mesures antiterroristes initialement proposées par l'administration Bush illustrent l'ampleur du doute d'un pays qui n'avait pas de législation spécifique contre le terrorisme. Notamment, le fait de viser des domaines jusqu'alors considérés par tous les juristes américains comme non susceptibles de faire l'objet d'un encadrement juridique, tels qu'Internet, est révélateur d'un profond désarroi. Parmi ces propositions figuraient, notamment : - la possibilité d'enregistrer et d'utiliser les communications téléphoniques à des fins judiciaires sans accord préalable d'un juge ; - l'autorisation pour les agences de sécurité et de renseignement de partager les informations, y compris les enregistrements d'écoutes téléphoniques, sans accord préalable d'un juge ; - l'extension de 90 jours à un an de la possibilité de procéder à des écoutes téléphoniques dans le cadre d'une enquête, là encore sans accord préalable d'un juge ; - la suppression de l'obligation de déclarer la mise sur écoute d'un suspect dans le cadre d'écoutes « de sécurité nationale » ; - l'obligation pour tout opérateur d'Internet de livrer des informations confidentielles sur simple demande des services de police et de sécurité, sans accord du juge. Ces propositions ont naturellement soulevé un tollé de la part des associations de défense du citoyen et des élus eux-mêmes, à telle enseigne que l'administration a dû reculer. Restent toutefois des mesures comme la décision de faire juger les terroristes par des tribunaux militaires et à huis clos, qui représente une véritable révolution dans la conception américaine du droit et de la procédure judiciaire. Ainsi, l'exécutif américain aura le droit de décider lui-même, d'une part qui sera jugé par ces tribunaux spéciaux, qui pourront s'affranchir des règles habituelles en terme de procédures, d'autre part du niveau de preuves considérées comme suffisantes pour décider de la culpabilité ou non des accusés. Ces derniers n'auront pas de voie de recours et pourront être condamnés à mort. De même, la détention préventive de quelque 603 personnes à la fin du mois de novembre 2001 est inédite dans un pays qui en a toujours refusé le principe. Ces mesures suscitent d'âpres débats aux Etats-Unis, dans les rangs républicains comme chez les démocrates, certains élus ayant le sentiment que ce qui a été qualifié de faillite des services de renseignement pourrait se révéler en définitive être une faillite de la démocratie. 2. L'Europe : une prise de conscience plus ou moins tardive de la réalité du danger L'enquête menée depuis les attentats du 11 septembre par les divers services de police montre que c'est en Europe que la nébuleuse islamiste radicale semble la mieux installée. La sensibilité au danger terroriste n'est pas pour autant uniforme en Europe, tant s'en faut. Si un certain nombre de pays ont développé une expertise et un savoir-faire importants en matière de lutte contre le terrorisme, étant eux-mêmes confrontés au phénomène sur leur territoire, pour les autres, il s'agit d'une véritable prise de conscience. Dans ce schéma, le Royaume-Uni représente un cas spécifique : conscient de la réalité du terrorisme islamique, ce pays a pourtant accueilli en toute connaissance de cause de nombreux islamistes sur son sol, les laissant en outre pratiquer un prosélytisme radicalement anti-occidental. a) L'Europe, terre d'accueil des islamistes Pour beaucoup d'islamistes radicaux, réprimés dans leur pays d'origine, l'Europe représente par contraste une terre d'accueil, d'autant plus intéressante qu'elle est également l'une des cibles des mouvements radicaux. Les mouvements islamiques ont su à merveille jouer des facilités d'accueil offertes par les pays de l'Union européenne (bourses d'études, coopération...) et de la liberté de circulation induite par l'intégration européenne (espace Schengen), tout en profitant des faiblesses du système dans le domaine de la coopération judiciaire et policière. Faut-il le rappeler, l'attitude des Etats sur le territoire desquels ont prospéré des bases logistiques terroristes est dictée moins par le souci d'aider les Etats voisins qui subissent des attentats sur leur sol que par celui de se prémunir eux-mêmes d'actions terroristes. Outre cette vision étroitement nationale du problème terroriste, les Etats européens ont pu développer des approches culturelles très différentes sur le sujet : confrontés au terrorisme de l'ultra-gauche - Brigades rouges en Italie, Fractions armées rouges en Allemagne, Action directe en France - ou au terrorisme nationaliste - basque en Espagne, IRA au Royaume-Uni, FLNC en France-, les pays européens ont adopté des réflexes opérationnels non codifiés. D'où des arsenaux juridiques et techniques extrêmement diversifiés, en voie d'évolution depuis le 11 septembre, mais qui ont eu jusqu'à cette date les caractéristiques suivantes : - au Royaume-Uni, auquel est consacré ci-après un développement spécifique, la collecte du renseignement, c'est-à-dire une action préventive est privilégiée au détriment de la répression policière, en dépit du caractère ouvertement ultra-radical de certains groupes implantés sur son territoire. Il n'existe pas de parquet ni de volonté politique de haut niveau de faire avancer les procédures sur des dossiers délicats. L'IRA cristallise l'essentiel de l'action anti-terroriste britannique ; - des considérations historiques expliquent l'insuffisance des moyens juridiques et policiers allemands, la structure fédérale jouant en outre en défaveur de l'efficacité des enquêtes, même si la coopération entre police fédérale et police des Länder s'est améliorée avec la détection de réseaux liés aux mouvements algériens ; - l'Italie est un cas particulier, dans la mesure où la très forte mobilisation des juges et des policiers italiens a longtemps été entravée par une législation trop restrictive, seuls les groupes planifiant des actions en Italie répondant à la définition légale de « terroristes » ; - les Pays-Bas se sont longtemps signalés par leur laxisme, étant de ce fait une sorte d'asile pour les terroristes. Londres est-il « le Kaboul de l'Europe », selon l'expression de M. Antoine Basbous34 ? Effectivement, nombreux sont les doctrinaires de l'islamisme qui vivent à Londres, où ils bénéficient depuis des décennies de la plus grande liberté d'agir, de concevoir, et même de prononcer des fatwas incitant à la violence en toute impunité. Il serait faux de qualifier le Royaume-Uni de laxiste en matière de lutte anti-terroriste. Ce pays possède notamment une législation lui permettant d'interdire tout groupe jugé dangereux et c'est à ce titre que 21 organisations terroristes, dont 16 islamistes, ont été prohibées en mars 2001. L'appartenance à ces groupes est désormais considérée comme un « délit criminel » et il est interdit de leur apporter le moindre soutien financier, d'exhiber leurs emblèmes ou de débattre publiquement avec leurs représentants avérés. Si l'on ajoute à ce dispositif l'existence de services de sécurité et de renseignement très au fait du phénomène terroriste, habitués à infiltrer les groupes clandestins, on pouvait penser que la présence au Royaume-Uni de nombreux islamistes au titre de réfugiés politiques restait sous le contrôle des autorités. Ce schéma théorique omet de prendre en compte la nature particulière du terrorisme islamique, et notamment la dimension internationale du prosélytisme pratiqué par les imams présents à Londres. En accordant, en plus du droit d'asile, une liberté d'expression totale aux réfugiés islamistes, le Royaume-Uni est petit à petit devenu une base idéologique de nombreux mouvements islamistes. Or la frontière est mince entre idéologie et action lorsqu'il s'agit d'individus généralement recherchés dans leur pays d'origine pour avoir commis des actes terroristes ou qui se conçoivent comme les théoriciens de mouvements armés. Comment ne pas évoquer en outre le caractère attractif joué par la City de Londres pour des mouvements qui brassent des fortunes, licites ou non ? Ce facteur est essentiel dans le cas d'un mouvement tel qu'Al Qaida : les experts estiment que Ben Laden aurait utilisé la capitale britannique comme base de coordination de ses opérations, via un organisme créé en juillet 1994 sous le nom de « commission pour le conseil et la réforme ». C'est d'ailleurs dans un quotidien arabe basé à Londres que Ben Laden put lancer sa fatwa du 23 février 1998, appelant tous les Musulmans à tuer les Américains. Enfin, l'absence de pratiques de contrôle d'identité, la carte d'identité ayant elle-même été abolie en 1953, rend totale la liberté de circulation au sein des frontières du Royaume. Par conséquent, toutes les organisations islamistes disposent d'une représentation plus ou moins discrète à Londres, qu'il s'agisse du Hamas, du GIA ou encore du Djihad islamique égyptien. Et nombreux sont les islamistes présents à Londres qui font l'objet de demandes d'extradition de la part de gouvernements étrangers. Jusqu'alors, le Royaume-Uni a toujours mis en avant l'indépendance de la justice pour s'opposer à toute démarche politique visant à accélérer les procédures. A cet égard, la récente déclaration de Tony Blair relative à l'extradition de Rachid Ramda, que la France demande depuis plus de cinq ans sur la base d'un dossier extrêmement étayé qui en fait le soutien financier des attentats de 1995, constitue un geste inédit. Cela ne veut pas dire que l'extradition de ce suspect est imminente ; les nombreuses ressources de la procédure judiciaire britannique risquent en effet d'être pleinement exploitées par le terroriste présumé. Cette attitude systématique vaut même auprès de l'allié américain, non pas, aux yeux de Londres, en vertu du risque de peine de mort encouru par les suspects concernés aux Etats-Unis, mais toujours selon le même principe d'indépendance de la justice. Ainsi, le directeur de l'organisation de Ben Laden implantée à Londres, évoquée ci-dessus, soupçonné par les Etats-Unis d'être impliqué dans la planification et l'exécution des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, s'abrite toujours derrière les procédures judiciaires britanniques pour éviter l'extradition vers les Etats-Unis. 3. La France : un pays sensibilisé à la question du terrorisme islamiste La France est sans aucun doute l'un des pays occidentaux les plus sensibles aux risques liés au terrorisme islamiste. Les faits en témoignent : entre 1986 et 1996, 23 attentats ont été perpétrés dans notre pays, qui peuvent être attribués à des mouvements islamiques radicaux. Cette menace est aujourd'hui pleinement intégrée dans le raisonnement stratégique de la France : le Livre blanc sur la défense de 1994, dressant le tableau des menaces pesant sur notre sécurité, souligne la nécessité de prendre en compte les « menaces non militaires qui pèsent sur notre sécurité », pour noter d'emblée que « l'action terroriste est sans doute la principale menace non militaire qui soit en mesure d'affecter notre sécurité » et que « la France est particulièrement exposée à ce risque ». Vient en deuxième position la menace représentée par les extrémismes religieux et nationalistes, l'extrémisme islamiste étant considéré en leur sein comme « la menace la plus inquiétante ». Plus récemment, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 soulignait que « les réseaux terroristes ont évolué, ils sont moins centralisés, ils défendent des idéologies parfois nihilistes, s'appuient sur des réseaux transfrontaliers et sont parfois liés aux économies criminalisées. Le terrorisme menace les intérêts de la France à plus d'un titre (...). Par ailleurs, le recours à des armes non conventionnelles par les groupes terroristes, même s'il reste fortement improbable, ne doit pas être écarté compte tenu de la tendance à une plus grande disponibilité des moyens correspondants.35 » a) Les précédents de 1985-1986 et 1995-1996
Depuis le début des années 1970, la France a régulièrement fait l'objet d'attaques terroristes sur son territoire ou à l'étranger. La France est le pays d'Europe qui a été le plus touché par le terrorisme international. Avec le développement de l'islam politique, elle devient en effet la cible d'attentats très meurtriers dans le courant des années 1980. L'appellation générique de terrorisme islamique ne doit pas tromper : dans leurs origines comme dans leurs motivations, les attentats qui ont frappé la France en 1985 et 1986 sont différents de ceux qui ont été perpétrés dix ans plus tard. Le 17 décembre 1985, deux bombes explosent dans deux grands magasins parisiens ; 15 attentats se succéderont en trois vagues jusqu'à l'explosion de la rue de Rennes, le 17 septembre 1986. On dénombrera 13 morts et 289 blessés. Le terrorisme qui frappe la France en 1985 et 1986 est d'inspiration chiite, moyenne orientale et proche orientale, s'inscrivant notamment dans la continuité du mouvement iranien à l'origine de la prise de pouvoir en Iran par les Ayatollahs. Signés par un groupe inconnu, le Comité de Solidarité aux Prisonniers Politiques Arabes (CSPPA), les attentats cesseront avec le démantèlement du réseau et l'interpellation, le 21 mars 1987, de son chef, Foued Ali Salah, activiste chiite d'origine tunisienne. La fin du conflit Iran-Irak, source principale du conflit indirect entre l'Iran et la France, tarit de facto les mouvements relevant de la même idéologie. La vague d'attentats qui frappe la France en 1995 - 1996 relève d'une logique totalement différente : il s'agit cette fois d'un terrorisme franco-algérien, prenant ses racines dans les liens anciens entre la France et l'Algérie. Ce terrorisme, au contraire du précédent, est circonscrit à la France et à l'Algérie, et relève d'une inspiration algérianiste, selon les termes employés par les futurs initiateurs du GIA. Pourquoi le GIA fait-il de la France son principal adversaire extérieur ? Au-delà des liens historiques entre les deux pays, le rôle de la France comme premier partenaire économique de l'Algérie en faisait, aux yeux du GIA, le soutien du pouvoir algérien qu'il combat. Enfin, le GIA avait un compte à régler avec la France, suite au démantèlement par les services français de certains de ses réseaux logistiques, ainsi qu'à l'humiliation subie avec l'échec du détournement de l'Airbus d'Air France en décembre 1994. Neuf attentats seront perpétrés entre le 11 juillet et le 17 octobre 1995, qui feront 13 morts et 283 blessés. C'est un véritable travail de fourmi que les services compétents déclenchent alors pour démanteler ces réseaux : au total, plus de 800 personnes sont arrêtées, ce qui provoque un sentiment d'insécurité dans les milieux islamistes basés sur le territoire français. Un certain nombre d'activistes partent alors vers les pays limitrophes : la Grande Bretagne, la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg et l'Italie, pour ne citer que les plus importants. C'est alors que se tissent en Europe un certain nombre de réseaux, qui ont pu être « recyclés » par Al Qaida dans sa lutte contre les Etats-Unis. Le caractère très évolutif du terrorisme islamiste qui a frappé la France au cours des quinze dernières années - ce que l'on pourrait appeler la dynamique du terrorisme - a certes contraint les services policiers et de renseignement ainsi que les magistrats spécialisés à s'adapter. Mais, au total, ces services compétents n'ont, selon le témoignage de l'un des patrons du renseignement, « jamais cessé de travailler sur le fondamentalisme intégriste ». Ce travail de fond est plus que jamais essentiel, le même témoin considérant qu'il « constitue un danger lourd pour l'avenir. » En effet, « le fait que ce mouvement se soit internationalisé et soit sorti de nos frontières n'est pas forcément une bonne nouvelle. Il ne faut pas oublier que les islamistes, contrairement aux Basques ou aux Corses, ont une idée précise dans leur modus operandi : la médiatisation. Plus le coup est spectaculaire, plus il portera au plan international. C'est pourquoi nous devons imaginer quel pourrait être le coup spectaculaire qui, en France ou ailleurs, pourrait animer des réseaux toujours en place. Il ne faut pas se faire d'illusions. Nous continuons à travailler, mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. » Cette remarque a d'autant plus de poids que les services de renseignement français ont déjà une longue connaissance des réseaux Ben Laden, au travers de l'affaire du gang de Roubaix, qui remonte à 1996. Sans le savoir, les policiers français, en mettant la main sur l'un des responsables, touchèrent le c_ur d'un réseau logistique de Ben Laden. A cette occasion, les services de renseignement, qui sortaient du démantèlement des réseaux franco-algériens responsables des attentats de 1995, découvrirent des terroristes au profil nouveau : éduqués, intégrés dans leur environnement et déterminés. D'où la remarque lucide de l'un des témoins auditionnés : « Sans dire que l'avenir est sombre, j'ai le sentiment qu'on se place dans une période lourde, qui va durer certainement longtemps. Nous ne sommes plus en 1995 où, après avoir démantelé un réseau, nous avions l'impression d'éradiquer le terrorisme islamiste. Au contraire, j'ai le sentiment que nous nous plaçons dans une perspective qui devrait durer plusieurs années ». b) Les dispositifs de lutte antiterroriste En réponse à cette menace, dont le caractère récurrent atteste la capacité à perdurer en dépit des parades qui ont pu lui être apportées, la France a mis en place un arsenal anti-terroriste, dont les principaux éléments, à la fois préventifs et répressifs, reposent sur la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 et sur le plan Vigipirate, plan gouvernemental d'alerte et de prévention créé en 1978. Ces mesures n'ont jamais été conçues comme des garanties parfaites contre le terrorisme ; elles le sont encore moins après le 11 septembre. Comme l'a souligné le Ministre de la Défense, « il n'existe pas de parade absolue contre des opérations de ce type ». Elles n'en constituent pas moins des dispositions précieuses, qui montrent chaque jour leur efficacité, et que nombre de pays qui ne disposent pas de législation spécifique contre le terrorisme, à commencer par les Etats-Unis, considèrent avec intérêt. Le volet préventif du dispositif antiterroriste français est constitué par le plan Vigipirate.
Quant au volet répressif du dispositif français, il repose sur la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, adoptée à la suite de la terrible campagne d'attentats perpétrés sur le territoire national la même année. Bien qu'existât une convention européenne pour la répression du terrorisme signée le 27 janvier 1977, le législateur s'était trouvé alors confronté à un problème de définition juridique. La difficulté était de répondre à une double exigence : mettre au point un dispositif efficace, tout en respectant le principe de légalité des délits et des peines d'une part, en conciliant les principes de l'Etat de droit avec la définition de dispositions dérogatoires au droit commun d'autre part. Par conséquent, la loi du 9 septembre 1986 ne définit pas directement l'infraction de terrorisme, mais appréhende pénalement l'activité terroriste par la combinaison de deux critères : l'existence d'un crime ou d'un délit de droit commun incriminé par le code pénal, et la relation de cet acte avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, qui caractérise la « circonstance » de terrorisme. Seuls certains crimes et délits limitativement énumérés dans une liste établie par le Code pénal sont concernés. Cette liste comprend entre autres : - les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport ; - les vols, les extorsions, les destructions, les dégradations et détériorations, ainsi que certaines infractions informatiques ; - les infractions en matière de groupes de combats et de mouvements dissous ; - la fabrication ou la détention de machines, engins meurtriers ou explosifs (définition étendue aux armes biologiques ou à base de toxines) ; - le recel du produit des infractions précédemment mentionnées. Le régime procédural des actes de terrorisme est également particulier, notamment en raison de la centralisation de l'instruction et du jugement au tribunal de grande instance de Paris, de l'allongement à quatre jours de la durée maximale de garde à vue, de la possibilité d'effectuer des perquisitions de nuit, du report de l'intervention de l'avocat à la 72ème heure de garde à vue, du jugement des crimes terroristes par une cour d'assises spécialement composée de magistrats professionnels et enfin d'un dispositif en faveur des « repentis » (exemption de peine permettant d'éviter l'acte terroriste, réduction de moitié de la peine pour les terroristes ayant permis de faire cesser les agissements incriminés ou ayant permis d'éviter que l'infraction n'entraîne mort d'homme). L'acte de terrorisme écologique (introduction dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, d'une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel) est reconnu depuis 1994, à l'instar de l'association de malfaiteur terroriste (participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme précédemment mentionnés), depuis 1996. En 1986, le législateur n'avait attaché à la circonstance de terrorisme associée à la commission de crimes et de délits limitativement énumérés que des conséquences procédurales. Le nouveau Code pénal a érigé les actes de terrorisme en infractions autonomes, c'est-à-dire en une véritable catégorie d'infraction, punies de peines aggravées. Par la suite, plusieurs lois ont été promulguées pour compléter ce dispositif, notamment : - la loi n° 95-125 du 8 février 1995 qui a allongé et unifié les délais de la prescription de l'action publique et de la peine en matière criminelle (qui passent à trente ans) et en matière correctionnelle (qui passent à vingt ans) ; - la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 qui a pour l'essentiel complété la liste des infractions susceptibles d'être qualifiées d'actes de terrorisme, et créé l'infraction spécifique d'association de malfaiteurs terroristes ; - la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 qui a permis, sous certaines conditions, les perquisitions de nuit. Les victimes elles-mêmes font l'objet de garanties législatives spécifiques : la loi du 9 septembre 1986 créa ainsi un fonds de solidarité chargé d'indemniser les victimes, système unique au monde qui prend en charge l'ensemble des victimes, quelle que soit leur nationalité. Mais c'est avec la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990, adoptée après l'attentat sur le vol UTA, qu'elles reçoivent un statut véritable, de victimes civiles de guerre. Sans doute est-il regrettable qu'il ait fallu attendre que des attentats soient commis pour que la législation anti-terroriste française progresse, comme l'a souligné Mme Françoise Rudetzki, déléguée générale de l'association SOS-attentats36. Mais, comme l'ont noté à l'unanimité tous les utilisateurs de cette législation au ministère de l'Intérieur comme au ministère de la Justice, en définitive, le dispositif est globalement efficace : c'est une « boîte à outils » qui fonctionne, pour reprendre l'expression employée devant la mission par le directeur de la Police nationale. Ce dernier a notamment mis en avant l'efficacité liée à la double centralisation, du pilier judiciaire, d'une part, du pilier policier d'autre part, gage de proximité entre les deux entités. Le même jugement a été porté par le directeur des renseignements généraux : « En visant la centralisation - des recherches, des poursuites et du jugement - la mise en _uvre de la loi de 1986 s'est révélée très efficace sur le plan institutionnel et juridique ». Le fait même que, le 10 septembre 2001, une information judiciaire ait été ouverte contre X pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, suite aux éléments recueillis par les services de renseignement français sur l'imminence d'une attaque contre les intérêts américains, tend à conforter ce constat. * * * La violence inouïe qui a éclaté au grand jour le 11 septembre 2001 puise ses racines dans un processus historique complexe, qui fait intervenir la crise économique, sociale, politique, du monde arabo-musulman, les soubresauts de la fin de la guerre froide et la revanche personnelle d'un homme. Pour toutes ces raisons, il y a fort à penser qu'en dépit même de la neutralisation de la base arrière d'Al Qaida qu'était l'Afghanistan et du démantèlement de plusieurs de ses cellules à travers le monde, l'internationale terroriste n'a pas disparu dans les ruines de Kaboul et restera tout au contraire un acteur majeur, même s'il est diffus et sans visage, de la vie internationale dans les années à venir. La question qui se pose donc est simple : comment s'en protéger aujourd'hui et demain ? II. - LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME DE MASSE : UNE EXIGENCE FONDAMENTALE QUI DOIT MOBILISER DES MOYENS DIVERSIFIÉS Le choc suscité par les événements du 11 septembre a suscité une mobilisation tous azimuts des Etats-Unis et de leurs alliés : riposte militaire, mesures policières, coopération judiciaire, action en matière financière. A une menace dont l'émergence a été rendue possible par de multiples facteurs dont nous avons tenté de montrer la complexité, est apportée une réponse elle-même multiforme dont nous ne voyons encore que les prémisses, qui mêle les dimensions nationale et internationale. L'enjeu n'est pas seulement de lutter contre le terrorisme de masse de la manière la plus efficace possible : aussi odieux soient-ils, les attentats du 11 septembre ne justifient pas n'importe quel moyen de rétorsion. Car les kamikazes extrémistes nous ont lancé un défi en s'attaquant aux valeurs qui fondent nos sociétés démocratiques ; y renoncer pour démanteler les réseaux terroristes reviendrait à reconnaître leur victoire. Par conséquence, à l'impératif d'efficacité doit être adjoint celui du respect des règles qui fondent l'Etat de droit. L'équilibre est, sans aucun doute, délicat à trouver : par définition, la présence accrue de militaires armés en uniforme dans les lieux publics, la multiplication des contrôles ou l'interdiction de manifestations publiques pour raison de sécurité ne vont pas de soi dans les sociétés démocratiques. Mais peut-être faudrait-il rappeler que démocratie n'a jamais été synonyme d'angélisme et qu'ignorer la menace mettrait à mal la raison d'être même de l'Etat, qui est de protéger les personnes vivant sur son territoire et ses ressortissants vivant à l'étranger. Tarir les sources - financières, militaires, humaines - du terrorisme, neutraliser les liens et réseaux qui le nourrissent, modifier l'environnement qui lui a permis de naître et de prospérer : tels sont les trois domaines d'action de la coalition internationale. C'est dans ce cadre qu'ont d'ores et déjà été prises un certain nombre de mesures. Sont-elles suffisantes ? Quels sont aujourd'hui les points faibles des cibles d'Al Qaida ? A. LA RIPOSTE AUX ÉVÉNENEMENTS DU 11 SEPTEMBRE Au lendemain du 11 septembre, les Etats-Unis se sont trouvés confrontés à un problème en apparence très simple : comment réagir ? Si la nécessité d'une réaction ne faisait en effet aucun doute - quel pays pourrait rester passif après le meurtre de plusieurs milliers de ses ressortissants sur le territoire national ? -, la question des formes que cette réaction devait prendre était, quant à elle, d'une redoutable complexité. Comment répondre à un acte non signé, non revendiqué, et sans aucun précédent dans l'histoire ? A cette menace d'un type nouveau, les réponses apportées jusqu'alors sont, elles, classiques. Telle est assurément la nature de la riposte militaire : aucun Etat ne sait faire la guerre à un réseau transnational ; en revanche, on sait combattre contre un autre Etat, sur un territoire géographique délimité. La relation étroite entre les Taliban et Al Qaida a, par conséquent, permis aux Etats-Unis d'intervenir dans une configuration classique, c'est-à-dire sur un territoire donné, l'Afghanistan, avec des moyens eux-mêmes classiques. Comme l'a souligné le Général Jean-Pierre Kelche37, Chef d'état-major des Armées, devant la commission, dans ses méthodes et ses moyens, la campagne menée en Afghanistan par les Etats-Unis n'a rien de nouveau, dans sa première phase du moins. En bref, face à une menace nouvelle, transnationale et sans visage, les Etats-Unis ont « étatisé » et personnalisé la menace, à travers Ben Laden. Tout aussi classiques sont les réponses apportées dans les domaines politique, diplomatique, judiciaire, policier ou financier, au sens où les mesures prises ne sont pas, en elles-mêmes, nouvelles. Constituent une nouveauté, en revanche, l'ampleur et la conjonction de l'ensemble de ces dispositions. Le seul exemple de la coopération judiciaire et policière illustre ce changement d'échelle. C'est d'ailleurs dans la capacité de la coalition réunie par les Etats-Unis à coordonner et à faire vivre dans la durée ce dispositif diversifié que réside in fine le succès de la riposte multiforme au terrorisme. 