Accueil > Archives de la XIème législature |
SOMMAIRE Pages Document mis en distribution le 19 novembre 1998 N° 1191 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 novembre 1998. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE (n° 1151) DE M. NICOLAS SARKOZY ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, modifiant lordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, PAR M. JEAN-LUC WARSMANN, Député. (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. Lois de finances. La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Vincent Burroni, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Gilbert Roseau, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann. INTRODUCTION 5 I. LA RÉTROACTIVITÉ JURIDIQUE POSE MOINS DE PROBLÈMES QUE LA RÉTROACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, LIÉE À LINSTABILITÉ DES NORMES FISCALES 6 A. LA RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI FISCALE EST ADMISE, QUOIQUE SOUMISE À DES LIMITES 6 1. Une rétroactivité acceptée 6 2. Une rétroactivité encadrée 8 a) Une série de bornes à respecter 9 b) La modeste portée pratique de ces conditions 12 c) Des limites potentielles issues du droit communautaire 12 B. UNE RÉTROACTIVITÉ AUX MULTIPLES VISAGES 13 1. La rétroactivité juridique 14 2. Une rétroactivité contestée : les modifications applicables à lannée en cours en matière dimpôt sur le revenu et dimpôt sur les sociétés 16 3. La rétroactivité économique : la loi sappliquant pour lavenir à des situations en cours 17 C. LE JUGE CONSTITUTIONNEL NAPPLIQUE PAS DE PRINCIPE DE SÉCURITÉ JURIDIQUE EN MATIÈRE FISCALE 18 1. Le refus dun principe de confiance légitime en France 18 2. Labsence daffirmation dun principe de sécurité juridique 19 3. Une situation qui affaiblit la politique économique et la crédibilité de lEtat 20 II. LA RÉPONSE PROPOSÉE : UN RÉGIME SPÉCIFIQUE DAVANTAGES FISCAUX PRÉSERVÉS DES REMISES EN CAUSE ANTICIPÉES 24 A. UNE SOLUTION ÉCARTÉE : PROHIBER LA RÉTROACTIVITÉ FISCALE 25 1. La rétroactivité est parfois utile, voire nécessaire 25 a) La correction de dispositifs défectueux, peu clairs ou affectés par des éléments nouveaux 26 b) Un fair announce à la française 27 2. Une prohibition générale encourrait un risque constitutionnel 29 3. Linterdiction de la rétroactivité juridique serait peu opérante 29 B. UN RÉGIME SPÉCIFIQUE DAVANTAGES DURABLES PRÉVUS EN LOI DE FINANCES 30 1. Un support juridique appartenant au bloc de constitutionnalité 31 a) Un avantage en termes de cohérence économique 31 b) Un avantage au regard de la hiérarchie des normes 32 2. Un instrument nouveau de politique économique à la disposition du législateur 32 a) La notion davantage fiscal 33 b) Une pluriannualité à trois niveaux 34 C. UN CADRE JURIDIQUE À LA FOIS OPÉRATIONNEL ET CONSTITUTIONNEL 36 1. Linterdiction des modifications anticipées sappliquerait aux lois de finances comme aux lois ordinaires 36 2. Lordonnance organique fixerait les conditions des autorisations pluriannuelles de ressources 37 3. Le principe de dispositions fiscales pluriannuelles en loi de finances nest pas contraire à la Constitution 37 DISCUSSION GÉNÉRALE 39 TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 43 TABLEAU COMPARATIF 45 MESDAMES, MESSIEURS, M. Nicolas Sarkozy ainsi que les présidents des trois groupes parlementaires de lopposition ont déposé une proposition de loi organique modifiant lordonnance n° 592 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Conformément au douzième alinéa de larticle 36 de notre Règlement, cette proposition a été renvoyée à la commission des Lois, compétente en matière de lois organiques. Son objet est de promouvoir le principe de sécurité juridique en matière fiscale. Elle propose de mettre à la disposition du législateur un régime spécifique davantages fiscaux à caractère pluriannuel, préservés des risques de modification pendant une durée expressément prévue. Il sagirait ainsi dapporter une réponse aux inconvénients économiques de la rétroactivité, et plus largement, de linstabilité de nos lois fiscales. La garantie de la sécurité juridique est une forte exigence de nos concitoyens. Loutil juridique proposé serait une innovation très attendue, mais pleinement conforme à notre ordre juridique et constitutionnel. Comme on le verra ci-après, les objections de nature juridique à cette proposition de loi organique ne résistent pas à lanalyse, et cest bien pourquoi la critique sest située sur le terrain de lopportunité. Ce faisant, elle ne peut que démontrer le bien-fondé dune proposition de loi organique qui, non seulement renforcerait lEtat de droit, mais serait une incitation à la responsabilité du pouvoir politique. Pour bien comprendre le dispositif proposé, il faut tenter de clarifier les termes du débat. Les atteintes les plus choquantes à la parole donnée de lEtat sont moins le fait des lois fiscales juridiquement rétroactives que de celles qui, disposant pour lavenir, bouleversent des situations en cours : on peut alors parler de rétroactivité économique. I. LA RÉTROACTIVITÉ JURIDIQUE POSE MOINS DE PROBLÈMES QUE LA RÉTROACTIVITÉ ÉCONOMIQUE, LIÉE À LINSTABILITÉ DES NORMES FISCALES A. LA RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI FISCALE EST ADMISE, QUOIQUE SOUMISE À DES LIMITES Larticle 2 du code civil dispose : La loi ne dispose que pour lavenir : elle na point deffet rétroactif. Ce texte est au nombre des dispositions qui sont demeurées inchangées depuis 1804, doù son style lapidaire. Son inspiration a été expliquée en ces termes par Portalis devant le Corps législatif : Loffice de la loi est de régler lavenir ; le passé nest plus en son pouvoir. Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sûreté nexisterait plus, mais son ombre même que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre quaprès coup il serait exposé au danger dêtre recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure ? La référence à cette notion de droits acquis montre que, dans le code Napoléon, la non-rétroactivité nest plus seulement conçue dans une optique de libertés publiques, aux fins dassurer la protection contre les sanctions arbitraires. Quinze ans plus tôt, larticle 8 de la déclaration des droits de lhomme et du citoyen sinscrivait encore dans une perspective étroitement répressive : La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni quen vertu dune Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. De portée générale, au contraire, larticle 2 du code civil est affaibli par sa place dans la hiérarchie des normes : cest un texte législatif. Dès lors, le principe de non-rétroactivité des lois simpose au juge, mais non au législateur. La Cour de cassation considère que larticle 2 pose un principe dordre public. Elle nadmet quune exception : les lois interprétatives par nature, qui faisaient initialement lobjet dun second alinéa de larticle, ultérieurement supprimé car considéré comme lexpression dune évidence inutile. Quant au Conseil dEtat, il voit dans la non-rétroactivité des actes réglementaires un principe général du droit. Selon une jurisprudence constante, il annule les actes administratifs rétroactifs (Conseil dEtat, 25 juin 1948, Société du Journal LAurore ). En revanche, faute de mécanisme efficace de contrôle de constitutionnalité de la loi jusquen 1958, les juridictions françaises ont traditionnellement admis la rétroactivité de la loi, notamment en matière fiscale. La position du Conseil dEtat a été exprimée par son commissaire du Gouvernement Pierre Laurent sur larrêt dassemblée du 16 mars 1956, Garrigou : Mais si le Parlement a le privilège de pouvoir impunément donner un effet rétroactif à la loi, il nen est pas de même du gouvernement à défaut dune habilitation expresse et formelle du législateur. Ces derniers mots laissent transparaître une position pour le moins réservée des juridictions, notamment administratives, à légard des dispositions à caractère rétroactif. La Ve République, en mettant en place un contrôle efficace de constitutionnalité, aurait pu inverser la problématique. Il aurait été concevable que le Conseil constitutionnel accorde valeur constitutionnelle au principe de non-rétroactivité de la loi, en le comptant au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au sens du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Le doyen Roubier, auteur de référence en matière de conflits de lois dans le temps, ne déclarait-il pas avant les premières décisions du Conseil : le principe de la non-rétroactivité des lois est entré dans le patrimoine commun des peuples civilisés ? Or le Conseil constitutionnel sest résolument inscrit dans la continuité des principes antérieurs. En 1969, interrogé sur la nature législative ou réglementaire de dispositions dune loi de finances, il a jugé que lune dentre elles a un caractère rétroactif ; que, par suite, elle échappe à la compétence du pouvoir réglementaire (1). Mais cest à partir de 1980, saisi principalement de lois fiscales, que le Conseil a eu loccasion de poser les termes dune jurisprudence très abondante. Un auteur a pu considérer que celle-ci, permissive à lorigine, est devenue plus restrictive à légard des mesures rétroactives (2). Elle paraît désormais constante. Dans une première décision, relative à une loi de validation dactes administratifs, le Conseil a considéré que, sauf en matière pénale, la loi peut comporter des dispositions rétroactives (3). Puis il a étendu cette jurisprudence aux lois rétroactives en matière fiscale, à propos de la loi de finances pour 1981. Se prononçant sur la méconnaissance alléguée du principe posé par larticle 8 de la Déclaration de 1789, il a considéré : une telle mesure nest pas relative au domaine pénal, seul concerné par larticle 8 de la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen et nest, dès lors, pas contraire au principe de non-rétroactivité posé par cet article . Depuis lors, le Conseil a affiné la formulation du considérant de principe quil fait figurer systématiquement lorsquest invoquée la rétroactivité de dispositions législatives : considérant que le principe de non-rétroactivité des lois na valeur constitutionnelle, en vertu de larticle 8 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen, quen matière répressive (4). Il a ajouté quen matière de loi de finances, le principe dannualité budgétaire ne fait pas obstacle à la rétroactivité fiscale. Des sénateurs avaient fait valoir, à propos de la loi de finances pour 1985, sur la base de larticle 47 de la Constitution et des articles 2 et 4 de lordonnance organique de 1959, quune loi de finances de lannée ne saurait compléter les ressources de lEtat au titre dun exercice antérieur . Le Conseil constitutionnel a considéré quaucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne soppose à ce quune disposition fiscale ait un caractère rétroactif ; que la circonstance quune telle disposition soit contenue dans une loi de finances ne saurait interdire une telle rétroactivité ; que les textes invoqués nont pas pour objet dy faire obstacle (5). Par conséquent, la non-rétroactivité posée par larticle 2 du code civil nest quun principe général du droit, mais non un principe simposant au législateur, sauf en matière répressive où il a valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel entoure la rétroactivité de la loi fiscale de limites, posées avec constance depuis 1986. Il ne faut pas se dissimuler cependant que cette construction juridique nest guère contraignante et ne conduit généralement pas le juge constitutionnel à censurer les dispositions