1. La combinaison d'interventions multiples En dépit du choc suscité par le 11 septembre, la réaction des Etats-Unis et des Etats qui les ont rejoints dans la lutte contre le terrorisme frappe, avec le recul, par sa rapidité, d'autant plus que l'intervention de la communauté internationale s'est faite sur des fronts aussi divers que la coopération judiciaire et policière, les questions financières et la riposte militaire. a) Un impératif : la constitution d'une large alliance politique Au lendemain des attentats du 11 septembre, les Etats-Unis ont cherché à s'assurer le soutien politique international le plus large possible. Toutefois, le terme de coalition, qui supposerait l'existence d'échanges et de concertation entre les membres qui la composent, n'est pas le plus approprié. La réalité est bien davantage celle d'une alliance politique : les Etats-Unis, frappés au c_ur, ont décidé de réagir, et ont été rejoints par un certain nombre d'Etats. Cette démarche obéissait à deux impératifs : tout d'abord, éviter de tomber dans le piège tendu par les islamistes extrémistes désireux de susciter l'émergence de deux blocs, avec le monde occidental d'un côté et le monde arabo-musulman de l'autre ; ensuite, rechercher l'efficacité maximale, les avancées de l'enquête révélant dès les premiers jours la dimension largement transnationale de l'organisation impliquée dans les attentats. Cette démarche a été globalement couronnée de succès : au total, plus de 100 Etats ont promis un soutien plus ou moins direct aux Etats-Unis tandis qu'une quarantaine ouvraient leur espace aérien. Même si certains Etats ont rejoint les Etats-Unis moins par conviction que par réalisme, il s'agit bien, sur les plans politique et diplomatique, de la riposte multilatérale voulue par les Etats-Unis. La constitution d'un tel ensemble doit beaucoup aux alliances préexistantes des Etats-Unis avec un certain nombre de pays et aux contacts bilatéraux intenses que les Américains ont noués dans la foulée des attentats. Elle a été en quelque sorte validée par l'ONU qui, par la voix du Conseil de sécurité, a souligné, symboliquement et juridiquement, l'ampleur de l'alliance internationale contre le terrorisme. Les Etats-Unis l'ont d'ailleurs bien compris : alors que l'article 51 de la Charte ne les y obligeait pas, ils ont tenu à mettre l'ONU en première ligne sur ce sujet. Il est difficile de dresser une liste des Etats qui composent l'alliance formée autour des Etats-Unis - ce qui confirme d'ailleurs le caractère abusif de la notion de coalition. On peut néanmoins distinguer deux cercles au sein de cet ensemble relativement disparate. Le premier d'entre eux regroupe les pays qui, au-delà de leur soutien politique, ont effectivement envoyé, ou promis de le faire, des moyens militaires, à savoir le Royaume-Uni, la France, l'Italie ou encore l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Australie, sans oublier ceux qui ont mis des éléments logistiques et ouvert leur espace aérien aux Etats-Unis : tel est le cas par exemple de la Turquie et de certaines Républiques d'Asie centrale comme l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Dans un deuxième cercle, on trouve les Etats qui ont marqué leur soutien politique, soit en réalité la quasi-totalité des Etats de la planète, à l'exception notable de l'Irak, seul pays à n'avoir pas condamné sans réserve les attentats du 11 septembre, sans s'en être réjoui pour autant d'ailleurs. Alors que même des Etats tels que l'Iran ou la Libye se sont montrés solidaires, l'Irak a en effet jugé que « les cow-boys américains récoltaient le fruit de leurs crimes contre l'humanité ». Au total donc, l'alliance constituée autour des Etats-Unis contre le terrorisme est bien plus large que pendant la guerre du Golfe (28 Etats), mais elle est beaucoup plus floue et, dans un certain nombre de cas, plus verbale que réelle. Son ampleur a pour corollaire sa fragilité, le deuxième cercle évoqué ci-dessous se subdivisant en réalité en plusieurs sous-ensembles : entre les gouvernements sympathisants, les pays neutres et les « partenaires hésitants », les alliances officielles se déclinent en de multiples nuances. Dès les premières frappes américaines sur l'Afghanistan, le 7 octobre 2001, certaines capitales arabes ont d'ailleurs exprimé des réserves liées aux risques encourus par la population civile afghane, poussées par la pression de leur opinion publique. Aucune toutefois n'est allée jusqu'à revenir sur son soutien politique. Notons encore le souci constant de la Chine de rappeler le rôle central de l'ONU. En réalité, c'est seulement dans la durée que la validité de cette alliance pourra être jugée : dans le cadre de la résolution 1373 du 28 septembre 2001, les Etats se sont engagés à prendre un certain nombre de mesures en matière financière ou judiciaire. C'est au travers de leur célérité et de leur volonté réelle de s'engager dans la lutte contre le terrorisme que pourra être jugée la pérennité de l'alliance. Celle-ci dépend également de la manière dont les Etats-Unis vont mener la riposte : nul doute que le lancement d'opérations militaires d'envergure sur un autre pays que l'Afghanistan, sans une concertation suffisante avec leurs partenaires et au nom d'une révision unilatérale des buts de guerre initialement fixés par les Américains, pourrait faire perdre aux Etats-Unis les bénéfices politiques engrangés depuis les événements du 11 septembre. En la matière, le risque n'est pas seulement de voir un certain nombre d'Etats se démarquer officiellement des Etats-Unis, mais également de perdre leur soutien actif en matière judiciaire, policière ou financière. Dans un certain nombre d'Etats arabes ou musulmans, faute de pouvoir s'en prendre à des régimes peu démocratiques et bien souvent responsables de situations économiques et sociales dramatiques, c'est contre l'Occident et les Etats-Unis que les opinions publiques sont tentées de diriger leur colère. La politique américaine vis-à-vis de l'Irak, de l'Iran ou de la Palestine ne fait d'ailleurs que nourrir la rage d'une jeunesse frustrée de liberté et sans perspective. Dans un tel contexte, les Etats du monde arabo-musulman, conscients de la mise en cause de leur légitimité populaire, s'en remettent plus encore à la protection américaine, ce qui, paradoxalement, affaiblit encore leur légitimité aux yeux du peuple. Un certain nombre de pays se trouvent par conséquent dans la position très inconfortable de devoir perpétuer, voire renforcer par des signes tangibles, leur alliance avec les Etats-Unis, tout en dénonçant les méfaits de la politique américaine pour leur opinion publique. Si les options militaires choisies par les Etats-Unis touchaient sans concertation d'autres pays que l'Afghanistan, l'équilibre fragile qui vient d'être décrit serait rendu plus précaire encore, et l'aide que ces Etats peuvent apporter dans la lutte contre le terrorisme hypothéqué d'autant. Or, comme les Etats-Unis l'ont eux-mêmes reconnu, la riposte militaire, aussi légitime soit-elle comme dans le cas de l'Afghanistan, n'est qu'un élément parmi d'autres de la lutte contre le terrorisme. Il serait préjudiciable à son efficacité que, comme ils ont eu tendance à le faire dans les années récentes en matière de prolifération par exemple, les Etats-Unis privilégient le recours à des moyens militaires au détriment de solutions politiques, plus complexes, plus ardues, mais beaucoup plus efficaces à moyen et long terme. Il est difficile de parler d'alliance ou de coalition autour des Etats-Unis sans évoquer l'OTAN, dont l'absence dans les événements actuels peut susciter l'étonnement. En effet, où situer l'Alliance atlantique dans le schéma décrit précédemment ? Immédiatement après les attentats de New York et de Washington, les Etats-Unis ont activement recherché son soutien. Dès le 12 septembre 2001, le Conseil de l'Atlantique nord déclarait que si la preuve était apportée de l'origine étrangère de « l'attaque » dirigée contre les Etats-Unis, elle serait « assimilée à une action relevant de l'article 5 du traité de Washington », qui fonde le principe de défense collective au sein de l'Alliance. D'emblée, un certain nombre de commentateurs ont mis en avant le caractère historique de cette démarche. En réalité, le recours à cet article, pour la première fois dans l'histoire de l'Alliance, ne s'est nullement traduit par la mise en _uvre d'une action militaire collective, même après que l'émissaire américain Franck Taylor a, le 11 septembre 2001, présenté aux ambassadeurs auprès de l'OTAN les éléments de preuve de la culpabilité d'Al Qaida. L'article 5 a, en effet, avant tout joué une fonction politique. Tout autant que d'afficher une solidarité sans faille entre les membres de l'Alliance, il leur a permis de garder leur liberté d'appréciation sur le niveau effectif de la participation militaire qu'ils souhaitaient apporter à la riposte américaine... ou non. De toute façon, faut-il le rappeler, jamais les Etats-Unis n'ont envisagé d'associer l'OTAN en tant que telle à leurs opérations militaires, souhaitant éviter quelque interférence que ce soit dans la maîtrise des décisions opérationnelles. Le souvenir du Kosovo n'est pas loin, et, avec lui, le souvenir des « négociations » sur les cibles avec les alliés. Ce raisonnement vaut tout autant pour les contributions nationales bilatérales. L'absence de recours à l'OTAN s'explique notamment par une raison technique : dans l'organisation opérationnelle américaine, la zone d'intervention actuelle dépend du commandement CentCom, basé à Tampa, en Floride, et non du commandement atlantique Saclant, basé à Norfolk. b) Un engagement militaire presque exclusivement américain Dans sa dimension militaire, la riposte aux attentats du 11 septembre a été, dans la première phase de l'intervention du moins qui s'est achevée par la chute du régime taliban, presque exclusivement américaine. Si les Etats-Unis ont souhaité obtenir un soutien politique international aussi large que possible, ils ont tout au contraire souhaité faire de l'opération « Liberté immuable » une affaire essentiellement américaine. Est-ce d'ailleurs surprenant ? Les Etats-Unis, superpuissance militaire, ont été frappés au c_ur : à leurs yeux, la guerre de représailles ne peut être, dans sa dimension militaire, que nationale, menée avec des moyens nationaux, sous commandement national - la participation britannique étant d'une part très limitée et d'autre part quasi-mécanique du fait de l'intégration très forte entre les deux pays dans certains domaines, notamment la dissuasion et le renseignement. Si le principe d'une riposte militaire allait de soi, ses modalités posaient en revanche des questions beaucoup plus complexes. Le 11 septembre au soir, à la question de savoir ce que pouvait faire la plus puissante armée du monde, l'Etat qui dépense un tiers des dépenses militaires mondiales, contre une poignée de kamikazes armés de cutters et de canifs, mais déterminés, organisés et disposant de compétences techniques avancées, beaucoup furent tentés de répondre : rien. Les Etats-Unis se trouvaient confrontés à ce que les stratèges qualifient de menaces asymétriques, c'est-à-dire aux effets extrêmement déstabilisants, sans que leurs auteurs soient pour autant puissants, offrant par là-même des cibles contre lesquelles il est possible d'exercer des représailles. A cet égard, même lorsqu'il est devenu clair que le réseau Al Qaida, et donc l'Afghanistan, était à l'origine des attentats du 11 septembre, la question du choix des cibles ne s'en est pas moins posée. De nombreux commentateurs n'ont pas manqué de noter à cet égard l'apparente disproportion entre un dispositif militaire massif - au début du mois d'octobre 2001, outre les 150 avions et les 43 000 hommes déjà présents dans la région, quatre porte-avions américains et britannique ont été déployés - et un pays dévasté par 22 ans de guerre, offrant de ce fait peu de cibles. Pour surmonter cette difficulté, la première phase de la riposte américaine s'est appuyée sur la stratégie des cinq cercles définis par le Colonel J. Warden, dans un article écrit à la fin des années 1990. Le principe en est la décomposition du système ennemi en cinq éléments imbriqués, que l'arme aérienne doit frapper à distance de sécurité, c'est-à-dire en exposant le moins possible la vie des soldats alliés. Les forces combattantes ennemies représentent le cinquième cercle, le plus éloigné de l'épicentre. Le quatrième cercle est formé par les populations civiles, tandis que le troisième est constitué par les bases essentiellement logistiques de l'Etat ennemi (aérodromes, routes...). Les « éléments organiques essentiels », qui forment le deuxième cercle, assurent l'ultime protection du noyau dur : il s'agit des infrastructures de production d'énergie, du carburant, des réseaux financiers et des sites alimentaires. Enfin, le premier cercle est formé par le dispositif de commandement. Dans le cas présent, il s'agit du mollah Omar. Selon la stratégie définie par le Colonel Warden, l'action militaire doit frapper simultanément chacun de ces cercles : au début des opérations, les troisième et deuxième cercles ont été visés, avant que le cinquième cercle ne soit pris pour cible à partir du début du mois de novembre 2001. L'objectif est donc la paralysie progressive de l'adversaire. Dans le même temps, les Etats-Unis ont également mis en _uvre une stratégie indirecte en soutenant les forces de l'Alliance du Nord. Outre les difficultés opérationnelles posées par le terrain afghan, la riposte militaire s'est heurtée à la difficile question de l'après-taliban. Il semble bien à cet égard qu'un différend ait opposé le Pentagone au département d'Etat, le premier privilégiant une approche exclusivement militaire - faire chuter le régime des Taliban afin de pouvoir traquer plus facilement les membres d'Al Qaida - et le second craignant les conséquences d'une victoire exclusive de l'Alliance du Nord, peu apte à faciliter un processus politique représentatif. Cette ligne était en réalité intenable et c'est sans l'onction américaine que les forces de l'Alliance du Nord sont entrées dans Kaboul. Sans qu'il soit possible de présager de l'avenir, la nouvelle donne militaire n'a pas remis en cause le projet de la communauté internationale de favoriser la constitution d'un gouvernement représentatif de toutes les composantes de la population afghane. La chute des principales bases de repli des Taliban ne signifie pas la fin de la riposte militaire : à l'évidence, les bombardements sur l'Afghanistan laissent aujourd'hui place à une deuxième phase, marquée par une intervention au sol importante, qui vient compléter l'action secrète des forces spéciales opérant depuis le début des frappes sur le terrain. Les responsables américains ont toujours expliqué que, même si le combat en Afghanistan semblait toucher à sa fin, leur but restait l'élimination d'Al Qaida, au-delà même de la capture d'Oussama Ben Laden. L'intervention au sol des Marines américains, de même que l'instauration d'un dispositif de sécurisation des frontières afghanes (par les Etats-Unis en matière maritime, par la Russie à la frontière avec le Tadjikistan) indique d'ailleurs qu'à leurs yeux, ce dernier est toujours en Afghanistan. Les Etats-Unis se plaisent également à rappeler que la lutte contre le terrorisme dépasse la seule neutralisation du réseau Al Qaida, maintenant une ambiguïté certaine quant à ce que pourrait être un autre point d'application d'une éventuelle riposte militaire hors d'Afghanistan. Les milieux conservateurs ont en effet toujours activement soutenu une action plus large et alimentent à cet égard les soupçons à l'égard de l'Irak, citant également d'autres Etats tels que la Somalie, le Soudan, le Yémen et les Philippines. De fait, les services diplomatiques et militaires américains travaillent sur la prochaine phase des opérations, dans un contexte de pression intense de la part des médias et du Congrès. Et l'Irak figure dans tous les scénarios, en dépit de l'absence à ce jour de preuve avérée de son lien avec Al Qaida ou avec l'affaire des enveloppes piégées à l'anthrax. A dire vrai, aux yeux des milieux conservateurs, ce lien est secondaire, voire inutile, ainsi que l'atteste le développement à Washington de la notion de « terrorisme potentiel », fondée sur l'idée que la possession par l'Irak d'armes de destruction massive serait un facteur d'intervention suffisant. Sur le fond, les « faucons » de la politique américaine sont animés par un mobile très simple : finir le travail inachevé en 1991 (unfinished business), en se débarrassant de Saddam Hussein. Le Président Bush n'a pas encore tranché sur ce point et il n'est pas improbable de voir se développer une campagne médiatique destinée à convaincre l'opinion qu'une telle opération serait faisable avec succès. A l'égard du reste du monde, en l'état du dossier, il est plus que probable que les Etats-Unis auront les plus grandes difficultés à plaider ce glissement de la légitime défense vers un droit d'intervention autoproclamé, y compris vis-à-vis de leur allié britannique, qui subordonne une telle opération à l'existence de preuve convainquante. Alors que la première phase est achevée, quel bilan - provisoire étant donné le trop faible recul que nous avons sur les événements - peut-on en tirer ? Au-delà de son coût financier (1,6 milliard de dollars), deux points ont été notamment relevés par les experts et la presse américaine. En premier lieu, la présence importante d'agents de la CIA au sol a permis la réussite des opérations aériennes. Selon un article du Washington Post en date du 18 novembre 2001, de petits commandos (6 hommes par groupe) seraient présents depuis plus de 18 mois sur le sol afghan, dont l'effectif total représenterait de 150 hommes. Ils auraient participé à des coups de main visant à déstabiliser les Taliban, y compris en recourant à des moyens sophistiqués tels que des hélicoptères ou des drones Predator. En deuxième lieu, il semblerait que la lourdeur du processus d'autorisation des frappes aériennes ait pu porter préjudice à l'efficacité de certaines interventions : dans certains cas, le renseignement relatif à des réunions de Taliban n'aurait pas pu être exploité pour cette raison. Il est intéressant de souligner en outre que les Britanniques disposaient d'un droit de regard sur les objectifs traités par les appareils au départ de la base de Diego Garcia (B 1 et B 52). Cet élément révèle les causes des réticences américaines à associer étroitement leurs alliés aux opérations : au-delà même du fait que, d'un strict point de vue militaire, ils n'en avaient nul besoin, leur prudence est liée à la volonté de ne pas multiplier les lieux de décision en matière de frappes aériennes, comme cela avait été le cas pendant la guerre du Kosovo par exemple, et de garder une totale maîtrise opérationnelle. c) Une coopération policière et judiciaire accrue Parmi les premières mesures prises à la suite des événements du 11 septembre figure une vague impressionnante d'arrestations, essentiellement aux Etats-Unis et en Europe, rendues notamment possibles par une coopération policière internationale sans précédent. Comme l'a expliqué devant la mission M. Finielz, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, « il y a eu une demande très forte de coopération des Américains au lendemain des attentats du 11 septembre. Cette demande a été satisfaite par la France. Il y a toujours eu de bonnes relations entre l'autorité judiciaire française et les autorités judiciaires américaines sur la lutte contre le terrorisme ». De fait, de par son expérience en matière de terrorisme, la France a acquis un savoir-faire apprécié dans la connaissance des réseaux terroristes islamiques. En l'occurrence, comme l'a souligné l'un des interlocuteurs de la mission, « Les Américains ont une approche différente de la nôtre. Contrairement à nous, ils commencent par le haut. Ils se trouvent d'abord un ennemi, un adversaire qu'ils diabolisent - en l'occurrence, Ben Laden - alors que nous, nous travaillons par le " bas ", sur le réseau, la structure. » La coopération judiciaire et policière s'exerce aussi bien dans un cadre bilatéral que dans des structures multilatérales. Ainsi, le 25 septembre 2001, la police criminelle internationale, Interpol, qui regroupe 179 Etats, lançait un mandat d'arrêt international prioritaire contre l'un des bras droit d'Oussama Ben Laden, Ayman al-Zahawiri, dirigeant du Djihad islamique égyptien. C'est certainement en Europe que la coopération antiterroriste est la plus profonde, même si elle encore embryonnaire au vu de la perméabilité des réseaux terroristes. L'enquête en cours depuis les attentats montre en effet qu'au sein de l'internationale de l'hyperterrorisme qu'est Al Qaida, l'Europe du terrorisme est, depuis plusieurs années, une réalité prégnante. Il faut relever que la coopération policière intraeuropéenne concernant les réseaux islamiques est antérieure au 11 septembre. Ainsi, l'Allemagne, qui prend aujourd'hui conscience de l'existence en son sein d'une véritable nébuleuse islamiste, avait été alertée dès le mois de juillet 2001 par les services de sécurité français d'un risque d'attentat, suite à l'arrestation en Espagne du chef présumé du réseau Ben Laden en Europe, domicilié à Berlin. Trois mois auparavant, la police allemande avait arrêté à Francfort un ressortissant algérien, là encore suite à un « tuyau » français. Il est apparu que cet Algérien était lié à d'autres personnes passées, comme lui, par les camps d'entraînement d'Afghanistan, qui avait été arrêtées en décembre 2000 alors qu'elles s'apprêtaient à commettre un attentat contre la cathédrale de Strasbourg. Dans le cadre de l'enquête sur les attentats du 11 septembre, il semble avéré que le complot ait été mis au point à Hambourg. Tout comme l'Allemagne, la Belgique a servi de plaque tournante de l'islamisme radical sans avoir pour autant été elle-même victime d'attentats liés au terrorisme islamique sur son sol. Mais c'est surtout le Royaume-Uni qui s'est constitué en havre des intégristes musulmans, refusant systématiquement toutes les demandes d'extradition. Si de tels refus sont justifiés s'agissant de pays où les terroristes étaient promis à la mort, la liberté de prosélytisme qui leur est laissée, de même que les refus opposés à des pays offrant toutes les garanties d'une justice démocratique sont en revanche beaucoup plus discutables. Face à cette Europe du terrorisme depuis longtemps constituée se met aujourd'hui en place une Europe de la coopération antiterroriste. Comme l'a souligné le Ministre des Affaires étrangères devant la Commission le 14 septembre 200138, les membres de l'Union européenne devraient réaliser en 12 à 18 mois ce qu'ils auraient mis dix ans à construire sans les tragiques événements du 11 septembre. La mission reviendra dans ses propositions sur les mesures qu'il convient de soutenir ou de susciter en la matière. Soulignons d'ores et déjà que l'Union européenne n'a, en ce domaine, pas droit à l'échec : comme le révèlent les sondages, les attentes des opinions publiques européennes à cet égard sont très fortes. d) Une concertation financière efficace ? Ni le caractère spectaculaire de la riposte militaire, ni la monopolisation du débat public par la crise afghane ne doivent faire oublier qu'avant même le déclenchement des opérations militaires ouvertes, la réponse américaine a été d'ordre financier, l'objectif étant, pour prendre les mots du Président Bush, de saper les « fondations financières des terroristes ». Sur le principe, la mesure consistant à geler des avoirs étrangers n'est pas nouvelle ; mais, dans leur ampleur, force est de reconnaître que les dispositions prises par décret, le 23 septembre 2001, par le président américain, sont sans précédent. Gel des avoirs de 27 organisations ou individus soupçonnés d'être liés aux attentats du 11 septembre, présents sur le territoire américain, blocage des dépôts ou des transactions effectuées sur le sol américain par des banques étrangères qui refuseraient de coopérer ; plus largement d'ailleurs, tout gouvernement ou établissement financier qui refuserait de coopérer s'expose à des mesures de rétorsion. Ajoutons que la « liste noire » édictée par les Etats-Unis a été reprise immédiatement par les alliés européens. Ces décisions sont, en théorie du moins, porteuses d'évolutions majeures, notamment à l'égard des paradis fiscaux contre lesquels Washington avait jusqu'alors refusé toute action. Elles s'inscrivent tout à fait dans la ligne de la création, à l'initiative du G 7, du Groupe d'action financière internationale(GAFI), en 1989, et de l'appel de Genève lancé en 1996 par plusieurs juges européens. D'ailleurs, la réunion du G 7 du 7 octobre 2001 s'est traduite par la décision d'étendre les compétences du GAFI au financement du terrorisme, l'objectif étant, pour reprendre les termes du secrétaire américain au Trésor, Paul O'Neill, « de créer une toile d'araignée de connexions (...) d'une façon qui n'a jamais été réalisée auparavant ». Le GAFI a notamment défini de nouveaux standards internationaux pour combattre le terrorisme, qui sont au nombre de huit : ratification de la convention de l'ONU de décembre 1999 sur la répression du financement du terrorisme, incrimination pénale des infractions financières liées aux actes et aux organisations terroristes, gel immédiat de tous les fonds et avoirs des terroristes et de leurs commanditaires, déclaration de soupçon des établissements financiers concernant les transactions liées au terrorisme, renforcement de la coopération internationale judiciaire, surveillance des systèmes de transferts de fonds parallèles, identification des donneurs d'ordre pour tous les transferts électroniques de fonds, transparence des entités non financières telles que les organisations caritatives. L'action d'abord unilatérale des Etats-Unis s'inscrit donc dans un dispositif global, dominé, dans le domaine multilatéral, par la convention internationale sur le financement du terrorisme, dont le Président Bush a annoncé la ratification immédiate.
En l'occurrence, l'action internationale est chapeautée par la résolution n° 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies votée le 28 septembre 2001. Par ce texte, le Conseil de sécurité exhorte la communauté internationale à prendre des mesures concrètes contre le terrorisme, et notamment à : - prévenir et réprimer le financement des actes de terrorisme ; - ériger « en crime la fourniture ou la collecte délibérée par leurs nationaux ou sur leur territoire, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, de fonds que l'on prévoit d'utiliser ou dont on sait qu'ils seront utilisés pour perpétrer des actes de terrorisme » ; - geler « sans attendre les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, des entités appartenant à ces personnes ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles, et des personnes et entités agissant au nom, ou sur instruction, de ces personnes et entités, y compris les fonds provenant de biens appartenant à ces personnes, et aux personnes et entités qui leur sont associées, ou contrôlés, directement ou indirectement, par elles » ; - interdire « à leurs nationaux ou à toute personne ou entité se trouvant sur leur territoire de mettre des fonds, avoirs financiers ou ressources économiques ou services financiers ou autres services connexes à la disposition, directement ou indirectement, de personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, d'entités appartenant à ces personnes ou contrôlées, directement ou indirectement, par elles et de personnes et entités agissant au nom ou sur instruction de ces personnes. » Enfin, aux termes de cette résolution, les Etats doivent fournir avant le 27 décembre 2001 un premier rapport d'application au comité contre le terrorisme créé par cette même résolution, chargé du suivi des mesures édictées. Tout refus des 189 Etats membres de mettre en _uvre ces prescriptions les expose en effet à des sanctions. Ce volontarisme indéniable marque-t-il véritablement l'entrée de la communauté internationale dans une nouvelle ère en matière de contrôle des flux financiers liés au terrorisme ? Il serait prématuré de tirer des conclusions optimistes, dans la mesure où l'efficacité de ce genre de mesures dépend de la volonté politique de ceux qui les ont édictées sur le long terme. En la matière, en effet, l'impulsion initiale, aussi forte soit-elle, ne suffit pas : c'est sur chaque dossier que la volonté politique doit se faire sentir. Or nul besoin de souligner que ce domaine recouvre des intérêts puissants, auxquels certains Etats, y compris européens, ne sont pas insensibles dans leur souci de préserver leur rôle en matière de finance internationale. Faut-il également rappeler qu'en la matière, les Etats-Unis ont opéré une conversion radicale, eux qui avaient réagi pour le moins froidement, en mai dernier, à la demande de plusieurs pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d'intensifier la lutte contre les paradis fiscaux ? En outre, l'action contre les fondations financières du terrorisme ne recouvre pas strictement la lutte contre le blanchiment de l'argent sale et apparaît même bien plus complexe : dans le cas d'un Ben Laden, la question qui se pose est, en effet, bien davantage celle du « noircissement » d'argent propre, les actifs du milliardaire saoudien provenant généralement d'activités tout à fait légales. Dans ce domaine aussi, les attentats du 11 septembre ont fait émerger de nouveaux défis, appelant par là-même des réponses nouvelles. Assurément, s'agissant de finance internationale, la volonté politique en est une... 2. Les conséquences importantes de cette lutte La lutte engagée par les Etats-Unis et leurs alliés contre le terrorisme ouvre une période d'instabilité géopolitique qui dépasse les seules frontières afghanes : dans l'évolution de ce pays, se joue en effet non seulement une redistribution des rôles en Asie centrale, que ce soit pour le Pakistan ou l'Iran, mais également bien au-delà, du fait des ramifications internationales d'Al Qaida. Qui plus est, en appelant tous les Etats à se positionner par rapport à lutte antiterroriste, les Etats-Unis entendent redéfinir les lignes structurantes de leur politique étrangère, ce qui aura des incidences mondiales du fait de leur position dominante. a) Des risques géopolitiques réels : l'arc de crise en Asie La crise internationale ouverte par les attentats du 11 septembre a mis en avant l'acuité du problème afghan. En réalité, la crise afghane s'inscrit plus largement dans ce qui apparaît comme un véritable arc de crise allant du Moyen-Orient aux frontières chinoises. Dans cette zone se concentrent des Etats qui sont en voie de constitution (problème israélo-palestinien), qui ont subi des bouleversements internes majeurs, voire des guerres, dans les années récentes (révolution iranienne, guerre Iran - Irak, invasion et guerre civile en Afghanistan), ou encore qui ont des différends frontaliers (Afghanistan et Pakistan, Inde et Pakistan, Chine et Inde), le tout sur fond de prolifération des armes de destruction massive. La crise actuelle permet d'identifier clairement, au sein de cet arc de crise et d'instabilité, trois points nodaux, dont l'évolution conditionnera la stabilisation, ou l'embrasement, de la zone : le Pakistan, l'Iran et l'Arabie saoudite. · Le Pakistan Le 11 septembre s'est traduit, en termes géopolitiques, par le spectaculaire retour du Pakistan sur la scène internationale, en même temps que par un bouleversement radical des paramètres de sa politique intérieure et étrangère. Faut-il aller jusqu'à dire que ce pays joue aujourd'hui, sur le plan intérieur, sa stabilité, voire son intégrité, et, sur le plan extérieur, son avenir et son intégration dans la communauté internationale ? Ce qui est certain, c'est que la politique ambiguë que le Pakistan mène depuis sa création en 1947, de solidarité islamique d'une part, y compris avec les mouvements les plus fondamentalistes et les plus violemment anti-américains, et d'alliance avec le monde occidental d'autre part, a atteint ses limites. Cette politique constante a toujours été considérée par tous les dirigeants pakistanais comme étant liée à l'existence même du pays : « concept idéologique »39, le Pakistan repose en effet sur un seul ferment d'unité, l'islam. Il est, avant toute chose, l'Etat qui rassemble les Musulmans du sous-continent indien, face au géant indien, avec lequel le différend a été bien souvent formulé en termes de djihad. Par ce terme et par le choix identitaire qu'il symbolise, le Pakistan se projette ainsi dans un ensemble régional musulman beaucoup plus large qui compense son absence de profondeur stratégique avec l'Inde. C'est dans cette optique que le Pakistan a soutenu le régime taliban, qui n'est en réalité que le résultat de la politique, soutenue avec bienveillance par les Etats-Unis, qu'il a suivie en Afghanistan depuis l'invasion soviétique de 1979. En effet, les événements de 1979 fournirent au Pakistan une occasion historique de favoriser des mouvements qui lui étaient favorables, dans un pays avec lequel il a un différend frontalier depuis 1947 et dont il craint qu'il ne constitue une alliance de revers avec l'Inde en formant un grand Pachtounistan, qui signifierait la perte des régions pakistanaises à majorité pachtoune. Ce scénario fut d'ailleurs près de se réaliser en 1947 et reste vivace dans la mentalité des élites pakistanaises. A partir de 1979 par conséquent, le Pakistan a été l'instrument zélé de la politique américaine en Afghanistan : c'est par lui, et notamment par l'intermédiaire du tout-puissant service secret pakistanais, l'ISI, qu'ont transité les fonds américains et saoudiens à destination des mouvements afghans de lutte contre l'occupation soviétique et le régime communiste afghan. En 1989, le Pakistan voit dans le départ de l'Armée rouge une occasion sans pareille d'installer à Kaboul un gouvernement qui lui est favorable, avec lequel il entretiendrait une relation de souveraineté limitée qui ne serait pas sans rappeler celle qu'entretenait l'URSS avec ses satellites. Alors qu'il vient d'acquérir l'arme nucléaire - la CIA en est informée dès 1987 - et qu'il sait que l'Inde y travaille activement également, les avantages qu'il peut retirer d'une telle politique en termes de profondeur stratégique sont plus puissants que jamais. Poursuivant la stratégie par procuration suivie pendant la décennie précédente, il joue la carte islamique contre les autres forces d'opposition présentes en Afghanistan, d'autant que les islamistes appartiennent à l'ethnie pachtoune. L'Arabie saoudite comme les Etats-Unis y trouvent leur compte. La première, parce que cela conforte sa politique d'endiguement et d'isolement de l'Iran. Les seconds, du fait de leurs projets pétroliers et gaziers dans la zone.