incriminées. Faute de fondement constitutionnel, sa position est sensiblement moins restrictive que celle des juridictions administratives et judiciaires, extrêmement fermes dans lapplication de larticle 2 du code civil. a) Une série de bornes à respecter Cest à propos de la loi de finances rectificative pour 1986 que la haute juridiction a défini les conditions qui simposent au législateur pour ladoption de dispositions rétroactives, par un considérant de principe qui mérite dêtre cité. Considérant que, par exception aux dispositions de valeur législative de larticle 2 du code civil, le législateur peut, pour des raisons dintérêt général, modifier rétroactivement les règles que ladministration fiscale et le juge de limpôt ont pour mission dappliquer ; que, toutefois, lapplication rétroactive de la législation fiscale se heurte à une double limite ; que, dune part, conformément au principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par larticle 8 de la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen, elle ne saurait permettre aux autorités compétentes dinfliger des sanctions à des contribuables à raison dagissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne ; que, dautre part, lapplication rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ; quen prenant en compte une telle situation, à lexclusion de celle dautres contribuables, y compris ceux dentre eux qui ont engagé une action en justice sur laquelle il na pas été définitivement statué, le législateur sest conformé au principe constitutionnel de lindépendance des juridictions et na pas méconnu le principe dégalité. (6) On ne manquera pas de noter que le Conseil constitutionnel considère au préalable toute disposition rétroactive comme une exception, ce qui justifie que le pouvoir du législateur sexerce dans certaines limites. Il rejoint ainsi le principe posé par le juge administratif : la rétroactivité ne se présume pas. En tenant compte des précisions apportées par la jurisprudence ultérieure, cinq limites peuvent être distinguées. · Les lois rétroactives doivent respecter lautorité des décisions de justice passées en force de chose jugée. A défaut, elles porteraient atteinte à lindépendance des juridictions. Ont force de chose jugée les décisions du Conseil dEtat, et les jugements des tribunaux administratifs si le délai dappel est écoulé et quaucun appel na été intenté, comme la précisé le Gouvernement au cours des débats sur la loi de finances rectificative de fin dannée pour 1986. La portée réelle de cette condition ne doit pas être exagérée : un contentieux fiscal peut être long, et une loi interprétative, à condition que sa rétroactivité soit clairement exprimée, peut sappliquer aux procédures en cours. · Le législateur doit respecter le principe de non-rétroactivité des lois répressives plus sévères. Cest la conséquence directe de larticle 8 de la déclaration des droits de lhomme et du citoyen. Il ne sagit pas seulement des lois pénales : le Conseil a ainsi jugé dans sa décision du 30 décembre 1982 que linterdiction sétend nécessairement à toute sanction ayant le caractère dune punition même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire . Les sanctions et pénalités fiscales ne peuvent être infligées à titre rétroactif. En revanche, le Conseil constitutionnel est moins restrictif que le Conseil dEtat. Il admet que les intérêts moratoires et autres mesures de compensation des retards dans le versement des impôts puissent être prévus rétroactivement par la loi. Le Conseil a par exemple refusé de censurer des sanctions prises par le Conseil supérieur de laudiovisuel, dans sa décision n° 89-248 DC du 17 janvier 1989. · Le législateur semble ne pouvoir faire échec à une prescription, dès lors quelle est prévue par la loi et acquise lors de lentrée en vigueur du nouveau dispositif. Toutefois, les termes de la décision n° 88-250 DC ( au cas présent ) montrent que la généralisation du principe ne peut être faite quavec prudence. Il nest en effet évoqué quen matière répressive, comme corollaire de la non-rétroactivité des textes à caractère répressif. · En quatrième lieu, une législation fiscale rétroactive ne doit pas avoir pour effet de priver de garanties légales des exigences constitutionnelles (7). Cette règle, qui vaut aussi en matière de libertés publiques, a été étendue aux lois fiscales. En ce domaine, outre le principe dégalité, le droit de propriété est au premier rang des exigences de valeur constitutionnelle à garantir : la rétroactivité dune loi fiscale ne doit pas avoir sur le patrimoine des contribuables des conséquences dune ampleur telle quune atteinte serait portée à ce droit. Le Conseil a jugé en 1989 que si la suppression dune exonération fiscale a pour conséquence dentraîner, pour certaines catégories de contribuables, une majoration dimposition, il nen résulte pas, au cas présent, une atteinte au droit de propriété qui serait contraire à la Constitution (8). En 1991, il a considéré que lapplication dune loi interprétative portant sur la perception de la T.V.A. ne saurait avoir pour conséquence, par ses effets sur le patrimoine des contribuables, de porter atteinte au droit de propriété et que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution . Toujours est-il quaucune disposition fiscale na été censurée par le Conseil sur ce motif. · Enfin, la décision précitée de 1986 posait une cinquième condition, qui paraît ne sappliquer que pour les lois fiscales de validation : leur rétroactivité est subordonnée à lexistence dune justification dintérêt général. Celle-ci ne saurait se limiter au seul intérêt financier de lEtat, comme la précisé la décision de 1986. Cette jurisprudence a été considérée par un observateur aussi avisé que Bruno Genevois comme lamorce dun contrôle de proportionnalité (9). Toutefois, son domaine dapplication est discuté. Cette condition est transposée de la jurisprudence du Conseil en matière de validation dactes administratifs, et il se trouve que, la rétroactivité de lois fiscales nétant généralement invoquée quà propos de dispositions de validation, la Haute juridiction na pas eu loccasion de sexprimer sur lapplicabilité de la condition dintérêt général dans dautres cas. Après lavoir mentionnée à diverses reprises, le Conseil, en 1995, a finalement annulé les dispositions dun article validant les titres de perception répartissant entre les entreprises de transport aérien des dépenses de contrôle technique dexploitation, après annulation par le Conseil dEtat dune redevance affectée au budget annexe de laviation civile, pour un montant de 240 millions de francs. Le Conseil constitutionnel a jugé que, eu égard aux sommes concernées, et aux conditions générales de léquilibre financier du budget annexe de laviation civile, qui nétaient pas susceptibles dêtre affectées en lespèce, la seule considération dun intérêt financier lié à labsence de remise en cause des titres de perception concernés ne constituait pas un motif dintérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets dune décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, dautres à intervenir (10). b) La modeste portée pratique de ces conditions Le Conseil constitutionnel na eu finalement, depuis douze ans, à mettre en uvre cette jurisprudence que dans un nombre limité de cas, en dépit de la multiplication des mesures fiscales de validation. Surtout, les annulations demeurent exceptionnelles. Dès lors, linterprétation a contrario des décisions prête à discussion. Cest ainsi que le Gouvernement estime que la jurisprudence sur les limites à la rétroactivité ne sapplique quen matière de validations législatives. Ses observations, en réponse à la saisine du 23 octobre 1997 relative à la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, expriment cette lecture restrictive : sil est exact que la jurisprudence du Conseil constitutionnel encadre dans une certaine mesure la possibilité, pour le législateur, de déroger au principe de non-rétroactivité des lois, cest seulement dans la mesure où lon est en présence de dispositions qui ont pour objet, fût-ce de manière implicite, dopérer des validations législatives. Il faut entendre par là, selon la définition récemment donnée par un commentateur, toute intervention du législateur qui, par un texte modifiant rétroactivement létat du droit, met des actes juridiques à labri dun risque de nullité ou de péremption sans avoir à distinguer selon que ces actes relèvent de relations de droit privé ou de rapports de droit public (O. Schrameck, les validations législatives , AJDA 1996, p. 369) (11). Par conséquent, la portée pratique des bornes posées par le juge constitutionnel à la rétroactivité fiscale demeure modeste, et son domaine dapplication est incertain, faute dun volume suffisant de décisions. c) Des limites potentielles issues du droit communautaire La pratique de la rétroactivité des lois fiscales est susceptible de rencontrer deux types de limites supplémentaires du fait du droit communautaire. · Le législateur ne peut intervenir par des lois à caractère rétroactif ou interprétatif lorsque la position quelles tendent à valider est contraire au droit communautaire, après interprétation éventuelle de la Cour de justice des Communautés européennes. Cest la conséquence du principe de primauté du droit communautaire. Le Conseil dEtat a déjà eu loccasion décarter lapplication dun texte légal contraire au droit communautaire (arrêt du 17 mars 1993, Groupement pour le développement de la coiffure). · La Cour de justice des Communautés européennes a admis dès 1969 (arrêt Portelange, 9 juillet 1969) que le principe général de sécurité juridique pouvait être invoqué devant elle. Depuis 1975, elle a même reconnu le principe de confiance légitime , quelle a appliqué à de nombreuses reprises, y compris en matière daides nationales (arrêt Commission c/R.F.A., 20 septembre 1990). Dès lors, si dans lavenir, les principes généraux du droit communautaire se voient reconnaître la nature de normes internationales, le juge national devra écarter lapplication dune loi contraire aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, comme il le fait pour une loi contraire à un traité ou au droit européen dérivé. Cependant, nul ne peut dire si et quand se concrètisera ce retournement jurisprudentiel en puissance. B. UNE RÉTROACTIVITÉ AUX MULTIPLES VISAGES Des dispositions fiscales très diverses revêtent un caractère rétroactif, parmi lesquelles les mesures de validation sont les plus nombreuses. Dans une chronique récente, un auteur a pu parler d une rétroactivité aux multiples visages (12). Or certaines mesures, ressenties comme rétroactives par les contribuables, ne sont pas considérées comme telles par le juge, qui en admettra pleinement la validité. En effet, le critère juridique de la rétroactivité fiscale est la date du fait générateur de limpôt. La jurisprudence du Conseil dEtat est ( ) parfaitement claire, une disposition nest rétroactive que quand elle entre en vigueur après le fait générateur de limpôt (13). Mais à côté de la rétroactivité en droit ou rétroactivité juridique, existe dans le domaine fiscal ce que lon pourrait appeler faute de mieux une rétroactivité de fait ou rétroactivité économique qui est lapplication de la loi à des actes antérieurs et qui est très fréquente (13). Pour qualifier cette situation, le rapport du Conseil des impôts de 1994 emploie le terme de texte rétrospectif : un texte peut être qualifié de rétrospectif, et non pas de rétroactif, lorsquil ne dispose que pour lavenir mais sapplique à des situations nées antérieurement à la date de la prise deffet et en cours de réalisation (14). Dans cette perspective, trois grands types de mesures juridiquement ou économiquement rétroactives peuvent être distinguées. 1. La rétroactivité juridique · En réponse à des pratiques dévasion fiscale, ou plus souvent encore, à des interprétations jurisprudentielles, les lois de validation ont dabord été seulement à caractère interprétatif. La formule cette disposition présente un caractère interprétatif permettait à la loi de disposer pour le passé, sous couvert de confirmer seulement le sens initial dune législation ambiguë. Toutefois, le juge considère avec circonspection les dispositions prétendues interprétatives. Pour reprendre la formule dégagée par la jurisprudence judiciaire (arrêt du 19 juin 1963 de la chambre sociale de la Cour de cassation), une loi nest interprétative quautant quelle se borne à reconnaître sans rien innover un droit préexistant quune définition imparfaite a rendu susceptibles de controverse. En ce cas, elle ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique, mais le conforte. Cependant, lhabit ne fait pas le moine ; si beaucoup de lois se disent interprétatives , peu le sont réellement , comme la relevé Jérôme Turot (15). Le rapport Aicardi (16) a dénoncé, en juillet 1986, la multiplication des lois faussement interprétatives au cours des années 1980, nayant pour objet que de faire échec aux décisions du juge de limpôt en permettant même à ladministration dinfliger des redressements, la seule limite étant la prescription. Les articles 107 et 108 de la loi de finances pour 1984 en fournissent un exemple : ils avaient pour objet de remédier à une malfaçon des règles relatives à la taxe sur les excédents de provisions des entreprises dassurance figurant à larticle 14 de la loi de finances pour 1983. Mais, si le Conseil dEtat ne se reconnaît pas le pouvoir de contrôler le caractère véritablement interprétatif de la loi (avis Cofiroute du 7 juillet 1989), il linterprète parfois de façon à la priver de tout effet rétroactif (arrêt Rubin du 23 juin 1986). Quant à la Cour de cassation, avant même den venir à contrôler la réalité du caractère interprétatif à partir de larrêt dame Pavie du 7 avril 1992, elle a refusé de reconnaître une portée rétroactive à la loi fiscale, sil existe le moindre doute sur lintention du législateur (arrêt Spencer Stuart, chambre commerciale, 6 juillet 1990). Cest pourquoi, à partir de la loi de finances rectificative de fin dannée de 1986, une formulation plus directe est apparue dans les articles à visée rétroactive : les impositions dues au titre des années antérieures ( ) sont réputées régulières sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée . Réellement ou fictivement interprétative, la loi valide ainsi des impositions ou des doctrines administratives. · Les validations peuvent aussi porter sur des dispositions législatives illégalement complétées ou modifiées lors de leur codification par décret dans le code général des impôts. Le juge administratif est alors vigilant sur le défaut de base légale des articles du code, comme la montré larrêt du Conseil dEtat du 25 juillet 1986 qui appliquait larticle 3 de lordonnance du 7 janvier 1959 prévoyant que la taxe foncière sur les propriétés bâties est due par les propriétaires ou usufruitiers, et écartait les dispositions contraires introduites dans larticle 1400 du code général des impôts. La loi est alors parfois appelée à la rescousse aux fins de validation. Mais la tendance à la codification directe des dispositions des lois fiscales raréfie ces pratiques. De même, les validations législatives de règlements à caractère fiscal tendent à être progressivement remplacées par des mesures législatives à caractère interprétatif. Tel fut le cas de larticle 17 de la loi du 30 décembre 1985, complétant larticle 1501 du code général des impôts par une disposition à caractère interprétatif destinée à valider le barème dévaluation de la valeur locative des autoroutes pour les bases de taxe professionnelle, prévu par une instruction ministérielle privée de base légale par des arrêts du Conseil dEtat du 18 juin 1984. · La validation dimpositions ou dactes de procédure jugés irréguliers par le juge a été admise à diverses reprises par le Conseil constitutionnel, et notamment dans son importante décision précitée n° 86-223 DC du 29 décembre 1986. Le Conseil, en loccurrence, a marqué sa préférence pour une décision nouvelle à effet rétroactif plutôt que pour une validation : il ressort des travaux préparatoires ( ) que le législateur a entendu, non pas valider en tous leurs éléments les impositions antérieurement établies, mais uniquement décider, avec effet rétroactif, que seront applicables ( ) les règles dévaluation ou dexonération nouvellement définies . Quelles que soient les dispositions juridiquement rétroactives sur lesquelles il a eu à se prononcer, le juge constitutionnel na, pour lheure, pas donné corps à une différence de traitement entre les décisions relatives au contenu des droits des contribuables et celles relatives aux procédures suivies par les services fiscaux. 2. Une rétroactivité contestée : les modifications applicables à lannée en cours en matière dimpôt sur le revenu et dimpôt sur les sociétés Depuis cinquante ans, la législation applicable en matière dimpôt sur le revenu est celle en vigueur au 31 décembre de lannée dimposition tandis que, en matière dimpôt sur les sociétés et de bénéfices industriels et commerciaux, sapplique la loi en vigueur au 31 décembre ou à la clôture de lexercice. Ce choix de technique fiscale résulte dun décret du 9 décembre 1948 : auparavant, était applicable la loi en vigueur au 1er janvier. Cette règle, différente de celle qui prévaut en matière dimpôts directs locaux, se déduit de larticle 12 du code général des impôts, pour limpôt sur le revenu, et des articles 36 et 209 du même code pour limpôt sur les sociétés et les bénéfices industriels et commerciaux. Le Conseil dEtat a confirmé cette particularité (pour limpôt sur le revenu : arrêts Dupont du 23 avril 1956 et du 5 janvier 1962 ; pour limpôt sur les sociétés : arrêt du 15 novembre 1957). Celle-ci sétend, au-delà de la législation, à lensemble de la doctrine administrative : les contribuables sont susceptibles, jusquau 31 décembre, de voir retirer une doctrine favorable (Conseil dEtat, 4 juillet 1986, et 18 mars 1988, Firino Martel). Comme la indiqué Jérôme Turot (17), pour certaine que soit cette règle, elle nest pas à labri de toute critique. Le contribuable ignore, au moment où il accomplit lacte générateur de revenu, quel sera le régime fiscal applicable ( ). Cette ignorance dans laquelle entreprises et particuliers sont maintenus jusquaux derniers jours de lannée dimposition, ce suspens fiscal pourrait-on dire, est assez étonnante en cette fin de XXe siècle, où la fiscalité est de plus en plus déterminante dans les comportements économiques, et où elle se veut incitative. Elle surprend en tout cas les fiscalistes étrangers, car cette fixation a posteriori des règles dimposition semble une originalité française. Pourtant, si fixation a posteriori il y a, cette technique nest pas juridiquement rétroactive. Elle nest que leffet des règles classiques dapplication de la loi fiscale dans le temps , comme ladmet le même auteur. Le fait générateur étant constitué par la clôture de la période de réalisation du revenu ou des profits imposables, la loi nest, sauf rare dérogation, pas rétroactive, mais seulement dapplication immédiate pour lavenir. En dépit des tentatives dinterprétation a contrario, cest-à-dire hautement conjecturales, dune partie de la doctrine, le Conseil constitutionnel na encore jamais démenti cette interprétation, défendue avec constance par tous les gouvernements successifs. On est donc ici dans le domaine de la rétroactivité économique. Chacun constate les inconvénients du système. Lon peut comprendre que, pour éviter un exode hors de nos frontières, larticle 16 du projet de loi de finances pour 1999 prévoit dassujettir à compter du 9 septembre 1999 (jour de ladoption du projet en Conseil des ministres) les contribuables transférant leur domicile hors de France à limposition de diverses plus-values. En revanche, lorsque la loi de finances pour 1998 réduit de moitié, de 90.000 F à 45.000 F, le plafond de la réduction dimpôt au titre des emplois de salarié à domicile, les contribuables concernés ont été légitimement choqués de ce qui leur est apparu comme un manquement à la parole donnée par lEtat. Il conviendrait de mettre à létude une solution à ce problème. Mais il relève dun autre débat : la présente proposition de loi ne peut apporter que des réponses partielles, pour certains types déterminés davantages fiscaux. 3. La rétroactivité économique : la loi sappliquant pour lavenir à des situations en cours Les mesures les plus mal ressenties sont économiquement rétroactives, ou encore rétrospectives, selon la terminologie du Conseil des impôts : ne disposant que pour lavenir, elles modifient le traitement fiscal de situations parfois contractuelles en cours. Labrogation anticipée dune exonération ou dun régime fiscal favorable, lorsquelle nentraîne pas de rappel de taxe, nest pas juridiquement rétroactive. Le Conseil constitutionnel ne la considère pas comme tel et a fortiori ne peut la censurer en labsence dautre grief. · Lexemple emblématique est celui de larticle 14-I de la loi de finances pour 1984, qui a ramené de vingt-cinq à quinze ans la durée dexonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles antérieurs à 1973. La durée dexonération avait été prise en compte dans le calcul économique des contribuables et cette mesure, quoique non rétroactive, était clairement une rupture de lengagement de lEtat sur une durée de vingt-cinq ans. Un observateur avait évoqué à lépoque la loi contre le droit (18). · De façon comparable, la création dun nouvel impôt établi sur des bases antérieures ne peut être considéré comme rétroactif. Tel avait été le cas des articles 3, 5, 6 et 7 de la première loi de finances rectificative pour 1981, qui avait créé à la charge des entreprises de divers secteurs quatre prélèvements exceptionnels assis sur des bases de 1980 : sur des bénéfices, sur des frais généraux déduits des bénéfices imposables, sur la moyenne de comptes créditeurs en banque et sur la variation du chiffre daffaires de 1980. En revanche, larticle 1er de la même loi, qui majorait de 25 % une part de limpôt sur le revenu dû au titre de 1980, était bien rétroactif, puisque postérieur au 31 décembre 1980, date de lacte générateur de limpôt. Comme le souligne Armel Kerrest, nous avons ici un exemple caractéristique du caractère formel de la notion de rétroactivité en matière fiscale. Si le gouvernement avait choisi de proposer au Parlement la création dun nouvel impôt établi par référence à limpôt payé en 1980, cette disposition naurait pas été rétroactive, mais simplement dapplication immédiate, comme le sont les prélèvements exceptionnels prévus par les articles 3, 5, 6 et 7 (19). Par conséquent, il apparaît que les situations les plus choquantes naissent de dispositions économiquement, mais non juridiquement rétroactives, et quen tout état de cause, la frontière entre ces deux notions, parfois très formelle, voire byzantine, ne peut quêtre mal comprise par les contribuables. Ce à quoi ils sont sensibles, ce sont les atteintes à la sécurité juridique. C. LE JUGE CONSTITUTIONNEL NAPPLIQUE PAS DE PRINCIPE DE SÉCURITÉ JURIDIQUE EN MATIÈRE FISCALE 1. Le refus dun principe de confiance légitime en France Les juridictions européennes et la Cour constitutionnelle fédérale allemande admettent un principe de confiance légitime des citoyens dans la continuité de lordonnancement juridique . En Allemagne, ce principe a pour effet de rendre inconstitutionnelles les lois économiquement rétroactives lorsquelles affectent un droit fondamental, comme le droit de propriété (voir encadré page 22). La Cour européenne des droits de lhomme manie ce principe avec souplesse, mais exige dévidentes considérations dintérêt général pour justifier des mesures fiscales à caractère rétroactif (voir sa décision du 23 octobre 1997). Quant à la Cour de justice des Communautés européennes, elle a considéré dans ses arrêts CNTA du 14 mai 1975 et Töpfer du 3 mai 1978 que le principe de confiance légitime était au nombre des principes généraux inhérents à tout système de droit organisé, pouvant être invoqués devant elle. Le Conseil constitutionnel a expressément refusé de sengager dans cette voie. Il a jugé à diverses reprises quaucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de confiance légitime (20) Le Conseil na probablement pas souhaité accorder une consécration constitutionnelle à un principe subjectif et susceptible de heurter les traditions juridiques françaises : que lon songe à la jurisprudence constante des juridictions administratives, selon laquelle nul na le droit au maintien de la réglementation existante . Les principes généraux du droit communautaire ne lui étant pas opposables, rien ne loblige à revenir sur cette jurisprudence. 