Plus particulièrement, dans un contexte de radicalisation et d'anti-américanisme croissant des mouvements islamiques après la guerre du Golfe, le Pakistan soutient les plus radicaux d'entre eux, les Taliban. Ceci correspond d'ailleurs, sur le plan interne, à une évolution de l'islamisme pakistanais au profit de ses éléments les plus traditionnels, dans un contexte de corruption, d'instabilité politique et de crise économique et sociale, et alors que les Etats-Unis cessent de soutenir le Pakistan, stratégiquement dévalorisé à leurs yeux avec la fin de la guerre froide. Plus encore, alors que les Américains avaient toujours fermé les yeux sur la politique nucléaire du Pakistan, celui-ci fait l'objet de critiques et de sanctions de tous ordres, les essais nucléaires réalisés en 1998 et le coup d'Etat du Général Musharraf achevant de le mettre au ban des nations. C'est donc un pays qui traverse depuis plusieurs années une crise profonde et multiforme qui se voit sommer, au lendemain du 11 septembre, d'abandonner son soutien au régime taliban et de fournir toute l'aide possible aux Etats-Unis. Plus encore, alors que certains spécialistes évoquaient les risques d'une talibanisation du Pakistan, du fait du rôle majeur joué par le réseau des écoles coraniques pakistanaises dans la formation des Taliban et par l'influence considérable de ces réseaux dans l'appareil militaire et de renseignement pakistanais, le Pakistan voit aujourd'hui s'effondrer ses projets de voir se constituer un quasi-protectorat en Afghanistan, avec la prise de Kaboul par des forces non pachtounes. Dans ces conditions, comment trouver une solution au problème afghan sans créer du même coup un problème pakistanais, scénario que ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne ne peuvent envisager dans un pays qui possède l'arme nucléaire ? Tel est aujourd'hui l'un des enjeux de l'accord de Bonn ; tel est également ce qui doit guider la politique américaine et européenne dans les années à venir, tant il est impensable de laisser le Pakistan revenir au tête-à-tête avec ses problèmes identitaires. Nul doute que le Pakistan paye aujourd'hui une politique certes cohérente, mais risquée et ambiguë. La levée des sanctions sur le Pakistan par les Etats-Unis, ainsi que l'assistance économique dont il bénéficie depuis le 11 septembre, se sont d'ailleurs accompagnées par l'instauration d'un contrôle américain sur l'arsenal nucléaire national et sur la coopération avec la Chine dans ce domaine. Mais de manière tout aussi certaine, la lutte contre le terrorisme qui se réclame de l'islam ne pourra se faire sans la stabilisation ni la coopération avec un pays qui a toujours prôné une idéologie panislamique, non pas tant en vertu d'un militantisme religieux qu'au nom de son intégrité territoriale et de la pérennisation de son existence. Dans cette perspective, la résolution de la question du Cachemire, région dans laquelle sont également à l'_uvre des moudjahidines formés dans les madrassas pakistanaises et les camps d'entraînement afghans, fait partie intégrante de l'assèchement des réseaux terroristes. · L'Iran S'il n'est pas question, et de toute façon prématuré, de désigner les gagnants et les perdants de la redistribution des cartes stratégiques qui s'opère aujourd'hui, nul ne peut nier aujourd'hui que l'Iran est dans une position potentiellement favorable pour s'établir comme la puissance régionale incontestée qu'il ambitionne d'être. L'Iran a été l'une des principales victimes de la politique islamiste activiste poursuivie par le Pakistan dans la région, avec lequel il entretient d'ailleurs des relations très tendues comme en témoignent les conflits entre chiites et extrémistes sunnites pakistanais qui se sont multipliés dans les années 1990. De fait, la politique extérieure offensive et idéologique du Pakistan s'est traduite par un isolement relatif de l'Iran. L'avènement des Taliban en Afghanistan n'a jamais été considéré d'un bon _il de la part de l'Iran, qui partage 900 kilomètres de frontières difficilement contrôlables avec l'Afghanistan : crainte d'une influence indirecte des Taliban sur la minorité sunnite iranienne, flux de réfugiés afghans, trafic de drogue, les motifs de tension entre les deux pays étaient nombreux. Dans l'esprit de Téhéran en outre, les liens entre la politique américaine en Afghanistan et l'avènement du régime taliban n'étaient pas faits pour faciliter les contacts. Les événements du 11 septembre permettent à l'Iran de faire valoir ses vues, lui qui a toujours prôné l'instauration d'un gouvernement de coalition en Afghanistan. Désireux non pas tant de disposer d'un droit de regard dans les affaires afghanes, que de stabiliser sa frontière orientale afin de mieux se concentrer sur sa politique à l'égard des Etats du Golfe, du Moyen-Orient et de la Caspienne, l'Iran souhaite en effet pouvoir jouer le rôle régional capital auquel il aspire du fait de sa situation géographique. L'Iran n'a pas pour autant opéré de virage complet dans sa politique américaine depuis le 11 septembre : s'il a pris soin de souligner l'absence d'implication de tout ressortissant iranien dans les réseaux d'Al Qaida, il a choisi une position de neutralité, obtenant des Etats-Unis le respect de l'intégrité de son territoire et de ses espaces aériens et maritimes dans le cadre de la riposte militaire contre l'Afghanistan. Ce faisant, l'Iran entend avant tout profiter du nouveau contexte pour retrouver un rôle influent au sein du monde musulman, notamment face à son rival de toujours en termes de prosélytisme religieux, l'Arabie saoudite. « Le monde musulman doit avoir un rôle actif dans la définition du terrorisme », expliquait le Ministre iranien des Affaires étrangères au début du mois d'octobre 2001 : dans cette perspective, l'Iran pourrait jouer un rôle important pour éviter la création d'une fracture entre le monde musulman et les Etats occidentaux. Ce constat pour le moins paradoxal au regard de l'histoire récente en fait un élément important dans la stabilisation de l'arc asiatique. · L'Arabie saoudite Dernier point nodal de cet arc, l'Arabie saoudite partage aujourd'hui avec le Pakistan, avec lequel elle a entretenu de longue date des liens très puissants pour des raisons religieuses, stratégiques et économiques, une situation potentiellement instable. De fait, les similitudes entre les deux pays sont nombreuses : même politique à double face d'alliance occidentale et de soutien aux mouvements islamistes les plus radicaux, relations de longue date avec les Etats-Unis, reconnaissance du régime des Taliban. Pour toutes ces raisons, l'Arabie Saoudite se retrouve aujourd'hui en première ligne dans la lutte contre le terrorisme et doit faire face aux contradictions qu'elle a longtemps entretenues. Comme au Pakistan, la situation politique y est fragile : même si le pays est toujours tenu par la famille Al Saoud conformément aux décisions prises à Yalta le 13 février 1945, l'essoufflement politique d'une dynastie vieillissante ne laisse pas d'inquiéter dans un pays qui repose sur des mécanismes segmentaires et tribaux. Certes, du fait des revenus pétroliers, l'Arabie Saoudite ne saurait être comparée à un Pakistan surendetté et qui était, à la veille du 11 septembre, au bord de l'asphyxie économique, même si elle est aujourd'hui confrontée à l'accroissement de sa dette extérieure, qui atteindrait 69 milliards de dollars. Il n'en reste pas moins que, dans un pays dont les ressortissants vivent des seuls revenus pétroliers, l'explosion démographique, jointe à la baisse des cours du pétrole, se traduit par une diminution du revenu per capita, ce qui commence à faire naître un sentiment d'angoisse dans une jeunesse dés_uvrée et formée par les principes wahhabites, c'est-à-dire les plus traditionalistes et violemment anti-occidentaux. Ce qu'ont mis en lumière les événements du 11 septembre, c'est l'impératif de revitalisation d'un système saoudien à bout de souffle politiquement et socialement. Sont en jeu tant les intérêts économiques d'un certain nombre d'Etats européens et des Etats-Unis, eu égard au rôle de ce pays dans l'approvisionnement pétrolier, que l'objectif même de la coalition qui s'est constituée aux lendemains du 11 septembre. Le rôle d'organismes saoudiens dans le prosélytisme religieux n'est pas en lui-même à mettre en cause ; mais il est certain que, cumulé à des dysfonctionnements politiques et à des phénomènes de crises identitaires, il peut devenir une arme dangereuse au service de réseaux ultra-violents. Au total, en termes géostratégiques, l'un des enseignements majeurs du 11 septembre est que notre sécurité sera dans l'avenir indissociablement liée à la stabilité de cet arc de crise. Trop longtemps, les Européens ont considéré que les événements qui se déroulaient dans ces régions éloignées ne les concernaient pas, du moins pas directement : certains membres de l'Union européenne ne manifestent-ils pas leur étonnement de voir l'Union réagir sur les essais indiens et pakistanais ? Il fallut d'ailleurs attendre cinq mois en 1998 pour que l'Europe élabore une position commune sur le sujet ! Aujourd'hui, le retour de l'histoire dans cette zone nous rappelle que notre action extérieure ne saurait se limiter aux dimensions économiques ou humanitaires, mais doit être globale, y compris dans des zones qui, a priori, ne sont pas des zones d'intervention « naturelles ». Pour ce faire, l'Europe doit elle-même se concevoir comme une puissance globale. Ceci pose à nouveau la question de l'architecture de sécurité européenne. b) Quelles implications pour l'architecture de sécurité européenne ? Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l'architecture de sécurité européenne est dominée par le rôle de l'Alliance atlantique, dans la partie occidentale du continent du moins. La fin de la guerre froide a vu se renforcer son rôle dans un certain nombre de pays libérés du joug soviétique, tandis que le nouveau concept stratégique de l'OTAN en redéfinissait les missions. Parallèlement, les Etats européens se sont efforcés de développer des instruments de sécurité spécifiquement européens, au sein de l'Alliance en premier lieu, désormais également à côté de l'Alliance. Depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998, et la décision consécutive de l'Union de se doter de capacités de défense communes d'ici à 2003, une dynamique nouvelle s'est enclenchée, qui devrait conduire à mettre davantage en adéquation le poids militaire de l'Union avec ses dimensions économique et politique. Les événements en cours depuis le 11 septembre ne font que renforcer la pertinence de cette approche. En premier lieu en effet, ils ont mis assez crûment en lumière le rôle de l'Alliance atlantique. La mission a relevé précédemment que l'OTAN avait été sollicitée dans sa seule dimension politique par les Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme. Ceux-ci ont même pris soin de se garder de toute implication de l'OTAN dans la conduite des opérations militaires, peu désireux de voir l'ensemble des membres de l'Alliance avoir leur mot à dire dans la conduite opérationnelle de la riposte. Même si l'organisation géographique des commandements opérationnels américains explique ce choix, ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'en reste pas moins vrai que, dans les opérations qu'ils jugent fondamentales pour leur sécurité, les Etats-Unis ne souhaitent en aucun cas voir quiconque interférer, y compris leurs plus fidèles alliés. En l'occurrence, l'Alliance s'est vu reconnaître un rôle exclusivement politique, au même titre d'ailleurs que les autres partenaires des Etats-Unis sur d'autres continents. Ainsi, alors que les Européens conçoivent bien souvent le rôle des Etats-Unis à travers le seul prisme otanien, la réciproque n'est pas vraie du côté américain : l'OTAN est un instrument de leur politique parmi d'autres. Cette crise ne fait par conséquent que confirmer que l'organisation atlantique est fondamentalement une organisation militaire régionale. Néanmoins, cette crise, en mettant en lumière les faiblesses de l'arc asiatique dans le contexte géopolitique actuel, rend probable un repositionnement de l'Europe dans l'échelle des priorités américaines, comme certains commentaires le soulignaient d'ailleurs dans le cadre du dossier de la défense antimissile : de plus en plus, les enjeux géopolitiques internationaux se situent moins en Europe qu'en Asie, du Moyen-Orient à l'Extrême-Orient. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell souligne à l'envi que, désormais, le monde est réellement entré dans « l'après après-guerre froide » : nul doute que, dans l'esprit des Etats-Unis, ce constat a des implications précises sur le rôle de l'Alliance atlantique. Déjà dans l'après-guerre froide, les contours de ce rôle n'étaient pas toujours très nets : les Etats-Unis cherchaient notamment à faire de la lutte contre la prolifération le c_ur des fonctions de l'OTAN, soucieux de mettre l'Alliance en phase avec ce qu'ils considéraient comme la priorité stratégique et désireux, en dernière analyse, d'utiliser hors des frontières européennes la seule organisation militaire régionale efficace. Aujourd'hui, l'Alliance est appelée à faire de la lutte anti-terroriste son nouveau cheval de bataille : les événements du 11 septembre pourraient accélérer l'extension des missions de l'OTAN aux nouvelles menaces et, avec elle, l'élargissement géographique de son action, au moins vers le Proche-Orient, voire dans l'hémisphère sud. Ces tentatives répétées de l'Alliance atlantique pour rester au contact des réalités géopolitiques incitent à une réflexion sur son rôle futur. Ce qui n'est pas en doute, c'est, en matière politique, son rôle dans la pérennisation du lien transatlantique, et, en matière militaire, l'importance de son action dans les Balkans, en ce qu'elle fournit à la fois le cadre de l'intervention multinationale en Bosnie ou au Kosovo, par exemple, -elle est la seule organisation multinationale à savoir le faire - et la garantie de la présence américaine dans cette région. Au-delà, qu'en est-il de son rôle en matière de sécurité ? La question se pose d'autant plus dans le cadre de la nouvelle donne qui semble se dessiner dans les relations russo-américaines. S'il est un pays qui est en mesure de tirer avantage de la situation internationale après le 11 septembre, c'est assurément la Russie. En offrant un soutien sans ambiguïté aux Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, la Russie veut faire valider ex post la politique qu'elle mène depuis plusieurs années en Tchétchénie, tout en s'assurant, pour l'avenir, un rôle éminent dans l'alliance internationale contre le terrorisme. Elle n'en oublie pas pour autant les axes directeurs de sa politique de sécurité depuis la fin de la guerre froide : comme l'a rappelé le Ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine40, même si le 11 septembre marque, à bien des égards, une rupture dans l'ordre stratégique international, il n'en reste pas moins que tous les acteurs chercheront à utiliser le nouveau contexte pour servir des intérêts nationaux définis bien avant le 11 septembre. Tel est le but de la Russie dans sa relation avec l'OTAN. Ainsi a-t-elle réclamé le 21 novembre dernier un « droit de parole » lui permettant d'intervenir dans le processus de décision de l'OTAN, faisant écho à une récente proposition britannique de création d'un nouveau conseil permanent Russie-OTAN aux compétences élargies. Selon le Ministre de la Défense Sergueï Ivanov, le principe des propositions russes consiste à créer un nouveau mécanisme de coopération à égalité des pays membres de l'OTAN et de la Russie, qui aurait le « droit de prendre des décisions ». Sans doute toutes les cartes ne sont-elles pas dans les mains de la Russie, qui a besoin, par exemple, d'un rééchelonnement de sa dette extérieure et de nouveaux investissements. Mais personne ne contestera qu'elle a, avec le choix du rapprochement avec les Etats-Unis, considérablement élargi sa marge de négociation. Une des conséquences pourrait en être un accord avec les Etats-Unis sur la défense antimissile, même si, pour l'heure, la Russie garde une position réservée. La France, qui a co-inspiré l'acte fondateur OTAN - Russie en 1996, ne peut naturellement être que très favorable à l'association renforcée de la Russie à l'OTAN, dans le cadre de ses compétences actuelles. La nouvelle donne stratégique qui se dessine ne sera pas sans conséquence pour l'Europe et plaide pour une intégration accélérée. Les Quinze en sont bien conscients qui, dès le 14 septembre, déclaraient à l'issue d'une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement que « ces événements tragiques exigent des décisions sur le rôle que l'Union européenne doit jouer pour répondre à ces défis ». En matière de politique européenne de sécurité et de défense, les enjeux sont clairs : l'Europe a plus que jamais une obligation de crédibilité en la matière. C'est en 2003 que sera opérationnel l'objectif global d'Helsinki, qui vise à mettre sur pied une force de 60 000 hommes, dont la mission se limite à la gestion de crises, civile et militaire. Faut-il aller au-delà, pour éviter de voir le débat sur l'architecture de sécurité européenne préempté par celui sur l'élargissement des missions et de la sphère d'intervention de l'OTAN, sur fond d'une alliance renforcée entre la Russie et les Etats-Unis autour d'un objectif majeur, le terrorisme ? Certes, le processus en cours pour constituer des capacités opérationnelles européennes montre que l'acquis européen est encore à consolider. Une réflexion doit être menée sur l'intégration de ces capacités dans une politique globale de sécurité collective à l'échelle du continent. Les défis actuels imposent cependant une obligation de résultat à l'Union européenne : dans un contexte diplomatique qui devra être marqué dans les années à venir par une politique plus ferme à l'égard de certains Etats trop longtemps conciliants avec le terrorisme, l'Europe devra avoir les moyens de ses discours et de ses principes et surmonter ses complexes en matière militaire. L'OTAN y participera, mais dans la mesure où l'Union européenne a sa propre voix à faire entendre sur certains dossiers, celle-ci doit également s'affirmer comme un acteur capable de déployer rapidement des forces sur les théâtres de crises, même lointains. Dans ce but, elle doit mettre l'accent sur des programmes militaires structurants. L'avion de transport futur en est assurément un : à cet égard, la mission appelle à une mobilisation renouvelée de la volonté politique des acteurs concernés. Les atermoiements, les arrière-pensées sont particulièrement malvenus à un moment où une crise majeure se déroule, qui permet notamment de prendre la mesure des capacités réelles des pays européens. Un programme de groupe aéronaval européen pourrait également jouer un rôle structurant, au-delà même de la fonction symbolique qu'il revêtirait du fait de ses capacités démonstratives. Enfin, alors que la crise actuelle souligne la fonction déterminante du renseignement, il serait souhaitable de mettre sur pied une composante spécifiquement dédiée aux interventions spéciales au sein de la force de réaction rapide européenne, qui serait aussi bien capable d'exfiltrer des criminels de guerre de zones hostiles que de rechercher des responsables d'organisations terroristes sur un théâtre extérieur. Cette composante serait fondée sur une mutualisation des entraînements de certaines unités nationales.
Enfin, l'approche actuelle par les capacités doit être complétée par une approche théorique fondée sur l'analyse des menaces. On peut certes mettre en avant l'aveuglement des Etats-Unis sur l'imminence de la menace, mais en l'occurrence, le travail préalable d'analyse a été fait. En revanche, cet exercice n'a jamais été mené au niveau européen. La mission propose par conséquent l'élaboration d'un livre blanc européen présentant l'analyse des menaces pesant sur le territoire européen, ce qui permettrait d'ailleurs de mieux expliquer aux opinions publiques pourquoi la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) se met en place.
3. Quel cadre d'intervention ? « Ce n'est pas la coalition qui définit la mission ; c'est la mission qui détermine la coalition » : ces propos du Secrétaire d'Etat à la Défense américain sont-ils annonciateurs d'une évolution de la posture internationale américaine sur le long terme ou s'appliquent-ils seulement hic et nunc ? A en croire le Président américain qui, à plusieurs reprises, a souligné que désormais l'ensemble des Etats devaient se positionner à l'égard des Etats-Unis à l'aune des événements du 11 septembre, il n'est pas illégitime de penser que les alliances traditionnelles vont voir leur rôle évoluer dans les années en venir. Sans doute les Etats-Unis ont-ils scrupuleusement veillé à associer l'ONU à leur démarche, de même que l'OTAN. La manière dont les organisations internationales existantes ont été utilisées dans la gestion de la crise afghane préfigure-t-elle la redéfinition de l'interventionnisme américain, dont les deux principes seraient coalitions ad hoc et multilatéralisme à la carte ? a) Vers un renouveau de l'ONU ? L'absence d'une définition juridique générale du terrorisme explique largement pourquoi les Etats sont généralement conduits à répondre de manière empirique aux actes terroristes. En l'occurrence, les Etats-Unis ne pouvaient pas se passer de l'intervention de l'ONU, alors que, comme les rapporteurs l'ont montré précédemment, l'un des objectifs de Ben Laden était précisément de susciter un affrontement entre le monde arabo-musulman d'un côté et le monde occidental de l'autre. A cet égard, le fait que l'élément juridique clé de la riposte, la résolution 1368 ait été votée, le 12 septembre 2001, à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité, dont la Tunisie, la Bangladesh et le Mali, trois pays à population majoritairement musulmane, marqua une première défaite pour Ben Laden et ses réseaux. En affirmant que les « épouvantables attaques terroristes » du 11 septembre constituaient une « menace à la paix et à la sécurité internationales », l'ONU a légitimé l'emploi de la force, la riposte relevant dès lors du chapitre VII. Rappelons qu'il existait un précédent dans cette qualification d'attentats terroristes : déjà les Nations Unies avaient considérés comme tels les attentats de Lockerbie et du vol UTA 772. Par ailleurs, la résolution a souligné le « droit inhérent à la légitime défense », dont les conditions d'exercice sont définies par l'article 51 de la charte des Nations Unies. Les Etats-Unis les ont d'ailleurs respectées à la lettre, en informant le Conseil de sécurité de la mise en _uvre de ce droit au soir du 7 octobre. La volonté marquée des Etats-Unis d'associer l'ONU à la lutte antiterroriste a de quoi surprendre de la part d'un gouvernement américain qui, depuis son entrée en fonction, a fait relativement peu de cas de l'organisation internationale, qui symbolise à ses yeux un multilatéralisme honni par une grande partie du camp républicain. Le Congrès américain vota même dans la foulée le paiement des arriérés dus par les Etats-Unis à l'ONU, soit 582 millions de dollars. De fait, les Etats-Unis ont bien compris que la lutte contre le terrorisme était vouée à l'échec si elle se limitait à des pressions et des actions unilatérales. Le fait qu'ils aient fait adopter la résolution 1373 sur les sources de financement du terrorisme illustre assez le rôle qu'ils entendent voir jouer par l'ONU. Ils sont également bien conscients qu'aux yeux d'un pays comme la Chine, la dimension onusienne revêt une importance non négligeable : à l'heure où s'opère une lente, mais continuelle, intégration de la Chine dans le jeu international, souhaitée par Washington, il eût été maladroit de s'aliéner un soutien, même prudent, de la Chine. Au total, il est clair qu'existe, vis-à-vis de l'ONU, un opportunisme américain. Les plus optimistes considèreront que peu importent les motivations, quand le résultat est conforme aux aspirations de la majorité des Etats membres de l'ONU. Sur le long terme toutefois, il est douteux que la lutte antiterroriste convertisse les Etats-Unis au multilatéralisme. b) Les Etats-Unis ou le multilatéralisme à la carte Quel va être l'impact des attentats du 11 septembre sur la posture américaine en matière de politique étrangère ? Un certain nombre de commentateurs, dont l'analyse des attentats du 11 septembre repose sur l'idée que, d'une certaine manière, cette attaque monstrueuse est le fruit de la politique étrangère américaine, estiment que les Etats-Unis, tirant les leçons de leurs erreurs passées, vont revenir au multilatéralisme et faire taire leurs tendances unilatéralistes. Aux yeux de vos rapporteurs, il s'agit là d'une vision très optimiste : le scénario le plus probable serait plutôt celui d'une utilisation très égoïste des enceintes internationales par les Etats-Unis en tant que de besoin, c'est-à-dire si et seulement si elle sert au mieux leurs intérêts nationaux. Plus précisément, ce qui se dessine aujourd'hui, c'est, non pas tant le refus systématique par les Etats-Unis de toute négociation diplomatique sur ces sujets, au profit des seules solutions militaires, mais plutôt la formation de coalitions ou de groupes de réflexion internationaux ad hoc, suscités par les Etats-Unis, dont le périmètre variera selon les sujets traités. En bref, c'est un multilatéralisme à la carte qui se dessine. Telle est en tout état de cause l'option vers laquelle les Etats-Unis semblent s'orienter, si l'on en juge d'après deux exemples récents. Ainsi, en matière de financement du terrorisme, si les Etats-Unis reconnaissent que seule une enceinte aussi large que les Nations Unies est à même de traiter cette question globale, il en va différemment s'agissant de la prévention de la guerre biologique. En effet, alors qu'est en cours, au sein des instances de désarmement onusiennes, la négociation d'un protocole de surveillance de la convention de 1972 sur les armes biologiques, les Etats-Unis proposent aux Européens d'ouvrir des consultations sur le sujet. Leur proposition porte sur l'utilisation, la production, l'importation et l'exportation d'armes biologiques, qu'ils souhaiteraient voir qualifiées de crimes dans les Etats européens en l'absence de lois nationales. Dans le même temps, ils semblent avoir fermé la porte au protocole de vérification négocié depuis de nombreuses années à Genève. L'administration américaine fait remarquer à cet égard que les Etats-Unis « ne peuvent pas se limiter à ce forum de désarmement multilatéral (...) On ne peut pas s'en tenir aux instruments de maîtrise des armements pour traiter la menace posée par les armes biologiques ». Et un responsable - anonyme - américain de faire remarquer que le protocole rejeté par les Etats-Unis « n'aurait servi à rien contre les attentats à l'anthrax ici. A rien du tout ». Le ton est donné : s'ils estiment que les outils traditionnels du désarmement, de la maîtrise des armements et de la non-prolifération ne servent pas leurs intérêts, voire les menacent, les Etats-Unis se tourneront vers des solutions ou des coalitions ad hoc. En l'occurrence, au protocole qui ne liera que ceux qui le respecteront et qui n'offre pas une garantie totale contre les tricheries de certains Etats, ils préféreront, en complément ou en substitut, une harmonisation des législations entre pays alliés, c'est-à-dire des mesures unilatérales négociées. L'argumentaire qui vient d'être développé concernant la lutte contre les armes biologiques vaut pour l'ensemble de l'action internationale des Etats-Unis. La rupture du 11 septembre va entraîner, de leur part, une volonté de redistribuer la donne internationale : les Etats-Unis vont demander à tous les pays de se positionner par rapport aux événements. Il serait sans doute souhaitable que leurs alliés les modèrent à propos de leur notion de « ligne rouge » (« contre nous ou avec nous »). La lutte contre le terrorisme ne se traduirait que par des victoires à la Pyrrhus si elle devait conduire à la déstabilisation accrue de zones déjà fragiles ou en crise, telles que la Corne de l'Afrique ou le Moyen-Orient. B. LA REDÉCOUVERTE DES PRINCIPES FONDATEURS DE LA DÉFENSE : GLOBALITÉ ET PERMANENCE En France, le concept de défense est explicité dès l'article premier de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense. En l'occurrence, ce texte dispose : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. » Il en ressort deux principes consubstantiels : la globalité tout d'abord, en ce que la prévention des menaces et éventuellement la riposte à une agression supposent la mise en _uvre de mesures couvrant l'ensemble des activités du pays ; la permanence ensuite, la capacité à faire face à une agression impliquant une vigilance constante. Le contexte stratégique issu de la fin de la guerre froide, caractérisé par des risques plus nombreux, plus diffus et complexes à identifier, conforte la pertinence conceptuelle de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Les attentats du 11 septembre 2001 illustrent en effet l'imbrication des volets militaire, civil et économique de la sécurité des sociétés occidentales, marquées par une liberté et une interdépendance accrues des échanges. 1. L'organisation générale de la défense nationale : l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 La loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation générale de la nation a préfiguré en quelque sorte l'ordonnance du 7 janvier 1959, puisqu'elle prévoyait, en son article 4 la nécessité « d'utiliser en temps de guerre toutes les ressources du pays ». Le texte organique de 1959 va cependant plus loin en ne se limitant pas au seul cas de guerre déclarée, lequel relève d'une définition juridique stricte aux termes de l'article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui dispose : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.41 » Les événements qui ont meurtri les Etats-Unis, s'ils n'ont pas découlé d'une déclaration de guerre au sens traditionnel du terme, n'en ont pas moins constitué une situation appelant à la mise en _uvre immédiate de mesures de défense. Cet exemple démontre donc que le cadre général de l'ordonnance du 7 janvier 1959 est toujours approprié. Le dispositif de défense régi par ce texte recouvre trois dimensions : - un volet militaire, primordial puisqu'il a pour objet de préserver les intérêts vitaux du pays ; - un aspect civil, qui concerne la protection des populations sur le territoire ; - une dimension économique, qui insiste plus particulièrement sur les ressources de la nation. Du point de vue institutionnel, le Président de la République, Chef des Armées, est en charge de la dissuasion nucléaire qui est un des piliers de la stratégie militaire de la défense nationale ; il joue également un rôle important en cas de « circonstances exceptionnelles ». Le Premier ministre a, pour sa part, la responsabilité de diriger, coordonner et arbitrer l'action de tous les ministères en matière de défense, qu'il s'agisse de la sauvegarde des personnes et des biens, de la gestion du trafic aérien, de la régulation des flux de transport prioritaire ou encore de la répartition des matières premières stratégiques ; il dispose à cette fin du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN). Les relais de l'action gouvernementale dans les zones de défense, les régions économiques et les départements sont les préfets de zones de défense et les préfets de départements, de sorte que chaque corps de l'administration est directement concerné par les activités de défense.
L'interdépendance des différents aspects de la défense suppose ainsi une organisation efficace sur les plans horizontal (c'est-à-dire interministériel puisque de multiples secteurs d'activité peuvent être concernés simultanément) et vertical, tous les niveaux de responsabilité se trouvant impliqués dans la mesure où les enjeux concernent différentes collectivités publiques. En définitive, si la notion traditionnelle d'une défense face à un ennemi identifié dans un état de guerre juridique défini s'estompe au profit d'actions de sécurité aux contours plus flous, les principes de l'ordonnance du 7 janvier 1959 n'en sont pas pour autant remis en cause. Bien au contraire, c'est à une restauration de la notion de défense globale que l'on assiste dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international ; l'efficacité des moyens civils et militaires employés réside avant tout dans leur complémentarité. 2. La dimension militaire : un élément parmi d'autres dans l'éventail des moyens de réaction L'ampleur du phénomène terroriste islamiste radical et son caractère international impliquent, dès lors que certains Etats ou organisations internationales entreprennent de lutter contre cette menace, le recours à des moyens de coercition internationaux militaires. Les suites des attentats du 11 septembre 2001 ne dérogent pas à ce principe, puisque les Etats-Unis, excipant de leur droit de légitime défense, ont supervisé une riposte militaire contre les bases et la hiérarchie de l'organisation Al Qaida, en Afghanistan. Tout aussi logique est l'implication grandissante des forces armées dans la protection intérieure. Pour ne citer que les cas de la France et des Etats-Unis, les forces de l'ordre, qui remplissent seules en temps de paix des missions de sécurité, se sont vu adjoindre le concours de troupes et d'équipements opérationnels (soldats d'active, réservistes ou gardes nationaux Outre-Atlantique), dont l'actualité de ces cinquante dernières années avait habitué la plus grande partie de nos concitoyens à les voir intervenir sur des théâtres extérieurs plutôt qu'à l'intérieur du territoire national. La conjoncture, d'une extrême gravité, le justifiait mais les concepts stratégiques requérant l'emploi des forces armées s'en trouvent par là même sensiblement réorientés. a) Le rôle des forces armées dans une réponse coercitive à l'encontre d'un Etat ou d'une organisation sur un territoire donné La lutte contre le terrorisme international peut requérir l'emploi de matériels ou de personnels militaires spécialisés. Très différente d'une confrontation militaire classique contre des troupes ennemies, l'intervention contre des organisations et des réseaux terroristes s'apparente plutôt à une opération de lutte contre une guérilla, mobilisant d'importants moyens de renseignement et des capacités d'attaque ciblées. · Le renseignement est essentiel car il permet de mieux appréhender l'organisation terroriste, de la localiser et ainsi de définir concrètement la stratégie de lutte. Comme les Etats-Unis, la France dispose en la matière d'importants moyens technologiques : - des satellites d'observation optique (Hélios 1-A et B réalisés et exploités en commun avec l'Italie et l'Espagne) ainsi que des satellites d'écoute électromagnétique (démonstrateurs français Cerise, Clémentine et Euracom) ; - de navires dotés de moyens d'écoute (notamment le Bougainville, équipé du système MINREM) et de renseignement ; - des appareils aériens d'observation (Mirage IV-P et F1-CR), d'écoute (C 160 Gabriel, Sarigue nouvelle génération) et des drones (CL 289 et Crécerelle) pour l'observation tactique à basse altitude. Les drones de longue endurance à moyenne et haute altitude (MALE et HALE) se révèlent essentiels pour repérer les bases et la hiérarchie d'organisations terroristes se cachant dans un territoire hostile et aussi accidenté que l'Afghanistan. Les Etats-Unis ont même expérimenté la polyvalence de leur système Predator en l'équipant de missiles afin de raccourcir considérablement le délai entre la collecte d'information et la frappe d'une cible d'opportunité. Les armées françaises ne devraient acquérir des drones multi-charges multimissions qu'en 2009 ; pourtant, la livraison en 2003 de trois drones MALE Eagle à l'armée de l'Air offre la possibilité d'expérimenter l'emport de missiles et de charges explosives sur ces avions sans pilotes, à l'image des tests de désignation laser effectués sur les quatre Hunter achetés par la Délégation générale pour l'Armement en 1999. La mission d'information estime que les drones sont amenés à prendre une place très importante dans les systèmes d'armes du futur et suggère, en conséquence, que leur potentiel soit analysé sans tarder, de manière à continuer à garantir l'interopérabilité de nos forces avec nos alliés dans les années qui viennent.
Le rôle des services de renseignement est lui-même déterminant. Il existe en France trois structures spécialisées dans le renseignement d'intérêt militaire et stratégique : - la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), créée par le décret n° 82-306 du 2 avril 1982, pour rechercher et exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, et également détecter et entraver les activités d'espionnage dirigées contre les intérêts français hors du territoire national, afin d'en prévenir les conséquences. La DGSE recourt à 4 611 personnes, 1 367 relevant du statut militaire42 ; - la Direction du Renseignement militaire (DRM), créée à la suite de la guerre du Golfe, par le décret n° 92-523 du 16 juin 1992, avec pour principales missions de conduire et coordonner la recherche et l'exploitation du renseignement d'origine militaire et à caractère opérationnel. Elle dispose pour cela d'un effectif de 1 760 personnes, dont 1 392 militaires43 ; - la Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD), rattachée au Ministre de la Défense, qui est notamment chargée, aux termes du décret n° 2001-1126 du 29 novembre 2001 fixant ses attributions, de participer à l'élaboration et à l'application des mesures à prendre en matière de protection et de sécurité, de prévenir et rechercher les atteintes à la défense nationale, de contribuer à assurer la protection des personnes susceptibles d'avoir accès à des informations protégées ou à des zones, des matériels ou des installations sensibles. La loi de finances initiale pour l'année 2002 fixe ses effectifs budgétaires à 1 461 postes, dont 1 098 militaires. Des membres de ces différents services ont été impliqués dans les opérations en Afghanistan, comme en a convenu le porte-parole du ministère de la Défense, le 8 octobre 2001, en révélant que « des personnels chargés du renseignement, qui appartiennent au ministère de la Défense, sont présents sur place, en contact étroit avec l'Alliance du Nord. (...) Ils participent à l'acquisition du renseignement, in situ, en effectuant des repérages plus proches du terrain. » La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 avait prévu un accroissement important des effectifs de ces différents services. La mission d'information considère que cette tendance doit continuer au cours de la prochaine loi de programmation, ce dont a convenu le Ministre de la Défense, M. Alain Richard, lors de son audition, le 20 novembre 2001. Cependant, le recrutement de contractuels est parfois difficile, soit en raison de contraintes de sécurité, soit à cause de la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique : compte tenu de la spécificité de l'activité des services de renseignement, il faudra sans doute envisager des mesures d'assouplissement des contraintes réglementaires en la matière.
La coopération entre ces services de renseignement est formalisée au sein du comité du renseignement militaire (ministère de la Défense), de groupes de travail pilotés par le secrétariat du comité interministériel du renseignement - CIR - (sous l'autorité du Premier ministre) et de relations permanentes (officiers de liaison, protocoles de coopération). Si les méthodes de travail diffèrent, l'objet des missions converge de plus en plus, comme l'illustre le cas précis de la lutte contre le terrorisme, ce qui explique la volonté actuelle de rapprocher les services autour de projets communs. Les informations ayant trait au renseignement d'intérêt militaire qui sont du ressort de la DRM sont échangées avec les informations politico-militaires qui sont du domaine de la DGSE. De même, la DPSD travaille en liaison avec la DRM pour ce qui concerne les questions spécifiquement militaires et avec la DST pour la protection du patrimoine de la Défense. De fait, le CIR, sous l'égide du SGDN, ne traite pas de la gestion quotidienne du renseignement ni de sa diffusion. Le SGDN coordonne et recueille les données, certes, mais il est lui-même dépendant en amont du degré de coordination des différents services et de leur capacité à faire remonter l'information. Faut-il par conséquent concevoir une nouvelle institution qui, sur le modèle du Conseil national de Sécurité américain ou de la commission conjointe britannique, jouerait un rôle non seulement administratif, mais également politique ? L'existence, en France, d'un tel instrument poserait inévitablement la question de son contrôle, du fait de la dyarchie du pouvoir exécutif. Il faudra pourtant bien finir par envisager la création d'un organe de pilotage de l'exploitation du renseignement qui soit politiquement responsable. De même, les attentats du 11 septembre mettent en évidence la nécessité d'une coopération et d'un échange d'informations plus étroits entre ces services de renseignement et leur homologues européens et américains. Certes, des contacts existent au sein des instances opérationnelles communes que les Etats membres de l'Union européenne sont en train de mettre en place : une cellule de renseignement auprès du Haut représentant de l'Union européenne est ainsi entrée en fonction à la fin du mois de novembre 2001. Les échanges d'informations restent néanmoins partiels, de l'aveu même du Ministre de la Défense. La concertation doit donc être plus permanente, ce qui suppose que des rencontres aient lieu régulièrement au sein d'un comité européen du renseignement, dont la mission d'information suggère la création sur le modèle du comité interministériel du renseignement français.
· L'autre volet militaire de l'action contre les groupes terroristes basés sur un théâtre extérieur repose sur l'intervention de forces spéciales. La nature des opérations est en effet particulière car il ne s'agit pas d'un conflit conventionnel. Le concept de « forces spéciales » a une signification quelque peu différente de part et d'autre de l'Atlantique. Aux Etats-Unis, ces troupes plus particulièrement entraînées pour des actions de guerre ponctuelles et spécifiques sont regroupées au sein d'un commandement unifié : l'USSOCOM. Le nombre de ces personnels s'élève à 45 700, dont 29 000 en service actif. En Europe, la notion de « forces spéciales » recouvre plus particulièrement les éléments des commandos interarmées, équipes légères chargées de missions aussi diverses que les raids, les opérations psychologiques, l'encadrement de forces armées, le renseignement sur le terrain et, parfois, l'assistance à des populations civiles. Si l'on s'en tient à cette seconde acception, les Special Forces américaines sont essentiellement constituées par les 2 200 Sea Air Land de la Marine (SEALs), les groupes tactiques de l'armée de l'Air (AFSOC), Rangers et les quelque 7 000 Special Forces de l'armée de Terre. Les Special Services britanniques se répartissent quant à eux entre le British Army's Special Air Service (SAS), soit quatre escadrons de 50 soldats, et le Royal Navy's Special Boat Service (SBS), deux escadrons de 50 hommes. Les Kommando Spezialkräfte (KSK) allemands, créés en 1997, comportent actuellement plus de 700 membres. Enfin, le Commandement des Opérations Spéciales français qui a été créé en 1992, à la suite de la guerre du Golfe, regroupe les éléments du Commando parachutiste de l'air n° 10 (CPA 10), du 1er Régiment parachutiste d'Infanterie de Marine (RPIMa), et du Commandement des fusiliers marins et commandos (Cofusco)44 ; soit environ 2 000 hommes dont le schéma ci-dessous présente l'organisation. En complément des forces spéciales du COS, le service « action » de la DGSE peut être amené à remplir des missions clandestines de lutte contre le terrorisme sur un théâtre étranger : ce service est composé d'un millier d'agents qui sont issus, pour l'essentiel, des centres parachutistes d'entraînement spécialisé, d'entraînement aux opérations maritimes et d'instruction (basés respectivement à Orléans, près de Brest et à Perpignan) et d'une unité spécialisée de transport aérien (située à Evreux). S'y ajoute le groupement spécialisé d'intervention de la Gendarmerie nationale (GSIGN), qui est plus particulièrement appelé à intervenir pour des missions délicates sur le territoire national. CADRE D'EMPLOI DES SERVICES SPÉCIAUX
Peu d'informations circulent sur les méthodes d'action et les moyens des commandos ; étant donné la nature de leurs missions et l'importance de la discrétion dans leur mode opératoire, les seules précisions dont le public peut avoir connaissance concernent les échecs dont ils sont victimes. Pourtant, les succès sont au moins aussi nombreux (que ce soit en Bosnie-Herzégovine ou en Sierra Leone notamment), même s'ils doivent rester secrets. Pour cette raison, il est évident que les forces spéciales constituent le fer de lance de la lutte contre les bases arrières du terrorisme international. La mission d'information estime pour sa part qu'une autonomie plus grande des composantes du COS vis-à-vis de leurs trois armées de rattachement n'est pas nécessaire. Le mode d'organisation actuel est suffisamment souple et interarmées ; la création d'une structure similaire à l'USSOCOM ne semble pas justifiée pour un volume de forces qui doit rester restreint. En revanche, à l'instar du Chef d'état-major de l'armée de Terre45, le Général Yves Crène, elle considère que la création d'un nouveau régiment spécialisé dans le renseignement et l'action dans la profondeur serait opportune pour soulager les effectifs du 13ème RDP, d'autant plus sollicités qu'aucun redéploiement interne n'est désormais possible.
Par ailleurs, s'agissant des équipements des commandos, un effort tout particulier doit être consenti en faveur de leurs moyens héliportés : les hélicoptères actuellement en dotation (Cougar, Puma) ne disposent pas d'un rayon d'action suffisant (300 kilomètres au mieux) pour accomplir un large éventail de missions en pleine autonomie. Dans l'attente de la livraison des NH 90, la solution passe par des hélicoptères EC-725 (version améliorée des Puma), conçus pour les missions de recherche et de secours aux équipages disparus (RESCO) et dont le rayon d'action atteint 700 kilomètres avec une masse maximale de 11 tonnes. Aux termes des dispositions de la loi de finances rectificative pour 2001, huit de ces appareils seront commandés pour améliorer l'aéromobilité des forces du COS ; celles-ci en seront ainsi équipées dans des délais plus brefs que prévus46. · Dans le cas particulier de l'intervention alliée contre le régime taliban et l'organisation Al Qaida, la France n'a pu envoyer son groupe aéronaval, puisque le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle était en période d'indisponibilité pour entretien. Plus que jamais, la projection de puissance s'avère indispensable pour participer à des actions à distance afin de détruire des centres terroristes dont un Etat tolérerait l'activité, par impuissance ou par calcul. Devant cet impératif, le potentiel actuel et futur de la force aérienne de combat (Mirage 2000 et Rafale) paraît suffisant, d'autant que le développement des missiles de croisière air-sol modulaire (Scalp-EG et AASM) en améliorera l'efficacité : les premières livraisons sont attendues d'ici dix-huit mois. L'acquisition d'une cinquantaine d'exemplaires de l'A 400 M, si les engagements pris sont finalement respectés malgré les atermoiements de certains pays prenant part au programme, modernisera une flotte de transport stratégique qui en a besoin. De même, les frégates multimissions et les sous-marins nucléaires d'attaque du futur (Barracuda) pourront tirer eux aussi des missiles de croisière (Scalp-naval) dès leur mise en service ; les premières livraisons de missiles étant prévues pour 2011, il serait néanmoins opportun d'en anticiper la commande afin d'en doter les frégates multimissions dès 2008. Dans l'ensemble, s'il est un domaine dans lequel le développement de notre capacité de projection de puissance peut poser problème, c'est celui de l'aéronautique navale ou, plus exactement, de la permanence à la mer du groupe aéronaval, car la prochaine mise en service de deux nouveaux transports de chalands de débarquement (NTCD) améliorera déjà sensiblement les moyens de déploiement naval à distance de la Marine.
Malgré quelques difficultés de mise au point, le porte-avions Charles de Gaulle est et restera pendant plusieurs décennies un bâtiment exceptionnel. La France est, en dehors des Etats-Unis, le seul pays à pouvoir compter sur un tel instrument d'action vers la terre à très grande distance. Pourtant, l'existence d'un seul porte-avions ne permet pas de garantir sa présence en toutes circonstances. La Commission de la Défense a récemment conduit une réflexion sur l'éventualité de la conception d'un second porte-avions dans le cadre d'une coopération européenne47. La question mérite d'être posée, notamment à un moment où le Royaume-Uni engage un programme de renouvellement de sa flotte de porte-aéronefs. D'un point de vue militaire, la mise en _uvre volontariste et progressive de la politique européenne de sécurité et de défense démontre que les pays membres de l'Union européenne peuvent construire une capacité collective de projection qui fera de l'Europe un acteur majeur dans la gestion de toutes les crises susceptibles d'affecter sa sécurité. Sans doute est-il encore nécessaire de bousculer certaines réticences qui s'expriment, en France aussi, lorsqu'il est question de mettre en commun des moyens militaires. Les pays de l'Union européenne n'ont pas le choix entre l'indépendance et la dilution de leur politique nationale, mais entre l'impuissance et l'action collective. D'un point de vue politique, en se dotant d'une force commune, les pays européens gagneraient plus que le droit de participer à la gestion militaire des crises qui affectent leur sécurité : ils acquerraient le pouvoir de peser sur la décision. Pour toutes ces raisons, il faut mettre à l'étude la construction d'un second porte-avions, en coopération européenne.
b) Le dispositif de protection intérieure du territoire national : l'implication des militaires et la mise en place accélérée des réserves Traditionnellement, les forces armées participent activement aux missions de sécurité intérieure par l'intermédiaire de la Gendarmerie. Les brigades territoriales ainsi que les gendarmes mobiles interviennent très efficacement dans la politique de maintien de l'ordre sur le territoire national. La professionnalisation des armées a d'ailleurs pris acte de cette mission en prévoyant une augmentation sensible des effectifs de gendarmes jusqu'à 2002. L'implication des autres armées dans la protection du territoire, si elle est parfois moins visible, n'en est pas moins fondamentale. L'armée de l'Air, notamment, assure une veille permanente sur la circulation aérienne depuis le centre de défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), basé à Taverny. La Gendarmerie maritime et la Marine nationale patrouillent pour surveiller les côtes : le Chef d'état-major de la Marine, l'Amiral Jean-Louis Battet, a ainsi indiqué à la Commission de la Défense48 que le réseau des sémaphores était en cours de réactivation et de modernisation, et que la mise en _uvre des Falcon 50 M permettait de satisfaire les missions de surveillance maritime. A titre plus exceptionnel, l'armée de Terre participe à la mise en _uvre du plan Vigipirate : 700 soldats supplémentaires49 ont été affectés à la surveillance et à la protection des lieux publics ou privés accueillant un nombreux public, suite à la décision de déclencher la phase renforcée du plan. Concrètement, la charge de travail des militaires s'est trouvée accrue par l'intensification des patrouilles et des fouilles dans les zones publiques des aérogares50 et également dans les lieux publics. Le Chef d'état-major de l'armée de Terre, le Général Yves Crène, a attiré l'attention de la Commission de la Défense sur les difficultés nées de l'obligation de relever fréquemment les soldats associés à la surveillance des lieux publics dans le cadre du plan Vigipirate. Il a néanmoins précisé que, compte tenu des déploiements actuels en opérations extérieures, l'armée de Terre restait en mesure de mettre à disposition un volume supplémentaire de 20 000 hommes. Le contexte actuel révèle tout l'intérêt du dispositif des réserves, destiné à seconder les effectifs professionnels engagés sur des théâtres extérieurs ou dans la protection de sites sensibles. La loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 a créé un corps de 100 000 réservistes, la moitié devant servir au sein de la Gendarmerie : ils étaient 22 691 au 1er juillet 2001 (dont 8 579 pour l'armée de Terre et 8 829 pour la Gendarmerie) et leur nombre devrait atteindre 82 000 en 2008. Comme l'a souligné notre collègue Jean-Claude Viollet lors de l'examen en séance publique des crédits du ministère de la Défense pour l'année 2002, le 15 novembre dernier, trois textes réglementaires sont attendus : le premier est un décret relatif à la prime de fidélité allouée aux réservistes de la Gendarmerie et doit permettre de recruter plus facilement les militaires du rang et les sous-officiers indispensables à la réserve ; le second est un décret relatif aux activités opérationnelles des agents publics non titulaires afin de faciliter le recrutement des agents contractuels des administrations publiques pour des besoins ponctuels ; le troisième décret doit instituer la journée nationale du réserviste pour faire connaître cet engagement. Le Ministre de la Défense a assuré que ces textes seront bientôt publiés ; la mission d'information le préconise d'autant plus vivement qu'il lui apparaît nécessaire d'accélérer le rythme des engagements à servir dans la réserve (ESR) afin d'éviter que les effectifs de l'armée de Terre soient mobilisés pour des missions qui ne relèvent pas toujours de leur mission originelle (garde des entrepôts d'euros, nettoyage de côtes souillées par des pollutions par exemple51). Le Premier ministre52 s'est fait l'écho de cette préoccupation en reconnaissant la nécessité d'une montée en puissance plus rapide de la réserve opérationnelle et en proposant une formation militaire élémentaire de quinze jours à 10 000 jeunes chaque année, de manière à renforcer les unités d'active. La mission d'information considère en outre qu'une association plus étroite des réservistes aux missions des armées, comme l'a suggéré le Chef d'état-major des Armées lui-même53, ainsi qu'une revalorisation des soldes et indemnités, doivent être envisagées ; l'accent doit particulièrement être porté sur les réservistes du rang, qui font le plus défaut puisque 10 % seulement des objectifs de recrutement sont actuellement atteints. Enfin, l'organisation même de la réserve doit faire l'objet d'une départementalisation qui garantirait une mobilisation plus rapide et plus efficace pour traiter les difficultés rencontrées sur le terrain.
Parallèlement à la mise en _uvre du plan Vigipirate, des mesures particulières ont été prises dans le domaine de la sécurité aérienne : - participation des hélicoptères MASA54 (mesures actives de sécurité aérienne) de l'armée de l'Air à la sécurisation des aéroports et des frontières, dans le cadre stricto sensu de Vigipirate renforcé ; - mise en alerte de dix avions d'interception aérienne, capables de décoller avec un préavis de 2 minutes depuis les bases de Cambrai, Colmar, Orange, Tours et Creil55. Plus récemment, la participation de l'armée de l'Air à la protection du territoire et des sites sensibles a été accrue par la décision de prépositionner deux Mirage F1 CT sur la base de Lann Bihoué56. Il a également été décidé de déployer des missiles sol-air Crotale sur la base de Lanvéoc-Poulmic en couverture des installations de l'Ile Longue où sont stationnés les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), et aux abords de l'usine de retraitement des déchets nucléaires de la COGEMA à La Hague, afin de faire respecter l'élargissement temporaire de l'interdiction de survol de ce site industriel57. La mission d'information considère sur ce point précis que le renouvellement d'une partie des dotations des armées en missiles de moyenne portée d'ici la fin de la décennie offre l'opportunité d'adopter un système de protection antiaérienne souple, puisque télé-opéré depuis un seul site (qui pourrait être le CDAOA de Taverny), et ne requérant pas la présence permanente de personnels. Des études ont été réalisées par Matra BAe Dynamics à ce sujet, qui reposent sur une adaptation du missile Mica à cette mission. La version VL-Mica (Mica à lancement vertical) présenterait l'intérêt d'être interopérable avec les missiles des Mirage et Rafale de l'armée de l'Air. Par conséquent, le coût d'une acquisition de ce type de moyens de défense n'excéderait pas celui de la modernisation des systèmes Roland et Crotale en service. Pour toutes ces raisons, la mission considère que les armées doivent sérieusement envisager cette hypothèse qui permettrait d'améliorer sensiblement la protection des sites les plus sensibles de notre territoire.
En définitive, c'est bien l'ensemble des forces armées qui, de plus en plus, participent à la protection du territoire face à la menace terroriste. c) Pourquoi la dissuasion nucléaire reste nécessaire La dissuasion nucléaire a-t-elle été contournée le 11 septembre ? Cette question radicale ne vaut pas pour les seuls Etats-Unis, mais se pose pour l'ensemble des pays nucléaires, dont la France bien évidemment. A l'heure où l'opinion publique se pose de multiples questions sur les conditions de notre sécurité, il importe de l'examiner sereinement et sans préjugés. Il est en effet nécessaire aujourd'hui de faire _uvre de pédagogie dans un domaine trop longtemps confiné aux spécialistes. L'époque est révolue où il suffisait d'affirmer que la dissuasion était la meilleure garantie, sans plus de détails ni de justifications. Dans une période de doutes et d'interrogations fortes sur la réalité des menaces auxquelles nous devons faire face, il importe que la dissuasion soit totalement acceptée par nos concitoyens, donc comprise et au préalable expliquée. Les attentats du 11 septembre posent en effet de vraies questions sur la dissuasion, que l'on connaissait d'ailleurs bien avant, mais chacun évitait soigneusement de les formuler, tant il est difficile d'y apporter des réponses précises. On ne peut plus désormais faire l'économie d'une telle réflexion. La première de ces questions concerne le lien entre dissuasion et acteurs non étatiques. Concept politique, la dissuasion s'adresse par nature à la forme politique par excellence de communauté humaine qu'incarne l'Etat, parce qu'elle concerne la pérennité même de son existence. Tout dirigeant politique ne pourra qu'être sensible au message envoyé par un Etat détenteur de l'arme nucléaire : « si vous touchez à mes intérêts vitaux, je suis en mesure de vous détruire ». En revanche, quel peut être le message envoyé à un réseau terroriste ? Les armes nucléaires présentes dans certains arsenaux peuvent certes effectuer des frappes très ciblées, en visant les centres de tels réseaux : tout au plus, par conséquent, la dissuasion peut s'exercer vis-à-vis de la tête ou d'une partie du réseau. Mais, dans le cas d'un réseau transnational, elle est par nature moins crédible dans la mesure où menacer de décapiter celui-ci ne l'empêcherait pas de survivre ailleurs, à partir d'autres branches du réseau, et de recouvrer son entière capacité d'action. La deuxième de ces questions concerne l'efficacité de la dissuasion face aux menaces dites « asymétriques ». Ces menaces visent à utiliser des moyens inattendus mais dont les résultats sont néanmoins très déstabilisants. Poser la question de la dissuasion face à de telles menaces, c'est, en réalité, une autre manière de s'interroger sur la définition de la puissance dans le monde de l'après-guerre froide. Cette question est peut-être moins déstabilisante que la précédente, dans la mesure où ni les Etats-Unis, ni la France par exemple, n'ont jamais considéré que le nucléaire ne dissuadait que le nucléaire : peu importe la nature des moyens utilisés puisque seul compte le but poursuivi par l'agresseur. Dans le cas de la France ainsi, c'est à l'aune des intérêts vitaux que serait jugée la nécessité d'une riposte, et non à celle des moyens utilisés. Faut-il déduire de ce constat de rupture dans l'ordre international et des questions soulevées par les événements du 11 septembre au regard de la dissuasion que le concept lui-même a vécu et ne justifie plus les efforts financiers qu'il entraîne ? Le problème garde sa complexité et il n'est pas possible à ce jour d'y apporter des réponses totalement satisfaisantes. Les rapporteurs, dont l'un a déjà eu l'occasion de développer cette argumentation lors de l'examen du projet de loi de finances pour 200258, considèrent cependant qu'il est faux de dire que la dissuasion américaine a été contournée le 11 septembre. Ce qui a été mis à mal, c'est la posture de défense et de sécurité des Etats-Unis. La dissuasion est un élément de cette posture mais elle n'en est pas, ni ne l'a jamais été d'ailleurs, la globalité. Les tenants de la thèse d'un « contournement » de la dissuasion mélangent plusieurs données : ce n'est pas parce que l'arme nucléaire, arme de destruction massive, dissuadait la menace massive qu'était l'Union soviétique qu'elle dissuade ipso facto les autres types de menaces, qui ne visent pas à l'invasion ou l'anéantissement immédiat d'un Etat. L'arme nucléaire n'est pas l'arme absolue, mais l'arme ultime. Nous devons préserver notre arsenal nucléaire et la crédibilité de la dissuasion parce qu'il existe d'autres menaces contre lesquelles l'arme nucléaire reste le meilleur moyen de nous protéger. Pour actuel et terrible qu'il soit, le terrorisme n'est pas le seul danger. Le 11 septembre a certes mis en avant une menace particulière, contre laquelle il va nous falloir lutter activement et longuement. Il a certes créé une rupture dans l'ordre international mais il n'a pas pour autant créé un effet de table rase. Les crises, les tendances géopolitiques de fond qui préexistaient au 11 septembre sont toujours là et, avec elles, les incertitudes quant à l'évolution du contexte stratégique pour les quinze à vingt années à venir. Ainsi, pour la France, la question de la sécurité des intérêts vitaux reste posée, à deux titres. En premier lieu, même si, aujourd'hui et dans un délai prévisible, il est difficile d'imaginer un scénario qui ferait resurgir une menace massive du type de celle que nous avons connue avec l'Union soviétique, qui peut dire à ce jour ce qu'il en sera dans deux décennies ? De même qu'il était assez difficile d'imaginer, il y a quelques mois encore, que les Etats-Unis et la Chine se déclareraient prêts à coopérer sur la lutte contre le terrorisme et afficheraient d'excellentes relations, comme ce fut le cas au sommet de l'APEC à Shanghai les 20 et 21 octobre 2001, peut-on exclure un scénario inverse qui se traduirait par une brusque dégradation des relations avec la Chine ou avec la Russie et à un durcissement de ces pays ? De même, les événements actuels montrent l'extrême fragilité de l'arc asiatique qui va du Moyen-Orient à la péninsule indienne, en passant par les républiques d'Asie centrale, autant de zones qui se trouvent aux confins de plusieurs Etats nucléaires : la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan et, plus à l'ouest, Israël. Ainsi, par exemple, que signifierait, pour la sécurité du continent européen, un Pakistan nucléaire qui passerait sous contrôle islamiste ? En second lieu, le défi posé par la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs est plus actuel que jamais. De même, le fait que l'Inde et le Pakistan soient aujourd'hui des détenteurs de l'arme nucléaire est le résultat d'une prolifération active et d'un échec des politiques censées la prévenir. Or, tant que les moyens diplomatiques et juridiques n'ont pas mis fin aux risques de prolifération, quel meilleur moyen avons-nous de nous en protéger, si ce n'est la dissuasion nucléaire ? Sans doute la question de savoir sous quelles conditions celle-ci peut agir face à des menaces biologiques ou chimiques reste ouverte. Aucun gouvernement responsable, placé à la tête d'un Etat doté de l'arme nucléaire, ne donnera la réponse à cette question, sous peine de mettre à bas la dissuasion elle-même. De fait, la dissuasion reste notre meilleure garantie contre un certain nombre de menaces, y compris contre les menaces nouvelles apparues dans l'après-guerre froide. Le raisonnement qui prétend que la dissuasion nucléaire américaine a échoué car elle n'a pas protégé le territoire américain est simplifié à l'extrême et ne fait que répondre à un effet de mode. Tout au contraire, affirmer que la sécurité de la France reste, après le 11 septembre, étroitement liée à la crédibilité de sa dissuasion repose, non sur l'inertie des habitudes ni sur une quelconque nostalgie de l'ordre stable qu'avait instauré la guerre froide, mais sur une analyse objective de la situation internationale dans laquelle nous vivons aujourd'hui. La mission observe que le Secrétaire général de la Défense nationale, M. Jean-Claude Mallet59, partage ce sentiment, notamment parce que l'arme nucléaire, si elle est une garantie de sécurité pour nos intérêts vitaux, conforte également le statut politique de la France. Pour toutes ces raisons, la dissuasion reste nécessaire et justifie l'effort budgétaire actuel. 3. La protection civile : un objectif de sécurité intérieure et de sauvegarde des populations La défense civile a plus particulièrement trait à la sécurité des installations indispensables à la défense et à la vie des populations, comme le souligne l'article 17 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, qui dispose : « Le Ministre de l'Intérieur prépare en permanence et met en _uvre la défense civile. Il est responsable à ce titre de l'ordre public, de la protection matérielle et morale des personnes et de la sauvegarde des installations et ressources d'intérêt général. » L'objet de cette mission est précisé par le décret n° 65-28 du 13 janvier 1965, qui énumère, entre autres, la sécurité des pouvoirs et des administrations publics, la sécurité générale du territoire, la protection des installations et organismes qui conditionnent le maintien des activités indispensables à la défense et à la vie et la sauvegarde des populations. Dans un contexte de lutte contre le terrorisme, cette mission repose principalement sur les moyens de police et de secours (sapeurs-pompiers et unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile - UIISC - notamment). Elle suppose plus particulièrement une forte vigilance des services de renseignement et de contre-espionnage intérieurs ainsi qu'une sensibilisation accrue des moyens de secours sanitaires et hospitaliers. a) Le caractère stratégique du renseignement des services de police Deux services du ministère de l'Intérieur et relevant de la Direction générale de la police nationale sont chargés d'observer et de prévenir les risques terroristes sur le territoire national : la Direction de la Surveillance du territoire (DST) et la Direction centrale des Renseignements généraux (DCRG). Leur rôle dans la lutte contre le terrorisme et la défense civile est essentiel. Créée par l'ordonnance du 16 novembre 1944, la DST est un service de renseignement et de sécurité disposant de pouvoirs de police criminelle spécialisée. Aux termes du décret n° 82-1100 du 22 décembre 1982 qui fixe ses attributions, elle est compétente pour rechercher et prévenir, sur le territoire de la République française, les activités inspirées, engagées ou soutenues par des puissances étrangères et de nature à menacer la sécurité du pays, et plus généralement pour lutter contre ces activités. Concrètement, les missions de la DST sont de trois types : contre-espionnage ; contre-terrorisme ; protection du patrimoine économique et scientifique. Aux termes de l'article 3 du décret n° 95-44 en date du 16 janvier 1995, la DCRG est, quant à elle, chargée de la recherche et de la centralisation des renseignements destinés à informer le Gouvernement ; ses 3 850 personnels (dont près de 2 700 répartis sur l'ensemble du territoire) participent à la défense des intérêts fondamentaux de l'Etat et concourent à la mission de sécurité intérieure. La sous-direction de la recherche est plus particulièrement concernée par la lutte contre le terrorisme, puisque c'est elle qui centralise les renseignements en la matière tout en surveillant les groupes à risques qui agissent dans le pays. Le Directeur central de ce service, M. Yves Bertrand, accorde une grande importance à son organisation territoriale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ce qui l'a amené à souligner devant la mission d'information60, que les RG sont le seul service spécialisé dans le renseignement qui soit capable de mener immédiatement une enquête dans n'importe quelle commune française. Il a également souligné le concours qu'ils apportent à la DST, lorsque celle-ci doit mener un travail d'investigation local, notamment en raison de la présence de quelque 70 correspondants sur l'islam dans tous les services territoriaux des RG. La mission d'information a été assurée que tous ces agents ont reçu une formation sur le sujet. On observera néanmoins que les services de la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), et tout particulièrement la division nationale anti-terroriste (DNAT), jouent aussi un rôle important en la matière. La DNAT a notamment pour missions de détecter et prévenir les activités subversives et terroristes et également d'assurer la répression des atteintes à la sûreté de l'Etat en coordonnant l'action des services centraux et régionaux de la police judiciaire. Deux sections sont chargées de la lutte contre le terrorisme interne (une vingtaine de personnes) et international (six membres de la Division suivant plus particulièrement le problème du terrorisme islamiste). La DNAT dispose en outre de l'office central pour la répression du trafic des armes, munitions, produits explosifs et matières nucléaires, biologiques et chimiques (OCRTAEMS). La coordination de l'action de ces services avec les investigations judiciaires est assurée par l'Unité de Coordination de Lutte Antiterroriste (UCLAT), créée en octobre 1984 et regroupant sous l'autorité du directeur général de la police nationale les chefs des services actifs de la police (DST, DCRG, DCPJ), de la Gendarmerie nationale et du service de renseignement extérieur (DGSE). L'ensemble de ces services travaillent avec les magistrats du service central de lutte anti-terroriste (14ème section) du Parquet de Paris. Le cadre juridique actuel apparaît le plus souvent adapté aux services concernés. La mission d'information a pris bonne note du niveau satisfaisant de coopération entre les services de police en charge de la lutte contre le terrorisme, qui a été exprimé par leurs différents responsables. Elle observe néanmoins qu'une meilleure collaboration est parfois souhaitée : la mise en place de l'UCLAT n'a pas empêché les rétentions d'informations et les rivalités internes. En effet, comme l'a expliqué l'un des témoins auditionnés par la mission, « les dysfonctionnements dont font état la presse sont toujours à rapporter à de fortes personnalités. Sous l'Empire, j'imagine qu'il devait y avoir des maréchaux dont la personnalité était très forte. Même chose en matière de lutte contre le terrorisme. Le système en place est donc bon, mais il faut savoir commander les fortes personnalités. » Il faut donc accroître les échanges de renseignements au niveau national, en donnant au besoin un rôle décisionnel et organique à l'UCLAT, tout en conservant le maillage des services. Face au défi du terrorisme islamiste, davantage de moyens financiers et humains doivent être dégagés en faveur des services de renseignement intérieurs. De même, la coopération de ces services doit également être institutionnalisée au niveau européen (via un comité européen de renseignement déjà suggéré précédemment), car c'est à cet échelon que la coopération policière contre le terrorisme qui nous menace est désormais le plus pertinent.
b) La prévention et l'adaptation des secours sanitaires face à la menace Le SGDN, du fait de sa mission de coordination interministérielle dans les domaines de la défense et de la sécurité, joue un rôle majeur dans la prévention des risques et l'organisation des moyens de protection. La direction « protection et sécurité de l'Etat » (PSE) est notamment chargée d'impulser l'action des ministères et des différentes administrations de l'Etat afin de s'assurer qu'ils sont prêts en permanence à faire face à des crises de grande ampleur. Cette tâche, menée en concertation avec les hauts fonctionnaires de défense, consiste notamment à planifier les moyens, organiser des exercices et contrôler les prescriptions en matière de sécurité. La direction PSE contribue également aux travaux interministériels en matière de lutte contre le terrorisme nucléaire, radiologique, chimique et biologique (NRBC). A cet effet, le SGDN dispose du programme civil de défense (PCD), dont le projet de loi de finances pour l'année 2002 fixe le niveau des dotations budgétaires à 5,3 millions d'euros (35 millions de francs). Les crédits du programme interministériel de lutte contre le terrorisme nucléaire, radiologique, biologique et chimique, qui s'élèvent à 2,7 millions d'euros (17,7 millions de francs), semblent relativement insuffisants devant l'ampleur de la menace ; cependant, ce programme doit s'apprécier dans un cadre budgétaire interministériel car la lutte contre le terrorisme NRBC recourt, par sa technicité, à des moyens spécialisés qui impliquent sept ministères. A chaque menace NRBC correspond un plan de réaction et d'intervention des services de l'Etat, dont le SGDN et les hauts fonctionnaires de défense des ministères concernés assurent le suivi : - le plan de riposte en cas de terrorisme biologique et chimique (Piratox) ; - le plan de riposte en cas de terrorisme radiologique et nucléaire (Piratome) ; - le plan de riposte en cas d'actes de malveillance ou d'attentat de nature biologique (Biotox). Peu d'informations sont disponibles sur les mesures concrètes de ces plans qui relèvent d'une classification « diffusion restreinte ». Néanmoins, le plan Biotox, qui a été institué très récemment61, a fait l'objet d'une communication significative de la part du Gouvernement afin de contenir les inquiétudes légitimes de la population devant le risque d'une diffusion de la bactérie du charbon par voie de courrier postal. Sur le plan financier, 61 millions d'euros (400 millions de francs) ont été débloqués pour renforcer les moyens humains et matériels de prévention et 152,5 millions d'euros (1 milliard de francs) permettront d'acheter des antibiotiques ou vaccins efficaces contre les agents biologiques infectieux (charbon, peste, variole). En ce qui concerne ses dispositions, ce plan, qui est le fruit d'un travail interministériel engagé en 1999, se décline en trois volets : - en premier lieu, la prévention, pour laquelle l'accent est particulièrement mis sur la surveillance des circuits d'alimentation en eau potable et des lieux de stockage sensibles (sites pharmacologiques etc.) ; - en second lieu, la surveillance et l'alerte, grâce aux diagnostics cliniques des médecins libéraux et hospitaliers, à la vigilance de l'Institut de veille sanitaire et au réseau Sentinelles (surveillance épidémiologique permanente) de l'Inserm ; - enfin, l'intervention en cas de crise, par la mobilisation de centres hospitaliers référents et la mise à jour des plans blancs pour assurer le cas échéant la prise en charge d'un nombre important de victimes. Les moyens du ministère de la Défense (Centre d'études des armements NBC du Bouchet, relevant de la Délégation générale pour l'Armement, hôpitaux et matériels du service de santé des armées, notamment) sont également mis à contribution, tout comme les laboratoires des ministères de l'Intérieur ainsi que de l'Aménagement du territoire et l'Environnement. Lors de son audition, le 21 novembre 2001, le Ministre de l'Intérieur a convenu qu'il existait un retard évident en matière d'équipements de protection NRBC : il a annoncé la prochaine acquisition de matériels de protection, de détection et d'intervention pour les services de police et de sécurité civile pour un montant de 20 millions d'euros (130 millions de francs).
Face à ce type de menaces, les personnels de premier secours doivent être sensibilisés aux risques par une formation et un entraînement adaptés. Des simulations d'intervention à la suite d'attentats NRBC ont été organisés par le SGDN et le ministère de l'Intérieur ; ces exercices doivent plus que jamais se poursuivre régulièrement, comme il est d'usage pour la mise en _uvre des plans d'intervention plus traditionnels (tels Polmar ou Orsec par exemple), de manière à préparer les différents services de sécurité civile concernés à réagir dans ce type de situations. En outre, la mission d'information s'étonne que les populations soient relativement tenues à l'écart des exercices et des programmes de réaction face à la menace terroriste. Il serait certainement opportun de les associer davantage et de les informer directement, plutôt que de laisser aux médias l'apanage de la communication sur les risques, dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle est aussi délicate que nécessaire.
Par ailleurs, un raccordement des moyens de communication des secours au système sécurisé de la police s'impose à la lumière de la confusion qui a régné en ce domaine à la suite à l'explosion de l'usine chimique AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001. Enfin, un accroissement progressif des crédits du SGDN qui sont consacrés au programme interministériel de lutte contre le terrorisme NRBC devrait également être envisagé dans les années à venir62.
4. La défense économique : la réduction des vulnérabilités des services de base vitaux pour le pays La « défense économique » ne doit pas être confondue avec la guerre économique, qui consiste en une infinité de pratiques, concurrentielles ou déloyales, qui sont le fait des Etats ou des entreprises dans un but industriel ou commercial et non un dessein politique hostile contre l'indépendance ou l'intégrité territoriale d'un Etat. En fait, la défense économique poursuit un double objectif : - réduire, dès le temps normal, les vulnérabilités économiques et industrielles du pays, en particulier en assurant la continuité des services de base (alimentation en eau, approvisionnements, transports, télécommunications) ; - répartir au mieux les ressources en temps de crise. Initialement cantonnés aux secteurs d'activité concernant l'énergie, les produits agricoles, les transports et l'équipement, ces objectifs s'élargissent désormais à la protection des bases nouvelles de l'activité et au contrôle des transferts de technologie : la France, pleinement intégrée dans le système économique mondial, est fortement dépendante d'un ensemble de flux économiques et financiers essentiels ; d'autre part, le contrôle du savoir scientifique sensible contribue à la sécurité et participe à la défense du pays. L'article 18 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 apparaît donc totalement justifié sur le fond, même si sa formulation peut parfois prêter à discussion car le contexte économique a profondément évolué vers davantage de libéralisme. La compréhension des menaces actuelles suppose la prise en considération de deux processus : - l'interdépendance croissante entre la sécurité des populations civiles et des territoires et la vulnérabilité des infrastructures industrielles (centrales nucléaires ou thermiques, usines chimiques etc.) économiques, et financières (fluctuations boursières, fonctionnement des réseaux de distribution et de transport etc.) ; - l'internationalisation des facteurs de risque, l'atteinte à l'intégrité économique d'un partenaire majeur de la France pouvant avoir des répercussions concrètes très importantes sur l'économie nationale, voire l'environnement de notre pays. La France figure parmi les pays qui réalisent les contrôles de sécurité en matière de transport les plus efficaces. A titre d'illustration, les liaisons aériennes intérieures bénéficiaient de mesures de sûreté équivalentes aux liaisons internationales bien avant les événements du 11 septembre, ce qui n'était pas le cas aux Etats-Unis ou en Allemagne par exemple. Notre pays milite pour un accroissement de la sécurité des transports (par l'adoption de règles plus rigoureuses que le minimum exigé par l'organisation de l'aviation civile internationale · A la suite des attentats commis contre le World Trade Center et le Pentagone, différentes mesures de protection ont été arrêtées dans le domaine du transport aérien et ajustées plusieurs fois en fonction de la connaissance de la menace et des conclusions du Conseil de sécurité intérieure, présidé par le Premier ministre. Ont ainsi été décidés : - le déclenchement des plans de lutte contre les actions de terrorisme aérien Piratair - Intrusair ; - le renforcement du contrôle des passagers et des bagages à main, l'accent ayant été porté sur la sensibilisation des portiques de façon à détecter tous les objets métalliques, y compris les petits objets contendants, les inspections au magnétomètre approfondies, la visualisation de tous les bagages à main par des appareils de détection radioscopique, l'inspection visuelle d'au moins 25 % de ces bagages (ce taux devant être porté à 50 % une fois recruté le personnel nécessaire) ; - l'intensification des contrôles de bagages de soute, tous les matériels disponibles ayant été mobilisés et utilisés afin de sécuriser plus de 50 % de ces bagages. Des moyens budgétaires nécessaires pour arriver à 100 % seront débloqués avant la fin du premier semestre 2002. Actuellement pour les vols non sécurisés par des machines de détection, les compagnies aériennes font effectuer une ouverture des bagages en présence des passagers, au moment de l'enregistrement ; - le contrôle systématique de l'accès aux zones réservées, toutes les portes d'entrée vulnérables ayant été fermées ou gardiennées. De même, l'inspection filtrage des personnels au moment de l'accès aux zones réservées sera progressivement généralisée et une remise à plat complète des badges permettant l'accès aux zones réservées est en cours ; - de nouveaux contrôles sur le fret. S'agissant de l'espace aérien, dès le 14 septembre des restrictions au trafic aérien en vol à vue ont été prises autour des villes de Paris (notamment la suppression des cheminements d'hélicoptères autour du site de la Défense), Lyon et de Marseille. En collaboration avec la direction de la circulation aérienne militaire, des mesures graduelles sont en préparation, sous l'égide du SGDN, pour faire face à une aggravation éventuelle de la menace en étendant le dispositif actuel à d'autres sites ou d'autres villes importantes. L'administration du ministère des Transports a également indiqué à la mission d'information que des instructions avaient été envoyées aux exploitants et gestionnaires des quelque 500 aéro-clubs en France et aux propriétaires et exploitants d'aéronefs privés. Sont ainsi exigés dorénavant la vérification de l'identité des clients par les organismes loueurs d'avions et sa transmission 48 heures avant décollage à la direction générale de l'aviation civile (DGAC), le gardiennage des avions par leurs propriétaires et l'inspection filtrage des avions d'affaires.