2. Labsence daffirmation dun principe de sécurité juridique La notion de confiance légitime sinscrit dans le cadre plus large du principe de sécurité juridique. A la différence de certains de nos partenaires, comme lEspagne, dont la Constitution en son article 9 mentionne lexigence de sécurité juridique, aucun texte de niveau constitutionnel ne définit ce principe. Il est permis dy voir une lacune de notre système juridique. Le Conseil constitutionnel ne semble jamais avoir fondé ce principe sur larticle 16 de la déclaration des droits de lhomme et du citoyen qui énonce que toute Société dans laquelle la garantie des Droits nest pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, na point de Constitution . Il en a seulement fait quelques usages, implicites ou plus directs. Tentant de définir ce principe, Jean-Eric Schoettl a récemment considéré qu on peut y voir une exigence de fiabilité de lenvironnement juridique, celle-ci tenant à la fois à la stabilité, à la lisibilité, à la conformité démocratique et à leffectivité de la règle du droit (avec une insistance sur le premier de ces éléments) (21). Le juge constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle à certaines acceptions particulières de la sécurité juridique : la sûreté individuelle, protégée par larticle 66 de la Constitution et plusieurs articles de la déclaration de 1789 ; le respect des situations légalement acquises dans le domaine de la liberté de communication (décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984) ; le respect de la liberté contractuelle, évoquée dernièrement par le Conseil dans sa décision n° 98-401 DC, dans laquelle il considère que le législateur ne saurait porter à léconomie des conventions et des contrats légalement conclus une atteinte dune gravité telle quelle méconnaisse manifestement la liberté découlant de larticle 4 de la Déclaration de 1789 (aux termes duquel la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui). Cette décision constitue une ouverture intéressante pour lavenir, mais les problèmes de sécurité juridique en matière fiscale ne concernent pas seulement des situations contractuelles. En outre, le juge constitutionnel fait un usage quelque peu ambigu de la notion de sécurité juridique. Dans sa décision de 1994 sur le droit de lurbanisme (22), sans sy référer explicitement, il en a fait la justification dune mesure équivalant à une validation législative : le souci déviter des contentieux ultérieurs lui a paru représenter une préoccupation conforme à lintérêt général. 3. Une situation qui affaiblit la politique économique et la crédibilité de lEtat En létat actuel de la jurisprudence, le législateur peut donc à tout moment porter atteinte à la sécurité juridique des contribuables, soit en affectant léconomie de contrats en cours, soit en portant atteinte à des situations établies en fonction de dispositions fiscales à terme fixé par la loi ou considérées comme pérennes. Le plus surprenant est quil soit pleinement admis que soient remis en cause des dispositifs fiscaux incitatifs qui avaient été mis en place pour une durée déterminée afin de contribuer à la rationalité des décisions de moyen ou long terme des agents économiques. Or létablissement dun impôt rétroactif est contraire à une liberté fondamentale, celle de pouvoir déterminer ses actes en fonction dun état de droit , comme lindiquaient les sénateurs auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 1984 contre la loi de finances rectificative pour 1984. Ceux-ci faisaient valoir également que les dispositions fiscales rétroactives incriminées étaient contraires à la sécurité juridique qui fonde le droit des personnes dans une démocratie . Deux ans plus tard, jour pour jour, mais après une alternance, lopposition déférait au Conseil des mesures de validation rétroactive dimpositions irrégulières, considérées comme dune extrême gravité (23). Les députés requérants considéraient que le législateur ne peut disposer que pour lavenir, faute de quoi non seulement serait rompue légalité des citoyens devant les charges publiques mais serait anéantie toute garantie des droits . Ces arguments nétaient pas dépourvus de pertinence. Pourtant, le Conseil a renvoyé dos à dos les deux oppositions successives, en rejetant laconiquement leurs demandes (décisions n° 84-146 DC et n° 86-223 DC), probablement faute de trouver des armes suffisantes dans les textes constitutionnels, puisque la deuxième de ces décisions élabore la jurisprudence sur les limites de la rétroactivité. Il reste que le spectacle donné par ces mesures et ces critiques impuissantes, donnant limpression dêtre vite oubliées au gré des changements de majorité, nest pas à lhonneur de notre pays. Les modifications inspirées par des préoccupations à courte vue ne doivent pas faire oublier que la politique fiscale est un instrument majeur de régulation de léconomie. Les remises en cause répétées de la norme fiscale : sont ressenties comme des injustices, en particulier par les ménages ; portent atteinte à la sécurité juridique des agents économiques, avec des enjeux financiers considérables pour les entreprises. Le Conseil des impôts sen est fait lécho : Le préjudice causé aux entreprises par linstabilité de la norme de droit tient à la difficulté de définir une stratégie à long terme lorsque le contexte juridique est incertain. Cette incertitude affecte notamment les décisions relatives aux structures des entreprises, puisque ces décisions les engagent pour plusieurs années. Si le régime fiscal applicable à une opération ne constitue pas, en règle générale, un des déterminants principaux de la décision, il en est tenu compte, car ce régime a des conséquences financières importantes pour lentreprise. Une modification des règles applicables peut donc conduire à ce que, par exemple, lintérêt dune opération de restructuration, a priori opportune pour lentreprise, soit remis en cause (24). Cette situation mine en profondeur le consentement à limpôt selon Jérôme Turot. Quant à son collègue Olivier Fouquet, il écrivait : les avocats ou conseils spécialisés en droit fiscal sont unanimes à dénoncer les conditions dapplication dans le temps des lois fiscales françaises : aux yeux de leurs clients étrangers, la rétroactivité des lois fiscales donne à la France, cet Etat de droit des discours officiels, limage dune République bananière (25). La France nest peut-être pas pour cette seule raison une République bananière, comme le montre la situation dans les pays étrangers (encadré ci-après). Mais il est urgent de dépasser le conflit entre lexigence croissante de sécurité juridique et la nécessité, parfois, de certaines dispositions rétroactives. La non-rétroactivité des textes fiscaux à létranger Dans lensemble des pays étudiés (a), tout comme en France, la non-rétroactivité des dispositions répressives plus sévères constitue une exigence constitutionnelle à laquelle une simple loi ne peut déroger (b). Dans la plupart de ces pays, la définition des dispositions répressives va au-delà des sanctions pénales infligées par le juge et sétend notamment aux sanctions fiscales. Certains Etats, comme les Etats-Unis, appliquent des principes assez souples en matière de rétroactivité : selon la jurisprudence de la Cour suprême, non seulement une nouvelle loi non pénale peut avoir un effet rétroactif si elle est soutenue par une motivation législative légitime et effectuée par des moyens raisonnables (c) mais des mesures rétroactives générales peuvent être édictées par les autorités administratives elles-mêmes. .../... Par ailleurs, la fiscalité américaine se caractérise par une forte absence de lisibilité pour le contribuable, la loi et le règlement se complétant en se modifiant sans que les intérêts du contribuable soient préservés. Cependant, en règle générale, les conditions que doivent satisfaire des lois rétroactives en matière fiscale pour être conformes aux règles constitutionnelles sont souvent plus sévères à létranger quen France (d) : de nombreux Etats admettent la rétroactivité des textes fiscaux, mais à la condition que leurs effets soient limités dans le temps : en Italie, la Cour constitutionnelle a consacré le principe de lactualité de la capacité du contribuable, qui exige un lien temporel entre le moment où le contribuable doit payer limpôt et le fait générateur de cette imposition. Au Canada, de nombreuses lois rétroactives interviennent dans le domaine fiscal, mais elles ne font quentériner, dans un délai raisonnable , un décret gouvernemental ou une décision introduisant une nouvelle mesure ; dans certains pays, ce sont les lois interprétatives qui sont prohibées : ainsi, au Portugal, les lois de validation et les dispositions interprétatives ont été sanctionnées comme portant atteinte à la garantie de recours contentieux ; en Italie, la Cour constitutionnelle a adopté une conception matérielle des textes interprétatifs, en distinguant les dispositions interprétatives authentiques (dont le caractère interprétatif ne résulte pas de la loi interprétative elle-même, mais du contexte de la loi interprétée), des lois interprétatives déguisées , qui, dès lors quelles ne satisfont pas à la définition sus-rappelée, sont inconstitutionnelles ; dans dautres pays, comme la Grèce, les lois fiscales défavorables au contribuable ne peuvent a priori avoir deffets rétroactifs. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande en matière de rétroactivité des textes fiscaux non répressifs est particulièrement intéressante : elle est fondée sur le respect du principe de confiance légitime des citoyens dans la continuité de lordonnancement juridique . En vertu de ce principe, les lois rétroactives, même non répressives, sont, sauf exception, interdites, tandis que les lois rétrospectives, qui sappliquent à des faits déjà commencés mais non encore achevés, sont autorisées, là aussi sauf exception. Pour être constitutionnelles, les lois rétroactives ne doivent pas imposer dobligations nouvelles ou retirer davantages. Cependant, la Cour admet également la constitutionnalité des lois rétroactives lorsquelles ont pour objet dentériner une modification de lordre juridique à laquelle devaient sattendre les citoyens (e), ou encore lorsquelles répondent à des considérations impératives dintérêt général. Cette jurisprudence est certes plus restrictive que celle du Conseil constitutionnel français, puisquelle part du principe que la loi rétroactive nest pas constitutionnelle, mais elle ne sen écarte pas fondamentalement en pratique. Le respect du principe de confiance légitime a des conséquences plus originales en ce qui concerne les lois rétrospectives. Ces dernières sont regardées comme inconstitutionnelles lorsque leurs dispositions affectent un droit fondamental, qui est essentiellement un droit à conserver le bénéfice de ce qui a été acquis antérieurement, tel que le droit de propriété, conçu en Allemagne comme un droit de protection du patrimoine privé (f). Cependant, la Cour apprécie, cas par cas, le respect de ce principe par le législateur, et admet notamment que linstitution par ce dernier de périodes transitoires, consistant dans le maintien de la loi antérieure pendant une période limitée, ou le passage progressif de lancienne à la nouvelle législation (g), est de nature à rendre conformes aux règles constitutionnelles de telles dispositions. .../... Les lois rétroactives, notamment interprétatives, en matière fiscale apparaissent donc soumises en France à des exigences constitutionnelles moins sévères quà létranger. Le recours fréquent, parfois excessif, à des lois interprétatives en matière fiscale justifierait un durcissement de ces exigences. Source : Conseil des impôts, treizième rapport au Président de la République, Fiscalité et vie des entreprises , 1994, tome I, pages 352 et 353. ________________________ (a) Etats-Unis, Allemagne, Italie, Belgique, Canada, Portugal, Grèce. Labsence de Cour constitutionnelle en Grande-Bretagne situe ce dernier pays dans une situation sensiblement différente par rapport aux autres pays occidentaux en la matière. (b) Par exemple, lalinéa 2 de larticle 103 de la loi fondamentale allemande dispose qu un acte nest passible dune peine que sil était punissable selon la loi en vigueur avant quil ait été commis . (c) 104 S.Ct., 1984, Pension Benefit Guar. Corp. vs RA Gray & Co, 2709, 2718. (d) Sous réserve dune pratique qui sécarterait sensiblement des textes... (e) Par exemple : les citoyens devaient sattendre à ladoption dune loi rétroactive, car la loi antérieure était inconstitutionnelle (BVerfGE, tome 53, p. 130). (f) Qui peut aller très loin, puisque la Cour a rattaché au droit de propriété le droit de percevoir des pensions fondées sur un effort dépargne antérieur. (g) Par exemple, suppression progressive dexonérations fiscales. II. LA RÉPONSE PROPOSÉE : UN RÉGIME SPÉCIFIQUE DAVANTAGES FISCAUX PRÉSERVÉS DES REMISES EN CAUSE ANTICIPÉES Chacun reconnaît les inconvénients de la rétroactivité économique des normes fiscales qui ne disposent que pour lavenir, mais sappliquent à des situations en cours. Sont ainsi remis en cause des droits acquis ou le bien-fondé de décisions économiques. Afin dy répondre, le dispositif proposé sest voulu pragmatique. Ecartant les dispositions de principe prohibant la rétroactivité, la présente proposition de loi organique se borne à ouvrir au législateur une faculté actuellement inexistante. Pour la mise en uvre de politiques économiques et financières à moyen terme, il aurait la possibilité de pérenniser certains dispositifs incitatifs pour une durée expressément prévue, dans la limite de cinq ans. Ce régime assurant sur des bases solides la sécurité juridique des contribuables, il contribuerait au succès des mesures dincitation et à la confiance dans la parole de lEtat. Il serait pleinement conforme à la Constitution. A. UNE SOLUTION ÉCARTÉE : PROHIBER LA RÉTROACTIVITÉ FISCALE Linterdiction pure et simple des lois rétroactives, afin de consacrer le principe de sécurité juridique était une voie envisageable. Préconisée en 1987 par le rapport Aicardi, elle a été empruntée en janvier 1991 par M. Pascal Clément et plusieurs de ses collègues membres des deux groupes de lopposition de lépoque, auteurs dune proposition de loi constitutionnelle n° 1901, tendant à interdire la rétroactivité des lois et des règlements. Cette proposition de loi constatait dabord que le principe de la non-rétroactivité des lois et des règlements est une garantie essentielle de la démocratie et une protection évidente pour les citoyens et les justiciables dans un Etat de droit. Puis elle faisait valoir que la portée du principe de non-rétroactivité énoncé par larticle 8 de la déclaration des droits de lhomme et du citoyen avait été limitée par la jurisprudence. Afin de faire prévaloir la volonté du législateur sur celle du juge, en une démarche paradoxalement analogue à celle des validations législatives, la proposition de loi préconisait de compléter larticle 66 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : Les lois et les règlements ne peuvent avoir aucun effet rétroactif. Comme on le sait, cet article, au sein du titre VIII de la Constitution relatif à lautorité judiciaire, prévoit que cette autorité, gardienne de la liberté individuelle, assure dans les conditions prévues par la loi le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu. Plusieurs raisons ont conduit à ne pas reprendre ce type de solution. 1. La rétroactivité est parfois utile, voire nécessaire Linterdiction pure et simple de toute rétroactivité serait imprudente et inopportune, comme le montrent divers exemples-types. Certes, une disposition dapplication immédiate suffit parfois pour éviter des fraudes. Lajustement du régime des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (O.P.C.V.M.) dits de moins-value, moyens commodes de se placer en déficit artificiel, a pu être effectué par la loi de finances pour 1990, en jouant sur le décalage du fait générateur des impôts directs, sans rétroactivité, comme la considéré le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 89-228 DC du 29 décembre 1989. Mais lapplication immédiate ne suffit pas toujours. a) La correction de dispositifs défectueux, peu clairs ou affectés par des éléments nouveaux Les dispositions législatives peuvent comporter des obscurités ou des oublis que révèlent, soit des jurisprudences non conformes à lintention initiale du législateur, soit des pratiques dévasion fiscale par des contribuables adroits. Il se peut aussi que des revirements de jurisprudence fassent échec à la pratique de ladministration. · Cest ainsi que linterprétation du régime de limpôt sur la fortune a donné lieu, il y a une dizaine dannées, à diverses péripéties, dues probablement à des zones dombre de la loi. La Cour de cassation, par un arrêt Veuve Bergondi du 18 avril 1989, a jugé, au rebours de la doctrine administrative, quen cas dusufruit constitué par libéralité entre époux, le bien devait, pour lassiette de limpôt sur les grandes fortunes, être partagé entre les patrimoines de lusufruitier et du nu-propriétaire. Ainsi, un montage juridique habile permettait déluder tout ou partie de limpôt. Afin de valider linterprétation de ladministration, elle-même conforme à lintention du législateur, le Gouvernement a fait voter au Parlement, dans larticle 10-II de la loi de finances pour 1990, une disposition interprétative qui visait à donner un fondement légal rétroactif à la doctrine administrative. Au cas présent, il se trouve que le ministre du budget avait aussitôt réagi à larrêt précité par un communiqué menaçant de représailles les contribuables tentés de se prévaloir de cette jurisprudence quil a demandé à ses services de ne pas appliquer, ce qui navait pas manqué dindisposer les membres de la Cour de cassation. On comprend mieux pourquoi, par un arrêt du 7 avril 1992, Dame Pavie, la Cour sest reconnu le pouvoir de contrôler la réalité du caractère interprétatif de la loi. Elle a considéré que larticle 10-II précité tendait à substituer de nouvelles règles dassiette à celles résultant dun texte clair, quil navait donc pas le caractère interprétatif et ne pouvait donc être rétroactif. · En revanche, la rétroactivité dune mesure dexonération, qui nest pas contraire aux intérêts des contribuables, peut être nécessaire comme le montre un autre exemple relatif à limpôt sur les grandes fortunes. Limposition des biens professionnels dans le cadre de cet impôt ayant soulevé de grandes difficultés dapplication et ayant démontré ses inconvénients économiques, larticle 19-VI de la loi de finances pour 1984 en a tiré les conséquences. Il a exonéré ces biens à titre définitif et rétroactif dimpôt sur les grandes fortunes. Une mesure ne disposant que pour lavenir aurait laissé la porte ouverte à des contentieux. · La remise en cause jurisprudentielle du fondement politique dimpositions ou de règles fiscales est un élément nouveau qui ne met pas nécessairement en cause le fond de dispositions législatives antérieures. Une validation ou une régularisation rétroactives peuvent être alors la meilleure, sinon la seule solution, lorsque les dispositions restent conformes à la volonté du législateur. Cest ainsi que la Cour de cassation, par un arrêt du 6 avril 1993, ayant rappelé que le législateur est seul compétent pour fixer les règles relatives à lassiette des impôts, a jugé que les modalités de calcul administratives de la puissance des moteurs, quil sagisse des véhicules terrestres à moteur, ou des navires de plaisance, relevaient du domaine de la loi, alors quelles étaient jusqualors définies par voie réglementaire. Cétait inopinément priver de base légale, à la fois la vignette automobile et les droits sur les moteurs applicables aux bateaux de plaisance en vertu du code des douanes. Les implications budgétaires pour lEtat et surtout les collectivités territoriales de cette jurisprudence nouvelle étaient évidemment considérables. En pareil cas, on ne voit guère dautre issue que la validation rétroactive par la loi, solution mise en uvre dans larticle 18 de la première loi de finances rectificative pour 1993, en ce qui concerne la vignette, puis par larticle 28 de la loi de finances rectificative de fin dannée sagissant des moteurs équipant les navires de plaisance. b) Un fair announce à la française Les Etats-Unis appliquent une règle dite de fair announce quun observateur jugeait pragmatique et satisfaisante , et quil définissait ainsi : les lois fiscales rétroagissent à la date à laquelle ladministration a annoncé les nouvelles dispositions qui allaient être soumises au Congrès (26). · Dans la loi fiscale française, cette pratique, sans être systématique, est devenue classique en matière de droits indirects : impôts sur la consommation et droits denregistrement. Sa nécessité est apparue en particulier à partir de la deuxième moitié des années 1980, pour les baisses de T.V.A. rendues nécessaires par la préparation du marché unique. Le décalage temporel entre lannonce dune baisse de tarifs fiscaux lors de la présentation, en septembre, du projet de loi de finances, et lentrée en vigueur au terme normal, le 1er janvier suivant, risque de perturber les marchés en encourageant les consommateurs à différer leurs achats. Afin déviter ces reports dopérations, le nouveau taux de T.V.A. des automobiles et des motos, par exemple, est appliqué dès le mois de septembre 1987, et rectifié rétroactivement en loi de finances pour 1988. De même, larticle 27 de la