La mission d'information constate cependant que ces dispositions sont insuffisantes. Lors de l'audition du Ministre des Transports, M. Jean-Claude Gayssot, accompagné du Directeur général de l'Aviation civile et du haut fonctionnaire de défense de son ministère, le 14 novembre 2001, il ne lui a pas été caché que la mise en _uvre de ces mesures n'était sans doute pas uniforme partout en France. Les membres de la mission d'information proposent donc de compléter ce dispositif, notamment en instituant un système de déclaration et d'autorisation pour toute personne souhaitant s'inscrire à des formations au pilotage dans les aéro-clubs.
· D'autres formes de menaces à l'encontre du secteur des transports ont été prises en compte : - la lutte contre le terrorisme dans les réseaux souterrains de transports collectifs urbains a fait l'objet de mesures spécifiques, en région parisienne et dans les villes de province concernées (métros de Lille, Lyon, Marseille, Toulouse, tramways de Rouen et Strasbourg). L'action passe essentiellement par la sensibilisation des opérateurs (étant entendu que dans les 48 heures qui ont suivi l'attentat de Tokyo, la RATP a diffusé des consignes de réactions pour des situations équivalentes), et la sensibilisation des usagers des transports en commun (messages de la RATP et de la SNCF notamment), ce qui reste relativement insuffisant ; - la protection des grands tunnels autoroutiers a été accrue. Certains tunnels font déjà l'objet de protection en tant que points classés sensibles et au regard des risques d'incendie. Des instructions sont données aux opérateurs de sociétés d'autoroutes pour une vigilance plus grande de leur part ; - dans les ports, l'application de Vigipirate et du plan Piratemer s'est traduite immédiatement par un renforcement des contrôles d'accès, une surveillance terrestre par les moyens propres des ports et les forces de l'ordre, l'élaboration ou le rappel des consignes en matière de sûreté, et le renforcement ou la création d'une permanence de direction. Ces mesures ont été particulièrement renforcées pour les terminaux gaziers et chimiquiers de Montoir (port de Nantes Saint-Nazaire) et de Fos, ainsi que pour les terminaux pétroliers. Le travail a été facilité par l'existence d'un comité national de sûreté du transport et des ports maritimes (créé en 1999) et les comités locaux de sûreté portuaire présidés par les préfets et qui existent dans tous les ports autonomes maritimes et les ports d'intérêt national ; - la sûreté du trafic ferroviaire a également été prise en compte par une surveillance plus importante des lignes et ouvrages d'art névralgiques et par des contrôles aléatoires multipliés sur les autres lignes. A cette fin, 1 500 personnels de la SNCF ont été redéployés avec le soutien d'effectifs militaires. Une augmentation du nombre de patrouilles des forces de l'ordre nationales dans les rames de transport collectif serait néanmoins une mesure complémentaire bienvenue.
Comme en beaucoup de domaines, le « risque zéro » en matière de transports n'existe pas. Il est parfois difficile d'améliorer le degré de prévention des menaces, sauf à prendre la décision, comme l'ont fait les Etats-Unis, de restreindre la circulation des populations. Les centres de production d'énergie (centrales nucléaires, thermiques et hydroélectriques) présentent un intérêt vital pour la nation. On dénombre 137 installations nucléaires civiles en France (dont 58 réacteurs de centrales, l'usine de retraitement des déchets de La Hague et les installations de recherche), 272 barrages hydrauliques (dont 156 barrages majeurs), 17 sites thermiques traditionnels et 14 raffineries63 : autant dire que l'éventail des cibles potentielles est large. L'explosion accidentelle de l'usine chimique AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001, a tragiquement mis en exergue que des dégâts d'ampleur pouvaient même affecter des complexes industriels moins stratégiques, mais tout autant dangereux pour les populations civiles. La prévention et la protection des populations sont donc à cet égard primordiales. Compte tenu de la nature spécifique des centrales nucléaires, des mesures de sécurité particulières ont été décidées : la protection des accès a été améliorée par une surveillance accrue par les services de gendarmerie, une défense aérienne a été mise en place et les dispositifs d'alerte des populations riveraines ont été renforcés. Sur ce dernier point, on indiquera que la question de la protection des populations civiles vivant à proximité des centrales nucléaires est prise en compte par le ministère de l'Intérieur, au sein de la direction de la défense et de la sécurité civile, et plus spécifiquement par la mission nationale d'appui à la gestion du risque nucléaire, structure créée en août 1995. Cette mission a notamment pour tâche de tenir un état des lieux actualisé des dispositifs locaux de protection des populations, et d'animer, conjointement avec le ministère des Finances, de l'Economie et de l'Industrie, la dizaine d'exercices nationaux qui sont organisés chaque année pour tester l'organisation nationale de crise et les plans particuliers d'intervention locaux en matière nucléaire. Par la circulaire interministérielle du 13 février 2000, les plans particuliers d'intervention, les PPI, nucléaires ont été modernisés et une phase dite d'urgence a été introduite et systématisée pour tous types de scénarii à cinétique rapide. Les préfectures ont pour obligation d'achever la révision de ces plans d'ici mars 2002. Ces plans prévoient notamment des mesures de protection des populations telles que la mise à l'abri et à l'écoute des consignes du préfet via les médias, l'évacuation des populations, ou bien la prise de comprimés d'iode. La distribution a été renouvelée en 200064. Jusqu'à présent, seulement 50 % des foyers habitant dans un rayon de dix kilomètres autour des centrales nucléaires disposaient de pastilles d'iode, ce qui n'était pas satisfaisant ; à titre de précaution, le Gouvernement a décidé de constituer des stocks à hauteur de dix millions de pastilles dans un rayon de quatre-vingt kilomètres autour de chaque installation nucléaire. Lors de son audition par la mission d'information, le 21 novembre dernier, le Ministre de l'Intérieur, M. Daniel Vaillant a précisé qu'EDF, le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et la COGEMA ont également pris des mesures de renforcement de la surveillance et de la sûreté de leurs établissements, en liaison avec les autorités préfectorales. Il convient d'ajouter à ce sujet que, en temps normal, la DST est déjà associée à la définition des mesures de protection des sites les plus sensibles.
Dans une démarche prospective sur le long terme, la mission d'information invite les pouvoirs publics et les opérateurs du secteur énergétique à aller plus loin en étudiant la faisabilité d'une implantation des réacteurs des centrales nucléaires de nouvelle génération sous terre : la vulnérabilité des systèmes les plus radioactifs s'en trouverait ainsi considérablement réduite par rapport au risque d'agression aérienne (par détournement d'un aéronef ou à la suite du lancement d'un missile air-sol par exemple).
En outre, la défense contre le terrorisme ne pouvant plus se concevoir dans un cadre strictement national, la mission d'information suggère également qu'un Conseil réunissant les Ministres de l'Union européenne en charge de l'industrie et de l'environnement s'interroge plus particulièrement sur la coordination des efforts des Etats membres pour la protection du patrimoine industriel et énergétique des pays européens vis-à-vis de la menace terroriste de grande échelle. Un plan européen de sécurité industrielle et environnementale, définissant les modalités concrètes de la solidarité des Etats de l'Union à l'égard d'un partenaire victime d'attentats majeurs, pourrait peut-être en résulter.
C. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONSES COMPLÉMENTAIRES Le terrorisme international implique une lutte qui déborde le seul cadre militaire et policier. Les pays engagés contre ce fléau ont conscience que leur action ne saurait être efficace si elle se résumait à une réaction uniquement coercitive. Plus que jamais, le dialogue diplomatique sert la cause antiterroriste, surtout lorsqu'il s'attache à priver les mouvements radicaux de leurs justifications idéologiques (le soutien à des luttes pour la reconnaissance territoriale) ou économiques et sociales (les écarts de développement entre Nord et Sud, notamment). Cette lutte doit également s'appuyer sur un arsenal juridique et judiciaire spécifique et s'attaquer aux sources de financement du terrorisme, car l'adage selon lequel l'argent constitue le nerf de la guerre s'applique malheureusement à toutes les formes d'action violente. 1. Le rôle de la diplomatie, gage d'une lutte coordonnée, maîtrisée et efficace à long terme Si la diplomatie a parfois servi à des fins de puissance, elle s'accorde davantage à promouvoir la paix entre les nations dorénavant. La création de l'ONU, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a d'ailleurs été justifiée par cet objectif d'entente entre pays et de résolution concertée des conflits. Certes, la gestion multilatérale des crises est restée limitée en raison de la situation géopolitique de la guerre froide puis de la position hégémonique des Etats-Unis à la suite de la chute du rideau de fer en 1989. Cependant, l'ONU et ses agences internationales ont contribué à donner voix au chapitre à des pays, développés ou non, qui cherchent à faire valoir des solutions ou des points de vue différents. Au demeurant, le fait qu'Oussama Ben Laden ait violemment attaqué l'ONU montre l'importance du rôle des Nations Unies dans la défense des intérêts des pays les moins développés, les organisations terroristes y voyant là un risque pour leur justification idéologique. La France s'est le plus souvent attachée à apporter son concours en faveur de la paix, en s'appuyant non seulement sur son statut de membre permanent du Conseil de sécurité mais également sur ses relations privilégiées avec de nombreux pays de tous les continents. Aujourd'hui encore, notre pays aide à la recherche de solutions aux différents conflits régionaux que les organisations terroristes internationales cherchent à exploiter ; la France finance également des projets de développement, dans un cadre multilatéral bien sûr mais aussi bilatéral, ce qui permet de lutter contre les écarts de richesse et ainsi d'éviter de donner prise aux ressentiments qui peuvent conforter l'audience du discours terroriste à l'encontre des pays développés. a) Le nécessaire dialogue pour mettre un terme aux foyers de tensions qui confortent la stratégie des terroristes Le terrorisme islamiste radical cherche à mobiliser les populations de confession musulmane autour de la poursuite de ses objectifs par l'exploitation des ressentiments et frustrations nés de la persistance de conflits régionaux, dont les civils sont les premières victimes. Le journaliste Henri Tincq, observateur reconnu des phénomènes religieux, a estimé65 que le terrorisme islamiste actuel s'appuyait sur le ressort de la « victimisation de l'Islam » pour créer une adhésion des communautés à son but destructeur. Les propos d'Oussama Ben Laden, recueillis par un journaliste pakistanais et publiés le 9 novembre 2001, dans le quotidien Dawn en apportent une illustration très claire, le chef de l'organisation terroriste Al Qaida déclarant : « L'Amérique et ses alliés nous massacrent en Palestine, en Tchétchénie, au Cachemire et en Irak. En représailles, les Musulmans ont le droit d'attaquer l'Amérique. »66 Par conséquent, il appartient aux Etats-Unis et aux Etats membres de l'Union européenne de contredire le discours terroriste par des actes diplomatiques en faveur de la paix dans les régions troublées citées précédemment. · Le contentieux israelo-palestinien, en ce qu'il suscite le plus de passions et de tensions au Proche-Orient, est l'un des terreaux de ces actions violentes. Oussama Ben Laden, dans un message diffusé par la chaîne de télévision quatari Al Jazira, le 7 octobre 2001, n'avait pas hésité à s'y référer pour légitimer les attentats contre les Etats-Unis : « Je jure par Dieu que l'Amérique ne connaîtra jamais la sécurité avant que la Palestine ne la connaisse. » Or, si les autorités palestiniennes et les dirigeants arabes du Moyen-Orient ne sont pas dupes, ce genre de message peut recevoir un certain écho parmi les populations civiles plus particulièrement concernées. En fait, l'effacement américain à l'égard du processus de paix israelo-palestinien au lendemain de l'entrée en fonction de l'administration Bush a facilité la détérioration de la situation en Israël et dans les territoires occupés. Paradoxalement, le fils de l'initiateur de la Conférence de Madrid, qui préfigura les accords d'Oslo de 1994, ne s'est véritablement investi dans le règlement du conflit proche-oriental qu'au lendemain des attentats commis sur le territoire américain. Or, beaucoup de temps a été perdu, même si un échéancier de rétablissement de la confiance réciproque des parties a été élaboré par la Commission présidée par l'ancien Sénateur Georges Mitchell et que des médiations ont été entreprises pour parvenir à un cessez-le-feu, sans succès toutefois. A la différence d'Yitzhak Rabin qui avait dissocié le processus politique de la situation sécuritaire - « Je poursuivrai le processus de paix comme s'il n'y avait pas de terrorisme mais je combattrai le terrorisme comme s'il n'y avait pas de processus de paix » -, Ariel Sharon a toujours subordonné le dialogue avec l'autorité palestinienne au respect d'une période de calme absolu - en exigeant « 100 % de résultats » et pas seulement 100 % d'efforts -, ce qui a conduit à l'impasse politique actuelle. De leur côté, les mouvements islamistes palestiniens radicaux, le Hamas et le Djihad islamique, ont perpétré des attentats afin de recueillir un soutien populaire en vue d'imposer leur programme islamiste, non un Etat palestinien. L'année qui vient de s'écouler a été émaillée de nombreuses violences, la seconde Intifada ayant fait plus d'un millier de victimes. Compte tenu du contexte international actuel, le règlement de la crise israélo-palestinienne est plus que jamais nécessaire pour empêcher le développement du terrorisme islamiste. La solution, à court terme, passe par des pressions internationales sur les belligérants pour que d'une part les terroristes palestiniens soient arrêtés et que d'autre part les vexations à l'encontre de Yasser Arafat cessent. A plus long terme, les Etats-Unis et l'Union européenne devront _uvrer en faveur de la création d'un Etat palestinien viable et de l'arrêt de la colonisation des territoires autonomes, avec pour contrepartie une garantie de sécurité pour l'Etat d'Israël qui serait assortie de la reconnaissance de ses frontières. Des négociations doivent également être engagées entre l'Etat hébreu et la Syrie ainsi que le Liban, afin que la question du plateau du Golan trouve elle aussi une solution. · Le discours des terroristes islamistes s'appuie aussi sur la question des sanctions internationales à l'encontre du régime irakien pour dénoncer la politique extérieure des pays développés. De fait, l'Irak reste soumis à un embargo sévère depuis la guerre du Golfe, en août 1990 : en effet, la résolution n° 661 du Conseil de sécurité, adoptée le 6 août 1990 vise « tous les produits de base et toute marchandise ». Cet embargo a été maintenu compte tenu des présomptions pesant sur l'Irak au sujet du développement d'armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques). De même, des zones d'exclusion aérienne ont été fixées par l'ONU au nord du 36ème parallèle et au sud du 33ème parallèle (sur la base de la résolution n° 688) : les appareils américains et britanniques interviennent régulièrement dans ces zones pour vérifier l'application de leur exclusion, ce qui provoque très souvent des échanges de tirs et des bombardements ; l'aviation française ne participe plus aux opérations aériennes, même si elle reste prépositionnée dans la région. L'efficacité des sanctions internationales à l'encontre de l'Irak est contestée en raison de leur caractère non discriminant : bien que le Conseil de sécurité ait relevé les quotas de ventes de pétrole en échange d'achats alimentaires (résolution n° 986 du 14 avril 1995 dite « pétrole contre nourriture »), la population civile est la principale victime de l'embargo et le régime de Saddam Hussein n'est pas affaibli pour autant, bien au contraire. De plus, la Commission chargée du désarmement de l'Irak, l'UNSCOM, a été renvoyée du pays ; sa remplaçante, l'UNMOVIC, n'a pas pu se rendre sur place depuis la date de sa création, en 1999. Manifestement, une révision des sanctions s'impose, pour des raisons humanitaires mais aussi pour lutter contre les justifications avancées par les terroristes islamistes internationaux. Plus que la volonté d'en finir à tout prix avec Saddam Hussein, la communauté internationale doit montrer son souci de soulager les populations civiles. En ce sens, les velléités de certains membres de l'administration Bush d'en finir avec le régime irakien une fois les opérations en Afghanistan terminées sont dangereuses. Le Conseil de sécurité, lors du renouvellement de la résolution n° 986, le 29 novembre dernier, à ouvert la voie à un mécanisme de sanctions plus ciblées qui serait applicable dans six mois : d'ici au 30 mai 2002, le Conseil devra approuver une liste de bien « à double usage » (militaire et civil) dont l'importation par l'Irak sera soumise à l'accord exprès de l'ONU ; en contre partie, les restrictions concernant l'importation de biens alimentaires et courants seront allégées. C'est cette initiative, si elle aboutit, qui va dans le bon sens.
· Deux autres foyers de troubles méritent aussi un intérêt diplomatique particulier dans le contexte de lutte contre le terrorisme islamiste international : la Tchétchénie et le Cachemire. La chute du régime des Taliban en Afghanistan offre à terme l'opportunité d'un règlement global de ces crises. En ce qui concerne le conflit tchétchène, où des groupes armés soupçonnés d'entretenir des relations avec Al Qaida auraient soutenu les indépendantistes depuis le milieu des années 1990, le Président Poutine a récemment émis quelques signes d'ouverture en faveur d'un dialogue avec les séparatistes. Pour peu que de véritables négociations découlent du « début de dialogue très sérieux » entre les deux parties, tel que l'a qualifié le Général Viktor Kazantsev, représentant du Président Poutine à l'issue d'un entretien le 18 novembre dernier avec Akhmed Zakaïev, émissaire du Président tchétchène Maskhadov, la fin des hostilités entre les forces fédérales russes et les indépendantistes pourrait intervenir sur fond d'une autonomie plus grande de la république caucasienne, malgré son maintien dans la fédération de Russie. Tout aussi délicate est la question du Cachemire, province dont la population est à dominante musulmane et qui, depuis février 1949, fait l'objet d'une partition (matérialisée par la ligne de contrôle - LoC) entre l'Inde et le Pakistan que ces deux pays (puissances nucléaires) contestent. Le dernier épisode de tension intense entre les deux pays remonte à 1999, date à laquelle l'Inde a dénoncé des incursions militaires pakistanaises sur les crêtes du Ladakh dominant les régions de Kargil et Drass ; l'incident militaire a été évité de peu. Le Pakistan souhaite une intervention de la communauté internationale alors que l'Inde y est opposée. Une fois les organisations terroristes islamistes durablement affaiblies en Afghanistan, l'Inde devra renouveler ses initiatives en faveur du dialogue avec le Pakistan, sous peine de voir la communauté internationale se saisir du problème. En effet, le Pakistan joue un rôle essentiel en Afghanistan afin, entre autres, de conserver une profondeur stratégique suffisante dans le conflit du Cachemire ; la communauté internationale ne pourra garantir la véritable indépendance et le redressement de l'Afghanistan que si le Pakistan n'a plus besoin de cette position stratégique, c'est-à-dire lorsque la question du Cachemire sera en voie de règlement. Depuis les essais nucléaires de 1998, la France conduit un dialogue stratégique utile avec les « frères ennemis » du sous-continent indien : il serait souhaitable que cette question soit davantage abordée dans ce cadre.
b) Réformer l'ONU pour rééquilibrer le système international Les événements du 11 septembre ne remettent pas en question le bien-fondé des interventions de l'ONU en faveur de la paix. En effet, l'action militaire d'un Etat ou d'une coalition d'Etats en dehors des mécanismes de concertation internationale prévus par la Charte des Nations Unies, aussi légitimes que soient ses motifs, est toujours ressentie, à la longue, comme injuste ou arbitraire par une partie de la communauté internationale. En l'occurrence, les difficultés rencontrées pour le déploiement de forces étrangères chargées de protéger les convois humanitaires en Afghanistan illustrent la méfiance des belligérants devant une intervention au mandat flou de troupes qui ne relèvent pas de l'ONU à proprement parler : sans doute l'envoi des mêmes troupes sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité définissant un mandat précis et relevant du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, eût-il posé moins de problèmes ; mais jusqu'à récemment encore, les Afghans n'en voulaient pas. La Commission de la Défense n'a pas attendu les tragiques événements de l'automne dernier pour réfléchir à la nécessaire réforme du fonctionnement de l'ONU67. A son initiative et avec le concours de la Commission des Affaires étrangères, un colloque international sur la question a réuni des personnalités aussi diverses que MM. Boutros Boutros-Ghali (ancien Secrétaire général de l'ONU), Mikhaël Gorbatchev (ancien Président de l'URSS), Zbigniew Brzezinski (Conseiller du Center for strategic international studies), Jasjit Singh (Directeur de l'Institute for defence studies and analyses), Lakhdar Brahimi (Président du groupe d'études des Nations Unies sur les opérations de paix), Salim Ahmed Salim (Secrétaire général de l'OUA), Ahmedou Ould Abdallah (Secrétaire exécutif de la coalition mondiale pour l'Afrique). Des travaux menés par la Commission de la Défense et des débats de ce colloque, il ressort que la représentativité et l'efficacité de l'ONU doivent et peuvent être accrues. Le monopole de la contrainte (armée ou non) que la Charte attribue au Conseil de sécurité dans son chapitre VII doit être impérativement maintenu. Si tel n'était pas le cas, d'autres systèmes d'intervention se mettraient de fait en place, favorisant la reconstitution de zones d'influence et discréditant la notion de règlement des conflits par le droit pour la remplacer par une logique des rapports de force. A l'espoir de la paix par le droit se substitueraient des tentatives de stabilité par la force. On ne voit guère le progrès pour la paix que représenterait une telle situation mais on en devine les risques. En outre, lorsqu'une crise sans incidence forte sur la stabilité stratégique a des conséquences humanitaires exceptionnellement graves, il est également primordial que le Conseil de sécurité soit capable d'intervenir. Le corollaire de la reconnaissance de cette prééminence du Conseil de sécurité est que la représentativité de l'instance doit être améliorée, sa composition actuelle reflétant les rapports de forces du lendemain de la seconde guerre mondiale, non le caractère multipolaire de l'ordre international actuel. La réforme de cette instance suppose : - une augmentation de ses effectifs au-delà de la limite de fait imposée par les Etats-Unis (à vingt ou vingt-et-un), le Conseil prenant ses décisions à la majorité ; - un accroissement du nombre des membres permanents. Certains Etats comme l'Inde font l'objet d'un refus peu acceptable, étant donné leur capacité de contribuer au règlement des conflits. Certains membres permanents du Tiers Monde pourraient alterner, de manière à éviter les querelles de préséance. Ils seraient dans ce cas tenus à une obligation de consultation mutuelle. L'objectif doit être de représenter de manière permanente tous les groupes d'Etats auxquels il est nécessaire de donner la possibilité de s'exprimer pour le règlement de toute crise majeure ; - une réévaluation du nombre des membres non permanents.
L'usage du veto pourrait être discipliné par l'obligation faite aux membres permanents d'énoncer une « doctrine » du veto (comportant des motifs généraux et des principes d'utilisation), voire de motiver publiquement leur veto, par l'accroissement de la transparence des débats. Il pourrait même être envisagé de restreindre l'usage du veto aux questions relevant du chapitre VII, impliquant l'usage de la force. Dans ce cas, les autres actions du chapitre VII comme l'embargo ne seraient pas susceptibles d'être bloquées. En outre, le renforcement des moyens d'intervention des Nations Unies est lui aussi nécessaire. Il pourrait porter en premier lieu sur les forces de maintien de la paix (peacekeeping) accomplissant des missions d'interposition et ultérieurement sur la constitution d'une grande unité d'imposition de la paix (peace enforcement). L'objectif dans l'un et l'autre cas serait de mettre à la disposition des Nations Unies des contingents rapidement déployables. D'ailleurs, le système des « forces en attente » participe de cette logique dans la perspective d'un déploiement rapide de forces d'interposition. La mise en place d'une chaîne de contrôle opérationnel des Nations Unies sous l'autorité politique du Conseil est aussi prioritaire, conformément aux recommandations du groupe d'études des Nations Unies sur les opérations de paix présidé par Lakhdar Brahimi. En ce qui concerne les ressources civiles (humaines et financières) de la reconstruction des Etats en crise (peacebuilding), les moyens de l'ONU doivent également être accrus, ce que permet opportunément le paiement des arriérés des Etats-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Il paraît par ailleurs nécessaire d'établir juridiquement la capacité du Conseil de sécurité à intervenir en cas de violation exceptionnellement grave et systématique des droits de l'homme. Enfin, un lien organique pourrait être institué entre le Conseil de sécurité et les organes directeurs des organisations régionales auxquelles le règlement des conflits peut être délégué en application du chapitre VIII de la Charte (OTAN et OSCE pour l'Europe, OUA pour l'Afrique, ASEA ou APEC pour l'Asie, OCI pour le Moyen-Orient). Il est par conséquent essentiel que se développent, conformément toujours au chapitre VIII de la Charte, le rôle de ces organisations régionales et leur capacité d'action pour le recours à la force ou toute mesure de contrainte non armée.
Les attentats dont ont été victimes les Etats-Unis soulignent que l'unilatéralisme ne peut garantir la sécurité internationale ; rééquilibrer le mode de fonctionnement de l'ONU contribuera à renforcer la légitimité des décisions des Nations Unies à l'encontre d'Etats ou d'organisations soutenant le terrorisme international. c) L'aide au développement : une action essentielle pour combattre le terreau social du terrorisme Le terrorisme international exploite bien souvent la pauvreté et l'ignorance des populations pour promouvoir ses objectifs. L'aide au développement des pays les plus avancés peut donc constituer une réplique, certes partielle mais utile tout de même, de la part des Etats visés par les organisations criminelles islamistes. A cet égard, il apparaît évident que si l'Afghanistan avait été l'objet de davantage de préoccupations internationales au lendemain du retrait des troupes soviétiques, en 1989, le pays n'aurait pas été le théâtre de troubles incessants et de violences propices à l'installation durable de bases et de camps d'entraînement terroristes. La chute du régime taliban ne résoudra rien par elle-même : le vif sentiment anti-occidental des populations locales ne sera durablement atténué que si les pays les plus développés du monde s'accordent à financer la reconstruction d'un Etat afghan, doté d'infrastructures et d'écoles. L'idée d'un « plan Marshall » pour l'Afghanistan, évoquée ici ou là en Europe, n'a pas reçu un écho à la hauteur des enjeux Outre-Atlantique, le Secrétaire d'Etat américain allant jusqu'à lui dénier tout intérêt au seul motif que l'Afghanistan est un pays essentiellement agraire. C'est oublier là non seulement que ce pays pourrait fort redevenir un important producteur de pavot si personne ne lui assure à l'avenir les moyens de sa subsistance, et également que d'autres régions du monde tout aussi faiblement industrialisées (le Timor oriental ou le Kosovo par exemple) ont bénéficié de programmes d'investissements importants. Il semble donc que l'aide à la reconstruction de l'Afghanistan est au nombre de ces signes forts que les pays industrialisés devraient envoyer au monde musulman, afin de rétablir leur image et d'affaiblir par la même occasion les soutiens populaires au terrorisme islamiste.
A bien des égards, la France montre l'exemple en accordant un financement non négligeable à l'aide au développement des pays pauvres. Ce soutien financier est assorti de conditions importantes en termes de consolidation de l'Etat de droit et d'enracinement démocratique, de satisfaction des besoins élémentaires des populations, de promotion d'économies plus diversifiées notamment. A l'instar des pays de l'Union européenne, l'aide publique au développement (APD) de notre pays repose sur trois composantes : - une part multilatérale, qui transite par les institutions internationales en charge du développement (organisations spécialisées des Nations Unies, banques et fonds de développement), soit 1,8 milliard d'euros (11,8 milliards de francs) en 2002 ; - une part européenne, à travers la participation française au Fonds européen de développement et au budget des actions extérieures, qui devrait continuer à s'élever à environ 762 millions d'euros (5 milliards de francs) en 2002 ; - une part bilatérale, majoritaire puisque avoisinant 3 milliards d'euros (19,7 milliards de francs) en 2002. S'ajoute à ces efforts l'annulation de la dette des pays pauvres très endettés (initiative PPTE) à laquelle la France contribue largement sous la forme de refinancement des créances par dons (contrats de désendettement et de développement). Mais le rééquilibrage de l'allocation des richesses dans le monde ne peut pas uniquement reposer sur des dons ou des allégements de dettes. La régulation du commerce mondial est également un moyen de favoriser l'essor des pays les moins favorisés. C'est tout l'enjeu de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui a été instituée par les accords de Marrakech en 1994 et est entrée en fonction le 1er janvier 1995. La quatrième conférence ministérielle de l'OMC qui s'est tenue à Doha du 9 au 13 novembre 2001 a précisé l'agenda d'un nouveau cycle de négociations sur le commerce international, en tenant compte des réticences de plusieurs pays en voie de développement. A ce sujet, M. Pascal Lamy, Commissaire européen en charge du commerce, a justifié l'extension d'une libéralisation maîtrisée des échanges internationaux en déclarant devant le Parlement européen, le 24 octobre dernier : « Nous n'avons changé ni de cap, ni de calendrier à la suite des événements horribles du 11 septembre. (...) Le processus d'ouverture, de régulation des échanges, d'intégration des pays en voie de développement et le souci du caractère durable de la politique environnementale et sociale ne sont pas moins nécessaires aujourd'hui qu'hier. Ce sont des facteurs de stabilité et de sécurité dans les relations entre pays ou entre générations.68 » Les questions liées au développement des Etats les plus pauvres devraient prendre davantage d'importance à l'avenir, dans le cadre d'une stratégie globale de lutte contre le terrorisme international. L'aide internationale ne sera véritablement efficace que si elle est davantage concertée et multilatérale, ce qui suppose que des pays aussi développés que les Etats-Unis acceptent d'accroître leur concours à cet objectif. 2. L'efficacité des instruments d'investigation et de sanction judiciaire, nécessité absolue Le particularisme des actes de terrorisme de l'ampleur et la nature de ceux commis aux Etats-Unis le 11 septembre, qui s'apparentent à des crimes de masse, justifient l'application d'un régime juridique spécifique. Non seulement la procédure applicable doit être dérogatoire au droit commun (s'agissant des interrogatoires et des investigations notamment) car il y va de la sécurité de nations, mais de surcroît il faut mettre en _uvre des peines sévères. Compte tenu de la dimension internationale du terrorisme islamiste radical, une coordination des régimes juridiques applicables est essentielle, de manière à ne pas fournir l'opportunité à des réseaux malveillants d'utiliser les carences judiciaires d'un Etat au détriment des autres. Cependant, chaque Etat doit également se saisir de cette question et prévoir des mécanismes juridiques appropriés. Au niveau de l'Union européenne, le problème devrait bientôt trouver un début de solution encourageant. a) Les ajustements des législations en vigueur Certains Etats, au premier rang desquels la France, disposent depuis plusieurs années de règles particulières afin de prévenir, juger et sanctionner les actes de terrorisme. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les normes en vigueur ont été renforcées dans bien des cas. · La France est dotée d'une législation antiterroriste spécifique et complète, dont il a été fait mention précédemment et dont la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 est la clé de voûte. Compte tenu du contexte actuel, cette législation a été complétée par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne et qui prévoit un renforcement du dispositif juridique national contre le terrorisme à travers les mesures suivantes, applicables sous certaines conditions et jusqu'au 31 décembre 2003 : - la possibilité de fouiller les véhicules circulant ou stationnant sur la voie publique ; - la possibilité de perquisitionner à domicile et de saisir des pièces à conviction sans l'assentiment du propriétaire ; - la possibilité de perquisitions préventives dans des avions, véhicules, bagages ou colis, qui se trouvent dans les ports et aéroports ; - la possibilité pour des agents ne relevant pas des forces de l'ordre de l'Etat d'effectuer des palpations de sécurité et de fouiller les bagages ; - l'obligation pour les opérateurs de télécommunications de conserver (un an au maximum) les données de connexion identifiant les utilisateurs ; - la possibilité d'effectuer des interrogatoires par visioconférence ; - la possibilité pour les magistrats de recourir aux moyens techniques de l'Etat soumis au secret défense pour déchiffrer un message crypté ; - la création d'une incrimination spéciale de l'acte de financement d'une entreprise terroriste et l'intégration des délits de blanchiment et d'initiés dans la liste des actes susceptibles d'être qualifiés de terroristes avec un renforcement des sanctions (jusqu'à sept ans de prison et 1,5 million d'euros / 9,8 millions de francs d'amende). Du point de vue des moyens, la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu69, a indiqué à la mission d'information que la 14ème section du Parquet de Paris avait bénéficié d'une création de poste au lendemain des attentats du 11 septembre, portant à cinq le nombre de magistrats spécialisés dans les affaires de terrorisme. Néanmoins, eu égard à la charge de travail et à la diversité des dossiers que cette section du Parquet instruit, il serait certainement opportun d'y affecter encore un ou deux juges supplémentaires.