loi de finances pour 1990 a allégé les droits de mutation à titre onéreux de fonds de commerce à compter du 1er octobre 1990. Cette pratique constante a reçu de nouveaux exemples dans le projet de loi de finances pour 1999, qui prévoit de valider à titre rétroactif : la suppression du droit de timbre sur la carte nationale didentité et le permis de conduire, applicable au 1er septembre 1998 (article 17) ; lélargissement à la même date des régimes de bons de souscription de part de créateur dentreprise ainsi que de report dimposition des plus-values de cessions investis en fonds propres de P.M.E. (article 4). En revanche, les divers allégements de T.V.A. proposés pour 1999 ne feraient pas lobjet dune application anticipée avec validation rétroactive : ils nont probablement pas été jugés de nature à perturber le fonctionnement des marchés. · Si les allégements anticipés sont rarement critiqués, car ils sont à lavantage des contribuables et évitent des perturbations économiques, lEtat est parfois obligé également de rendre rétroactives des majorations de droits pour éviter les anticipations dopérations qui nuiraient à ses finances. Cest ainsi quen 1981, la suppression de la réduction de 20 % sur les droits de mutation à titre gratuit (successions et donations, quoique les premières soient plus difficiles à programmer) a été rendue applicable dès le 9 juillet, avant dêtre validée en loi de finances pour 1982. · Il est à noter enfin que lurgence peut justifier pleinement la mise en uvre immédiate de mesures fiscales, sans attendre laboutissement du processus législatif qui les validera. Tel a été le cas des exonérations rétroactives de certains droits de timbre accordées aux contribuables de Guadeloupe sinistrés par le passage dun cyclone. 2. Une prohibition générale encourrait un risque constitutionnel Le Conseil constitutionnel, sil venait à être saisi dune disposition prévoyant linterdiction générale de toute mesure rétroactive, ne pourrait manquer de prendre en considération le fait que la rétroactivité, notamment en matière fiscale, est parfois nécessaire. Il pourrait donc juger excessive la limitation ainsi posée au pouvoir du législateur. Il lui faudrait tenir compte également de ce que, comme le confirme sa jurisprudence constante, la déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 ne consacre le principe de non-rétroactivité quen matière répressive. 3. Linterdiction de la rétroactivité juridique serait peu opérante Un principe de non-rétroactivité des lois ne peut exclure que la rétroactivité au sens juridique strict, sappliquant avant le fait générateur. Or, comme on la vu, les situations les plus choquantes naissent généralement de dispositions que le juge ne considérerait pas rétroactives, et qui ne relèvent que dune rétroactivité de fait. Edicter ce principe à titre général serait donc risquer dintroduire un corps étranger dans notre droit, tout en ne réglant pas le problème de fond, lié aux atteintes par lEtat au principe de sécurité juridique. Un dispositif ciblé devait donc être trouvé. Le Conseil des impôts, qui réunit des représentants des administrations intéressées sous la présidence du Premier président de la Cour des comptes, conscient de cette difficulté, avait considéré dans son rapport de 1994 quune mesure dinterdiction générale de la rétroactivité des lois fiscales ne paraissait pas souhaitable. Il préconisait dopérer une distinction en fonction de chaque type de lois. Encadrer le recours à la rétroactivité fiscale : Les propositions du Conseil des impôts Les règles applicables en ce qui concerne leffet des lois fiscales devraient être distinguées en fonction de chaque type de lois : les lois rétrospectives, qui sappliquent dans le futur à des actions commencées dans le passé mais encore en cours, sont admissibles, sauf si elles affectent un droit fondamental reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et si elles ne comportent aucune mesure transitoire ; les lois rétroactives défavorables aux contribuables seraient en principe exclues, sauf si lantériorité de leur date deffet par rapport à leur publication respectait un délai maximum (à déterminer) qui ne devrait pas, en tout état de cause, excéder une année, ou sauf si elles répondent à des motifs impérieux dintérêt général (coût budgétaire important par exemple) ; les lois interprétatives seraient prohibées dans les mêmes conditions que les lois rétroactives, sauf lorsquelles nauraient pas pour objet dinterpréter des règles relatives à lassiette ou au taux de limpôt : cette souplesse permettrait de valider des opérations annulées par le juge pour de seules raisons de procédure et déviter, ainsi, que des profits daubaine ne bénéficient au contribuable. Bien entendu, les fausses lois interprétatives seraient soumises, même lorsquelles portent sur des questions de procédure, aux mêmes règles que les lois rétroactives. Le vecteur juridique dune telle réforme pourrait être, comme lavait proposé la commission Aicardi, lordonnance du 2 janvier 1959, qui présente lintérêt de faire partie des normes auxquelles les lois de finances doivent, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, être conformes. Source : Conseil des impôts, treizième rapport au Président de la République, Fiscalité et vie des entreprises, 1994, tome I, pp. 359 et 360. Une construction de cette nature paraît très complexe à définir et à mettre en uvre. La frontière entre les diverses catégories de dispositions serait parfois délicate à tracer, et lobligation de mesures transitoires dans les lois dites rétrospectives serait très contraignante pour le législateur. La présente proposition de loi organique retient le support juridique suggéré, mais pour proposer un simple régime facultatif. B. UN RÉGIME SPÉCIFIQUE DAVANTAGES DURABLES PRÉVUS EN LOI DE FINANCES Le dispositif proposé se caractérise à la fois par sa place dans la hiérarchie des normes et par son contenu, centré sur les notions davantage fiscal et de pluriannualité. 1. Un support juridique appartenant au bloc de constitutionnalité Il est proposé de réserver aux lois de finances la possibilité de conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, étant rappelé que les dispositions fiscales peuvent résulter de lois ordinaires. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 84-170 DC du 4 juin 1984, a considéré que réserver aux seules lois de finances la modification dune ressource fiscale en cours dannée limiterait linitiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit damendement contraire aux articles 39 et 40 de la Constitution. Il est du reste très fréquent que des dispositions à caractère fiscal figurent dans des lois ordinaires, et pas seulement celles portant diverses dispositions à caractère fiscal ou financier. Le régime préconisé serait inscrit dans lordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. Il en compléterait larticle 4, qui prévoit le principe dannualité de limpôt, lévaluation du rendement des impôts en lois de finances et le régime des taxes parafiscales. De la sorte, ce qui est proposé est une extension du domaine propre aux lois de finances, qui présenterait deux avantages. a) Un avantage en termes de cohérence économique Le nouvel instrument de politique économique à moyen terme serait inséré dans le cadre global de prévision associé à la loi de finances. Le Parlement, avant den débattre, disposerait de lanalyse présentée dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances. Ce rapport comporte généralement une projection pluriannuelle du besoin de financement des administrations publiques. Même si, cette année, le Gouvernement a choisi de ne pas fournir dinformations détaillées à cet effet, une programmation pluriannuelle sera de plus en plus incontournable, dans le contexte du pacte de stabilité et de croissance européen. La loi de finances est linstrument privilégié de prévision de lEtat. Elle a juridiquement vocation à retracer tous ses engagements pluriannuels, conformément à larticle 2 de lordonnance organique. Il est dailleurs souhaitable que ses orientations sinscrivent dans une cohérence pluriannuelle. Telle était linspiration de la loi dorientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques du 24 janvier 1994, adoptée alors que lauteur de la présente proposition de loi était ministre du budget. Dans les deux cas, transparaît la même inspiration : améliorer la visibilité à moyen terme de la politique économique. b) Un avantage au regard de la hiérarchie des normes La Constitution du 4 octobre 1958 a érigé en une catégorie juridique particulière la notion de loi organique, issue de la Constitution de 1848. La loi organique se caractérise par le domaine dintervention qui lui est assigné par la Constitution (27). Comme lindique Bruno Genevois (28), la loi organique a une situation spécifique au sein de la hiérarchie des normes : si elle doit respecter la Constitution et est soumise à cette fin à un contrôle de constitutionnalité obligatoire, elle simpose à la loi ordinaire . Cest ainsi quune loi ordinaire ne peut ni empiéter sur le domaine de la loi organique (décision du Conseil constitutionnel n° 84-177 DC du 30 août 1984), ni méconnaître les dispositions dune loi organique (décision n° 60-8 DC du 11 août 1960 : les redevances (...) ne peuvent être regardées comme conformes aux prescriptions de lordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et par suite à celles de larticle 34 de la Constitution qui renvoie expressément à ladite loi organique ). Sagissant de lordonnance organique précitée relative aux lois de finances, le Conseil a été plus loin, en lintégrant dans ce quil est convenu dappeler le bloc de constitutionnalité . Il a considéré en effet, dans sa décision n° 85-202 DC du 16 janvier 1986 relative à la loi de règlement pour 1983, que les textes de valeur constitutionnelle relatifs à la loi de règlement ont pour objet de permettre au Parlement dexercer sur lexécution du budget le contrôle politique qui lui appartient . Par conséquent, des dispositions figurant dans cette ordonnance ont valeur constitutionnelle, même si elle na pas été soumise au Conseil, installé en 1959 après sa promulgation, et même si ses modifications doivent respecter la procédure et les conditions de constitutionnalité propres aux lois organiques. Il est rappelé que le rapport Aicardi de 1987, puis le rapport précité du Conseil des impôts de 1994 sur Fiscalité et vie des entreprises ont préconisé de faire de lordonnance organique de 1959 le vecteur juridique dune réforme visant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales. 2. Un instrument nouveau de politique économique à la disposition du législateur Le législateur aurait la faculté de recourir à un instrument spécifique dérogeant au principe dautorisation annuelle de limpôt : des avantages fiscaux auraient un caractère pluriannuel, pour une durée expressément fixée, au cours de laquelle ils seraient mis à labri des modifications. Ce dispositif propose ainsi une réponse préventive aux inconvénients de la rétroactivité des lois fiscales sappliquant aux situations en cours. Il permet de garantir la sécurité juridique des contribuables choisissant dentrer dans un régime fiscal incitatif. a) La notion davantage fiscal Les avantages fiscaux susceptibles de faire lobjet de la pluriannualité peuvent être entendus comme des dérogations à la norme fiscale prévues à titre dincitation dans le cadre dune politique économique ou financière. · La notion peut être rapprochée de celle de dépense fiscale, qui est mise en uvre