La mission d'information s'interroge aussi sur l'opportunité de compléter les garanties de protection accordées aux repentis et aux témoins. Les services du ministère de l'Intérieur n'y semblent pas favorables70, au motif que le cadre juridique actuel est suffisamment souple pour accorder une protection à des témoins importants qui le demanderaient ; on est néanmoins en droit de se demander si l'inscription dans la loi de dispositions assurant la sécurité physique des personnes coopérant avec la justice contre des organisations criminelles terroristes ne faciliterait pas davantage l'aboutissement des procédures judiciaires.
En revanche, les dispositions qui régissent les communications électroniques, telles que complétées par la loi n° 2001-1062 précitée, semblent suffisantes. Les services du ministère de l'Intérieur surveillent en permanence les sites web susceptibles de relayer des réseaux ou des thèses terroristes. De même, la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, permet de surveiller les communications électroniques suspectes : en effet, l'article 3 de cette loi autorise « les interceptions de correspondance émises par la voie des télécommunications ayant pour objet de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France ou la prévention du terrorisme. »71 L'autorisation est accordée par le Premier ministre, sur proposition des Ministres intéressés. L'objet de la loi recouvre les courriers électroniques (e-mails), qui constituent un moyen de communication international rapide et aisé, et sont à ce titre très prisés des réseaux terroristes internationaux. · D'autres pays européens ont également adopté des mesures législatives destinées à accroître l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. Le Royaume-Uni, l'Allemagne, et l'Espagne, qui ont tous été confrontés au terrorisme intérieur et possèdent une législation spécifique, ont décidé de compléter leurs lois en vigueur : l'accent sera mis sur la surveillance électronique, les contrôles financiers, la création d'un délit d'incitation à la haine religieuse et l'allongement de la durée de la garde à vue en Grande-Bretagne ; la coordination des services de sécurité (police judiciaire BKA et contre-espionnage BND) sera accrue et des données biométriques (empreintes digitales, photographie de l'iris) seront inscrites sur les papiers d'identité en Allemagne ; les missions et moyens du centre national de contre-espionnage espagnol (ex CESID) seront élargis. Par ailleurs, les neuf Etats membres de l'Union européenne (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Suède) qui ne disposent pas encore de lois ou d'instruments juridiques spécifiques concernant le terrorisme devraient eux aussi modifier leur droit interne, sous la pression de l'Union. En effet, le Conseil Justice Affaires Intérieures (JAI) du 20 septembre dernier a suggéré l'adoption rapide d'une proposition-cadre de la Commission visant à instaurer une définition commune des actes de terrorisme et la fixation des niveaux de sanctions correspondants (de deux à vingt ans d'emprisonnement). De fait, le caractère spécifique de la menace terroriste s'impose progressivement dans le droit. b) L'évolution opportune de l'espace judiciaire européen Dès le lendemain des attentats du 11 septembre, les autorités européennes se sont efforcées de démontrer aux Etats membres que l'Union européenne était le cadre le plus approprié pour répondre, de manière globale mais sur la base d'une étroite coopération multilatérale, aux défis du terrorisme. A cet effet, la présidence a chargé les Conseils JAI, Transports et Ecofin de préparer des mesures en matière de police, de sécurité, de justice et de lutte contre le financement du terrorisme. De même, le Conseil européen extraordinaire des Chefs d'Etats et de gouvernements, convoqué le 21 septembre, a adopté un plan d'action général de lutte contre le terrorisme. C'est certainement dans le domaine des affaires judiciaires et intérieures que les avancées ont été les plus importantes. Outre l'élaboration d'une proposition-cadre portant définition commune des actes de terrorisme et des peines afférentes, la Commission a suggéré de remplacer les procédures traditionnelles d'extradition72, souvent mises à profit par les terroristes, par un système de remise entre autorités judiciaires, basé sur un mandat d'arrêt européen. Deux conventions, publiées le 30 mars 1995 et le 23 octobre 1996, avaient déjà pour objet de simplifier les procédures d'extradition entre Etats membres de l'Union. La France ne les a toujours pas ratifiées à ce jour, ce que l'on peut regretter. L'idée de base du mandat d'arrêt européen, qui devait être adopté par le Conseil JAI des 6 et 7 décembre derniers mais qui est toujours en discussion en raison de réticences italiennes sur la définition des crimes concernés, est que lorsque l'autorité judiciaire d'un Etat membre demande la remise d'une personne qui a été condamnée définitivement à quatre mois fermes ou dont l'infraction poursuivie est passible d'une peine supérieure à un an, sa décision doit être reconnue et exécutée sur tout le territoire de l'Union européenne. Il est prévu d'encadrer les procédures dans un délai fixe de trois mois et de supprimer le principe de la double incrimination73 ainsi que l'exception en faveur des nationaux74. De fait, ce mécanisme va au-delà des conventions de 1995 et 1996.
Le plan d'action du Conseil européen a également prévu : - l'identification des terroristes présumés en Europe grâce à l'élaboration d'une liste commune des organisations terroristes par des équipes conjointes d'enquête ; - la création d'une unité de spécialistes anti-terroristes au sein d'Europol, cette structure devant coopérer activement avec ses homologues américaines. Créé en 1994 pour coordonner les efforts des polices nationales dans la lutte contre le trafic de drogue, de matières nucléaires, de voitures volées et la traite des êtres humains, Europol a vu son mandat élargi à la lutte contre toutes les formes de criminalité internationale et au blanchiment d'argent. Parallèlement, dans le domaine judiciaire, le Conseil JAI des 27 et 28 septembre 2001 a fixé les grandes lignes de la structure et des compétences d'Eurojust, le futur organe de coopération des magistrats européens : mis en place pour lutter contre la criminalité transfrontalière, il devrait fonctionner à partir du 1er janvier 2002. En l'état, Eurojust a pour l'instant des prérogatives limitées : il facilite la coopération en matière d'extradition et d'exécution des commissions rogatoires entre deux Etats membres ; il aide aussi à la coordination entre magistrats nationaux saisis d'affaires graves et pouvant avoir des interconnexions. Depuis mars 2001, la structure de préfiguration d'Eurojust a traité quelque 160 dossiers dont une quinzaine sur le terrorisme. A l'avenir, Eurojust pourra demander à un Etat d'entreprendre une enquête, de coordonner des investigations en cours, de mettre en place une équipe d'enquête commune, ou encore de fournir toute information nécessaire. Cette structure prendra également l'habitude de réunir régulièrement les magistrats anti-terroristes de l'Union européenne. Toutes ces mesures constituent assurément autant d'avancées importantes dans les aspects policier et judiciaire de la lutte contre le terrorisme. Progressivement, les Etats membres favorisent une certaine convergence des procédures et la mutualisation des informations et des moyens. Néanmoins, la mission d'information estime, à l'instar du Président de la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale75, que la création d'un parquet européen constitué de procureurs indépendants favoriserait la centralisation des poursuites contre les auteurs d'infractions dans plusieurs Etats membres et éviterait ainsi les inconvénients du mécanisme des commissions rogatoires qui sont nécessaires pour enquêter ou appréhender un suspect résidant dans un autre pays de l'Union.
En ce qui concerne la circulation des personnes et des flux d'immigrants, il convient de souligner que l'application des accords de Schengen de 1990, qui ont institué un contrôle à l'extérieur des frontières des pays de l'Union européenne (à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande) tout en supprimant les contrôles intérieurs, n'exclut pas que des mesures de rétablissement provisoire des contrôles aux frontières de chaque Etat puissent être prises en cas de menace terroriste76. De telles mesures ont été prises depuis le mois de septembre, sur proposition de la France. 3. La lutte financière et bancaire, arrière-plan de la stratégie anti-terroriste Les actes terroristes de l'ampleur et la violence de ceux commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 nécessitent des moyens financiers importants : les services du FBI estiment que la préparation des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone n'aurait pas coûté plus de 500 000 dollars, une somme qui n'est cependant pas à la portée de n'importe quelle organisation criminelle. A la différence des attentats perpétrés en Europe dans les années 1970-1980, les actions du terrorisme islamiste radical actuel utilisent des méthodes qui supposent un haut degré de planification, voire de formation puisque les dix-neuf auteurs présumés du drame du 11 septembre ont suivi des cours de pilotage payants pendant plusieurs mois dans des écoles spécialisées aux Etats-Unis même. Les ressources financières de l'organisation Al Qaida permettent d'entreprendre des actes subversifs de grande échelle. Néanmoins, ce facteur de nuisance peut être aussi sa principale vulnérabilité, pour peu que les Etats engagés dans la lutte contre le terrorisme s'accordent à réglementer davantage les circuits financiers mondiaux et les investissements internationaux. Le gel des avoirs des principales organisations terroristes et de leurs chefs est un moyen de les affaiblir : pour cela, une meilleure coopération et une transparence internationale plus importante sont nécessaires. a) Empêcher le recyclage d'argent propre dans les actions violentes par une surveillance internationale accrue L'identification des liens entre fonds suspects et filières de financement terroristes est difficile. Les moyens financiers des groupes criminels transitent souvent par le biais de « paradis fiscaux ». Les sociétés écran ajoutent également à la complexité des filières. Enfin, les techniques de financement du terrorisme peuvent déjouer les outils sophistiqués de la finance mondiale : en l'occurrence, les groupes terroristes islamistes d'Al Qaida utiliseraient la méthode de l'hawala (lettre de change), qui s'apparente à un système de compensation en dehors de toute traçabilité des comptes en banque77. Comme cela a été mentionné précédemment, le terrorisme islamiste radical, à la différence des activités délictueuses plus traditionnelles, n'utilise pas d'argent d'origine frauduleuse : bien souvent, il bénéficie de dons ou de dividendes d'investissements légaux. La réglementation des investissements et des flux financiers est donc essentielle pour pouvoir neutraliser les moyens auxquels recourent les organisations terroristes. En l'espèce, comme il a été indiqué plus haut, la communauté internationale dispose d'une structure opérationnelle : le Groupe d'Action Financière International (GAFI), qui dispose d'un réseau d'experts (financiers, juristes, policiers et diplomates) dans ses vingt-neuf Etats membres afin d'évaluer les dispositions législatives que l'ensemble des pays mettent en place pour lutter contre le blanchiment. Le GAFI publie chaque année une liste noire des pays dits « non coopératifs ». Sur proposition française, les ministres de l'Economie et des Finances du G7 ont décidé, les 29 et 30 octobre derniers, d'étendre le champ des compétences du GAFI au financement du terrorisme. Certes, cette instance ne peut qu'édicter des codes de bonne conduite et inciter les Etats à les appliquer ; néanmoins, en assurant le suivi des pratiques des centres offshore, elle remplit un rôle utile d'observatoire des pratiques financières78. De même, les membres du G7 sont convenus d'échanger les informations de leurs cellules respectives de lutte contre le blanchiment (Tracfin79 en France). A l'exception de l'Allemagne, tous les pays membres du GAFI sont dotés de cellules de renseignement financier et devraient s'engager à coopérer. Les délais de recueil d'informations seront ainsi raccourcis par rapport aux canaux judiciaires habituels. Le choix de privilégier l'action du GAFI, composé principalement de membres de l'OCDE, suscite toutefois quelques interrogations. En effet, comment ne pas concevoir que si les recommandations de cette instance sont parfois difficilement acceptées par un certain nombre d'Etats, c'est peut-être parce qu'elles apparaissent trop souvent dictées par un groupe de pays riches. Les Etats en voie de développement, qui ont fondé une part de leur économie sur des systèmes d'ingénierie financière et bancaire, peuvent ainsi avoir l'impression qu'on veut une fois de plus faire prévaloir les intérêts des pays développés sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Il semble donc qu'une nouvelle architecture internationale reste à construire, qui distinguerait différents niveaux de lutte contre la criminalité financière. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, de créer pour le financement du terrorisme ce qui existe pour le trafic de drogue avec l'organe international de contrôle des stupéfiants, dont les membres sont élus par le Conseil Economique et Social de l'ONU ? En tout état de cause, il y a lieu de réfléchir aux moyens d'associer la plus grande partie des Etats à la lutte contre le financement du terrorisme, car aucune avancée ne pourra se faire dans l'avenir sans un dialogue constructif qui offrira aux pays facilitant le blanchiment d'argent des alternatives crédibles à l'abandon de la filière offshore.
On relèvera par ailleurs que figurent sur la liste des pays ou territoires non coopératifs établie par le GAFI, le 7 septembre 2001 : la Hongrie (pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne), l'Indonésie, Israël, le Liban, le Nigeria, la Russie et l'Ukraine (pays qui ont annoncé leur soutien aux Etats-Unis dans leur lutte contre le terrorisme). La mission d'information estime que ces Etats pourraient apporter une contribution concrète à l'action internationale contre le terrorisme en améliorant la régulation et la transparence de leurs systèmes bancaires et financiers ; peut-être même que cette exigence pourrait être plus particulièrement formulée à la Hongrie lors des négociations sur son entrée dans l'Union européenne.
b) Geler les fonds nécessaires aux terroristes Depuis les attentats du 11 septembre, l'administration américaine a identifié un certain nombre d'entités ou d'individus considérés comme exerçant des activités terroristes : leurs avoirs aux Etats-Unis ont été gelés et il a été demandé aux autres Etats de faire de même. En France, le décret n° 2001-875 du 25 septembre 2001 réglementant les relations financières avec certaines personnes ou entités a prévu un contrôle étroit des fonds et avoirs des organisations et individus mis à l'index par les Etats-Unis. Début novembre 200180, le montant des actifs gelés dans une dizaine de pays parce qu'ils étaient soupçonnés de financer des groupes ou des activités terroristes islamistes s'élevait à environ 230 millions d'euros (1,5 milliard de francs) : - 107 millions d'euros (700 millions de francs) aux Etats-Unis ; - 98,4 millions d'euros (645,3 millions de francs) au Royaume-Uni, appartenant pour une large part au régime taliban ; - 4,1 millions d'euros (27 millions de francs) en Allemagne ; - 4 millions d'euros (26,3 millions de francs) en France, dont plus de la moitié au nom de la Banque centrale afghane ; - 16,3 millions d'euros (107 millions de francs) en Suisse. Sans contester l'intérêt de ces gels de fonds, on ne manquera pas d'observer leur caractère limité et relatif. Dans un système économique et financier mondialisé, les mouvements de capitaux sont faciles et rapides : il y a fort à parier que la majorité des avoirs des organisations islamistes radicales sont préservés d'éventuelles rétorsions, soit en raison de la complaisance des pays dans lesquels ils sont investis, soit parce que leur lien avec ces groupes criminels n'est pas avéré ou évident. On soulignera à titre d'illustration que la holding somalienne Al Barakaat, gérant chaque année entre 300 et 500 millions de dollars en provenance des émigrés somaliens et figurant sur la liste des 27 organisations finançant des mouvements terroristes dont les avoirs doivent être gelés, avait son siège social à Dubaï, disposait d'un compte bancaire à la City de Londres et bénéficiait également d'accords avec AT&T. C'est dire la complexité des coopérations nécessaires pour aboutir à geler effectivement les comptes de cette organisation. La lutte contre le financement du terrorisme ne peut être efficace que si elle fait l'objet d'une action internationale collective et globale. Les Nations Unies ont adopté des normes importantes, cependant, leur portée reste limitée : à titre d'exemple, la Convention pour la répression du financement du terrorisme, ratifiée le 20 novembre 2001 par la France, ne prévoit pas de suivi de sa mise en _uvre. Plus qu'une rapide ratification de ce texte, certes nécessaire, c'est l'implication des pays développés dans la réforme des paradis fiscaux vers plus de transparence qui pourrait rendre la lutte contre le financement du terrorisme international plus efficace. En effet, certains centres offshore entretiennent des liens étroits avec des pays engagés dans ce combat (les îles anglo-normandes, l'île de Man, l'île de Monserrat, Anguilla et les Bermudes sont proches ou dépendent du Royaume-Uni ; il en va de même pour les îles Cook et Niue à l'égard de la Nouvelle Zélande ; en outre, Bahamas, les îles Vierges, Panama, Belize ou Grenade sont sensibles aux pressions américaines81) : des progrès substantiels sont possibles, dès lors que la volonté politique d'assécher les finances des terroristes existe. Les résultats ne seront sans doute pas immédiats, mais il faut espérer que la mobilisation internationale ne faiblira pas, car l'opportunité d'améliorer la régulation des circuits financiers internationaux est réelle.
4. Concilier laïcité et représentativité de l'Islam en France La loi du 9 décembre 1905 qui a instauré la séparation des Eglises et de l'Etat a fait de la laïcité l'un des socles des valeurs républicaines. Cette dissociation a contribué à asseoir durablement la démocratie en rendant l'Etat neutre vis-à-vis d'un phénomène désormais relégué au rang de la sphère privée. Mais pour être effective, l'acceptation de toutes les religions doit s'accompagner d'une écoute et d'un échange permanents. A la différence des religions chrétiennes (avec la Conférence épiscopale de France et la Fédération du Protestantisme) et du judaïsme (avec le Conseil Représentatif des Institutions juives de France - CRIF), l'Etat n'a toujours pas d'interlocuteur qui soit absolument représentatif de l'islam dans notre pays. Au début des années 1990, un Conseil de Réflexion sur l'Islam en France (CORIF) qui regroupait des laïcs et des religieux avait certes été créé ; il n'a pas résisté aux dissensions entre communautés et nationalités d'origine. Les communautés musulmanes de France sont à l'image de celles de l'Islam en général, c'est-à-dire très diverses. Au demeurant, l'Islam sunnite, qui est majoritaire, n'est pas hiérarchisé comme peut l'être la religion catholique par exemple. Il n'est donc pas facile d'identifier un nombre restreint d'interlocuteurs qui puissent représenter l'ensemble des Musulmans. Depuis quelques années, le Gouvernement a engagé un dialogue avec la Consultation des Musulmans de France, un organisme qui regroupe notamment des personnalités religieuses et des membres du secteur associatif. L'objectif est de parvenir à créer une instance représentative, ne laissant ainsi que peu de prise aux extrémistes, avec laquelle les autorités de l'Etat pourraient aborder sereinement les problèmes qui concernent le culte et la place des Musulmans. Le Ministre de l'Intérieur a indiqué que la création d'un Conseil du culte musulman en France devait prochainement être approuvée par un vote des Musulmans eux-mêmes. Il a ajouté que les préfets souhaitaient qu'une telle instance dispose de ramifications à l'échelon local. La mission d'information ne peut que se réjouir de ces initiatives, qui contribueront certainement à faciliter le dialogue des cultures dans notre pays. Ce processus en voie d'aboutissement aura également valeur d'exemple pour de nombreux Etats européens qui n'ont pas adopté de démarches de ce type, tels le Royaume-Uni ou l'Allemagne par exemple, où les interlocuteurs des pouvoirs publics entretiennent parfois des liens plus ou moins étroits avec des organisations terroristes. Qui sait même si cette expérience d'écoute et de dialogue ne contribuera pas à inciter certains régimes de pays du Maghreb ou d'Asie, à terme, à accorder davantage d'intérêt à une certaine forme de pluralisme ? En ce qui concerne la France, il faut néanmoins aller plus loin en favorisant l'autonomie des Musulmans français dans l'exercice de leur culte par rapport aux influences extérieures. Traditionnellement, l'Algérie (dont est issue la majorité de la population musulmane de France) et l'Arabie saoudite (où se trouvent les lieux saints) exercent une certaine autorité morale et financent plusieurs lieux de culte82 ainsi que la formation des imams. La mission d'information considère que l'Islam de France doit devenir indépendant, ce qui suppose que les grandes mosquées de notre pays puissent former les responsables du culte et que les lieux de prière soient financés principalement par les Musulmans français. Y parvenir suppose un dialogue diplomatique étroit avec les pays musulmans qui ont une grande influence sur les communautés françaises ainsi que du temps. Cette évolution n'en est pas moins nécessaire pour accroître l'adhésion des Musulmans qui vivent sur le territoire français aux principes républicains.
Le respect des principes laïcs de la république française est en effet au nombre des conditions d'une intégration réussie des Musulmans en France. Les controverses sur le port du voile islamique à l'école (le tchador), dans les années 1990, ont révélé toute la difficulté à concilier l'observation de certains préceptes religieux avec la laïcité ; pourtant les principes posés par l'avis juridique du Conseil d'Etat sur le port de signes d'appartenance religieuse, le 27 novembre 1989, constituent un bon compromis entre liberté de conscience et adhésion aux valeurs de la République. Depuis, le précepte de laïcité ne fait plus l'objet de contestation majeure de la part des communautés musulmanes. Sans doute faut-il y voir une preuve que leur intégration, si elle n'est pas parfaite, est bien une réalité. A cet égard, il convient de souligner l'esprit de responsabilité dont ont su faire preuve les Musulmans en France : au lendemain des attentats du 11 septembre et au moment de l'intervention contre l'Afghanistan, ils ont conservé leur sang froid et ne sont pas tombés dans le piège tendu par les terroristes. De vives tensions religieuses ont ainsi été évitées, ce qui n'a pas été le cas dans certains pays européens qui prétendent pourtant incarner un modèle d'intégration. Un tel constat tend à conforter le bien-fondé de la méthode de dialogue qui a été retenue par les pouvoirs publics français. Les attentats du 11 septembre ont parfois donné lieu à une présentation confuse, voire contradictoire, des origines, des enjeux et des conséquences de ces actes d'une violence sans précédent. Trois mois après, l'analyse bénéficie de davantage de recul. La mission d'information créée par la Commission de la Défense a pu mettre en évidence les traits constitutifs du phénomène terroriste islamiste radical ; elle s'est efforcée d'appréhender la menace qu'il représente ; de même, elle a évalué les moyens dont dispose notre pays, en propre ou en coopération, afin de prévenir les dangers et éventuellement d'y pallier. Tout en formulant des propositions très concrètes qui visent à compléter les initiatives déjà prises, les membres de la mission d'information aboutissent à un constat unanime : la menace terroriste est pérenne et diversifiée. La lutte passe donc par des mesures et des moyens matériels, mais elle suppose également un changement de mentalités, une sensibilisation permanente au risque. En d'autres termes, alors même que les armées sont devenues professionnelles, la défense de la nation contre le terrorisme est l'affaire de tous et implique plus que jamais chaque citoyen. Ayant auditionné les principaux Ministres et responsables administratifs concernés, des universitaires reconnus, certains industriels et représentants du monde associatif, la mission d'information a essayé d'apporter sa contribution à l'analyse et à la définition des moyens de lutte contre le terrorisme international d'aujourd'hui. Ce faisant, elle permet au Parlement, comme il se doit dans toute démocratie, de remplir son rôle de contrôle et de proposition dans un domaine qui n'est pas l'apanage du seul pouvoir exécutif mais qui concerne et préoccupe l'ensemble de nos concitoyens. 1. Les attentats du 11 septembre : un choc qui a des répercussions géopolitiques importantes Les attentats du 11 septembre constituent un événement qui aura des répercussions à long terme. Manifestation tragique d'un environnement plus incertain, dominé par ce que M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères qualifie d'« hyperpuissance » américaine, ils ouvrent de nouveaux champs à la menace terroriste : ce qui relevait jusqu'à présent davantage de la fiction est désormais devenu réalité. Déjà, le 29 mai 2001, le Secrétaire général de la Défense nationale soulignait devant la Commission de la Défense que le système international était affecté par trois sources de vulnérabilités nouvelles : les interdépendances techniques, économiques et politiques qui favorisent une dissémination de plus en plus rapide des crises financières ou sanitaires et des atteintes à la sécurité nationale ; les phénomènes d'exclusion et d'inégalités dans le partage des fruits de la croissance ; les blocages des négociations, régimes et traités de désarmement83. Ces vulnérabilités sont autant de risques pour nos sociétés. A cet égard, les attentats commis sur le sol américain, s'ils constituent un précédent indéniable dans leur ampleur et leur mode opératoire, sont plus qu'une illustration des menaces asymétriques, c'est-à-dire non étatiques, auxquelles tous les pays se trouvent désormais confrontés : ils peuvent inciter des groupes ou des organisations criminelles à un certain mimétisme, même si l'organisation Al Qaida sortira considérablement affaiblie de l'intervention américaine en Afghanistan. Autrement dit, étant donné que le terrorisme a changé d'échelle, rien ne semble plus devoir être exclu a priori dans la prévention des menaces. Sur le plan géopolitique, les conséquences des attentats du 11 septembre ne sont pas toutes mesurables à ce jour. Néanmoins, les événements de l'automne dernier ont donné lieu à des prises de position dont les répercussions sont déjà visibles. S'agissant des Etats-Unis, tout d'abord, les attentats du 11 septembre ont démontré combien la protection d'un bouclier antimissile était illusoire face aux menaces terroristes. L'administration Bush ne semble pas avoir abandonné ses projets de Missile Defense pour autant, car elle est obnubilée par le mythe de l'invulnérabilité, qui la conduit à chercher une réponse militaire à toute menace. Dès lors, les fondements réels de ce projet apparaissent clairement, qu'ils soient politiques (il s'agit de rassurer la population américaine qui a été traumatisée) ou industriels (afin de préserver la supériorité technologique des entreprises américaines de défense). D'un point de vue diplomatique, il est peu probable que les Etats-Unis reconsidèrent leur appréciation du rôle de l'ONU, même s'ils ont accepté de payer leurs arriérés au lendemain des attentats. Rien n'indique en effet que leur propension à l'action unilatérale sera durablement infléchie à l'issue de leur intervention contre le régime taliban et Al Qaida en Afghanistan. Au demeurant, une partie de l'administration Bush préconise une action contre l'Irak, une fois Oussama Ben Laden hors d'état de nuire : outre qu'elle comporterait des conséquences géopolitiques incalculables en dressant l'ensemble des pays arabes contre les Etats-Unis et leurs alliés, une intervention de ce type serait très certainement difficile à légitimer. On ne saurait donc que trop inviter les diplomaties française et européenne à faire valoir cette analyse auprès des autorités américaines. De façon plus générale, les Etats-Unis sont confrontés à une interrogation de taille quant à leur politique passée de soutien à la résistance afghane contre les Soviétiques ; cette introspection pourrait paraître également utile s'agissant de leur coopération avec le Pakistan, voire même l'Arabie Saoudite. Cependant, les enjeux pétroliers sont tels dans la région qu'il y a fort à parier que les Etats-Unis ne sont pas prêts à une remise en question de l'ensemble de leurs relations avec les pays du Proche-Orient et de l'Asie centrale. En ce qui concerne l'Europe, force est de reconnaître que l'étroite association diplomatique et, dans une moindre mesure toutefois, militaire du Royaume-Uni aux démarches des Etats-Unis a contribué à rendre moins audible la voix de l'Union européenne. Autre fait majeur sur le continent, la République fédérale d'Allemagne s'est finalement engagée à participer activement à des opérations extérieures ne consistant plus seulement à maintenir la paix, tout en jouant un rôle diplomatique essentiel en accueillant (sous l'égide de l'ONU) la conférence des parties afghanes sur l'avenir institutionnel de leur pays du 27 novembre au 5 décembre derniers. Tous ces événements ne remettent pas en cause la pertinence de la mise en place d'une force européenne de réaction rapide, bien au contraire. Les objectifs de capacités que se sont assignés les pays de l'Union européenne sont réalistes et adaptés : il ne s'agit pas pour l'Europe d'être en mesure de mener une action punitive aux quatre coins du monde, mais bien d'assurer des missions de rétablissement de la paix sur le continent ou dans ses zones d'intérêt avec un concept d'emploi qui s'inscrit dans une politique globale intégrant la prévention des conflits et la sortie des crises. Le nouveau défi que les membres de l'Union européenne doivent relever concerne l'« espace de sécurité intérieure ». L'amélioration de la coopération judiciaire et policière est sur la bonne voie, mais beaucoup reste à faire, comme l'a souligné devant la mission le Secrétaire général de la Défense nationale. L'OTAN, qui avait joué un rôle de premier plan lors du conflit du Kosovo au printemps 1999, n'a rempli cette fois-ci qu'une fonction de concertation et de soutien symbolique puisque la première application de la clause de solidarité de l'article 5 du traité de Washington n'a eu paradoxalement aucune finalité militaire. Cela tend à prouver le désengagement relatif des Etats-Unis d'une institution qu'ils considèrent de plus en plus comme un frein potentiel à leur liberté d'action. La proposition du Premier ministre britannique, Tony Blair, de réformer le Conseil de l'OTAN pour y associer plus étroitement les Russes conduit à transformer progressivement l'Alliance atlantique en système de sécurité collective européen, au lieu de l'alliance de défense qu'elle était. Ce constat, ne peut que conforter la volonté des Européens de donner une véritable capacité en matière de défense à l'Union européenne. Enfin, en ce qui concerne l'arc asiatique et la péninsule arabo-persique, il faut souligner que le Pakistan, s'il n'a pas pu maintenir un pouvoir allié en Afghanistan, a retrouvé une place d'interlocuteur et une respectabilité internationale qui lui avaient été déniées au lendemain des essais nucléaires de 1998, puis du coup d'Etat du Général Pervez Musharraf, en 1999. La question du Cachemire ne manquera pas de se reposer, d'autant qu'il n'est pas exclu que des membres de l'organisation Al Qaida y aient trouvé refuge et que la vindicte d'Oussama Ben Laden y rencontre quelque sympathie. L'avenir du royaume d'Arabie Saoudite, quant à lui, suscite quelques interrogations : la légitimité du pouvoir dépend étroitement du facteur religieux, de sorte qu'il est difficile d'inciter la dynastie Al Saoud à contrôler le financement d'_uvres islamiques par les ressortissants les plus fortunés du pays sans fragiliser son autorité. De surcroît, la rente pétrolière, jadis au c_ur de la prospérité du Royaume, a diminué dans une telle proportion que la monarchie saoudienne pourrait avoir des difficultés à faire face au service de la dette extérieure du pays. Au c_ur de l'influence américaine dans le Golfe, l'Arabie Saoudite constitue un maillon faible qui doit retenir l'attention. De fait, même si les attentats du 11 septembre ne bouleversent pas complètement le cadre d'analyse stratégique de l'après-guerre froide, on commence seulement à en mesurer les incidences sur le contexte international. L'environnement géopolitique devrait s'en trouver durablement marqué. 