dans le tome II de lannexe relative aux voies et moyens de chaque loi de finances, conformément à larticle 32 de la loi de finances pour 1980. Reprenant les termes du rapport du Conseil des impôts de 1979, la présentation générale de ce document indique que les dépenses fiscales sanalysent comme des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en uvre entraîne pour lEtat une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de lapplication de la norme, cest-à-dire des principes généraux du droit fiscal français . Lensemble des dépenses fiscales ont pour support un ou plusieurs articles du code général des impôts, de ses annexes ou du code des douanes. De la même façon, lavantage fiscal ne peut être conçu que comme une dérogation à la norme. Ainsi, la réforme Juppé de limpôt sur le revenu en loi de finances pour 1997, qui prévoyait une refonte de la norme, ne pouvait constituer un avantage fiscal au sens de la présente proposition de loi. · Un exemple permet de comprendre en quoi la notion de dépense fiscale peut être trop étroite : celui de lexonération des droits de succession applicable aux contrats dassurance-vie. Celle-ci ne résulte pas dune disposition proprement fiscale, mais elle est la conséquence de larticle L. 132-12 du code des assurances, qui dispose, dans sa rédaction fixée par la loi du 7 janvier 1981 : Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de lassuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de lassuré . Par conséquent, cette exonération nest pas une dépense fiscale, mais bien un avantage fiscal indirect. Cest la raison pour laquelle le Gouvernement, avant de proposer de la réformer pour lavenir par larticle 24 du projet de loi de finances, avait envisagé cet été de modifier les règles du jeu applicables aux contrats en cours. Quoiquabandonnée, une tentative de cette nature est de toute évidence très dommageable pour la crédibilité de lEtat. Elle revient à clamer haut et fort que toutes les incitations fiscales, même portant sur des décisions de long terme, sont révocables, précaires et pour tout dire, menacées. Cette épée de Damoclès législative ne peut quengendrer un climat de suspicion à légard de lensemble de ces incitations, y compris celles du projet de loi de finances. La présente proposition de loi organique donnerait au contraire à un gouvernement soucieux dassurer des anticipations rationnelles, le moyen juridique de préserver la règle de larticle L. 132-12 contre les revirements, pendant une période garantie. b) Une pluriannualité à trois niveaux La pluriannualité de lavantage fiscal peut être entendue dans trois sens différents, selon quelle concerne la période douverture du régime fiscal, sa durée propre ou celle de la situation (contrat, opération) qui ouvre droit à son bénéfice. Il est souhaitable que le législateur puisse combiner ces différents cas de figure. · La pluriannualité peut dabord signifier que lavantage serait ouvert pour une durée préfixée. Il sagirait alors davantages ne portant effet quau titre de lexercice de réalisation dune opération. La pluriannualité aurait pour avantage de laisser aux contribuables la liberté den déterminer la date, alors quactuellement, la précarité juridique les incite à une réalisation rapide. Les aides fiscales en matière de logement donnent des exemples dapplications possibles : la réduction dimpôt au titre des dépenses de grosses réparations ou ravalement dans la résidence principale, prévue par larticle 199 sexies D du code général des impôts, pour les paiements entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2001 ; le crédit dimpôt pour dépenses dentretien de la résidence principale réalisées entre le 1er janvier 1998 et le 31 décembre 2000, conformément à larticle 200 ter du même code. · En second lieu, le bénéfice de lavantage peut avoir lui-même un caractère pluriannuel en portant effet chaque année pour les opérations, les biens ou les contribuables concernés. Le cas-type est celui de lexonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles antérieurs à 1973, qui était initialement dune durée de vingt-cinq ans, avant que larticle 14 de la loi de finances pour 1984 ne la ramène à quinze ans. · Il est à noter que seul un avantage fiscal serait garanti, et non lintégralité du régime des impôts applicable à tel type de biens ou dopérations. Rendre pluriannuel lavantage fiscal relatif à limposition des produits dune catégorie de plans dépargne ne ferait pas obstacle à leur assujettissement ultérieur à une nouvelle imposition de portée générale, comme la contribution sociale généralisée. · Enfin, lavantage fiscal peut aussi sappliquer à des contrats ou des engagements soumis au respect par le contribuable dune condition de durée minimale : maintien des versements sur un plan dépargne, détention dun bien, ou affectation de ce bien à un certain usage, par exemple la location. Maints dispositifs associent les différents types de pluriannualité. Ainsi, l amortissement Périssol intégré dans larticle 31-I du code général des impôts par larticle 29 de la loi du 12 avril 1996 portant diverses dispositions dordre économique et financier nest-il applicable que pour les immeubles acquis neuf entre le 1er janvier 1996 et le 31 décembre 1998. Il se traduit par une réduction dimpôt égale à 10 % du prix du logement les quatre premières années et à 2 % de ce prix les vingt années suivantes. Le bénéfice de lavantage pluriannuel est conditionné à lengagement du propriétaire de louer le logement pendant une durée de neuf ans. Cet avantage fiscal est donc pluriannuel à un triple titre. Il peut également advenir quun même instrument juridique fasse lobjet de deux ou plusieurs avantages fiscaux distincts. Lexemple de lassurance-vie est, là encore, éclairant : ces contrats ont une durée minimale de huit ans, qui conditionne le bénéfice du régime propre dimposition de leurs produits, régime modifié par larticle 21 de la loi de finances pour 1998 ; par ailleurs, ils font lobjet de lexonération déjà évoquée des droits de succession, qui sapplique, quelle que soit la durée effective du contrat au moment du décès de lassuré. Cest cet avantage que larticle 24 du projet de loi de finances pour 1999 proposait de remettre en cause sous certaines conditions. C. UN CADRE JURIDIQUE À LA FOIS OPÉRATIONNEL ET CONSTITUTIONNEL 1. Linterdiction des modifications anticipées sappliquerait aux lois de finances comme aux lois ordinaires La rédaction proposée par votre commission des Lois précise expressément que, si seule une loi de finances peut conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, aucune loi, quelle quen soit la nature, ne peut revenir sur ces avantages avant le terme. Une garantie ne sappliquant quaux lois de finances serait inopérante, puisquune loi ordinaire peut contenir des dispositions fiscales (voir ci-avant, II-B-1). Prévoir dans lordonnance organique relative aux lois de finances une règle simposant à toutes les lois nest nullement une novation. De nombreuses dispositions sont dans ce cas, à commencer par celles relatives au domaine exclusif des lois de finances, qui interdisent de faire figurer certaines dispositions dans les autres lois. A titre dexemple des règles organiques du 2 janvier 1959 simposant aux lois ordinaires : les créations et transformations demplois de fonctionnaires de lEtat ne peuvent résulter que de dispositions prévues par une loi de finances (article 1er, alinéa 5) ; les lois de plan approuvées par le Parlement ne peuvent engager lEtat que dans la limite des autorisations de programme prévues en loi de finances (article 1er, alinéa 6) ; les lois autres que les lois de finances rectificatives ne peuvent, en cours dexercice, modifier les dispositions de la loi de finances de lannée (article 2, alinéa 6) ; seules les lois de finances peuvent évaluer le rendement des impôts affectés à lEtat (article 4, deuxième alinéa quil est proposé de compléter par la présente proposition de loi) ; laffectation de recettes à certaines dépenses ne peut être prévue par une loi ordinaire, ni même par une disposition de loi de finances dinitiative parlementaire (article 18, alinéa 3) ; une loi ordinaire ne peut ni créer ou supprimer un budget annexe, ni ouvrir un compte spécial du Trésor (articles 20 et 23). Ainsi, la proposition de loi n° 1151 tend simplement à créer un élément supplémentaire du domaine exclusif des lois de finances. 2. Lordonnance organique fixerait les conditions des autorisations pluriannuelles de ressources Comme toute loi organique, la présente proposition de loi, si elle est adoptée, sera soumise au Conseil constitutionnel qui en vérifiera la conformité à la Constitution. Celle-ci mentionne à deux reprises lordonnance organique du 2 janvier 1959. Larticle 34 prévoit que les lois de finances déterminent les ressources et les charges de lEtat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique , et larticle 47 dispose que le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique . Schématiquement, les titres premier et II de lordonnance répondent à larticle 34 qui évoque le contenu des lois de finances, et son titre III, relatif à la présentation et au vote des projets de lois de finances, à larticle 47. La présente proposition de loi tend à compléter larticle 4 du chapitre 1er, relatif à la détermination des ressources et des charges de lEtat, au sein du titre II, portant sur les dispositions des lois de finances. Son objet est de prévoir les conditions particulières dans lesquelles les lois de finances pourraient procéder à des autorisations pluriannuelles en matière de ressources de lEtat. Il est donc pleinement compatible avec le rôle assigné par la Constitution à lordonnance organique et par celle-ci aux lois de finances. La situation ne serait du reste pas inédite. De façon symétrique, le dernier alinéa de larticle premier et lantépénultième alinéa de larticle 2 prévoient des autorisations pluriannuelles en matière de dépenses. Ces autorisations sont accordées dans le cadre des lois de programme regroupant des autorisations de programme votées en loi de finances. 3. Le principe de dispositions fiscales pluriannuelles en loi de finances nest pas contraire à la Constitution La nouveauté de la présente proposition de loi est dintroduire dans lordonnance organique un cas dautorisation à caractère pluriannuel en matière de ressources. Larticle 2 de lordonnance prévoit plusieurs cas de pluriannualité, mais seulement en matière de charges. Il dispose en effet : Seules les dispositions relatives à lapprobation de conventions financières, aux garanties accordées par lEtat, à la gestion de la dette publique ainsi que de la dette viagère, aux autorisations dengagement par anticipation ou aux autorisations de programme peuvent engager léquilibre financier des années ultérieures. Il se trouve donc quactuellement, le principe dautorisation des ressources de lEtat nest mis en uvre que dans le cadre de lannualité budgétaire. En matière fiscale, le cadre annuel est dailleurs assez souvent dépassé : certaines dispositions sont rétroactives, dautres, figurant en principe en deuxième partie de la loi de finances, sappliquent à un ou plusieurs exercices ultérieurs. Cet état de fait ne doit pas faire perdre de vue que le principe constitutionnel est celui dune autorisation périodique, non dune autorisation annuelle de limpôt. Le fondement en est posé par la déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, dont les articles 13 à 15 disposent : Article 13. Pour lentretien de la force publique, et pour les dépenses dadministration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés. Article 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, den suivre lemploi et den déterminer la quotité, lassiette, le recouvrement et la durée. Article 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. Un dispositif dérogatoire dautorisation pluriannuelle pour une durée expressément fixée ne serait nullement contraire au principe du consentement à limpôt. Il est dailleurs à noter que lannualité de tous les impôts ne remonte quà la IIIe République. Auparavant, les impositions indirectes pouvaient être consenties pour plusieurs années (article 8 de lordonnance du 31 mai 1838, article 17 de la Constitution de 1848). En loccurrence, lautorisation demeurerait. Elle serait accordée à lorigine, puis éventuellement renouvelée à léchéance de la durée prévue. Afin dassurer un consentement parlementaire dune fréquence suffisante, votre commission des Lois a choisi de préciser que la durée de lavantage fiscal ne pouvait excéder cinq ans. Cette durée, habituellement retenue en matière de lois de programmation, de lois de plan, était également celle de la projection budgétaire glissante prévue par la loi dorientation quinquennale du 24 janvier 1994. Le Conseil constitutionnel, faute de précédent, na jamais eu à se prononcer sur le principe de dispositions fiscales de loi de finances à caractère pluriannuel. Mais la faculté ainsi ouverte au législateur de sengager sur un avantage fiscal déterminé, pour une durée déterminée nexcédant pas cinq ans, ne paraît contraire à aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle. Elle paraît pleinement conforme à la faculté que le Conseil constitutionnel a reconnu au Parlement, dans sa décision n° 75-61 DC du 28 janvier 1976, de modifier une loi organique prise par voie dordonnance au lendemain de ladoption de la Constitution. * * * Après lexposé du rapporteur, M. Christophe Caresche sest étonné que les principaux responsables de lopposition, et en particulier un ancien ministre du budget, puissent défendre cette proposition de loi, alors même quils sétaient accommodés, lorsquils étaient au pouvoir, du principe dannualité budgétaire. Il a considéré que cette démarche était à la fois opportuniste, sans fondement constitutionnel et dangereuse pour le principe dalternance. Sagissant du caractère opportuniste de la proposition de loi, il a rappelé quelle avait été déposée en réaction aux dispositions du projet de loi de finances pour 1999 relatives au régime fiscal de lassurance-vie, supprimant lexonération des droits de succession dont bénéficient les patrimoines dune valeur supérieure à 1 million de francs. Evoquant la décision, prise par lAssemblée nationale en première lecture, excluant du champ dapplication de cette disposition les contrats antérieurs au 13 octobre 1998, il a jugé que lobjectif principal de la proposition de loi était de capitaliser le mécontentement, aujourdhui sans objet, apparu lors de la discussion de la loi de finances. Sagissant du fondement constitutionnel du texte, il a estimé quaucun principe ne justifiait linscription dans le bloc de constitutionnalité de la non-rétroactivité fiscale. Sur ce point, il a déclaré que ceux qui ne bénéficiaient pas dun avantage fiscal pouvaient à bon droit en réclamer la suppression. Il a par ailleurs considéré que lobjet du bloc de constitutionnalité nétait pas de préserver les avantages fiscaux accordés à certaines catégories sociales par une majorité politique donnée. Il a ainsi remarqué que ce dispositif empêcherait toute majorité nouvelle de mettre en uvre les orientations pour lesquelles elle a été élue. Pour cette raison, il a estimé que lopposition cherchait à régler par les principes constitutionnels un problème relevant de la seule responsabilité politique de la majorité en place. Enfin, sagissant de la remise en cause du principe dalternance, il a fait observer que ladoption de la proposition de loi permettrait à une majorité sortante dimposer à une majorité nouvellement élue la continuité de certains avantages fiscaux. Sinterrogeant sur la légitimité dun tel dispositif, il a indiqué quil contribuerait à réduire encore davantage les capacités de décision de la représentation nationale, déjà fortement diminuées du fait de linternationalisation des marchés. Faisant remarquer que la majorité actuelle rendait un service à lopposition qui, lorsquelle reviendrait aux affaires, ne serait pas ainsi limitée dans son action, il a déclaré que le groupe socialiste sopposerait à cette proposition de loi en séance publique, précisant quil ne prendrait pas part au vote en commission, afin que le débat puisse avoir lieu en séance. M. Olivier de Chazeaux a rejeté lidée suivant laquelle la proposition de loi relevait dune démarche opportuniste, en indiquant quil était courageux pour un ancien ministre du budget de limiter la rétroactivité en matière fiscale. Il a considéré que cette proposition entendait défendre la visibilité et la prévisibilité de laction gouvernementale pour lensemble des agents économiques. A cet égard il a souligné limportance que les contribuables attachent à la parole de lEtat, alors même que celle-ci est souvent remise en cause. Citant les exemples de lassurance-vie et de lallocation de garde denfants à domicile (A.G.E.D.), il a déclaré quil était indispensable que les citoyens connaissent à lavance le programme des majorités quils choisissent. M. Robert Pandraud a estimé que la proposition de loi soumise à la commission était sérieuse et quelle méritait un débat de fond. Constatant que M. Nicolas Sarkozy, ancien ministre du budget, faisait à travers ce texte son autocritique, il a apporté son soutien à cette démarche dont lobjectif est de promouvoir la stabilité des investissements des entreprises et la prévisibilité des budgets des ménages. Soulignant la faible marge de manuvre du ministre des finances, en raison du poids des milieux économiques, des politiques mises en uvre par les directeurs des banques centrales et de la puissance de la direction générale des impôts, il a jugé que ce texte, utilement amendé par le rapporteur, contribuerait à lutter contre le poids de la technostructure. Mme Catherine Tasca, présidente, a souligné que, même sil sagissait dun objectif respectable, la sécurité souhaitée par les contribuables nétait quun des paramètres de la politique fiscale, qui devait également prendre en compte des évolutions économiques de plus en plus rapides, ayant souvent leur source dans la conjoncture internationale. Elle a estimé quil était de lintérêt général que le Gouvernement et le Parlement puissent rester maîtres de leurs décisions face à un certain nombre de nécessités, qui ne peuvent pas être considérées comme secondaires par rapport à la stabilité fiscale. En réponse aux intervenants, le rapporteur a souligné que seuls des arguments dopportunité avaient été mis en avant pour contester lintérêt de la proposition, tels son coût ou le fait quelle risque de lier une nouvelle majorité en cas dalternance. Il a considéré que son coût financier serait en fait extrêmement limité, alors que le coût politique de linstabilité fiscale était désastreux, les Français étant profondément choqués par le comportement désinvolte de la puissance publique. Il a estimé que la réforme proposée inciterait le Gouvernement à avoir une vision politique à moyen terme lorsquil met en place un avantage fiscal ajoutant quelle marquerait une progression de lEtat de droit par la limitation de la rétroactivité des décisions de lautorité publique. La Commission est ensuite passée à lexamen du texte proposé par le rapporteur. Le rapporteur a indiqué quil proposait une nouvelle rédaction de larticle unique de la proposition dans un souci de clarification. Il a ainsi précisé que seule une loi de finances pourrait conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, sans quune loi ultérieure puisse les modifier avant léchéance prévue, la durée de ce dispositif protecteur ne pouvant excéder cinq ans. Il a souligné que cette durée maximale, qui le cas échéant pourrait être renouvelée pour une nouvelle tranche de cinq années, assurerait aux contribuables à la fois la sécurité fiscale et le temps nécessaire pour évaluer la pertinence du dispositif fiscal mis en place. M. Christophe Caresche a rappelé que les membres du groupe socialiste ne prenaient pas part au vote. Puis la Commission a adopté la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur. * * * TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE Article unique Le premier alinéa de larticle 4 de lordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances est ainsi rédigé : Lautorisation de percevoir les impôts est annuelle. Toutefois, une loi de finances peut conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, sous réserve den limiter précisément la durée, qui ne peut excéder cinq ans, sans quune loi ultérieure puisse venir les modifier avant léchéance prévue. Le rendement des impôts dont le produit est affecté à lEtat est évalué par les lois de finances. ___
__________ N° 1191. Rapport de M. Jean-Luc Warsmann (au nom de la commission des lois), sur la proposition de loi organique (n° 1151) de M. Nicolas Sarkozy et plusieurs de ses collègues, modifiant lordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. 1 ) Décision n° 69-57 L du 24 octobre 1969. 2 ) Jérôme Turot, maître des requêtes au Conseil dEtat, Revue de jurisprudence fiscale 10/1990, p. 655. 3 ) Décision n° 80-126 DC du 22 juillet 1980. 4 ) Voir par exemple la décision n° 97-391 DC du 7 novembre 1997. 5 ) Décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984. 6 ) Décision n° 86-223 DC du 29 décembre 1986. 7 ) Décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995. 8 ) Décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989. 9 ) La jurisprudence du Conseil constitutionnel, Principes directeurs, 1988, p. 282. 10 ) Décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995. 11 ) J.O. Lois et décrets, 11 novembre 1997, p. 16392. 12 ) Stéphane Verclytte, maître des requêtes au Conseil dEtat, Application de la loi fiscale dans la temps : une décennie riche dévolutions , RJF 6/98, pp. 459 et suivantes. 13 ) Armel Kerrest : La rétroactivité de la loi fiscale , Revue française de finances publiques, n° 421993, p. 154. 14 ) Conseil des impôts, treizième rapport au Président de la République, Fiscalité et vie des entreprises, 1994, volume I, p. 346. 16 ) Rapport de la commission pour lamélioration des rapports entre les citoyens et les administrations fiscales et douanières, p. 53. 18 ) Libre propos dans la Gazette du Palais, 7 avril 1987, doctrine, p. 271. 20 ) Notamment décision n° 96-385 DC du 30 décembre 1996 sur la loi de finances pour 1997 et décision n° 97-391 DC du 7 novembre 1997 sur la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier. 21 ) Jean-Eric Schoettl, conseiller dEtat, AJDA, 20 décembre 1997, Doctrine, p. 971. 22 ) Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 relative à la loi portant diverses dispositions en matière durbanisme et de construction. 23 ) Saisine en date du 22 décembre 1986, seconde loi de finances rectificative pour 1986. 24 ) Conseil des impôts, rapport précité, 1994, T. I, p. 345. 25 ) Oliver Fouquet, conseiller dEtat, La rétroactivité des lois fiscales , La revue administrative n° 278, avril 1994, p. 140. 26 ) Jérôme Turot, article précité, 1990, page 656. 27 ) Voir lavis de lassemblée générale du Conseil dEtat du 4 décembre 1972. 28 ) La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, 1988, p. 153. |