2. Les sociétés modernes face au terrorisme : la nécessité de sensibiliser les populations civiles à l'existence d'une menace pérenne Le terrorisme n'est pas en soi un phénomène nouveau. En revanche, ses méthodes et son ampleur ont profondément évolué avec les attentats du 11 septembre perpétrés par le réseau d'Al Qaida. Or, il ne semble pas que les populations civiles des pays démocratiques épargnés par la guerre depuis plus de cinquante ans aient été préparées à vivre en permanence avec une menace aussi violente et implacable. Que l'on ne s'y trompe pas, même si la France n'est pas la principale cible d'Al Qaida (à ce jour, aucune procédure judiciaire directement liée aux attentats du 11 septembre n'a été ouverte), elle reste l'une des cibles potentielles de réseaux terroristes relevant de la filière islamiste qui sont plus ou moins « rustiques », pour reprendre l'expression de certains responsables du ministère de l'Intérieur. La mission d'information a pu mesurer que les services de police et de renseignement français ont un bon niveau de connaissance et opèrent une surveillance vigilante des individus et des organisations susceptibles d'agir sur notre territoire : 318 renseignements ont été vérifiés et 18 enquêtes ont été diligentées depuis trois mois. Cette compétence, unanimement reconnue par leurs homologues étrangers, est le fruit d'une expérience acquise dans des circonstances plus douloureuses, dans les années 1980 et plus récemment en 1995-1996. Cette efficacité des moyens de prévention de la menace et de lutte contre les réseaux ne permet pas pour autant de faire l'économie d'une réflexion en profondeur sur la méthode et l'organisation de la défense du territoire, des modes de transport ainsi que des centres industriels et financiers vitaux pour le pays. En effet, les attentats du 11 septembre ont démontré que les terroristes possédaient désormais la capacité de désorganiser complètement, ne serait-ce que de façon temporaire, les mécanismes institutionnels de prise de décision et l'économie d'un pays, quel qu'il soit (la fragilité des Etats-Unis face au terrorisme a révélé en l'occurrence celle du reste du monde). S'agissant de la France, on peut regretter à cet égard que des cellules spécialement chargées d'analyser cette éventualité et de définir des moyens d'y pallier n'aient pas été mises en place au sein des ministères concernés, auprès des hauts fonctionnaires de défense. Certes, des organismes comme l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN), créé en 1949, ou l'Institut des Hautes Etudes sur la Sécurité Intérieure (IHESI), créé en 1989, qui mettent en relation les principaux responsables et décideurs français et les font réfléchir sur les domaines de la défense nationale et de la sécurité publique, accordent de l'intérêt à ces questions. Il n'en va pas de même pour les instituts de recherche ou les laboratoires universitaires qui travaillent sur ces questions. Néanmoins, au-delà de la qualité de l'enseignement et de l'analyse qui sont professés dans ces instituts, cela ne suffit pas à mettre en garde nos sociétés modernes contre le risque, pérenne, du terrorisme. L'ampleur et la durée de la menace terroriste qui vient de s'exprimer n'ont plus rien à voir avec le phénomène tel qu'il s'est manifesté jusqu'au début des années 1990. L'état d'esprit de toutes les composantes de la société civile doit y être préparé, ce qui suppose une sensibilisation de tous au risque : il revient donc aux pouvoirs publics de tenir les citoyens informés (et en ce sens, on peut se féliciter de la diffusion de rapports d'information parlementaires tels que le présent document) et de les faire participer aux exercices des services de secours lorsqu'ils vivent à proximité de sites particulièrement sensibles (centrales nucléaires, grandes gares ferroviaires, aéroports etc.). De même, il appartient aux responsables du secteur privé de prendre les dispositions nécessaires, internes aux entreprises, pour protéger leur potentiel et éviter leur détournement à des fins terroristes ; en la matière, le principe de subsidiarité doit s'appliquer afin de permettre à l'Etat de s'appuyer sur l'action complémentaire des acteurs de la société civile qui sont concernés par la prévention du risque terroriste. Enfin, il convient de souligner l'intérêt de l'action des associations, et notamment de SOS Attentats, qui participent de cet effort de sensibilisation des pouvoirs publics et des populations civiles à la menace terroriste. Le 5 février 2002, à l'initiative de SOS Attentats, un colloque sur le terrorisme et la responsabilité internationale se tiendra à l'Assemblée nationale, qui _uvrera très certainement de manière utile à la réflexion de tous sur la menace terroriste. De son côté, le Haut comité français pour la défense civile a depuis longtemps souhaité sensibiliser l'opinion publique sur les menaces à la sécurité intérieure. Avant même les attentats du 11 septembre, cette association avait prévu l'organisation d'un séminaire consacré au terrorisme nucléaire, radiologique, biologique et chimique les 12, 13, et 14 décembre 2001. En définitive, la lutte contre le terrorisme moderne ne peut pas réussir si elle mobilise uniquement des forces militaires ou policières professionnelles. L'engagement citoyen est également nécessaire et il faut citer à cet égard le rôle majeur que peuvent être amenés à jouer les pompiers volontaires, le corps médical libéral, les réservistes mais aussi les chefs d'entreprises. 3. Les propositions concrètes de la mission d'information pour améliorer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme international Beaucoup a été proposé et écrit depuis le 11 septembre sur les moyens de lutte contre le terrorisme international. La mission d'information estime pour sa part que les attentats qui ont meurtri les Etats-Unis n'impliquent pas de réviser complètement les orientations stratégiques et militaires de la France. Des ajustements ponctuels seront certes nécessaires, mais c'est aux niveaux politique et diplomatique que les défis sont les plus importants. (1) Adapter les moyens militaires à la lutte contre la menace terroriste La réponse militaire au terrorisme n'est qu'un moyen parmi d'autres et toutes les personnes auditionnées ont souligné que la lutte contre le terrorisme est d'abord une question politique faisant principalement appel à des moyens policiers, judiciaires et de lutte contre la criminalité financière. Cependant, quelques adaptations concernant les matériels et l'organisation des forces pourraient être utiles, comme par exemple : - l'augmentation des effectifs des services de renseignement relevant du ministère de la Défense (DGSE, DRM) avec la création d'un nouveau régiment de renseignement dans la profondeur au sein de l'armée de Terre ; - l'analyse des capacités de largage de bombes ou de missiles des drones MALE Eagle dont l'armée de l'Air sera dotée en 2003 dans la perspective d'une maîtrise anticipée des systèmes multi-charges multimissions (MCMM) dont les forces seront dotées à partir de 2009 ; - l'accélération des programmes de projection des forces, en envisageant notamment la construction d'un second porte-avions en commun avec les deux bâtiments commandés par la Royal Navy britannique qui doivent entrer en service en 2010-2012 ; - une dotation plus rapide de la Marine en missiles de croisière Scalp-naval, afin d'en équiper les frégates multimissions dès leur mise en service en 2008 et non en 2011, date à laquelle le premier sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) de nouvelle génération sera opérationnel ; - l'acquisition par les trois armées de systèmes de missiles de moyenne portée de nouvelle génération (VL-Mica) susceptibles d'être télé-opérés depuis un site unique (CDAOA par exemple) pour remplacer les Roland et Crotale en service et protéger les sites du territoire national les plus sensibles ; - l'accroissement des moyens budgétaires du SGDN pour la prévention du terrorisme NRBC ; - l'achat de davantage d'équipements dédiés à la prévention et à la lutte contre les menaces NRBC (radiamètres, stations de décontamination, tenues NBC etc.) pour en doter chaque zone de défense. (2) Renforcer l'efficacité et la coordination policière et judiciaire contre le terrorisme Si la dimension militaire de la lutte contre le terrorisme a pris de l'importance, l'action policière et judiciaire est toujours fondamentale. La France possède une grande expertise en ces domaines, ce qui n'empêche pas que certains ajustements soient souhaitables, parmi lesquels : - un renforcement de la coopération des services de renseignement intérieur et de contre-espionnage aux niveaux national (UCLAT) et européen (par la création d'un comité européen du renseignement) ; - un accroissement du nombre de magistrats spécialisés dans la lutte contre le terrorisme au sein de la 14ème section du Parquet de Paris (actuellement au nombre de cinq, suite à la décision de la Ministre de la Justice de créer un poste supplémentaire au lendemain des attentats du 11 septembre). (3) Agir au niveau international contre les ressources et les modes d'action terroristes La lutte contre le terrorisme international ne peut être efficace que si elle est globale dans sa géographie et son objet. La mobilisation de la communauté internationale contre le financement du terrorisme constitue une avancée importante qu'il convient de conforter : - en réfléchissant à la création d'un observatoire international de la lutte contre le blanchiment et l'utilisation criminelle de fonds qui soit plus large et légitime que le GAFI ; - en faisant pression sur les pays qui favorisent l'ingénierie financière afin qu'ils adoptent les recommandations des instances internationales spécialisées (GAFI, OCDE, etc) ; - en continuant à geler les fonds d'origine suspecte et en encourageant les Etats à surveiller les dons à des organismes caritatifs qui pourraient soutenir des organisations criminelles. Mais l'action diplomatique ne saurait pas s'arrêter à ce seul aspect. Il faut également : - aider à la résolution des conflits régionaux (entre Israël et les Palestiniens, au Cachemire, en Tchétchénie, etc.), dont se servent les groupes terroristes islamistes fondamentalistes pour exploiter les frustrations des populations musulmanes, et adopter un système de surveillance et de sanction plus ciblé des Etats soupçonnés de se doter d'armes de destruction massive (l'Irak, notamment) ; - rééquilibrer le mode de fonctionnement des institutions de l'ONU en faveur d'un mécanisme plus représentatif de l'état du monde d'aujourd'hui, notamment en révisant la composition du Conseil de sécurité et en aménageant le droit de veto de ses membres permanents ; - aider les pays les plus pauvres, et tout particulièrement l'Afghanistan, à se développer de manière durable et à renforcer les structures étatiques, seules à même de garantir à la communauté internationale que des organisations criminelles ne s'implanteront plus sur leur sol ; - lancer des négociations au sein des institutions spécialisées de l'ONU (l'AIEA entre autres) au sujet du devenir et du recyclage de déchets industriels toxiques (le cobalt, le strontium ou le césium par exemple) qui sont susceptibles de permettre la confection d'armements NRBC. (4) Privilégier la prévention et la riposte au niveau européen Face au terrorisme, la sécurité de la France est étroitement dépendante de l'action des quatorze autres Etats membres de l'Union européenne. A cet égard, la mission recommande l'élaboration commune d'un livre blanc européen présentant l'analyse des menaces qui pèsent sur le continent européen : quelles sont les menaces militaires ou non auxquelles nous devons-nous préparer ? Où se situe la menace terroriste dans ce tableau général ? Un bon degré de coopération est donc indispensable, ce qui passe par : - la mise en _uvre rapide par les Etats membres des nouvelles procédures de mandat d'arrêt européen et d'extradition d'auteurs d'actes de terrorisme et dans un premier temps la ratification par le Parlement des conventions de 1995 et 1996 sur la simplification des procédures d'extradition au sein de l'Union européenne ; - l'approfondissement de la coordination des services policiers et judiciaires concernés, via Europol, Eurojust et, éventuellement, par la création d'un parquet européen pour centraliser les poursuites ; - enfin, la mise sur pied d'une composante spécifiquement dédiée aux interventions spéciales au sein de la force de réaction rapide européenne, qui serait aussi bien capable d'exfiltrer des criminels de guerre de zones hostiles que de rechercher des responsables d'organisations terroristes sur un théâtre extérieur. (5) Renforcer la protection des moyens de transport et des installations industrielles vitales dans le cadre d'une approche globale de la défense nationale Les attentats du 11 septembre ont rappelé la vulnérabilité des modes de communication, des économies et des centres de production des pays développés face au risque terroriste. Un renforcement des niveaux de protection a certes été mis en place, mais son efficacité peut être améliorée, y compris à court terme : - par un accroissement (en fréquence sur chaque ligne mais aussi sur le nombre des lignes) des patrouilles de forces de l'ordre nationales dans les rames de transports collectifs urbains ; - par un renforcement des procédures de sécurité internes aux terminaux aériens, maritimes et ferroviaires et aussi aux centres de production d'énergie ; - par la mise en place d'un système de déclaration et d'autorisation pour toute personne souhaitant s'inscrire à des formations au pilotage dans les aéro-clubs ; - par la mise au point d'un plan européen de prévention des risques industriels et énergétiques ; - par une révision des principes de conception des sites de production d'énergie hydroélectrique et nucléaire (pourquoi ne pas envisager de concevoir des réacteurs souterrains, moins exposés à des risques aériens, pour les nouvelles générations de centrales par exemple ?). (6) Ajuster la législation nationale Les textes en vigueur sont globalement satisfaisants, mais quelques améliorations ponctuelles restent possibles, sur la protection des témoins et des repentis notamment. (7) Favoriser le dialogue des cultures et la confiance réciproque avec les communautés immigrées de confession musulmane Les terroristes ne peuvent atteindre leurs objectifs que s'ils bénéficient d'un soutien important au sein de certaines franges de populations. Le « choc des civilisations » annoncé par Samuel Huntington n'a pas eu lieu ; il faut néanmoins favoriser davantage la compréhension mutuelle des cultures et des religions : - en confortant le dialogue engagé par le ministère de l'Intérieur avec la Consultation des Musulmans de France, afin d'aboutir à l'émergence d'une instance représentative des communautés de confession musulmane ; - en encourageant davantage (par des aides financières internationales, notamment) les régimes du monde musulman qui s'ouvrent au pluralisme des idées et aux valeurs internationalement reconnues dans la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et dans le pacte sur les droits économiques et sociaux de 1966. (8) Associer la société civile à la prévention des menaces et à la lutte contre leurs effets La lutte contre le terrorisme est l'affaire de tous ; c'est pour cette raison que les membres de la société civile doivent tout à la fois être informés de la réalité des menaces et participer à la prévention des risques. Il convient donc, en l'occurrence : - d'organiser davantage d'exercices fictifs aux abords de sites exposés qui intégreraient les populations riveraines ou concernées ; - de sensibiliser les acteurs économiques, industriels et sanitaires aux mesures de précaution à prendre afin de prévenir tout risque d'attentat ; - de reconnaître le rôle des acteurs du monde associatif, et tout particulièrement de l'association SOS Attentats en France, ainsi que celui du Haut comité pour la défense civile ; - d'accélérer la constitution des réserves opérationnelles, afin de seconder les forces actives dans la protection et la surveillance des lieux publics sensibles. Lors de sa réunion du 12 décembre 2001, la Commission a procédé à l'examen du rapport de sa mission d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001. Après avoir indiqué que cette mission d'information, créée le 19 septembre, avait auditionné 31 personnes, le Président Paul Quilès a précisé qu'elle s'était, dans son rapport, interrogée sur la pérennité du phénomène du terrorisme islamiste international à travers une analyse de ses origines et qu'elle avait recherché les mesures susceptibles de lutter contre ce phénomène. Il a souhaité que le rapport de la mission d'information, adopté à l'unanimité, et notamment les 33 propositions qu'il formule puissent constituer le point de départ d'une réflexion sur le terrorisme international et sur les moyens de contrer cette menace. Présentant ensuite l'architecture globale du rapport, il a expliqué que la mission s'était tout d'abord efforcée de comprendre le phénomène de l'islamisme radical, au nom duquel les actes de terrorisme de masse du 11 septembre 2001 avaient été commis. Il a jugé que deux dates importantes expliquaient le passage de l'islam politique à l'islamisme radical : - 1979, qui voit successivement la victoire des intégristes en Iran, la tentative de prise de la Mosquée de la Mecque par un groupe de rebelles et l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. L'islamisme prend la forme d'un mouvement politique, victorieux en Iran et mis en échec par les Saoudiens. L'invasion de l'Afghanistan lui permet de devenir également une force de combat, qui sera bientôt alimentée par tous les agitateurs politiques du monde arabo-musulman, dont les Etats n'auront de cesse de se débarrasser en les envoyant combattre l'envahisseur soviétique en Afghanistan. Ces combattants du djihad seront armés et soutenus par le Pakistan, lui-même massivement épaulé par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite ; - 1990 ensuite, avec la guerre du Golfe et l'appel solennel du roi Fahd aux Américains, le 8 août 1990, pour qu'ils viennent protéger les lieux saints. L'internationale islamique d'Afghanistan, qui assiste alors victorieuse au départ des troupes soviétiques, se tourne vers un autre ennemi : les Etats-Unis. En 1994, l'arrivée au pouvoir des Taliban en Afghanistan, soutenue par le Pakistan, fournit une base arrière idéale à l'organisation Al Qaida, créée en 1988 par Oussama Ben Laden à partir des listes de combattants du djihad contre l'Union soviétique,. Le nouveau terrorisme naît dans les camps d'entraînement d'Afghanistan. Il est financé par la fortune de Ben Laden, qui se fixe comme objectif de chasser les Etats-Unis des lieux saints et profère, dans ses fatwas successives, autant de déclarations de guerre contre la superpuissance américaine. Au cours des années 1990, la création échappe à ses maîtres : pakistanais, saoudiens, américains. La propagande terroriste se nourrit du ressentiment que provoque l'oubli, par les Etats-Unis, des promesses qu'ils avaient faites, lors de la guerre du Golfe, à un monde arabe malade du conflit israélo-palestinien. C'est donc également dans les cendres de la guerre froide et des illusions du nouvel ordre mondial que le terrorisme du XXIème siècle est né. Le Président Paul Quilès a alors souligné qu'il s'agissait d'une forme nouvelle de terrorisme, de grande ampleur. Ce terrorisme est nouveau dans ses motivations, dans la mesure où il refuse la notion même d'Etat, donc de frontière ou de souveraineté, et n'a pas de visée politique. Il n'a de compte à rendre qu'au Dieu au nom duquel il prétend combattre. Aucun dialogue, aucune négociation, aucun compromis ne sont donc possibles. Ce terrorisme utilise la société médiatique de manière tout à fait nouvelle : en l'absence de tout message politique, c'est le pouvoir de l'image qui doit répandre la terreur. La nouveauté du terrorisme d'Al Qaida tient aussi aux hommes qui fournissent ses rangs. Il ne s'agit pas des désespérés de Gaza. Le terroriste d'Al Qaida appartient à des milieux plutôt aisés, fréquente les universités et possède une capacité parfaite à s'intégrer dans la société où il vit. Il se peut même qu'il n'ait jamais vécu en dehors du monde occidental. Ce terrorisme est enfin nouveau dans sa logistique et son organisation. Il n'existe ni tête, ni hiérarchie, mais seulement un lien lâche, réactivé de temps à autre, avec un « donneur d'ordres ». Le « franchisé » terroriste est autarcique : il dispose d'une très large marge de man_uvre pour décider d'attaquer les cibles qui ont pu lui être fixées plus d'un an auparavant. Et aucun moyen n'est rejeté a priori : conventionnel ou non. A cet égard, le Président Paul Quilès a rappelé que Ben Laden n'avait jamais caché son souhait d'utiliser, dès qu'il en aurait la possibilité, des moyens nucléaires, bactériologiques, chimiques ou radiologiques. Alors que les sociétés occidentales se découvrent vulnérables, à commencer par la plus puissante d'entre elles, la communauté internationale engage la lutte contre le terrorisme dans trois directions. Un premier axe d'intervention, qui vise la source du phénomène, conduit notamment à utiliser l'outil militaire. Le Président Paul Quilès a, à ce propos, jugé que l'intervention militaire des Etats-Unis en Afghanistan était pleinement justifiée puis il a ajouté que la participation de forces alliées à cette riposte militaire avait relevé davantage de l'affichage politique que du besoin opérationnel. Il a également observé que les recettes éprouvées du Pentagone (large emploi de l'arme aérienne, engagement au sol minimal des forces américaines, participation essentiellement indirecte aux opérations terrestres par soutien à l'Alliance du Nord) s'étaient révélées efficaces. Abordant ensuite le deuxième axe de l'intervention internationale, qui vise à neutraliser les réseaux terroristes, il a expliqué que, dans ce domaine, l'action était multiforme. Elle est tout d'abord judiciaire : entre le 11 septembre et la fin du mois de novembre 2001, six cellules d'Al Qaida ont été démantelées en Europe et plusieurs dizaines de suspects interpellés. Le Président Paul Quilès a ajouté que les services de renseignement européens, informés de l'existence de risques graves, avaient même déjoué avant le 11 septembre 2001 plusieurs attentats visant notamment la France (lors de la Coupe du monde de football en 1998 ou du marché de Noël à Strasbourg l'année passée). Puis il a souligné que cette forme de lutte contre le terrorisme international reposait sur la coopération des services de police et de justice. Elle s'étend à la sphère financière : le combat, classique bien qu'encore trop rudimentaire, contre le blanchiment de l'argent sale, doit désormais être complété par une action extrêmement complexe visant à déjouer les filières de « noircissement » de l'argent propre. Enfin, le troisième axe d'intervention de la communauté internationale vise à traiter l'environnement qui a favorisé l'émergence et le renforcement de la menace terroriste. Sur ce point, se pose notamment la question d'une deuxième phase de l'action militaire, une fois la phase afghane terminée. Le Président Paul Quilès a évoqué la liste souvent présentée des pays pouvant constituer des bases arrière d'Al Qaida : Somalie, Yémen, Soudan, Irak. Il a jugé qu'une action militaire contre ces pays ne pouvait pas être tenue pour légitime a priori. Des preuves incontestables devraient, le cas échéant, être apportées pour la justifier. Le Président Paul Quilès a estimé qu'en revanche, la nécessité d'agir sur les facteurs d'humiliation des populations arabo-musulmanes ne faisait pas de doute. Ben Laden n'a certes jamais combattu pour le peuple irakien ou pour la cause palestinienne, lui qui ne connaît de combat que contre l'hérétique ou l'infidèle. Néanmoins les événements récents ont révélé combien des situations comme celles de l'Irak ou des territoires palestiniens peuvent favoriser le développement du terrorisme. Le Président Paul Quilès a alors estimé que les actions menées par la communauté internationale devaient être complétées et amplifiées, ajoutant que la mission présentait de nombreuses propositions en vue de contribuer à la réflexion dans ce domaine. Rappelant que les sociétés démocratiques étaient aussi des sociétés fragiles, il a jugé qu'elles étaient actuellement confrontées à la difficulté de définir des moyens conformes à leurs valeurs pour lutter contre les ennemis de la démocratie. Trahir ces valeurs reviendrait à donner la victoire aux terroristes. M. Bernard Grasset, rapporteur, a tout d'abord observé que l'islamisme radical incarné par les réseaux d'Al Qaida ne datait pas d'aujourd'hui mais qu'il puisait son origine dans une tradition de radicalisme commune à toutes les religions du Livre, dont certains tenants se sont toujours indignés de la distance qui sépare la cité de Dieu de celle des hommes. A l'appui de sa remarque, il s'est notamment référé à Saint Thomas d'Aquin et Luther. Il a estimé que, pour lutter efficacement contre le terrorisme islamiste radical, il fallait au préalable en comprendre les rouages, les tenants et les aboutissants. Il a attiré l'attention, à cet égard, sur le fait qu'Oussama Ben Laden n'était pas le fils de n'importe quel immigré yéménite en Arabie Saoudite, mais bien le descendant d'une lignée croyante et accueillante pour les pélerins de l'islam. Analysant les moyens employés dans la lutte contre le terrorisme islamiste radical, il a souligné la nécessité d'accroître la coopération internationale et européenne tout en craignant qu'une fois le danger passé, chaque pays retrouve ses égoïsmes nationaux traditionnels. Il a plaidé pour l'adoption d'un Livre blanc européen établissant une analyse commune des menaces et pour le renforcement de la coopération entre les services de police, de renseignement et de justice, dont il a tenu à souligner qu'ils n'avaient pas été pris en défaut en France par le passé. Il a ensuite mis l'accent sur la nécessité de lutter plus efficacement contre le financement international du terrorisme, notamment par la création d'un observatoire international contre l'utilisation criminelle des fonds qui soit plus représentatif que le groupe d'action contre le financement international (GAFI). Revenant sur la coordination des services de renseignement, il a estimé qu'il fallait s'interroger sur le rôle du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN), dont il a regretté que les fonctions ne soient pas décisionnelles comme celles du Conseil national de sécurité américain, qu'il a cité, à titre personnel, comme un exemple dont il faudrait s'inspirer. Il a également insisté sur la nécessité de développer la défense civile, dont l'état lui est apparu embryonnaire et d'organiser à brefs délais, au niveau territorial, un système de réserves opérationnelles, capables d'appuyer et de suppléer éventuellement les interventions de la Gendarmerie départementale. Parmi les propositions de la mission d'information dont il a souligné le caractère réaliste, notamment dans leurs aspects techniques, M. Bernard Grasset a plus particulièrement cité l'attribution d'effectifs supplémentaires aux services de renseignement, l'étude approfondie du potentiel des drones et l'acquisition d'un second porte-avions. Mettant en exergue le rôle déterminant du renseignement dans le combat contre le terrorisme, il a estimé que l'accroissement de ses capacités tant humaines que techniques devait à présent faire l'objet d'un traitement prioritaire. Concluant son propos, il a fait valoir que le terrorisme international d'inspiration islamiste ne s'éteindrait pas avec l'élimination des principales infrastructures logistiques et de commandement d'Al Qaida. Il a souligné que les moyens de communication et d'action modernes lui offraient de considérables capacités de nuisance et jugé que cette alliance de l'archaïsme religieux et d'Internet représentait une menace particulièrement difficile à traiter. Exprimant sa satisfaction que la Commission se soit saisie de la question essentielle du terrorisme et qu'elle ait ouvert un débat utile pour le pays, M. Pierre Lellouche a cependant souligné la faible association du Parlement aux actions de sensibilisation de l'opinion publique à cette menace et aux mesures destinées à la combattre. Il a regretté à cet égard que sa demande de convocation du Parlement en session extraordinaire immédiatement après les attentats du 11 septembre n'ait pas été satisfaite, contrairement à la pratique suivie par de nombreux autres pays européens et que les débats parlementaires tenus par la suite aient été largement convenus. Estimant que la justesse d'une grande partie des analyses du rapport contrastait avec la modestie de ses recommandations, il a considéré que des propositions beaucoup plus ambitieuses s'imposaient face à ce tournant dans les évolutions stratégiques. Il s'est, à ce propos, inquiété des conséquences d'une atténuation de la pression de l'opinion publique lorsque les opérations d'Afghanistan seraient terminées et du risque d'une baisse de vigilance devant une menace qui perdurerait. Il s'est ensuite demandé si, en faisant de l'humiliation du monde musulman l'une des causes majeures du terrorisme international, le rapport de la mission d'information ne témoignait pas d'une certaine timidité dans l'analyse. Après avoir fait valoir que, ni le judaïsme ni les différentes confessions chrétiennes, notamment depuis la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, n'envisageaient la conversion de force et la conquête, il a estimé que, s'il fallait se garder d'identifier islam, islamisme et terrorisme, il n'était en revanche pas possible d'écarter tout lien entre l'islamisme radical et l'organisation politique et sociale prescrite par le Coran et reconnue comme modèle par de nombreux pays du monde musulman. Il a alors récusé l'argument selon lequel l'humiliation du monde musulman et l'absence d'accord de paix au Proche-Orient seraient à l'origine du terrorisme international. Il a, à ce propos, fait observer que les mouvements islamistes radicaux et terroristes comme Al Qaida s'étaient précisément développés pendant la période qui avait suivi la conclusion des accords d'Oslo et au cours de laquelle jamais le processus de paix au Proche-Orient n'avait autant progressé. Il a également jugé que la cause de l'humiliation ressentie par le monde musulman tenait à l'absence de perspectives démocratiques et d'enracinement de l'économie de marché. Ajoutant que nombre d'intellectuels musulmans réfléchissaient aux moyens de surmonter cette situation, il a estimé qu'une aide devait leur être apportée sur ce point. M. Pierre Lellouche a ensuite convenu que, comme l'indiquait le rapport, les Etats-Unis n'avaient aucun besoin du concours de leurs alliés pour mener leurs opérations en Afghanistan. Il a toutefois estimé que la faiblesse de la contribution des pays européens mettait en lumière le décalage grandissant de leurs capacités avec celles des Etats-Unis. Il s'est alors demandé si l'accroissement de cet écart n'allait pas conduire à une situation où les Européens ne pourraient plus participer à des actions militaires conduites par les Etats-Unis et devraient limiter leur rôle au maintien de la paix et à la reconstruction civile. Après avoir souligné l'importance que revêtait le recueil des preuves pour permettre aux Etats-Unis d'obtenir l'accord de leurs alliés et l'aval de l'ONU pour leurs actions actuelles et peut-être futures, il a observé qu'une attaque de grande ampleur dirigée contre les symboles de la puissance nationale, dès lors qu'elle n'était pas signée et qu'elle ne prenait pas elle-même la forme d'une frappe nucléaire, ne pouvait pas donner lieu à une riposte nucléaire. Il a alors considéré que le contournement de la dissuasion observé à cette occasion appelait un débat sur les limites de la protection offerte par l'armement nucléaire, quelle qu'en soit par ailleurs la nécessité pour la France. Après s'être déclaré en accord avec la proposition d'acquisition d'un deuxième porte-avions mais contesté le lien établi entre cette acquisition et les choix britanniques, il a estimé que le rapport ne se prononçait pas de manière assez nette sur la nécessité d'un accroissement sensible de l'effort d'équipement militaire au moment où d'importantes annulations de crédits étaient opérées sur le titre V du budget de la Défense. Il a regretté à ce propos que les nouvelles nécessités de la défense n'aient donné lieu ni à la présentation d'un collectif budgétaire ni à une révision du projet de loi de programmation militaire. Enfin, estimant que la question de la défense du territoire méritait d'être réexaminée, il a considéré qu'une réorganisation des réserves était indispensable pour assurer le maillage du territoire. Il s'est alors demandé si, pour assurer cette défense, un volant de jeunes gens, formés pendant deux ou trois mois, ne devait pas venir en renfort des réservistes issus de l'armée professionnelle. Il s'est enfin interrogé sur la prise en compte des menaces radiologiques, chimiques et biologiques, se demandant si les crédits nécessaires avaient été inscrits pour financer notamment la fabrication d'antidotes et la formation des personnels. Après avoir souligné le danger des régimes théocratiques, M. Robert Poujade a observé que la plupart des pays du monde arabo-musulman, à l'exception notable de la Turquie, n'étaient pas encore parvenus à se dégager de cette forme de pouvoir. Après avoir salué la qualité des analyses et des propositions du rapport, M. Guy-Michel Chauveau s'est interrogé sur la nécessité d'étendre la réflexion à l'examen de la place d'une Europe élargie, y compris au Bassin méditerranéen, dans le dispositif de lutte contre le terrorisme, en insistant sur l'importance du rôle de l'Union européenne ainsi que de l'ONU. Il a estimé que la nouvelle situation stratégique issue des attentats du 11 septembre nécessitait la création d'un espace européen de sécurité sur la base d'un approfondissement de la coopération entre l'OTAN et la Russie. Il a par ailleurs considéré que la mise à disposition de capacités militaires par de nombreux pays alliés ou partenaires des Etats-Unis revêtait une signification plus politique qu'opérationnelle. Après avoir insisté sur l'importance pour la sécurité internationale des mesures de confiance élaborées dans le cadre de l'ONU, il a déploré que les Etats-Unis aient rejeté, pour des motifs essentiellement économiques, tout dispositif de transparence et de contrôle permettant de vérifier le respect de l'interdiction des armes biologiques prévue par la convention de 1972. Il a ajouté que la question de l'approfondissement d'un dialogue entre l'Union européenne et le monde arabo-musulman restait posée, en se déclarant néanmoins optimiste quant aux possibilités de lui donner une nouvelle dimension dans un cadre englobant à la fois les pays du Bassin méditerranéen mais également ceux du Caucase et associant la Russie. Enfin, il a souligné le contraste entre l'admission de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la suspicion que font encore peser à son égard les Etats-Unis quant à ses intentions militaires. M. Jean Briane a souligné que les attentats du 11 septembre nécessitaient, de la part des pays occidentaux, de profondes mises en question de leurs conceptions de défense et de sécurité. Puis, il a insisté sur l'importance de la dimension européenne dans le réexamen général des politiques de défense. M. Jean-Noël Kerdraon a regretté que les difficultés du déploiement des éléments français destinés à intervenir en Afghanistan aient nui à la perception, par l'opinion, de l'état des capacités militaires de la France. Il a ensuite considéré que les événements du 11 septembre avaient mis en lumière la vulnérabilité des principales infrastructures civiles mais aussi militaires. Il a, à ce propos, mentionné la base sous-marine de l'Ile Longue dont la défense aérienne a d'ailleurs été récemment renforcée avec le prépositionnement de Mirage 2000 et le déploiement de missiles Crotale. M. Jean-Claude Viollet a tenu à souligner la qualité du rapport rappelant qu'il avait été réalisé dans des délais particulièrement brefs. Concernant le rôle joué par les armées françaises en Afghanistan, il a relevé que l'intervention militaire de notre pays avait strictement répondu aux demandes formulées par les Etats-Unis. Il a par ailleurs insisté sur la nécessité de réactiver le concept de défense globale en en tirant toutes les conséquences tant en matière de projection des forces que de défense du territoire. Il a souligné l'importance de la défense civile, jugeant que des moyens appropriés devaient lui être affectés notamment pour la protection NBC et la sécurisation des centres d'approvisionnement en énergie et eau potable. La complémentarité et l'interopérabilité des moyens civils et militaires doivent être mieux assurés. Les difficultés à résoudre portent notamment sur la mise en place des réserves, la répartition des moyens sur le territoire, l'établissement d'une chaîne de commandement efficace, la mise en cohérence des structures territoriales civiles et militaires, le développement des capacités de projection intérieure et l'information ainsi que l'association de la population. M. Jean-Yves Le Drian a rappelé que le chef d'état-major des armées, interrogé sur les inflexions à apporter à la politique d'équipement militaire après les événements du 11 septembre, avait fait état d'un besoin de financement de 9 milliards de francs. Or, 3 milliards ont d'ores et déjà été inscrits dans la loi de finances rectificative. M. Jean-Yves Le Drian a ensuite regretté le mépris dont les armées font trop souvent l'objet alors qu'elles sont très présentes sur de nombreux théâtres, des Balkans à l'Afrique et que leurs capacités en font un instrument de premier ordre. Le Président Paul Quilès a jugé que certains commentaires sur la participation des différents pays européens à la gestion de la crise afghane donnaient l'impression regrettable qu'il s'agissait des « jeux olympiques de la guerre » où l'on chercherait à occuper la meilleure place sur le podium. M. René Galy-Dejean, rapporteur, a souligné le caractère consensuel du travail réalisé, tant en ce qui concerne la démarche que les conclusions du rapport. Il a ajouté que ce rapport n'avait pas l'ambition de répondre à l'ensemble des questions soulevées par les attentats du 11 septembre mais d'offrir une base de travail utile. M. Jean-Claude Sandrier a qualifié le rapport d'excellent. Il a indiqué qu'il proposerait une contribution qui viserait à approfondir l'analyse des causes du conflit actuel et de certaines motivations des Etats-Unis, notamment en matière d'approvisionnement en énergie. M. Roland Garrigues a demandé si un inventaire des travaux réalisés par d'autres parlements sur le terrorisme international pouvait être établi. M. Robert Poujade a évoqué le risque qu'il y aurait à abandonner l'Afghanistan à ses luttes ethniques et tribales sitôt le conflit terminé. Un éventuel retour des Taliban serait alors à redouter. Le Président Paul Quilès a précisé que le rapport proposait une aide économique massive à ce pays de la part de la communauté internationale. La Commission de la Défense a alors décidé, à l'unanimité, d'autoriser, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001. CONTRIBUTION PARLEMENTAIRE Ce rapport d'information est un document essentiel pour analyser les raisons des attentats du 11 septembre 2001, réfléchir sur les moyens de lutte contre le terrorisme et indiquer des propositions pour améliorer ces moyens. Source de réflexions menées pratiquement à « chaud », ce rapport a le défaut de sa qualité et notamment un recul insuffisant pour une analyse plus large des causes. La place prépondérante accordée à l'histoire de l'islam politique et à la problématique intra-islamique occulte en grande partie deux données qui paraissent pourtant fondamentales : - la première qu'a traduite Alain Joxe, Directeur de recherches à l'EHESS : « Ben Laden n'est qu'un symptôme. Cet extrémisme terroriste manifeste l'état du monde ». Cette phrase nous invite non seulement à nous pencher sur cet état du monde, mais nous indique une des bases essentielles de recherche et d'action pour préserver et développer la sécurité sur notre planète aujourd'hui. Les écarts qui se creusent entre les plus riches et les plus pauvres, les exclusions, les frustrations qu'elles engendrent sont le terreau sur lequel grandissent les fanatismes. Il en est de même avec les conflits non résolus, les dégâts provoqués par l'idéologie du laisser-faire qui prône le déclin de l'Etat, les dérégulations, le refus des ingérences publiques, la liberté absolue des paradis fiscaux et de la circulation de l'argent... ; - la deuxième donnée occultée réside dans les méthodes de domination ou de « gestion » de leurs intérêts économiques par les Etats-Unis dont l'Afghanistan peut figurer parmi les cas d'école. L'aide apportée à Ben Laden puis aux Taliban pour assurer un pouvoir politique susceptible de ne pas contrarier les projets américains concernant l'exploitation des ressources énergétiques de cette région en est une dramatique illustration... Autre élément méritant précisions, il concerne l'efficacité de la lutte contre le terrorisme. Sa légitimation et l'efficacité à long terme ne peuvent venir que de l'ensemble de la Communauté Internationale, ce qui veut dire de l'ONU. La sécurité du monde demande que son rôle soit revalorisé, son fonctionnement démocratisé, ses décisions appliquées. De même la longue et intéressante réflexion sur l'OTAN doit être prolongée. L'attitude des Etats-Unis, de la Russie, des pays européens pose la question de son dépassement et de la création d'une véritable entité européenne de sécurité collective et au sein de l'Europe d'une capacité autonome de Défense et de lutte contre le terrorisme. Enfin l'action contre le terrorisme, si elle ne peut être que multiforme comme indiqué dans le rapport, nous montrera dans la durée qu'elle ne saurait être essentiellement militaire. De ce point de vue et pour n'en prendre qu'un aspect la Défense civile, interne à chaque pays, fera renaître rapidement le débat sur un complément indispensable à une armée professionnelle que les uns voient dans la montée en puissance de « réserves » et que d'autres, dont nous sommes, imaginent La lutte contre le terrorisme doit être une responsabilité collectivement assumée au plan international, elle doit l'être également au plan national, cela suppose notamment de revoir l'article 35 de la Constitution qui, sur cette question essentielle, met « hors jeu » le Parlement. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES - M. Michael BARRY, Chercheur à l'Institut d'études iraniennes de la Sorbonne ; - M. Antoine BASBOUS, Directeur de l'Observatoire des pays arabes ; - Amiral Jean-Louis BATTET, Chef d'état-major de la Marine(1) ; - M. Patrice BERGOUGNOUX, Directeur de la Police nationale ; - M. Yves BERTRAND, Directeur central des Renseignements généraux ; - M. Alain CADIOU, Directeur général des Douanes et des Droits indirects ; - Général Yves CRÈNE, Chef d'état-major de l'armée de Terre(1) ; - M. Bruno ETIENNE, Professeur à l'IEP d'Aix-en-Provence ; - M. Robert FINIELZ, Directeur des Affaires criminelles et des Grâces ; - M. Michel FOUCHER, Directeur du Centre d'Analyse et de Prévision ; - M. Stéphane FRATACCI, Directeur des Libertés publiques et des Affaires juridiques ; - M. Jean-Claude GAYSSOT, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement ; - M. Jean-Louis GERGORIN, Vice-président exécutif, chargé de la coordination stratégique au sein du groupe EADS ; - M. Dominique GIRARD, Directeur de l'Asie et l'Océanie ; - M. Pierre GRAFF, Directeur général de l'Aviation civile ; - M. Bruno GRANGE, Haut fonctionnaire de défense du ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement ; - Général Jean-Pierre JOB, Chef d'état-major de l'armée de l'Air(1) ; - Général Jean-Pierre KELCHE, Chef d'état-major des Armées(1) ; - M. Gilles KEPEL, Directeur de recherches au CNRS ; - Mme Marylise LEBRANCHU, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux ; - M. Jean-Claude MALLET, Secrétaire général de la Défense nationale ; - M. Jean-Jacques PASCAL, Directeur de la Surveillance du Territoire ; - M. Alain RICHARD, Ministre de la Défense ; - M. Patrick RIOU, Directeur central de la Police judiciaire ; - M. Olivier ROY, Directeur de recherches au CNRS ; - Mme Françoise RUDETZKI, Déléguée générale de l'association SOS Attentats ; - M. Michel SAPPIN, Directeur de la Défense et de la Sécurité civiles ; - M. Pierre STEINMETZ, Directeur général de la Gendarmerie nationale(1) ; - M. Henri TINCQ, journaliste au quotidien Le Monde ; - M. Daniel VAILLANT, Ministre de l'Intérieur ; - M. Hubert VEDRINE, Ministre des Affaires étrangères. NOTE DE M. JEAN-CLAUDE VIOLLET, DÉPUTÉ DE LA CHARENTE, SÉCURITÉ INTÉRIEURE ET SÉCURITÉ CIVILE I / TERRITOIRE NATIONAL ET MENACES TRANSNATIONALES La menace la plus importante à l'heure actuelle et la plus visible depuis le 11 septembre 2001 est la menace terroriste. En effet, les attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis et la logique de guerre connexe ont placé les responsables français de la prévention des risques devant un défi de grande ampleur. Dans ce contexte, il convient de s'interroger sur les dysfonctionnements éventuels de dispositifs qui pourraient être dépassés. Face à des situations inédites, une obligation d'amélioration de la cohérence de l'organisation doit guider toute réforme. Le principe de précaution, utilisé dans le domaine de la sécurité alimentaire, pourrait être le fil directeur permettant d'anticiper des attaques éventuelles et de revoir certaines dispositions dans le champ de la sécurité. II / DÉFENSE ET SÉCURITÉ La défense et la sécurité constituent des objectifs vitaux pour le territoire d'un pays. Il s'agit d'abord d'une sécurité nationale protégeant l'État et assurant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Il s'agit ensuite de la sécurité sociétale, protégeant la population. C'est pourquoi la protection civile est devenue une mission de grande ampleur nécessitant des moyens accrus et une meilleure organisation. L'article premier de l'ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense stipule que « la défense a pour objet d'assurer en tout temps et en toutes circonstances et contre toute forme d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population ». La défense est donc globale et comporte une phase de gestion de la crise par l'autorité civile lorsque les circonstances sont exceptionnelles. Le concept de défense et de sécurité doit également être adaptable en fonction des crises diverses aux origines multiples : catastrophes naturelles, feux de forêts, risques technologiques et industriels, terrorisme avec menaces nucléaires, bactériologiques, chimiques. Les risques peuvent également toucher de grands secteurs (télécommunications et électricité) et se répercuter alors sur toute la chaîne des autres secteurs. Face à une telle situation les forces armées ne sont pas les seules à intervenir, plusieurs autres acteurs sont concernés. L'État a, en effet, entamé un processus de décentralisation au niveau des collectivités locales et s'est déconcentré pour être plus proche du terrain. Il a créé des organismes de plus en plus autonomes comme les autorités indépendantes de régulation. L'État s'est privatisé de plus en plus par rapport à ses grandes activités industrielles. LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE Globalement, la sécurité intérieure est un état résultant de l'absence réelle ou ressentie de dangers concernant les personnes et les biens. Face à une gestion de crises impliquant des acteurs aussi divers que la population, les associations, les entreprises, France Télécom, EDF, GDF, les opérateurs de transport, les opérateurs de téléphonie mobile..., le rôle de l'État est un rôle de coordination afin de maintenir la tranquillité, la sécurité, la défense et la préservation du territoire. Plus précisément, la notion fort ancienne de sécurité doit être considérée comme synonyme de celle de « sécurité intérieure ». Cette dernière notion s'est imposée dans les discours, depuis 1990, sur l'agenda public et dans les réalisations. La sécurité intérieure renvoie à son contraire : la sécurité extérieure. A la faveur de la diffusion de la menace terroriste, la frontière entre problèmes policiers et militaires est devenue plus floue. Sur un plan particulier, l'idée de sécurité intérieure doit être mise en relation avec les projets de modernisation de la Police nationale entrepris depuis le début des années 80. Ainsi, l'intitulé « sécurité intérieure » est notamment apparu en 1989 lors de la création de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), organisme du Ministère de l'intérieur ayant pour fonction la formation des responsables des institutions de sécurité, ainsi que la réalisation et la diffusion d'études et de recherches sur les phénomènes policiers et les politiques publiques de sécurité et plus récemment, un rôle de conseil et d'expertise auprès des collectivités locales concernant les contrats locaux de sécurité. Cette notion de sécurité intérieure traduit l'hétérogénéité et la complexité des questionnements en permettant de dépasser le seul cadre policier des problèmes de sécurité. Ainsi, la sécurité intérieure est un domaine partagé entre différents départements ministériels : l'Intérieur (Police et Sécurité civile), mais aussi la Justice (Administration pénitentiaire), la Défense (Gendarmerie) ou encore l'Économie et les Finances (Douanes). La création récente du Conseil de sécurité intérieure (CSI) institutionnalise ce caractère interministériel. Domaine réservé du gouvernement, avec prépondérance du ministre de l'Intérieur, la sécurité intérieure peut être décomposée en trois volets : la sécurité publique ; la sécurité civile, qui rassemble les moyens mis en _uvre face aux accidents et catastrophes naturelles et technologiques ; la sécurité privée. L'idée de sécurité intérieure entreprend une mise en perspective de la compréhension des phénomènes sécuritaires avec le fonctionnement global de la société, tout en permettant une approche internationale indispensable pour lutter efficacement contre le fléau du terrorisme. Il convient alors de déterminer les évolutions en cours dans la Police et la Gendarmerie. Le système policier français se caractérise par deux éléments : le centralisme et le dualisme. Le caractère dualiste procède de l'existence de deux forces de police différentes par leur statut et leur histoire, ainsi que par leur mode d'organisation et de fonctionnement. La caractéristique d'extrême centralisation s'explique par la complexité de l'action territoriale de la Police. Dans sa configuration actuelle, la Police nationale se présente comme une institution de 115 000 fonctionnaires actifs (dont 9 % de femmes), auxquels il faut ajouter 12 500 agents administratifs, 1 500 policiers auxiliaires et 16 000 adjoints de sécurité. Le Gendarmerie nationale est l'héritière des Maréchaussées d'Ancien régime et l'une des plus vieilles institutions françaises, même si elle ne voit le jour qu'avec la Révolution. Elle est encore régie aujourd'hui par la loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798). La Gendarmerie regroupe aujourd'hui 97 000 hommes, c'est-à-dire, en effectifs, 20 % des forces armées et 40 % des forces de police. Compte tenu des répartitions de compétence avec la Police nationale, la Gendarmerie a en charge la responsabilité de la sécurité publique sur environ 95 % du territoire et au profit de 50 % de la population. Elle traite en moyenne, chaque année plus de 25 % des crimes et délits constatés, ainsi que 40 % des accidents de la circulation. II convient également de mesurer toute la dimension internationale de la sécurité intérieure. LA DÉFENSE CIVILE La défense civile repose sur le ministère de l'Intérieur en application de l'ordonnance de 1959 et des décrets de 1965. La défense civile est l'héritage de la sécurité civile et celui de l'ancienne défense passive. Toutes ces composantes ont été fusionnées au sein du ministère de l'intérieur, dans la Direction de la défense et de la sécurité civile, placée sous la direction du Haut fonctionnaire de défense (HFD). II existe de nouvelles menaces et le concept de sécurité doit être entendu dans une conception élargie. En effet, il peut s'agir de sécurité face à des catastrophes, de sécurité contre des actes terroristes et même de sécurité alimentaire. Face à un concept de sécurité qui engendre un continuum de la sécurité entre sécurité intérieure et sécurité extérieure et dans un contexte où deux tiers environ des départements ne possèdent plus aucune implantation militaire, il convient d'engager une véritable coopération. La défense civile repose principalement, au niveau de l'Etat, sur l'engagement de la Police nationale qui dispose de 130 000 policiers, et sur les unités de sécurité civile, soit 1 600 hommes. Il faut ajouter les démineurs et les pilotes. Avec 40 hélicoptères et 30 avions, la sécurité civile dispose de la deuxième flotte après celle de la défense, pour éventuellement intervenir à l'étranger. Les agents des collectivités locales représentent 230 000 pompiers (30 000 professionnels et 200 000 volontaires), 30 000 policiers municipaux environs. Avec les associations (50 000 personnes appartenant notamment à la Croix-Rouge française et à la Fédération nationale de protection civile) et les Samu, ce sont près de 500 000 personnes qui jouent un rôle primordial. En ce qui concerne les forces armées et la défense civile, la zone de défense est la structure civilo-militaire territoriale adaptée à la gestion de la crise intérieure. Le concept de défense opérationnelle du territoire (DOT) existe encore, même si le changement de nature des menaces vient consacrer un continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. L'officier général de la zone de défense est le responsable militaire de la défense civile (fonction essentiellement interarmées) et coordonne l'action des forces des trois armées et celle des services interarmées. La chaîne interarmées comporte des niveaux différenciés : le préfet a pour correspondant militaire le délégué militaire départemental (DMD). La zone de défense regroupe un certain nombre de départements. Le centre opérationnel interarmées (COIA) est, à Paris, l'échelon central de la chaîne et, au-dessus, il y a l'échelon interministériel (ministère de la Défense et ministère de l'Intérieur). Le rôle de la chaîne interarmées de défense est d'apprécier rapidement un phénomène afin d'agir efficacement. En ce qui concerne la coopération civilo-militaire, le problème provient du fait qu'une catastrophe peut avoir un périmètre étendu et concerner plusieurs acteurs. Chaque préfet de zone dispose d'un état-major avec une cellule de veille, assurant une permanence 24 heures sur 24. Cette cellule est tenue par des sapeurs pompiers, des policiers, des militaires mis à disposition, qui proviennent des unités de sécurité civile. La zone de défense est en mesure d'obtenir des informations de la part des préfets de département sur un événement, de recevoir des demandes de renfort venant de leur part. Le préfet de zone peut accepter ou refuser celles-ci et peut s'adresser à l'officier général de la zone de défense qui va déterminer la nature et le volume des moyens qu'il peut mettre en place pour faire face à la situation. Si l'incident est de grande ampleur ou s'il existe un chevauchement de compétences, l'échelon central doit être privilégié. Le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) dirigé par le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'Intérieur est à côté et en liaison permanente avec le centre opérationnel interarmées (COIA) et reste informé de tout ce qui se passe sur le territoire. Le COIA et le Cogic coopèrent étroitement dans des domaines particuliers. Ces deux chaînes sont constamment informées et peuvent trouver la solution optimale à un problème donné. Cette coopération est amenée à se développer avec la montée en puissance des préfets de zone et leur états-majors, et le rôle stratégique pris par le centre opérationnel du ministère de l'Intérieur, chargé de la coordination interministérielle. Un projet de loi redéfinissant l'organisation de la sécurité civile est en préparation. Le préfet de zone disposerait de nouvelles compétences et de moyens de secours propres. Les plans de secours seraient réformés autour du plan Orsec. Les gestionnaires privés de réseaux d'eau, de téléphone et de transmission de données devraient élaborer des plans de sécurité et désigner des correspondants auprès des maires et des préfets. Un dispositif spécifique contre les inondations est prévu. Une action en direction des associations concernées par la sécurité civile est également envisagée. III / ANALYSE DES PHENOMENES ET PROPOSITIONS DE SOLUTIONS La Commission de la Défense de l'Assemblée nationale a décidé de créer une mission d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001. Plus particulièrement, il convient de traiter des questions relevant de la sécurité intérieure et de la sécurité civile. En effet, il faut se demander dans quelle mesure les attentats vont avoir une incidence sur la sécurité et son organisation et comment anticiper les risques pour sécuriser le territoire. Plusieurs points doivent retenir notre attention : * La réalisation d'une évaluation de l'état de nos forces dans le domaine de la défense et de la sécurité (volumes, structure, équipements et répartition géographique). * La question des chaînes de commandements devrait nous permettre de déterminer qui gouverne. * Les retours d'expériences concernant la tempête de 1999, les inondations de la Somme, l'explosion de l'usine AZF sur Toulouse, le plan Vigipirate renforcé, devraient venir enrichir notre réflexion. * Une étude précise du phénomène de la menace terroriste, envisagée dans ses versions chimiques et bactériologiques, serait nécessaire dans une optique de défense globale. * Une analyse des secteurs vitaux potentiellement en situation de risque devrait être effectuée (électricité, eau potable, communication, transports, santé). * Une approche comparative européenne devrait permettre de nous questionner sur la réactivité de nos forces. · Enfin des propositions concrètes concernant le champ de la sécurité (plus particulièrement la sécurité intérieure et la sécurité civile) permettraient d'anticiper les menaces terroristes transnationales et de consacrer une stratégie de puissance des fondements de l'Etat. ------------------------------------------------------- N° 3460- Rapport d'information de MM. QUILÈS ,GALY-DEJEAN et GRASSET, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001 (commission de la défense) 1 Audition de M. Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes, le 31 octobre 2001. 2 Audition de M. Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, le 25 septembre 2001. 3 Audition de M. Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, le 25 septembre 2001. 4 Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, le 20 novembre 2001. 5 Audition de M. Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, le 25 septembre 2001. 6 Audition de Michael Barry, chercheur à l'Institut d'études iraniennes de la Sorbonne, le 5 décembre 2001. 7 Audition de M. Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS, le 25 septembre 2001 8 Audition de M. Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes, le 31 octobre 2001. 9 Audition de M. Bruno Etienne, professeur à l'université d'Aix en Provence, le 5 décembre 2001. 10 Audition de M. Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, le 31 octobre 2001. 11 Audition de M. Gilles Kepel, chercheur au CNRS, le 21 novembre 2001. 12 Date anniversaire de l'appel du Roi Fahd d'Arabie Saoudite aux troupes américaines pour protéger son pays au lendemain de l'invasion du Koweït par l'Irak, à l'été 1990. 13 De nombreuses organisations caritatives islamiques sont en effet soupçonnées d'avoir reversé une partie de leurs ressources à Al Qaida ou de lui avoir fourni un soutien logistique et des combattants. 14 Celle-ci est estimée à 300 millions de dollars. 15 Hyperterrorisme : la nouvelle guerre, Fondation pour la recherche stratégique, Paris, 2001. 16 Rapport d'information n° 2788 de MM. Pierre Lellouche, Guy Michel Chauveau et Aloyse Warhouver : La France et les bombes : les défis de la prolifération des armes de destruction massive, 7 décembre 2000. 17 Rapport du 2ème phase du comité 3 de la 51ème session nationale de l'IHEDN : défense et sécurité intérieure : quelle frontières, quelles interactions ?, mai 1999. 18 Jean-Luc Marret : techniques du terrorisme, PUF, mai 2000, p. 77. 20 Ce chiffre a beaucoup évolué et il est possible qu'il soit encore revu à la baisse. 21 Voir à ce sujet l'ouvrage précité de Jean-Luc Marret, p. 143. 22 Voir sur ce point le rapport d'information n° 2788 de MM. Pierre Lellouche, Guy Michel Chauveau et Aloyse Warhouver : La France et les bombes : les défis de la prolifération des armes de destruction massive, 7 décembre 2000. 23 Dans une interview publiée le 9 novembre 2001 par le quotidien pakistanais Dawn, Oussama Ben Laden aurait déclaré : « Je déclare que si l'Amérique utilise des armes chimiques ou nucléaires contre nous, alors il se pourrait que nous répliquions avec des armes chimiques et nucléaires. Nous possédons ces armes de dissuasion. » 24 Edition du quotidien Libération, en date des 3 et 4 novembre 2001. 25 Cet attentat s'est tout de même traduit par 12 victimes et 5 500 blessés. 26 Voir à ce sujet l'ouvrage précité de M. Jean-Luc Marret, p. 18. 27 Il s'agit du laboratoire P 4 de la Fondation Mérieux ; il se trouve à Lyon. 28 Compte rendu n° 38 de la Commission de la Défense, 29 mai 2001, audition du Secrétaire général de la Défense nationale, M. Jean-Claude Mallet, sur l'évolution des données stratégiques. 29 Audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, le 5 décembre 2001. 30 Rapport d'information n° 2961 de M. Paul Quilès : Défense antimissile : de la mythologie aux réalités, 28 mars 2001. 31 Audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, le 5 décembre 2001. 32 Barthélemy Courmont « L'hyperpuissance américaine et la dissymétrie » in Pascal Boniface (dir.), Les leçons du 11 septembre, IRIS, PUF, 2001. 33 Evaluation de M. François Heisbourg, directeur de la fondation pour la recherche stratégique. 34 Audition de M. Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes, le 25 septembre 2001. 35 Première partie du projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 - 2008, pp. 15 et 16. 36 Audition de Mme Françoise Rudetzki, déléguée générale de l'association SOS-attentats, le 27 novembre 2001. 37 Compte rendu n° 18 de la Commission de la Défense, 22 novembre 2001. 38 Audition conjointe des Ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Défense par les Commissions de la Défense et des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 14 septembre 2001. 39 Terminologie employée par M. Christophe Jaffrelot in Le Pakistan, Fayard, 2000. 40 Audition conjointe des Ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Défense par les Commissions de la Défense et des Affaires étrangères, le 14 septembre 2001. 41 Certains membres de la Commission de la Défense proposent que cet article soit révisé pour tenir compte des conditions actuelles de l'emploi de la force armée. 42 Les comparaisons internationales ne sont pas faciles, car chaque pays dispose de services de renseignement aux missions, à l'organisation et à l'histoire propres. Pour les seules fonctions techniques du renseignement, les agences américaines emploient entre 30 et 40 000 personnes. La CIA compte à elle seule 17 000 personnels pour un budget de 3 milliards de dollars. Les capacités de la DGSE doivent être comparées avec celles des services de renseignement des deux nations européennes coopérant le plus avec la France en ce domaine : le M I6 britannique, qui emploie quelque 3 000 personnes pour un budget de 300 millions de lires sterling et le BND allemand, qui recourt quant à lui à 6 000 personnes avec un budget d'environ 130 millions d'euros. 43 Là non plus, les comparaisons internationales ne sont pas aisées. Ainsi, aux Etats Unis, la Defense Intelligence Agency américaine, qui emploie 7 000 personnes pour un budget annuel d'environ 1 milliard de dollars, coexiste avec les services de renseignement de chaque armée (Navy, Air Force, Army). En Allemagne, l'état-major des Armées dispose d'un service de renseignement qui lui est propre, mais c'est le BND qui est le service opérationnel. Le Defence Intelligence Staff britannique (700 personnes à Londres et 4 600 au total, pour un budget de 2 milliards de livres sterling environ) est sans doute le service qui se rapproche le plus de la DRM, mais là encore, il présente certaines spécificités. 44 Les soldats du 13ème Régiment de Dragons Parachutiste (RDP) remplissent bien souvent des missions similaires à celles du COS, mais ils ne lui sont pas rattachés. 45 Compte rendu n° 6 de la Commission de la Défense, 16 octobre 2001, audition du Chef d'état-major de l'armée de Terre, le Général Yves Crène, sur les crédits du projet de loi de finances pour 2002. 46 Il était envisagé auparavant d'acquérir dix exemplaires au cours de la prochaine programmation militaire 2003-2008. 47 Rapport d'information n° 3317 de M. Jean-Yves Le Drian, Aéronautique navale : missions et vocations de l'Aviation navale, 10 octobre 2001. 48 Compte rendu n° 10 de la Commission de la Défense, 23 octobre 2001, audition du Chef d'état-major de la Marine, l'Amiral Jean-Louis Battet, sur les crédits du projet de loi de finances pour 2002. 49 Avec 4 500 gendarmes mobiles et policiers. Le nombre total de militaires affectés au plan Vigipirate renforcé s'élève à un millier. Des forces de troisième catégorie pourraient prochainement s'y ajouter. 50 La gendarmerie de l'Air a augmenté ses patrouilles de 20 %. 51 Il convient de souligner que 350 réservistes ont été mobilisés en permanence pour le passage à l'euro et que 300 autres participent quotidiennement aux opérations du plan Vigipirate. 52 A l'occasion du colloque « La réserve, mode d'emploi », le 17 novembre 2001. 53 Compte rendu n° 1 de la Commission de la Défense, 3 octobre 2001, audition du Chef d'état-major des Armées, le Général Jean-Pierre Kelche, sur les crédits du projet de loi de finances pour 2002. 54 Trois Alouette 3 pour la détection de nuit et des hélicoptères légers de type Fennec pour la surveillance de jour. 55 Le Premier ministre assure la direction générale des opérations de sûreté aérienne pouvant conduire à contraindre un aéronef dont le comportement est suspect : l'autorité militaire (le Général commandant la défense aérienne et les opérations aériennes depuis la base de Taverny) a délégation pour conduire les opérations courantes mais la décision d'ouverture du feu sur un aéronef civil relève de la responsabilité de l'autorité gouvernementale, en application de la Convention de Chicago. Par contre, c'est le Chef d'état-major des Armées qui est en charge de la défense aérienne, mission qui consiste à s'opposer à d'éventuels agresseurs dans l'espace aérien national. 56 De la sorte, la défense aérienne de la façade ouest du pays a été renforcée. 57 L'arrêté du 23 octobre 2001, portant création d'une zone interdite temporaire dans la région de La Hague, a ainsi prohibé tout survol de l'usine de la COGEMA dans un rayon de 10 kilomètres et à une altitude inférieure à 5 000 pieds (1 524 mètres), contre un rayon de 1 kilomètre et une altitude inférieure à 1 000 pieds (un peu plus de 300 mètres) auparavant. 58 Avis n° 3323 de M. René Galy-Dejean au nom de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées sur les crédits de la dissuasion nucléaire ; projet de loi de finances pour 2002, Tome II. 59 Audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, le 5 décembre 2001. 60 Audition de M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux, le 3 octobre 2001. 61 Il a été approuvé par le Premier ministre le 25 septembre 2001. 62 On observera à cet égard que les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2001 comportent une ouverture de crédits permettant d'accélérer les programmes de détection biologique et d'acheter des équipements de protection pour les armées, de doter le GISGN et deux escadrons de gendarmes mobiles dans chaque département en moyens de protection et enfin d'accélérer la production de vaccins et de traitements alternatifs par le service de santé des armées. 63 Source : ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, novembre 2001. 64 Précisions apportées par le Ministre de l'Intérieur, M. Daniel Vaillant, en réponse à une question orale sans débat ; journal officiel des débats, première séance du 16 octobre 2001, p. 5950. 65 Audition de M. Henri Tincq, journaliste au quotidien Le Monde, le 13 novembre 2001. 66 Propos cités dans la presse quotidienne française, notamment dans Le Figaro daté du 12 novembre 2001, p. 4. 67 Actes du colloque international « Pour défendre la paix, réformer l'ONU », à Paris les 31 janvier - 1er février 2001 ; rapport d'information n° 3106 de M. Paul Quilès ; 5 juin 2001. 68 Intervention de M. Pascal Lamy devant le Parlement européen à Strasbourg, séance du 24 octobre 2001 ; site Internet europa.eu.int. 69 Audition de Mme Marylise Lebranchu, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, accompagnée de M. Robert Finielz, directeur des affaires criminelles et des grâces, le 15 novembre 2001. 70 Audition de M. Daniel Vaillant, Ministre de l'Intérieur, accompagné de MM. Patrice Bergougnoux, Directeur de la Police nationale, Patrick Riou, Directeur central de la Police judiciaire, Jean-Jacques Pascal, Directeur de la Surveillance du Territoire, Michel Sappin, Directeur de la Défense et de la Sécurité civile, Stéphane Fratacci, Directeur des Libertés publiques et des Affaires juridiques, le 21 novembre 2001. 71 La durée maximum de ces interceptions est de quatre mois ; elle peut néanmoins être renouvelée dans les mêmes conditions de forme et de durée. 72 Les règles actuellement applicables en matière d'extradition figurent pour l'essentiel dans la convention européenne d'extradition signée en 1957 dans le cadre du Conseil de l'Europe. Cette convention a fait l'objet de nombreuses réserves de la part des Etats membres, ce qui explique par exemple que le financier présumé de la vague d'attentats commis en France en 1995-1996, M. Rachid Ramda, n'a toujours pas été extradé du Royaume-Uni où il est arrêté depuis plusieurs années. 73 Les Etats ne devront plus exiger que les faits pour lesquels une personne est poursuivie soient prévus dans leur législation, mais reconnaître les décisions de justice de leurs voisins. 74 L'extradition des nationaux sera ainsi autorisée. 75 Rapport d'information n° 3332 de M. Alain Barrau : Les mesures prises par l'Union européenne à la suite des attentats terroristes aux Etats-Unis, 15 octobre 2001. 76 L'article 2 du traité de Schengen prévoit en effet un resserrement des contrôles aux frontières intérieures de l'Union européenne en cas de situation exceptionnelle. 77 Selon cette méthode, dès qu'un dépôt est effectué auprès d'un agent de change dans un pays musulman, une autre personne peut récupérer l'équivalent chez un correspondant de l'agent de change dans un autre pays sur la foi d'un simple coup de téléphone de l'agent de change qui a réceptionné les fonds. 78 Il convient de souligner que l'OCDE dénombre aussi les « havres fiscaux » et que le forum de stabilité financière du G7 évalue les risques qu'ils peuvent faire courir au système financier mondial en fonction de leur niveau de régulation. 79 Créé en 1990, Tracfin est un service administratif rattaché au secrétariat d'Etat au Budget. Ses effectifs s'élèvent à 35 personnes au total, dont 20 enquêteurs et analystes. Tracfin a deux missions principales : recueillir, traiter et diffuser le renseignement relatif aux circuits financiers clandestins et au blanchiment de l'argent et coordonner sur ce sujet l'action des services concernés (décret du 9 mai 1990) ; rassembler tous renseignements propres à révéler l'origine des sommes ou la nature des opérations suspectes (loi du 12 juillet 1990). Des accords bilatéraux ont été conclus avec les organismes étrangers (Belgique, Espagne, Finlande, Italie, Luxembourg, Portugal, Principauté de Monaco, Royaume-Uni, Chypre, Grèce, République tchèque, Etats-Unis, Argentine, Brésil, Colombie, Mexique, Australie). Au lendemain des attentats du 11 septembre, une cellule exclusivement dédiée à l'analyse du financement des mouvements terroristes, Finter, a également été créée au sein du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. 80 Source : dossier spécial du quotidien Le Monde, 4-5 novembre 2001. 81 Ces paradis financiers présentent des niveaux de régulation différenciés selon le GAFI : l'île de Man et les îles anglo-normandes sont considérés comme exerçant des contrôles de qualité et coopératifs ; les autres centres cités présentent un faible niveau de régulation et certains sont même classés parmi les centres « non coopératifs », tels Grenade, Guatemala, les îles Cook et Niue. 82 La mosquée de Lyon a été achevée en 1994 grâce à des fonds d'origine saoudienne. 83 Compte rendu n° 38 de la Commission de la Défense, 29 mai 2001, audition du Secrétaire Général de la Défense nationale, M. Jean-Claude Mallet, sur l'évolution des données stratégiques. |